1679

Mercure galant, avril 1679 [tome 4].

2015
Source : Mercure galant, avril 1679 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

Relation de l’Entrée de M. L’Archevesque d’Alby dans la ville de ce nom §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 1-37.

JE vous tiens parole, Madame ; & pour mériter toûjours le titre de vostre tres-exact Historien, je commence les Articles qui n’ont pû trouver place dans ma Lettre du dernier Mois, par ce qui regarde l’Entrée de Mr l’Archevesque d’Alby dans la Capitale de son Diocese. Si vous avez esté satisfaite de toutes les Festes galantes dont je vous ay fait jusqu’icy la description, celle-cy, quoy que d’une autre nature, aura d’autant plus d’agrémens pour vous, que la Relation que je vous en donne a esté faite par une Personne de vostre Sexe, dont vous avez admiré déja l’esprit avec beaucoup de justice dans quelques Ouvrages que je vous en ay fait voir. Elle est de Madame de Saliez, Veuve de feu Mr le Viguier d’Alby, & je la tiens de Mr l’Abbé de la Roque, à qui le Public est si obligé des doctes & curieuses Remarques qu’il nous donne dans son Journal des Sçavans.

Relation

De l’Entrée

de Monsieur

l’Archevesque d’Alby,

dans la Ville de ce nom.

A Madame de Mariotte,

de Toulouse.

JE me suis trouvée dans un fort grand embarras apres avoir leu vostre Lettre. Eh dequoy vous avisez-vous, Madame, de me demander un Tableau de ma façon, qui vous represente l’Entrée de monsieur nostre Archevesque dans cette Ville ? Vous voulez mesme qu’il y ait dans ce Tableau des endroits en miniature. Cependant vous sçavez que je ne suis pas Peintre, & il faudroit estre des plus habiles pour faire ce que vous voulez. L’extréme desir que j’ay de vous plaire, m’a fait d’abord songer que pour satisfaire vostre curiosité, il me falloit copier les Tableaux que ceux qui ont ordonné la Feste en veulent laisser à la Posterité. Je ne croyois pas qu’on en pust faire d’autres qui fussent fidelles ; mais, Madame, le mestier de Copiste me paroît un pauvre mestier, & j’ay assez d’ambition pour prétendre à faire un Original. Enfin je me suis heureusement souvenuë qu’il y a des Tableaux en émail, qu’il y en a en miniature, qu’il y en a sur de la toile, & mesme en simple crayon ; que tous en representant la mesme chose, ont leur beautez qui ne sont pas pareilles, & que tous par cette raison ont la gloire d’estre Originaux. J’ay esté contente de cette derniere refléxion ; & quoy que la grandeur du sujet m’étonne, & que je sois persuadée que bien d’autres travailleront là-dessus mieux que moy, je prens le pinceau, ou pour parler plus clairement, je prens la plume, Madame, pour vous obeïr, & je vais commencer dans les formes une grande Relation, comme si elle devoit passer à ceux qui viendront apres nous, & servir un jour à l’Histoire de mon Païs.

Le 22. de Fevrier de cette année 1679. Monsieur de Serroni, Premier Archevesque d’Alby, partit de Castres pour arriver le mesme jour à Alby, où depuis plus de deux ans il estoit attendu avec une impatience extraordinaire. Le Ciel pour seconder ses desseins, fit naître un jour admirable, & bien diférent de ceux qui l’avoient précédé durant trois mois. Ce jour estoit si beau, qu’il sembloit, Madame, que toute la Nature se réjoüissoit avec nous. Ne vous imaginez pas d’avoir veu briller à Toulouse toute la lumiere de ce beau jour ; il ne fut en aucun lieu du monde si beau, si clair, ny si serain qu’en Albigeois. Le Soleil, & Monsieur l’Archesvesque d’Alby, se levérent fort mastin. Tous les Habitans d’Alby en firent de mesme, & nous fûmes agreablement éveillez au bruit des Trompetes, des Tambours, & des Fifres. Comme nous sçavions ce qu’ils nous annonçoient, la joye s’empara d’abord de tous les cœurs, & c’est la seule passion qui regna dans Alby ce jour-là.

Monsieur l’Archevesque ayant fait la moitié de sa journée avant midy, disna à Realmont, où il se reposa, si c’est toutefois se reposer, Madame, que d’écouter un grand nombre de Harangues. Il trouva dans ce lieu Messieurs les Abbez de son Diocese, Mr le Viguier d’Alby, les Deputez du Clergé, ceux de son Chapitre, & de celuy de S. Salvy, & ceux de la Noblesse & de la Ville d’Alby. Leurs Harangues furent fort belles, & il ne vous est pas permis d’en douter. L’on m’a assurée qu’il n’estoit pas possible de comprendre avec quelle presence d’esprit, & avec quelle douceur Monsieur d’Alby avoit répondu à ces premieres Harangues, & à toutes celles qu’il a entenduës. Son air de bonté animoit ceux qui luy parloient. Il repondoit si juste à toutes les choses essentielles qu’on luy disoit, qu’il sembloit qu’il avoit déja une parfaite connoissance de son Diocese.

Il paroit enfin de Realmont, & continua sa marche qui fut fort souvent interrompuë. Toute la Noblesse du Païs divisée par Escadres, à la teste desquelles estoient nos Vicomtes & nos Barons, alla au devant de luy, & par des intervales assez réguliers chaque Troupe l’arrestoit ; mais ce n’estoit pas pour long temps, il en estoit quitte pour écouter un petit Compliment Cavalier. Monsieur l’Abbé de Camps qui estoit en Litiere avec Monsieur l’Archevesque, & qui nous connoit tous, luy faisoit si bien comprendre en peu de mots, avec sa présence d’esprit ordinaire, le caractere & la qualité des Personnes qui l’abordoient, que chaque Chef d’escadre fut connu de luy, & il dit à chacun tout ce qu’il falloit luy dire pour le rendre content.

Lors qu’il découvrit la Ville d’Alby, il s’arresta pour considerer sa situation. Je croy qu’il en fut satisfait. Nostre Ville est au milieu de la plus charmante Vallée du monde, qui a assez d’étenduë pour avoir tous les agrémens de la Plaine. Les Collines qui l’environnent, chargées d’Arbres & de Vignes, ne font que borner agreablement la veuë, & semblent n’estre placées que pour l’empescher de s’égarer. S’il parut content de cet objet, il le fut aussi de voir la Campagne couverte d’un grand nombre de Bourgeois à cheval. Celuy qui estoit à leur teste, parla de fort bonne grace ; Apres quoy, Monsieur l’Archevesque, suivy de ce grand nombre de Gentilshommes & de Bourgeois, arriva à une des Portes de la Ville, opposée au lieu où il devoit coucher. Cecy vous surprend, Madame. Vous avez sans-doute crû qu’il alloit entrer dans Alby. Je vous apprendray bientost la raison d’une chose si particuliere. En attendant, vous remarquerez, s’il vous plaist, que par un bonheur que je n’ay garde d’attribuer au hazard, nul accident ne déconcerta l’ordre des choses, & que Monsieur d’Alby arriva précisément à l’heure qu’il falloit. Il fit le tour de la moitié de la Ville, & je puis avancer hardiment qu’en aucune autre Ville de France il n’auroit pû voir ce qu’il vit alors.

Pour me comprendre, Madame, il faut vous figurer cette admirable Terrasse dont je vous ay parlé quelquefois, que nous appellons la Lice, bordée de grands & vieux Ormeaux qui entourent nôtre Ville, & d’où l’on voit le beau Jeu de Mail qui est au pied de nos Murailles. L’on avoit mis de chaque costé la Terrasse, pres du tronc des Arbres, une Haye bien vivante, puis que nos Artisans la formoient. Chacun d’eux avoit rehaussé sa mine par des Plumes, par des Rubans, & par des Cravates de Point. Ils sçavoient porter le Mousquet & la Pique de bonne grace, & chaque Mestier s’y distinguoit par son Etendart, qu’à l’envy l’un de l’autre ils avoient fait fort riches & fort éclatans. Il leur fut défendu de tirer qu’apres que Monsieur l’Archevesque auroit passé, parce que cela met tout en confusion. La fumée de la poudre ne l’empescha point de considérer une Route si particuliere. La beauté de la soirée augmentoit celle de tous les objets. Cela se passoit durant ces agreables momens qui précedent le coucher du Soleil apres un beau jour, & lors que cet Astre nous voulant quitter,

    Pour porter sa clarté féconde
    Aux Habitans d’un autre monde,
    Son Char qui fait rougir les Cieux,
    Estant presqu’à demy dans l’Onde,
Peut estre regardé sans offencer les yeux.

Vous me passerez bien, s’il vous plaist, Madame, mon air Poëtique dont je ne puis me défaire, & qui souvent malgré moy découvre mon panchant pour cet Art. Ne croyez pas que tandis que les Hommes estoient si agreablement occupez, les Dames fussent en repos dans leurs Chambres. Nous allions dans les Ruës & dans les Places publiques, toutes atroupées, murmurant plus de coûtume contre les Loix qui nous rendent inutiles en de pareilles cerémonies, & ne pouvant rien faire de mieux, nous parlions du moins toutes à la fois de nostre Illustre Archevesque. Le bruit des Cloches & du Canon nous ayant fait connoistre qu’il approchoit, nous sortîmes de la Ville, & allâmes nous placer aux fenestres des belles Maisons qui sont au costé de nostre Lice, opposé au Jeu de Mail, d’où nous eûmes enfin le plaisir de voir monsieur l’Archevesque. Il alla au Convent des Jacobins. C’est là que Messieurs les Consuls le haranguérent. Il y reçeut tant de Harangues pendant quatre jours qu’il y demeura, qu’on peut dire que personne ne fut jamais tant harangué. Il est juste, Madame, que je vous tienne parole, & que je vous apprenne icy pourquoy Monsieur d’Alby passa quatre jours dans un Convent hors de la Ville, au lieu d’aller dans son Palais Archiepiscopal.

