Jean Suffren, SJ

1640

L'année chrétienne

Édition de Doranne Lecercle
2017
Source : Jean Suffren, Des Recreations, Jeux, et autres divertissemens, desquels l’ame Chrestienne se peut servir durant la journée in L’année Chrestienne ou le Sainct et profitable employ du temps pour gagner l’Eternité. Où sont enseignées diverses practiques et moyens pour s’occuper durant tout le cours de l’Année, conformement à l’ordre de l’année, inspiré par le S. Esprit à l’Eglise Chrestienne, Paris, Claude Sonnius, 1640, p. 851-877.
Ont participé à cette édition électronique : François Lecercle (Responsable d’édition) et Clotilde Thouret (Responsable d’édition).

[FRONTISPICE] §

L'ANNEE
CHRESTIENNE
ou
le sainct et profitable
employ du temps pour gaigner
l'Eternité
Où sont enseignées diverses practiques et moyens
pour s’occuper durant tout le cours de
l’Année, conformement à l’ordre de l’année, inspiré
par le S. Esprit à l’Eglise Chrestienne
Par le R.P. Jean Suffren de la Compagnie de Jesus
A Paris, chez Claude Sonnius
rue sainct Jaques au Compas
d'Or, et à l'Escu de Basle.
MDCLX
Avec privilege du Roy

{p. 851}

Des Recreations, Jeux, et autres di-
vertissemens, desquels l’ame Chre-
stienne se peut servir durant la journée

Chapitre IXI. §

La vie dévote, et vraiment Chrétienne, est accompagnée d’une grande prudence, et donne à chaque chose le temps qui lui est plus convenable. Le temps qui suit immédiatement après le repas, n’est pas si propre aux affaires, et aux occupations plus sérieuses et importantes : c’est pourquoi, d’ordinaire, on prend alors quelque divertissement en Jeux, conversation, ou autres semblables récréations ; et parfois on en fait le même en certains jours de la semaine : d’autres passent plus avant, prenant en certains temps de l’année, quelque nombre de jours pour se divertir, et égayer un peu leurs esprits et leurs corps, après les travaux et emplois sérieux et pénibles : je veux ici instruire l’âme Chrétienne, à se recréer, et à se divertir, et à faire tellement cette action, que par icelle, non seulement elle ne se fourvoie pas du chemin de l’Eternité bien heureuse, mais plutôt qu’elle s’y avance et mérite un Paradis. Je divise ce Chapitre en deux articles comme le précédent.

Au premier, je fais voir la nature, la nécessité, et le profit de l'honnête récréation.

Au second, les pratiques pour faire cette action en telle façon, que Dieu en reçoive de la gloire, et celui qui la fait un accroissement de grâce, pour mériter les récréations éternelles.

{p. 852}

De la nature, nécessité, et utilité des ébats, jeux, et semblables divertissements. §

Article Premier.

J’ai deux choses à montrer, en cet article, en deux paragraphes.

La première, Que la vie Chrétienne et dévote, a et doit avoir ses récréations, et être d’une vie joyeuse.

La seconde, Qu’elle a ses récréations corporelles et extérieures, outre les spirituelles et intérieures.

Comme l’âme Chrétienne doit avoir ses récréations, et vivre avec joie sans mélancolie.
§. I.

Ruse du Diable de persuader qu'en la vie vertueuse il n'y a que mélancolie et tristesse.Une des ruses de Satan pour détourner les âmes de la vie vertueuse, est de vouloir persuader au monde, qu’il n’y a point de plaisir en icelle, et qu’on n’y rencontre que des mécontentements, et des mélancolies ; qu’on n'y rit jamais ; on ne joue jamais ; on est en récollection, et Oraison continuelle : si bien qu’on tient les personnes dévotes, chagrines, stupides, critiques, insupportables, et pour cela on les appréhende si fort, qu’on ne veut pas se trouver en leur compagnie, ni les imiter en leur vie, de peur d’être privé de toute sorte de récréations.

Cette ruse est semblable à celle dont se servit le même Satan, pour décourager le peuple d’Israël, du voyage vers la terre promise ; il porta les espions (que Moïse avait envoyé pour la considérer, et pour en apporter des nouvelles) à persuader au peuple, « Que l’air était fort mauvais en ce pays-là, qu’on n’y pouvait pas vivre longuement, que les habitants étaient des géants si prodigieux, qu’ils mangeaient les autres hommes comme des locustes. »2

Ces discours eurent telle force, que ce peuple trop crédule eût quitté l’entreprise commencée, si Josué, qui était allé visiter la même terre, aussi bien que les autres, {p. 853}n’eût dit tout le contraire, et n’eût fait voir la facilité de conquérir tout ce pays-là, la douceur de vie, les commodités des fruits, et d’autres choses nécessaires à la vie qui s’y rencontraient.

Pour donc contrecarrer cette mauvaise impression que Satan met dans les esprits, qu’on défend de jouer et de se recréer, à tous ceux qui entreprennent la vie dévote et vertueuse, et qui renonçant au Diabolique parti du monde, suivent celui de Dieu. Je fais voir en ce paragraphe, que tant s’en faut que cela soit, qu’au contraire on veut, et on y commande de chasser la mélancolie, de se recréer, et se débander l’esprit, et vivre toujours en joie.

Je prends la preuve de cette vérité, de la parole de Dieu même, qui ne recommande rien si souvent à ceux qui le servent, que d’être sans tristesse et mélancolie :Dieu défend la tristesse à ceux qui le servent.« Eloignez bien loin de vous toute tristesse, laquelle cause la mort à plusieurs, et n’apporte aucun profit » :4 Et non seulement n’apporte aucun profit, mais cause beaucoup de maux. Car 1. de là commence le dégoût, et le dédain des choses spirituelles :Les maux que cause la tristesse. de façon que l’âme mélancolique s’assoupit, et s’endort en la pratique d’icelles ; et dit avec David, « Mon âme s’est endormie à raison du dégoût qu’elle avait »,6 ou comme porte la version des Septante, Mon âme a distillé comme l’eau qui distille d’un alambic, ou comme la cire qui se fond goutte à goutte auprès du feu, et se perd. 2. Lorsque par la tristesse la personne se voit dégoûtée, elle tâche de dégoûter, et décourager les autres, afin de se faire beaucoup de semblables, et de diminuer le parti de Dieu et de la vérité, et retourner à celui du vice, qu’elle pense être plus gai. 3. L’homme triste est sec, âpre, et colère aux autres ; ce qui a fait dire à saint Grégoire, « que le triste est tout proche de la colère » :7 Car comme le bois vert ne se brûle pas si facilement, parce qu’il n’a que les dispositions éloignées, et le sec les a prochaines, et pour cela est incontinent allumé : De même l’homme qui est joyeux et gai, difficilement se mettra-t-il en colère ; la tristesse étant une des prochaines {p. 854}dispositions à la colère, et l’homme triste soudain se colérera.

4. La tristesse apporte des soupçons, des jugements téméraires, des humeurs hypocondriaques qui approchent parfois de la folie, et ôtent le jugement : « Il n’y a point de sens, ni de jugement, où il y a de l’amertume, et de la tristesse »,8 dit le saint Esprit.

