1677

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677, [tome I]

2014
Source : Le Nouveau Mercure galant, Claude Barbin, mars, 1677.
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Adrien Vialet (Transcription), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I]I. §

[Conversation sur le sujet du Mercure] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 1-26II.

On s’estoit assemblé pour une Partie de Jeu chez une aimable Duchesse, & en attendant quelques Dames qui en devoient estre, comme les choses les plus importantes sont d’abord l’ordinaire sujet des Conversations, on mit sur le tapis les Affaires de la Guerre ; & les suprenantes fatigues qu’a déjà essuyées le Roy dans ce commencement de Campagne, ayant donné lieu de parler des merveilleuses qualitez qui le rendent le plus grand des Hommes. Pour moy, dit un des plus spirituels de la Compagnie, je trouve que ce que fait tous les jours ce grand Monarque, est tellement au dessus de toutes sortes d’expressions, que l’entreprise de le loüer devroit faire peur à ceux-mesmes qui possedent l’Eloquence la plus vive : Il faudroit pour répondre dignement aux nobles idées qu’il nous donne, avoir l’Esprit aussi éclairé qu’il a l’Ame grande, & je doute qu’il y ait personne capable d’atteindre jusques-là ; outre qu’on s’est déja tellement épuisé là dessus, qu’on ne sçauroit presque plus rien dire qui soit nouveau, quoy que sa gloire nous fournisse à toute-heure de nouvelles matieres d’admiration ; & c’est ce qu’il y a de surprenant, que nous soyons en quelque façon bornez dans nos manieres de parler, & qu’il ne le soit pas dans les grandes choses qu’il execute. J’avouë, répondit une jeune Marquise, qu’il est bien difficile de loüer le Roy, sans repeter quelque chose de ce qui s’est déja dit à sa gloire ; mais on y peut donner un tour fin qui ne des-honore pas tout-à-fait la richesse de la matiere, & c’est ce qu’a trouvé fort ingenieusement Monsieur Pelisson, dans le Sonnet que nous avons depuis peu de luy. Il est d’une nouveauté toute particuliere, par Echo, & sans aucune Rime ; mais l’invention en est si heureuse, que peut-estre il vaut bien les Sonnets les plus reguliers. Vous nous parlez d’un Homme qui a fort peu de semblables, dit la Duchesse chez qui la Conversation se faisoit ; & pour persuader du merite de quelque Ouvrage, c’est assez de dire que Monsieur Pelisson en est l’Autheur : Mais voyons ce Sonnet, je vous prie, on m’en a déja parlé avec beaucoup d’estime, & je meurs d’envie de l’entendre. Volontiers, dit la Marquise, & il ne vous coûtera que la peine de m’écouter un moment.

SONNET PAR ECHO,
sans Rime.

 

Toûjours au milieu du Salpestre,    Estre,
 Percer par tout comme un Eclair,    L’air,
 Ne se plaire qu’où la Trompete,    Pete,
De bon œil les Soldats qui font bien leur devoir,    Voir.
 Rencontrer par tout la Fortune,    Une.
Porter un faix de soins dont on verroit Atlas.    Las,
Et trouver les Vertus mesme dans les Rebelles,    Belles.
 C’est ternir les Heros passez    Assez.
 C’est aux futurs servir d’exemple,    Ample.
Que par ce Conquerant vous estes embellis,    Lys !
Son Nom, quoy qu’éclatant bien moins que sa Personne,    Sonne.
Chacun prendra de luy, charmé de ses Exploits,    Loix.
Quiconque à le loüer, employer Vers ou Prose,    Ose.
Ignore qu’on y voit les plus brillans Esprits    Pris.

