1677

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677, tome III

2014
Source : Le Nouveau Mercure galant, Theodore Girard, mai, 1677
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III)I. §

A Monsieur, Sur la Victoire qu’il a remportée, & sur son humanité apres la Bataille §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 30-34II.

Il ne me reste plus pour vous tenir parole, qu’à vous envoyer les Vers dont je vous ay déja parlé, mais je vous avertis que je ne prétens point estre garant de ce que ne vous y trouviez quelque chose à condamner. Ce n’est point à moy à les examiner quand ils viennent d’un Autheur celebre, & qui s’est déja acquis de la reputation par d’autres Ouvrages. Si je vous en envoye de mediocres sans vous nommer ceux qui les auront faits, je veux bien vous en estre responsable : & cependant je passe au Sonnet de Monsieur l’Abbé Tallemant l’ainé, que je vous ay promis. Il est de l’Academie Françoise, & son Esprit est connu par des Ouvrages d’une autre consideration que des Sonnets. Il a fait des Traductions qui ont eu l’avantage de plaire au Roy, & il nous a délivrez du vieux langage d’Amiot, par celle qu’il nous a donnée de Plutarque.

A MONSIEUR,
Sur la Victoire qu’il a remportée, &
sur son humanité apres la Bataille.

SONNET,

On celebre par tout vos belles Actions,
La France retentit du bruit de vostre gloire ;
Et le récit pompeux de cette grande Histoire
Va faire l’entretien de mille Nations.
De Chef & de Soldat faisant les fonctions,
Vostre rare Valeur nous donne la Victoire,
Et la Posterité ne pourra jamais croire,
Que l’on ait triomphé de tant de Legions.
Surmonter à la fois l’Espagne & la Hollande,
Ce n’est pas tout l’honneur que vostre cœur demande :
S’il a paru terrible, il veut paroistre humain.
Tel qui vous vit plus fier que le Dieu des Batailles
Le jour que vostre Bras fit tant de Funerailles,
N’a point veu de Vainqueur plus doux le lendemain.

Je croy, Madame, qu’il seroit difficile de trouver des Vers plus coulans, & que dans leur douceur dont chacun demeure d’accord, vous remarquez celle de l’esprit de l’Illustre Autheur à qui nous les devons.

A Monsieur, Sur la Bataille de Cassel, & la prise de S. Omer §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 34-37III.

Si le Sonnet que vous venez de voir, vous a fait connoistre l’ardeur du zele de Monsieur l’Abbé Tallemant pour la gloire de Son Altesse Royale, celuy de Monsieur l’Abbé Esprit ne vous en fera pas moins paroistre. Le voicy.

A MONSIEUR,
Sur la Bataille de Cassel, & la prise de S. Omer.

SONNET.

Attaquer Saint Omer, & d’une noble audace
Aller remplir d’effroy le Camp des Ennemis,
Les combatre, les vaincre, & les ayant soûmis
Deux fois victorieux entrer dans cette Place.
Forcer les Assiegez à luy demander grace,
Leur faire aimer le joug où son Bras les a mis,
Remplir tous les Emplois à sa Valeur commis,
C’est suivre le chemin que la Gloire luy trace.
Les plus fameux Héros qu’ait veu l’Antiquité,
N’alloient que pas à pas à l’Immortalité,
Ils estoient couronnez apres de longues peines.
Philippe va plus viste, & son courage est tel,
Que passant les Exploits des plus grands Capitaines,
Dés son premier Triomphe il se rend Immortel.

Je n’ay rien à vous dire davantage, ce Sonnet parle assez ; Monsieur l’Abbé Esprit vous est connu, & vous sçavez qu’il a fait d’autres Ouvrages qui luy ont acquis à juste titre beaucoup de reputation.

[Vers de Madame le Camus à S.A.R.]* §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 37-40IV.

Tout le monde s’est interessé à la gloire de Son Altesse Royale, & les Dames y ont aussi voulu prendre part. Voicy les Vers que Madame le Camus luy a presentez.

Le grand Philippe Auguste & celuy de Valois,
Et Philippe le Bel, tous trois Rois des François,
Ont pres du Mont Cassel emporté la Victoire ;
Mais avec plus d’éclat Philippe de Bourbon,
 Portant comme eux le mesme Nom,
Vient d’estre au mesme lieu couronné par la Gloire.
 Vous avez déja veu trois fois,
 Espagnols, Flamans, Holandois,
Pres de ce Mont fameux defaire vostre Armée,
 Par nos redoutables François.
La Victoire avec eux est trop accoustumée,
Quittez vostre arrogance, elle est bien reprimée
 Par tant de glorieux Exploits.
Ce Mont Cassel a veu son Altesse Royale
 Faire des efforts plus qu’humains,
 Agir de la teste & des mains,
Avec une vigueur à sa prudence égale.
Héros, qui disputiez l’Empire des Romains,
Vous ne fistes pas mieux dans les Champs de Pharsale.
N’en soyons point surpris ; depuis que le Soleil
 Eclaire sur notre Hemisphere,
 Il ne s’est rien veu de pareil
A nostre Grand Monarque, & Philippe est son Frere.

Avoüez, Madame, que ces Vers ne sont pas indignes du Héros qui les a reçeus, qu’ils ont un tour facile, qu’il est rare de trouver dans ce qu’on travaille avec trop d’étude, & que pour leur donner vostre approbation, vous n’avez pas besoin de consulter l’estime que vous avez pour Madame le Camus, qui soûtient si noblement les avantages de vostre beau Sexe.

[Deux Sonnets de Monsieur Robinet à Leurs Altesses Royales]* §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 41-46V.

