1679

Mercure galant, mars 1679 [tome 3].

2015
Source : Mercure galant, mars 1679 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Suite des Divertissemens du Carnaval] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 1-7.

Vous vous en souvenez, Madame. Ma derniere Lettre contient de si longues descriptions de ce qui ce passa chez Monsieur le Prince de Strasbourg, le jour de la Mascarade de Monseigneur le Dauphin, & des magnificences du grand Bal qui se donna chez le Roy le Mardy-gras, qu’elles ne me laisserent point le temps de vous entretenir alors des autres réjoüissances du Carnaval. C’est ce qui m’oblige à vous parler aujourd’huy non pas de toutes, mais au moins de quelques-unes. Quoy que la saison en soit passée, il n’est jamais trop tard d’apprendre ce qu’on ne sçait point, & ce qu’on ignore est toujours nouveau. A voir les Personnes les plus qualifiées de la Cour, & tout ce qu’il y a de beau monde à Paris chez Mr de Strasbourg, le jour de la Feste dont je vous ay appris les circonstances, on auroit crû inutile d’aller chercher d’autres Assemblées. Cependant il y avoit Bal ce mesme jour chez Mr de Pommereüil Capitaine aux Gardes, & la foule des Gens de la premiere qualité y fut très-grande. La Salle estoit magnifiquement ornée, & les Dames en fort grand nombre. Je ne vous dis rien des Violons, il y en a peu de meilleurs en France. Vous sçavez qu’on les estime, & que le Roy ne dédaigne pas quelquefois de servir en Campagne. Le Dimanche gras, il y eut un concours extraordinaire de monde aux Gobelins chez Mr le Brun. Plusieurs Ducs & Pairs, Maréchaux de France, & autres Personnes du premier rang, honorerent cette Assemblée de leur presence. Elle fut tres-agreablement divertie, & l’on y dança un Balet de l’invention & de la composition du Sr de Beauchamp. La Paix en avoit fourny le sujet. La Musique, la Dance, & le reste des Arts, venoient rendre hommage à la Peinture, & se réjoüir de l’occupation que luy alloit donner, aussi bien qu’à elles, le calme qu’on voyoit prest à se répandre par tout. Les Plaisirs ne se sont pas renfermez entierement à Paris. Ils ont esté plus loin, & le voisinage de S. Germain a communiqué l’usage de la galanterie à Poissy. Ce que j’ay à vous en dire en est une preuve. Quoy qu’il ne s’agisse que d’un divertissement particulier, il n’en merite pas moins la curiosité que vous avez pour tout ce qui vous est inconnu. Si je ne vous apprenois que ce que font les Roys & les Princes, je serois toûjours prévenu par la voix publique, & je n’aurois jamais que l’avantage de vous instruire de quelques circonstances, qui sont fort rarement sçeuës, où qui ne le sont que confusement.

[Lettre en Prose & en Vers, sur le mesme sujet1] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 7-25.

Il est des divertissemens où l’esprit, l’invention, & la galanterie, tiennent lieu d’une excessive dépense, & que ces trois choses rendent aussi agreables que cette éclatante magnificence où tout le monde ne sçauroit atteindre. Tel a esté celuy de Poissy. Vous en trouverez les particularitez dans cette Lettre.

A MADEMOISELLE

D. R***

A Pontoise le 16. Fevr. 1679.

Il ne se peut rien de mieux concerté, charmante Iris, que la Mascarade que vous avez faite en cette Ville. Les Personnes de l’un & l’autre Sexe qui la composoient ont fait remarquer un si bon air dans la Dance, & tant d’agrément dans leur manieres, qu’elles se sont attiré l’admiration de tous ceux qui ont eu le bonheur de les recevoir.

    On ne doit point s’en étonner ;
    Ce que vous voulez ordonner,
S'exécute toûjours de la belle maniere.
    Vos regards reglent tous les pas,
Et vostre voix fournit une juste carriere
A ceux qui sans vos soins ne la trouveroient pas.

 

Vous jugez bien, belle Iris, où je veux aller. De bonne foy l’on vous doit tout le succés de cette agreable Mascarade. Elle est le fruit d’un moment de vostre application, & il vous est si naturel d’en lier de semblables par tout où vous vous rencontrez, qu’on doit se faire un sensible plaisir d’estre témoin de ces galantes Metamorphoses.

Oüy, l’on doit desirer pour avoir de beaux jours,
    D'entrer dans toutes vos Parties.
    Elles sont si bien assorties,
Que je les croy l’ouvrage des Amours.

Vous ne me connustes pas Mardy dernier, quand je vous dis là dessus tout ce que je pensois chez Mr G. sous le nom de l’Inconnu masqué. Vous sçavez que l’avantage que j’eus d’y passer deux ou trois heures à vos pieds, me fit des jaloux. Il ne tint pas à moy que vous n’entendissiez des veritez tres-essentielles, mais toute vostre curiosité se borna à vouloir apprendre quels ont esté les Divertissemens de Poissy. Vous me chargeastes du soin de vous envoyer la Relation. Je m’en acquite.

Le Jeudy gras un Officier des Gardes du Corps donna le Bal du Lieu que je viens de vous nommer. J'y allay avec Mrs les Chevaliers de Massigny & de Berthenonville, qui ne contribuerent pas peu aux plaisirs de l’Assemblée. On passa toute la nuit à dancer, & le jour avoit paru avant qu’on se separast. Le Dimanche suivant il y eut Comédie chez Mr de Montaigu. Le Theatre estoit dressé dans une Salle magnifique, & on avoit fait venir des Flustes, des Hautbois, & des Violons de Saint Germain, pour joüer entre les Actes. Cinna, le chef-d’œuvre de toutes les Pieces de Theatre, fut representé. Trois belles Personnes faisoient Livie, Æmilie, & Fulvie. Des Officiers des Gardes avoient étudié les Rôles d’Auguste, de Cinna, & de Maxime, & ils s’estoient si bien concertez, qu’une veritable Troupe de Comédiens auroit eu peine à mieux réüssir. Cette Représentation fut suivie d’un applaudissement general. Mr le Chevalier de Massigny en fit des congratulations particulieres aux trois aimables Actrices, & leur proposa le Bal pour le soir. Elles l’accepterent chez l’une d’elles. Toutes les Belles de Poissy y vinrent masquées. Apres qu’on eut dancé quelque temps, on commença de faire place à un Oublieux, qui s’attira les regards de tout ce qu’il y avoit de Gens dans la Salle. La propreté de son Corbillon faisoit connoistre que ce n’estoit pas un Oublieux du commun. Ses poches estoient garnies de Limons & de Citrons doux, & il avoit une Ceinture de Bouteilles de Vin Muscat, de Vin d’Espagne, & de Vin de Canarie. Il auroit bien voulu faire une Entrée en cet état, mais le fracas estoit trop à craindre, & d’ailleurs les Belles avoient plus d’envie de joüer le Corbillon, que de voir dancer l’Oublieux. Il s’approcha d’une Table, & leur presenta trois Dez de sucre candy dans un Limon confit, qui tenoit lieu de Cornet. Vous jugez bien qu’on ne s’en servit pas longtemps sans vuider le Corbillon. Il estoit remply de Biscuits, de Macarons, & de Massepain. Les Bouteilles suivirent, apres lesquelles ce fut aux Limons & aux Citrons à dêfiler. Ils sortirent aussitost des poches de l’Oublieux, & passerent dans les mains des Belles. Un Billet attaché sur chacun des trois premiers, fit connoistre qu’on les avoit destinez aux trois aimables Actrices. Voicy ce que contenoient les Billets.

Pour Mademoiselle R.

    Je viens icy, belle Livie,
Chercher aupres de vous les Jeux & les Plaisirs.
    Si vous secondez mes desirs,
    Mon sort sera digne d’envie.

Pour Mademoiselle I.

ÆMilie est l’objet de mes transports ardens,
Ma peau fait voir ce que je sens pour elle.
    Cependant je crains que la Belle
    Ne me déchire à belles dents.

Pour Mademoiselle B.

    Je suis, agreable Fulvie,
Le plus charmant Limon que vous verrez jamais.
    J’ay de la douceur, des attraits,
    J’ay la peau bien faite & polie,
    Je suis un mets délicieux,
    J’entre dans le Nectar des Dieux,
    Je me donne à qui me caresse ;
    Et ce qui doit me rendre cher,
    C’est que je me fais écorcher
    Pour marquer ma délicatesse.

 

Les Limons & les Citrons qui restoient, furent distribuez à toute la Compagnie, qui pressa tellement l’Oublieux de se démasquer, qu’il fut enfin contraint de ceder aux empressemens des Belles. C’estoit Mr le Chevalier de Berthenonville. Il soûtint la plaisanterie qu’il avoit faite par mille agreables choses qu’il leur dit. On continua le Bal, qui fut de nouveau interrompu deux heures apres par l’entrée d’un Vendeur d’Eau de vie, qui parut dans un équipage des plus grotesques. Il avoit des Bas bleus, une Culote rouge, un Juste-au-corps de Buste, & un Bonnet à la Dragonnete. Il portoit une Mane remplie d’Amandes d’Espagne, d’Anis de Verdun, d’Oranges de Portugal, & de Bouteilles d’Hypocras & de Rossoly de Turin. La Mane estoit couverte d’une Jalousie de soye pour empescher les larcins, & il falut la lever pour juger si cette seconde galanterie valoit celle de l’Oublieux. Ces Vers furent trouvez pour Inscription à l’ouverture de la Mane.

    Cette Liqueur est pour les Belles.
Elles pourront trouver de la douceur chez moy.
    Je vous le dis de bonne-foy,
La Liqueur que je porte est fort propre pour elles.

Il n’en falut pas davantage pour expliquer aux Belles ce qu’elles avoient à faire. Le Vendeur d’Eau de vie leur presenta des Vases de Glaces de diférentes figures, & les remplit d’Hypocras & de Rossoly. L’Anis de Verdun, les Amandes d’Espagne, & les Oranges de Portugal, furent en suite abandonnées au pillage. Il y eut un peu de confusion, puis que les Oranges qui estoient marquées pour les Actrices, ne tomberent pas d’abord entre les mains de celles à qui elles s’adressoient. Ce desordre fut incontinent reparé. Chacune eut la sienne, accompagnée d’un Billet. Les Vers qui suivent y furent leûs.

Pour l’aimable Livie.

    On doit peu me porter envie
    De me voir si bien avec vous.
C’est pour me déchirer, trop cruelle Livie,
    Que vous me faites les yeux doux.

Pour la belle Æmilie.

S’exposer à la mort pour venir vous chercher,
C‘est tout ce que j’ay fait, ce que je fais encore.
Chere Æmilie, helas ! j’aime, je vous adore,
Cependant vous voulez me perdre & m’écorcher.
    Hé bien, passez-en vostre envie,
Je trouveray chez vous une plus douce vie.

Pour la charmante Fulvie.

    Quand on est belle comme un Ange,
Quand on a l’esprit fin, les yeux brillans & doux,
    On peut en dépit des Jaloux
    Prétendre à la Pomme d’Orange,
Fulvie, & ce présent n’est destiné qu’à vous.

 

Le vendeur d’Eau de vie disparut pendant que la Compagnie examinoit ses Billets. On s’apperçeut un peu tard qu’il n’estoit plus dans la Salle. On le chercha, on courut apres luy, mais fort inutilement. Il avoit sçeu d’un Cavalier que vous estiez à Herouville, & que vous y deviez passer le reste du Carnaval. Il prit le party de vous y aller chercher. Vous n’y estiez plus. Vostre aimable Troupe faisoit une Mascarade chez Mr de Vierset Gouverneur de Pontoise. Il y alla, & eut l’avantage de vous parler. C'est un plaisir dont la confusion des Masques ne le laissa joüir qu’un moment. Le Bal que Mr G. donna Mardy dernier, luy fournit une occasion plus favorable de vous expliquer ses sentimens. Il passa aupres de vous quelques heures qui luy firent des envieux. Vous ne le reconnustes point, & il est bon de vous dire que l’Inconnu masqué de ce jour-là, & le Vendeur d’Eau de vie du Bal de Poissy, ne sont autre chose que vostre, &c.

FREDIN.

[Le Masque Démon, Histoire] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 25-37.

Pendant qu’on s’est diverty si agreablement à Poissy, il ne faut point douter que les Assemblées qui se sont faites dans les autres Villes, n’ayent produit des avantures de toute espece. Ce qui est arrivé à Morlaix en Basse Bretagne, est fort singulier. Voicy ce qu’on m’en écrit. Une des jolies Femmes de la Ville, ayant la taille petite, mais dégagée, & le visage aussi beau, que l’esprit aisé & insinuant, donnoit à joüer chez elle un des derniers jours du Carnaval. Sa douceur qui luy gagne tous les cœurs, luy attirant ordinairement plus de visites qu’elle n’en vouloit recevoir, il ne faut pas s’étonner si elle eut ce jour-là une Assemblée fort nombreuse. Elle ne manquoit pas de Protestans, qui tous attendoient, pour luy faire leur déclaration en forme, qu’on eust des nouvelles assurées de la mort de son Mary. Il s’estoit embarqué il y avoit déja plusieurs années, & le silence qu’il avoit gardé depuis sont départ faisoit présumer qu’il avoit péry. Cependant la Dame observoit beaucoup de régularité dans sa conduite, & il ne luy faloit pas moins que les Privileges du Carnaval, pour l’autoriser à faire chez elle une Assemblée pareille à celle dont je vous parle. On venoit de desservir une grande Collation qu’elle avoit donnée apres trois heures de Jeu, quand on vit entrer un Masque qui luy presenta un Momon. Il avoit trouvé la porte ouverte, & ne s’estoit point mis en peine de faire demander si on le voudroit recevoir. Sa brusque entrée n’étonna personne. La saison permettoit ces sortes de libertez, & dans les petites Villes on est bien venu par tout avec le masque. La Dame reçeut le Momon, & le gagna. Le Masque la pria d’en joüer un autre qu’il perdit encor. La mesme chose luy estant arrivée cinq ou six fois, parce qu’il brouïlloit les Dez avec tant de promptitude, que quand ils tournoient favorablement pour luy, il sembloit ne s’en pas apercevoir, d’autres voulurent joüer à leur tour, mais il n’y trouverent pas leur compte. Le Masque gagna, & ne perdit que contre la Dame qu’il engagea de nouveau au jeu. La gayeté avec laquelle il soûtint la perte qu’il continua de faire contre elle, ne laissa aucun doute qu’elle ne fust volontaire. On s’en expliqua tout haut. Il l’entendit, & prenant un ton diférent de celuy dont il s’estoit servy jusqu’alors, il déclara qu’il estoit le Maistre des Richesses, qu’il ne les aimoit que pour en faire part à la Dame, & qu’il ne disoit rien qu’il ne s’ofrist à justifier par les effets. En mesme temps il découvrit plusieurs Bources toutes pleines de Pieces d’or, qu’il demanda à joüer en un seul Momon, contre tout ce que la Maistresse de Logis voudroit hazarder. La Dame embarassée de cette déclaration, renonça au jeu. On examina le Masque avec plus d’atention ; & une Femme de la compagnie, que l’âge & beaucoup de tempérament rendoient sujete à se faire des réalitez de ses visions, l’ayant regardé depuis la teste jusqu’aux pieds, devint pasle, tremblante, & tellement éperduë, qu’elle demeura quelque temps sans pouvoir parler. La parole luy estant revenuë, elle dit tout bas à sa Voisine, qu’il n’y avoit point à douter que le Masque ne fust le Diable ; qu’il l’avoit marqué en déclarant qu’il estoit le Maistre des Richesses, & que si elle y vouloit prendre garde, elle luy trouveroit des grifes au lieu de pieds. Le Diable masqué avoit pris une chaussure bizarre qui convenoit en quelque maniere avec ce que les Peintres ont accoustumé de nous representer du Démon, & c’estoit là-dessus que la credule Visionnaire avoit appuyé son jugement. Ce qu’elle dit passa en un moment d’oreille en oreille. Apparemment elle trouva des foibles comme elle, puis qu’on proposa d’appeller du secours pour l’Exorcisme. Ce mot fit connoistre au Masque ce qu’on s’estoit figuré de luy. Il commença tout de bon à faire le Diable, parla plusieurs Langues dont quelques-unes estoient inconnuës, & apres quelques raisons expliquées sur ce qui l’avoit obligé de quiter l’Enfer, il ajoûta qu’il venoit particulierement demander une Personne de la Compagnie, qui s’estoit donnée à luy, protesta qu’elle luy apartenoit, & qu’il ne desampareroit point qu’il ne l’eust, quelques obstacles qu’on y apportast. Chacun regarda la Dame. Ces menaces sembloient s’adresser à elle, & le Masque les avoit prononcées d’une voix creuse qui embarassoit les moins susceptibles de frayeur. Les uns se taisoient, les autres se parloient bas, & celle qui avoit donné ouverture à la diablerie, crioit continuellement à l’Exorcisme. L’histoire porte que sans consulter personne, elle fit venir des Gens d’un caractere à faire fuir les Démons ; que le Diable prétendu leur répondit fort pertinemment, & qu’apres s’estre diverty quelque temps de leurs zelées conjurations, il leva le masque, ce qui finit l’avanture par un fort grand cry que fit la Dame. C’estoit son Mary qui avoit passé d’Espagne au Pérou. Il s’y estoit enrichy, & revenoit chargé de trésors. En arrivant il avoit appris que sa Femme régaloit ses plus particulieres Amies. C’estoit un des derniers jours du Carnaval. Cette saison favorable aux deguisemens, luy fit naistre l’envie de voir la Feste sans estre connu, & il avoit pris pour cela le plus grotesque habit qu’il eust pû trouver. Toute l’Assemblée luy fit compliment, & comme il n’estoit pas si diable qu’on l’avoit crû, on luy abandonna la Dame qu’il venoit chercher, & qu’il avoit dit si hautement qui s’estoit donnée à luy.