On ne jugeroit pas à nous voir si doux & si Gens de bien, que nos Peres eussent esté fort meschans. Cependant nous descendons de ces Herétiques Albigeois, dont les erreurs estoient en si grand nombre, que tous les Herésiarques qui sont venus apres eux, ont puisé quelque chose dans cette mauvaise Source. Il fallut de grands miracles pour nous convertir. Enfin S. Dominique vint à bout de nous ; mais quelque temps apres ces Herésies s’estant renouvelées, l’Evesque d’Alby fut chassé de son Siege. Le Pape envoya un Inquisiteur, Religieux de l’Ordre de ce grand Saint, qui mena l’Evesque dans son Convent. C’estoit un azile que les Herétiques respectoient ; & en suite il remit ce Prélat fort glorieusement sur son Siege. Depuis ce temps-là nos Evesques, par un sentiment de reconnoissance & de pieté, alloient avant que de faire leur Entrée dans la Ville, au Convent de S. Dominique, & y passoient quelques jours dans une sainte retraite. Un si bel usage avoit esté interrompu par nos derniers Prélats, & vous trouverez sans-doute qu’il estoit juste qu’il fust rétably par le Premier Archevesque d’Alby, auquel cette pieuse action attira d’abord les acclamations publiques.

Enfin, Madame, le Dimanche 26. de Fevrier fut destiné pour l’Entrée de Monsieur d’Alby. L’on se prépara pour paroistre dans le mesme équipage & dans le mesme ordre que le jour de son arrivée. L’on posa dés le matin les ornemens aux Arcs de triomphe. Les Chiffres & les Armes de Monsieur d’Alby parurent en mille endroits. Je ne sçaurois bien, Madame, vous rendre compte des Emblémes & de leurs Devises, ny vous écrire & vous expliquer du Grec & du Latin ; mais j’en ay fait faire un petit Recueil separé de cette Relation, que vous pourrez voir, s’il vous en prend quelque envie, ou le donner à vos Amis. On ne me consulta point là-dessus, quoy que vous en ayez crû. J’en eus un secret dépit ; & comme je voulois avoir quelque part à cette Feste, je fis promptement des Emblêmes en mon particulier. Agréez que je vous en dise quelque chose.

Il n’est pas possible, Madame, que vous n’ayez remarqué, aussi-bien que ressenty, la rigueur du long Hyver que nous venons de passer. Je croyois qu’il ne finiroit pas encor, & que l’ordre des Saisons alloit changer. Je fus surprise du retour du Soleil, & je fis peut-estre plus de refléxions qu’un autre, qu’il paroissoit pour la premiere fois le mesme jour que monsieur d’Alby arrivoit. Frapée de mille pensées que j’eus là-dessus, je pris le pinceau, & quoy que je ne dessigne que passablement, je me surpassay dans cette occasion.

    Je peignis sans beaucoup de peine
    Mille beautez de nostre Plaine,
    Le Tar, & son superbe cours,
    D’Alby les Rampars & les Tours,
    Les Clochers, & l’auguste Temple,
    Dont la structure est sans exemple,
    Et dont les ornemens divers
Trouvent peu de pareils dans tout cet Univers.

Je couvris tout cela de nuages assez épais, & mettant en suite (comme vous croirez bien) le Ciel au dessus de la Terre, je peignis deux Soleils dont la lumiere égale paroît si grande & si brillante, que l’on est d’abord convaincu qu’ils vont dissiper toute l’obscurité de ma peinture, au haut de laquelle on lit ces mots,

Non basta unico Sol per Ciel si fosco,

Voyez, Madame, si j’aurois mieux fait d’y mettre ceux-cy.

Per tal splendor, non basta un Sole.

Ne trouvez-vous pas, Madame, qu’il estoit juste que l’on vist quelque Devise Italienne dans un jour consacré à la gloire d’un Illustre Romain ? Je ne m’arrestay pas là. Je fis encor d’autres Emblêmes ; mais j’ay peur de vous fatiguer. Le recit de ces sortes de choses n’est pas divertissant. L’esprit n’en est point agreablement frapé, si les yeux ne le sont à mesme temps par la Peinture. Je vous diray donc seulement que le reste de mes Emblêmes contient certaines Prophéties touchant Monsieur d’Alby, qui luy promettent les plus grandes élevations ausquelles un grand mérite & un heureux destin peuvent conduire un Prélat Illustre.

L’on observa pour son Entrée les cerémonies que je vais vous décrire. Mr le Marquis de S. Sulpice, & Mr de Montmaur, marchoient les premiers à la teste de la Noblesse. Ils avoient aupres d’eux nos Vicomtes, le Viguier d’Alby, & nos Barons tous montez sur de tres-beaux Chevaux, & dans une parure fort éclatante. Nos Bourgeois à cheval parurent en suite vestus le plus proprement du monde. Monsieur l’Archevesque venoit immédiatement apres. Lors qu’il fut à la Porte de la Ville, les Consuls apres l’avoir de nouveau fort bien harangué, luy presenterent un magnifique Poile qu’il envoya d’abord aux Jacobins. On luy presenta aussi les Clefs de la Ville dans un Bassin de vermeil doré, proprement attachées avec des Cordons d’or & de soye qui formoient ses Chiffres. Il entra dans la Ville porté dans une Chaise ouverte, ayant à ses côtez tous les Officiers de sa Maison. Mr le Vicomte de Paulo, parfaitement bien monté, accompagné d’une petite Escadre choisie, le précédoit de quelques pas. Les Consuls le suivoient en Carrosse, & nos Artisans bordoient les Ruës de la mesme maniere qu’ils avoient bordé la Lice. C’est ainsi, Madame, qu’il fut conduit jusques à la grande Eglise, apres avoir traversé plusieurs Arcs de triomphe. Je ne dois pas oublier de vous dire qu’il nous donnoit sa Benediction d’une maniere si douce & si touchante, qu’il paroissoit visiblement mouvoir sa main ; mais s’il benissoit son Peuple, son Peuple luy donnoit aussi mille & mille benedictions. Apres qu’il eut monté le Degré magnifique qui conduit à une des plus belles Eglises de France, il trouva son Chapitre, & une tres-belle Harangue. C’est, Dieu mercy, Madame, la derniere dont je vous parleray. On luy témoigna l’extréme impatience que l’Eglise son epouse avoit euë de son arrivée, & le bonheur qu’elle en attendoit. Monsieur l’Archevesque répondit d’une maniere qui donna de l’admiration à tous ceux qui furent assez heureux pour pouvoir l’entendre, & l’Epoux & l’Epouse parurent fort contens l’un de l’autre. Apres qu’il eut presté le serment avec les cerémonies accoûtumées, & qu’on l’eut revestu de ses Habits Pontificaux, il entra dans l’Eglise, se mit a genoux devant le Maistre-Autel, le baisa, se plaça dans son Siege, & le Te-Deum estant chanté, il voulut aller à pied jusques à l’Archevesché, suivy de son Chapitre. Nos Cavaliers devenus alors Piétons, l’accompagnerent, & il arriva enfin heureusement jusques dans sa Chambre. Je croy, Madame, qu’il estoit bien fatigué, & que vous l’estes aussi de cette longue lecture. Il faut pourtant que je vous apprenne encor qu’apres que Monsieur d’Alby eut passé sous mes fenestres, je fus saisie d’un de ces entousiasmes où vous sçavez que je suis quelquefois sujette, pendant lequel je dis mille choses dont il ne me souvient plus. Il n’en est resté dans ma memoire que ces Vers que je prononçay en presence de plusieurs Personnes.

Enfin nous le voyons ce Prélat admirable,
Elevé dans un rang digne des plus grands vœux.
Enfin voicy le jour si doux, si remarquable,
Qui finit nos ennuis, & nous va rendre heureux.
Nous le verrons bientost, ce Pasteur doux & tendre,
Pour soulager nos maux, tout voir, & tout entendre,
Par ses pénibles soins prévenir nos souhaits,
Agir incessamment, partager ses bienfaits.
Mais qu’il est dangereux qu’une vertu si rare
L’éleve quelque jour à de plus grands honneurs !
    Je lis sa gloire, & nos malheurs,
Dans ce que son destin en secret luy prépare.
Rome qui l’a donné, peut le redemander,
Et c’est un grand trésor difficile à garder.

Si vous estes lasse de lire, Madame, ne vous en plaignez qu’à vous-mesme ; & bien loin de me faire des reproches, sçachez-moy quelque gré d’avoir tant écrit. Je ne vous ay jamais donné une plus longue marque de l’attachement avec lequel je suis toute à vous.

A Alby le 5. mars 1679.

Mascarade de la Paix §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 37-50.

Je ne vous dis rien, Madame, à l’avantage de cette Relation. Elle est écrite de ce stile aisé que vous preférez aux grandes paroles ; & la vivacité naturelle de l’esprit y paroist, dépoüillée des vains artifices de l’étude. Tandis qu’Alby rendoit tant d’honneurs à un illustre Prélat, on faisoit une autre Cerémonie à Bourges. Une belle Personne s’y marioit, & pour rendre la Feste plus solemnelle, on avoit préparé une Mascarade, dont le divertissement fut meslé aux réjoüissances de la Nopce. Cette Mascarade faisoit paroistre la Paix conduite par un François, & suivie d’un Hollandois, d’un Espagnol, & d’un Allemand, qui en dançant autour d’elle, donnoient des marques de l’extréme envie qu’ils avoient de revoir cette aimable Déesse dans leurs Païs. Un Héraut d’Armes les précedoit, & chacun d’eux expliquoit ses sentimens par les Vers qui suivent. Ils sont de M. l’Abbé de la Chapelle. Son nom ne vous doit pas estre inconnu. Je me souviens de vous avoir déja parlé de luy

Mascarade

de la paix.

POUR LE HERAUT D'ARMES.

    O vous, qui vivez sous l’Empire
    D'un Roy que l’Univers admire,
        Preparez-vous, François,
    A voir la Pompe nouvelle,
        Qu'une Troupe fidelle
    Consacre à ses fameux Exploits.
Amans, interrompez le cours de vos caresses,
Pour un moment suspendez vos tendresses.

POUR LE FRANCOIS.

Venez, Peuples tremblans, venez, Roys alarmez,
Faire entendre à la Paix vos vœux & vos prieres ;
louis entre elle & vous ne met plus de Barrierres,
Et veut bien relever vos Etats abimez.

***
Venez d’un autre esprit desormais animez ;
louis, qui pour dompter des Provinces entieres,
Fait ceder les Hyvers à ses ardeurs guerrieres,
Pardonne aux Ennemis, vaincus & desarmez.