Voicy deux autres Sonnets pour leurs Altesses Royales. Ils sont de Monsieur Robinet, qui travaille à la Gazette depuis trentecinq ans, & qui a fait seul tous les Extraordinaires que nous avons veus jusques à l’année derniere. Ils luy ont acquis beaucoup d’estime, & le Public luy a rendu là-dessus la justice qu’il luy devoit.

A MONSIEUR,
SUR SES VICTOIRES.

Sonnet.

Que tu nous parois Grand dans la Lice de Mars,
Où ton Cœur & ton Bras moissonnent tant de Gloire !
Où faisant le Mestier du premier des Cesars,
On te voit remporter Victoire sur Victoire !
Ta Valeur sçait trouver dans les affreux Hazars,
Le Renom qu’aux Héros on consacre en l’Histoire.
Tu sçais sur des débris d’Hommes & de Remparts,
Toy-mesme te bastir un Temple de Mémoire.
Apres tes grands Exploits, brillant, victorieux,
Vien recevoir l’honneur qu’on doit aux demy-Dieux,
Vien joüir du Triomphe & si doux & si juste.
Les Muses, à l’envy, te chantent dans leurs Vers,
Et font voler ton Nom aux bouts de l’Univers,
Avec le Nom fameux d’un Roy plus grand qu’Auguste.

A MADAME,
Sur les Victoires, et sur le Retour de Monsieur.

SONNET.

Gagnant une Bataille, & forçant une Ville,
Philippe se découvre à nos yeux tout entier :
C’est un Prince, à la Cour, d’humeur douce et civile,
Qui dans son air galant ne mesle rien de fier.
Mais dans le champ de Mars, Philippe est un Achille,
Il prend l’air & le front d’un terrible Guerrier.
D’un intrépide Cœur, & d’une Ame tranquille
Il s’avance au Combat, & charge le premier.
Grande Princesse, il vient tout éclatant de gloire,
Son front est couronné des mains de la Victoire,
Mais c’est peu qu’un triomphe & si noble & si beau,
Ordonnez que l’Amour rendant son heur extréme,
Pour digne Feu de joye allume son Flambeau,
Et d’un Myrthe charmant couronnez-le vous-mesme.

Tous ces Vers, & beaucoup d’autres encor, furent presentez à Monsieur quelques jours apres son arrivée à Paris. Ce Prince avant que de partir pour se rendre en cette Ville, avoit esté au devant de Sa Majesté à Teroüanne. Le Roy le tint un demy quart d’heure embrassé, & lui témoigna une si grande tendresse, que toute la Cour fut charmée de l’air & de la maniere avec laquelle ce Monarque le reçeut. Le lendemain de son arrivée à Paris, la Reyne le vint visiter avant que d’aller aux Carmelites ; & Leurs Altesses Royales furent en suite dîner avec elle.

[Avanture d’une Marquise, d’un Cavalier et d’une Veuve]* §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 46-72VI.

