Carlo Blasis

1820

Traité élémentaire, théorique et pratique de l’art de la danse

Édition de Arianna Fabbricatore
2019
Carlo Blasis, Traité élémentaire, théorique et pratique de l’art de la danse : contenant les développements et les démonstrations des principes généraux et particuliers, qui doivent guider le danseur, Milan, J. Beati et A. Tenenti, 1820, 124 p.-XIV f. de planc. : fig. et portraits. PDF : Gallica.
Ont participé à cette édition électronique : Delphine Maître (OCR), Arianna Fabbricatore (Relecture, édition, stylage sémantique) et Éric Thiébaud (Édition TEI).

[Épigraphe] §

C’est en vain qu’aujourd’hui des chants mélodieux
Sur la Scène appellent les Grâces,
Si la danse n’amuse, et ne charme les yeux,
L’ennui suit les plaisirs, et vole sur leurs traces.

Fuselier.

[Frontispice] §

{p. 1}

Épître à Monsieur F. A. Blasis mon Père,

ci-devant membre du Conservatoire de Naples, et directeur de la Section philharmonique de la Société du Muséum d’instruction publique de Bordeaux §

[1] Des amis qui s’intéressent à mon ouvrage, désiraient que j’en fisse hommage à quelque personne dont le nom servirait à l’honorer. Ils me faisaient même entrevoir qu’un Mécène généreux, en l’acceptant, laisserait gage de plus de sa bienveillance à l’auteur.

{p. 2}[2] J’ai réfléchi sur ces avantages, que le public apprécie toujours assez juste pour ce qu’ils valent, et je me suis dit : Le nom d’un favori des Muses, distingué par d’excellents ouvrages, n’est-il pas assez illustre pour orner la tête d’un ouvrage consacré aux arts ? On ne doutera pas d’ailleurs qu’il n’ait su en apprécier le mérite, les difficultés et l’utilité.

[3] Quant au bienfait, très incertain souvent, et quelquefois acheté par des complaisances en faveur de l’adulation, n’en ai-je pas reçu d’avance un assez grand, assez délicatement accordé, pour ne pas balancer dans le choix de mon Mécène ?

[4] J’ai donc écarté les idées de mes amis, que je remercie cependant, et je suis descendu dans mon propre cœur.

[5] C’est à vous, respectable et tendre {p. 3}Père, que je dois, après la vie, une éducation, dont peut être je n’ai pas retiré tout le fruit que votre sollicitude attendait. C’est à vous que je dois une partie des connaissances que je possède. C’est à vos conseils que je rapporte tout ce que j’ai pu faire ou dire de bien. Quel autre trésor un mortel, quel qu’il soit, peut-il m’offrir qui égale celui-là ?

[3] Les connaissances profondes en musique dont vous êtes doué, les ouvrages lyriques, applaudis du public, que vous avez produits pour la scène, placent votre nom à côté des artistes dont la mémoire sera chère aux amis des arts et de l’harmonie. Eh bien ! Ce sera sous votre nom, que le public, indulgent pour votre fils, votre élève, recevra cet ouvrage ; et cette dédicace sera le sentiment profond de la {p. 4}reconnaissance, du respect et de l’amour, etc., etc., de

Votre Fils affectionné
Charles Blasis.
{p. 5}

Avant-propos §

« Le chant, si naturel à l’homme, ne pouvant manquer de le séduire, lui a inspiré, en se développant, des gestes relatifs aux sons différents dont il était déjà composé. Le corps s’est alors agité, les bras se sont ouverts ou resserrés, les pieds ont formé des pas lents ou rapides, les traits du visage ont participé à ces mouvements, tout le corps enfin a répondu par des positions, des sauts et des attitudes, aux sons dont les oreilles étaient frappées ; et c’est ainsi que le chant, qui était l’Expression d’un sentiment, en a fait développer une seconde qui existait chez l’homme, à laquelle on a donné le nom de Danse ou de Ballet. Telles sont ses deux causes primitives :

« On voit par là, que le chant et la danse ne sont pas moins naturels à l’homme que la voix et le geste, et que l’une et l’autre {p. 6}n’ont été, pour ainsi dire, que les instruments qui leur ont donné lieu. Depuis qu’il existe des hommes, il y a eu, sans doute, des chants et des danses ; on a chanté et dansé depuis la création jusqu’à nous, et il est vraisemblable que les hommes chanteront et danseront jusqu’à la destruction totale de tous les êtres créés. »

(Dizionario delle Arti e de’ Mestieri del GriseliniI.)

[1] Le chant et la danse une fois connus, ces arts servirent à célébrer l’Être Suprême. Les Égyptiens, les Grecs, les Romains, et même les Juifs, les employèrent dans leurs rites religieux, et ensuite les introduisirent dans les fêtes et les divertissements publics. Peu à peu on dansa sur les théâtres, et les Grecs mêlèrent des danses à leurs tragédies et à leurs comédies ; les Romains imitèrent cet exemple jusqu’au temps d’Auguste, qui régala son peuple par des spectacles représentant des actions héroïques ou comiques, exprimées par les gestes et par des danses, qu’exécutaient Pylade et Bathyle, les deux premiers instituteurs de l’art des pantomimes. Trajan bannit ces belles {p. 7}représentations théâtrales qui reparurent encore longtemps après lui ; mais accompagnées des obscénités qui avaient engagé cet empereur à les défendre. Alors les pontifes chrétiens imitèrent l’exemple de Trajan. Après bien des siècles, Bergonce de Botta (Voir la note 23 du chapitre premier), dans une fête magnifique, fit renaître les ballets, et il trouva des imitateurs dans toute l’Italie. Cependant la décadence de certaines puissances dans ce royaume, fit encore éprouver une chute à la danse et aux ballets ; les Italiens perdirent leur goût pour ces spectacles ; mais Louis XIV en embellit la cour de France. Les ballets, sous ce prince, reprirent tout leur éclat, avec la pompe que pouvait y ajouter un monarque magnifique, commandant à une nation opulente et avide de plaisirs ; et on créa des spectacles étonnants par leur magie et leur richesse, lesquels ont été depuis perfectionnés jusqu’au dernier degré, par les artistes qui honorent le siècle présent.

[2] Le très petit nombre d’ouvrages que l’on a écrit sur la danse, et le peu de valeur de quelques-uns m’ont encouragé à publier {p. 8}ce Traité1. Peut-être que l’étude réfléchie que j’ai faite sur cet art, que je professe, l’application, les soins que j’ai mis pour tâcher de rendre mon ouvrage utile et intéressant, ne seront pas tout à fait vains ; du moins si mes faibles espérances sont {p. 9}détruites, j’aurai toujours la satisfaction d’avoir été le premier à donner les documents de l’art du danseur, en attendant qu’un autre, plus éclairé, marchant sur mes traces, atteigne, par des moyens plus efficaces, le but que j’aurai placé dans cette carrière.

[3] Noverre2, le restaurateur des ballets d’action et de l’art de la pantomime, a posé les principes qui doivent guider le maître de ballet, c’est-à-dire les compositeurs ; il a prescrit des règles aux mimes ; il a aussi écrit sur l’art, proprement dit, de la danse ; mais ses instructions à cet égard, se bornent à quelque conseil sur la poétique de l’art et à quelques légères observations sur son mécanisme. Les excellentes lettres de cet artiste célèbre, sur les ballets, ont été écrites particulièrement pour le compositeur, et ne devraient jamais sortir de ses mains ; c’est cet ouvrage qui apprendra aux artistes danseurs les véritables règles dramatiques, et la manière simple d’intéresser dans une action pantomime.

{p. 10}[4] Je pense que quand même Noverre3 aurait parlé de tout ce qui concerne le mécanisme, et même le charme de la danse, son ouvrage ne serait pas pour nous aujourd’hui d’une bien grande utilité ; car notre art, depuis l’époque où il a écrit, est entièrement changé.

[5] J’ose donc espérer que les instructions, les leçons que je vais donner, provenant des écoles des plus grands maîtres, qui ont fait faire à la danse moderne des progrès immenses, et qui l’ont tant embellie, pourront d’autant plus faciliter les {p. 11}élèves dans leurs études, que j’ai, à l’aide d’un travail assidu, fait d’après les vrais principes, par ma propre expérience, et par l’observation des plus excellents modèles que j’ai eu sous les yeux, appliqué à mes leçons de nouveaux moyens d’enseignement, et des démonstrations rigoureusement exactes.

