Bergson

1915

La philosophie française

2013
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2013, license cc.
Source : Henri Bergson. La philosophie française, article publié dans La Revue de Paris, livraison du 15 mai 1915, pp. 236-256. (Tableau récapitulatif destiné à l’Exposition de San Francisco)
Ont participé à cette édition électronique : Frédéric Glorieux (2012 — encodage TEI) et Vincent Jolivet (2012 — encodage TEI).

I1 §

Toute la philosophie moderne dérive de Descartes 2. Nous n’essaierons pas de résumer sa doctrine : chaque progrès de la science et de la philosophie permet d’y découvrir quelque chose de nouveau, de sorte que nous comparerions volontiers cette œuvre aux œuvres de la nature, dont l’analyse ne sera jamais terminée. Mais de même que l’anatomiste fait dans un organe ou dans un tissu une série de coupes qu’il étudie tour à tour, ainsi nous allons couper l’œuvre de Descartes par des plans parallèles situés les uns au-dessous des autres, pour obtenir d’elle, successivement, des vues de plus en plus profondes.

Une première coupe révèle dans le cartésianisme la philosophie des idées « claires et distinctes », celle qui a définitivement délivré la pensée moderne du joug de l’autorité pour ne plus admettre d’autre marque de la vérité que l’évidence.

Un peu plus bas, en creusant la signification des termes « évidence », « clarté », « distinction », on trouve une théorie de la méthode. Descartes, en inventant une géométrie nouvelle, a analysé l’acte de création mathématique. Il décrit les conditions de cette création. Il apporte ainsi des procédés généraux de recherche, qui lui ont été suggérés par sa géométrie.

En approfondissant à son tour cette extension de la géométrie, on arrive à une théorie générale de la nature, considérée comme un immense mécanisme régi par des lois mathématiques. Descartes a donc fourni à la physique moderne son cadre, le plan sur lequel elle n’a jamais cessé de travailler, en même temps qu’il a apporté le type de toute conception mécanistique de l’univers.

Au-dessous de cette philosophie de la nature on trouverait maintenant une théorie de l’esprit ou, comme dit Descartes, de la « pensée », un effort pour résoudre la pensée en éléments simples : cet effort a ouvert la voie aux recherches de Locke et de Condillac. On trouverait surtout cette idée que la pensée existe d’abord, que la matière est donnée par surcroît et pourrait, à la rigueur, n’exister que comme représentation de l’esprit. Tout l’idéalisme moderne est sorti de là, en particulier l’idéalisme allemand.

Enfin, au fond de la théorie cartésienne de la pensée, il y a un nouvel effort pour ramener la pensée, au moins partiellement, à la volonté. Les philosophies « volontaristes » du XIXe siècle se rattachent ainsi à Descartes. Ce n’est pas sans raison qu’on a vu dans le cartésianisme une « philosophie de la liberté ».

À Descartes remontent donc les principales doctrines de la philosophie moderne. D’autre part, quoique le cartésianisme offre des ressemblances de détail avec telles ou telles doctrines de l’antiquité ou du moyen âge, il ne doit rien d’essentiel à aucune d’elles. Le mathématicien et physicien Biot a dit de la géométrie de Descartes : « proles sine matre creata ». Nous en dirions autant de sa philosophie.

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Si toutes les tendances de la philosophie moderne coexistent chez Descartes, c’est le rationalisme qui prédomine, comme il devait dominer la pensée des siècles suivants. Mais à côté ou plutôt au-dessous de la tendance rationaliste, recouvert, et souvent dissimulé par elle, il y a un autre courant qui traverse la philosophie moderne. C’est celui qu’on pourrait appeler sentimental, à condition de prendre le mot « sentiment » dans l’acception que lui donnait le XVIIe siècle, et d’y comprendre toute connaissance immédiate et intuitive. Or ce second courant dérive, comme le premier, d’un philosophe français. Pascal 3 a introduit en philosophie une certaine manière de penser qui n’est pas la pure raison, puisqu’elle corrige par l’« esprit de finesse » ce que le raisonnement a de géométrique, et qui n’est pas non plus la contemplation mystique, puisqu’elle aboutit à des résultats susceptibles d’être contrôlés et vérifiés par tout le monde. On trouverait, en rétablissant les anneaux intermédiaires de la chaîne, qu’à Pascal se rattachent les doctrines modernes qui font passer en première ligne la connaissance immédiate, l’intuition, la vie intérieure, comme à Descartes (malgré les velléités d’intuition qu’on rencontre dans le cartésianisme lui-même) se rattachent, plus particulièrement les philosophies de la raison pure. Nous ne pouvons entreprendre ce travail. Bornons-nous à constater que Descartes et Pascal sont les grands représentants des deux formes ou méthodes de pensée entre lesquelles se partage l’esprit moderne.