Vous avez impatience sans doute que je vienne aux particularitez des deux derniers Sieges qui ont acquis tant de gloire aux Armes du Roy. J’en ay recueilly de tres-fidelles Memoires : mais, Madame, avant que de vous en faire part, il faut que je vous conte une Avanture qui a mis de la froideur entre des Gens qui sembloient ne devoir jamais estre broüillez. Vous connoissez une des Parties interessées, & voicy comme le tout s’est passé. Une fort aimable Marquise, qui valoit bien l’attachement entier d’un honneste Homme, avoit étably une amitié de confiance & d’estime avec un Cavalier qui la meritoit. Il joignoit à beaucoup d’esprit le don d’estre aussi galant qu’aucun autre qui ait jamais eu de la complaisance pour le beau Sexe & une des conditions de leur amitié fut qu’ils ne se cacheroient rien l’un à l’autre. Cependant il eut du panchant pour une jeune Veuve qui avoit autant de naissance que de merite ; ce panchant approchoit un peu de l’amour, & il en fit mistere à la Marquise. La belle Veuve qui aimoit les gens d’esprit, n’eut point de chagrin de ses visites ; tout ce qui flate plaist, il luy dit des douceurs, & elle ne crût pas avoir sujet de s’en gendarmer. Le Cavalier qui sçavoit que les Femmes se laissant toucher par tout ce qui se fait de bonne grace, se montre empressé à la divertir. Il la veut régaler, tâche à la tirer de chez elle, luy propose d’agreables parties, mais tout cela inutilement. La Belle estoit scrupuleuse, elle haïssoit l’éclat, & ne vouloit point donner à parler. Une de ses Amies, qui l’estoit aussi du Cavalier, trouva moyen de concilier les choses. Elle convint qu’il emprunteroit quelque Maison à une lieuë de Paris, sans dire pour qui, qu’il luy apporteroit un Billet portant ordre au Concierge de recevoir quatre Dames à l’exclusion de tous autres (car la belle Veuve vouloit des Témoins qui éloignassent l’idée d’un Rendez-vous trop particulier) qu’il prendroit ses mesures pour le Régal, & qu’il ne se scandaliseroit pas si on luy en témoignoit de la surprise, & mesme un peu de colere, selon que le cas échéeroit. La Veuve estoit fiere, & ne souffroit pas volontiers qu’on se mist en frais pour elle. Tout cela se faisoit sous pretexte de promenade, & elle ne devoit rien sçavoir de plus. Il n’en falloit pas dire davantage au Cavalier. Il arreste le jour, envoye le Billet, donne les ordres pour le Régal ; & afin de faire les choses plus galamment, il se résout à ne s’y trouver que sur la fin. Cela luy donnoit lieu de desavoüer qu’il fust l’Autheur de la Feste, & on ne l’auroit pas moins crû pour cela. Le jour choisi arrive ; le Concierge avoit esté averty par son Maistre, de ne laisser entrer que les quatre Dames qui luy montreroient un Billet de sa main. Pour le Cavalier il avoit tout pouvoir, & dés le jour precedent il avoit disposé ce qui estoit necessaire à son dessein ; mais par malheur pour luy la belle Veuve se trouva ce jour là mesme dans un engagement in dispensable de monter en Carosse à dix heures du matin, pour ne revenir qu’au soir. Son Amie écrit promptement au Cavalier de remettre la partie au lendemain, de faire changer le Billet d’entrée qu’on luy renvoye (car le jour y estoit marqué) & d’estre asseuré qu’il n’y auroit plus de changement. On donne la lettre à un Laquais ; le Laquais perd la Lettre en la portant ; & de peur d’estre batu, il revient dire qu’il l’a donnée au Portier, parce que le Cavalier venoit de sortir. La Veuve & son Amie partent ; le Cavalier va chez la Marquise. On l’y veut retenir à dîner, il s’excuse sur un embaras d’affaires chagrinantes qu’il ne peut remettre, & il attend impatiemment que le soir arrive pour voir le succés de son Régal. Il est à peine sorty, que la Suivante de la Marquise vient dire en riant à sa Maistresse, qu’elle avoit bien des nouvelles à luy conter. Ces nouvelles estoient, qu’un Laquais marchoit devant elle dans la Ruë, qu’il avoit laissé tomber un Billet, qu’elle l’avoit ramassé, que ce Billet s’adressoit au Cavalier, & que le dessus estoit d’une écriture de Femme. La Marquise l’ouvre, trouve l’ordre au Concierge de recevoir quatre Femmes ce jour là, & reconnoist seulement la main de celuy qui l’avoit écrit. C’estoit un Conseiller d’un âge assez avancé, & en réputation d’une avarice consommée. Il venoit quelquefois chez elle, sa Maison de Campagne luy estoit connuë, & il ne restoit plus qu’à découvrir pour qui la partie se faisoit. Elle refléchit sur le refus que le Cavalier luy avoit fait de diner avec elle, sur les pressantes affaires qui luy en avoient servy d’excuse, & rapportant cela au Billet perdu, elle ne doute point qu’on ne luy fasse finesse de quelque Intrigue. L’éclaircissement ne luy en sçauroit rien coûter. Elle dîne promptement, va prendre trois de ses Amies, monte en Carosse, sort de Paris, & les mene à la Maison du Conseiller. On la refuse sur l’ordre reçeu de ne laisser entrer personne. Elle soûrit, dit que l’ordre ne doit pas estre pour elle, montre le Billet ; grandes excuses, tout luy est ouvert, & le Concierge l’assure qu’il n’est là que pour luy obéïr. Ce début contente assez la Marquise, elle entre dans le Jardin avec ses Amies, leur fait faire quelques tours d’Allée, & les ayant conviées à s’asseoir dans un Cabinet de verdure (car puis qu’on la laissoit maistresse de la Maison, c’estoit à celle à en faire les honneurs) elles n’ont pas plûtost pris place, qu’elles entendent des Voix toutes charmantes soûtenuës de Theorbes & de Clavessins. La Marquise regarde les Dames, elles ne sçavent toutes que penser, la reception est merveilleuse, & ces préparatifs n’ont pas esté faits en vain. Apres que cette agreable Musique a cessé, elles se levent & prennent une autre Allée qui se terminoit dans un petit Bois ; elles y entrent. Autre divertissement. C'est un Concert merveilleux de Musetes, de Flûtes douces, & de Hautbois. Cela va le mieux du monde ; mais il faut voir à quoy tout aboutira. Le plus grand etonnement des Dames est de ne voir personne qui