5. Elle rend une homme inhabile et inutile à tout ; « Ce qu’est la teigne à la robe, et le ver au bois ; le même est la tristesse au cœur de l’homme », dit le sage Salomon : la robe rongée par la teigne ne sert plus à rien, et le bois vermoulu ne peut plus servir à aucun bâtiment, il n’est bon que pour le feu.9

6. Il faut croire au saint Esprit, qui a dit par la bouche du fils de Sirach ; « Que la plus grande plaie, et un amas de toutes les plaies qui peuvent arriver à un homme, est la tristesse du cœur » :10 Et saint Augustin expliquant ces paroles, que Jacob dit à ses enfants, lors qu’ils le pressaient de leur permettre de mener Benjamin en Egypte, « Vous serez cause qu’en ma vieillesse je m’en irai en Enfer »,11 dit, que Jacob craignait que l'éloignement de Benjamin lui causât une si grande tristesse, qu’à raison d’icelle il fût en danger de se damner, tant il jugeait la tristesse dangereuse.

La raison de ceci est, parce que le salut éternel dépend de la grâce,Raison pourquoi la tristesse empêche le salut éternel. non seulement habituelle, mais aussi actuelle : or est-il que la grâce actuelle consiste en des lumières de l’entendement, et en des suavités et affections de la volonté, que saint Augustin appelle « une victorieuse délectation » :13 Et ailleurs il dit, que « la grâce de Dieu consiste à faire connaître ce qu’était caché ; et à rendre doux et agréable, ce qui ne nous plaisait pas ».14 A cette suavité et douceur, la tristesse est opposée, et par conséquent au moyen nécessaire du salut : c’est pourquoi il a été bien nécessaire, que le saint Esprit, qui a inspiré ce qui est écrit en l'Ecriture sainte, nous exhortât tant de fois à ne bailler en nos cœurs aucune entrée à la tristesse ; que si parfois elle y entre, de la mettre incontinent dehors.

{p. 855}En la même Ecriture, Dieu ne s’est pas contenté de nous défendre la tristesse, mais il a commandé, et recommandé la joie, et la gaieté à tous ceux qui font profession de la vertu, et d’être dans le particulier service de Dieu.Dieu commande à ceux qui le servent d’être joyeux.

« Que les justes se réjouissent en la présence de Dieu, et tressaillent de joie. »16 « Réjouissez-vous en notre Seigneur continuellement, derechef, je vous le dis, réjouissez-vous. »17 « Réjouissez-vous en Dieu, ô justes, »18 « et que le cœur de ceux qui cherchent Dieu, soit toujours en liesse. »19 « Dans les maisons des justes il n’y a que des paroles de joie, mais d’une joie salutaire : »20 « ne vous donnez pas à Dieu avec tristesse, regret, ou contrainte ; car Dieu se plaît à celui qui avec joie se donne à lui. »21

La raison de ceci se prend :

1. Du côté de Dieu,Raisons de cette joie. Du côté de Dieu. la dignité et éminence duquel est telle, qu’il ne veut aucun à son service, qui ne le serve volontairement, gaiement, et franchement. Les Rois de la terre demandent de tels valets, pourquoi non pas Dieu ? Tertullien se moquait de ceux qui contraignaient les Chrétiens à adorer les Idoles, et à leur offrir de l’encens par force, et à contrecœur.

« Pensez-vous disait-il, que vos Dieux se plaisent d’être ainsi servis, il ne veulent point des sacrifices offerts à regret. »23 Il est vrai que Dieu est fort honoré par la façon gaie et volontaire, avec laquelle on le sert ; car par là on fait voir à tous combien il est digne d’être servi, puisqu’il n’y a rien pour pénible et difficile qu’il se rencontre en son service, qui empêche ses vrais serviteurs de lui rendre leur devoir, et le rendre avec joie.

2. Du côté du prochainDu côté du prochain. qui est fort édifié, et qui excite en soi un désir de la vertu, voyant le plaisir, et la joie, avec laquelle vivent ceux qui l’aiment, et qui la pratiquent, expérimentant véritable, ce que Salomon a dit de la sagesse ; « La Conversation qu’on a avec elle est exempte d’amertume, de dédain, et de dégoût, vivre avec elle est être en joie continuelle. »25

3. Du côté de l’âme Chrétienne,Du côté de l’âme. laquelle sans cette joie ne peut se plaire en sa vocation, ni s’avancer à la perfection Chrétienne. La tristesse, comme j'ai dit {p. 856}ci-dessus, étant comme une forte barrière qui l’empêche de passer outre, et même le fait reculer.

4. Du côté du DiableDu côté du Diable. qui est tout confondu, ainsi que l’étaient les tyrans quand ils voyaient la gaieté et la constance des Martyrs, car il pense attirer les âmes à son parti, sous l’amorce du plaisir et de la réjouissance, et il voit que ceux qui le quittent pour servir à Dieu, en ont beaucoup plus, et avec meilleur fondement, que ceux qui le servent.

Je ne veux pas m’arrêter davantage à la preuve de cette vérité ; car en la sixième Partie de ce premier Tome, j’en parlerai plus amplement, lors que je combattrai les six prétextes desquels les hommes se servent pour ne s’occuper pas à bon escient aux affaires de leur salut, un desquels est celui de la mélancolie, qu’on s’imagine être en cette occupation.

Comme la joie et les récréations de l’âme Chrétienne ne sont pas seulement intérieures, mais aussi extérieures, et corporelles.
§. II.

En deux manières pouvons-nous dire, que l’âme vraiment Chrétienne, est en une continuelle joie.

La première et la principale est l’intérieure,Deux sortes de joies. et de récréations. Les intérieures en l’âme car l’exercice et la pratique de la vertu, porte avec soi une grande paix, joie, et tranquillité de cœur, qui est comme un avant-goût des joies, et des délices du Paradis : comme à l’opposite, le péché traîne avec soi sa peine, et est un commencement de celle à laquelle il engage le pécheur dans un Enfer éternel : ce qui a fait dire au Philosophe Sénèque, « Que la plus grande peine du péché est d’avoir péché. »29

Et saint Augustin loue Dieu, de ce « qu’il a si bien ordonné de tout, qu’il a fait, que l’âme déréglée qui s’émancipe du saint Ordre des Lois de Dieu, est une peine à soi-même ».30 Et saint Paul a assuré, « que le pécheur qui fait mal {p. 857}n’a que peine et angoisse, l’homme vertueux gloire, honneur, paix, joie et repos en son âme» .31

La seconde est extérieure,Les extérieures et corporelles. qui concerne le corps, et qu’ordinairement on appelle récréation, comme sont, 1. prendre l’air, 2. se promener, 3. s’entretenir en des devis et des discours joyeux, 4. jouer du luth, de la guitare, de la harpe, des épinettes, des orgues, et semblables instruments. 5. chanter en musique, ou entendre chanter. 6. aller à la chasse. 7. jouer à quelque jeu licite, qui montre l’habilité et l’industrie du corps et de l’esprit, comme sont les jeux de paume, du ballon, du paille-mailII, des boules, des échecs, des tables, du billard, ou courre à la bague. 8. se trouver aux bals, danses, comédies, et même y danser, ou y jouer son personnage comme les autres.

Différant à parler de la première joie, qui est intérieure, et qui accompagne toujours celui qui vit bien, de laquelle je traiterai en la sixième Partie de ce premier Tome ; je ne m’arrête ici qu’à la seconde, et prouve en ce paragraphe, que tant s’en faut qu’on défende aux âmes vertueuses ces honnêtes récréations corporelles, que plutôt on les leur conseille, et on se plaint si elles les refusent, et se bandent trop l’esprit.

Les raisons en sont évidentes :Raisons pourquoi l’Ame Chrétienne peut et doit prendre des récréations corporelles et extérieures.