***
Mais ne vous fiez plus à vostre Politique,
Malheureux, croyez-moy, soûmettez-vous aux Loix
Qu'impose pour la Paix le plus puissant des Roys.

***
Remettez en ses mains la fortune publique ;
Ce n’est point un cruel, ennemy du repos,
Et s’il prend en Vainqueur, il sçait rendre en Héros.

POUR LE HOLLANDOIS.

Voyez, charmante Paix, quels malheurs vostre absence
Cause depuis six ans dans nos Champs desolez,
Aux pieds de vos Autels nos Etats assemblez
D'un seul regard propice implorent l’assistance.

***
Si dans nostre Senat, fiers d’un peu de puissance,
D'un indiscret orgueil nous nous sommes enflez ;
Les maux qui font gémir nos Peuples accablez,
N'ont que trop expié cette legere offence.

***
L'interest de louis, toûjours chery des Dieux,
Dans ses vastes desseins toûjours victorieux,
Ne doit point arrester vostre bonté supréme.
***
Rien ne peut desormais soûtenir ses grands coups ;
Il n’est plus d’Ennemy digne de son couroux ;
Vainqueur de l’Univers, il se vaincra luy-mesme.

POUR L'ESPAGNOL.

Las de voir tous les jours sur le Tage & sur l’Ebre
    Voler dans un habit funebre,
    Et venir toute en pleurs,
    En quitant nostre Armée,
        La triste Renommée
Aux peuples effrayez annoncer cent malheurs ;
Las de voir que louis plus craint que le Tonnerre,
Fait en nous punissant trembler toute la Terre,
    O Paix souhaitée en tous lieux,
Nous venons vous presser de descendre des Cieux,
    Pour terminer cette sanglante Guerre.
De Triomphes nouveaux louis n’a plus besoin,
En le suivant par tout la cruelle Victoire
    Jusqu’icy de sa gloire
    N'a pris que trop de soin.
Quand il n’auroit sur nous conquis aucunes Villes,
Ses travaux toutesfois ne seroient point steriles,
Et c’est toûjours beaucoup que de voir à ses pieds
    Les Espagnols humiliez.

POUR L'ALLEMAND.

O Paix, jettez les yeux sur nos superbes Rives,
Où bâtissant un Pont, le premier des Césars
A peine un jour entier osa montrer ses Dards.
Voyez-les maintenant tremblantes & captives.

***
Nostre Rhin fait horreur à nos Villes craintives ;
Il va, par les François passé de toutes parts,
Teint du sang de nos Chefs, rougir mille Remparts,
Pour laver dans la Mer ses Ondes fugitives.

***
Assez & trop longtemps nous avons resisté,
L'Invincible louis dompte nostre fierté ;
Venez donc dans nos Murs ramener l’abondance ;

***
Ou bien, si toûjours fiere, & sourde à nos douleurs,
Vous ne vous hâtez point pour finir nos malheurs,
O Paix, venez du moins pour couronner la France.

POUR LA PAIX.

O vous, dont je reçois les vœux de toutes parts,
N'élevez point aux Cieux vos timides regards,
En dépit des fureurs d’une si longue Guerre
    J'ay toûjours habité la Terre,
    Et la France est l’heureux sejour
louis dans vos Champs indomptable & terrible,
Mais parmy ses Sujets debonnaire & paisible,
Fait regner avec moy les Plaisirs & l’Amour.
Ce Conquérant touché de vos larmes sinceres,
Permet que j’aille enfin soulager vos miseres,
    Vous estes assez punis,
    Et tous vos maux seront bientost finis.
Non, vous ne verrez plus vos Campagnes fumantes,
Ny de vos Ossemens vos sillons engraissez,
Des Cadavres hydeux l’un sur l’autre entassez
N'empoisonneront plus vos Rivieres sanglantes.
    Allez revoir vos Peuples affligez,
Tirez-les des horreurs où Mars les a plongez ;
Cependant de ces lieux observez les merveilles,
Et charmez comme nous, avoüez que vos yeux
    Ont peu veu de beautez pareilles
A celle dont l’Hymen se rend maistre en ces lieux.

Pour Madame *****

Representant la Paix.

Ouy, Philis, dans vostre air tout est charmant & doux :
Mais que cette douceur qui releve vos charmes,
Va jetter dans les cœurs d’amoureuses alarmes,
Et que je crains enfin une Paix comme vous !

[Sentimens sur les six Questions proposées dans l’Extraordinaire du quartier d’octobre] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 70-75.

Puis que vous trouvez que je m’acquite passablement du mienI aupres de vous, par les galantes Pieces que j’ay soin de vous envoyer dans toutes mes Lettres Extraordinaires, j’en adjoûteray icy quelques-unes que j’ay crû à propos de vous reserver. Tout ce qu’il y a de Réponses aux six Questions dans la derniere, a esté assez de vostre goust, & j’ay lieu de croire que vous ne recevrez pas moins de plaisir de celles que Mademoiselle Fredinie de Pontoise, a faites à ces mesmes Questions par autant de Madrigaux.

Sentimens

sur les six Questions

proposées dans l’Extraordinaire

du Quartier d’Octobre.

I.

    SOuvent, par un bonheur extréme,
Un Barbare a vaincu de puissans Ennemis ;
Mais s’il eust entrepris de se vaincre luy-mesme,
La raison, le devoir, ne l’auroient pas soûmis.
    Ainsi je croy que la victoire
Que l’auguste LOUIS obtient sur son grand cœur,
    Le rend plus éclatant de gloire,
Que celle qu’il ne doit qu’à sa seule valeur.

II.

    Un Berger qu’on croit infidelle,
    Et qui ne l’a jamais esté,
Doit, sans perdre de temps, pour détromper sa Belle,
Prendre tout à témoin de sa fidelité.
Ses assiduitez, ses soins, sa complaisance,
    Pourront en parler tour à tour ;
Il faut avec cela de la perseverance,
    Et se reposer sur l’Amour.

III.

    LA condition d’une Femme
    À quelque chose de charmant ;
Et pour vous découvrir le secret de mon ame,
La vostre, cher Tirsis, a bien de l’agrément.
De vous dire si l’une est plus noble que l’autre,
    Je ne m’y résoudray jamais ;
Il suffit que la mienne ait comblé mes souhaits,
    Pour vous croire heureux dans la vostre.

IV.

    ON peut haïr en apparence
    Un Objet qu’on a bien aimé ;
On peut cacher les feux dont on est consumé,
    Sous une feinte indiférence ;
    Mais dans les Loix de la Constance,
Un cœur bien amoureux, meurt toûjours enflâmé.

V.

IL est plus glorieux de vaincre un cœur sensible
    Aux attraits d’une autre Beauté,
    Que de rabaisser la fierté
    D’un cœur que l’on croit infléxible.
    La preuve en est plus claire que le jour,
Puis qu’un Berger qui change de Bergere,
Pour en aimer une autre, & luy faire la cour,
    Peut prendre le change à son tour,
Et se voir châtié de son humeur legere ;
D’ailleurs l’Indiferent ne voit qu’un pas à faire
    De l’Indiference à l’Amour.

VI.

    Se voir trahy d’une Maîtresse
    Que l’on aimoit uniquement,
    Et le voir sans ressentiment,
C’est manquer de courage & de délicatesse.
    Amans trahis, pour vivre en paix,
    Fuyez & Climene & Sylvie,
    Autrement vous n’aurez jamais
    Un heureux moment dans la vie.

[Discours en Prose & en Vers, sur la quatriéme Question du mesme Extraordinaire] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 76-90.

La quatriéme de ces Questions a esté traitée à fond d’une maniere fort agreable par Mr de Ravend. Ses raisonnemens vous plairont, & je croirois dérober beaucoup à vos plaisirs, si je diférois à vous faire part de ce qu’il a écrit sur cette matiere.

Si on peut hayr

ce qu’on a une fois bien

aimé.

LEs Passions sont diférentes de leur nature, & à l’égard de l’Objet qui les fait naistre. Il y en a de promptes & de passagères, dont l’effet est violent, mais elles durent peu, & ne laissent presque aucun vestige dans l’ame de ceux qui les ont reçeuës. L’Objet passe, & l’idée s’en efface incontinent. Telles sont la joye & la colere. Ces passions se succedent les unes aux autres, & un mesme Objet peut leur fournir de matiere. Mais les passions fortes & de longue durée, faisant plus d’impression sur nostre ame, y laissent un caractere & une image de leur Objet, qu’il est malaisé d’effacer. Telles sont la tristesse & la douleur, mais sur tout, l’amour & la haine.

Il est certain encor que toutes les passions qui sont opposées, maîtrisent rarement le cœur de l’Homme à l’égard du mesme Objet ; car outre qu’il y en a toûjours une qui est dominante, l’Objet qui a frapé le premier nostre imagination, y laisse un obstacle invincible à l’effet que la passion contraire y veut produire. Cet obstacle n’est autre chose que l’habitude de la passion, qui est bien diférente du mouvement de la passion contraire. Or l’amour estant une habitude qui s’est faite par la transformation de l’Amant & de la Personne aimée, on peut dire qu’il est impossible de haïr ce qu’on a une fois bien aimé.

On ne le peut haïr par antipathie. Quelque defaut qu’on y découvre, quelque injure que nous en recevions, il a toûjours je-ne-sçay-quoy qui nous porte vers luy, & qui nous y attache malgré toutes les violences que nous nous faisons, dans le dessein de nous en separer. Peut-on le haïr par aversion, & regarder comme un mal la source de nostre bien & de nostre felicité ? Pourroit-on le haïr par vangeance, & vouloir du mal à qui nous avons souhaité tant de bien ?

Se vanger de l’Objet qu’on aime,
C’est se vanger contre soy-mesme.

Ecoutez ce que fait dire le lus sçavant Interprete de l’amour à la desolée Oenone, lors qu’elle voit Helene entre les bras de Pâris. Elle devoit se vanger de cet Infidelle. Cependant

A cet indigne Objet je perdis patience,
Je me frapay le sein, j’arrachay mes cheveux,
Et tournay contre moy la severe vangeance
    Que pressoit l’Objet de mes vœux.

