1678

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III).

2014
Source : Extraordinaire du Mercure galant, Claude Blageart, quartier de juillet 1678 (tome III).
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III). §

Preface §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), non paginé.

Preface.

TOUT ce qui porte le titre de Lettres dans cet Extraordinaire, ne doit point estre regardé comme Lettres. La plûpart renferment des Réponses à la Question galante, ou d’ingénieuses Fictions sur les Mouches ; & comme chacun a trouvé des manieres diférentes de s’expliquer, & a mesme pensé diféremment, il n’y a aucun de ces Ouvrages qui ne puisse estre leu avec plaisir. On peut envoyer des Desseins de Fables à l’imitation de celle de l’origine des Mouches. Les Questions & les Histoires Enigmatiques ne sont point cessées ; mais pour diversifier davantage les Extraordinaires, on ne veut pas proposer les mesmes Sujets de suite, & c’est ce qui a fait demander sur la fin de celuy-cy des Festes & des Galanteries sur la Paix. Cette matiere est du temps.

On s’est servy de l’idée de la Lettre en chiffres, avec des Monnoyes qu’on a reçeuës de Roüen. Une Piece mal marquée qu’on n’a pas comprise, a empesché de la mettre telle qu’elle estoit. On se serviroit du dessein de l’Autheur de la Table Archangélique, s’il s’estoit donné la peine d’en envoyer l’explication ; mais on ne propose point au Public ce qu’on n’entend pas. Il en est de mesme des Notes de Musique, ou des Lettres en chiffres.

On prie toûjours de n’envoyer que des Pieces courtes, afin que plus de Gens puissent avoir place dans l’Extraordinaire. C'est avec chagrin qu’on se voit réduit à n’y mettre que les Ouvrages de ceux qui ont esté plus prompts que les autres à les envoyer.

Avis pour toûjours §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), non paginé.

Avis pour toûjours.

ON prie ceux qui envoyeront des Memoires où il y aura des Noms propres, d’écrires ces Noms en caracteres tres-bien formez & qui imitent l’Impression, s’il se peut, afin qu’on ne soit plus sujet à s’y tromper.

On prie aussi qu’on mette sur des papiers diférens toutes les Pieces qu’on envoyera.

On reçoit tout ce qu’on envoye, & l’on fait plaisir d’envoyer.

Ceux qui ne trouvent point leurs Ouvrages dans le Mercure, les doivent chercher dans l’Extraordinaire & s’ils ne sont dans l’un ny dans l’autre, ils ne se doivent pas croire oubliez pour cela. Chacun aura son tour, & les premiers envoyez seront les premiers mis, à moins que la nouvelle matiere qu’on recevra ne soit tellement du temps, qu’on ne puisse differer.

On ne fait réponse à personne, faute de temps.

On ne met point les Pieces trop difficiles à lire.

On recevra les Ouvrages de tous les Royaumes Etrangers , & on proposera leurs Questions.

Si les Etrangers envoyent quelques Relations de Festes ou de Galanteries qui se seront passées chez eux, on les mettra dans les Extraordinaires.

On avertit que le Sieur Blageart a presentement une Boutique dans la Court Neuve du Palais, vis-à-vis la Place Dauphine, AU DAUPHIN, où l’on ne manquera jamais de trouver toute sorte de Volumes en telle Relieure qu’on les voudra.

Il donnera tous les Volumes de l’année 1678. & les Extraordinaires à Trente sols reliez en veau, & à vingt-cinq reliez en parchemin.

Les dix Volumes de l’année 1677. se donneront toûjours à Vingt sols en veau, & à Quinze en parchemin.

On donnera un Volume nouveau du Mercure Galant, le premier jour de chaque Mois sans aucun retardement.

L'Extraordinaire du Quartier d’Octobre se distribuëra le 15. Janvier 1679.

On prie qu’on affranchisse les Ports de Lettres, & qu’on les adresse toûjours chez ledit Sieur Blageart, Imprimeur-Libraire, Ruë S. Jacques, à l’entrée de la Ruë du Plastre.

[Avant-Propos]* §

1Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 1-2.

Je vous l’ay deja dit, Madame. Mes Lettres Extraordinaires sont un Suplément des Ordinaires, & vous les trouverez composées en partie de ce que je ne puis faire entrer dans celles que vous recevez de moy tous les Mois. Ainsi vous devez regarder comme un Recüeil de ce qui m’est envoyé de tous costez. N'y cherchez point d’ordre pour les matières, la diversité en est trop grande pour y en pouvoir garder aucun. Les Vers seront indiferemment meslez à la Prose, & le nom de l’Autheur que vous verrez au bas de chaque Ouvrage, quand cet Autheur voudra bien estre connu, sera bien souvent tout ce que je vous en diray.

[Six Poèmes de M. Laussel, Avocat à Montpellier, sur des articles du Mercure du mois de Juin]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 3-7.

L'HEUREUX INFORTUNÉ.

Je viens de lire le Mercures ;
Mais quel plaisir ne m’a-t-il pas donné ?
Trois fois en un matin j’en ay fait la lecture,
Et j’ay pleuré trois fois l’Heureux Infortuné.
Quand je voyois das cette Histoire
Qu'il quitoit l’Amour pour la Gloire,
Que n’est il malheureux, disois-je, en ses combats ?
Amour, si d’une main favorable & cruelle,
Mars qui sçait t’obeïr luy casse encor le bras,
Il reviendra guerir aupres de cette Belle,
Et la Belle ne mourra pas.
Mais helas ! Mes desirs ont tous esté de reste,
L'honneur l’a toûjours retenu,
Et cet Amant n’est revenu,
Apres s’estre défait d’un employ si funeste,
Que pour souffrir à son retour
Ce qu’ont de plus cruel Mars, la Mort, & l’Amour.

LA JONQUILLE.

Quant à l’éloquente Jonquille,
Elle charme l’oreille, elle ravit le cœur,
Flore n’a jamais eu de plus aimable Fille,
Tout cede à cette belle Fleur.
Aupres d’elle les Tubéreuses
Ne seroit pas les plus heureuses,
Si les Zéphirs avoient les mesmes yeux que moy.
Ils seroient penétrez d’une douceur si grande,
Et pour un seul Zéphir que sa beauté demande,
Elle les verroit tous se soûmettre à sa Loy.

LEST FAUX CHEVEUX.

Lors que la Rousse devient Blonde
Aux yeux du Vieillard amoureux,
Qu'elle luy prend le cœur avec faux cheveux,
S'il en ressent une douleur profonde
Il est en droit de se mettre en courroux.
Je ne m’étonne point qu’il gronde,
Mais je m’étonnerois que cela vinst de vous,
Mercure-ingénieux, sans charmer tout le monde.

LE MARY PATISSIER.

Qu'il est plaisant de voir l’amoureux Officier
Surpris du Mary Patissier,
Apporter le Cadeau, s’aller placer à table !
Jamais Gens préparez n’eurent moins d’appétit,
Jamais Collation ne fut moins agreable,
Et jamais Cuisinier ne sera plus maudit.
Il est pourtant vray qu’on peut dire,
Bien que tout fust de meschant goust,
Que puis qu’il mous a fait tant rire,
Jamais pompeux Repas n’eut un meilleur ragoust.

LETTRE DE M. LE DUC DE S. AIGNAN.

Cette Lettre éloquente et belle
Nous dit quel est le Duc genéreux & fidelle
À qui le Roy répond, & qu’il estime tant ;
Mais quand elle eust caché le Nom de Saint Aignan,
On l’auroit sçeu sans elle ;
Ce qu’il fait pour Loüis le Grand
Est connu par son Nom bien moins que par son zele.

L'AMOUR BLESSÉ.

Mais sans y songer, j’ay passé
Ce Idille galant qui peint l’Amour blessé.
Qu'il ait déjà paru, ce n’est pas une affaire ;
Il est spirituel & beau,
Et l’Ouvrage est toûjours nouveau
Lors qu’il a le secret de plaire.

[Lettre de M. Gardien Secrétaire du Roy à Madame la Marquise de Fl.] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 7-19.

Ce que j’ay proposé sur l’origine des Mouches, a donné lieu à plusieurs Personnes d’esprit d’imaginer de fort agreables choses. Voicy ce que M. Gardien Secretaire du Roy en écrit à une Dame d’un fort grand merite.

À MADAME
LA MARQUISE DE FL.

Vous demandez, Madame, une Fable sur l’origine des Mouches dont les Dames se parent, suivant ce qu’a proposé l’Autheur du Mercure Galant dans son dernier Extraordinaire. Je vous obeïs sans raisonner, & voicy ce que mon foible génie m’a dicté sur ce sujet.

Vénus, cette Reyne des Belles,
Vénus, la Reyne des Amours.

Ce sont deux petits Vers qui m’échapent. J'ay presque autant de peine à retenir les Vers quand je ne les appelle pas, qu’à les faire venir quand j’en ay besoin. Quoy qu’il en soit, c’est tout ce que vous en aurez icy. Vénus donc estant un jour venuë sur la terre pour quelque affaire d’amour, comme vous pouvez bien penser, l’esprit content, mais un peu lasse & fatiguée, s’endormit insensiblement sur un Lit de gazon à l’ombre des Myrtes, des Palmes, & des Oliviers. Son sommeil fut tres-profond, & les Graces qui la suivent toûjours de pres, la voyant en cet état, ne s’en écarterent qu’autant qu’il le faloit pour ne pas troubler son repos. Cependant afin de ne pas demeurer oisives, elles employerent le temps à discourir de quelques Questions qu’il n’appartient qu’à elles de bien décider. Tandis qu’elles disputoient entr'elles (car il est rare que trois Filles soient d’un mesme sentiment) voicy, Madame, ce qui arriva. Ce lieu qui pour sa fraicheur & pour son ombre, sembloit un azile assuré contre l’importunité des Mouches, qui naturellement se plaisent à la chaleur & à la lumiere, se trouva neantmoins accessible par un endroit, à quelques rayons du Soleil, à la faveur desquels une petite troupe de Mouches de diferentes especes eut le moyen de voler sur le visage de nostre Belle endormie. Elles ne s’y placerent que dans le dessein de l’insulter, soit qu’elles cherchassent à faire plaisir au Soleil qui leur avoit servy de guide, & qui est une Divinité peu amie de Vénus, soit que la chasteté vraye ou controuvée qu’il plaist aux Poëtes & aux Naturalistes de leur attribuer, les rende ennemies de cette Déesse, qui comme vous sçavez s’abandonne un peu licentieusement aux plaisirs. Ces impertinentes Mouches qui depuis ce guet à-pend sont devenuës le symbole de l’impudence, ne demeurerent pas longtemps sur ce beau visage sans y laisser des marques de leur animosité. Chacune se servit pour cela des armes qu’elle avoit reçeuës de la Nature. Les moins malfaisantes luy causerent des rougeurs & des élevûres par des picotemens de leurs petites trompes. Le Cousin insolent & traitre Moucheron s’il en fut jamais, qui par une maniere de chant flate nos oreilles, au moment qu’il tient le poignard prest pour nous blesser, fut sur le point de porter dans cette chair délicate ce subtil venin dont l’ardeur fait de chaque piqueure une petite montagne de feu. Mais une chose dont la seule pensée fait trembler, c’est que déjà une Abeille furieuse avoit choisy un œil de Vénus pour y exercer sa cruauté au travers de sa paupiere fermée, & cette enragée alloit y enfoncer son aiguillon, aux despens de sa propre vie qu’elle s’estimoit heureuse de sacrifier à la gloire d’un attentat de cette importance, quand les Graces s’appercevant de ce péril qui les mit presque hors d’elles mesmes, s’avancerent en toute diligence vers leur Souveraine. La premiere chose qu’elles firent, fut d’exterminer sans pitié tous ces insolens Insectes ; mais comme cette foible vengeance sur ces misérables Victimes, ne reparoit pas le dommage fait à la beauté de Vénus, ces belles Filles touchées de la douleur pour son interest, & pour le leur propre, dans la crainte qu’estant éveillée elle ne leur reprochast leur peu de soin, s’aviserent d’un expédient. Il y avoit là un Meurier sur lequel se trouverent tout à propos des Vers à soye, dont quelques-uns avoient déjà fait leurs coques. Elles en tirerent des filets, dont en moins de rien elles firent un ouvrage assez mince, qui fut enduit d’un costé d’un peu de gomme que fournit un autre Arbre voisin. Quoy qu’il n’y ait rien de si propre que les Graces, neantmoins l’empressement où elles estoient leur fit oublier en filant cette soye, qu’elles avoient les doigts encor teints du sang & de l’humeur noire des Mouches exterminées. C'est ce qui en donna la couleur à cette foible Etoffe qui fut decoupée en autant de petites pièces que les Mouches avoient causé d’élevûres & de rougeurs. Les Graces les appliquerent sur ces rougeurs, & elles ne douterent point que tout ne sust guery, & qu’elles ne pûssent lever ce leger appareil avant le résveil de la Déesse ; mais elles furent trompées en leur attente, & soit que Vénus fust effectivement au bout de son sommeil, soit qu’elles n’eussent pû appliquer ces petits morceaux découpez sans qu’elle en eust senty quelque chose, elle s’éveilla un moment apres. Jugez de sa surprise, quand ayant demandée le Miroir pour rajuster sa coiffure, elle vit son beau visage, ce Ciel ordinairement si serain, chargé pour lors de petits Astres tenebreux. Les Graces luy conterent l’Avanture. Elle reçeut la nouvelle du mal qui luy avoit esté fait avec sa douceur ordinaire, & loüa le zele qui les avoit portées à y chercher du remede. Elle admira le bizarre effet qu’il faisoit sur son visage, & trouva tant d’agrément dans toutes ces petites pieces découpées, que les ayant appellées ses Mouches par raport à leur origine, elle résolut de s’en faire honneur en de bonnes occasions. L'Invention fut bientost perfectionnée. L'Amour en trouva sa Mere plus belle, & elle en plût davantage dans les Assemblées celestes. Les Déesses & les Dieux, à la reserve de Mome qui en rit quelque temps, y donnerent leur approbation. Le Soleil mesme se vit obligé de faire comme les autres, & dissimula le déplaisir secret qu’il sentit d’avoir esté cause que la beauté de Vénus fust augmentée. Mars le bon amy de cette Déesse, luy fit voir sa complaisance ordinaire, en consacrant ce qu’elle nomma ses Mouches, par le digne employ de couvrir & de marquer en mesme temps les plus honorables cicatrices de ses Guerriers. Il choisit pour cela ce qu’elle en avoit de plus grandes, & en fit faire encor de plus étenduës. Vénus de son costé en accommoda les Déesses qui voulurent se servir de cet agrément, & permit aux Graces d’en inspirer l’usage aux Beautez mortelles. Elle trouva bon aussi que ces mesme Graces à qui l’invention en estoit deuë, fussent consultées pour les bien placer. Depuis ce temps-là les Dames s’en servent avec l’avantage que nous voyons ; quelquefois par necessité, & en d’autres temps par caprice. En effet il est des rencontres où il seroit assez difficile de pouvoir dire quelle Mouche les a piquées ; & si l’on en veut croire bien des Amans, elles prennent souvent la Mouche pour peu de chose. Je m’entendrois volontiers, Madame, sur la diversité de ces Mouches, & sur les raisons de leurs noms diférens ; mais quelque divertissant que pût estre ce détail, je craindrois enfin qu’il ne devinst ennuyeux. C'est pourquoy je me contenteray de vous dire sur ce sujet, que cette Mouche teméraire & barbare qui en vouloit aux yeux de Vénus, en a retenu avec justice le nom d’assassin. Au reste si vous voulez un sens moral, il n’est pas fort difficile à trouver. Quiconque outrage la Beauté, est une Beste des plus malignes & des plus viles ; il ne peut échapper à son suplice ; & la Beauté offensée, sçait toûjours tourner à son avantage toutes les injures qu’on luy fait. Je ne sçay, Madame, si j’ay bien rencontré, & si cette Fable aura le bonheur de vous plaire ; mais si une vérité tres-respectueuse venant de moy, pouvoit ne vous déplaire pas, je serois assuré d’estre heureux, puis que personne n’est avec plus de verité & de respect que je le suis, vostre tres, &c.

Lettre a Mademoiselle D. S. C. §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 19-23.

Tandis que nous sommes sur les Fables, il faut vous apprendre une Métamorphose dont beaucoup de Gens devroient profiter. Vous la trouverez dans cette Lettre.

À MADEMOISELLE
D. S. C.

Monsieur D. L. G. vous donnera les Palettes & les Volans que je vous avois promis. J'eusse bien voulu vous les porter moy mesme, mais par un malheur le plus grand du monde, les Portes de Paris sont fermées pour moy & je n’espere pas d’en sortir de tout ce Printemps. Je ne veux point icy vous entretenir de mes plaintes ; c’est un fort mauvais régal pour des personnes qui sont à la Campagne & qui ne doivent songer qu’a se réjoüir. Je vous avertiray seulement en qualité de Poëte, que si quelques-uns de vos Amis sont par hazard de la partie quant vous joüerez au Volant, vous estes obligée de leur dire que ce Volant fut autrefois le Cœur d’un Amant, que l’Amour metamorphosa de la sorte pour punir sa legereté.

Oüy, l’on dit que ce jeu qui plaist si fort aux Belles,
Et qui regne à la Ville aussi bien qu’à la Cour,
N'est qu’un effet du couroux de l’Amoureux
Contre un Cœur embrasé de flames infidelles.
***
Ce Vagabond sans respecter les Loix
Dont l’Empire amoureux reconnoist la puissance,
Sur les ailles de l’Inconstance
Couroit incessamment les Villes & les Boix.
***
Là suivant son libertinage,
Il voloit chaque jour
De Philis en Philis, & d’Amour en Amour
Sans jamais embrasser un sincere Esclavage.
***
C'estoit l’Amant commun de toutes les Beautez,
Et sans estre à pas-une,
Il se donnoit tour-à-tour à chacune,
Et répandoit ainsi ses feux de tous costez.
***
Mais l’Amour qui sous ses Drapeaux
Ne souffre point de Volontaire,
Résolut de punir enfin ce teméraire,
Et de chercher pour luy des suplices nouveaux.
***
Par l’ordre de ce Dieu, fut en Volant changé ;
Et chacun des Amours dans son poste rangé,
Aussitost à ce jeu fit son apprentissage.

Cette Histoire obligera ces Messieurs de penser à leur conscience, & leur aprendra ce que c’est que l’infidelité en matiere d’amour. Je vous prie en mesme temps, Mademoiselle, de faire un peu de reflexion sur le merite de la constance & sur les récompenses qui luy sont deuës en considérant comme l’on punit son contraire. C'est là le vray moyen de joindre l’utile à l’agreable. Je suis vostre tres, &c.

Alcidon.

Lettre I §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 24-28.

Il faut commencer à vous faire part du commerce que je continuë d’avoir avec le Public. Vous trouverez fort peu de Lettres de suite. J'auray soin de diversifier par tout les matieres. C'est le moyen de vous rendre cet Extraordinaire plus agreable.

LETTRE I.

À Lyon.

Bien en prend à vostre Mercure, qu’il n’y a plus de Dieux parmy-nous, il n’y auroit pas grande seureté pour luy. Je pense que le feu seroit le moindre de ses suplices. Quoy qu’il ne le merite pas, le crédit qu’il s’est acquis & qu’il continuë de s’acquerir tous les jours, ne manqueroit pas d’allumer leur jalousie, & sous quelque peau qu’il se mist, il auroit lieu de trembler. Mais graces au Ciel nous sommes delivrez de toutes ces inquiétudes pour luy. La Fable n’est plus qu’un jeu pour nous, & de tous ces noms fameux & fabuleux, il n’en reste qu’un qui conserve extrémement sa réputation. C'est à vous, Monsieur, à qui il en doit toute la gloire, le soin que vous prenez de le rendre celebre a tout le succés possible. On n’entend part tout que ce nom, & il est plus connu dans ce Siecle qu’il ne l’estoit dans l’Antiquité. Aussi n’est-il pas ingrat des biens qu’il reçoit de vous, puis qu’il fait rejaillir sur vostre Extraordinaire cet éclat que vous luy donnez, en luy procurant des Lettres si spirituelles & si galantes qui en font le plus bel ornement. Ce n’est pas que tout le reste n’en soit merveilleux. Les Questions que vous y proposez sont admirées d’un chacun. La derniere me paroist fort problématique ; mais comme j’ay esté touché du triste sort du Prince de Cleves, je panche plus à taire une confidence de cette nature, qu’à la faire. Bien que la probité d’une Femme la mette à couvert de tout soupçon, elle ne doit jamais se hazarder à donner des allarmes à un Mary. La jalousie est un Monstre tellement à redouter, qu’on doit fuir toutes les voyes qui y conduisent. En peut-on voir une plus infaillible qu’un aveu de cette force ? Les feux d’un Amant, quelques respectueux & quelques mal reconnus qu’ils soient, font toûjours trembler un Mary. On a beau le rassurer, il craint que la vertu d’une Femme pour severe qu’elle se montre, ne succombe à la tendresse d’un Amant. En effet il est bien malaisé de ne pas se rendre quelque jour à ses poursuites, quand il a trouvé le secret de plaire. La retraite peut bien donner quelque repos à un jaloux, mais non pas le guerir.. Ainsi le plus seur est de travailler à étouffer une passion dont on prévoit de fâcheuses suites. Il faut éviter la rencontre d’un Ennemy qui nous paroist dangereux, & puis que c’est une Femme de vertu, elle peut bien sacrifier un peu de son repos à celuy de son Mary, jusqu’à ce que le temps qui est un grand Medecin, rende la santé à ces cœurs languissans. Voilà, Monsieur, le sentiment de vostre tres, &c.

Le Celeste Allobroge.

Lettre II §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 28-34.

LETTRE II.

Il faut, Monsieur vous faire connoistre l’esprit d’une tres-charmante Solitaire, qui en se faisant un plaisir de ne voir que fort peu de monde, ne laisse pas d’avoir toûjours quelque agreable commerce avec des Amis choisis. Elle en entretient un depuis quelque temps avec une Personne qui n’a pas moins d’estime pour sa vertu que d’admiration pour sa beauté, & qui tient quelque rang dans vostre Mercure. Elle l’appelle son Petrarque, & elle a pris le nom de Laure. Vous pouvez juger par ces noms de quel caractere leur galanterie put estre. Quoy qu’elle soit fort éloignée des folies ordinaires de l’Amour, celuy qu’ils ont l’un pour l’autre n’est pas si austere qu’il les empesche de se divertir, & de badiner quelquefois.

Son Petrarque portant le mesme nom qu’elle, ils s’aviserent de se faire un présent le jour de leur Feste. Ils s’en aquiterent avec adresse, & pour mieux cacher le mistere, ils changerent leurs noms & leur écriture. Petrarque trouva dans sa Toilette en s’habillant une Cravate & des Manchettes d’un Point admirable, accompagnées de ces Vers.

Graces, mon aimable Tirsis,
À l’invention de Sapate,
J'ose vous presenter Manchettes & Cravate,
Comme au meilleur de mes Amis.
Mais quelque soupçon qui vous flate,
De peur que ce présent m’éclate,
Vous ne sçaurez point qui je suis.
***
N'allez donc point vous mettre en teste
Que ce peut estre Aminte, Amarante ou Cloris ;
Il est aujourd’huy vostre Feste,
Il faut avoir d’autre soucis.
Parez-vous seulement du present qu’on vous donne.
Si vous en faites cas,
Du nom de la Personne
Ne vous informez pas.
***
Pour tout remercîment, c’est ce que l’on souhaite.
On vous aime, il suffit, vous n’en pouvez douter.
La chose doit estre secrete,
Vous ne devez pas l’éventer.

Laure trouva aussi dans sa Toillette une riche coëffure avec ces Vers.

Comme il n’est point de Rime en oiffe,
On ne sçauroit sur une Coiffe
Faire Madrigal ny Sonnet,
Mais s’il en faut une douezaine,
On les fera sur un Bonnet.
Cependant, aimable Climene,
Celuy-cy n’en vaut pas la peine.
***
Il me suffit de quatre Vers
Pour empescher qu’à cette Feste
Vous ne mettiez sur votre teste
Un méchant Bonnet de travers.
***
Bonnet, quoy que sans ornement,
Coiffez donc aujourd’huy Climene,
Mais coiffez-la bien proprement,
Sans soin, sans chagrin, & sans peine,
Et qu’elle soit comme une Reyne
Avec ce simple ajustement.
***
Car enfin je le dis tout net,
Quand à Climene je vous donne,
Je voudrois au lieu d’un Bonnet
Luy presenter une Couronne.

Quelques précautions qu’ils eussent prises, la Feste ne se passa point sans que la galanterie fust découverte. Il est difficile de cacher un grand engagement. Laure aime avec chaleur, & ne fait pas de mystere de sa tendresse. Elle se plaignoit un jour à Petrarque qu’il n’aimoit que foiblement, & qu’il n’avoit point ces empressemens qui paroissent dans les moindres choses qu’on fait pour la Personne qu’on aime. Voicy ce qu’il luy répondit.

En vain sur ce sujet on fait de beaux discours ;
Laure, pour bien aimer, il faut aimer toûjours.
On croit, dans le moment qu’un fort amour nous presse,
Qu'on ne verra jamais la fin de sa tendresse ;
Helas ! Qu'ils durent peu ces grands empressemens !
Aimez plus doucement, pour aimer plus longtemps.

Il m’est si doux de faire connoistre le merite de cette charmante Solitaire, que je ne finirois pas si-tost, si je n’avois impatience de vous assurer que je suis vostre tres, &c.

L. Ch.

Lettre III §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 34-36.

LETTRE III.

À Tournay.

Je me presse, Monsieur, de peur que je ne sois des derniers à vous donner des marques de la reconnoissance particuliere que j’ay de toutes les peines que vous vous donnez pour le Public. Vostre Mercure a passé l’Escaut, & se lit avec tant de plaisir par le beau Sexe de ce Canton, qu’il est à croire qu’il a de l’impatience de revoir le calme que nostre Auguste Monarque s’est proposé de remettre dans nos Provinces. Si tant de Personnes differentes se font une joye d’y avoir place, il n’est pas moins avantageux à nos Guerriers d’y voir immortaliser leur noms. Ceux qui se sont rencontrez dans les Sieges de Puycerda & de Leuve, en reçoivent aujourd’huy des témoignages tres-grands par la description que vous en avez faite. Il faut avoüer que s’il y a de la gloire à combattre sous les Etendarts d’un aussi grand Monarque que le nostre, il y a aussi du plaisir pour ceux qui se signalent par leurs belles Actions à rencontrer un Autheur aussi exact & aussi fidelle que vous. Si le style d’un Homme de ma profession n’estoit pas si Cavalier, je m’étendrois davantage sur ce que je pense du vostre Mercure, mais je dois me contenter de vous envoyer l’Explication de vos Enigmes, & de vous assurer que je suis vostre, &c.

Le Brave Ardennois.

Lettre IV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 36-38.

LETTRE IV.

À Compiegne.

Depuis que le Mercure Galant va par toute la France, on peut dire, Monsieur, qu’il y a répandu une certaine semence d’esprit si generale, & si féconde, qu’il n’y a point de lieu, si sauvage & si rude qu’il puisse estre, qui n’en ressente l’effet. Je commence à m’apercevoir par moy-mesme de cette verité ; car quoy que je ne me sois jamais attaché qu’aux choses de ma profession, & aux affaires de mon Chapitre, je remarque depuis quelques jours que vostre Mercure m’a inspiré des lumieres & des sentimens que je ne me croyois point capable d’avoir. Je les dois à l’envie que j’ay euë de trouver le sens de vos Enigmes. J'en ay expliqué plusieurs sans me hazarder à vous le faire sçavoir : Mais si je suis assez heureux pour avoir encor reüssy cette fois, cela me donnera le courage d’entreprendre davantage à l’avenir, & c’est à vous Monsieur, à qui j’en auray l’obligation. Ayez donc la bonté de voir si j’auray bien rencontré, & me croyez vostre, &c.

Charmolue, Doyen de S. Clement de Compiegne.

Lettre V §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 38-49.

LETTRE V.

Des Rives de Jüine.