 

L’un et l’autre ont rompu avec la métaphysique des Grecs. Mais l’esprit humain ne renonce pas facilement à ce dont il a fait sa nourriture pendant bien des siècles. La philosophie grecque avait alimenté le moyen âge, grâce à Aristote. Elle avait imprégné la Renaissance, grâce surtout à Platon. Il était naturel qu’on cherchât, après Descartes, à l’utiliser en la rapprochant du cartésianisme. On devait y être porté par la tendance même des philosophes à mettre leur pensée sous une forme systématique, car le « système » par excellence est celui qui a été, préparé par Platon et Aristote, définitivement constitué et consolidé par les néo-platoniciens ; et il serait aisé de montrer (nous ne pouvons entrer dans le détail de cette démonstration) que toute tentative pour bâtir un système s’inspire par quelque côté de l’aristotélisme, du platonisme ou du néo-platonisme. De fait, les deux doctrines métaphysiques qui surgirent hors de France dans la seconde moitié du XVIIe siècle furent des combinaisons du cartésianisme avec la philosophie grecque. La philosophie de Spinoza, si originale soit-elle, aboutit à fondre ensemble la métaphysique de Descartes et l’aristotélisme des docteurs juifs. Celle de Leibniz, dont nous ne méconnaissons pas non plus l’originalité, est encore une combinaison du cartésianisme avec l’aristotélisme, surtout avec l’aristotélisme des néo-platoniciens. Pour des raisons que nous indiquerons tout à l’heure, la philosophie française n’a jamais eu beaucoup de goût pour les grandes constructions métaphysiques ; mais quand il lui a plu d’entreprendre des spéculations de ce genre, elle a montré ce qu’elle était capable de faire, et avec quelle facilité elle le faisait. Tandis que Spinoza et Leibniz construisaient leur système, Malebranche 4 avait le sien. Lui aussi avait combiné le cartésianisme avec la métaphysique des Grecs (plus particulièrement avec le platonisme des Pères de l’Église). Le monument qu’il a élevé est un modèle du genre. Mais il y a en même temps chez Malebranche toute une psychologie et toute une morale qui conservent leur valeur, même si l’on ne se rallie pas à sa métaphysique. Là est une des marques de la philosophie française : si elle consent parfois à devenir systématique, elle ne fait pas de sacrifice à l’esprit de système ; elle ne déforme pas à tel point les éléments de la réalité qu’on ne puisse utiliser les matériaux de la construction en dehors de la construction même. Les morceaux en sont toujours bons.

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Descartes, Pascal, Malebranche, tels sont les trois grands représentants de la philosophie française au XVIIe siècle. Ils ont fourni trois types de doctrines que nous rencontrons dans les temps modernes.

Essentiellement créatrice fut encore la philosophie française du XVIIIe siècle. Mais, ici encore, nous devons renoncer à entrer dans le détail. Disons un mot des théories les plus importantes et citons les principaux noms.

On commence seulement à rendre à Lamarck 5 la justice qui lui est due. Ce naturaliste, qui fut aussi un philosophe, est le véritable créateur de l’évolutionisme biologique. Il est le premier qui ait conçu nettement, et poussé jusqu’au bout, l’idée de faire sortir les espèces les unes des autres par voie de transformation. La gloire de Darwin n’en est pas diminuée. Darwin a serré de plus près les faits ; il a surtout découvert le rôle de la concurrence et de la sélection. Mais concurrence et sélection expliquent comment certaines variations se conservent ; elles ne rendent pas compte — Darwin le disait lui-même — des causes de la variation. Bien avant Darwin, (puisque ses recherches datent de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe), Lamarck avait affirmé avec la même netteté la transformation des espèces, et il avait essayé, en outre, d’en déterminer les causes. Plus d’un naturaliste revient aujourd’hui à Lamarck, soit pour combiner ensemble lamarckisme et darwinisme, soit même pour remplacer le darwinisme par un lamarckisme perfectionné. C’est dire que la France a fourni à la science et à la philosophie, au XVIIIe siècle, le grand principe d’explication du monde organisé, comme, au siècle précédent, avec Descartes, elle leur avait apporté le plan d’explication de la nature inorganique.

Les recherches et les réflexions de Lamarck avaient d’ailleurs été préparées en France par beaucoup de travaux originaux sur la nature et la vie. Bornons-nous à rappeler les noms de Buffon 6 et de Bonnet 7.

D’une manière générale, les penseurs français du XVIIIe siècle ont fourni les éléments de certaines théories de la nature qui devaient se constituer au siècle suivant. Nous venons de parler du problème de l’origine des espèces. Celui de la relation de l’esprit à la matière, abordé dans un sens plutôt matérialiste, fut posé cependant par les philosophes français du XVIIIe siècle avec une précision telle qu’il appelait aussi bien, dès lors, d’autres solutions. Il faut citer ici les noms de La Mettrie 8, de Cabanis 9, etc., et encore celui de Charles Bonnet.

