1678

Mercure galant, décembre 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, décembre, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12]. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], non paginé.

MONSEIGNEUR,

Voicy la seconde Année du Mercure Galant finie, & la première dans laquelle on luy a veu porter vostre auguste Nom. Quoy que cette gloire luy ait servy de passeport dans toutes les Cours de l’Europe, où les plus grands Princes ne l’ont pas crû indigne de leur approbation, ce n’est pas ce qui a causé sa plus forte joye. La plus sensible qu’il ait reçeuë, c’est, MONSEIGNEUR, d’avoir eu occasion de parler douze fois de Vous. Tantost il s’est étendu sur vostre adresse à manier les Chevaux les plus indomptables ; hardiesse qu’on peut nommer intrépidité, dans l’âge où vous avez commencé de vous appliquer à de si pénibles exercices. Tantost il a fait connoistre les avantages que vous avez eus dans les Courses de Bague qui se sont faites, & qui outre la hardiesse demandent beaucoup de jugement. Les Prix que vous y avez remportez, n’ont pas moins fait admirer la bonne grace avec laquelle vous vous en estes acquité, que la surprenante vigueur que vous avez fait paroistre. Mais, MONSEIGNEUR, doit-on en estre surpris, apres ce qu’on vous a veu faire à la Chasse, tenant toûjours la queuë des Chiens, perçant les Forests, & courant sur les plus hautes Montagnes, sans qu’aucun péril vous étonnast ? Vostre Esprit n’est pas moins actif que vostre Corps. Il conçoit avec une promptitude merveilleuse. La Fable & l’Histoire vous estoient presque connuës dés le Berceau, & vous entendiez & parliez la Langue Latine en Maistre, quand ceux de vostre âge sçavoient à peine parler François. On vous voyoit déslors expliquer les Autheurs les plus difficiles, & ce qu’ils avoient de plus obscur l’estoit rarement pour Vous. Les beaux Arts ne vous sont pas moins connus, & vous avez si parfaitement appris à dessiner dans vos heures de plaisir, que vous avez esté au delà des connoissances que vous pensiez acquérir. Ainsi, MONSEIGNEUR, en croyant ne manier un Burin que pour vostre seul divertissement, vous avez fait des Chef-d’œuvres du premier coup. Apres cela, ne devons-nous pas estre fortement persuadés, que si la grandeur de nostre incomparable Monarque, & celle qui vous environne, vous attirent jamais des Ennemis vous leur ferez voir qu’ils doivent craindre le Sang qui vous anime. Vous connoistrez le fort & le faible de leurs Camps & de leurs Places, & sçaurez comment celles de France devront estre fortifiées. Tant de Sciences diverses, MONSEIGNEUR, ne proviennent que de la forte application que vous avez euë à tout ce que vous avez voulus apprendre, & de ce que vous vous estes rendu infatigable en travaillant. Mais comme vos grandes qualitez augmentent tous les jours avec vostre âge, le moyen d’en parler tous les Mois, & d’en parler avec quelque raport à ce que vous faites admirer en vostre Personne ? J'aurois besoin de ces Mois entiers pour en faire la premiere ébauche ; & ce qui se passe sous le Regne de Loüis le Grand , m’occupe trop pour me laisser mettre dans leur jour les idées que je m’en informe. Ainsi, MONSEIGNEUR, quoy que le Mercure ait toûjours l’avantage de paroistre sous l’auguste Nom que vous luy avez permis de porter, ce ne sera plus que de temps en temps que je prendray la liberté d’y mettre à la teste un Portrait des rares Vertus que vous faites éclater. La continuelle admiration qu’elles causent, n’a rien qui l’égale que le profond respect avec lequel je suis,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble, tres-obeïssant Serviteur, D.

Preface. §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], non paginé.

Ce n’est pas seulement en France que les Modes n’ont qu’un cours borné. Les Royaumes Etrangers en changent aussi-bien que nous ; & si ces changemens y arrivent ou plus rarement, ou plus tard, ils ne laissent pas d’y arriver, & marquent en eux la mesme inconstance qu’on nous reproche, & qui est naturelle à tous les Hommes. Ainsi l’on voit fort souvent que des choses médiocres sont beaucoup plus recherchées que de plus belles, par le seul avantage de la nouveauté ; & par cette raison ce qui a esté longtemps en vogue, peut cesser de plaire sans devoir estre moins estimé. Quand le Mercure Galant auroit eu la mesme destinée ( ce qui n’est pourtant pas arrivé) il n’auroit aucun sujet de se plaindre. C'est le sort commun de tout ce qui a esté le plus en crédit, & nous naissons avec si peu de fermeté pour nos propres sentimens, que nous condamnons souvent ce que nous avons le plus approuvé. Combien de belles Personnes ont cessé de charmer leurs Adorateurs, quoy qu’elles eussent encor les mesmes attraits, par la seule raison qu’il y avoit longtemps qu’elles s’en estoient fait aimer ? Le Mercure, apres deux années entières, n’a pas encor eu cette disgrace, & loin que sa vieillesse luy ait fait tort, il semble qu’elle le fasse rechercher. Il a essuyé tout ce que doit craindre un Livre qui réüssit, si toutefois on peut dire qu’il doit appréhender des attaques qui estoient autant de marques de son succés, & que l’on ne devroit appeler que d’heureux malheurs. On a fait imprimer des Critiques ; & ce qui a fait voir qu’il n’y avoit que son succés qui fist peine, on s’est engagé d’en donner une au Public tous les Mois ce qui marquoit une volonté prémeditée de nuire, puis qu’on ne pouvoit sçavoir si ce qui n’avoit point encor paru seroit ou bon ou méchant. On méprise trop ces sortes de Critiques pour y répondre. Elles se détruisent d’elles-mesmes, & ce qui devoit paroistre tout les mois est demeuré étouffé dés sa naissance. Ainsi peu de Gens sçauroient qu’on eust fait une Critique, si l’on n’en parloit dans cette Préface. D'autres ont attaqué le Mercure d’une autre manière, & ne pouvant disconvenir de son succés, ils ont crû qu’ils en pouroient profiter, en faisant des Livres dont le nom de Mercure seroit meslé dans le titre ; mais ils n’ont pû tromper longtemps. La trop grande approbation qu’on a continué de luy donner, a mesme chagriné les Autheurs qui avoient applaudy d’abord au Mercure. Chacun a voulu se persuader qu’il en pouvoit faire autant, & que la matiere en estant toûjours toute faite, il n’en pouvoit couster à l’Autheur que la peine de l’assembler. Si ce qu’ils publient estoit vray, tout le Livre ne seroit pas écrit d’un mesme stile, & quoy qu’on y pust mettre des Memoires quelquefois mieux écrits que n’est le Mercure, il ne laisseroit pas d’estre une espece de Monstre, à cause de l’inégalité de ses parties. Un Bâtiment uny, & d’une symetrie bien observée, est toûjours plus beau que si l’on y voyoit un Pavillon enrichy de tous les ornemens que peut fournir la Sculpture, & que tout le reste de l’Edifice en manquast. Le Mercure apres avoir essuyé la fureur des Critiques, triomphé des stratagèmes de ceux qui sous son nom vouloient profiter de son succés, & de l’envie de quelques autres qui se croyoient capables d’y travailler, a reçu encor une plus cruelle attaque par ceux qui sembloient obligez de le défendre ; & comme vray-semblablement on devoit leur ajoûter foy, de pareils coups estoient plus à craindre. J'entens par cette derniere attaque une conjuration de plusieurs Libraires qui tous par diférens motifs avoient résolu de l’étoufer ; les uns, parce qu’ils n’avoient plus droit d’en vendre ; & les autres, parce qu’ils se persuadoient qu’il empeschoit le débit de leurs autres Livres. Cette conspiration éclata il y a un mois. Presque tous les Libraires du Palais dirent qu’ils ne se chargeoient plus du Mercure, parce qu’ils n’en vendoient presque plus : mais comme ils virent qu’on continuoit à le demander avec autant d’empressement qu’à l’ordinaire, & qu’il seroit difficile de faire mourir la curiosité qu’on a pour ce Livre, ils crûrent que pour mettre fin à tout, il n’y avoit qu’à faire mourir l’Autheur. Sa mort fut donc publiée aussitost, & mesme écrite dans les Provinces à ceux à qui ces Libraires fournissoient le Mercure. Cependant on croit estre obligé de faire sçavoir icy qu’il est toûjours plein de vie. Toutes ces choses sont des preuves incontestables du succès qu’ils ont tâché d’affoiblir. Le Mercure pouvoit-il manquer d’en avoir, puis qu’on y voit en vingt-deux Volumes qui contiennent les Nouvelles de vingt-quatre Mois un abrégé des plus grandes Actions de Loüis le Grand pendant ces deux Années. Chacun demeure d’accord que ces Volumes renferment des choses qu’on ne trouvera point ailleurs, & sur tout à l’égard des Plans & des Articles de la Guerre. On y trouve des Relations de Siege & de Combats, dont on n’a jamais rien donné au Public, & qui sont des morceaux d’Histoire qui doivent vivre eternellement. On peut dire qu’il n’y a rien que de veritable dans tous ces Volumes, puis que si l’on est tombé dans quelque erreur pour n’avoir pas eu d’abord des Mémoires assez instructifs, ces fautes ont esté reparées dans le Volume suivant. Il y a mesme de la verité jusque dans les Galanteries, les Histoires n’estant composées que sur des fondemens veritables. L'Année mille six cens soixante & dix-neuf devant estre une Année de Paix ( ce qui restera d’Ennemis au Roy n’estant pas capable de l’occuper tout entier apres qu’il a eu à combattre presque toutes les forces de l’Europe) cette Année sera remplie de plus d’Histoires que les deux qui l’ont précédée. Ces Histoires & d’autres Galanteries, occuperont la place de la Guerre. On prendra de nouveaux soins pour rendre ce Livre agréable, & l’on fera en sorte qu’il y ait des endroits pour tous les gousts diférens. Quant à l’Extraordinaire, son succés augmentant tous les jours, on continuëra de le donner dans les quatre Quartiers de l’Année ; & le quatrième, qui fera l’Année complete, sera distribué le quinziéme de Janvier. Plusieurs ont crû jusqu’icy que c’estoit un Extrait des Nouvelles qui estoient dans les Mercures des trois Mois. Ceux qui ont semé ces bruits ont eu leurs raisons. Cependant on croit devoir avertir qu’ils ne contiennent que des choses dont il n’y a pas-un mot dans les Mercures, & qu’il est composé de matières toutes diférentes.

Les Particuliers des Provinces qui voudront avoir le Mercure si-tost qu’il sera achevé d’imprimer, n’ont qu’à donner leur adresse au Sieur Blageart, Imprimeur-Libraire, ayant sa Boutique dans la Cour-Neuve du Palais, au Dauphin ; & ledit Sieur Blageart aura soin de faire sur l’heure leurs Pacquets, & de les faire porter à ma Poste ou aux Messagers qu’ils luy auront indiquez, sans qu’il leur en couste autre chose que le prix ordinaire des Volumes qu’ils voudront avoir.

[Avant Propos] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 1-6.

Enfin , Madame, nous voicy à la fin de l’Année mil six cens soixante & dix-huit, Année toute glorieuse pour la France, & si glorieuse, que la Posterité aura peine à croire les prodiges qui s’y sont passez. Les Historiens qui en parleront, seroient sans-doute suspects, ou d’exagerer, ou de raconter des Fables, s’ils n’avoient un infaillible moyen de convaincre ceux qui viendront apres nous, de la verité des surprenantes merveilles qu’ils auront écrites. Ils n’ont pour cela qu’à faire un Portrait au naturel de Loüis le Grand, qu’à peindre une extréme prudence jointe à une parfaite valeur, une haute modération avec une puissance tres-étenduë, une continuelle application dans les Affaires, & enfin toutes les Vertus politiques, militaires, & morales, qui ne le rendent pas moins auguste par sa Personne, que par l’élévation du Trône où nous le voyons assis. Quand ces traits, aussi éclatans qu’ils sont particuliers à luy seul, auront donné une entiere connoissance de cet incomparable Monarque, ce qu’il est fera croire facilement ce qu’il a fait ; & pour en estre mieux convaincu, on n’aura qu’à faire reflexion sur le secret de ses entreprises, qui n’est jamais échapé de son Conseil. Nous n’avons aucune Histoire qui nous ait encor rien marqué de semblable, mesme chez les Nations les plus politiques, & qui au defaut de la force se sont toûjours tirées d’affaires par l’adresse de leur conduite. C'est ce qu’on ne sçauroit attribuer qu’aux grandes & merveilleuses qualitez du Roy. On le sert avec un zele tres-empressé, je l’avouë ; mais c’est beaucoup moins par un devoir de Sujet dont on apporte l’obligation en naissant, que parce qu’on aime veritablement sa Personne. Cet amour, si profondement gravé pour ce grand Prince dans le cœur de tous les François, fait executer ses ordres par tout & en tout temps, avec une diligence & avec une exactitude qui ne laissent rien a souhaiter pour le prompt succés de tous ses desseins. Je vous l’ay fait voir en détail dans chacun des grands Evenemens qui sont arrivez depuis deux ans que je vous écris de Nouvelles, & vous avez veu faire des choses qui passent l’imagination, au Ministre infatigable qui conduit ce qui regarde la Guerre.

[Madrigal] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 47-49.

Ce n’est pas un petit avantage que de bien choisir en se mariant. Le repentir suit souvent cette sorte de Contract. Voyez dans ce Madrigal les plaintes que font deux Dames ; l’une d’avoir pris un Mary trop vieux, & l’autre d’en avoir pris un trop jeune.

Madrigal

On blâme d’un Mary la trop grande vieillesse,
Et j’accuse du mien la trop grande jeunesse.
    Vous, dans vos regret superflus,
Souvent vous vous plaignez d’avoir ce qui n’est plus ;
    Et dans l’ennuy qui me devore,
Moy, je me plains d’avoir ce qui n’est point encore.

Air à boire §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 49-50.

Il n’y a que le Vin qui réjoüisse toûjours les Partisans de Bacchus. Voicy des Paroles qui leur plairont. Elles ont esté faites sur les dernieres Vendanges. L'Air est de Mr Rigault de Tours.