[6] Peut-être que mon zèle, réuni à mes efforts, m’obtiendra l’indulgence publique, et que les jeunes danseurs me sauront gré de l’intérêt que je prends à leurs progrès. Je crois aussi que les artistes formés et accoutumés aux applaudissements, verront avec plaisir l’hommage que je rends à un art si aimable, si gracieux, si séduisant, en démontrant de combien de charmes et d’éclat il est accompagné, et toute la perfection dont il peut être encore susceptible, lorsqu’il est exempt de tous les défauts dont le tachent, dont le dégradent l’ignorance et le mauvais goût, tant des artistes médiocres que des spectateurs sans connaissance. La danse est en effet un art difficile, et qui ne peut pas être apprécié par tout le monde ; car nous voyons {p. 12}très souvent de mauvais sauteurs « plaire à un public aveuglé par des tours de force, par des gambades et par de ridicules pirouettes » ; tandis qu’un véritable danseur, qui danse en suivant toutes les règles, qui se dessine avec sentiment, avec intelligence, avec grâce, et qui donne de l’âme, de l’expression à ses mouvements, à ses pas, de la souplesse et une délicate légèreté à sa danse en général, ne produit de vives sensations que sur les gens de goût, les seuls (en trop petit nombre malheureusement) qui puissent bien sentir tout ce qu’il vaut. Au théâtre, ainsi qu’ailleurs, le vulgaire ignorant se méprend bien souvent lorsqu’il juge les artistes d’un talent réel ; cependant

« Ingiusta lode non è stabil mai*
« E basta un solo per chiarirne cento [traduction]5. »

{p. 13}[6] « L’approbation et les suffrages des hommes qui se distinguent dans les arts, les seuls juges à considérer, doivent servir à perfectionner l’homme à talent, qui ne doit avoir que du mépris pour les louanges que les sots prodiguent au charlatanisme. » Le bandeau de l’ignorance tombe enfin, et le vrai mérite, qui a eu le courage de lutter {p. 14}longtemps contre elle, et de mépriser ses arrêts, finit par être reconnu. Heureux les arts, s’écriait un ancien, s’ils n’étaient jugés que par les savants. Il serait à souhaiter que les hommes à talent n’eussent pour juges que ceux dont l’opinion a pour base le sentiment, l’intelligence, et non de certains partisans, et la nombreuse troupe des Midas,

« Connaisseurs aux belles oreilles ».

[7] Pour mieux parvenir au but que je me suis proposé de la formation d’un bon danseur, je joins aux préceptes que contient mon Traité, des figures que j’ai fait dessiner d’après moi-même ; elles représentent les positions du corps, des bras, des jambes ; les différentes poses, les attitudes et les arabesques. Les élèves ayant ces exemples sous les yeux, comprendront facilement les principes théoriques que je leur enseigne :

« Segnius irritant animos demissa per aurem
« Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus… »

et pour que leur exécution soit parfaite, je leur trace, sur les principales positions de ces figures, des lignes, qui fixeront la {p. 15}véritable manière de se poser, et de se dessiner dans les diverses attitudes de la danse.

[8] Ce sera aux élèves à bien étudier ces lignes géométriques, en observant leur diversité6. Lorsqu’ils seront parvenus à {p. 16}s’assujettir à ce travail, que j’oserai dire mathématique, à cause de sa rigueur, ils seront sûrs de se bien placer, et ils donneront des preuves qu’ils sortent d’une bonne école, dans laquelle ils ont acquis un goût pur7.

{p. 17}[9] On ne saurait trop recommander aux jeunes gens qui se destinent à cet art d’imitation, la vue des chefs-d’œuvre de la peinture et de la sculpture, surtout dans l’antique : ces enfants immortels du génie des beaux-arts, ces modèles du beau idéal, formeront leur goût. Un danseur qui ne sait point se dessiner, et qui par conséquent manque de cette grâce qui séduit, qui charme, ne sera point regardé comme un artiste, et ne pourra jamais intéresser ni plaire.

{p. 19}

Chapitre premier.
Instructions générales aux élèves §

[1] Jeunes gens, qui entreprenez la carrière de la danse, et qui désirez ardemment8 de la fournir et de voir couronner vos succès, livrez-vous aux soins d’un maître expérimenté dans son art9 ;

« Chi ben principia ha la metà dell’ opra » [traduction]

Guarini.

{p. 20}[2] Armez-vous de courage, et soyez constants au travail ; je ne peux vous donner de meilleur conseil, dans cet art, que celui que donnait un grand peintre a ses élèves :

« Nulla dies sine linea. »

ne restez pas vingt-quatre heures seulement sans vous exercer ; l’écolier qui interrompt ses études fréquemment, nuit considérablement à ses progrès, et ne pourra jamais acquérir ce qu’il aura perdu10. Soyez {p. 21}sobres ; ne vous livrez à aucun autre exercice qu’à celui de la danse ; ne vous abandonnez pas aux plaisirs ; pour être admis à la cour de Terpsicore, cette déesse exige qu’on se sacrifie entièrement à elle11. Il est difficile de réussir dans notre art, qui présente bien des obstacles à surmonter ; car annonceriez-vous dès l’âge le plus tendre, des formes aussi belles, aussi parfaites que celles de l’Apollon ou de l’Antinoüs12, et joignissiez-vous à de si rares avantages les dispositions les plus heureuses, vous ne parviendrez qu’imparfaitement, sans un pénible travail, et sans une étude réfléchie sous la direction d’un bon maître13.

{p. 22}[3] Dans vos exercices, dans la leçon14, soignez également vos jambes, de sorte que l’une dans son exécution ne le cède point à l’autre. J’aime à les voir lutter d’égale force, et que toutes deux me prouvent qu’elles ont vaincu les grandes {p. 23}difficultés. Je compare le danseur qui ne danse que d’une jambe, à un peintre qui ne saurait dessiner ses figures que d’un seul côté : des danseurs et des peintres aussi bornés que ceux-là dans leur art, ne pourront jamais être considérés comme des artistes.

[4] Soignez la tenue du corps et le port des bras ; il faut que leurs mouvements soient doux, gracieux et toujours d’accord avec ceux des jambes. Il doit exister sans cesse une parfaite harmonie dans l’exécution entre toutes les parties du corps, et c’est cet ensemble charmant qui fera apprécier le mérite d’un véritable danseur.

[5] Mettez tous vos soins à acquérir de l’aplomb et un parfait équilibre ; attachez-vous à la correction et à la précision dans votre danse ; que tous vos temps soient réglés d’après les meilleurs principes que vous avez reçus, et que l’exécution de vos pas soit toujours élégante et gracieuse. Dessinez-vous avec goût et naturellement, dans la moindre des poses. Il faut que le danseur puisse, à chaque instant, servir de modèle au peintre et au sculpteur. C’est peut-être le plus haut degré de {p. 24}perfection auquel doit atteindre l’artiste15. Mettez de l’expression, de l’âme, de l’abandon dans vos attitudes, dans vos arabesques16 et dans vos groupes ;

{p. 25}

« Siano le attitudini degli uomini con le loro membra in tal modo disposte, che con quelle si dimostri l’intenzione del loro animo17. » [traduction]

{p. 26}[6] Ces paroles du grand Léonard18 doivent être gravées dans la mémoire du danseur et du mime, aussi bien que dans celle du peintre qu’a voulu instruire cet artiste sublime19.

{p. 27}[7] Celui qui aura mis en usage ces conseils, sera en droit de plaire et possédera tout le charme de son art qui consiste à intéresser le spectateur, en lui faisant éprouver de douces émotions et en livrant son âme au plaisir et à la joie.

[8] Soyez vigoureux, mais sans roideur ; que votre entrechat soit croisé, et passé avec franchise et netteté. Travaillez pour acquérir une élévation facile ; c’est une belle qualité chez le danseur, et qui lui est nécessaire pour l’exécution des temps de force et de vigueur. Si vous vous procurez de la vivacité, elle donnera du brillant à vos pas, et vous enchanterez les yeux. Soyez léger le plus que vous pourrez ; le spectateur veut trouver dans un danseur quelque chose d’aérien ; celui qui est pesant et lourd, ne produit qu’un vilain effet, et trop éloigné de ce que l’on attend de lui. Étudiez le ballon ; j’aime à vous voir parfois bondir dans un pas et faire preuve d’agilité, de souplesse ; que je puisse croire que vous effleurez à peine la terre, que vous êtes prêt à vous envoler dans les airs.

[9] Dans vos pirouettes observez l’équilibre le plus parfait, et soyez toujours bien placé en les commençant, en les tournant et en {p. 28}les terminant. Arrêtez-les avec aplomb et assurance ; que le dessin de la position de votre corps, de vos bras, de vos jambes soit correct, et prononcé avec grâce. On ne saurait trop vous recommander de filer délicatement la pirouette sur la pointe ; ce qui présente la plus agréable exécution, et en même temps la plus parfaite ; car rien n’est plus rebutant à voir qu’un mauvais danseur qui tournaille tantôt sur la pointe et tantôt sur le talon, et qui sautille par secousses à chacun des tours de sa pirouette.

[10] Il faut prouver, par de la facilité et de l’aisance dans l’exécution générale de votre danse, que vous avez vaincu les plus grandes difficultés de votre art, et que cet exercice vous est naturel : le comble de l’art est de cacher l’art20. Une fois possesseur de cette qualité, qui est le dernier degré {p. 29}de la perfection, vous réunirez tous les suffrages, et mériterez le glorieux nom de grand artiste.

