1678

Mercure galant, juin 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, juin, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1678 [tome 6]. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], non paginé.

À Monseigneur

le

Dauphin

Monseigneur,

Le mesme qui a déja donné la parole aux Chevaux dont vous vous servez dans vos Exercices, met aujourd’huy l’Epée en conversation avec le Fleuret. La fiction est ingénieuse, & comme elle regarde vostre gloire, j’ay crû que vous ne desaprouveriez pas que je la fisse paroistre à la teste de ce Volume. Elle supléera, MONSEIGNEUR, à ce que je sens bien que je ne vous diray jamais qu’imparfaitement, puis que l’admiration que j’ay pour vos grandes Qualitez ne me laisse point trouver de termes qui ne soient beaucoup au dessous de ce que je pense. J’oseray vous dire cependant, que quoy qu’elle aille au dela des plus fortes expressions que mon zele me puisse fournir, elle ne peut qu’égaler la profonde soûmission avec laquelle je suis,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble, & tres-

obeïssant Serviteur, D.

[Dialogue du Fleuret & de l’Epée] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], non paginé.

Dialogue

Du

Fleuret & de l’Epée.

Le Fleuret.

Jusqu’ici mon amour n’a voulu vous rien dire,
Une discrete ardeur a retenu ma voix
    Et si devant vous je soûpire,
C’est que j’ay maintenant plus d’orgueil qu’autrefois.

L’Epée.

D’où vous vient cet orgüeil, Amant qu’on doit peu craindre,
Joüet d’une valeur qui cherche à s’expliquer,
    Guerrier qui ne sçavez que feindre,
Avec si peu de cœur ozez-vous m’attaquer ?

Le Fleuret.

Quoy que de ce tranchant qui vous rend si terrible,
Je doive appréhender l’éclat victorieux,
    Quoy que je vous sçache invincible,
Je ne puis m’empescher de vous suivre en tous lieux.

L’Epée.

Quoy jusques aux douceurs vôtre amour vous engage ?
Mille Sabres dorez couvert de Diamans,
    M’ont fait ofre de leur hommage,
Mais je n’ay point reçeu les vœux de ces Amans.

Le Fleuret.

Il n’est point sous le Ciel de Sabre qui m’égale,
J’ay bien changé de rang depuis cinq ou six mois.
    Je dominois dans une Sale,
Et je regne aujourd’huy dans le Palais des Rois.

L’Epée.

Ce haut degré d’honneur où vous met la Fortune,
Ne peut dans les Combats vous faire redouter ;
    Et quand vostre amour m’importune,
Pour un peu de bonheur dois-je vous écouter ?

Le Fleuret.

Je fais les premiers traits d’un Maistre de la Terre,
Je mene à des Lauriers sa Valeur que j’instruis.
    Le plus superbe Cimeterre
S’estimeroit heureux d’estre ce que je suis.

L’Epée.

Quel est donc ce Héros dont vous formez l’adresse,
Et de qui le grand cœur s’affermit sous vos Loix ?
    J’écouteray vostre tendresse,
Si par un digne employ vous méritez mon choix.

Le Fleuret.

J’éleve un jeune Prince au sein de la Victoire,
Et quand je le dispose à donner de grands coups,
    Je travaille pour vostre gloire,
Et prépare son Bras à se servir de vous.

L’Epée.

Vous me faites valoir un fort petit service ;
L’adresse qu’a ce Prince, il la tient de son cœur,
    C’est un inutile exercice,
À qui vient tout dressé par sa propre valeur.

Le Fleuret.

Il est vray, mais par moy sa force ingénieuse,
Connoist d’un Ennemy l’endroit qu’il faut fraper ;
    Et cette Main victorieuse,
J’ay du moins avant vous l’honneur de l’occuper.

L’Epée.

Je vous en sçay bon gré, Fleuret incomparable ;
Si quelque jour ce Prince aux Combats excité,
    Fait luire mon fer redoutable,
Je vous devray l’honneur qu’il aura merité.

Le Fleuret.

Je trouve dans son Bras une force invincible,
Propre à rompre un Party, propre à le terrasser,
    À porter un coup infaillible
Sur l’heureux Ennemy qu’il daignera pousser.

L’Epée.

Que vous m’estes utile ! & que vostre assistance
Me persuade bien que mon sort sera beau !
    Je meurs icy d’impatience
Que son Auguste Main me tire du fourreau.

Le Fleuret.

Attendez, dans ce Prince on voit approcher l’âge
Qui le doit délivrer de mes soins superflus.
    Au premier feu de son courage
Vous serez en faveur, & je n’y seray plus.

L’Epée.

Dans un gros d’Escadrons quand ses Mains échauffées
Me rougiront du sang des Ennemis défaits,
    Dans ma gloire & dans mes trophées
Je me ressouviendray toûjours de vos bienfaits.

Le Fleuret.

Dés que vous paroistrez, d’abord je me retire,
Et de quelque façon que cesse mon bonheur,
Toûjours soûmis à vostre empire,
Pour vous qui m’enflâmez j’auray la mesme ardeur.

[Préface] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], non paginé.

Préface.

On demande des éclaircissemens sur bien des choses qu’on trouve en lisant la Préface de l’Extraordinaire. On est contraint d’y renvoyer ceux qui par leurs Lettres témoignent avoir quelques doutes, afin de n’ennuyer pas le Public en répetant ce qu’on a déja dit plusieurs fois. Cette Préface, & celles qu’on a mises jusqu’icy dans les divers Tomes du Mercure, sont plus necessaires qu’on ne les croit dans les autres Livres, à cause du commerce que les Nouvelles qu’on luy envoye luy font avoir avec tout le monde ; & que ne répondant que par là aux Lettres qu’il reçoit, & aux choses qu’on luy demande, ceux qui négligent de les voir ne sçauroient estre éclaircis de leurs scrupules. On prie de nouveau qu’on ne s’impatiente point pour les Histoires & pour les Enigmes, chacun peut s’assurer qu’il aura son tour. Quant aux Articles du Mois, ce qu’on reçoit dans les cinq ou six derniers jours ne peut que difficilement estre mis. Si ceux qui envoyent des Airs avoient pris soin de les faire donner par quelque Amy capable d’en voir les épreuves, comme ils en avoient esté priez, on ne seroit point embarassé pour sçavoir si on peut se servir de ceux qui restent, & on s’adresseroit à eux pour estre assuré qu’ils fussent demeurez nouveaux, car les Maistres qui ne les voyent point dans le premier Mercure qui paroist, les font chanter le plus souvent, dans la pensée ou qu’on ne les a pas reçeus, ou qu’on n’a pas voulu leur donner place, & il est fâcheux de donner en suite pour nouveau ce qui a cessé de l’estre par cette raison. Le Public témoigne souhaiter des Lettres sur toute sorte de matieres. Ainsi quand on en recevra de belles, on les mettra dans l’Extraordinaire, & ceux qui seront bien aises qu’elles y paroissent, prendront la peine de les travailler, rien ne les obligeant à les faire avec précipitation. Quoy que l’Extraordinaire qu’on a déja veu, ait eu beaucoup de succés, celuy qui sera donné le 20. de Juillet pour le remettre dans les Quartiers, sera d’une autre maniere, c’est à dire qu’il sera plus remply d’Histoires & d’autres Ouvrages, afin que la diversité des matieres y mesle par tout l’agrément de la nouveauté. On y verra des Festes Etrangeres, dont les Desseins seront curieux, & on n’oubliëra pas de fort galantes Réponses sur la Question galante proposée dans le premier Extraordinaire. Je ne dis rien de l’Histoire Enigmatique, on sçait qu’elle n’a pû fournir qu’à de sçavantes Explications. On donnera des Sujets nouveaux d’exercer l’esprit dans celuy du 20. de Juillet. On ne sçauroit trop recommander d’adresser toûjours ses Lettres au Sieur Blageart, celles qu’on adresse ailleurs ne sont presque jamais reçeuës. On a dit beaucoup de choses dans deux Mercures touchant la pensée qu’on a que l’Arc de Rheims a esté dressé en l’honneur de Jules César. Il y aura dans l’Extraordinaire un Discours tout remply d’érudition, d’un tres-sçavant Homme qui est d’un sentiment contraire. Si on trouve icy une seconde relation de la prise de Leuve, on ne doit point en estre surpris. C’est le morceau d’Histoire le plus exact & le plus curieux qu’on ait veu depuis fort longtemps ; & tant de Gens du Mestier ont conseillé de le mettre, qu’on n’a pû douter qu’on ne prist plaisir à le lire, sçachant qu’il ne contient rien que de veritable.

[L’Amour blessé, Idylle] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 35-49.

Voila, Madame, tout ce que j’avois à vous dire de ce fameux Monument qui fait tant d’honneur à la Ville de Rheims. J’ay beaucoup de joye d’avoir pû satisfaire vostre curiosité sur cet article, & n’en ay pas moins d’avoir enfin recouvré le galant Idylle de l’Amour blessé, que vous avez envie de voir depuis si long-temps. On m’a dit qu’il n’est pas tout-à-fait nouveau ; mais outre qu’il sera pour vous, je l’ay demandé à tant de Gens qui n’en avoient point entendu parler, qu’il y a grande apparence qu’on en a fait courir fort peu de Copies. Je l’ay trouvé tout ce qu’on vous a dit qu’il estoit. Ceux qui vous l’ont vanté, l’ont fait avec beaucoup de justice, & quoy qu’ils vous disent une autre fois en matiere de Vers aisément tournez, vous aurez sujet de les croire sur leur parole.

L’Amour

blessé.

Idylle.