AIR À BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Gillot, Janin, deux Biberons, doit regarder la page 49.
    Gillot, Janin, deux Biberons,
    Tous deux bien ronds,
    Et tous deux dignes de loüange,
    Voyant couler leur vendange,
Chantoient d'un ton joyeux ; pleurez, ô doux Raisins,
N'arrestez point le cours d’une liqueur si chere.
Pleurez chez nous, pleurez chez nos Voisins,
    Vous ne sçauriez mieux faire.
    Vos pleurs consolent nos esprits
    Par leur douceur, & par leurs charmes ;
    Et nous dirons voyant vos larmes,
    Apres les pleurs viendront les ris.
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[Ouverture des Audiences du Parlement de Dijon] * §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 50-55.

L'ouverture des Audiences du Parlement de Dijon fut faite le Jeudy 17. Novembre par Mr Brulart Premier Président. Cette grande Charge qu’il exerce avec tout l’éclat qui luy est deû, n’a rien qui soit au dessus de sa naissance, & il soûtient glorieusement les avantages de l’une & de l’autre par un grand nombre de qualitez encor plus éminentes que le Rang qu’il tient. La recherche de la Verité fut le fondement de son discours. Il dit, Que toute l’étude des Hommes dit s’employer à la découvrir, parce que sans elle tout n’est qu’obscurité & confusion. Il representa aux Avocats, de la manière du monde la plus honneste, Que leur ministere exige beaucoup plus de sincérité que toute autre Profession, puis que les raisons dont ils tâchent d’appuyer le droit des Parties, servent à former la décision de la plus grande partie des Jugemens. Il ajoûta, Qu'on ne pouvoit disconvenir que l’Eloquence ne fust un grand agrément & un moyen fort propre pour attirer des applaudissemens à l’Orateur ; mais que la Vérité avoit cela de particulier, qu’elle entraînoit tous les Esprits. Il mesla fort adroitement l’éloge du Roy dans sa Harangue, & il le fit en peu de mots, & avec la derniere justesse. Il dit entr'autres choses, Que la Vérité estant l’ame des loüanges qu’on donne à l’admirable Vie de Sa Majesté, son Nom sera toûjours également glorieux jusque dans la Postérité la plus éloignée, parce que la Vérité n’est sujette ny à la vieillesse ny à la mort, & qu’elle durera au dela des ruines du Monde. Il fit en suite une tres-belle peinture de la laideur du Mensonge. Il dit, Qu'il n’estoit jamais plus dangereux que quand il avoit l’air & l’apparence de la Vérité ; & finit en exhortant les Avocats & les Procureurs à se proposer toûjours la bonne-foy & cette mesme Verité pour regle de leur conduite.

Cet éloquent Discours, dont je ne vous rapporte que des pensées tres-imparfaites, & sans aucun ordre, fut prononcé d’un ton de voix, & accompagné d’un air de grandeur & de majesté, qui acheva de charmer toute l’Assemblée.

Mr l’Avocat General d’Aligny parla aussi fort éloquemment sur l’excellence de la Justice, & sur le mélange que les Juges doivent faire du Droit & de l’Equité ; mais comme il a la voix foible, on perdit une partie des belles choses qu’il dit.

[Les Amans Pelerins, Histoire] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 55-76.

Avant que de vous faire quiter Dijon, il faut vous apprendre ce qui a esté fait pour deux jeunes Sœurs qui n’y sont pas moins considerées par le mérite de leurs personnes, que par les avantages de leur naissance. Il ne faut qu’avoir des yeux pour estre convaincu de leur beauté ; & ce qui est un grand charme, elle ont l’esprit aussi bien fait que le corps. L'Aînée est d’un blond le plus beau qu’on se puisse figurer ; la taille fine et aisée ; une douceur & une majesté qu’on ne trouve point ailleurs. La Cadete est brune, mais d’un brun admirable ; le plus beau teint & le plus vif qu’on ait jamais veu ; les yeux d’un brillant à ne le pouvoir soûtenir ; les traits tous régulierement beaux, la plus belle bouche du monde, & des dents qui semblent avoir esté faites au tour. Vous jugez bien qu’avec tant d’agrémens, & de l’esprit à proportion, elles s’attireroient une grande foule d’Adorateurs, si comme elles ont le don de plaire, elles vouloient recevoir des soins ; mais elles ont une Mere d’une vertu si éminente, & d’une pieté si peu commune, que l’exemple qu’elle leur donne, ne permet qu’un tres-foible commerce avec les Societez de plaisir & de divertissement. Elles l’accompagnent dans toutes ses devotions, & sont accoûtumées à cette sorte de retraite, qu’elles ne regardent point comme une peine ; mais quoy qu’elles ayent peu l’usage du monde, elles ne laissent pas d’en avoir la délicatesse. Aussi sont-elles Filles d’un Homme poly, galant, éclairé, & qui est un des premiers Magistrats de la Province. Outre sa Charge qui luy donne beaucoup de rang, il a un Employ qui fait tous les jours connoistre sa fidélité par ses services, & qui ne luy a pas moins acquis l’estime du Roy, que celle d’un grand Ministre qui l’honore particulierement de son amitié. Ce Magistrat a une Maison de plaisance à trois lieuës de Dijon, des plus agreables qui se voyent. Il aime passionnément la Chasse, & le plaisir qu’il y prend luy fait avoir un équipage des plus superbes, & tout ce que demande la suite de cette dépense. Ainsi le jour de la S. Hubert derniere, il invita toute la Noblesse de son voisinage de l’un & de l’autre Sexe d’en venir solemniser la Feste chez luy. L'Assemblée fut grande. Les Dames s’y trouverent en Juste-au-corps & Perruques fort magnifiques. On servit un Repas où la délicatesse & la propreté disputoient avec l’abondance. Le Repas finy, on alla courre le Cerf dans une Forest prochaine, où l’on rencontra une Troupe de Chasseurs que l’ardeur de la Chasse avoit menez à plus de quatre lieuës du Canton où ils demeuroient. Ils ne se connoissoient les uns ny les autres, quoy qu’ils fussent tous d’une qualité distinguée. Cependant ceux qui venoient pour prendre, se trouverent pris. Deux Freres des plus qualifiez de la Province ne pûrent voir les deux charmantes Personnes dont je vous ay parlé, sans estre touchez de leur beauté, & ils le furent d’une telle sorte , qu’on peut dire que dès ce premier moment, ils en devinrent éperdûment amoureux. Ils eurent toûjours les yeux attachez sur elles, leur dirent tout ce qu’ils pûrent d’obligeant pendant un moment qu’ils trouverent occasion de leur parler, & ne s’en séparerent qu’avec beaucoup de chagrin, mais la nuit qui s’approchoit les força de quiter cette belle Troupe. Ils s’en retournerent fort resveurs, & ne pensant plus qu’aux moyens de revoir les Belles. La retraite dans laquelle ils apprirent qu’elles vivoient les fit trembler. Ils vouloient chercher à plaire. Il faut voir & parler pour y réüssir, & ils ne voyoient aucune facilité à l’un ny à l’autre, quand ils regardoient ces aimables Filles sous la conduite d’une Mere qui ne recevoit ny Jeunesse ny Galanterie. Il n’y avoit pas d’apparence de se hazarder à aller chez elle, n’en estant connus que de nom. Ainsi le seul party qu’ils virent à prendre, fut de rendre visite à une Dame de leur connoissance, qui estant voisine des Belles, pouvoit leur faciliter quelque accés dans cette Maison. Apres les premieres civilitez, on mit la rencontre de la Chasse sur le tapis. On parla de toutes les Dames qui avoient esté de cette belle Partie ; & quand on tomba sur le chapitre des charmantes Sœurs, les Cavaliers pousserent la matiere avec tant d’empressement & de chaleur, qu’il ne fut pas difficile de penetrer qu’elles leur tenoient fortement au cœur. Ils avoüérent de bonne-foy qu’ils n’avoient pû s’empescher d’estre pris par ces deux aimables Chasseresses ; & dans la passion de les connoistre un peu d’avantage pour sçavoir s’ils seroient assez heureux pour ne leur déplaire pas, ils proposerent d’aller rende visite à toute cette Illustre Famille, & prierent leur Amie de les presenter. Elle résista quelque temps à ce qu’ils la conjuroient de faire pour eux, sur la connoissance qu’elle avoit du caractere de la Mere qui ne souffroit pas volontiers les visites de jeunes Gens ; mais son Mary vainquit ses scrupules, & comme la Dame qu’elle craignoit de fâcher est devote, il s’avisa d’introduire les Cavaliers en les habillant en Pelerins. Il prit le mesme équipage. Sa Femme s’habilla aussi en Pelerine avec deux ou trois de ses amies. Ils estoient propres, quoy qu’ils n’eussent rien qui démentist ce qu’ils vouloient qu’on les crust. Dans ce déguisement, ils allerent rendre leur visite, chantant la chanson de S. Jacques au milieu de la court. Ainsi on ne douta point qu’ils ne fussent de vrais Pelerins. On les regarda par les fenestres, & apres les avoir laissé chanter plus d’une demy-heure, on leur envoya un Ecu blanc. La Dame qui estoit chargée de les introduire, se mit à rire d’une si grande force de la charité qu’on leur faisoit, qu’elle fut aisément reconnuë. Tout le monde descendit pour venir recevoir les Pelerins & les Pelerines. Les deux Freres furent reçeus fort honnestement. Apres qu’on se fut diverty quelque temps à dire d’agreables choses sur l’équipage qu’ils avoient pris, on fit servir la Collation. Elle fut de la derniere magnificience, mais les deux Freres n’en connurent rien ; ils n’avoient des yeux que pour les Belles qui les charmoient. Ils profiterent de cette occasion de leur parler autant que la bienseance le pût permettre, & revinrent de leur Pelerinage plus amoureux qu’on ne l’a jamais esté. L'esprit de ces admirables Filles ne les avoit pas moins touchez, qu’un je ne sçay quel air modeste & majestueux tout ensemble, dont leur beauté estoit soûtenuë. Ainsi la passion qu’ils sentoient pour elles s’estant augmentée, ils mirent tous leurs soins à tâcher de se rendre agreables, en contribuant le plus qu’il pourroient à leur plaisirs, pendant qu’elles seroient à la Campagne. Dans ce dessein, ils prierent leur Amie d’agréer qu’on fist une nouvelle Partie qui fust un peu du bon air. Elle y consentit. Apres differens projets, on s’arresta à celuy de mener une Nôce de Village, & de parer une Epousée à la mode de Bourgogne. On prit une Païsane des plus laides, âgée d’environ quatre-vingts ans. On la coëffa avec un Tour de la bonne Faiseuse ; quantité de Pierreries ; force mouches sur son visage ; un habit de Brocard d’or bleu, & la Jupe de la mesme parure. On fit accommoder une maniere de Chariot fort grand & fort vaste, au haut duquel on plaça cette Epousée comme en triomphe. Les Dames & Demoiselles qui estoient de cette Partie, toutes habillées à la païsane fort proprement & fort galament, estoient aussi sur ce Chariot, qu’on avoit garny de Citronniers, d’Orangers, de Mirthes & de Lauriers. Il y avoit du moins cinq cens Citrons nouveaux, & autant d’Oranges nouvelles, le tout attaché sur les verdures de ce Chariot avec des rubans ; mais d’une maniere si propre, qu’il sembloit que ces Rubans ne servissent que d’embellissement, & que les fruits fussent naturels aux Arbres. On y avoit ajoûté un tres-grand nombre d’Oranges & de Citrons confits, entremeslez avec les autres de toutes sortes de Confitures seches, qui peuvent estre attachées. Ce Chariot estoit traîné par six chevaux enharnachez aussi de Rubans & de verdure. Les Cavaliers avoient pris aussi l’équipage de Païsans ; & comme on avoit mis des Resnes de taffetas de toutes couleurs autour du Chariot, ils suivoient de chaque costé, tenant chacun une Guide d’une main, & une Houlete de l’autre. Douze Hautbois, & autant de petits Tambours, précedoient le Chariot, & tous estoient habillez de verdure. On arriva dans cet ordre chez le Pere des Belles, qui ayant entendu dire quelque chose de la Partie qu’on devoit exécuter, s’estoit préparé à recevoir cette belle Troupe à son ordinaire, c’est à dire avec une tres-grande magnificence. Les deux aimables Personnes pour qui se faisoit la Feste, avoient eu permission de s’habiller aussi en Païsanes. Elles ne parurent pas moins brillantes dans cet équipage aux yeux des deux Cavaliers, qu’elles leur avoient paru d’abord dans celuy de Chasseresses. Ils eurent quelque liberté de leur parler en dansant. La Collation fut servie, & en suite un tres-grand Soupé. Je ne sçay ce qui arriva du reste. Cette passion fait bruit, & ces sortes de galanteries d’éclat sentent fort le Mariage. Si j’en apprens quelque chose, je vous le feray sçavoir, & vous nommeray alors les illustres Personnes qui ont part à ce que je viens de conter.

[Contract Galant fait par M. Robbe] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 76-83.

En attendant, je vous envoie un Contract de liaison, passé par devant l'Esprit & le Cœur, qui sont les plus zélez Ministres dont l'Amour ait acoûtumé de se servir.

Contract

Galant.

Par devant Nous, Ministres de l’Amour,
Sous signez, résidens dans l’Isle de Cythere,
Et commis par ce Dieu dans cet heureux sejour,
Pour recevoir avec ce caractere
Des fideles Amans les sermens solomnels,
Et les unir apres des nœuds eternels.
    Furent presens le Berger Clidamus,
Demeurant aujourd’huy dans l’Isle de Thémis,
D'une part, & la sage & charmante Isabelle,
    Spirituelle encore plus que belle,
    Fille du Docteur Dorimont,
Qui fait sa résidence au bas du sacré Mont.
    Ce Berger & cette Bergere,
    Accompagnez de leurs plus chers Amis,
Se sont de leur plein gré l’un à l’autre promis
    Une foy constante & sincere,
Et devant tous ont presté le serment
    De s’aimer éternellement.
Sous de commodes Loix d’un heureux Hymenée,
    Cet aimable couple d’Amans,
Pour bannir toute crainte, & fuir cent vains tourmens,
Ont par cet Acte uny leur destinée,
Et prenant desormais la qualité d’Epoux,
En prendront, s’il leur plaist, les plaisirs les plus doux.