1. La première, tel a été le sentiment des Philosophes, et des Théologiens,Première. C’est l’avis de tous les Sages. qui traitant des vertus, en ont mis une qu’ils appellent Eutrapélie, laquelle préside aux jeux, et aux récréations, et met le milieu, ou la médiocrité en icelle, retranchant les deux extrémités ; l’une est vivre avec une austérité trop grande, sans vouloir converser avec les autres, et se recréer, faisant toujours une vie sauvage, et quasi farouche : l’autre extrémité est, vouloir toujours rire, jouer, se recréer, de façon, que cela soit plutôt occupation et vacation, qu’un simple divertissement. La vertu d’Eutrapélie se met au milieu, ni trop, ni trop peu, selon les pratiques que j’en donnerai en l’article suivant.

{p. 858}Aristote parle amplement de cette vertu en ses Morales35.

Sénèque dit à son ami Lucile, « Tu mêleras les choses sérieuses de quelque joyeuseté, mais avec tempérance, il faut donner quelque relâche à l’esprit, de peur qu’il ne vienne à se dissoudre, ou à se fondre dans l’empressement des affaires, il le faut médiocrement relâcher pour être puis après plus vigoureux, et comme tout renouvelé pour pratiquer la vertu. »36

L’Orateur Romain n’a pas manqué de donner cet avis à son fils, lorsqu’il lui donne des bons préceptes pour la vertu, au livre premier de ses Offices, « Il est loisible de jouer, et de rire, mais modérément, comme avec médiocrité on se sert du sommeil, et des autres intermissions ou relâches, lorsqu’on a satisfait aux affaires importants et sérieux. »37

Saint Clément en son Pédagogue, ordonne, qu’on donne aux jeunes gens un lieu député pour exercer le corps, de peur qu’ils ne tombent malades, et aussi pour leur récréation, de peur que leur esprit ne se bande trop.

Saint Jérôme expliquant ces paroles de l’Ecclésiaste ; « Il y a des temps destinés pour les embrassements, et il y en a d’autres èsquels il s’en faut retirer »38, dit que le temps destiné pour les embrassements, est celui auquel l’Ame Chrétienne s’occupe à l’acquisition de la sagesse, traitant et conversant avec elle, et que le temps destiné pour s’en retirer, est celui auquel on jette son esprit sur quelque autre objet, afin de l’égayer un peu, et de le débander.

La seconde raison se prend de l'état et condition de la nature humaine ;Seconde raison, la condition de l’homme les requiert. l’homme n’est pas un pur esprit, mais un esprit lié à un corps, qui a besoin du corps, pour faire ses fonctions ; et comme il a besoin du sommeil, du manger, du boire, du repos, pour réparer les forces du corps affaibli ; aussi a-t-il besoin de quelque récréation pour rafraîchir les forces de l’esprit.

Les Anges, qui sont de purs esprits, hors du mélange d’un corps, n’ont pas besoin de tels jeux, et récréations, étant incapables d’altération, ou de diminution de leurs forces, et puissances spirituelles : l’esprit de l’homme {p. 859}est comparé à un arc, si vous le bandez toujours en fin il se rompra.

Cassian40 raconte, qu’un chasseur trouva un jour Saint Jean l'Evangéliste tenant une perdrix sur le poing, et la caressant par récréation, étonné de cela il lui demanda, comment se pouvait-il faire qu’un homme d’un si grand esprit s’occupât, et se recreât en une chose si basse ; auquel Saint Jean répartit, pourquoi ne portez-vous pas toujours votre arc bandé ? de peur, dit-il, de le rompre ; car demeurant ainsi courbé, il a plus de force pour s’étendre : et moi, ajouta le Saint, j’en fais de même, je me recrée avec cet oiseau, afin qu’avec plus de vigueur, de corps et d’esprit, je m’emploie puis après aux affaires sérieux de ma charge.

Les animaux que vit Ezéchiel,41 avaient des ailes, et des pieds ; avec les ailes ils volaient en haut, avec les pieds ils marchaient sur la terre : voilà la figure des deux sortes de récréations, que j'ai mis au commencement de ce paragraphe ; l’intérieure que l’âme reçoit volant vers Dieu, s’occupant en la connaissance, et amour des choses Divines.

L’extérieure et corporelle qu’on prend en quelque chose de la terre.

Les oiseaux de Paradis, sont presque toujours en l’air, sinon quand pour se soulager un peu du battement de leurs ailes, qui est presque continuel, ils s’accrochent aux arbres avec de petits filets qu’ils ont au lieu des pieds.

La troisième, je la tire de la pratique, et de l’exemple des Saints,Troisième raison, les Saints les ont pratiquées. qui ont pris ces divertissements aux jeux et récréations.

Saint Jean l'Evangéliste, avec une perdrix ; S. François, avec des petits agneaux ; S. Gilles, avec une biche ; S. Onufre, avec les oiseaux ; Saint Louis ne voulait pas que soudain après le repas, on parlât d’affaires, ou on allégât des choses doctes, et spéculatives ; mais bien qu’on dise avec toute honnêteté quelques joyeusetés pour recréer les esprits.

S. Charles Borromée, quoique au reste fort sévère {p. 860}aux récréations excessives, néanmoins condescendait par charité avec les Suisses, en certaines libertés de leur pays, qu’il pouvait accorder sans offense de Dieu.

Sainte Elisabeth Reine de Hongrie, jouait et se recréait ès assemblées qui se faisaient pour passe-temps. Saint François Xavier, par ses joyeusetés et gaillardises en conversation, et même par le jeu, a gagné beaucoup d’âmes à Dieu.

Saint Ignace de Loyola43 visitant un jour un Citoyen de Rome, le trouva jouant au billard, invité à jouer avec lui, l’accorda ; mais avec une sainte condition, que celui qui perdrait, ferait l’espace de trente jours la volonté de celui qui gagnerait ; Dieu bénit tellement ce jeu, que le Saint, qui n'avait jamais manié ni bille, ni billard, gagnait à chaque coup, et la partie finie, le vaincu se mit entre les bras de ce Saint, obligé par sa promesse, de faire l’espace de trente jours, tout ce qu’il voudrait : le Saint lui conseilla une retraite durant ces 30. jours, pour vaquer aux exercices spirituels ; le fruit desquels il ressentit tout le reste de sa vie.

Jésus-Christ même, si sérieux en toutes choses, se recréait avec les petits enfants, disant ; « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez pas de s’approcher de moi, il les caressait, et leur mettait ses sacrées mains sur la tête : » 44 parfois voyant ses disciples lassés des travaux de la prédication, il les menait en quelque lieu champêtre, et là les faisait reposer quelque temps ; et comme il est fort probable, leur commandait de débander un peu leur esprit par quelque honnête récréation : ce que je collige de ces paroles de l'Evangile de Saint Marc ; « Les Apôtres s’assemblèrent à l’entour de Jésus, et lui racontèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné ; lors Jésus leur dit, venez, retirons-nous à l’écart en un lieu désert, et là reposez-vous un peu de temps. »45

La quatrième raison est,Quatrième raison, plusieurs vertus se peuvent pratiquer en icelle. qu’il n’y a sujet aucun de défendre telles récréations, parce qu’on les peut prendre sans aucun dérèglement, en gardant les pratiques que je donnerai en l’article suivant ; et on peut en icelles faire voir plusieurs vertus.

{p. 861}1. La Prudence ;La Prudence. prenant ce moyen-là pour une fin meilleure, reculant, comme l’on dit, pour mieux sauter, se reposant un peu pour plus longuement travailler, perdant un peu pour gagner beaucoup.