Tout aimoit autrefois, non pas comme aujourd’huy,
Que la fidelité n’est plus qu’une chimere ;
Les cœurs d’un fort amour se faisoient une affaire,
Chaque Heros avoit son Heroïne à luy,
        Et chaque berger sa Bergere.
***
Icy dans un Palais l’Amour donnoit ses Loix,
Il y faisoit joüer ses ressorts politiques ;
        Maistre du Cabinet des Rois,
Cet Enfant décidoit des Affaires publiques
Et le Conseil d’Etat ne suivoit que sa voix.
***
Là dans une Cabane, il avoit soin d’apprendre
À d’aimables bergers ses plus douces Chansons,
Et s’ils ne joüoient plus qu’un air touchant & tendre,
        C‘estoit l’effet de ses Leçons.
***
Tantost un jeune cœur grossissoit son empire,
        Le triomphe en estoit aisé,
Et grace au feu de l’âge, il estoit disposé
    À recevoir ceux que l’Amour inspire.
***
Tantost ce mesme Amour enflammoit un Vieillard,
Sur le bord du tombeau le chargeoit de ses chaînes,
Et r’animant un sang tout glacé dans ses veines,
De ses derniers soûpirs vouloit avoir sa part.
***
Jamais, par le recit de leurs longues souffrances,
Tant d’Amans des Forests n’ont troublé le repos,
        Et jamais tant de confidences
        N’ont importuné les Echos.
***
Les Romans ont dit vray, pour un chagrin d’Astrée,
On eust veu Celadon l’ame desesperée,
Dans les eaux du Lignon terminer ses douleurs,
Et fidelle à Cassandre, ou plutost à ses manes,
Orondate à ses pieds eust veu mille Roxanes,
        Sans les payer que de rigueurs.
***
Cyrus pour sa Princesse eust couru cent Royaumes,
Aucun Enlevement ne l’en eust dégouté ;
Les Héros se piquoient d’une fidelité
        Qui duroit pendant douze Tomes.
***
Mais helas, de l’Amour l’âge d’Or est passé,
Les Cœurs sont maintenant d’une trempe plus dure,
        Et voicy par quelle avanture
        L’âge de Fer a commencé.
***
Quand l’Amour eust blessé tant d’ames,
        Qu’il n’en restoit plus à blesser,
Quand il ne trouva plus moyen de s’exercer
À décocher des traits, à répandre des flâmes ;
Quoy qu’en un plein repos il vit avec plaisir
        Sa Divinité triomphante,
        Comme il est d’humeur agissante,
        Il s’ennuya de son loisir.
***
Quoy mes Fleches, dit-il, demeurent inutiles,
Quoy l’Amour ne s’employe à rien ?
Puis qu’il n’est plus de cœurs tranquilles,
Au defaut d’autres cœurs je vay percer le mien.
***
Si j’ay fait aux Amans sentir mille suplices,
Qu’ils se consolent tous, ma main va les vanger ;
Et si je leur ay fait gouster mille delices,
Avec eux à mon tour je vais les partager.
***
Là-dessus (car l’Amour n’a guere de prudence,
        Et ne sçait pas trop ce qu’il fait)
        Luy-mesme il se perce d’un trait,
        Sans en prévoir la consequence.
***
Il sentit dans son cœur naistre des sentimens
Que luy seul dans les cœurs avoit toûjours fait naistre,
Par son experience il connut des tourmens
    Que jusqu’alors il n’avoit pû connaistre
        Que par les soûpirs des Amans.
***
Hélas, dit-il un jour aux Oyseaux d’un Bocage,
        C’est moy qui forme vos accés,
C’est moi qui suis l’Amour dont vostre doux ramage
Se plaint en ses tons languissans.
***
Pourquoy vous plaignez-vous si j’endure moy-mesme
Les maux que je vous fais sentir ?
Moy-mesme à mon pouvoir j’ay sçeu m’assujettir.
Le croirez-vous ? je suis l’Amour, & j’aime.
***
Mais il eut le chagrin qu’à ses tristes helas,
Par les airs les plus guais les Oyseaux répondirent,
        Vous par qui tant de cœurs soûpirent,
Soûpirez, disoient-ils, nous ne vous plaignons pas.
***
Que de l’Amour blessé l’agreable nouvelle
Satisfit en ce jour chaque cœur mal content !
Et qui n’eut pas trouvé sa peine moins cruelle,
        Quand l’Amour en souffroit autant ?
***
Celles qui conservoient un cœur facile & tendre,
Quand leur âge effrayoit & les Jeux & les Ris,
Se consoloient des soins que l’Amour leur fait prendre
    Pour supléer à leurs apas flétris.
***
Les Belles qu’en secret cet Enfant tyrannise,
Oublioient tous les maux dont leur cœur est atteint,
        Lors que sous un calme contraint
        Il faut que l’Amour se déguise.
***
Les Marys appaisez pardonnoient à l’Amour
        La disgrace dont il est cause ;
Et depuis ce temps-là, dit-on, jusqu’à ce jour,
    Tous les Marys ont fait la mesme chose.
***
    Enfin l’Amour guérit de ses ennuis.
Pour cet aimable Enfant est-il rien qu’on ne fasse ?
Ah je ne sçavois pas, dit-il, ce que je suis.
En quel état les Amans sont réduis
Et qu’ils meritent bien ma grace !
***
Il faut que desormais dans l’Empire amoureux
Avec plaisir les Ames soient captives.
Dépoüillons-nous de ces traits dangereux
Qui sont des blessures trop vives.
***
L’Amour depuis ce temps nous traite avec douceur,
Il se sert contre nous de Fleches émoussées
        Qui sont aisément repoussées,
        Et ne font qu’éfleurer un cœur.
***
Par quelle autre raison croyez-vous que l’on voye
Le regne de l’Amour coquet & libertin ?
    On aime assez pour en gouster la joye,
Trop peu pour en sentir le plus foible chagrin.
***
Aujourd’huy les Amans ignorent la pratique
De courir à la mort pour un petit dédain ;
Et pour garder sa foy, qui feroit l’inhumain,
        Aimeroit encor à l’antique.
***
Nostre Siecle renvoye à celuy de Cyrus,
Ceux qui de leur trépas honoreroient leurs Belles ;
On trouve qu’on peut vivre, & souffrir leurs refus,
Elles ne gagnent rien à faire les cruelles,
        Aussi ne les font-elles plus.
***
Nous en serions encor aux erreurs du vieil âge,
Si par bonheur l’Amour n’avoit senty les coups.
Toûjours un mesme objet recevroit nostre hommage ;
Je tremble quand j’y pense, helas que ferions-nous ?

[L’Heureuse infortune, Histoire] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 49-70.

Il seroit à souhaiter pour le repos de beaucoup de Gens, qu’il n’y eust rien que de vray dans cet Idylle, & qu’on aimast toûjours si commodement, qu’il n’en coutast jamais de chagrins ; mais il y a peu d’engagemens qui n’aillent plus loin qu’on ne la crû, & les suites en sont le plus souvent si facheuses, qu’il est difficile de ne les pas ressentir tres-vivement. L’Histoire qui suit le fera connoistre.

Un Cavalier d’une naissance fort considérable ayant pris employ à l’Armée dés le commencement de la Guerre, s’estoit tellement consacré à la gloire, qu’il en avoit fait son unique passion. Rien ne l’étonnoit. Il estoit des premiers par tout, & il n’y avoit point d’occasion dangereuse où l’ardeur de se signaler ne le fist courir. Sa bravoure adjoûta beaucoup à son merite, qui estoit d’ailleurs fort singulier. Chacun en parloit avec éloge, & il commença particulierement à connoistre l’estime qu’il s’estoit acquise, quand ayant eu le bras cassé dans une rencontre des plus importantes, il vit avec quel empressement les principaux Officiers luy en marquerent leur déplaisir. Il se fit porter dans une Ville voisine où il ne manqua point de secours. L’incertitude de sa guerison l’obligea long-temps à ne voir personne ; mais enfin ceux qui le traitoient, en répondirent. Ses douleurs cesserent, & il ne pût connoistre qu’il avoit encor part à la vie, sans chercher à se la rendre agreable. Il reçeut visite de toutes les Personnes de qualité, & on se fit tant de joye de contribuer au soulagement qui luy estoit necessaire dans un reste de langueur, que les Dames mesme ne dédaignerent pas de le venir voir. Une jeune Veuve, alliée du Lieutenant de Roy de la Province, dont il estoit tres-proche Parent, suivit l’exemple des autres. Elle avoit de la beauté, l’esprit aisé & insinuant, grand enjouëment dans l’humeur, & elle luy offrit de si bonne grace tout ce qui luy pouvoit manquer dans une Maison étrangere, que soit par reconnoissance, soit par la force du panchant, il sentit pour elle dés ce moment ce qu’il n’avoit encor senty pour personne. Il s’informa de sa conduite sans sçavoir pourquoy. Tout le monde luy en parla avec avantage, & il sembla n’avoir impatience de sortir que pour l’aller remercier de ses soins. Ce fut par elle qu’il commença à s’acquiter des visites qu’il avoit reçeuës. Cette distinction plût à la Dame. Elle en fit un plus favorable accueil au Cavalier. Il luy dit mille choses obligeantes. Elle y répondit agreablement, & la disposition reciproque d’une forte estime où ils se trouverent l’un pour l’autre, leur ayant inspiré l’envie de se voir souvent, les conduisit par degrez jusques à l’amour. Ils s’en apperçeurent, & ne prirent aucunes précautions pour s’en défendre. L’égalité de leur naissance ostoit tout obstacle à leur passion. La Dame qui avoit beaucoup de bien estoit en pouvoir de disposer d’elle, & il ne leur restoit que le Pere du Cavalier à ménager. Ce n’est pas qu’il ne fust satisfait de cette alliance, & qu’il ne témoignast mesme la souhaiter, mais il estoit de ces Vieillards intéressez qu’un avancement de succession inquiete, & qui usent toûjours de remises, quand il s’agit de se dépoüiller. Cependant le bruit d’une grande entreprise s’estant répandu, le Cavalier qui estoit veritablement né pour la gloire, ne balança point à prendre party. Quelque passion qu’il eust pour la Dame, il négligea le prétexte que sa blessure luy pouvoit fournir de demeurer encor aupres d’elle, & il ne songea plus qu’à se rendre en diligence où son devoir l’appelloit. Leurs adieux furent touchans. Ils cousterent des pleurs à la Belle, & jamais une semblable séparation ne fut suivie de plus fortes assurances de s’aimer éternellement. L’Occasion fut avantageuse au Cavalier. Il s’y fit distinguer comme il avoit déja fait en beaucoup d’autres, mais ce ne fut pas sans exposer sa personne à de grands périls. La Dame en fut informée, & plus elle eut sujet de l’aimer, plus elle craignit de le perdre. Elle crût qu’en l’épousant, elle se mettroit à couvert de ce malheur. Les irrésolutions du Pere ne finissoient point. Elle prit dessein de ne s’y plus arrester ; & comme elle avoit assez de bien pour renoncer aux avantages qu’il promettoit à son Fils, elle luy fit sçavoir que s’il estoit Homme à se contenter de sa fortune, elle estoit preste à la partager avec luy, pourveu qu’il l’aimast assez pour se vouloir défaire de son employ. L’ofre l’eust charmé sans cette condition. Il répondit à la Dame avec toutes les marques de tendresse & de reconnoissance que cette honnesteté méritoit ; & luy laissant esperer ce qu’il ne vouloit pas luy promettre absolument, il la pria de faire refléxion sur ce qu’une trop prompte déference à ses volontez feroit dire de luy dans le monde. La Belle ne pût goûter ses excuses. La gloire de son Amant la flatoit ; mais outre qu’elle commençoit à trouver son absence insuportable, les continuelles occasions où il estoit obligé d’exposer sa vie, troubloient toute la tranquillité de la sienne. Ainsi elle voulut l’avoir aupres d’elle à quelque prix que ce fust. Elle aimoit, elle se connoissoit aimée, & apres luy avoir inutilement reïteré la mesme Proposition dans les termes les plus pressans, elle ne douta point qu’en changeant de baterie, elle n’ébranlast ses plus fortes résolutions. Le pouvoir qu’elle avoit pris sur son cœur luy répondoit du succés. Elle suprima ses tendresses accoûtumées, & cherchant dans la froideur de son stile un nouveau moyen de l’enflâmer, elle luy manda, qu’apres avoir sérieusement examiné la force de ses raisons, elle avoit reconnu l’injustice de ses prieres ; Qu’elle demeuroit d’accord que l’amour estoit une passion indigne de remplir une aussi grande ame que la sienne ; Qu’elle approuvoit son zele pour le service du Roy ; Qu’elle luy conseilloit mesme de s’y dévoüer plus parfaitement, en ne songeant plus du tout à elle, & que de son costé elle alloit tâcher de l’oublier pour le mettre plus en état de consacrer à la Gloire tous les momens d’une vie dont elle avoit crû devoir prendre quelque soin. Cette Lettre fit l’effet qu’elle en avoit attendu. Ce fut un peu d’eau répanduë sur un fort grand feu. Le Cavalier ne l’avoit jamais trouvée si aimable que son imagination la luy representa dans ce moment. La crainte de la perdre luy fit ramasser tous les charmes de son esprit & de sa personne, & en estant plus amoureux que jamais, il luy écrivit ce que la plus violente passion peut inspirer de plus engageant pour obtenir le retardement de quelques Mois, pendant lesquels il obligeroit son Pere à faire pour luy ce qu’il avoit lieu d’en esperer, & chercheroit un moyen de faire avec moins de honte ce qu’elle souhaitoit de sa complaisance. La Dame qui vit par là que la victoire luy estoit assurée, continua sur le mesme ton. Elle répondit au Cavalier, que ce qui luy seroit préjudiciable dans un temps, luy seroit également desavantageux dans un autre ; Qu’elle ne prétendoit point qu’il se fist la moindre violence pour elle ; Qu’elle se rendoit justice sur le peu qu’elle méritoit, & qu’elle estoit sortie de l’erreur qui luy avoit fait croire, que comme elle luy vouloit donner tout son cœur, elle n’estoit pas indigne d’avoir tout le sien. Quelques autres Lettres qui suivirent ces deux premieres, écrites toûjours avec les mesmes apparences de froideur, acheverent de déterminer le Cavalier. Il ne pût tenir davantage contre les empressemens de la Belle, & il se trouva tellement obligé à la maniere des-intéressée dont elle l’aimoit, que le plaisir de la satisfaire l’emporta sur toute autre chose. Il envoya sa démission à la Cour, renonça à des avantages incompatibles avec le dessein de se marier, l’écrivit à la Dame en termes qui luy marquoient un entier détachement de tout ce qui ne regardoit pas son amour, & se mit en chemin quelques jours apres pour luy confirmer les assurances que sa Lettre luy avoit portées. Jamais Amant ne prit la Poste avec tant d’impatience d’arriver où il se croit souhaité. Le sacrifice qu’il venoit de faire luy promettoit le plus tendre accueil, & il n’eut le cœur remply pendant son voyage que des douceurs qui en devoient estre la récompense. Il faut aimer pour concevoir l’excés de sa joye quand il découvrit la Ville qui renfermoit l’aimable Personne qu’il venoit chercher. Il y entra, & n’estant plus qu’à cent pas de la Ruë où elle logeoit, il fut arresté par un concours extraordinaire de Peuple que la pompe d’un Enterrement avoit amassé. Elle estoit grande, & l’accompagnement désignoit assez le rang du Mort. Le Cavalier chagrin de se voir obligé d’attendre, ou de retourner sur ses pas, demanda pour qui cette funeste Cerémonie se faisoit, & à peine l’eut-il appris, que faisant un haut cry, il embrassa l’encolure de son Cheval, & glissa à terre sans s’en pouvoir relever. Ses Gens le porterent dans une Maison voisine où l’on eut beaucoup de peine à le faire revenir d’un évanoüissement qu’on jugea longtemps mortel. L’accident fit bruit. On avertit ses Amis. Ils accoururent, & comme son amour leur estoit connu, ils ne furent point surpris de l’état où ils le trouverent. La jeune Veuve qui luy avoit donné tant d’amour, estoit la Personne qu’on enterroit. Une fievre de quatre jours l’avoit emportée, & toutes ses espérances finirent au moment que son bonheur luy paroissoit sans obstacles. Il quitoit tout pour se donner sans reserve à ce qui luy estoit plus cher que sa vie, & la mort luy enlevoit ce qui luy faisoit tout quiter. Apres qu’il fut revenu à luy, il dit & fit des choses qui auroient touché les plus insensibles. Ses Amis qui ne le virent pas en état d’estre consolé, prirent le party de sa douleur, & luy applaudissant sur toutes les circonstances qui la pouvoient augmenter, ils le firent insensiblement consentir à vivre, afin qu’elle ne finist pas si-tost.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 70-71.