[11] Voyez avec attention, examinez beaucoup, et avec maturité, écoutez tous les avis ; un mauvais danseur peut parfois avoir dans son exécution quelque chose de bon qui vous soit utile, et que vous ignoriez. Un figurant médiocre, et même un homme sans avoir un goût parfait, pourront vous donner un conseil salutaire ;

« Écoutez tout le monde, assidu consultant ;
Un fat quelquefois ouvre un avis important. »

Boileau.

ce sera à vous ensuite à savoir en faire usage. Ne craignez pas de fatiguer votre maître par des demandes, par des questions ; raisonnez librement avec lui sur votre art ; dussiez-vous vous tromper, ne rougissez jamais de vos erreurs en le consultant, mais sachez profiter de ses conseils, et mettez-les aussitôt en exécution, pour les imprimer dans votre esprit.

« ……… Aimez qu’on vous censure,
« Et, souple à la raison, corrigez sans murmure. »

Boileau.

[12] Ne vous écartez jamais des vrais {p. 30}principes ; soyez amant du beau, et gardez-vous de vous laisser entraîner par l’exemple de quelque mauvais danseur qui sera en possession de plaire à un public aveuglé, par des tours de force, des gambades, et par de ridicules pirouettes. Le triomphe de ces misérables artistes ne sera pas de longue durée,

«              ………… Che non è assai
« Piacere a sciocchi o a qualche donnicciuola. » [traduction]

Riccoboni.

le bon et le vrai doivent l’emporter à la fin.

[13] L’approbation et les suffrages des hommes qui se distinguent dans les arts, les seuls juges à considérer, doivent servir à perfectionner l’homme à talent, qui ne doit avoir que du mépris pour les louanges que les sots prodiguent au charlatanisme.

[14] Appliquez-vous à ne pas confondre le genre ; il n’y a rien de plus mauvais goût qu’un danseur d’une taille majestueuse et propre au genre sérieux, qui vient danser, dans un ballet comique, un pas villageois : comme il n’est aussi rien de plus ridicule qu’un danseur d’une très petite taille, d’une structure ramassée, qui a la prétention de s’affubler d’un habit héroïque, et qui cherche à se dessiner dans un adagio. Les {p. 31}anciens eux-mêmes nous ont donné l’exemple de cette sévérité par la finesse de leur goût. Le trait suivant en fournit la preuve. Un mime d’une petite taille représentait à Antioche le rôle d’Hector ; le public s’écria Astyanatem videmus, ubi Hector est ?21 Ce serait une chose plaisante que celle de voir un mime représentant l’un des plus illustres personnages de l’antiquité, avec les manières naïves et badines qui {p. 32}caractérisent l’habitant des campagnes. Le danseur et le mime doivent consulter leur physique et leurs habitudes corporelles pour se couvrir du costume des différents personnages qu’ils veulent représenter.

« Tout sujet doit avoir sa couleur et son nom. »

Horace.

[15] Les plus grands artistes, soit peintres, soit poètes, ou musiciens, se sont bien gardés de confondre le caractère et l’expression des divers personnages ; ils se sont toujours attachés à la distinction ces genres. En les imitant, faites preuve d’un bon goût, et vous serez alors des artistes.

[16] Étudiez bien la composition des pas22 : cherchez la nouveauté dans les enchaînements, dans les figures, dans les attitudes et dans les groupes23. En composant, en {p. 33}réglant soyez peintre ; que tout dans votre tableau soit en harmonie, et que les {p. 34}effets principaux aient une vive expression qu’accompagne une grâce séduisante. La musique doit être sans cesse d’accord avec votre danse ; c’est cet ensemble charmant, qui entraîne tous les cœurs24.

{p. 35}[17] Je terminerai mes instructions par recommander aux jeunes élèves l’étude indispensable du dessin et de la musique ; rien ne sera plus utile à leur art. Dessinateurs, ils y gagneront des manières gracieuses et élégantes de se poser, de se développer avec {p. 36}aisance : musiciens, ils auront un tact plus sûr qu’aucun autre ; leur oreille les rendra maîtres du mouvement, de la mesure, et leurs pas cadencés25 se marieront {p. 37}parfaitement au rythme de l’air26. Ils trouveront aussi plus de facilité s’ils veulent composer, {p. 38}et leurs compositions ne manqueront pas d’être plus correctes.

« …………… Terpsicore27
« D’Euterpe28 aimable sœur, comme Euterpe on l’encense,
« Et mariant sa marche au son des instruments,
« Elle a le même trône, et les mêmes amants.
« L’illusion la suit ; éloquente et muette,
« Elle est des passions la mobile interprète29 :
{p. 39}« Elle parle à mon âme, elle parle à mes sens,
« Et je vois dans ses yeux des tableaux agissants.
« Le voile ingénieux de ses allégories
« Cache des vérités par ce voile embellies.
« Rivale de l’histoire, elle raconte aux yeux :
« Je revois les amours, les faits de nos aïeux :
« Elle sait m’inspirer leur belliqueuse ivresse.
« J’admire leurs exploits, et je plains leur faiblesse30… »

Dorat.

{p. 40}

Chapitre second.
Étude des jambes §

[1] L’étude principale qu’exigent les jambes, est celle de parvenir à les tourner entièrement. Tâchez d’acquérir de la facilité dans les hanches, pour que le mouvement des cuisses soit libre, et pour que les genoux se placent en dehors ; les développés seront faits avec aisance et grâce. Un exercice continuel et raisonné vous y fera parvenir.

[2] Un danseur qui n’est pas en dehors dans toutes ces parties, et qui est serré des hanches, n’est pas beaucoup estimé, et l’exécution de sa danse perd de son prix.

[3] Il y a des jeunes gens qui sont {p. 41}disposés naturellement en dehors ; qui ont les hanches ouvertes, les genoux et les pieds tournés en dehors ; ces principales qualités facilitent l’étude du danseur, et il réussira avec beaucoup d’avantage ; mais celui qui est naturellement en dedans, malgré le travail le plus opiniâtre, échouera dans son entreprise. Ses pieds peuvent encore se tourner, et les pointes se baisser à moitié, mais les hanches et les genoux resteront toujours dans leur état primitif31.

[4] Rien n’est plus agréable à voir qu’un danseur qui possède les belles qualités dont j’ai parlé, et qui vous montre sans cesse un pied bien attaché, et dont les pointes sont fermes et basses.

[5] (a)32 *Dans vos exercices, dans la leçon, {p. 42}soignez également vos jambes, de sorte que l’une dans son exécution ne se cède point à l’autre. J’aime à les voir lutter d’égale force, et que toutes deux me prouvent qu’elles ont vaincu les grandes difficultés.*

[6] Dans votre étude soignez les cous-de-pied ; gardez-vous de les lâcher, ce serait un grand défaut, ainsi que d’avoir les pointes hautes ou inégales ; mettez de la souplesse, de la grâce dans leurs mouvements33, et {p. 43}fortifiez-les pour les temps de vivacité, de vigueur et d’élévation. Des danseurs qui n’ont pas une élévation naturelle, ou qui sont faibles des jarrets doivent avoir recours aux cous-de-pied ; ils pourront en obtenir quelque avantage compensateur ; mais cela demande un grand travail, qui ne soit jamais interrompu par un jour de relâche : ils parviendront aussi à acquérir de la vigueur, et plus encore de la vivacité. Attachez-vous surtout à gagner de l’aplomb, et soyez inébranlable dans l’exécution générale de votre danse.

[7] Les développés des jambes doivent être faciles, moelleux et faits avec élégance34 ; il faut que leurs mouvements s’opèrent toujours suivant les règles, et que leur dessin gracieux soit sans cesse en harmonie avec la position du corps et des bras35.

{p. 45}[8] Dans les pas, dans les temps de vigueur, mettez de la force et de l’énergie ; mais prenez garde que ces qualités ne dégénèrent en défauts, c’est-à-dire par de la roideur, et par une pénible et désagréable tension de nerfs.

[9] Le sujet qui est arqué doit s’exercer continuellement à tendre les genoux, et à leur donner du moelleux et de la souplesse, pour faire disparaitre la roideur qui lui sera naturelle ; cependant un tel danseur ne réussira jamais complètement dans la danse noble ; il faut alors qu’il s’adonne au demi-caractère, et peut-être ferait-il beaucoup mieux d’embrasser le genre villageois, et de s’étudier dans les pas caractéristiques.

[10] Le jarreté doit s’appliquer toujours à ployer un peu ses genoux, et à ne jamais les maintenir tendus ; surtout dans les temps de vigueur et dans l’entrechat (à la fin des développements, des pas, des attitudes ou des poses, cette règle veut des exceptions).

[11] La construction du jarreté est la plus {p. 46}agréable, et est assez convenable au genre sérieux et au demi-caractère. Un danseur jarreté sera en général beaucoup plus adroit que le danseur arqué ; il aura plus d’aisance, plus de grâce dans l’exécution ; ses mouvements seront faciles et délicats ; mais il n’aura pas toute cette force qui dégénère parfois en roideur, et que l’on trouve presque toujours chez le second36. Ce danseur pourra même prétendre à parvenir dans tous les genres qu’il adoptera, pourvu que la hauteur de sa stature ne s’y oppose pas37.