2. La Charité ;La Charité. quand pour recréer un malade, ou pour s’accommoder et condescendre à la faiblesse des autres, ou pour leur gagner le cœur par telles privautés et familiarités, ou pour faire voir qu’on n’improuve pas, ni ne condamne pas les récréations des autres, on se joint avec eux, et on se recrée avec eux.

3. La Modestie ;La Modestie. laquelle se fait paraître plus, lors qu’il y a plus de danger de la perdre.

4. La Dévotion ;La Dévotion. laquelle d’ordinaire se perd en ses divertissements, et les bonnes âmes l’y conservent avec toute douceur, comme je dirai ci-après.

La pratique que l’Ame Chrétienne doit garder en ses récréations, jeux et autres divertissements, pour en iceux mériter l’Eternité.
Article Second.

Puisque Dieu vous a créé pour le Ciel, ô Ame Chrétienne, et qu’il veut que vous vous recréiez extérieurement ; il faut conclure que vous pouvez mériter le Ciel en jouant, et en vous recréant ;On peut mériter le Ciel on jouant et se recréant. et d’autant que la mort vous peut arriver aussi bien en jouant, comme en priant ; il est convenable que vos jeux, et vos récréations soient tellement faites, qu’en icelles Dieu soit honoré, votre salut éternel avancé, et que la mort vous arrivant durant icelles, elle ne vous surprenne pas, ni ne vous trouve pas en l’exercice d’une action, où Dieu trouve quelque sujet de déplaisir : c’est où je vise en cet article, vous enseignant la pratique pour jouer, et pour vous recréer, sans aucune offense de Dieu, et avec du mérite devant Dieu.

Pour aller par ordre en cette pratique, je présuppose {p. 862}que ces récréations peuvent être de deux sortes ;Les récréations extérieures sont de diverses sortes. les unes de paroles seulement, qu’on dit, ou qu’on entend pour se recréer ; les autres d’actions, comme sont les jeux, les bals, et danses, etc. je donne ici les aides pour faire de joyeuses et saintes récréations, en toutes ces deux manières.

Comment il se faut comporter aux récréations des paroles, pour par icelles gagner l’Eternité.
§. I.

Cette sorte de récréation se peut faire, ou disant quelque discours plaisant et récréatif ; ou l’entendant dire aux autres, soit en particulier, soit en public, ès tragédies, ou comédies : J'ai quatre avis à vous donner pour telle sorte de récréations.Quatre avis pour se bien comporter en ces récréations. Premier Elever le cœur à Dieu renouvelant la pure intention.

Le premier, Que vous n’alliez jamais en ces récréations, sans avoir élevé votre cœur à Dieu, et sans renouveler votre intention, qui ne doit être autre, que de lui plaire, et de lui obéir en cette action, aussi bien qu’aux autres ; puisque, comme j'ai dit en l’article précédent, il a été si bon, que de vous obliger à prendre quelque divertissement et récréation ; comme il a été si bon que d’ordonner en la loi de Moïse quelque repos, et rafraîchissement pour les bêtes, ayant commandé, « qu’on baille du repos au bœuf, et à l’âne, un jour la semaine » :54 allez-y aussi pour obéir à ceux qui ont pouvoir de vous commander, et pour conserver la charité, laquelle est entretenue en ces conversations, ou récréations ; offrez à Dieu cette action à votre ordinaire, vous mettant en sa sainte présence, demandant sa bénédiction, et l’unissant avec la semblable que Jésus-Christ faisait étant avec ses Apôtes.

Le second, Que ces discours récréatifs,Second Que les discours récréatifs n’aient rien de mauvais, et soient bons. ou que vous ferez, ou lesquels vous vous plairez d’entendre des autres, n’aient rien d’impie, ni de nuisible au prochain, ni ne soient contre la vérité, ni ne ternissent la beauté de la chasteté, en un mot qu’ils soient bons.

{p. 863}L’Orateur Romain, au premier livre de ses Offices, distingue deux genres de discours joyeux et récréatifs, l’un qu’il appelle, « illibéral, sans civilité, sans respect, accompagné de pétulance, et de vice ; l’autre courtois, ingénieux, facétieux » :56 celui-ci est louable, celui-là blâmable ; car telle récréation est une dissolution ; et est une chose infâme, que le valet ne puisse se donner du passe-temps, sans offenser son maître, qui est Dieu, et sans lui causer de l’ennui, tandis que lui ne fait que rire.

Vous trouverez beaucoup de personnes qui ont écrit contre les Comédiens, et contre ceux qui les écoutent :Les comédies sont de soi indifférentes, il faut abhorrer les mauvaises. je ne veux pas être si sévère, qu’absolument je blâme ni ceux qui les font, ni ceux qui les écoutent ; car je sais qu’on en a fait de fort belles, desquelles on a pu sortir ayant l’esprit plus gai et débandé, sans être aucunement souillé, ni autrement intéressé : en celles-là vous y pouvez assister sans scrupule, si peut-être votre vacation particulière, ou quelque autre circonstance ne vous en empêche : mais aux autres qui représentent, ou disent des choses qui portent à l’impudicité, et blessent la charité, ne vous y trouvez jamais ;Le mal qu’il y a aux comédies. car outre le mauvais exemple que vous donneriez à ceux qui vous verraient, qui n’eussent jamais cru cela d’une personne qui fait profession d’une vertu et dévotion particulière, et qui voulant par conscience s’en retirer, s’y porteraient sans scrupule, estimant licite tout ce que vous faites ; outre, dis-je, ce mauvais exemple, vous n’en sortirez jamais sans quelque mauvaise impression, laquelle vous distraira en vos Oraisons, et insensiblement vous fera goûter les appas du monde, que vous faisiez profession de mépriser. C’est un grand trait d’imprudence, pour avoir un peu, perdre beaucoup ; et pour une récréation extérieure, perdre les intérieures ; pour un plaisir d’une heure, se mettre en danger de perdre les éternels, et d’encourir une cuisante peine ou au purgatoire, ou en l’enfer ; à l’un desquels infailliblement vous seriez condamnée, si sans avoir loisir de vous reconnaître, la mort vous trouvait en telle récréation, comme il peut arriver : Saint Cyprien a dit, « Que la plus grande volupté est d’avoir {p. 864}surmonté, et quitté la volupté » :59 aussi je vous dis, que la plus belle récréation est, d’avoir quitté telles récréations, on dit que l’herbe Sardonique fait mourir en riant ; les plaisirs pris en telles assemblées, vous chatouillent, et vous font rire, mais en riant ils vous tuent. C’est cette tasse que tenait en sa main cette femme vue par Saint Jean en son Apocalypse, « dorée par dehors, mais au dedans pleine d’abominations » :60 C’est le vin que le Sage dit, « devoir enfin mordre comme la couleuvre » ; c’est le scorpion qui adoucit avec sa bouche, mais pique, et empoisonne avec sa queue ;61 « c’est ce chemin qui semble bon et beau, mais enfin aboutit à la mort »,62 non tant du corps, que de l’âme.

Le troisième ;Troisième, comment ou peut assister aux comédies mauvaises sans blesser sa conscience. s’il arrive que vous soyez contrainte, soit par vos parents, soit par d’autres, à qui vous n’osiez pas refuser de vous trouver en des compagnies, où les discours récréatifs ont quelque chose de mal, et sont contraires à la volonté de Dieu : de peur d’y intéresser votre âme ; imitez Sainte Catherine de Sienne, dressez en votre cœur une cellule ou cabinet, et une secrète retraite, en laquelle votre esprit demeure, se retire, et traite avec Dieu ; lors vous y pourrez être, sans encourir aucun dommage, et quasi sans savoir ce qu’on y a dit, ou fait.