Tout ce qu’un galant Homme peut souhaiter, vous l’avez obtenu, Monsieur ; c’est de plaire également aux deux Sexes. Quoy que le mien ne puisse voir sans jalousie que vous soyez si bien aupres de l’autre, il ne m’est possible de vous cacher que nos Bergeres n’ont plus d’œillades pour nous. Elles sont toutes pour le Mercure, & cet adroit Messager des Dieux ne s’est jamais metamorphosé plus heureusement que sous la figure d’un Livre. S'il prit autrefois celle d’un Berger pour endormir Argus au son de sa Fluste, il m’avoüera que sous l’habit qu’il porte, il a trompé bien plus d’un Argus. Il s’est attiré l’amitié de toutes nos Bergeres au grand des-avantage de leurs Marys qu’elles quittent à tous momens pour voir ce nouveau Galant. Pour nous, nous ne sommes jamais mieux reçeus d’elles que quand elles nous voyent aprocher avec un Mercure à la main. Elles sautent de joye, & je croy qu’elles nous récompenseroient volontiers d’un baiser, si leur retenuë n’y mettoit obstacle. Mais mon dessein n’est pas de vous informer icy de tout ce que vostre Mercure produit d’extraordinaire en ce Païs. Il est à propos de vous dire que la Princesse de Cleves n’y est pas inconnuë, mesme chez les Bergers. Quoy qu’une déclaration pareille à celle de cette Princesse ne se soit jamais faite parmy eux, ils demeurent d’accord qu’elle a pû se faire dans un temps où les Marys n’estoient pas si délicats & si raffinez qu’aujourd’huy ; mais ils prétendent que si Madame de Cleves avoit autant d’esprit que cette Histoire luy en donne, elle en a peu manqué quand elle a pû se résoudre d’en venir à cette déclaration. Pour moy, je sçay bien que par toutes les Rives de Jüine, où l’on n’est pas plus beste qu’ailleurs, elle ne sera imitée d’aucune Bergere. Mais c’est aussi ce qui fait le merite de la Princesse de Cleves, que de s’estre renduë inimitable.

J'oubliois, Monsieur, à vous parler de la mort du Serin d’une de nos Nymphes. Il l’avoit divertie pendant plus de dix années, & c’estoit le plus ancien Domestique de sa Maison. Caliste, l’une de nos plus belles Bergeres, le trouva couché sur le costé dans sa cage. Il avoit les aisles étenduës, & se debatoit encor. Elle le mit dans son sein pour le faire revenir, mais je croy que si la douleur l’avoit réduit à l’extremité, le plaisir acheva lors de le perdre. En effet elle l’en retira mort peu de temps apres l’y avoir mis, & l’on disputa vainement de la qualité de la maladie qui l’avoit fait mourir. L'opinion la plus probable & qui tomba mieux dans le sens de la Nymphe, fut que c’estoit une vapeur, puis qu’il avoit tant d’esprit. Une autre qu’elle se seroit consolée par cette reflexion ; mais elle l’avoit trop aimé pour ne le pas regreter davantage. Apres avoir apris qu’il estoit mort de la maladie des beaux Esprits, elle demeura plus de deux heures inconsolable, & je fus obligé pour la remettre, de luy dire, qu’à la verité son Serin meritoit une vie plus longue, mais qu’elle trouveroit peu de Personnes raisonnables qui n’enviassent le bonheur qu’il avoit eu, d’estre mort dans le sein de la charmante Caliste. Si l’on sçavoit, me répondit-elle, quel estoit le merite de mon Serin, on me plaindroit sans-doute plûtost que de me consoler. Il est vray Madame, luy repartis-je, que tout le monde vous peut plaindre. Je sçay mesme un moyen assez facile pour vous attirer la compassion de toute la Terre. Je prieray l’Autheur de ce Mercure qui va jusques aux Indes, de parler de cet accident. On ne luy refusera pas des larmes, s’il en demande pour vous ; il donne trop de satisfaction à tout le monde pour n’en pas obtenir des plaintes quand il en souhaitera. Je m’offre à luy envoyer l’Epitaphe du Defunt. La Nymphe goûta ma proposition. Elle y consentit, & me pria de m’aquiter de ma promesse le plûtost que je pourrois. Dés ce moment-là elle commença d’estre moins triste, & je ne doute pas qu’elle ne reprenne sa gayeté ordinaire quant elle verra son Serin immortalisé dans le Mercure. Voicy l’Epitaphe de cet Oyseau.

Je vins exprés de Canarie
Pour le service de Silvie ;
Je la servis fidellement,
Et cette Nymphe estoit si belle ;
Que je ne chantay que pour elle,
Et pour ses Amis seulement.
Enfin apres dix ans de vie,
Une secrette maladie
Me vint attaquer un matin ;
Ma Maitresse en fut toute triste,
Caliste me mit en son sein,
Je mourus au sein de Caliste ;
Fut-il un plus heureux Serin ?

Afin de vous faire connoistre, Monsieurs, que mos Bergeres ne son pas des Bergeres du commun, il faut vous dire ce que me répondit l’autre jour une d’elles, qui se pique d’estre reconnoissante jusqu’à ne vouloir jamais rien devoir à personne. Je luy reprochois que c’estoit injustement qu’elle faisoit tant la genereuse, puis qu’elle n’aimoit point quoy qu’elle fust fort aimée. Il est vray, me répondit-elle, que je n’aime pas à estre long-temps redevable aux Gens, & que je ne soufre qu’on m’oblige que dans le dessein d’obliger de mesme ; mais comme je mets l’amour qu’on a pour moy au nombre des injures qu’on me peut faire, je ne me sens pas assez vindicative pour rendre jamais la pareille.

Je viens à l’origine des Mouches. Soufrez que je vous en dise ma pensée par ces Vers.

Un jour Bacchus en voyageant,
Devint amoureux d’une Belle ;
Il n’avoit pas l’air engageant,
Et sa Belle luy fut cruelle.
Il pleure des larmes de Vin,
Et soûpire d’une maniere
À faire tourner un Moulin ;
Sa Belle n’en est pas moins fiere.
Il fait retentir les Echos
Par tout du nom de sa Maistresse,
Et ne laisse rien en repos,
Afin que sa Belle l’y laisse.
Déja les Maisons d’alentour
Par ses soûpirs sont abatuës,
Et ses cris poussez nuit & jour,
Font trembler la terre & les nuës ;
Ses larmes au travers des Champs
Se font de rapides passages,
Et par d’invincibles torrens
Entraînent toits, grains, & ménages.
L'Amour qui du plus haut des Cieux
Connoit que Bacchus en est cause,
Est aussitost commis des Dieux
Pour pacifier toute chose.
Il le rencontre pres Paris
Qui soûpiroit toûjours de mesme,
Ses boutons estoient défleuris,
Ses yeux mourans & son teint bléme ;
Alors le tirant à l’écart,
Avec une livre de gomme,
Et le secours du plus beau fard,
Il en fait un joly jeune Homme ;
Mais, dit Bacchus à Cupidon,
Elle hait une rude trogne,
Et ne sçauroit souffrir bourgeon
sur le visage d’un Yvrogne.
Laissez-faire, luy dit l’Amour,
J'en ay prévû la conséquence,
Mais chaque chose aura son tour ;
Ayez seulement patience.
Lors il luy coupe les cheveux,
Laisse derriere une Couleuvre,
Le poudre & frise de son mieux,
Et jamais du Mont n’y fit oeuvre ;
Certain jus qu’il y fait couler
Fait apres luy sentir sa trace,
Puis il prend des Mouches en l’air,
Noircit leurs aisles & les place.
La Bonne Faiseuse à quartier
Profita de tout ce mystere ;
C'est là qu’elle apprit son mêtier,
Tant à les placer qu’à les faire.
Alors frais comme un Jouvenceau,
Bacchus court finir son suplice,
Et la teste comme un Boisseau,
Il se croit plus beau que Narcisse.
En effet, Philis le crût tel
D'abord qu’elle le vit parestre,
Et ne voyant rien du mortel,
Jugea bien qu’il ne pouvoit l’estre.
Ses boutons ne paroissant plus,
Nos Amans unirent leurs bouches ;
Ainsi devins heureux Bacchus,
De là vint au monde des Mouches.

STEDROC, Berger des Rives de Jüine.

Lettre VI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 49-52.

LETTRE VI.

Il y a quelques temps, Monsieur, que je me mets sur le pied de bel Esprit, c’est à dire de bel Esprit de Province, & personne ne s’estoit encore avisé de m’en disputer le Titre, que dans une Compagnie où je me trouvay hier apres dîné. Je tâchois là de debiter mes Fleuretes à demy-fletries entre cinq ou six Belles, & je me faisois attentivement écouter par deux ou trois Sots qui se récrimoient à chaque parole, quand un nouveau venu, lequel apparament n’avoit pas accoûtumé de demeurer sans rien dire, ennuyé de m’entendre toûjours parler, & se fâchant de me voir trop applaudy ; Mon Dieu ! Dit-il, il semble que Monsieur est icy quelque Oracle ; il veut faire le bel Esprit, & son nom n’est point dans le Mercure. Je vous avoüe, Monsieur, que ce reproche me toucha. Je sortis brusquement sans répondre une parole, & j’allay chercher un Mercure, avec lequel je me vins enfermer dans mon Cabinet, où apres avoir vû vos Enigmes avec attention, j’invoquay plus de six fois Apollon & les Muses, lesquelles m’inspirerent ces pensées.

Ce petit Nain avec son gros teignon,
Qui d’un pied vient en diligence,
Et comme un rude Compagnon
Peut terrasser un Homme d’importance,
Sçavez-vous bien ce que j’en pense ?
Ce n’est ma foy qu’un Champignon.
***
Sans tant tourner autour du pot,
Pour trouver de ces Vers le veritable Mot,
Qu'à deviner chacun s’appreste,
Je ne me dis pas grand Prophete,
Mais c’est la Barbe, ou je ne suis qu’un Sot.
***
Qu'il est doux de s’imaginer
Ce que dans ce Tableau cette Enigme nous marque !
C'est le fruit des travaux de nostre grand Monarque,
C'est la Paix que LOUIS s’appreste à nous donner.

Apres cela, Monsieur, je demeureray fort satisfait de moy, & je pris bien dessein de me vanger de l’Homme qui m’avoit méprisé, en luy faisant voir dans la premier Mercure, entre les autres noms imprimez, celuy de vostre tres-humble serviteur,

Y. Z.

Lettre VII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 53-55.

LETTRE VII.

J'explique, Monsieur, l’Enigme du Serpent d’Epidaure sur la Paix. Elle vient cette Paix, l’amour & les délices des Peuples, sous la figure de ce salutaire Serpent, qui accourt au secours des Romains qu’une mortelle peste avoit réduits aux derniers abois, apres avoir fait mourir un si grand nombre d’Hommes, que ce vaste & orgueilleux Empire sembloit estre devenu celuy de la mort.

Parmy les dangereuses piqueures du Serpent, la Medecine feconde en puissans Remedes, en a heureusement tiré de grands Antidotes, qui n’ont pas une mediocre ressemblance à ce divin secours, dont le Rameau d’Olives tant desiré, fut autrefois un si heureux présage.

Ces Peuples qui accourent en foule, ces Affligez, ces Mourans & ces Malades, font ces Villes & ces Provinces réduites aux dernieres extremitez. Ces Figures qui portent & jettent des fleurs en habits longs & courts, avec des Tambours de Basque & des Trompettes, sont les Electeurs & Princes de l’Empire, qui s’empressent d’honorer le retour de cette divine Paix, pour laquelle ils ont tant soûpiré.

Ces trois Figures élevées sur une espece de Trône, sont les trois mobiles de la Guerre. L'Empereur est placé au milieu portant un Monde à la main gauche, & à costé la Hollande & l’Espagne qui témoignent en dansant une tres-grande joye de voir renaistre le repos par le retour de la Paix

Cet Enfant sur la corniche d’un Pillier, est l’Innocence qui se vient joindre à la Paix pour regner ensemble avec douceur, où la perfidie & la malice ont tant fait commettre de crimes.

L'Explication seroit fort juste sur les Empiriques ou Vendeurs d’Orvietan. Voilà, Monsieurs, ce qu’a pensé de cette Enigme vostre, &c.

Panthot, Doct. Med &

Profess. Aggreg. au

College de Lyon.

Lettre VIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 55-57.

LETTRE VIII.

Au Mans.

Je suis fort trompé, Monsieur, si la premiere de vos deux Enigmes du mois de Juillet n’est un Champignon. Il n’a qu’un pied avec une grosse teste. Il vient dans une nuit. Ses Freres bastards sont les Potirons. Quand on le prend dans sa mauvaise humeur, c’est à dire sans en faire sortir quelquefois une certaine eau, il fait beaucoup de mal. Plusieurs Personnes sont mortes pour en avoir mangé. Il terrasse le plus fort, témoin l’Empereur Claude que Neron fit mourir avec des Champignons. Il est vray qu’il y mesla un peu de poison, & c’est pourquoy il les appelloit un manger de Dieux, parce que les Empeureurs morts estoient mis au nombre des Dieux par de superbes Apotheoses. C'est aussi ce qui fit faire à Seneque ce plaisant discours sur la mort de Claide qu’il intitula, Apocolokyntofis, c’est à dire, Immortalité acquise par le moyen des Champignons. Dioscoride en compte que de deux sortes, les uns qui sont bons à manger, & les autres qui sont venimeux ; mais j’ay veu un Gentilhomme qui en connoissoit de trente-sept especes differentes, & qu’il accommodoit d’une maniere admirable. Je suis vostre tres, &c.

Desgallesnieres.

[Réponse aux Énigmes]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 58-64.

[…]

Aux Chevaliers de Bacchus, Alcipe et Philandre §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 64-68.

Voyez, Madame, comme les gousts sont diférens. Des deux premieres Pieces que vous allez voir, la premiere est toute pour Bacchus, & la seconde fait connoistre que le plaisir d’aimer dois estre preferé à tous les autres plaisirs. Vous les trouverez suivies de quelques Ouvrages de Vers que je ne croy pas indignes de vostre approbation.

AUX CHEVALIERS
DE BACCHUS,
ALCIPE ET PHILANDRE.

Salut, bon feu, bon vin & bonne chere.

Comme je prens part à tout ce qui vous regarde, je crois estre obligé de vous avertir du mauvais tour qu’une méchante Langue vous joüe, & de la dangereuse accusation qu’elle a formée contre vous devant le plus redoutable Juge que nous autres Chevaliers de Bacchus reconnoissions. Vous sçaurez donc, mes chers Camarades, que Bacchus seant hier sur un Tonneau à l’ombre d’un bouchon, & assisté de six ou sept de ses Favoris Yvrognes qui composent son Conseil ; une venerable Langue de Porc, secondée de quelques Cervelats ses Complices, vint faire de grosses plaintes de vous, de ce qu’estant sommez de venir secourir ce bon Roy dans une pressante necessité, lors que la Pluye son Ennemie se fiant sur ses forces tâchoit de l’opprimer injustement, & que ses bons & fidelles Serviteurs haussant le temps faisoient tous leurs efforts pour détourner cet orage de dessus la teste de leur bon Maistre, vous vous estiez tous deux amusez à resver dans vostre Cabinet songeant à toute autre chose qu’à le secourir. D'où elle concluoit que vous eussiez à estre déclarez incapables de manier le verre sous ce Monarque. Déjà mesme ces braves Conseillers par un branlement de teste qui leur est assez ordinaire, sembloient approuver la demande de vostre Accusatrice, lors qu’ayant demandé d’estre entendu à mon tour, (voyez ce que valent les Amis au besoin) je representeray fort au long merite des deux Accusez, & combien ils avoient servy dans les occasions ; ensuite je suppliay Bacchus de vous continuer & maintenir dans les droits, privileges & immunitez de ses Chevaliers, à la charge neanmoins & condition que vous viendrez Dimanche prochain, malgré la Pluye & la Neige, vous justifier plus amplement dans la Chambre où Bacchus préside d’ordinaire. Icy finit ma Harangue, & si vous le trouvez bon, icy finira ma Lettre.

Alcidon.

À Madame**. De la préférence que le plaisir d’aimer doit avoir sur tous les autres §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 69-79.

À Madame**.

De la préférence que le plaisir d’aimer doit avoir sur tous les autres.

JE n’estois pas trop d’avis, Madame, de vous vanter le plaisir d’aimer. Vous avez eu si peu de soin de me le faire sentir, que si je vous en avois creuë, loin qu’il passast chez moy pour un bien à souhaiter, je l’aurois mis au nombre des plus grands maux que nous puissions craindre. Cependant, à ne vous rien deguiser, je vous dois plus que je ne pense. J'ay estimé le bien que vous pouviez faire, par le mal que vous faisiez aux Gens, & c’est là dessus que j’ay compté. On m’a dit qu’on en usoit ainsi en Amour.

Il suffiroit pour prouver la préference du plaisir d’aimer par dessus tous les autres, de faire réflexion que les Hommes qui portent tous un caractere differend, s’accordent dans la poursuite de ce plaisir, & regardent l’inclination qui les y porte comme si elle estoit née avec eux.

Ils ne sont pas plûtost au monde, que la Nature découvre l’instinct qu’elle leur a donné pour aimer. Ils s’occupent d’abord à lier de petits commerces avec ceux qui les aprochent de quelques sexes qu’ils soient, car la Nature qui est encor imparfaite, & qui n’est qu’ébauchée dans les Enfans, ne leur inspire que cette premiere inclination qui est dans l’Homme pour la société en general ; mais insensiblement elle se perfectionne. Elle démesle un sexe d’avec un autre, & satisfait à cette autre fin qui a fait naistre les Hommes pour les Femmes. Ils s’y attachent, & réparent l’insensibilité de leur enfance par l’empressement qu’ils ont à leur plaire dans leur jeunesse.

Sans faire fond sur ce consentement universel, & sans employer les raisons qu’ils ont euës d’obeïr à la Nature, on en trouve d’autres qui les ont attachées à ce plaisir dés leurs premieres années.

Les autres passions nous vendent bien cher les plaisirs qu’elles nous donnent. L'on n’en joüit qu’apres bien des peines & bien des fatigues, & pour adoucir ce passage l’on est obligé d’emprunter quelques plaisirs sur les plaisirs de la fin. L'amour seul nous propose d’arriver à un but sans nous obliger a passer par un chemin difficile & épineux Il a ses propres plaisirs, & dans cette passion on va de plaisir en plaisir.

N'est-il pas raisonnable de donner la preference à un plaisir qui s’aquiert aussi agreablement qu’il se possede, dont la fin mesme n’est pas plus douce que les moyens qui y conduisent, qui n’est point peine pour devenir plaisir, & qui nous flate aussitost que nous y pensons ?

Y a-t-il rien de plus agreable que de voir pour la premiere fois l’Objet que l’on doit aimer ? La réverie qui suit ordinairement cette premier entreveüe recüeille & ramasse toutes les forces de nostre imagination. Elle oblige nos sens à raporter ce qu’ils ont gardé de l’idée de cette aimable Personne. Elle conçoit & forme une passion de toutes ces pieces différentes, & represente ensuite un portrait achevé à nostre esprit. Tous les pas que nous faisons pour informer de nostre passion la Personne qui l’a fait naître, ne sont-ce pas de nouveaux plaisirs ? Le dessein que l’on prend d’attaquer régulierement son cœur par un commerce de Lettres ou de Visites ; ces éclaircissemens, ces esperances, ces confidences, les douceurs de l’amitié qui se joignent à celle de l’amour, & qui nous font trouver une Amie aussi-bien qu’une Maistresse ; les inquietudes mesmes, les chagrins, les alarmes que donne souvent une passion délicate, ne sont que des aiguillons qui fortifient l’envie de posseder le cœur de ce que nous aimons, & nous rendent plus précieuse cette conqueste par toutes ces petites defenses qu’il faut repousser, & ces petits dehors qu’il faut prendre pour venir à bout de nous faire aimer.

Dans les autres entreprises de nos passions, plus on aproche de la fin, plus il en coûte. Nos soins croissent, & nostre esprit est occupé du succés qui est presque toûjours douteux dans la recherche des autres plaisirs ; mais dans l’Amour, à peine faisons nous deux ou trois visites sans esperance. On entre-voit aussitost qu’on nous sçait bon gré de nos chagrin & de nos soûpirs. On voit qu’il n’y a qu’à attaquer ; que la Dame à qui nous en voulons ne pense plus qu’à assaisonner le plaisir d’aimer par une foible defence & par une résistance étudiée. Les froideurs qu’elle fait paroistre au dehors sont une semence de plaisirs pour nous. Ils ne sont chagrins que pour nous donner la joye d’en faire des plaisirs, & de les dissiper par de nouveaux efforts que nous faisons pour plaire, & dont nous sommes presque toûjours assurez qu’on nous tiendra compte.

Ce qui augmente le plaisir d’aimer, est qu’on ne le reçoit jamais qu’on ne le donne. Ce commerce mutuel contribuë à le rendre plus agreable. Il pique & se fait sentir davantage par cette communication, & par cette société. Nous ne sommes pas moins contens de voir dans les autres les effets du plaisirs que nous leur donnons, qu’à ressentir nous mesmes celuy que nous recevons de leur passion. S'il est doux de nous voir obligez à aimer, il ne l’est pas moins de connoistre que l’on n’a pas plus de liberté de se defendre d’avoir de l’amour pour nous.

Les autres plaisirs que nostre vanité & nostre ambition nous fournissent, ce sont des plaisirs farouches & solitaires qui ne souffrent point de compagnon. Ils ne consistent le plus souvent que dans une superiorité qui nous tire de pair d’avec le reste des Hommes. Ils ne sont plaisirs que parce qu’ils ne le sont que pour nous.

Ils ne peuvent estre que faux, puis qu’ils ne s’accomodent pas avec la Nature, & qu’ils détruisent, pour ainsi dire, la societé qui en est le premier principe. Outre qu’ils n’ont pas tant de douceur & tant d’agréement, il s’en faut bien qu’il y ait la mesme sureté à les suivre, car ils dépendent des autres, & cessent d’estre plaisirs dés qu’ils ne le trouvent pas à propos. Ils ne subsistent que dans l’opinion de ceux qui nous croyent heureux, & tous les honneurs seroient fort à charge à un Ambitieux, si on ne levoit point les yeux vers luy pour regarder toute cette pompe.

Dans l’Amour vous estes heureux en dépit de tout le Genre Humain. Deux testes tiendront bon contre toute la mauvaise volonté des Hommes. Vous n’estes point obligé d’estimer vostre bonheur par les suffrages de ceux qui vous croiront heureux ; il suffit qu’une personne le sçache avec vous, & qu’elle y consente.

Ce n’est pas mal raisonner, Madame, pour un Homme qui n’a éprouver que les chagrins de cette passion, & qui, graces à vostre insensibilité, n’en connoist le bien que par le mal.

Le Silence d’une Belle qui se défendoit d’écrire sur ce qu’elle ne sçavoit pas bien s’expliquer par Lettres §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 79-80.

Le Silence d’une Belle

qui se défendoit d’écrire sur ce qu’elle ne sçavoit pas biens s’expliquer par Lettres.

LA main est engourdie où le cœur n’est pas pris ;
Est-ce ainsi de vous, belle Iris ?
Amour est un bon Maistre, & qui sçait bien instruire ;
Les sentimens qu’il donne, il les fait exprimer,
Et vous ne sçavez pas aimer,
Si vous ne sçavez pas écrire.
On dispense de petits soins
Un cœur, que l’on est sçûr qui n’en pense pas moins ;
Et pour le vostre, il doit suffire
Que je ne luy demande pas
Du Voiture, ou du Vaugelas.
Le brillant du discours, belle Iris, est un piege ;
Marquez-moy seulement sans ordre & sans façon
Ce petit J'aime de College.
Qui fait d’un Ecolier la premiere leçon.

Consultation d’Amour §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 80-81.

Consultation d’Amour.

VOir une Belle, admirer ses attraits,
La regarder sans cesse, étudier ses charmes,
En sentir dans le cœur d’innocentes alarmes,
Et pousser malgré soy quelques soûpirs secrets.
La quitter tout chagrin, y resver nuit & jour,
Rougir en la nommant, se plaire à parler d’elle ;
Amy, pour qui l’Amour n’est pas chose nouvelle,
Est-ce-là ce qu’on nomme Amour ?
Je n’ay point, il est vray, de ces fortes ardeurs
Qui mettent, dit on, tout en cendre ;
Ce que je sens n’est que fort tendre,
Et mes plus grands chagrins ont de grandes douceurs.
Cependant aux transports dont mes sens sont ravis,
Mon coeur m’ose assurer que c’est ainsi qu’on aime.
Amy donne m’en ton avis,
Car je ne l’en crois pas luy-mesme.

Alcidon.

Rondeau Sur un Moineau que la perte de sa Femelle a fait mourir de douleur §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 82-83.

Rondeau

Sur un Moineau que la perte de sa Femelle a fait mourir de douleur.

Mourir d’amour est un fort grand suplice,
Le mal de dents, la galle, la jaunisse,
Et d’un Fievreux les accés ravageux,
Sont moins cruels, & bien moins affligeans ;
D'un si grand mal le Ciel nous garantisse.
Heureusement, pour peu que l’on gémisse,
On trouve assez quelque Beauté propice ;
Aussi voit-on aujourd’huy peu de Gens
            Mourir d’amour.
Le seul Moineau de l’aimable Clarice,
Pour sa femelle ardent comme un Novice,
Se trouvant veuf, ce Phénix des Amans,
Il en est mort dans la fleur de ses ans ;
Il n’est qu’un Sot, ou qu’un Moineau,
        qui puisse
                Mourir d’amour.

M. de Breteüil de la Lane, Conseiller du Roy, Lieutenant General du Bas Armagnac.

Sonnet §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 83-84.

Sonnet.

LE cœur d’Iphis se laissa prendre
Aux yeux brillans d’une Beauté,
Dont la jeunesse & la fierté
Ne voulurent jamais l’entendre.
Cet Amant malheureux & tendre
Se voyant toûjours mal-traité,
Et sans espoir d’estre écouté,
Fut assez fou pour s’aller pendre.
La Belle qu’il ne pût toucher,
Fut déslors changée en Rocher,
Pour avoir esté trop sauvage.
Le Ciel n’a pas moins d’équité,
Et je ne suis en verité
Ny moins amoureux, ny plus sage.

L'Inconnu, de Mesle en Poitou.

Fiction sur l’Origine des Mouches Galantes §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 84-88.

Fiction

sur l’Origine des Mouches Galantes.

L'Amour ne pouvoit souffrir sans chagrin l’indépendance des Mouches. On sçait qu’elles se multiplient & se conservent sans le secours de cette Divinité. Il devenoit encor plus chagrin contre elles par les plaisanteries de Momus, qui faisoit rire quelquefois les Immortels par une comparaison badine de l’Amour & des Mouches. N'ont-elles pas, disoit-il, un aiguillon qui leur sert de flêches, & des aisles comme luy ? Il n’y a que l’Amour & la Mouche qui osent distraire par leur importunité l’Homme le plus Philosophe du Monde. L'Amour piqué de ces railleries se fit une affaire d’exterminer les Mouches, comme cet Empereur Romain, qui s’enfermoit dans son Cabinet, pour en prendre. La belle Vénus approuvoit la vangeance de son Fils, & nourissoit de cette chasse les Moineaux de l’attelage de son Char. Ces Moineaux prirent goust à ce Gibier, & c’est ce qui les porta à faire une ligue offensive avec l’Amour contre les Mouches, qui n’ont pas aujourd’huy de plus terribles Ennemis qu’eux. Pour ce qui est de l’Amour, il se reservoit les aisles des Mouches comme autant de marques de Chasse. Il avoit remarqué que Diane en usoit ainsi, & que la porte de son Palais estoit couverte ou de Bois de Cerfs, ou de Testes de Renard, de Loup, ou de quelque autre Beste. Il estoit prest de suivre cet exemple, lors que Vénus luy remontra que c’estoit une Loy établie dans tout l’Univers de servir à l’Amour ; que les Precieuses de ce Monde devenoient Coquettes dans l’autre, & par conséquent qu’il estoit à propos de faire un usage galant de ces Aisles de Mouches. Elle luy fit comprendre qu’elle fourniroit assez de gomme, pour en attacher sur toutes celles qui dépendoient de luy, autant qu’il seroit necessaire pour donner de nouveaux charmes à leur beauté. L'Amour obeït à sa Mere, & les Mouches servirent si bien à la galanterie, que l’Amour ne pouvoit attendre une plus entiere satisfaction, puis qu’il y en a mesmes qui luy servent d’assassins. Pourquoy donc resister à l’Amour, puis que tost ou tard il a de nous, ou pied, ou aisle ?