L'Epoux futur apporte à la Communauté
Un grand fond de tendresse & de sincerité
    Qu'il a reçeu de la Nature :
Sur ce fond qu’avec soin il a sçeu ménager,
Et qu’en vain l’on tâcha de luy faire engager,
Il assigne la Dot de l’Epouse future.
Item, un autre fond de grande Complaisance,
Semé de Petits-soins, meslez de Belle-humeur,
Clos tout autour d’un mur de Bienseance,
    Et d’un profond Fossé d’Honeur ;
    C'est là le plus riche heritage
Qu'il ait de ses Parens reçeu pour son partage.

La Future de son costé
Apporte pour sa Dot un grand fond de Sagesse,
    Qui rapporte par sa bonté,
Et beaucoup de Pudeur, & beaucoup de Tendresse ;
Mais pour n’en point mentir, au raport des Témoins,
La derniere n’y croist qu’avec d’extrémes soins.
    Item, un tres-grand fond d’Esprit,
Orné de beaux Discours rangez avec justesse,
Un champ libre & facile à coucher par écrit,
Qui naturellement produit la politesse,
Et mille beaux talens qu’elle possede encor,
    Qui valent un riche trésor.

L'Epoux accorde à l’Epouse qu’il aime,
Par préciput, le choix de leurs plaisirs,
Et par un rare effet de son amour extréme,
Luy soûmettant jusques à ses desirs,
Luy permet de donner des termes à sa flame,
Pour n’avoir en deux corps qu’un seul corps & qu’une ame.

Pour éviter toute raison de craindre
    Certains reproches dèplaisans,
    Et tout prétexte de se plaindre,
Dont les nouveaux Epoux sont rarement exemts,
D'autant que les Futurs en connoissent la cause,
De l’an & jour ils ajoûtent la Clause,

    C'est à dire que dans ce temps,
S'ils ne sont pas l’un de l’autre contens,
Ils pourront sans façon rompre si bon leur semble ;
Car il vaut mieux alors se quitter librement,
Qu'attendre avec chagrin qu’un lugubre moment
Desunisse deux Corps qu’un triste Hymen assemble.
Sans doute l’on fera de merveilleux progrés,
Si l’on prévient ainsi les desordres secrets,
Que souvent l’imprudence ou l’interest fait naistre :
Et pourquoy voyons-nous tant de Gens s’abuser ?
C'est qu’ils ne pensent pas qu’avant que s’épouser,
Il faut se voir longtemps afin de se connoistre.

Signé, Clidamis & Isabelle, Parties.

Meliton & Adamas, Témoins.

Esprit & Le Coeur, Notaires.

[Ceremonies observées à Montpellier pour la Publication de la Paix concluë entre la France & la Hollande] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 84-88.

On a publié la Paix avec la Hollande dans toutes les Villes du Royaume ; mais cette Publication ne s’est faite dans aucune avec plus de pompe que dans Montpellier. Voicy l’ordre qui y fut tenu. Six Valets de Consuls, marchoient d’abord à pied avec leurs Pertuisanes, suivis de six Escudiers à Cheval, en Robes rouges, & ayant leurs longues Masses d’argent. Apres venoient six Trompetes aussi à cheval, six Hautbois à pied, la grande Bande des Violons, & six Tambours. Ils precedoient les Huissiers du Seneschal ; qui venoient suivis de deux Greffiers en Robe et Bonnet comme eux. Ces deux Greffiers publierent la Paix dans tous les Coins & Carfours de la Ville, chacun estant découvert pendant qu’ils lisoient ce qui donnoit tant de joye à tout le monde. Le Juge Mage venoit apres eux. Il estoit à cheval, en Robe rouge & en Bonnet, à la droite du Premier Consul, suivy des cinq autres Consuls, dans le mesme ordre. Les Consuls Majeurs ayant passé (on donne ce nom à ceux de la Ville) on vit paroître les Consuls de Mer. Ils avoient leur Chaperon, & estoient precédez d’un Timbalier vestu de bleu. Je ne vous parle point de la plûpart de la Bourgeoisie à cheval, qui suivoit en foule. Cette Cavalcade estoit fermée par les jeunes Gens de la Ville, au nombre de plus de deux cens, tous tres-propres, & encor mieux montez. Ils portoient chacun un Tour de plumes bleuës, & estoient ceints de magnifiques Echarpes. Leur Chef marchoit le premier, ayant le Guidon attaché à son costé. Les Armes du Roy et de la Ville y estoient peintes. Ils passerent par toutes les Ruës dans l’ordre que je viens de vous marquer, faisant grand feu de leurs Pistolets. Le soir, les six Sixains qui sont les Artisans, se mirent sous les Armes pour assister au Feu de joye qui se fit devant la Maison de Ville, à la fanfare de tous les Instrumens que je vous ay nommez, & au bruit de tous les Canons de la Citadelle. Chaque Habitant fit un Feu devant sa Maison. Il y avoit des lumières à toutes les Fenestres, & jamais il n’y eut une nuit mieux éclairée.

[Reception faite à Madame la Comtesse de S. Valier, à S. Valier] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 88-92.

Autre Marche qui s’est faite pour la Reception de Madame la Comtesse de S. Vallier, à la Ville qui porte ce nom. Tous les Bourgeois allerent au devant d’elle, jusqu’à deux lieües, habillez en Arméniens, avec le Tambour & la Musete. Le Principal estoit à leur teste. Il la vint complimenter à son Carrosse, & en suite toute cette Troupe luy servit d’escorte. En approchant de Thein, qui est une petite Ville à une lieüe de S. Vallier, elle trouva quatre Compagnies d’Infanterie qui la salüerent de trois ou quatre cens coups de Mousquet, & qui formerent une maniere d’Arrieregarde dont elle fut accompagnée dans le reste du chemin. Elle arriva enfin en un lieu nommé Serve, qui n’est qu’à un quart de lieüe de S. Vallier. On la pria de s’y arrester, & elle y trouva une magnifique Collation, qui luy fut servie au bruit du Canon du Chasteau, d’où l’on fit plusieurs salves. À peine fut-elle à quatre cens pas de ce lieu, qu’elle rencontra quatre autres Compagnies d’Infanterie, qui la régalerent d’une pareille décharge que les premieres, & qui se joignant avec elles, composerent une maniere de petite Armée de neuf cens Hommes, Ils l’escorterent jusqu’à son Chasteau de S. Vallier, autour duquel l’Escadron d’Arméniens & la petite Armée firent plusieurs décharges. La Feste finit par un grand Feu d’artifice, & par quantité de Fusées volantes. Le lendemain, la mesme Troupe d’Arméniens vint salüer sa Maitresse, & luy fit present de quelques Ouvrages des Abeilles de leur Païs. Celuy qui estoit à leur teste luy fit un Compliment qui en fut tres-bien reçeu.

[Réjouissances faites à Saumur sur le sujet de la Paix] §

Mercure galant, décembre [tome 12], 1678, p. 92-94.

Je reviens à la Publication de la Paix. Si tost qu’elle eut esté faite à Saumur, Mr  des Haves Lieutenant de Roy, reçeut ordre de faire allumer des Feux de joye. Le jour qui fut choisy pour cette Cerémonie estant arrivé, tous les Ordres de la Ville s’assemblerent dans l’Eglise de S. Pierre. On y chanta le Te Deum , avec un grand nombre de Voix & d’Instrumens, apres quoy on marcha au son des Trompetes vers le Feu qui avoit esté preparé, & qui fut allumé par M rs  le Lieutenant de Roy, le Maire, & les Echevins de la Ville. Les cris de Vive le Roy se firent aussi tost entendre. Les Canons du Chasteau leur répondirent, & à peine eurent-ils cessé de tirer, qu’on vit éclater un Feu d’artifice. Mille Fusées volantes parurent en l’air dans le mesme temps, & finirent une Feste qui fut celébrée avec toutes les démonstrations de joye, qu’exige la reconnoissance qu’on doit aux bontez que le Roy temoigne avoir pour ses Peuples.

[Réjoüissances faites à Romorantin en Berry sur le sujet de la Paix] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 94-96.

On a fait aussi à Romorantin en Berry, de grandes réjoüissances pour la mesme occasion. Afin que tout le monde pust prendre part aux divertissemens préparez, & entendre les loüanges du Roy, on fit dresser un Théatre, non pas dans une Salle, mais dans la grande Court du Chasteau. Les Portraits de Sa Majesté, de Son Altesse Royale, & de tous ceux qui se sont signalez pendant le cours de cette Guerre, en faisoient les ornemens. Ils estoient separez par des Festons, des Trophées, des Devises & des Inscriptions, à leur gloire. On recita sur ce Théatre plusieurs Poëmes en l’honneur du Roy. Comme la matiere en estoit toute merveilleuse, il ne faut pas s’étonner si on y trouvoit à chaque moment de justes sujets d’admiration. Le plaisir qu’en ressentirent les Auditeurs fut suivy de celuy que leur causa un tres-beau Feu d’artifice. Il estoit d’une auteur si extraordinaire, qu’on n’en avoit point encor veu de semblable. Les Habitans en firent en suite devant leurs Maisons, & les acclamations de Vive le Roy furent si grandes & si fréquentes, qu’elles rendoient un sensible témoignage de l’amour que ce Peuple a pour Sa Majesté.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 103-106.

Je vous ay toûjours veu rechercher les Airs de Mr de Bacilly avec tant de soin, que j’ay lieu de croire que vous ne serez pas fâchée d’en voir un de la composition de Mr Daniel, qu’il a choisy comme un digne Sujet pour luy mettre entre les mains tout ce qu’il avoit de Gens de la premiere qualité à instruire dans la belle maniere de chanter. Vous sçavez, Madame, que peu de Personnes en ont une connoissance aussi parfaite que Mr de Bacilly, & qu’il en a mesme fait un Traité fort utile à ceux qui veulent parler en public, à cause des Regles de prononciation, & de quantité de choses tres-curieusement remarquées. Le choix qu’il a fait de Mr Daniel pour luy donner toutes ses pratiques, en luy faisant épouser une de ses Nièces, vous fait connoistre qu’il estoit fortement persuadé de son mérite. Aussi celuy dont je vous parle est-il dans une grande réputation soit pour le fond de la Musique, soit pour la composition des Parties, pour le génie de faire de tres-beaux Airs, & sur tout pour la noble & agreable exécution du Chant. Vous en jugerez par ces Paroles qu’il a notées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par En vain vous m’ordonnez de feindre, doit regarder la page 106.
En vain vous m’ordonnez de feindre
De l’indiférence pour vous,
    Pour tromper les Jaloux,
    Que nous avons à craindre.
Lors que l’on joüit chaque jour
Des charmes de vostre présence,
Il est malaisé que l’amour
Paroisse de l’indiférence.
images/1678-12_103.JPG

[Table pour apprendre le Theorbe sur la Basse-Continuë] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 106-109.

Tandis que nous sommes sur la Musique, il faut vous apprendre, Madame, à vous qui en faites un de vos plus grands plaisirs, qu’on vient de faire graver une Table pour apprendre en fort peu de temps à toucher le Theorbe sur la Basse-continuë. Elle se vend chez Mr  Ballard, seul Imprimeur de la Musique du Roy, & est faite d’une maniere qui ne la rend pas moins utile pour les Etrangers que pour nous, en ce que la Musique, ses Chiffres, & la Tablature dont il est fait mention dans cet Ouvrage, ne diférent en aucune sorte, ny de de la Musique, ny des Chifres, ny de la Tablature du Theorbe, dont on se sert ordinairement en Italie, en Allemagne, en Espagne & en Angleterre. Joignez à cela qu’elle donne des Regles aussi bien sans Chifres qu’avec des Chifres, & qu’ainsi on peut s’instruire aisément soy-mesme sans aucun secours de l’Autheur. Il s’appelle M r  Fleury. La façon dont vous trouverez cette Table disposée vous persuadera aisément de la parfaite intelligence qu’il a de la Musique. Le discours qu’il y fait entrer n’est remply que de termes qui luy sont propres, & ce mesme discours est éclaircy par des Exemples aisez qui ne laissent aucun embarras à ceux qui ont les premieres teintures de cette Science.

[Traité touchant la nouvelle invention Françoise des Sautereaux] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 109-113.

On imprime aussi un Traité fort curieux, & utile à tous les amateurs de la Symphonie, par les premieres ouvertures qu’il donne pour la nouvelle invention Françoise des Sautereaux à Languetes Impériales, perpetuelles, infatigables, non susceptibles des inconstances du temps, ny sujetes aux foïes de Porc. Les Languetes de bois & du plumage ordinaire estoient d’une matiere poreuse & fragile qui les assujetissoit à de grandes varietez, & c’estoit pour cela qu’on les appelloit avec beaucoup de raison la source de toutes les sujettions journalieres & ennuyeuses qui arrivoient au Clavessin, & qui en dégoustoient ceux qui l’estimoient le plus. Par le moyen des Sautereaux dont je vous parle, cet Instrument va estre dans le point de perfection, qui a esté jusqu’à aujourd’huy souhaité de tout le monde, & inutilement recherché par les plus grands Maistres de l’Art, tant Etrangers que François. Comme cette nouvelle Invention regarde tout ensemble & la Symphonie & les Arts, le Roy a eu la bonté de soufrir qu’on luy en ait fait voir le premier essay. L’utilité n’en est pas seulement fort grande, à cause que ces Sautereaux sont stables, & qu’ils n’asservissent point aux sujettions ordinaires, mais encor parce qu’ils font trouver au Clavessin les mesmes Clavieres sur les mesmes Cordes, & enfin une diversité d’harmonie qui le rend doublement considérable, sans qu’il y ait ny augmentation ny embarras, c’est à dire, que les Jeux doux s’y rencontrent avec les Jeux brillans, & qu’on se peut satisfaire diversement selon son génie. Ainsi le Clavessin accompagnera toute sorte de Voix & de Musique Instrumentale. Il sera universel pour tous les Concerts qu’on voudra faire, & l’un des plus accomplis de tous les Instrumens de Musique.

[Mort de M. de Nanteüil] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 113-118.

Nous avons perdu depuis peu de jours un des plus grands Hommes dans sa Profession que la France ait eu depuis fort longtemps. C'est le fameux Mr  de Nanteüil, aussi Illustre par son Burin & par son Pastel, que les plus excellens Peintres de l’Antiquité l’ont esté par leur Pinceau, & les plus renommez Statuaires par leur Ciseau. Il estoit de Rheims, & est mort âgé de cinquante-cinq ans. La plûpart des Princes de l’Europe ont voulu avoir leur Portrait fait de sa main en Pastel. Ceux qu’il a faits au Burin estant publics, parlent assez à la gloire, sans que j’y doive rien ajoûter. Il a eu l’honneur de faire souvent celuy du Roy ; & comme il avoit l’esprit fort agreable & que Sa Majesté ne dédaignoit pas de l’écouter, il luy recita les Vers qui suivent, un peu avant sa mort, pour luy demander du temps sur un nouveau Portrait qu’il entreprenoit.