Tant il est vray qu’on ne peut hair ce qu’on a une fois bien aimé, & qu’on se prend à soy-mesme de l’injure qu’il nous a faite. Mais de plus, si quelques-uns ont crû que l’amour estoit une impression de Dieu mesme, qui la peut changer ? Si elle vient de nostre Etoile, qui la peut vaincre ? Si elle vient enfin d’un certain raport des esprits de l’Amant & de l’Objet aimé, qui peut rompre cette charmante harmonie ? Si les choses sont dignes d’estre aimées, ce seroit agir contre la raison que de les haïr, & ces mouvemens estant involontaires, ne peuvent détruire l’amour.

Nous nous formons ordinairement une image odieuse de ce que nous haïssons. Cette image nous suit par tout. Elle détruit dans nostre esprit toutes ses belles qualitez, & tout ce qu’il a d’aimable. Elle s’opose à tous les bons sentimens que nous en pourrions avoir, & nous rend mesme insuportable le bien qu’il nous peut faire. Il en est de mesme de ce que nous aimons. Nous en gardons une image si vive & si charmante, qu’elle efface tous les defauts de la Personne aimée, tous les mépris & toutes les rigueurs qu’elle pourroit avoir pour nous.

Il se contracte une union si étroite entre l’Amante & l’Objet aimé, qu’ils ne sont qu’une mesme chose, & de cette union il se forme une habitude qu’on ne peut changer, soit que l’image qui demeure imprimée dans nostre ame y produise toûjours le mesme effet ; soit que l’ame qui est plus dans ce qu’elle aime que dans ce qu’elle anime, ne puisse quitter le lieu de son repos & de sa complaisance. Quoy qu’il en soit, il est toûjours vray que l’amour laisse en nous de certaines traces de l’Objet aimé, qui non seulement sont capables de fermer nos cœurs à la haine, mais encor de rallumer une plus forte passion qu’auparavant ; & ce sont ces restes de l’amour qu’on appelle un feu caché sous la cendre.

    Amant, c’est une chose seûre,
    Quand l’amour fait une blessure,
    La marque en demeure toûjours.
Eloignez-vous d’Iris, abandonnez Aminte,
    Implorez le Divin secours,
    Si vostre ame en est bien atteinte,
    Fuyez-les tant qu’il vous plaira,
Jamais de vostre cœur l’amour ne sortira.

Quelques-uns croyent que cette haine peut venir d’un amour lassé, d’un amour irrité ; mais la colere peut elle durer contre l’amour, & un veritable Amant peut-il jamais se lasser d’aimer ? Autrement on peut dire qu’il n’a jamais bien aimé, & ainsi il n’y a plus de Question à résoudre.

La colère est une vapeur qui peut offusquer l’amour, mais qui ne peut l’étouffer. Elle va quelquefois jusqu’à s’en vanger, mais jamais jusqu’à le détruire. Elle garde mesme des mesures pour l’Objet aimé dans ses plus grands emportemens, & c’est ce qui faisoit dire à Hipsipile écrivant à Jason qui l’abandonnoit pour Medée.

Contre toy ma colere a ses bornes prescrites,
Elle t’eust épargné, non que tu le mérites ;
Mais quelque dureté qui regne dans ton cœur,
Ma bonté va plus loin encor que ta rigueur.

Et qui est l’Amant qui ignore que toutes les coleres en amour l’augmentent plus qu’elles ne le diminuënt, & qu’apres une rupture on s’aime souvent encor plus qu’on ne faisoit auparavant ?

Ceux qui ne s’aiment guere, sont sujets au dégoust & à l’inconstance, mais ils ne vont pas jusqu’à la haine. Pour haïr ce qu’on a bien aimé, si cela se peut, il faut aimer encor. Cette espece de haine vient d’un trop violent amour. On aime ce qu’on croit haïr, & tous ces emportemens ne sont que de foibles marques d’une fausse haine.

Il y a eu des Amans cruels & barbares, dont l’amour s’est changé en fureur ; mais c’estoient moins des Amans que des Bourreaux. Mahomet II. abattit d’un coup de Cimeterre la teste de sa Maîtresse ; mais l’ambition seule luy fit faire ce grand sacrifice. La haine n’y eut point de part, & son cœur paya cherement l’excés de sa brutale vanité. Mais pourquoy citer Mahomet ? Un Barbare est-il capable d’aimer ? Non, non, un veritable Amant aime toûjours sa Maîtresse. Qu’elle soit fiere, qu’elle soit inhumaine, qu’elle soit infidelle, elle est toûjours aimable, il ne la sçauroit haïr.

Mais enfin quelle apparence de renverser l’Idole que nous avons adorée, d’abatre l’Autel où nous avons sacrifié, d’arracher de nostre cœur ce qui en faisoit les delices ? Quel châtiment doit attendre de l’Amour un Infidelle qui passe de la legereté à l’ingratitude & à la haine ? Je conclus donc avec le Proverbe, Qu’on ne peut haïr ce qu’on a une fois aimé.

[Le Jaloux sans sujet, Histoire] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 90-118.

Je croy, Madame, que vous vous laisserez persuader par ces raisons. Il est de certains outrages qui font prendre des résolutions de haïr ; mais on ne les exécute jamais, si ce n’est qu’on devienne aussi jaloux qu’on est amoureux, car il n’y a rien qui soit plus à craindre que la jalousie. Elle aveugle ceux qu’elle possede, & quand ils se sont une fois mis quelques chimeres en reste, la raison est incapable de les dissiper. Vous en trouverez la preuve dans ce que j’ay à vous dire. Quoy que la chose soit arrivée il y a déja un an, comme elle n’a esté jusqu’icy connuë de personne, elle n’en aura pas moins les graces de la nouveauté.