s’intéresse à cette Feste. Elles sortent du Jardin ; le Concierge qui les attend à la porte, les prie de vouloir entrer dans la Salle, & elles y trouvent une Collation servie avec une magnificence qui ne se peut exprimer. La Marquise qui avoit esté bien-aise de joüir des Hautbois & de la Musique, use de quelque reserve sur l’article de la Collation. Elle dit qu’assurément on se méprenoit, que tant d’apprests n’avoient point esté faits pour elle ; & on luy proteste tant de fois qu’autre qu’elle n’entreroit dans la Maison de tout le jour, qu’elle est obligée de se rendre. Quoy qu’elle ne doute point que cette méprise ne soit l’effet du Billet perdu, & qu’elle voye clairement que le Régal vient du Cavalier, qui comme j’ay dit étoit fort galant, elle prie qu’au moins on luy apprenne à qui elle est obligée d’un honnesteté si surprenante. A cela point d’autre réponse que de la prier de s’asseoir. Voila donc les Dames à table ; elles mangent toûjours à bon compte, au hazard de ce qui peut arriver ; & les Violons qui les viennent divertir pendant la Collation, font l’achevement de la Feste. Enfin le Cavalier arrive, on luy dit qu’il y a quatre Dames à table. Il entend les Violons, & n’ayant point à douter que ce ne soit sa belle Veuve, il se prépare à luy faire la guerre de la maniere la plus enjoüée, de ce qu’elle luy a fait finesse du Régal qu’on luy donnoit. Il entre dans la Salle en criant, voila qui est bien honneste, & n’a pas achevé ce peu de mots, que reconnoissant la Marquise, il croit estre tombé des nuës, & ne rien voir de tout ce qu’il voit. La Marquise l’observe, se confirme dans ce qu’elle croit par le trouble où il est, & feignant de n’y rien penetrer ; que je suis ravie de vous voir, luy dit elle ! par quel privilege estes-vous icy ? car on n’y laisse entrer aujourd’huy personne. Venez, mettez-vous aupres de moy ; Monsieur le Conseiller qui me reçoit avec la magnificence que vous voyez, voudra bien que je vous fasse prendre part à la Feste. Ces paroles jettent le Cavalier dans un embarras nouveau. Il ne sçait si le Conseiller le jouë, ou si c’est la Veuve qui luy fait piece ; & ne pouvant deviner par quelle avanture il trouve la Marquise dans un lieu où il ne l’attendoit pas, il tâche à luy cacher sa surprise, pour ne luy pas apprendre ce qu’elle peut ignorer ; mais il a beau se vouloir mettre de bonne humeur, sa gayeté paroist forcée, & la malicieuse Marquise fait un plaisir merveilleux de son desordre. S’il resve un moment, elle veut qu’il soit jaloux de ce qu’un autre que luy la régale d’un maniere si galante, & lui dit plaisamment, qu’il faut qu’il ait de bons Espions, pour avoir esté averty de tout si à point nommé. Il répond qu’apres s’estre tiré de son affaire chagrine qui n’alloit pas comme il souhaitoit, il avoit appris qu’on luy avoit veu prendre la route de cette Maison où ils s’estoient souvent promenez ensemble, qu’il l’y estoit venu chercher, & qu’il avoit eu bien de la peine à se faire ouvrir. La Marquise feint de croire ce qu’il luy dit, & luy parlant à demy bas, mais assez haut pour estre entenduë des Dames ; n’admirez-vous pas, luy dit-elle, ce que fait faire l’amour ? car il faut de necessité que Monsieur le Conseiller m’aime sans me l’avoir osé dire. Voyez de quelle maniere il me fait recevoir chez luy. Il est le plus avare de tous les Hommes, & cependant il n’y a point de profusion pareille à la sienne. Nous avons esté déja régalées dans le Jardin de Voix, de Hautbois, & de Concerts ; c’est une galanterie achevée, & je croy que je l’aimeray s’il continuë. Le Cavalier perdoit patience, & il fut tenté vingt fois de s’expliquer, dans la pensée que son secret estoit découvert ; mais il pouvoit ne l’estre pas, & c’estoit assez pour le retenir. Le jour s’abaissoit, on remonte en Carosse. Le Cavalier prend place dans celuy de la Marquise, qui le mene souper chez elle, & ne le laisse sortir qu’à minuit. Ce n’estoit point assez, la Piece pouvoit estre poussée plus loin, c’est à quoy la Marquise ne manque pas. Elle sçait par le Billet perdu, que les Dames inconnuës s’attendoient à estre régalées le lendemain. Elle songe à mettre le Cavalier hors d’état de s’éclaircir, par consequent de satisfaire les Belles. Elle luy envoye pour cela de fort bon matin deux de ses Amis qui l’arrestent, jusqu’à ce qu’elle passe chez luy elle mesme, & fait si bien, que malgré qu’il en ait, elle l’engage pour tout le reste du jour. Ce n’est pas sans plaisanter plus d’une fois sur la prétenduë galanterie du Conseiller. Mais tandis que la Marquise se divertit agreablement, on s’ennuye chez la belle Veuve de n’avoir point de nouvelles du Cavalier. L’heure de la promenade se passant, on s’imagine qu’il s’est piqué de ce qu’on avoit remis la Partie ; on le traite de bizarre, & on proteste fort qu’on ne luy donnera jamais lieu d’exercer sa méchante humeur. Il rend visite le lendemain, débute par quelque plainte ; & la belle Veuve qui ne luy explique rien, se contente de luy répondre fort froidement. Son Amie plus impatiente, le querelle de les avoir fait attendre tout le jour ; la chose s’éclaircit, on fait venir le Laquais. Le Laquais soûtient qu’il a donné le Billet à son Portier ; & alors le Cavalier ne doute plus qu’il n’ait esté remis entre les mains de la Marquise, quoy qu’il ne sçache comment. Il conjure la belle Veuve de choisir tel autre jour qu’il luy plaira, & il n’en peut rien obtenir. Il retourne chez la Marquise, qui luy demande s’il a fait sa paix avec les Belles qu’il a manqué à régaler le jour precedent. Il se plaint de sa maniere d’agir avec luy ; elle luy reproche le secret qu’il luy a fait de ses Intrigues contre les loix de leur amitié. Ils se separent en grondant, & je croy qu’ils grondent encor presentement. J’ay sçeu toutes les circonstances de l’Histoire, d’un des plus particuliers Amis du Cavalier. La Marquise veut qu’il luy nomme la Dame pour qui se faisoit la Feste, & le Cavalier veut estre discret. Voila l’obstacle du raccommodement.