Combien de fois vous est-il arrivé, qu’étant fort attentive à penser à quelque chose, ou à l’écouter, vous n’avez pas pris garde ni au bruit qui se faisait, ni à voir ceux qui passaient devant vous, ni à entendre ce que les autres disaient : Le même ne vous peut-il pas arriver, si en telles récréations vous êtes attentive à Dieu, votre vue le voit, et votre cœur lui parle, aussi bien peut-être comme en une Eglise, car tout le monde étant rempli de Dieu, vous doit servir d’Eglise.

Le diable a eu tant de pouvoir sur une Damoiselle, que sa mère voulait retirer de vanités du monde, (èsquelles elle ne se plongeait que trop) et pour cela la menait avec soi au sermon d’un Prédicateur, par la bouche duquel Dieu touchait les cœurs, pour être tout à fait {p. 865}à lui sans aucune réserve : Satan, dis-je, fit tant qu’il lui persuada de se mettre du coton dans les oreilles, avant que le sermon commençât, pour n’entendre aucun mot, qui peut la porter au bien. La pensée et l’amour de Dieu, le désir de lui plaire, l’affection à votre salut, la crainte d’être tant soit peu désagréable aux yeux divins, ne pourront-ils pas vous servir d’un coton qui estoupe vos oreilles, pour n’entendre les infamies qui se disent en telles récréations ? Cette Damoiselle sortait du Sermon toute joyeuse de n’avoir pas eu sujet d’être touchée de la voix du Prédicateur, pour quitter ses vanités ; et ainsi se moquait de sa mère en son cœur, et s’en riait avec ses compagnes : ne vous sera-t-il pas une grande joie, et une récréation toute divine, d’avoir si bien trompé le monde, et Satan qui en est le prince, que vous aurez été comme la rose entre les épines, ou comme les Iles Chélidoines, lesquelles ont une eau très douce, quoique entourée de tous côtés de l’eau salée de la mer : ou comme les mères perles qui dans la mer n’ouvrent jamais leurs coquilles, pour recevoir une goutte de son eau, mais bien de celle de la rosée du Ciel ; c’est triompher du monde, du Diable, et de la chair, que d’en faire ainsi. Vous imiterez les bons Anges qui portent toujours leur Paradis, et leur béatitude avec eux, et quoiqu’ils soient dans cette misérable terre, parmi tant de pécheurs, ils ne perdent néanmoins jamais Dieu de vue, et ne sont point endommagés par eux. Vous serez comme les trois enfants jetés dans la fournaise ardente en Babylone, un seul cheveu de leur tête n’en fut point brûlé, ni leur robes aussi ; ains cette fournaise leur servit de rafraîchissement, comme une douce rosée ; une mauvaise pensée représentée par les cheveux, le dérèglement en votre corps, qui est comme la robe de l’âme, ne se trouveront point en vous : ains (ce qui est plus admirable, et qu’est arrivé à quelques bonnes âmes que je ne puis nommer, parce qu’elles vivent encore) vous sortirez de ces lieux-là, avec la douce rosée de la dévotion, et de l’union avec Dieu, comme si vous sortiez d’une Prédication, ou d’une {p. 866}Méditation ; ceci semblera étrange à ceux qui ne connaissent pas, comme Dieu traite les âmes qui lui sont fidèles en tout et partout ; ce que j'écris est néanmoins véritable.

Bref, en sortant de là, vous chanterez à Dieu un Cantique de louange ; disant avec cette sainte ; « Je vous louerai mon Dieu, mon Sauveur, parce que étant au milieu des flammes, je n’ai point été brûlée » ;64 Et avec David, « O mon Dieu je vous rendrai les vœux que je vous avais fait avant que de venir ici ; car je n’ai pas oublié que je vous avais promis de vous louer, et de vous remercier : je le fais parce que vous avez délivré mon âme de la mort, qui en a tué tant d’autres en ce lieu ; et avez préservé mes pieds de la chute : O que cela m’oblige de vous plaire durant le temps que je suis en cette vie, éclairée de la lumière de la Foi, qui donne la vie à une âme. »65

Le quatrième,Quatrième, Prendre garde à quatre choses. A sa condition. Vous trouvant en ces récréations qui se font par paroles, ayez égard, 1. à votre qualité et condition, de ne dire rien indigne de votre vocation ; « Le Prince parlera en Prince, et selon la dignité du Prince »,67 disait le Prophète : Ainsi le Religieux, le Prêtre, celui qui fait profession de la vertu et de la dévotion, doit parler selon sa qualité, car la récréation ne lui ôte pas son honorable qualité, il la faut garder, et la témoigner en cette action aussi bien qu’aux autres.

2. Au temps,Au temps. non seulement pour n’employer pas à cela tout le temps, ou la meilleure partie d’icelui ; car il y a des occupations plus importantes, qu’il faut préférer à celle-là, autrement ce ne serait pas vous recréer par divertissement, ains par occupation ; mais aussi pour choisir les heures, et le temps qui est propre à cela, comme d’ordinaire est, après le repas, ou après avoir été occupé et bandé en quelque affaire pénible, soit pour l’esprit, soit pour le corps ; car à proprement parler, la récréation n’est pas convenable qu’après le travail, et le travail est le mérite de la récréation : Ainsi la Sagesse divine disait, « Qu’elle avait tout rangé et disposé avec Dieu, et puis qu’elle se recréait jouant en ce monde en sa présence. »69

3. A ceux avec qui vous traitez, vous accommodant {p. 867}tant que faire se pourra à leur humeur, vous souvenant que quand on se recrée,A ceux avec qui on se recrée. on ne prêche pas, ni on ne baille pas des Méditations, mais on a quelques bons discours qu’on peut entendre sans se bander ; et on peut y être honnêtement recréé : à quoi encore peut servir quelque lecture récréative, avec liberté à chacun de dire son petit avis sur ce qu’on dira, ou qu’on lira.

4. Au profit qu’il faut tirer de tels discours récréatifs ;Au profit qui s’en peut retirer. de façon que tout en riant, et vous recréant, vous preniez dextrement occasion de dire quelque chose qui soit pour édifier les autres, et leur mettre en l’âme quelque bonne et sainte pensée : C’est l’avis de saint Paul, écrivant aux Ephésiens, « Qu’aucune mauvaise parole ne sorte de votre bouche, mais celle qui édifie, qui rend plus agréables à Dieu ceux qui l’écoutent ; et ne contristes pas le saint Esprit » :72 Et en la même Epître il défend « les paroles qui ressentent, ou l’impureté, ou la bouffonnerie »,73 lesquelles contristent le saint Esprit qui est là présent, ou bien les personnes vertueuses, dans lesquelles est le saint Esprit.

J'ai vu des bonnes âmes en leurs récréations, faire des jolies conférences spirituelles sur une fleur, sur un fruit d’un arbre, sur un astre du Ciel, et choses semblables ; et sans s’y être préparées, dire de si belles choses, et si récréatives, qu’on sortait de telles récréations enflammé en Dieu, comme d’une Prédication, ou d’une Méditation ; et néanmoins avec tant de joie et de gaieté d’esprit, que tous ceux qui en offensant Dieu se recréent dans le monde, n’en pourraient jamais avoir une pareille.

Comme il se faut comporter ès récréations qui se font par des jeux.
§. II.