Premières positions de la danse

N.-B. À la seconde position, la distance qui existe d’un talon à l’autre n’est que de la longueur du pied. À la troisième position, les pieds ne doivent être croisés qu’à moitié.

N.-B. On a omis, pour ne pas multiplier les planches, les positions sur les pointes, de la première, de la troisième et de la quatrième ; ainsi que les ployés des quatre autres premières positions de la danse ; ces positions sont très faciles, et l’on peut, sans les figures, en concevoir et en produire l’effet.

N.-B. Le dessinateur a un peu exagéré les contours de ces figures, pour faire mieux sentir à l’élève les défauts de ces constructions.

N.-B. Dans les arabesques, et dans diverses attitudes, les pieds ne doivent pas être entièrement tournés ; sans cela ces positions n’auraient point de grâce.

{p. 52}

Chapitre troisième.
Étude du corps §

[1] Il faut que le corps soit toujours droit, et d’aplomb sur les jambes, excepté dans quelques attitudes, et principalement dans les arabesques, où il faut le pencher, le jeter en avant ou en arrière, selon la position ; cependant il faut qu’il se trouve sans cesse assis sur les hanches, en équilibre sur ses pivots. Faites ressortir la poitrine, rentrez le plus que vous pourrez la ceinture, cambrez-vous un peu, et raffermissez les reins38 ; il faut que les épaules {p. 53}soient basses, que la tête soit élevée, et que le regard soit aimable.

[2] Le danseur, pour se rendre agréable à {p. 54}l’œil du spectateur, doit toujours, sans affectation maniérée cependant, se complaire lui-même dans son maintien, dans la tournure de son corps, dans l’heureux développement de ses membres, et dans l’élégance de ses positions ; on lui saura gré du soin qu’il prendra à faire briller en lui tous ces avantages.

[3] Un beau-haut du corps est une des parties essentielles qui constitue le mérite de l’artiste. Effacez votre buste39 avec élégance, donnez-lui, dans ses oppositions et dans ses mouvements, de la grâce, de la souplesse, de l’abandon, sans jamais lui faire perdre la beauté de sa pose, en conservant rigoureusement la pureté du dessin.

[4] Les épaules, la tête et le buste, doivent être soutenus, et ornés par les mouvements des bras, et ils doivent les suivre avec grâce, pour que tout l’ensemble présente une agréable harmonie40.

{p. 55}[5] Dans l’exécution des pas, il faut que le corps soit tranquille, inébranlable, ferme, sans roideur, mais flexible suivant tous les mouvements des jambes et des bras. Celui qui pendant sa danse ferait mouvoir le corps par secousses, qui hausserait ses épaules par le contrecoup des jambes, qui plierait ou lâcherait les reins, pour faciliter l’exécution des temps, et qui, par les grimaces de sa figure, nous démontrerait toute la peine que lui coûte son travail, serait un objet absolument ridicule ; le nom de grotesque lui siérait mieux que celui de danseur41.

{p. 56}

N.-B. Dans les arabesques, le corps s’éloigne de la perpendiculaire, et doit se pencher avec un agréable abandon.

{p. 57}

Chapitre quatrième.
Étude des bras §

[1] La position, les oppositions42, et {p. 58}surtout les mouvements ou le port des bras43, sont, peut-être, les parties les plus difficiles {p. 59}de la danse, et qui demandent un grand {p. 60}travail, et un soin extrême. Le danseur qui placera bien ses bras et qui les fera mouvoir gracieusement, selon toutes les règles de l’art, décéléra une bonne école et l’exécution de sa danse sera accomplie44.

[2] Si la nature ne vous a point favorisé, {p. 61}en vous donnant de beaux bras arrondis et bien faits, vous ne sauriez alors trop vous livrer à l’étude, pour la forcer de suppléer à ses dons : mais par un exercice réfléchi vous pourrez parvenir à donner de l’élégance, de la grâce à des bras maigres, et vous ferez même disparaître leur longueur, en sachant les arrondir avec art45.

[3] Un bon danseur doit tout entreprendre, pour corriger, ou pour cacher les défauts de sa construction ; c’est un des talents que doit posséder celui qui veut mériter d’être rangé parmi les artistes. Il faut que les bras soient sans cesse arrondis tellement, que la pointe des coudes soit invisible ; sans cela, ils formeraient des angles, qui leur enlèveraient la grâce et le contour moelleux, qu’ils doivent toujours présenter ; au lieu des lignes droites, obliques, ou courbées en demi-cercle46, nous n’en verrions {p. 62}que d’angulaires et dépourvues d’élégance47. Le danseur qui serait placé de cette manière, répugnerait au bon goût ; et ses positions, ses attitudes, devenues grotesques et caricatures, seraient un objet de ridicule pour le dessinateur.

[4] La saignée48 doit être au niveau du creux de la main. Soutenez les poignets et ne les pliez pas trop car ils paraîtraient cassés : l’épaule doit être basse et toujours immobile ; les coudes soutenus et les doigts seront gracieusement réunis et groupés. Il faut que la position et le port des bras se montrent avec aisance et avec douceur. Bannissez-en la roideur et ne les abandonnez jamais à des mouvements exagérés. Ne les faites point mouvoir par secousses, ni par saccades, ce serait un grand défaut qui dégraderait l’artiste le plus parfait dans l’exercice de ses jambes.

{p. 63}

N.-B. On doit remarquer que dans les arabesques la position des bras s’écarte de la règle commune, et c’est au goût du danseur à savoir les placer le plus gracieusement possible.

{p. 64}

Chapitre cinquième.
Positions principales et leurs dérivés ;

Préparations, terminaisons des pas et des temps ; poses, attitudes, arabesques, groupes, attitudes de genre §

[1] * Soignez la tenue du corps et le port des bras ; il faut que leurs mouvements soient doux, gracieux, et toujours d’accord avec ceux des jambes. Il doit exister sans cesse une parfaite harmonie dans l’exécution de toutes les parties du corps. *

[2] * Dessinez-vous avec goût et naturellement dans la moindre des poses49 ; il faut {p. 65}que le danseur puisse, à chaque instant, servir de modèle au peintre, au sculpteur50. *

{p. 66}* Mettez de l’expression de l’âme, de {p. 67}l’abandon dans vos attitudes, dans vos arabesques et dans vos groupes *51.

[4] La position, que les danseurs appellent particulièrement l’attitude, est la plus belle de celles qui existent dans la danse, et la plus difficile dans son exécution ; elle est, à mon avis, une espèce d’imitation de celle que l’on admire dans le célèbre Mercure de J. Bologne52. Le danseur qui se {p. 68}composera bien dans l’attitude sera remarqué, et prouvera qu’il a acquis des connaissances nécessaires à son art.

[5] Rien n’est plus gracieux que ces attitudes charmantes que nous nommons arabesques53 ; les bas-reliefs antiques, quelques fragments de peintures grecques, ainsi que celles à fresque, des loges du Vatican, d’après les délicieux dessins de Raphaël, nous en ont fourni l’idée54.

{p. 69}

N.-B. On peut aussi terminer des pas et des enchaînements en attitudes et en arabesques.

{p. 70}N.-B. On a omis, par les motifs déjà exprimés, les attitudes, et certains arabesques posés à pied plat, ainsi que les mêmes arabesques sur les deux pieds, qui ne se font qu’en posant à terre la jambe, qui est en l’air, comme le représente la fig. 4, planc. VII, qui dérive de l’arabesque, fig. 4, planc. XI.

On peut multiplier à l’infini les poses, les attitudes et les arabesques ; car un petit épaulement de corps, des oppositions de bras, ou de simples mouvements de jambes, où le tout ensemble est heureusement combiné, doivent en produire un très grand nombre.

L’exécution gracieuse appartient toute au goût de l’artiste, et c’est à lui à en savoir faire un bon usage, et à bien les approprier au genre et au caractère de sa danse. Ces attitudes modifiées sont très en usage dans les enchaînements des groupes, fig. i, 2, 3 et 4, planc. XIV. « En composant, en réglant, soyez peintre ; que tout dans votre tableau soit en harmonie, et que les effets principaux aient une vive expression, qu’accompagne une grâce séduisante. »

{p. 71}

Chapitre sixième.
Des temps, des pas, des enchaînements et de l’entrechat §

[1] * Attachez-vous à la correction et à la précision dans votre danse ; que tous vos temps soient réglés d’après les meilleurs principes que vous avez reçus, et que l’exécution de vos pas soit toujours élégante et gracieuse. *

[2] Il faut que les mouvements des grands temps soient larges, moelleux, et faits avec majesté, et qu’en les exécutant, le danseur montre une grande précision, de la fermeté et de l’aplomb en les terminant. Dans les temps terre-à-terre, vous ne sauriez assez faire jouer le ressort des cous-de-pied, pour en rendre l’exécution plus agréable et plus gracieuse, et renforcer et baisser les pointes pour la rendre vive et brillante.