Apres que le Roy eut pris Gand & Ypre, il renvoya dans cette premiere Ville une partie des Troupes qui composent sa Maison. Un des Officiers qui les commandent, fut logé chez un Avocat. Il en reçeut de tres-grandes honnestetez, & rien ne luy fut épargné de ce qu’il pouvoit attendre d’un Hoste obligeant. Si-tost qu’il entroit, l’Avocat luy venoit tenir compagnie, & il ne le quitoit jamais le soir, qu’il ne l’eust mis dans sa Chambre. L’Officier méritoit toutes ces civilitez. Il estoit bien fait, galant Homme, raisonnoit juste, & disoit les choses d’une maniere tres-agreable. Mais quelques belle qualitez qu’il eust, ce n’estoit point par estime particuliere pour luy que l’Avocat luy rendoit tant de devoirs. Un autre principe le faisoit agir. Il estoit naturellement jaloux, & jaloux avec tant d’excés, qu’on ne pouvoit jetter les yeux sur sa Femme, sans luy faire croire qu’on luy en vouloit. Ainsi les égards d’honnesteté & de complaisance que l’Officier témoignoit avoir pour cette Femme, blesserent l’imagination du Mary. Il crût qu’il en estoit devenu amoureux, & c’estoit pour ne luy laisser aucune occasion de luy en conter, qu’il ne le quitoit jamais un moment. L’Officier qui estoit fort éloigné des sentimens qu’on luy imputoit, ne se faisoit point une peine d’avoir toûjours l’Avocat en teste. Il luy trouvoit de l’esprit, & n’ayant rien de particulier à dire à sa Femme, il ne s’embarassoit point du soin extraordinaire qu’il prenoit de la garder. Cette sorte d’indiférence pour elle, ne remédioit point à ce que le Mary soufroit de sa défiance. Il croyoit lire dans les yeux de l’Officier l’amour que luy avoit donné sa Femme, & il ne s’estoit mesme apperçeu avec beaucoup de chagrin qu’il n’avoit quelquefois soûpiré en la regardant. Cette remarque acheva de confirmer ses soupçons. La verité est qu’un souvenir amoureux avoit de temps en temps cousté des soûpirs à l’Officier, sur quelque raport qu’avoit la Femme de l’Avocat avec une fort belle Personne qu’il aimoit passionnément, & qu’il avoit laissée à Paris. Ce n’est pas qu’il y eust entr’elles aucune ressemblance de traits. Le visage de l’une estoit fort diférent de celuy de l’autre, mais elles estoient toutes deux de la mesme taille, avoient l’une & l’autre les cheveux blons ; & ce qui frapoit davantage l’Officier, la belle Personne dont il estoit amoureux ne portoit presque jamais que du bleu, & la Femme de l’Avocat mettoit tous les jours un Des-habillé de cette couleur. Les Choses estoient en cet état, & la jalousie qui devoroit le Mary sans qu’il en fist rien paroistre, n’avoit encor esté incommode que pour luy, quand elle éclata par une occasion aussi impréveuë qu’elle fut extraordinaire. L’Officier revint un soir tout resveur. Il avoit perdu son argent au jeu, & ne trouvant pas à propos de le dire à l’Avocat qui luy demanda la cause de son chagrin, il suposa quelque legere indisposition pour avoir le prétexte de se retirer. L’Avocat le mit dans sa Chambre à son ordinaire ; & afin de luy faire croire que les soins qu’il luy rendroit estoient pour luy-mesme indépendamment de sa jalousie, le lendemain il voulut aller s’informer dés le matin comment il avoit passé la nuit. Il ouvrit la Porte sans l’éveiller, & s’estant approché fort doucement, il apperçeut une Boëte de Portrait que l’Officier avoit laissée sur un Fauteüil aupres de son Lit. C’estoit le Portrait de sa Maîtresse. Il le portoit par tout avec luy, & il l’avoit regardé le soir pour se consoler de la perte de son argent. L’Avocat ne pût resister à la tentation de prendre la Boëte. Il s’en saisit, & ne l’eut pas plutost ouverte, qu’un grand cry qu'il fit éveilla le Cavalier. Il fut surpris de voir son Portrait dans les mains de l’Avocat, & il le fut encor plus quand le voulant retirer, il luy entendit dire qu’il auroit sa vie auparavant. Il sauta du Lit en passant sa Robe de chambre, & alla vers l’Avocat qui s’estoit saisy de ses Pistolets qu’il avoit trouvez sur la Table. L’Officier s’en mit peu en peine. Ces Pistolets estoient sans amorce. Il l’avoit ostée à cause de quelques Enfans qui pouvoient y toucher en badinant ; & comme il n’en craignoit rien, il se contenta de courir à son Epée, dont il donna quelques coups du pommeau à l’Avocat, qui lâchoit inutilement le déclin des Pistolets. La partie n’estant pas égale, l’Avocat qui recevoit toûjours quelque coup, cria aux Voleurs de toute sa force. Un des Magistrats passoit alors dans la Ruë. Ces cris l’arresterent. Il prit quelque escorte, & monta à la Chambre des Combatans. Le spéctacle le surprit. L’Officier en Robe de chambre tenoit d’une main l’Avocat par le colet, & son Epée nuë de l’autre. Il s’avança pour empescher que cette violence n’allast plus loin ; & ayant fait entendre au Cavalier en termes graves de Magistrature, qu’il estoit Officier de Justice, il luy commanda de par le Roy de cesser ses emportemens contre son Hoste. Le Cavalier s’arresta, & il n’eut pas plutost conté au Magistrat la cause de leur démeslé, que l’Avocat reprit brusquement qu’il avoit raison de ne vouloir pas rendre le Portrait, pusi que c’estoit celuy de sa Femme. Le Magistrat qui la connoissoit, voulut juger par ses yeux, & ayant examiné le Portrait en question, il se mit du party de l’Officier qui traitoit l’Avocat d’extravagant. L’Avocat au desespoir de ce que le Magistrat se déclaroit contre luy, demanda tout en colere s’il estoit aveugle, & s’il pouvoit ne pas reconnoistre sa Femme à ses cheveux blons, & à son Des-habillé bleu. On eut beau luy dire que le Portrait n’ayant aucun de ses traits, & ne luy ressemblant que par du blond & du bleu, cette circonstance estoit trop foible pour s’y arrester. Il soûtint toûjours que c’estoit le Portrait de sa Femme, & qu’il y avoit intelligence entr’elle & le Cavalier. La contestation s’échaufa. Les deux prétendus Rivaux se dirent chacun des choses fâcheuses. L’Avocat qui n’estoit plus maistre de sa raison, donna un démenty au Cavalier. Le démenty fut payé d’un souflet, le souflet d’une gourmade, & le combat recommença tout de nouveau. Le Magistrat se mit entr’eux pour les séparer, & reçeut les coups qui ne pûrent aller jusqu’aux Combatans. Cependant une Servante accouruë à ce second bruit, alla dire en haste à sa Maîtresse que l’Officier assassinoit son Mary. La Belle couchoit dans un Apartement de derriere, où elle n’avoit rien entendu de tout ce vacarme. La nouvelle luy fit craindre tout. Elle se jetta hors du Lit toute effrayée, & courut à demy nuë à la Chambre de l’Officier. L’accueil fut mal gracieux pour elle. Le Mary qui ne sçavoit à qui se prendre de l’éclat qu’il avoit commencé de faire, la régala de quelques souflets, dont le Magistrat empescha la suite. Ces sortes de carresses qui n’estoient ny ordinaires ny deuës à la Belle, la mirent dans un si grand saisissement de douleur, qu’elle en demeura évanoüye. On chercha à la faire revenir, & tandis que ce charitable soin occupoit le Magistrat & le Cavalier, l’emporté Mary envoya dire au Pere & à la Mere de sa Femme, qu’ils vinssent reprendre leur Fille, s’ils ne vouloient qu’il la fist mener dans un Convent. L’un & l’autre vint. Le compliment de leur Gendre les avoit surpris, & ils le furent encor davantage de trouver leur Fille en cet état. Ils ne sçavoient que penser de la voir avec une seule Jupe dans la Chambre d’un Homme qui avoit encor son Bonnet de nuit, & en présence d’un Magistrat de la Ville. Le Mary leur fit les mesmes plaintes qu’il avoit déja faites de l’infidelité de sa Femme, & les finit par le prétendu don de son Portrait au Cavalier. La Belle qui estoit revenuë de son évanoüissement, demanda raison de la calomnie. Il fut question de voir le Portrait. L’habillement bleu, & les cheveux blons, estoient la seule ressemblance qu’il eust avec elle. Le Pere & la Mere qui avoient eu la patience de laisser dire à leur Gendre les choses les plus cruelles contre leur Fille, ne pûrent la voir condamnée sur un soupçon qui avoit si peu d’apparences de verité, sans entrer dans un ressentiment proportionné à l’affront qu’on leur faisoit. La Mere se jetta la premiere sur l’Avocat, le prit aux cheveux ; & tandis qu’elle les tiroit d’une main, & l’égratignoit de l’autre, le Pere luy faisoit connoistre qu’on ne l’offençoit pas impunément. La Femme toute interdite de voir aux mains les trois Personnes à qui elle devoit le plus, crioit au secours sans prendre party. Ses cris attirerent quelques Voisins de l’un & de l’autre Sexe, qui estant arrivez au champ de bataille, firent cesser ce dernier combat. Il falut de nouveau éclaircir le fait. Les circonstances qui avoient donné lieu au soupçon, furent trouvées ridicules. Tout le monde blâma le Mary. Le Mary voulu avoir raison contre tout le monde, & traitant ceux qui le condamnoient, d’ignorans, il envoya chercher le plus fameux Peintre de la Ville, comme un Juge compétent sur cette matiere. Le Peintre arriva. Le Mary luy mit luy-mesme le Portrait entre les mains, & le pria de leur dire à laquelle de toutes ces Femmes il trouvoit qu’il ressemblast. Le Peintre les regarda toutes, examina le Portrait, & dit qu’il ne ressembloit à aucune. L’avocat plus en colere qu’il n’avoit esté jusque là, demanda au Peintre s’il pouvoit nier que ce Portrait ne fust celuy de sa Femme, & le Peintre n’eut pas plutost répondu qu’il luy ressembloit encor moins qu’aux autres, que deux souflets & quelques gourmades le payerent de sa réponce. A ce quatriéme combat on saisit le Mary comme un furieux ; mais si on arresta ses mains, on n’arresta pas sa langue. Il dit que le Peintre estoit de l’intrigue, que c’estoit luy qui avoit fait le Portrait, & que les présens de l’Officier l’ayant corrompu, il avoit interest d’empescher que la verité ne fust connuë. Le Peintre demanda reparation d’honneur & pour l’imposture, & pour les coups qu’il avoit reçeus. Il y avoit tant de témoins de la chose, que rien n’estoit plus à craindre pour l’Avocat que le Procés criminel qu’il luy vouloit faire. Toute l’Assemblée s’employa aupres du Magistrat, pour le suplier de l’assouplir ; & l’Avocat qui commençoit à connoistre qu’il avoit tort, ayant consenty à l’en faire Juge, il le condamna à quelque somme d’argent, qui obligea le Peintre à se taire. Cependant comme il ne falloit pas que l’affaire restast indécise, parce qu’elle regardoit la réputation & le repos de la Belle, on apporta de si bonnes raisons au Mary sur ce que le raport d’habillement estoit un pur effet du hazard, & ne pouvoit faire de conséquence, que peu à peu il se laissa ébranler ; & ce qui acheva de le convaincre, ce fut qu’il estoit impossible que le Portrait qui avoit causé tout ce desordre, fust le Portrait de sa Femme que l’Officier eust fait faire, puis qu’on pouvoit aisément connoistre qu’il estoit fait il y avoit déjà plus d’un an, & que l’Officier n’estoit dans la Ville que depuis dix jours. Cette derniere raison l’emporta. L’opiniâtre Jaloux se rendit, & joüa le personnage du Georges Dandin de feu Moliere, en faisant des excuses à son Beaupere, à sa Belle-mere, à sa Femme, & à l’Officier, qui demeura possesseur de son cher Portrait. Vous jugez bien, Madame, que toutes choses se trouverent par là fort disposées à la paix. Il ne s’y rencontra qu’un seul obstacle. L’Avocat se connoissoit. La moindre apparence le rendoit jaloux. Il avoit outragé sa Femme. Elle pouvoit estre d’humeur à se vanger, & l’Officier estoit en état de luy en fournir les occasions. Ainsi pour le repos du ménage, il falloit que l’Officier délogeast. On vient à bout de tout avec de l’argent. L’Avocat se résolut d’en donner, & il ne s’agissoit plus que de la somme, quand on entendit publier un ordre à la Compagnie de sortir de Gand. Cet ordre leva la difficulté. L’Officier partit, & laissa le Mary & la Femme en pleine liberté de faire leurs conditions telles qu’ils les crûrent necessaires pour la seûreté de leur repos.

[Tout ce qui s’est passé à Venise pendant le Carnaval, avec la Description de tous les Opéra qui ont esté representez dans cette Ville, & les noms des Maistres qui les ont mis en Musique] §

Mercure galant, avril [tome 4], 1679, p. 118-132.

Je vous ay fait part dans mes deux dernieres Lettres de quelques Festes du Carnaval. C'est une saison favorable pour les plaisirs ; mais quoy qu’elle donne lieu par tout à des réjoüissances particulieres, celles de Venise vont au delà de tout ce qui se peut faire ailleurs de plus magnifique & de plus galant. Aussy l’on y vient en foule dans ce temps de joye de tous les côtez de l’Europe, & il ne se passe point de Carnaval qui n’y amene extraordinairement plus de soixante mille Personnes, tant Etrangers, que Gens Sujets de l’Etat. On y peut choisir d’une infinité de Festes ou Assemblées qui s’y font dans de somptueux Palais, chez la principale Noblesse. Les Dames s’y trouvent toûjours en grand nombre admirablement parées, & on y reçoit une quantité prodigieuse de Masques de l’un & de l’autre Sexe. La plûpart des Mariages des Nobles, quoy qu’arrestez depuis fort long temps, ne s’achevent ordinairement qu’au Carnaval, & c’est ce qui donne occasion à ces grandes Assemblées. Comme les Palais sont fort spatieux, la Salle du Bal est au milieu de huit ou dix Chambres, toutes ornées de riches Tentures, de Tableaux, & de Meubles d’un fort grand prix. Il y a de tres agreables Concerts d’Instrumens dans chacune. Les Masques les vont entendre, & on y donne de toute sorte de Liqueurs à ceux qui en veulent. Les Dames priées sont assises dans la Salle du Bal, où la Noblesse les vient prendre pour dancer. Leur dance n’est qu’une maniere de promenade, continuée quelquefois de Chambre en Chambre, où ceux qui y sont peuvent avoir le plaisir de voir passer tout le Bal. Un Gentilhomme rencontrera un de ses Amis, & luy donnera la Dame qu’il tient afin qu’il poursuive la dance avec elle, & quand la Dame veut se reposer, elle fait la reverence, & prend un siege. Grande liberté en tout cela, & jamais de confusion.