Outre l’avis général de ne commencer point à jouer sans jeter une œillade à DieuComment il faut commencer le jeu. qui est là présent, et sans renouveler votre intention, lui offrant {p. 868}cette action unie à la semblable que les Saints ont fait çà bas en terre, et par laquelle ils ont mérité le Paradis ; et unie à celle, non pas que nous lisions que Jésus-Christ ait fait, mais qu’il pouvait faire, et qu’il eût fait, si la gloire de son Père, et le salut des âmes l’eût requis : outre cela, dis-je, (qui doit être ordinaire à toutes vos actions,) pour ne faire rien qu’en homme, et en homme Chrétien ; et pour n’avoir jamais une action vide et oisive : Il faut que vous vous gardiez de cinq défauts qui peuvent arriver au jeu, ou pour mieux dire que vous ayez grand égard à cinq choses qu’on doit considérer au jeu.Pour n’offenser par Dieu au jeu, il faut prendre garde à cinq choses.

1. La personne qui joue. 2. L’intention avec laquelle on joue. 3. Le temps qu’on met à jouer. 4. La somme qu’on joue. 5. La façon de jouer.

Quant au premier, qui est la personne qui joue,Première, A la personne qui joue. souvenez-vous que toute sorte de jeu n’est pas convenable à un chacun : « La beauté de la vie demande, dit saint Ambroise, de donner à un chacun ce qui est convenable à son sexe, et à sa condition » :77 Car quoique le jeu de soi ne soit pas une mauvaise action, mais plutôt indifférente : néanmoins il peut être mauvais et indécent, plutôt à une sorte de personnes, qu’à une autre. Autre jeu est pour les femmes, autre pour les hommes, autre pour les Ecclésiastiques, autre pour les laïques, autre pour les réguliers, autre pour les séculiers, autre pour les enfants, autre pour les hommes faits : comme être vêtu de soie, ou être traité de viandes exquises et délicates ou converser avec les femmes n’est pas précisément péché ; mais à un qui fait vœu de pauvreté, et qui par sa profession est retiré du monde, ce n’est pas sans péché où il n’y a point de nécessité.

Quant au second,Seconde A l’intention pour laquelle en joue. qui regarde l’intention, je ne veux pas ici disputer, à savoir si celui qui joue seulement pour avoir le plaisir du jeu, ou seulement pour gagner au jeu, pèche ; je me contente de dire, qu’ayant déjà souvent instruit l’âme Chrétienne à faire tout ce qu’elle fait avec esprit, et conformément à la raison qui regarde le bien honnête, plutôt que l’utile et le délectable ; {p. 869}elle gardera le même avis en cette-ci, puis qu’elle est obligée de ne faire rien que par la conduite de la droite raison, rapportant le tout à une fin honnête ; comme j'ai déclaré plus amplement au Chapitre sixième de cette seconde Partie, quand j'ai parlé des occupations : et en la première Partie, au Chapitre second, parlant de l’intention.

Je n’improuve pas qu’on joue pour le plaisir, et pour le lucre, mais j'improuve qu’un homme, et un Chrétien ait cela pour la première, la principale, et l’unique fin du jeu ; et pour le seul motif de le commencer, et de le continuer.

Les âmes vraiment bonnes, jouentLes bonnes intentions qu’on peut avoir au jeu. 1. Parce que Dieu le veut, et si elles croyaient que Dieu ne le voulût pas, jamais ne joueraient : 2. Pour plaire à Dieu, et pour l’honorer en cette action, aussi bien que S. Paul ordonne « qu’on mange et boive, pour l’honorer et glorifier » ; car la modestie et autres bonnes conditions qu’on garde en jouant, glorifient Dieu, qui ayant établi les travaux, sans lesquels aucun ne passe sa vie, il a voulu aussi qu’on les interrompît par quelque honnête récréation, en laquelle l’homme ne se relâchât en rien de sa dignité d’homme : la passion ne l’emportant point, mais la raison le gouvernant, qui est en l’âme, la plus belle marque de l’image de Dieu. 3. Elles jouent, pour avec plus de vigueur du corps et de l’esprit, s’occuper puis après au service de Dieu, et au devoir de leurs charges, ayant réparé par le repos, et par ces divertissements, les forces que le travail avait diminué ou épuisé : et c’est à cette intention, où se rapporte la présence de Dieu, tant de fois recommandée en l'Ecriture sainte, à ceux qui jouent et se recréent ; « Que les justes se réjouissent, et se recréent en la présence de Dieu. »80 « Je jouais devant lui sur le rond de la terre »,81 dit la Sagesse divine, nous apprenant, que nos jeux récréatifs doivent être faits devant Dieu, en quatre manières :In quatre manières on peut jouer devant Dieu. 1. comme devant l’objet principal de nos récréations, « recréez-vous en Dieu, et il vous accordera ce que vous demandez »,83 disait David : Dans le Ciel, vos récréations seront en lui, et avec lui ; çà-bas en terre, il vous a permis les jeux récréatifs {p. 870}s’accommodant à notre infirmité ; et est recréé en iceux, quand il voit la bonne intention que nous avons en les faisant, et les bonnes circonstances, desquelles nous les accompagnons.

2. Comme devant la fin d’icelles, puisque nous devons procurer de recréer Dieu, et de lui donner du plaisir en nos récréations ; et c’est en ce sens que j’explique les paroles de David, « servez à Dieu en la joie » ;84 c’est-à-dire, faites que votre joie, et votre récréation soit un service à Dieu, aussi bien que votre Oraison ; et que Dieu se réjouisse en elle, comme les courtisans jouent devant le Roi pour le recréer.

3. Comme devant la règle et l’exemplaire des récréations ; car Dieu après avoir travaillé six jours à bâtir, et à orner ce monde, se reposa : et s’il faut ainsi parler, se recréa au septième jour, « lequel il sanctifia »,85 comme parle l'Ecriture, et par la sanctification qu’il donne au jour de son repos, et de sa récréation, il nous sert de règle pour sanctifier les nôtres, à ce qu’en icelles il ne se fasse rien contre la sainteté.

4. Comme devant l’Auteur des récréations, lesquelles il a voulu, et ordonné pour le bien de l’homme.

Vous voyez combien beau, récréatif, et profitable sera un tel jeu à une âme, laquelle y va avec une si sainte intention, qui sanctifie cette action, quoique de soi elle semble bien basse.

un cheveu est fort peu de chose, et néanmoins en la teste, ou au col de l'Epouse de Dieu,86 laquelle ne regarde qu’à lui plaire, et à le contenter, aussi bien ès petites choses comme ès grandes, il a telle force qu’il navre et emporte le cœur du même Dieu.

Procurez donc, âme Chrétienne, cette intention en votre jeu, vous y mériterez beaucoup ; ne jouez pas par le seul motif de la nature, et du sentiment (les bêtes jouent ainsi à leur mode,) ni même par le seul mouvement de la raison, car un Philosophe Païen le peut ainsi faire ; mais relevez votre jeu à un motif plus haut, qui est la volonté, et le bon plaisir de Dieu. « Ceux qui sont mûs et portés par l’Esprit de Dieu, sont ses enfants »,87 dit saint Paul, « et là où l’esprit de Dieu portait les quatre animaux », attelez au {p. 871}chariot de la gloire de Dieu, « là ils marchaient », dit Ezéchiel.