[L’Habit de Masque, Galanterie] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 37-41.

J’adjoûte à cette Avanture une galanterie du Carnaval. Un Amant fit faire un Habit de Masque par le Tailleur de sa Maistresse, sans qu’elle en sçeut rien. Il l’ordonna aussi magnifique que galant, & quand il fut fait, il proposa de courir le Bal sur le champ en équipage assez propre pour se faire remarquer. La Belle s’en excusa sur ce qu’elle n’avoit point d’Habit. Le Cavalier dit qu’il n’avoit qu’à en emprunter un à Mademoiselle de Chammeslé. En mesme temps il écrivit un Billet, & envoya son Laquais qui avoit le mot. La Belle le railla de sa confiance, soustint qu’il auroit la honte d’estre refusé, ou que s’il ne l’estoit pas, comme un habit propre ne se doit jamais demander pour courir le Bal, on luy en envoyeroit un si vilain, qu’elle luy déclaroit d’avance qu’il la prieroit inutilement de s’en servir. Le Cavalier luy promit de la laisser dans une entiere liberté de rompre ou d’éxecuter la partie, si elle ne pouvoit s’accommoder de ce qu’il avoit envoyé chercher. Le Laquais revint, & aporta l’Habit que son Maistre avoit fait faire par le Tailleur. La Belle en admira la beauté, & fut fort surprise de le trouver aussi juste que s’il avoit esté fait pour elle. Vous jugez bien qu’elle loüa plus d’une fois l’honnesteté de l’obligeante Prétieuse. Elle crût y devoir répondre en prenant des soins extraordinaires de ne point gaster l’Habit. Elle y réüssit, & estant contente de sa propreté, elle le renvoya le lendemain à Mademoiselle de Chammeslé, avec de grands remercîmens en son nom, du plaisir qu’elle avoit bien voulu luy faire. Mademoiselle de Chammeslé qui ne sçavoit ce qu’on luy vouloit dire, répondit qu’on se méprenoit, & qu’elle n’avoit presté aucun Habit. Ainsi celuy de la Mascarade fut reporté à la Belle, à qui il fut inutile de le vouloir rendre au Cavalier. Il le refusa autant de fois qu’il fut apporté chez luy & la Belle a esté contrainte de le garder.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 42-43.

Il faut vous faire part des souhaits qui ont esté faits pour le retour du Printemps où nous commençons d’entrer. Les Paroles sont de Mr Noël, Homme d’un fort grand merite, & que je vous ay déjà dit que la Ville de Chartres avoit choisy pour son Avocat. Elles ont esté mises en Air par Mr le Redde.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah, que l’Hyver est ennuyeux, doit regarder la page 42.
    Ah, que l’Hyver est ennuyeux !
    Durera-t-il longtemps encore ?
    Hastez-vous, ô divine Flore,
    De venir regner en ces lieux.
Ramenez avec nous la Beauté que j’adore,
    Ramenez nos Ris & nos Jeux.
    Ah, que l’Hyver est ennuyeux !
Les Fleurs dans leurs boutons se cachent à nos yeux,
Mais à vostre retour nous verrons tout éclore.
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Madrigal §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 43-45.

Si le plaisir de voir renaistre la belle Saison peut estre regardé comme un bien, jugez quels vœux on a esté capable de former pour obtenir la fin de la Guerre. Voicy ce que Mr Brossard de Montaney, Conseiller au Présidial de Bourg en Bresse, a adressé là-dessus au Roy.

Madrigal.

    Laissez prendre haleine à l’Histoire,
Et donnez-vous, Grand Prince, un moment de repos ;
    Celuy qu’on prend au faiste de la Gloire,
    Ne sied jamais mal aux Héros.
Content d’avoir bravé les efforts inutiles
De ces Princes jaloux qu’affligent vos Exploits,
Par grace accordez-leur quelqu’une de ces Villes
    Que vous avez soûmises à vos Loix.
A quoy qu’en leur faveur vostre bonté s’étende,
En leur quitant un Bien qu’ils perdroient pour toûjours,
C’est peu pour Vous, Grand Roy ; tout ce qu’on vous demande,
    A peine vous coûte huit jours.

[Suite des Réjoüissances de Noyon ] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 45-49.Le début de la description de cette fête se trouve dans cet article du Mercure du mois de février

Puis que la singularité des Amazones de Noyon, dans les réjoüissances de la Publication de la Paix, vous a paru une chose si digne d’estre remarquée, il faut vous apprendre la suite de cette Feste. Apres que les belles Personnes qui composoient la galante Troupe, dont je vous parlay le dernier Mois, eurent pris des Billets à l’Hostel de Ville pour aller loger dans les meilleures Maisons, elles reçeurent parmy elles quelques Officiers du Regiment de Navarre, arrivez depuis peu, qui leur demanderent permission de les accompagner la Halebarde à la main. Elles marcherent toûjours dans leur premier ordre, & vinrent au Bureau des Aydes, où apres qu’elles eurent fait plusieurs décharges, on les régala d’une tres-magnifique Collation. Une autre Troupe de Demoiselles habillées en Bergeres, s’y rencontra, & on y dança fort longtemps au son des Hautbois & des Violons. Depuis ce temps-là il n’y eut à Noyon que Bals, Festins, Feux de joye, & Masques. Les Païsans des Villages des environs ont voulu prendre part à toutes ces Festes, & lors qu’on y pensoit le moins, ils ont fait une Entrée dans la Ville, d’une nouveauté fort particuliere. Ils estoient tous habillez de deüil, & conduisoient un Estapier, qui est un Homme étably pour distribuer les Vivres aux Soldats pendant la Guerre. Plusieurs Tambours qu’on avoit couverts de noir, les précedoient. L’Estapier monté sur un Cheval couvert aussi d’un Drap noir parsemé de larmes, estoit en mesme équipage que les Païsans, & crioit par tout, La Guerre est morte. On luy répondoit par des Vive le Roy, vive la Paix, que le Peuple faisoit retentir de tous les côtez.

[Magnificences faites à Montpellier] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 49-54

La Publication de celle d’Espagne2 s’est faite à Montpellier avec les mesmes cerémonies qui avoient esté observées dans la premiere. Le Greffier Domanial de la Seneschaussée, à qui seul appartient le droit de faire ces sortes de Publications, fit les Cris accoûtumez, & leût en suite ce qui avoït esté envoyé de la part du Roy. Mais il ne se peut rien de plus magnifique que le Te-Deum qui fut chanté dans l’Eglise Cathedrale de S. Pierre. Monseigneur le Cardinal de Bonzy, Archevesque de Narbonne, Primat des Gaules, & Président des Etats de Languedoc, y assista avec onze Evesques, deux Archevesques, Mr le Marquis de Calvisson Lieutenant pour le Roy en cette Province, Mr Daguesseau Intendant, deux Commissaires du Roy, & quantité de Barons. Les Consuls des Villes, & les Députez des Communautez qui composent l’Assemblée des Etats, s’y trouverent, aussi bien que tous les Officiers de la Cour des Aydes en Robes rouges ; les Trésoriers de France en Robes de satin noir ; les Officiers du Seneschal & Présidial, & les Consuls de la Ville aussi en Robes rouges & Chaperons, avec leur suite. Elle est de six Valets habillez de rouge, avec leurs Pertuisanes ; de quatre Valets de santé, & de six Escudiers, qui ont aussi une Robe rouge, & une longue Masse d’argent sur l’épaule. La Cérémonie se fit par Mr l’Evesque de Montpellier, revestu Pontificalement. Le soir, l’Opéra que vous avez trouvé dans ma Lettre de Fevrier, fut representé devant Monsieur le Cardinal de Bonzi, & toute l’Assemblée des Etats. Mr de Broy Avocat en a fait les Vers. Je croy vous avoir déjà marqué que la Musique estoit de Mr de la Sabliere. Voir cet article du Mercure du mois de février 1679 qui donne le livret du prologue de l'opéra de Sablières.Comme chaque premier jour de l’An on fait de nouveaux Consuls de Mer, on élit aussi un nouveau Guidon à Montpellier. Celuy qui a esté nommé la derniere fois, a paru avec un grand éclat dans la Cerémonie de la Publication de la Paix. Sa Garniture de gris-de-lin, & les Plumes & les Echarpes qu’il donna à toute la Jeunesse qu’on vit à cheval, ont esté des marques de sa passion pour une aimable Personne, devant la Porte de laquelle il fit faire la décharge de tous les Pistolets. Il montoit un Cheval Anglois, orné d’une magnifique Housse, sur laquelle on voyoit en broderie d’or & d’argent, grand nombre de G & de B, qui sont les lettres capitales de son nom, & de celuy de la Belle. Le soir il fit un fort somptueux Régal à la plûpart de cette Jeunesse.

[Cerémonies observées à Toulouse pour la Publication de la Paix] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 54-68.

Il me reste à vous parler de Toulouse & d’Agde. Si je m’en acquite un peu tard, ne l’imputez qu’à l’éloignement des lieux qui m’a empesché d’en estre informé plutost.

L'ordre ayant esté reçeu à Toulouse, les Capitouls apres avoir publié la Paix le matin dans le grand Consistoire de l’Hostel de Ville, firent l’apresdisnée la mesme Publications par la Ville avec les cerémonies accoûtumées. Les quarantes Soldats de la Famille du Guet marchoient les premiers, apres lesquels on vit paroistre à cheval les Officiers de l’Hostel de Ville, & les Capitouls, précedez des Hautbois & des Trompetes de la Ville, & suivis de plusieurs anciens Capitouls aussi à cheval. Le Secretaire du Consistoire fit la lecture du Placard dans toutes les Places publiques de leur marche. Il y eut une décharge des Soldats du Guet à chaque lecture. Mille cris de Vive le Roy l’accompagnoient, & la foule estoit si grande dans toutes les Ruës, qu’on avoit de la peine à y passer. Le Te-Deum fut chanté deux jours apres dans la Métropolitaine de S. Estienne. Les Officiers du Parlement s’y trouverent avec les Capitouls, & les autres Compagnies qui ont droit d’y assister. La cerémonie du Feu de joye fut diferée quelque temps, afin que tous les Corps des Mestiers eussent celuy de créer leurs Officiers, de dresser leurs Compagnies, de se mettre en ordre, & d’y assister en armes. La veille du jour qui avoit esté destiné pour cela, ces compagnies au nombre de cinquante, & faisant plus de cinq mille Hommes, eurent ordre de se rendre à la place de Saint George, où elles furent rangées par Mr Martin Capitoul, qui faisoit la fonction de Major de la Ville, & par Mr Royer son Ayde-Major. Elles avoient chacune leurs Officiers, Capitaine, Lieutenant, & Enseigne, tous dans une si grande propreté, que comme on ne s’estoit attendu à rien de semblable, il n’y eut personne qui n’en fust agreablement surpris. Elles défilerent par le Pré Montardy, & traverserent l’Hôtel de Ville, pour y passer en reveuë en présence des Capitouls. Le lendemain ces mesmes Compagnies eurent leur rendez vous à la mesme Place, & allerent prendre les Capitouls à l’Hostel de Ville. On revint de là à la Place de S. Estienne, où se devoit faire le Feu de joye. Chaque Compagnie ayant pris son poste, Mr Mariotte comme Capitoul de ce Quartier, mit le feu au Bucher, aux acclamations du Peuple, & aux cris réïterez de Vive le Roy. Le son des Trompetes, des Fifres, & des Tambours, se mesla aussitost au bruit de la décharge de toute cette Infanterie, & à celuy du Canon qui tiroit en mesme temps sur le Rampart. Ainsi rien n’estoit plus agreable que de voir l’Image de la Guerre dans une cerémonie de Paix. On fit joüer le Feu d’artifice, sitost que la nuit parut. La Machine representoit la Ville de Nimégue. Sa figure estoit octogone, & avoit cinq toises de diametre. Les Faces estoient ornées d’Ecussons aux Armes de France, & de plusieurs Symboles de Paix, comme de Mains jointes, de Nœuds faits de Rubans bleus & rouges, qui sont les Couleurs de France & d’Espagne, de Branches d’Olivier & de Laurier liées ensemble, & d’autres choses semblables. Du milieu s’élevoit une maniere de Donjon, orné tout autour de Trophées d’armes. La France paroissoit assise sur ce Donjon, avec une Couronne fermée, & un grand Manteau parsemé de Fleurs de Lys d’or. On luy voyoit prendre des Branches d’Olivier des mains de la Paix qui estoit en l’air. Il n’estoit pas difficile de connoistre qu’elle ne prenoit ces Branches que pour les donner aux Nations qui sont comprises au Traité de Paix. Les Figures d’un Espagnol, d’un Allemand, & d’un Hollandois, les representoient ayant chacun un Etendard aux Armes de sa Nation. Toute cette Machine estoit portée sur huit Pilliers de trois toises de hauteur. Il y avoit de petits Arcs entre-deux, le tout entortillé de Lierre meslé de petites Branches d’Olive. Sous ces Arcs estoient suspendus huit Tableaux ou Cartouches, qui faisoient autant de Devises à l’honneur du Roy sur le sujet de la Paix. La premiere estoit un grand Soleil dans le Ciel fort calme, avec ces mots Espagnols

    En apazible todo se vée.