[3] L’artiste doit s’attacher à nuancer ses pas le plus qu’il lui sera possible, et il faut que son exécution correcte en marque la {p. 72}diversité ; c’est-à-dire, que dans les pas d’aplomb et d’attitude il montre de la souplesse et se dessine scrupuleusement dans toutes les règles de l’art ; il faut que dans les pas d’élévations il déploie sans cesse une mâle vigueur et que ses pas terre-à-terre viennent faire opposition à ces derniers, par l’agilité qu’il aura dans les jambes. Mais qu’il se rappelle que le choix des pas soit toujours propre au genre qu’il a adopté et convenable à sa construction physique.

[4] Dans les enchaînements, c’est la variété et la nouveauté qu’on doit rechercher ; il faut que l’artiste en étudie soigneusement la composition et que son goût lui indique l’art d’être agréable. Ne mettez jamais dans un enchaînement de grands temps, des pas de force, ou d’une élévation exagérée ; évitez de ralentir et de refroidir par des poses ou des développements, l’effet d’un enchaînement de temps, de pas de vigueur, réglés sur un motif musical, vif et précipité55.

[5] * Soyez vigoureux, mais sans roideur, {p. 73}que votre entrechat56 soit croisé, et passe avec franchise et netteté. Travaillez pour {p. 74}acquérir une élévation facile ; c’est une belle qualité chez le danseur qui lui est {p. 75}nécessaire pour l’exécution des temps de force {p. 76}et de vigueur57. Si vous vous procurez de la vivacité, elle donnera du brillant à {p. 77}vos pas, et vous enchanterez les yeux. Soyez léger le plus que vous pourrez ; le {p. 78}spectateur veut trouver dans un danseur quelque chose d’aérien ; celui qui est pesant et lourd, ne produit qu’un vilain effet, et trop éloigné de ce que l’on attend de lui. Étudiez le ballon ; j’aime à vous voir parfois bondir dans un pas, et faire preuve d’agilité, de souplesse : que je puisse croire que vous effleurez à peine la terre, et que vous êtes prêt à voler dans les airs. *

N.-B. Le danseur peut prendre dans l’instant de son élévation toute espèce d’attitude et d’arabesque, comme je l’ai déjà dit.

{p. 79}

Chapitre septième.
Des pirouettes ;

De la manière de les prendre ou préparer, de celle de les faire et de les filer ; des diverses positions ou attitudes que l’on peut avoir en tournant, et des différentes manières de les arrêter et de les terminer §

[1] C’est aux progrès étonnants de la danse moderne58 que nous devons les {p. 80}pirouettes ; nos anciens danseurs, ainsi que Noverre59, ne les connaissaient point, et ils {p. 81}pensaient qu’il était impossible de surpasser les trois tours sur le cou-de-pied. Les meilleurs danseurs d’à présent prouvent le contraire. L’exécution actuelle des diverses pirouettes est vraiment extraordinaire, en ce qu’on est parvenu à faire l’aplomb le mieux conservé, et à maintenir le corps dans l’équilibre le plus parfait. L’on devrait peut-être regarder MM. Gardel et Vestris comme les inventeurs des pirouettes ; ce dernier est celui qui, en les perfectionnant, les a multipliées et les a mises plus à la mode. D’autres excellents danseurs ont encore enchéri sur lui, et en ont fait de surprenantes, presque dans toutes les manières.

{p. 82}[2] Une pirouette de trois à quatre tours, filée à la seconde et arrêtée dans la même position, ou en attitude, est la preuve du plus grand aplomb que le danseur puisse avoir. Rien dans la danse ne surpasse cette difficulté.

[3] La pirouette demande un grand travail. L’homme que la nature aura favorisé dans sa construction, parviendra à les exécuter avec grâce ; mais celui qui sera serré des hanches et qui se trouvera gêné dans le développement des jambes, ne réussira que faiblement et ne pourra bien tourner que sur le cou-de-pied ; il faut qu’il abandonne les grandes pirouettes. Le danseur d’une construction trop vigoureuse ou arquée, éprouvera le même sort ; la force musculaire lui enlèvera la souplesse, le moelleux des jambes, et la tranquillité que doit avoir le corps, pour conserver un parfait équilibre. Les jarretés et les constructions délicates l’emportent sur ces derniers ; ils auront plus de douceur, plus de facilité dans les membres et seront beaucoup plus tournés. Il faut être très en dehors pour devenir un bon Pirouetteur (qu’on nous permette ces expressions d’école).

[4] * Dans vos pirouettes, observez {p. 83}l’équilibre le plus parfait60, et soyez toujours bien placé en les commençant61, en {p. 84}les tournant62 et en les terminant. {p. 85}Arrêtez-les avec aplomb et assurance ; que {p. 86}le dessin de la position de votre corps, {p. 87}de vos bras, de vos jambes soit correct, et prononcé avec grâce. On ne saurait trop vous recommander de filer délicatement la pirouette sur la pointe ; ce qui présente la plus agréable exécution, et en même temps la plus parfaite ; car rien n’est plus rebutant à voir qu’un mauvais danseur, qui tournaille tantôt sur la pointe, et tantôt sur le talon, et qui sautille par secousses à chacun des tours de la pirouette. *

N.-B. Les pieds doivent être placés entre la seconde et la quatrième position.

{p. 88}

Chapitre huitième.
Danseur sérieux, danseur demi-caractère. Danseur comique §

[1] Celui qui se destinera à la danse sérieuse ou héroïque, doit posséder une belle taille et de belles formes ; son genre de danse exige absolument ces qualités physiques63. Son port, son maintien doivent être élevés, élégants, nobles et majestueux, sans affectation. Le sérieux est le genre le plus difficile de la danse ; il demande un grand travail, et n’est véritablement apprécié que par les connaisseurs et les gens de goût. {p. 89}L’artiste qui s’y distingue mérite le plus d’éloges. L’exécution parfaite d’un adagio est le nec plus ultra de l’art, et je la regarde comme la pierre de touche du danseur64.

{p. 90}[2] Un danseur sérieux doit être parfaitement tourné, avoir de beaux cous-de-pied, et une grande facilité dans les hanches ; sans ces qualités qui lui sont indispensables, il ne parviendra pas dans le genre qu’il a adopté. Dans les autres genres de danse, il n’est pas aussi essentiel de posséder en perfection les qualités et les moyens dont je viens de parler ; on n’exige pas d’un danseur de demi-caractère ou comique la même {p. 91}correction que l’on veut trouver dans le danseur héroïque. L’artiste dont je parle, doit se distinguer en tenant la partie supérieure du corps bien placée, par des mouvements de bras parfaitement combinés, et par le beau fini des principes de son école.

[3] Les beaux développés, les grands temps, et les plus beaux pas de la danse, appartiennent à ce genre ; le danseur doit fixer l’attention du spectateur par la beauté du dessin, par la correction de ses poses, de ses attitudes et de ses arabesques. Les plus belles pirouettes filées à la seconde, en attitudes et sur le cou-de-pied ; les temps d’élévation, de vigueur, et un bel entrechat, sont de son ressort65.

[4] Le danseur demi-caractère doit être d’une stature moyenne, avoir des formes élancées et élégantes. Une taille comme celle du Mercure, ou de l’Hébé de Canova66, {p. 92}serait convenable au genre demi-caractère ou mixte ; celui ou celle qui auront le {p. 93}bonheur de posséder ces avantages physiques, brilleront dans ce genre charmant de la danse.

[5] Le demi-caractère est un mélange des divers genres de la danse. Le sujet qui s’y destine peut se permettre l’exécution de tous les temps, de tous les pas que l’art nous apprend. Cependant, sa manière doit être toujours noble et élégante, et ses temps d’abandon, d’élans doivent être faits avec retenue et en conservant, sans cesse, une aimable dignité. Il doit éviter les grands temps du genre sérieux. Ce danseur ne réussira entièrement que dans les pas de Mercure, de Paris, de Zéphire, d’un Faune, et dans la danse, et dans les manières gracieuses d’un élégant Troubadour67, etc.

[6] Le danseur d’une taille médiocre et d’une construction vigoureusement ramassée, s’adonnera au genre comique, pastoral ou villageois ; et si à ces formes, presque athlétiques, il joignait une taille moyenne, il se distinguera parfaitement dans les pas {p. 94}de caractère, dont la plupart tiennent du genre comique. Selon moi, le type de ce genre est l’imitation de ces mouvements naturels qui ont formé ce qu’on a appelé les danses dans tous les temps et chez tous les peuples. Imiter, contrefaire, tout en dansant, les pas, les attitudes, les manières ingénues, badines, et parfois grossières de l’habitant des campagnes qui, au son de ses instruments rustiques, se livre sans nulle retenue aux plaisirs de la danse et à des jeux que partage, avec une gaieté franche, sa compagne chérie ou son amante, c’est offrir le tableau du genre pastoral. L’élève pour y bien parvenir doit étudier la nature et les meilleurs peintres qui se sont plu à nous en rendre sensibles les images68.