Tout le monde rendit à ce nouveau genre de Sonnet la justice qui luy estoit deuë, & l’on admira sur tout la justesse avec laquelle les mots qui servoient d’Echo entroient dans le sens des Vers. Vous aviez raison de dire que l’invention en estoit heureuse, reprit la Duchesse en regardant la Marquise ; Mais ce que je trouve de fâcheux pour ces Jeux d’esprit, & d’autres petites Pieces Galantes qui paroissent de temps en temps, c’est que tout cela se perd, faute de trouver quelqu’un assez zelé pour prendre le soin tous les ans de nous en donner un Recüeil. Sçavez-vous, Madame, reprit la Marquise, dans quel Livre ces petites Pieces dont vous me parlez auroient admirablement bien trouvé leur place pour estre conservées : C’est dans le Mercure Galant, dont y a quatre ou cinq ans qu’on nous donna six Volumes. Je m’étonne que cet Ouvrage ait esté abandonné, car le dessein en estoit agreable, & il plaisoit tellement, qu’on m’a dit qu’il n’a pas esté seulement imprimé dans la plus grande partie des Provinces de France, mais aussi dans les Païs Etrangers, où l’on se fait une joye de nos plus particulieres Nouvelles : Ce que je sçay, c’est que tant de Gens en demandoient tous les jours la Suite, qu’il n’y a peut-estre point de Livre dont le succés fut plus assuré. Je me suis étonné comme vous, repartit la Duchesse, de la discontinuation de cet Ouvrage ; & quand j’en ay demandé la raison, quelqu’un m’a dit que l’Autheur avoit eu une longue Maladie, & des Affaires qui l’avoient empesché d’y travailler ; mais pour peu qu’il fut presentement à luy-mesme, je luy conseillerois fort de le reprendre, il est capable de beaucoup d’agrémens par la diversité des Matieres, & c’est ce qui me fait dire qu’il n’y a point à douter qu’il ne réüssit, le malheur de la plûpart des Livres n’arrivant que parce qu’il est impossible de choisir un Sujet qui soit assez du goust de tout le monde, pour estre generalement approuvé ; au lieu que n’y ayant rien qui ne pût entrer en celuy-cy, chacun y trouveroit au moins par quelque Article de quoy satisfaire sa curiosité. On y parleroit de Guerre, d’Amour, de Mort, de Mariages, d’Abbayes, d’Eveschez : On assaisonneroit cela de quelque petite Nouvelle Galante, s’il arrivoit quelque chose d’extraordinaire qui pût estre tourné en Historiette, & l’on pourroit mesme nous donner quelque leger Examen de tous les Ouvrages d’Esprit qui se feroient. Mais vous ne songez pas, Madame, interrompit le mesme qui avoit déja parlé, à quoy on s’exposeroit par l’Examen que vous demandez ? Les Autheurs ont une délicatesse inconcevable sur ce chapitre ; & ils sont tellement contens de tout ce qu’ils font, qu’on ne sçauroit trouver le moindre defaut dans leurs Livres, qu’ils ne fulminent aussi-tost contre l’Ignorant qui les reprend. Je ne voudrois pas aussi, adjoûta la Duchesse, que l’Autheur du Mercure Galant nous donna son sentiment particulier, il y auroit de la présomption à s’établir Juge dans une Cause où on pourroit dire en quelque sorte qu’il seroit Partie interessée ; car tous ceux qui se meslent d’écrire sont naturellement jaloux les uns des autres : Mais pourveu qu’il ne fit que recüeillir les sentimens du Public, je ne voy pas que Messieurs les Autheurs pûssent avoir rien à luy imputer, au contraire je croy qu’ils luy seroient obligez, puis qu’ils recevroient la récompense de leur travail, parce qu’il feroit connoistre ce qu’il y auroit de beau dans leurs Ouvrages, & qu’ils apprendroient à se corriger pour d’autres de ce qu’ils sçauroient que le Public y auroit condamné. Pour moy, dit la jeune Marquise, si le Mercure Galant se continuoit, j’y demanderois un Article particulier pour les Modes, afin que j’y pûsse renvoyer quelques Amies de Provinces, qui m’accablent continuellement de leurs Lettres, pour sçavoir comment on s’habille, de quelles Etoffes on se sert, & mille autres choses qui regardent l’ajustement des Femmes. Les Etrangers y pouroient trouver leur compte, & je ne sçay pas mesme si beaucoup de Personnes qui demeurent à Paris ne se serviroient pas volontiers des Avis qu’on leur donneroit là-dessus. Je suis ravy, Mesdames, de vous voir dans ce sentiment, dit alors un Chevalier de Malthe qui avoit écouté toute cette Conversation sans rien dire ; l’Autheur du Mercure Galant est de mes plus particuliers Amis, & je l’ay tellement pressé par toutes les raisons que vous venez d’aporter, qu’il s’est enfin resolu de le poursuivre : ainsi vous aurez bientost le premier Tome du Nouveau Mercure Galant, qu’il appelle Nouveau, à cause des six autres qu’il a déjà fait imprimé, & dont celuy-cy ne sera pas tout-à-fait la suite, puis qu’il ne traitera que de ce qui s’est passé dans les trois premiers Mois de cette Année. Chacun ayant témoigné de la joye de cette nouvelle ; Je puis dire, adjoûta le Chevalier, que ce Livre sera pour tout le monde : Outre les choses curieuses dont on le remplira, & qui pouront servir de memoire à ceux qui travailleront un jour à l’Histoire de nostre Siecle, on n’y oublîra rien de ce que vous avez demandé ; On y semera toutes les petites Pieces agreables qui auront cours dans le monde ; On y parlera des Livres, des Sciences, des Modes, des Galanteries, du merite de ceux qui en ont ; on fera connoistre en quoy ils excellent ; & peut-estre qu’au bout de quelques années, il n’y aura pas une Personne considerable dont ceux qui auront tous les Volumes du Mercure ne puissent trouver l’Eloge, celuy de chaque Particulier pouvant donner lieu à s’étendre sur sa Famille. À l’égard du beau Sexe, toutes celles que l’Esprit, & la Beauté rendent dignes qu’on les distingue des autres, y trouveront leur Portrait, & je ne desespere pas qu’avec le temps nous n’y apprenions les Galanteries des Cours Etrangeres, & de quel merite peuvent estre ceux qui y tiennent le premier Rang. Mais, dit quelqu’un, n’y a-t-il rien à craindre du costé de ceux qui ont le Privilege de la Gazette ? car il faudra necessairement que le Mercure employe quelques uns de leurs Articles. Vous faites bien de dire quelques-uns, répondit le Chevalier, car le nombre en sera petit. La Gazette ne parle, ny des Modes, ny des Affaires du Parnasse, qui jointes aux Pieces Galantes qui auront cours dans le monde, & qui seront en quelque réputation, rempliront presque tout le Mercure. Cela n’empeschera pas, poursuivit-il, qu’on ne se serve de quelque Article de Gazette ; mais comme ce ne sera jamais qu’apres qu’elle en aura parlé, & que ce que nous avons vendu, & dont nous avons reçeu l’argent n’est plus à nous, ces Messieurs n’auront aucun sujet de se plaindre ; mais ces Articles mesmes ne laisseront pas d’avoir quelque chose de nouveau, puis qu’on y trouvera des particularitez que la Gazette ne peut expliquer à cause de la quantité de Nouvelles dont elle est remplie, & c’est à quoy le Mercure supléera, en faisant voir l’Origine de la plus grande partie des choses dont il y sera parlé. Ce qui doit satisfaire sur tout les Curieux, c’est que l’Autheur qui n’en donna d’abord les premiers Volumes que dans des temps assez éloignez, en donnera un Tome immancablement, (si je puis m’expliquer ainsi) le premier jour de chaque Mois, & vous voyez par là que vous n’aurez pas encor longtemps à attendre celuy qui sera le premier du Nouveau Mercure. Je voudrois, reprit la Duchesse, que son Libraire me le voulut vendre dés aujourd’huy, car je meurs d’envie de voir ce qu’il dira de certaines Gens dont il ne se dispensera pas de parler. Puis que vous estes si curieuse, répondit le Chevalier, voyez si vous pourez vous résoudre à joüer une heure plus tard ; car l’Autheur m’a confié toutes les Feüilles imprimées de son Livre, & il ne tiendra qu’à vous que je ne vous en fasse la lecture. Toute la Compagnie joignit ses prieres à celles que fit la Duchesse au Chevalier de leur vouloir donner ce divertissement, & il commença de cette sorte.

[Lettre sur tout ce qui a paru au Theatre François & Italien depuis le premier de Janvier] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 26-46III.

Le Vendredy premier jour de l’An, les Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne donnerent la premiere Representation de la Phedre de Monsieur Racine ; & le Dimanche suivant, ceux de la Troupe du Roy luy opposerent la Phedre de Monsieur Pradon. Je croy ne pouvoir mieux entretenir le Public, qu’en luy faisant part d’une lettre, qui m’est tombée entre les mains, adressée à une Personne de qualité, par laquelle on luy rend compte non seulement de ces deux Pieces, mais de tout ce qui a paru sur le Theatre François & Italien, depuis ce commencement de l’Année jusques à la fin du Carnaval.