L’incomparable génie du Roy n’a jamais paru avec plus de force que dans cette Paix qui est son ouvrage.

II. Un Soleil en son midy, & ces mots,

    Piu valide, e piu sereno.

Le Roy estant le plus en pouvoir de vaincre ses Ennemis, a donné la Paix à l’Europe.

III. Un Soleil qui se couche dans la Mer.

    Etiam pelago sic fulget Ibero

Le Roy n’est pas seulement l’admiration de ses Peuples, mais celle de ses Ennemis.

IV. Un Soleil dans son midy, fort serein, qui regarde les nuages du Nort.

    Boreae quoque nubila cedent.

La Paix du Nort suivra celle que Sa Majesté a concluë.

V. Un Soleil couchant, avec des Animaux qui se retirent dans les Bois, & des Hommes qui quitent leur travail.

    Dat requiem fessis.

Ces paroles marquent l’avantage que retirent de la Paix ceux qui estoient continuellement exposez aux desordres de la Guerre.

VI. Un Soleil brillant, & des Nuës grosses de foudres qui s’évanoüissent.

    Terrori succedit amor.

Le Roy apres avoir fait trembler ses Ennemis, leur donne des marques de sa bonté par la Paix.

VII. Un Soleil qui dore des Nuës noires.

    Serenat & ornat.

Cette Devise regarde la magnificence de Sa Majesté pendant la Paix.

VIII. Un Soleil qu’un Aigle, un Lyon, & un Léopard, regardent avec attention, & ces paroles de Claudian.

    Commune fecit reverentia fœdus.

Apres le Feu d’artifice on se retira sans aucun desordre à la faveur des lumieres qui estoient à toutes les Fenestres. On fit ensuite des Feux particuliers chacun devant sa Maison. Ils furent continuez les deux jours suivans, & toûjours avec les plus grandes démonstrations de joye que puissent donner des Sujets zélez pour la gloire de leur Prince.

[Réjoüissances faites à Agde pour le mesme sujet3] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 68-74.

Je viens à Agde. C'est une Ville qui a de grands avantages à esperer du rétablissement du Commerce ; & comme elle en voit l’assurance par la Paix, voicy ce qu’elle a fait de particulier pour en témoigner sa joye. Il y avoit à l’entrée du Pont un Arc de triomphe, avec des Cordons de Laurier & d’Olivier entrelassez. Du costé droit on voyoit le Portrait du Roy à cheval ; & de l’autre, un Tableau d’Hercule. Sous l’Hercule estoient dépeints trois ou quatre de ses Travaux, comme le Lyon de Nemée, l’Hydre, le Sanglier d’Erymanthe, &c. avec cette Inscription, Tres alter, nunquàm iste duos (faisant allusion au Proverbe Ne Hercules contra duos.) Sous le Roy, il y avoit un Trophée d’armes appuyé sur un Lyon & un Aigle, qui sont les Armes de l’Empire, de l’Espagne, & de la Hollande, avec ces quatre Vers qui expliquent l’Inscription Latine de l’Hercule.

    Jamais l’Hercule de la Fable
Eut-il deux Ennemis à combatre à la fois ?
    Nostre Hercule veritable
    A sçeu triompher de trois.

Au bout du Pont on voyoit cinq Arcs de triomphe en pentagone, à trois étages, en forme pyramidale, de la hauteur de quatre toises, avec ses dimensions, & sur le tout un Mars. Tous les Arcs estoient crenelez, & semez de Fleurs-de-lys d’or sur un Champ d’azur. A tous les angles des Arcs, il y avoit des Guidons avec les Armes du Roy, & des Lances à feu qui estoient comme autant de Flambeaux dont cette Machine fut toûjours éclairée lors qu’on y eut mis le feu. Sur le premier Arc de triomphe on lisoit cette Inscription en gros caracteres, Postrema incendia Martis ; & sur le Bouclier de Mars qui regardoit directement le Roy, on avoit mis cette autre Inscription à l’entour, Tibi sat Lodoïce datum. Toute cette Machine (aussi bien les Arcs de triomphe que la Figure de Mars) estoit remplie de Feux d’artifice.

Les choses estant ainsi disposées, les Consuls à cheval & en Robes rouges, accompagnez de la Jeunesse aussi à cheval, de la Bourgeoisie sous les armes, & de tous les Mestiers chacun dans son rang, firent le tour de la Ville au bruit des Violons, des Trompetes, des Hautbois, & des Tambours ; & apres avoir fait la lecture & la proclamation de la Paix devant la Maison de Ville, & dans tous les autres endroits accoûtumez, ils allerent vers le Pont dans le mesme ordre, & le passerent à l’entrée de la nuit. Les Consuls estant descendus de cheval, s’avançoient pour mettre le feu au Bucher, quand un Ange descendit rapidement d’un Clocher qui est d’une hauteur & d’une distance considérable, & l’y mit en mesme temps qu’eux. Cet Ange tenoit un Flambeau d’une main, & une Couronne d’Olivier de l’autre. Toute la Machine éclata d’abord en mille Feux d’artifices diférens, ce qui fut suivy du bruit de plus de deux cens Boëtes disposées le long des deux Quais, & d’autant de coups de Pierriers que tirerent les Barques qui estoient dans la Riviere

[Vers de M. de Corneille l’aisné] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 74-85.

Je ne puis mieux finir cet Article que par les Vers que l’incomparable Mr de Corneille l’aisné a présentez à Sa Majesté sur la gloire qu’Elle s’est acquise par ce qui donne lieu à toutes ces réjoüissances. Il n’est point besoin de vous dire qu’ils ont esté admirez de toute la Cour. Vous sçavez qu’il ne part rien que d’achevé de la plume de ce grand Homme.

Au Roy.

Sur la Paix.

Ce n’estoit pas assez, Grand Roy, que la Victoire,
A te suivre en tous lieux mist sa plus haute gloire,
Il falloit, pour fermer ces grands évenemens,
Que la Paix se tinst preste à tes commandemens.
A peine parles-tu, que son obeïssance
Convainc tout l’Univers de ta toute-puissance,
Et le soûmet si bien à tout ce qu’il te plaist,
Qu’au plus fort de l’orage un plein calme renaist.
Une Ligue obstinée aux fureurs de la Guerre,
Mutinoit contre toy jusques à l’Angleterre :
Ces projets tout à coup se sont évanoüis,
Et pour toute raison, Ainsi le veut Loüis.
Ce n’est point une Paix que l’impuissance arrache,
Et dont l’indignité sous de faux jours se cache.
Pour la donner à tous ne consulter que Toy,
C’est la résoudre en Maistre, & l’imposer en Roy,
Et c’est comme un tribut que tes Vaincus te rendent,
Si-tost que par pitié tes bontez la commandent.
Prodige ! ton seul ordre acheve en un moment
Ce qu’en sept ans Nimégue a tenté vainement.
Ce que des Députez la fameuse Assemblée,
D’interests opposez trop souvent accablée ;
Ce que n’esperoit plus aucun Médiateur,
Tu le fais par Toy-mesme, & le fais de hauteur.
On l’admire avec joye, & loin de t’en dédire,
Tes plus fiers Ennemis s’empressent d’y souscrire :
Un zele impatient de t’avoir pour soûtien,
Réduit leur Politique à ne contester rien.
Ils ont veu tout possible à tes ardeurs guerriéres,
Et seûrs que ta Justice y mettra des barriéres,
Qu’elle se défendra de rien garder du leur,
Ils la font seule arbitre entre eux, & ta valeur,
Qu’il t’épargne de sang, Espagne ! il te veut rendre
Des Villes qu’il faudroit tout un siecle à reprendre :
Il en est en Hainaut, en Flandres, que son choix
En t’imposant la Paix, remettra sous tes loix :
Mais au commun repos s’il fait ce sacrifice,
En tous tes Alliez il veut mesme justice,
Et qu’aux loix qu’il se fait leurs intérests soûmis
Ne laissent aucun lieu de plainte à ses Amis.
O vous qu’il menaçoit, & qui vous teniez prestes
À l’infaillible honneur d’estre de ses conquestes,
Places dignes de Luy, Mons, Namur, plaignez-vous :
La Paix vous oste un Maistre à préférer à tous,
Et Loüis au vieux joug vous laisse condamnées,
Quand vous vous promettiez nos bonnes Destinées.
Heureux au prix de vous Ypres, & Saint Omer :
Ils ont eu comme vous dequoy les alarmer,
Ils ont veu comme vous leur campagne fumante
Faire passer chez eux la faim & l’épouvante ;
Mais pour cinq ou six jours que ces maux ont duré,
Ils ont mon Roy pour Maistre, & tout est reparé.
Ainsi fait le bonheur de l’Egypte inondée
Du Nil impétueux la fureur débordée ;
Ainsi les mesmes flots qu’elle fait regorger,
Enrichissent les champs qu’il vient de ravager.
Consolez-vous pourtant, Places qu’il abandonne,
Qu’il semble dédaigner d’unir à sa Couronne ;
Charles, dont vous aurez à recevoir les loix,
Voudra d’un si grand Maistre apprendre l’art des Rois,
Et vous verrez l’effort de sa plus noble étude
S’attacher à le suivre avec exactitude.
Magnanime Dauphin, n’en soyez point jaloux,
Si jamais on le voit s’élever jusqu’à Vous.
Il pourra faire un jour ce que déja vous faites,
Estre un jour en vertus ce que déja vous étes :
Mais exprimer au vif ce Grand Roy tout entier,
C’est ce qu’on ne verra qu’en son digne Heritier :
Le privilége est grand, & vous serez l’unique
A qui du juste Ciel le choix le communique.
J’allois vous oublier, Bataves genéreux,
Vous qui sans liberté ne sçauriez vivre heureux,
Et que l’illustre horreur d’un avenir funeste
A fait de l’Alliance ébranler tout le reste.
En ce grand coup d’Etat si longtemps balancé,
Si tout ce reste suit, vous avez commencé ;
Et Loüis qui jamais n’en perdra la mémoire,
Se promet de vous rendre à toute vostre gloire,
De rétablir chez vous l’entiere liberté,
Mais ferme, mais durable à la Posterité,
Et telle qu’en dépit de leurs destins sevéres
Vos Ayeux opprimez l’acquirent à vos Péres.
M’en désavoûras-tu, Grand Roy, si je le dis ?
Me pardonneras-tu, si par là je finis ?
Mille autres te diront que pour ce bien supréme,
Vainqueur de toutes parts, tu t’es vaincu toy-mesme ;
Ils diront à l’envy les bonheurs que la Paix
Va faire à gros ruisseaux pleuvoir sur tes Sujets :
Ils diront les vertus que vont faire renaistre
L’observance des Loix, & l’exemple du Maistre,
Le rétablissement du Commerce en tous lieux,
L’abondance par tout répanduë à nos yeux,
Le nouveau siécle d’or qu’assure ton Empire,
Et le diront bien mieux que je ne le puis dire.
Moy, pour qui ce beau Siécle est arrivé si tard,
Que je n’y dois prétendre ou point, ou peu de part ;
Moy, qui ne le puis voir qu’avec un œil d’envie,
Quand il faut que je songe à sortir de la vie ;
Je n’ose en ébaucher le merveilleux portrait,
De crainte d’en sortir avec trop de regret.

[Lettre en Prose & en Vers, à Madame de…] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 85-95.

La Lettre que vous allez voir est la suite d’un Article du dernier Mois. Elle est sur une matiere qui convient fort à la sainteté du temps où nous sommes. L’Autheur a caché son nom, mais il ne peut cacher qu’il a infiniment de l’esprit, & que la Poësie luy est un talent aussi naturel que celuy d’écrire aisément en Prose.

A Madame de ***

Vous estes si sensible aux belles choses, Madame, que je suis persuadé que vous lirez avec plaisir l’Oraison Funébre que je vous envoye, puis qu’elle en est toute remplie. Elle est de Mr l’Abbé Fléchier qui fait un des principaux ornemens de l’Académie Françoise. Feu Mr le Premier Président de Lamoignon en est le sujet, & elle fut prononcée le 18. de Fevrier dans l’Eglise de Saint Nicolas du Chardonnet, par les soins de Madame de Miramïon dont la vertu est si universellement connuë. Je vous avoüë que je fus surpris du succés de cette Action, & que je ne le fus pas moins des effets qu’elle produisit en moy. La rêputation du Panégyriste m’avoit attiré à cette Cerémonie. Je ne m’estois rien proposé pour mon cœur. Je m’imaginois que mon esprit seul y trouveroit de quoy se satisfaire, & encor ne sçavois-je qu’en penser. La matiere paroissoit usée, & je doutois que l’Orateur eust assez de feu pour réchauffer des cendres d’une année. Vous sçavez de plus, Madame, vous qui sçavez si bien toutes choses, qu’un Ouvrage qui a pour but l’éloge des Morts, & la censure des Vivans, trouve souvent les oreilles mal disposées. Tant d’obstacles me faisoient craindre que ma curiosité fust mal satisfaite, & que l’Autheur n’éprouvast aux dépens de sa réputation, les mêchans effets que produisent d’ordinaire les contretemps. Il ne me laissa pas longtemps dans cette crainte, & ces obstacles, quoy que considérables, ne servirent qu’à faire éclater davantage la beauté de son génie. Il entra si naturellement dans le caractere de l’Illustre Defunt dont il honoroit la memoire, qu’il renouvela des idées que le temps & l’ingratitude du Siecle n’ont peut-estre déja que trop effacées. Les loüanges qu’il luy donna furent accompagnées de tant de modestie, qu’on eust dit qu’il se faisoit un scrupule de n’avoir pas assez de respect pour ses dernieres volontez ; & sa Morale, quoy que severe, fut si insinuante, qu’elle se fit recevoir dans les cœurs les plus endurcis. Cependant, Madame, ce n’est pas ce que j’admiray davantage, ny ce qui m’édifia le plus. Je laisse à part la magnificence de la Pompe, où rien ne respiroit pourtant qu’une pieuse majesté. Le zele de Madame de Miramion qui faisoit les honneurs de cette Feste chrestienne, acheva de m’enlever, & il me parut si beau dans toutes ses circonstances, que tout mondain que je suis, je ne pûs m’empescher de dire qu’il n’apartient qu’aux Personnes qui s’aiment en Dieu, de s’aimer toûjours de la mesme sorte. En effet, Madame, faisons-nous justice. Où sont-ils ces cœurs qui ont assez de solidité pour soûpirer toûjours également la perte de leurs Amis ? On en trouve encor quelques-uns qui donnent quelque chose à la bienséance & à la coûtume, ou qui troublez des funestes pensées de la mort, laissent voir des marques de frayeur que leur dissimulation fait passer quelques jours pour des regrets. Il ne faut pour cela que des Ames communes ; & c’est dequoy l’on ne manque pas dans le temps où nous sommes. Mais, Madame, pour faire une application juste, & pour finir un discours que je ne me sens pas capable de soûtenir plus longtemps, qu’il y a peu de Madames de Miramion, & qu’il seroit necessaire pour la gloire de Dieu, & pour le secours du Prochain, qu’il n’y eust que des Personnes comme elle dans le monde !