On montrerait sans peine que leurs recherches sont à l’origine de la psycho-physiologie qui s’est développée pendant le XIXe siècle. Mais la psychologie elle-même, entendue comme une idéologie, c’est-à-dire comme une reconstruction de l’esprit avec des éléments simples, — la psychologie telle que l’a comprise l’école « associationiste » du siècle dernier, — est sortie, en partie, des travaux français du XVIIIe siècle, notamment de ceux de Condillac. Il est juste de reconnaître que les Anglais y ont contribué pour une part plus large encore, et que la doctrine de Locke n’avait pas été sans influence sur l’idéologie française. Mais Locke n’avait-il pas été influencé lui-même par Descartes ? Anticipant sur ce que nous aurons à dire du XIXe siècle, nous pouvons dès maintenant faire remarquer que l’œuvre psychologique de Taine, son analyse de l’intelligence, dérive en partie de l’idéologie du XVIIIe siècle, plus spécialement de Condillac.

Nous n’avons pas à parler ici de la philosophie sociale. Tout le monde sait comment s’élaborèrent en France, au cours du XVIIIe siècle, les principes de la science politique en général, et plus particulièrement les idées qui devaient amener une transformation de la société. À Montesquieu 10, à Turgot 11, à Condorcet 12, est dû l’approfondissement des concepts de loi, de gouvernement, de progrès, etc., comme aux encyclopédistes en général (d’Alembert 13, Diderot 14, La Mettrie 15, Helvetius 16, d’Holbach 17) le mouvement qui aboutit à, « rationaliser » l’humanité et à la tourner aussi du côté des arts mécaniques.

Mais la plus puissante des influences qui se soient exercées sur l’esprit humain depuis Descartes, — de quelque manière d’ailleurs qu’on la juge, — est incontestablement celle de Jean-Jacques Rousseau 18. La réforme qu’il opéra dans le domaine de la pensée pratique fut aussi radicale que l’avait été celle de Descartes dans le domaine de la spéculation pure. Lui aussi remit tout en question ; il voulut remodeler la société, la morale, l’éducation, la vie entière de l’homme sur des principes « naturels ». Ceux mêmes qui ne se sont pas ralliés à ses idées ont dû adopter quelque chose de sa méthode. Par l’appel qu’il a lancé au sentiment, à l’intuition, à la conscience profonde, il a encouragé une certaine manière de penser que l’on trouvait déjà chez Pascal (dirigée, il est vrai, dans un sens tout différent), mais qui n’avait pas encore droit de cité en philosophie. Quoiqu’il n’ait pas construit un système, il a inspiré en partie les systèmes métaphysiques du XIXe siècle : le Kantisme d’abord, puis le « romantisme » de la philosophie allemande lui durent beaucoup. L’art et la littérature lui doivent au moins autant. Son œuvre apparaît à chaque génération nouvelle sous quelque nouvel aspect. Elle agit encore sur nous 19.

Dans le coup d’œil que nous venons de jeter sur la philosophie française du XVIIe et du XVIIIe siècles, nous avons pris une vue d’ensemble ; nous avons dû laisser de côté un grand nombre de penseurs et ne considérer que les plus importants d’entre eux. Que sera-ce pour le XIXe siècle ? Il n’y a guère de savant français, ni même d’écrivain français, qui n’ait apporté sa contribution à la philosophie.

Si les trois siècles précédents avaient vu naître et se développer les sciences abstraites et concrètes de la matière inorganique, — mathématiques, mécanique, astronomie, physique et chimie, — le XIXe siècle devait approfondir en outre les sciences de la vie : vie organique et même, jusqu’à un certain point, vie sociale. Ici encore les Français furent des initiateurs. On leur doit la théorie de la méthode, et une partie importante des résultats. Nous faisons allusion surtout à Claude Bernard, et à Auguste Comte.

L’Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard 20 a été, pour les sciences concrètes de laboratoire, ce que le Discours de la méthode de Descartes avait été pour les sciences plus abstraites. C’est l’œuvre d’un physiologiste de génie qui s’interroge sur la méthode qu’il a suivie, et qui tire de sa propre expérience des règles générales d’expérimentation et de découverte. La recherche scientifique, telle que Claude Bernard la recommande, est un dialogue entre l’homme et la nature. Les réponses que la nature fait à nos questions donnent à l’entretien une tournure imprévue, provoquent des questions nouvelles auxquelles la nature réplique en suggérant de nouvelles idées, et ainsi de suite indéfiniment. Ni les faits ni les idées ne sont donc constitutifs de la science : celle-ci, toujours provisoire et toujours, en partie, symbolique, naît de la collaboration de l’idée et du fait. Immanente à l’œuvre de Claude Bernard est ainsi l’affirmation d’un écart entre la logique de l’homme et celle de la nature. Sur ce point, et sur plusieurs autres, Claude Bernard a devancé les théoriciens « pragmatistes » de la science.

