1678

Mercure galant, avril 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, avril, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1678 [tome 4]. §

Le Mercure galant, À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], non paginé.

À Monseigneur

Le Dauphin

Lors que plein de Loüis je viens te raconter,
Prince, quelques traits de sa vie,
Sans-doute à ce discours tu te sens exciter
        D’une héroïque jalousie.
À ta jeune valeur, à tes premiers efforts,
La Flandre auroit offert une illustre matiere ;
Mais Loüis les dérobe à ton ardeur guerriere,
Tout ce que l’Espagnol perd de Murs & de Forts,
        Tu les pers d’une autre maniere.
Quand tu vois par un Pere Ypre & Gand attaquez,
        (Ou bien pris, c’est la mesme chose)
Tu te plains que pour Luy la Victoire en dispose,
Car ton Bras sans cela ne les eust pas manquez.
Si tant d’Etats voisins sont en nostre puissance,
Il faudra que plus loin tu portes tes Exploits.
    Ce que Loüis a sçeu rendre François,
Tu le mettras sous Luy dans le cœur de la France.

[Avant-propos] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 1-3.

Vous ne sçauriez croire, Madame, combien je me trouve presentement embarrassé à vous écrire. Vous m’avez dispensé de l’exactitude du stile. Je vous dis sans façon les Nouvelles dont on me fait part, & n’estant point assujetty avec vous aux termes choisis, je puis me tirer d’affaire fort commodément. Cela va le mieux du monde pour ce qui regarde la facilité de nostre commerce, mais il n’en est pas de mesme pour l’abondance des matieres qu’on me fournit. Mes Lettres grossissent chaque Mois, & elles ne suffisent point encor à tout ce qui m’est envoyé de tous côtez. Ainsi je me trouve dans la necessité, ou de suprimer quantité de choses que je suis assuré qui vous plairoient, ou de ne les pas mettre dans le temps qu’on me les donne. Vous m’avez causé cet embarras en me rendant à la mode.

[Madrigal à Iris] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 3-5.

Voyez, Madame, par ce Madrigal si je présume trop du cours que vous m’avez fait avoir dans le monde.

MADRIGAL.

Au Mercure nouveau c’est en vain qu’on prétend,
Iris, sans avanture on n’y peut tenir rang.
Sans la Guerre ou l’Amour on n’aura point la gloire
De voir son Nom dans ses Ecrits galans,
C’est leur unique employ de chanter la victoire
        Ou des Soldats ou des Amans ;
La Guerre apparemment a pour vous peu de charmes,
        Et vous fuyez ses tristes coups.
    Vous aimez mieux qu’en vous rendant les armes
On ne connoisse point d’autre vainqueur que vous.
Hé bien, suivez l’Amour, vous irez au Mercure ;
Mais laissant vostre cœur, capable de ses feux,
Souvenez-vous, Iris, que pour une Avanture
        Il faut tout au moins estre deux.

Quoy qu’en dise ce Madrigal, il n’est point besoin d’estre de concert pour se donner le plaisir de produire une Avanture. Il l’en naist que trop tous les jours que les Interessez ne peuvent prévoir, & qui ont quelquefois de fâcheuses apparences, quoy que dans le fond il n’y ait rien de plus innocent.

[L’Amant réchauffé] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 5-33.

Ce que vous allez entendre vous surprendra. L’incident est particulier, & l’Amour n’en causa peut-estre jamais un plus bizarre.

Une Dame demeurée Veuve assez jeune, ayant médiocrement de la beauté, mais beaucoup d’enjouëment, & ce qui s’appelle l’Esprit du monde, vivoit avec une Sœur d’un caractere tout opposé. L’une aimoit toutes les Parties de plaisir, l’autre cherchoit la retraite ; & tandis que la premiere ne songeoit qu’à passer agreablement son temps, celle-cy faisoit la joye de la solitude. Ce n’est pas qu’elle n’eust tous les avantages qui peuvent autoriser une jeune Personne à souhaiter d’estre veuë. Elle avoit de la beauté, la taille bien prise, l’esprit doux, & si elle eust voulu songer au Mariage, elle ne manquoit pas de Prétendans, mais elle s’estoit mis la Devotion en teste, & regardent toutes les folies de la vie comme passageres, elle n’y trouvoit rien qui dust l’attacher. Sa Sœur avec qui la mort de sa Mere l’avoit obligée à se retirer, luy faisoit souvent la guerre de cette humeur sauvage qui ne s’accommodoit presque d’aucun divertissement, & dans leurs petites disputes un Habit de Religieuse estoit toûjours ce qu’elle luy conseilloit de choisir. Mais elle connoissoit les maux de la dépendance. Le nom de Fille ne luy paroissoit point honteux à garder, & sans se faire une necessité de la maxime reçeuë parmy la pluspart de celles de son Sexe, qu’il faut ou se marier ou entrer dans un Couvent, elle estoit bien aise de demeurer maistresse de ses actions, & de pouvoir tous les jours renouveller volontairement le sacrifice qu’elle s’estoit resoluë à faire de ce que le monde a de plus flateur. Elle avoit du Bien, & elle en employoit une partie à soulager les Misérables dans leurs besoins. Sa Maison leur estoit toûjours ouverte, & elle n’en pouvoit entendre gémir sans s’intéresser à leurs secours. Ces pratiques de vertu & de charité faisoient bruit. Les Gens aussi détrompez des vanitez du Siecle qu’elle l’estoit, ne pouvoient assez loüer sa conduite. Mais ceux qui ne distinguent point la veritable Devotion de l’Hypocrisie, en faisoient cent contes desavantageux. Les uns l’accusoient d’orgueil, de laisser paroistre ce qui devoit estre caché. Les autres disoient que c’estoit sa marote de vouloir qu’on parlast d’elle sur le pied d’une Beate ; & sa Sœur mesme apprenant qu’elle retiroit quelquefois des Pauvres chez elle pendant la nuit, ne pouvoit s’empescher de dire qu’elle aimoit l’ordure et la saleté. Ces railleries la trouvoient inébranlable. Elle écoutoit tout, & ne s’embarrassoit de rien. Elle auroit toûjours vescu dans cette loüable tranquillité, sans une disgrace qui luy arriva d’où elle devoit l’attendre le moins. Les deux Sœurs allerent rendre visite à une Parente qui estoit intime Amie de l’Aisnée. Cette Parente avoit un Amant avec qui elle estoit broüillée à demy depuis quelques jours, & le hazard voulut qu’il se trouvast chez elle dans le temps de la Visite. Il vit la belle Devote. Il en fut charmé, & ayant commencé à luy dire quelque douceur, si elle luy répondit civilement, ce fut avec une severité qui luy fit connoistre que ce n’estoit pas sur ce ton-là qu’elle accoûtumoit les Gens à luy parler. À peine leva-t-elle les yeux une fois sur luy, & ce n’eust pas esté un petit embarras pour elle s’il luy eust falu dire au sortir de là de quelle maniere il estoit fait. Le Cavalier tout Homme de Cour qu’il estoit, en demeura presque déconcerté. Il s’adressa à l’Aisnée, qui luy fit le Portrait de sa Cadete en riant. Cette austerité de vertu le surprit ; mais comme les traits de son visage adoucissoient pour luy ce qu’elle avoit de trop rude, il se fit un point-d’honneur de réduire cette aimable Personne à ne le traiter pas toûjours si fiere. C’estoit un de ces Hommes du grand air, qui sur la foy de leur bonne mine, se persuadent qu’il n’y a point de Belle qui soit capable de leur resister. Il noüa aisément commerce avec la Veuve, sous prétexte de la faire Juge des sujets de plainte que luy donnoit sa Parente, avec laquelle il rompit entierement. Les Visites qu’il rendit à cette Veuve, ne produisirent pourtant point l’effet qu’il en attendoit. Il croyoit que son aimable Sœur seroit aupres d’elle, & il ne l’y rencontra qu’une fois ou deux. Encor fust-ce un bonheur dont cette belle Personne l’empescha toûjours de profiter, en se retirant presque aussi-tost. Ces difficultez irritérent sa passion. Ne la pouvant voir chez elle, il la chercha dans des lieux où il estoit seûr de la retrouver. Elle avoit ses heures de devotion publique, & il les passoit en mesme lieu qu’elle, sans en retirer d’autre avantage que celuy d’estre témoin d’une modestie, qui le charmoit malgré son peu de panchant à estre devot. Cependant son amour augmentoit toûjours, & l’impossibilité presque visible de reüssir, l’engageoit plus fortement à la porusuite de cette conqueste. Il n’osoit se découvrir à son Aisnée, parce qu’elle estoit trop Amie de la Dame qu’il abandonnoit, & qui avoit grande peine à se consoler de cette rupture. À ce defaut il fit agir une Femme de qualité qui assura l’aymable Devote, que si elle vouloit avoir de la considération pour luy, il seroit ravy d’épouser une Personne aussi vertueuse qu’il la connoissoit. Rien ne luy pouvoit estre plus avantageux. Le Gentilhomme estoit riche, bien fait, de bonne Maison, & elle ne fut point touchée de ce que toute autre auroit crû un fort grand bon-heur. Les refus qu’elle luy fit signifier, auroient dû éteindre la plus violente passion, & il en arriva tout autrement. Le Cavalier qui n’avoit peut-estre fait proposer le Mariage que pour avoir accés aupres de la Belle, se fit une veritable affaire de réüssir dans ce dessein. Il crût que s’il pouvoit luy parler luy-mesme, il luy peindroit si bien ce qu’elle pouvoit gagner en l’épousant, qu’il viendroit à bout de sa resistance, & pour en avoir une audiance infaillible dans un temps qui la forceroit à l’écouter, il s’avisa du plus bizarre expédient dont l’Amour se soit peut-estre jamais servy. Son Apartement donnoit sur la Rue. Il sçavoit qu’elle estoit tres-sensible au malheur des Affligez, qu’elle ën avoit souvent retiré chez elle pour avoir entendu leurs plaintes, & ne doutant point qu’elle n’exerçast la mesme charité à son égard, s’il se métamorphosast d’une maniere à mériter sa compassion, il prit l’Habit d’une pauvre Femme qui avoit soin de nettoyer une petite Ruë voisine, se barboüilla un peu le visage qu’il avoit assez propre à autoriser un déguisement de cette nature, & dans cet équipage il alla se poster à heure induë sous les Fenestres de la Belle qu’il vouloit tromper. La coûtume qu’elle avoit de méditer le soir apres avoir fait retirer ceux qui la servoient, luy estoit connuë. Il commença de joüer son rôle, poussa quelques tons plaintifs, & ne les continua pas longtemps sans voir ce qu’il avoit crû. On ouvrit la Fenestre. On luy fit quelques questions, & il n’y eut pas si-tost répondu comme Femme, qu’on s’empressa pour le secourir. La Belle qui avoit envoyé coucher une Fille qui estoit à elle, descendit en bas sans faire bruit, appella la prétenduë Misérable qu’elle croyoit devoir passer la nuit à sa Porte ; & sans regarder autre chose que ses Habits assez mal en ordre pour soûtenir le caractere qu’elle prenoit, la fit monter dans sa Chambre où elle mit tous les soins à la soulager. Apres avoir fait grand feu, elle alla chercher quelques restes assez accommodans pour une Personne qui auroit eu besoin de manger ; mais ce n’estoit pas ce qui amenoit le Cavalier. Tous ces soins l’embarrassoient ; & comme il n’avoit aucun appétit pour ce qui luy estoit offert avec tant de charité, la Belle qui crût que le repos luy estoit plus necessaire qu’aucune autre chose, parloit de luy céder son Lit, & de se retirer dans un petit Cabinet où elle avoit déja passé plus d’une nuit en de pareilles occasions, quand le refus qu’en fit son Amant en termes un peu trop civils pour la Personne que ses Habits representoit, commença à luy faire naistre quelques soupçons du déguisement. Elle examina son visage avec plus d’attention qu’elle n’avoit encor fait ; & alors le Gentilhomme se jettant à ses genoux, se fit connoistre pour ce qu’il estoit, & la conjura de ne point s’offencer du stratagéme dont l’envie de luy découvrir ses sentimens, l’avoit obligé de se servir. Vous jugez bien, Madame, que toute devote qu’elle estoit, il luy fut impossible de voir qu’on luy eust fait une piece de cette nature, sans quelque sorte d’emportement. Elle ferma l’oreille aux justifications du Cavalier, & sans vouloir l’entendre un moment, elle le pressoit de sortir avec toute l’indignation dont une pareille injure pouvoit la rendre capable. Mais le cavalier ne se hastant pas, & luy protestant qu’il n’avoit pour elle que des desseins que la plus severe vertu n’eust pû condamner, il s’obstinoit à luy demander qu’elle l’écoutast. Ils ne pûrent si bien régler leur dispute, qu’il ne leur échapast quelquefois de parler trop haut. Par malheur pour eux, cette Parente que le Cavalier avoit aimée, estoit demeurée ce mesme soir à coucher avec la Veuve dont je vous ay dit qu’elle estoit la plus particuliere Amie. La confidence qu’elles se faisoient ordinairement de tous leurs secrets, avoit fourny entre elles à une longue conversation, & elles s’alloient mettre au Lit, quand l’une des deux estant sortie un moment, entendit parler dans la Chambre de la Devote. Celle-cy appella l’autre, & ne doutant point que quelque charité exercée n’eust donné compagnie à la jeune Sœur, elles résolurent de la surprendre, & entrent inopinément où elle estoit. La veuë de la fausse Gueuse fit rire les deux Amies, qui ne se piquoient point du tout d’estre devotes. Elles commencerent à luy faire des questions. Le Gentilhomme n’y répondit qu’en se détournant, pour tâcher à n’estre point reconnu. La Belle toute interdite voulust l’enfermer dans son Cabinet, sous prétexte de ne pouvoir souffrir qu’on raillast les Malheureux. Sa Parente se mit à l’entrée pour s’y opposer ; & soit que le desordre où elle la vit luy fit croire du mistere dans l’empressement qu’elle témoignoit pour cacher le Cavalier métamorphosé, soit que l’Amour l’éclairast en un moment, elle remarqua les traits de son Infidelle, & fit un cry dont la raison fut bientost connuë. Comme elle se persuada qu’elle n’avoit esté trahie qu’à cause du nouvel engagement qu’il avoit pris, & que l’équipage où elle le surprenoit, luy donnoit sujet de croire que la Devote n’estoit qu’une Hypocrite qui choisissoit des heures commodes pour ses plaisirs, il n’est rien qu’elle ne permist contre elle à l’emportement de sa passion. Le Cavalier eut beau protester que cette belle Personne n’avoit aucune part au déguisement qui faisoit soupçonner son innocence, rien ne fut capable de la détromper. Elle pesta, fulmina, fit le conte de son Amant travesty pour la prétenduë Beate ; & vous pouvez croire, Madame, qu’on ne manque pas à faire d’amples Commentaires sur le Texte, par le plaisir qu’on trouve toûjours à donner le nom de grimasses à la plus solide Vertu. Il y a déja longtemps que les vrais Devots soufrent la peine qui n’est deuë qu’à ceux qui les contrefont. La malignité du Siecle n’y met presque point de diférence, & il ne faut pas s’étonner si des apparences d’une aussi forte conviction que celles d’un Cavalier surpris la nuit en habit de Femme, ont fait publier que la Belle n’avoit pas une devotion incompatible avec le commerce des Rendez-vous. Voila comme ceux-mesmes qui renoncent le plus veritablement au monde, ne peuvent souvent prévenir des conjectures embarrassantes qui les exposent à la calomnie.

[Sonnet à une Belle qui avoit la Direction d’un Hospital] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 33-35.

Vous connoistrez celuy [le mérite] d’une aimable Demoiselle par ce Sonnet qui m’a esté envoyé de Loudun. Elle y doit avoir la Direction de quelque Hopital, & c’est là-dessus qu’on a fait les Vers que vous allez lire.