[Galanterie à Iris]* §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 95-102VII.

Le Roy ne fut pas plutost maistre de Cambray, que le Prevost de la Cathedrale, qui est en réputation d’un Homme d’esprit, vint de la part de tout le Clergé, prier Sa Majesté d’entrer dans la Ville, ce qu’elle ne fit qu’apres la prise de la Citadelle. Quittons un moment cette matiere, & pour vous délasser de la guerre, passons au chapitre de l’Amour. Voicy des Vers qu’il a fait faire : ils ont un tour noble qui marque les privileges de leur source, & vous n’en avez jamais trouvé de bons, si vous n’estes contente de ceux-cy.

Je suis vieux, Belle Iris, c’est un mal incurable.
De jour en jour il croist, d’heure en heure il accable,
La mort seule en guerit, mais si de jour en jour
Il me rend plus mal propre à grossir vostre Cour,
Il tire enfin ce fruit de ma décrepitude,
Que je vous voy sans trouble & sans inquietude,
Sans batement de cœur, & que ma liberté
Pres de tous vos attraits est toute en seureté :
Tel est l’heureux secours que reçoit des années
Une ame dont vos loix regloient les destinées.
Non que je sois encor bien desaccoutumé
Des douceurs que prodigue un cœur vrayment charmé ;
A ce tribut flateur la bienseance oblige,
Le Merite l’impose, & la Beauté l’exige,
Nul age n’en dispense, & fût-on aux abois,
Il faut en fuir la veuë, ou luy payer ses droits ;
Mais ne me rangez point, alors que j’en soûpire,
Parmy les Soûpirans dont il vous plaist de rire,
Écoutez mes soûpirs sans les conter à rien,
Je suis de ces Mourans qui se portent fort bien,
Je vis aupres de vous dans une paix profonde,
Et doute, quand j’en sors, si vous estes au Monde,
Pardonnez-moy ce mot qui sent le revolté,
Avec le cœur peut-estre il est mal concerté,
Vos regards ont pour moy toûjours le mesme charme,
M’offrent mesmes perils, me donnent mesme alarme,
Et je n’esperois aucune guerison,
Si l’age estoit chez vous mon seul contrepoison.
Mais graces au bonheur de ma triste avanture,
A peine ay-je loisir d’y sentir ma blessure.
Graces à vingt Amans dont chez vous on se rit,
Dés que vostre œil m’y blesse, un autre œil m’y guerit.
Souffrez que je m’en flate, & qu’à mon tour je cede
Au chagrinant Rival qui comme eux vous obsede,
Qui leur fait presque à tous deserter vostre Cour,
Et n’ose vous parler ny d’Himen ny d’amour.
Vous le dites du monde, & voulez qu’on le croye,
Et mon reste d’amour vous en croit avec joye ;
Je fay plus, je le voy sans en estre jaloux,
  A vostre tour m’en croyez-vous ?

Que pensez-vous, Madame, de cette galanterie ? L’Autheur qui prétend que ses vieilles années luy ont acquis l’avantage d’aimer si commodement, & qui s’explique d’une maniere si agreable, ne merite-t-il pas d’estre particulierement consideré de la Dame ? Il est rare de pouvoir conserver dans un âge aussi avancé que celuy qu’il se donne, le feu d’esprit qu’il fait paroistre encor dans ces Vers ; & le vieux Martian que vous avez tant admiré dans l’admirable Pulcherie du grand Corneille, n’auroit pas parlé plus galamment, s’il avoit voulu s’éloigner du sérieux.

Lettre d’un Inconnu à l’Autheur du Mercure Galant §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 102-113VIII.

A l’heure qu’il est, on m’apporte une Lettre qui merite bien de vous estre envoyée, & qui est une espece d’avanture pour moy. C’est à vous, Madame, à qui je dois les choses obligeantes que vous y verrez. Si vous n’aviez pas souffert que les Nouvelles que j’ay soin de vous envoyer tous les mois, prissent le Titre de Mercure Galant pour courir le monde, apres qu’elles ont esté jusqu’à vous, je n’aurois pas reçeu un témoignage si avantageux de l’approbation que leur donne le Public. J’ignore le nom de la Personne qui me fait la grace de m’écrire ; je sçay seulement celuy de la Dame dont on me parle, & vous voudrez bien que je vous le taise. Tout ce que je me croy permis de vous en dire, c’est qu’elle est d’un mérite generalement reconnu, & qu’assurément vous entendrez parler d’elle plus d’une fois dans le Mercure.

LETTRE
D’UN INCONNU,
a l’Autheur :
DU MERCURE GALANT.

Je sers de Secretaire à une belle Dame, qui souhaite, Monsieur, que je vous mande l’extréme satisfaction que luy a donnée la lecture des deux premiers Tomes de vostre Mercure Galant. Je conviens avec elle que c’est un Ouvrage tres-utile, & mesme glorieux pour la France ; qu’il sera encor plus recherché quelque jour qu’il ne l’est aujourd’hui, quoy qu’il soit assez difficile d’en avoir des premiers, & que dans un Siecle éloigné du nostre, il servira de Titre à quantité de Familles dont vous faites connoistre & la noblesse & l’antiquité : mais à vous dire les choses comme elles sont, je croy qu’il y a un peu d’interest meslé aux loüanges que vous donne la Dame dont je vous parle. Elle a une demangeaison terrible de voir son Nom parmy ceux à qui vous donnez place dans le Mercure ; & comme elle sçait qu’il a un fort grand succés, qu’il court déja dans toutes les Villes de France, & mesme plus loin, elle n’en fait point la fine, elle seroit ravie de courir le Monde avec luy. C’est estre Coureuse, il est vray, & ce mestier n’accommode pas la réputation d’une Femme ; cependant elle croiroit n’y pas hazarder la sienne, au contraire, estant aussi persuadée qu’elle est qu’on ne pourra plus à l’avenir faire preuve de valeur, de beauté, & de bel esprit, si l’on n’est dans le Mercure, elle seroit au desespoir que vous oubliassiez à parler d’elle. Quelque envie pourtant qu’elle en ait, elle dit fort plaisamment qu’elle ne seroit pas peu embarassée à vous marquer son bel endroit, qu’elle ne sçait par où se prendre pour le trouver ; & que ce qui la console, c’est qu’elle l’apprendra de vous par la connoissance infuse que vous devez avoir de tout le monde, veu la maniere dont vous parlez de mille Gens. Jugez si elle a raison en cela ; elle s’appelle Madame la Marquise de *** & à present que vous sçavez son nom, je croy que vous ne chercherez pas longtemps ce bel endroit qu’elle a tant de peine à découvrir. Sa naissance, sa beauté, son esprit, sa fidelité pour ses Amis, voila bien de beaux endroits au lieu d’un. Choisissez ; de quelque costé que vous vous tourniez sur son chapitre, vous ne parlerez point à faux. Elle espere que comme les Hommes ont leurs Historiens, vous ne dédaignerez point d’estre quelque jour celuy des Femmes, & qu’apres avoir rendu à nos Braves la justice que vous leur devez dans cette Campagne, vous estimerez assez les Belles pour en vouloir faire une reveuë. Sa modestie l’empesche de se mettre de ce nombre, je m’en rapporte à vous, & tiens cependant que les Hommes ne vous sont pas peu obligez. Je les trouve bien plus à leur aise reliez en Veau dans vostre Livre, que d’avoir à courir en feüilles volantes dans les autres Nouvelles que les Dames lisent rarement. J’en connoy qui ont eu bien de la joye d’apprendre dans le Mercure les belles Actions de leurs Amans, qu’elles ne lisoient point ailleurs, ou qu’elles y voyoient marquées, sans qu’il y eust rien de leurs autres belles qualitez. Ceux qui se sont distinguez à Valenciennes & à la Bataille de Cassel, vous doivent un remercîment, & il est à croire que vous n’oublierez pas les autres qui se sont signalez à Cambray & à S. Omer. Prenez-y garde, je connois une Demoiselle avec qui vous auriez un fort grand démeslé, si vous ne parliez pas de son Amant. Ce que je remarque de particulier, c’est que vous accoûtumez le monde à n’estre pas fàché d’entendre dire du bien de son prochain ; cela est assez nouveau, car nostre panchant est à la Satyre. Vous ne desobligez personne, & ce que vous dites d’avantageux pour ceux que vous loüez, est fondé sur des choses si veritables, que comme vous les citez, elles ne peuvent passer pour des flateries. Continuez, Monsieur, je vous en sollicite pour les Belles, & je ne doute point que n’en soyez sollicité d’ailleurs par tout ce qu’il y a de plus honnestes Gens en France.