On verroit refleurir cette vertu Chrestienne
Dont nos sens pervertis ont corrompu les Loix ;
La Foy retabliroit sa vigueur ancienne,
Et nostre unique objet ne seroit que la Croix.
Le Pauvre secouru dans sa misere extréme,
Sans se plaindre du rang où le Ciel l’a placé,
Verroit d’un œil soûmis l’éclat du Diadéme,
    Sans que son cœur en fust blessé.
Il beniroit de Dieu la volonté supréme ;
    La cruelle Necessité
Qui porte quelquefois le plus juste au blasphéme,
Au fort du desespoir dont il est agité,
    N’auroit plus contre sa coûtume
    Cette insuportable amertume
Dont nos avares mains composent du poison ;
Tout icy-bas enfin se feroit par raison.
Les Vices enchaînez connoistroient son Empire,
La Charité sçauroit étoufer la Satire ;
    Et dans cette arriere-saison
    Qui nous appelle à la retraite
    Au souvenir de nos douleurs,
Nous ne sentirons point cette crainte secrete
Qu’un remords devorant fait naistre dans nos cœurs.

[Mort de M. de Monmort Doyen des Maistres des Requestes] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 95-97.

Cette funeste Cerémonie me fait songer à la perte que Mrs les Maistres des Requestes firent de Mr Habert de Monmort leur Doyen, sur la fin de l’autre Mois. C’estoit un des plus anciens Magistrats du Royaume. Son illustre Famille est assez connuë de tout le monde, n’y ayant presque point de Maison considérable ou dans la Robe, ou dans l’Epée, à laquelle il ne fust allié. Il estoit aussi Doyen de l’Académie Françoise, dans laquelle il avoit esté reçeu il y a quarante-quatre ans. Elle luy doit d’autant plus, que ce fut sur les curieuses Assemblées qu’il faisoit chez luy, composées de Gens de qualité, & des plus beaux Esprits du Royaume, que Mr le Cardinal de Richelieu forma le dessein de son Institution. Il y laisse une Place vacante par sa mort. J’auray à vous entretenir la premiere fois du mérite de son Successeur.

[L’Amante infidelle, Histoire] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 99-124.

Apres tant d’Articles de matieres diférentes, il faut vous parler de Mariage. Il s’en est fait un depuis quelque temps, qu’on croyoit qui ne dust pas s’achever sans trouble. Voicy l’Histoire.

Un Cavalier servant dans l’Armée de Catalogne fit un voyage à Paris apres ses trois premieres Campagnes. Dans le peu de temps qu’il y demeura, il fit habitude avec une fort aimable Personne. Elle l’égaloit en naissance, & en fortune, avoit du merite, & une humeur douce & insinuante qui toucha le Cavalier. De son costé il meritoit fort qu’on l’estimast. Il estoit bien fait, disoit les choses avec esprit, écrivoit agreablement en Vers & en Prose, & mesloit un enjoüement dans la conversation qui le faisoit souhaiter par tout. Ainsi comme il ne manqua point de plaire à la Belle, il n’eut besoin que de s’expliquer pour la voir répondre à sa passion. Il parla de l’épouser. La proposition fut reçeuë, & on songeoit à dresser les Articles du Contract, quand un ordre de partir qu’il n’attendoit pas si-tost, l’arracha tout d’un coup d’aupres de cette belle Personne. Il voulut faire le Mariage avant son départ, mais il ne pût obliger la Mere à y consentir. Elle en remit la conclusion à son retour, & se contenta de l’assurer que s’il demeurait toûjours dans les mesmes sentimens pour sa Fille, il ne trouveroit point de changement dans les siens. Il falut se séparer. Les Lettres furent le soulagement de l’absence. Le Cavalier écrivit souvent, & toûjours en termes fort passionnez. La Belle faisoit des Réponses fort obligeantes, & ne témoignoit pas moins d’impatience de son retour, qu’il en faisoit paroistre de la revoir. Dans cette correspondance qui le consoloit du malheur d’un estre éloigné, il remplit les devoirs de son Employ avec toute l’ardeur d’un Sujet zelé pour la gloire de son Prince, & d’un Amant qui souhaite de la réputation, pour meriter d’estre uniquement aimé de sa Maistresse. Les périls qu’il essuya firent du bruit, & il s’y exposoit avec d’autant plus d’intrépidité, qu’il avoit sujet de croire que la voix publique parleroit de luy à ce qu’il aimoit. Cependant comme les objets s’effacent insensiblement du cœur quand ils s’éloignent des yeux, la Belle accoûtumée à ne plus voir son Amant, laissa diminuer l’empressement qu’elle avoit à luy écrire. Il y avoit déja pres de deux ans qu’il estoit party, & une si longue absence luy ostoit beaucoup de son merite aupres d’elle. Il pouvoit ne point revenir, & c’estoit se vouloir piquer d’une vertu du vieux temps, que de se garder toûjours à un Absent. On luy en conta. Elle ne ferma point l’oreille aux douceurs, & enfin un Homme de Magistrature, bien fait & fort riche, s’estant déclaré, elle le renvoya à sa Mere dont elle devoit suivre les volontez. Il avoit plus de bien que le Cavalier, & ainsi il n’eut pas plus de peine à persuader la Mere qu’il en avoit eu à gagner la Fille. Les avantages qu’il luy offroit estoient grands, & valoient bien qu’on ne se fist pas un point d’honneur de garder exactement sa parole. D’ailleurs les reproches du Cavalier n’estoient point à craindre, puis qu’il ne devoit apprendre la chose que quand elle seroit sans remede. On signe le Contract. On prend jour pour les Fiançailles, & on invite les Parens de part & d’autre pour rendre la Cerémonie plus solemnelle. Ce jour arrive. L’Amant heureux vient chez la Belle en Habit décent. La Belle se met dans une propreté qui luy donne de nouveaux charmes, & ils attendoient que la Compagnie fust assemblée, tres-satisfaits l’un de l’autre, quand tout d’un coup le Cavalier entre dans la Salle. Il va salüer la Belle, ou plûtost il cours l’embrasser comme une Personne qui luy est promise, & qu’il prétend épouser dans peu de jours. Il est reçeu avec la froideur que vous pouvez vous imaginer. La Belle est déconcertée. Elle ne s’attendoit à rien moins qu’à son retour, & ne sçait quel party prendre dans l’embaras où elle se trouve. L’Amant n’est pas moins surpris. Cette familiarité l’inquiete. On ne l’avoit point averty que sa Maistresse eust aucun engagement, & il ne peut deviner d’où vient qu’un Homme d’épée a de si grands privileges aupres d’elle. Le Cavalier transporté de sa passion, ne prend garde au desordre de l’un ny de l’autre. Il estoit party de Catalogne si-tost qu’on avoit eu nouvelle de la Paix signée, & comme il ne faut qu’aimer pour trouver moyen d’accourcir un long voyage, il avoit employé fort peu de jours en chemin, & estoit accouru chez la Belle presque en arrivant. Il tient les yeux attachez sur elle, la regarde quelques momens sans parler, & enfin luy dit les choses les plus tendres sur la joye qu’il a de la revoir. Il l’admire, la trouve plus belle que jamais, luy prend les mains, les luy baise, la prie de ne perdre plus de temps à se parer, parce qu’elle n’a besoin d’aucun ornement d’emprunt pour estre toute charmante, & adressant la parole à son Rival qui luy est encor inconnu, il luy demande s’il ne le tient pas heureux d’avoir une si belle Maistresse, & d’en estre aimé. L’Amant ne sçait que répondre. La Belle est dans un redoublement d’embarras inconcevable, & une Dame priée de la Feste entrant alors dans la Salle, ne peut les voir ainsi interdits l’un & l’autre, sans leur dire qu’ils paroissent bien chagrins pour des Gens qui sont prests à se marier. Le Cavalier qui s’aplique tout parce qu’il n’est remply que de son amour, répond qu’on ne sçauroit faire un plus grand plaisir que de ne point reculer. L’arrivée d’un Homme de Robe l’empesche d’en dire davantage. Ce nouveau venu à qui le Cavalier paroist un des Conviez, congratule les deux Amans sur leurs Fiançailles. Ce mot est un coup de foudre pour le Cavalier. Il voit sa Maistresse toute deconcertée qui baisse les yeux. Il fait refléxion qu’elle est dans une parure extraordinaire, remarque qu’elle a un Bouquet, & que tout est en mouvement dans le Logis, comme s’il s’y passoit quelque grande affaire. C’en estoit assez pour luy faire comprendre son malheur. Cependant il en veut estre éclaircy par elle-mesme. Il n’y avoit point à balancer. La Belle se résout de franchir le pas, & se servant des termes les plus honnestes & les plus consolans qu’elle peut trouver, elle luy fait connoistre le choix qu’elle a fait ; luy avouë que l’heure est prise pour ses Fiançailles ; adjoûte que s’il ne la retrouve pas la mesme qu’il l’avoit laissée, il ne doit s’en prendre qu’à une fatale necessité qui force les cœurs les plus fermes au changement. Le Cavalier ne garde plus de mesures. Il la traite de perfide, luy fait cent reproches, regarde son Rival d’un œil menaçant, luy dit qu’il sçait les moyens de l’empescher d’estre heureux, & voyant qu’on s’assemble au bruit qu’il fait, il sort dans un emportement si plein de fureur, que tous ceux qui sont accourus, en demeurent saisis d’effroy. Chacun se regarde. On est longtemps sans rien dire, & ceux qui parlent n’expliquent qu’à demy ce qu’ils pensent. Quoy qu’il semble que les Absens ayent toûjours tort, on ne laisse pas de plaindre le Malheureux. L’Assemblée acheve de se grossir, & comme les premiers racontent tout-bas ce qui s’est passé à ceux qui arrivent, personne n’ose se mettre de bonne humeur, & chacun garde son sérieux, comme si on prévoyoit quelque funeste suite de cette avanture. La Belle sur tout est inconsolable. Le Bien la tenoit moins attachée au dernier Amant qu’elle avoit choisy, que ses belles qualitez. Elle l’aimoit, & la certitude de l’épouser luy avoit fait abandonner son cœur à sa passion. Les menaces du Cavalier l’effrayent. Elle ne doute point qu’il n’ait médité quelque chose de violent contre son Rival, & elle est si vivement prévenuë de cette imagination, qu’elle ne voit plus de seûreté pour sa vie. On tâche de la rassurer, & apres deux heures de raisonnement sur le trop d’alarmes qu’elle se donne, on estoit prest de sortir pour la cerémonie des Fiançailles, quand un Laquais entre de la part du Cavalier avec un Billet. Elle court à luy, le luy arrache des mains, & le voyant sortir sans en demander réponse, elle s’écrie que c’est un Défy pour s’aller batre, qu’elle ne veut point qu’ils en viennent là, qu’on les accommode, & n’écoute point ce qu’œn luy oppose ; qu’il n’y a personne assez hardy pour entreprendre un Duel, & que d’ailleurs un Homme d’Epée n’avoit jamais attaqué un Homme de Robe. Elle ouvre le Billet en tremblant, & lit tout haut ce qui suit.

Animé des transports de l’espoir le plus doux,
Je viens avec ardeur embrasser vos genoux,
Et j’apprens, ô malheur ! ô funeste disgrace !
Que tandis que mon bras pour vous & pour l’honneur
Aidoit chez l’Espagnol à forcer une Place,
Un Ennemy secret m’enlevoit vostre cœur.
Aux plus vives fureurs mon ame s’abandonne,
Mon desespoir aigry n’épargnera personne,
Vous verrez ce Rival jusque dans vostre sein,
Percé de mille coups, succomber sous ma main.

Quelle fureur, s’écrie-t-elle en s’arrestant tout d’un coup en cet endroit ! C’est bien plus que de se vouloir batre avec son Rival. Il veut l’assassiner. Qu’il ne sorte point, il luy en coûteroit la vie. L’Amant luy fait connoistre qu’elle prend de vaines frayeurs, & la conjure de vouloir achever la cerémonie. Ses Parents l’en pressent de leur costé, & luy répondent de l’évenement. Elle n’écoute personne, & toûjours pleine de son transport, elle s’oppose si absolument à ce qu’on veut d’elle, que son Amant ne peut s’empescher de luy dire qu’en reculant son bonheur, il semble qu’elle cherche à se conserver à son Rival. Au lieu de répondre, elle continuë la lecture de son Billet, & y trouvant ces mots,

Je porteray plus loin les efforts de ma rage,
Et vous-mesme, perfide….

Allons, dit-elle en se tournant vers son Amant, vous le voulez, me voila preste, sortons. Puis qu’il en veut à mon sang aussi-bien qu’au vostre, je ne crains point ce qui me doit estre commun avec vous. En mesme temps elle donne la main à son Amant, & laisse prendre le Billet à une Dame qui ayant leû tout-bas ce qui restoit, dit que les dernieres menaces estoient bien plus terribles que les premieres, & qu’elle prioit qu’on les écoutast. On preste silence, & voicy ce qu’on entend.

Je porteray plus loin les efforts de ma rage,
Et vous-mesme, perfide…. Ah tout-beau, mon couroux,
Méprisons cette ingrate ; un an de mariage
    Me vangera bien mieux que vous.

Comme la Dame donnoit de la grace à ce qu’elle lisoit, tout le monde se mit à rire, parce qu’on s’apperçeut que c’estoient des Vers. La Belle les avoit leûs d’une maniere si traînante & si interrompuë, qu’ils avoient passé jusque-là pour de la Prose. Il ne fut pas difficile de juger qu’un Homme qui avoit l’esprit assez libre pour faire des Vers, n’estoit pas si en colere qu’il le disoit, & que les reproches estoient toute la vangeance qu’il vouloit prendre de la préference qu’on avoit donnée à son Rival. On plaisanta sur ces Vers, & une jeune Personne fort enjoüée dit agreablement, qu’il faloit empescher le Dieu Hymenée d’entrer, puis qu’il avoit entrepris de vanger un Amant desesperé. Cette menace ne fit point de peur à l’Amant. La céremonie fut achevée. Il en montra une extréme joye, & s’il eut quelque chagrin qui ne parut pas, ce fut de connoistre que sa Maistresse avoit eu une premiere passion dans le cœur.

[Tombeau de M. le Marquis de Montaut] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 124-132.