A MADAME
la Marquise de **

Puis que vous souhaitez, Madame, que je vous mande des nouvelles de tout ce qui a paru de nouveau au Theatre depuis le premier de Janvier, je vous parleray d’abord des deux Phedres : Elles ont fait icy beaucoup de bruit, & j’ay peine à concevoir d’où vient qu’on s’est avisé d’en vouloir juger par comparaison de l’une à l’autre, puis qu’elles n’ont rien de commun que le nom des Personnages qu’on y fait entrer ; car je tiens qu’il y a une fort grande diference à faire, de Phedre amoureuse du Fils de son Mary, & de Phedre qui aime seulement le Fils de celuy qu’elle n’a pas encor épousé. Il est si naturel de préferer un jeune Prince à un Roy qui en est le Pere, que pour peindre la passion de l’une, on n’a besoin que de suivre le train ordinaire des choses ; c’est un Tableau dont les couleurs sont faciles à trouver, & on n’est point embarassé sur le choix des ombres qui le doivent adoucir : mais quand il faut representer une Femme qui n’envisageant son amour qu’avec horreur, oppose sans cesse le nom de Belle-mere à celuy d’Amante, qui déteste sa passion, & ne laisse pas de s’y abandonner par la force de la destinée, qui voudroit se cacher à elle mesme ce qu’elle sent, & ne soufre qu’on luy en arrache le secret que dans le temps où elle se voit preste d’expirer ; c’est ce qui demande l’adresse d’un grand Maistre ; & ces choses sont tellement essentielles au Sujet d’Hippolyte, que c’est ne l’avoir pas traité, que d’avoir éloigné l’image de l’amour incestueux qu’il faloit necessairement faire paroistre. Ainsi, Madame, je ne voy point qu’on ait eu aucune raison d’examiner laquelle des deux Pieces intéresse plus agreablement l’Auditeur, puis qu’elles n’ont aucun raport ensemble du costé de la principale matiere. Il est vray qu’il n’y a pas la mesme horreur dans le Sujet de la Phedre du Fauxbourg S. Germain ; mais, comme je vous ay déja dit, ce n’est pas le veritable Sujet que l’Autheur de cette derniere a traité ; & puis qu’il s’est permis d’y changer ce qu’il y avoit de plus essentiel, il est d’autant plus responsable de tout ce qui a pû blesser les délicats. Vous jugerez vous-mesme du reste par la lecture de ces deux Pieces qu’on acheve d’imprimer, & que je vous envoîray la Semaine prochaine. Je ne doy pas oublier de vous dire qu’on a fait revivre une Piece dont vous n’osiez dire il y a cinq ou six ans tout le bien que vous en pensiez, à cause de certaines choses qui blessoient la délicatesse des Scrupuleux : Elle en est à present tout-à-fait purgée, & au lieu qu’elle estoit en Prose, elle a esté mise en Vers d’une maniere qui a fait dire qu’elle n’a rien perdu des beautez de son Original, qui mesmes y en a fait trouver de nouvelles. Vous voyez bien que c’est du Festin de Pierre du fameux Moliere dont je vous parle. Il a esté extraordinairement suivy pendant les six Representations qui en ont esté données ; & il auroit esté sans doute fort loin, si les Comédiens qui sont plus religieux qu’on ne les veut faire croire, n’eussent pas pris d’eux-mesmes la Publication du Jubilé pour un Ordre de fermer le Theatre. Le grand succés de cette Piece est un effet de la prudence de Monsieur de Corneille le jeune, qui en a fait les Vers, & qui n’y a mis que des Scenes agreables en la place de celles qu’il en a retranchées. Il me souvient, Madame, que vous m’avez autrefois demandé pourquoy cette Piece s’appelloit le Festin de Pierre, n’y trouvant rien qui convinst parfaitement à ce titre. Vous aviez sujet de soûtenir qu’il n’y avoit pas d’apparence que ce fut parce que le Commandeur tué par D. Jean se nommoit D. Pedre, ou D. Pierre. Un Cavalier qui a fait un Voyage d’Espagne, m’en apprit il y a quelques jours la veritable raison. C’est là qu’il prétend que cette Avanture soit arrivée, & on y voit encor (dit-il) les restes de la Statuë du Commandeur ; mais cela ne conclud pas qu’il soit vray que cette Statuë ait remué la teste, & qu’elle ait esté se mettre à table chez le D. Jean de la Comédie, comme on l’assure en Espagne. Ce qu’il y a de certain, c’est que les Espagnols sont les premiers qui ont mis ce Sujet sur le Theatre, & que Tirso de Molina qui l’a traité, l’a intitule El Combidado de Piedra, ce qui a esté mal rendu en nostre Langue par Le Festin de Pierre ; ces paroles ne signifiant rien autre chose que le Convié de Pierre, c’est à dire la Statuë de marbre conviée à un Repas. Apres vous avoir parlé des Espagnols, je doy vous dire deux mots des Italiens : Ils nous ont donné cet Hyver trente Representations d’une fort agreable Comédie, qui a pour titre, Scaramouche & Arlequin, Juifs errans de Babylone : Elle est de l’invention de Monsieur de S… Autheur des Trompeurs trompez. Elle a non seulement fait rire le Peuple, mais elle a attiré en foule toute la Cour, qui sembloit ne se pouvoir lasser de s’y venir divertir. Je croy qu’on ne peut rien dire de plus avantageux pour cette Piece : Elle finit par un Recit d’Arlequin fait d’une maniere si agreable & si divertissante, que tous ceux qui l’ont oüy sont demeurez d’accord que ce n’est pas sans raison que ce merveilleux Acteur attire tous les jours tant de monde au Theatre Italien. Il ne me reste plus qu’à vous parler de celuy qu’on a nouvellement ouvert au Marais, dont les Acteurs sont appellez Banboches. Ce mot est dans la bouche de bien des Gens qui n’en sçavent pas l’origine. Banboche est le nom d’un fameux Peintre qui ne faisoit que de petites Figures que les Curieux appelloient des Banboches, & il fut donné depuis indiféremment à toutes les petites Figures de quelque Peintre qu’elles fussent. Je n’ay encor rien à vous dire de celles du Marais; mais peut-estre que si on les laissoit croistre, elles feroient parler d’elles : elles se sont déja perfectionnées, elles ne dançent pas mal, mais elles chantent trop haut pour pouvoir chanter bien longtemps ; & si on devient considérable quand on commence à se faire craindre, il faut qu’elles ayent plus de merite que le Peuple de Paris ne leur en a crû : mais tout fait ombrage à qui veut regner seul ; cependant il est tres-certain que lors qu’on travaille trop ouvertement à détruire de méchantes choses, on les fait toûjours réüssir.

L’Opéra estant en France sur le pied de la Comédie, & les succés de tous ceux qu’on nous donne de nouveaux, n’estans grands que selon qu’ils ont plus ou moins de beautez, je ne doy pas oublier de vous dire qu’Isis Opéra nouveau a esté representé à St. Germain pendant une partie du Carnaval. Si cet Ouvrage merite quelque gloire, elle est deuë à Monsieur Quinaut. Le Sujet & les Vers de cette Tragédie sont dignes de cet illustre Autheur, & ne luy ont point fait perdre la réputation qu’il s’est acquise. Mons. de Lully en a fait la Musique ; il ne peut étre comparé à personne, puis qu’il est le seul dont on en voit aujourd’huy en France. Je ne parle point de la beauté de ce dernier Ouvrage de sa composition ; son génie est si connu, qu’il a fait oublier celuy de tous les autres ; je m’arreste à ce que la Cour en a dit. Elle est si éclairée, que je suis persuadé que personne ne doit appeller de son jugement. Le grand nombre d’Instrumens touchez par les meilleurs Maistres de France, a fait trouver des beautez dans la symphonie de cet Opéra, & il est impossible que tant d’Instrumens entre les mains de tant d’excellens Hommes ne produisent pas toûjours cet effet. Les Habits ont esté trouvez admirables, soit pour ce qui regarde la richesse, soit pour ce qui regarde l’invention, & ils ont fait un des plus beaux ornemens de ce Spéctacle. Monsieur Berain qui possede presentement la Charge de feu Monsieur Jessay Dessignateur du Roy, en avoit donné les desseins, ainsi que des Coëffures. Les Habits des Opéra de Thesée & d’Atis sont aussi de son invention. Messieurs Beauchamps & Dolivet, qui depuis plusieurs années font toutes les Entrées des Balets du Roy, ont travaillé à leur ordinaire pour ce dernier, c’est à dire tres-bien. Les beautez de cet Opéra n’ont point fait perdre au Roy & à toute la Cour le souvenir des inimitables Tragédies de M. de Corneille l’aîné, qui furent representées à Versailles pendant l’Automne dernier. Je vous envoye la Copie que vous m’avez demandée des Vers que fit cet illustre Autheur pour en remercier Sa Majesté. Je suis, Madame, &c.