[7] Les autres danseurs de caractères comiques, dont j’ai déjà parlé, s’étudieront dans les pas caractéristiques. Ils doivent se {p. 95}rendre esclaves de l’imitation la plus sévère des danses particulières à chaque peuple et, tout en dansant, donner à leurs pas et à leurs attitudes le genre et le caractère des danses nationales qu’ils exécutent69. Chez ces danseurs on n’exige pas encore toute la correction des danseurs de demi-caractère.

L’explication des planches par ordre se trouve à la fin du Traité.

{p. 96}

Chapitre neuvième.
Le maître §

[1] Il faut qu’un danseur, élevé à la meilleure école, parvienne au premier rang par son exécution. Celui qui de l’art de la danse ne possède que la théorie, ne sera jamais un parfait démonstrateur70. Il faut {p. 97}avoir été premier danseur pour être un bon maître ; tout autre sans cela n’enseignera que par routine, machinalement, et n’aura jamais rien de certain dans ses leçons et dans la manière de les démontrer. Il ne donnera point les vrais moyens d’exécuter, et par conséquent de réussir et {p. 98}de se distinguer dans l’art qu’il enseigne. Un élève qui sortira des mains d’un tel maître, manquera d’abord de perfection, il ne possédera pas l’esprit de son art, sa danse sera froide, sans expression, sans âme et sans grâce. Il n’offrira qu’un tableau manquant de correction dans le dessin, d’un très faible coloris, et qui n’aura ni dégradations ni clair-obscur. Si donc ces qualités essentielles à la peinture, comme à la danse, n’existent pas, l’ouvrage ne pourra jamais intéresser ni plaire71.

{p. 99}[2] Le maître qui a exercé son art, et à qui une longue expérience donne des moyens plus étendus, ayant à former un danseur, examinera premièrement si la construction physique du jeune élève est disposée pour l’exercice de la danse72, et si en grandissant il pourra faire pompe d’une taille élégante, de formes bien faites et gracieuses ; car sans ces dons naturels et sans des dispositions qui puissent promettre de rapides progrès, l’écolier n’acquerra jamais ni un grand talent, ni une haute réputation.

                « … se adeguata
Non avrà la figura, non imprenda
Un’ arte sì gentile e delicata73. » [traduction]

RiccoboniII.

{p. 100}[3] À peine le maître aura-t-il dégrossi l’élève par les premiers exercices, qu’il devra lui apprendre la leçon74 et le perfectionner {p. 101}par les temps d’école, par les principaux pas de la danse, et alors lui indiquer et lui faire adopter le genre de danse qui est convenable à ses dispositions, à sa construction physique et à son sexe.

[4] L’homme doit avoir une manière de danser qui diffère de celle de la femme ; les temps de vigueur, de force et l’exécution hardie, majestueuse du premier, ne siéraient point à la seconde, qui ne doit plaire et briller, que par des mouvements gracieux et souples, par de jolis pas terre-à-terre, et par une décente volupté dans ses attitudes75.

{p. 102}[5] Ceux qui possèdent une belle taille seront destinés, par le maître, au genre sérieux, à la danse noble. Celui ou celle qui n’offrira qu’une stature moyenne avec des formes élancées et délicates, sera livré au genre demi-caractère ou mixte. Tous ceux d’une taille plus que médiocre et d’une construction forte et ramassée, s’adonneront au genre comique et aux pas caractéristiques. Le maître doit terminer ses instructions et ses leçons, en donnant à l’élève l’esprit, le sentiment, le charme de son art, pour en faire un artiste accompli76. Il faut qu’il lui démontre bien sa différence qu’il y a d’un genre de danse à {p. 103}l’autre, qu’il en fixe bien précisément l’exécution et qu’enfin il apprenne à l’écolier quelles sont les diverses manières de danser qu’exigeront l’habit et les costumes dont il devra se revêtir selon l’occurrence77.

{p. 104}

Explication des planches §

Planche I §

  • Fig. i. Première position, bras à la seconde.
  • Fig. 2. Position du poignet et des doigts.
  • Fig. 3. Opposition, épaulement du corps ; demi-bras en opposition, et jambes à la troisième position.
  • Fig. 4. Bras haut en opposition ; jambes à la cinquième position.
  • Fig. 5. Bras arrondis au-dessus de la tête, et jambes à la cinquième position sur les pointes.

Planche II §

  • Fig. i. Position du corps, des demi-bras et jambes à la quatrième position (vue de profil).
  • Fig. 2. Danseur à la seconde à terre, et position des demi-bras.
  • Fig. 3. Seconde position, sur les pointes.
  • Fig. 4. Ployé à la première position.
  • Fig. 5. Manière de se tenir du danseur en s’exerçant ; jambe placée à la seconde.

N.-B. On a omis, pour ne pas multiplier les planches, les positions sur les pointes de la première, de la troisième et de la quatrième, ainsi que les ployés des autres quatre premières positions de la danse : elles sont très faciles, et l’on peut sans les figures, en concevoir et en produire l’effet.

{p. 105}

Planche III §

  • Fig. i, 2 et 3. Positions défectueuses des bras.
  • Fig. 4 Défauts de la construction physique de l’arqué.
  • Fig. 5. Défauts de la construction physique du jarreté.

Planche IV §

  • Fig. i. Position du danseur à la quatrième en avant-en l’air. Bras à la seconde (vue de profil).
  • Fig. 2. Même position, et sur la pointe. Bras en opposition (vue de face).
  • Fig. 3. Position à la quatrième derrière en l’air (vue du profil).
  • Fig. 4. Pose, préparation, terminaison des temps et des pas.

Planche V §

  • Fig. i, 2, 3 et 4. Poses, préparations, terminaisons des temps et des pas.
  • Fig. 5. Position différente de la main et du bras, dans certaines positions du danseur.

Planche VI §

  • Fig. i. Danseur à la seconde en l’air et sur la pointe.
  • {p. 106}Fig. 2, 3 et 4. Attitudes diverses, dérivés de la quatrième et de la seconde position.

Planche VII §

  • Fig. i et 2. Attitudes diverses ; dérivés de la quatrième position.
  • Fig. 3. Position du danseur en prenant les pirouettes en dehors.
  • Fig. 4. Position ou attitude du danseur en prenant les pirouettes en dedans. Arabesques sur les deux pieds.

Planche VIII §

  • Fig. i. L’attitude.
  • Fig. 2. L’attitude (vue de profil).
  • Fig. 3 et 4. Manières différentes de se poser en attitude.

Planche IX §

  • Fig. i. Le Mercure de J. Bologne.
  • Fig. 2 et 3. Dérivés de l’attitude.
  • Fig. 4. Position de la pirouette sur le cou-de-pied.

Planche X §

  • Fig. i, 2, 3 et 4. Arabesques.

Planche XI §

  • Fig. i et 2. Arabesques.
  • Fig. 3 et 4. Arabesques à dos tourné.
{p. 107}

Planche XII §

  • Fig. i, 2 et 3. Arabesques.
  • Fig. 4. Position du danseur dans les temps d’élévation et dans les entrechats.
  • Fig. 5. Élévation de deux pieds de hauteur.

Planche XIII §

  • Fig. i, 2, 3 et 4. Attitudes du danseur dans les temps d’élévation et dans les entrechats.

Planche XIV §

  • Fig. i, 2 et 3. Tailles d’homme et de femme pour les trois genres de danse.
  • Fig. i. Danseur sérieux.
  • Fig. 2. Danseur demi-caractère.
  • Fig. 3. Danseur comique.
  • Fig. i, 2, 3 et 4. Attitudes de genre ; groupes, modifications, épaulements des attitudes dans les groupes ; costumes les mieux adaptés au danseur.
  • Fig. i. Tunique grecque.
  • Fig. 2. Troubadour espagnol.
  • Fig. 3. Villageois.
  • Fig. 4. Groupe principal d’une Bacchanale de l’auteur.

N.-B. Nous croyons utile de rappeler ici à nos lecteurs, ce que nous avons dit dans les deux dernières notes qui sont attachées au chap. V, et nous les engageons à s’y reporter.

{p. 108}

Appendice à l’ouvrage §

[1] Quoique mon intention n’ait pas été de donner des leçons de danse comme à l’école, quoique les élèves pour lesquels j’ai écrit sachent très bien de quoi se composent les éléments pratiques de cet art, j’ai pensé que cet appendice pourrait cependant être utile pour l’intelligence d’une grande partie des lecteurs qui le parcourront comme amateurs. Il en est beaucoup, qui pleins de goût, qui doués de connaissances justes sur les beaux-arts, doivent cependant ignorer une quantité de détails dont l’artiste, dont le professeur doivent s’occuper sans cesse ; or pour me rendre intelligible à tous, j’ai dû ajouter ici une définition des principes mécaniques de la danse : c’est-à-dire, je suppose que je parle à un écolier qui ne sait encore comment il doit poser ses pieds, et je le mène rapidement, d’exercice en exercice, comme le géomètre d’axiome en axiome, à la connaissance exacte de tout ce qui constitue le mécanisme de la danse. Cet appendice apprendra aux gens du monde notre vocabulaire, les définitions de chaque terme, et ne contribuera pas peu à éclairer leurs jugements sur les danseurs qu’ils verront en scène.