Sonnet.

Que le Ciel, belle Hospitaliere,
Eut de pitié des Affligez,
Quand il vous mit où vous logez,
Pour avoir soin de leur misere !
Si dans quelque douleur amere
Leur mauvais sort les a plongez,
La main dont ils sont soulagez
Sçait rendre leur peine legere.
Sage Olympe, il faut l’avoüer,
On ne sçauroit assez loüer
Ces bontez, ces soins charitables.
Vous les empeschez de mourir ;
Mais il est d’autres Miserables
Qu’il faudroit aussi secourir.

[Vers à Iris] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 38-40.

Je ne doute point que vous n’en [de l’Esprit] trouviez beaucoup dans les Vers qui suivent. Je les croy de Mr Cordetz. Vous avez veu son nom parmy ceux qui ont deviné les Enigmes. Le détour qu’il prend est galant & il seroit difficile d’imaginer une maniere plus adroite de faire une déclaration d’amour à une Belle, qu’en s’adressant d’abord comme il a fait à un Enfant.

À Mademoiselle H.

la Cadette, âgée de quatre à cinq ans.

    Jeune Iris que mon cœur adore,
    Et dont tous mes sens sont charmez,
    Chacun me dit que vous m’aimez,
    Mais je ne le puis croire encore.
Si de ma passion le tendre empressement
    M’acquiert le bonheur de vous plaire,
    Aimez-moy passionnément
    Tandis que vous le pouvez faire.
À vostre âge l’Amour n’est pas un grand defaut :
Aimez, puis que ce dieu vous a si-tost émeuë.
    Le temps ne viendra que trop tost.
    Où vous serez plus retenuë.
S’il est quelques douceurs que vous vouliez de moy,
    Expliquez vous en sans contrainte.
    Puis que je vous donne ma foy,
Vous pouvez demander tout le reste sans crainte.
Souffrez un tel discours de la part d’un Amant,
Vostre âge luy permet de dire ce qu’il pense,
    Mais dans dix ans en récompense
Il se verra réduit à parler autrement.

[Vers à Philis] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 41-43.

À Mademoiselle H.

l’Aisnée.

    Philis, je parlay l’autre jour
    À vostre Sœur de mon amour.
Estant encor Enfant on le souffrit sans peine,
Et l’on ne trouva point à redire à cinq ans
    Qu’elle ne fust pas inhumaine
Et voulust écouter les vœux de ses Amans ;
    Mais s’il me fust échapé de vous dire
    Que c’est pour vous que je soûpire,
Et que ne pouvant plus vous le dissimuler
Des peines de mon cœur j’eusse osé vous parler,
Bien loin d’avoir de vous favorable audiance,
    Dix ans que vous avez de plus
Mettent entre elle & vous si grande difference,
Que j’eusse offert des vœux qu’on n’auroit point reçeus.
Mais cependant, Philis, vous deviez bien m’emtendre,
Et quand je luy fis voir des sentimens si doux,
    N’aviez-vous pas sujet de prendre
    Une autre vous mesme pour vous ?
    Un esprit fin comme le vostre
Pouvoit bien remarquer que sous le nom d’Iris
    Je ne voulois pas dire une autre
Que celle qu’aujourd’huy je traite de Philis.
Ainsi donc, quoy qu’Iris ait pû prendre pour elle
        De si beaux sentimens ;
Qu’elle ait dû se flater de faire des Amans
        Se connoissant si belle,
Si Philis consentoit à recevoir mes soins,
Iris auroit sans doute un Soûpirant de moins.

[Extrait de la Harangue du Discours que fit M. Ravot Avocat General de la Cour des Aydes…] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 58-71.

Il faut vous tenir icy parole, puis qu’on me l’a tenuë sur l’Extrait qu’on m’avoit promis du Discours que fit Mr Ravot Avocat General de la Cour des Aydes, à l’Enregistrement des Lettres de Monsieur le Chancelier.

Il fit voir d’abord que comme les Hommes ne peuvent se former une idée de Dieu que par les effets surprenans de sa bonté & de sa puissance, rien ne pouvoit faire assez dignement connoistre le plus grand de tous les Roys que les Actions qui rendent ses Peuples heureux par l’autorité de la Justice, ou qui les défendent des insultes de leurs Ennemis, quand il se trouve obligé de prendre les armes. En suite abandonnant à d’autres l’honneur de loüer nostre Invincible Monarque, par le nombre, la grandeur, & la rapidité des Victoires qu’il a remportées Luy-mesme en personne ; & ne laissant pas de faire entrevoir avec admiration les choses qu’il n’osoit toucher, il parla des Ancestres de Monsieur le Tellier, de sa Personne, & des avantages que l’Etat recevoit de Messieurs ses Fils. Il regarda son élevation à la premiere Dignité de la Magistrature, comme une récompense de la pieté de ses Ancestres, & des services qu’ils avoient rendus à la France ; & il prouva par les Registres de sa Compagnie, que feu Mr le Tellier son Pere avoit reçeu dans la Cour des Aydes toutes les marques particulieres & publiques d’estime dont elle pouvoit honorer un mérite extraordinaire. En parlant de toutes les Charges que Monsieur le Chancelier avoit exercées depuis l’Année 1624. il fit remarquer qu’il avoit fait paroistre dans chacune l’expérience d’une Vieillesse consommée avec toute la force d’une vigoureuse Jeunesse ; Qu’il s’estoit attaché dans toutes à rendre son Maistre le plus aimé des Roys, & le plus glorieux des Conquérans ; Qu’il avoit soûtenu ses premiers Emplois avec une Politique si judicieuse, & des succés si heureux, que Loüis le Juste l’éleva à la Dignité de Secretaire d’Etat, pour l’attacher par des liens plus étroits à son service, & au bien de son Royaume ; Que depuis ce temps-là il avoit eu la direction entiere des Affaires les plus secretes, avec ordre à plusieurs Ambassadeurs de suivre ses avis en toutes choses ; Que dans les temps les plus difficiles il s’estoit conduit avec tant de sagesse & de prudence, qu’il avoit calmé le dedans du Royaume, renversé les desseins & les entreprises des Ennemis, qui s’estoient veus obligez à demander la Paix, apres qu’il les avoit réduits à se repentir d’avoir pris quelque assurance sur la discorde & la division des Mal-intentionnez.

[Chanson notée] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 71-73.

Il est temps de vous donner à mon ordinaire dequoy exercer vostre belle voix. Lisez ces Paroles que vous trouverez en suite notées. Elles ont esté mises en Air par Mr Martin le Fils. Le mérite du Pere est connu de tous ceux qui aiment la Musique ; & ce que je vous envoye du Fils vous persuadera aisément qu’on a eu raison d’attendre beaucoup de luy. Il s’est acquis de l’estime par la maniere dont il jouë du Clavessin, de la Basse & du Dessus de Viole, & il est à croire qu’il n’en acquerra pas moins s’appliquant à la composition des Airs.

CHANSON.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Rossignols que pretendez-vous, doit regarder la Page 73.
    Rossignols, que pretendez-vous
    Par vos Chants languissans & doux ?
Que pouvez-vous encor ou desirer, ou craindre ?
    Si vostre cœur est enflâmé,
    Vous n’avez pas lieu de vous plaindre,
Il n’appartient qu’à moy qui ne suis point aimé.
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[L’Amour interessé] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 73-82.

Il n’y a rien de si intéressé que l’Amour. Vous le voyez par les plaintes continuelles des Amans, & vous l’allez encor mieux voir par les Vers qui suivent. S’ils vous plaisent, quoy qu’on ne m’en nomme point l’Autheur, on me fait espérer qu’il n’en demeurera pas là, & qu’on m’en envoyera de temps en temps de ce caractere.

L’Amour

interessé.

Iris, l’an & jour est passé.
Apres un si long temps, il est bon, ce me semble,
Que du jour qu’entre nous l’amour a commencé,
Nous songions à compter ensemble.
Je suis exact, vous le sçavez,
Je payeray, si je dois, avec un soin extréme ;
Mais aussi, si vous me devez,
Je veux estre payé de mesme.
Comme je ne prétens nulle grace, à mon tour
Je vous le dis avec franchise,
Si, tout bien calculé, vous m’estes de retour ;
Point de quartier, point de remise.
S’agissant d’articles de frais,
Je sçay bien qu’en tout autre compte
Y vouloir avec vous regarder de si pres,
Ce seroit me couvrir de honte.
Mais en mises d’amour la rigueur se permet,
C’est un étroit commerce où l’interest engage,
Tout se compte, & qui plus y met
Prétend retirer davantage.
Pendant trois mois entiers, comme au seul nom d’amour
Vous paroissez toute tygresse,
J’ay pensé, pour n’oser mettre ma flâme au jour,
Mourir suffoqué de tendresse.
J’en avois des acces à me mettre aux abois,
Faute de leur donner liberté de paroistre ;
Et si quelques soûpirs m’échapoient quelquefois,
Vous feigniez de n’y rien connoistre.
Quoy que cette contrainte eust de cruel pour moy,
J’ay voulu languir pour vous plaire,
Et regarder comme une douce loy
La necessité de me taire.
À la fin vos regards s’estant humanisez,
M’ont permis de vous dire, j’aime ;
J’en ay trouvé mes fers à porter plus aisez,
Vous l’avez remarqué vous-mesme.
Ce mot à prononcer si doux,
Quand je vous le disois, me donnoit tant de joye,
Que je nommois les jours passez aupres de vous,
Des jours filez d’or & de soye.
Mais dire je vous aime, & le dire toûjours ;
Apres tout ce n’est rien que dire,
Et qui n’a dans ses maux que ce foible secours,
N’a pas trop de sujet de rire.
Mon amour meritoit un peu plus de bonheur ;
Mais pour peu qu’il ose entreprendre,
Vous luy mettez en teste un si farouche honneur,
Qu’il ne sçait plus par où s’y prendre.
Voilà ce qui me fait demander qu’à l’instant
Nous fassions un calcul qui me tire d’affaire.
Si je veux de mes soins estre payé comptant,
Toute peine requiert salaire.
Depuis un an entier je vous en ay rendu
À toute heure & de toute sorte,
Et jamais Amant assidu
N’eut une passion & si tendre & si forte.
Vous me devez mille & mille soûpirs
Dont j’ay fait l’inutile avance,
Un indigeste amas d’impetueux desirs
Estouffez par ma complaisance.
Vous me devez des transports, des langueurs,
Des chagrins, des inquietudes,
Et tout ce qu’un amour qu’on nourit de rigueurs,
Soufre de peines les plus rudes.
Sur cela, j’ay reçeu pour tout soulagement,
De vostre Grand baisé la faveur nompareille,
Et devant mes Rivaux une fois seulement,
Vous m’avez en riant dit trois mots à l’oreille.
Je ne veux point le déguiser,
Baiser un Gand d’abord, c’est aller assez viste ;
Mais n’avoir par delà jamais rien à baiser,
C‘est demeurer au premier giste.
Ainsi comme j’ay plus avancé que reçeu,
Arrestons, s’il vous plaist, ce qu’il me faut de reste :
Ne voulant que ce qui m’est deu,
Je ne croy pas qu’on le conteste.
Peut-estre vous direz que l’on n’a pas toûjours
De quoy satisfaire sur l’heure,
Et qu’il n’est pas nouveau qu’apres mille détours,
Tout d’un coup le plus riche en arriere demeure.
J’en sçay qui là-dessus pourroient s’inquieter ;
Mais que cet embarras n’ait rien qui vous retienne,
Vous avez des tresors capables d’acquiter
Bien d’autres debtes que la mienne.
Laissez moy me payer, j’y sçauray bien fournir,
Et si je prens de vous plus que je ne dois prendre
À tout bon compte revenir,
Je seray toûjours prest à rendre.

[Mort de deux Amans morts d’amour & leurs derniers Vers] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 95-108.

Je quite Rome pour vous apprendre le malheur qu’ont eu depuis un mois deux jeunes Amans que vous plaindrez. Une Belle d’Epernon qui avoit accoûtumé de passer à Paris la plus grande partie de l’Année, y estoit venuë l’Eté dernier ; & comme elle n’avoit pas moins d’esprit que de beauté, on ne doit pas estre surpris si elle s’attira un grand nombre d’Adorateurs. Elle estoit éclairée sur le vray mérite, & ne pût estre insensible à celuy d’un jeune Protestant qui l’emporta dans son cœur sur tous les autres. Il estoit bien fait, galant, spirituel, & tellement charmé de la Belle, qu’il ne luy fut pas difficile de la convaincre de son amour. Il luy rendoit de tres-fréquentes visites, & passoit souvent des journées entieres aupres d’elle. Vous sçavez, Madame, à quoy la reconnoissance oblige. Elle ne pût recevoir de si obligeantes preuves de sa tendresse, sans luy faire connoistre qu’il ne luy estoit pas indiférent. S’il faisoit consister tout son bonheur à la voir, elle trouvoit un plaisir sensible à l’écouter. Leurs entretiens avoient toûjours de nouveaux charmes pour eux, parce qu’ils ne parloient jamais que de leur amour ; & si des Fâcheux les obligeoient quelquefois à se séparer avant que de s’estre reïterez les assurances d’une eternelle fidelité, c’estoit pour eux le sujet d’un chagrin inconcevable. Vous pouvez vous figurer par là jusqu’où l’amour porta leur douleur, quand la Belle fut obligée de s’en retourner à Epernon. Jamais il n’y eut rien de si tendre ny de si touchant que leurs adieux. Les larmes qu’ils verserent en abondance, sembloient presager qu’ils se quitoient pour toûjours. Un coup si cruel mit l’Amant au desespoir. Il s’abandonna tellement à son déplaisir, qu’il fut incontinent surpris d’une grosse fiévre, accompagnée d’un crachement de sang presque continuel ; & pour surcroist de maux, il apprit que les Parents de sa Maistresse la pressoient d’épouser un Lyonnois qui n’oublioit rien pour s’en faire aimer. Elle luy avoit juré tant de fois que son cœur ne seroit jamais qu’à luy, qu’il ne la pût croire capable de violer les sermens qu’il avoit reçeus. Il voulut pourtant luy en faire paroistre quelque jalousie ; & comme il est difficile d’estre Amant sans devenir Poëte, quoy qu’il n’eust jamais fait de Vers, il fit ceux-cy qu’il luy envoya.

Tyrsis,

à

son Aimable Sylvie.

Dans ces beaux lieux, ma Sylvie, où vous estes,
Vous qui portez le Printemps avec vous
Quand vous voyez ces belles Violettes,
Ah ! tout au moins souvenez-vous de nous.
Souvenez-vous que j’ay le teint plus blême,
Quand vous voyez leur aimable paleur.
Si ce n’estoit, helas ! que je vous aime,
Je n’aurois pas aussi peu de couleur.
Je n’aurois pas enduré tant de peine
Pour me résoudre à vous laisser partir.
Je suis resté sans poulx & sans haleine,
Mon ame estoit toute preste à sortir.
Je vis encor, car l’Amour me fait vivre,
Mais des Mourans je suis au premier rang,
Et mon cœur fait des efforts pour vous suivre,
Qui m’ont cousté le plus beau de mon sang.
Ce cœur, helas ! se fait aimer des Belles
Qui font effort pour vous le débaucher ;
Mais, ma Sylvie, il est des plus fidelles,
Rien icy bas ne peut vous l’arracher.
Rien icy bas ne me répond du vostre ;
Comme vos yeux, peut-estre il m’a quité ;
Mais si l’Ingrat me change pour un autre,
Il payera bien son infidelité.

La Belle qui entendoit raillerie, & à qui l’amour ne fut pas moins favorable pour luy inspirer un peu de facilité à faire des Vers, suivit les mouvemens de son cœur, & luy répondit de cette sorte.