[Vers de M. de Corneille l’aisné, au Roy] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 47-54IV.

AU ROY.

Est-il si vray, Grand Monarque, & puis-je me vanter,
 Que tu prennes plaisir à me ressusciter ?
Qu’au bout de quarante ans, Cinna, Pompée, Horace,
Reviennent à la mode & retrouvent leur place,
Et que l’heureux brillant de mes jeunes Rivaux,
N’oste point le vieux lustre à mes premiers travaux ?
Acheve, les derniers n’ont rien qui dégenere,
Rien qui les fasse croire Enfans d’un autre Pere ;
Ce sont des malheureux étouffez au Berceau,
Qu’un seul de tes regards tireroit du tombeau.
Déja Sertorius, Œdipe, Rodogune,
Sont remis par ton choix dans toute leur fortune,
Et ce choix montreroit qu’Othon & Surena
Ne sont pas des Cadets indignes de Cinna.
 Le Peuple, je l’avouë & la Cour les dégradent,
J’affoiblis, ou du moins ils se le persuadent,
Pour bien écrire encore, j’ay trop longtemps écrit,
Et les rides du front passent jusqu’à l’Esprit ;
Mais contre un tel abus, que j’aurois de suffrages,
Si tu donnois le tien à mes derniers Ouvrages !
Que de cette bonté l’impérieuse loy
Rameneroit bientost & Peuple & Cour vers moy !
Tel Sophocle à cent ans charmoit encor Athenes,
Tel boüillonnoit encor son vieux sang dans ses veines,
Diroient-ils à l’envy. Lors qu’Œdipe aux abois,
De cent Peuples pour luy gagna toutes les voix.
Je n’iray pas si loin, & si mes quinze lustres
Font encor quelque peine aux Modernes illustres,
S’il en est de fâcheux jusqu’à s’en chagriner,
Je n’auray pas longtemps à les importuner ;
Quoy que je m’en promette, ils n’en ont rien à craindre,
C’est le dernier éclat d’un feu prest à s’éteindre,
Sur le point d’expirer il tasche d’ébloüir,
Et ne frape les yeux que pour s’évanoüir :
Souffre, quoy qu’il en soit, que mon ame ravie,
Te consacre le peu qui me reste de vie,
Je sers depuis douze ans, mais c’est par d’autres bras
Que je verse pour toy du sang dans les Combats :
J’en pleure encor un Fils, & trembleray pour l’autre,
Tant que Mars troublera ton repos & le nostre,
 Mes frayeurs cesseront enfin par cette Paix,
Qui fait de tant d’Estats les plus ardens souhaits :
Cependant s’il est vray que mon zele te plaise,
Sire, un bon mot, de grace, au Pere de la Chaise.

Ces Vers, dit la Duchesse en intérompant la lecture du Chevalier, sont d’une netteté admirable, & je préfere de beaucoup ces sortes d’expressions faciles & naturelles, au stile pompeux qui approche fort du galimatias. Je suis de votre sentiment, reprit la Marquise, mais j’avouë que je n’entens point les deux derniers Vers qu’on nous vient de dire, n’y trouvant aucune liaison avec ceux qui les précedent. Vous n’avez donc pas veu, luy dit une Dame qui estoit aupres d’elle, un Placet que Monsieur de Corneille presenta au Roy il y a quelques mois, & dont tant de Gens prirent copie ? Je vay vous le dire, afin qu’il serve d’explication à ce que vous n’entendez pas. Quoy qu’il n’y ait point de pensées, il y a je-ne-sçay-quoy d’aisé qui l’a fait estimer de tout le monde.

PLACET AU ROY.

Plaise au Roy ne plus oublier
 Qu’il m’a depuis quatre ans promis un Benefice,
Et qu’il avoit chargé le feu Pere Ferrier
  De choisir un moment propice,
Qui pût me donner lieu de l’en remercier.
  Le Pere est mort, mais j’ose croire
  Que si toûjours Sa Majesté
  Avoit pour moy mesme bonté,
Le Pere de la Chaise auroit plus de memoire,
  Et le feroit mieux souvenir
Qu’un Grand Roy ne promet que ce qu’il veut tenir.

J’avois déja veu ce Placet, dit la Duchesse, & je voudrois que Monsieur le Chevalier le donnast à son Amy pour le mettre dans son Mercure, car le grand Corneille sera toûjours inimitable, & les moindres choses de luy sont à conserver. Le Chevalier s’estant chargé de ce qu’on souhaitoit, continua de lire ce qui suit.

[Bal de l’Inconnu] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 54-62V.

 

Les Bals estans les divertissemens qui suivent ordinairement la Comédie, je croy qu’ils peuvent icy tenir leur place. Je ne parleray pas de tous ceux qui meriteroient qu’on en dit quelque chose, parce que n’ayant pas encor dessein de poursuivre le Mercure dans les temps qu’ils se sont donnez, je n’ay pas pris tous les soins necessaires pour sçavoir ce qu’il en faudroit dire ; c’est pourquoy je me contenteray de parler des suivans.

On ne voit guéres regner la Galanterie dans les Etats où il y a de grandes guerres qui occupent seuls les Cavaliers, à qui il ne reste point de temps à donner aux Dames : mais la France est un Royaume bien diférent des autres, & la Noblesse n’y devient pas farouche, pour estre une partie de l’année dans les Armées parmy les horreurs que causent les incendies, les desordres, les violences, & le sang. Nos braves François ne regardent pas aussi la guerre comme un mestier, mais comme un chemin seulement par où l’on peut acquerir de la gloire ; ce qui fait qu’ils ne s‘accoûtument point au carnage, & qu’ils paroissent toûjours polis, civils & galants, quand ils ont le loisir de l’estre : On en a veu des marques ce Carnaval dernier, qui a produit des avantures agreables ; & l’on a bien connu que nos jeunes Héros surpassent, quand ils se veulent mesler de galanterie, tous ceux que les Faiseurs de Romans leur ont voulu donner pour modelle. Il y a eu pendant plusieurs Semaines dans la Ruë de Richelieu un Bal magnifique dans une Maison particuliere, que la discretion d’un Cavalier faisoit changer tous les jours de Maistre, pour empescher qu’on ne découvrit la Dame qui estoit l’objet de ses soins. On a remarqué seulement que la Salle ne s’éclairoit qu’au moment qu’une Personne d’une taille admirable & vestuë d’une maniere aussi galante que magnifique, y paroissoit avec les Compagnes qu’elle choisissoit pour mener à ceste Feste où le Cavalier venoit peu apres toûjours avec un Habit nouveau, & toûjours avec un air, une magnificence, qui ont fait croire qu’il n’estoit pas un Homme ordinaire. Les Spéctateurs que le bruit de ce Bal & d’un grand nombre d’excellens Violons y attiroit, admiroient ces deux Amans quand ils dançoient ; on ne pouvoit s’en acquiter avec plus de grace, & ils intéressoient tout le monde dans leurs affaires par le plaisir qu’ils donnoient à les voir. On remarquoit sur toutes choses un chagrin cruel dans les yeux du Cavalier (ce que le Masque n’empeschoit pas de distinguer) quand la Dame estoit obligée de dancer avec un autre ; & quand il ne pouvoit se défendre d’en faire autant, il dançoit luy-mesme d’un air si mélancolique, & avec tant de langueur, qu’il se faisoit plaindre de tout le monde, & faisoit souhaiter qu’à la fin du Bal, & apres un magnifique Régale qui accompagnoit toûjours de semblables Festes, il se pût voir seul avec sa Maistresse sans estre éclairé de ces Gens fâcheux qui troublent toûjours de pareilles avantures. On a sur tout admiré la grande précaution du Galant pour cacher l’Autheur de ces Divertissemens mysterieux, afin d’empescher qu’on ne parlast peu favorablement de la Dame à qui il prenoit soin de plaire.