Jouant de la sorte, vous gagnez beaucoup, quoique vous y perdiez votre argent ; et gagnez cent fois plus que ceux qui vous ont gagné, comme le moindre bien spirituel est cent fois un plus grand bien, que le plus grand bien temporel : Gardez-vous des mauvaises intentions que quelques-uns apportent au jeu, comme sontQuelles sont les mauvaises intentions an jeu. 1. de gagner en trompant, ou de tromper pour gagner, car outre qu’on est obligé à restituer tout ce qu’on a gagné en trompant, comme si l’on l’avait dérobé, selon l’opinion de tous les Casuistes : c’est offenser Dieu avoir seulement cette volonté, quoiqu’il arrive que l’on ne gagne rien : et quand on gagnerait un million d’or, on aura toujours plus perdu que gagné ; car la perte se fera du spirituel, et de l’éternel ; et le gain ne sera que d’une chose terrestre et temporelle.

2. D’induire quelqu’un au mal, par le moyen du jeu ; ainsi souvent arrive que les femmes soient excitées au mal par les hommes, et les hommes par les femmes, sous prétexte du jeu.

Quant au troisième qui concerne le temps du jeu ;Troisième chose à laquelle il faut prendre garde et le temps du jeu. Le jeu est mauvais à raison de temps. j'ai à vous dire que chaque chose a son temps, et que la prudence enseigne de faire tout en sa propre saison : on pèche au jeu quant au temps ;

1. Lors qu’on joue en un temps destiné et ordonné pour une autre occupation, par exemple, le matin avant que d’avoir prié Dieu, ou au temps qu’il faut ouïr la Messe : lorsqu’un Juge doit aller écouter les parties, et faire justice à ceux qui l’en requièrent ; ou qu’un Conseiller doit se trouver au Parlement, avec ses Collègues ; le soir quand il faut faire son examen, ou autres prières : Bref, quand le jeu empêche une occupation plus nécessaire, soit pour nous, soit pour notre prochain ; et certes s’il est loisible de quitter l’Oraison et la Messe, pour une œuvre de charité, qui ne peut être différée ; combien plus sera on obligé de quitter le jeu.

2. Lors qu’on emploie trop de temps au jeu, vous en verrez qui ne font que jouer dès le matin jusques au soir, d’autres qui emploient à cela les meilleures heures de la journée, et ne peuvent se retirer du jeu : c’est d’eux {p. 872}qu’on peut entendre ces paroles ; « ils ont estimé la vie n’être qu’un jeu, ou bien que le jeu était leur vie »,90 tous les deux sont blâmables ; voici la raison.

1. Faire ainsi, n’est pas une récréation, mais une occupation ; ni un divertissement, mais un accablement ; ni un soulas de l’esprit, mais une ruine : il en est du jeu, et des récréations, comme des viandes, du sommeil, et de la médecine, en prendre trop, c’est détruire sa santé et ses forces, non pas les réparer, il en est de même du jeu.Jouer longtemps nuit beaucoup.

2. Jouant si souvent, et si longtemps, l’esprit s’accoutume à une fainéantise, se rend inhabile aux affaires sérieux, ne parle que du jeu, ne pense qu’au jeu. Les Médecins oublient leurs malades, et les laissent mourir par faute de les visiter ; l'Avocat n'étudie pas bien le procès qui doit plaider ; le Juge renvoie à tout propos les parties, èsquelles il devait donner audience ; les Ecclésiastiques laissent à dire leur Bréviaire, ou le diffèrent si tard qu’ils s’endormiront en le disant ; et par leurs jeux renverseront le bel ordre que l’Eglise a institué pour le réciter ; les femmes n’auront point le soin de leurs familles, ni les maris aussi, etc.

3. Ces joueurs font contre la fin du jeu, qui est se divertir, et se recréer après le travail : or ceux-ci, ou ils ne travaillent point, ne s’occupant qu’à jouer, ou au lieu de se recréer, ils se lassent, ils fatiguent l’esprit, harassent le corps, et ont besoin de repos, après avoir fait semblant de se servir du jeu par manière de repos ; être cinq ou six heures à jouer aux échecs, ou aux cartes, ou à la paume, n’est pas à mon avis un divertissement de l’esprit, ni un repos pour le corps.

Soyez plus sage que ceux-ci, âme Chrétienne, jouez rarement ; car Dieu vous a mis au monde pour travailler, pour vous bien occuper, et pour vaquer à des actions dignes d’un homme, dignes de l’éternité ; vous êtes ici au lieu de pénitence, et des larmes : Si faire se pouvait, vous devriez vous priver çà-bas de toute sorte de jeu, tant pour acquérir là-haut les récréations divines, comme pour satisfaire à Dieu, pour les péchés {p. 873}qui vous ont privé de joies du Ciel, et vous ont engagé aux supplices d’un enfer : mais puisque Dieu condescendant à votre faiblesse, veut que vous vous recréiez, et jouiez ; n’abusez pas de ce congé, ménagez le bien, ayez le temps propre à cela qui ne soit pas nécessaire pour quelque autre occupation meilleure, comme est le temps après le repas, ou après un long travail d’esprit, ou de corps. Si vous suivez mon conseil, vous respecterez certains temps en l’année, èsquels pour l’amour de Dieu vous retrancherez le jeu,Certains temps en l’année èsquels il est bienséant de retrancher le jeu. si peut-être la prudence Chrétienne à raison de quelque circonstance d’une nécessité ou grande charité, ne vous dicte le contraire, ces temps sont,

1. Le Carême, destiné pour la pénitence de tous les péchés de la vie, auquel l’Eglise, au saint Office Divin, nous dicte tous les jours, « retranchons quelque chose du boire, et du manger, du dormir, du parler, du jouer, soyons plus exacts à prendre garde à nous » ;93 mais surtout gardez ceci en la semaine Sainte : j’en ai vu jouer le Vendredi Saint, avec horreur de mon cœur, et je crois que Jésus crucifié l’avait aussi.

2. Les jours de Communion, pour avoir plus de loisir pour bien entretenir le Saint Hôte que vous avez reçu.

3. La veille de la Communion, principalement de celles qui vous sont plus importantes, comme celles du premier Dimanche des mois, et des fêtes de Notre Seigneur, et de la Vierge ; faites cela pour une préparation à votre Confession, et pour une meilleure disposition à la Communion ; plusieurs jeûnent, ou font quelque abstinence en ce jour-là ; le retranchement du jeu sera pour vous au lieu du jeûne.

Quant au quatrième,Quatrième, la somme qu’il faut jouer. qui touche la somme qu’on joue, ou le gain qu’on y fait ; il est assuré qu’on peut exposer quelque chose à gagner à celui qui jouera mieux ; car au jeu il y a quelque habilité, et industrie ou du corps, ou de l’esprit, ou de tous les deux ; le gain sert de prix, ou de récompense d’icelle : mais il faut prendre bien garde que ce prix ne soit pas trop grand, il y a du {p. 874}péché en l'excès d’icelui, la raison est,

1. C’est contre la prudence, et la justice, de mettre de grand prix à des habilités, et à des industries de si peu d’importance, et si peu utiles, comme sont celles du jeu.Jouer une somme excessive, est péché.

2. Ce qui est d’obligation doit précéder ce qui ne l’est pas ; payer ses dettes, entretenir sa famille, oblige la conscience d’un chacun, ce qui ne se peut faire, parlant pour l’ordinaire, en jouant ces sommes excessives, lesquelles sont cause qu’au lieu de payer ce que l’on doit, on fait de nouvelles dettes, soit pour jouer, soit pour entretenir sa maison.

3. Les pauvres sont frustrés de leur part et portion, puisque les riches doivent soulager les pauvres de ce qui leur est superflu, et par ainsi ils jouent la substance et la vie du pauvre, qui subsisterait et se conserverait en vie, si l'excès de la somme du jeu lui était appliquée.