Vers

De Mr de Nanteuil,

Au Roy.

Apres les Actions qui vous couvrent de gloire,
    Apres tant de Faits éclatans,
Il me faudroit, Grand Roy, donner un peu de temps
Pour rendre vostre Image égale à votre Histoire.
On verroit dans les traits de Vostre Majesté
Une Grandeur parfaite unie à la Bonté ;
Ce soûris si charmant, cet air si magnanime,
Ces mouvements causez par un esprit sublime,
Et tout ce qui compose & fait voir à la fois
Dans un Homme, un Grand Homme, & le plus grand des Rois.
Mais pourquoy dans mes Vers achever vostre Image ?
Tant d’Ecrivains sur moy n’ont-ils pas l’avantage,
Quand nul autre Graveur par sa dexterité
Ne peut vous consacrer à la Posterité ?
Je ne puis bien vanter, brûlant d’un zele extréme,
    Je sçay mon Art, & j’aime.
Ainsi dans cet Ouvrage on pourra voir un jour
Ce que peuvent ensemble & l’adresse & l’amour.
Excusez ce transport, & pardonnez moy, Sire,
Ce qu’un Sujet fidele a bien osé vous dire.

Tous les Princes qui connoissent les beaux Arts, & qui les aiment, avoient beaucoup d’estime pour Mr  de Nanteüil ; & Monsieur le Grand Duc entretenoit le S t  Dominique aupres de luy, afin qu’il apprist quelques chose d’un si grand Homme, & qu’il pust un jour faire honneur à la Toscane.

[La Magie naturelle représentée par les Comédiens Italiens] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 121-124.

Puis que je suis devenu vostre Historien, je ne doy pas vous parler seulement des choses qui arrivent de jour en jour dans le monde, mais encor de celles qui font tant d’éclat, qu’il y auroit de l’affectation à ne vous en point entretenir. La nouvelle Comédie qui paroist depuis quelque temps sur le Théatre des Italiens est de ce nombre. Elle est intitulée la Magie Naturelle , ou la Magie sans Magie . Je ne vous en puis dire autre chose, sinon que c’est un Enchantement. On y vient en foule. Chacun s’en demande la raison, & court où il voit courir les autres. Tout le monde y rit ; les uns, de la Piece ; les autres, de voir tant de Rieurs, & peut-estre les Comédiens riënt des uns & des autres.

[Sujet de l’Opera nouveau de M. de Lully] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 124-125.

Sans la maladie de Mr  de Lully qui a reculé l’Opéra nouveau qu’il nous doit donner cet Hyver, il auroit bientost son tour, & je ne doute point qu’on n’eust peine à trouver place dans la Salle du Palais Royal. Les Triomphes de Bellerophon en sont le Sujet. La victoire qu’il remporta sur la Chimere, composée de trois Monstres diférens, est une de ces surprenantes actions qui n’appartiennent qu’aux plus grands Héros. Nous n’aurons la Représentation de cet Opéra que dans les derniers jours du Mois prochain. Quelques Personnes qui en ont entendu repéter les premiers Actes, m’ont parlé si avantageusement de la Musique, que je ne doute point qu’elle ne soit le Chef-d’œuvre de Mr   de Lully. Ils sont & bons Connoisseurs, & dignes de foy ; & quand ils loüent quelque Ouvrage, on peut dire qu’il mérite d’estre loüé.

[Andromede, Opera donné tous les Jeudis en Concert par M. de Moliere] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 126-131.

Mr Moliere a fait aussi une maniere de petit Opéra qu’il donne en concert chez luy tous les Jeudis depuis six semaines. Les Assemblées y sont toûjours plus Illustres que nombreuses, le lieu estant trop petit pour contenir tous ceux qui viennent y demander place. Les Vers en sont naturels, coulans, & propres à estre chantez. Andromede attachée au Rocher, & délivrée par Persée, en est le Sujet. Cette malheureuse Princesse est représentée par Mademoiselle Itié, Fille de Mr Moliere, qui chante avec toute la justesse possible. Mademoiselle Siglas, qui fait le personnage de la Mere, entre dans tous les mouvemens de la passion, & conduit sa voix avec beaucoup d’agrément. Persée vient secourir la Princesse. Il est representé par Mr de Longueil, un des meilleurs Maistres que nous ayons pour apprendre à bien chanter, & qui fait les plus habiles Ecoliers. La Symphonie est agreablement diversifiée, selon les diférentes passions qui se doivent exprimer. La merveille de nostre Siecle, la petite Mademoiselle Jaquier y touche le Clavessin, & ce charmant Divertissement finit par un Air que chante Mademoiselle de Normandie qui a la voix admirable. Il seroit assurément difficile d’en trouver une plus touchante, d’un plus beau son, & d’une aussi grande étenduë. Ce que cette Demoiselle a d’avantageux, c’est qu’elle est faite d’une maniere à se faire regarder avec autant de plaisir, qu’on en peut recevoir à l’écouter. Voicy les Paroles de l’Air qu’elle chante.

    Amans, qui chérissez vos chaines,
    Ne vous rebutez point des peines
Dont les timides cœurs se trouvent alarmez ;
Et pour forcer les plus puissans obstacles,
Perseverez, l’Amour est le Dieu des Miracles,
    Vous vaincrez tout, si vous aimez.

Il y a quelques jours que cet Opéra fut chanté au Louvre pour Madame de Thiange, en présence de Monsieur le Duc, & de plusieurs Dames du premier rang. Mr Moliere reçeut de toute cette illustre Assemblée les applaudissemens qui luy sont deûs & pour la beauté de son Ouvrage, & pour le juste choix qu’il a fait des belles Voix qui luy donnent tant d’agrément.

[Mort de Mr d’Estival] §

Mercure galant, septembre [tome 12], 1678, p. 130-131.

    À propos de belles Voix, Mr d’Estival est mort, & le Roy a perdu un de ses grands Musiciens en sa personne.

[Messieurs de l’Université font faire un Bout-de-l’An et une Oraison funebre à feu M. le Premier President de Lamoignon] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 131-133.

Feu Mr le Premier Président de Lamoignon ayant défendu par son Testament qu’on luy fist aucune Oraison Funebre, on obeït l’An passé à ses dernieres volontez ; mais comme on ne sçauroit faire trop de portraits des Actions d’un bon Juge, & que rien ne peut estre plus utile aux Magistrats, & par conséquent au Public, ceux qui luy font faire ce qu’on appelle des Bouts-de-l’an, ont soin de lui rendre la justice qu’il s’est refusée. Il s’en fit un au commencement de ce mois dans l’Eglise des Mathurins, qui fut un témoignage de la venération que Messieurs de l’Université ont pour sa mémoire. Son Eloge y fut prononcé en Latin, & admiré de tous ceux qui l’entendirent. M r  l’Abbé Fléchier doit parler au premier jour sur ce sujet. Vous sçavez qu’il a déjà fait plusieurs Oraisons Funebres, & qu’elles sont autant de Chef-d’œuvres. Ainsi on n’en doit rien attendre que d’achevé sur une si belle matiere. L'Article qui suit vous fera connoistre avec combien d’éloquence elle a esté traitée depuis un Mois par un des plus grands Hommes de la Robe.

[Tout ce qui s’est passé à l’ouverture des Audiences du Parlement] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 133-154.

Je vous ay parlé de l’ouverture du Parlement qui se fait tous les ans le lendemain de la S. Martin, par une Messe celebrée Pontificalement, & qu’on appelle la Messe rouge, parce que tous ceux qui composent cet Auguste Corps s’y trouvent en Robes rouges, qui sont leur habit de Cerémonie. Je viens presentement à l’ouverture des Audiences qui ne se fait que quinze jours ou trois semaines apres. Mr  le Premier Président en choisit le jour, & comme il a accoutumé d’y faire un Discours aussi-bien que le plus ancien Avocat General, il y a toûjours une tres-grande Assemblée pour les entendre. Les Ducs & Pairs, les Conseillers d’honneur, & les Maistres des Requestes, y ont des places marquées. Les Lieutenans Generaux, les Trésoriers de France, & les anciens Avocats, y en ont aussi. Je ne sçay, Madame, si vous sçavez la diférence qu’il y a entre les Conseillers d’honneur dont je vous viens de parler, & les Conseillers honoraires. Ces derniers sont les Conseillers vétérans qui ayant servy assez de temps pour conserver leurs entrées, se sont défaits de leurs Charges ; & les Conseillers d’honneur sont ceux qui sans estre du Corps, ne laissent pas d’y estre admis en diférentes occasions. Le Roy en donne les places, & comme le nombre n’est que de six, vous n’aurez pas de peine à croire qu’il faut un fort grand mérite pour estre choisy. La Cerémonie dont j’ay à vous entretenir se fit un des derniers jours du Mois passé ; & comme c’estoit la premier fois qu’elle se faisoit depuis que M r   de Novion est Premier Président, l’Assemblée fut nombreuse & illustre. M r  l’Archevesque de Rheims, & M rs   les Evesques de Langres & de Noyon, s’y trouverent comme Ducs & Pairs, Aussi-bien que M r  le Duc de S. Aignan. Plusieurs Conseillers d’honneur & Maistres des Requestes s’y rendirent aussi, avec quantité d’autres Personnes de mérite, de toutes sortes de conditions. Si tost que M r  le Premier Président fut entré, & que Messieurs les Gens du Roy eurent pris leur place, M r   Talon se leva & fit un fort beau Discours. Il le commença par les plaintes qu’on faisoit avec justice de ce que l’Eloquence ne regnoit plus au Barreau. Il dit, Qu'il ne s’en étonnoit point, quand il voyoit que des Solliciteurs d’affaires, & de jeunes Gens, se faisoient recevoir Avocats au sortir de leurs études, quoy qu’ils n’eussent jamais lû que quelques Recüeils d’Arrests ; Qu'ils parloient le plus souvent sans sçavoir ce qu’ils avoient à dire, sans aucune grace & sans politesse ; Qu'ils étourdissoient & intérompoient les Juges mal à propos, en parlant quand il ne le faloit pas, & en disant ce qu’ils avoient oublié de dire quand il estoit necessaire de parler. Il ajoûta, Que de pareils Avocats se chargeoient de toutes sortes de causes, & avoient la criminelle complaisance de flater les Parties qui leur demandoient leur avis. Toute la remontrance qu’il leur fit fut de leur conseiller d’abandonner le Barreau, & de chercher des Emplois proportionnez à leur foiblesse. Il s’adressa ensuite aux Avocats du premier ordre, & dit, Que c’estoient de genéreux Atletes qui défendoient les Causes publiques, & qui vouloient bien estre remis dans le vray chemin quand il leur arrivoit de s’égarer. Il les exhorta à continuer de bien faire, & leur dit, Que pour en avoir des regles certaines, ils n’avoient qu’à écouter ce qui leur alloit estre dit. La maniere dont il tourna la chose fit connoistre qu’il entendoit parler du Discours que Mr  le Premier Président avoit à leur faire. Il ajoûta, Qu'il faloit se proposer des modelles, & choisir toûjours les plus récens quand ils estoient parfaits. De là, sans nommer personne, il prit occasion de faire un portrait des Ames du premier Ordre, & ce portrait en donna une si haute idée, qu’il seroit malaisé d’en trouver beaucoup de semblables. Il fit voir, Que les astres n’y avoient aucune part, & cita pour le prouver divers exemples de personnes nées dans un mesme temps, dont l’humeur & les actions avoient esté entierement diférentes Il montra, Que le sang estoit incapable de faire atteindre à ce haut degré de perfection, & que si l’éducation y pouvoit quelque chose, elle estoit bien éloignée d’y pouvoir tout. La comparaison du Laboureur qui se consume inutilement à cultiver une terre ingrate, sans qu’il la puisse rendre meilleure, fut une des preuves qu’il en apporta. Il appuya ce raisonnement, pour conclure, Que les Ames du premier Ordre telles qu’il en venoit de dépeindre, se devoient toutes à elles mesmes, & se mettoient au dessus de la destinée. Il dit ensuite, que feu M r  le Premier Président de Lamoignon estoit du nombre de ces Ames toutes parfaites, & fit un portrait de sa vie pendant les vingt-deux ans qu’il avoit possedé cette grande Charge. Il s’étendit sur l’établissement que les Pauvres luy devoient à Paris, & qui avoit esté cause de celuy qu’ils avoient eu ensuite dans toutes les Villes du Royaume. Il fit voir les soins qu’il avoit pris pour tous les autres Hospitaux. Il parla de sa devotion qui n’avoit eu rien de fastueux, de son extréme bonté, des abus ausquels il avoit remedié par sa vigilance, des avis qu’il avoit donnez avec tant de lumieres dans le temps qu’on avoit reformé la Justice, de l’autorité des Evesques, pour laquelle il s’estoit hautement declaré contre les prétentions imaginaires de ceux qui la vouloient affoiblir. Il fit enfin une peinture de toutes les Actions remarquables de ce grand Homme, & ajoûta, Que pour l’examiner dans des images plus ressemblantes, que ne seroient celles de Phidias quand il auroit travaillé à sa Statuë, il faloit regarder ces Images vivantes dans ceux qu’il avoit laissez héritiers de sa Gloire & de son Nom, & dans ses Alliances qui pouvoient passer pour une espece d’adoption. L'éloge qu’il en fit en suite fut si juste, & si conforme aux veritez, qu’ils donnent lieu tous les jours de publier, qu’il s’attira les applaudissemens de tout le monde. Apres avoir proposé ces modelles, il excita encor les Avocats à redoubler leurs soins pour devenir de grands Jurisconsultes, & enfin de grands Hommes, puis que le Roy récompensoit le mérite de tout ce qu’il y avoit de Gens dans son Royaume d’un mérite particulier. De là il entra dans les loüanges de ce grand Prince, & parla de ces merveilleuses Campagnes où il estoit toûjours en personne, & qui finissoient avant le Printemps. Il dit Qu'il estoit infatigable dans le travail, Sage, Prudent, Prévoyant, & qu’il avoit uny la souveraine Raison avec la souveraine Puissance. Ce Panegyrique eut d’autant plus d’approbation, que quelque avantageusement qu’on puisse parler de cet Auguste Monarque, on n’en peut rien dire que de veritable, & que si l’on manque à quelque chose en le loüant, c’est parce qu’il n’y a point d’Eloge qui puisse aller aussi loin que la verité. Apres que celuy du Roy fut finy, M r  Talon d’une voix plus basse, & d’un ton plus familier, fit en peu de paroles une remontrance aux Procureurs, qui leur faisoit voir le danger où ils se mettoient en négligeant de satisfaire aux obligations de leur Employ.