Le Cours de philosophie positive d’Auguste Comte 21 est une des grandes œuvres de la philosophie moderne. L’idée, simple et géniale, d’établir entre les sciences un ordre hiérarchique qui va des mathématiques à la sociologie 22, s’impose à notre esprit, depuis que Comte l’a formulée, avec la force d’une vérité définitive. Si l’on peut contester sur certains points l’œuvre sociologique du maître, il n’en a pas moins eu le mérite de tracer à la sociologie son programme et de commencer à le remplir. Réformateur à la manière de Socrate, il eût été tout disposé, comme on l’a fait remarquer, a adopter la maxime socratique « connais-toi toi-même » ; mais il l’eût appliquée aux sociétés et non plus aux individus, la connaissance de l’homme social étant à ses yeux le point culminant de la science et l’objet par excellence de la philosophie. Ajoutons que le fondateur du positivisme, qui se déclara l’adversaire de toute métaphysique, est une âme de métaphysicien, et que la postérité verra dans son œuvre un puissant effort pour « diviniser » l’humanité.

Renan 23 n’a pas de parenté intellectuelle avec Comte. Mais, à sa manière, et dans un sens assez différent, il a eu, lui aussi, cette religion de l’humanité qu’avait rêvée le fondateur du positivisme. La séduction qu’il exerça sur son temps tient à bien des causes. Ce fut d’abord un merveilleux écrivain, si toutefois on peut encore appeler écrivain celui qui nous fait oublier qu’il emploie des mots, sa pensée paraissant s’insinuer directement dans la nôtre. Mais bien séduisante aussi, bien adaptée au siècle qui avait revivifié les sciences historiques, était la conception doublement optimiste de l’histoire qui pénétrait l’œuvre de ce maître ; car, d’une part, il pensait que l’histoire enregistre un progrès ininterrompu de l’humanité, et, d’autre part, il voyait en elle un succédané de la philosophie et de la religion.

Cette même foi à la science — aux sciences qui étudient l’homme — se retrouve chez Taine 24, un penseur qui eut autant d’influence que Renan en France, et qui en eut peut-être plus encore que Renan à l’étranger. Taine veut appliquer à l’étude, de l’activité humaine sous ses diverses formes, dans la littérature, dans l’art, dans l’histoire, les méthodes du naturaliste et du physicien. D’autre part, il est tout pénétré de la pensée des anciens maîtres : avec Spinoza il croit à l’universelle nécessité ; sur la puissance en quelque sorte magique de l’abstraction, sur les « qualités principales » et les « facultés maîtresses », il a des vues qui le rapprochent d’Aristote et de Platon. Il revient ainsi, implicitement, à la métaphysique ; mais il borne l’horizon de cette métaphysique à l’homme et aux choses humaines. Pas plus que Renan, il ne ressemble ni ne se rattache à Comte. Et pourtant ce n’est pas tout à fait sans raison qu’on le classe parfois, ainsi que Renan lui-même, parmi les positivistes. Il y a bien des manières, en effet, de définir le positivisme ; mais nous croyons qu’il faut y voir, avant tout, une conception anthropocentrique de l’univers.

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Entre la philosophie biologique et la philosophie sociale, dont la création est due pour une si large part, au génie français, vient se placer un ordre de recherches qui, lui aussi, appartient surtout au XIXe siècle : nous voulons parler de la psychologie. Ce n’est pas à dire qu’il n’y eût ou déjà, particulièrement en France, en Angleterre et en Écosse, des psychologues pénétrants ; mais l’observation intérieure, laissée à elle même et réduite à l’étude des phénomènes normaux, avait difficilement accès à certaines régions de l’esprit, notamment au « subconscient ». À la méthode habituelle d’observation intérieure le XIXe siècle en a adjoint deux autres : d’un côté, l’ensemble des procédés de mensuration dont on fait usage dans les laboratoires, et, d’autre part, la méthode qu’on pourrait appeler clinique, celle qui consiste à recueillir des observations de malades et même à provoquer des phénomènes morbides (intoxication, hypnotisme, etc.). De ces deux méthodes, la première a été pratiquée surtout en Allemagne ; quoiqu’elle ne soit pas négligeable, elle est loin d’avoir donné ce qu’on attendait d’elle 25. La seconde, au contraire, a déjà fourni des résultats importants, et elle en laisse entrevoir d’autres, plus considérables encore. Or cette dernière psychologie, cultivée aujourd’hui dans bien des pays, est une science d’origine française, qui est restée éminemment française. Préparée par les aliénistes français de la première moitié du XIXe siècle, elle s’est constituée d’une manière définitive avec Moreau de Tours, et elle n’a pas cessé, depuis, d’être représentée en France par des maîtres, soit qu’ils fussent venus de la pathologie à la psychologie, soit que ce fussent des psychologues attirés vers la pathologie mentale. Il nous suffira de citer les noms de Charcot, de Ribot, de Pierre Janet et de Georges Dumas.