[Bals de Monsieur le Prince de Furstemberg, & son Mariage avec Mademoiselle de Ligny] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 62-64VI.

 

Monsieur le Prince de Furstemberg, Neveu de Monsieur l’Evesque de Strasbourg, a pareillement donné plusieurs fois le Bal pendant les derniers jours du Carnaval ; & quoy qu’il n’ait pas paru tant de mystere dans les grands Divertissemens qu’il a donnez, ils n’ont pas laissé d’estre accompagnez de toute la galanterie, & de toute la magnificence imaginable. Leurs Altesses Royales s’y sont trouvées avec un nombre infiny de Personnes de la plus haute Qualité. L’éclat, le grand air, & la bonne mine de Monsieur le Prince de Furstemberg, y ont toûjours esté remarquez : aussi faut-il avoüer que ce n’est pas sans raison que tout le monde demeure d’accord que ce Prince est parfaitement bien fait. Il a depuis peu épousé Mademoiselle de Ligny, Niéce de Monsieur l’Evesque de Meaux : elle est alliée de vingt-deux Familles des plus illustres du Royaume ; elle a de l’esprit infinîment, le teint admirable, & jouë tout-à-fait bien du Clavessin.

[Bal de Monsieur de Chasteauneuf, Conseiller au Parlement] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 64-69VII.

 

Les Gens de guerre ne sont pas les seuls qui fassent gloire de n’estre point sauvages, quand la complaisance qu’on doit au beau Sexe les engage à estre galans. Ceux que l’employ de la Robe attache continuellement à des occupations des-agreables pour les intérests des autres, ne s’en laissent pas tellement posseder d’esprit, qu’ils ne conservent dans l’occasion toute la politesse qu’inspire l’air du grand monde ; c’est un caractere qui ne s’efface pas aisément ; & Monsieur de Châteauneuf qui a quitté les Etats de Savoye pour se venir faire Conseiller au Parlement de Paris, l’a fait assez connoistre par la Feste qu’il a donnée chez luy un des derniers jours du Carnaval. Il est Petit-Fils de ce fameux President de Castagniere, dont la réputation par les grandes Affaires qui luy ont passé entre les mains à Chamberry, s’est répanduë en France avec tant de gloire pour luy, & Monsieur de Châteauneuf la soûtient si avantageusement par toute l’intégrité qu’un Juge tres-éclairé peut faire paroistre, qu’elle luy a fait meriter la confiance de Madame Royale, qui l’employe en cette Cour dans toutes les choses où elle peut avoir quelque intérest. C’est ce qui a porté Madame la Princesse de Carignan à luy vouloir faire le mesme honneur qu’elle a fait à tous ceux de sa Famille, en les allant surprendre chez eux, pour ne les pas engager à une Reception préparée. Monsieur de Châteauneuf en fut averty si tard, qu’il eut à peine le temps de donner les ordres necessaires pour le Souper, qui ne laissa pas d’estre servy avec une propreté admirable. Madame de Carignan y mena Madame la Princesse de Bade, Monsieur l’Evesque de Strasbourg, le Prince Philippe, le Chevalier de Carignan, le Prince & la Princesse de Furstemberg, avec l’Envoyé de Bavieres, & Madame sa Femme, qui tous ne pûrent assez loüer la magnificence de ce Repas. Apres le Souper on commença le Bal, qui fut donné à Mesdemoiselles de Soissons avec tant d’ordre dans les Salles, soit pour la quantité de lumieres, soit pour tout ce qui pouvoit empescher la confusion, qu’on peut dire qu’il n’y manquoit rien. Monsieur & Madame y vinrent en Masque, ainsi que Madame la Comtesse de Soissons ; & tout le monde convint que de longtemps il n’y avoit eu aucune Feste si digne des Illustres Personnes à qui elle se donnoit.

[Divertissemens donnez au Public par Monsieur Olier-Verneüil, Conseiller au mesme Corps] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 69-72VIII.

 

Si tous ces Divertissemens ont fait du bruit ; ceux que Monsieur de Verneüil Conseiller au Parlement, a donnez libéralement au Public pendant tout le Carnaval, n’ont pas moins fait d’éclat. Tout Paris a parlé de sa magnificence & de sa genérosité. On representoit chez luy deux ou trois fois la Semaine, une Comédie dont les Intermedes estoient remplis de Balets & de Chansons. Les Entrées estoient admirables, & composées par M. des Brosses, c’est tout dire. Les Paroles qu’on chantoit, partoient de la veine de M. de Verneüil, & plusieurs les croyoient de M. Quinaut ou de M. de Frontiniere, qui sont les deux plus fameux Autheurs que nous ayons pour ces sortes d’Ouvrages. Elles estoient mises en Musique par le Sieur l’Aloüette, qui batoit la Mesure à l’Opéra. Comme il estoit à M. de Lully, & qu’il a copié ses Airs pendant plusieurs années, ceux qu’il compose ont tant de raport avec ceux de ce grand Maistre, qu’on voit bien qu’il a étudié sous luy. L’Ecole est bonne, mais il n’est pas temps de faire voir tout ce qu’on y a appris.

[Bal chez M. de Menevillette] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 76-77IX.

 

Je croyois avoir finy l’Article des Bals, mais je ne me puis empescher de parler encor de trois ; ils ont fait tant de bruit, qu’ils méritent bien de trouver icy leur place.

L’Assemblée qui se trouva à celuy qui se fit chez Monsieur de Mannevillette Secretaire des Commandemens de Monsieur, fut grande ; Leurs Altesses Royales y furent en Masque, & jamais Bal n’en a esté si remply que le fut celuy-là. Il ne faut pas s’étonner de ce concours ; comme on sçait qu’il y en a tous les ans dans le mesme lieu, que rien n’y manque, & que tout y est magnifique, chacun y court avec empressement.

[Bal chez M. du Housset] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 77-79X.

 

Monsieur de Housset, Chancelier de Monsieur en a aussi donné un à Mademoiselle de Valois, seconde Fille de Son Altesse Royale, qui y dança avec une grace admirable. Toute la Jeunesse de la premier qualité, & à peu près de son âge, s’y trouva. On ne vit jamais rien de si brillant ; & Madame la Marquise de Nangis, Fille de Madame la Mareschale de Rochefort, âgée de treize ans, fit par ce Bal son entrée dans le Monde : elle y parut avec beaucoup d’éclat, & elle estoit mise d’un si bon air, que la maniere dont elle estoit parée ne fut pas moins remarquée que la richesse de tout ce qui servoit à son ajustement. On a peu veu de Personnes de son âge avoir autant d’esprit, & elle charme tous ceux qui ont le bonheur de l’entretenir.