Le Discours qu’un Avocat General faisoit autrefois en pareil jour, n’estoit qu’un aigre recit des abus qui s’estoient glissez pendant le cours de l’année, & ceux qui les avoient commis y estoient assez désignez pour avoir la honte d’estre reconnus. On alloit ensuite aux opinions, & l’on prononçoit. On conserve encor aujourd’huy quelque chose de cet ancien usage, mais tout se passe plus honnestement. Les Personnes qu’on reprend ne sont point marquées. Les Discours qu’on fait n’ont rien de piquant, & sont seulement remplis d’une éloquence persuasive. Ainsi par les peintures generales qu’on fait des bons & des mauvais Magistrats, on excite les Juges à n’écouter que le bon droit des Parties, les Avocats à se rendre habiles, & les Procureurs à bien s’acquiter de leur devoir. On va encor aux opinions comme autrefois, apres que l’Avocat General a parlé, mais on n’opine qu’en donnant à connoistre qu’on approuve le Discours qui vient d’estre fait ; apres quoy Mr  le Premier Président, au lieu de prononcer, commence celuy qu’il a de coustume de faire, & qu’on appelle Harangue fort improprement, à cause du jour qui est nommé le jour des Harangues. Tout se passa à l’ordinaire dans cette derniere occasion. M r  de Novion alla aux opinions apres que M r  Talon eut achevé de parler, & prenant la parole en suite, il dit, Que le silence estoit necessaire aux Avocats ; Qu'il estoit quelquefois aussi éloquent que la parole ; Qu'on trouvoit toûjours assez tost le temps de dire ce qu’on avoit reservé ; Que le silence & le secret avoient esté cause des grandes Conquestes du Roy, & que ces Conquestes l’avoient esté de la Paix ; & en parlant des longs discours qui estoient souvent inutiles, & qui ne signifioient rien, il ajoûta, Qu'il ne falloit pas prendre garde au nombre des flêches, mais à celles qui frapoient au but ; Que les plus profondes Rivieres couloient avec le moins de bruit ; Que nous avions deux organes pour tous les sens, & que nous n’avions que la langue pour parler. Il finit en disant, qu’un Medecin parleur estoit une seconde maladie.

Ce Discours ayant esté tres-court, ne pût avoir de division ; & comme il ne fut composé que d’un amas de pensées qui auroient pû suffire pour un Discours de trois heures, peut-estre que je ne vous les rapporte pas dans le mesme ordre que ce grand Homme leur donna en les exprimant. Je puis mesme en avoir oublié quelques-unes. Ce que je vous puis dire de certain, c’est qu’il les fit paroistre en termes choisis ; & qu’il se servit d’un stile serré qui en augmentoit la grace. Ainsi chaque parole avoit de la force, & tout le monde demeura d’accord qu’on n’avoit jamais dit tant de choses en si peu de mots.

[Galanteries de la Cour de Savoye] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 154-157.

Si je mesle souvent des Nouvelles de Turin parmy celles que je vous envoye, vous ne devez pas en estre surprise. Quand la magnificence & la galanterie regnent dans une Cour, on a de fréquentes occasions de parler de ce qui s’y passe. Ce sont deux choses qu’on ne peut disputer à celle de Savoye, & dont elle est en possession depuis longtemps. Mais quoy que Madame Royale les y ait trouvées établies, il semble qu’elles n’ayent jamais esté portées au point où nous les voyons aujourd’huy par la manière dont cette grande Princesse agit en toute sorte de rencontres. Mr le Nonce, & M r de Villars Ambassadeur de France, qui s’est toûjours fait estimer dans tous les lieux où ses Emplois luy ont donné occasion de paroître, ayant complimenté Madame Royale sur le rétablissement de sa santé, ils en furent remerciez par des présens, ainsi que les autres Ministres Etrangers qui s’acquiterent du mesme devoir. Avoüez, Madame, qu’il y a du galant & du magnifique dans cette façon d’agir, & que lors qu’on fait d’une maniere toute engageante ce qui n’a point de coûtume d’estre pratiqué, on ne s’attire pas seulement l’applaudissement des Peuples, mais les cœurs de tous ceux à qui ces choses deviennent connuës.

[Continuation des Divertissemens à Nimegue] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 157-161.

Les Divertissemens continuënt toutes les Semaines à Nimégue, & toûjours avec grand éclat, chez Madame Colbert l’Ambassadrice, qui s’y fait admirer chaque jour de plus en plus par sa galanterie, par sa magnificence, & par son esprit. Vous ne sçauriez croire jusqu’à quel point elle s’y est acquis l’estime de tous les Ambassadeurs & Ministres Etrangers, & mesme ceux qui ont toûjours paru estre le plus de nos Ennemis. Voilà ce que produit le vray mérite. Il a des charmes par tout, & il n’y a point d’intérests opposez qui empeschent qu’on ne luy rende ce qu’on ne luy sçauroit refuser sans injustice. Il est vray que le nom d’Ennemy n’est plus connu à Nimégue. On n’y doute point de la Paix, & peut-estre ne finiray-je point cette Lettre sans vous apprendre la Ratification de celle d’Espagne. Ainsi les Assemblées de plaisir s’y font avec un redoublement de joye incroyable. Madame l’Ambassadrice Colbert leur fournit un nouvel & fort agréable ornement, par Mademoiselle Colbert sa Fille, arrivée depuis peu à Nimégue. Elle n’a encor que sept ans & demi, & possede déjà toutes les qualitez du corps & de l’esprit qu’on pourroit souhaiter dans la Personne la plus accomplie, & d’un âge plus avancé. Elle est belle, bien faite, jouë admirablement bien de plusieurs Instrumens, danse à charmer, & raisonne avec tant de vivacité & de justesse, que si elle avoit quelques années davantage, elle pourroit causer de grands troubles dans une Assemblée, qui ne se tient que pour le repos de l’Europe. Ne croyez pas, Madame, que je luy donne plus de loüanges qu’elle n’en mérite. La Gazete de Hollande a rendu témoignage d’une partie de ces véritez, & elle est d’une Maison à laquelle il seroit difficile de donner tous les éloges qui luy sont deûs.

[Vers presentez à M. Barillon-Morangis] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 161-168.

Mr de Barillon-Morangis, Frere de M r de Barillon Ambassadeur pour le Roy en Angleterre, est Intendant de Justice dans la Generalité d’Alençon. C'est ce que vous sçavez déjà. Vous sçavez aussi qu’il est infiniment éclairé, & que les lumieres qui le rendent capable des plus importantes Affaires, ne luy ostent point cet esprit aisé, fin & délicat, qui s’appelle l’esprit du monde. Mais vous ignorez sans-doute que Madame sa Femme estant accouchée il y a quelque temps d’un Garçon, certains Sçavans luy porterent des Vers Latins de congratulation sur cet Enfant nouveau né. M r   de Barillon les trouva tres-bien tournez, & aussi Virgiliens qu’on puisse faire, mais il ne pût s’empescher de dire que c’estoient des Vers Latins. Un Favory d’Apollon qui estoit présent (je luy donne ce nom sans le connoistre pour la facilité de son génie) comprit la pensée de M r  de Barillon, & l’estant allé voir le lendemain, il luy demanda si apres avoir donné audience aux Muses Latines, il voudroit bien perdre quelque temps à écouter les Françoises. La proposition fut reçeuë avec plaisir. Il recita quelques Vers qu’il venoit de faire. Le tour en fut trouvé galant & spirituel. Chacun s’empressa pour les écrire. Il m’en est tombé une Copie entre les mains. Je vous l’envoye.

L'Amour

au petit de Morangis.

Je viens, aimable Enfant, vous rendre une visite,
    Moy qui suis Enfant comme vous.
    Cette faveur n’est pas petite,
    Bien d’autres en seront jaloux ;
Car avec des Enfans je ne m’amuse guère,
Je veux des Gens un peu plus avancez ;
    Mais pour vous je vous considere,
    Je connois Monsieurs vostre Pere,
Je pense aussi qu’il me connoit assez.
    Il craignoit d’avoir une Fille,
Elle n’eust pas si bien soûtenu sa Maison.
Je le craignois aussi, mais par une raison
    Qui n’est pas raison de Famille.
Je suis l’Amour ; tel que vous me voyez,
Pour moy tous les Mortels sont sans cesse employez ;
À me servir tout l’Univers conspire.
Une Fille eust sans doute étendu mon empire,
Eust inspiré l’amour, mais pour le sentir, non ;
    J'aime beaucoup mieux un Garçon,
    Et qui le sente, & qui l’inspire.
Vous voilà donc au monde ; hé bien qu’en dites-vous ?
C'est du hazard un effet assez doux,
Que de vous y trouver en aussi belle passe.
Si, comme on croit, vous allez vous mesler
    D'imiter ceux de vostre Race,
    Vous trouverez à qui parler.
Prélats, Ambassadeurs, Gens de Robe & d’Epée,
    Héros de toutes les façons,
On verroit vostre vie assez bien occupée
À soûtenir un seul de ces grands Noms.
Mais si vous imitez jusques à vostre Pere,
À vous dire le vray, ce sera le meilleur.
Si le sang ne faisoit la moitié de l’affaire,
Vous n’en pourriez jamais venir à votre honneur.
Quand vous travaillerez sur de si beaux Exemples,
Du moins souvenez-vous de moy de temps en temps.
    Adieu, dans seize ou dix-sept ans,
Je vous rendray des visites plus amples.

[Harangue faite en Languedoc à M. le Cardinal de Bonzi au nom des Tresoriers de France] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 168-174.

Monsieur le Cardinal de Bonzi estant arrivé à Montpellier au mois de Novembre dernier pour présider à l’Assemblée des Etats Genéraux de la Province de Languedoc, Mrs  les Trésoriers de France au Bureau des Finances de la mesme Ville, choisirent M r  le Baron de Pezene l’un d’eux, pour faire Compliment à Son Eminence de la part de leur Compagnie. Il l’alla salüer à leur reste, & s’acquita de cet employ avec un applaudissement si géneral, que Mr  Daguesseau Intendant de la Province, qui l’entendit, & qui est un des Hommes de France qui parle le mieux, dit en mesme temps à M r  le Cardinal de Bonzi, qu’il voudroit estre assuré de parler aussi juste le lendemain à l’ouverture des Etats. Il y fit pourtant un Discours inimitable. Voicy les termes dont M r  de Pezene se servit pour son Compliment.

Monseigneur ,

L'heureux retour de Vostre Eminence, oblige nostre Compagnie à vous venir rendre ses tres-humbles devoirs. Sa joye est si grande dans cette rencontre, qu’il luy semble que nous ne la faisons point assez paroistre dans nos yeux & dans nos paroles. Il faudroit pour la connoistre parfaitement, que Vostre Eminence pût penetrer jusques dans nos cœurs. Elle les verroit tous remplis de cette joye qui se fait bien mieux sentir, qu’elle ne se sçait exprimer. Comme il n’en fut jamais de plus sincere, avoüez aussi, Monseigneur, qu’il n’en fut jamais de mieux établie, puis qu’elle est entierement appuyée sur les belles & rares qualitez qui vous ont acquis l’estime de toute l’Europe dans vos diférentes Ambassades, & dans le dernier Conclave. Ce sont ces douces & insinuantes manieres, qui vous ont gagné les volontez & les suffrages de tous les Ordres de cette Province dans les Assemblées de nos Etats ; & pour dire beaucoup plus que tout cela ensemble, c’est à ces dons que vous avez reçeus du Ciel, & aux importans services que Vostre Eminence a rendus à la France, que vous estes redevable de la bien-veillance que vous témoigne tous les jours nostre Auguste Maistre, le plus grand & le plus éclairé Prince que la Terre ait jamais porté. Puissiez-vous joüir longtemps, Monseigneur, de ces glorieux avantages, & puissions-nous avoir celuy de vous donner souvent des preuves de nos tres-humbles respects. Les occasions ne s’en presenteront jamais assez-tost pour nostre impatience. Croyez-le, s’il vous plaist, Monseigneur, & voyant nos bonnes intentions qui ne peuvent échapper à vostre penétration, ayez aujourd’huy la bonté de nous continuer, & vos bonnes-graces & vostre protection. Nous esperons avec confiance que vous nous accorderez ces deux grands biens, puis que nous vous les demandons avec le dernier empressement, & que nous vous les demandons pour une Compagnie qui est entierement dévoüée à Vostre Eminence.

[Election d’un nouveau Maire à Brest, avec les Ceremonies qui s’observent le jour de sa Reception] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 177-187.