On a dressé un Tombeau à Mr le Marquis de Montaut, Fils unique de Monsieur le Mareschal Duc de Navailles. Je l’ay fait graver pour vous en faire voir la construction. Vous pouvez l’examiner dans cette Figure. Les neuf Vers Latins que vous y trouverez, font connoistre la gloire de ce jeune Marquis pendant sa vie, & les circonstances de sa mort. Il estoit tellement né pour la Guerre, qu’on a dit de luy avec beaucoup de justice qu’il avoit remporté des Victoires dans un âge où l’on est à peine capable de porter les armes. On sçait de quelle maniere il se distingua à la Bataille d’Espoüille, où il fit des merveilles avec son Regiment, dans la fonction de Brigadier, en la place de Mr de S. André qui s’estoit jetté dans Bellegarde. Ainsi on peut dire qu’il partagea en quelque façon l’honneur de cette Victoire avec Mr le Duc de Navailles son General & son Pere, aussi-bien qu’au premier Assaut de Puycerda, où Mr le Bret Lieutenant General fut témoin de sa valeur. Elle luy avoit déja acquis deux Charges, l’une de Colonel d’Infanterie, & l’autre de Brigadier de l’Armée. Il est mort sans fievre, & sans aucun accident qui eust paru dangereux. Son Valet de Chambre s’estant apperçeu à minuit qu’il se debatoit dans son Lit, cria au secours. On accourut, & il rendoit le dernier soûpir, quand Mr le Duc de Navailles entra dans sa Chambre. C’est ce qu’expriment les Vers qui disent qu’il l’a veu mourir sans qu’il ait eu la consolation de l’embrasser. Madame la Duchesse sa Mere, qui travailloit à luy choisir un Party digne de luy, estant allée au devant de l’un & de l’autre, fut arrestée en chemin par la funeste nouvelle de cette mort. Mr de Navailles a reçeu ce coup avec une fermeté surprenante. Voicy un Fragment de ce que luy a écrit là-dessus Mr Raginay Procureur du Roy à Lyon.

Fragment d’une

Lettre écrite à Monsieur le

Mareschal Du de Navailles,

sur la mort de Mr le Marquis

de Montaut son Fils.

Je ne sçay, Monseigneur, si j’oserois vous témoigner icy la douleur que je sens de la perte irréparable que vous venez de faire avec toute la France : mais vous me permettrez du moins d’admirer vostre fermeté singuliere en cette rencontre, qui m’empesche de craindre de vous en renouveler le souvenir, puis que vous avez mesme dénié à la Nature les premiers mouvemens de sensibilité qu’aucun Pere ne luy avoit refusez jusques à vous. Vous avez voulu sans-doute nous apprendre par là, qu’ayant donné & sacrifié à l’Etat ce Fils si genéralement estimé, & si justement regreté, c’est à nous seuls à le pleurer, parce qu’il ne vous appartenoit plus apres le don que vous nous en aviez fait ; & que l’ayant si souvent exposé aux périls inséparables de vos Emplois, vous n’aviez pas compté sur une vie que vous n’avez pas mieux ménagée que la vostre. Ce sont peut-estre, Monseigneur, ces glorieux & fréquens hazards qui nous ont attiré cette disgrace ; car la Mort se réglant plutost par ce qu’il a fait, que par le temps qu’il a vescu, elle l’a crû trois fois plus âgé qu’il ne l’estoit. Par cette raison pourtant il y auroit longtemps qu’elle nous auroit aussi ravy le Pere ; & il est plus à croire qu’ayant sçeu que vous l’aviez destiné entierement pour la Guerre, elle n’a pas crû qu’il dust survivre un moment à la nouvelle de la Paix. Vous voyez, Monseigneur, par les soins que je prens à chercher quelque matiere de consolation, à quel point je suis sensible à cet accident funeste, & que je connois parfaitement qu’il nous intéresse incomparablement plus que vous. C’est dans ce sentiment que je vous suplie de nous vouloir vous-mesme consoler. Je n’en sçay qu’un seul moyen ; c’est, dans le calme que nous donnent les Victoires ausquelles vous avez tant de part, de penser sérieusement à conserver vostre santé si précieuse à tout le Royaume, afin que nous puissions trouver dans la personne du Pere, les années que la Mort vient d’enlever à cet illustre Fils.

[M. le Comte de S. Aignan est reçeu Duc & Pair au Parlement, sous le nom de Duc de Beauvilliers] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 143-145.

Je viens, Madame, à ce que vous me dites de Mr le Duc de Beauvilliers. Je n’avois point douté que vous ne reconnussiez Mr le Comte de S. Aignan sous ce nom dans ce que je vous manday la derniere fois. Il fut reçeu au Parlement le second de ce Mois avec les Cerémonies accoûtumées. Deux jours apres, le Roy envoya à Mr le Duc de S. Aignan son Pere, un Brevet qui luy confirma tous les honneurs des Pairs dont il joüissoit auparavant, & le lendemain un second Brevet, par lequel Sa Majesté luy accordoit cinquante mille Ecus de retenuë sur son Gouvernement du Havre. Madame la Duchesse de Beauvilliers, seconde Fille de Mr Colbert, alla prendre le Tabouret chez la Reyne le Samedy quatriéme du mesme Mois.

Lettre de la Reyne de Portugal à M. le Duc de S. Aignan §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 145-149.

Je croy vous avoir déja marqué qu’il plust au Roy de donner il y a pres de deux ans à Mr de S. Aignan une petite Fregate qu’il arma en course, & qui eut l’avantage de batre quelques Corsaires aussitost apres. Comme ce Duc est naturellement Galant, il ne pût soufrir l’Eté dernier que sa Fregate luy demeurast inutile. Ainsi il l’envoya à Lisbonne avec des Fruits de sa Province pour la Reyne de Portugal, à laquelle il a l’honneur d’appartenir d’assez pres. Cette Princesse qui est toute pleine d’esprit, estant tres-civile d’elle mesme, & ayant toûjours conservé une estime particuliere pour ce Duc, luy écrivit la Lettre qui suit.

Lettre

de la Reyne

de Portugal,

à M. le Duc de S. Aignan.

Mon Cousin, J’ay reçeu avec grande joye la Lettre obligeante que vous m’avez écrite par le Capitaine du Vaisseau qui en estoit chargé, parce que je compte entre les bonheur de la vie, celuy de se voir dans le souvenir des Personnes pour qui l’on a une estime & une considération aussi particulieres que j’en ay toûjours eu, & que j’en ay encor pour vous, apres le long temps & la grande distance des lieux qui l’effacent assez aisément. Je vous en remercie donc affectueusement, aussi-bien que de vostre beau présent de Fruits, qui sont d’autant plus agreables, qu’on n’en voit point de cette espece-la en ces Païs-cy. J’ay déja fait dire au Capitaine de vostre Vaisseau, qu’il se tinst assuré de toute la protection que vous me demandez pour luy, souhaitant des occasions de vostre satisfaction encor plus importantes, & priant Dieu qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte garde. Ecrit à Salvaterre le 8. de l’an 1679. Mon Cousin, vostre bonne Cousine,

MARIE.

[Inpromptu de M. le Duc de S. Aignan fait devant le Roy] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 149-155.

Je croirois dérober beaucoup à vostre satisfaction, sçachant l’interest que vous prenez à la gloire de Mr le Duc de S. Aignan, si avant que de finir cet Article, je ne vous apprenois ce qui luy arriva d’assez extraordinaire au commencement de ce Mois. Le Roy, dont les entretiens sont toûjours proportionnez à sa Dignité & à l’élevation de son Esprit, estant dans une conversation fort sérieuse sur le sujet de l’Académie Françoise, qu’il a bien voulu honorer de sa protection, & parlant à Mrs les Marquis & Abbé d’Angeau, & à Mr Rose Secretaire du Cabinet, en présence de beaucoup de Personnes, Mr de S. Aignan entra, & Sa Majesté ayant dit d’abord, Voicy encor un Académicien, luy demanda s’il n’avoit point retenu un Sonnet dont on luy avoit parlé avec avantage. Ce Duc, dont la mémoire est assez connuë, ayant répondu que non, le Roy luy témoigna estre surpris de ce qu’il ne le sçavoit point par cœur, apres l’avoir entendu une fois. Surquoy il repartit galamment : Sire, le sujet en est si grand & si relevé, & l’on en a tant fait avec beaucoup de raison à la loüange de Vostre Majesté, que l’un fait oublier l’autre. Le Roy ayant répliqué en soûriant, qu’il luy en fist un, puis qu’il ne sçavoit point celut qu’il luy demandoit, Mr Rose luy donna les Bouts-rimez que vous allez voir. Ce Duc jetta seulement les yeux dessus, & sans sortir du Cabinet de Sa Majesté, il vint à bout du Sonnet en aussi peu de temps qu’il luy en falut pour l’écrire.

Sonnet.

D’Un Roy cent fois plus grand que le fameux César,
Qui passe de bien loin Alexandre & Pompée,
On va voir aujourd’huy l’espérance trompée,
Car si je réüssis, ce n’est que par hazard.

***
Il seroit le Vainqueur du Tartare & du Czar ;
Qui veut luy resister, voit sa valeur dupée ;
Il chérit plus l’honneur, qu’un Enfant sa Poupée,
Contre luy le plus brave est froid comme un Puisart.

***
Son mérite est encor plus grand que sa Couronne,
De peur de ses Edits nul ne se dé-boutonne,
Eust-on toûjours vescu de Truffe & d’Artichaud.

***
Son Ame, de la Gloire est avide & gloutonne,
Et jamais pour gronder nul mutin ne bourdonne,
Fust-il plus embrasé que le feu d’un Réchaut.

Toute la Cour ayant admiré une chose si peu commune, Mr Pélisson & Mr Rose tomberent dans le mesme sentiment, que plus les Rimes que l’on donnoit estoient communes & faciles, plus le Sonnet estoit malaisé.

Sonnet §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 155-156.

On voulut en faire l’épreuve4 ; & le lendemain lors que Mr le Duc de S. Aignan rentroit chez luy, il trouva les Bouts-Rimez qui suivent, & fit ce second Sonnet sur la mesme matiere aussi promptement qu’il avoit fait l’autre.

Sonnet.

Un Roy grand & magnanime,
Qu’admire tout l’Univers,
Et dont l’Esprit est sublime,
Veut que je fasse des Vers.

***
Je vay perdre son estime,
J’écriray tout de travers,
Car je suis bien las de Rime,
Et j’ay mille soins divers.

***
Pourtant n’écoutons personne,
Puis que ce Grand Roy l’ordonne,
Il faut en venir à bout.

***
Travaillons sans répugnance,
Une prompte obéïssance
Nous met à couvert de tout.

[Stances] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 156-159.

Je ne vous puis dire si les Stances que j’adjoûte icy ont coûté beaucoup de temps. L’Autheur ne m’en est point connu, & le hazard seul me les a fait tomber entre les mains ; mais elles me paroissent d’un Génie fort aisé, & je me tiens seûr que le tour vous en plaira aussi-bien que la matiere.

A Mr le Brun.

    Toy, dont le fidelle Pinceau
Sçait si bien suivre la Nature,
Le Brun, j’en voudrois un Tableau
En pastel, en miniature,
En craye, en crayon ; mais enfin
Dust-il estre fait de fuzin,
N’importe de quelle matiere.
Pour peu que tu formes de traits,
Et que de ta main ils soient faits,
On y connoistra ta maniere.

***
    Conçois un sujet sérieux
Dans ta fertile & noble idée,
Phaëton foudroyé des Cieux,
Jason poursuivy par Médée,
Le laid Marsias écorché,
Prométhée au Roc attaché
Que son crime au Vautour expose.
Ces Sujets sont tristes aux yeux,
Prenons-en un qui plaise mieux,
Sans feinte & sans métamorphose.

***
    Pourrois-tu peindre un Conquérant
Tout environné de sa gloire,
Goûtant d’un air indiférent
Les plus doux fruits de sa victoire ?
Fais pourtant qu’il ait dans les yeux
Ce brillant qui des Demy-Dieux
Rend la majesté fiere & grande.
Dépeins-le dans le Champ de Mars,
Forçant l’Heritier des Césars
A signer la Paix qu’il commande.

***
    Pour bien employer ton Pinceau
Dans toute sa force & sa grace,
Peut-estre que dans ce Tableau
Tu peindras le Dieu de la Thrace.
Non ; peins le plus grands des Mortels,
Mais qui mérite des Autels
Au dela de ceux de nostre âge,
Par ses faits d’Armes inoüis ;
Enfin tu dépeindras Louis,
Et voila ton parfait Ouvrage.

[Entrée de Madame la Duchesse de Mekelbourg à Hannover] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 161-179.

La nouvelle s’estant répanduë que Madame la Duchesse de Mekelbourg venoit à Hannover, Mr l’Evesque d’Osnabruch s’y rendit le premier de Fevrier avec Madame la Princesse sa Femme. Ne soyez pas surprise de m’entendre parler de cette sorte. Les Evesques Luthériens ont permission de se marier, & il y a cela de particulier dans l’Evesché d’Osnabruch, qu’il se donne alternativement à un Luthérien & à un Catholique. Celuy qui en est pourveu presentement est un Prince à faire la guerre au Turc, & qui outre la bravoure, a toutes les qualitez qui gagnent l’estime & l’amour des Peuples. Quand on n’auroit jamais entendu parler de Madame la Princesse d’Osnabruch, & qu’on ne sçauroit point qu’estant Sœur de l’Electeur Palatin, elle est Tante de Madame, son grand air ; son esprit merveilleux, & toutes ses manieres nobles & élevées, luy feroient rendre la justice deuë à un grand mérite & à une Personne de haute naissance. Ce qui est en elle de plus surprenant, c’est qu’on puisse la prendre pour la Sœur de deux de ses Fils, qui sont deux grands Princes parfaitement beaux & bien faits, tant cette Princesse paroist encor jeune & belle. Aussi ne ressemble-t-elle pas à ces Meres qui cachent leurs Filles, & ne les soufrent jamais aupres d’elles, de peur qu’un trop grand éclat de jeunesse ne fasse tort à quelque reste de beauté dont elles veulent encor faire parade. Madame d’Osnabruch mene par tout avec elle la plus belle Princesse du monde, sans en rien craindre qui luy puisse estre desavantageux. Ce n’est que faire voir son portrait dans cette beauté naissante, & les loüanges qu’on donne à l’une, sont toûjours par raport à l’autre. Tous ces Princes & Princesses, avec une Suite nombreuse de Cavaliers & de Gens en Livrée tres-riche & tres-magnifique, descendirent dans la Court du Chasteau, où Monsieur le Duc & Madame la Duchesse de Hannover vinrent à leur rencontre avec Mesdames les Princesses leurs Filles. La joye qui paroissoit sur le visage de cette Duchesse, y faisoit briller un éclat & une vivacité de teint qui luy donnoit tous les charmes qu’on peut desirer dans une belle & jeune Personne. Elle est Fille de Madame la Princesse Palatine qui est icy, & Sœur de Madame la Duchesse. Pour Mr le Duc de Hannover, on ne voit rien en luy qui ne charme. C’est de l’esprit par tout, aussi-bien que de la grandeur ; & quand il ne seroit pas Prince, ce seroit toûjours un de ces grands Hommes dont le mérite est singulier, & la Personne tres-considérable.