Et par apostille il y a d’une écriture de Femme.

Ne croyez pas, Monsieur, un Extravagant qui ne vous écrit que des folies sur l’article qui me regarde. J’ay amené la mode de joüer les années du Mercure, comme on jouë les Loges pour la Comédie, & il veut se vanger de ce qu’il l’a perdu pour un an contre deux Dames & contre moy, qui nous en divertirons à ses dépens. Ainsi ne changez pas le dessein de le poursuivre, car ce seroit autant de perdu pour nous.

L’Amour Noyé §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 113-123IX.

Je vous avouë, Madame, que la lecture de cette Lettre m’a donné du plaisir ; je la trouve bien écrite, & je voudrois en pouvoir imiter le stile dans toutes celles que vous me faites l’honneur de souhaiter de moy ; mais pour passer de la Prose aux Vers ; & vous parler de l’Amour Noyé, je ne suis point surpris qu’on vous en ait dit du bien, je vous l’envoye. C’est une tres-jolie bagatelle. Comme elle a plû icy à tout le monde, je ne doute pas qu’elle ne soit de vostre goût ; & afin que vous en receviez plus, il faut vous en expliquer le sujet. On s’estoit entretenu de toutes choses dans une fort agreable Compagnie ; on n’y avoit mesme un peu médit, car le moyen de parler longtemps, & de ne donner pas sur le prochain ? On ne sçavoit plus que faire, la pluye empeschoit la promenade ; & comme le badinage est quelquefois de saison, on s’avisa de badiner. Le Jeu de l’Amour Noyé fut le divertissement qu’on choisit. On nomme deux Amans aux Belles, qui en noyent l’un en faveur de l’autre. Il y en avoit quelques-unes dans cette petite Assemblée, qui valoient bien qu’on souhaitast d’en estre choisy, & il arriva qu’une des plus enjoüées noya jusqu’à douze fois un des deux Amans qu’on luy donna. Ce fut cette jeune Personne qui a les cheveux d’un si beau blond, dont le visage & la taille sont si fort à vostre gré, & que vous dites que Madame la Marquise de *** a raison d’appeller son petit Ange. Voila la Noyeuse. Je ne vous puis dire quel est le Noyé, je sçay seulement que les Vers sont de Monsieur de Fontenelle, qui à l’âge de vingt ans a déja plus d’acquis qu’on n’en a ordinairement à quarante. Il est de Roüen, il y demeure ; & plusieurs Personnes de la plus haute qualité qui l’ont veu icy, avoüent que c’est un meurtre que de le laisser dans la Province. Il n’y a point de Science sur laquelle il ne raisonne solidement ; mais il le fait d’une maniere aisée, & qui n’a rien de la rudesse des Sçavans de profession. Il n’aime les belles Connoissances que pour s’en servir en honneste Homme. Il a l’esprit fin, galant, délicat ; & pour vous le faire connoistre par un endroit qui vous sera tres-connu, il est Neveu de Messieurs Corneille.

L’AMOUR NOYÉ.

Philis plongeoit l’Amour dans l’eau,
L’Amour se sauvoit à la nage ;
Il revenoit sur le rivage,
Philis le plongeoit de nouveau.
Cruelle, disoit-il, vous qui m’avez fait naistre,
 Helas ! pourquoy me noyez-vous ?
Est-ce que vous voulez m’empescher de paroistre ?
 Prenez-en un moyen plus doux.
Je ne paroistray point, c’est une affaire faite,
Je ne vous ferois pas pourtant de des honneur ;
Au lieu de me noyer, donnez-moy pour retraite
 Un petit coin de vostre cœur.
 Je vous répons qu’il seroit impossible
De trouver un endroit plus propre à me cacher ;
Comme on sçait qu’il me fut toûjours inaccesible,
 On ne m’y viendra pas chercher.
 Philis ne l’en voulut pas croire,
Ce n’est pas qu’apres tout l’avis ne fust fort bon ;
 Pour réponse elle le fit boire,
 Mais boire plus que de raison.
Tel qu’un petit Barbet qu’à l’eau son Maistre envoye,
Et qui de ce péril dés qu’il est échappé,
 Revient à son Maistre avec joye
 Tout degoûtant & tout trempé ;
Tel l’Amour s’exposant à des rigueurs nouvelles,
 A peine sorty du danger,
Revenoit vers Philis, en secoûant ses aisles,
Quoy qu’il sçeust que Philis alloit le replonger.
Ses forces cependant à la fin s’épuiserent,
Il estoit las de faire des plongeons,
Il se rendit, & les bras luy manquerent,
 Il falut qu’il coulast à fonds.
 Le croira-t-on ? Philis en fut ravie,
Car elle le noyoit pour la douziéme fois :
Elle herita de l’Arc, des Traits & du Carquois,
 Dont elle s’est fort bien servie.
Pour le petit Amour, je ne puis concevoir
Qu’à la nage onze fois il soit sorty d’affaire ;
Sans beaucoup de vigueur cela ne se peut faire,
Le pauvre Enfant n’en devoit guere avoir,
Il fut toûjours mal nourry par sa Mere.
Quoy que l’espoir ne soit qu’une viandre legere,
A peine fut-il né, qu’on le sévra d’espoir.
 Si Philis un peu moins injuste,
L’eust traité comme il faut en luy donnant le jour
C’eust bien esté l’Amour le plus robuste
 Que l’on eust veu, de memoire, d’Amour.