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Mais, tandis qu’une partie de la philosophie française, au XIXe siècle, s’orientait ainsi dans la direction de la physiologie, de la psychologie, de la sociologie, le reste prenait pour objet de spéculation, comme aux siècles précédents, la nature en général, l’esprit en général.

Dès le début du siècle, la France ont un grand métaphysicien, le plus grand qu’elle eût produit depuis Descartes et Malebranche : Maine de Biran 26. Peu remarquée au moment où elle parut, la doctrine de Maine de Biran a exercé une influence croissante : on peut se demander si la voie que ce philosophe a ouverte n’est pas celle où la métaphysique devra marcher définitivement. À l’opposé de Kant (car c’est à tort qu’on l’a appelé le « Kant français »), Maine de Biran a jugé que l’esprit humain était capable, au moins sur un point, d’atteindre l’absolu et d’en faire l’objet de ses spéculations. Il a montré que la connaissance que nous avons de nous-même, en particulier dans le sentiment de l’effort, est une connaissance privilégiée, qui dépasse le pur « phénomène » et qui atteint la réalité « en soi », — cette réalité que Kant déclarait inaccessible à nos spéculations. Bref, il a conçu l’idée d’une métaphysique qui s’élèverait de plus en plus haut, vers l’esprit en général, à mesure que la conscience descendrait plus bas, dans les profondeurs de la vie intérieure. Vue géniale, dont il a tiré les conséquences sans s’amuser à des jeux dialectiques, sans bâtir un système.

Que d’ailleurs Maine de Biran ait une certaine parenté avec Pascal, c’est ce que nous entrevoyons quand nous lisons Ravaisson 27. Attaché à Pascal autant qu’à Maine de Biran, épris de l’art grec autant que de la philosophie grecque, Ravaisson nous fait admirablement comprendre comment l’originalité de chaque philosophe français ne l’empêche pas de se relier à une certaine tradition, et comment cette tradition elle-même rejoint la tradition classique. Un Descartes a beau rompre avec la philosophie des anciens : son œuvre conserve les qualités d’ordre et de mesure qui furent caractéristiques de la pensée grecque. Ravaisson a mis en lumière ce côté artistique et classique de la pensée philosophique française. Lui-même a tracé les linéaments d’une philosophie qui mesure la réalité des choses à leur degré de beauté.

On ne peut prononcer le nom de Ravaisson sans y associer celui de Lachelier, un penseur dont l’influence fut tout aussi considérable. Lachelier réveilla la philosophie universitaire à un moment où elle s’endormait dans la doctrine, facile et aimable, de Victor Cousin 28. Sa thèse sur le fondement de l’induction restera classique, comme tout ce qui porte la marque de la perfection. Sa doctrine, qui se réclame du kantisme, dépasse en réalité l’idéalisme de Kant et inaugure même un, réalisme d’un genre particulier, qui pourrait être rattaché à celui de Maine de Biran. Maître incomparable, il a nourri de sa pensée plusieurs générations de maîtres.

De la philosophie de Ravaisson, et plus particulièrement de ses vues sur l’habitude, de la philosophie d’Auguste Comte aussi (en tant qu’elle affirme l’irréductibilité des sciences les unes aux autres) on pourrait rapprocher la théorie neuve et profonde que Boutroux expose dans sa thèse sur « la contingence des lois de la nature ». Par une voie toute différente, par l’analyse des conditions auxquelles est soumise la construction des concepts scientifiques, le grand mathématicien Henri Poincaré 29 est arrivé à des conclusions du même genre : il montre ce qu’il y a de relatif à l’homme, de relatif aux exigences et aux préférences de notre science, dans le réseau de lois que notre pensée étend sur l’univers. Analogue est la doctrine de Milhaud 30. Et l’on pourrait ranger du même côté Édouard Le Roy, si l’œuvre de ce philosophe n’était animée, malgré certaines ressemblances extérieures, d’un esprit différent : sa critique de la science est liée à des vues personnelles, profondes, sur la réalité en général, sur la morale et la religion 31.

L’idée dominante de Liard a été de maintenir en face l’une de l’autre la métaphysique et la science, comme deux formes également légitimes de la pensée. Le même souci existe chez Fouillée 32. Psychologue et sociologue autant que dialecticien, Fouillée a développé une théorie des idées-forces qui est un rationalisme élargi. Il n’est guère de question, théorique ou pratique, que ce penseur brillant n’ait abordée, et sur laquelle il n’ait présenté des vues intéressantes et suggestives. Il eut dans Guyau 33 un disciple génial. Moins célèbre que Nietzsche, Guyau avait soutenu, avant le philosophe allemand, en termes plus mesurés et sous une forme plus acceptable, que l’idéal moral doit être cherché dans la plus haute expansion possible de la vie.