[Bal chez M. Ranchain] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 79-80XI.

 

Jamais la propreté, le bon ordre, & la magnificence, n’ont plus paru ensemble, qu’ils firent au Bal qui a esté donné chez Monsieur Ranchain ; La Compagnie estoit belle & bien choisie, rien n’y manquoit, on n’y souhaitoit rien, & l’on peut dire que c’estoit un Bal de bon goût.

Requeste de l’Amour, au Roy. Sur le bruit de son Départ pour l’Armée §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 88-104XII.

 

Rien n’ayant tant de charmes que la diversité, nous devons passer d’une matiere aussi triste que celle dont nous venons de parler, à une plus divertissante ; & je croy que nous ne le pouvons faire plus agreablement, que par la Piece qui suit, puis qu’il y a déja quelque temps qu’elle fait du bruit dans les plus belles Ruelles de Paris.

REQUESTE
DE L’AMOUR,
AU ROY.
Sur le bruit de son Départ pour l’Armée

Que me dit-on de tous costez ?
 Est-ce pour me faire querelle ?
De mille Amans qu’unit l’ardeur la plus fidelle,
Par mon ordre les vœux sont prests d’estre acceptez ;
Et sans attendre icy que la Saison nouvelle
 Dans le camp de Mars vous rappelle,
 Tout à-coup, Grand Roy, vous partez ?
On sçait que s’agissant d’attaquer une Place,
Il n’est rien qui vous puisse arrester un moment,
Et que lors qu’aux Soldats vous allez fierement
 Par vostre exemple inspirer de l’audace,
 Vous estes dans votre élement ;
Mais qui fait tout trembler, à loisir se délasse,
Et vous peuvez devant envoyer la menace,
 Sans la suivre si promptement.
À peine vos Guerriers dont la Gloire dispose
Sous la faveur de votre appuy,
 (Car la Gloire & Vous aujour-d’huy
 Ce n’est plus qu’une mesme chose)
A peine aupres de moy ces Guerriers de retour,
Commencent d’esperer la douceur d’un beau jour,
Que l’ardeur de vous suivre à mes soins les arrache.
En vain en les flattant je tasche d’obtenir
Que l’amour du repos à moy seul les attache,
 Si vous partez aucun d’eux ne me cache
 Que rien ne les peut retenir.
Ainsi voila par tout mon attente trompée,
 Par tout mes desseins avortez :
 Pour reduire des Libertez,
Mon adresse en ces lieux a beau s’estre occupée,
Chacun se rend en foule aux Emplois de l’Epée ;
Et dés qu’on peut aller combatre à vos costez,
De mes trais les plus vifs l’ame la mieux frapée
 Fuit mes douces oysivetez.
 Cependant combien de tendresses
Par votre éloignement des cœurs se vont bannir ?
 Combien d’Amans à leurs Maistresses
 Ont fait d’agreables Promesses,
Qu’ils vont estre par vous hors d’estat de tenir ?
L’un pour un bel Objet faisant gloire de vivre,
Des Parens opposez devoit venir a bout,
Contre un cœur qui bientost à ceder se resout :
L’autre ayant commencé s’obstinoit à poursuivre ;
 Mais vous partez, & pour vous suivre
 On se croit dégagé de tout.
Le plus mortel chagrin que reçoivent les Belles,
Qui croyoient qu’un accord aussi tendre que doux,
Rendroit de leurs Amans les chaisnes eternelles,
 C’est de les voir courir aux coups
 Avec bien plus d’ardeur pour vous,
 Qu’ils n’en eurent pour elles.
 Pour obtenir qu’ils ne s’éloignent pas,
 Elles ont beau verser des larmes,
 Ces larmes n’ont que d’impuissans appas.
Braver auprez de vous les plus rudes alarmes,
Chercher dans les périls l’honneur d’un beau trépas,
 Ce sont leurs veritables charmes :
 Si-tost que vous prenez les armes,
Vivent pour eux la Guerre & les Combats.
Le mal est que par tout ces Belles affligées
Me conjurent d’entrer dans leurs ressentimens.
 Je les rencontre à tous momens,
 Qui dans de vifs ennuis plongées
Me viennent fatiguer de leurs gemissemens.
J’ay tort de les avoir sous mes Loix engagées,
Et je ne suis qu’un Dieu de Chansons, de Romans,
 Si vous laissant enlever leurs Amans,
Je souffre que par vous elles soient outragées.
En vain pour affoiblir l’ardeur de ces Guerriers,
Je combats le panchant qui vers vous les entraine,
 Du Champ de Mars dignes Avanturiers,
Ils dédaignent pour vous ma grandeur souveraine,
 Et mes plus beaux Mirthes à peine
 Valent un seul de vos Lauriers.
Je rougis, puisqu’il faut avoüer ma foiblesse,
De voir que contre vous faisant ce que je puis,
Ces Belles vainement implorent mon adresse,
Et pour leur épargner les sensibles ennuis,
Où les laisse languir l’impuissance où je suis,
Je dis que c’est à vous qu’il faut que l’on s’adresse ;
Mais elles sçavent trop par quels fermes appuis,
Pour la Gloire en tout temps vostre cœur s’intéresse ;
Elles sçavent que c’est votre unique Maistresse,
Et que vous luy donnez & vos jours & vos nuits :
Si-tost que la servir est un soin qui vous presse.
Pleines de vos Exploits, elles n’ignorent pas
Que quittant les Plaisirs, & les Jeux & les Festes,
 Malgré la glace & les frimats,
On vous a veu déja pour de nobles Conquestes,
Au milieu d’un Hyver avancer à grand pas.
Quel est dont l’avantage où vostre espoir se fonde ?
Est-ce que vous voulez que l’Amour ne soit rien ?
 Vous vous nuisez, pensez-y bien.
Et que vous servira la sagesse profonde
Qui vous acquiert un Nom plus fameux que le mien,
Cette insigne valeur qui n’a point de seconde,
Si ne pouvant des cœurs me rendre un seul lien,
 Je laisse dépeupler le Monde ?
Voyez combien vous hazardez ;
Avec moy, qu’en cela vous ferez bien de croire ;
 Si vous ne vous raccomodez,
Je laisseray finir le Monde, & vostre Gloire,
Et de vos Actions la merveilleuse Histoire
N’ira pas aussi loin que vous le pretendez.
 Je pourois mesme par vangeance,
 Pour vous oster l’apuy de Mars,
Sur quelque autre Venus arrester ses regards,
Et l’empescher par là d’avoir la complaisance
De marcher sous vos Etendarts ;
Mais qu’en vain contre vous j’employrois sa puissance !
 Vous avez toute sa Vaillance
Pour affronter sans luy les plus mortels hazards,
 Et vous le passez en prudence.
 Le plus seur pour vous retenir,
 C’est de descendre à la priere,
Accordez un peu moins à cette ardeur guerriere,
Qui de ces lieux si-tost s’empresse à vous bannir,
Attendez le Printemps qui s’en va revenir,
Et de vostre pouvoir, quoy que l’on puisse faire,
Jamais vous ne verrez le mien se des-unir,
 Je ne chercheray qu’à vous plaire,
Qu’à rendre de vos Loix chaque cœur tributaire,
Contre vous par mes soins rien ne pourra tenir.
 Cette offre ne vous touche guere ;
 Mais qu’est-ce aussi que j’en espere,
 Et que peut-elle m’obtenir ?
Pour allumer des feux qui ne puissent finir,
 Vous m’etes plus necessaire
Que je ne vous le suis à les entretenir ;
 Ainsi c’est à moy de me taire,
 Et d’attendre à vostre retour
Tout ce que vous voudrez ordonner de l’Amour.