Sylvie,

à son cher Tyrsis.

S’il est vray que je sois ton aimable Sylvie,
Cher Tyrsis, prens bien soin de conserver ta vie,
Le temps qui suit la mort n’est pas le temps d’aimer.
Viens, viens voir dans ces Bois nos belles Violettes
Qu’à l’envy les Zéphirs qui s’en laissant charmer,
Par leurs tendres baisers s’efforcent d’enflamer.
Il n’en est point (sinon quelques jeunes Coquettes)
Qui puisse à son Zéphir resister plus d’un jour.
Ah, Tyrsis ! c’est ainsi que tu viens me surprendre,
Et mon cœur aujourd’huy qui cede à ton amour,
Ne me paroissoit pas si-tost prest à se rendre.
Sois triste & languissant, sois pâle & sans couleur,
Sois un Homme mourant, sans poulx, & sans haleine ;
Mais que Sylvie au moins soit toûjours dans ton cœur,
Elle aura soin dans peu de soulager ta peine.
Cependant elle va chercher l’ombre des Bois.
Jalouse de l’Amour elle n’a qu’une envie,
Elle veut désormais ta fidelle Sylvie,
Qu’assuré de son cœur tu luy dises cent fois
Dans mon plus grand amour si je n’ay pû te suivre,
Dans mon plus grand malheur toy seule me fais vivre.
Hé bien, Tyrsis, malgré tes sentimens jaloux,
Croiras-tu que sans toy rien me pust estre doux ?

Cependant les injustes Parens de la Belle qui favorisoient la recherche du Lyonnois, vouloient absolument qu’elle se résolut à l’épouser ; & cette persécution jointe à l’inquiétude que luy causoit la maladie de son Amant, la fit tomber elle-mesme dans une fiévre continuë qui l’emporta en quatre jours. Jugez de son desespoir à une si funeste nouvelle. Il la reçeut comme un coup de foudre dont il demeura écrasé. Son mal redoubla, & comme il n’avoit songé à conserver sa vie que pour celle qu’il aimoit, il cessa d’en prendre soin quand il s’en vit si cruellement privé, & mourut presque dans le mesme temps. Dites apres cela, Madame, que les Hommes ne sçavent point aimer, & qu’il ne faut que huit jours d’absence pour les guérir de la plus violente passion.

[Madrigal] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 108-110.

Il en est que ny l’ardeur de la Gloire, ny les grandes Actions qui y menent, ne sont point capables de faire manquer aux protestations de n’oublier jamais ce qu’ils aiment, & on connoit une Personne de qualité que sa valeur a élevé à une des plus considérables Charges de l’Armée, qui ayant pris de l’attachement depuis quatre ans pour une Dame d’un fort grand mérite, fait sa joye de luy donner des marques de son souvenir au milieu de ses plus importantes occupations. Leur réciproque tendresse qui n’est point cachée aux Gens du grand monde, a donné lieu à ces Vers.

Madrigal.

Les Beautez qu’on voit à la Cour,
Cherchent bien moins un tendre amour,
Qu’un Héros tout couvert de gloire.
Il sied bien à leurs traits de vaincre des Césars ;
Mais peu comme Philis assurent leur victoire
Par la captivité d’un des Fils du Dieu Mars.

[Lettre à la plus coquette Femme de France] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 110-115.

Je ne prens point assez le party des Hommes pour décider en leur faveur sur le mérite de la constance. Il est bon souvent de ne s’en pas rapporter à leurs sermens ; mais (& cecy soit dit sans vous chagriner) il n’y a pas aussi toûjours seûreté entiere avec celles de vostre beau Sexe ; & la Lettre qui suit d’un Amant trompé, vous fera connoistre que les Belles n’aiment pas avec un scrupule si délicat, qu’elles s’embarassent des Malheureux qu’elles font.

À la plus coquette

Femme de France.

Il y a tant de Personnes à qui ce titre convient, qu’il est difficile que le Public devine à qui il s’adresse. Quelques Amans jaloux soupçonneront que c’est à leur Maistresse ; mais vous ne pouvez douter que ce ne soit à vous. S’il vous restoit quelque incertitude, je n’ay qu’à vous dire que j’ay esté l’Homme du monde le plus amoureux & le plus trompé. Ces deux noms que j’ay pris si souvent en vous donnant celuy de la plus coquette Femme de France, vous empescheront de nous méconnoistre l’un & l’autre. Je croy que vous seriez bien fâchée que l’on pust vous disputer cette qualité, & que vous souffririez avec peine qu’il y eust une autre Femme qui sçeut comme vous rendre un Homme amoureux & misérable. Vous avez inventé une sorte de coquetterie sérieuse & modeste qui n’estoit point encor connuë, & que vous cachez sous une apparence si trompeuse, que l’on n’en découvre l’artifice que lors qu’il a fait son effet, & qu’il n’est plus possible de s’en défendre. J’ay payé le tribut que vous doivent tous ceux qui vous approchent. Je suis hors de vostre pouvoir, mais je suis encor sensible aux plaisirs de vous écrire, sans que vous puissiez faire de sacrifice de mes Lettres. Le moyen dont je me sers est le seul qui peut m’en défendre. Je m’en serviray peut-estre aussi pour faire imprimer les vostres. Je vous en ay souvent menacée, & le Public les verra sans que je manque à la discretion que je vous ay tant promise, & que vous méritez si peu.

Demande à Iris §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 115-116.

Comme on n’aime que pour estre aimé, il ne faut pas s’étonner si on cherche quelquefois à faire ses conditions. Voyez par ces Vers que j’ay reçeus de Bordeaux, si un Amant qui craignoit de s’engager inutilement, a eu raison de faire expliquer sa Belle.

Demande à Iris.

Serez-vous pitoyable, ou serez-vous cruelle,
Quand je vous parleray de l’ardeur de mes feux ?
Ce doute m’embarasse, en vous voyant si belle,
Et me fait diférer de vous ofrir mes vœux.
Si vous les refusez, ma fortune est à plaindre,
Si vous les recevez, mon sort est glorieux ;
    Mais je n’ay pas sujet de craindre,
Si vous avez le cœur aussi doux que les yeux.

Réponse d’Iris §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 117.

Réponse d’Iris.

Amant présomptueux, cherchez qui vous écoute,
Vous attendrez longtemps à parler de vos feux,
Si vous croyez me voir éclaircir vostre doute,
    Avant que de m’ofrir vos vœux.
Vous vous déclarez trop en Ame intéressée ;
Et quand je conviendrois que mes yeux fussent doux,
    C’est vous flater d’une injuste pensée,
De croire que mon cœur fut de mesme pour vous.

Réplique §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 118.

Réplique.

Pourquoy me blâmez-vous, adorable Climene,
De vous avoir si tost fait connoistre mes feux ?
        Le tendre hommage de mes vœux
        Doit-il m’attirer vostre haine ?
        Ah jugez mieux par vos rigueurs
        Du triste sujet de ma plainte.
    Voyez l’excés de mes tristes langueurs,
        Et de quels maux j’ay l’ame atteinte ;
    Alors plaignant un malheureux Amant
Qui jusques au tombeau veut vous estre fidelle,
Sans doute vous direz qu’une flame si belle
        Mérite un plus doux traitement.

Réponse d’Iris §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 119.

Réponse d’Iris.

    Ne parlez plus, cruel Lysandre,
    Vous triomphez à vostre tour.
    Allez, je ne puis m’en dêfendre,
Il faut ceder tost ou tard à l’Amour.

Sonnet. Passion naissante. §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 143-147.

Je vous envoye un Sonnet qui vous obligera sans doute à vous déclarer pour une Muse naissante. Il est de Mr le Marquis de Maduran, petit-Fils de feu M rle Mareschal de la Force. Sa lecture vous persuadera de son Esprit. Il l’a vif & délicat ; & quoy qu’il n’ait encor que quinze ans, vous m’avoüerez qu’il tourne déja les choses d’une maniere tres fine. Il fut élevé en Angleterre dés son bas âge, & il y aprit la Langue du Païs qu’il parle avec une facilité admirable. Il repassa en France à dix ans, & y commença ses Exercices dans le Chasteau de la Force en Périgord. Il les acheve presentement à Bordeaux dans le College de Guyenne, où il prend des Leçons de Philosophie avec un succés merveilleux. Ce jeune Marquis a fait le Sonnet que vous allez voir pour une Demoiselle toute aimable par sa beauté & par son esprit.

Sonnet.

Passion naissante.

D’où viennent ces chagrins & ces inquietudes
Qui semblent avoir pris l’empire de mon cœur ?
Pourquoy chercher par tout les tristes solitudes
Dont le profond silence augmente ma langueur ?
Je change malgré moy toutes mes habitudes,
Malgré moy je me livre en proye à la douleur.
Dieux, dois-je ressentir des atteintes si rudes,
Sans que ma raison puisse adoucir leur rigueur ?
J’éprouve chaque jour quelque nouvelle peine,
J’en cherche le sujet, mais ma recherche est vaine,
Je resve, je soûpire, & je ne sçay pourquoy.
Plus pour moy de plaisirs, tout me nuit, tout me blesse,
Mille troubles confus m’accompagnent sans cesse,
Et tout cela, Philis, depuis que je vous voy.

[Réponse] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 147.

La belle Personne qui a donné occasion à ces Vers, y a répondu de cette sorte.

Sortez de ce chagrin, Lysandre,
Et ne songez qu’à vous guérir,
J’ay le cœur bienfaisant & tendre,
Est-ce assez pour vous secourir ?

[Plusieurs Inpromptus] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 147-150.

J’adjoûte icy quelques Inpromptus que vous ne desaprouverez pas.

Protestation à une

Belle qui accusoit son Amant

d’Infidelité.

    Si le Ciel me privoit du jour,
Vous verriez, belle Iris, la fin de mon amour,
    Mais pour estre infidelle
Je suis trop amoureux, & vous estes trop belle.

À Philis qui ne

vouloit pas s’engager à estre Constante.

Quand pour prix de l’amour que vous m’avez fait naistre,
    Je vous demande un cœur constant,
    Vous me répondez par, peut-estre ;
    Hé bien, Philis, je vous en offre autant.

Déclaration

d’Indiférence.

Aimez, ou n’aimez pas, il m’est indiferent,
Mon cœur est revenu de toute sa foiblesse.
On ne le verra plus pres de vous soûpirant,
À moins que vous n’ayez pour luy quelque tendresse,
    Et désormais il aimera
    Selon le bien qu’on luy fera.

Pour une Belle qui

avoit un Amant d’une Religion

contraire à la sienne.

    Tant que je seray Protestant,
Vous ne pouvez souffrir que mon amour s’explique.
    Quelle bigote politique !
Que craignez-vous, Iris ? à moins d’estre inconstant,
Selon les Loix d’Amour on n’est point Heritique.

[Chanson] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 150-151.

DISPOSITION D’UNE
Belle à aimer.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Si vous poursuivez de m’aimer, doit regarder la Page 150.
Si vous poursuivez de m’aimer,
Je vous trouve assez redoutable ;
Mon cœur me dit déja que vous estes aimable,
Je devrois bien m’en allarmer ;
Mais le moyen, helas, le moyen de s’armer
Contre un péril qui paroist agreable ?
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[Livre nouveau] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 151-152.

Je suis surpris que vous n’ayez point encor veu l’Histoire de Tamerlan. Il y a trois mois qu’elle est imprimée. Je vous l’envoye. Elle est de Mr de Saintyon Secretaire de feu Mr de Guise Henry de Lorraine, qui l’a dédiée au Roy. Ce Livre fut reçeu de toute la Cour avec applaudissement quand il eut l’honneur de le présenter à Sa Majesté. Vous y trouverez quantité de choses qui vous plairont, soit pour la maniere dont elles sont tournées, soit pour les recherches curieuses de plusieurs particularitez qui ne se rencontrent pas aisément ailleurs.

[Avanture causée par une Lettre de Roman] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 152-155.

On acheve un petit Roman dont on m’a fait voir une partie. C’est une Nouveauté que je ne manqueray pas à vous envoyer si-tost qu’elle paroistra. Elle a esté cause d’un incident assez particulier. L’Autheur est Amy d’un fort galant Homme, qu’il pria de luy vouloir faire un Billet tendre pour une Heroïne de son Roman, & il luy fit cette priere non-seulement parce qu’il luy connoissoit l’Esprit tres-délicat, mais parce que le sçachant attaché depuis fort long-temps à une tres-aimable Personne, il ne doutoit point qu’il ne sçeût s’expliquer plus galamment qu’un autre en matieres de tendresse. Cet Amy fit le Billet, le mit dans sa poche écrit de sa main, & ayant passé chez la Belle qui a tous ses soins, avant que de le porter chez celuy qui l’avoit prié de le faire, il le laissa tomber par mégarde. La mesme chose luy seroit arrivée ailleurs par le peu de précaution qu’il avoit crû devoir prendre pour le cacher. La Belle le ramassa sans qu’il en vist rien, sortit un moment sur quelque prétexte, l’alla lire en liberté, & revint pleine d’une jalousie qui ne devoit pas déplaire à son Amant. Elle avoit crû qu’il écrivoit à une Rivale. Jugez des reproches. Il les a essuyez plus d’un jour, quoy que son innocence parlast pour luy, & je ne sçay mesme si la Bele ne continuë point encor à gronder.

[Plusieurs Pieces de Vers sur ce sujet] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 170-181.

Quand Sa Majesté partit pour cette conqueste, on fit les Vers que vous allez voir. La crainte que vous y trouverez marquée, ne doit pas vous étonner. Le Roy est l’amour & les delices de tous ses Peuples, & dans de semblables occasions, il est naturel de craindre pour ce qu’on aime.

    Toute la Terre est en effroy
    De la marche de ce Grand Roy,
    À ses Ennemis si terrible.
L’Amour qu’on a pour luy, fait trembler les François.
L’Espagnol qui déja croit se voir aux abois,
Tremble devant Loüis, à qui tout est possible ;
Et dans tout l’Univers qui regarde ses pas,
    Avec une frayeur horrible,
    Ce Prince toûjours invincible
    Est le seul qui ne tremble pas.

Si ces Vers estoient de saison dans le temps du depart du Roy, ceux-cy sont fort justes apres la prise de Gand.

En vain, fiers Ennemis du plus grand de nos Roys,
Vous voulez arrester le Soleil des François,
    Il court toûjours, de Victoire en Victoire.
Toûjours sur vos Ramparts il grave son Histoire ;
Malgré vous sa valeur comblera nos souhaits,
Et la France par luy vous fera bien comprendre
Qu’elle sçait triompher encor plus que jamais,
Ayant plus qu’un Philippe, & plus qu’un Alexandre.

Voicy d’autres Vers qui ont esté fait sur la prise de cette importante Place.

Sur la prise

de Gand.