Epitaphe de l’Amour.

Cy gist l’Amour, Philis a voulu son trépas,
L’a noyé de ses mains, on n’en sçait point la cause.
Quoy que sous ce Tombeau son Corps repose,
Qu’il fust mort tout-à-fait je n’en répondrois pas.
Souvent il n’est pas mort, bien qu’il paroisse l’estre,
Quand on n’y pense plus il sort de son Cercueil,
Il ne luy faut que deux mots, un coup d’œil,
Quelquefois rien pour le faire renaistre.

[Prise de Cambrai]* §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 181-184X.

Le lendemain 19. [avril] le Roy alla faire chanter le Te Deum dans l’Eglise Cathedrale de Cambray, où tout le Clergé le reçeut à la Porte. C’est une des plus belles Eglises de l’Europe ; il y a deux Jubez, dont l’un est tout de cuivre, & tres-bien travaillé. La Porte du Chœur est de la mesme matiere, & toute cizelée. Son Horloge sonne à toutes les heures & demy heures, un Carillon en musique. Outre le Trésor de l’Eglise, il y a encor celuy de Nostre-Dame de Grace, dont la Chapelle qui est dans la mesme Cathedrale, est tres-magnifique. Son Tabernacle est d’argent cizelé, & éclairé à toute heure par vingt Lampes d’un fort grand prix. Il y a neuf Paroisses dans la Ville, & des Monasteres à proportion. Les Bâtimens en sont assez beaux, aussi-bien que les Ruës. Sa Place d’armes est d’une grandeur extraordinaire, & capable de contenir toute la Garnison en bataille.

Apres le Te Deum, le Roy fut voir tous les Travaux, & visiter la Citadelle. Un Officier Espagnol qui avoit esté blessé, & qui parut tres-galant Homme à quelques François qui l’entretinrent, les assura que dans la seule Citadelle il y avoit eu plus de mille Hommes tuez ou blessez.

[Cinq poèmes au Roy sur ses Conquestes dont un Sonnet par Echo]* §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 211-223XI.

C’est sur cette assurance que je difere ce que j’ay à vous en dire, & que je passe à quelques Vers qui ont esté faits sur les Conquestes du Roy. En voicy de Monsieur Boyer.

POUR LE ROY.
SONNET.

A peine le Soleil dissipoit les frimats,
Qu’on a veu de Loüis la Valeur triomphante,
La Flandre desolée, & ses meilleurs Soldats
Arrouser de leur Sang l’Herbe à peine naissante.
Luy seul a changé l’art des Sieges, des Combats,
Dont jadis la métode estoit douteuse & lente.
Ce Jupiter qui regne & qui tonne icy bas,
Lance en toute saison sa foudre impatiente.
Ses Exploits sont toûjours aussi prompts qu’éclatans,
Ils ne relevent point des regles ny du temps,
En vain pour luy nos vœux appellent la Victoire.
Ce héros dont l’ardeur ne s’arreste jamais,
Sçait si bien abreger le chemin de la Gloire,
Que sa rapidité devance nos souhaits.

Les deux Sonnets qui suivent sont de Monsieur Robinet qui a fait autrefois la Muse Historique, dédiée à Madame.

AU ROY,
SUR SES CONQUESTES.

Sonnet.

Miraculeux Héros, Vainqueur inimitable,
Par tes fameux Exploits, tu te fais admirer.
A quel grand Conquerant te peut-on comparer,
Dont la gloire ne cede à ton Nom redoutable ?
Tu n’es plus qu’à toy-mesme aujourd’huy comparable.
L’Alexandre orgueilleux qui se fit adorer,
Se verroit, s’il vivoit, réduit à soûpirer,
D’estre moins grand que toy, d’estre moins adorable.
Luy qui crut posseder la Gloire sans Rivaux,
Ne put entrer dans Tyr qu’en six mois de Travaux,
Quoy que Tyr valut moins qu’une de tes Conquestes.
Mieux que Cesar, tu n’as qu’à venir & qu’à voir,
Les Victoires, pour toy, se trouvent toûjours prestes,
Trois Villes en un mois tombent sous ton pouvoir.

POUR LE ROY
SONNET.

Admirons ce Grand Roy, toûjours victorieux,
Admirons ce Héros, si digne qu’on l’admire,
Regardons son grand air, tel est celuy des Dieux,
Dont comme leur pareil, il partage l’Empire.
Il est sage, vaillant, juste, laborieux,
Son grand cœur pour la Gloire incessament soûpire.
Toutes ses actions le rendent glorieux,
Et l’Histoire aura peine à vous les bien décrire.
Se privant du repos, s’éloignant des plaisirs,
Vers cette Gloire austere il tourne ses desirs,
Et durant l’hyver mesme il ouvre la Campagne.
La Victoire aussi tost se trouve à ses costez ;
Elle luy fait present de trois grandes Citez,
Et laisse à deviner les suites à l’Espagne.