Le Chevalier s’apprestoit à poursuivre, lors que la Duchesse luy dit de n’aller pas si viste ; que cette Galanterie méritoit bien qu’on y fist quelque refléxion, & que les Vers en estoient fort naturels. Il est vray, répondit la Marquise, & j’ay fait une remarque en l’écoutant lire, à laquelle personne n’a peut-estre pensé. Nous parlions tantost, poursuivit-elle, de la maniere de loüer le Roy, & je trouve que les loüanges que nous en venons d’entendre sont fort ingénieusement données : elles entrent si naturellement dans cette Piece, qu’ils ne paroist pas mesmes qu’on ait dessein de le loüer ; & tout ce que l’Amour dit à sa gloire, n’est qu’en se plaignant de luy. La remarque est juste reprit une autre Personne de la Compagnie ; & quand on loüe ainsi quelqu’un, il faut que ce que l’on en dit soit si vray, que personne ne l’ignore. Il n’est pas si facile que l’on pense de loüer ainsi, intérrompit la Duchesse ; & tous ces Esprits guindez & peu galants qui ne peuvent loüer les grands Hommes qu’en les comparant aux Aléxandres & aux Césars, n’en viendroient pas facilement à bout.

[Reception de M. le President de Mesmes en l’Academie Françoise, & tout ce qu’il s’y est passé] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 128-134XIII.

 

En parlant de ceux dont le mérite est extraordinaire, je ne doy pas oublier que Monsieur de Mesmes President au Mortier, illustre par la gloire de ses Peres qui ont possedé les premieres Charges de la Robe, mais plus illustre encor par les grandes qualitez qui le rendent digne de ses Emplois, marchant sur les pas de ces grands Hommes, à qui leur intégrité, leur amour pour les Sciences, & la protection qu’ils ont toûjours donnée aux Gens de Lettres, ont acquis une réputation qui ne laissera jamais mourir les noms de Mesmes & d’Avaux, a esté reçeu dans l’Académie Françoise, pour remplir la place de Monsieur Desmarets, un des plus fameux Académiciens de nostre temps, & qui mériteroit toute la gloire que ces beaux Ouvrages luy donnent, quand il n’auroit point eu d’autre avantage que celuy d’avoir esté choisy par le Cardinal de Richelieu Fondateur de l’Académie, pour rendre Messieurs ses Neveux dignes du grand Nom qu’il leur a laissé. Une affluence extraordinaire de monde se trouva dans la Salle du Louvre le jour de cette reception. Monsieur le President de Mesmes fit un remercîment digne de la gravité de celuy qui le prononçoit, & de l’attention de quantité de Personnes qui l’écouterent, & parla avec une délicatesse merveilleuse de l’honneur que le Roy foit à cette celebre Compagnie d’en vouloir estre le Protecteur. Monsieur de Benserade qui en estoit le Directeur, luy repondit avec une grace tout particuliere, & n’oublia rien pour luy marquer la joye qu’ils avoient tous de voir un si grand Homme dans leur Corps. Apres quoy, Monsieur l’Abbé Tallemant le jeune prononça un Discours dont la netteté & l’éloquence furent admirées de tout le monde ; il tâcha de prouver à l’avantage de nostre Langue, qu’on s’en doit servir pour faire les Inscriptions des Monuments publics contre l’opinion du R. P. Lucas Jesuite, qui a pris le party du Latin avec une force de raisons qui semblent n’avoir point de replique. Cette Question avoit esté déja agitée par Monsieur Charpentier un des plus dignes Sujets de l’Académie Françoise, qui a fait imprimer un Livre fort sçavant sur cette matiere, par lequel il exclut la Langue Latine des Inscriptions. Ce diférend poura avoir encor de la suite, & nous aurions à souhaiter que chacun s’accordast pour prononcer en faveur des François ; mais cependant on a fait depuis peu de grandes dépenses pour les Portes de S. Denis, de S. Martin, & de S. Bernard, & pour le Quay Royal qui est d’une si grande utilité pour Paris, & nous n’y voyons par tout que des Inscriptions Latines.

[Lettre en Vers d’une Amante à son Amant, sur ce qu’il se preparoit à partir pour l’Armée] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 139-152XIV.

 

Apres avoir parlé de tant de Personnes illustres, disons quelque chose d’une Belle affligée, ou plutost d’une Lettre écrite par une Amante à son Amant, sur ce qu’il se préparoit à partir pour se rendre à l’Armée. Cette Lettre a tellement esté applaudie par tout où elle a esté leuë, que je croirois qu’on auroit sujet de se plaindre du Mercure, si l’on ne l’y rencontroit pas. La voicy.

JULIE
A LEANDRE.