On fait à Brest l’élection d’un nouveau Maire depuis quelques mois. Vous sçavez que Brest est un port aussi considérable qu’il y en ait en toute l’Europe, & où Sa Majesté a les plus beaux Vaisseaux, & en plus grand nombre. Cette élection se fait tous les trois ans le premier jour d’Octobre avec grande cerémonie. Mr  le Gouverneur, M r l’Intendant, tous les Officiers de Terre & de la Marine, les Bourgeois, & une partie du reste des Habitans, s’assemblent. On propose trois de ceux qui ont passé l’Echevinage & par les autres Charges de la Ville, & celuy qui a le plus de voix est préferé. On peut dire qu’il n’y en a eu qu’une cette année, & qu’elle a esté genérale pour M r   de S. Leger Sigurel. Il est d’Agen proche de Bordeaux, Homme d’honneur, magnifique en tout ce qu’il fait & qui n’a pas moins d’esprit que de conduite. Le Jour de l’An est celuy où la Reception du nouveau Maire se fait. On ne doute point que celle de M r  de S. Leger ne se fasse avec tout l’éclat que demande le Poste où son mérite l’a fait entrer. La Cerémonie en est assez particuliere. Tous les Habitans sont sous les armes. On va prendre le Maire qui a fait son temps, & en suite celuy qu’on a nommé pour luy succeder. Ils ont l’un & l’autre une Soutane de soye, une Robe de velours avec des manches pendantes, une Toque aussi de velours, un Cordon d’or enrichy de Pierreries, & dans cet équipage, ils marchent suivis des Echevins & des Compagnies de Milices, au son des Tambours, des Trompetes, & des Violons. Après une Messe qu’on celébre solemnellement, on s’arreste dans une Place qui est devant le Portail de la principale Eglise. On y trouve une grande Pierre plate & ronde, au milieu de laquelle il y a un trou. Le nouveau Maire y met le talon, & en mesme temps celuy qui sort d’exercice, luy fait un discours pour luy faire connoistre la conséquence de sa Charge. Pendant qu’il luy parle, l’autre a toûjours le talon dans ce trou, & au bout du pied levé, & il ne l’en retire qu’apres qu’il a presté le serment de fidélité pour le service du Roy, & pour le maintien des Privileges. Cela fait, ils vont tous à la Citadelle, où le nouveau Maire assure Mr   le Gouverneur de ses respects. On le remene en suite chez luy avec pompe, & il donne un magnifique Repas. Les personnes les plus qualifiées, & la plus grande partie de la Noblesse, s’y trouvent. Le Dîner finy, on va à la Mer joüir du divertissement des Sauteurs. Tous ceux qui se sont mariez depuis trois ans, ou qui ont, non seulement fait bastir une Maison, mais élever un pignon, ou dresser quelque muraille, sont obligez de sauter trois fois à la Mer. Il n’y a personne qui en soit exempt. Les plus considérables d’entre les Bourgeois, payent des Gens qui sautent pour eux. Il a beau geler, comme il gele ordinairement ce jour-là. Les Sauteurs ne laissent pas d’estre en calleçon & en chemise, avec des Escarpins blancs, & des Bas de toile. Celuy qui saute pour le Roy a une Couronne sur la teste. Le nouveau Maire, suivy des Echevins, & de plusieurs autres Officiers, se promene tout le jour par les Ruës avec des Trompetes & des Violons. L'heure de sauter estant venüe, M r   le Gouverneur entre dans un des plus beaux Navires du Port. Les deux Maires & le Corps de Ville l’accompagnent. Il y trouve les Sauteurs qui s’y sont rendus auparavant. Le nouveau Maire a un Rôle, & dans le mesme temps qu’il nomme ceux qui doivent sauter, on les voit qui s’élancent du Navire. Il y a toûjours quinze ou vingt Chaloupes prestes pour les secourir, si quelqu’un d’eux estoit en péril de se noyer. Ces Sauteurs sont quelquefois au nombre de cinquante ou de soixante, & ce divertissement attire les Curieux de toutes parts. Apres qu’ils ont tous sauté trois fois, ils se mettent dans des Chaloupes. Elles sont armées de dix ou douze Hommes, & vont viste comme un Eclair Il y a un Rond au bout d’une perche qui sort par un Sabor du Navire. Cette perche est de douze ou quinze pieds, & c’est entr'eux à qui pourra emporter ce Rond. Les Chaloupes vont si viste, que la plûpart tombent dans la Mer. Celuy qui a ou plus d’adresse, ou plus de bonheur que les autres dans cette espece de Course, est récompensé d’un Prix. Le Rond emporté en décide. On va en suite se mettre de nouveau à table, & c’est toûjours par la santé du Roy qu’on commence. Le Festin de la Mairie dure trois jours, avec une égale magnificence. Il y a Bal tous les soirs. Quantité de Dames de qualité en sont priées, & on employe la plus grande partie de la nuit à danser.

[Madrigal sur le langage des Yeux] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 193-195.

Je vous envoye un Madrigal sur un langage qui n’est pas inconnu à beaucoup d’aimables Personnes de vostre Sexe. Il est de Mr  Valette d’Usés. Une Belle luy avoit demandé des Leçons sur ce langage. Voyez s il peut estre mis au nombre des habiles Maistres.

Madrigal

Vous le sçaurez, Philis, oüy, je veux vous apprendre
Ce que nous appellons le langage des yeux,
Et de plus je m’oblige à vous le faire entendre,
Jusqu’à me disputer à qui l’entendra mieux.
Je puis, sans me flater, dire à mon avantage,
Qu'on ne peut mieux parler cet amoureux langage,
Et que si vous voulez pratiquer ma leçon,
Vous apprendrez bientost cet aimable jargon.
Vous riez ? que cela ne vous fasse point rire.
Oüy, oüy, vous le sçaurez, Philis, dans un moment,
Et vos yeux le pourront parler éloquemment,
Pourveu que vous fassiez ce que je vay vous dire.
Il vous faut,... (mais au moins j’y vois de bonne foy,
Ne prenez pas cecy pour quelque stratagéme)
Il vous faut donc, Philis, pour parler comme moy,
    M'aimer autant que je vous aime.

Ces Vers ont assurément de la Rime et de la Raison.

[Dialogue de la Raison & de la Rime] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 196-220.

Ce sont deux choses qui ne se rencontrent pas dans tous les Ouvrages qui échapent à bien des Gens qui veulent estre poëtes en dépit des Muses. Vous l'allez connoistre par le Dialogue qui suit.

Dialogue

De la Raison

Et de la Rime.

La Raison.

Où allez-vous si viste  ? Vous feignez , ce semble, de ne me pas voir.

La Rime.

Vous voulez raisonner, mais je n’ay pas le temps.
Desirant de me voir toûjours en bonne estime,
Je vay trouver les Gens qui demandent la Rime.

La Raison.

Mais ne sçavez-vous pas que vous ne devez jamais vous trouvez où je ne suis point & que la Rime sans la Raison fait une étrange figure ?

La Rime.

Pourtant, quand je parois dessous un riche habit,
Ne pensez pas que je sois sans crédit.

La Raison.

Quel crédit, & quelle estime peut acquérir un Corps habillé richement, s’il n’est point animé ? Ignorez-vous encor que je dois estre l’ame de tout ce que l’esprit de l’Homme peut produire, & que vostre éclat n’est solide que quand je le soûtiens ?

La Rime.

Si je n’allois jamais qu’en vostre compagnie,
    Je paroistrois bien rarement :
L'on ne vous trouve pas, ou c’est mal-aisément.
Pour moy, je suis facile, & dés que l’on me prie,
    On me voit partir promptement.

La Raison.

Ah ! ne vous suffit-il pas d’avoir tenu jusqu’icy une conduite si licentieuse & si blâmable ? Quelle démangeaison avez-vous de vous donner à tant de Gens qui vous des-honorent, en vous faisant servir à leurs Ouvrages impertinens ? Vos Parens vous ont-il donné la vie pour une fin si basse, & si indigne d’eux ? Vrayment, si dés le point de vostre naissance ils ne vous avoient mise en ma garde, ils ne se seroient pas acquis en leur siecle tant de réputation. Ils sçavoient bien que mon alliance faisoit toute vostre force, & que la Raison triomphe de tout. Ils jugeaoient bien que vostre beauté ne dureroit qu’avec moy, & que sous quelque habit que vous parussiez un jour, vous seriez ridicule, si je ne faisois moy-mesme vostre ornement. Soûtenez donc mieux vostre caractere. Honorez davantage par vostre conduite la memoire de vos Ancestres, & méprisant tous ceux qui ne s’attachent pas à moy, laissez-les vous chercher, & vous appeller inutilement. Vous les servirez plus, en leur refusant vostre présence, qu’en vous donnant à eux si librement ; car, comme ils n’ont presque point de commerce avec moy, s’ils vous voyent toûjours à ma suite, ils demeureront en repos, ne penseront plus à vous, & ne produisant plus de sots Ouvrages, ils en seront moins ridicules.

La Rime.

    La tentation d’écrire
    Mal-aisément se guérit.
    Si loin d’eux je me retire,
    Pensez-vous que leur Esprit
    Ne veüille plus rien produire ?
    Ah ! dans leur démangeaison
    Il n’est rien qui les reprime ;
Et croyant vainement s’acquerir quelque estime,
Ils écriront plutost sans Rime & sans Raison.
    Pour moy, je tiens cette maxime,
Que qui n’a la Raison, tout au moins ait la Rime.

La Raison.

Que vous raisonnez mal, & que vous me faites pitié, quand je vous entens avancer si hardiment de telles maximes ! Quoy ! vous voulez partager le mépris & la raillerie que s’attirent ceux qui ne travaillent pas avec moy, & vous ne sçauriez les voir loin de ma compagnie, sans estre touchée en mesme temps du desir de les soulager, & de vous trouver avec eux ? Certes, j’admire l’emportement de vostre tendresse. Vous aimez mieux foüiller vostre honneur, que de ne pas tomber sous leur main toutes les fois qu’ils vous cherchent.

La Rime.

Chacun a son humeur, sa maniere d’agir ;
    Je consens que chacun s’y tienne,
    Mais je ne croy pas que la mienne
    Doive me faire rougir.
    Tantost nous sommes ensemble,
    Tantost nous n’y sommes pas.
    Vous avez beaucoup d’appas,
    J'aime fort qu’on nous assemble,
    J'en marche d’un meilleur pas.
    Mais quand quelqu’un ne le peut faire,
Quand ce quelqu’un de moy seule est content,
Je ne vous en veux point faire icy de mystere,
    Je cours sans vous à qui m’attend.

La Raison.

Qui vous a donc fait prendre des sentimens si contraires à la Raison ? Ma force & ma sagesse ne pourront-elles pas vous faire rentrer un peu en vous-mesme, pour voir s’il vous est permis de vivre comme il vous plaist ? Aurez-vous vous plus de complaisance pour la Folie, que pour la Raison ? Et quand la Raison vous fera connoistre ce que vous luy devez, & ce que vous vous devez à vous mesme, oserez-vous suivre d’autres maximes que les miennes ? Y en a t-il de plus solides & de plus veritables, & tout ce qui ne raisonne pas peut-il les combattre ? Vous devriez plutost me rendre graces du soin que je prens de vostre conduite, & de l’éclat que je répans sur vous, pour vous rendre aimable, & vous attirer les applaudissemens que méritent les belles choses ; & puis qu’il est veritable que je fais tout vostre prix, & que vous n’estes rien sans moy, la honte de paroistre seule vous siéroit bien mieux, que la liberté que vous prenez souvent de vous placer en des lieux où l’on ne m’appelle pas.

La Rime.

    Je vous dois beaucoup, je l’avouë,
Et c’est avec plaisir que la Rime vous louë.
Soit dit pourtant, sans vous mettre en couroux,
Vous recevez de moy, si je reçois de vous.
    Quelque éclat qui vous environne,
Quelque beauté que vous fassiez briller,
De mes defauts vous avez beau railler,
Il est certain air doux que la Rime vous donne,
Un certain agrément, certain je ne sçay quoy,
    Dont une Ame est charmée,
    Et qui fait, que je croy,
Qu'il n’est rien de si beau que la Raison rimée.
Sans moy, vous marchez bien avecque majesté,
    Mais non avec tant de mesure.
Par moy jusqu’à vos pas tout en vous est compté.
    N'est-il pas vray que la peinture
    A plus d’Éclat & de beauté,
Quand elle à l’ornement d’une riche bordure ?
Approuvez, s’il vous plaist, cette comparaison,
    Et que par elle je m’exprime.
Oüy, je dis hardiment qu’on peut nommer la Rime,
    La bordure de la Raison.

La Raison.

Vrayment, il vous sied bien de vanter ce que vous avez de considérable. Sçachez que ce qui fait vostre gloire, & vous acquiert l’estime de tout le monde, c’est de pouvoir m’estre utile à quelque chose, encor que vous me vendiez quelque-fois bien cher vos petits services. Oüy, vous m’ostez alors plus que vous n’avez l’honneur de me donner ; car si mes fideles Amans vous placent aupres de moy, quoy qu’ils ne vous mettent qu’à l’un des bouts de mon Trône, vous ne laissez pas de me presser si fort, que j’en suis incommodée, & mesme vous faites en sorte qu’il est des occasions où l’on a beaucoup de peine à me voir.

La Rime.

    Pour vous mettre plus à vostre aise,
    Vos Amans, ne leur en déplaise,
Me mettent quelquefois en un fort pauvre état.
    Ils m’ostent mon plus riche éclat,
    Et me faisant vostre victime,
    Ils sont cause que je voy
Bien des Gens s’écrier, en se raillant de moy,
    Riche Raison, & pauvre Rime !

La Raison.

Comme il n’est pas nécessaire que vous soyez dans le monde, on ne doit pas toûjours garder tant de mesures avec vous ; mais il n’en est pas ainsi de moy, de qui l’on ne peut se passer si l’on veut bien faire les choses ; & comme je distingue l’Homme d"avec la Beste, il est obligé indispensablement de reconnoistre l’avantage que je luy procure, par le soin exact & fidele de me faire régner dans tout ce qu’il fait. Des-abusez-vous donc, je vous en prie, & ne vous estimez pas tant que vous faites : aussi bien la Raison ne sçauroit estre vaincuë ; elle seule a des forces, du pouvoir, & de la beauté, & tout ce qu’elle vous a dit estant tres-solide & tres-veritable, vous ferez sagement, si vous la croyez. Elle n’a pas besoin de vous ; elle s’en est passée durant plusieurs siecles, elle peut bien s’en passer encor. Mais enfin puis que vous estes au monde, elle consent qu’on ne vous en chasse pas, pourveu que vous viviez toûjours avec elle, & qu’il ne vous prenne jamais envie de la quitter pour vous donner à ceux qui la négligent. Si vous aimez à courir, & que la facilité que vous avez à communiquer ne vous permette pas de demeurer quelquefois en patience, & d’estre un peu plus reservée, vous avez une infinité de beaux Esprits dans toute la France, & dans les Païs Etrangers, qui vous occuperont glorieusement ; & le Mercure galant vous va donner tant d’Amans raisonnables & bien nez, qui sçauront nous unir ensemble, & nous faire marcher d’un mesme pas, comme plusieurs ont déja fait, qu’il ne vous sera pas difficile d’oublier tous ceux qui se contentent de vous seule, & qui ont plus d’empressement pour vous que pour moy. N'ayez-donc plus de commerce qu’avec mes Amis, puis que c’est une necessité que la Raison doit imposer, & que c’est là l’unique moyen de faire croître l’estime & l’amour qu’on a pour vous dans le monde.

La Rime.