Nous avons laissé de côté dans cette énumération rapide, deux penseurs de premier ordre que nous ne pouvions pas rattacher à la tradition issue de Maine de Biran. Nous voulons parler de Renouvier et de Cournot 34.

Parti du criticisme kantien, qu’il avait d’ailleurs profondément modifié dès le début, Renouvier 35 s’en est dégagé peu à peu pour arriver à des conclusions qui ne sont pas très éloignées, quant à la lettre, de celles du dogmatisme métaphysique : il affirme, en particulier, l’indépendance de la personne humaine ; il réintègre la liberté dans le monde. Mais il renouvelle la signification de ces thèses, en les rapprochant des données de la science positive, et surtout en les faisant précéder d’une critique de l’entendement humain. Par sa morale, autant que par sa théorie de la nature et de l’homme, il a agi considérablement sur la pensée de son temps 36.

Conduit à la philosophie, lui aussi, par l’étude des sciences, et en particulier par les mathématiques, Cournot 37 institua une critique d’un genre nouveau, qui, à la différence de la critique kantienne, porte à la fois sur la forme et sur la matière de notre connaissance, sur les méthodes et sur les résultats. Sur une foule de points — notamment sur le hasard et la probabilité — il a apporté des vues neuves, pénétrantes et profondes. Il est temps de mettre ce penseur à sa vraie place, — une des premières, — parmi les philosophes du XIXe siècle.

On pourrait maintenant, pour conclure, dire un mot de l’entreprise tentée par l’auteur de l’Évolution créatrice pour porter la métaphysique sur le terrain de l’expérience et pour constituer, en faisant appel à la science et à la conscience, en développant la faculté d’intuition, une philosophie capable de fournir, non plus seulement des théories générales, mais aussi des explications concrètes de faits particuliers. La philosophie, ainsi entendue, est susceptible de la même précision que la science positive. Comme la science, elle pourra progresser sans cesse en ajoutant les uns aux autres des résultats une fois acquis. Mais elle visera en outre — et c’est par là qu’elle se distingue de la science — à élargir de plus en plus les cadres de l’entendement, dût-elle briser tel ou tel d’entre eux, et à dilater indéfiniment la pensée humaine.

II §

Nous avons passé en revue un certain nombre de philosophes français, en tenant surtout compte de leur diversité, de leur originalité, de ce qu’ils ont apporté de nouveau et de ce que le monde leur doit. Nous allons maintenant chercher s’ils ne présenteraient pas certains traits communs, caractéristiques de la pensée française.

Le trait qui frappe d’abord, quand on parcourt un de leurs livres, est la simplicité de la forme. Si on laisse de côté, dans la seconde moitié du XIXe siècle, une période de vingt ou trente ans pendant laquelle un petit nombre de penseurs, subissant une influence étrangère, se départirent parfois de la clarté traditionnelle, on peut dire que la philosophie française s’est toujours réglée sur le principe suivant : il n’y a pas d’idée philosophique, si profonde ou si subtile soit-elle, qui ne puisse et ne doive s’exprimer dans la langue de tout le monde. Les philosophes français n’écrivent pas pour un cercle restreint d’initiés ; ils s’adressent à l’humanité en général. Si, pour mesurer la profondeur de leur pensée et pour la comprendre pleinement, il faut être philosophe et savant, néanmoins il n’est pas d’homme cultivé qui ne soit en état de lire leurs principales œuvres et d’en tirer quelque profit. Quand ils ont eu besoin de moyens d’expression nouveaux, ils ne les ont pas cherchés, comme on l’a fait ailleurs, dans la création d’un vocabulaire spécial (opération qui aboutit souvent à enfermer, dans des termes artificiellement composés, des idées incomplètement digérées), mais plutôt dans un assemblage ingénieux des mots usuels, qui donne à ces mots de nouvelles nuances de sens et leur permet de traduire des idées plus subtiles ou plus profondes. Ainsi s’explique qu’un Descartes, un Pascal, un Rousseau, — pour ne citer que ceux-là, — aient beaucoup accru la force et la flexibilité de la langue française, soit que l’objet de leur analyse fût plus proprement la pensée (Descartes), soit que ce fût aussi le sentiment (Pascal, Rousseau). Il faut, en effet, avoir poussé jusqu’au bout la décomposition de ce qu’on a dans l’esprit pour arriver à s’exprimer en termes simples. Mais, à des degrés différents, tous les philosophes français ont eu ce don d’analyse. Le besoin de résoudre les idées et même les sentiments en éléments clairs et distincts, qui trouvent leurs moyens d’expression dans la langue commune, est caractéristique de la philosophie française depuis ses origines.