Tous les Ans, de Loüis éternisent la gloire,
Et chaque Mois de Mars luy doit une Victoire.
À peine ce Grand Roy suspend-il quelques jours,
De ses Exploits Guerriers, le progrés, & le cours,
Que l’ardeur de Héros qui toûjours l’accompagne,
Le presse de nouveau de se mettre en campagne.
Rien ne peut arrester un si noble desir.
Ny saison, ny repos, ny douleur, ny plaisir ;
Il part, & ce Grand Roy d’un courage intrépide,
Court malgré le danger, où la Gloire le guide.
Une pareille ardeur anime ses Guerriers,
Et leur marche en tous lieux, est feconde en Lauriers.
Mais toûjours le secret regne dans son Armée,
Et ses plus grands desseins trompent la Renommée.
On s’appreste, on le suit, & loin de discourir,
On se met seulement en état d’obeïr.
À ces préparatifs, l’Europe est dans le doute,
Aucun ne sçait encor quelle sera sa route.
L’Empire est en suspens, & le Belge effrayé,
Déja vers tous les deux, le chemin est frayé.
Cet Augustre Vainqueur, qui fait tout sans rien dire,
Sçait comme il faut surprendre & le Belge, & l’Empire.
Qui sçauroit sa pensée, & le dessein qu’il prend ?
Il s’achemine à Mets, & doit aller à Gand
Tel marche le Soleil caché sous une nuë,
Aux yeux les plus perçans, sa route est inconnuë.
Mais l’obscurité cesse, on découvre ses pas,
C’est alors qu’il paroist, où l’on ne le croit pas,
Ainsi ce Conquérant passant de Mets en Flandre,
Arrive devant Gand, & le force à se rendre.
L’Armée en le voyant, redouble ses efforts,
Et dés les premiers jours, emporte les Dehors.
L’orgueilleuse Cité par d'inutiles ruses,
À l’ardeur des François, oppose ses Ecluses.
L’Eau coule, se répand, & va grossir l’Escaut,
Sans pouvoir empescher qu’on ne donne l’assaut.
Quoy ! tu veux resister ? quelle audace est la tienne ?
Regarde Saint Omer, Cambray, Valencienne,
Et puis quelques mois, Fribourg, & Saint Guilain ;
Ces Villes comme toy, resisterent en vain.
Soûmises à Loüis, la derniere Campagne.
Heureuses maintenant d’avoir quité l’Espagne.
Imite cet exemple, écoute cette voix,
Ta seûreté consiste à recevoir ses Loix.
Malgré les Elemens, le Fer, & le Salpestre,
Loüis victorieux, va devenir ton Maistre.
Mais il l’est, je te vois embrassant ses genoux,
Implorer sa clemence, & flechir son courroux.
Contraint à luy ceder Rampars & Forteresse,
Reconnois son pouvoir, reconnois ta foiblesse,
Et te prépare à voir malgré ses Ennemis,
Le reste de la Flandre à ses armes soûmis,
Ce Conquérant s’y prend de la mesme maniere
Qu’il avoit commencé la Campagne derniere,
Et l’on doit esperer d’une si noble ardeur,
Et le mesme avantage, & le mesme bonheur.
On se trompe en croyant qu’une telle entreprise
Retardera la Paix que l’on s’estoit promise,
Et que tant de Combats ne finiront jamais ;
Si Loüis fait la Guerre, il avance la Paix.

Une si glorieuse Conqueste a donné aussi occasion de faire les Vers qui suivent.

    Autrefois le plus puissant Roy
Aux Citoyens romains faisoit la revérence ;
    À l’Univers Rome faisoit la loy.
    Voyez un peu quelle insolence,
    Pour abaisser sa vanité,
    La molesse & la volupté
    Succederent à sa vaillance.
La gloire ne fut plus l’objet de son amour,
    Et Mars passa dans nostre France,
Sçachant bien que Loüis y regneroit un jour.
    Adieu Rome la venérable,
    Vous n’avez plus tant de renom,
    Loüis efface vostre nom
    Par sa valeur inimitable,
    La mémoire de vos Césars
    Court aujourd’huy bien des hazars,
    On n’admire plus leur Histoire ;
Mais on dit seulement, vaillant Peuple Romain,
    Que Rome dans toute sa gloire
    N’a jamais valu Saint Germain.

[Vers de M. Robbe à Monseigneur le Dauphin] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 181-182.

Dans le temps du Départ, Mr Robbe fit ce Madrigal pour Monseigneur le Dauphin.

Le Printemps vient à peine de renaistre,
    Et mille desseins glorieux
    Emportent nostre Auguste Maistre
Déja bien loin de ces aimables lieux ;
Et cependant la joye & l’abondance,
    Les Jeux, les Plaisirs, les Amours,
    Par vostre charmante présence,
        Y regnent toûjours.

Cecy est du mesme Mr Robbe.

Pour Monseigneur

le Dauphin.

Jeune Soleil qui brillez
Sur nos Campagnes fleuries,
Et faites de nos Prairies
Des Parterres émaillez ;
Quelle Nympe si légere
Tiendra contre vos attraits ?
Non, la plus fiere Bergere
Ne s’en défendra jamais.
Vos vœux seront fortunez,
Soyez seur de la Victoire ;
Mais craignez pour vostre gloire
De trouver peu de Daphnez,
Car les respects du Tonnerre
Un jour pour vos faits guerriers
Ne laisseront sur la Terre
Jamais assez de Lauriers.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 183-184.

Je reçois un Aïr de Mr du Buisson, dont je croy que la reputation vous est connuë. Je vous l’envoye. Les Paroles sont d’une Personne de Qualité qui fit l’an passé, Non Printemps, &c. & Soit le Printemps, soit l’Hyver, soit l’Automne. C‘est luy qui a fait presque toutes les jolies Paroles qui se chantent à Paris. Lisez celles-cy avant que de jetter les yeux sur la Note.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, L’on vous dit tous les Ans, doit regarder la Page 184.
    L’on vous dit tous les Ans
    Au retour du Printemps,
    Aimez, jeune Silvie,
    Les beaux jours de la vie
    Ne durent pas longtemps.
Vous n’aurez pas toûjours le pouvoir de charmer,
    Et la beauté passe comme une Rose.
Hastez vous donc, Silvie, hastez vous donc d’aimer,
Faut-il vous repéter cent fois la mesme chose ?
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[Plusieurs Pieces de Vers sur la prise d’Ypres] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 248-254.

Comme les Muses s’exercent toûjours sur de si grandes Actions, il s’est fait quantité de Vers sur cette derniere conqueste, parmy lesquels on a trouvé fort agreable ce que Mr Brissault supose que le Duc de Villa-Hermosa a écrit aux Bourgeois d’Ypres. La Lettre est courte, & ne vous ennuyera pas. Voicy ce qu’il luy fait dire.

    J’espere de vous davantage
Que des lâches Gantois rendus en qutre jours :
    Vostre zele & vostre courage
Sans doute donneront plus de temps au Secours.
Croyez que je le presse avec un soin extréme,
Et qu’il doit avancer en bonne intention
    Le lendemain, ou le jour mesme
    De la Capitulation.

J’adjoûte deux Sonnets à cette Lettre. Le premier est de Mr de Poclagny, & l’autre de Mr Lelleron.

Au Roy,

Sur la Prise de Gand

et d’Ypres.

Sonnet.

Tout le monde se plaint, O Grand Roy, de ta Victoire,
Enfin la Renommée est lasse de crier,
Ta Valeur en fait plus qu’on ne peut publier,
Et le peu qu’elle en dit, on ne veut pas le croire.
Le Parnasse à son tour accablé de ta gloire,
Pour couronner ton front épuise son Laurier ;
Et les Muses par tout disent qu’aucun Guerrier
N’exerça jamais tant leur voix & leur memoire.
Pour moy révant déja sur la prise de Gand,
J’essayois de trouver quelque chose de grand,
Mais à ce seul Exploit ma Muse en vain s’arreste.
Ypres suit, on l’attaque, il est pris, ç’en est fait,
Et mon esprit confus par cette autre Conqueste,
À peine a-t-il le temps de te faire un Sonnet.

Ypres,

Au Roy.

J’ay fait tous mes efforts, n’en doute pas, Grand Roy,
Pour arrester long-temps ta rapide vaillance,
Quoy que je sçeusse bien qu’il n’est point de defence,
Que ne force sans peine un Héros comme Toy.
Je n’apprehendois pas la rigueur de ta Loy,
Ta bonté m’exemtoit de craindre te vangeance,
Et j’aurois sans combat suby le joug de France ;
Mais eusses-tu gardé quelque estime pour moy ?
Si mes Forts attaquez ne t’avoient pas fait teste,
Ton courage en auroit méprisé la Conqueste,
J’ay voulu rehausser ta gloire en resistant.
Pour tout ce que ma prise a pû soufrir d’obstacles,
J’ay retardé six jours le cours de tes miracles,
Et je doute qu’une autre en puisse faire autant.

Les Vers dont le tour & les nobles expressions donnent souvent aux Actions qu’on décrit un air pompeux qui les fait paroistre plus éclatantes, n’ont point assez de force pour bien dépeindre les surprenantes Conquestes du Roy, & ne feront point appeller les Poëtes menteurs sur ce qui regarde sa gloire.

[Plusieurs Pieces de Vers sur la prise d’Ypres.] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 254-256.

Les prises des plus importantes Places de la Flandre que ce Grand Prince soûmet en cinq ou six jours, ne sont point des fictions. Ce sont des réalitez qui ne donnent pas moins d’admiration que d’étonnement à toute l’Europe ; & les Te Deum solemnels qu’on fait chanter si souvent pour rendre graces à Dieu de tant de Victoires, font connoistre avec quelle rapidité ce glorieux Conquérant vient à bout de toutes ses entreprises. Je ne vous parle jamais de ces sortes de Cerémonies, parce que je ne vous en puis rien dire que vous ne sçachiez. Il y a eu cependant une circonstance particuliere dans le Te Deum qu’on a chanté pour Ypres, que je ne vous sçaurois laisser ignorer. Apres que le Parlement fut placé dans le Chœur de l’Eglise de Nostre-Dame, le Grand Maistre des Cerémonies, qui en avoit reçeu l’ordre exprés du Roy, alla prendre Monsieur le Chancelier dans le petit Archevesché, & l’amena en sa place. C’est ce qui ne s’estoit point encor pratiqué en pareille occasion ; mais il ne faut pas s’étonner qu’on fasse des choses extraordinaires pour des Hommes d’un mérite si peu commun.

[Lettre de M. le Duc Saint-Aignan] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 257-260.

Aussi-tost que Gand fut pris ; Monsieur le Duc de S. Aignan qui ne laisse échaper aucune occasion de faire paroistre au Roy l’attachement particulier qu’il a pour sa gloire & pour son service, luy témoigna par cette Lettre la joye qu’il ressentoit de la continuation de ses Conquestes.

Lettre

de Monsieur

le Duc de S. Aignan,

Au Roy.

Sire,

Je m’estimerois fort heureux, si je pouvois aussi-bien inventer de nouveaux termes pour feliciter V.M. sur la grandeur de ses Conquestes, comme Elle sçait trouver les moyens de les augmenter tous les jours. La gloire de l’Eloquence, & celle de la Valeur, sont bien diferentes ; la premiere consiste principalement à n’user point de redites, & l’autre à prendre de fortes Places, & à gagner des Combats. Vous estes, SIRE, toûjours semblable à Vous-mesme ; c’est à dire toûjours Conquerant & Victorieux. Aucun ne vous a jamais égalé, & nul ne vous égalera jamais. Mais on trouve bien plus de difficulté à vous loüer, que vous n’en avez à vous rendre loüable. Je me contenteray donc d’admirer V.M. dans un respectueux silence ; & n’auray de paroles que pour luy témoigner ma joye des merveilleux effets de sa prudence & de son courage, sans y rien adjoûter que les protestations tres-soûmises d’estre à jamais,

SIRE,

De Vostre Majesté,

Le tres-humble, tres-obeïssant &

tres-fidelle Sujet & Serviteur,

L.D.D.S.A.

[Réponse du Roy à M. le Duc de Saint-Aignan] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 261-262.

Le Roy luy fit l’honneur de luy répondre en ces termes.

Reponse du Roy,

À Mr le Duc de S. Aignan.

Mon Cousin, J’ay lû vostre derniere Lettre avec la mesme satisfaction que toutes les autres que vous m’avez écrites en divers temps sur la prosperité de mes armes. Vous devez mesme vous tenir assuré par avance d’un pareil agrément pour celles que vous pourrez m’écrire à l’avenir sur ce sujet là, sçachant qu’il n’y a personne qui s’interesse plus que vous à ma gloire & à mon service. C’est dans cette confiance que je prie Dieu qu’il vous ait, Mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Au Camp devant Ypres le 24. Mars 1678.

Signé, LOUIS.

Il y avoit pour Suscription,

À Mon Cousin le Duc de S. Aignan, Pair de France.

[Lettre d’un Chevalier inconnu à M. le Duc de S. Aignan] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 266-272.

Je vous ay fait part de quantité d’Avantures dont j’ay eu soin de vous éclaircir les plus essentielles particularitez. L’amour en a produit une depuis peu que je commenceray à vous déveloper aujourd’huy que par sa derniere circonstance. Au moins ce que vous y comprendrez ne vous sera pas suspect d’estre inventé, puis que pour se mettre à couvert de quelques poursuites qui ont pû sembler à craindre, on a eu recours à une Personne du plus haut rang. La Lettre qui suit vous en apprendra davantage. Elle est écrite par un Inconnu à Monsieur le Duc de S. Aignan.

Monseigneur,

Il n’est pas bien étrange que je vous connoisse sans estre connu de vous. Vous estes un fort grand Seigneur, je suis un Gentilhomme assez malaisé. Vous estes, sans parler de vostre Dignité, remarquable par cent beaux endroits qu’il n’est pas permis d’ignorer à quiconque a mis le pied dans le monde, & l’on ne peut trouver chez moy qu’une mediocrité languissante, qui fait qu’à peine suis-je distingué dans mon Village. Je suis toutefois singulier en cecy ; c’est, Monseigneur, qu’à l’âge de quarante-cinq ans que j’ay sur la teste, je suis tout aussi fou qu’un Homme de quinze, et sur le tout aussi amoureux que vous l’estiez à vingt. Ce qui me sauve un peu du ridicule là-dedans, c’est que par toutes les apparences du monde, je suis aimé, puis que la Personne que j’aime veut tout abandonner, & passer en Angleterre avec moy. C’est assez vous en dire pour vous faire entendre que ma passion n’est pas generalement approuvée. Mais l’Amour n’a-t-il pas ses droits ? & quelqu’autre les connoist-il mieux que vous ? Sur cela, je vous demande vostre protection, de cent cinquante lieuës, & je vous suplie tres-humblement, Monseigneur, que nous puissions trouver un seur azile dans vostre Gouvernement, attendant une bonne occasion pour mettre la Mer entre nous & nos Ennemis. Ce qu’il y a de rare en cette conjoncture, c’est que je m’adresse à vous qui ne me connoissez pas, par préférence à quelques fameux Ingrats qui pourroient me servir à la pareille. C’est un coup de vostre ascendant & de la bizarrerie de mon Etoile. Pour mon Nom, vous ne le sçaurez point, Monseigneur, que vous ne m’ayez donné le courage de vous le dire, & voicy comment. Si cette nouveauté trouve grace devant vous, il ne faut que me le faire sçavoir en adressant vos ordres au Maistre de la Poste de *** pour les faire tenir au Chevalier Inconnu. Je les recevray seurement, & vous entendrez bientost parler de moy. Il ne me reste plus qu’à vous suplier tres-humblement, Monseigneur, que cette audacieuse Lettre ne vous donne point une idée libertine du tres-humble respect que je prétens vous rendre toute ma vie, & duquel vos bontez mesmes ne seroient pas capables de me faire écarter. Je suis une espece de Provincial un peu dépaisé, qui sçay ce qu’on doit à un Homme du rang que vous tenez en France, & ce qu’on doit encor à meilleur titre à vostre vertu. Ce seront toûjours les sentimens, Monseigneur,

De votre tres-humble & tres-

obeïssant Serviteur.

[Réponse de M. le Duc de S. Aignan au Chevalier inconnu] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 272-277.

Monsieur le Duc de S. Aignan qui a toûjours esté aussi galant que civil, n’a pû se défendre d’accorder sa protection à cet Inconnu. Voyez-le par cette Réponse.