    Il est vray que le Mercure
    Me donne souvent de l’employ ;
    Mais quelque employ qu’il me procure,
    Je ne croy pas gagner sur moy
    De fuir toûjours la compagnie
    Dont vous estes bannie.
    Je comprend bien qu’aveque vous
    Je vaux beaucoup, je suis plus belle,
    Et qu’il n’est rien de si doux
    Que cette union fidelle
    Que l’on sçait faire de nous ;
    Que la Rime raisonnée
    Est le charme de l’Esprit :
    Mais ma memoire est si bornée,
Que j’oublie aisement tout ce que l’on me dit.
Oüy, j’ay reçeu de vous un conseil bien solide :
    Je retracte mes sentimens,
Et pour ne tomber plus dans mes égaremens,
Je voudrois qu’il me pût toûjours tenir en bride.
    Pourtant ne vous fiez pas,
    Je pourrois manquer de parole,
Si je vous promettois de suivre tous vos pas.
    Courte memoire, & teste fole,
    Me feront aller quelquefois
    Où l’on ne connoist point vos loix.
    Enfin ce que je puis promettre,
Autant que mon panchant me le pourra permettre,
    C'est qu’avec vous je logeray
    Le plus souvent que je pourray.

La Raison.

Vivez donc comme il vous plaira, puis que je ne gagne rien sur vous. J'ay crû devoir vous donner des conseils raisonnables, voyant que vous en aviez besoin, & que vous ne vous ménagiez pas bien. Si vous aimez mieux la liberté d’aller par tout sans Raison, que la glorieuse necessité de me suivre toûjours, que je voudrois vous imposer, je vous abandonne à vous-mesme. Me trouvant avec vous, ou sans vous, j’auray toûjours mes Admirateurs & mes Amis ; au lieu que vous n’en aurez jamais, au moins de ceux qui sçavent donner le prix aux belles choses, que quand ils vous verront aupres de moy ; car de vous estimer ailleurs qu’en ma compagnie, c’est se rendre ridicule, & se moquer de vous. Adieu. Vous allez trouver des Gens qui demandent la Rime sans la Raison, contentez-les bien. J'auray le plaisir de bien rire des uns & des autres. Ne manquez pas cependant de venir aussitost que je vous appelleray. Celuy de tous les Roys qui m’aime le plus (vous entendez bien par là Loüis Le Grand) nous a fourny à l’une & à l’autre une ample matiere de travail. La Guerre & la Paix qu’il a sceû si bien faire, demandent que nous nous joignions ensemble pour chanter sa gloire & sa vertu par toute la Terre. Nous avons déja commencé ; achevons mieux, si nous pouvons.

La Rime.

    J'aime bien ce grand Monarque,
Il me loge avec vous dans sa belle Maison ;
    Et ce qu’en luy chacun remarque,
    C'est qu’il entend Rime & Raison.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 242-243.

Vous me sçaurez gré sans doute du troisiéme Air nouveau que je vous envoye puis qu’il vous donnera lieu de faire retentir la gloire du Roy dans vostre Province.

AIR.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Hollandois, le grand Roy qui vous donne la Paix, doit regarder la page 242.
Hollandois, le grand Roy qui vous donne la Paix,
    Au temps qu’il se desarme
    Est plus fort que jamais.
Il porte alors sa gloire en un degré supréme ;
Car que luy reste-t-il, apres avoir soûmis
    Par tout ses Ennemis,
    Qu’à se vaincre soy mesme ?
images/1678-12_242.JPG

[La Veuve par hazard, Histoire] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 243-260.

Cette Victoire qui a si peu cousté au plus grand Roy que nous ayons jamais veu, n’est pas toûjours fort facile à remporter. L'Histoire que je vous vay conter en est une marque. Elle vous fera connoistre qu’une aimable & jeune Personne a soufert longtemps, pour n’avoir pû se rendre maistresse d’un sentiment d’aversion qui luy a fait rejeter obstinément tout ce qui pouvoit contribuer à son repos. Elle estoit belle, spirituelle, de naissance, & sous la conduite d’une Tante qui en avoit pris soin depuis la mort de son Pere & de sa Mere. Ses belles qualitez luy attiroient force Soûpirans ; mais comme elle n’avoit point de bien, ils se contentoient de soûpirer, & aucun d’eux ne songeoit à parler François. Cependant si ce grand nombre d’Adorateurs établissoit l’honneur de ses charmes, il ne faisoit rien pour sa fortune. C'estoit un Mary qu’il luy falloit, & les douceurs qui luy estoient contées de toutes parts, demeurant toûjours tournées en douceurs, elle passoit des jours agreables, & ne voyoit rien de solide pour l’avenir. Pendant cette inutile assiduité de Protestans, un Viellard, crû fort riche, & faisant assez bonne figure dans le monde, se trouve chez une Dame à laquelle cette aimable Personne vient rendre visite. Il la voit, il en est charmé, & comme il n’avoit point de temps à perdre, parce qu’il estoit pressé de l’âge, il parle à la Tante, offre d’épouser sa Niéce, & la laisse arbitre des conditions. On presse la Belle. Elle résiste. C'est son grand-Pere qu’on veut qu’elle épouse. L'inégalité des années luy donne pour luy une aversion invincible. Elle ne voit rien que de dégoustant dans sa personne ; mais apres une longue résistance, on luy montre tant d’avantages dans ce Party, & on l’assure si positivement qu’il mourra dans six mois, que sur cette derniere clause, elle se résout enfin à en faire son Mary. Les grands mots se disent. Le bon Homme est dans des ravissemens incroyables. Il l’adore plûtost qu’il ne l’aime, & comme il ne la quitte presque jamais, cet excés d’amour est un redoublement de peine pour elle. Ce qu’elle trouve de dégoustant dans le Viellard, ne la surprend point. Elle s’y est attenduë, & soufre puis qu’elle a bien voulu s’y soûmettre ; mais elle prétend que le terme de ses soufrances doive estre borné. Les six mois se passent. Le bon Homme ne meurt point, comme on luy avoit répondu, & il ne témoigne pas mesme avoir aucune pensée de mourir. Grand sujet de desespoir pour la Belle. Elle n’y trouve qu’un remede consolant. Il luy a promis de la mettre dans une opulence merveilleuse ; elle luy en demande l’effet. Le bon Homme fournit autant qu’il le peut à ses dépenses. Meubles, Bijoux, Habits, Points de France ; c’est tous les jours quelque achapt nouveau. L'envie qu’il a de s’en faire aimer le rend facile sur tout ce qu’il voit qu’elle souhaite ; mais sa bourse s’épuisant, il est enfin obligé de fermer l’oreille à ses continuelles demandes. Elle s’en chagrine, & les refus qu’il luy fait ne s’accordant pas avec la réputation qu’il a d’estre riche, elle examine ses affaires, & découvre qu’il n’a pas la moitié du bien qu’il s’estoit donné. Rien ne la console de se voir trompée sur cet article. Elle ne peut plus estre maistresse de l’aversion qu’elle a toûjours euë pour le Viellard. Les plaintes accompagnent ses chagrins. Les reproches suivent ses plaintes, & enfin l’obstination qu’il témoigne à se vouloir toûjours accommoder de la vie, l’emporte sur ce que l’éclat où elle se résout va faire courir de bruit dans le monde. Elle abandonne son vieux Mary, & retourne chez la Tante dont elle se connoit tendrement aimée, & qui apres quelques remontrances inutiles, se trouve obligée de la recevoir. Le bon Homme qui en est passionnément amoureux, se desespere. Il court apres elle, luy dit des choses les plus touchantes pour l’obliger à revenir avec luy ; prie, presse, & toutes ses prieres ne gagnent rien. Il la quite, & si-tost qu’il refléchit sur ce qu’elle vaut, il connoit qu’en la revoyant, il a pris un nouvel amour. Il écrit, envoye Messagers sur Messagers, & tout cela inutilement. La Belle demeure infléxible. Une de ses plus particulieres Amies, à qui elle n’a jamais refusé aucune chose, a beau luy representer qu’il vaut mieux qu’elle fasse aujourd’huy de bonne grace, ce qu’elle ne se pourra dispenser de faire demain ; que si son Mary fait la moindre plainte en Justice, la Tante sera obligée de la renvoyer, & qu’ainsi elle ne se doit point exposer au chagrin d’une contrainte qui ne luy sçauroit estre honteuse. La Belle n’écoute que son antipatie. Il n’est aucune résolution qu’elle ne prenne plutost que de retourner avec le bon Homme, & elle proteste déterminement que cela n’arrivera jamais que dans l’occasion de sa mort. Son Amie traite cette protestation d’emportement, l’assure qu’elle reviendra dans son bon sens, & elles s’échaufent si fort à soutenir toutes deux ce qu’elles prétendent qui arrivera, qu’elles gagent enfin ensemble, l’une, qu’elle n’entrera jamais chez le bon Homme que quand il sera tout prest de mourir ; & l’autre, qu’elle ne pourra tenir longtemps contre son devoir & sa conscience. Celle qui perdra doit donner un Diamant. Trois mois se passent. Le Vieillard amoureux de plus en plus, écrit, envoye ses Amis, & ne peut faire changer de sentimens à sa jeune Epouse. Enfin il a recours au dernier remede. Il se met au Lit, feint d’estre malade ; & afin qu’on le croye plus facilement, il fait dire chaque jour pendant quelque temps, que son mal augmente. Sa Femme en est avertie. On la presse de l’aller voir, & elle ne se laisse fléchir que quand on l’assure qu’il est dans une telle extremité, qu’on ne croit pas qu’il passe le jour. Elle part contrainte par les importunitez qu’elle reçoit, par la bienséance, & par ses Parens. Quoy que le Diamant qu’elle avoit gagé luy tinst peu au cœur, elle ne laisse pas d’envoyer chercher son Amie. Elles vont ensemble chez le Viellard, & ne voyent que visages tristes en entrant. On les conduit avec toutes sortes de marques d’affliction jusqu’à la Porte de l’Apartement du Malade. C'est un silence lugubre, accompagné mesme de pleurs. Jugez de l’étonnement de la Belle. À peine a-t-elle mis le pied dans la Chambre où l’on avoit eu ordre de la conduire, que vingt-quatre Violons commencent à luy donner un Concert. Elle voit un magnifique Couvert préparé, la plus considérable Noblesse du Païs assemblée, & le Viellard, qui en se jettant à ses genoux, la presse avec toute la tendresse imaginable de se vouloir raccommoder avec luy. Tous ceux qui sont présens joignent leurs sollicitations à ses prières. L'attaque est forte, & la Belle a peine à la soûtenir. On luy donne le temps de se remettre, & quoy qu’elle ne soit pas tout-à-fait renduë, on la trouve assez adoucie pour esperer qu’on luy fera entendre raison. On sert un Repas des plus superbes. Son Amie prend place aupres d’elle, la regarde, se met a rire, & ne peut s’empescher de luy dire un mot du Diamant. Il n’y avoit rien de mieux décidé pour la gageure. Le Repas finy, on propose la Promenade, Le bon Homme, qui apres sa Femme n’aimoit rien tant que les Chevaux, commande qu’on luy en amene un qu’il avoit acheté depuis peu, & qu’il ne connoissoit pas encor. Il le monte pour faire voir à la Belle que l’âge n’avoit pas épuisé toute sa vigueur. Le Cheval estoit foigueux, & ne se trouva pas si bien gourmandé par celuy qui le montoit, qu’il ne l’entrainast dans un Etang, où il s’abatit. On s’y jetta pour le secourir ; mais quoy qu’on pust faire, le bon Homme s’y noya, & on ne l’en put retirer que mort. Ainsi la Belle fut la cause innocente de cet accident, & se vit Veuve dans le temps qu’elle avoit tout sujet d’en esperer. La refléxion du Vieillard noyé, & noyé en quelque façon pour elle, luy arracha quelques pleurs, qui ne coulerent pourtant pas si abondamment, qu’elle ne demandast à son Amie, à la quelle des deux elle croyoit qu’il en dust couster un Diamant.

[Explication en Vers de la premiere Enigme du mois de Novembre] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 279-282.

Puis que vous estes Arbitre des Gageûres qui se sont faites sur les Enigmes du dernier Mois dans quelques Societez de vostre Province, reglez les Disputes d’esprit qu’elles ont fait naistre sur les Explications dont je vous fais part. Vous trouverez le vray Mot de la premiere dans celle qui suit. Elle est de Mr  Gardien Secretaire du Roy, qui n’a fait ces Vers que pour rendre justice au mérite de Madame de Rambey. Vous vous souvenez que c’est elle qui a fait l’Enigme.

Croit-il donc m’échaper sans que je le devine,
    Ce noir & bizarre agrément,
    Qui sert aux Dames d’ornement,
À moy qui premier chantay son origine ?
À l’entendre parler, diroit-on qu’il y touche,
    Avecque son Trône de fleurs ?
    En vain il prend mille couleurs,
Je le connoy fort bien, c’est une fine Mouche .
Oüy Mouche, il est certain ; mais toute prétieuse
    Pour sa grace & pour sa beauté,
    Et l’on peut dire en verité
Que l’on n’en vit jamais de si bonne Faiseuse.
D'une illustre Sapho, mais plus belle & plus sage,
    Dont l’esprit se fait renommer,
    Et dont les yeux sçavent charmer,
Elle est le délicat & surprenant ouvrage.
Honneur de vostre Sexe, & gloire du Parnasse,
Si de ces Mouches-cy vous laissez choir souvent,
Ne dites plus qu’autant en emporte le vent,
    Vous trouverez qui les ramasse
    Avec le mesme empressement,
Que l’on ramasseroit le plus beau Diamant.

[Noms de ceux qui l’ont devinée] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 282-284.

J'ajoûte les noms de ceux qui ont trouvé ce mesme Mot de la Mouche. Mrs le Chevalier du Terrië, Capitaine au Regiment du Roy à Ath ; De Serival ; Hautin, Fils d’un Conseiller honoraire du Chastelet ; De Lamonniere-Jarrosson ; Du Mesnil ; Houppin le jeune ; Fontaine des Isles, d’Orléans ; Noiret, de Roüen ; Chantreau ; Des Avaris ; Des Rosiers, de Renne ; Cousinet, Fils d’un Maistre des Comptes de Paris ; Rault, de Roüen ; Le Mauvileu, de Chauven ; Germain, de Caën ; De Lonlay, de Valoigne ; (ces six derniers en Vers ;) Boytet, d’Orleans ; De Bernicour, de Tourmay ; Mesdem. Marie-Anne de S. Germain, & du Colombier ; & Mesdemoiselles de S. Paul, de S. Cheron. La Coife de tafetas, un Masque, un Loup, & un Machon, sont d’autres Mots qu’on a appliquez à cette Enigme.