Les uns soufrent par la mort, les autres par l’infidelité. Cependant toutes les peines qui suivent l’amour, n’empeschent point qu’on ne conseille toûjours d’aimer. Voyez-le par les Vers qui suivent. Mr Lesgu les a mis en Air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence [par], Si vous voulez charmer, doit regarder la page 71.
Si vous voulez charmer,
Ne soyez plus cruelle :
Une Beauté rebelle
Ne peut se faire aimer.
Pour donner de l’amour,
Iris, il en faut prendre ;
Qui n’a point le cœur tendre,
N’a jamais un beau jour.
images/1678-06_070.JPG

Sur les Conquestes du Roy, faites en Hyver, Sonnet. §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 107-110.

Le Regne de Loüis le Grand nous a tellement accoûtumez aux Prodiges, que si nous ne cessons pas de les admirer, nous cessons du moins d’en estre surpris. Ces miracles qui commencent à devenir si communs pour nous, ont fait faire le Sonnet qui suit. Je ne vous l’envoye pas seulement pour la matiere, mais parce qu’il enferme un mistere de galanterie qu’il ne m’est pas encor permis de vous éclaircir. Comme il doit avoir de la suite, & que je ne doute pas que l’Autheur ne m’en fasse part, je vous apprendray l’Avanture entiere, & vous connoistrez alors que mes Lettres produisent quelquefois d’autres effets que celuy de vous divertir.

Sur les

Conquestes

du Roy,

faites en Hyver,

Sonnet.

Il faut tous quiter le Mestier,
Grands Supputeurs d’Ephemerides ;
Vous perdez le fruit de vos rides
À barboüiller tant de papier.
***
De vray vous pouviez en Janvier
Présager sur raisons solides,
Qu’on n’auroit nuls glaçons liquides,
Comme dit Mathurin Questier.
***
Mais n’annoncer que pluye & glace,
Sans assaut, sans prise de Place,
L’Almanach se va ruiner.
***
Les prédire estoit difficile.
Prendre en Hyver Ville sur Ville,
Qui diable eust pû le deviner ?

La Jonquille §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 110-115.

Voicy d’autres Vers qui doivent avoir aussi leur mistere. Ils m’ont esté envoyez de Loudun sous le titre de la Jonquille de Madame *** L’Ouvrage me paroist allégorique, & il y a grande aparence qu’on a ses veuës, quand on y parle de Zéphirs & de Tubéreuses.

La Jonquille.

J’eclatois autrefois dans un petit Parterre,
On me reconnoissoit pour la Reyne des Fleurs ;
Cent Rivales en vain me declaroient la guerre ;
    Le plus beau lustre, & les vives couleurs,
Dont brille la Tulipe, & que la Rose étale,
Cedoient à la douceur des Parfums que j’exhale.
***
        Tous les Zephirs de ce sejour,
À l’envy s’empressoient à me faire la cour,
Et d’un air si galant, si soûmis & si tendre,
        M’offroient leurs soûpirs chaque jour,
        Que je ne pouvois me défendre
        D’estre sensible à leur amour.
***
        De quels plaisirs, de quelle gloire
Ne combloit point mes jours ce commerce flateur !
    Toutes les Fleurs envioient mon bonheur ;
Mais pourquoy rapeller dans ma triste memoire,
    Par des regrets cuisans & superflus,
    Le souvenir des biens que j’ay perdus ?
***
        Un grand nombre de Tubereuses,
        Fleurs étrangeres dans ces lieux,
Que guidoit un Zephir content & glorieux
D’applanir sous leurs pas des routes épineuses,
    Aupres de moy vinrent se reposer,
Et de tout mon éclat bientost victorieuses,
Firent plus contre moy, que ne devoient ozer
        Des Fleurs nobles & genereuses.
***
    Tous mes Zephirs en furent ébloüis,
Ils furent tous dés-lors soustraits à mon empire,
Confuse & desolée, à present je soûpire.
Gloire, plaisirs, honneurs se sont évanoüis.
        Mon destin doit apprendre aux Belles,
        Qu’il n’est point d’Amans si fidelles,
        Qui ne puissent estre seduits,
Et qu’un Objet nouveau souvent triomphe d’elles.
***
    Hélas ! d’où vient qu’à m’insulter,
Tubereuses, par tout je vous voy toûjours prestes ?
        Vous ne pouvez vous écarter
Des lieux où vous m’avez enlevé mes Conquestes,
        On vous y trouve tous les jours.
Vous y faites venir tant de nouveaux secours,
    Que rien n’échape au pouvoir de leurs charmes.
Tout leur paroist soûmis, & je veux aujourd’huy
        Moy-méme mettre bas les armes,
Et bien loin de me plaindre, implorer vostre appuy.
***
Je sçay que pour punir des Fleurs présomptueuses,
Qui croyoient attirer les Zephirs les plus doux,
        On envoya les Tubereuses,
Qui les firent voler en foule à leurs genoux,
        Et laisserent ces malheureuses
        En proye à leurs transports jaloux.
Mais s’il faut maltraiter quelques fleurettes vaines,
La Jonquille n’est pas une fleur du commun,
    Elle n’a pas merité mesmes peines ;
Il est tant de Zephirs dans nos Bois, dans nos Plaines,
Que le nombre pourra vous en estre importun ;
J’estois accoustumée à leurs tendres haleines,
Tubereuses, au moins daignez m’en laisser un.

[Galanterie faite à Ath] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 116-122.

La galanterie est tellement née avec les François, qu’ils la font regner dans les lieux mesme d’où le voisinage de la Guerre l’auroit deû bannir. Ath est une Ville dont vous avez souvent entendu parler. Mr le Comte de Nancré en est Gouverneur. Quelques jours avant que les Dragons Dauphins de la Mestre de Camp generale & de la Cornete blanche, eussent reçeu ordre d’en partir, les plus considérables Officiers de ces Compagnies l’estant allez voir, il se fit une Partie de Jeu entre Mademoiselle de Nancré & Mademoiselle de S. Yon. La premiere avoit de son costé Mr le Marquis de S. Eran, Mr le Marquis de Bougis, & Mr le Comte de Longueval. Mr le Comte de Nancré, Mr le Chevalier du Terrier Capitaine dans le Regiment du Roy, & Mr de Chevilly, prirent le party de l’autre. Il ne s’agissoit que d’une Discretion. Mademoiselle de Nancré la gagna ; & Mr le Chevalier du Terrier qui ne fut peut estre pas fâché de la perdre en suite contre les deux Hommes de son party, crût qu’il ne s’en pouvoit mieux acquiter qu’en offrant le Bal à cette aimable Personne. Il fit cette offre de si bonne grace, qu’elle se trouva obligée de l’accepter. Comme elle en choisit le temps pour le soir de ce mesme jour, il n’estoit pas obligé à de grands apprests. Cependant les choses furent ordonnées avec une magnificence qui surprit, & jamais il n’y eut moins lieu de s’appercevoir de l’Inpromptu. Toutes les Dames se rendirent dans le Chasteau qui estoit éclairé de tous costez d’une tres-grande quantité de Bougies. Tous les Officiers de remarque s’y trouverent, & les Violons avoient déja joüé plusieurs Entrées de Ballet, quand Mr le Chevalier du Terrier entra. La galanterie de son Habit répondoit à sa bonne mine. C’estoit un Habit d’Eté qu’il n’avoit point encor mis, & dont il avoit inventé le dessein. Le fond en estoit aurore, avec des boutonnieres entremeslées d’œillets tous entrelassez & piquez de soye. Un cordonnet aurore & blanc y faisoit des noœuds d’amour & des chifres. Un double ouvrage servoit d’ornement aux manches. Le tour des Canons en estoit remply. Il avoit une Garniture aussi magnifique que bien entenduë, avec des Plumes des mesmes couleurs, c’est à dire, blanc, vert, & aurore. Ce qu’il y eut de particulier, c’est que cette Garniture avoit un entier raport avec celle de Mademoiselle de Nancré. On ne peut mieux soûtenir la qualité de Reyne du Bal qu’elle fit dans celuy dont je vous parle. Elle s’y fit distinguer par sa danse aussi bien que Mademoiselle de S. Yon, & on donna à celle de Mr le Chevalier du Terrier toutes les loüanges qu’elle méritoit. La Collation fut de cinq grands Bassins, où toutes choses se trouverent en profusion. On recommença la Danse. Elle dura jusqu’au jour, & il eust esté difficile de mieux régler une Feste, quand on auroit eu huit jours à s’y préparer.

[Mariage de Mr Launay avec Mademoiselle de Trevegat.] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 122-128.

Ce qui s’est fait à Ath pour une Discretion perduë, s’est fait depuis peu en Bretagne, pour marquer la joye qu’on y a euë du Mariage de Mr de Launay Capitaine au Regiment du Roy, avec Mademoiselle de Trevegat, riche Heritiere de cette Province. Il est Fils de Mr de la Chapelle-Coquerie, Gouverneur pour le Roy des Villes & Chasteau du Croisic & Guerende, & petit-Fils de feu Mr de la Coquerie Président à Mortier au Parlement de Bretagne. La Nopce s’est faite à Guerende avec des réjoüissances qui ont duré quinze jours. Le grand concours de Noblesse qui s’y est assemblée de toutes parts, est un témoignage avantageux de l’estime qu’on y fait des Mariez. Les Divertissemens n’y ont point cessé ; mais quoy qu’il y en ait eu de toutes sortes, rien n’a égalé une Feste qui se fit pour eux au Croisic, lors que Mr de Launay alla s’y faire recevoir à la Survivance du Gouvernement de Mr de la Chapelle son Pere, que le Roy avoit eu la bonté de luy accorder. Il estoit avec Madame sa Femme. Plusieurs Personnes qualifiées de l’un & de l’autre Sexe les accompagnoient. Ils arriverent au Lieu que je vous marque au bruit du Canon & de la Mousqueterie, & reçeurent les Complimens qui sont ordinaires en pareilles occasions. Ils furent priez en suite d’aller prendre le plaisir de la promenade sur la Mer. L’extréme chaleur du jour les y convioit, & jamais Divertissement ne pouvoit estre plus de saison. Ils s’embarquerent sur des Chaloupes équipées exprés. Elles estoient couvertes de verdure, avec quantité de Festons de fleurs. On avoit preparé une tres-magnifique Collation dans celle où la Compagnie entra. C'estoit un Ambigu servy avec une propreté admirable. L'abondance & la délicatesse des mets s'y trouvoient ensemble, & on ne pouvoit regarder sans plaisir l'arrangement d'une infinité de Porcelaines remplies de tout ce qui estoit capable de flater le goust. Il y avoit un Bufet tres-bien garny dans la Chaloupe voisine. Celle-cy tournoit autour de l’autre, & facilitoit le moyen de donner à boire à ceux qui en souhaitoient. On pouvoit choisir de Liqueurs. Elles y estoient en profusion, & de toutes sortes. Un Concert de Musique, vingt-quatre Violons, & douze Hautbois, remplissoient une troisiéme Chaloupe. Leur Symphonie se joignant au bruit de la Mer, faisoit retentir agreablement les Echos que produisent les Rochers de cette Coste, & donnoit une extréme satisfaction à toute cette belle Compagnie. La nuit qui arriva plutost qu’on n'auroit voulu, l’obligea à se débarquer pour se promener à pied le long de la Coste. Les mesmes plaisirs les y suivirent, & ils furent augmentez par celuy qu’ils eurent de voir une quantité prodigieuse de Fusées sur la Mer, comme si cet Element les eust poussées de luy-mesme dans les airs pour prendre part à leur joye. On se retira en suite chez Mr le Gouverneur, où le reste de la nuit fut employé à danser.