Si maintenant on passe de la forme au fond, voici ce qu’on remarquera d’abord.

La philosophie française a toujours été étroitement liée à la science positive. Ailleurs, en Allemagne par exemple, tel philosophe a pu être savant, tel savant a pu être philosophe ; mais la rencontre des deux aptitudes ou des deux habitudes a été un fait exceptionnel et, pour ainsi dire, accidentel. Si Leibniz fut à la fois un grand philosophe et un grand mathématicien, nous voyons que le principal développement de la philosophie allemande, celui qui remplit la première moitié du XIXe siècle, s’est effectué en dehors de la science positive. Il est de l’essence de la philosophie française, au contraire, de s’appuyer sur la science. Chez Descartes, l’union est si intime entre la philosophie et les mathématiques qu’il est difficile de dire si sa géométrie lui fut suggérée par sa métaphysique ou si sa métaphysique est une extension de sa géométrie. Pascal fut un profond mathématicien, un physicien original, avant d’être un philosophe. La philosophie française du XVIIIe siècle se recruta principalement parmi les géomètres, les naturalistes et les médecins (d’Alembert, La Mettrie, Bonnet, Cabanis, etc.). Au XIXe siècle, quelques-uns des plus grands penseurs français, Auguste Comte, Cournot, Renouvier, etc., vinrent à la philosophie à travers les mathématiques ; l’un d’eux, Henri Poincaré, fut un mathématicien de génie. Claude Bernard, qui nous a donné la philosophie de la méthode expérimentale, fut un des créateurs de la science physiologique. Ceux mêmes des philosophes français qui se sont voués pendant le dernier siècle à l’observation intérieure ont éprouvé le besoin de chercher en dehors d’eux, dans la physiologie, dans la pathologie mentale, etc., quelque chose qui les assurât qu’ils ne se livraient pas à un simple jeu d’idées, à une manipulation de concepts abstraits : la tendance est déjà visible chez le grand initiateur de la méthode d’introspection profonde, Maine de Biran. En un mot, l’union étroite de la philosophie et de la science est un fait si constant, en France qu’il pourrait suffire à caractériser et à définir la philosophie française.

Un trait moins particulier, mais bien frappant encore, est le goût des philosophes français pour la psychologie, leur penchant à l’observation intérieure. Assurément ce trait ne pourrait plus suffire, comme le précédent, à définir la tradition française, car l’aptitude à se sonder soi-même, et à pénétrer sympathiquement dans l’âme d’autrui, est sans doute aussi répandue en Angleterre et en Amérique, par exemple, qu’elle l’est en France. Mais, tandis que les grands penseurs allemands (même Leibniz, même Kant) n’ont guère eu, en tout cas, n’ont guère manifesté, de sens psychologique, tandis que Schopenhauer (tout imprégné, d’ailleurs, de la philosophie française du XVIIIe siècle) est peut-être le seul métaphysicien allemand qui ait été psychologue, au contraire il n’y a pas de grand philosophe français qui ne se soit révélé, à l’occasion, subtil et pénétrant observateur de l’âme humaine. Inutile de rappeler les fines études psychologiques qu’on trouve chez Descartes et chez Malebranche, intimement mêlées à leurs spéculations métaphysiques. La vision d’un Pascal était aussi aiguë quand elle s’exerçait dans les régions mal éclairées de l’âme que lorsqu’elle portait sur les choses physiques, géométriques, philosophiques. Condillac fut un psychologue autant qu’un logicien. Que dire alors de ceux qui ont ouvert à l’analyse psychologique des voies nouvelles, comme Rousseau ou Maine de Biran ? Pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècles, la pensée française, s’exerçant sur la vie intérieure, a préparé la psychologie purement scientifique qui devait être l’œuvre du XIXe siècle. Nul, d’ailleurs, n’a plus contribué à fonder cette psychologie scientifique qu’un Moreau de Tours, un Charcot ou un Ribot. Remarquons que la méthode de ces psychologues, — celle qui a valu à la psychologie, en somme, ses plus importantes découvertes, — n’est qu’une extension de la méthode d’observation intérieure. C’est toujours à la conscience qu’elle fait appel ; seulement, elle note les indications de la conscience chez le malade, au lieu de s’en tenir à l’homme bien portant.

Tels sont les deux principaux traits de la philosophie française.