{p. 109}

Premiers exercices §

Premières Positions §

[1] Dans la première on doit avoir les jambes fort étendues, les deux talons l’un près de l’autre, et les pieds en dehors également. Voyez la fig. i, planc. I. Dans la seconde position les deux jambes sont écartées, mais seulement de la longueur du pied. Voyez la fig. 2, planc. I. À la troisième les pieds sont croisés à moitié et se touchent. Voyez la fig. 3, planc. I. La quatrième position est à peu près la même que les précédentes, excepté que les pieds se croisent sans se toucher. Voyez la fig. i, planc. II. À la cinquième les pieds sont croisés en entier. Voyez la fig. 4, planc. I.

[2] On doit ployer les genoux dans toutes ces positions, sans jamais lever les talons de terre. Voyez la fig. 4, planc. II. Pour donner de la souplesse et de la force aux cous-de-pied, ou doit exécuter toutes ces positions sur les pointes. Voyez la fig. 5, planc. I, et la fig. 3, planc. II.

Battements §

[3] Battements. Mouvements en l’air que l’on fait d’une jambe, pendant que le corps est posé sur l’autre. Il y en a de trois sortes, qui sont : les {p. 110}grands battements, les petits battements, et les petits battements sur le cou-de-pied.

[4] Les grands battements se font en détachant et en portant la jambe tendue jusqu’à la hauteur de la hanche. Voyez la fig. 5, planc. II. Cette même figure vous démontre de quelle manière on doit s’exercer en se tenant. Après le mouvement du battement, la jambe retombe à la cinquième position d’où elle est partie. On les croise devant et derrière. Les grands battements vous tourneront entièrement et donneront de la facilité aux mouvements des hanches pour les développements et pour l’exécution des grands temps78.

[5] Les petits battements se font de la même manière, excepté qu’au lieu de lever la jambe à la seconde en l’air, il faut que le dégagement soit petit et que la pointe ne quitte point terre. Ces battements délieront les jambes, parce que l’élève sera obligé de doubler le temps et le mouvement.

[6] Les petits battements sur le cou-de-pied. La hanche et le genou forment et disposent ces mouvements ; la hanche conduit la cuisse pour s’écarter ou pour s’approcher ; et le genou par sa flexion forme le battement en croisant le bas de la jambe soit devant, soit derrière l’autre jambe qui est {p. 111}posée à terre. Supposez donc que vous soyez sur le pied gauche, la jambe droite à la seconde et la pointe appuyée à terre, il faut la croiser devant la gauche, en pliant le genou, et l’étendre en l’ouvrant à côté ; plier du même temps le genou en croisant derrière, puis l’étendre à côté, et continuer à faire plusieurs de ces battements de suite. Doublez peu à peu le mouvement jusqu’à ce que vous soyez parvenu, avec le temps, à les faire aussi vite qu’on ne puisse les compter. Ces battements sont d’un très joli effet, et ils donnent de la vivacité et du brillant aux jambes79.

Rond de jambe §

[7] Pour commencer à faire les ronds de jambe en dehors, placez-vous dans la même position que vous prenez en commençant les petits battements. Supposons la jambe gauche à terre et la droite à la seconde ; faites décrire à celle-ci un demi-cercle en arrière, qui se termine à la première position ; il faut que de là il continue et achève le rond, en finissant à l’endroit d’où il est parti ; c’est ce que nous appelions rond de jambes.

[8] Les ronds de jambe en dedans se commencent à la même position, et la jambe au lieu de décrire un cercle, en le commençant en arrière, {p. 112}doit le commencer en avant. Après cela on doit exécuter les ronds de jambe en l’air que l’on fait en étant placé sur la pointe du pied qui porte le corps80.

[9] On doit s’exercer d’abord en se tenant, et faire tous les exercices dont j’ai parlé, aussi bien d’une jambe que de l’autre. Après ce travail on répète les mêmes temps sans se tenir, pour acquérir l’équilibre et l’aplomb, qualités essentielles à un bon {p. 113}danseur. Par cette manière de s’exercer on gagne de la force et les moyens de réussir dans l’exécution de tous les pas. Le danseur doit répéter tous les jours ces exercices et ne jamais les négliger, crainte d’affaiblir son exécution. Eussiez-vous le talent de Gosselin81, vous devez étudier sans cesse.

[10] Je vais ajouter à la fin de ces exercices du danseur, une remarque et un conseil que je crois pouvoir être fort utiles aux jeunes élèves, qui ayant déjà mis en usage les principes de la danse, s’adonneront à la composition des pas.

[11] Pour s’exercer et pour hâter les progrès dans la composition de la danse, pourquoi nos jeunes élèves ne suivraient-ils pas l’exemple de Dupré ? Cet artiste, qui avait l’habitude de danser en improvisant sur des airs inconnus, pour former son imagination à innover des pas et des enchaînements et pour habituer son oreille à saisir promptement le mouvement et le rythme de la musique.

[12] Ce travail serait infiniment utile et servirait à développer le génie du jeune danseur. Ses premières compositions manqueraient, sans doute, de correction et parfois de grâce, mais après avoir {p. 114}formé le canevas, pour ainsi dire, du pas, il pourrait ensuite le corriger et y faire tous les changements convenables. Je me suis souvent plu à improviser et j’ai été assez heureux quelquefois pour produire des choses passables ; j’obtins par cet exercice beaucoup plus de facilité pour composer des pas que je devais exécuter en public ; ayant surtout quelque peu de temps pour les mieux combiner en les perfectionnant.

[13] M. Gardel, en me parlant de nos anciens artistes, me vanta cette manière de danser de Dupré, qui tout en se formant un excellent danseur, donnait un plus grand essor à son génie : ce conseil me frappa, je m’y attachai, et j’en fis l’essai sous les yeux de mon père. Pendant qu’il improvisait sur le piano-forte, je tâchais de suivre ses intentions musicales et de former des pas sur ses notes. Après quelque temps employé à cet exercice, je me risquai à essayer des pas de deux, de trois, réglés de cette manière, sur les mêmes motifs, dans ses opéras d’Omphale, d’Achille, de Dibutade, etc. : ces essais eurent le bonheur de ne pas déplaire.

{p. 115}

Traduction des passages italiens parsemés dans cet ouvrage §

[1] Note. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs, et aux élèves, dont le plus grand nombre, sans doute, ne connaît pas la langue italienne de leur donner le sens, ou la traduction littérale des citations que nous avons faites de divers morceaux, extraits d’auteurs italiens ; mais pour ne pas embarrasser notre discours et nos notes nous avons trouvé plus convenable de reporter à la fin ces traductions, que les lecteurs consulteront à leur loisir.

[2] Avant-propos, pag. 12. Ingiusta lode, ec. — On ne doit pas s’appuyer sur une louange non méritée ; car il ne faut qu’un homme de bon sens, pour détromper cent personnes qu’elle a séduit.

[3] Avant-propos, pag. 12, note (I). Soffre, è vero, ec. — Le pauvre public éprouve aussi de temps en temps quelque épidémie, mais ce n’est pas sa faute. Car les causes en étant accidentelles, particulières, de peu de durée, et lui étant étrangères ; elles peuvent bien pendant quelque temps et dans certaines circonstances, altérer son jugement, mais elles ne peuvent jamais le faire changer absolument. Il n’y a que trop de gens qui, abusant de l’ingénuité du peuple, pour s’emparer de son vœu, foulant aux pieds la raison et outrageant le mérite, savent adroitement se servir du penchant naturel qu’a l’homme d’être imitateur, de courir où il voit les autres se porter, de répéter ce qu’il entend dire, surtout de la bouche des savants ou des grands qu’il suppose plus sages que lui, et aux opinions desquels il s’asservit par cette raison, religieusement ; et comme les plaisirs qui s’offrent aux yeux sont plus faciles à comprendre que ceux qui frappent l’esprit, ces gens abusent de {p. 116}l’ascendant qu’ils ont pris ; mais ces prestiges artificieux et trompeurs n’ont pas une longue durée. Ce sont des Fantômes qui disparaissent promptement devant les lumières de la vérité.

[4] Avant-propos, pag. 14, note (I). Che poi, ec. — Que le vulgaire aveugle adore en se prosternant.

[5] Pag. 19, ch. I, Chi ben, ec. — Celui qui commence bien a déjà rempli la moitié de son ouvrage.

[6] Ch. I, pag. 21, n. (2). Spesso vinta, etc. — Souvent la nature vaincue cède à leur supériorité.

[7] Ch. I, pag. 22, n. (I). Non giova, ec. — Il ne suffit pas que tu sois beau et bien fait, ces beautés cachent quelquefois des défauts repoussants.

[8] Ch. I, pag. 24, n. (I). Anch’io, ec. — Et moi aussi je suis peintre.

[9] Ch. I, pag. 25. Siano le attitudini, ec. — Disposez les attitudes de vos personnages et donnez à leurs membres un mouvement tel que cet accord fasse voir ce qui se passe dans leur âme.