Mr l’Abbé de la Valt

d’Aix en Provence.

Problème Tiré du Mercure Galant du Mois de juin 1678 §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 88-106.

Problème

Tiré du Mercure Galant du Mois de Juin 1678.

UN Viellard fort riche, charmé des cheveux blons d’une jeune Fille qui avoit peu de bien l’épousa. Quelque temps apres son Mariage, ayant reconnu l’artifice de sa Femme, & que ses beaux cheveux n’estoient à elle que parce qu’elle les avoit payez, il luy ordonna de se retirer chez sa Mere, & depuis il ne l’a pas voulu voir. On dit mesme qu’il prétend que cette tromperie est une cause suffisante pour faire rompre son Mariage. Il s’agit de sçavoir s’il est bien ou mal fondé en sa prétention.

POUR LA FEMME.

Si nous estions au temps des vieux Romains qui pouvoient faire divorce avec leurs Femmes, & les renvoyer chez leurs Parens, lors que (sans qu’il fust besoin d’autre raison) elles avoient le nez trop humide, la prétention du Mary auroit quelque couleur, car la tromperie de cacher des cheveux roux sous une coeffure blonde pourroit servir de pretexte au divorce dont il s’agit ; mais comme nous ne l’admettons en France que pour de fortes raisons, celle des cheveux roux au lieu de blonds paroist un peu trop foible, pour que le Viellard dupé puisse reüssir à faire rompre son Mariage. S'il s’est laissé enchainer par les cheveux blonds de sa Femme, & s’il n’a point eu de plus solide motif pour se marier que l’agrément de sa coeffure, il doit s’en prendre à luy-mesme, de n’avoir pas regardé ses cheveux de plus pres, afin d’en remarquer la tromperie, d’autant plus facile à découvrir, qu’elle est depuis longtemps tres-commune en France, & il y a lieu de s’étonner qu’un Homme de son âge ait esté engagé par une chose qui au fond ne vaut pas qu’on en fasse état.

En effet, n’est-ce pas estre de fort mauvais goust que de faire ses délices d’un excrément que la Nature rejette, d’un excrément de la troisiéme concoction, provenant des vapeurs fuligineuses qui sortent par les soupiraux ou pores étroits de la peau, lesquelles vapeurs estant dessechées par une chaleur modérée prennent la forme de cheveux ? Les plus habiles Medecins & Chirurgiens en mettent pas les cheveux non-plus que le poil & la barbe, au nombre des parties du corps, tant parce qu’ils sont sans vie, que parce que ce ne sont que des productions d’une humeur visqueuse qui est attaché au dessous de la peau, laquelle humeur provient de la superfluité des alimens dont la plus crasse & la plus terrestre partie ne pouvant s’exhaler & s’évaporer, leur sert de matiere. Cet excrement se pousse au dehors successivement, & quoy qu’il soit gluant & humide de sa nature, l’air le rend sec et dur à peu pres comme le Corail qui n’estant dans l’eau qu’une herbe molle, s’endurcit à mesure qu’il sort des eaux.

Ambroise Paré dans son Traité des Monstres en dépeint un, qui donne non seulement du dégoust, mais mesme quelque sorte d’horreur pour les cheveux. Ce Monstre dont il parle, & dont il a eu soin de faire graver la figure d’apres nature, ressemble à la teste de Méduse, excepté qu’il a le visage d’un Homme, car ses cheveux & sa barbe sont de petits serpens qui estoient tous vifs lors qu’il fut découvert. Cet Autheur digne de foy, tant par sa qualité de premier Chirurgien du Roy Henry III. Que par sa haute suffisance, & par la réputation qu’il a d’estre fort exact, dit que ce Monstre fut trouvé à Autun dans un œuf le 15. Mars 1569. chez un Avocat nommé Baucheron, par une Servante qui cassoit des œufs, de l’un desquels elle vit sortir ce Monstre, & qu’ayant donné de la glaire de cet œuf à un Chat il en mourut subitement. Il ajoûte que le Baron de Senecey, Chevalier de l’Ordre, estant averty d’une si prodigieuse avanture, & s’estant fait aporter ce mesme Monstre, l’envoya au Roy Charles IX. Qui estoit pour lors à Mets.

C'est par raison du mépris qu’on doit faire des cheveux, que les Peintres & les Sculpteurs, qui d’ordinaire tendent autant qu’ils peuvent à la plus grande perfection, nous representent toûjours sans cheveux Socrate, Diogene, & plusieurs autres grands Personnages, pour marquer que la sagesse est dans les Testes chauves, ou qu’en tout cas les Sages negligent les cheveux, comme quelque chose d’inutile & de superflu ; & quand les mesmes Peintres & Sculpteurs veulent nous donner l’idée d’un Homme qui médite un adultere, ou qui mene une vie molle & effeminée, ils le representent avec une chevelure bien frisée & bien poudrée, comme un ornement necessaire à la coquetterie & au libertinage. La raison est que les jeunes Gens, qui sont ordinairement capables de ces sortes d’actions, ont plus de soin de leurs cheveux que de toute autre chose. Quand ils sont ensemble, ils ne parlent que de leurs Perruques. L'un éxaminant celle de l’autre, dit qu’il y a trop ou pas assez de cheveux ; qu’elle est trop longue ou trop courte, trop ou pas assez frisée ; trop noire ou trop blonde ; qu’elle a bon ou mauvais air. Il s’informe du nom du Perruquier ; s’il a grand debit ou non ; en un mot la pluspart du temps leur Perruques servent d’unique matiere à leurs entretiens, & leur plus ordinaire occupation est de consulter leur Miroir le peigne à la main. C'est sans-doute de ceux là que Seneque se moque, disant qu’ils aimeroient mieux que l’Empire Romain fust en desordre, qu’un seul de leurs cheveux fust hors de sa place.

Mais ce qui doit achever de nous donner le dernier mépris pour les cheveux, est que nous voyons que la chevelure n’est jamais plus belle & plus épaisse que quand l’interieur de la teste est vuide de sens & de science ; car les cheveux tombent à l’âge qu’on aquiert de l’expérience & de l’habileté, de maniere qu’il semble que la prudence soit naturellement incompatible avec la belle chevelure.

Joignez à cela que les cheveux & les longues barbes ont quelquefois esté cause que de grandes Armées ont esté entierement défaites. Témoin l’Armée d’Alexandre, qui un peu avant la fameuse Bataille d’Arbelle, courut risque, quoy qu’accoûtumée à vaincre, d’estre mise en déroute par celle de Darius, parce que les Macedoniens ayant de longs cheveux & de longues barbes qu’ils avoient laissé croistre dans la veuë de se rendre plus terribles, & les Persans s’estant assurez contre ce vain épouventail, les saisissoient tantost aux cheveux, tantost à la barbe, & les tuoient fort facilement apres les avoir renversez par terre. L'Histoire dit que le carnage devint si grand par ce moyen, qu’Alexandre honteux de sa défaite, estoit sur le point de se retirer dans la Cilicie, & que mesme ses propres Troupes commençoient à le tourner en ridicule, pour avoir donné occasion à la Victoire des Persans par l’affectation de nourrir de longs cheveux, si ayant fait sonner fort à propos la retraite, il ne se fust avisé de faire raser ses Soldats par un grand nombre de Barbier qu’il dispersa dans son Camp, ce qui fit un si bon effet, que le Combat ayant esté engage de nouveau, les Macédoniens sur qui les Persans n’avoient plus de prise, réparerent leur perte avec avantage.

Avicenne, fameux Medecin, dit sçavoir par expérience qu’en se faisant couper les cheveux on en voit plus clair, parce qu’ils attirent & consument les vapeurs fuligineuses qui obscurcissent la veuë. La mesme expérience fait connoistre qu’on doit se faire raser les cheveux de fort pres, d’autant que par ce moyen on évite de notables incommoditez & quelquefois des maladies. Celse est d’avis que ceux qui sont sujets à la migraine, usent de ce remede, faisant entendre qu’il est specifique & souverain. Les Femmes de Sycionie se faisoient couper entierement les cheveux, & les consacroient à Hygia Fille d’Esculape, c’est à dire, à la Santé, Aristote afin de mieux porter, se faisoit raser le sommet de la teste, & du temps de Galien les Medecins ne nourrissoient point de cheveux, estimant qu’ils estoient nuisibles à la santé. Plusieurs Nations se rasent entierement les cheveux dans la pensée qu’ils sont inutiles, & qu’ils peuvent plustost nuire que servir. On pourroit en raporter un grand nombre d’Exemples étrangers, mais on croit qu’il vaut mieux n’en citer que de familiers & qui nous sont comme domestiques. Il paroist par les Médailles, & par les Portraits qui restent du plus ancien de nos Rois, qu’il n’en laissoit point voir, ou fort peu. Cherebert, Childeric II. Theodoric I. & Theodoric II. Charles le Chauve, Eude, Louïs le Jeune, Charles le Bel, Jean, François I. Charles IX. Henry III. & Henry IV. les faisoient couper de fort pres. Philipe le Bon, Duc de Bourgogne, fit un Edit en 1460. par lequel il ordonna à ses Courtisans de se raser les cheveux ; & cette nouvelle mode qui pour lors parut bizarre & ridicule dans son commencement, devint generale peu de temps apres, non seulement en Flandre, mais par toute l’Europe. On regarde avec horreur une Comette, parce qu’elle est cheveluë, & l’on croit communément que la chevelure de ce funeste Mercore marque la malignité de ses influences. De-là vient qu’ayant paru un de ces Feux étranges qui sembloit présager la mort de Vespasien, cet Empereur dit agreablement qu’une telle menace n’estoit pas pour luy, mais pour le Roy des Parthes qui portoit une longue chevelure. Les Sauvages qui en ce qui regarde l’esprit ne sont que des demy-Hommes, ont des cheveux fort longs & sont presque entierement couverts de poil, à peu-pres comme les Bestes brutes.

Parmy les Chiens de chasse, ceux là sont ordinairement les meilleurs (au sentiment des Chasseurs) qui sont le moins chargez de poil, au lieu que ceux qui en ont beaucoup sont étonnez, étourdis, & peu propres à la chasse. Ovide faisant le Portrait du monstrueux Polypheme, dit qu’une longue & épaisse chevelure luy cachoit une partis de son affreux visage, & luy battoit sur les épaules.

Enfin les Demons dont il est parlé dans l’Apocalypse sous la forme de Sauterelles, sont dépeints avec de longs cheveux, comme s’ils estoient plus laids et plus terribles.

Quant à ce qu’on dit, que la jeune Femme que le Veillard veut repudier, a les cheveux roux, c’est plûstost un avantage qu’un defaut, car plus les choses aprochent de leur premiere nature, plus elles sont parfaites. Or le premier Homme estoit roux, (& c’est par cette raison qu’il fut nommé Adan, qui en Hebreu signifie roux) & la terre dont il fut formé estoit de couleur rousse. L'Ecriture parlant de David, dit qu’il avoit le visage beau & qu’il estoit roux, ce qui monstre que la couleur rousse n’est pas contraire à la beauté. La mesme Ecriture semble en plusieurs endroits ne faire aucune difference entre la couleur blanche & la rousse. Je ne sçay si ce n’est point parce que les roux sont d’ordinaire fort blancs. Il est visible que les Astres & le plus precieux des Metaux, sont roux, ou peu s’en faut. Les anciens Gaulois aimoient les Personnes rousses, & aujourd’hui les Italiens les aiment & les préferent aux autres. Parmy les Orientaux & quelques autres Peuples, la couleur rousse a l’avantage sur les autres couleurs. Ainsi on peut conclure par toutes ces raisons, que le Viellard qui veut abandonner sa Femme parce qu’elle est rousse, est un peu trop délicat, & qu’en tout cas il y a lieu de faire compensation des cheveux roux de la Femme avec sa viellesse, qui est une maladie continuelle & incurable.

On doit répondre pour le Viellard, & je ne doute point, Madame, que vous ne vous fassiez un plaisir de voir les raisons dont on se servira pour demander la rupture du Mariage.

[Trois Sonnets imitant trois autres de Pétrarque] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 106-112.

Les trois Sonnets qui suivent sont une imitation de trois autres de Petrarque, dont les premiers Vers vous sont marquez. Mr  Chaluet Avocat à Marseille en est l’Autheur. Il a beaucoup de talent pour-la Poësie, & doit donner au Public avant qu’il soit peu, la Traduction de ce qui nous reste des œuvres de Petrarque.

Imitation du Sonnet de Petrarque, qui commence, Asprocuore e selvagio, e cruda voglia, &c.

Sonnet.

D'Un visage si beau la trompeuse douceur
Cache aux yeux d’un Amant une ame si farouche !
Si de quelque pitié ma peine ne la touche,
Mes dépoüilles, Iris, vous feront peu d’honneur.
Car enfin je succombe à ma vive douleur ;
soit que l’Astre du jour ou se leve, ou se couche,
Sans cesse je languis la plainte dans la bouche.
Les larmes dans les yeux, & l’ennuy dans le cœur.
Mais quand il me souvient qu’une goute impuissante
Peu caver les Rochers par sa chute fréquente,
Alors de quelque espoir mon esprit est flaté.
Le cœur d’Iris est dur ; mais le long cours des larmes
Peut amolir enfin toute sa dureté ;
Il n’est rien qui ne-cede à de si douces armes.

Imitation du Sonnet de Petrarque, qui commence, Amor che vedi ogni pensiero aperto, &c.

Sonnet Libre.

TOy qui n’ignores pas le secret de mon ame,
Ny le rude chemin par où tu me conduis ;
Amour, jette les yeux où tu portes ta flâme,
Voy le fond de mon cœur que tu remplis d’ennuis.
Si je cesse d’aimer, je doy cesser de vivre :
Mais helas ! Que l’on souffre à courir apres toy !
Tu sçais que je n’ay pas des aisles pour te suivre ;
Ne veux-tu pas avoir quelque pitié de moy ?
Ah ! Ne me presse plus ; de loin je la voy luire
Cette douce lumiere où tu veux me conduire,
Pour me faire trouver un glorieux trepas.
Laisse mon triste cœur, & souffre qu’il desire,
Je me croy trop heureux, si lors que je soûpire,
Celle pour qui je meurs ne s’en offence pas.

Imitation du Sonnet de Petrarque, qui commence, S'amor non è, ch'è dunque quel ch'i sento ?

Sonnet Libre.

SI ce n’est pas amour, qu’est-ce donc que je sens ?
Mais si c’estoit amour, Dieux ! Quelle est sa nature ?
Si c’est un mal, d’où vient ce qui flate mes sens ?
Si c’est un bien, d’où vient la peine que j’endure ?
Pourquoy verser des pleurs, & pousser des soûpirs,
Si le feu dont je brûle a pour moy tant de Charmes ?
Et s’il est si contraire à mes libres desirs,
Dequoy peuvent servir les soûpirs & les larmes ?
Poison délicieux ! Agreable tourment !
As-tu tant de pouvoir sur le cœur d’un Amant,
Quand mesme il ne veut pas consentir à sa peine ?
Et si mon triste cœur de mille maux atteint,
Y consent en secret lors mesme qu’il s’en plaint,
Que je le trouve injuste, & que sa plainte est vaine.

[Autres Pièces : Le Berger Heureux et Élégie] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 112-118.

Voicy d’autres Pieces qui portent leur recommandation par elles-mesmes ; ainsi je ne vous dis rien à leur avantage.

Le Berger Heureux,

preferé à son Rival par sa Maitresse, à ses yeux mesmes.

ADieu, Prairie, adieu, puis que l’ingrate Annette
Ne veut plus écouter mes chants, ny ma Musette ;
Adieu, je vais ailleurs conduire mes Moutons,
Tu ne les verras plus dancer sur tes gazons,
Ny pastre ton herbette.
C'est ainsi que Tirsis si plaignoit l’autre jour
Au bord de ces Fontaines.
Sa voix faisoit redire aux Echos d’alentour
Le sujet de ses peines,
Tandis que la Bergére assise aupres de moy,
Recevant mon cœur & ma foy,
Estoit insensible à ses plaintes,
Et voyoit sans pitié ses mortelles atteintes.
Ah ! Quel plaisir de voir son Rival malheureux,
Et d’estre aimé de sa Maistresse !
Je fus prest d’expirer de joye & de tendresse,
Quand Tircis de douleur expiroit à mes yeux.
Ah qu’il est doux d’aimer, & d’estre seul heureux !

Elegie.

Quel sinistre présage allarme ma franchise,
Et me prédit des maux que ma crainte autorise ?
Mes sens ont-ils juré de perdre ma raison ?
Trament-ils en secret quelque autre trahison
Et mon cœur à grand peine échapé du naufrage ?
Veut-il tenter encor la tempeste & l’orage ?
Funestes souvenirs de mes derniers malheurs,
Vous qui m’avez cousté tant d’inutiles pleurs,
Restes mal étouffez d’une flame mourante,
Ranimez promptement son ardeur languissante,
Et ne permettez pas, de vostre honneur jaloux,
Que d’autres dans mon cœur soient plus puissans que vous.
Et vous, superbe Iris, à qui tout rend les armes,
Ne défendez-vous point la gloire de vos charmes,
Et me permettez-vous d’offrir en d’autres lieux
Un Encens que l’Amour destinoit pour vos yeux ?
Verrez-vous, sans rougir de dépit & de honte,
Qu'une fiere Rivale aujourd’huy vous surmonte,
Et qu’un Cœur dés longtemps captif dans vos liens,
En sorte malgré vous, pour entrer dans les siens ?
Non, non, je ne veux point estre tout infidelle,
Mais souffrez que mon cœur se partage avec elle.
Souffrez, sans écouter un sentiment jaloux,
Que je brûle pour elle en soûpirant pour vous,
Et que pour satisfaire à l’une autant qu’à l’autre,
J'entre dans sa prison sans sortir de la vostre.
Mais que dois-je esperer de deux jaloux Vainqueurs,
Pour des soins partagez, que de justes rigueurs ?
Fixe plustost, mon cœur, ton panchant qui chancelle,
Ou sois tout inconstant, ou bien sois tout fidelle,
Et pour ne point subir d’infaillibles mépris,
N'aime rien que Climene, ou n’aime rien qu’Iris.
Entre ces deux Beautez d’une égale puissance,
Amour, dis moy pour qui doit pancher la balance,
Et des deux sentimens qui partagent mon cœur,
Détermine celuy qui doit estre vainqueur.
L'une & l’autre à mes yeux paroist pleine de charmes,
Je me sans attaqué par de pareilles armes,
Et mon cœur à se rendre auroit moins attendu,
Si par ses Ennemis il n’estoit défendu.
Iris le retiendroit sans effort & sans peine,
S'il estoit moins sensible aux attraits de Climene ;
Et Climene à son tour l’auroit bientost surpris,
S'il n’estoit prévenu pour les charmes d’Iris.
Heureux si je pouvois étouffer dans mon ame
La naissance & la fin de cette double flame,
Combatre un feu par l’autre, & travailler si bien,
Que voulant trop aimer, je n’aimasse plus rien.

À Monsieur D. M. sous le nom de Philandre §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 118-122.

À Monsieur D. M. sous le nom de Philandre.

J'Ay à vous donner avis, Monsieur, d’une affaire qui vous concerne aussi bien que moy.

Ce matin au plus frais du jour
J'estois dedans le Luxembourg
Assis sous un sombre feüillage,
Du petit Rossignol écoutant le ramage,
Quand du milieu d’un Pré tout émaillé de fleurs,
Que l’Aurore venoit de moüiller de ses pleurs,
Un Zéphir est venu parestre,
Et faisant trois bon alantour,
M'a fort civilement souhaité le bonjour
De la part du Printemps son Maistre :
Il estoit chargé d’un Paquet
Qu'en mes mains il devoit remettre,
Où j’ay trouvé ce mot de Lettre
Datté du Plessis-Picquet.

LETTRE du Printemps,

Aux Illustres Chevaliers des Plaisirs Alcidon, Alcipe & Philandre.

Il y a plus de quinze jours que les Plaisirs vous attendent, Illustres Chevaliers. Ils se sont rendus icy par ordre pour vous y recevoir avec plus de magnificence. Ma Cour est plus belle qu’elle n’a jamais esté, & l’esperance de vous y posseder bien-tost y a tant attiré de jeux, de graces & de charmes, que vous y trouverez un second Siecle d’or. Pour moy sans vanité j’ay fait tout ce que je pouvois faire, puis que malgré les avantages que j’avois sur l’Hyver & l’Esté mes perpetuels Ennemis, j’ay bien voulu accorder treve à l’un & à l’autre pour l’amour de vous, de crainte que pendant le séjour que vous ferez en ces lieux, ils ne troublassent par quelque acte d’hostilité vostre repos, & les douceurs dont je prétens vous régaler ; ainsi vous n’aurez point à redouter ny le froid du matin, ny la trop grande chaleur du Midy. Flore s’y est aussi assez bien employée de son costé. Vous ne verrez icy que de ses Ouvrages : tout mon Palais est tendu de riches Tapisseries de Tulipes, d’Anemones, de Narcisses, de Couronnes Imperiales, & de tout ce qui est jamais party de plus beau de ses sçavantes mains. Le mois de May arrivera Mardy sans faute, accompagné de ses plus beaux jours pour rendre la Feste plus celebre. Le pauvre Avril vous sçait fort mauvais gré de n’estre pas venus comme vous luy aviez promis pendant qu’il estoit de quartier ; mais ce fera, je vous assure, le seul mécontent que vous ferez. Du Plessis Piquet le 29. Avril, & de nostre Regne le ….. signé, Printemps.

Voilà, Monsieur, une Lettre bien obligeante & bien familiere pour venir de la part d’un grand Roy. Elle m’a tellement surpris d’abord, que quoy que je fusse bien certain de n’estre pas des-avoüé, je n’ay osé rendre aucune réponce à cet Ambassadeur, je l’ay seulement prié d’assurer son Maistre de mes tres-humbles respects. Au reste je ne vous envoye point l’original de cette Lettre. Elle est écrite sur un papier si délicat & si fin, que je craindrois qu’on ne la rompit en vous la portant. J'attens à vous la montrer à nostre premiere veuë, & suis vostre tres, &c.

Alcidon.

[De l’origine de la Porcelaine] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 122-142.

Pour diversifier la matiere, je passe, Madame aux nouvelles que vous me demandez de la Foire de S. Laurens. Elle est toujours ce que vous l’avez veuë, c’est à dire un assemblage de Monstres, de Raretez, & de Beautez. Les Monstres sont aux environs des principales Entrées. On les y fait venir de toutes les Parties du Monde, & on peut satisfaire sa curiosoté là-dessus pour peu de chose. Les Raretez sont dans les Boutiques, & la veuë n’en couste rien. Quant aux Beautez, elles se promenent tous les soirs dans la Foire, & quoy qu’on les voye facilement, c’est un plaisir que beaucoup de Regardans achetent quelquefois bien cher. Parmy les Raretez qui n’y manquent presque jamais, il s’en est veu cette année d’extraordinaires. Ce sont les Porcelaines que Madame la Duchesse de Clevenand y a fait vendre. Il y en avoit d’admirables par leurs figures, par les choses qui estoient representées dessus, & par la diversité de leur couleurs. Les plus rares estoient montées ou d’or, ou de vermeil doré, & garnies diversement de la mesme matiere en plusieurs endroits. Comme on me les avoit fort vantées, je me hastay de les aller voir. À peine commençois-je à considérer tant de merveilles de la Nature & de l’Art, quand je vis entrer une Compagnie de ma connoissance dans la Boutique où elles estoient exposées aux Curieux. Un fort galant Homme donnoit la main à une jeune Veuve dont on ne le croit pas hay ; & comme la Dame avoit toûjours estimé les Porcelaines ordinaires, elle fut charmée de celles de Madame la Duchesse de Cleveland (j’entens de celles qui estoient de diverses couleurs, & elle ne pouvoit comprendre comment une mesme Personne avoit amassé un si grand nombre de Pieces si rares. Le Cavalier luy fit connoistre qu’il n’y avoit pas lieu de s’étonner que Madame de Cleveland eust fait cet amas en Angleterre, & que c’estoit l’élite des plus belles Porcelaines que plusieurs Vaisseaux de ce Païs y avoient apportées pendant plusieurs années de tous le lieux où ils avoient accés pour le Commerce. On les admira toutes en general, & chacun parla de celles qui luy plaisoient davantage. La Dame fit comme les autres, & en marqua quelques-unes où elle trouvoit une plus agreable diversité de couleurs. On demanda en suite s’il falloit dire Pourcelines, ou Porcelaines. La plûpart furent pour ce premier nom. Le Cavalier qui avoit beaucoup leû, & encore plus voyagé, soûtint que c’estoit mal dit ; que les Chinois mesmes n’avoient point d’autre mot que celuy de Porcelaine, & qu’on l’avoit trouvé si facile à prononcer, que nous l’avions conservé en France, quoy qu’il fust purement Chinois. Il ajoûta que ce mot estoit si vieux, qu’on ne sçavoit pas mesme dans le Païs pourquoy on l’avait donné à cette sorte de terre dont on fait la Porcelaine, & que la plus commune opinion estoit qu’il avoit quelque raport avec le nom de celuy qui s’avisa le premier d’en former des Vases. Ce n’est pas la seule chose dont nous ne connoissons point l’origine. La Dame fit une autre Question, & voulut sçavoir s’il estoit vray que la Porcelaine eust besoin d’estre enterrée cent ans pour estre parfaite, comme beaucoup se le persuadent en France & en d’autres lieux, en sorte que celuy qui luy donnoit la premiere forme, n’avoit jamais la joye de voir l’ouvrage dans son entiere beauté. Le Cavalier entamoit déjà cette matiere, quand plusieurs Personnes de qualité arriverent dans cette Boutique. La Conversation changea par cette augmentation de Compagnie. On parla de Paix & de Guerre, & comme on fit Partie pour les divertissemens de la Foire, la Dame qui vouloit estre éclaircie sur la Porcelaine, pria le Cavalier de luy rendre visite le lendemain, afin de résoudre sa Question. Je fus bien aise d’entendre ce qu’il diroit, & me rendis chez cette aimable Personne de fort bonne heure. Le Cavalier n’y vint point, mais il en usa galamment, en luy envoyant les Porcelaines qu’elle avoit préferées aux autres, avec une Lettre qui luy apprenoit plus qu’elle n’avoit demandé. Elle se défendit de recevoir le Présens ; mais le Porteur qui avoit ses ordres, n’attendit point de Réponse, & laissa outre les Porcelaines, un Tableau qui representoient une magnifique Tour. La Dame, apres avoir parcouru la Lettre, ne me permis pas seulement de la lire, mais d’en prendre Copie, que je la priay de me donner. Elle estoit conçeuë en ces termes.