[Histoire des faux Cheveux] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 129-152.

Il s’est fait icy un autre Mariage depuis quelques mois, qui en a déja eu de chagrinantes. Il n’y a rien de rare en cela, mais il y a quelque chose d’assez peu commun dans ce qui a causé la division. Voicy l’Histoire.

Un Cavalier fort capable de se faire aimer & par sa bonne mine & par son esprit, logeoit depuis quelque temps dans le Quartier de S. Honoré, quand une belle Personne vint occuper la Maison voisine. Elle quitoit celuy de S. Paul & avoit une raison essentielle pour faire cette longue transmigration ; car vous sçavez, Madame, que quiter S. Paul pour S. Honoré, c’est en quelque façon changer de Ville. Cette raison ne regardoit point sa vertu. Elle estoit à l’épreuve des belles paroles, & vivant sous la conduite de sa Mere, elle l’avoit pour témoin de toutes ses actions ; mais comme elle cherchoit un Mary plutost qu’un Amant, elle fut persuadée que pour le trouver plus facilement, il falloit qu’on ne la connust pas pour ce qu’elle estoit. Son Bien estoit médiocre, & ne luy laissoit pas esperer de grands avantages, si on ne faisoit entrer sa beauté en ligne de compte. Une grande vivacité de teint, assez de jeunesse, des yeux pleins de feu, & un coloris de levres admirable, quoy qu’elle eust la bouche un peu grande, estoient des charmes qui ne se trouvoient pas dans toutes les Filles, mais sur tout elle avoit une teste qu’on ne pouvoit assez admirer. C’estoient des cheveux d’un blond qui ébloüissoit. Jamais on n’en avoit veu de si beaux. Ils luy donnoient un éclat qui relevoit merveilleusement celuy de son teint ; & tous ceux avec qui elle fit habitude dans ce nouveau Quartier qu’elle avoit choisy, ne les eussent pas crû naturels, si en les touchant ils n’eussent reconnu qu’il n’y avoit point d’artifice. Le Cavalier n’eut pas longtemps une si aimable Voisine sans faire connoissance avec elle, & cette connoissance fut bientost suivie de quelques sentimens tendres qu’il luy expliqua. Ils furent assez agreablement reçeus, & quoy qu’il ne fust pas fort riche, comme il avoit du merite, elle se fust aisément contentée de sa fortune, s’il eust esté Homme à s’engager tout de bon, mais il n’estoit pas fort zelé pour le Sacrement. Une conversation agreable luy plaisoit, & il estoit de ces gens qui aiment volontiers toute leur vie, pourveu qu’ils ne s’y obligent point par Contract. La Belle ne s’accommodoit point de cette reserve. Elle employa toute sorte d’artifices pour l’amener où elle vouloit, & voyant qu’elle n’y pouvoit réüssir, elle crût qu’en le piquant de jalousie, elle viendroit plus aisément à ses fins. Elle vit du monde, reçeut d’autres visites que les siennes, & témoigna n’estre pas insensible à quelques hommages qu’on luy offrit. Il en murmura, mais il aima mieux prendre patience, qu’y apporter le remede qui luy estoit seûr. Il se rendit compatible avec d’autres Soûpirans, parmy lesquels un Vieillard demeuré veuf depuis deux années, se montra des plus empressez. Son âge pouvoit dégoûter la Belle, mais il estoit extrémement riche ; & comme l’amour donne de la liberalité, il fit de la dépense qui fut suivie de tant d’assurances de tendresse, qu’elle ne desespera pas d’en faire un Mary. Les avantages qu’elle en pouvoit esperer, meritoient bien la préférence qu’on luy donna. Le Cavalier que la Belle commença de traiter plus froidement s’apperçeut bientost du nouveau commerce. Il en fut surpris, & ne pouvant croire qu’on fust capable de se remarier à l’âge où il voyoit le bon Homme, il fit quelque raillerie à la belle Blonde de l’acquisition de cet Amant suranné. Elle en fut piquée, s’emporta contre le Cavalier, luy défendit sa Maison, & fit valoir au Vieillard son exclusion de la bonne sorte. Le Cavalier en eut du chagrin ; mais comme il estoit honneste, il ne se vangea de la maniere impétueuse dont il fut traité, que par ces Vers qu’il luy fit tenir.

    Quoy, me préferer un Rival ?
    Climene, mon cœur en soûpire.
    Mais oseray-je vous le dire ?
    Pourquoy choisissez-vous si mal ?
***
    Si d’un jeune Blondin charmée,
L’Amour en sa faveur vous rangeoit sous ses loix,
À toutes vos rigueurs mon ame accoustumée,
    Respecteroit un si beau choix.
***
Ce doux je ne sçay quoy qui plaist lors qu’il engage,
Ses manieres, son air, tout cela vaut son prix,
Dirois-je, il faut ceder : mais recevoir l’hommage
    D’un Protestant à cheveux gris !
Parlons à cœur ouvert, Climene, estes-vous sage ?
***
    Quel rapport entre vos soûpirs ?
Quand les uns sont de feu, les autres sont de glace,
Vous entrez dans le monde, alors que tout l’en chasse,
Vous vivez pour la joye, il est mort aux plaisirs.
***
    Si quelque vieux reste de flame,
Semble encor quelquefois luy réveiller les sens,
En vain ce doux transport vient chatoüiller son ame,
    Les efforts en sont languissans.
***
    Il est vray que l’experience,
Comme le fruit de l’âge en est une vertu ;
Mais c’est un poids sous qui l’Amour est abbatu,
    Et le trop luy tient lieu d’offence.
***
Ainsi quand un Galant dans l’arriere saison,
Vient par des vœux usez luy rendre encor hommage,
Il s’en fait une honte, & voudroit qu’à cet âge
    On prist soin d’entendre raison.
***
C’est un triste ragoust qu’un Amant à Lunetes ;
Climene, apprenez-nous comme il sçeut vous charmer.
Un Visage fané, mesme des plus mal faites,
    Est mal propre à se faire aimer.
***
Mais lors qu’en sa faveur vostre cœur se déclare,
    N’aimeriez vous point ses tresors ?
Il est riche, dit-on, & son argent repare
    Le manque des graces du corps.
***
Ce seul trait de beauté rajuste la vieillesse,
Sa bourse, j’en conviens, le doit mettre en credit.
Est-elle bien fournie ? Il a trop de jeunesse,
    Et ne sçauroit manquer d’esprit.
***
Peut-on luy comparer ces Amans du bel âge,
Qui laissant à leurs yeux expliquer leur langueur,
    Quand ils vous ofrent leur hommage,
    Ne vous apportent que leur cœur ?
***
Un, je me meurs, chez vous, ne peut estre de mise,
    Je vois à quoy tout le commerce tend.
Petits soins, Billets doux, Offres de sa franchise,
    Ne sont point de l’argent comptant.
***
Vous ne vous payez point de semblable monnoye,
    Vous demandez d’autres Bijoux ;
Les donnant à propos, c’est une seûre voye
    Pour réüssir aupres de vous.
***
Mais quand vostre Galant vous prépare une Feste,
Qu’à choisir des Présens il paroist empesché,
Sur tout à bien haut prix mettez vostre conqueste,
    Vous ferez toûjours bon marché.
***
A-t-il dequoy payer une de vos œillades ?
Le plaisir de vous voir ne dura-t-il qu’un jour,
Il a beau dépenser en Festins, Serenades,
    Il vous doit encor du retour.
***
Ménagez ses transports, il a bonne finance,
Prenez de temps en temps un air plein de fierté,
Faites-luy bien valoir la moindre complaisance,
    Et qu’enfin tout soit bien compté.
***
    Vous pouvez estre charitable,
    Sans mettre en hazard vostre honneur ;
Vos bontez n’en sçauroient faire qu’un misérable,
    Je n’envieray point son bonheur.
***
C‘est dequoy me vanger de la cruelle injure
    Que vostre choix fait à mes feux,
Et je laisse à juger qui dans cette avanture
    Est de nous le plus malheureux.

Cette petite Satyre obligea la Belle à n’oublier rien, pour faire voir qu’en soufrant les assiduitez du Vieillard, elle avoit eu lieu d’en esperer autre chose que des Présens. Toutes ses complaisances luy furent données. Elle ne recevoit personne quand il estoit aupres d’elle. Cette conduite fit un effet merveilleux. Son humeur ne luy plaisoit pas moins que son visage. Elle avoit d’ailleurs ce qui avoit esté son charme toute sa vie, je veux dire ces beaux cheveux qu’il admiroit tous les jours, & qui l’enchaînerent si bien, qu’il se résolut enfin à l’épouser. Elle avoit de la vertu, & il ne se peut rien de plus honneste que la maniere dont elle vescut avec luy. Le Cavalier voulut la revoir. Il luy écrivit, il luy fit parler, & n’en pût obtenir la persmission. Son Mary estoit fort âgé. Elle luy estoit obligée d’un établissement qui dans le peu de bien qu’elle avoit, la mettoit à couvert de quantité d’embarras ; & pour luy en marquer sa reconnoissance, elle se fit un plaisir d’éloigner tout ce qui luy auroit pû donner de l’ombrage. Elle estoit propre, & se coifoit tous les jours, parce qu’elle sçavoit que c’estoit luy plaire ; & ils vivroient encor dans l’union où ils passerent les quatre premiers mois de leur Mariage, si ce qui avoit contribué à le faire, n’en eust malheureusement troublé la paix. Le bon Homme estoit sorty un matin pour une affaire qui devoit l’arrester indispensablement jusqu’au soir. La Belle qui se coifoit toûjours seule, s’estoit enfermée dans son Cabinet, d’où elle sortit imprudemment pour aller chercher quelque chose dont elle eut besoin dans une Chambre voisine. Elle négligea d’en fermer la Porte, parce qu’aucun de ses Gens ne montoit jamais sans estre appellé. Le Mary revint dans ce moment pour un papier qui luy estoit necessaire. Il entra dans le Cabinet de sa Femme qu’il trouva ouvert, & vit sur sa Table cette belle Teste qui l’avoit charmé. Jamais surprise ne fut pareille à la sienne, si vous en exceptez celle de la Dame, qui revenant un moment apres, & voyant sa tromperie découverte, demeura dans une confusion qui ne se peut exprimer. La verité est que ces cheveux blonds qui luy attiroient tant de regards, n’estoient à elle que parce qu’elle les avoit payez à Madame le Tousé. Tout le monde connoit l’adresse de cette fameuse Ouvriere qui a inventé les Perruques au Mestier, qui ne pesent que deux onces, & qui réüssit toûjours si bien pour les coifures des Femmes. La maniere dont elle applique les faux cheveux est quelque chose de surprenant. On les tire, on les regarde de pres, & il n’y a personne qui ne croye que c’est sur la teste mesme qu’ils sont appliquez. Le bon Homme qui se vit trompé dans ce qui touchoit le plus son cœur, voulut voir les veritables cheveux de sa Femme. Elle les avoit de la couleur la plus dégoûtante, & c’estoit par cette raison qu’estant devenuë une Personne toute nouvelle apres l’acquisition d’un blond qui ne luy estoit pas naturel, elle avoit chagé de Quartier, s’imaginant bien que dans celuy où on l’avoit veuë dés son bas âge, il luy seroit impossible d’empescher qu’en s’informant d’elle, on ne fust instruit de ce defaut. Cette couleur qui ne plaist en France à personne, choqua si fort le Vieillard, que quoy qu’elle pust faire pour s’excuser, il luy ordonna de se retirer chez sa Mere, sans qu’il l’ait voulu recevoir depuis ce temps-là chez luy. Ses Amis s’employent inutilement à l’adoucir. Il dit toûjours qu’il a épousé une Blonde, qu’il ne veut point d’autre Femme ; & si l’on en croit le bruit commun, il a déja consulté les plus habiles Avocats pour sçavoir si une tromperie de cette nature n’est point une cause suffisante pour faire rompre son Mariage.