[Explication en Vers de la seconde Enigme du mois de Novembre] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 284-285.

Mr Maillet le Verd, Echevin de Troyes, a expliqué ainsi la seconde dans son vray-sens.

    Resvant un jour Tirsis & moy
Sur le sens qu’enfermoit cette Enigme nouvelle,
    Ma pauvre petite cervelle
En moins de rien fut toute en desarroy.
Je renferme souvent une haute sagesse,
    Cela m’embarassoit le plus :
    Mais Tirsis sans tant de finesse
    Mit tout d’un coup le doigt dessus ;
Car m’ostant ma Calotte, & me touchant la teste,
    Si la chose dont il s’agit
    Couvre souvent des Gens d’esprit,
Souvent aussi, dit-il, elle couvre une Beste.

[Noms de ceux qui l’ont devinée] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 285-286.

Mr  Maillard, du Quartier S. Paul ; Le bon Clerc, de Châlons ; & M r  de Manfec, S r  de Pondoube, ont donné le mesme sens, le dernier en Vers. Les autres Explications ont esté sur le Chapeau, la Plume à écrire, une Peau à couvrir un Livre, la Mer, & un Tambour de Basque.

[Noms de ceux qui ont deviné les deux] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 286-288.

Ceux qui ont deviné l’une & l’autre Enigme, sont Mrs  Roussel, Aumômier ordinaire du Roy, à Conches ; Panthot, Medecin ; Du Ry de Champdoré ; Baillé le jeune, d’Agen ; De Bonnecamp, de Quimper ; De Bollain, Capitaine au Regiment de Picardie ; Du Val l’aisné, Medecin d’Evreux ; Frolant, Avocat en Parlement ; Treblig, de Villedieu ; D'Infré ; L'Anglois, de Pontoise ; & Mesdemoiselles de la Mariniere ; Raince, de la Ruë Chapon ; Fredenie, de Pontoise ; La Société Cloitrée de Paris ; Potier de Lange, de Compeigne ; Du Mont, Les Dames inséparables du Périgord ; L'Amant des- interessé de Bordeaux ; Mesdemoiselles Rappé, Masicq, Metoyer, Melchin ; La belle Joupeau de la Flote en l’Isle de Ré ; & Belamire amoureux. Elle ont esté expliquées en Vers par Mrs   le Coq de Boirivey ; De Lutel, de Soissons ; Du Lamper, de Clermont en Auvergne ; De Lorne ; Aimés le Fils, de Beziers ; Maillet le Verd ; L'Abbé de Sancy, de Roüen ; Chantleu ; Du Mont, Avocat à Chaumont ; Hordé ; & le Chevalier de Lessé.

[Enigme] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 288-290.

Les deux nouvelles Enigmes que je vous envoye, sont ; la premiere, de Mr  le P. la Tournelle ; & l’autre, de M r  Taveault, de Nuis en Bourgogne.

ENIGME.

    J'ay longtemps soûtenu ma Mere,
    Qui m’a perduë en se sauvant.
J'ay des Sœurs à foison, sans avoir un seul Frere,
    Ny rien qui paroisse vivant.
Mes Sœurs & moy pourtant nous faisons des querelles
    Qu'on craint autant que les Duels.
Les traits que nous lançons, s’ils ne sont pas mortels,
    Engendrent des haines mortelles.
    Fieres comme des Amazonnes,
    Nous nous attaquons aux Etats,
Et sans nous ménager avec les Couronnes,
    Frondons Edits & Magistrats.
C'est nous qui remplissons, ou qui vuidons la bourse,
    Qui faisons revivre les morts,
Et dont il faut souvent fendre & fouiller le corps,
    Pour mettre fin à nostre course.

[Autre Enigme] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 290-291.

[l’autre, de M r Taveault, de Nuis en Bourgogne. p. 290]

Autre Enigme.

    On ne voit point dans la Nature.
    De corps plus petit que le mien,
    Et cependant je fais si bien,
Que je suis plus fécond qu’aucune Creature.
J'aurois trop de fureur dans les grandes chaleurs,
L'Hyver est destiné pour me mettre en usage ;
J'ay l’humeur si piquante, & l’esprit si sauvage,
Que plus on me chérit, plus on verse de pleurs.
Pour se servir de moy, qu’on me mette en poussiere,
Qu'on employe à me battre, & la nuit & le jour,
Je n’en seray pas moins audacieuse & fiere ;
Malheur aux Gens qui me font trop la cour.

[Noms de ceux qui ont expliqué l’Enigme en figure] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 291-296.

Mademoiselle Fredinie, de Pontoise, a percé les obscuritez de l’Enigme d’Euridice , en finissant par ces Vers l’explication qu’elle luy donne.

    Oüy, j’auray la confusion
    De n’estre attachée au Mensonge ;
La Fable d’Euridice est une illusion,
    Et vostre Enigme n’est qu’un Songe.

Ce dernier Mot est le veritable de l’Enigme, & a esté aussi trouvé par Mrs  Robert, de Châlons en Champagne ; De Serival ; Baillé le jeune ; Le Coq de Boisrivey ; & Carré d’Anscy pres de Dijon. On l’a encor expliquée sur l’Echo, le Miroir, la Fumée, la Curiosité, l’Eclypse de Lune, & le Seau. Toutes ces Explications ont leurs beautez ; mais à l’égard du Songe, il seroit difficile de rien imaginer de plus juste. Pluton rend Euridice à Orphée, avec defense de la regarder, qu’il ne soit entierement sorty des Enfers. Il marche. Il fait quelque temps violence à son amour, mais à peine a-t-il entreveu la sombre lumiere que le Soleil fait descendre jusqu’à l’entrée de ces lieux de confusion & de tenebres, qu’il tourne la teste, & cede à l’impatience de sçavoir si sa chere Euridice le suit. Il la voit entraînée par des Ombres, qui la ramenent des les Enfers. Voilà ce qui nous arrive souvent en dormant. Nous joüissons de tout le bonheur que nous pouvons souhaiter. Mille flateuses Images nous le representent. Le jour vient. Nous ouvrons les yeux, & cet imaginaire bonheur s’évanoüit avec le sommeil qui l’a causé. À vouloir pousser un peu la morale, il y auroit icy lieu de dire que toute la vie n’est qu’un songe, mais je suis pressé de vous faire voir l’Enigme d’ Hercule & de Promethée. Ce ne sont pas des noms inconnus pour vous. Vous sçavez que ce dernier ayant dérobé le feu du Ciel, fut attaché au Caucase, où une Aigle luy venoit tous les jours déchirer le cœur. Ce suplice auroit peut-estre esté eternel, aussi-bien que celuy d’Ixion, de Sisyphe, & de beaucoup d’autres fameux coupables, si Jupiter n’eust aimé Thétis. Promethée qui avoit une parfaite connoissance de l’avenir, le détourna de ce Mariage, en luy faisant dire qu’il avoit esté arresté par les Destins, que celuy quy naistroit de Thétis seroit plus grand que son Pere. Jupiter se souvenant de ce qu’il avoit fait contre Saturne, étoufa l’amour qu’il avoit pris pour cette Déesse ; & pour récompenser Promethée, il envoya Hercule au Caucase. Hercule tua l’Aigle, & rompit les chaines de Promethée. Voilà la Fable. Trouvez le sens de l’Enigme.

[Tout ce qui s’est passé aux Mercuriales du Parlement.] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 297-308

Il ne me suffit point de vous avoir parlé de l’ouverture des Audiances qui se fait toûjours un Lundy quinze jour ou trois semaines apres la S. Martin. Il faut vous entretenir des Mercuriales. Elles ne manquent jamais de se faire le Mercredy suivant, & on les appelle Mercuriales par cette raison. Comme ces sortes de Discours sont des Remontrances, ils sont cause que tout ce qui est Reprimande, a pris le nom de Mercuriale. Les Gens du Roy se tenoient anciennement à l’entrée de la Grand’Chambre ; & comme tous les Conseillers y devoient passer, ils prenoient ce temps pour leur faire ces Remontrances ; mais cet usage a esté changé, & l’on a étably les Mercuriales qui consistent presentement en des Harangues publiques.

Mr le Premier Président parle d’abord aux Huissiers ; en suite on va querir Messieurs les Gens du Roy, & il leur adresse la parole en commençant par ces mots, Gens du Roy . Voicy à peu pres ce que Monsieur de Novion leur dit la derniere fois. Il fit connoistre, Qu'apres avoir deja parlé des avantages du Silence, il sembloit que c’estoit le blesser, de faire une autre fois son éloge ; mais qu’il luy restoit beaucoup de choses à dire qui pouvoient estre d’une grande instruction. Il dit en suite, Que le silence fut si bien observé dans l’ Aréopage, que les Grecs en firent un Proverbe parmy eux, & que ce fut dans cette celebre Assemblée que Caton parla avec tant de justesse, & que son interprete se rendit si ennuyeux, qu’il donna lieu de dire que les discours Romains partoient de la teste, & ceux des Athéniens seulement des levres. Il ajoutâ, Que les Egyptiens ne s’expliquoient que par des hiérogliphes, & que le laconisme avoit toûjours esté le caractere de la plus vive Eloquence ; Que Licurgue disoit que son Peuple aimoit la briéveté, parce qu’elle approchoit le plus du silence. Il dit encor, Que le silence estoit le langage du Ciel ; Que les Oracles avoient peu parlé ; Que Dieu mesme avoit blâmé la prolixité jusques dans la priere ; & que lors que Moïse eust eu l’avantage de conférer avec cette Majesté Supréme, il connut qu’il avoit moins de facilité à s’exprimer, & sentit que sa langue estoit empeschée. Il conclua de là, Que ce qu’il y a de plus sublime nous apprend à peu parler, & finit en disant, Qu'il ne faloit rien obmettre de necessaire, & ne rien dire de superflu, & que Caton fut admiré de n’avoir rien dit en sa vie dont il eut eu sujet de se repentir.

Ce Discours estant finy, Mr  le Premier Président adressa la parole aux Conseillers, & ayant commencé par le mot de Messieurs, il leur dit, Que si le silence estoit bienseant à tout le monde, il l'estoit encor plus aux Magistrats, dont la suffisance estoit connuë ; Que l’Homme public ne devoit pas toûjours dire tout ce qu’il sçavoit, & devoit toûjours sçavoir ce qu’il estoit temps de dire ; & que s’il n’estoit pas maistre de sa langue, il estoit incapable des grands Emplois. Il dit en suite, Que le grand Parleur estoit comme un Epileptique qui alloit tomber où le hasard & la violence de son mal portoient ; Que la Magistrature estoit une Milice ; Que la Victoire suivoit le secret, & qu’on lisoit dans Homere, que les Troupes Troyennes qui marchoient à grand bruit, estoient toûjours infortunées, tandis que les Grecs qui tenoient leurs marches secretes, remportoient des victoires continuelles. Il dit encor, Que ces mesmes Grecs en loüant la valeur d’Achille, n’avoient pû donner une plus éclatante idée de celle de nostre incomparable Monarque ; Que tant de Troupes unies contre les interests de la France, n’avoient pû autre chose que publier des desseins inutiles, pendant qu’il avoit sçeu se prévaloir des avantages du secret, & qu’il avoit fait des prodiges de valeur. Il parla du fameux éloge qui fut donné au grand Capitaine de la Grece, & et dit, Qu'il n’avoit jamais paru d’Homme qui sceust tant, & qui dist moins. Il finit par ces paroles. En effet, Messieurs, c’est toûjours assez dire, que de satisfaire à son sujet, & souvent mesme le silence fait la réponse du Sage.

Ceux qui m’ont fait part de ces deux Discours ayant une memoire tres heureuse, je ne doute point que les pensées n’en soient beaucoup mieux suivies qu’elles ne le sont dans celuy du jour des ouvertures des Audiences.

Si-tost que Mr le Premier Président eut achevé de parler, M r  Talon fit un éloge du Roy sur ce qu’il nous donne tant d’occasions de l’admirer. Cet Eloge fut suivy de trois Portraits, dont l’un fut du Magistrat paresseux , l’autre du voluptueux , & le troisième du parfait. Il appliqua ce dernier à M r  le Premier Président de Novion. Il parla de sa vigilance, de sa grande activité, de son extréme application aux Affaires, de la grande intelligence qu’il en avoit, & de la prompte expédition qu’il procuroit aux Parties. Il finit en disant que sa présence l’empeschoit de dire des choses auquelles il sçavoit bien que sa modestie répugneroit, & en excitant tous les juges à l’imiter. Toute l’Assemblée fut charmée de cet éloge, & la satisfaction qu’elle en fit paroistre fut une marque qu’elle estoit fortement convaincuë de tout ce qui avoit esté dit à l’avantage de M r  le Premier Président.

[Dissertation sur un Voyage de Grece.] §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 308-309.

Je vous envoyeray au premier jour un Livre nouveau qui va sortir de la Presse. C'est une Dissertation sur un Voyage de Grece publié par Mr  Spon. Vous y trouverez des Remarques fort curieuses sur les Medailles & sur les Inscriptions ; & ce qui vous y plaira le plus, vous y verrez la Défense d’un autre Livre qui n’a pas moins esté de vostre goust que de celuy du Public. Je parle d’Athenes ancienne & nouvelle , que M r   de la Guilletiere nous donna il y a trois ans. On l’a attaqué. Vous examinerez si on a eu raison de le faire.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1678 [tome 12], p. 309-310.

On m’a envoyé un Air nouveau de Mr des Fontaines. Je vous en fais part. En voicy les Paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ce n’est qu’au retour des beaux jours, doit regarder la page 309.
    Ce n’est qu’au retour des beaux jours
Qu’on doit suivre l’ardeur que l’Amour nous inspire.
    Mais dés que l’Eté se retire,
    Il faut renoncer aux Amours.
        En récompense,
    Si-tost que l’Automne s’avance,
Il faut, pour celébrer de Bacchus la mémoire,
Vuider, en s’eveillant, cinq ou six Brocs de Vin ;
Et le reste du jour l’employer à tant boire,
Que nous ne sçachions plus s’il est soir ou matin.
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