Vous ne vous estes point trompé, Chevalier inconnu ; je suis Homme à tenter toutes les avantures qui ne choquent point le service du Roy, ny la droite justice. Si mon peu de mérite m’a empesché de bien connoistre l’Amour par moy-mesme, je n’ignore pas quel est son pouvoir dans les quatre Parties du Monde. La maniere obligeante dont vous me préferez à ces fameux Ingrats de qui vous me parlez si galamment, est digne de tous les soins & de tous les services que je pourrois vous rendre. Venez voir par l’épreuve si la Renommée m’a flaté en vous disant du bien de moy, & si elle vous donnera lieu de vous repentir de vostre confiance. Rassurez le courage peut-estre encor chancelant de vostre fidelle Maistresse, si elle doute de trouver un azile chez moy, & remarquez sur l’un de mes Cachets, que le Havre est un Port pour les Mal-heureux, comme un Ecueil pour les Superbes. Apres cela partez, heureux Couple d’Amans, & vous connoistrez que lors qu’on a l’honneur de servir la Personne d’un Grand Roy le plus honneste Homme du monde, on deviendroit civil quand on ne le seroit pas naturellement. La maniere dont vous m’écrivez, me fait voir que vous l’estes beaucoup ; & si vostre Dame a autant de beauté que vous avez d’esprit, je vous tiens aussi fortuné d’estre bien aupres d’elle, que je le suis d’estre employé par vous de qui je veux toûjours estre le tres-humble, &c.

[Plusieurs Sonnets & autres Pieces en Vers à Monseigneur le Dauphin] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 276-283.

Je vous envoye un Sonnet qu’a fait Mr du Mats pour ce jeune Prince. Il est Secretaire de Monsieur le Duc de Crussol Premier Pair de France, & a du talent pour la Poësie. Il n’avoit pourtant fait jusque-là que de petits Vers qui n’estoient veus que de ses Amis. On en parla à Monseigneur le Dauphin qui luy ordonna de faire un Sonnet pour luy. Il s’en défendit sur ce que le Sonnet estant l’ouvrage le plus difficile, il n’avoit pas assez d’habitude à faire des Vers pour s’y hazarder ; mais ce Prince n’ayant point voulu recevoir ses excuses, il fut obligé de luy obeïr, & voicy ce qu’il luy donna avec beaucoup d’applaudissement de tous ceux qui l’entendirent.

À Monseigneur

le Dauphin,

Sonnet.

Vous l’ordonnez, Grand Prince, il faut vous satisfaire,
Excitons nostre veine & tâchons de rimer,
Un tel commandement a droit de me charmer ;
Mais il n’est pas aisé pour un esprit vulgaire.
Où prendray-je un Sonnet ? comment le puis-je faire ?
Par mille vains efforts je cherche à m’animer,
Nulle sçavante ardeur ne me vint enflâmer,
Du brillant Dieu des Vers nul rayon ne m’éclaire.
Charmant & digne Fils du plus puissant des Roys,
Qui prenez vos leçons sur ses fameux Exploits,
Et qui brûlez déja de les mettre en pratique.
Si ma Muse aujourd’huy pour vous n’ose chanter,
Quand vous exercerez vostre ardeur heroïque,
Seray-je assez hardy pour oser le tenter.

Cet autre Sonnet a esté adresé au Roy sur ce mesme Prince.

Au Roy.

Sonnet.

    Le jeune Loüis est tout prest.
Parle, Grand Roy, sa marche étonnera l’Espagne,
    Tu le voulois tel qu’il parest,
Avant qu’il commençat sa premiere Campagne.
    Il a du cœur, on le connest,
Mais pour apprendre à vaincre, il faut qu’il t’accompagne.
    Tu gagnas plus jeune qu’il n’est
Bien plus d’une Victoire, il est temps qu’il en gagne.
    Tes soins luy nuisent aujourd’huy,
Retire pour un temps ta tendresse de luy.
    Si tu ne veux pas qu’il commande,
Accepte son service au moins en tes projets,
    Car ne vouloir pas qu’il t’en rende,
C’est luy faire envier le sort de tes Sujets.

Le Madrigal suivant est de Mr de Roux.

À Monseigneur

le Dauphin,

Sur le Retour du Roy.

    Grand Prince, le Ciel débonnaire
Nous fait voir de retour vostre Invincible Pere.
Des Flamans subjuguez les trop heureux Ramparts
Nous avoient trop long-temps dérobé ses regards.
Apres que le plaisir qu’il prend parmy les armes
Nous a donné pour luy les plus vives alarmes,
    Ce Grand Roy si chery des Dieux
    Revint à nous victorieux,
    À sa valeur tout doit hommage,
    Rien ne peut plus luy resister.
Tous les Héros pourront admirer son courage,
    Mais vous seul pourrez l’imiter.

A.M.D.P. sur la Lettre qui a paru dans le Mercure du Mois de Mars §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 283-297.

La Déclaration du Ruisseau qui vous a tant plû ; a fait parler plus d’une Prairie, & je n’attends pas moins de l’ingénieuse fiction qui a fait donner le nom de Musette à une Belle dans une Assemblée des Amours. Le galant & spirituel Berger qui l’a tournée d’une maniere si fine & si délicate, a déja trouvé un Rival. Voyez par ce qu’il luy écrit, s’il y a lieu de penser que l’Avanture demeure sans suites.

A.M.D.P.

Sur la Lettre qui a paru de luy, à

Mademoiselle P.B. dans le Mercure

du mois de Mars.

C‘est un joly petit Bijou qu’une Musette, & vous ne pouviez donner à vostre Maistresse un nom qui luy convinst mieux, & qui eust plus de raport à celuy de son Berger que vous vouliez porter,

    Si ce n’est qu’appeller Musette
Celle qui vous fit faire un discours si charmant,
    Soit parler d’elle foiblement,
Quand elle peut passer pour une Muse faite.

Ma qualité de Rival ne me permet pas de vous loüer de tout ce que vous avez dit sur elle, & je ne trouve pas qu’il soit difficile de bien chanter sur un si bel Instrument. Pour moy qui n’eus jamais vostre adresse, l’inclination que je me sens pour luy ne me feroit pas desesperer d’en remporter le prix sur vous, si la voix publique ne vous l’avoit donné avant mesme qu’on sçeust s’il ne se presenteroit personne pour vous le disputer. Il est vray que c’est aux Bergers qui vous ressemblent à bien toucher les Musettes, & que ceux à qui elles font chanter d’aussi belles choses qu’à vous, se peuvent vanter d’exeller en cet Art : mais s’il se trouvoit des Gens qui sans se piquer de le sçavoir si parfaitement, ne laissassent pas de pouvoir dire d’agreables choses sur elles, & chez qui l’inclination eust fait ce que l’habitude seule a peut-estre fait chez vous, n’avoûriez-vous pas qu’ils seroient en droit de ne vous le pas ceder ?

    Il en est ainsi de nous deux,
Vus estes plus adroit, & moy plus amoureux,
    Et le cœur de nostre Maistresse
    Que vous touchâtes par adresse
    Saisy peut-estre quelque jour
    D’une moins aveugle tendresse,
    Rendra justice à mon amour.

Ne croyez donc pas que vous fassiez toûjours d’elle ce qu’un Berger peut faire de sa Musette. Elle ne sera pas d’humeur à vous suivre par tout, & à se laisser inspirer tout ce que vous voudrez. J’espere mesme qu’elle reconnoistra bientost qu’il y eut de la présomption & de la temerité de vostre part à luy donner le nom de vostre Musette, & à prendre celuy de son Berger. En ce cas, j’ay lieu de croire qu’elle ouvrira les yeux sur la respectueuse passion qui me fait soûpirer pour elle, & qui borne mes avantages à la qualité que je prens de son Serviteur. Peut-estre douterez-vous au peu d’emportement que je vous fais paroistre que je sois un veritable Rival, & que je combate vos sentimens par interest plutost que par divertissement ; mais sçachez que je suis de ceux qui se laissent plus gouverner à leur raison qu’à leur passion, & qui ne souffrent patiemment qu’un autre se dise heureux aupres de leur maistresse, que parce qu’ils n’en croyent rien, ou qu’effectivement ils ne desesperent pas d’avoir leur tour. Pendant que vous avez fait paroistre la nostre sous le nom d’une Prairie, & que vous luy avez déclaré vostre amour en qualité de Ruisseau, j’ay gardé le silence ; mais quand j’ay veu que le sien vous rendoit audacieux & temeraire, j’ay crû que le titre de son Amant qui m’estoit comun avec vous, m’obligeoit à vous parler pour elle & pour moy, & à vous faire remarquer que tout accomply que vous estes, vostre merite a moins contribué à luy faire accepter le nom de vostre Musette, que sa douceur & le panchant qu’elle a de vous obliger.

    Vous estes sur ce pied pres d’elle,
Qu’elle trouve tout bon ce qui luy vient de vous,
Ménagez bien pourtant une flame si belle,
    Et craignez toûjours son couroux ;
    Une liberté criminelle,
Irrite quelquefois le Juge le plus doux.

Non, mon Rival, ne vous prévalez pas tant de sa douceur, elle remarquera quelque jour elle-mesme qu’elle a eu trop d’indulgence pour vous ; & confuse de l’autorité qu’elle vous aura laissé prendre sur son esprit, loin de vous permettre encor de l’appeller vostre Musette, & de vous reconnoistre pour son Berger, elle s’offençera de la continuation de vos hommages. Cet avis est plus d’un Amy que d’un Rival, & quand il vous apprend à vous maintenir dans les bonnes graces de la Personne que nous aimons tous deux, vous aurez de la peine à croire qu’il vienne de moy, ou du moins vous chercherez longtemps le motif qui me fait vous parler de cette sorte.

    Mais vous ne trouverez jamais
    Que j’épouse les interests
    D’autre en cela que de Silvie,
    Je suis jaloux de son honneur,
    Et m’en dût-il couster la vie,
Je ne souffriray pas qu’elle soit mal servie,
    De qui se dit son Serviteur.

Il semble mesme que vous ayez eu dessein de faire voir le pouvoir que vous croyez vous estre aquis sur elle, & que vous ne luy ayez donné le nom de vostre Musette que pour nous apprendre qu’elle vous appartient, & que vous estes le Berger qui vous en servez. Pour moy j’aurois mieux aimé l’appeller ma Bergere, & prendre le nom de son Chien, puis qu’au moins elle auroit conservé par là le droit de supériorité que vous luy ostez.

    Elle seroit toûjours maistresse,
    Et quand je la servirois bien,
Le moyen qu’elle pust refuser sa tendresse
    Aux soins assidus de son Chien ?

Ce ne seroit pourtant pas l’interest qui me la feroit servir en cette qualité ; aussi ne croy je pas que cet Animal envisage dans ce qu’il fait pour son Maistre le bon traitement qu’il en doit attendre pour l’avenir. C’est plutost un attachement genereux qu’il a pour luy ; qui l’engage à faire tout son bonheur du plaisir de luy prouver sa fidelité.

C‘est ainsi que j’agis pour la Belle que j’aime,
Je luy suis obligé du beau feu que je sens,
L’honneur de la servir m’est une gloire extréme,
Et comme je n’ay point de desirs plus pressans,
    Que de luy faire assez connoistre
    Que je la reçois pour mon Maistre,
Mon cœur par tant d’amour attaquera le sien,
    Qu’un jour ma Bergere peut-estre
    Voudra considerer son Chien.

Mais quoy que cette qualitè de son Chien ait quelque chose de fort soûmis, je doute qu’elle me permist de la prendre. Tout le monde n’a pas les mesmes privileges que Vous, & l’air dont il me semble qu’elle me regarde me fait croire que ce qui nous conviendroit le mieux, seroit que je l’appellasse ma Joye & qu’elle m’appellast son Chagrin. En effet, je m’apperçois que ma veuë ne luy est pas moins insuportable que sa presence m’est chere. J’ay donc tort, puis que je ne suis pas mieux aupres d’elle, de vous y vouloir faire passer pour temeraire, & je voy bien que quoy que je fasse, elle sera toûjours vostre Musette, & vous toûjours son Berger.

[Compliment fait au Roy par l’Envoye de Portugal] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 302-305.

J’auray beaucoup de choses à vous dire sur les Complimens qui ont esté faits au Roy apres son retour par toutes les Compagnies Souveraines. En attendant que j’en sois entierement informé pour finir ma Lettre par cet Article, je vous fais part de ce qui a esté dit à Leurs Majestez par Monsieur l’Envoyé de Portugal, dans les mesmes termes dont il s’est servy en leur parlant. La Langue Espagnole ne vous est pas moins familiere que l’Italienne. Vous expliquerez ces Complimens à vos Amies. Voicy celuy qu’il fit au Roy, ayant esté conduit à l’Audiance avec les cérémonies accoûtumées.

En nombre del Principe mi Senor, doy a V.M. el parabien de haverse recogido desta Campana tan glorioso. Bien entendia el Principe mi Senor que avia de ser assy, porque sabe que en las acciones de V.M. no tiene parte la Fortuna. El orden admirable con que V. M. sabe disponer sus altas empresas, hazelos sucessos de la guerra no dudosos y contingentes, sino ciertos é infalibles. Pero yo, Senor, no doy à V.M. solamente el parabien de les vitorias conséguidas, sino tambien y con mucha razon, de que entre tantos Laureles escuchasse V.M. benignamente la platica de la Paz, porque con esta accion mostrò V.M. que tiene valor para suspender esta rayo, para embaynar esta espada vencedora. Mostrò V.M. que tiene grande amor a sus Pueblos, y mucha piedad ya de sus Enemigos, y finalemente mostrò V.M. que puede vencerse a si mismo, vitoria que algum otro Monarca jamais pudo conseguir.

Logre V.M. infinitos los triumfos, que todos estimara sumamente el Principe mi Senor, y sus Ministros los sabran aplaudir por todo el mundo.

[Compliment fait à la reine par le mesme Envoyé] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 305-306.

Apres que cet Envoyé eut ainsi parlé au Roy, il fut conduit à l’Audiance de la Reyne, à laquelle il fit ce Compliment.

En nombre de los Principes mis Senores doy a V.M. el parabien de su venida. Cierto era que V.M. avia de recogerse triumfante, porque poco o nada podian esta vez impedir las sombras de resistencias, pues todas las vence el Sol quando Sale ; y si el de un Polo influye en el otro, infalible quedava que llegando se V.M. a las conquistas, avia de influir ardimientos que assegurassen vitorias. En esta occasion viò la Francia y conociò la Europa que es verdad en V.M. en este siglo lo que en los passados fingiò la Gentilidad en Palas Diosa de la Guerre. V.M. ha conseguido este titulo, y los Principes mis Senores estimaran que le logre muchos anos entre crecidos triumfos.

[Histoire du Cadran & de l’Horloge d’Amour] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 306-345.