Stances sur la vanité du Monde §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 162-170.

Ces morts prématurées qui semblent renverser l’ordre de la Nature, engagent à des refléxions que je ne doute point que vous ne trouviez heureusement exprimées dans les Vers qui suivent.

Stances

sur la vanité

du Monde.

Daphnis qui suis en tout la plus haute sagesse,
Contemple ce Tableau de l’humaine foiblesse,
Que le soin de te plaire a tiré de mes mains
Tu pourras remarquer de combien de licences
La Fortune & l’Amour, deux aveugles Puissances,
Font regner le desordre en l’Estat des Humains.
***
Depuis que les Mortels aux Sceptres font hommage,
Cette Reyne du Monde, insolente & volage,
Des Princes les plus grands renverse les projets.
Lasse de les flater, elle leur fait la guerre,
Et sans distinction tous ces Dieux de la Terre
Sont de mesme que nous au rang de ses Sujets.
***
Ils ont beau partager la conduite du Monde,
Et par une valeur en merveilles feconde,
Au Temple de l’Honneur des Palmes acquerir.
Ils éprouvent enfin la Fortune & l’Envie,
Et les Gardes commis pour defendre leur vie,
Ne peuvent rien pour eux dans l’heure de mourir.
***
Leurs superbes Grandeurs aux Astres parvenuës,
Par la suite des ans deviennent inconnuës ;
Leur orgueil a sa Tombe aussi bien que leur corps,
Et ces grands Monumens d’eternelle memoire,
Ne s’élevent par tout pour maintenir leur gloire,
Qu’afin de declarer aux autres qu’ils sont morts.
***
Tant de charmans Objets dont le monde se pique,
Cette beauté d’Olympe, & ces yeux d’Angelique,
Seront dans quelques jours la pasture des Vers.
Cloris n’a plus ce teint qui la rendoit si vaine,
Et l’on ne voit plus rien des meveilles d’Helene,
Qui fit pour sa querelle armer tout l’Univers.
***
Pauvre Amant, tu fais voir que tu n’es guere sage,
Quand pour quelques attraits qui parent un visage,
Tu languis jour & nuit de tristesse & d’amour.
Songe qu’au moindre vent ces graces se flétrissent,
Et que si des Vergers les Roses refleurissent,
Celles de la beauté n’ont jamais de retour.
***
Malheureux qui dressant un superbe Edifice,
Employez tant de soin de peine & d’artifice,
Afin de vous oster du nombre des Mortels,
Doutez-vous que le temps à la fin n’en dispose,
Quand les Divinitez qui peuvent toute chose,
Ne peuvent de ses coups affranchir leurs Autels ?
***
Invincibles Cesars, Hercules indomptables,
Orgueilleux Conquerans, Puissances redoutables,
Que l’ardeur de la Gloire aux alarmes nourrit ;
En vain vous triomphez des plus superbes Testes,
Vous ne sçauriez tirer de toutes vos Conquestes,
Qu’un rameau de Laurier qui jamais ne fleurit.
***
Retirez-vous, desirs de ces Pompes suprêmes,
Il faut vous élever, mais c’est contre vous-mesmes,
Et rendre sous nos pieds vostre orgueil abbatu.
Ne cherchons qu’en nous seuls des Conquestes nouvelles,
Et croyons qu’il n’est point de Palmes eternelles,
Que celles qu’on reçoit des mains de la Vertu.
***
Ce superbe Alexandre, esclave de sa gloire,
Qui de tout l’Univers ne fit qu’une victoire,
Dont son ambition luy ravit le plaisir,
Auroit pû se vanter d’avoir eu la puissance
De faire tout flechir sous son obeïssance,
S’il eust pû commander à son propre desir.
***
Daphnis, n’aspirons plus aux grandeurs de la Terre,
Combatons, s’il se peut, d’une mortelle guerre
Toutes les Passions que la Raison defend.
Changeons les soins du monde en des soins plus utiles ;
La Fortune & l’Amour à vaincre sont faciles,
L’une n’est qu’une Femme, & l’autre qu’un Enfant.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 170-171.

Heureux qui pourroit se servir de ces leçons ! On se mettroit à couvert de bien des chagrins, & particulierement de ceux que cause le changement qui est presque toûjours inévitable en amour. Nous n’avons rien à reprocher là-dessus à vostre Sexe, si on s’en rapporte à ces Vers que j’ay reçeus de Puyperlan en Xaintonge. Ils m’ont esté envoyez avec la Note, au nom d’une tres-spirituelle Communauté. C’est le moindre éloge que je luy puisse donner sur la Lettre dont ils estoient accompagnez.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Quand sur nos charmans rivages, doit regarder la page 171.
Quand sur nos charmans rivages
Tirsis faisoit mille tours,
Et chantoit que les amours
Des Bergeres sont volages ;
Philis sous nos Orangers
Répondoit, si les Bergeres
En amour sont si legeres,
Tirsis, croy moy, les Bergers
Sont encore plus legers.
images/1678-06_170.JPG

[Le Mary Patissier, Histoire] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 171-185.

L’exemple des malheureux en tendresse n’empesche point qu’il ne se fasse tous les jours des engagemens nouveaux. On voit bien qu’il seroit mieux de ne point aimer ; mais quand on aime avec innocence, on a bien de la peine à déferer aux bizareries d’un Mary qui en fait quelquefois sa peine mal à propos. L’Avanture que j’ay à vous conter vous le fera voir. Deux ou trois Bataillons d’Infanterie ayant esté mis en Quartier d’Hyver dans une Ville des plus éloignées de Paris, un des Officiers, fort bien fait de sa personne, se fit assez favorablement écouter de la Maistresse du Logis qui luy fut donné. Le Mary s’en apperçeut. Il ne déguisa point à sa Femme le chagrin qu’il recevoit de certaines conversations qui luy paroissoient suspectes. Elle luy promit d’y mettre ordre, & n’en fit rien. L’Officier luy plaisoit. Il avoit beaucoup d’esprit ; & comme elle ne pût s’imaginer qu’il y eust du crime dans un entretien où elle ne recherchoit point le teste-à-teste, elle laisse gronder le Mary, & ne s’embarassa qu’assez médiocrement de ses plaintes. Il estoit jaloux jusqu’à l’excés ; les chimeres qu’il se mit en teste, allerent si loin, qu’il se crût perdu, s’il ne trouvoit moyen de faire déloger l’Officier. Il en vint à bout à force d’argent & de prieres. Jamais Victoire ne fut plus charmante pour un Conquérant. Il en insulta sa Femme. Ce fut assez pour l’aigrir. Comme la difficulté fait souvent le prix des choses, l’éloignement redoubla l’estime qu’elle avoit pour l’Officier. Il demanda à la voir. Elle y consentit malgré l’expresse defense qui luy en fut faite. Le commerce estoit toûjours innocent, & sa vertu ne luy reprochant rien, elle se fit un plaisir de vaincre les obstacles qu’on y apportoit. Il n’y avoit pas moyen de voir l’Officier chez elle. Son jaloux Mary l’observoit de trop pres pour luy en laisser la liberté. Une Confidente ne manque jamais au besoin. Elle découvrit son secret à une Amie qui luy offrit sa Maison. La commodité en estoit grande. Elle ouvroit sur deux Ruës diférentes. La Belle s’y rendoit par une porte, l’Officier par l’autre, & cette précaution mettoit leur secret en seûreté. Les Rendez-vous estoient agreables, mais ils devinrent un peu trop fréquens. Le Mary s’en alarma. Il voulut sçavoir où alloit sa Femme. Il auroit mieux fait sans-doute de fermer les yeux pour quelque temps. La Saison estoit déja avancée, & il se fust épargné bien des peines, s’il eust voulu attendre paisiblement le depart des Troupes.

À quoy bon apres tout la recherche severe
De mille petits tours qu’une Femme peut faire ?
        Il est dangereux bien souvent
Qu’un Mary là-dessus se rende trop sçavant ;
Et vouloir s’éclaircir en fait de jalousie,
    C’est n’aimer pas le repos de sa vie.

Nostre Jaloux épia sa Femme aux despens du sien. Elle ne luy cachoit pas qu’elle alloit souvent chez son Amie, mais elle y alloit trop propre pour luy donner lieu de croire qu’il n’y eust point de dessein. Il découvrit que l’Officier connoissoit aussi cette Amie, & il ne douta plus que les visites ne se fissent pour luy. Il y alla plusieurs fois pour tâcher de les surprendre, mais on y mettoit ordre. Il y avoit toûjours quelqu’un en sentinelle, & dés qu’il entroit, on faisoit cacher l’Officier qui sortoit en suite par la fausse porte. La Confidente à qui ses soupçons estoient connus, le railloit sur la peine qu’il se donnoit d’épier sa Femme, & elles luy soûtenoient si obstinément toutes deux que l’Officier n’estoit jamais de leurs conversations, qu’il voulut venir à bout de les confondre. Il prit pour cela la plus bizarre résolution dont un Jaloux puisse estre capable. Les Espions qu’il mit en campagne, l’avertirent qu’un Patissier voisin de la Confidente, portoit presque toûjours la Collation chez elle quand sa Femme luy rendoit visite. Il alla trouver le Patissier, & sur le prétexte d’une gageure qu’il pouvoit gagner par son moyen, il l’engagea à soufrir qu’il prist l’équipage de son Garçon pour porter chez l’Amie la premiere Collation dont il recevroit les ordres. On obtient tout avec de l’argent. Le Patissier l’avertit. Il se défit d’une Perruque, se barboüilla un peu le visage ; & comme il n’y avoit que la Ruë à traverser, il entra chez la Confidente avec la Patisserie qu’il portoit, sans que personne prist garde à luy. Il monta où il crût trouver la Compagnie. Aucun Domestique ne l’en empescha, & en entrant dans la Chambre, il vit l’Amie qui se promenoit, & l’Officier qui entretenoit sa Femme aupres des fenestres. La Belle qui ne jetta les yeux que sur l’équipage du faux Patissier, dit tout haut que c’estoient toûjours de nouveaux Régales. On mit le tout sur la Table ; & comme le Patissier ne se hastoit pas de sortir, l’Officier crût qu’il attendoit dequoy boire. Il se préparoit à luy faire liberalité, quand il luy vit prendre un siege. Cette familiarité un peu surprenante les obligea tous trois à observer son visage. La Femme fit un haut cry, la Confidente demeura interdite, & l’Officier se mit en état de ne les laisser pas insulter. Le Mary qui avoit concerté son rôle, & medité sérieusement ce qu’il devoit faire, les considera quelque temps sans leur rien dire. Ils garderent le silence comme luy, & dans ce mesme silence apres avoir regardé sa Femme avec des yeux où tout ce qu’il avoit dans le cœur estoit peint, il se retira de la Chambre, & alla reprendre sa perruque chez le Patissier. On tint conseil apres son depart. Sa Femme qui le connoissoit, & qui ne trouva point de seûreté à retourner avec luy, alla conter l’avanture à ses Parens. Ils se sont employez, & s’employent encor tous les jours à faire sa paix. Le Mary répond qu’il n’a ny mal-traité ny chassé sa Femme, & qu’elle peut revenir quand il luy plaira ; mais comme il y a toûjours de l’aigreur dans ses réponses, & qu’il ne promet rien de positif sur l’oubly qu’on luy demande de tout ce qui s’est passé, elle n’a osé jusqu’icy quitter l’azile que luy ont donné ses Parens, & elle attend toûjours chez eux qu’il arrive quelque changement dans sa fortune.

Madrigal §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 185-187.

L’inconsiderée jalousie de certains Marys engage souvent les Femmes à une conduite fort éloignée de leurs propres sentimens. L’honnesteté est née avec elles ; & si on les abandonnoit à leur vertu, je ne doute point qu’on n’eust sujet de dire presque de toutes ce que vous allez voir dans ce Madrigal. Il m’a esté envoyé de Nismes sans qu’on m’ait appris le nom de l’Autheur.

Madrigal.