Pendant tout le Carnaval il y a plusieurs Académies de jeu, les unes pour la Noblesse, & les autres pour les Bourgeois. Les Masques ont le privilege d’entrer par tout. Leur Jeu le plus ordinaire est celuy de la Bassete. On y joüe des sommes immenses, & l’on tient que dans Venise il se consumme pour plus de cinq cens mille livres de Cartes qui payent des droits au Prince. Ce qu’on ne sçauroit assez admirer, c’est ce qui se passe dans la Place de S. Marc, où il y a quelquefois jusqu’à trente mille Personnes, la plûpart masquées, tant Hommes que Femmes, & de toute sorte de conditions. Les Dames, outre une magnifique parure, y éclatent en Pierrereries, dont elles ont toutes un tres-grand nombre. C'est là que se font les parties pour le Bal, l’Opéra, la Comédie, & les autres divertissemens. On y trouve des Bandes de cinquante à soixante Masques, qui representent ensemble un sujet reglé, sans compter plusieurs autres Compagnies de simphonie qui s’y rencontrent. On y voit aussi quantité de Festes de Taureaux qui combattent contre des Ours & des Chiens, mais ce ne sont pas des plaisirs tranquilles, & il y arrive quelquefois beaucoup de désordre.

Des huit Théatres qui sont à Venise, il y en a eu six occupez dans le dernier Carnaval. Deux Troupes de Comédiens des meilleurs de l’Italie, ont representé plusieurs Pieces, sur celuy de S. Samüel, & sur celuy de S. Caëtan. Le premier appartient à Mrs Grimagni Spaghi, & l’autre à Mr Badoüer. Divers Opéra ont attiré une foule extraordinaire de Spéctateurs sur les quatre autres Théatres. Celuy de S. Anzolo, élevé depuis deux ans par le Sieur Santorini, a servy aux Représentations de deux qui avoient pour titre Sardanapale, & Circé. La beauté des Machines & des Décorations répondoit à la bonté des Instrumens, & de la Musique. Elle avoit esté faite par le sieur Jean Dominique Freschi, Maistre de Chapelle à Vicenze. Deux autres Opéra ont paru avec quantité de changemens de Théatre, sur celuy de S. Luco, apartenant à Mr Vendramin. La Musique du premier intitulé Sexte Tarquin, estoit du Maistre de Chapelle de S.A.S. le Duc de Mantouë & celle du second, ayant pour titre Le doe Tiranni, marquoit l’excellent génie du Sieur Antonio Sertorio qui l’avoit faite. C'est un des plus experimentez Maîtres de Chapelle qu’il y ait en Italie. Il y avoit plusieurs Machines, & entr'autres un Firmament qui venoit des Cieux, tout remply d’Etoiles, en maniere d’un Palais des Dieux. Quantité de Gens se voyoient rangez tout autour des Balustrades, & tout estoit soûtenu en l’air. On n’avoit pas esté quite de cette Machine pour deux mille Ecus. Joignez à cela les meilleurs Musiciens qu’on eust pû trouver. Le fameux Cortonne en estoit. On luy donnoit quatre cens Pistoles d’or pour deux mois de Représentation que dure le Carnaval ; autant à Marguerite Pia, deux cens cinquante à la Signora Giuglia Romana, & aux autres selon leur merite.

Les deux autres Théatres d’Opéra de cette année, ont esté ceux de S. Jean & Paule, & de S. Jean Chrisostome. Ils apartiennent à Mrs Grimani. On a representé le Grand Alexandre sur le premier. Le Napolitain s’y est fait admirer secondé de trois excellentes Musiciennes. Les Décorations en estoient superbes, Chars de triomphe, Chaises roulantes tirées par de vrais Chevaux, & des Cavaliers aussi à cheval. Une Machine venant du Ciel, remplie d’Apollon & des neuf Muses qui faisoient entendre une admirable Simphonie de Voix & d’Instrumens, occupoit toute la face du Théatre. La Musique estoit de Mr Ziani le jeune.

Quant au Théatre de S. Jean Chrisostome, fait cette année mesme, il a remporté le prix sur tous les autres, tant pour sa somptuosité que pour la Simphonie, Musiciens, Décorations, & Machines. Ce n’est que de l’or au dehors des Loges. Le dedans est tapissé de Velours de Damas, & des plus riches Etofes qui se fassent à Venise. Neron estoit le titre de l’Opéra qui fut representé sur ce Théatre. Le fameux Isape ou Josepin de Bavieres, l’incomparable Jean François Grotti Romain, surnommé Siphax, & la Signora Antonia Caratti Romaine, y chantoient. Ces trois avoient pour eux seuls mille Pistoles d’or pour leur Carnaval. La Musique estoit de la composition du Sieur Palavicini. C'est un des plus sçavans Maistres qu’il y ait en ce Païs-là. Sa maniere est aussi galante que spirituelle, & on ne peut trop loüer l’adresse qu’il a de donner admirablement ce qui convient à chacun de ceux qui servent d’Acteurs dans un Opéra.

Air chanté dans un des derniers Opéra de Vénise §

Mercure galant, avril [tome 4], 1679, p. 132-144.

Il faut, Madame, vous faire juger par vous mesme de la beauté des Airs qu’il compose, en vous envoyant un de ceux qui a esté chanté dans celuy-ci. En voicy les Paroles avec la Note.

AIR CHANTÉ DANS
UN DES DERNIERS
Opéra de Vénise.

Avis pour placer les Figures : l’Air Italien doit regarder la page 133.
Per non vivere geloso,
    Vò cercando ogn’or or riposo,
E trovarlo, oh Dio, non sò.
    S'un momento
    Di contento
Fò provar al alma in seno,
Quasi rapido baleno
Il martir da me torno.
Voir cet article du Mecure pour la mise en musique de l'air extrait de l'opéra Nerone de Carlo Pallavicino.

Quarante Intrumens des meilleurs qu’on eust pû trouver, servoient à la Simphonie. L'ouverture du Théatre se faisoit par une grande Place dans Rome, avec des Arcs de triomphe, & un Globe qui en s’ouvrant laissoit voir plus de cent Personnes en armes. Néron paroissoit dans une autre Scene. Son Char estoit traîné par deux Elephans. Apres luy, le Roy Tiridate venoit à cheval avec les principaux de sa suite. La Reyne sa Femme estoit portée par des Hommes dans une Chaise fort magnifique, & l’un & l’autre aloient se prosterner aux pieds de Néron, qui ordonnoit un Bal pour les divertir. Une fort grande quantité de lumières faisoit briller la Décoration qui fut particulière à ce Bal. Néron, & toute sa Cour tant de l’un que de l’autre Sexe, y dançoit à l’Italienne au son de plusieurs Instrumens extraordinaires qui estoient sur le Théatre. On voyoit ensuite une Académie de Musique dans laquelle Néron chantoit, ainsi que les principaux de ceux qui l’accompagnoient, ausquels il distribuoit des Rôles pour représenter une Comédie. Cet Empereur y joüoit luy-mesme, & c’estoit quelque chose d’assez particulier que cette Scene. Il y avoit des Loges des deux costez du Théatre. Des Dames & des Cavaliers entroient dans ces Loges, comme Auditeurs de la Comédie, & une toile se levant laissoit paroistre une autre Théatre. On y voyoit la Lune & sept Etoiles en Machines, toutes si brillantes, que leur éclat n’éboüissoit pas moins qu’il surprenoit. La Comédie estant faite, Néron donnoit l’ordre pour un superbe Festin. Il avoit esté preparé dans une Grote toute remplie de nüages, qui formoit une Décoration d’une beauté merveilleuse. On croyoit voir un lieu enchanté. Il y avoit de la Simphonie dans tous les coins de la Grote. Les Tables estoient élevées en manieres de Machines, & on n’y pouvoit aller qu’en montant vingt degrez de chaque costé. Au milieu de ce Festin on venoit avertir Néron que son Palais alloit estre assiégé par des Conjurez. La Scene suivante faisoit paroistre un grand Peuple en armes, qui avec les Conjurez donnoit l’assaut au Palais. On se servoit d’Echelles & de Machines pour y monter, & toutes sortes d’Armes estoient employées pour en abatre les Tours, & y renverser les Murailles. Les Assiegez faisoient éclater une vigueur extraordinaire pour leur défense, & ils estoient secondez par Tyridate, qui accompagné d’un bon nombre de Soldats, entreprenoit un combat si furieux contre les Assiegeans, que quoy qu’il fust feint, il ne laissoit pas de causer de l’épouvante aux Spéctateurs. Plus de cent Personnes estoient engagées dans ce combat. Il duroit pres de demy heure, & finissoit par la défaite des Conjurez. Néron faisoit voir la joye qu’il avoit de cette Victoire par une Simphonie ordonnée dans le mesme temps. Elle venoit sur une Machine roulante, qui sortant de la Porte de son Palais, s’élargissoit à mesure qu’on la voyoit avancer. Elle occupoit insensiblement tout le Théatre, & certains nüages qui la couvroient, se dissipant, on y découvroit quantité d’Instrumens de toutes sortes, Flûtes douces, Trompetes, Timbales, Violes, & Violons, qui se joignant à la grande Simphonie de l’Opéra, formoient la plus belle & la plus mélodieuse harmonie qu’on eust jamais entenduë.

Le dernier jour du Carnaval, apres qu’on eut représenté cet Opéra, Mrs Grimani, aussi estimez pour leur mérite particulier que pour les avantages de leur naissance, (ils sont alliez de Mr le Duc de Mantoüe, & de la Maison de Gonzague,) donnerent le Bal à toute la Noblesse dans ce lieu mesme. Rien ne pouvoit estre plus magnifique. Toutes les Dames qui avoient esté invitées à l’Opéra, furent régalées dans leurs Loges, de plusieurs Bassins remplis de merveilleux mets de la saison, & de toute sorte de liqueurs. Plus de cent Flambeaux de cire blanche qu’on alluma sur des Bras d’or attachez aux dehors des Loges, répandoient un nouveau jour sur le Parterre. Quantité de Dames des plus belles & des plus jeunes s’y placerent apres le Repas, sur des sieges qu’on avoit préparez tout autour. Elles estoient habillées à la derniere mode de France, mais dans un ajustement si superbe, qu’on ne voyoit qu’or, argent, broderie, points, & pierreries. Plus de deux cens Gentilhommes se trouverent dans le mesme lieu. La magnificence de leurs Habits ne se doit en rien à celle des Dames, & on ne leur voyoit comme à elles que Broderie, Pierreries, & Points des plus fins. Il ne s’estoit fait de longtemps aucune assemblée où la Noblesse Venitienne se fut renduë, ny en si grand nombre, ny dans une si riche parure. Toute la Simphonie de l’Opéra estoit en cercle sur le Théatre. Vous jugez bien qu’une si charmante harmonie ne fut pas un des moindres plaisirs que causa la Bal. Il n’y avoit que les Personnes qui en estoient dans le Parterre. Tout le reste demeura dans les Loges à voir dancer. On donna encor un nouveau Régal aux Dames, & la Feste ne finit que quand le jour commença.