[10] Ch. I, pag. 28, n. (I). Niente è più nocivo, ec. — Rien n’est plus dangereux et plus insupportable que de laisser percer l’art dans ce que le spectateur sait qu’on veut feindre.

[11] Ch. I, pag. 30. Che non è assai, ec. — Ce n’est pas assez de plaire aux sots ou à quelques femmelettes.

[12] Ch. I, pag. 37, n. (I). Ritmo voce greca, ec. — 

Rythme, mot grec qui signifie Nombre. Le nombre est formé par la distinction, ou la mesure d’intervalles égaux ou différents.

Cicéron.

[Ch. I, pag. 37, n. (I)].

Le Rythme est ce qui distingue plus sensiblement les compositions musicales ; parce que les combinaisons diverses et infinies des différents temps que la musique emprunte du Rythme avec une grande variété, produisent les différences sensibles d’un air avec un autre, ou de tel ou tel autre motif, d’une pensée, d’un trait, du sujet, sous quelque dénomination qu’on veuille les placer, ce qui a fait dire à Virgile « Qu’il se rappellerait {p. 117}bien l’air s’il avait, les paroles présentes à l’ esprit. » Avec ce Nombre ou Rythme (que nous réglons par la mesure), les danseurs peuvent, sans avoir besoin de l’harmonie (c’est-à-dire du chant ou du son d’un instrument), exécuter leurs imitations. C’est pour cela qu’Ovide donne aux bras d’une danseuse l’épithète de Nombreux, au lieu d’Harmonieux.

« Cette danseuse séduit par ses gestes, elle meut avec justesse ses bras nombreux : en inclinant avec un art enchanteur et tournant avec souplesse son beau corps. »

(Métastase, Considérations sur l’art poétique d’Aristote.)

[13] Ch. V, pag. 64, n. (I). Moti della testa. Non farai, ec. — Ne mettez jamais la tête droite sur les épaules, mais un peu tournée de côté à droite ou à gauche, soit que vous fassiez regarder votre figure en haut, ou en bas, ou devant elle, parce qu’il importe que vous donniez à vos têtes un mouvement qui annonce de la vivacité naturelle, et qu’elles ne paraissent pas endormies.

[14] Idem, pag. 65. Dell’attitudine. La fontanella, ec. — De l’attitude. La fossette du cou doit perpendiculairement correspondre au pied ; si on place un bras en avant, elle sort de sa perpendiculaire sur les pieds ; si une jambe se porte en arrière, la fossette est placée en avant, et elle change ainsi selon les diverses positions.

[15] Idem, pag. 66. Della ponderazione dell’uomo. Sempre il peso. — Du centre de gravité de l’homme debout. Le poids de l’homme qui repose sur une jambe seule, se partagera en proportion égale sur le point qui le soutient. L’homme qui se meut, aura son centre de gravité sur le milieu de la jambe qui pose entièrement à terre.

[16] Idem, pag. 66. Dell’equiponderazione. Sempre la figura, ec. — De l’équilibre. La figure qui soutient un fardeau, placé hors de la ligne centrale de sa propre gravite, doit distribuer autant du poids accidentel que du sien propre vers la partie opposée, de manière à établir un équilibre autour de la ligne centrale perpendiculaire, qui s’élève du pied {p. 118}qui est posé, et qui divise également le poids que les pieds soutiennent.

[17] Ch. V. pag. 67. Della figura che va contro il vento. Sopra la figura, ec. — De la figure qui marche contre le vent. Mais la figure qui marche contre le vent, dans quelque sens que ce soit, ne maintient point son centre de gravité avec une disposition exactement égale sur la ligne du point qui la soutient.

[18] Ch. VI, pag. 76, n. (I). La natura opera, ec. — La nature enseigne et agit d’elle-même, sans qu’on ait besoin de raisonnement ; de sorte que celui qui veut sauter, élève avec vitesse les bras et les épaules qui se mettent simultanément en mouvement avec une partie du corps en raison de l’impulsion ; et ils se soutiennent élevés, tant que le mouvement est accompagné de celui du corps, dont les reins se courbent, et de l’élans qui se forme dans la jointure des cuisses, des genoux et des pieds, et cette extension se fait de deux sens ; c’est-à-dire en avant et en haut, alors le mouvement destiné à se porter en avant, place aussi le corps en avant au moment du saut, et celui qui le porte en haut l’élève, en lui faisant décrire un grand arc et rend le saut plus rapide.

[19] Idem, pag. 77. Come nel saltare dell’uomo, ec. Quando l’uomo, ec. — Comment l’homme fait trois mouvements en sautant. Quand l’homme s’élance en haut, la tête est trois fois plus active que le talon du pied avant que les doigts se détachent de la terre, et deux fois plus rapide que les hanches, ce qui arrive parce que dans le même temps sont effacés trois angles, dont le supérieur est celui ou le buste se joint par-devant aux cuisses, le second celui où les cuisses du côté du jarret sont unies aux jambes, et le troisième est formé par devant de la réunion de la jambe avec le cou-de-pied.

[20] Ch. IX, pag. 99Se adeguata, ec. — S’il n’est pas doué d’une figure agréable, qu’il se garde bien d’entreprendre l’exercice d’un talent qui exige tant de grâce.

{p. 121}

Table des principaux sujets traités par ordre alphabétique §

A
Aplomb, 52, 65, 66.
Appendice à l’ouvrage, 108.
Arabesques, 24,, 64, 68.
Arqué, 45.
Artiste, 17, 23, 71.
Attitude (l’), 67.
Attitudes, 64.
— de genre, de caractère, 64, 69, 107.
Avant-propos, 5.
B
Bacchanale, 67, 95.
Ballets, leur origine, quand connus en France, 7, 39.
Bras, 57.
C
Cadence, 36.
Canova, son génie, 91.
Caractère, 30, 31, 102.
— musical, 35.
Chironomie, 39.
Comique, 93.
Composition, 32, 72, 113.
Confusion des genres, 31
Construction jarretée, 46.
— arquée, 47.
Contrepoids, 66.
Corps, 52.
Costume, 103.
{p. 122}
D
Danse (la), 5.
Danses caractéristiques, 94.
— nationales, 95.
Danseur, 102.
— défectueux, 23, 55, 60.
— sérieux, 90.
— demi-caractère, 91, 93.
— comique, 93.
Danseurs anciens, 79.
Danseuse, 101.
Dauberval cité, 9, 32, 39.
Défauts physiques, 46, 47, 60, 61.
— dans l’exécution, 55, 60, 62.
Demi-caractère, 93.
Dérivés des premières positions, 47, 64.
Dessin, 26, 35.
Distinction des genres, 30, 32.
Développements, 43.
Dupré, danseur, 80, 113.
E
Élévation, 27.
Élève (l’), 19, 99, 100.
Enchaînements, 33, 71, 72,
Entrechat, 71, 73,
Entrechats différents, 74.
Épaulements du buste, 54.
Équilibre, 52, 65, 66.
Étude des jambes, 40.
— du corps, 52.
— des bras, 57.
Exercices, 100, 109.
Explication des planches, 104.
{p. 123}
G
Gardel cité, 24,93, 98.
Genre, 30.
— sérieux, 80, 88.
— demi-caractère, 93.
— comique, 93.
Goût (bon), 13.
— (mauvais), 11, 12, 55.
Gosselin, Mlle Danseuse, 112.
Grâce, 23.
Groupes, 64, 69.
I
Jambes, 40.
Jarretée, 45.
J.-J. Rousseau cité, 35, etc.
Instructions générales aux élèves, 19.
L
Leçon (la), 100.
Léonard de Vinci, cité, 25, 64, 76, etc.
M
Maître (le), 96.
— (mauvais), 19.
Marcher (manière de) au théâtre, 112.
Mercure de J. Bologne, 67.
Mesure, 36.
Moelleux, 43.
Mouvements des jambes, 42.
— des bras, 58,
— du corps, 54.
Musique, 34, 36.
N
Noverre, grand compositeur de ballets, a écrit dans l’Encyclopédie, 9, 34.
{p. 124}
O
Observations physiques, 46, 47, 74, 75, 76, 77.
Oppositions, 57.
P
Pantomime, 26, 35, 38.
Pas, 32, 33,71.
Pirouette (la), 79, etc.
Pirouettes différentes, 86.
Poses, 64.
Positions principales et leurs dérivés, 47, 64.
— des jambes, 47, 51.
— du corps, 52.
— des bras, 56, 62
Préparations des temps et des pas, 64.
R
Rythme, 37.
S
Sculptures et bas-reliefs antiques doivent servir de modèles aux danseurs, 68.
Sérieux, 88.
T
Tailles diverses, 88, 91, 93, 107.
Temps, 33, 71.
Terminaisons des temps et des pas, 64.
Traduction des passages italiens, 115.
V
Vestris, père, 80.
— Auguste, 31, 93, 94.
Vigueur, force, 45.
Vivacité, légèreté, 27.