Non, non, de mes Rivaux je ne suis point jaloux,
Ils n’ont aucune part à mon chagrin extréme.
        Aimable Iris, aupres de vous
        Je ne dois craindre que vous-mesme.
Cette fierté qui sçait étoufer vos soûpirs,
    Cette raison qui regle vos desirs,
Et vous fait refuser tout ce qu’on vous demande,
Cette austere vertu dont vous suivez la loy,
Ce sont là les Rivaux, Iris, que j’apprehende,
Et qui sont en tout temps mieux écoutez que moy.

[Nomination des organistes de la Chapelle Royale.] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 193-194.

La Place de Mr l’Abbé de la Barre, Organiste ordinaire de la Chapelle du Roy, a esté remplie. Plusieurs furent proposez quand il fut question de la donner, & l’on fit joüer les plus habiles Maistres de France. On en trouva beaucoup d’excellens, & le Roy en demeura si satisfait, qu’il en choisit quatre au lieu d’un. Ainsi cette Charge qui estoit Ordinaire, va estre servie par quartier. Le premier, qui est celuy de Janvier, sera servy par Mr Tomelin ; le second, par Mr le Begue ; le troisiéme, par Mr Buterne ; & le dernier, par Mr Nivers.

[Monsieur de Santeüil fait un Poëme à la gloire de Monsieur le Chancelier] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 194-200.

À ce que je voy, Madame, vous devez avoir grand commerce avec le Païs Latin, puis qu’on vous a déja envoyé le beau Poëme que Mr de Santeüil Chanoine de S. Victor, a fait depuis peu en cette Langue à la gloire de Monsieur le Chancelier. N’avez-vous point admiré en le lisant, avec combien de force il se soûtient par luy-mesme sans aucun secours des Fables ? Il est vray qu’en parlant d’un Ministre aussi Illustre que Monsieur le Tellier, il suffit de dire nuëment ce qu’il a fait, pour estre assuré de dire de tres-grandes choses. Ce Poëme qui fut leû dernierement dans l’Académie Françoise, y reçeut les mesmes loüanges que vous luy donnez. Il y a beaucoup de grandeur dans les Vers, & on ne voit guére d’expressions plus majestueuses. Aussi Mr de Santeüil n’a-t-il pas épargné son temps à le polir. Il y a employé plus de six mois, & il ne croit pas qu’il luy doive estre honteux de l’avoüer. À propos de Latin, sçavez-vous que le demy Vers de Virgile qui finit ma derniere Lettre, m’a presque fait une affaire avec les Sçavans ? Ils m’accusent d’une contradiction qui m’est encor inconnuë, & prétendent que ce demy Vers qui m’a fait vous dire que les belles Langues vous sont familieres, ne s’accorde point avec ce que je vous avois dit auparavant de l’Arc de Triomphe, en vous faisant connoistre que je suprimois les six Vers Latins que Messieurs de Rheims y ont fait graver, à cause que les Dames de vostre Province ne s’accommodoient point de cette Langue. Ils ne songent pas que quoy que vous l’entendiez parfaitement, elle n’est point reçeuë parmy celles de vostre Sexe, à qui vous avez bien voulu rendre mes Lettres communes, & que n’y ayant rien de moins galant que de parler Latin devant elles, tout ce que je puis avec vous-mesme qui l’entendez, c’est d’en laisser quelquefois échaper deux ou trois mots, selon que la matiere m’y oblige. Cependant afin que vos Amies ne soient pas privées du plaisir de sçavoir ce que Mr de Santeüil a dit sur l’Arc de Rheims dans ces six Vers Latins que j’ay suprimez, je vous en envoye la Version faite par un autre Chanoine de S. Victor. Elle vous fera connoistre que ces Messieurs n’ont pas moins d’accés aupres des Muses Françoises, qu’aupres des Latines ; & que la Doctrine, les belles Lettres, & les plus beaux Arts mesme, sont joints dans cette Maison avec la Vertu & la Pieté.

Rheims étonné de voir la Discorde étoufée,
À l’honneur des Romains érigea ce Trophée,
Et l’Ombre de Cesar est encor aujourd’huy
Errante autour des Arcs que l’on dressa pour luy.
Si tost qu’il eust éteint une Guerre cruelle,
    Assoupy tous ses mouvemens,
Il consacra dans Rheims ces pompeux Monumens,
Pour gages immortels d’une Paix eternelle.

[Vers sur l’établissement d’une nouvelle porte de Paris] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 201-202.

Messieurs d’Alençon, pour marque leur zele à Madame de Guyse, ont fait faire une nouvelle Porte à leur Ville, qui va en droite ligne de son Palais à la grande Eglise. Ainsi du haut du Faux-bourg S. Blaise, on découvre presentement le fond de la grande Ruë, & la veuë y trouve une Perspective en éloignement tres-agreable. Cette augmentation de Porte a fourny la matiere de ces quatre Vers.

    Toute nostre Ville s’empresse
    À marquer sa fidelle ardeur,
Et pour mieux recevoir nostre Illustre Princesse,
Elle ouvre en mesme temps & ses murs & son cœur.

[Vers sur le sujet de la Paix] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 203-207.

La Paix qu’on a tout lieu d’esperer, nous produira d’autres avantages. Il y a longtemps que nos Ennemis reconnoissoient qu’elle leur estoit necessaire ; mais sçavez-vous pourquoy elle commençoit à le devenir pour nous ? Vous l’allez apprendre par les Vers qui suivent.

Apres tant de Combats qu’a suivis la Victoire,
    On a grand besoin de la Paix,
    Car le Parnasse desormais
    Ne sçait comment chanter la gloire
    Du plus Grand Roy qui fut jamais.
L’Hipocrene est à sec, & les Vallons Poëtiques
Ont cent fois retenty des vieux Panegyriques
Qu’on presentoit jadis aux plus fameux Guerriers.
Loüis a flétry leurs Lauriers.
    Il fait plus qu’on ne peut écrire,
Chacun est épuisé, l’on ne sçait plus que dire,
Apollon est confus, & Pegase recrû.
Mais graces à la Paix il va reprendre haleine.
Nostre Grand Roy, dit-on, quand on l’a le moins crû,
Plante des Oliviers sur les bords de la Seine.
Las de vaincre, il renonce enfin à foudroyer.
Courage, Beaux Esprits, reprenez l’Ecritoire,
Consacrez à l’envy vos talens à sa gloire,
    Ils ne peuvent mieux s’employer.

Ces Vers m’ont esté envoyez de Dieppe, & sont de Mr Merville, qui dans une fort grande jeunesse fait connoistre par tout ce qu’il fait qu’il est né pour la Poësie.

[Vers sur le Mercure Galant] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 206-207.

Il faut vous apprendre le nom qu’il donna aux Lettres que je vous écris. Je croy le pouvoir faire sans qu’on ait lieu de m’accuser de présomption, puis que ce qu’il en dit d’avantageux regarde les Ouvrages des Beaux Esprits dont elles sont composées, & qui seuls leur ont fait avoir le cours extraordinaire que vous leur voyez. Voicy de quelle maniere il en parle.

    Je dis par tout que le Mercure
    Est une agreable voiture
Qui conduit aisément à l’Immortalité.
C’est le chemin frayé du Temple de Memoire,
    Où chacun peut trouver la gloire
    Que son talent a merité.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 207-209.

Il faut achever de vous faire connoistre celuy de Mr Merville par ces Paroles que je vous envoye notées pour exercer vostre belle voix. Elles ont esté mises en Air par Mr l’Abbé Maistre de Musique de S. Jacques à Dieppe. C‘est un tres-habile Homme, & qui s’est acquis assez de réputation pour faire dire qu’il y a peu de Musiciens qui soient de sa force dans la Province.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pour une jeune Merveille, doit regarder la page 208.
Pour une jeune Merveille
Je soúpire nuit & jour,
Et quelquefois la Bouteille
Me fait oublier l’Amour.
J’accorde la goinfrerie
Avec les tendres momens,
Et suis de la Confrairie
Des Beuveurs & des Amans.
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[Réjouissance à Vichy.] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 209-210.

Les Eaux de Vichy en Bourbonnois dont je vous parlay la derniere fois que je vous écrivis, ont fait des effets admirables. Le beau monde qui s’y est assemblé, a bien contribué à la guérison des Malades, en y amenant les plaisirs qui ne les ont presque point quitez. Le jeu, la bonne chere, la promenade, & les Concerts de Musique, ont esté les divertissemens de tous les jours. Il y a eu Bal fort souvent. La belle Mademoiselle de Seve de Lyon y a paru avec beaucoup d’avantage, & ne s’est pas moins fait admirer par la justesse de sa danse, que par les charmes de sa Personne.

[Lettre de M. le Duc de S ; Aignan au Roy] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 211-217.

Si-tost que Sa Majesté fut de retour de ce Voyage, la nouvelle qui s’estoit répanduë de la Paix arrestée avec la Hollande, obligea Monsieur le Duc de S. Aignan de donner au Roy de nouvelles marques de son zele, en luy faisant paroistre son admiration par la Lettre que vous allez voir.

Lettre

de Monsieur

le Duc de S. Aignan,

Au Roy.

Sire,

Je cherche à me distinguer entre ceux qui vont témoigner de toutes parts à Vostre Majesté leur admiration & leur joye. La Paix qu’elle vient de donner à une partie de ses Ennemis, & d’offrir aux autres, fait cette distinction que je ne pouvois esperer dans ses Armées, par mon attachement à garder une Place importante. Personne ne peut regarder avec plus d’interest & de plaisir que moy ce que V. M. vient de faire de grand & de merveilleux. Je vous voy, Sire, apres tant de belles Actions de vostre part, & tant de vœux & d’inquietudes de la mienne, enfin hors des dangers continuels où V. M. exposoit à toute heure sa Personne Royale. Je vous voy couvert d’une gloire immortelle, & moy delivré de cette émulation inquiete qui me faisoit envier le sort du moindre Soldat qui exposoit sa vie pour vostre service. En verité, Sire, je ne pensois pas me pouvoir rejoüir si fort de la Paix, ayant esté élevé de si bonne heure dans la Guerre. Mais quel fidelle Serviteur ne seroit pas charmé en voyant son Auguste Monarque triomphant & victorieux, preferer le repos de l’Europe à un travail aussi utile & aussi illustre que le sien ? De luy voir terminer ses Conquestes à la veille d’en faire encor de plus grandes, & remettre enfin dans le fourreau cette redoutable Epée dont tant de Braves auroient senty les coups ? Que n’aurois-je point à dire sur un Sujet aussi rare & aussi éclatant que celuy-cy ? Mais, Sire, il faut retenir ma Plume, comme V. M. arreste ses Armes, & faire place aux Ecrits de quelques autres plus élegantes, & aux Discours éloquens qu’un évenement si singulier va sans doute faire naistre de toutes parts. Il me doit suffire que V. M. soit bien persuadée qu’en tout temps & en tous lieux. Elle me trouvera toûjours également & sans reserve,

SIRE,

Son tres-humble, tres-obeïssant,

& tres-fidelle Sujet & Serviteur,

LE DUC DE S. AIGNAN.

[Nomination de Mr Chommeau à la fonction de conseiller au Parlement] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 222-226.

Mr Chommeau Fils de Mr le Président Bétau, a esté reçeu depuis peu Conseiller au Parlement. Il est jeune, & aussi bien fait de sa personne qu’on le puisse estre. Son peu d’âge n’empesche point qu’il ne sçache tout ce qu’on peut sçavoir dans les Loix & dans les Coustumes. La maniere dont il a répondu quand on l’a examiné, luy a attiré de grands éloges. Il n’y a point de Maistre de Droit qui eust pû mieux soûtenir cet examen. La satisfaction avec laquelle il a esté reçeu dans cette Charge, est une marque de son merite. Il seroit surprenant qu’il en manquast, estant d’une Maison qui en est toute remplie. Tout le monde sçait quel est celuy de Mr le Président son Pere ; & Madame de Bétau sa Mere est un exemple si singulier de pieté & de vertu ; qu’elle n’est inconnüe à personne. Celuy dont je vous parle a un jeune Frere Jesuite, qui est encor au Novitiat, & qui a un fort grand talent pour la Chaire. Madame de Poncet est sa Sœur, aussi-bien que Madame de Creil, & Madame de Molé Femme de Mr de Molé Conseiller au Parlement, dont le mérite est connu. Je vous ay déja parlé de Madame de Poncet dans quelqu’une de mes Lettres. Madame de Creil, Femme du Maistre des Requestes de ce nom qui a esté Intendant en Normandie, est une Dame d’autant de mérite & d’esprit qu’il y en ait en France. Elle joüe admirablement bien du Lut, du Théorbe, du Clavessin, & de la Guitarre. Il y a une quatriéme Sœur, fort belle & bien faite, qui a pris le party du Couvent malgré sa Famille, apres avoir refusé des Partys tres-considérables. Elle a fait Profession depuis quinze jours aux Cordelieres de la Ruë des Francs-Bourgeois. La Cerémonie se fit en présence d’une tres-grand nombre de Personnes de qualité.