La délicatesse a ses charmes, mais il est quelquefois dangereux d’en avoir trop en amour. Deux Personnes d’un fort grand mérite avoient pris l’un pour l’autre un attachement tres-particulier. Ils en faisoient tout leur bonheur, mais ce bonheur n’estoit pas toûjours tranquille, parce que la moindre bagatelle suffisoit pour le troubler. Une civilité trop complaisante que le Cavalier auroit euë dans l’occasion pour quelque Dame, luy auroit attiré des reproches de sa Belle ; & si sa Belle eust fait quelque Partie de Comédie ou de Promenade sans le Cavalier, il se seroit plaint de la préférence qu’elle auroit donnée à ses Rivaux. Ils s’estoient promis sur tout de ne point courir le Bal l’un sans l’autre dans le Carnaval dernier. La liberté qui semble estre plus grande sous le Masque ou pour parler, ou pour écouter, leur estoit suspecte ; & pour éviter tout sujet de plainte, ils s’estoient engagez à se rendre témoins l’un l’autre de tout ce qui leur pourroit arriver en se déguisant. Cet accord avoir esté sçeu d’un Rival caché, qui sans avoir fait connoistre sa passion, cherchoit à broüiller les deux Amans pour profiter du desordre. Il se servit de la premiere occasion qu’il en trouva. La Dame avoit rendu visite assez tard à une Amie qui la retint à souper. Il en fut témoin, & ayant remarqué qu’elle n’avoit pas renvoyé ses Gens, parce qu’estant maîtresse d’elle-mesme, elle n’avoit à rendre compte de ses actions à personne, il prit ce temps pour chercher le Cavalier qui ne le soupçonnoit pas d’estre son Rival. Apres quelque entretien sur plusieurs choses indiférentes, ils tomberent sur les Divertissemens de la Saison. On n’oublia pas les Bals. L’adroit Rival demanda au Cavalier s’il n’accompagnoit pas sa Belle qui y devoit aller ce soir-là. Il feignit d’avoir entendu parler de cette Partie, sans qu’on luy eust nommé ceux qui en estoient. Le Cavalier fut fort surpris, dissimula son chagrin. Courir le Bal sans l’en avertir, apres ce qui avoit esté arresté entre la Personne qu’il aimoit & luy, c’estoit un crime de Leze-Amour qui ne se pouvoit pardonner. Il se dégage de son Rival, court chez sa Belle, l’attend plus d’une heure, & l’attendant inutilement sans qu'on luy puisse dire où elle est, il ne doute point qu’il ne soit trahy. Il sort, retourne chez luy, se déguise, & va dans un lieu où il y avoit un de ces grands Bals qui attirent ordinairement tout Paris. Il y danse, se fait remarquer, examine tout le monde, & ne découvrant point ce qu’il cherche, il se met en teste qu’on l’a fuy si-tost qu’on l’a reconnu, & qu’on est allé joüir d’une conversation agreable dans quelque Assemblée de moindre éclat. Il va par tout où il peut aprendre qu’il y en a, & perdant ses pas & ses soins par tout, il revient chez luy avec tous les sentimens de rage que la plus forte jalousie puisse inspirer. Cependant son Rival qui employe des Espions, découvre qu’il est allé au Bal. C‘estoit par là qu’il avoit crû le broüiller avec sa Maistresse. Il envoye quelques Amis au lieu mesme où elle a esté retenuë à souper. On met devant elle les plaisirs du Carnaval sur le tapis. On luy propose une Partie de Masques qu’elle refuse ; & comme sans affectation on luy fait connoistre que son Amant est allé chercher les Assemblées, elle fort jalouse, revient chez elle, & passe comme luy une tres-meschante nuit par l’inquiétude d’une prétenduë infidelité dont ils se soupçonnent l’un l’autre, & dont aucun des deux n’est coupable. Le lendemain dés neuf heures du matin, l’Amant va trouver sa Belle. Il est reçeu d’un air froid qui augmente sa jalousie. Il se persuade que les protestations de quelque Rival le font regarder d’un autre œil qu’on ne le regardoit toûjours. Il se plaint. On luy répond d’un air sérieux que la plainte luy sied bien. Grands reproches de part & d’autre, sans rien expliquer. La Dame soûtient qu’il faut estre aussi bonne qu’elle est pour le soufrir un moment apres qu’il est capable de l’oublier au point qu’il a fait. Il jure que depuis le soir précedent elle a occupé tout son temps sans qu’il ait songé qu’à elle seule. On rejette ses sermens. Il offre la preuve. On l’accepte, parce qu’on la croit impossible. Il s’y soûmet, & ne voulant pas se contenter de la parole, il demande une Ecritoire & du papier, afin que justifiant l’employ de tout son temps par articles, la Belle puisse examiner à loisir de quelle maniere il a toûjours pensé à elle, sans qu’aucun autre soin ait pû l’occuper. Il entre dans le Cabinet de la Dame, & y fait plus que d’écrire. Comme il sçavoit fort bien dessiner, il trace une espece de Cadran marqué dans le haut, qu’elle doit commencer à lire par ce qu’elle trouvera écrit entre neuf & dix heures ; & ayant expliqué sur chacune tout ce qu’il a fait depuis le soir, il sort en l’assurant qu’il ne s'estoit jamais rendu un compte si juste ny si veritable que celuy qu'il luy laissoit. La Dame qui ne s’attendoit qu’à un Billet, fut fort surprise de trouver le Cadran dont je vous parle. La maniere dont il estoit dessiné, luy parut galante, & elle cherchoit par où il falloit qu’elle commençast à lire ce qui estoit écrit tout autour, quand deux ou trois de ses Amies la vinrent surprendre dans son Cabinet. Le Cadran leur frapa les yeux. Elles demanderent à le voir de pres ; & la Dame qui le crût une galanterie à luy faire honneur par l’amour qu’elle s’imaginoit y devoir trouver marqué, ne se défendit point de la confidence. On y lût ce que vous pouvez lire vous mesme autour des douze heures du Dessein que je vous envoye. La protestation d’estre venu dire adieu pour jamais, fit rougir la Dame. Elle croyoit avoir déja grand sujet de se plaindre de son Amant, & au lieu de la satisfaire sur le Bal couru sans elle, il fait gloire de s’estre paré pour y aller, & d’avoir cherché à s’y faire distinguer par sa danse. Elle ne peut rien comprendre à son procedé, & moins encor à la résolution qu’il semble prendre de s’éloigner d’elle pour toûjours. Elle fait une plaisanterie de la chose en présence de ses Amies, en qui elle n’avoit pas assez de confiance pour leur découvrir ses jaloux chagrins ; & si tost qu’elle en est débarassée, elle court chez une Personne qu’elle avoit choisie dés l’abord pour confidente de sa passion. L’Amy le plus intime de son Amant y vient en mesme temps qu’elle. Il la voit chagrine, luy en demande la cause, & elle le prie d’examiner le présent que luy a fait son Amy. Il commence à lire ce titre tel que vous le voyez gravé dans le Dessein.

Comte d’un Amant rendu à sa Maistresse de l’employ de son temps pendant douze heures.

Apparemment, dit-il, cette galanterie sera pleine des plus tendres soins où puisse engager l’Amour. Il continuë la lecture, & tout interdit de ce qu’il voit ; Il faut poursuit-il, apres avoir leu, qu’il y ait là-dessous quelque mistere caché que nous n’entendions pas, car cela ne peut estre vray au pied de la lettre. L’Amante marqua avec cette ardeur qui ne se peut exprimer, & qui est si naturelle à ceux qui aiment fortement, le plaisir qu’elle auroit de s’estre trompée, & employa des termes si pressans à conjurer cet Amy d’éclaircir promptement ce qui leur paroissoit obscur à l’un & à l’autre, que la Confidente qui l’observoit, dit en riant, qu’elle n’avoit jamais aimé ny voulu aimer ; mais que par l’impatience que son Amie témoignoit pour le raccommodement, elle en jugeoit le plaisir si grand, que comme il n’y avoit que l’Amour qui se pust causer, il luy prenoit envie de connoistre par elle-mesme quelles en pouvoient estre les douceurs. Plust au Ciel, s’écria l’Amy d’un air plein de joye & tout transporté ! Il s’arresta là, & ces deux mots ayant fait penétrer une partie de ses sentimens, on railla la Confidente sur ce qu’elle avoit dit, & on adjoûta qu’afin que tout le plaisir d’aimer luy fust connu, il faudroit que l’Amant qu’elle auroit choisy eust soin de se broüiller souvent avec elle. Je voy bien, reprit-elle avec son premier enjouëment, qu’il faut qu’on se fasse des ragousts en amour, comme on s’en fait ordinairement en toute autre chose ; & je suis persuadée par ce qui arrive aujourd’huy, que le raccommodement doit avoir de grandes douceurs. Encor un coup c’est ce que j’ay envie d’éprouver. On trouva l’avanture plaisante, qui obligeoit une Insensible à prendre le party d’aimer, sur cette maxime que tout devoit estre charmant en amour, jusques aux querelles. Ce qui m’embarassera, poursuivit la mesme Personne, c’est que je sens bien que je ne pourray jamais aimer qu’un Homme d’esprit, & que pour m’y engager, il faudra qu’il me fasse connoistre à tous momens qu’il en ait. Mais, luy répondit l’Amy, qui l’aimoit depuis long-temps sans luy en avoir rien dit jusque-là, vous mettriez un Amant dans un furieux embarras ; car enfin si l’Amour permet qu’on étale sa tendresse & qu’on dise mille fois en un quart d’heure, qu’on aime avec la plus violente passion ; ce qu’on se doit à soy-mesme ne soufre pas qu’on dise qu’on a de l’esprit, & moins encor qu’on le repete autant de fois qu’il est obligeant de repeter à une Maistresse, qu’on fait tout son bonheur de l’aimer. Ne vous y trompez point, repliqua la Confidente. En disant qu’on a de l’amour, quoy qu’on ne parle point d’esprit, on le dit souvent d’une maniere qui ne fait pas moins paroistre d’esprit que d’amour. La Compagnie grossit peu à peu, & l’Amour qui avoit commencé d’estre le sujet de la conversation, le fut encor dans la suite. On parla de Femmes de toute sorte de caracteres, de fieres qui s’estoient renduës, de laides qui trouvoient le secret de se faire aimer, d’autres que leur infidelité ou leur constance rendoit remarquables ; & le résultat fut qu’il n’y avoit rien qui n’aimast. Cette conversation ayant inspiré le dessein d’une galanterie à l’Amant caché de la Confidente, il sortit & emporta ce qu’on luy avoit donné à lire de son Amy. Plusieurs autres sortirent un peu apres, & il ne resta que quelques Amis particuliers à qui la Dame & sa Confidente ne faisoient mistere de rien. Le Rival qui l’avoit broüillée avec son Amant par les supositions du Bal, estoit de ce nombre. Il découvrit avec joye que sa fourbe avoit reüssy, & ne cherchant qu’à aigrir la Dame, il appuya fortement toutes les plaintes qu’elle faisoit. Le Cavalier entre dans ce mesme temps. Il venoit se plaindre à son tour, la Confidente chez qui il ne croyoit pas trouver sa Maistresse La Confidente l’entreprend, & sur les reproches qu’elle luy fait de ce qu’il ose courir le Bal sans sa Maistresse, quand sa Maistresse refuse d’y aller sans luy, il se tourne vers son Rival. Le Rival demeure embarassé, & le Cavalier jugeant de son dessein par cet embarras, l’oublie rien pour justifier son procedé à la belle Personne qu’il aime. Tout ce que vous croyez avoir leû de desobligeant, luy dit-il, vous donne de nouvelles preuves de mon amour. Jamais Amant n’en a tant montré, & voicy comment, car il me souvient de tout ce que j’ay écrit.

Je suis venu chez vous à neuf heures du soir, & n’en suis sorty qu’à dix.

On m’assure que vous avez fait une partie de Bal. Je viens chez vous pour m’en éclaircir. On ne me peut dire où vous estes. Je vous attens une heure inutilement, & persuadé qu’il y a pour vous d’agreables divertissemens sans moy, je sors le plus jaloux & par conséquent le plus amoureux de tous les Hommes.

Depuis dix jusqu’à onze, je me suis paré pour aller au Bal.

Pour qui me suis-je donné la peine de changer d’Habit ? L’aurois-je fait, si je vous eusse trouvée chez vous, & n’a-ce pas été pour vous chercher ?

Depuis onze jusqu’à une, j’ay tâché à me faire distinguer par ma danse, & je n’ay cherché qu’à plaire.

Est-il défendu à un Amant aussi desesperé que jaloux, de se vouloir vanger en donnant de la jalousie ?

Depuis une jusqu’à deux, je suis revenu chez moy, & me suis couché avec resolution de vous hair toute ma vie.

Rien ne marque plus un violent amour qu’une résolution de haine. Si on n’aimoit pas, il ne faudroit point d’effort pour haïr.

Depuis deux jusqu’à trois, j’ay continué dans le mesme dessein.

A-t-on besoin de tant de temps pour s’affermir dans une résolution qu’on prend aisément ?

J’ay dormy depuis trois jusques à sept.

J’estois assez accablé pour cela ; mais quel sommeil, & de quels songes pleins d’emportement & de jalousie n’a-t-il pas esté troublé ? Voila ce que j’appelle avoir dormy, quoy que je n’en aye pas moins pensé à vous.

Depuis sept jusques à huit, je me suis habillé & me suis affermy dans la résolution de vous haïr éternellement. 

C‘est à dire que je vous ay aimée plus que jamais, puis qu’il m’a falu faire de nouveaux efforts pour me persuader que j’estois capable de vous haïr.

Depuis huit jusqu’à neuf, j’ay cherché des Chevaux de Poste, & je suis venu vous dire adieu pour jamais.

Rien ne prouve tant qu’on aime beaucup, que d’avoir besoin de fuir pour cesser d’aimer. Ainsi je prétens que ce que j’ay écrit fait connoistre que personne n’a jamais tant aimé que moy, puis que je ne suis point party malgré toutes mes résolutions, & que celle de haïr dans un Amant qui croit qu’on l’a outragé, va au dela de toutes les marques d’amour qu’on puisse donner. Hé bien, s’écria la Confidente, me blâmerez-vous de ne vouloir aimer que des Gens d’esprit ? Ils n’ont jamais tort, & quand ils tournent si bien les choses, qu’on a la satisfaction de croire qu‘ils ne le sont pas dés qu’ils ont parlé. Plus de colere, raccommodez-vous ; aussi-bien ne trouverez-vous jamais vostre compte à vous broüiller avec un Amant qui aura toûjours raison. Que n’obtient-on point quand on est soûmis ? Le Cavalier pria, la Dame le regarda tendrement, la paix fut faite, & le Rival eut le déplaisir de voir que sa fourbe n’avoit servy qu’à les mieux unir. L’Amy qui estoit sorty depuis trois heures, rentra dans le temps qu’ils se faisoient de nouvelles protestations de s’aimer toûjours. Il les congratula de s’estre si promptement raccommodez. La Confidente voulut revoir le Cadran qui avoit causé leur broüillerie. Il feignit de l’avoir emporté par mégarde, & au lieu de le rendre, il donna un papier où il y avoit une Horloge dessinée. La galanterie surprit. On l’examina, & l’attention qu’on eut à la regarder fut si grande, qu’on ne se souvint plus de ce qu’on luy avoit demandé. Vous pouvez examiner vous-mesme ce qu’il donna. Voicy l’Horloge gravée. Vous avez à vostre tour dequoy regarder. Le mot de Tout aime fut le premier qui frapa. Il est vray, dit l’Amie à sa Confidente, tout aime, & vous aimerez aussy. Ne vous ay-je pas déja dit, répondit elle fort plaisamment, que j’y estois toute résoluë. Chacun s’empressa de lire tout ce qui se trouva écrit dans le rond où vous voyez douze Cœurs qui accompagnent les heures. L’invention en parut galante ; & ce qu’on estima particulierement, c’est que sans faire d’application aux paroles qui regardoient chaque Cœur, elles avoient un sens general qui divertissoit par luy-mesme, quoy qu’on n’en penétrast pas le mystere. Cependant le mystere fut epxliqué par celuy qui avoit apporté l’Horloge ; & comme il le fut d’une maniere un peu satyrique, rien ne pouvoit estre plus réjoüissant. Il commença par ces paroles, je finiray comme j’ay commencé, & il en fit tomber le sens sur une Dame qui n’ayant jamais eu d’Amans que par ses avances, estoit d’un âge à en faire plus que jamais, si elle vouloit encor estre aimée. Il expliqua toutes les autres paroles de suite aussi malicieusement, & s’estant arresté sans rien dire sur les denrieres, qui estoient, je devrois l’avoir blessé plutost ; Achevez, luy dit la Maistresse de la Maison, & nous apprenez à qui cet Amour s’adresse. À vous, Madame, luy répondit-il. Vous ne vous attendiez pas à trouver icy vostre cœur parmy tant d’autres. Cependant vous avez témoigné tantost que vous aviez quelque envie d’aimer, & il est difficile de l’avoir qu’on n’aime déja. J’ignore qui sera l’Heureux que vous choisirez ; mais quel qu’il puisse estre, je suis assuré qu’il ne vous aimera jamais tant que je ferois, si vous vouliez recevoir mes vœux. Ces mots furent prononcez d’une maniere si tendre, qu’on jugea bien que la galanterie n’avoit esté inventée que pour donner lieu à cette déclaration. Les Amans raccommodez applaudirent, la principale Interessee rougit ; & celuy qui avoit veu avorter sa fourbe, ne sçachant sur quoy jetter son chagrin ; on veut que tout aime, dit-il, & pour le marquer dans les quatre coins de cette Figure, on fait paroistre l’Amour qui blesse tout ce qui est dans le Ciel, dans l’air, sur la terre, & dans les eaux. En verité, continua-t-il, ce seroit quelque chose de plaisant à voir, qu’un Oyseau que l’Amour auroit percé d’un de ses fleches. Cette raillerie obligea l’Autheur de l’Horloge à répondre, & il dit de si belles choses sur les diférentes amitiez des Animaux, que la satyre n’alla pas plus loin. Tout ce qu’il rapporta là dessus estoit aussi spirituel qu’agreable, & ce fut par où la Dame fit presque une necessité à son Amie de le choisir pour Amant, puis qu’elle estoit résoluë à aimer, & qu’elle ne vouloit aimer qu’un Homme d’esprit. L’engagement fut formé avant qu’on se séparast. Les deux Parties en parurent fort satisfaites, & ce qu’on n’avoit commencé qu’en badinant, fut finy fort serieusement par la disposition secrete qu’ils avoient tous deux depuis long-temps à prendre de l’attachement l’un pour l’autre.