À Madame**

Je vous conjure, Madame, de ne pas refuser les Porcelaines que je remarquay hier qui vous avoient plû. Ce n’est qu’à cette condition que je vay satisfaire vostre curiosité, & vous dire tout ce que je sçay des Porcelaines en general. Comme elles sont devenuës un meuble quasi necessaire, vous avez des Amies qui seront peut-estre bien-aises d’apprendre de vous, dequoy elles parlent quand elles s’entretiennent de ce qui fait une partie de l’ornement des Appartemens les plus somptueux. Il est certain que la plus belle, c’est à dire ce qu’on appelle veritable Porcelaine, vient de la Chine, & que les Chinois qui en font beaucoup exprés pour eux, en font moins de bleües que de vertes, de rouges & de jaunes. Ce qui est cause que nous n’en voyons presque en Europe que de cette premiere couleur, c’est que les Marchands qui trafiquent dans la Chine, sçachant que nous préferons icy les bleües, n’en choisissent presque jamais d’autres. Cependant il semble que la mode d’en aporter de toutes les couleurs soit sur le point de commencer. On ne peut faire de Porcelaine à la Chine que dans une petite étenduë de Païs. On va prendre la terre dont on la forme dans une autre Province que celle où elle se fait, car dans la Province où cette terre se trouve, il est impossible d’en faire de bonne, soit que la qualité des eaux soit contraire, soit que le bois ne puisse faire un feu assez sec. La terre dont on se sert pour cet admirable travail est maigre, menuë, & luisante Ainsi, Madame, quand vous trouvez icy des Porcelaines qui n’ont point cette derniere qualité dans la mesme perfection que les autres, vous ne devez point douter qu’elles n’ayent esté refaites. En voicy la raison. Quand la Porcelaine est cassée, on en broye & pile les morceaux, & ces morceaux ainsi broyer, servent à en faire de nouvelles qui n’ont plus l’éclat & la beauté des premiéres. Comme les couleurs qu’on y met ne font autre chose qu’une peinture, vous jugez bien que les rouges, les vertes, & les jaunes, ne doivent pas estre plus rares que les bleuës. Cependant il est tres-vray que la Porcelaine est fort difficile à faire, & que le secret n’en est pas sçeu de tous les Chinois. Cette Science les rend extrémement fiers, & qui en feroit part à d’autres qu’à ses Heritiers, seroit estimé tres criminel parmy eux. La terre dont on fait les Porcelaines, se prépare de diferentes manieres. Les uns en font dés qu’ils la reçoivent, & les autres tout au contraire la font secher jusqu’à ce qu’elle soit dure comme un caillou. Ils la broyent, & pilent en suite dans des Mortiers ou Moulins, la pétrissent avec de l’eau, & en forment des Vases qu’ils exposent longtemps au vent & au Soleil, avant que d’y mettre la derniere main. Apres qu’ils sont bien sechez, on les met dans des Fourneaux à bois, qu’on bouche avec soin, & où l’on entretient le feu pendant quinze jours. On les y laisse encor le mesme espace de temps, afin qu’estant refroidis lentement, ils soient moins sujets à se casser, car l’experience a fait voir que lors qu’on les a tirez tout rouges hors du feu, ils avoient autant de fragilité que le verre. Ce feu doit estre de bois sec & clair, autrement la fumée gâteroit tout. Les trente jours estant expirez, l’Intendant de ce Mestier vient déboucher les Fourneaux, & en tire le cinquième Vase pour l’Empereur. Avoüez Madame, vous qui aimez la Porcelaine autant que vous faites, que vous ne sçaurez lire cet endroit sans souhaiter de vous voir Reyne de la Chine, afin d’estre maistresse d’une si grande quantité de Vases exquis. La bonne Porcelaine a toutes les merveilleuses qualitez que vous sçavez qu’on luy attribuë. Elle endure le feu des viandes chaudes, & ce feu ne la fend jamais. Elle se rejoint si aisément, & la matiere en est si unie, qu’estant cassée, elle retient l’eau, pourveu seulement qu’on en lie les morceaux avec un fil d’archal. Croirez-vous apres cela ce qu’on vous a voulu persuader, & que beaucoup de Gens croyent encor aujourd’huy, que la Porcelaine ne se fait que de calles d’œufs, ou de coquilles de Mer pilées, dont la poudre se garde en masse cent ans dans la terre avant qu’on en forme les Vases que nous voyons ? Quoy que la Porcelaine se fasse à la Chine, vous pouvez conoistre apres tout ce que je viens de vous expliquer, qu’elle n’y est pas si commune. Cependant il y a un Bastiment en ce Païs-là tout de Porcelaine, qui passeroit icy pour une Merveille, & qui cousteroit des sommes immenses, quand il ne seroit basty que de nos Pierres, & mesme sur le bord de nos Carrieres. C'est une Tour que je vous prie de considerer dans le Tableau que je vous envoye. Elle peut passer pour la huitiéme Merveille du Monde, & passeroit peut-estre pour la premiere, si elle avoit l’avantage de l’Antiquité. Comme elle est entierement de ce qu’on appelle icy veritable Porcelaine, le prix n’en pourroit estre estimé, si elle estoit ailleurs que dans le Païs. Elle paroist toute d’une piece, tant chaque morceau en est bien joint. Cette Tour a neuf Etages voûtez, & chaque Etage une Gallerie à balustrades qui regne tout autour, & dont l’ouvrage est si merveilleux, qu’il n’est pas possible d’en exprimer la beauté. Les Fenestres de cette Tour sont rondes, & entre chacune il y a de petites Ouvertures quarrées qui sont plus élevées que ces Fenestres. Ces Ouvertures sont fermées comme des Jalousies, d’une matiere qui ressemble à de l’argent. Toutes les Porcelaines qui forment cette Tour, sont vertes, rouges, & jaunes. Il n’y en a que tres-peu de bleuës. Quand elles sont frapées du Soleil, le luisant qu’elles ont par elles-mesmes rend un éclat si ébloüissant, que les yeux ne le sçauroient soütenir. Joignez à cela le brillant des Balustres, des petites Fenestres dont je vous viens de parler, & de neuf toits verts qui sont au dessus de chaque Gallerie, & que le Verny rend luisans, Huit Solivaux dorez & travaillez admirablement, sortent de chaque toit d’un espace égal, de maniere que chaque toit est partagé en huit pans. Au bout de chaque Solivau pend une petite Cloche de cuivre attachée à une chaîne d’or. Le vent fait quelquefois sonner toutes ces Cloches ensemble, & elles ont une si agreable varieté dans leur son, que le plus mélancolique en est diverty. La pointe de cette Tour est ornée d’une Pomme de Pin d’or d’une grosseur proportionnée à tout l’Ouvrage. Il y a plusieurs Cercles d’or au dessous, qui entourent une maniere de Baston de mesme métal, sur le bout duquel et la Pomme de Pin. Plusieurs Chaînes d’or pendent des premieres feüilles de cette Pomme, & retombent jusques sur les bouts des Solivaux qui saillent de la voûte du dernier Etage, & ausquelles pendent les Cloches de cette derniere voûte. J'oubliois à vous dire que le pied de cette Tour est environné d’une Terasse fort large. Une Balustrade la borde, & regne aux costez des degrez par lesques on monte sur cette Terrasse. On entre dans la Tour par vingt-quatre Portes rondes, au dessus desquelles est un toit de la maniere de ceux dont je vous ay déjà parlé, mais beaucoup plus grand. Je ne vous dis rien de ce qui se voit sur tout cet Ouvrage, puis que vous pouvez distinguer plusieurs Figures dans le Dessein que je vous envoye. Il y a pres de huit cens ans que les Tartares ayant envahy le Royaume de la Chine, obligerent ceux du Païs de dresser cette Tour comme un monument de leurs Victoires.

Il sera peut-estre peu galant de finir ma Lettre, sans vous parler de ce qui me tient plus au cœur que la Porcelaine ; mais, Madame, si ce que je vous auray appris sur cette matiere ne vous occupe pas tout-à fait l’Esprit, j’espere que vous voudrez bien entendre dans toute sa force, la sincere protestation que je fais d’estre tant que je vivray, vostre tres, &c.

Apres la lecture de cette Lettre, nous éxaminâmes, la Dame & moy, le Tableau de cette Tour. Comme le Coloris y estoit, rien ne parut si beau à mes yeux. Je résolus aussi-tost de la faire graver pour vous. Je l’ay fait. Je vous l’envoye. Regardez-la à loisir, & representez vous les beautez que le Coloris y ajoûte, ou plûtost jugez de celles de la Tour mesme telle qu’elle est dans la Chine. Je t’acheray de vous envoyez souvent des choses curieuses.

Ode Bachique §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 142-146.

Je reviens aux Ouvrages d’esprit. L'ode Bachique que vous allez voir sera pour vos Amis de bon goust. Elle est de saison. Nous sommes dans le plus fort des Vendanges.

Ode Bachique.

DAmon, c’est une folie
De se tourmenter si fort,
Pendant le cours de la vie,
Du renom qui suit la mort.
Détachons-nous de l’étude,
Remplissons sans servitude
Les devoirs de nostre employ ;
Et du Rustique incommode
qui veut qu’on vive à sa mode,
Méprisons la sote Loy.
Quelques avantage qu’on tire
Des Biens & de la Grandeur,
Ont-ils jamais pû suffire
Au gouffre de nostre cœur ?
Que du Gange jusqu’au Tage
Un chacun nous rende hommage ;
Que l’Amour suive nos pas,
Cette gloire est importune,
Si parmy tant de fortune
Nous ne nous possedons pas.
Renfermons-nous dans ta Chambre ;
Là dans le sein du repos,
Et sans froid malgré Décembre,
Nous pouvons vuider les Pots.
C'est par le Vin qu’une année
Dure moins qu’une journée ;
Il annoblit nos desirs,
Et c’est dans cette Fontaine
Que l’on recouvre sans peine
La jeunesse & les plaisirs.
Qu'un affamé Parasite
D'un air soûmis & content,
Vienne affronter ma Marmite,
Et s’en raille en me quittant ;
Qu'un autre Sauvage en Beste
Contre toy gronde & tempeste,
Pourquoy s’en mettre en couroux ?
Reputerons-nous injure
Un pur effet de Nature,
Dont la cause est hors de nous ?
Buvons, & de leur foiblesse
Ne nous inquiétons pas.
C'est avoir peu de sagesse
Que de vouloir plaire au Fats.
La Pierre Philosophale,
Et l’amitié genérale,
Tromperont toûjours nos vœux,
Et je ne sçay point de voye,
Loin du Vin & de la joye,
Qui puisse nous rendre heureux.
Ménageons l’âge qui passe,
N'en perdons pas un moment.
L'on ne vuide point de Tasse
Dans le sombre Monument.
Il n’est point là de memoire
Des Richesses, de la Gloire,
Des bons Mots, ny des Festins ;
Et pour revoir la lumiere,
Il n’est plainte ny priere qui fléchisse les Destins.
À quoy bon ces soins extrémes,
Et tous ces vastes desseins
Qui nous rendent de nous-mesmes
Avant le terme assassins ?
Pour moy, loin du sot Vulgaire,
Et de la dent de Vipere,
Je vis plus content qu’un Roy ;
Et dés que le Ciel m’envoye
Du bon Vin & de la joye,
Nul n’est si content que moy.
Quelque panchant qu’on me donne
Pour les plaisirs amoureux,
En te voyant j’abandonne
Philis, & mes tendres vœux.
Aussi veux-je que ma veine
Qui pour toy coule sans peine,
Quittant ce triste1* Climat,
Grave au Temple de Memoire,
Que des rayons de ta gloire
Elle tire son éclat.

La Reservée §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 147.

La Reservée.

Vostre cœur, belle Iris, est-il si precieux,
Que jamais l’amour ne le touche ?
Et s’il ne daigne pas s’expliquer par la bouche,
Que sont les brillans dans les yeux ?
Ah ne me dites point tant de si belles choses,
Iris, tréve d’esprit, le cœur en est jaloux ;
Des Billets où je vois les fleuretes écloses
Me donnent soupçon entre nous ;
Il faut à vos discours des gloses comme au Code.
J'aimeroit cent fois mieux, sans façon, ny méthode,
Un Je vous aime tendre & doux.

L'Amour Poete, Rondeau §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 148-149.

L'Amour

Poete,

Rondeau.

FAire des vers n’est pas chose facile,
Et c’est à tort, belle & jeune Amarille,
Que vous voulez qu’on fasse à tout moment
Quelque Poëme agreable & charmant,
Comme eust pû faire Horace, ou bien Virgile.
Ce me seroit une peine inutile,
Et je perdrois bientost le jugement,
Si je voulois sur vostre éloignement
    Faire des Vers.
Mais en voilà, ce me semble, un fragment ;
Phébus sans-doute aujourd’huy me dément.
Ah ! je sens bien qu’une flame subtile
Pour vos beaux yeux rend ma veine fertile,
Et que l’on peut, dès que l’on est Amant,
    Faire des Vers.

L'Amant Indifférent, Madrigal §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 149-150.

L'Amant

Indiferent,

Madrigal.

SI j’estois un peu délicat
Sur le plaisir d’aimer, & d’estre aimé de mesme,
Je me plaindrois avec éclat
Du jeune Marquis qui vous aime,
Et dont vous faites tant d’état.
Mais vous pouvez l’aimer, inconstante & volage,
Je n’en seray jamais jaloux,
Et je souffriray sans couroux
Que vous luy fassiez bon visage.
Marquez-luy mille empressemens,
Accablez le de vos caresses,
Vous avez, belle Iris, un grand nombre d’Amans,
Si vous en avez plus que je n’ay de Maîtresses.

Lettre IX [sur l’origine des Mouches Galantes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 150-157.

LETTRE IX.

D'aupres de S. Mai vent

en Poitou.

IL faut, Monsieur, que je vous apprenne ce que j’ay pensé de l’origine des Mouches. Il n’y a personne qui n’ait oüy parler des Pygmées, & de la guerre qu’ils ont euë longtemps contre les Gruës ; mais on ne sçait peut-être pas ce qui a esté la cause de leur entiere ruine. En voicy l’Histoire.

Ce Peuple estoit fort adonné à l’Amour, & relevoit uniquement de son empire ; mais les Hommes en estoient insuportablement jaloux & médisans, & les Femmes ectrémement coquettes. Ainsi l’on ne voyoit tous les jours que querelles entre les uns & les autres, & les Amans (qui le pourroit croire ?) en venoient quelquefois jusqu’à tirer l’épée contre leurs Maistresses apres les avoir accablées d’injures ; mais ny les injures, ny les coups, ne pouvoient changer leur humeur volage. Elles faisoient leur unique felicité de plaire à tous ceux qui les voyoient, & ne negligeant rien de tout ce qui leur pouvoit attirer une grande foule d’adorateurs, elles irriterent tellement leurs Jaloux, qu’ils perdirent enfin toute patience. Ils ne se contenterent pas de traiter ces Malheureuses de la maniere la plus indigne. Ils s’assemblerent un jour, & resolurent de les exterminer toutes. Cet effroyable dessein s’executa peu de temps apres, & le sang du beau Sexe de cette Nation fut cruellement répandu. L'Amour ayant appris cette desolation, en sentit une si vive douleur, qu’il eust volontiers renoncé à sa qualité d’Immortel, pour trouver la fin de son plaisir dans la mort ; mais comme il ne luy estoit point permis de mourir, il chercha au moins à se vanger de ces Scelerats. Comme ils relevoient de luy, il les fit tous comparoistre aux pieds de son Tribunal, & les yeux redoutables & plein de fureur ; Miserables, leur dit-il, quel crime avez-vous commis, & quels tourmens peut-on inventer qui ne soient moindres que ceux que vous meritez ? Vous mourrez, Barbares, & de la maniere la plus douloureuse, car vous serez découpez en mille et mille morceaux, & la couleur de charbon que vous prendrez, rendra un eternel temoignage de la noirceur de vostre ame. Le beau Sexe aura desormais une puissance absoluë sur vous. Vous porterez toûjours le nom d’Assassins, & il n’y aura que vos Enfans qui doivent périr avec vous, à qui il en sera donné un moins odieux, parce qu’ils sont moins criminels. Si-tost que l’Amour eut achevé de parler, les Corps de tous ces petits Hommes se separerent d’eux-mesmes en mille morceaux de Mouches de toutes sortes de grandeur. Les Graces eurent soin de les faire porter dans les Magazins de ce Roy des Cœurs, pour les distribuer en suite aux Dames, principalement aux Belles, aux Jeunes, & à celles qui ont de la qualité.

Depuis ce temps-là on n’a point veu de Pigmées ; mais la vangeance que l’Amour prit alors de cette cruelle Nation, devroit estre une leçon profitable à nos Jaloux d’aujourd’huy. Ils peuvent connoistre par là que ce Dieu ne trouve pas bon qu’ils s’établissent en Argus pour veiller incessamment sur toutes les actions des Dames, & qu’il traite de crime la défiance qu’ils ont de leur vertu, qui n’est jamais plus forte que lors qu’elle agit librement. S'ils estoient sages, ils ne se mesteroient point d’en vouloir partager la gloire avec elles, & ils seroient persuadez que la bonté de leur cœur reglera toûjours mieux leur conduite que la crainte qu’elles pourroient avoir de l’injuste éclat de leur jalousie. À-t-on veu quelqu’un qui se soit repenty de garder trop d’honnesteté ? Celle du Prince de Cleves augmenta la vertu de sa Femme, & l’estime qu’elle conserva pour luy toute sa vie, triompha de l’amour que luy avoit fait prendre le Duc de Nemours. Il est malaisé de résoudre si elle fit bien ou mal, en declarant cet amour à son Mary. Les suites en pouroient estre fort dangereuses ; mais que dis je ? C'est en cela mesme qu’elle fit paroistre que son courage estoit invincible, car elle voulut se soûtenir à quelque prix que ce fust. Je suis, Monsieur, vostre tres-humble, &c.

De la Seguiniere,

Poignand.

Lettre X §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 157-159.

LETTRE X.

VOus sçaurez par cette Lettre, Monsieur, que vostre Mercure s’acquite parfaitement bien de son devoir selon vos intentions, c’est à dire qu’il parvient régulierement jusqu’aux extrémitez de la France, pour nous faire part de vos galantes nouveautez. Si j’en demeurois là, il n’y auroit rien d’extraordinaire à vous apprendre. Vous sçaurez donc que cette extrémité dont je vous veux parler, est une Province où sans le secours d’autruy, on ne peut avoir aucun commerce, par la difficulté qu’il y a d’en entendre la Langue. Vous en serez assez persuadé, quand je vous auray dit que nostre Païs est la Basse Bretagne. Le Mercure Galant a besoin d’estre Mercure pour y reüssir aussi-bien qu’il fait. En effet, il peut vous assurer que quoy que le Bas Bréton ait réputation parmy les Etrangers d’estre le langage des Démons, il peut estre le langage des honestes Gens, puis que le Dieu d’amour s’en sert. Il peut vous certifier encor qu’il y a autant de politesse en ce Païs-cy qu’en pas-un autre lieu, & qu’il disputera en galanterie contre tous les autres. Afin que vous soyez persuadé de ce que je vous dis, je vous fais part des Explications que l’on a données icy à vos Enigmes du Mois de Juin, en attendant quelques traits de l’Amour Bas Breton. Mercure à qui toutes les Langues sont familieres, aura le temps durant le voyage de cette Lettre, de la traduire en François, pour vous la rendre intelligible.

Le Chat, de l’Isle de Bas en Leon.

Lettre XI [au nom du Dieu Mercure] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 159-163.

Il faut vous avertir, Madame, que c’est au nom du Dieu Mercure qu’on m’a envoyé la Lettre suivante. Sa lecture vous pourroit embarrasser, si vous ne songez pas que c’est luy qui parle.

LETTRE XI.

Si je suis jaloux de vos Enfans, ce n’est pas sans raison. Je n’entens parler que d’eux. Ce sont des Mercures à bonne fortune, & je ne suis plus qu’un Misérable abandonné de tout le monde. Autrefois les plus belles Princesses de la Grece, si l’on en croit Messieurs les Poëtes de l’Antiquité, m’accordoient des faveurs plus que je n’en voulois. Enfin tout s’empressoit à me plaire. Mais helas ! cet heureux temps n’est plus. Si la Servante d’Alcmene que je ne voulois pas seulement regarder lors que Jupiter mon Pere estoit avec sa Maistresse, revenoit à present au monde, elle me dédaigneroit, & n’auroit des yeux que pour ces heureux Enfans à qui vous avez fait prendre mon nom. Vous leur donnez cet air insinuant qui plaist tant à cette auguste Princesse qui fait son grand soin de l’éducation d’un Prince tout aimable, je veux dire, Madame Royale. J'ay oüy sortir de sa bouche des éloges, qui quoy que justes, me donnoient un secret dépit, & je ne regardois qu’avec des yeux d’envie la faveur que vostre Mercure Galant s’est acquise dans sa Cour aussi-bien qu’en beaucoup d’autres lieux. Il n’est pas jusqu’aux Braves qui soûtiennent si bien la gloire de la France, qui n’ayent de l’estime pour luy, qui ne le chérissent, & qui ne s’empressent à luy témoigner les justes reconnoissances qu’ils ont de ses bienfaits. Ils le considérent comme un fidelle Monument où leur gloire éclatera dans les Siecles à venir, où leurs noms vivront en seûreté, & donneront de l’émulation à leurs Neveux. Mais je ne considere pas que je me détruis moy mesme, & qu’en voulant faire une plainte contre vostre Mercure, je fais son éloge. Voilà ce que c’est. Il gagne le cœur de ses Rivaux malgré eux-mesmes, & quelque sujet de dépit que l’on ait contre luy, on ne peut luy refuser ce qu’il merite. Il faut que je reconnoisse presentement qu’il est le veritable Dieu de l’Eloquence, que la mienne n’est pas d’assez haut goust pour l’emporter sur ses Champignons, & qu’il me fait la Barbe de toutes façons par ses Enigmes & par ses agreables diversitez. Mais enfin, puis qu’il m’a tant décredité dans le monde que je n’ose plus y paroistre seul, je vous prie de trouver bon que je voyage en sa compagnie. Je ne l’incommoderay pas beaucoup, & je vous assure que j’auray autant de docilité qu’il le pourra souhaiter. Vous trouverez un Billet de Mars, où vous verrez que les Gens de guerre ne disent pas beaucoup. Il ne vous ennuyera pas tant que celuy de Mercure.

Lettre XII [relative aux Énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 164-170.

LETTRE XII.

À Bourg en Bresse.

UNe Societé de Dames fort spirituelles, & qui ne vous sont pas tout-à-fait inconnuës, s’est chargée, Monsieur, d’expliquer les Enigmes en Vers qui sont dans le Mercure du Mois de Juillet. Je n’entre point en lice avec elles. Je m’attache uniquement à l’examen de celle qui est en Figure. On a si mal réüssy dans l’application qu’on a faite de la plûpart des précedentes, à la Paix, que je n’oserois la chercher dans le Serpent d’Epidaure. Bien des Gens pourtant sont persuadez qu’on ne sçauroit trouver un mot qui convienne mieux à ce qu’il nous cache. Ce Serpent salutaire qu’on invite avec tant d’éclat, que des Ambassadeurs conduisent en triomphe à Rome, ne peut, à leurs sens, s’ajuster qu’à cette Paix si necessaire aux Conféderez, qu’on negotie avec tant d’application, & que les Ambassadeurs des plus grands Potentats de l’Europe emmeneront bientost de Nimegue, qui est figurée par la Ville d’Epidaure. Ces Hommes abatus & languissans, que la seule presence du Serpent peut rétablir, ne peuvent marquer que les Ennemis de la France, qu’une Guerre fatale a absolument épuisez. Ceux qui sement des Fleurs à l’approche d’Esculape, ces Mimes qui dancent, ces Pantomimes qui fautent à sa veuë, sont sans-doute une image de la joye des Peuples, & du retour des Festes & des Plaisirs. Cette Explication m’a paru si naturelle, que j’ay d’abord crû qu’il estoit impossible d’y trouver un sens qui fust aussi juste. Cependant, Monsieur, le Printemps m’a semblé dans la suite ne convenir pas moins naturellement à cette Enigme, que la Paix. Le Serpent qui commence à paroistre dans cette saison en est le symbole. L'Hyver est dans le sens de quelques Anciens, une maladie de la nature de celles que le retour du Printemps dissipe. L'application des Fleurs qu’on répant devant le Serpent, est facile à faire. La Dance & les Postures enjoüées dont on solemnise l’arrivée d’Esculape, s’ajustent à tout ce qui paroist au retour de la belle saison. Les Oyseaux chantent, la Terre fleurit, les Bergers s’animent, l’Amour se réveille ; enfin, pour ainsi dire, l’Univers est en joye, la Nature rit,

D'un Hyver desolant les mortelles rigueurs,
Ravagent dans nos Champs la verdure & les fleurs
Dont les autres Saisons avoient paré la Terre.
Les Cruels Aquilons qui chassent les Zéphirs,
Nous font une cruelle guerre.
Les Oyseaux étonnez, par de foibles soûpirs
Marquent languissanmment le mal qui les accable ;
Pour fuir un temps si misérable,
L'amoureux Rossignol passe en d’autres Climats.
Tout souffre, tout languit ; la Nature engourdie
Voit desoler tous ses appas
Par cette affreuse maladie
Qui fait regner par tout la glace & les frimats.
Il faut pour guérir le serpent d’Epidaure ;
C'est le Printemps, tout chante à son retour.
Mille nouvelles fleurs sont le fruit de l’Amour,
De l’empressé Zephire, & de l’aimable Flore.
Les Oyseaux réveillez recommencent leurs chants,
La verdure pare nos Champs,
Les Ruisseaux dégagez de leur prison de glace,
Joignent leur doux murmure aux soûpirs des Amans.
Dans nos Bois fleuris & charmans,
Le Rossignol vient reprendre sa place.
Par tout à l’ombre des Ormeaux,
Sur la Gaye & verte fougere,
Le Berger amoureux danse avec la Bergere,
Au tendre son des Chalumeaux.
Les ardeurs du Soleil plus vives & plus belles,
Réveillent la Nature & r'animent nos ans,
Tout étale à l’envy mille beautez nouvelles,
Et tout rit icy bas au retour du Printemps.

Voilà, Monsieur, tout ce que j’ay pû développer des misteres de vostre Enigme. Je ne me flate pas d’avoir donné dans le vray sens, aussi je ne vous en parle point aussi positivement que de la sincerité avec laquelle je suis vostre, &c.

Le Secretaire des Dames de Bourg.

Lettre XIII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 171-179.

LETTRE XIII.

À Paris.

IL faut, Monsieur, tâcher de répondre à la Question que vous proposez dans vostre dernier Extraordinaire, touchant la declaration que la Princesse de Cleves fait à son Mary.

Dans toutes les affaires, je dis toutes sans exeption, & particulieremnt dans celles où il y a le plus à esperer, & le plus à craindre, quelque vertueux & prudent qu’on soit, on ne sçauroit trop apporter de précautions pour en regarder les suites, & ce n’est que par les bons ou mauvais évenemens qu’on réüssit ou qu’on manque, qu’on est approuvé ou blâmé, qu’on trouve le bien ou le mal, le plaisir ou la peine. La Question proposée n’est pas d’une petite consequence. Il y va de ce qu’une Femme a de plus cher. Il y va d’une foy qu’elle a jurée solemnellement, & qui ne tient presque à rien. L'honneur du Mary y est engagé bien avant. La bonne intelligence de l’un & de l’autre est en danger. L'union des deux qui jusqu’alors n’a pas reçeu la moindre attaque, est sur le point de se rompre, & pour comble de malheur, il faut que ce soit cette mesme Femme qui declare sa passion criminelle à celuy qu’elle offence, qui ne peut que s’en choquer, en prendre des chagrins, de la crainte & des déplaisirs. C'est un Mary qui s’est toûjours crû possesseur d’un cœur, duquel si à peine il luy reste l’ombre, ce n’est que par une retenuë, où l’inclination & l’amour n’ont point de part. Les passions ont des degrez de vigueur, & leurs feux ont autant de diferences qu’ils embrasent de diferens sujets. L'amour conjugal est un amour de choix. Il a la liberté des yeux a des mains. il gouverne ses mouvemens & ses actions. Il ne fait rien sans avoir veu & bien consideré, & ne se conduit que par raison. Il ne nous vient point par hazard, & nous ne le prenons qu’avec dessein prémedité. Nous en faisons nous mesmes les chaisnes plus ou moins fortes.

Il n’en est pas de mesme de celuy que l’on sent pour un Amant. Il n’est point forcé, & comme il vient insensiblement; il est d’inclination. Il se forme sans que nous y consentions. Il frape le cœur sans y estre appellé. Il s’en rend le maistre par force & sans bruit, & s’attache à la complexion de son sujet.

Le Mary est un Homme éclairé. Il n’ignore rien de ce que je viens de dire, & aux premiers mots de cette confidence, je le vois changer de couleur. Ses yeux s’éteignent, sa parole se trouble, & à peine a-t-il compris ce qu’il vient d’entendre, qu’il a cent pensées tout à la fois, qui dans leur temps naistront les unes apres les autres, & qui seront autant de Bourreaux pour le faire mourir de tristesse & de dépit, & pour faire repentir sa Femme tout-à-loisir de son aveu temeraire. C'est elle-mesme qui luy donne toutes les assurances de cette passion étrangere ; & comme elle ne peut aimer en deux endroits, c’est elle-mesme aussi qui luy persuade que celle qu’elle avoit pour luy est entierement ruinée. Il croit que ce qui l’a poussée à luy faire cette declaration, a esté un mouvement passager & un motif d’honneur, par dessus lequel on passe facilement quand on est autant épris d’amour que cette Femme le paroist estre pour son Amant. Il ne met point en doute que cet amour n’augmente d’autant plus qu’il sera traversé, & que cette retraite demandée par un moyen extraordinaire, ne fortifie ce qu’elle semble vouloir bannir de son cœur. Il s’imagine estre en horreur à ses Amis, & ne croit plus avoir de part dans leur estime, non pas mesme dans celle de sa Femme, qu’autant qu’elle en voudra faire paroistre pour apaiser une jalousie qu’il ne peut vaincre, & qui luy fait tout oser & tout entreprendre.