[L’Amant commode] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 228-230.

On a voulu faire un engagement d’une autre nature. Il n’estoit que de cœur à cœur, & l’Amour y devoit estre seul appellé. Comme il est bon de connoistre avant que d’aimer, il fut question de sçavoir ce qu’on pouvoit attendre de l’Amour qui ofroit ses vœux, & voicy de quelle maniere il s’expliqua.

    Voulez-vous sçavoir ma méthode,
    Avant que de vous engager ?
Je suis, belle Philis, en amour tres-commode,
Comme on veut, constant, ou leger.
    Quand j’ay dit une fois que j’aime,
    C’est pour toûjours, mais constamment.
    Je veux qu’on en fasse de mesme ;
    Je hay par tout le changement.
    Si la Beauté la plus parfaite
    (M’eust-elle comblé de faveurs)
Vouloit de mon amour estre bientost défaite,
    La Belle seroit satisfaite
Dés que j’aurois senty ses premieres rigueurs.
    Mon remede alors est l’absence,
    C’est le port de l’indiférence,
    On la trouve là sùrement.
    Au retour, point d’engagement ;
    Renoüer, c’est double inconstance.
    Dust-on me demander la paix,
    Quand j’ay rompu, c’est pour jamais.

[Procession aux Gobelins.] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 230.

J’aurois beaucoup à vous dire sur ce qui s’est fait d’éclatant dans les deux jours destinez aux plus solemnelles Processions. Il y a eu une tres-agreable Symphonie aux Gobelins ; & ce qui s’est fait avec beaucoup de magnificence en plusieurs endroits de Paris, s’est également pratiqué dans les Provinces.

[Sonnet sur la Paix] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 241-243.

Voicy un Sonnet qui m’a esté envoyé sur cette Paix [la Paix generale en Europe], sous le nom de Mr de la Tuilerie.

Sonnet.

O Vous qu’un vain orgueil arme contre la France,
Trop foibles Ennemis du plus puissant des Rois,
Peuples Confederez, reprenez l’esperance,
Loüis veut bien cesser de vous donner des Loix.
***
En vous offrant la Paix avec son Alliance,
Il ne pretend pas mesme user de tous ses droits,
Sa bonté genereuse arreste sa vaillance,
Et cette bonté seule interrompt ses Exploits.
***
Il veut finir enfin cette cruelle Guerre,
Qui répand la terreur aux deux bouts de la Terre,
Et qui couste du sang presque à tout l’Univers.
***
Sur luy-mesme Loüis remporte la victoire,
Et prest de voir entrer l’Europe dans ses fers,
À la maintenir libre il met toute sa gloire.

[Te Deum pour la prise de Puycerda] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 302.

On a chanté le Te-Deum pour la prise de Puycerda. Toutes les Cours Souveraines y ont assisté. Mr le Premier Président de Novion s’y est trouvé pour la premiere fois en cette qualité. Il avoit esté reçeu le mesme jour.

[Réponse du Roy à M. le Duc de S. Aignan] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 312-314.

Le Roy a fait l’honneur à Mr le Duc de S. Aignan, de luy témoigner par la Réponce qui suit, la satisfaction qu’il avoit reçeuë de sa Lettre.

Reponse

du Roy

à Monsieur

le Duc de S. Aignan.

Mon Cousin, Vous ne devez plus vous mettre en peine de vous distinguer aupres de moy ; il y a long-temps que vostre zele pour tout ce qui me regarde a fait cette distinction. Je suis fort persuadé qu‘il se signalera toûjours dans la Paix comme dans la Guerre. Je ne doute pas mesmes que les effets ne surpassent encor vos expressions, & j’ay bien voulu vous dire que c’est avec cet agrément & cette confiance que j’ay leu vostre derniere Lettre. Priant Dieu au surplus qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. À S. Germain en Laye le 15. Juin 1678.

Signé, LOUIS.

[Livre nouveau] * §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 315.

Je vous envoye les Préceptes Galans. Ils sont de Mr Ferrier. L’Adieu aux Muses, & l’Elegie du commencement de ce Livre que je vous fis voir il y a quatre ou cinq mois, ne vous laissent point douter de la facilité de son Génie pour les Vers. Il semble qu’il ait esté animé de l’esprit d’Ovide en composant cet Ouvrage. Il en a retranché toutes les libertez qui pouvoient blesser, & ce qui est de luy ne des-honore point ce qui n’est que Traduction.

Air à boire §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 316-317.

Les uns songent à l’amour, les autres à boire. Cette Chanson qui s’adresse à nos Amis les Hollandois, a esté faite pour les derniers. L’Air est de Mr Rigaut de Tours.

AIR A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Puis que le grand Loüis en bornant ses Exploits, doit regarder la page 316.
Puis que le grand Loüis en bornant ses Exploits,
    Vous a permis de quiter la rapiere,
        Venez, pauvres Beuveurs de Biere,
        Boire nos Vins comme autrefois.
Sortez de vos Marais, venez rougir vos trognes ;
        Nous n’avons plus d’autres soucis
        Que de trouver assez d’Yvrognes
    Pour vuider promptement nos Muids.
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[Explication de l’Enigme de la Flute en Vers] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 317-319.Pour l'énigme, pour une lettre sur cette énigme et dans Mercure

Les Enigmes continuënt toûjours à exercer agreablement les Esprits. Mr Robbe qui a trouvé le vray sens des deux en Vers de ma Lettre du Mois de May, a expliqué ainsi la premiere.

Jadis Pan inventa la Fluste,
Pour expliquer son amoureux tourment.
Touchant l’invention d’un si bel Instrument,
Personne avec luy ne dispute ;
Mais en voyant l’Enigme d’aujoud’huy,
Je doute qui des deux merite davantage,
Ou du Dieu Pan, ou de celuy
Qui nous en a sçeu faire une si belle image.

[Noms de tous ceux qui ont trouvé le mot de la Flute] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 318-322.

Ceux qui ont trouvé ce mesme Mot de Fluste, de Flageolet, de Hautbois, ou de Chalumeau (car ce n’est qu’une mesme chose) sont Mesdames les Marquises de Montbrun & de Briards ; Mesdames de Nancour ; de Fontenay, de la Parroisse de Presle en Brie ; de Couvrigny, proche de Falaise ; Sarnet, de Picardie ; Mesdemoiselles Hebert, Ruë Quinquempoix ; Riviere ; Merles ; & Odinet, d’Auxerre ; Artemise, du Mont ; Cristo, de Bourges ; Iris, de Gien ; de la Salle, de Blois ; du Colombier, pres de Madame la Comtesse de Torigny ; de la Chapelle, Ruë Guenegaud ; de Sommelsdirks, de Chastillon en Batois, dans le Nivernois ; Messieurs de la Salle, de Rheims ; Malbet ; Aymés, de Beziers ; Tapprel, Sr du Creux ; Vaglier, de Moussy ; Mignot de Bussy, Gentilhomme de Villefranche en Beaujollois ; de Recul, Gentilhomme de Picardie ; de la Hestroy ; de Gaillonnet, L’Amant constant de la Belle N. P. Préaudeau, Avocat en Parlement à Paris ; Vautier, Avocat de Roüen ; de Courteville, de Paris ; Buglet, de Troyes ; de l’Arbrisseau, & le Solitaire de l’Oratoire ; Bodin, de Lyon ; de S. Antoine le Brun, de Lyon ; Baisé le jeune, de Paris ; Gayet-Tarlet, d’Avignon ; de Villedieu, de Pontoise ; Gardien, Secretaire du Roy ; Le lyonnois, de Paris ; L’Abbé de Jully, du Havre ; Le Chevalier de Clerville ; Faverel, de Paris ; Comiers, Prevost du Chapitre de Ternand ; Berout, Medecin de Conches ; Les hermites de S ; Giraud & de Fontainebleau ; Le jeune Medecin des Belles de Rennes ; Les trois Freres, de Blois ; Le berger Alcandre ; Julie, de la Place Royale ; La Ville de Compiegne ; Les Bergeres de Loches ; La Bergere Catin ; La Societé Cloistrée de Paris.

Mrs Chantoiseau, de Brie-Comte-Robert ; Le Chevalier de l’Etoile ; du Vaucel, d’Evreux ; Roland, Avocat à rheims ; Bazin, Chanoine de Troyes ; Duval l’aîné, Medecin d’Evreux ; du Matha-d’Emery ; d’Abloville, proche d’Argentan ; & Mademoiselle Gathier, de Chastillon sur Marne, l’ont expliquée en Vers.

[Explication de l’Enigme du Soleil en Vers] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 323.

La seconde Enigme a esté ainsi expliquée dans son vray sens par Mr Gardien Secretaire du Roy.

Toy qui fais la beauté de toute la Nature,
Toy dont l’on ne peut faire une juste peinture,
    Qui te devances, qui te suis,
    Qui donnes les jours & les nuits,
Dont chaque instant commence & finit la carriere,
Soleil, éclatante lumiere,
    Quand par des ordres eternels
    Ta course en faveur des Mortels,
    Pourroit devenir éternelle,
Ferois-tu voir encor comme chez les François,
    Le plus grand de tous les Rois,
Avec tant de vertus la Reyne la plus belle,
    Les Ministres les plus prudens,
    Les Guerriers les plus vaillans
    Et le Peuple le plus fidelle ?

[Noms de ceux qui ont trouvé le mot de l’Enigme du Soleil] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 324-326.

Mrs Robbe ; Faverel ; Franco de Tibivilier ; des Avaris, Secretaire de Mr de Matignon, Lieutenant General de Sa Majesté au Gouvernement de Normandie ; & le Satyre Troyen ont aussi trouvé le Soleil. La Ville de Nesle l’a expliquée en Vers. Mrs du Vaucel ; Aymés, Fils ; Mignot, de Bussy ; de Gaillonnet ; Roland, Avocat à Rheims ; de S. Antoine le Brun ; Le Chevalier de Clerville ; & de la Salle, Fils d’un Secretaire du Roy à Rheims, ont crû que c’estoit le Jour ; Mr Chantoiseau, l’Horloge ; Mr du Martha-D’Emery, l’Enigme de l’Enigme en Vers ; Mr d’Abloville, l’Or ; Mr Berout, & l’Hermite de S. Giraud, le Feu ; Télamire, le Jour ; Les Bergeres de Loches, la Chandelle ; Madame la Marquise de Briards, l’Aurore ; Mademoiselle Hebert, Ruë Quinquempoix, la Lune ; Mademoiselle Grimpé, d’Amiens, l’Arc-en-Ciel ; & Mademoiselle Joüet, de la Ruë des Rosiers, l’Argent.

[Noms de ceux qui ont trouvé le mot de toutes les deux] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 326-330.