[Extraits des Harangues des Complimens faits au Roy par les Cours Souveraines] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 349-365.

Voicy les pensées sur lesquelles à roulé le Compliment de Mr le President de Novion. Vous sçavez avec combien d’éclat il s’acquite des fonctions de Premier Président.

Il a dit, Que la Fable nous dépeignoit la Gloire comme estant la Fille du Travail, & qu’on en voyoit un exemple en Sa Majesté ; Qu’Hercule n’auroit point esté mis au rang des Dieux sans les Combats qu’il avoit rendus, & que si l’on comptoit encor aujourd’huy ses travaux, on comptoit ceux du Roy à plus juste titre ; Que lors que les Herbes n’estoit pas encor sur la terre, & qu’on estoit à peine revenu de l’étonnement de ses dernieres conquestes, sans qu’on pust s’imaginer qu’il fut si-tost en état d’en entreprendre de nouvelles, il avoit fait trembler le Rhin & la Lis, & que malgré les Hyvers, on entendoit toûjours gronder son Tonnerre sans sçavoir où il tomberoit. Vous pouvez vous imaginer, Madame, ce que de pareilles pensées ont pû fournir. Son Compliment fut court, serré, fort, & digne d’un grand Magistrat.

Mr Nicolaï Premier Président de la Chambre des Comptes dit, Que le Roy ne surprenoit plus que par la grandeur de ses Actions ; Qu’on estoit accoûtumé à luy voir faire ses Campagnes dans une saison où les Nations les plus endurcies aux Rigueurs du temps n’avoient jamais osé faire la moindre entreprise ; Qu’il avoit amusé toute l’Europe par son Voyage de Mets, lors qu’il estoit venu fondre tout-à-coup sur une Ville qui auroit effrayé les plus grands Conquérans par la seule réputation de sa grandeur, & qu’il n’avoit pas laissé de la soûmettre en aussi peu de jours qu’il en faudroit pour observer sa situation ; Que les Armes du roy s’estoient renduës si redoutables par tout, que quoy que les Ennemis vissent presque leur perte certaine attachée à celle de cette Place, ils n’avoient pas mesme osé former une entreprise pour la secourir. Il fit en suite des reflections sur les mesures que Sa Majesté prenoit pour l’avenir, & dit que Jupiter ayant fait tomber une Chaîne du Ciel, tous les Dieux s’unirent contre luy, & firent leurs efforts pour l’entraîner, mais que Jupiter les enleva tous par cette puissance supérieure qu’il avoit sur eux ; Que de mesme la Chaîne de la Guerre unissoit en vain tous les Princes contre le Roy ; Qu’il sçavoit leur resister à tous, & que leur union ne servoit qu’à donner plus de matiere à ses triomphes. Il adjoûta que tous les Princes de la Terre estoient comme les Geans, qui avoient entassé Montagne sur Montagne pour assieger Jupiter ; Qu’ils mettoient Royaumes sur Royaumes contre le Roy, mais inutilement, & que la vertu l’emportoit toûjours sur la multitude.

Mr le Camus Premier Président de la Cour des Aydes, prononça son Compliment avec cet air honneste & engageant qu’ont tous ceux de cette Famille. Il dit, Qu’il estoit difficile de décider ce qui devoit causer plus d’étonnement, ou de la modération du Roy, ou de la temerité de ses Ennemis, qui refusoient les conditions de la Paix apres tant de pertes, tandis que Sa Majesté consentoit à s’arrester au milieu de ses Victoires, & à mépriser des tiromphes assurez, dans la seule veuë du soulagement que la fin de la Guerre pouvoit apporter à ses Peuples ; Qu’ainsi on pouvoit dire que c’estoit avec quelque sorte de regret qu’il s’estoit résolu à faire de nouvelles Conquestes ; Que l’opiniâtreté de ses Ennemis l’avoit forcé à les vaincre encor dans le commencement de cette Campagne, quoy qu’ils dûssent estre aussi persuadez de leur foiblesse, que des nouveaux avantages que ses Armes devoient remporter sur eux ; Que si quelque chose pouvoit satisfaire une aussi grande Ame que celle de Sa Majesté, c’estoit la venération que les Nations Etrangeres avoient conçeuë pour son mérite, & la tendresse qu’une conduite remplie de tant de gloire & de tant de bonté, avoit fait naistre dans le cœur de ses Sujets. Il adjoûta quantité de belles choses dont je n’ay pû estre assez particulierement instruit.

Mr de Chauvry Premier Président de la Cour des Monnoyes, complimenta le roy en ces propres termes.

Sire,

Lors que nous avons l’honneur de paroistre devant V. Majesté, sa presence nous remet en memoire toutes les Actions qui rendent son Nom redoutable à toute la Terre.

Des Places forcées en grand nombre, le fameux Passage du Rhin, & une infinité d’Exploits, nous reviennent en foule ; comme si nous avions vescu dans les tenebres pendant son absence, nos yeux s’ébloüissent à la veuë de sa Personne environnée de tant de Lauriers.

Mais puis que V. Majesté pour comble de sa gloire, apres un secret merveilleux de ses Desseins qui n’ont paru que dans l’exécution, a réduit une grande Ville de la plus haute réputation, & emporté les plus dangereux Ramparts de ses Ennemis ; apres que de tous costez ses Etats se trouvent affermis par l’éloignement des Frontieres, ne pouvant mieux montrer nostre reconnoissance & nostre zele que par nos soûmissions, nous les rendons, SIRE, à V. Majesté, avec le mesme respect que toute la France s’incline devant Elle pour tant de bien-faits.

Mr de Pommereüil Prévost des Marchands, ayant esté mené à l’audiance, dit au Roy, Qu’il ne pouvoit refuser les honneurs du Triomphe dans la Capitale de son Royaume, ces honneurs ayant esté autrefois déferez aux Césars dont il surpassoit la valeur, & aux Tites & aux Antonins dont il égaloit la modération, Il continua en exagérant la joye qu’auroit la Ville au nom de laquelle il parloit de luy voir élever les Arcs de Triomphe que tant de Conquestes luy avoient fait meriter, & de suivre son Char dans les Ruës de Paris au bruit des acclamations de ses Peuples. Ce Compliment tres-fort de luy-mesme, reçeut beaucoup de grace de la maniere dont il fut prononcé.

Mr Barentin Premier Président du Grand Conseil, dit, Que les Actions de Sa Majesté estoient si grandes & si extraordinaires, que l’Esprit ne pouvoit ny les comprendre ny les loüer autant qu’elles meritoient d’estre loüées ; Qu’il estoit inutile d’avoir recours à l’Histoire ; Qu’on n’y trouvoit rien de semblable, parce que les Conquestes du Roy passoient tout ce qui s’estoit jamais fait de plus éclatant ; & que ce qui donnoit davantage d’étonnement, c’estoit de voir un succés aussi heureux & aussi facile de ses entreprises dans des temps si rigoureux, mais qu’il avoit rendu toutes les Saisons de l’Armée égales, & qu’on ne pourroit jamais assez admirer qu’apres la prise de S ; Guilain, il eust offert une Suspension d’Armes dans un temps de Victoires & de Triomphes ; Qu’il n’appartenoit qu’à Luy seul de se pouvoir vaincre Luy-mesme ; mais que les Ennemis ayant refusé une Paix offerte à des conditions qui marquoient la grandeur de sa moderation, il avoit suivy les mouvemens de sa valeur, & que pour reparer le temps perdu, il avoit pris une Place en quatre jours qui estoit l’origine de toute la Grandeur d’Espagne ; Que les approches difficiles de cette grande Ville, l’inondation des Eaux arrestées par une Digue qui paroissoit plutost l’ouvrage de la Nature que de l’Art, la subsistance d’une Armée de plus de soixante mille Hommes, & en suite la prise d’Ypres, estoient des choses si surprenantes, qu’elles auroient peine à trouver créance dans l’Avenir, Qu’il n’y avoit point de paroles capables de les exprimer, & que tout ce qu’on pouvoit faire, c’estoit de les honorer dans un silence respectueux, & de témoigner en mesme temps une joye & une reconnoissance publique.

Je ne vous dis rien, Madame, de tous ces Illustres Chefs de la Justice. Il y a long-temps que je vous ay entretenuë de chacun d’eux en particulier, & vous sçavez que de Magistrats si connus & dont on parle tous les jours admiration, on ne pourroit répeter que les mesmes choses.

[Compliment fait au Roy au nom de l’Academie Françoise par M. Perrault Directeur de la mesme Compagnie] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 366-380.

Mrs de l’Académie Françoise allerent faire leur Compliment quelques jours apres les Cours Souveraines. Les Cerémonies qui s’observent en ces rencontres vous sont connuës aussi bien que les honneurs qu’on fait à cet Illustre Corps. Mr Perraut qui en est presentement Directeur porta la parole en ces termes.

Sire,

Quelques grandes & merveilleuse que soient les nouvelles Conquestes de Vostre Majesté, il semble que vos Peuples devroient en estre moins transportez de joye & d’admiration, accoûtumez qu’ils sont à vous voir revenir tous les ans Victorieux de vos Ennemis. Mais outre que les biens les plus ordinaires, lors qu’ils sont universels, ne manquent jamais de causer une allégresse universelle, & que la Nature se réjoüit toûjours également au retour du Printemps, quoy qu’il revienne couronné des mesmes fleurs, il faut considerer qu’on ne s’accoûtume point aux miracles, sur tout quand ils ont quelque caractere particulier de grandeur qui les distingue.

Tous les Exploits de Vostre Majesté ont esté des prodiges de Valeur, de Prudence, de Vigilance, & des autres Vertus héroiques, qui apres vous avoir acquis la Victoire, ont combatu entr’elles sur la part qu’elles y avoient, & dont il y en a toûjours eu quelqu’une qui a remporté quelque avantage sur les autres. Elles recommencent aujourd’huy cette mesme dispute, où l’on peut dire que si l’on ne sçauroit trop admirer les effets surprenans de la plus haute Valeur qui fut jamais, & cette maniere rapide de conquérir qui n’a point d’exemples, l’esprit se perd & se confond dans la profondeur de la sagesse qui a conçû, qui a préparé, & qui a conduit à leur fin tant de si grandes choses.

Quelque attention qu’ait eu toute l’Europe sur les desseins de V.M. elle ne les a connus qu’au moment de leur exécution. Ces Politiques consommez qui prétendent voir les effets dans le sein de leurs causes, & qui croyent que leur prudence pénetre tout l’Avenir de mesme que leur ambition embrasse toute la Terre, n’ont sçeu prévoir ces prodigieux évenemens qui se préparoient & se formoient dans leur Païs mesme, & sous leurs yeux ; semblables aux Philosophes, qui malgré l’étude continuelle qu’ils font de la Nature, n’en connoisent ny les secrets ny les ressorts cachez dont elle opere ses merveilles.

Les Troupes marchent sans qu’elles sçachent où elles vont, ny quelle est l’expédition qu’on leur demande, contentes de sçavoir qu’elles vont vaincre en quelque part que l’on les meine. Mais lors que le temps marqué pour faire éclater vostre puissance est accomply, cinq Ville sont investies toutes à la fois par des Troupes innombrables qui semblent estre sorties de terre avec l’abondance des Vivres & des Munitions qui les accompagnent. La surprise des Ennemis est incroyable ; mais lors qu’ils voyent que la Flandre est attaquée, leur étonnement n’a plus de bornes, & il est tel que la Ville est preste à se rendre, qu’ils ne conçoivent pas bien encore qu’elle soit assiegée ; Vostre Majesté ne tarde guéres d’en achever la conqueste pour passer à une Place plus digne encor, quoy que moins grande, d’exercer ses armes invincibles. Les Assiegez forts d’Hommes & de Ramparts, font toute la resistance que de braves Soldats peuvent faire ; mais les attaques sont si vives, & les actions de valeur des Assiegeans si extraordinaires & si fréquentes, qu’ils trouvent quelque sorte d’honneur à en estre surmontez ; Et en effet, la gloire du Vainqueur est si grande, qu’elle se répand mesme sur ceux qu’elle a vaincus.

Cette gloire, SIRE, vous doit estre d’autant plus prétieuse, qu’elle vous appartient toute entiere, & qu’elle ne peut estre légitimement partagée par ceux-mesmes que V.M. a employez dans ses Conquestes, puis qu’il est vray que ce sont des Instrumens qu’elle a faits & formez Elle-mesme, & que la prudence des uns & la valeur des autres n’est que le fruit de son Exemple & de ses Instructions. Les Princes font beaucoup quand ils choisissent des Hommes capables des Emplois qu’ils leur donnent ; Vostre Majesté fait davantage, Elle leur donne & les emplois & les qualitez necessaires pour y réüssir ; Elle a une vertu qui les éleve au dessus d’eux-mesmes, & qui les transformant en d’autres Hommes, leur fait faire de si grandes choses, qu’ils ont peine à croire apres l’execution que ce soient eux qui les ayent faites.

Il est aisé de juger quelles seront les suites d’une Campagne si glorieusement commencée : Cependant, SIRE, nous sommes persuadez que si Dieu ouvroit les yeux à vos Ennemis, & qu’en leur faisant voir leur perte prochaine & inévitable dans la continuation de la Guerre, il disposast leur cœur à la Paix ; nous sommes, dis-je, persuadez que V. M. bien qu’Elle voye la Victoire qui l’appelle de tous costez, & qui luy prépare des Couronnes en tous les lieux où Elle voudra tourner ses Armes, auroit neantmoins la force de s’arrester au milieu du cours rapide de ses Conquestes, capable d’entraîner toute Ame moins grande que la sienne. Vostre Majesté sçait que la glorie dont brillent les Conquérans lors mesme qu’elle est parvenuë au plus haut point de sa splendeur, & telle qu’elle eclate aujourd’huy en son auguste Personne, n’est pourtant qu’une portion de la gloire des Grands Roys qui luy ressemblent. Elle sçait que si la Paix impose quelque repos à sa Valeur, elle permettra un plus libre exercice à ses autres Vertus ; à sa Justice, qui fera mieux encor entendre sa voix lors que le bruit des Armes sera cessé ; à sa magnificence, qui toute Royale & incompréhensible qu’elle est au milieu de la Guerre, pourra plus facilement encor laisser des Monuments eternels de la grandeur de son Regne ; & sur tout à cette Vertu bien-faisante qui fait le veritable caractere des Roys, je veux dire ce desir ardent qu’a Vostre Majesté de rendre ses Peuples parfaitement heureux par une entiere tranquillité & une pleine abondance. Voila, SIRE, quelle est l’idée que l’Académie Françoise se forme de Vostre Majesté ; Elle vous regarde comme un Modelle parfait dont tous les aspects sont admirables, & dont elle s’éforce sans cesse à tirer des images fidelles qui ne périssent jamais, non seulement pour satisfaire à la reconnoissance qu’elle doit à vos bienfaits & à vostre protection glorieuse, mais afin que ces mesmes vertus qui font la felicité presente de vos Peuples, deviennent encor utiles à la Postérité, par les grands exemples qu’elles donneront aux Princes des Siecles à venir.