4. L’aveuglement de ces joueurs, va jusques à ce point, que l’aumône étant une des œuvres satisfactoires pour le péché, si le Confesseur à l’exemple de Daniel leur dit, « Rachetez vos péchés par aumônes »,96 et si par conséquent il leur en impose quelqu’une, quoique fort médiocre, ils disent qu’ils ne la peuvent pas faire, qu’ils n’ont pas de quoi pour payer leurs serviteurs, et pour élever leur famille, et néanmoins en un coup de dés ils joueront cinquante, ou cent pistoles.

N’imitez pas ces personnes ici, Ame Chrétienne, jouez selon vos moyens, et plutôt moins que trop, soyez l'avocat des pauvres, et pactisez avec ceux avec qui vous jouez en faveur des pauvres, afin qu’ils participent à quelque chose qu’on aura gagné au jeu.

Quant au cinquième, qui concerne la façon de jouer,De la façon de jouer. Les péchés qui se font en la façon de jouer. on peut manquer :

1. Jouant à des jeux illicites par les lois ou Divines, ou humaines ; comme sont les jeux qui sont purement de hasard.

2. Jouant avec trop d’affection, car pour honnête que soit une récréation, c’est vice d’y mettre son cœur, et son affection ; c’est dire, la désirer trop, s’y amuser, et {p. 875}s’en empresser ; il y a d’autres objets à affectionner bien plus relevés que celui-là : ce n’est pas qu’il ne faille prendre plaisir à jouer pendant que l’on joue, car autrement on ne se recréerait pas ; mais il ne faut pas y mettre son affection excessive.

3. Trompant en jouant, ou jouant avec ceux qui jouent ce qui ne leur appartient pas, et qui ne peuvent pas aliéner, comme sont les fils de famille, les Religieux, les femmes, et autres qui dépendent d’un supérieur ; ou contraignent les autres à jouer par menaces et injures, par ainsi les gagnent ; ou faisant contre les lois du jeu ; ou lorsque quelqu’un est fort expert au jeu pour gagner un autre, qu’il connaît n’y entendre que bien peu, et fait semblant de ne savoir pas jouer : en tous ces cas, suivant la plus commune opinion, celui qui gagne, est obligé à la restitution, et péché contre la justice et l’équité.

Comment il se faut comporter ès récréations qui se font par les bals, et les danses.
§. III.

Je présuppose, que les bals et les danses ne sont point de soi des récréations mauvaises, et étant rangées parmi les choses indifférentes,Les bals et danses, choses indifférentes. peuvent être bonnes et méritoires du Ciel, aussi bien que le boire, le manger, et autres plaisirs qu’on donne au corps : et à l’opposite elles peuvent être mauvaises, si elles se font à mauvaise intention, et si elles ne sont convenables à la personne, ou si elles sont l’occasion prochaine du péché. Pour prendre ces récréations, sans endommager la conscience ; je donne ici trois avis.Pour n’être mauvaises, il faut garder trois choses.

Le premier ; que les personnes auxquelles, selon leur état et condition, il est permis de danser, ne prennent pas cette récréation avec une trop grande affection ;Ne danser pas avec trop d’affection. car il est dommage que le cœur de l’Ame Chrétienne, capable de grandes, divines, et héroïques affections, s’occupe {p. 876}à celles qui sont de si peu de valeur, et mette sur le même autel, l’amour des choses spirituelles, et d’une frivole danse, laquelle outre qu’elle est en soi vile et basse, est fort dangereuse, comme maintenant on la pratique ; prenez donc cette action, comme un exercice du corps, un divertissement de l’esprit, une récréation de soi indifférente, laquelle vous pouvez rendre bonne, la rapportant à Dieu.

Le second ; fuyez, tant que vous pourrez, les bals et les danses, èsquelles il y a quelque danger, ou d’offenser Dieu,Fuir les bals, où Dieu peut être offensé. ou d’être cause que les autres l’offensent : l’amour que vous devez à Dieu, vous oblige à cela, trouvez quelque excuse pour vous en exempter ; le salut de votre âme, et de votre prochain, vaut bien plus que le plaisir d’une danse, c’est folie se mettre en danger de perdre celui-là, pour jouir de celle-ci.

Le troisième ; si pour complaire, et condescendre à l'honnête conversation en laquelle vous serez, la prudence vous dicte, qu’il faut vous trouver au lieu où l’on danse, et danser avec les autres, vous le pouvez faire, mais avec ces circonstances.Accompagner la danse de quelques bonnes circonstances.

Souvenez-vous qu’en cette action, aussi bien qu’aux autres, vous pouvez mourir : et parce que vous ne voudriez pas que la mort vous arrivât en faisant une action qui déplût à celui qui vous doit juger ; Retranchez en y allant toutes mauvaises intentions,Avant la danse. que d’ordinaire ont ceux qui y vont, comme sont la vanité, soit ès habits, soit en la beauté, soit aux rangs ; la sensualité ; les querelles ; les envies. Ayez une pure intention, comme ès autres actions indifférentes, de plaire à Dieu, et de l’honorer en cela, soit par la modestie que vous témoignerez, soit par l’habilité et industrie à faire cette action selon la bienséance, et conformément aux règles de l’art ; et aussi de faire quelque exercice corporel, et cette honnête récréation, pour puis après servir à Dieu, avec plus de vigueur de corps, et d’esprit.

Durant icelle,En la danse. soyez sur vos gardes, car vous marchez par un lieu bien dangereux, et bien glissant : élevez souvent le cœur à Dieu, tirez profit pour votre âme, de {p. 877}tout ce que vous y verrez ; étonnez vous de la folie des hommes, et des femmes, de s’empresser plus pour cette action, que pour acquérir le Paradis ; pensez au fruit qu’on en rapporte, qui n’est qu’une lassitude de corps ; un trouble d’esprit, si l’on n’a pas été loué, ni prisé en la danse, ou si l’on n’a pas si bien dansé que les autres ; un remords de conscience pour les péchés qu’on y a fait, ou qu’on a été aux autres, occasion d’en faire ; un regret d’avoir perdu un si long temps, et si précieux, pour gagner l’Eternité.

Après icelle,Après la danse. remerciez Dieu si vous en sortez bague sauve, sans avoir intéressé votre conscience, ni celle des autres. Demandez-lui pardon des manquements que vous connaîtrez y avoir fait, avec un ferme propos de n'y retourner plus ; et pour réparation du temps si mal employé en ces danses, rentrez un peu en vous-mêmes, et servez-vous des considérations que vous donne Monsieur François de Sales, Evêque de Genève, en sa Philotée en la 3. Partie, Chap. 3.

1. En même temps que vous étiez au bal, plusieurs âmes brûlaient en enfer, pour les péchés commis en la danse.

2. Plusieurs Religieux en même temps étaient saintement occupés à chanter les louanges de Dieu.

3. Notre Seigneur, la Vierge, les Anges, et les Saints, vous ont vu au bal, vous leur avez fait grande pitié, voyant votre cœur amusé à une si grande niaiserie, et attentif à cette fadaise.

4. Tandis que vous étiez là, le temps s’est passé, la mort s’est approchée, pour vous faire danser d’une autre danse, par laquelle on passe du temps à l’Eternité, ou glorieuse, ou malheureuse.

5. Tandis que vous dansiez, plusieurs personnes étaient en l’agonie, les autres enduraient de cruelles douleurs et tourments en leurs lits, ou de fièvre, ou de la goutte, ou de la pierre, etc. Vous n’en avez point eu de compassion, vous pourriez être un jour comme elles ; les autres danseront, et ne vous porteront point de compassion.