Voilà, Monsieur, à peu pres les suites que je prévois devoir arriver d’une confidence aussi pernicieuse que celle-là. En verité y a-t-il apparence que ce soit une grande vertu, que d’appeller un Mary au secours de sa foiblesse ? Du moins si l’on veut faire passer cette déclaration pour vertu, vous m’avoüerez que ce seroit une vertu sans prudence, & qui pour vouloir trop prévoir, manqueroit de prévoyance dans les choses où il luy seroit le plus avantageux d’en avoir. C'est dans l’absence que les passions deviennent plus emportées. Le temps qu’elles ont à méditer leur fournit mille & mille stratagêmes pour venir à bout de leurs desseins. Quand cette Femme gardera le silence avec son Mary, il est vray qu’elle souffrira, étoufant son amour sans oser le declarer ; Mais souffrira-t-elle moins dans l’abscence, & son ame sera-t-elle moins agitée ? D'une maniere elle voit son Amant des yeux, de l’autre il est present dans son cœur. Le voyant, elle luy parle ; ne le voyant pas, elle y pense continuellement, cherchant dans son esprit mille moyens pour rompre ses fers.

Vous pouvez bien juger quelle est ma Conclusion. De quelque maniere que ce soit, j’ose dire qu’il ne faut que la volonté de cette Femme pour succomber, & qu’il ne faut aussi que sa vertu pour la retenir ; Vertu, qui paroistra d’autant plus grande, qu’elle ne sera rien que dans le silence. Elle cachera également son secret, & son Amant, pour ne pas augmenter sa passion ; au Mary, pour ne rien diminuer de la sienne ; & ce silence enfin bien diferend d’une confidence si dangereuse, laissera mourir l’amour & entretiendra la paix. Je suis, Monsieur, vostre, &c.

Lettre XIV [relative aux énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 179-181.

[…]

Lettre XV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 181-183.

LETTRE XV.

SEñor, Como el Libro de V. M. corre todas las partes de la tierra, sin deternese solamente en las de Francia, vino tambien à mi casa, y me ensenò V. M. ser curioso de saber todo loque se compone de nuevo para enriquecer el, publico, tanto lo que hazen los Franceses, como lo que que obran les Estranjeros, segun muestran las Fiestas de Saboya que su pluma ha eternisadas. Creo pues que la guerra itravada entre las dos Naciones, no sera parte para dexar sin lugar a las coplas que me atreno de embiarla, que por cierto salen de muy buena mano. Si las gustare V. M. puede ser que le entregare una corta Novela, que en verdad es la mas linda y curiosa del mundo. Es un juego de la fortuna para acabar un casamiento de un Frances con una Flamenca. Yo le beso muy humilmente la mano como criado obediente de V. M.

Es Cavallero Desdichado.

Je ne voudrois pas répondre Madame, que cette Lettre, toute Espagnole qu’elle est, eust esté écrite en Espagne ;

Lettre XV [relative aux énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 183-195.

mais je vous puis assurer avec une entiere certitude, que celle qui suit, quoy que Françoise vient de Madrid mesme, d’où elle a esté envoyée pour moy à un des plus fameux Banquiers de Paris. Comme l’éloignement des lieux demande quelque privilege, vous ne devez pas estre surprise de la voir accompagnée de quelques Explications qui auroient dù estre dans le dernier Extraordinaire.

LETTRE XV.

À Madrid.

VOus serez sans-doute surpris d’aprendre, Monsieur, que vostre Mercure ait passé les Pyrenées, puis que vous n’ignorez pas les raisons qui devroient luy defendre l’entrée de l’Espagne : mais il faut qu’il se fasse jour par tout, & il se sert si bien des aisles de la Renommée qu’il a jointes aux siennes, qu’il n’est lieu de si difficile accés, qu’il n’y penetre ; deserts si cachez, qu’il ne découvre ; ny montagnes si élevées, qu’il ne passe ; témoin les Alpes, dont il y a déjà longtemps qu’il a franchy les mauvais pas, pour se faire admirer en Italie. L'on sçait qu’il est connu & estimé en Allemagne, en Pologne, aux Païs-Bas, & en Angleterre ; mais qui se seroit imaginé qu’il le fût en Espagne ? Car vous m’avoüerez, que tout galant qu’il est, il se trouve habillé d’une façon à faire peur ; & que pour spirituels que soient ses recits, difficilement pourront-ils estre bien reçeus en ce Païs. Je ne puis vous dissimuler que je n’aye contribué à le faire connoistre à Madrid ; & quoy que je me sois un peu exposée à la severité de l’Inquisition, je n’ay pû me priver de la satisfaction de voir tant de belles choses que j’avois appris que l’on publioit de luy, & d’en faire part à mes Amies de par-deça, ausquelles son langage est connu. Il est vray que ç'a esté un peu tard, puis que je n’ay reçeu que depuis peu de jours, tous ensemble, les six premiers Volumes de cette année, & l’Extraordinaire du premier Quartier, qu’une Personne de ma connoissance a pris la peine de m’aporter de Paris : mais quand l’on est si éloigné, il est mal-aisé de faire choses à temps. Comme toutes les Enigmes que ces Volumes contiennent, s’y sont trouvées expliquées, à la réserve de celles du moi de Juin & de la Lettre en Chiffre de l’Extraordinaire, je n’ay pû m’attacher qu’à la recherche des trois Explications que je vous envoye. Si j’avois moins de timidité que je n’en ay 'naturellement, j’oserois me promettre que les sens que je leur donne sont les veritables ; mais je ne veux pas me flatter de cette penétration, & j’aime mieux vous assurer d’une autre verité, qui m’est parfaitement connuë, en vous disant, que je suis, Monsieur, vostre tres-humble servante,

La Lorraine

Espagnolette.

Explication de la premiere Enigme en Vers du mois de Juin.

[…]

Explication de la Lettre en Chiffre de l’Extraordinaire du premier Quartier du Mercure Galant.

[…]

Explication Allégorique de l’Enigme en figure […]

[…]

Lettre XVII [relative aux Mouches galantes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 195-198.

LETTRE XVII.

EN lisant dans vostre dernier Extraordinaire l’Article qui regarde les Mouches galantes, je me suis souvenu, Monsieur, que quelques Autheurs en attribuënt l’origine aux Egyptiens. Ils rapportent que les neuf Muses estant un jours apparuës en forme de Mouches à Ibis, une de leurs fameuses Pretresses, qui n’estoit pas moins considerable par la beauté de son esprit, que par celle de son corps, elle ordonna aux Egyptiens d’adorer les Mouches à l’avenir, pour rendre honneur par là aux Muses qui avoient bien voulu se montrer à elle ; & afin d’en conserver la memoire, elle laissa en mourant un certain fond pour servir à l’entretien de neuf Mouches que les Sacrificateurs nourissoient soigneusement, en sorte qu’à mesure qu’il en mouroit une, ils en mettoient une autre en sa place pour en avoir toûjours de vivantes, à l’imitation des Vestales qui entretenoient à Rome le Feu sacré. Mais une peste horrible qui survint, ayant porté la désolation par tout, ces neuf Mouches se trouverent envelopées dans ce ravage. Les Egyptiens qui resterent apres cette Peste, leur firent de tres-somptueuses funerailles, & afin que la memoire n’en fust jamais effacée, ils voulurent que leurs Femmes portassent des Figures de ces Mouches sur leurs visages. Vous sçavez, Monsieur, que les Egyptiens passoient autrefois pour les Peuples du monde les plus ingénieux, & les plus polis ; & que tous les autres faisoient gloire d’imiter ce qu’ils pratiquoient. Ainsi il est à croire que cette façon de porter des Mouches a esté successivement transmise chez toute sorte de Nations, & qu’elle nous est venuë par une espece de tradition, qui ne manquera pas d’aller à nos Descendans. Je suis vostre, &c.

Houppin, le jeune,

de Beauvais.

Lettre XVIII [relative aux Énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 198-201.

[…]

Lettre XIX [relative aux Énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 202-204.

LETTRE XIX.

Du Camp devant Deinse.

VOstre Mercure, Monsieur, n’est pas si mignon qu’on le pense. Il ne fuit ny le Soleil ny la pluye ; & quoy qu’accoûtumé aux douceurs des Ruelles de Paris, il vient encor avec nous partager nos fatigues. Il s’accommode assez de nos Tentes. Il suit l’Armée dans tous ses Camps. Je l’ay vû mesme plus d’une fois dans la Tranchée ; & à force d’occasions vous verrez qu’il deviendra brave. Pour estre nouveau dans la Guerre, il ne s’y prend pas mal. Il en parle en Homme du mestier. On ne voit pas qu’il fasse d’équivoque, & parce qu’il est fort aimé, il n’y a point d’Officier qui ne le soufre. Tout le monde se plaist avec luy. Il occupe les Gens agreablement ; & s’il en coûte des inquiétudes, ce ne sont point de celles qui dégoûtent. On resve sur ses mysteres plus d’un jour sans s’ennuyer. Heureux qui pour les développer n’y passe que vingt-quatre heures. J'y donne beaucoup plus de temps ; mais je ne m’en applaudis pas moins quand à la fin je trouve un sens à ses Enigmes. Voyez si j’ay réüssy dans les Explications que je vous envoye, & me croyez vostre, &c.

D. L. M.

Lettre XX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 204-208.

LETTRE XX.

D'un Desert du Perigord.

IL y a six moi, Monsieur, que je songe à vous écrire, & que je n’ose satisfaire ce desir par la crainte de vous accabler d’une méchante Lettre. Cependant il ne m’est pas possible de resister plus longtemps à l’envie que j’ay de vous entretenir sur vostre Mercure, qui cause le plaisir & l’admiration des plus beaux Esprits que nous ayons. Quoy que le mien soit fort médiocre, & que j’habite un Desert le plus solitaire de la Province, je ne laisse pas d’y goûter pleinement l’agreable diversité de vos Escrits. Agréez donc, Monsieurs, que je vous fasse des remerciemens de m’avoir donné le secret de trouver de la douceur dans ma solitude, par le plaisir que je prens d’y reserver tous les jours à la vie miraculeuse de Loüis le Grand. Il y a tant de choses surprenantes & d’un éclat si nouveau, dans toutes les Actions de ce grand Roy, & vous les representez d’une maniere si naturelle & si forte tout ensemble, qu’il est aisé de voir que vostre cœur est bien d’accord avec vostre esprit, pour publier les loüanges de cet incomparable Monarque. En effet, il paroist que la respectueuse tendresse qu’il vous inspire, & que vous unissez si bien avec la connoissance de ses admirables qualitez, vous fournit des termes plus touchans & plus significatifs, que ceux dont vous vous serviriez sans doute, si vous n’estiez animé que de l’estime & de l’étonnement que causent les surprenantes Conquestes qu’il fait. Continuez donc, Monsieur, d’écrire d’un air si charmant la plus belle & la plus importante Vie de l’Univers, avec cette assurance que le sujet que vous traitez est le plus élevé, & le plus rare qui se pust jamais presenter à vostre esprit, puis que tous les siecles passez & ceux qui viendront, n’auront rien vû & ne pourront rien voir qui approche de ce Grand Prince. Mais comme le récit de ses grandes & éclatantes Victoires, prend toute l’application de nostre esprit, & que le mien n’est pas capable de soutenir l’idée continuelle de tant de choses heroïques, on se sert de l’invention que vous donnez si agreablement pour détourner la veuë d’un sujet trop sublime, & l’on descend vers cette aimable diversité, qui se trouve à propos dans vostre Mercure, & qui est si propre à charmer les peines les plus sensibles. Pour moy, je sens bien que les soucis de ma vie diminuënt de la moitié par la douceur que cette lecture me cause, & je me flate méme de la pensée que vous n’en serez point fâché, car je remarque à vostre façon d’écrire que vous avez de la bonté. Il faut mesme que j’en sois bien persuadée, puis que je vous écris une Lettre si longue. Pardonnez moy, Monsieur, l’ennuy qu’elle vous causera, & croyez, je vous suplie, qu’il n’y a point de Dame en Perigord qui soit plus que je suis, vostre tres-humble, &c.

Lettre XXI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 208-217.

LETTRE XXI.

À Dieppe.

ON est fort embarassé quand on vous écrit, Monsieur. L'on a dans la teste mille loüanges à vous donner, & mille remerciemens à vous faire, & vostre modestie se cabre mal à propos contre les belles dispositions où l’on est de vous dire ce qu’on pense de vous. Il n’est permis qu’à vous seul de faire ce que vous defendez ; & si l’on ne vous dispute pas ce privilege ouvertement, c’est qu’on craint de déplaire à un galant Homme, qui n’a point d’autre but que d’obliger toute la Terre. Vous contraignez ainsi les Esprits reconnoissans, à chercher de grands détours pour vous loüer, & cette difficulté produit assurément une partie des belles Lettres de vostre Extraordinaire. La diversité des expressions délicates, & peu communes, surprend agreablement ceux qui le lisent car il est certain qu’on fait des efforts qu’on ne feroit pas, si vous donniez une libre carriere aux reconnoissances. Mais comme je vais toûjours d’une extrémité à l’autre, je suis le seul au monde assez effronté pour vous dire que je trouve un petit defaut dans le dernier Extraordinaire. Dites-moy, Monsieur, y a-t-il rien de plus à la mode que le Mercure Galant, & pour estre fidelle en mode, ne deviez vous pas plûtost en mettre un Tome dans la main de vostre Dame burinée, que la Canne qu’elle tient ? Il n’est rien de si vray que chacun le prend aujourd’huy pour modelle. Il detruit la Satyre chez les honestes Gens. Il aprend l’art de se faire des Amis de tout le monde, & l’on peut dire qu’il est l’ame de la société, le tombeau de la médisance, & le triomphe des Muses, puis que chacun s’éforce à l’envie d’en meriter une page, & d’aller à l’immortalité sur les ailes du Mercure Galant. Il n’est pas plûtost arrivé en ce Païs-cy, qu’on se l’arrache des mains pour le devorer. En suite on se caballe pour les Enigmes. On s’échaufe pour soûtenir son opinion, & l’on fait toûjours quelque gageure qui donne une impatience extrême de voir le suivant. Je suis au nombre de ces impatiens Lecteurs, & j’attens avec empressement le premier qui viendra pour m’ôter l’inquiétude que me donnent les Enigmes du mois de Juin. La premiere m’a fait resver plus d’un jour ; enfin un de mes Amis a rencontré l’Ameçon. J'en trouve l’application assez juste. Les deux Vers, Et toûjours mon nom se donne à ce qui vaut mieux que moy, nous firent un peu de peine, mais nous les avons donnez aux appas, qui font d’un plus grand prix chez une Belle, qu’au bout d’un Filet.

La seconde est la Couronne d’un Souverain ; & l’Enigme en Figure, veut faire voir (je croy) la Ligue étouffée par Louïs XIV. Je prens les Hollandois pour Neptune, & la Maison d’Autriche pour la Terre. La Ligue est representée par Antée, ce Geant formidable, à tout autre qu’à nostre grand Roy, à qui le nom d’Hercule convient si bien par ses travaux & par ses forces. Il étoufe la Ligue entre ses bras, c’est à dire avec la Paix qu’il donne à ses Ennemis. On dit pourtant qu’elle respire encor, mais elle ne luy peut échaper, & de quelque maniere que ce soit, il l’étouffera toûjours glorieusemet. Je ne suis ny assez vain, ny assez patient pour tenter l’Explication de la Lettre en chiffre, mais je vais vous dire ce que je sçay de l’origine des Mouches.

Vénus idolâtroit Adonis. Elle descendit un jour des Cieux pour s’humaniser avec luy, & l’on dit qu’elle le trouva dormant dans un Bois, si fatigué de la Chasse, qu’une Mouche qui se promenoit sur son visage n’estoit pas capable de l’éveiller. Cette Deesse se fit un scrupule d’amour de troubler son repos. Elle s’assit aupres de luy, & l’ayant contemplé quelque temps, elle remarqua que cette Mouche donnoit un nouvel éclat à la blancheur du teint de son Amant. Sa passion n’avoit jamais esté si violente, par ce qu’Adonis ne luy avoit jamais paru si beau, & ce fut pour cette raison qu’elle mit les Mouches au nombre de ces Graces, & leur donna le soin d’accompagner son visage, mais comme elles ne s’aquitterent pas de leur employ avec toute la constance requise, Venus les métamorphosa en petits morceaux de taffetas noir qui retiennent encor leur nom, & qui ont passé jusqu’à nos Dames avec tous les autres agréemens de cette Déesse. Je finis par la Question proposée.

Quoy qu’une Femme ait pour son Mary toute l’estime imaginable, & qu’elle soit assurée qu’il a bonne opinion de sa vertu, c’est toûjours une imprudence de luy confier une chose qui peut luy donner de grandes inquiétudes, & qui est capable de changer les sentimens de tendresse qu’il avoit pour elle. C'est le rendre jaloux de gayeté de cœur. Car s’il croit la Femme si vertueuse, il est impossible qu’il n’ait du chagrin de n’en estre pas aimé, & cette jalousie le peut faire tomber dans une autre plus cruelle, qui est de soupçonner cette conduite d’une fausse confidence pour le tromper plus aisément ; & comme on n’est que trop ingénieux à se tourmenter sur ce chapitre, il peut croire encor que c’est l’effet d’un dépit qui se vange en prévenant la médisance d’un Favory mécontent. Il y a cent autres moyens d’éloigner un Homme dangereux. La Princesse de Cleves est excusable, parce qu’elle ne seroit plus l’Héroïne d’un Roman si elle n’avoit un caractere extraordinaire. Je croy qu’elle devoit plutost se laisser tenter, que de s’exposer à la mauvaise humeur continuelle d’un Mary, parce qu’un Homme est plus heureux d’estre trahy sans le sçavoir, que d’estre le Confident d’une Femme qui le haït le plus vertueusement du monde. Je suis, Monsieur, vostre, &c.

De Merville.

Lettre XXII [relative aux Mouches Galantes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 217-219.

LETTRE XXII.

J'Ay songé, Monsieur, à ce qui avoit pû donner lieu aux Mouches, dont les Dames font un de leurs agreémens. Voicy ce que j’ay trouvé. Orphée avec sa Lyre inspira de la passion aux choses les plus insensibles. Il aima Euridice, & en fut aimé. Aristée Roy d’Arcadie, soûpira inutilement pour elle. Ce fut en fuyant sa violence, qu’elle fut morduë au talon par un Serpent. Sa blessure fut mortelle. Toutes les Nymphes prirent part au chagrin d’Orphée, & pour punir Aristée de l’emportemet qu’il avoit eu, elles détruisirent toutes ses Mouches. C'est luy qui en estoit l’inventeur. La description du Voyage d’Aristée vers Cyrene sa Mere, qui alla consulter avec luy l’Oracle de Prothée sur la perte qu’il avoit faite, c’est un des plus beaux endroits de Virgile. Prothée répondit, que les Nymphes Amies d’Euridice devoient porter les figures des Mouches sur leur visage, pour punition de les avoir exterminée ; & que Cyrene avec les autres Nymphes de sa cabale, porteroient la peau d’un Serpent autour de leur col, pour appaiser l’ombre d’Euridice. Du moins c’est le sens que l’on donna à la réponse fort obscure de l’Oracle. Mais elles changerent bien tost ces marques de vengeance en ornemens. Elles embellirent la peau de Serpent d’Ambre & de Perles, & firent des colliers, & changerent aussi leur Mouches en agréemens, pour donner de l’éclat à leur teint, & enfin ces agréemens en ayant perdu la figure, n’en ont plus retenu que le nom.

Le Prothée,

du Perche.

Lettre XXIII [relative aux Énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 219-222.

LETTRE XXIII.

La presente set donnée à stila qu’en appel Loteur du Marcure.

HOneu, Monseu, Je some deu sabitan de... . Attandé je ne savon si je vou le devon diren car j’en voion tan dan voute Marcure qui ne voulon pas dire com i sapelon, que palsangué je nan diron rian nan pu qu’eu. Es qui simaginon qua caure qui son des Monsieux & quil avon du bian pu que nou, que je ne sron pas com i selon ; e si l’on tan de bian, qui fasle bone chere, qui mangien des Padri, & qui desne deu fouas, Je somme assé contan can je manjon des poüas o lar ; ma tou sa ne sar de rian à lafere, & snest pas acaure de sa que je prenon la pene & la arguesse que de von recrire ; ces margué que javon deviné vos Animes, & si je voulon vou baillé des Vars de noute façon, car jan savon fare da. Tné, luisé.

Palsangué com dit lotre, en vidan noute pot,
Cousin Basquian charchon le mot
De ces deu Marcures d’Animes ;
Bouton par escrit queuque rimes,
Peutestre je les trouvarons
Aussi bien que ceux qui faisons
Les biaux Monsieurs & les Madames,
Qui margué penson dan leu sames
Qui gna qu’eux pour les deviné.
Quin Basquian, sans tan lanterné,
Je quiens tou sin droit la prumiere,
Cest stangin large par driere
Où tu sçais qu’en bouti les doüas
Et qu’en fretille tant de foâus,
Qui chante cari com un Orgue.
Ou des Monsieux à bonne morgue
Vont sonner desu un coussin.
À pargué s’est un Traversin,
Et jan trouvé le mot pour rire.
Mais s’nest tout, i nou faut dire
Queulest de lotre le fin mot,
Quan je devrion boire encor pot.
Tu disés que c’est un Orloge.
Tas margué menty par ta gorge,
Et j’ay bian pu d’esprit que toy,
Principalement quant je boy.
Quin, je gagerois ma caboche
Morgué, que c’est un Tornebroche

Lettre XXIV §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 223-234.

LETTRE XXIV.

À Richelieu.

L'Interruption de mes Lettres n’a esté causée, Monsieur, qui par un Voyage que j’ay esté obligé de faire dans un lieu, où les affaires qui m’y avoient fait aller, m’ont retenu plus longtemps que je ne pensois. JE les terminay le plus promptement que je pûs, afin de venir icy joüir d’un Ciel plus serein, & qu’un commerce plus tranquile & plus spirituel, Je n’y fus pas plûstost arrivé, que je trrouvay vostre Extraordinaire d’Avril, qui me consola heureusement de tous les mauvais momens que j’avois passez dans le triste sejour dont je viens de vous parler. Je le lûs avec bien du plaisir : mais comme il n’en est point de parfait, vostre Lettre en chiffres m’inquieta furieusement, & me donna une migraine qui me tient encor. Je m’en consolerois si j’estois venu à bout de la déchiffrer. Mais apres trois jours de meditation, je ne suis pas plus avancé que je l’estois le premier. Cependant

Si l’on a peine à découvrir
De cette Lettre le mystere,
Ce n’est pas manque de lumiere,
N'y faute de clefs pour ouvrir.

Je laisse donc, Monsieur, cette Lettre, où de bonnefoy j’avoüe que je ne comprend rien. Pour venir à la Question qu’a fait naistre l’Histoire de la Princesse de Cleves, & pour entrer d’abord en matiere, je dis qu’une Femme qui se deffie un peu de ses forces, & qui croit sa vertu en danger en presence d’un galant Homme qu’elle aime, & qu’elle ne peut se dispenser de voir, doit éxaminer avec soin l’humeur & le tempérament de son Mary, avant que de luy faire une déclaration si délicate. Car enfin s’il se trouve des Hommes à qui il ne feroit pas seur de faire une semblable confidence, il en est d’autres d’un naturel si doux, & d’une humeur si commode, que la mesme confidence trouveroit credit aupres d’eux. Il eut esté dangereux, par éxemple, d’en faire une de cette consequence à Jules-César, qui ne vouloit pas seulement qu’une Femme fût chaste en effet, mais qui ne vouloit pas mesme qu’on la pût soupçonner. Ce grand Homme qui n’avoit pas moins de délicatesse d’esprit, que de fierté & de courage, n’eut sans-doute rien conclu de bon d’un aveu si ingénu. Au contraire Caton d’Utique, à qui son Siecle & dix-sept autres, ont donné le titre de Sage, eut apparemment bien reçeu de sa Femme une confidence de cette nature, puis qu’il ne fit pas mesme difficulté de la donner en Mariage à un de ses Amis qui la luy avoit demandée, & de la reprendre apres la mort de cet Amy. Ce Sage Ancien de l’humeur dont il estoit, eut pris sans-doute pour une action heroïque, ce que l’autre eut taxé de foiblesse, & peut-estre d’infidelité. Mais laissons l’exemple de ces grands Hommes qui ont eu leurs defauts comme leurs perfections ; ne consultons que la raison, qui seule doit estre la regle & la guide de tout ce que nous faisons.

Une Femme dans les combats
Où la question la suppose,
Pour fuir le pas glissant où son amour l’expose,
Dira-t-elle au Mary son secret embarras ?
Selon le Monde elle ne le doit pas,
Mais selon Dieu c’est autre chose.

Si bien, Monsieur, que pour répondre à fond à la Question, je croy qu’il y faut distinguer deux choses. Car cette Femme, qu’on supose avoir de la vertu, ou elle est assurée de sortir victorieuse de tous les combats que sa passion luy peut livrer ; ou se déffiant de ses forces, elle craint de succomber aux tentations qui la sollicitent. Si elle croit en sortir victorieuse, & qu’il n’y ait que des combats à rendre & quelque peine à souffrir, je soûtiens qu’elle ne doit rien dire de sa passion à son Mary, parce qu’elle ne le peut faire sans luy donner une tres-mauvaise idée de sa vertu, & peut estre une jalouse & des soupçons à l’avenir, qui seroient capables de troubler toute la tranquilité de leurs jours. Car enfin il pourroit conclure par l’aveu qu’elle luy feroit, que bien loin d’estre veritablement vertuese, elle auroit une pente naturelle au vice, puis qu’elle ne peut que par la suite rester à des tentations dont les Personnes les plus sages ne sont pas éxemptes, & qui sont mesme necessaires pour exercer la constance, & les faire triompher avec plus de gloire. Et s’il est vray qu’on n’ait vaincu, qu’on ne puisse vaincre qu’on n’ait conbatu, & qu’on ne puisse combattre qu’on ait un Ennemy qui attaque, on peut dire qu’une Femme qui ne combat qu’en fuyant est plus qu’à demy vaincuë, & que montrant par sa retraite plus de foiblesse que de force, elle fait mal juger de sa conduite à son Mary, qui peut croire que si la vertu de sa Femme a triomphé dans cette rencontre en fuyant la presence de son Amant, sa fragilité la fera peut-estre une autre fois succomber, estant certain qu’une Personne qui n’est pas capable de combattre, n’est pas capable de vaincre, & que la Chasteté qui n’a pas la Force & la Perseverance pour Compagnes, n’est pas une veritable vertu. C'est dans les troubles de nos passions, & dans la rebellion de nos sens, que cette vertu se fait plus remarquer, quant apres de violentes attaques une Femme soûmet genereusement ces rebelles à la raison, sa gloire en est plus grande, & elle merite des Couronnes & des Triomphes. Mais si n’osant hazarder de combat, elle le fait lâchement, & cherche la solitude comme une place de retraite, elle ne merite ny une censure trop rigoureuse, ny une loüange trop affectée. Et en effet, quoy qu’il fût plus glorieux à cette Femme de combatre de pié ferme, que de fuïr de cette sorte, ce n’est pourtant pas sa fuite que je blâme le plus : je condamne davantage la déclaration qu’elle fait à son Mary du sujet qui la porte à fuïr, puis qu’une Femme dans l’extremité où on nous represente celle-cy, est toûjours obligée d’éviter le plus grand mal. Or il y a sans comparaison plus de mal à une Femme, de faire à son Mary la confidence qu’on supose, que de luy taire sà passion au peril des combats qu’elle est obligé de rendre, pourveu, comme je l’ay dit, quelle croye en sortir à son avantage, puis qu’en cette occasion il n’y auroit qu’elle qui souffriroit, au lieu qu’apres son aveu, elle feroit souffrir son Mary, exposeroit son Amant, se des-honoreroit elle-mesme, & mettroit enfin tout en desordre. Cependant comme il n’est pas toûjours en nostre pouvoir de vaincre, & que la victoire est rare où les combats sont fréquens, si enfin cette Femme estoit tellement assuré de succomber, qu’elle ne pût douter de sa perte, je pense qu’il vaudroit encor mieux qu’elle déclarât à son Mary la passion qui luy fait tant de peine, afin d’en éviter les suites, que de succomber tout à fait aux tentations qui la persecutent ; puis que par le principe que nous venons d’établir, de deux maux, il faut toûjours éviter le pire. Or le mal est plus grand de succomber que de fuïr, puis que la fuite ne l’exposeroit pas à tant de disgraces, que le desordre où sa fragilité la feroit tomber luy causeroit d’ignominie. Ce n’est pas mon sentiment seul que je découvre icy, c’est celuy de tous les Peres & des Casuistes qui traittent doctement cette matiere, dont vous ne prétendez faire qu’une Question galante. J'ay mille Passages sur ce sujet : mais ce n’est pas icy le lieu de les citer, c’est seulemet celuy de finir ma Lettre & de vous assurer que je suis toûjours vostre, &c.