Le Roy témoigna estre tres-satisfait de ce Discours, & il luy donna tant de loüanges, que Monsieur l’Archevesque de Paris, dit à Mr Perraut qu’il ne pouvoit rien adjoûter à ce que Sa Majesté luy en avoit dit. Vous voulez bien, Madame, que je me taise apres de si glorieux témoignages.

[Divertissemens donnez & promis au Public] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 380-382.

Psyché dont je vous parlay la derniere fois, a esté representée par l’Académie Royale de Musique. Elle a la mesme destinée de tout ce qu’on a veu de ce genre. On y court en foule, & le merveilleux talent de Mr Lully ne paroist pas moins dans cet Opéra que dans tous ceux que nous avons admirez de luy. Ce qu’il y a de surprenant, c’est que les Vers ont esté faits & mis en Musique en trois semaines. Cependant la Musique ny les Vers n’ont rien qui donne lieu de s’appercevoir de cette précipitation de travail ; & la beauté de la Symphonie & des Airs qui entrent dans cet Ouvrage, fait connoistre plus que jamais que Mr Lully ne peut plus rien produire que de parfait.

On se prépare à l’Hostel à joüer bientost le Belissaire. Ce nom est fameux & promet beaucoup. La Piece est de deux Autheurs que je nommeray si-tost qu’ils consentiront à estre connus.

[Mercuriales] * §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 385-389.

Je passe aux Mercuriales qui viennent d’estre faites au Parlement. On en fait quelques-unes à Pasques, quoy qu’on n’y preste pas le Serment dans ce temps-là comme on fait à la Saint Martin. Celle de Monsieur le Président de Novion a esté sur le Travail. Il a dit, Que Dieu ayant commencé par faire, tout avoit esté assujety au Travail, & que le Trône mesme n’en estoit pas exempt ; Que le Roy travailloit pour la Victoire, & la Victoire pour Luy ; Que les plus grands Hommes qui n’avoient rien que de rude, s’estoient polis par le travail ; Qu’il donnoit entrée aux Sciences, & perfectionnoit les heureux talens ; Qu’il falloit travailler beaucoup pour connoistre bien la Justice, & qu’on ne pouvoit assez se souvenir qu’elle devoit estre comme la Mer, qui rejette tout ce qui est impur.

Le Sujet de la Mercuriale de Mr le Procureur General a esté, Que le premier devoir d’un Magistrat estoit le service de son Roy, & que nous estions obligez de servir celuy que Dieu nous a donné pour Maistre, & par devoir & par reconnoissance, puis qu’il travaille sans cesse pour le bien de ses Sujets. Il a parlé de la fermeté de feu Mr le Premier President Molé pour le service du Roy dans les temps les plus difficiles. Il a décrit en suite les Vertus necessaires à un parfait Magistrat, jusqu’à ses Vertus domestiques, & a fait connoistre qu’elles estoient toutes en feu Mr le Premier Président de Lamoignon, & qu’il possedoit une éloquence naturelle, comme on l’avoit veu tres-souvent.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 389-390.

Ne cherchez plus d’ordre dans ma Lettre. Elle est déja longue, & le dernier jour du Mois m’oblige à finir. Je ne veux pourtant pas oublier à vous faire part d’un Air qui est fort approuvé des Connoisseurs. Il est de Mr Berthet. Je vous laisse juger des Paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, La Tendresse, doit regarder la Page 389.
    La tendresse
    D’une Maistresse,
    Fait le Printemps
        Des Amans.
Si la divine Amarante
Quelque jour ne m’aimoit pas,
La Saison la plus charmante
Seroit pour moy sans appas.
    La tendresse
    D’une Maistresse,
    Fait le Printemps
        Des Amans.
Au moment que cette Belle
Me fit le don de sa foy,
La Saison la plus cruelle
Fut pleine d’attraits pour moi.
    La tendresse, &c.
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[Explication de la première Enigme du Mois passé] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 390-392.

Pour les deux Enigmes en Vers, voicy l’Explication de la premiere sur les mesmes Rimes. Elle est de Mr Gauthier.

La Mode est inconstante aussi bien que legere.
Cependant on la suit par tout fort constamment,
    Et je crois qu’il n’est point d’Amant
    Qui sans son secours puisse plaire.
L’Artisan qui l’invente est un vray Roturier.
Nobles, Riches & Grands luy rendent des hommages.
Tout luy cede icy bas, & les Fous & les Sages,
Ce qu’elle a de credit vient de chaque Mestier.
    En un mot la Mode est si forte
    Et si seûre de son pouvoir,
Que contre la Raison, les Loix & le Sçavoir,
Elle dispute un rang que toûjours elle emporte.
L’empire qu’elle exerce est depuis plusieurs Ans,
    Et quoy qu’en sujette à la vieillesse,
    On la voit depuis tres long temps
Reprendre pour nous plaire une entiere jeunesse.

[Nom de ceux qui l’ont expliquée] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 392-396.

Ceux qui ont trouvé ce mesme Mot de la Mode, sont Mr Lagrené de Vrilly ; Mademoiselle de Clerbourg ; Une Belle de Thoüars ; L’Œdipe Boulonnois ; Mr de Lescar, d’Avignon ; Mr de la Vigne, de Nismes ; Mr de Cohon, Gentilhomme d’Alençon, Chevalier de l’Ordre du Roy de Portugal ; Mr Doguet, Avocat à Brie-Comte-Robert ; Mr Lelleron ; Mr Aubert, Avocat de Lyon, ; Mr Guillet, Ecclesiastique de Lyon ; Mr de Maurry ; Mademoiselle de la Salle, de Blois ; Une Belle Suissesse ; Mr de Lardenay ; Mr du Mont, Avocat à Chaumont ; Mademoiselle Chrestien, d’Auxerre ; Mr Rolant, Avocat à Rheims ; Mr Brissault, Medecin de Tournay ; Mr Malbet, Directeur des Postes de Champagne ; Mr l’Epine, de Bordeaux ; Mr Dauvillier de Basse bourg, Avocat ; Mr Denys, Chanoine de la Cathedrale d’Orleans ; Télamire, de Troyes ; Mr Charpentier, Commis au Domaine de Languedoc ; Mr l’Abbé Sanguin ; Mr Baisé le jeune ; Mademoiselle la Fileuse ; Mr du Plessis, Conseiller à Chinon ; Les deux Inséparables de la Ruë de Moussy ; Mr de Lantages ; Les Pensionnaires du Cloistre de Lyon ; Les Beaux esprits du Canton de Lile ; Mr le Moine, de Forests ; L’agreable Demoiselle de la Ruë de Moussy ; Mr de Soucanie, Avocat à Roye ; Mr Thabaud des Ferrons, de Berry ; & Mr Potier de Lauge.

J’oubliois à vous dire que cette Enigme de la Mode a esté faite par Mr l’Abbé de la Chapelle. Elle a reçeu divers sens de plusieurs Particuliers. Mr le Baron de Hoques, Mr le Roy, le Solitaire de Caën, Mr Basin Chanoine de l’Eglise de Troyes, Mr Hourdaut, Mr Herpy de Rheims, Mr du Laurens Prieur du Boishallebout, Mademoiselle Souchu, Mr Gelan, & Mr Palleron, ont crû que c’estoit la Fortune ; Mr Bourg de Villiere, Avocat à Cosne sur Loire, l’Estime ; Mr de Boisgirad, l’Heure ; Mademoiselle Camuset de Rheims, l’Epée ; Mr Godefroy le jeune, Sr de Maubuisson, & Mr le Jay, la Beauté ; & Mr du Fossey de Roüen, la Monnoye.

[Explication de la seconde Enigme du Mois passé] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 396-398.

Quant à la seconde Enigme, vous en trouverez le Mot dans le Sonnet que voicy. Il fut fait autrefois en envoyant des Volants à une jeune & belle Personne de la premiere qualité, qui est aujourd’huy Madame la Comtesse de Poitiers, de la Franche-Comté.

Sonnet.

Petits Volans allez aupres de cette Belle,
Qu’une douceur charmante accompagne toujours :
Vous y rencontrerez mille petits Amours,
Qui sans cesse luy font une garde fidelle.
Puis que vous desirez estre bien reçeus d’elle,
Il faut bien galamment leur demander secours.
Comme ils pourront joüer avec vous tous les jours,
Ils voudront bien sans doute appuyer vostre zele.
Ne prenez point d’orgueil si vous estes flatez.
Ne vous rebutez pas pour estre rebutez,
La peine & le plaisir succedent l’un à l’autre :
Et quand l’un de vous mort à ses pieds tomberoit,
Vist-on jamais bonheur qui fust égal au vostre
Puis que sa belle main le ressussiteroit ?

[Noms de ceux qui l’ont expliquée] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 399-402.

Ce mesme Mot du Volant a esté trouvé par beaucoup de Particuliers, qui sont Mr de Roux ; Le Solitaire de Caën ; Un Inconnu de Rheims ; La ville de Ham ; L’Illustre Fille de Village d’entre Tours et Saumur ; L’Athis de Thoüars ; Mr de Bois-girand ; Mr Godefroy le jeune, Sr de Maubuisson ; Mademoiselle de la Borde ;Mr l4abbé Baugy ; Mr le Jay ; Mr du Fossey, de Roüen ; Mademoiselle de Chennevarin, Fille d’un Auditeur des Comptes de Normandie ; Mr le Roy ; Mr de la Fosse de Baudevire, de S. Lo ; Une Dame du Païs du Maine ; Mr du Mont ; La Société Cloistrée de Paris ; Mr Maze, de Roüen ; Mr Roussel, Prestre, Aumônier ordinaire du Roy ; Mr Laisné ; Mr Hourdaut ; Mr du Laurens, Prieur du Bois Hallebout ; Mr Grasset ; La Belle Climene ; Mademoiselle Mariane, pres la Place Royale ; Mr Palleron ; & Mr de Lestac, Avocat en Parlement.

Mr Panthot, Docteur & Professeur en Medecine à Lyon, a expliqué cette Enigme du Volant, sur le Gibier en plume ; Mr de la Vigne, de Nismes, sur un Arbre ; Mademoiselle de la Salle de Blois, & Mr Lelleron, sur la Fusée ; Mr de Lardenay, sur le Feu ; Une Belle Suissesse, sur le Balon ; Mr Roland, Avocat à Rheims, sur la Bombe ou la Fusée Volante ; Mr Dauvillier de Bassebourg Avocat, Mr du Tel, Mr de Lantages, sur la mesme Fusée Volante ; & Mr de Soucanie Avocat à Roye, sur le Héron.

[Nom de ceux qui ont expliqué les deux Enigmes] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 402-406.

Voicy les noms de ceux qui ont trouvé le vray Mot de l’une & de l’autre Enigme. Mr de Mouceaux, de la Ruë de Paradis ; La Salamandre du Havre de Grace ; Mr le Chevalier de Marles, de Roüen ; Mr de Prével, de la Place Royale ; Mr de la Couldre, de Caën ; Mr Bernier, de Blois, Medecin à Paris ; Mr de Rionville, de Mets ; La Belle Angélique ; Le Solitaire de Champagne ; Mr de Saintfrie, Prieur de S. Joseph ; Mr de Billedestru, d’Auxerre ; Mademoiselle Loiseau, de Coulommiers ; Mademoiselle le Vignon ; Mr le Comte de l’Aubepin ; Mademoiselle Raince, de la Ruë Chapon ; Mesdemoiselles de Lochefontaine ; Mr d’Auberville ; Le petit Gormont ; Un Gentilhomme de Verdun ; Mademoiselle de Rebecour, de Loudun ; Mr de Rocmont ; Mr de Robbe ; Mr le Grand, de Troyes ; Mr du Tremblay, de Caën ; Mr Roussel, Prestre, Aumônier ordinaire du Roy ; Mr Mignot de Bussy, Gentilhomme Lyonnois ; Les Dames de Richelieu ; Mr Seffrie, d’Andely en Véxin ; Mr Trigodet ; Mr Proaudeau, d’Auxerre ; Le Solitaire de Caën ; Mr Marquis Sr de Chevigny, de la Charité sur Loire ; Mr Charpentier ; Mademoiselle Lenfant ; Mademoiselle Nomman-Anory, de Poitiers ; Mr l’Abbé de la Tanerie, de Poitiers ; La Belle Solitaire ; Mr l’Abbé Montel ; Mr du Tilieu ; Mr L. B. des Aunais ; Mr des Boquets Rabots, du Ponteau-de-Mer ; Madame Vincent, Femme d’un Procureur en Parlement ; Mr Bonnet, Fermier des Devoirs de Fougeres en Bretagne ; Un Chanoine Régulier de l’Abbaye S. Victor ; Une Belle d’Etampes ; Mr l’Abbé Droüin ; Mr l’Abbé Bossart Chanoine de Vannes ; Mademoiselle la Salle, de Blois ; Mr de Boulainvilliers, Chanoine Régulier ; Mr d’Hermilly ; Mr de Florimon, de Caën, ; Mr des Bois, Avocat en Parlement ; Mr Marchant, Avocat au Présidial de la Rochelle.

[Enigme] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 406-408.

Je me reserve à vous faire voir dans mes Lettres extraordinaires les belles Explications des Enigmes, dont la plûpart sont en Vers, & me contente aujourd’huy de vous apprendre les noms de ceux qui les ont devinées. J’en useray toûjours de la mesme sorte à l’avenir, & cependant je vous envoye deux autres Enigmes que vous pourrez proposer à vos Amies. La premiere est de Mr de Poclagnis ; & l’autre de Mr du Matha-d’Emery.

Enigme.

Parmy les Courtisans j’ay la premiere place,
J’approche de fort pres la Personne du roy.
Bientost une Rivale aussi belle que moy,
Dans ce lieu plein d’honneur me succede & m’en chasse.
Ma beauté, ma faveur, ne durent pas long-temps,
Mais je deviens bientost encore plus charmante.
Comme il n’est point sans moy de parure éclatante,
Quand on n’a que moy seule, on est sans ornement.

[Autre Enigme] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 408.

Autre Enigme.

Je viens d’un Pais étranger,
J’ay le Corps droit, sec, & leger ;
Autrefois dans un Camp prenant beaucoup d’empire,
Sans Teste j’estois crainte alors,
Mais maintenant j’ay honte de le dire,
Ma Teste vaut mieux que mon Corps.

[Enigme en Figures] §

Mercure galant, avril 1678 [tome 4], p. 414.

Le Satyre Marsyas lié à un Arbre pour y estre écorché vif, à cause de l’insolence qu’il avoit euë de prétendre qu’il égaloit Apollon à bien jouer de la Flute, est le sujet de la nouvelle Enigme que je vous propose. Prenez la peine d’en bien examiner toutes les Figures, & ne grondez pas de ce que je remets jusqu’au 15. de May la Lettre extraordinaire que je vous ay promise.