Voicy les noms de ceux qui ont trouvé le vray sens de toutes les deux. Mrs Foineau, Sous-Chantre de la Cathédrale de Vannes ; Le Duc, Avocat ; Carolet, Avocat en Parlement ; Monnereau, de Xaintonge ; Le Chevalier, de la Ruë Chapon ; de la Barre, Sr du Plessis, Conseiller à Chinon ; Pagés, de Sedan ; des Prez, Maistre de Musique ; Lagrené de Vrilly ; de Launay, de Caën ; Grandin, Doyen de Vendosme ; Brossard, d’Argentan ; Griffon, Conseiller au Siege Presidial de la Rochelle ; Michellet de Bellefontaine ; Renaud, Sr de Foriers en Champagne ; Maze, de Roüen ; Treblad de Fonsrousse, d’Aix ; du Sephin, pres de Saumur ; Célisandre, G. P. de la Coudre ; Hermophile de Médicis, de Beauvais ; Virreau ; de la Salle, Sr de Létang, de Rheims ; La Grive, de Lyon ; Loyseau, de Coulommiers ; Le Chevalier de la Heronne, de Roüen ; de la Fosse de Vaudevire, de S. Lo ; Valter, Gentilhomme Allemand ; Bouchet, de Lyon ; Roux, Medecin de Vienne en Dauphiné ; Durand de Clerbec, proche le Pont-Levesque ; Lasson le jeune, Medecin à Châlons en Champagne ; de la Barre, de Roüen ; de Cohon, d’Alençon ; Pantot, de Lyon ; Fleury, de Durset en Normandie ; de Constantin, de Bordeaux ; L’Abbé de Landevennet ; Thabaud des Ferronds ; Madame du Val, Cloistre S. Nicolas du Louvre ; Madame du Carron de Pierreval, de Dieppe ; Les Dames de Mons ; Mesdemoiselles Raince, de la Ruë Chapon ; Pezé la Cadete, du Mans ; Renavaly, de Brest en Bretagne ; Lochon & Rocheboüet, de Mondoubleau ; Herblin la Fille ; Brijon ; Le Solitaire de Paris ; Le Secretaire des Dames de Saumur ; Les Bergers de la Fontaine-Arson, de Noyon ; Les Bergers sans Moutons, du Païs de Caux ; Les Alliez du Mont S. Hilaire, de Noyon en Picardie ; Le Paresseux, de Villars en Bourbonnois ; Neptune ; La Dame Invisible ; La Belle Malade, de la Ruë de S. Pére ; Sans vous je n’aime rien ; M. N. de Bordeaux ; La Belle Infante, du Quartier S. Eustache. Mesdemoiselles de Launay, de Chastillon, ont expliqué l’une & l’autre en Vers, ainsi que Mrs Germain, Prestre de Caën ; Houppin le jeune, de Beauvais ; du Mont, Avocat à Chaumont le François ; & un Chanoine de S. Victor.

Enigme §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 331-332.

Nouvelles Enigmes que je vous propose. La premiere est d’une Personne de la premiere qualité.

Enigme.

Tantost pauvre, tantost riche,
Presque tout le long du jour
À mon voisin je fais niche,
Il me la fait à son tour.
À chacun je m’abandonne,
Le moindre me fait la loy,
Et toûjours mon nom se donne
À ce qui vaut mieux que moy.
Dans une sombre demeure
Sans regret je suis caché,
Et mesme souvent je pleure
Lors que j’en suis arraché.
Quand on m’expose à l’orage
Sur un perfide Element,
Je ne crains point le naufrage,
Et me noye à tout moment.
Je n’ay bras, ny pieds, ny teste.
Je ne suis de chair, ny d’os,
Et si tost que l’un m’arreste,
L’autre trouble mon repos.

Autre Enigme §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 332-333.

Autre Enigme.

    Avec les Rois je prens naissance,
Ils ont besoin de moy, je ne suis rien sans eux,
Je sers à leur grandeur, j’éleve leur puissance,
Selon leur volonté je puis estre en tous lieux.
***
    Je suis par tout d’une mesme nature,
        Je suis d’un plus ou moindre prix,
        Souvent je change de figure,
        Selon la mode des Païs.
***
        Si l’on me voit toûjours de mise
        Chez les Rois & les Empereurs,
        Je suis soûmis dedans l’Eglise
        Aux Abbez, Prelats & Pasteurs.
***
Plus on me foule aux pieds, plus j’en tire avantage,
        Plus c’est ma pompe & mon honneur ;
Bien loin de me vanger de celuy qui m’outrage,
        Je fais sa gloire & sa grandeur.

[Divers sens donnez à l’Enigme d’Ino] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 333-338.

Je commence l’Enigme d’Ino par les divers sens qu’on luy a donnez. Mrs de la Salle Fils, la Foudre ; Le Duc, Avocat, la Tempeste ; Le Chevalier, de la Ruë Chapon, le Tonnerre ; Nicolaïf Nippuoh de Marissel, le naufrage d’un Vaisseau, la Macreuse, une Pierre prétieuse, ou un Favory ; Maze de Roüen, la Fontaine qui sort d’un Rocher ; du Mont, Avocat à Chaumont, la Pluye ; Lasson le jeune, la Glace ; Pantot, la Pluye précedée du Tonnerre, l’Infidelité punie, l’Inondation & prise d’Ypres ; Chantoiseau, la prise de Gand ; Gardien, la Révolution de la Hollande ; Aymés Fils, la Paix de la Hollande ; des Bois, la Hollande se jettant dans les bras de la France ; Renaud, Sr de Foriers, la Hollande humiliée par le Roy ; Brossard, l’Arc-en-Ciel ; Bonnet, de Vaux, la Nége, Franco de Tibivilier, le Cristal ; du Vaucel, la Seine ; de Cohon, l’Ambre, ou la Gomme de quelque Arbre ; de la Salle, Sr de Lestang, la Fonte ; de la Barre, Sr du Plessis, Conseiller à Chinon, l’Epervier ; Butor, la Pierre ; de Courteville, de Paris, la Folie ; du Matha d’Emery, la Gelée, le Rhume, ou Versailles ; Berout, l’Alchimie ; Mesdemoiselles le Pelletier, de Meaux, la Mort, la Jalousie, ou les Simptomes de la Fievre ; Hebert, Ruë Quinquenpoix, le Blason ; Merles & Audinet, d’Auxerre, le Croissant de la Lune ; de Launay, de Chastillon, la Perle, ou la Rosée ; Penavaly, la Bombe ; La Belle Malade, la Foudre ; Les Bergeres de Loches, une Fontaine ; Sans vous je n’aime rien, l’Imprimerie ; L’Indiférent, de S. Quentin, la Banqueroute ; le Berger Alcandre, la Jalousie ; le jeune Medecin de Rennes, la Paix avec la Hollande ; L’Amant constant de la Belle N. P. le Croissant de la Lune ; Neptune, une Comete ; Le Faux Crisante, le Froid ; Les Bergeres sans Moutons, le Flux & le Reflux de la Mer ; le Secretaire des Dames de Saumur, la Tempeste.

La Belle Captive de la Ruë S ; Antoine, la Salamandre prisonniere, le Satyre Troyen, Celisandre, & Mrs Lagrené de Vrilly, & Gigaut de Caën, qui ont expliqué cette Enigme sur la Cascade, en ont trouvé le vray sens. Ino qui se précipite dans la Mer, la represente ; & les Nymphes qui demeurent changées en pierres en courant apres elle pour l’arrester, sont les Statuës qui en sont ordinairement les ornemens.

[Enigme en Figure] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 338-340.

La Figure d’Hercule qui tient Antée en l’air dans ses bras, vous fournira un nouveau sujet d’exercer vos resveries. Vous sçavez trop bien les Fables pour ignorer qu’Antée Fils de Neptune & de la Terre, avoit quarante coudées de hauteur, & qu’en combatant avec Hercule, le secours que luy prestoit la Terre dés qu’il la touchoit, luy donnoit de nouvelles forces. Ainsi Hercule n’auroit pû le vaincre, s’il n’eust eu l’adresse de le saisir de la maniere que vous le voyez dans ce Tableau. Il l’éleva en l’air, le pressa entre ses bras, & l’étoufa.

Le Chien, à la Musette §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 355-365.

Vous avez veu ce que la Musete a écrit au Chien pour son Berger. Voyez la Réponse.

Le Chien, à la Musette.

Vous, Musete, qui ne m’estes pas tant inconnuë que je vous le suis, vous ne devez pas estre surprise si en répondant d’abord pour vous à vostre Berger, je n’ay pû voir sans murmure qu’il vous obligeast à porter un nom qui me paroissoit peu digne de vous. Je ne doute point que vous n’ayez bien examiné les suites avant que de vous résoudre à l’accepter ; mais puis que l’Amour vous l’a donné, comme vous en demeurez d’accord, il est à craindre qu’on ne se persuade que ce soit ce mesme Amour qui vous ait engagée à le recevoir. Pour moy qui ne connoissois pas mon Rival il y a quelque temps, je me préparois à vous dire qu’il est beaucoup de Bergeres qui prefereroient un bon Chien à un meschant Berger ; mais depuis qu’on m’a sçeu informer de ce qu’il vaut, je voy bien qu’entre le choix d’un bon Berger ou d’un bon Chien, vous ne trouverez guére à balancer.

    Cependant on n’a jamais veu
    De Chien devenir infidelle ;
Au lieu que ce n’est pas une chose nouvelle
    Qu’un Berger change à l’impourveu,
    Et se fasse une bagatelle
D’en conter à quelqu’autre aussi bien qu’à sa Belle,
    Quand il le peut à son insçeu.

Vous ne l’ignorez pas, belle Musete (car il faut chercher à vous plaire en vous donnant un nom qui vous plaist) mais vous n’aimez pas, dites-vous, à estre caressée d’un Chien. Si l’inclination de carresser est le seul defaut que vous me trouviez, il ne seroit pas difficile de nous accorder. Je ne suis pas de ces Chiens dont la grosseur embarasse, & dont le peu de propreté rend les flateries dangereuses pour les Jupes ; mais quand je serois de ces Barbets mal peignez, qui sont toûjours dans les crotes, vous ne seriez pas recevable à vous défendre de me prendre à vostre service, sur l’importunité de mes carresses, puis que je consens à me contenter du plaisir de vous regarder de loin, si vous craignez qu’en vous regardant de trop pres, je ne vous sois plus incommode que l’heureux Berger dont vous voulez bien estre la Musete. Il est vray qu’il sçait exprimer sa tendresse d’une maniere bien plus spirituelle que par des carresses, & qu’un Chien, tel qu’il soit, ne peut estre compté que pour une Beste ; mais aussi ne prétens-je vous servir qu’en qualité d’un Domestique affectionné qui sçaura vous défendre de l’approche de tous ceux que vous n’aimez pas plus que moy.

On fuit des Soûpirans dont le sot entretien
    Est quelquefois plus incommode
    Que le badinage d’un Chien
    Qu’on peut toûjours faire à sa mode.
    Vous ne pouvez laisser le soin
    De leur défendre vostre porte ;
    Par ma voix clapissante & forte
    Je vous promets de faire en sorte
    Qu’ils n’en approchent que de loin.

Vous dites aussi qu’un Berger peut chanter avec sa Musete tant de Chansons qu’il luy plaira, tendres ou tristes, sans qu’elle en soit touchée. Mais il me paroist difficile qu’un Berger qui vous feroit dire ce qu’il pense ne vous fist jamais penser ce qu’il vous feroit dire ; car enfin une Bergere qui peut comme vous faire choix d’un Berger pour la toucher, peut bien aussi luy répondre sans son aide. Il est des Instrumens qui joüent d’eux-mesmes, sans qu’on en connoisse les ressorts ; & si l’on en croit quelques Philosophes, les Animaux en sont des Exemples. Je n’ose pas cependant me déclarer pour eux, car un Chien auroit trop de raport avec une Musete, & je n’ay garde me mettre au mesme rang avec vous. Mais pour achever de vous répondre, quand vous adjoûtez qu’en qualité de Chien vous ne me rendriez jamais heureux, parce que c’est un Animal qui ne vous toucheroit pas, je tombe d’accord qu’on ne voit guére qu’un Berger qui sçache toucher une Musete, mais je ne voy pas aussi que je fusse un malheureux Chien d’estre le vostre.

    Si je puis vous servir, sans-doute
    Mon sort sera toûjours fort doux ;
    Et si c’est un bien qui me couste,
On ne peut trop payer le plaisir d’estre à vous.

Vous ne sçauriez faire de misérable, quoy que vous disiez, & c’est assez qu’on vous appartienne, pour ne vouloir changer sa condition à aucune autre. Vous ne disconvenez pas aussi que je ne sois fidelle, mais vostre Berger ne vous le semble pas moins, & vous voulez attendre qu’il soit inconstant pour songer mesme à m’écouter. Cette résolution est bien avantageuse pour luy ; & s’il estoit vray que vous ne disiez que ce qu’il vous fait dire sans en rien sentir, vous ne me renvoyeriez pas à son inconstance. Je ne laisseray pas d’attendre qu’elle vous oste vostre scrupule ; & si vous croyez ne pouvoir estre ma Bergere pendant que vous serez sa Musete, quoy que le plus jaloux de mon espece, je voy bien qu’il me faudra laisser jusque-là la plus charmante de toutes les Musetes, au plus spirituel de tous les Bergers.

[Opéra de Jean-Baptiste Boësset] §

Mercure galant, juin 1678 [tome 6], p. 367-368.

Il me reste encor à vous entretenir de l’Opéra de Mr Boisset, qui fut represente Lundy dernier à S. Germain devant Leurs Majestez, & de la mort de Messieurs d’Apremont, Roujault, & Marin, mais je suis oblige de remettre ces Articles, ainsi que plusieurs autres.