De Grammont.

Lettres sur les Enigmes en Peinture, A. M. L. D. D. S. A. à l’Autheur du Mercure Galant §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 234-273.

J'interromps ces Lettres, pour vous en faire voir d’une autre nature. Vous m’avez témoigné estre si satisfaite de celles qui ont esté écrites sur les Enigmes en Paroles, qu’ayant découvert que M. l’Abbé de la Valt en estoit l’Autheur, je l’ay prié de nous dire ses Sentimens sur les Enigmes qui sont en Figures. Il a eu l’honnesteté de le faire, & je luy suis d’autant plus obligé de la complaisance qu’il a euë, qu’en me donnant par là une marque de son estime, il me donne en mesme temps le moyen de satisfaire vostre curiosité. Vous l’aurez peut-estre crû Provençal, parce que je vous ay écrit que c’estoit d’Aix que j’avois reçeu ses premieres Lettres. Il est vray que quelques affaires l’y arrestent depuis quelque temps ; mais il est de Verneüil au Perche, & fait trop d’honneur à son Païs, pour ne prendre pas soin de vous le marquer.

LETTREs

sur les Enigmes

en Peinture,

A. M. L. D. D. S. A.

À l’Autheur du Mercure Galant.

LETTRE I.

[…]

LETTRE II.

[…]

LETTRE III.

[…]

LETTRE IV.

[…]

LETTRE V.

[…]

LETTRE VI.

[…]

LETTRE VII.

[…]

LETTRE VIII.

[…]

On ne sçaurait raisonner plus juste qu’a fait M. l’Abbé de la Valt dans toutes ces Lettres, où si vous en exceptez ce qu’il dit de trop obligeant pour moy, vous ne trouvez rien qui ne contente l’esprit, & qui ne l’éclaire sur ce qu’on doit penser des Enigmes. Je ne doute point que ceux qui se font un plaisir de les expliquer, n’y cherchent à l’avenir d’autres sens que ceux de l’Envie, de la Jalousie & de la Chasteté, puis qu’il leur apprend que l’Enigme devant servir de voile aux Ouvrages seuls, de l’Art ou de la Nature, les noms d’une passion, d’une vertu, ou d’un vice, n’en peuvent jamais renfermer le sens.

[Réponse à l’énigme de la lettre en chiffre] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 273-280.

Je passe à un autre genre d’Enigmes, si on peut donner ce nom à tout ce qui est obscur. Je parle de ma Lettre en Chiffre du dernier Extraordinaire, qui est demeurée un secret impénetrable pour vous & pour vos Amies. Beaucoup d’autres ont renoncé à la déchiffrer ; & d’un tres-grand nombre de Personnes qui ont essayé d’y réüssir, il n’y en a eu que cinq qui en soient venuës à bout. Je vous envoye leurs Billets pour ne rien oster à leur gloire. Vous seray surprise, vous qui avez crû la chose tres-difficle, de trouver des plaintes du contraire dans le premier.

I. BILLET.

[…]

[…]

[…]

[…]

[…]

Vous voyez, Madame, par la lecture de ces Billets, que le déchiffrement de cette Lettre n’a pas cousté beaucoup à ceux qui l’ont fait. Vous ne devez pas vous étonner qu’ils soient en si petit nombre. Peu de Gens se sont addonnez jusqu’icy à cette étude. Anisi ceux qui ne s’y sont point appliquez ne sçauroient développer le Chiffre le plus facile, au lieu que les Sçavans en cette matiere, c’est à dire, ceux qui ont pris l’habitude de déchifrer, ne se trouveroient que fort peu embarassez des plus difficiles qu’on leur pourroit proposer.

Regles pour apprendre à déchiffrer [l’Énigme de la Lettre en Chiffre] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 280-286.

Mais comme ce n’a pas esté mon dessein de travailler seulement pour ce petit nombre dont la penetration de l’esprit ne pouvoit m’estre inconnuës, j’ay donné des Lettres aisées sur le chiffre, afin que le Public qui les voit, & les examine apres vous, apprist peu à peu à débroüiller le secret qu’elles renferment. Cependant quelque facilité qu’il y ait eu à le découvrir, je voy bien, puis que si peu de Personnes l’ont fait, qu’on ne reüssiroit pas davantage à celles que je pourrois encor donner quoy qu’également faciles, si je ne prestois pour cela le secours des Regles principales, dont on se doit servir pour déchifrer. Je suis trop obligé au Public du favorable accuëil qu’il fait à mes Lettres, pour ne tàcher pas par toute sorte de moyens de luy en rendre la lecture profitable. Je ne doute point qu’apres que ces Regles luy seront connuës, il ne s’attache avec plaisir à dévoiler le mystère des nouveau Chifres que je vous envoyeray. C'est une science avantageuse, qui peut servir en beaucoup d’occasions, & par laquelle on peut estre utile à son Prince.

Regles pour apprendre à déchiffrer.

[…]

En voilà assez, Madame, pour vous rendre facile le déchifrement d’un Alphabet regulier, qui ne dépend que de la connoissance de la lettre E ; mais comme on y mesle presque toûjours des Nulles, & qu’on employe tres-souvent cinq ou six caractères differens pour marquer la mesme lettre, alors ce mésme déchiffrement ne se peut faire que par une forte application d’esprit à trouver les caracteres qui sont doublez ou inutiles. Je veux bien mesme avoüer, que vous aurez cet embarras dans le nouveau Chiffre que je vous envoye, & peut-estre, toute avertie que vous estes, aurez vous encor de la peine à le débroüiller. Il est tout de vielle Monnoye d’or & d’argent de France, & étrangere. J'ay crû que vous ne seriez pas fâchée d’apprendre à la connoistre en examinant quelles lettres chaque espece peut signifier. J'auray soin de vous faire voir toûjours quelque chose de nouveau & de curieux dans tous mes Chiffres.

[Remarques sur un article portant sur une étrange inscription apparaissant sur l’œuf d’un Serpent] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 287-297.

Comme cette Lettre est extraordinaire, vos Amies me permettront s’il leur plaist, d’y mesler extraordinairement quelques lignes de Latin, pour vous faire voir l’explication que plusieurs Personnes d’esprit ont donnée aux six monosyllabes écrits sur l’œuf de ce prodigieux Serpent, dont je vous parlay dans ma Lettre du mois de Juillet. Ce fut au Village de Poussan prés de Montpellier qu’on le trouva. Vous vous souvenez que ces monosyllabes estoient ou, pa, re, ma, ne, pa. Ce sont autant de commencemens de mots qui ont esté achevez de cette sorte.

Ovationem parat Rex Maximus nectens Pacem.
Loüis le Grand faisant la Paix,
Se prépare un Triomphe à noublier jamais.

Un bel Esprit de Montpellier les a expliquez ainsi.

Ovo parturito regnum manebit pacificum.
L'œuf qu’on a découvert de ce Serpent horrible,
Rendra le Royaume paisible.

Mr Brossard, Conseiller au Presidial de Bourg en Bresse, apres avoir dit que plusieurs vouloient que ces Caracteres signifiassent

Ovationes Regi parara Martem nefarium pacant.
Les Triomphes au Roy justement apprestez,
Vont faire du Dieu Mars cesser les cruautez,

ajoûte qu’il croit que les Syllabes gravées sur l’œuf de ce Serpent monstrueux, ne marque rien autre chose que ce que disent les anciens Naturalistes de la nature du Vipere, qui en naissant donne la mort à sa Mere, & vange celle de son Pere par là, la femelle coupans la teste du mâle lors de leur accouplement.

Ovum restituit Patrem, Mater necatur partu.
Si l’œuf fait revivre le Pere,
L'enfantement est la mort de la Mere.

Voicy ce qu’a écrit sur ce sujet le jeune Solitaire du Langon.

Il estoit juste qu’une Action aussi genéreuse que celle que vient de faire le Roy en donnant la Paix à toute l’Europe, éclatast par quelque Prodige surprenant & tout extraordinaire. La Nature en a voulu marquer de la joye, en impriment sur un œuf, d’un caractère ineffaçable, ces paroles, ou, pa, re, ma, ne, pa. L'invention d’écrire est nouvelle, & il falloit que l’encre fust bien subtile pour penétrer le corps d’un gros Serpent. Cela ne s’apelle pas écrire sur des feüilles de Chesne, comme faisoit la Sybille de Cumes. Aussi le sujet est-il de plus grande importance, puis que c’est la Prophetie de la Paix dont nous voyons l’accomplissement.

Ovo patefacto Reges manebunt pacifici.
L'œuf trouvé nous apprend que banissant la Guerre,
Les Roy vont rétablir le calme sur la Terre.

L'explication qui suit est plus particuliere.

Ovabit pace Respublica, mactabuntur Nemetes Paladino.
Quand la Hollande en paix gouste un bien sans égal,
Vers Strasbourg quel sang verse un vaillant Mareschal !

Tandis que la Paix arrestée avec la Hollande donnoit bien aux Peuples qui composent cette Republique de se réjoüir de leur bonheur, Mr  le Marechal de Crequy a remporté de grands avantages sur les Allemens. Il est designé par ce mot de Paladin, qui estoit autrefois une dignité fort renommée. C'est en effet aux anciens Paladin que les Mareschaux de France ont succedé. Nemetes, sont les Peuples de la Germanie d’entre les Villes de Strasbourg & de Mayance, dont César dans ses Commentaires, & Pline liv. 4. chap. 17. ont fait mention. Ces curieuses Observations sont deuës à M. Allard, dont vous avez veu plusieurs Lettres sous le nom de l’Hermite de S. Giraud.

Le Medecin Solitaire de Tarascon en Provence, qui regarde les Caractères imprimez sur l’œuf du Serpent, comme un de ces Prodiges qui n’arrivent jamais que pour annoncer de grands évenemens, dit que puis que nos Modernes assurent que toutes choses dérivent des œufs, que les Anciens en ont fait naistre leur Divinitez, & que les Augures en tiroient des conjonctures pour ce qui devoit arriver, il ne doute point que l’œuf d’un Animal qui est le Symbole de la Sagesse, & qui a paru dans l’Empire & sous le Regne de Loüis le Grand, ne nous prophetise que cet Auguste Monarque qui n’a jamais eu d’égal en puissance ny en vertu, sera suivy en tous lieux de la Victoire.

Ovanti Palma Regi manebit nemini pari.
Ce Roy qu’aucun n’égale en ses nobles Conquestes,
Verra par tout pour luy des Palmes toûjours prestes.

Quelques-uns ont expliqué ces Caracteres sur l’impossibilité de les expliquer.

Ovum patefacit reconditum manuscriptum nemini patens
L'œuf nous découvre un Manuscrit caché,
Dont en vain le sens est cherché.

D'autres au contraire veulent qu’il n’y ait rien que de naturel dans ces paroles trouvées sur l’œuf. Voicy ce qu’ils disent. Comme une Groiselle ou une Cerise se trouvent marquées sur quelque membre d’un Enfant nouveau né, par la forte impression que ces sortes de choses ont faite à l’imagination de la Mere : de mesme quelque feüillet d’un Breviaire ou Missel dont les lettres sont rouges en partie, peut avoir esté laissé parmy les ordures d’un fumier. Le Serpent les aura regardées fixement, lors que le Soleil dardoit ses rayons dessus. La Sympathie qu’il y a entre cette couleur rouge, & la mesme couleur qui est aux yeux du Serpent, aura fait une forte impression qui aura émeu l’imagination de cet Animal ; en sorte que l’œuf se sera trouvé disposé à recevoir les lettres qu’on y a veuës. Si on demande pourquoy ces lettres sont deux par deux, on peut répondre que peut estre les lettres rouges estoient effacées par l’ordure, ou que cela s’est fait à diferentes reprises, selon que les rayons visuels donnoient par ligne droite sur deux lettre, n’en pouvant comprendre davantage.

Vous en croirez ce qu’il vous plaira. Il est certain que nos Anciens Druïdes prenoient pour Enseigne un œuf de Serpent, & qu’ils croyoient qu’il contribuoit beaucoup à la Victoire. Ils vouloient mesme que le Serpent marquast la Concorde, & c’est pour cela qu’ils faisoient porter le Caducée de Mercure en signe de Paix, parce que deux Serpens s’y voyent embrassez. Cette remarque a donné lieu à Mr Portes, Prestre & Docteur de Lyon, de faire cet Epigramme Latin. Vous l’expliquerez à vos Amies.

Anguibus oviparis concordia nascitur armis.
Serpentis partus Omina pacis habent.

Le mesme M. Portes a fait l’Anagramme des six Caracteres du Serpent par ces mots sans aucun changement de lettres,

DONE ARMA, PAVE.

Ce qu’il y a d’admirable, c’est que plusieurs Personnes ayant entrepris de les expliquer en des lieux fort éloignez l’un de l’autre, semblent s’estre communiqué leurs pensées en n’y cherchant aucun autre sens que la Paix. Croiriez vous, Madame, que Nostradamus l’eust prédite par cet œuf ? Voicy ce qu’on assure qui se trouve dans ses Centuries.

Prophetie

de Michel Nostradamus.

L'An sept & huit le Serpent concevra.
Par le cousteau l’œuf écrit paroistra.
Lors la valeur à nulle autre seconde,
Pourra donner la Paix à tout le monde.

LETTRE XXV [Remarques sur un article concernant un enfant monstrueux de Toulouse] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 298-300.

On n’a pas seulement expliqué ces caracteres de l’œuf du Serpent sur la Paix. L'enfant monstrueux de Toulouse en a esté un présage. Vous le retrouverez dans cette Lettre.

LETTRE XXV.

À Rheims.

L'Utile est si heureusement meslé avec l’agreable dans ce que vous nous donnez tous les Mois, que la lecture de vos Ouvrages n’instruit pas moins qu’elle divertit. C'est une verité, Monsieur, dont vous serez aisément persuadé, quand je vous auray dit dequelle maniere les Esprits ont esté exercez par vostre Mercure de Juillet. L'Enfant de Toulouse dont vous nous parlez, a donné l’estre à bien des pensées. Il est cause qu’un fameux Medecin de nostre Ville a pris dessein de faire voir au Public un Traité qu’il a composé sur ce Prodige. Mais d’autres sans vouloir feüilleter ny Avicennes, ny Galien, pour découvrir les causes d’une naissance si extraordinaire, ont crû qu’un Enfant si merveilleux n’estoit rien autre chose qu’un présage de la Paix, qui apres avoir tenu longtemps en travail (pour me servir de l’Allégorie) tous les Plenipotentiaires des Princes de l’Europe, a pris enfin naissance lors qu’on s’y attendoit le moins. J'aurois bien des choses à vous dire, si je ne voulois m’arrester sur toutes les matieres qui ont fait icy le sujet des plus agreables conversations. Le Procés d’un Chat a fourny des pensées fort spirituelles, aussi bien que l’œuvre trouvé dans le ventre du Serpent de Montpellier. Je vous en rendrois compte, si je n’avoit impatience de vous dire que je suis vostre, &c.

Roland, Avocat.

Air en Recit §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 300-302.

Je vous envoye un grand Air qui louë le Roy de ce qu’il a bien voulu nous donner la Paix. Il est de Mt Furdaulx Maitre de Musique de la Cathédrale de Mets & trop du temps, pour ne vous en pas régaler extraordinairement.

AIR EN RECIT.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Heros, dont les grands Noms embellissoient l’Histoire, doit regarder la page 301.
Heros, dont les grands Noms embellissoient l’Histoire,
Aléxandre, César, intrépides Guerriers,
Qui dans le Champs de Mars parustes les premiers,
Et parmy vos Captifs enchaîniez la Victoire,
LOÜIS de vos Exploits fait perdre la memoire,
Et loin qu’un mesme sort menace ses Lauriers,
Le Monde dureroit mille Siecles entiers,
Que le premier de tous parlera de sa gloire.
Illustres Conquérans, n’en soyez point jaloux,
Quoy que vous ayez fait, il a plus fait que vous.
Chaque instant de sa vie offre un nouveau miracle.
Si vostre ambition mit des Peuples aux fers,
Pour donner à la terre un plus digne Spectacle,
D’une seule parole il calme l’Univers.

Fiction sur les Mouches §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 302-305.

Fiction

sur les Mouches.

L'Amour cueilloit du Miel dans un Jardin. Il prétendoit que ses Flêches en seroient plus douces, & que l’on se plaindroit moins de leurs coups. Les Mouches, qui sont naturellement ses ennemies, ne pûrent suporter le dégast des fleurs d’un beau Parterre qu’il mettoit en desordre, ny son larcin. Elles bourdonnerent autour de luy, & quelques-unes le piquerent de leurs aiguillons. Il alla aussitost se plaindre à Vénus du sacrilege des Mouches qui avoient osé l’attaquer, elles qui sont les plus petites des Insectes. Vous qui n’estes qu’un Enfant, & le plus petit des Dieux, luy repartit Vénus, n’attaquez-vous pas tous les jours & Jupiter, & moy-mesme ? Cependant elle prit soin de ses playes, qui estoient fort legeres, & dont il n’auroit pas fait tant de bruit, s’il n’estoit pas accoustumé à estre fort sensible, & à crier aisément. Elle se servit de la Gomme que les Anciens luy ont consacrée ; & ayant coupé de son Voile noir, elle luy en fit quelques emplastres. Mais j’ay tort de les nommer ainsi. Les Graces furent surprises du nouvel éclat qu’elles donnoient aux belles couleurs de l’Amour. Tout le Voile fut bientost coupé en figures diférentes. Vénus & les Graces s’en servirent pour paroistre encor plus belles qu’elles n’estoient. Il n’y avoit que le nom d’Emplastre qui ne plaisoit pas. Vénus ordonna qu’il seroit défendu, & que celuy de Mouches prendroit sa place, puis que l’Avanture des Mouches avoit donné l’occasion d’inventer cette maniere aisée d’embellir la Beauté mesme, s’il est permis de parler ainsy.

Reponse à la Question Galante, Lettre XXVI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 305-308.

Reponse à la Question Galante,

LETTRE XXVI.

LA fuite peut estre d’un grand secours contre les atteintes & les progrés de l’Amour, s’il est vray qu’il soit aussi funeste à un Cœur qui s’en laisse surprendre, que tous les Amans le publient par leurs plaintes. Mais comme ce n’est pas à cette belle Passion qu’il s’en faut prendre, & qu’au contraire c’est à ceux qui ne la sçavent pas ménager avec l’adresse qu’elle demande, on doit croire que la Dame dont il s’agit en aura assez pour n’en gouster que les douceurs. Il faut convenir que le Mariage a ses loix, & qu’il est dangereux à ceux qui y sont engagez, de ne les pas suivre. Mais elle ne risquera guére en ne s’en éloignant pas. Elle a de la vertu, & j’ay trop bonne opinion du beau Sexe, pour croire que celles qui en ont, fassent rien qui les en détourne. Sa passion n’ira pas jusqu’à l’excés, puis qu’elle sera partagée avec son Mary, pour lequel elle a toute l’estime possible par son merite. Ce seroit à mon sens une espece de perfidie contre son cœur & contre son Amant malheureux, de se hazarder à une confidence qui pourroit l’exposer, & peut-estre elle-mesme, aux emportemens de la jalousie. On ne voit pas qu’elle avançast beaucoup par la retraite. Souvent elle fortifie plutost l’amour qu’elle ne l’affoiblit. On dit qu’il est extrémement ingénieux à trouver des moyens. Si cet Amant sçait faire son devoir, il n’en manquera pas assurément pour voir ce qu’il aime, & pour en estre veu, & alors le remede deviendroit un poison.

Point de retraite, & encor moins de confidence. Je décide comme vous voyez, Monsieur, sans guére hésiter. Mais je ne sçauroit faire autrement ; Je suis un des Partisans du Mercure Galant, & je ne veux rien luy répondre qui déroge à ses qualitez. Rien de moins galant que le procedé d’une Dame qui fait confidence à son Mary de sa passion & de celle de son Amant, pour ne s’occuper qu’à son ménage. Mais rien de plus galant & de plus agreable pour elle, que de soûtenir adroitement & avec mystere une belle Passion, qui ne souffre jamais d’autre déclaration que celle qu’une tendresse toûjours respectueuses peut faire. Je suis vostre, &c.

Bouchet, de Grenoble.

[Réponses aux énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 309-317.Pour l'énigme et pour pour la solution de cette énigme dans le Mercure

Voicy comme les Enigmes du Clavessin & du Tournebroche ont esté expliquées par diférentes Personnes.

Explication des Deux.

Je ne sçay si je me méprens
Sur ces Enigmes cy ; ce que je m’imagine,
C’est que ce sont deux fort bons Instrumens :
L’un est propre à la Chambre, & l’autre à la Cuisine.
Que de plaisir nous donne le premier
Par ses cordes de fer, de laton [sic], ou d’acier !
Et que d’oreilles sont charmées
Par tant de Langues emplumées !
Pour le Second, s’il n’est bien assorty
À sa necessaire femelle,
À sa Broche, il ne peut sans elle
Faire cuire nostre Rosty
Sur l’Explication s’étendre davantage,
Ce ne seroit pas plaire au Mercure Galant.
Avec raison il nous défend
Le long discours, le superflu langage.
Comme j’ay toujours fait dessein
D'éviter ce juste reproche,
Fermons viste le Clavessin,
Et faisons en soupant, taire le Tournebroche.

GARDIEN.

Explication

du Clavessin.

Ma foy, cette Enigme me plaist ;
Voyons, il faut que je l’explique.
À ce grand attirail je vois ce qu’il en est,
C'est un Instrument de Musique
Mais quel nom luy donner ? encor en faut-il un.
Que je suis un grand sot de me tant gesner l’ame,
Pour un instrument si commun !
C'est le Clavessin de ma Femme.

BARBETTE, Echevin de Troyes.

Autre.

LE Clavessin me charme, il n’est rien de plus doux,
Ses accords & son harmonie
Exercent sur mon cœur inquiet & jaloux,
Une agreable tyrannie.
Iris sçait toucher avec tant d’agrément,
Que des cœurs les plus durs elle change l’usage,
Et cette Belle a l’avantage
D'avoir fait en joüant plus d’un enchantement.

Autre.

Rondeau.

Le Clavessin de bizarre figure
Peut s’enrichir d’une fine peinture.
Cet ornement doit arrester les yeux;
Mais ces accords touchent les Curieux
Tout autrement que sa belle parure.
Quand Chamboniere avec sa Tablature
Vouloit charmer les Roys nos Demy-Dieux,
Autre que luy ne faisoit parler mieux
Le Clavessin.

Autre.

Chaque chose en ce temps, ainsi qu’au Carnaval,
Se déguise, & l’on prend un plaisir sans égal,
Soit à les travestir, soit à les reconnoistre.
Dans cet admirable dessein,
Il n’est pas jusqu’au Clavessin
Qui ne se meste aussi d’en estre.
Mais dans le mesme instant que je l’ay veu parestre,
Sans le faire beaucoup parler,
Luy voyant si bien étaller
Ses plumes, ses attraits, & sa riche parure,
Avec ce corps de bizarre figure
Que de langues sans nombre on avoit soin d’orner,
Et sur tout l’entendant si juste résonner,
C'est luy mesme, ay-je-dit, il en a l’encolure.
Hé bien sçais-je pas deviner ?

La Belle du Mont Parnasse.

Explication de l’Enigme

de la Statue de Memmon.

[…]

Autre de la mesme,

Sur le Coq.

[…]

Ceux qui ont donné les cinq Explications suivantes, prennent tous le titre d’Académiciens de Boüilly lez-Troyes.

Vous demandez quelles merveilles
Font retentir ces lieux d’un accord tout divin ;
Apollons de Boüilly, n’avez-vous plus d’oreilles ?
Quoy, n’attendez-vous [sic] pas que c’est un Clavessin ?

C. BUGLET, Prevost de Boüilly.

J'entens bien, c’est un Clavessin,
Dont Mercure aujourd’huy vient m’étourdir l’oreille.
Ah, pour le chatoüiller; l’impertinent engin !
Passe encor; si c’estoit le son d’un pot de Vin,
Ou les glou-gloux d’une Bouteille.

MALHERBE, Medecin.

Amis, ce Clavessin dont vous goustez l’appas,
N'a rien pour moy d’assez solide.
Franchement, il ne me plaist pas,
Ie ne veux point mâcher à vuide.
Ma foy, ce Tournebroche utile à nos Repas,
M'est plus doux dans son bruit, qu’un accord insipide.

MORNAC le jeune, Avocat.

Si plus souvent qu’au Cabinet
Ie ne rodois dans la Cuisine,
Ma foy je n’aurois pas la mine
De venir justement au fait.
Mais, grace à mon humeur qui souvent m’en approche,
Je reconnois ce Tournebroche.

L'ABBÉ SONNEAU.

À Moy qui supute & mesure
Les heures & les jours de l’An,
Si tu crois sous cette figure
Cacher pour longtemps un Cadran,
Parbleu tu te trompes, Mercure.

CHEVALIER, Trésorier de S. Urbain.

[Madrigal répondant à l’Énigme du Clavecin] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 317-319.

Le Madrigal qui suit a esté fait à l’occasion d’une belle Dame dont un Cavalier qu’on avoit mené chez elle se trouva charmé à l’entendre joüer du Clavessin. Comme on ne le peut toucher plus délicatement qu’elle fait, il fut si sensible à cette harmonie, qu’il paslit tout-à-coup, & tomba en foiblesse, jusqu’à perdre connoissance. On eut recours aux remedes ; il revint à luy, & cet accident luy donna lieu de dire cens jolies choses sur ce qu’il sentoit pour cette admirable Personne. Cette premiere Visite en attira d’autres. La Dame fut fortement aimée du Cavalier ; mais enfin soit qu’elle ait esté cruelle, soit que l’amour diminuë de luy-mesme quand il ne sçauroit plus augmenter, cette passion s’est ralentie depuis quelque temps ; & voicy ce qu’il luy a répondu sur l’Enigme du Clavessin, qu’elle l’avoit priée d’expliquer.

FAut-il m’écrire Vers & prose
Pour m’obliger à deviner
L'Enigme que l’Autheur du Mercure propose ?
Iris, tout de nouveau pourquoy me chagriner,
En me representant ce qui fait mon suplice ?
Je croy que c’est avec dessein
Que vostre cruauté me fait cette malice,
Pour me faire songer encor au Clavessin.

Lettre XXVII §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 319-325.

La Lettre que vous allez voir est d’un Particulier à un Amy.

LETTRE XXVII.