Le 4. de Fevrier, sur l’avis qu’on eut que Madame la Duchesse de Meklebourg estoit partie de Zell, toute la Maison de Mr le Duc de Hannover fut commandée pour aller au devant d’elle, & Leurs Altesses s’estant avancées jusqu’à une demy lieuë de la Ville, s’arresterent dans cet endroit, où l’on avoit fait dresser une Tente pour la recevoir. L’entreveuë de tant de Personnes du plus haut rang fut quelque chose digne d’estre veu. Apres les premiers complimens, on marcha dans l’ordre qui suit, afin de rendre l’entrée de cette Princesse plus solemnelle.

Le Grand Ecuyer de Mr le Duc de Hannover commença la Marche à la teste de l’Ecurie. Il estoit suivy de trente Personnes en Livrée à cheval, & qui tenoïent trente beaux Chevaux de main, couverts de diférentes Housses en broderie également riches & brillantes dans la diversité de leurs couleurs & de leurs dorures. Vingt-cinq Carrosses à six Chevaux suivoient à la file, & formoient une diférence d’attelages, de harnois, & d’ornemens, fort agreables à la veuë. Douze Pages en Livrée, & des mieux ajustez, continuoient cette Marche à deux, tous montez à l’avantage, & précedez de leur Gouverneur. A quelques pas de distance, marchoit le Grand Mareschal de la Cour à la teste de soixante Gentilhommes, dont les uns estoient couverts de riche broderie d’or & d’argent, & les autres magnifiquement habillez, chacun à son gré & à sa maniere. Douze Trompetes en Livrée, avec leurs Tymbales, marchant sur deux lignes devant le Carrosse des Princes, joüoient cent fanfares à réjoüir les cœurs les plus insensibles à la joye. Enfin le magnifique Carrosse de Madame la Duchesse de Hannover, tout couvert de dorures & de broderies à fond de velours cramoisy, & environné de crépines & de grosses campanes d’or & d’argent, tiré par six superbes Chevaux de couleur isabelle, marchoit pompeusement au petit pas, tout glorieux de porter quatre si belles & si spirituelles Princesses. Une foule de Valets de pied en livrée riche & éclatante, entouroit cet admirable Char de triomphe, & on peut dire que les Héroïnes qui estoient dedans auroient passé pour des Divinitez du premier rang dans le temps qu’on adoroit les belles Personnes. Six-vingt Gardes du Corps en Escadron, l’Epée nuë à la main, tous en Casaques rouges, brodées d’or & d’argent, d’une mesme parure, avec leur Colonel à leur teste, & leur Major à la queuë, fermoient cette Marche, à laquelle ils ne donnoient pas peu d’éclat.

On entra dans la Ville en cet ordre au bruit du Canon, & tout ce nombreux Cortege vint se ranger dans la grande Court du Palais, par où le grand Carrosse passa pour se rendre au pied de l’Escalier qui conduit au plus bel Apartement du Chasteau. On l’avoit préparé pour Madame la Duchesse de Meklebourg. Mr l’Evesque d’Osnabruch donna la main à cette Princesse en descendant de Carrosse. Mr de Hannover la donna à Madame d’Osnabruch ; le Prince aisné d’Osnabruch, à Madame de Hannover ; & le grand Mareschal de la Cour, à la jeune Princesse d’Osnabruch. La mesme civilité a continué dans toutes les rencontres pendant douze jours que Madame la Duchesse de Meklebourg a passez à Hannover, & qui ont esté employez en diverses réjoüissances.

Entr'autres divertissemens on luy a donné deux Représentations du nouvel Opéra Italien de cette Cour, & une de celuy de l’Année derniere. Ces Opéra sont representez par ceux de la Musique Italienne que Mr le Duc de Hannover entretient toûjours à son service. On a encor donné à cette Princesse le divertissement d’une Chasse de Renards dans l’enclos de la grande Court du Chasteau. On y fit sauter ces Animaux en l’air, en passant par dessus des Echelles de cordes qu’on tenoit par les deux bouts, & qu’on élevoit à force de bras. Le plaisir du Vuirtschaff qu’on luy fit prendre à l’impourveu quelques jours apres, n’a pas esté un des moindres qu’elle ait reçeus. C'est une espece de Mascarade à la mode d’Allemagne. Mr d’Osnabruch y parut en Arménien ; Madame de Meklebourg, en Dame Suédoise ; Mr de Hannover, en Noble Venitien ; Madame d’Osnabruch, en Homme de Robe ; Madame de Hannover, en Dame Persane ; l’aisné des Princes d’Osnabruch, en Paîsan ; le Prince son Frere, en habit de Femme ; & la jeune Princesse leur Sœur, en Indienne de qualité. Le reste de la Cour s’accomoda à sa fantaisie, selon que le pût permettre le peu de temps qu’on avoit donné pour se déguiser. Il y eut un magnifique Soupé, apres lequel la plus grande partie de la nuit fut employée à la Dance.

Il n’y a eu aucune de ces occasions où Madame la Duchesse de Mekelbourg ne se soit fait admirer tant pour les avantages de sa personne, que pour le grand air qui l’accompagne. Elle y a reçeu tous les honneurs qui sont deûs au rang qu’elle tient, & à l’illustre sang de Montmorency. Je ne vous dis point qu’elle est Sœur de Monsieur le Duc de Luxembourg. C’est une chose qui vous est connuë.

Voilà, Madame, ce que j’ay tiré d’une Relation envoyée de Hannover, dans les mesmes termes dont je me suis servy pour vous l’écrire. A présent que nous sommes en paix avec l’Allemagne, je ne doute point qu’on ne prenne soin de me faire part de ce qui se passera de plus remarquable dans les Cours de tant de Princes qui y possedent le Titre de Souverains. Ce seront d’agreables Articles pour vous, & je croy vous faire plaisir de vous les promettre.

[Tailles douces en Tableaux] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 179-184.

On voit tous les jours des choses nouvelles dans ce Royaume. Les François n’imaginent pas seulement, mais ils executent, & sur tout à Paris, où pendant la guerre, les Arts ont augmenté en inventions comme en entreprises. Les Graveurs n’avoient fait jusqu’icy des Tailles-douces que d’une grandeur fort médiocre, en comparaison des Tableaux que nous voyons à present de cette nature. Il sembloit mesme impossible d’aller au delà de cette médiocrité, à cause de la longueur du travail, de la grandeur des Cuivres necessaires pour graver, & de la hauteur & largeur des Papiers. Cependant le Sieur Landry, Graveur & Marchand de Tailles-douces, demeurant Ruë S. Jacques à l’Enseigne de S. François de Sales, a surmonté toutes ces difficultez, & a fait voir une Taille-douce qui peut servir de Tableau d’Autel. C’est une Nativité toute remplie de Figures, tant dans le Ciel que sur la Terre. Elle est de sept pieds de hauteur & cinq de large, & faite sur un Tableau du sçavant Pierre Berretin Cortonen, fameux Peintre Romain. Le Sieur Landry acheve presentement un Crucifix de mesme hauteur & de mesme largeur. C’est à luy qu’on doit quatre Tailles-douces de quatre pieds de large sur deux pieds deux poulces de haut, en forme de frise. Les sujets qui les composent sont la Terre, l’Eau, l’Air, & le Feu. Ces beaux Ouvrages sont gravez d’apres les Tableaux peints par Mr de Corneille l’aîné, de l’Académie des Peintres. Vous voyez, Madame, que ce nom est illustre en plusieurs manieres, & que c’est assez de le porter pour faire bruit dans le monde. Le mesme Graveur a aussi donné quatre Pieces au Public de pareille largeur & hauteur que les précedentes. Ces Pieces sont le Printemps, l’Eté, l’Automne, & l’Hyver. Elles peuvent passer pour Originales, n’estant gravées d’apres aucuns Tableaux, & Mr le Pautre le Pere en ayant fait les Desseins. Je ne puis finir sans vous parler encor de quatre autres Tailles-douces aussi larges & aussi hautes. Elles representent la Mort, le Purgatoire, l’Ame bienheureuse, & l’Ame damnée. Elles sont faites d’apres les Tableaux peints par le Frere Luc Récolet. Toutes ces Tailles-douces estant d’apres de grands Maistres, dont les Originaux coûtent des sommes immenses, on peut dire qu’elles valent beaucoup mieux que de veritables Tableaux, mal peints & estropiez.

[Monseigneur le Dauphin va une seconde fois à l’Opéra de Bellérophon] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 184-189.Voir également l'article du Mercure du mois de février 1679

J'allay voir la trentiéme Representation du nouvel Opéra de Bellérophon le Dimanche dix-neuf de ce Mois, & le plaisir que j’y reçeus m’empécha d’estre surpris du grand monde que j’y trouvai. Ce n’est point ce qu’on appelle Chansonnetes qui l’y attire. Elles y sont en fort petit nombre, la grandeur du Sujet n’ayant pû soufrir que l’Autheur soit sorty de sa matiere. Ce que je remarquay qui plaisoit particulierement dans cet Ouvrage, c’est d’y voir l’action suivie par tout, en sorte qu’il n’y a aucune Scene qui n’ait de l’enchaînement avec celle qui l’a precedée, ce qui n’y laisse aucun endroit languissant. Quand on observe cette conduite dans un Opéra ; que les divertissemens qu’on y fait entrer naissent de la Piece mesme, & font une partie de l’action (ce que nous voyons fort rarement,) que la Musique est d’un aussi grand Homme que Mr de Lully, & qu’on n’épargne rien pour le reste, il est impossible que cet Opéra manque de succés ; & c’est par cette raison que celuy de Bellérophon a esté au delà de tout ce qu’on a veu jusqu’icy de cette nature. Je vous dis vray en vous mandant la derniere fois que Monseigneur le Dauphin qui l’avoit veu le jour de sa Mascarade chez Mr le Prince de Strasbourg, en estoit sorty tres-satisfait. On n’en peut douter, puis qu’il l’a voulu revoir depuis trois semaines. Il en parla encor plus avantageusement qu’il n’avoit fait la premiere fois. Les Dames qui estoient avec luy n’en furent pas moins contentes, & cette Representation leur fut un fort agreable divertissement. Ce jeune Prince avoit disné chez Monsieur, ce jour-là mesme. Il estoit à table entre Leurs Altesses Royales. A la droite, du costé de Monsieur, estoient Mademoiselle, Madame de Montespan, Madame la Duchesse Sforce, Madame la Duchesse de la Ferté, Madame la Comtesse de Gramont, & Madame la Mareschale de Clerambaut. A la gauche, du costé de Madame, estoient Mademoiselle de Valois, & Mr le Comte de Vermandois. L’apresdînée, Monseigneur le Dauphin, & Madame de Montespan, tinrent sur les Fonts, dans la Chapelle haute du Palais Royal, le Fils de Mr le Comte de Moreüil. Madame la Comtesse de Moreüil sa Femme a esté Fille d’honneur de la Reyne sous le nom de Mademoiselle de Dampierre.

[Opéra representé à Castelnaudary] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 189-192.Voir également l'article du Mercure du mois de février 1679

Ce n’est pas seulement à Paris que les Opéra sont le divertissement le plus recherché. Outre celuy de Montpellier dont je vous ay envoyé les Vers, il s’en est fait un à Castelnaudary, pour marquer la joye que la Publication de la Paix y a causée. On n’y a pas oublié les Décorations ; & comme les François ont beaucoup d’invention, & qu’ils ne peuvent demeurer oysifs, un Architecte employé aux Ouvrages du Canal de la jonction des deux Mers, se trouvant en pouvoir de disposer de son temps, entreprit les Machines qui devoient servir à ce Spectacle, & satisfit beaucoup un grand nombre de Personnes de qualité & de mérite que la Séance de la Chambre de l’Edit de Languedoc avoit attirées en cette Ville-là. Je m’informeray du nom de celuy qui a fait les Vers de cet Opéra, pour vous le mander ; & cependant je croy que vous ne serez pas fâchée d’apprendre que vous avez tres bien jugé de Mr de Bérigny Conseiller au Présidial de Caën, quand sur les Pieces galantes que je vous ay envoyées de luy, vous avez dit qu’il avoit beaucoup de talent pour la Poësie. Il faut en effet que sa veine soit fort aisée, puis qu’il a presenté au Roy depuis quelques jours un Abregé en Vers de toute l’Histoire de France, depuis Pharamond jusqu’à la Paix d’Allemagne. Cet Ouvrage fut tres-bien reçeu de Sa Majesté. Il est sous la Presse. Je vous en diray davantage quand je sçauray le jugement qu’en aura fait le Public.

Inpromptu §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 192-194.

Il5 a esté fort favorable à deux Quadrains qui ont couru de la façon du Fils d’un Auditeur de la Chambre des Comptes de Dijon. Une Dame luy reprocha dans un Bal, qu’il estoit sorty de cadence, & il fit l’Inpromptu qui suit sur ce reproche.

Inpromptu.

Lors que je vous vois dans la Danse
Briller avec tous vos appas,
Il ne se peut que je ne pense
Que l’Amour anime vos pas.

***
Pour vous, si je sors de cadence,
Tout ce que vous devez penser,
C’est qu’un Homme en vostre présence
Ne sçait plus sur quel pied danser.

Epitaphe pour une Belle Vivante §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 194-195.

Autre Inpromptu d’une autre nature. Une Belle pleine de santé avoit demandé qu’on luy fist son Epitaphe. La demande paroissoit bizarre, & on ne concevoit pas trop bien ce qu’on pouvoit faire sur ce sujet pour une Personne qui n’avoit aucun dessein de renoncer à la vie. Un Cavalier qui ne luy avoit encor parlé de sa passion que par ses regards, prit cette occasion de se déclarer, & apres avoir resvé quelques momens, il luy dit en montrant son cœur ;

Epitaphe

pour une Belle Vivante.

Cy gist Iris. Ce cœur où cette Belle
    Repose avec tous ses attraits,
    N’est-il pas un tombeau pour elle ?
    Elle n’en sortira jamais.

Air italien §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 195-197.

Les Amans jurent toûjours d’aimer éternellement. Voyez-le dans ces Vers Italiens, comme vous venez de le voir dans cet Epitaphe. Ils m’ont esté envoyez de Rome avec les Notes que j’ay fait graver. Puis que la Graveure vous plaist mieux en Musique que l’Impression, j’auray soin à l’avenir de vous satisfaire. Les Connoisseurs estiment fort celle qui a esté faite sur ces Paroles. Vous en jugerez.

AIR ITALIEN.

Avis pour placer les Figures : l’Air Italien doit regarder la page 196.
E'cosi dolce la pena ch'io sento
    Che nel tormento
    Voglio gioire,
    Voglio morire ;
    Senza pietà.
Godo gioire del mio penare.
    Voglio amare
    Con candida fè,
Voglio servire senza mercé
    Ardasi, auvampasi,
    Struggasi, abbrugia si,
Voglio adorare divina beltà.
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[Vers contre la seiziéme Conclusion des Theses galantes du Mercure du Mois de Fevrier] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 202-207.