En se composant ensemble, ils donnent à cette philosophie sa physionomie propre. C’est une philosophie qui serre de près les contours de la réalité extérieure, telle que le physicien se la représente, et de très près aussi ceux de la réalité intérieure, telle qu’elle apparaît au psychologue. Par là même, elle répugne le plus souvent à prendre la forme d’un système. Elle rejette aussi bien le dogmatisme à outrance que le criticisme radical ; sa méthode est aussi éloignée de celle d’un Hegel que de celle d’un Kant. Ce n’est pas à dire qu’elle ne soit pas capable d’édifier, quand il lui plaît, quelque grande construction. Mais les philosophes français semblent avoir eu généralement cette arrière-pensée que systématiser est facile, qu’il est trop aisé d’aller jusqu’au bout d’une idée, que la difficulté est plutôt d’arrêter la déduction où il faut, de l’infléchir comme il faut, grâce à l’approfondissement des sciences particulières et au contact sans cesse maintenu avec la réalité. Pascal a dit que l’« esprit géométrique » ne suffisait pas : le philosophe doit y joindre l’« esprit de finesse ». Et Descartes, ce grand métaphysicien, déclarait avoir consacré peu d’heures à la métaphysique, entendant par là, sans doute, que le travail de pure déduction ou de pure construction métaphysique s’effectue de lui-même, pour peu qu’on y ait l’esprit prédisposé. — Allèguera-t-on qu’en se faisant moins systématique la philosophie s’écarte de son but, et que son rôle est précisément d’unifier le réel ? — Mais la philosophie française n’a jamais renoncé à cette unification. Seulement, elle ne se fie pas au procédé qui consiste à prendre telle ou telle idée et à y faire entrer, de gré ou de force, la totalité des choses. À cette idée on pourra toujours en opposer une autre, avec laquelle on construira, selon la même méthode, un système différent ; les deux systèmes seront d’ailleurs également soutenables, également invérifiables ; de sorte que la philosophie deviendra un simple jeu, un tournoi entre dialecticiens. Remarquons qu’une idée est un élément de notre intelligence, et que notre intelligence elle-même est un élément de la réalité : comment donc une idée, qui n’est qu’une partie d’une partie, embrasserait-elle le Tout ? L’unification des choses ne pourra s’effectuer que par une opération beaucoup plus difficile, plus longue, plus délicate : la pensée humaine, au lieu de rétrécir la réalité à la dimension d’une de ses idées, devra se dilater elle-même au point de coïncider avec une portion de plus en plus vaste de la réalité. Mais il faudra, pour cela, le travail accumulé de bien des siècles. En attendant, le rôle de chaque philosophe est de prendre, sur l’ensemble des choses, une vue qui pourra être définitive sur certains points, mais qui sera nécessairement provisoire sur d’autres. On aura bien là, si l’on veut, une espèce de système ; mais le principe même du système sera flexible, indéfiniment extensible, au lieu d’être un principe arrêté, comme ceux qui ont donné jusqu’ici les constructions métaphysiques proprement dites. Telle est, nous semble-t-il, l’idée implicite de la philosophie française. C’est une idée qui n’est devenue tout à fait consciente à elle-même, ou qui n’a pris la peine de se formuler, que dans ces derniers temps. Mais, si elle ne s’était pas dégagée plus tôt, c’est justement parce qu’elle était naturelle à l’esprit français, esprit souple et vivant, qui n’a rien de mécanique ou d’artificiel, esprit éminemment sociable aussi, qui répugne aux constructions individuelles et va d’instinct à ce qui est humain.

Par là, par les deux ou trois tendances que nous venons d’indiquer, s’explique peut-être ce qu’il y a eu de constamment génial et de constamment créateur dans la philosophie française. Comme elle s’est toujours astreinte à parler le langage de tout le monde, elle n’a pas été le privilège d’une espèce de caste philosophique ; elle est restée soumise au contrôle de tous ; elle n’a jamais rompu avec le sens commun. Pratiquée par des hommes qui furent des psychologues, des biologistes, des physiciens, des mathématiciens, elle s’est continuellement maintenue en contact avec la science aussi bien qu’avec la vie. Ce contact permanent avec la vie, avec la science, avec le sens commun, l’a sans cesse fécondée en même temps qu’il l’empêchait de s’amuser avec elle-même, de recomposer artificiellement les choses avec des abstractions. Mais, si la philosophie française a pu se revivifier indéfiniment ainsi en utilisant toutes les manifestations de l’esprit français, n’est-ce pas parce que ces manifestations tendaient elles-mêmes à prendre la forme philosophique ? Bien rares, en France, sont les savants, les écrivains, les artistes et même les artisans qui s’absorbent dans la matérialité de ce qu’ils font, qui ne cherchent pas à extraire — fût-ce avec maladresse, fût-ce avec quelque naïveté — la philosophie de leur science, de leur art ou de leur métier. Le besoin de philosopher est universel : il tend à porter toute discussion, même d’affaires, sur le terrain des idées et des principes. Il traduit probablement l’aspiration la plus profonde de l’âme française, qui va tout droit à ce qui est général et, par là, à ce qui est généreux. En ce sens, l’esprit français ne fait qu’un avec l’esprit philosophique.

H. BERGSON