LA Question que nous propose l’Extraordinaire du Mercure, fust dernierement agitée dans une Compagnie où je me trouvay. Chacun y dit son sentiment ; mais de cinq ou six aimables Personnes qui y estoient, il n’y en eust pas une qui fust de vostre avis. Elles plaignirent toutes le malheur de cette Femme qui se voyoit exposée à la veuë d’un Amant pour qui elle sentoit en secret une passion violente qu’elle vouloit étouffer ; mais elles soûtinrent que puis qu’il n’y avoit pour cette malheureuse aucun moyen de s’éloigner de ce qu’elle aimoit, qu’en confiant son secret à son Mary, il valoit mieux eternellement combatre, & mourir mesme dans les combats, que d’aller faire une confidence si dangereuse à une Personne dont elle devoit toûjours dépendre. Pour moy, Monsieur, je n’eus pas de peine à me ranger de ce party, & toutes les raisons que vous m’aviez fait la grace de m’écrire pour soûtenir vostre sentiment, s’évanoüirent de devant mes yeux. Je consideray avec elles quelle peine cruelle c’estoit pour une Femme, que de se résoudre à aller elle-mesme découvrir un amour qui la devoit faire rougir, & de l’aller découvrir à celuy des Hommes auquel elle avoit plus d’interest qu’il fust eternellement caché. Mais sur tout j’examinay le coup mortel que c’estoit porter au cœur d’un Mary, que de luy apprendre cette nouvelle. Il faut avoir aimé, Monsieur, pour bien entrer dans ces sentimens, & pour concevoir la secrete douleur d’un honneste Homme qui sçait qu’il ne possede de sa Femme que ce qu’elle ne luy peut refuser ; qui ne doit l’affection qu’elle luy fait paroistre qu’au lien qui les unit, & qui n’est pas le maistre d’un cœur dont il ne se sent que trop digne par son merite. Il est vray que sa Femme tâche d’étouffer cette passion criminelle, il en est mesme convaincu, & il semble que l’aveu qu’elle luy vient de faire est une marque de sa vertu, & de l’estime qu’elle a pour luy. Mais il faut ne pas connoistre l’Amour, pour ignorer qu’il ferme toûjours les yeux sur ce qui peut le soulager dans son malheur, & qu’il ne considere que ce qui accroist ses déplaisirs. Qui peut rassurer ce Mary contre tout ce que son chagrin luy va representer ? Il sçait que l’absence n’efface pas toûjours les impressions qui se sont formées dans un cœur ; que le mal peut s’aigrir par la violence qu’on luy fait ; & que la passion ne trouvant plus dequoy se flatter, monte quelquefois à un tel excés, que la vertu la plus forte qui luy resistoit au commencement, n’est plus en état de la combatre. Une Femme qui jettera les yeux sur tous ces périls, ne balancera pas longtemps sur la résolution qu’elle doit prendre ; elle se déterminera sans doute à demeurer exposée à la veuë dangereuse de son Amant. Il est vray qu’elle aura de rudes combats à rendre ; mais, Monsieur,

Ce n’est qu’en ces combats qu’éclate la Vertu,
Et l’on doute d’un Cœur qui n’a point combattu.

La victoire se déclarera pour le party le plus juste, & il est bien difficile qu’une Femme vertueuse qui a la force de cacher sa passion à une Personne dont elle est tendrement aimée, n’ait enfin la puissance d’étouffer cette passion qui choque son devoir. Les froideurs qu’elle doit faire paroistre à cet Amant, pourront peut-estre la rebuter dans la suite ; & comme l’amour se guérit souvent par le dépit, elle doit esperer de ses rigueurs qu’elle se verra bientost libre des cruelles attaques où l’expose une veuë qui luy est trop chere. Enfin, Monsieur, de deux périls, elle choisira celuy dont sa vertu, qu’elle a déjà éprouvée, la pourra toûjours garantir. Je suis vostre, &c.

L'Insensible de Beauvais.

Lettre XXVIII [relative aux Énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 326-327.

LETTRE XXVIII.

À Angers.

J'Ay leu plusieurs de vos Mercures Galans avec tant de satisfaction, que je puis vous protester que la lecture de ces Ouvrages est une des plus agreables occupations que j’aye en France. Elle me fait apprendre la Langue en mesme temps qu’elle me divertit l’esprit. Je ne les ay leus que quelque temps apres qu’ils ont esté faits, à l’exeption de celuy du Mois d’Aoust. J'ay un peu resvé sur les Enigmes que j’y ay trouvées. La premier m’a paru estre le Clavessin ; & la seconde, une Horloge à pendule. Si je n’ay pas deviné juste, cela doit estre pardonné à un Estranger, qui a de la peine à entendre le langage. Au moins cecy me fera une occasion de vous dire que je suis vostre, &c.

François-Loüis Vander Weillen, Gentilhomme Allemand.

Lettre XXIX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 327-331.

LETTRE XXIX.

À Saumur.

JE croyt, Monsieur, que la Statuë de Memnon peut tres-bien s’expliquer de l’Astrologie. Cette Statuë qui regarde le Soleil, & qui ne rend ses Oracles qu’en recevant ses rayons, represente les Astres, & particulierement les Planetes, dont l’usage est tres-grand dans l’Astrologie, & qui tirent toute leur force & leur lumiere du Soleil. La Sphere qui paroist sous les pieds de Memnon, peut signifier le Globe Celeste. Le Viellard qui considere la Statuë, c’est l’Astrologue qui consulte les Astres. Ceux qui viennent à luy, sont ceux qui veulent sçavoir l’avenir, & qui se font dire la bonne Aventure, & tirer l’Horoscope. Mais pour confirmer cette Explication, il faut encor considerer le raport que les Prédictions de l’Astrologie ont avec les Oracles. Il n’y avoit rien de plus ambigu ny de plus obscur que ces réponses des faux Dieux, comme il paroist par celles qui furent rendûes à Crésus, à Pyrrhus, & à mille autres qu’il seroit trop long de nommer icy. De mesme on ne voit rien de plus embroüillé que les Prédictions des Astrologues. De plus, les Oracles estoient presque tous faux ; & si quelquefois ils se trouvoient veritables, ce n’estoit que par un pur hazard. Oenomanus, Philosophe & Orateur Grec, ayant esté souvent trompé par celuy de Delphes, fit un Livre de ses mensonges, qu’il intitula, De la Fausseté des Oracles. Et Porphyre, ce grand Ennemy des Chrestiens, avouë en son Traité des Réponses & des Oracles, que pour l’ordinaire ils se trouvoient faux. Il en est de mesme de ce que prédisent les Astrologues ; ce que je vay faire voir en peu de mots par quelques exemples mémorables. En l’année 1179. il courut par toute l’Europe des Prédictions des plus fameux Astrologues, par lesquelles ils menaçoient qu’en l’année 1186. il arriveroit de si effroyables tempestes, & des vents si impétueux, que les Tours ny les Chasteaux les plus forts ne seroient pas capables d’y resister. Cela jetta tout le monde en une consternation terrible, & la plûpart s’alloient cacher dans les creux des Rochers. Cependant cette année-là fut extrémement tranquille. Depuis, d’autres Astrologues publierent qu’en l’an 1524. au mois de Fevrier, il y auroit de si grandes pluyes, qu’à peine se pourroit-on sauver de cette espece de deluge. Mais il arriva tout le contraire de ce qu’ils avoient prédit, & le mois de Fevrier fut extraordinairement sec. Qui ne sçait enfin (car j’ay honte d’estre si long) ce qu’on pronostiqua de l’année 1588. qu’on nomma la merveilleuse, à cause des prodigieux accidens qu’on devoit voir, & de la fameuse Eclypse de Soleil de l’an 1654. Neantmoins toutes ces Predictions n’eurent point d’effet, & elles ne servirent qu’à confondre la vaine Science des Astrologues. Je suis, &c.                                                           De la Tousche.

Lettre XXX §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 332-338.

LETTRE XXX.

À Ablouville, pres d’Argentan.

J'Entre d’abord en matiere touchant la Question galante que vous proposez, & crois, Monsieur, qu’une Femme qui est bien persuadée du merite du Rival de son Mary, & qui a du panchant à luy vouloir du bien, a lieu de craindre pour sa vertu, si elle reste en un lieu où elle ne peut honnestement éviter sa veuë. Il luy rend malgré elle mille services qu’elle ne peut refuser. Il les assaisonne d’un langage muet qui luy dit plus qu’elle ne voudroit entendre. Il ne perd pas la moindre occasion de la voir & de devenir necessaire. Cette complaisance achevée, son air, & ses manieres, donnent de terribles assauts à la vertu de la Dame, & grand sujet d’appréhender certaine heure du jour plus redoutable encor pour le Mary dans un teste à teste commode pour les Amans : mais d’ailleurs si par une avanture assez rare la Dame aime tendrement son Epoux, & que l’amour soit reciproque, elle hazarde de le faire changer en jalousie par un aveu trop sincere, qu’il peut croire n’avoir esté fait que pour sauver les apparences, & servir en suite à le mieux tromper. Tout luy devient suspect, jusqu’à la retraite proposée. Il s’imagine que loin du monde & du bruit, les rendez vous se donnent plus à propos. Je conseille donc à la Dame de ne point découvrir son foible, & de faire tout son possible pour le vaincre. Il y a plus de peine mais il y a plus de gloire, & par une indiférence un peu de longue haleine, elle pourra obliger l’Amant à l’imiter, & le tout sans donner d’ombrage au Mary. Peu de Gens seront d’un avis contraire ; mais peut-estre que les voix seront plus partagées touchant les Mouches dont j’attribuë l’usage à Omphale Reyne de Lydie. Comme elle se coëffoit un jour devant son Miroir, une Mouche se vint mettre sur sa jouë. Elle vit que la couleur de ce petit insecte relevoit admirablement bien l’eclat de son teint. Elle s’avisa d’avoir des Mouches plus fixes, & pour cela elle se fit apporter du Taffetas noir, dont elle tailla quelques petits morceaux qu’elle s’appliqua en divers endroits du visage, & donna ordre à ses Suivantes de ne l’en pas laisser manquer. Elles y travaillerent avec succés, & chacune fit de son mieux pour meriter qu’on l’appellast la Bonne Faiseuse. Toutes les Dames de Lydie suivirent l’exemple de leur Reyne, & dans ce temps le grand Hercule passa par là.

Il vit la Reyne, & ne pût se défendre,
Contre des attraits si puissans.
Il ne fut pas longtemps sans luy faire comprendre,
Par mille regards languissans,
Que l’éclat de ses yeux le forçoit de se rendre.

Elle eust de la joye de le voir réduit à cette necessité. Elle le connoissoit sans l’avoir jamais veu. Sa réputation parloit assez, & son nom apprenoit toutes choses. Elle feignit de ne se pas apercevoir de son embarras, & traita longtemps de galanterie pure la déclaration qu’il luy fit en suite. Il luy jura que son cœur estoit sur ses levres ; mais dans la crainte que sa passion ne fust aussi vagabonde que sa gloire, qui s’attachoit à toute sorte de grandes entreprises, elle s’en voulut assurer par quelques épreuves, & commanda à ce nouvel Amant de prendre l’Habit de Femme, avec une Quenoüille & des Mouches. Il le fit incontinent. Il faisoit beau voir Alcide tel qu’on le dépeint en cet équipage. Voyez le prodigieux pouvoir de l’Amour, qui tout Enfant qu’il est, se joüoit en ce moment de celuy qui avoit tant assommé de Monstres !

Le Lyon Neméen, l’Hydre, le Sanglier,
Et les Oyseaux du Lac Stymphale,
Avoient pour ce brave Guerrier
Esté moins dangereux que les Mouches d’Omphale.

La Reyne de Lydie ne se contenta pas de cette métamorphose. Elle luy ordonna encor d’introduire par tout la mode de se mettre des Mouches ; ce qui luy fit recommencer tous ses Voyages. Il établit donc en tous lieux cette Mode par autorité, mais elle ne fut pas longtemps sans plaire à toutes les Nations, qui l’ont toûjours continuée depuis, comme nous le voyons encor presentement. À son retour il persuada tout ce qu’il voulut, & fut bien récompensé. Je suis vostre, &c.

D'Abloville.

Lettre XXXI §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 338-340.

LETTRE XXXI.

JE suis obligé, Monsieur, de vous apprendre le bruit que vostre Mercure fait à Madrid parmy les Personnes de la premiere qualité. Voicy ce qu’un Homme de merite qui est dans cette Cour, & à qui je l’envoyay il y a quelque mois, m’en a écrit. J'admire la nouvelle & agreable maniere de s’immortaliser, que l’Autheur du Mercure fournit aux Gens d’esprit, dont je trouve qu’il fait une troisiéme espece de Héros.

Car il est des Héros de toutes les manieres,
Et sans parler des ames meurtrieres,
Qui barboüillez de poussiere & de sang
Se sont saisis du premier rang,
Sans parler des Autheurs antiques,
De leurs Commantateurs, Traducteurs ou Critiques,
De qui le front en guise de Guerriers,
Paroist couronné de Lauriers,
Il est des Héros à la mode,
Qui par une adroite methode,
Soit à faire des Vers, soit à les applaudir,
Soit à tourner proprément une Epistre,
Selon que leur talent a pû les enhardir,
Du Mercure prenant un titre,
Se font avec facilité
Guinder à l’Immoralité.

Le Cavalier Ecclesiastique.

De l’origine des Mouches des Dames §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 340-351.

De l’origine

des Mouches

des Dames.

PUis que vous voulez, aimable Mercure Galant, que je vous apprenne l’origine des Mouches que les Dames mettent sur leur visage, je vous rapporteray ce qu j’en ay leu dans un vieux Manuscrit qui n’est ny Grec, ny Latin, ny Allemand. Il dit que l’Amour, qui de sa nature est inconstant & volage, s’ennuyant un jour dans les Cieux avec les Déesses, s’avisa de quitter cette belle Demeure pour venir chercher du ragoust dans je ne sçay quel petit Village où il y avoit de fort jolies Bergeres, adroites, propres, bien faites, & mesmes assez fieres. Vous sçavez ce que le Tasse dit de la fuite de l’Amour, de la colere de Vénus, & dès perquisitions qu’elle fit pour le retrouver. Voicy le reste de l’Histoire. L'Amour ayant résolu de se déguiser, crût qu’il seroit moins facilement reconnu en équipage de Bergere, que dans l’habit de Berger. Il cache donc sa Torche & son Bandeau dans une ville Masure, oste la pointe dorée de ses Fléches, en met une autre qui pour n’estre pas si belle, est pourtant d’aussi bonne trempe, replie le mieux qu’il peut ses aisles sous ses bras, se coëffe d’un petit Bavolet, prend une Houlette, & chasse un Troupeau devant luy. Tout favorise son déguisement, son visage jeune, ses cheveux blonds, ses petites manieres. Jamais l’Amour ne fût plus plaisant qu’en cet équipage. Il se regarde dans une Fontaine. Il s’admire, & rit luy-mesme de sa Mascarade, bien assiré que personne ne le reconnoistra, non pas mesme Vénus qui le cherche. Habillé de cette maniere, il entre dans la Prairie, où toutes les Bergeres du Village estoient assamblées autour de leurs Troupeaux.

Icy le Manuscrit est un peu déchiré, & c’est assurément dommage, car cet endroit à mon avis devoit estre le plus curieux, & il y auroit eu grand plaisir de voir comment l’Amour fit connoissance, & de quelle sorte il se démesla de ses premiers complimens... . Mais tout ce que l’on sçait, c’est qu’il fit amitié particuliere avec deux des plus belles Bergeres, luy qu’on accuse de ne se connoistre pas trop en amitié. L'une s’appeloit Aminte, & l’autre Cloris. Pour luy il se donna le nom de Carite. Ainsi ces trois Belles estoient toûjours ensemble, & ne pouvoient vivre l’une sans l’autre. Un jour qu’elles estoient au bord du Ruisseau qui arrose la Prairie (c’estoit peut-estre dans la délicieuse Valée de Tempé, au bord du Fleuve Penée ; l’Histoire à la verité ne le dit pas, mais on le peut suposer.) Estant, dis-je, dans la Prairie, elles virent un Essein d’Abeilles, qui bourdonnant en l’air, avoient quitté leur Ruche trop pleine, & cherchoient un nouvel endroit pour se loger. Carite peu sçavante dans cette sorte de ménage, coûrut au devant d’elles, & les voulut arrester avec sa main ; mais cette petite Troupe mutinée, qui est la seule, au sentiment de Virgile, qui ne reconnoist point l’Amour, & qui ne paye point de tribut à Vénus, s’effarouche, se jette sur le visage de Carite, la pique en plusieurs endroits, & luy fait verser des larmes. Ses deux Compagnes s’empressent aussitost pour la secourir. Elles vont chercher une Herbe dont le jus a la vertu de guérir ces sortes de piqueures ; & pour haster le remede, & tenir la liqueur arrestée sur les playes, elles ostent un Ruban noir qui tenoit un Bouquet de fleurs attaché au col d’une jeune Brébis. Elles le coupent par petits morceaux, les trempent dans le jus, & les appliquent si proprement & avec tant d’art sur chaque piqueure, que le visage de la Bergere au lieu d’en estre défiguré, en paroist plus beau. Elles estoient encor dans cette occupation, lors que Vénus qui cherchoit l’Amour, arrive par hazard en ce lieu. Elle s’arreste un moment à considerer la belle Troupe, & principalement Carite, qui toute honteuse de l’équipage où elle est, & craignant d’estre reconnuë, baisse ses beaux yeux pleins de larmes, & rougit de confusion. Vénus s’informe au sujet de sa douleur, plaint la Bergere de son avanture, la trouve belle, & presque aussi aimable que son Fils, voyant en elle beaucoup de ses traits. Elle alloit poursuivre son chemin, quand la tremblante Carite ravie de la voir partir, se prit inconsidérement à soûrire. Alors Vénus reconnut aussitost son Fils déguisé, car les ris de l’Amour sont si particuliers, que personne ne les sçauroit imiter. Elle l’embrasse, se saisit de luy, appelle les Oyseaux qui traînent son Char, & le remene au Ciel avec elle. Tous les Dieux réjoüis de son retour, accourent pour le caresser. Les un luy ostent le Bavolet, d’autres le raillent de son déguisement ; mais tous conviennent que les Mouches sont cause qu’il paroist avec un nouvel éclat, que son teint en est plus vif, & que ces petites marques noires qui cachent leurs piqueures, sont des agrémens qui augmentent sa beauté. Ils voulurent que l’effet gardast le nom de la cause, & donnerent celuy de Mouches à ces agrémens. Depuis ce temps-là ce nom leur est toûjours demeuré. C'estoit justement la veille du jour que Pâris avoit marqué pour juger le fameux diférent des trois Déesses qui disputoient le prix de la Beauté. Vénus laissant à ses Rivales les ornemens d’or & de pierreries, ne crût pas que ses attraits eussent besoin de ce secours pour les vaincre. Chacun sçait de quelle maniere elle voulut paroistre devant le Juge, mais tout le monde ne sçait pas qu’elle se servit des Mouches pour le gagner, & qu’elle est la premiere qui est employé ce petit secret pour relever la blancheur de son teint. Elle en lit une au coin de sa bouche, une autre au dessus de l’œil, & quelques petites imperceptibles sur ses jouës. Il y en a qui disent qu’elle en mit encor sur tout le reste de son corps, mais l’Autheur de l’Histoire ne le dit pas. Il ajoûte seulement que Pâris la trouva si belle avec ce nouvel ornement, qu’il ne pût luy refuser la Pomme d’or, & qu’apres qu’il eut enlevé Heleine, dont les bonnes graces furent un présent de Vénus, & la récompense du Jugement qu’il rendit en sa faveur, il enseigna ce secret à son aimable Maistresse ; qu’Heleine estant à Troye s’en servit ; que les Dames Troyennes l’imiterent ; que cette plaisante invention se répendit en suite chez les Grecs, & par eux dans toute l’Italie. On sçait que les Romains ont étendu leur domination par tout. Ainsi il n’y a pas lieu de s’étonner qui les Mouches soient reçeuës chez toute sorte de Nations ; mais comme c’est à l’Amour que les Dames sont redevables du secours que leur beauté en tire, elles ne s’en servent que pour accroistre son Empire, & luy acquerir de nouveaux Sujets. Aussi voyons-nous que celles qui ne luy peuvent procurer de conquestes, renoncent à cet ornement qui ne convient proprement qu’aux belles & jeunes Personnes. Voilà, aimable Mercure, ce que je sçay sur ce sujet. Je ne vous déguiseray point mon nom, & signeray comme on m’appelle,

Hermanita.

Air nouveau §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 351-352.

Vous aurez encor un Air nouveau que je ne puis me resoudre à laisser vieillir. Il est de la composition de M. du Parc, & vous fera connoistre qu’il sçait la Musique à fond. C’est un Recit de Basse avec un Dessus adjousté. La conjoncture de la Paix & des Vendanges en rend les Paroles fort de saison.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Laissons-là les Flamans & le Prince d’Orange, doit regarder la page [3]52.
Laissons-la les Flamans & le Prince d’Orange,
Bacchus nous apelle en Vendange
Pour entonner le Vin nouveau.
Amis, prenons le Verre & quittons la Rapiere,
C'est assez fait la guerre à ces Beuveurs de Biere,
Il la faut faire aux Beuveurs d’eau.

[Pièces sur la Paix] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 352-373.

J'adjoûte icy quelques Pieces sur la Paix, à celles que je vous ay envoyées dans ma Lettre du dernier mois.

Pour le Roy,

Sonnet.

Des Roys morts la valeur vivante dans l’Histoire,
Les fait combatre encor, & forcer des Ramparts ;
Et la Posterité, pour ces fameux hazards,
Rend par son jugement justice à leur memoire.
Mais par ses propres mains se couronner de gloire,
Desarmer l’Ottoman, rétablir les Césars,
Venir, & voir, & vaincre ; estre enfin comme un Mars
Le traistre du Destin, qui donne la victoire.
Ne s’ébranler de rien, seul regir ses Etats,
Seul de tous ses conseils estre l’ame & le bras,
Seul répondre de tout, seul rendre ses Oracles.
Estre jeune, & des Roys le Modele achevé ;
Où peut estre le Roy qui fait tout ces miracles ?
Nos Peres le cherchoient, & nous l’avons trouvé.

Autre Sonnet.

LA Victoire, grand Prince, à tes armes fidelle,
A toûjours couronné tes genereux projets ;
Depuis qu’au Champ de Mars tu conduis tes Sujets,
Elle a favorisé ton courage & ton zele.
Il estoit juste aussi qu’à ton ardeur si belle,
Qui ne se proposoit que d’illustres objets,
La Fortune asservie au gré de tes souhaits,
De tes braves Guerriers secondant la querelle.
Rien n’a pû resister à l’effort de ton bras ;
Ceux qui l’ont attendu, se sont veus mettre à bas :
Mais par tout ta clemence a suivy tes conquestes.
Tes Ennemis vaincus publiront tes haut faits,
Et qu’ayant terrassé tant de superbes Testes,
Tu t’es comblé de gloire, en leur donnant la Paix.

De Douze.

Stances

Au Roy.

LA Victoire pour toy n’a-t-elle plus de charmes ?
Es-tu las du Triomphe, invincible Héros ?
D'où vient que tu mets bas les armes,
Sur le point d’achever tes glorieux travaux ?
De tes fiers Ennemis l’union confonduë,
D'aucun retour heureux n’osoient plus se flater.
Tel estoit sous ton Nom le destin de la France.
Encor un peu de patience,
Et l’Europe à ton joug venoit se présenter.
Quel Conquérant jamais au sein de la Victoire
À des Peuples vaincus vit on offrir la Paix ?
Et vous, ô Filles de Memoire,
Dans les Actes du Pinde avez-vous de ces traits ?
Vos Demy-Dieux, à qui l’on éleva des Temples,
Et qu’aux Roys chaque Siecle a marquez pour exemple,
S'abandonnoient sans honte à leurs Exploits guerriers.
Dût-il du monde entier en coûter la défaite,
Ils ne faisoient point la retraite,
Tant qu’ils pouvoient courir à de nouveaux Lauriers.
Encor si tes combats ensanglantoient nos Plaines,
Si chez nous de la Guerre on ressentoit les maux,
Grand Roy ; si t’exposant ses peines,
La France à tes genoux s’invitoit au repos,
On croiroit que cedant pour elle à tant d’alarmes,
Tu quittes des Lauriers arrosez de ses larmes,
Qu'en faveur de l’Etat tu retires ta main.
Tu pourrois au besoin refuser des Couronnes.
Mais pour la Paix que tu nous donnes,
À la raison d’Etat on a recours en vain.
Il n’en est point, grand Prince, & tes Sujets tranquilles
Sans raison pour la Paix auroient formé des vœux ;
L'Abondance regne en nos Villes ;
Nous joüissons par tout d’un calme bienheureuxx.
Dans le temps que l’Europe ouverte à tes Conquestes,
Sur ses Peuples armez voit fondre les tempestes,
Seuls, de l’effroy commun affranchis par ton bras,
Et dessous tes Lauriers à l’abry du Tonnerre,
Nous ne connoissons de la Guerre
Que le plaisir d’entendre à quel prix tu combats.
La Science en crédit, les Muses florissantes,
Les beaux Arts à l’envy par tes soins cultivez,
Tes Loix aujourd’huy triomphantes,
Des pompeux Monumens dans la Guerre élevez,
La Vertu sur le Trône, & toûjours couronnée,
Sous l’Empire de Mars jadis infortunée,
Les Spectacles charmans, les Jeux & les Plaisisrs ;
Ces biens, de la Paix seule autrefois l’apanage,
Sont devenus nostre partage,
Et par un sort heureux préviennent nos desirs.
Quelle est donc cette Paix où ton ame s’applique ?
Seûr de vaincre toûjours, pourquoy la donnes-tu ?
Ton secret auguste s’explique,
Grand Roy ; c’est un effet de ta seule vertu.
Elle seule en tes mains a suspendu la foudre ;
Tes Ennemis enfin te sont devenus chers,
Et renonçant pour eux au fruit de la Victoire,
Tu vas mettre toute ta gloire
À donner desormais le calme à l’Univers.
C'est là du plus grand cœur l’effort le plus sublime,
C'est par là qu’un Héros merite des Autels.
Acheve, Prince magnanime,
Oüy, tu devois encor cet exemple aux Mortels.
Enseigne aux Conquérans à dompter leur courage,
À se borner ; c’est là, c’est là le grand ouvrage,
Et ce que devant toy l’on n’avoit pas compris.
Plus tes progrés sont seûrs, plus cet exemple est rare ;
Et plus ta vertu se déclare,
Plus de ton Diadéme elle augmente le prix.
Rendez-vous, fiers Etats ; Souverains que la France
Contre elle en cette Guerre a veus se réünir,
Rompez, rompez vostre alliance ;
Contre tant de vertus vous ne sçauriez tenir :
LOUIS par cet endroit ne donne point d’ombrage ;
Du pouvoir qu’il vous rend, venez luy faire hommage,
Et secondez enfin ses augustes projets.
Venez, pleins d’un noble & genereuse envie,
Disputer le soin de sa vie,
Le soin de son Triomphe, à ses propres Sujets.
Et toy, qu’un sort plus doux soûmet à son Empire,
France trop fortunée, adore ses desseins,
Le Ciel avec LOUIS conspire.
Nous en avons icy des gages trop certains.
Attons tout de la Paix, sous de pareils auspices.
Dans un Siecle de fer s’il a fais tes delices,
Si du sein de Bellone il a pû te charmer,
Que ne sera-ce point, lors qu’en des jours plus calmes,
Ce Prince, à l’ombre de ses Palmes,
N'aura plus d’autre soin que de se faire aimer ?

Sonnet.

QUe l’Europe joüit d’un calme prétieux !
Que le Ciel a d’éclat ! Que la Nature est belle !
Qu'il croist de fleurs ! D'où vient que tout se renouvelle ?
La Paix n’est-elle point de retour en ces lieux ?
L'aimable Deïté vient de quiter les Cieux.
Elle ameine les Ris & les Jeux avec elle ;
Le doux Amour la suit, son Arc d’or sur son aisle.
Et le Carquois tout plain de traits délicieux.
O Monarque des Lys, à qui tout rend les armes,
C'est vous qui ramenez ce repos & ces charmes,
Vostre extréme douceur remplit tous les souhaits.
Vous n’estes plus celuy qui portant la tempeste,
Entassiez chaque jour Conqueste sur Conqueste,
Vous estes aujourd’huy le Héros de la Paix.

Feüillet , Avocat à Chartres.

Sur la Paix.

NE craignez plus, petits Oyseaux,
Le tintamarre de la Guerre,
Vous n’entendrez plus ce Tonnerre
Qui vous chassoit de nos Cesteaux.
La Paix rend à nos Bois les charmes
Qu'avoit bannis le bruit des Armes.
Venez revoir ces clairs Ruisseaux.
Leur doux murmure vous convie
À joindre vostre symphonie
À l’aimable bruit de leurs eaux.
Vous rendrez à nos Bois les charmes
Qu'avoit bannis le bruit des Armes.
Rassurez-vous, petit Moutons,
La Paix doit dissiper vos craintes.
Cessez, Bergers, vos tristes plaintes,
Et changez vos langoureux tons ;
Nos Champs vont reprendre les charmes
Qu'avoit bannis le bruit des Armes.
Les Tambours sont enfin muets,
Plus de Fifres, plus de Trompetes,
On n’entend plus que des Musetes
Qu'animent de gais Menüets.
Que des chants si doux ont des charmes
Apres le bruit affreux des Armes !

Duhamel, de Cany en Caux.

Sonnet.