Les Theses galantes employées dans ma Lettre du dernier Mois, ont engagé Mr Gardien Secretaire du Roy, à répondre ce qui suit sur la seixiéme Conclusion. Elle porte, Que bien souvent les Amans souhaitent des imperfections dans ce qu’ils aiment, afin que l’envie ne trouble point leur bonheur.

Contre la seizieme

Conclusion des Theses ga-

lantes du Mercure du Mois

de Fevrier.

Fut-il jamais, grands Dieux ! de semblable manie ?
Tout cœur qui sçait aimer, en doit estre surpris.
Quoy ! pour sauver l’Amour de la dent de l’Envie,
L’exposer à périr dans les bras du Mépris !

***
De quelque vive ardeur qu’un Objet nous anime,
Si d’imperfections nous le voyons atteint,
La tendresse bientost se perd apres l’estime ;
Nostre feu ralenty s’évapore, & s’éteint.

***
Un amour alarmé d’un trouble imaginaire,
Pour azile doit-il se creuser un Tombeau,
Et pour de vains périls d’une guerre étrangere,
D’une guerre intestine allumer le flambeau ?

***
Que diray-je de plus ? Malgré nos avantages,
Sur des maux incertains porter si loin nos yeux,
C’est s’éloigner du Port pour chercher des orages,
C’est à se perdre enfin se rendre ingénieux.

***
O vous, qui rabaissez ce qu’il faut qu’on adore,
Craignez, lâches souhaits, en voulant le ternir,
Que sur vostre fureur il n’encherisse encore,
Et que son changement ne serve à vous punir.

Le mesme Mr Gardien donnant un sens plus étroit à cette Conclusion, & suposant qu’un Amant souhaite des pertes & des disgraces à sa Maistresse, afin qu’en la secourant il puisse estre plus en état de s’en faire aimer, répond ce que vous allez voir.

Qui se flate d’aimer, & peut à ce qu’il aime,
Du Destin en couroux souhaiter les rigueurs,
Afin qu’à la Beauté dont il tarit les pleurs,
Ses bienfaits prouvent mieux sa passion extréme ;
    Par ce bizarre sentiment,
Ou de sa Souveraine il fait sa Tributaire,
    Il se déclare Mercenaire,
    Et perd la qualité d’Amant.

***
Un véritable amour n’inspire aux belles Ames
Que des soins genéreux, & des vœux épurez ;
La gloire, & le repos, de l’objet de nos flames,
Sont des droits, qui pour nous doivent estre sacrez.
Qu’il honore nos dons d’un seul regard propice,
Est-il grace plus grande, & sort plus glorieux ?
Croyons toûjours du sien luy faire un sacrifice,
Et quand nous luy donnons, que ce soit comme aux Dieux.

Le Soleil et les Planetes. Fable §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 221-225.

On m’envoye présentement la Piece qui suit. Elle est du temps, & fera une agreable diversité parmy les nouvelles que je vous écris.

Le Soleil,

et les Planetes.

Fable.

Les Planetes par fantaisie,
Les uns disent par jalousie,
D’autres par orgueil sans pareil,
Faisoient la guerre à leur Soleil.
Saturne, & son lent Satellite,
Jupiter, & ceux de sa suite,
Et quelques autres Planeteaux,
Qui sont Phœnomenes nouveaux,
Faisoient une triple alliance,
Et s’estant joints d’intelligence,
Venoient se poster, se dit-on,
Dedans le Signe du Lyon.
L’Astre du Jour, qui les éclaire,
Qui les voit, & les considere,
Craignant que leur conjonction
Ne fist de la division,
Et du desordre en la Nature,
Qui déja bien fort en murmure,
S’animant d’un juste couroux,
Les vainc, & les disperse tous.
En vain les Fuyards se rallient,
Toûjours vaincus, toûjours ils fuyent,
Et le Soleil au milieu d’eux
Toûjours vainqueur, toûjours heureux,
Les va battant de ses lumieres,
Les rabatant jusqu’en leurs Spheres,
Où chacun fuit de son costé,
Cherchant un lieu de seûreté.
Plusieurs d’entr’eux retrograderent,
Du Signe du Lyon passerent,
Qui jusqu’au Cancre, qui plus loin,
Selon leur plus pressant besoin.
Le Soleil voyant les Planetes
Errer comme tristes Cometes,
L’un s’éclypser, l’autre blémir,
Et le pauvre monde gémir,
Suspend le cours de sa victoire,
Et pour éterniser sa gloire,
Il veut par cent moyens divers
Donner la Paix à l’Univers.
Alors par sa prudence extréme
Il en fait plusieurs Plans luy-méme,
Et sans sortir hors de ses droits,
Luy-mesme il en prescrit les Loix.
On les publie, on les envoye,
On les reçoit avecque joye :
La premiere porte ces mots,
Allez, vivez, Monde, en repos ;
Et vous, Planetes satellites,
Ne sortez plus de vos limites
Où je vous borne pour jamais,
Et vous laisse regner en paix ;
Tandis que du haut de ma Sphere,
Toûjours brillant dans ma lumiere,
Me répandant de toutes parts,
Par mes rayons, par mes regars,
Et par ma vertu sans seconde,
Je regneray dans tout le monde.

L’Epreuve dangereuse, Histoire §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 225-255.

Je vous laisse faire l’application de cette Fables, & viens à une Avanture dont je ne puis diférer plus long-temps à vous faire part.

Un fort galant Homme, ayant épousé depuis six mois une jeune Veuve aussi sage que bien faite, & aussi spirituelle que riche, avoit pour elle tous les égards que l’honnesteté pouvoit demander ; mais comme l’amour avoit eu moins de part à son Mariage que la considération des avantages qu’il en retiroit, malgré tant de bonnes qualitez, il ne sentoit point pour la Dame ce fond de tendresse qui laisse un coeur incapable de tout autre engagement. Ainsi il estoit prodigue de douceurs par tout où il rencontroit des Belles, & si ses coqueteries n’avoient point de suite, c’estoit moins par le scrupule qu’il eust deû s’en faire, que pour n’en trouver pas l’occasion assez favorable. Son panchant pour toutes les conversations flateuses, luy permettoit peu de rester chez luy. Il s’en justifioit quelquefois aupres de sa Femme, & luy faisoit croire que ses Amis l’engageoient à de continuelles Parties, dont il ne pouvoit se défendre sans paroistre de méchante humeur. La Dame qui avoit beaucoup de prudence, se contentoit de luy dire qu’elle se croiroit injuste, si elle s’oposoit à ses plaisirs ; qu’il estoit d’un âge à chercher les agreables Parties, & que comme elle estoit persuadée qu’il ne s’en permettoit aucune qui préjudiciast à la tendresse qu’il luy devoit, & qu’elle tâcheroit toûjours de meriter par la sienne, elle se faisoit une joye de tout ce qui le pouvoit divertir. Quoy que tant d’honnesteté redoublast l’estime qu’il avoit pour elle, il n’en estoit pas moins empressé à faire de galantes protestations, & peut estre ne tenoit-il pas à luy que quelque Belle ne fixast ses vœux. Le Carnaval vint. Son plus grand plaisir estoit celuy de courir le Bal. Il s’y donna tout entier, & passa peu de jours sans aller masqué dans les Assemblées. Sa Femme luy aidoit à se déguiser, & luy disoit toûjours en riant qu’il prist bien garde à luy raporter son cœur. Il luy jura plusieurs fois qu’il seroit ravy qu’elle fust de ces sortes de Parties, mais que c’estoit quelque chose de si embarassant que la conduite des Femmes dans des lieux où la foule apportoit toûjours du desordre, qu’il n’osoit luy rien offrir là-dessus ; qu’elle avoit d’aimables Voisines qui aimoient le jeu, & qu’il la prioit de faire une étroite societé avec elles. La Dame trouvoit cette défaite plausible. La priere que son Mary luy faisoit de chercher à se divertir, estoit obligeante, & elle répondoit aux soins qu’il sembloit prendre de ses plaisirs, par toutes les complaisances qui pouvoient la rendre plus digne de son amour. Cependant ce divertissement d’Assemblées trop souvent reïteré, fit naistre à la Dame quelque envie de voir le personnage qu’y pouvoit joüer son Mary. Elle fit confidence de son dessein à une de ses meilleures Amies, & un soir qu’il s’estoit habillé chez luy en Turc, & que par là il luy devoit estre fort aisé de le reconnoistre, elle se deguisa en Egyptienne, & son Amie en Bergere, mais dans un équipage si propre quoy que modeste, qu’elles s’attirerent l’admiration de toutes les Assemblées où elles parurent. Deux Parens de l’Amie fort galamment ajustez, les accompagnoient. La Dame observa tous les Masques des deux premiers Bals sans découvrir son cher Turc, & à peine eut elle demeuré un moment dans le troisiéme, qu’elle l’aperçût qui faisoit la reverence pour dancer. Elle sentit d’abord une émotion qui la surprit par la crainte qu’elle eut de voir quelque chose qui ne luy plust pas. Elle se remit un peu, & eut la force de le regarder en face comme si elle eust souhaité dancer avec luy. La chose arriva. Il la salüa de la teste, & luy dit galamment apres la dance, qu’il auroit voulu mériter qu’une si aimable Egyptienne luy dist sa bonne avanture. Elle répondit qu’elle estoit des plus expertes dans son mestier, & qu’il n’y avoit personne si capable qu’elle de luy dire des veritez dont il conviendroit. Il n’en falut pas davantage pour luy faire noüer conversation avec l’agreable Egyptienne, si-tost qu’elle se fut acquitée d’une seconde Courante. Elle consentit volontiers à se tirer un peu à quartier, demanda d’abord à voir sa main droite, observa ensuite toutes les lignes de la gauche, & apres tout ce prélude, ordinaire aux Gens qui se meslent de Chiromancie, elle luy dit des choses si positives sur ce qui luy estoit arrivé de plus secret, que soit par les regles de son Art, soit parce qu’elle le connoissoit, il fut convaincu qu’il parloit à une Personne qui n’ignoroit rien de ses affaires. Cependant elle luy faisoit paroistre tant d’esprit, & le brillant de ses yeux joint à l’agrément de sa taille avoit de si grands charmes pour le Turc, qu’il ne se lassoit point de l’entretenir. Il voulut sçavoir ce qu’elle pensoit de son cœur. C’estoit un article que la crainte d’apprendre trop luy avoit toûjours fait éviter, mais enfin elle ne se pût dispenser de luy répondre que sans faire d’examen plus particulier, elle jureroit bien que ses sentimens n’avoient aucune conformité avec l’habit qu’il portoit. Il en demeura d’accord, en luy protestant qu’il sentoit pour elle depuis un moment ce qu’il n’avoit jamais senty pour personne, & qu’il se tiendroit bien glorieux si elle vouloit soufrir qu’il luy fist connoistre qu’il n’avoit rien moins que l’ame d’un Turc. Une déclaration si peu attenduë donna du chagrin à la belle Egyptienne, mais comme elle avoit interest à dissimuler, elle cacha son émotion, & continua de parler avec son premier enjoüement. Elle dit au Turc qu’elle ne s’étonnoit point qu’il ne pust la voir sans sentir quelque chose d’extraordinaire ; que c’estoit l’ascendant de son étoile qui agissoit malgré-luy, & que peut-estre il hazardoit moins à ne s’y pas opposer pour elle, qu’il ne feroit s’il s’y soûmettoit en faveur d’une autre ; mais qu’il songeast qu’il estoit parfaitement aimé d’une Personne qui luy ayant donné tout son cœur, seroit au desespoir s’il portoit ailleurs la tendresse qui luy estoit deuë ; qu’il devoit craindre qu’il ne luy prist envie de s’en vanger ; qu’ayant du merite il ne luy seroit pas difficile d’en trouver l’occasion ; & que si elle se resolvoit à la chercher, elle luy feroit plus soufrir d’inquiétude par sa galanterie, qu’il ne luy en pourroit causer par la sienne. Le Turc n’eut pas de peine à comprendre par cet avis que l’Egyptienne le connoissoit. Il en eut de la joye, parce qu’il crut que sçachant à qui on en vouloit en noüant cette avanture avec luy, on estoit déja satisfait de sa Personne, & qu’il n’estoit question pour la mener jusqu’au dénoüement, que de donner des suretez de l’attachement qu’il pouvoit promettre. Ainsi il s’épuisa en tendres protestations, & finit en conjurant fortement la Dame de ne luy point cacher ce qui se passoit dans son cœur, puis qu’elle estoit convaincuë que son étoile l’engageoit indispensablement à prendre une liaison particuliere avec elle. La Dame luy répondit, que s’il avoit un habit d’Egyptien comme elle en avoit un d’Egyptienne, il sçauroit malgré elle ce qu’il demandoit ; que ces sortes d’habillemens donnoient des lumieres extraordinaires pour découvrir les secrets les plus cachez ; qu’il en voyoit une preuve dans ce qu’elle sçavoit de luy ; que cependant si elle croyoit qu’il fust sincere, elle luy diroit qu’elle alloit tous les jours à onze heures, à une Eglise qu’elle luy nomma, mais qu’elle estoit persuadée qu’il ne penseroit plus à elle si-tost qu’ils se seroient separez, & que la curiosité de la voir n’auroit rien d’assez fort pour luy faire accepter le rendez-vous.