Il est donc vray, Cruel, que sans que rien vous touche,
 Vous vous preparez à partir ?
J’ay beau faire, l’honneur est un Tyran farouche,
 Qui vous force d’y consentir.
Il vous rend des Amans le plus impitoyable,
 Pour qui jamais aima le mieux,
Et vous flatant d’un nom, malgré le temps durable,
 Il vous éloigne de mes yeux.
Helas ! ignorez vous quelle vaine chimere
 Est cet honneur qui vous seduit,
Et d’un bien effectif, un bien imaginaire
 Doit-il vous dérober le fruit ?
Aux plus mortels dangers quand votre vie offerte
 Payera quelque Exploit entrepris,
Peut-estre un jour ou deux on plaindra vostre perte,
 Et c’en sera là tout le prix.
Vivez, par ses conseils la Gloire vous abuse.
 Quoy qu’elle vous promette un jour,
Pour ne l’écouter pas, peut-on manquer d’excuse
 Lors qu’on ne manque point d’amour ?
Vous n’avez qu’à vouloir, & vous en aurez mille
 Pour rompre ce cruel départ.
Quand l’Amour en raisons ne seroit pas fertile
 Il a toûjours ses droits à part.
S’il est fier quelquefois, impétueux, terrible,
 S’il donne de sanglans Arrests,
Il cherche le repos, & devient doux, paisible,
 Selon ses divers interets.
Dans cette occasion, où confuse, tremblante,
 J’attens ou la vie, ou la mort :
Il veut que vous cediez aux soûpirs d’une Amante
 Dont vous pouvez regler le sort.
Songez vous à quels maux vostre rigueur m’expose,
 Si vous osez vous éloigner ?
Et peut-on de ces maux se rendre exprés la cause,
 Quand on me les peut épargner ?
Je veux bien, s’il le faut, compter à rien l’absence,
 Quoy qu’insuportable aux Amans ;
Que ne plaist-il au Ciel de borner ma souffrance
 A ses plus rigoureux tourmens ?
Du moins un seur retour, dans sa douleur extréme,
 Console l’Amour aux abois ;
Mais avoir à trembler toûjours pour ce qu’on aime,
 Combien est-ce mourir de fois ?
Chaque pas avancé, chaque Tranchée ouverte,
 Me va glacer le cœur d’effroy,
Et d’un heureux succez l’image en vain offerte,
 M’y peindra mille maux pour moy.
N’eust la plus forte Place emporté qu’une teste,
 Dont le bruit vienne jusqu’à nous,
Vous croyant aussi-tost le prix de la Conqueste,
 Mes larmes couleront pour vous.
Toûjours impatiente, & toûjours allarmée,
 Si je voy qu’on se parle bas,
Je m’imagineray que parlant de l’Armée,
 On me cache votre trépas.
Dans l’ardeur d’estre instruite, & le doute d’entendre
 Ce qui feroit mon desespoir,
Incertaine en mes vœux, je brûleray d’apprendre
 Ce que je craindray de sçavoir.
Qui l’auroit jamais crû ? Ma joye estoit parfaite !
 Au bruit des Triomphes du Roy,
Rien n’auroit pû me rendre infidelle Sujete,
 Et je vay l’estre malgré moy.
Je voudrois que sa gloire à nulle autre seconde,
 Entassast Exploits sur Exploits,
Qu’ainsi de nos cœurs il fut Maistre du Monde,
 Que tout y reconnut ses Loix.
Cependant je sens bien dans les rudes allarmes
 Où votre sort me plongera,
Que je seray reduite à répandre des larmes
 Chaque fois qu’il triomphera.
Qu’il abaisse l’orgueil des plus superbes testes,
 Sans que vos yeux en soient temoins ;
Aura-t-il plus de peine à faire des conquestes,
 Pour avoir un Guerrier de moins ?
A ne le suivre pas où toûjours la Victoire
 S’empresse à luy faire sa cour,
Eloigné des périls vous aurez moins de gloire,
 Mais vous montrerez plus d’Amour.
Qu’on blame ce dessein dont l’ardeur de me plaire
 Vous doit avoir fait une Loy,
Est-ce, quoy qu’on en dise, une peine à vous faire,
 Si vous ne vivez que pour moy ?
Quand d’un feu veritable on a l’ame enflamée,
 Aimer est nostre unique bien,
Et pourveu que l’on plaise à la Personne aimée,
 On compte tout le reste à rien.
Cent fois vous m’avez dit que de la Terre entiere,
 Sans moy vous feriez peu de cas :
Vous m’en pouvez convaincre écoutant ma priere,
 Pour quoy ne le faites vous pas ?
Si de vous signaler par quelque grand service,
 Le desir vous tient partagé,
Un cœur comme le mien vaut bien le sacrifice
 D’un peu de renom negligé.
L’Amour vous le demande, il est bon de se rendre
 A qui brûle tout de ses feux ;
Et ce qu’ont fait Cesar, Annibal, Alexandre,
 Vous le pouvez faire comme eux.
Ils n’ont crû rien oster à l’éclat de leur gloire,
 En faisant triompher l’Amour ;
S’ils luy laissoient sur eux emporter la victoire,
 Il les faisoit vaincre à leur tour.
Apres ces Conquerans, vous luy pouvez sans honte
 Abandonner vostre fierté ;
Soùmettez-la, pourveu qu’il vous en tienne compte
 Vous en aura-t-il trop coûté ?
Il a pour qui consent à luy rendre les armes,
 Des Biens qu’on ne peut exprimer ;
Pour goûter purement leurs plus sensibles charmes,
 Vous n’avez qu’à sçavoir aimer.

En vérité, dit la Marquise, quand le Chevalier eust achevé de lire, on a raison de trouver cette Lettre-là belle : Ce n’est pas que je n’en sois surprise, car comme elle a plus de bon sens, que de ce brillant qui dupe aujourd’huy tant de Gens, je n’aurois pas crû qu’elle dût estre si genéralement applaudie. Je suis de vostre sentiment, repartit la Duchesse, & cette Epistre me paroist tellement du stile de celles d’Ovide, que je croyois entendre lire les Epîtres choisies de ce Poëte ingénieux, qui ont esté si bien traduites en Vers François par Monsieur de Corneille le jeune. Elles n’en dirent pas davantage, afin de donner au Chevalier le temps de poursuivre ; ce qu’il fit ainsy.

[Vers sur le Départ de Sa Majesté] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 168-170XV.

Je feray connoistre dans un autre Volume quelles sont les fonctions des Lieutenans Generaux, des Mareschaux de Camp, Brigadiers, & Aydes de Camp, afin que tous ceux de l’un & de l’autre Sexe qui les ignorent, sçachent dequoy ils parlent si souvent, & dequoy ils félicitent leurs Amis ou leurs Parens, lors que le Roy a reconnu en eux toute la prudence & la valeur necessaire pour estre élevez à l’un de ces grands Emplois. Tous ceux qui les doivent remplir cette année ayant esté nommez, le Roy fut coucher à Compiegne le dernier jour de Fevrier. Monsieur de Louvois estoit party deux jours auparavant, comme un éclair qui devance la foudre. Voicy des Vers qu’on fit sur ce qu’il tonna le jour que Sa Majesté partit.

   Grand Roy, porte en tous lieux la Guerre
La Fortune guide tes pas,
Le Dieu Mars te preste son bras,
Et Jupiter te preste son Tonnerre.

Les secours qu’il reçoit de tant de Divinitez, sont bien moins considérables que les services que luy rend Monsieur de Louvois ; on n’a jamais veu une activité pareille à la sienne, & il conduit avec tant de prudence toutes les choses qu’il entreprend, qu’il ne faut pas s’étonner si elles luy reüssissent toûjours si heureusement.

[Siege de Valenciennes, contennant plusieurs Particularitez qui n’ont point encore esté sçeuës]* §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], extrait p. 174-175XVI.

Le Siege de Valenciennes estant une des plus considérables [entreprises] qu’on pût faire, par toutes les raisons que nous avons dites cy-dessus ; si-tost que le Roy fut arrivé au Camp, il reconnut la Place, & l’on peut dire que les ordres qu’il donna, furent d’un Capitaine consommé, puis qu’ils ont si bien reüssy. Les Bourgeois fiers de tout ce que nous avons marqué qui servoit à leur défense, donnerent sur leurs Rampars le jour de Caresme prenant, les Violons, pour se moquer des Troupes qui avoient investy la Place ; mais on leur répondit quelques jours apres avec d’autres Instrumens qui leur osterent l’envie de dançer.

[Feu d’Artifice chez M. le President de Pomereuïl] §

Le Nouveau Mercure galant, janvier-mars 1677 [tome I], p. 205XVII.

 

Tout Paris a témoigné beaucoup de joye de la prise de Valenciennes, mais celle qu’en a fait voir Monsieur le President de Pomereüil, Conseiller d’Etat ordinaire, & Prevost des Marchands, a fait beaucoup d’éclat. Le jour que le Te Deum fut chanté, il fit faire un Feu d’Artifice devant son Logis : Il ne faut pas s’en étonner, c’est un des plus zelez Serviteurs du Roy, & des plus beaux Esprits que nous ayons.