Les Sonnets par Echo reviennent tellement à la mode, que j’ay crû que vous ne seriez pas fachée de voir celuy-cy.

De l’Auguste Loüis celebrez les Trophées,    Fées,
Tracez, Filles des Bois, dessus ses Lauriers vers ;    Vers,
Comme il est pour se voir dans le Ciel couronné    Né,
Dressez à ce Héros que l’Univers contemple,    Temple.
L’on peut bien de Cesar ce qu’on en fait accroire,    Croire,
Mais la Gloire en Hyver suivoit-elle ses pas ?    Pas.
Aupres du Grand Loüis auroit-il du renom ?    Non ;
Le vit-on comme luy juste, vaillant, affable ?    Fable.
Ce que l’Antiquité, qui chez nous a credit    Dit
Des plus fameux Guerriers, est une bagatelle    Telle
Qu’ils auroient tous perdu devant ce grand Vainqueur    Cœur.
Voyons-le qui jamais dans son soin vigilant,    Lent,
Toûjours pour entasser merveille sur merveille,    Veille.
Qui donc est au dessus de nostre Demy-Dieu ?    Dieu !

Voicy d’autres Vers qui méritent bien de tenir leur place icy.

POUR MONSIEUR,
Sur la Bataille du Mont-Cassel.

 

Au bruit des grands Exploits que font aux Champs de Mars
Deux Chefs qu’à ce Combat mesme chaleur entraine,
La Victoire sur eux tourne tous ses regards :
Puis sur ses aisles d’or dans les airs se promene,
Et partageant entre eux la gloire & les hazards,
 Balance & demeure incertaine.
Mais l’un se distinguant par cent efforts guerriers,
Et l’emportant sur l’autre aux yeux de la Victoire,
 La Victoire ne sçait que croire,
Elle qui pour Loüis garde tous ses Lauriers.
Si ce n’est pas Loüis, dit-elle, c’est son Frere ;
 Je le connois à ce qu’il vient de faire.
Elle part, & d’un vol qui n’est plus incertain,
Dans le Camp de Philippe elle se précipite,
Luy presente aussi-tost les Lauriers qu’il merite,
 Et le couronne de sa main.

Je ne vous demande point vostre sentiment sur ce Madrigal, vous estes de trop bon goût pour ne le pas approuver. Il est encor de Monsieur Boyer, fameux par quantité de belles Pieces de Theatre qui luy ont fait meriter une place dans l’Académie Françoise, qu’il a toûjours occupée parmy les beaux Esprits. Les Vers admirables, & les grands évenemens dont elles sont remplies, leur feroient faire plus de bruit qu’elles ne font aujourd’huy, quoy que tous les Gens éclairez en parlent avec beaucoup d’estime, si nous estions encor au temps où les Ouvrages de cette nature faisoient d’eux-mesmes leur bien ou mauvais succés.

[Mort de l'Evêque de Maupeou et Dispute autour d’un Bracelet entre une Dame et un Cavalier]* §

Le Nouveau Mercure galant, mai 1677 (tome III), p. 252-255XII.

L’Evesché de Chaalons est vacant par la mort de Monsieur de Maupeou, qui avoit esté Aumônier du Roy. Ce Prélat estoit d’une probité & d’une bonté extraordinaire, tres-fidelle & tres-passionné pour ses Amis. Il avoit perdu plusieurs Freres au service de Sa Majesté dans le Regiment des Gardes, où ils s’estoient tous distinguez par des actions éclatantes de valeur, comme la plûpart de ceux qui portent ce Nom ont fait & font encor tous les jours, dans les Tribunaux où ils président avec une integrité digne de servir d’exemple à tous ceux qui veulent entrer dans les Emplois de la Robe.

Il est survenu icy un Différend dont je voudrois bien que vous m’eussiez fait sçavoir vostre pensée. Un Cavalier qui ne manque pas de mérite, avoit esté dix fois chez une fort belle Dame sans la trouver. Il luy parle enfin chez une de ses Amies, a qui elle rendoit visite comme luy. Elle luy fait des reproches obligeants de sa négligence à la voir ; & sur ce qu’il oppose qu’il luy seroit inutile de l’aller chercher, puis qu’on ne la rencontroit jamais ; Voila mon Bracelet, luy dit-elle, raportez-le-moy demain à telle heure ; & si vous ne me trouvez pas, il est à vous. Le Bracelet estoit de prix, & il n’y a pas d’apparence qu’elle eust voulu le risquer. Cependant on luy propose le lendemain une Partie de divertisement pour tout le jour ; elle l’accepte, va disner en Ville, & ne se souvient point de l’engagement où elle s’est mise. Le Cavalier a de son costé des affaires importantes qu’il ne peut remettre, & qui l’empeschent d’aller chez elle ; ils conviennent tous deux de leurs Faits, & c’est là dessus qu’il faut prononcer. Le Cavalier soûtient que puis qu’elle a manqué à la parole qu’elle luy avoit donnée de l’attendre, le Bracelet doit estre à luy ; & afin qu’on ne le soupçonne pas de le vouloir garder par un mouvement d’avarice, il offre à la Dame de luy en rendre deux fois la valeur en autres Bijoux. La Dame avouë que s’il estoit venu chez elle, il n’y auroit point de contestaton : mais comme il demeure d’accord de n’y avoir pas esté, elle demande obstinement son Bracelet, & ne veut rien recevoir en échange. Parlez, Madame, ils vous connoissent tous deux pour la Personne du monde la plus équitable, & je ne doute point qu’ils ne se soûmettent volontiers au jugement que vous rendrez.