Apres tant de Combats suivis de la Victoires,
De Bastions, de Forts, de Ramparts fracassez,
Tant de Peuples vaincus, d’Ennemis terrassez,
Grand Roy, n’estes-vous point content de tant de gloire ?
Où pouront retrouver place en une seule Histoire,
Tant d’heroïques Faits l’un sur l’autre entassez ?
Pres de Loüis le Grand, Héros des temps passez,
Que vous serez petits au Temple de Memoire !
Par tout vainqueur sur Terre, & vainqueur sur les Mers,
Il auroit bientost mis l’Europe dans les fers,
S'il n’eust choisy le calme où la Paix le convie.
Content d’avoir montré la force de son Bras,
Comme Pere du Peuple, il n’a pus d’autre envie
Que de faire adorer son Regne en ses Etats.

L'Abbé d’Angerville,

de Caën.

Stances.

LA Paix voyant tous les yeux ébloüis
Du surprenant amas de gloire
Dont éclatoit le Conquérant LOUIS,
En remportant Victoire sur Victoire ;
Jalouse des fameux Exploits
Que du plus auguste des Roys
Avoient fait en tous lieux les armes,
Se montrant avec tous ses charmes,
Luy fait entendre ainsi sa voix.
Grand Roy, la merveille des Princes,
Redonne le repos à toutes les Provinces,
Et répondant à leurs souhaits,
Apres avoir esté sur la Mer, sur la Terre,
Le Maistre de la Guerre,
Rens-toy l’Arbitre de la Paix.
Je vois en tes mains la Victoire
Qui te garde tous ses Lauriers,
Qui t’anime avec tes Guerriers
À former des desseins d’immortelle memoire ;
Mais je me jette entre tes bras,
Fay-moy trouver, LOUIS, au Monde une retraite ;
Quoy, n’ay-je point pour toy d’appas,
Et ne dira-t-on point, enfin, la Paix est faite ?
Parmy tes miracles divers
Dont on remplira les Histoires,
Ne me fera-t-on point voir à tout l’Univers
Placée aupres de tes Victoires ?
Ne regneray-je point à mon tour dans le cœur
D'un Monarque toûjours vainqueur ?
LOUIS interrompit le cours de ses merveilles,
Si-tost que cette voix eut frapé ses oreilles.
Ecoutons-la, dit-il, cette divine Paix,
Et ne la négligeons jamais.
Fille du Ciel, bonheur de la Terre & de l’Onde,
Viens réjoüir le monde,
Et répandant par tout la douceur des plaisirs,
    Seconde mes desirs.
Porte à mes Ennemis le calme & l’abondance,
Ils ont assez senty la force de mon bras ;
Fais leur gouster enfin les fruits de ma présence,
Tu le veux ç'en est fait, je renonce aux Combats.
Ce ne fut point l’ardeur de faire des Conquestes,
Qui me fit exciter ces terribles tempestes,
Dont le Nord, le Midy, sont encore allarmez :
C'est, ô charmante Paix (je puis bien te le dire)
À dessein d’établir icy bas ton Empire,
    Que nous sommes armez.
Je veux donc bien quitter les armes,
Faire cesser par tout le trouble & les alarmes ;
Je vais chercher la Gloire au milieu de la Paix.
J'ay merité le Nom de LOUIS l’Invincible ;
Pour favoriser tes souhaits,
Je veux porter celuy de LOUIS le Paisible.

Sonnet.

LOin de toy la Valeur qui cruelle & sauvage
Ne respire que sang, que trépas, & qu’horreur !
La tienne, grand Héros, te défend le carnage,
Lors que tes Ennemis te soûmettent la leur.
Assez, comme César, tu regnes dans l’orage ;
Tu dois comme un Auguste arrester sa fureur ;
Puis que Jule te cede en grandeur de courage,
Viens triompher d’Octave encor par la douceur.
Par le tranchant du Sabre, & de cent mille Epées,
On n’a veu tous les jours que des Testes coupées ;
Tes Soldats & la Mort marchoient d’un mesme pas.
Touché de ces malheurs, avec un trait de plume,
Toy seul éteins un feu que ta vengeance alume,
Et fais dans un instant, plus que cent mille Bras.

De Bonnecamp, de Quimpercorantin.

Soneto.

Gran Ré per secondar l’inclite imprese
Onde il vostro valor si chiaro splende ;
S'aver poste in oblio le fue vicende
Sembra, fatta fortuna oggi Francese.
Schermo di Marte à le fatali offese
Se non hâ suor chi à voi vinto si rende ;
Se il Gerion saperbo al fin comprende
Quanto fragili sian le fue difese ;
Dhe non più stragi nò siami permesto
Come á nume di Pace offrirui il canto
Ch'á voi nume di guerre offrij si spesso
E se vincere altrui lodasi tanto
Vincer doppo i nemici anco sè stesso
Siadi Luigi imcomparabil vanto.

Del Dottore Alfonso Pajoli, Ferrarese.

Lettre XXXII. À Madame de *** §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 373-377.

LETTRE XXXII.

À Madame de ***

À Riom en Auvergne.

JE devrois, dites-vous, à l’exemple de beaucoup d’autres, composer quelque Ouvrage à la gloire de Loüis le Grand, ou de Monseigneur Le Dauphin. Ah, Madame, ou vous prétendez me railler, ou connoissant comme vous faites & cet invincible Monarque & cet aimable Prince, je dois croire que vous ne me connoissez pas. Pour des desseins si beaux, si relevez, il faut des Hommes extraordinaires. Je doute mesme qu’ils pûssent s’en acquiter comme il faut.

Quelle voix assez éclatante
Peux chanter dignement la valeur triomphante
D'un Roy dont les Exploits
Font Trembler tant de Roys ?
Pour moy je me contente
De les admirer mille fois.

Ce n’est pas à vous dire le vray, Madame, que souvent je ne sois assez teméraire pour entreprendre de celebrer au moins quelques-unes de ses immorteles actions.

Cent fois dans l’excés de mon zele,
L'esprit tout plein de ses hauts faits,
Je voudrois tracer quelques traits
De sa gloire immortelle ;
Mais dans tous ses desseins
Je voy toûjours tant d’excellence,
Que toutes les fois que j’y pense,
Le Pinceau me tombe des mains.

La mesme chose pouroit bien arriver à d’autres qu’à moy ; & je puis dire, sans qu’on ait lieu de s’en offencer, que personne ne dira jamais rien que de foible & que de fort au dessous des grandes, des surprenantes qualitez de ce Héros.

En vain la plus noble éloquence
Etale la magnificence
De ses plus superbes trésors ;
En vain les grands Esprits font leurs plus grands efforts ;
Quand le but est trop haut, on n’y sçauroit atteindre.
Les yeux sont ébloüis à force de trop voir,
Et l’on ne sçauroit bien dépeindre
Ce qu’on ne sçauroit concevoir.

Quant à Monseigneur le Dauphin, il s’éleve tellement chaque jour, que bientost il sera aussi élevé pour nous.

Hastez-vous donc, fameux Apelles,
D'achever vos Portraits,
Donnez les derniers traits
Et les qualitez immortelles ;
Contemplez bien cet Astre sans pareil,
Tandis que vous pouvez le contempler encore,
Car bientost cette Aurore
Se va changer en un Soleil.

Déja mesme il jette tant d’éclat, que dans le Mercure Galant (que vous lisez, dites-vous, avec un plaisir extréme, & avec attachement qui me surprendroit) il y a de bons yeux qui ne sçauroient le regarder fixement. Ainsi on se contente de parler de son Fleurer & de ses Chevaux. Une autre fois, Madame, quand vous voudrez estre obeïe, songez à me commander des choses possibles. Alors je quitteray tout pour vous faire connoistre combien je suis vostre, &c.

Chabrol.

Lettre XXXIII §

MG-1678-09e_378Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 378-386.

LE bien que j’ay de vous écrire, Monsieur, n’en est pas moins solide, pour estre aujourd’huy l’effet d’un Songe. Je vous trace le recit de ce Songe à l’instant & à l’endroit que je l’ay eu, c’est à dire au fond d’un Bois, où assis au bord d’une Fontaine, & appuyé contre un Arbre, je me suis mis à resver sur ce que vous proposez dans vostre dernier Extraordinaire. Comme j’y resvois avec plaisir, insensiblement le murmure de l’eau, & le bruit des feüilles qu’un doux Zéphire agitoit, m’ont incité à dormir. À peine ay je eu les yeux fermez, que mon imagination m’a représenté l’Amour assez loin de moy, qui apres avoir essuyé une de ses Fleches, la remettoit dans son Carquois, & qui en suite s’estant approché, me tenoit ce discours. J'ay percé le cœur de cette Insensible que tu adores ; tu ne soûpireras plus en vain. & un mesme feu consumera vos deux cœurs ; & puis jettant les yeux sur vostre Livre (car alors il n’avoit point son Bandeau) il se récrioit sur les galans Ouvrages qui le composent. Apparemment, adjoûtoit il, tu en estois sur la Question de la confidence que fait la Princesse de Cleves à son Mary, & sur ce qu’on laisse à inventer touchant l’origine des Mouches galantes, puis que l’Extraordinaire est ouvert en ces deux endroits. Si cela est, je viens tout à propos te tirer d’affaire. Lors que l’Hymen unit deux cœurs, dont il y en a un que je n’ay point formé pour l’autre, & que ce Dieu l’engage par des motifs de devoir, d’estime & d’amitié, je remarque qu’on s’imagine quelquefois que le plus seûr est de déclarer à un Mary, que l’on a toûjours aimé éperduëment un Amant ; que l’amour que cause cet Amant est invincible, & qu’on ne répondroit pas de ne luy estre point complaisante, si l’on avoit à se rencontrer souvent avec luy, parce qu’on soûtient que ce procedé sincere convainc ce Mary de la fidelité de sa Femme, & l’oblige à en avoir une réciproque ; ce qui semble ne devoir produire qu’un tres-bon effet. Il y a d’autres Gens qui croyent qu’il vaut mieux voir cet Amant combatre & soufrir, que d’en venir à une senblable déclaration. Ils se persuadent qu’elle est capable d’inspirer une tres-forte jalousie à un Mary, qui se mettra en teste que sa Femme, quoy qu’éloignée de celuy qu’elle aime, n’en sera pas moins à redouter ; Qu'elle ne s’est résoluë à luy faire un aveu si extraordinaire, que pour le mieux ébloüir ; Qu'elle ne montre des sentimes si nobles, qu’afin de n’estre pas soupçonnée d’entretenir de secretes correspondances avec son Amant ; Que l’ambition & l’interest seuls ont contracté son Mariage ; Que le bonheur de l’Amant est préferable au sien ; & qu’enfin le beau Sexe resistant rarement à une galanterie, des yeux d’Argus auroient peine à découvrir jusqu’où sa Femme poussera la sienne. Il conclüent de là qu’une confidence de cette nature ne peut causer que du trouble & du divorce. Voilà ce que j’ay à t’apprendre sur cette Question, me dit l’Amour. Je ne te la décideray point, puis que je ne conclurois pas à mon avantage.

Quant à l’origine des Mouches, tu es heureux de ce que je la sçay mieux que personne du monde. N'as-tu jamais leu que Psyché fut d’une beauté achevée, qu’elle s’attira une partie du culte qu’on rendoit à Vénus ma Mere, & de l’encens qu’on luy offroit ; que ma Mere en fut indignée, & que comme il n’y a pas loin de l’indignation à la colere, elle la chercha par par tout, afin de l’immoler à sa jalousie, pendant le temps que tout amour que je suis, j’estois tout amour pour cette Psyché, & que m’estant blessé de mes propres traits, j’entretenois cette Belle dans un Palais enchanté ? Ce fut durant cette recherche qu’une Mouche piqua ma Mere au visage. Elle porta aussitost sa main un peu rudement sur cette Mouche. Cela fut cause qu’il y en resta une aisle que la sueur y attacha, parce que l’Eté n’avoit point encor ue de jours si chauds. Dans le mesme instant les Graces qui n’abandonnent jamais Vénus, tomberent d’accord que cette aisle donnoit un nouvel ornement à sa beauté, c’est pourquoy elle la laissa jusqu’à ce qu’apres s’estre vangée de Psyché, Jupiter accompagné d’autres Divinitez, immortalisa cette belle Nymphe. Tout les yeux de ces Divinitez estant attachez sur ma Mere plus que de coûtume, elle jugea que la noirceur de cette aisle rehaussoit la blancheur de son teint. Jupiter la confirma luy-mesme dans cette pensée, & luy dit, Je veux croire, ma Fille, que tu n’as inventé cet agrément qu’afin de montrer aux Mortels qu’ils ont eu tort de mestre Psyché en comparaison avec toy. Ils reconnoistront sans-doute l’erreur où ils sont tombez, quand ils te verront de retour dans l’Isle de Chypre, où ils sont sur le point de celebrer une grande Feste. Il est vray que ma Mere n’a jamais esté tant admirée qu’elle le fut dans la Feste dont Jupiter luy parla. Tout ce qu’il y avoit de Jeunesse galante dans le monde s’estoit assemblé pour la celébrer. Les Belles surprises du nouvel éclat de la Déesse, la voulurent imiter, & se servirent de petits morceaux de Taffetas à peu pres de la longueur de cette aisle, ausquels elles donnerent le nom de Mouche, ayant sçeu des Graces ce qui s’estoit passé en la personne de Vénus. À peine l’Amour achevoit-il ces derniers mots, qu’une Mouche est venuë me piquer & me réveiller. Il semble qu’il y ait eu du dessein, & je me persuade que ce Dieu l’a ordonné ainsi, afin que je n’oubliasse aucune circonstance du Songe, & que je ne perdisse point de temps à vous l’écrire. Je suis vostre, &c.

De la Salle, St  de Lestang.

[Proposition pour construire des fictions sur l’origine de l’Horloge de Sable] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 386-387.

On a pris tant de plaisir à faire des Fictions sur cette origine des Mouches galantes, que je ne doute point qu’on ne se divertisse également à chercher celle de l’Horloge de Sable. La version que j’ay veu d’une Epigramme Latine, pourra servir d’idée à inventer quelque chose d’agreable sur ce sujet. La voicy.

ALcippe dont le cœur fut autrefois si tendre,
Compte icy les Heures du Jour.
Il fut consumé de l’Amoureux
Qui reduisit son corps en cendre.
Son continuel mouvement
Fait voir qu’on n’a jamais de repos en aimant.

Festes Galantes proposées §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 387-390.

Festes Galantes

proposées.

AU lieu de proposer une nouvelle Question, vous voulez bien, Madame, que j’invite ceux qui liront cette Lettre, à nous donner quelque Galanterie sur la Paix. Comme elle va estre aussi favorable à l’Amour, qu’elle est contraire au Dieu de la Guerre (car ils ne sont jamais puissans l’un & l’autre dans le mesme temps) on peut feindre que le premier pour marquer sa joye, donne une Feste où Mars chagrin refuse de se trouver, & dans laquelle on fera connoistre tous les avantages que nous allons tirer de la Paix. La description de cette Feste pourra estre meslée de Vers, selon qu’on se sentira le génie disposé à la Poësie. Comme tout ce qui regarde l’Amour porte l’esprit à estre galant, je ne doute point que ce qu’on inventera sur cette matiere, n’ait tous les agrémens qui luy sont propres. La maniere de convier, le choix des Assistans, l’ornement du lieu, aussi-bien que les divertissemens, doivent marquer celuy qui donne la Feste. Elle pourra se passer dans des lieux champestres, dans des Palais enchantez, ou dans le Ciel mesme. L'Amour estant le Maistre des Dieux & des Hommes, tient son Empire par tout. Si quelqu’un envoye des Desseins de ces Festes bien dessinez, on pourra les faire graver. Je n’en donne icy qu’une tres-imparfaite idée, sur laquelle chacun peut s’abandonner à son imagination. Ceux qui sont de Province, pourront faire passer leurs Festes dans le plus beau lieu de leur Canton, nommer les belles Personnes qui y font bruit, aussi-bien que ceux qui s’y distinguent par quelques avantages particuliers, & rendre justice au merite des uns & des autres, par la part qu’ils leur donneront dans ces sortes de Galanteries.

[Addendum et autres remarques] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 390-395.

Je croy estre obligé de vous avertir que dans l’Article où je vous ay parlé de la Tour de Porcelaine, je ne me suis pas assez assujety aux termes de l’art, & ay mesme oublié de vous marquer plusieurs ornemens. Je vous ay dit que les Fenestres de cette Tour estoient rondes, suivant l’usage ordinaire qui nous fait appeler ronde une Porte qui l’est par le haut, quoy qu’elle soit quarré dans tout le reste. Cependant on ne peut dire qu’une chose soit ronde, si elle ne forme un cercle parfait. Il faut seulement dire qu’elle est ceintrée, comme le sont les Fenestres de la Tour de Porcelaine. Au dessus des ceintres de ces Fenestres il y a d’autres ceintres formez d’ornemens. J'ay encor oublié de vous marquer que les dix toits de la Tour de Porcelaine sont faits autrement que ceux de ce Païs-cy. Les nostres sont tous baissez, & ceux-là sont relevez par les bords, échancrez en aisles de Chauve-souris, & bordez d’un ornement fait en maniere de dentelle. Les solivaux qui sortent de ces toits sont aussi revestus d’ornemens, & les bouts en finissent en testes de Dragon, ou si vous voulez, en ce que les Chinois appellent Chimeres. Ces testes de Dragon tiennent les Chaines où pendent les Clochetes dont je vous ay déjà parlé, sans vous avoir dit qu’elles ont toutes un son diférent, en sorte que ces Clochetes estant accordées ensemble, selon la diversité de leur son, elles rendent toute l’harmonie d’un Instrument fort agreable, lors qu’elles sont agitées du vent. On voit sur le haut de cette Tour une Branche d’or tournante à viz autour d’une tige, du bout de laquelle tige sort une Pomme de Pin d’or. Cette description estant faite dans les veritables termes de l’Art, sera plus intelligible, du moins aux Connoisseurs. Apres vous avoir appris ce qui s’est fait en la Chine il y a plus de huit Siecles, apprenez ce qui s’est fait icy il y a quelques jours en réjoüissance de la Paix ratifiée entre la France & les Etats Generaux. Le Te-Deum a esté chanté par ordre du Roy, & les Cours Souveraines & le Corps de Ville y assisterent. On a allumé des Feux dans toutes les Ruës, & l’on en a fait un devant l’Hostel de Ville, dont vous pouvez voir le Dessein icy gravé. Cette Planche vous doit tenir lieu d’un long discours ; c’est pourquoy je vous diray seulement que les Figures que vous voyez aux quatre coins, marquent la Justice, la Joye publique, l’Abondance, & la Felicité. Ces quatre Déesses accompagnent ordinairement la Paix, & se reconnoissent par leur symbole. La Figure qui est sur la pointe de la Pyramide du milieu, represente cette derniere qui brusle des Trophées d’Armes. Je ne vous parleray point des Chifres, Devises, & autres choses de cette nature qui servent d’ornemens à cette Machine ; ce que vous voyez icy gravé vous les represente, mais il ne vous fait pas voir la joye des Peuples, & ne vous montre qu’une partie de la dépense de la Ville fit ce jour là. Les Modes nouvelles devroient avoir icy place, mais les beaux jours nous ont duré si longtemps, que je suis obligé de remettre cet Article à la fin du Mois. Vous le trouverez dans ma premiere Lettre, avec les Figures gravées à l’ordinaire. Vos Amies n’auroient pas sujet de se plaindre, puis que je ne difere à tenir parole que de quinze jours. Je remets quantité de Pieces Galantes au premier Extraordinaire, pour ne pas trop grossir celuy cy. Comme il y en a qui sont bonnes en tout temps, il y en a d’autres qui sont beaucoup meilleures dans leur saison ; & c’est par là que dans ma premiere Lettre ordinaire, vous en trouverez deux qui n’ont pû avoir place dans celle-cy. Elles sont sur la Question proposée touchant Madame de Cleves. Le tour en est si particulier, que vous n’y verrez rien qui ne soit tres-diferent de tout ce que je vous envoye aujourd’huy sur ce sujet. Tant d’ouvrages si agreablement diversifiez sur une mesme matiere, font connoistre que la France n’a jamais esté si féconde en beaux Esprits.

Desseins Proposez d’Arc de Triomphe, Pyramides & Medailles à la gloire du Roy, le tout embelly de Figures, Bas-reliefs, Devises, Inscriptions & autres Ornemens §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 395-397.

Permettez-moy, Madame, de proposer icy des Desseins d’Ouvrages d’une autre nature. Ce que j’ay à dire là-dessus ne déplaira pas à ceux qui sont zelez pour la gloire de nostre Auguste Monarque.

Desseins Proposez

d’Arc de Triomphe, Pyramides & Medailles à la gloire du Roy, le tout embelly de Figures, Bas-reliefs, Devises, Inscriptions & autres Ornemens.

ON peut envoyer des Desseins de toutes ces choses, faits par de bons Peintres, sans qu’il soit necessaire de les accompagner d’aucun discours, si ce n’est qu’on y veüille joindre quelque Ouvrage qui donne lieu de faire la description de ces Monumens. Les Arts en peuvent élever de magnifiques pour reconnoistre ce que pendant la Guerre mesme, ce grand Prince n’a pas cessé de faire pour eux. Chaque Dessein ne doit pas estre plus grand qu’une page de cet Extraordinaire, à cause du temps qui pourroit manquer aux Graveurs. Ceux des Arcs de Triomphe peuvent estre de la grandeur de deux pages. Quant aux Medailles, on doit aussi envoyer le Dessein du Revers. Elles ne doivent estre guére plus grandes qu’une Piece de trente sols, afin qu’en mettant le Revers à costé, l’un & l’autre puissent estre dans la largeur d’une page. Les Desseins qui viendront plus-tard que dans deux mois, ne pourront estre gravez faute de temps.

À Paris ce 14. d’Octobre 1678.

Lettre §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1678 (tome III), p. 398-407.

J'allois fermer mon Paquet, lors que j’en ay reçeu un de Lyon qui contenoit trois Lettres. Je ne puis m’empescher de vous envoyer la premiere, & de vous dire que vous aurez les deux autres dans celle que vous attendez de moy le dernier jour de ce Mois. Elles sont remplies de choses si sçavantes & si curieuses touchant l’origine des Cadrans, & la division des Jours & des Heures, qu’elles meritent l’impatience où vous allez estre de les recevoir.

LETTRE.

Vous avez ouvert une Cariere où l’on peut entrer en lice, de quelque âge, & de quelque Païs que l’on soit, pour peu qu’on ait bon goust, & d’amour pour les belles choses. Vous n’avez ny borné le nombre, ny fixé les années de ceux qui peuvent vous écrire. Tout ce qui se mesle de Literature vous doit tribut, & j’ay crû puis qu’on devoit vous le payer tôt ou tard, qu’il valoit autant que je commençasse aujourd’huy. J'ay quelquefois deviné vos Enigmes ; mais sans parler des passez, je croy que ceux du mois d’Aoust sont le Clavessin & le Tournebroche. Je suis si novice à ce métier & je voy tant d’habiles Gens s’y tromper, que je n’oserois me répondre d’avoir pensé juste. Vostre Mercure de Septembre m’aprendra ce qui en est. Je me flate aussi d’avoir rencontré l’explication de vostre Enigme en Figure. Deux Lettres que j’écrivis là-dessus il y a quelques jours à un de mes Amis, & qu’on veut que je vous envoye, vous apprendront ma pensée. Je les garde pour la fin. Voulez vous bien en attendant que je vous fasse part de ce qui se dit hier au soir dans une petite compagnie de Personnes choisies, où je me trouvay par bonheur ? Vous n’ignorez pas que vous faites souvent le sujet des conversations. Presque toutes les Personnes qui composoient nostre Troupe avoient leu le Mercure d’Aoust & l’Extraordinaire depuis peu de jours ; ainsi tout roula là dessus. La nouvelle invention de l’Ordre de la Liberté des Cœurs eût ses Defenseurs & ses Partisans : d’autres prétendoient qu’elle estoit inutile.

Que l’on se targue en vain de cette Liberté,
Que tôt ou tard il faut se rendre,
Que la plus altiere Fierté
Ne sert de rien contre un Cœur tendre ;
Et que le Cœur qui n’a pour se defendre
Q'un si maigre secours, est bien-tôt emporté.

Cette Liberté, ajoûtoient-ils, n’est qu’une fâcheuse indolence qui passe toûjours tôt ou tard ; le plûtost qu’on s’en defait c’est le meilleur ; & un Capitaine qui se mesle d’enrôler des Gens sous les Enseignes de la Liberté, s’expose au hazard de voir bientôt tous ses Soldats devenir au tant de Transfuges & de Deserteurs ; en un mot c’est vouloir bannir toute la douceur de la vie, et vivre dans une espece d’insensibilité qui n’est bonne qu’aux Pierres & aux Statuës. Je vous ennuyerois si je vous rapporterois tout ce qu’on dit là dessus, & sur les autres Pieces du Mercure. On parla beaucoup du scrupule de l’Autheur de l’Epistre. On s’étonna qu’il pust rester à un Homme qui faisoit aussi-bien des Vers que celuy-là. Si les Gens de qualité, disoit-on, doivent avoir de la peine à se déterminer, c’est lors qu’ils ne sont que des Vers mediocres, parce qu’au fonds leur élevation ne les met jamais hors d’atteintes de la Censure ; & si l’on n’a pas toute la severité de ce Poëte trop farouche qui aimoit mieux se faire mener en prison, que de loüer les Vers de Denys le Tyran, du moins se reserve-t-on toûjours une liberté de pensée qui ne fait pas plus de grace au Noble qu’au Roturier : mais lors qu’on les fait aussi bien tournez que ce galant Homme, le rang ne sert qu’à en relever le prix, & la qualité de Poëte n’a pas semblé de mauvais goust aux plus grands Hommes de l’Antiquité. Nostre Siecle est trop raisonnable pour avoir changé de sentiment. Nous avons veu & voyons encor de nos jours des Gens élevez par leur Naissance, qui ne dédaignent pas de joindre le Titre de Poëte à tant d’autres belles qualitez, & de rares avantages qu’ils possedent. Passons à l’Extraordinaire. Il ne se trouva personne parmy nous qui eut deviné la Lettre en Chiffres. On ne pût pas même bien s’accorder sur la Question proposée, soit parce qu’on la trouva trop délicate, soit parce que ny les Hommes ny les Femmes n’ont interest que ces confidences s’établissent. Elles sont d’une trop dangeureuse consequence pour tous les deux. Les Hommes sur tout, qui semblent d’abord devoir souhaiter leur établissement, parce qu’une confidence de cette nature est un garant bien fort de la vertu d’une Femme, ont d’un autre costé tant de maux à craindre de cet aveu, & il en cousta si cher à Monsieur de Cleves luy-même, qu’une tranquille ignorance est à préferer pour leur repos à une connoissance si perilleuse. Mais à regarder la chose en soy, de la maniere dont vous avez posé la Question, une Femme n’ayant que ce moyen pour éviter un Ennemy trop dangereux, doit de deux grands maux choisir le moindre, & préferer la conservation de sa vetu, & de la tranquillité de son cœur qui est son premier bien & son premier devoir, aux égards qu’elle pourroit avoir pour la conservation du repos & de la confiance de son Mary. Au reste, il faut bien poser les circonstances, car s’il en manquoit la moindre, la prudence iroit à ne s’engager pas à cet aveu ; & il est certain pour l’usage que toutes ces circonstances ensemble se trouvent si peu, qu’il est presque impossible de voir de semblables confidences. Ce seroit mal vous faire ma cour, que de vous conter le reste de la Conversation. Elle roula toute sur les Mouches du visage. On en voulut tirer l’origine du raport qu’on prétendit qu’il y avoit entre les Dames & les Mouches veritables. Ce fut une petite satire des Femmes qui finit pourtant assez galamment. Mais vous ne goûteriez pas celle-là, vous qui avez tant d’égards pour le beau Sexe. On voulut obliger quelqu’un à faire quelque chose sur l’origine des Mouches ; mais on eut beau dire qu’on le pourroit faire à l’imitation des Poëtes, qui ont dit de la Mouche veritable que ç'avoit esté une Musicienne amoureuse d’Endymion que Diane avoit metamorphosée par jalousie, personne ne s’en voulut charger. La Conversation finit là. J'y finiray aussi ma Lettre. Elle est déja trop longue, & je devrois vous avoir dit bien plûtost que je suis avec toute l’estime que je dois, &c.

FIN.