Je ne vous diray point, Madame, avec quelle joye la proposition fut reçeuë. Le Turc vouloit se jetter aux pieds de l’Egyptienne. Elle l’empescha, & sur la priere qu’il luy fit de luy dire comment elle seroit habillée le lendemain, il n’en pût obtenir autre chose, si-non qu’elle se trouveroit au rendez-vous ; qu’il ne manquast point d’y venir ; qu’elle ne luy demandoit aucune marque pour le connoistre, parce que sa Science luy avoit appris qui il estoit ; que pour porter un jugement assuré de ce qu’elle devoit attendre de luy, il luy estoit important d’examiner sa physionomie, & qu’elle se découvriroit quand il seroit temps. On se préparoit à luy dire encor cent choses, mais elle ne voulut plus rien écouter, & se retira en diligence avec sa Compagnie, pour se rendre chez elle avant le retour de son Mary. Elle se mit promptement au lit, donna ordre de dire qu’un grand mal de teste l’avoit obligée à se coucher de bonne heure, & s’abandonna à ses réveries. Vous jugez bien qu’elles furent fort mélancoliques. Elle se repentit du rendez-vous qu’elle avoit donné. Le trop d’éclaircissement ne pouvoit estre que facheux pour son repos, & elle avoit poussé la chose sans réflexion. Il y avoit une heure qu’elle formoit cent desseins sans s’arester à aucun, quand son Mary arriva. L’avanture luy tenoit au cœur. Il brûloit d’impatience d’en voir la suite, & l’embarras d’esprit qu’elle luy causoit ne luy avoit plus laissé de curiosité pour les autres Assemblées. A son arrivée chez luy, il demanda des nouvelles de sa Femme. La réponse fut juste, parce qu’elle avoit esté concertée. Il se coucha à son ordinaire apres luy avoir témoigné le chagrin qu’il avoit de son mal de teste, & passa le reste de la nuit sans dormir. La Dame feignit de ne s’apercevoir pas de ses agitations, & en eut d’aussi fortes de son costé, quoy que d’une autre nature. Le lendemain elle ne manqua point de se trouver de bonne heure au lieu marqué, & elle s’y plaça commodement pour observer la contenance de son Mary sans en estre veuë. Il s’y rendit à l’heure précise. L’embarras d’un Homme qui cherche des yeux, ce qui luy est inconnu, eust esté quelque chose de plaisant pour elle, si elle n’y eust point eu d’interest. Elle avoit beau se dire que c’estoit pour elle-mesme qu’on luy faisoit infidelité, on ne laissoit pas pour cela d’estre infidelle, & il n’en falloit pas davantage pour la tourmenter cruellement. Le Mary demeura jusqu’à midy à examiner toutes les Femmes qui entrerent. Il n’en vit aucune qui eust la taille de l’Egyptienne, ou du moins qui jettast les yeux sur luy ; & persuadé qu’on s’estoit diverty à luy faire piece, il sortit chagrin, & ne pût s’empécher d’estre inquiet le reste du jour. La Dame retourna chez elle, tint conseil avec son Amie, & apres qu’elles eurent raisonné quelque temps ensemble, elles jugerent à propos de dénoüer l’avanture de la maniere que vous l’allez voir. Le Mary estoit prié de dîner en Ville le jour suivant. La Dame ne voulut point sçavoir s’il se trouveroit de nouveau au rendez-vous. Elle se contenta de l’envoyer attendre par un Laquais inconnu, qui luy donna un Billet au sortir de Table. On luy faisoit connoistre par ce Billet qu’on estoit content de sa ponctualité, & que s’il en vouloit sçavoir davantage, il n’avoit qu’à se laisser conduire par le Porteur. Jugez de sa joye. Il vole plutost qu’il ne va, où il est mené par le Laquais. Il entre dans une Maison d’assez d’apparence, monte dans une Chambre fort propre, & à peine en a-t-il regardé un moment le Meuble, qu’il voit paroistre son aimable Egyptienne avec le mesme Masque & le mesme Habit qui l’avoit charmé au Bal. Il se jette d’abord à ses genoux pour la remercier de ses bontez, exagere ce qu’il a souffert deux jours de suite dans le rendez-vous, & apres luy avoir dit tout ce qu’une passion naissante peut inspirer de plus tendre, il la conjure de lever son Masque, & de luy faire voir à qui il est redevable de son bonheur. La Dame le laisse parler encor quelque temps sans luy répondre, & enfin comme vaincuë par ses prieres, elle oste son Loup, & le met dans une surprise que vous concevrez plus aisément que je ne vous la puis exprimer. Il prend un air sombre, demeure resveur ; & la Dame profitant de sa resverie, luy dit d’un air libre & d’un visage riant, qu’il n’a aucun lieu de se chagriner ; qu’elle est fort persuadée que dans toutes les démarches qu’il a faites, il a moins songé à prendre de l’engagement, qu’il n’a suivy une curiosité naturelle que tout autre que luy auroit euë ; qu’elle est peut-estre plus à condamner qu’il ne l’est luy-mesme, d’avoir mis sa fidelité à cette épreuve ; qu’il luy en peut imposer telle peine qu’il luy plaira, quoy qu’elle n’ait rien fait que par un excés d’amour ; que ne pouvant soufrir ce qu’elle aimoit, elle n’avoit pas voulu attendre davantage à luy mettre l’esprit en repos ; que l’assurance qu’elle luy donnoit de ne se souvenir jamais du passé, meritoit qu’il oubliast les inquiétudes qu’elle luy avoit causées ; qu’il songeast seulement autant pour luy que pour elle, que ces sortes de curiositez avoient quelquefois des suites fâcheuses, & que trop de facilité à donner dans les apparences, avoit fait faire souvent beaucoup de chemin à ceux qui n’y avoient pas refléchy. En mesme temps elle embrasse son Mary avec toute la tendresse imaginable. Le Mary charmé de l’honesteté de sa Femme, l’embrasse à son tour, & luy donne des marques de son repentir, par l’admiration où il est de sa conduite. Il luy avoüe que tout autre Party que celuy qu’elle avoit pris, n’eust pû produire que de fort méchans effets, & l’assure que ce qu’elle venoit de faire pour luy, le touchoit si fort, qu’il n’en perdroit jamais la mémoire. L’Amie est appellée pour estre témoin des promesses que cette réünion luy fait faire. Il les a tenuës, & depuis ce temps-là, il n’a voulu accepter aucune Partie de plaisir sans y faire entrer sa Femme.

Je ne doute point, Madame, que la prudence qu’elle a fait paroistre dans une occasion si délicate, n’obtienne de vous les loüanges qu’elle mérite, & que vous ne demeuriez d’accord qu’elle est digne de servir d’exemple à toutes celles qui ont de pareils chagrins à essuyer. Une Emportée ne ménage rien, met toute la Famille en desordre, éclate en injures, & ne fait souvent qu’aigrir un Mary, sans remedier aux foiblesses qu’elle luy reproche.

[Dialogue qui doit servir à un Concert de Guitarres qui doit estre donné tous les quinze jours au Public] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 281-290.

Vous donnerez avis, s’il vous plaist ; à tous vos Amis de Province qui viendront icy, qu’ils pourront prendre part à un fort agreable concert de Guitarres, que Mr Médard va faire chez luy tous les quinze jours. Il a donné au Public un Livre gravé de ses Pieces, & les plus fins Connoisseurs tombent d’accord qu’il a trouvé le plus beau caractere de cet Instrument. Ce Concert sera diversifié par le Dialogue suivant qui se chantera. Il est sur le sujet de Paix. Mr Fleury de Châteaudun l’a mis en Musique, & Mr Médard qui en a fait les Paroles, y a meslé ses Instrumens, comme je vous le vay marquer.

Dialogue.

Mars, la Victoire, la Paix.

 

Allemande des Guitarres.

chœur.

Chantons du Grand Loüis les héroiques Faits.
Il demeure vainqueur de la Triple Alliance,
Il va de cent plaisirs contenter nos souhaits.
Admirons dans la Guerre, ainsi que dans la Paix ;
    Sa sagesse & sa vaillance.
Fanfares des Guitarres.

LA PAIX.

    Quoy ? toûjours me persecuter ?

MARS.

Souffrez pour un moment que je vous entretienne ;
    Et puis, sans que rien vous retienne,
    Je vous permets de m’éviter.

LA PAIX.

Voulez-vous me parler des horreurs de la Guerre,
    Et par le recit des malheurs
    Dont vous avez troublé la Terre,
    Augmenter mes tristes douleurs ?

MARS.

    Non, non, apprenez, belle Ingrate,
    Que c’est pour vous que je combats.
C'est pour vous rétablir que mon Tonnerre éclate,
    Puis, je quitteray ces Climats.

LA PAIX.

    Helas ! oserois-je vous croire ?
    C'est l’ordre de ce Grand Roy,
    Qui remplit tout de sa gloire.
    N'en doutez point, la Victoire
    Vous le dira comme moy.

LA VICTOIRE.

    Loüis, ce Monarque invincible,
Qui m’a fait de tout temps suivre ses Etendards,
    M'ordonne d’aller avec Mars
Porter ce que la Guerre a d’affreux & d’horrible
Chez ce Peuple obstiné, jaloux de son pouvoir,
    Qui ne veut pas vous recevoir.
A ce qu’on fait pour vous, montrez vous plus sensible.

chœur.

Chantons du Grand Loüis, &c.
Courante des Guitarres.

LA VICTOIRE.

    Jeunes Cœurs, préparez-vous
    A des passe-temps plus doux :
    L'Amour revient sur la Terre,
    Et desormais les Amans
    Vont se payer des momens
    Qu'ils ont perdu dans la Guerre.
Fanfares des Guitarres.

LA PAIX.

J'esperois en vain de voir cet heureux temps.
    Le bruit de Guerre que j’entens
    N'assure que trop ma disgrace.
    On vient de prendre quelque Place,
Qui fait pousser en l’air tous ces sons éclatans.

LA VICTOIRE.

Ecoutez d’un esprit un peu plus pacifique.
Faut-il que la frayeur vous trouble à cet excés ?
Et n’entendez-vous pas que ce Chant héroïque
    Est une douce Musique
    Qui ne promet que la Paix ?
Fanfares des Guitarres.

MARS.

    Helas ! c’est moy que l’on joüe ;
    Je doy me plaindre des François.
C'est par moy qu’ils ont fait tant de rares Exploits ;
    Et déjà l’on me désavouë.
Mais il faut obeïr au plus puissant des Roys,
    Il ne me tient à son service
    Qu’autant qu’il plaist à sa justice.

chœur.

Chantons du Grand Loüis, &c.
Sarabande des Guitarres.

LA PAIX.

    Que de plaisirs ! que de beaux jours !
    Donnons nos cœurs à l’allégresse.
    Adieu Trompetes & Tambours ;
    Que par tout l’épouvante cesse,
    Voicy le Regne des Amours.

chœur.

    Que par tout l’épouvante cesse,
    Voicy le Regne des Amours.
Gavote des Guitarres.

LA PAIX.

    L'Amour fuit le bruit des Armes,
    Il faut peu pour l’allarmer.
    Son feu s’éteint dans les larmes,
    Et ne peut s’enflamer.
    La Beauté dans les allarmes
    Perd le secret de charmer.
Gavote des Guitarres.

LA VICTOIRE.

    Estre placé dans les Histoires,
    C'est le but des nobles desirs ;
Mais il est en amour de certaines victoires
    Qui donnent de plus doux plaisirs.
Ménüet des Guitarres.

MARS & LA VICTOIRE.

    Mais lorsqu’on faisoit la Guerre
    Presque par toute la Terre,
    Dequoy se plaignoit la Paix ?
Ne pouvoit-elle pas aussi bien que jamais
    Regner en assurance
    Au milieu de la France ?

LA PAIX.

Oüy, je pouvois de Mars éviter le couroux,
Et mesme partager les fruits de la Victoire,
Dans le temps que Loüis se fatiguoit pour nous.
    Mais sçachez qu’il m’est doux
    De servir à sa Gloire
    Aussi-bien comme vous.
    Commencez donc à disparoistre ;
    Mais avant de nous dire adieu,
    Celebrons dans ce Lieu
    Les loüanges de nostre Maistre.

chœur.

Chantons du grand Loüis les héroïques Faits,
Il demeure vainqueur de la Triple Alliance,
Il va de cent plaisirs contenter nos souhaits.
Admirons dans la Guerre, ainsi que dans la Paix,
    Sa sagesse & sa vaillance.
Fanfares & Ménuets des Guitarres.

[Avanture du Carnaval] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 355-359.

Je finis apres que je vous auray conté en peu de mots une derniere Avanture du Carnaval. Deux jeunes Personnes de qualité reléguée depuis quelque temps dans un Convent proche de Paris sur les Rives de la Marne, moins pour n’estre pas propres au monde, que parce que leurs Meres qui en sont trop, cherchent à cacher qu’elles ayent de grandes Filles, prévoyant qu’elles passeroient tres-mal leur Carnaval, si elles n’y mettoient ordre de bonne heure, s’aviserent de faire promettre à deux Cavaliers qui les alloient voir de temps en temps, qu’ils viendroient dans la Ville où elles estoient, pour leur faire compagnie pendant ce temps de réjoüissance. Comme ils leur trouvoient de l’esprit, & de la beauté, ils se firent un agreable engagement de cette partie. La saison devint fort rude, la glace tenoit tout le monde renfermé, & on ne pouvoit aller à la Campagne sans s’exposer à de fâcheux accidens. Les belles Recluses firent là-dessus les refléxions necessaires, & ne doutant point que les Cavaliers ne se dispenssassent de tenir parole sur le mauvais temps, elles voulurent les prevenir, en leur mandant galamment qu’elles les considereroient trop pour éxiger qu’ils se missent en chemin dans une saison si rigoureuse, mais que comme il ne seroit pas juste qu’ils passassent d’agreables heures pendant qu’elles s’ennuyeroient dans leur Convent, elles les prioient, s’ils vouloient qu’elles fussent persuadées de leur estime, d’entrer le Jeudy gras à Saint Lazare, ou dans quelque autre Maison encor plus austere, s’il y en avoit, & d’y demeurer jusqu’au Mercredy des Cendres. Les Cavaliers vouloient plaire aux Belles, mais la Retraite ne les accomodoit point. Ainsi ils prirent le party de se rendre où ils s’estoient engagez d’aller, & firent le voyage comme ils purent. Vous jugez bien de la joye qu’on eut de les voir. On leur fit grand’chere & beau feu. La peine qu’ils s’estoient donnée meritoit l’une, & la rigueur de l’Hyver demandoit l’autre. L’histoire finiroit là, la Grille estant un terrible rampart contre la tendresse, sans ce qui leur arriva le Mardy gras. Le feu prit à la cheminée du Parloir, & il en sortit une si épaisse fumée, que les Cavaliers avoient peine à respirer. Par malheur pour eux, la serrure se trouva broüillée ; & comme il ne leur estoit pas possible de se sauver par où ils estoient entrez, ils se résolurent de rompre la Grille afin de s’échaper par le Convent. Les Belles y consentoient, & ne se croyoient pas obligées de laisser périr deux galans Hommes, pour garder les Loix de l’étroite Régularité, mais enfin les Gens de dehors vinrent à bout de faire sauter la serrure. Nos Cavaliers raporterent à Paris un teint un peu bazané, & s’estimerent heureux d’en estre quites pour quelques jours qu’ils eurent à passer chez un Baigneur.

[Conclusion de l’Histoire des Sevarambes] §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 359.

Il faut avoir une fermeté admirable pour envisager ce genre de mort sans frayeur. Cependant, vous en trouverez un exemple dans la conclusion des Sevarambes qui nous a esté donnée depuis peu. Parmy quantité de choses fort extraordinaires qu’elle contient, il y a une Histoire de deux Amans qui résolurent à se brûler, pour ne point tomber entre les mains de leurs Ennemis.

[Annonce du volume suivant] * §

Mercure galant, mars 1679 [tome 3], p. 359-361.

Il est difficile que vous n’ayez déja appris la mort de Madame la Duchesse de Noirmoustier. Ce nom est illustre, & m’engage à vous dire quantité de choses, mais je suis si pressé de finir ma Lettre, que je les remets jusqu’au premier Mois, aussi bien que les particularitez du Mariage de Mr de Chamilly, qui a épousé Mademoiselle du Bouchet. Je remets aussi à ce temps là à vous faire part d’une Relation de l’entrée de Monsieur l’Archevesque d’Alby, dans la Ville qui porte ce nom, écrite par une Dame du Païs dont les Ouvrages vous charment ; & à vous entretenir de l’Historie de Mr de la Roche Karlan, mort à trois lieuës de Tulle, crû par les uns Fils du Roy de Colcinde en Asie, & par les autres Fils de Cromvel. J’adjoûteray à cela une description de la merveilleuse & surprenante Horloge de Niort, aussi-bien que des Opéra de Venise. J’auray soin de diversifier tout cela par des Histoires, puis que vous me faites connoistre que le nombre vous en plaist. La France est trop abondante en évenemens, pour ne me donner pas toûjours à choisir sur cette matiere.