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[Carrousel fait à Venise] §

Mercure galant, avril [tome 4], 1679, p. 144-148.

Quoy qu’on ne voye Carrosses ny Chevaux à Venise, à cause de la quantité de Ponts qui y sont élevez en Arche pour donner passage aux Gondoles, la Noblesse ne laisse pas d’y avoir une tres-belle Académie pour tout ce qui regarde les exercices du Corps. Elle est tenuë par Mr Nicolo Gentilhomme Napolitain. Cette Noblesse voulant montrer au Public qu’elle n’avoit pas moins d’adresse à manier un Cheval qu’en toute autre chose, fit un tres-beau Carrousel le 27. Fevrier & le 6. Mars. Elle s’estoit separée en quatre Quadrilles, de quatre Cavaliers chacune. Il y en avoit une de Mores, une d’Indiens, & deux autres de Turcs & de Tartares. Ils combatirent aux Testes avec le Dard, le Pistolet, & l’Epée, & firent en suite un Balet à cheval de trois façons. Trois Récits y furent chantez par le Fameux Musicien Cartonne, vestu en Diane. L'équipage de ces Mores, Indiens, Turcs & Tartares, estoit magnifique, & jamais on ne vit des Rubans, des Plumes, & des Pierreries en si grande confusion. Ils avoient huit Trompetes, & trente Personnes de Livrées, tous fort lestes, & montez sur les plus beaux Chevaux d’Italie. Les Dames & les Cavaliers qui se trouverent à ce merveilleux Spéctacle, estoient dans des Loges faites exprés. Il y avoit de grands Echafauts pour les Etrangers, le tout dans le lieu mesme de l’Académie, qui peut contenir jusqu’à quatre mille Personnes. Les seize qui formerent ces quatre Quadrilles, estoient Mr le Duc de Mantoüe ; Mr Moulin, Mrs Cornaro, deux Freres ; Mrs Vanieri, deux Freres, & un Cousin ; Mr Dolfin, Mrs Morosini, deux Cousins ; & Mrs Foscarini, Loredan, Zanobie, Tiepolo, Capello, & Cavabli, tous de la meilleure Noblesse Venitienne, des plus riches, & des plus adroits.

La Nymphe de Chaville §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 148-159.

Je croy vous avoir parlé d’un Panegyrique de Mr le Chancelier, fait en Vers Latins par Mr de Santeüil, Chanoine de S. Victor. Je ne vous repéteray point qu’il a un commerce tres-familier avec les Muses, & qu’il ne part rien de luy qui ne fasse voir qu’elles le favorisent de leurs graces les plus particulieres. Le Panegyrique dont je vous parle en est une preuve. Elles y sont répanduës par tout. C’est ce qui a engagé un fort galant Homme, non pas à le traduire tout à fait en nostre Langue, mais à en prendre l’idée genérale & quelques pensées, car pour la fiction elle est traitée diféremment. Cela n’empesche pas qu’il n’avoüe qu’on doit uniquement à Mr de Santeüil cette ingénieuse maniere de loüer Mr le Chancelier.

La Nymphe

de Chaville.

Lors que le choix du Roy dans le Grand le Tellier
Fit revoir à la France un digne Chancelier,
À peine le sçeut-on, qu’une Bouche fidelle
À Chaville bientost en porta la nouvelle,
Chaville, où ce Héros va prendre quelquefois
Un moment de relâche à ses graves Emplois.
Ce n’est point un Palais d’admirable structure,
Ny des Jardins où l’Art surpasse la Nature.
De l’Ombre, quelques Eaux, & des Berceaux galans,
Font de cette Maison les charmes les plus grands,
Une propreté noble, une grace champestre,
C’est tout ; ainsi le veut la sagesse du Maistre.
Mais, loin de l’imiter, la Nymphe de ces lieux,
Æglé, cachant toûjours un cœur ambitieux,
Se persuade enfin que tant de modestie
Avec un si haut Rang seroit mal assortie.
Déja pour embellir ses Jardins & ses Eaux,
Elle forme en secret mille projets nouveaux,
Elle ne se croit plus une Nymphe ordinaire,
Ses jeux accoûtumez ne sçauroient plus luy plaire,
Des Hostesses des Bois les simples entretiens
Luy paroissent trop bas pour y mesler les siens,
Et la superbe Æglé n’a plus rien à leur dire,
Ou veut toûjours parler de tout ce qu’elle admire,
Tantost de ces grandeurs où son orgueil prétend,
Et tantost du Héros dont elle les attend.
Puis, pour leur en tracer une pompeuse image,
Elle peint des éclairs sortans de son visage,
Luy met dessus le front l’austere gravité,
Luy donne dans les mœurs plus de severité,
Décrit de son pouvoir les marques venérables,
Fait voir autour de luy des armes redoutables,
Spéctacles, je l’avouë, illustres, glorieux,
Mais inconnus encore à ces paisibles lieux.
Aussi les Sœurs d’Æglé n’y trouvent pas grands charmes,
Le Héros sous ces traits leur donne trop d’allarmes.
L’une a peur que le bruit d’une nombreuse Cour
Vienne souvent troubler leur tranquille sejour ;
L’autre, qui cherche en luy sa douceur si connuë,
Demande en soûpirant ce qu’elle est devenuë ;
Et toutes, pour cacher leur crainte, ou leurs regrets,
Se retirent bientost dans leurs Autres secrets.
Cependant le Tellier vient avec peu de suite.
A son abord Æglé, par son devoir instruite,
Au dessus de son Urne émeut de petits flots,
Et de leur doux murmure aplaudit au Héros.
Mais, Dieux ! en le voyant, quelle surprise extréme,
De ne point découvrir cette pompe qu’elle aime,
Tout ce grand appareil vanté dans ses discours ?
Il paroist à ses yeux tel qu’il parut toûjours.
Ailleurs rien n’est changé ; la fiere Sentinelle
N’usurpe point l’employ du Concierge fidelle,
On n’entend point parler de Gardes ny d’Exempt,
*** n’est point là dans son habit décent.
Costeaux qui vous cachez sous les vertes feüillées,
Bois, Prez, tendres Gazons, agreables Valées,
Ce vous doit estre un sort & bien noble & bien doux,
Que le Tellier vous cherche, & se plaise avec vous.
Dans vos charmans détours je le voy qui s’avance,
Bien loin autour de luy regne un profond silence,
C’est ainsi que ces lieux semblent le revérer ;
Le plus petit Zéphir n’oseroit respirer,
Les Chansons des Oiseaux sont à l’instant cessées,
Tout craint de le distraire en ses hautes pensées ;
Mais non, chantez, Oiseaux, folâtrez, doux Zêphirs,
Il ne vient point gesner vos innocens plaisirs,
Au lieu de ce respect montrez-luy de la joye,
C’est pour le divertir que le Ciel vous l’envoye.
Tandis qu’il se promene en ces lieux pleins d’appas,
Une simple Naïade, au bruit que font ses pas,
A travers le cristal de sa demeure humide,
Ose le parcourir d’un œil prompt & timide,
Mais n’appercevant rien de ce qu’a dit Æglé,
Elle rend un doux calme à son esprit troublé.
Il semble que de joye au sortir de sa source,
Pour l’aller publier, elle haste sa course ;
Tous les Bois d’alentour sont bientost avertis,
Et les discours d’Æglé sont bientost démentis.
Vous verriez à sa voix revenir les Naïades,
Et de leurs troncs ouverts accourir les Driades,
Comme apres un orage on peut voir des Pigeons
Que le Soleil rassemble à ses premiers rayons.
A l’aspect du Héros ce n’est plus qu’allégresse,
La foule pour le voir se grossit & s’empresse,
Pan mesme, & ses Sylvains, venant de toutes parts,
Ont peine à contenter leurs avides regards.
Alors, comme à l’envy, sur leurs pipeaux rustiques,
Ils osent celébrer ses vertus héroïques,
Les Oiseaux réjoüis y meslent leurs concers,
Et la voix des Echos les répand dans les airs.
Mais vous, qui demeurez interdite & confuse,
Æglé, reconnoissez que l’orgueil vous abuse,
Que pour les vrais Héros le faste est sans appas,
Et qu’ils soufrent la pompe, & ne la cherchent pas.

Les Rossignols. Fable §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 177-181.

Si vous cherchez celle qui empesche les jeunes Rossignols de chanter aussi agreablement que leurs Peres dés qu’ils se peuvent servir de leurs aisles, vous la trouverez dans cette Fable de Mr Brossard Conseiller au Présidial de Bourg en Bresse.

Les

Rossignols.

Fable.

UN jeune Rossignol depuis peu déniché,
        Estoit nuit & jour attaché
    A se former sur le chant de son Pere ;
Mais bien qu’il fust exact à prendre ses leçons,
Il ne pouvoit atteindre à la fine maniere,
Dont le vieux Rossignol debitoit ses Chansons.
Apres bien de la peine, un jour ne pouvant rendre
        Certains passages délicats,
        Qu’on avoit beau luy faire entendre,
        Et que les soins n’attrapoient pas ;
        Je ne sçay (dit-il à son Pere
        D’un ton qui marquoit sa colere)
        Si je suis Rossignol, ou non.
Je gazoüille au hazard, sans grace & sans justesse,
Et tout ce que je chante a moins de politesse
        Que le chant d’un jeune Pinçon.
De grace, instruisez-moy, contentez mon envie,
        Vos chansons me rendent jaloux,
        Et je ne chante de ma vie,
        Si je ne chante comme vous.
        Au lieu de se mettre en couroux,
Le vieux Musicien le prit d’un air tranquile ;
Pour la saison, dit-il, vous en sçavez assez,
        En vain vous vous embarrassez,
C’est un empressement qui vous est inutile.
Ce que vous demandez ne dépend point de moy,
Et ce n’est qu’au Printemps que vous serez habile,
        La Nature a fait cette loy ;
        Lors que dans la saison nouvelle
        Une jeune & blonde Femelle
        Vous aura donné dans les yeux,
        L’envie & le soin de luy plaire
        En un jour vous instruiront mieux
        Que tout ce que je pourrois faire.
        Au fonds je fais ce que je puis,
        Et de l’air dont je vous instruis,
Je vous en montre assez pour marquer vostre espece,
C’est tout ce qu’aujourd’huy je puis vous enseigner,
        Car la douceur, la politesse,
        Les agrémens, la délicatesse,
C’est l’amour seul qui vous les peut donner.

[La Femme Amante de son Mary, Galanterie] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 190-202.

Il faut vous tirer de cette fâcheuse image de mort par le récit d’une galanterie qui vous surprendra. Il est certain que celles que l’Amour inspire au beau Sexe, sont toûjours les plus tendres & les plus ingénieuses ; mais il est si rare que les Femmes soient galantes pour leurs Marys, que ce que j’ay à vous dire là-dessus, quoy que vray, pourra ne vous paroistre pas vray-semblable.

Une belle Dame ayant épousé un jeune Marquis aussi spirituel que bien fait, se vit réduire à s’en séparer dés les premiers jours de son Mariage. Rien ne luy parut si cruel que cette necessité. Elle l’aimoit avec une tres-ardente passion. Il n’en avoit pas moins pour elle, & il s’estoit rendu digne de sa tendresse par toute la sienne, mais ils eurent beau se plaindre de leur malheur. Il falut faire ceder l’amour à la gloire ; & comme il auroit esté honteux au Marquis de se laisser arrester par une Femme, quand les occasions de servir son Prince l’appelloient, où toutes les Personnes de sa naissance ne se pouvoient dispenser d’aller, il continua les Campagnes qu’il avoit déja commencé de faire, & passa deux ans sans revenir. Il signala son courage en plusieurs rencontres. La Belle entendoit parler tous les jours de luy avec grande estime ; mais comme ce n’estoit point le voir, cette joye ne luy tenoit lieu que d’une fort legere consolation. Enfin il plût à Sa Majesté de donner la Paix à ses Ennemis. Le Traité qui en fut conclu à Nimegue, mit le Marquis en pouvoir de quiter l’Armée. La Belle l’apprit avec des transports de joye qu’on ne se peut figurer ; & comme le Marquis prenoit des mesures si justes pour son voyage, qu’il l’avertissoit précisément du jour de son arrivée, elle résolut de le surprendre, & obligea quelques Gentilshommes de ses Parens, d’aller au devant de luy dans un Bois éloigné d’une demy-lieuë de la Ville, où elle faisoit son ordinaire sejour. Elle les avoit priez de l’y arrester, & ils furent fort surpris d’y trouver une somptueuse Collation qu’on y avoit préparée par ses ordres. Ils n’attendirent pas longtemps le Marquis. A peine eurent-ils fait une demy-lieuë sur sa route, qu’ils le découvrirent. Il les embrassa, & estant venu avec eux au lieu où estoit la Collation, les apprests luy en parurent si obligeans, que quelque impatience qu’il eust d’avancer, il ne pût se défendre de demeurer dans le Bois jusqu’à l’entrée de la nuit. Ils alloient tous monter à cheval, quand tout à coup ils entendirent un bruit de Tambours, de Fifres, & de Mousquetades, qui les étonna. Le Marquis croyoit estre encor à l’Armée. Il demanda où estoient ses armes, ne sçachant si on avoit dessein de les attaquer. Il ne fut pas longtemps dans cette pensée. Ce bruit de guerre cessa, & laissa entendre plusieurs Instrumens qui formoient une tres-agreable harmonie. C’estoit un Concert qui se faisoit sur une Riviere, à quatre cens pas du Bois où les Cavaliers estoient. Comme le lieu où l’on avoit servy la Collation, n’estoit pas fort couvert d’Arbres, il ne leur fut pas mal-aisé de remarquer que plusieurs petits Bateaux, avec des Tentes retroussées, où l’on voyoit briller l’or de toutes parts, s’avançoient sur cette Riviere. Quantité de Lampes estoient attachées sur leurs bords, & les Lustres qu’on avoit mis en ordre sous ces Tentes ambulantes, rendoient assez de clarté, pour faire paroistre plusieurs Dames dans un équipage tout à fait galant. Le Marquis ne sçavoit que juger de cette Feste. Il s’estoit avancé jusqu’au bord du Bois avec ceux qui estoient venus à sa rencontre, & ils raisonnoient ensemble sur cette galanterie, dans laquelle il estoit fort éloigné de croire qu’il pût avoir part. Cependant les Dames descendirent de leurs Bateaux, & s’estant arrestées apres avoir fait deux cens pas vers les Cavaliers, une d’elles qui avoit la voix admirable, chanta le Quadrain suivant.

    Celebrons LOUIS, dont les charmes
Le mettent au dessus de tous les autres Rois ;
    Il triomphe moins par ses armes,
    Que par la douceur de ses Loix.

Cet Air chanté, les Dames firent encor quelques pas, s’arresterent de nouveau, & la même Personne qui avoit déja fait admirer sa voix, chanta ces autres Paroles.

Mes yeux, vous l’avez veu ce magnanime Prince,
Subjuguer en huit jours une grande Province.
L’Espagnol est soûmis plus qu’il ne fut jamais,
    Et n’a de salut qu’en la Paix.

Le Marquis ne put résister davantage à l’envie de sçavoir qui estoient ces Dames. Il s’avança vers elles, aussi-bien que les autres Cavaliers, & à la clarté de six Flambeaux qui precédoient cette belle Troupe, il remarqua qu’elle estoit composée de vingt Personnes, à la teste desquelles il y en avoit une de tres-belle taille, (vous jugez bien que c’estoit sa Femme,) ornée d’une grande Veste de Satin blanc, sous laquelle estoit un Brocard incarnat entremeslé d’or. Il attacha particulierement ses yeux sur cette Dame sans sçavoit pourquoy, & il souhaita d’autant plus la voir, qu’un grand Voile que le vent faisoit voltiger, luy cachoit tout le visage. Elle le leva quand elle fut assez pres de luy pour en estre reconnuë, & elle ne se fut pas plûtost montrée, que voyant si pres de luy ce qu’il avoit de plus cher au monde, il fit un grand cry, courut l’embrasser, & demeura quelque temps sans s’apercevoir qu’il manquoit de civilité pour les autres Dames. Il les salüa, entra avec elles dans un des Bateaux qui les attendoient, & fit paroistre à sa Femme toute la reconnaissance possible de la galante reception qu’elle luy faisoit. Le Concert recommença. On arriva dans la Ville. Toutes les Dames accompagnerent le Marquis chez luy, & y trouverent un magnifique Repas. Le Bal suivit, & rien ne manqua de ce qui peut contribuer à rendre une Feste fort agreable.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 202-215.

Avoüez, Madame, que si les Femmes vouloient prendre modelle sur celle-cy, elle seroit d’un fort bon exemple, car on sçait ce qui est deû au beau Sexe. Il est né pour recevoir des hommages, & beaucoup de Belles ne prendroient peut-estre pas tant de plaisir qu’elles font à écouter ceux qui leur en content, si les Hommes ne cessoient pas d’estre Amans aussi-tost qu’ils sont devenus Marys. Je sçay qu’il est quelquefois dangereux de trop écouter, mais aussi il ne faut pas affecter d’estre insensible. On rebute les Amans qu’on désespere, & il doit y avoir en cela un milieu comme en toutes choses. La Lettre qui suit vous apprendra les conseils que Mr de Merville donne là-dessus à une aimable Personne.

A Mademoiselle D***

A Thiers en Auvergne

le 10. Fevrier 1679.

PUis que l’éloignement des lieux me prive de l’honneur de vous voir, il faut, belle Iris, que je me console en vous écrivant, & que je vous entretienne de loin ; mais comme il est assez difficile de vous faire tenir les Lettres qu’on vous écrit où vous estes, je me sens d’un Messager qui passe par tout, à qui les Cabinets des plus grands Seigneurs sont ouverts, & dont le ministere est aussi honneste à présent, qu’il estoit autrefois scandaleux. Vous voyez bien que c’est du Mercure que je vous parle. Ne soyez pas surprise de la peine qu’il prend pour moy. Il n’y a rien de plus obligeant que luy, & peut-estre un peu de reconnoissance l’engage-t-elle à me servir au besoin. Il fait tous les mois un voyage en ce Païs-cy. Mon Logis est sa demeure la plus ordinaire. Je le mene en bonne compagnie, & tout le monde le veut avoir à son tour. A la verité c’est une hospitalité peu méritoire. Il est accompagné d’un si grand nombre de plaisirs ; il est si bien fait & si galant, qu’il y a peu de Bourgeois qui n’eussent esté ravis de changer d’Hoste avec moy, lors que les Dragons de Boursard estoient en garnison en cette Ville. Cependant ce Regiment est commandé par des officiers de mérite & de qualité ; & quand vous sçaurez que nos Dames sont aussi bien faites que spirituelles, vous n’aurez pas de peine à croire que nous nous préparions à bien passer le reste du Carnaval. Chaque Belle avoit déja fait plus d’une conqueste. Plus d’un Brave s’estoit déja rendu, & l’on ne parloit que de Divertissemens & de Festes, quand un malheureux Contr’ordre nous enleva tous nos Officiers. On n’en est pas encor bien revenu. Les Dragons sont allez en Provence, & leur départ avec le froid semble avoir resserré tous les plaisirs. Le voisinage des Montagnes le rend icy beaucoup plus insuportable qu’il n’est ailleurs. Cependant peu à peu

Le cruel Hyver fait place
À la saison de l’Amour.
Nous ne verrons plus de glace,
Le Printemps aura son tour.
Ses charmes se vont répandre
Pour chasser tous nos ennuis ;
Mais vous ne devez attendre,
Si vous n’avez le cœur tendre,
Ny les beaux jours, ny belles nuits.

Faites vostre profit de l’avis, & songez-y plus-tost que plus-tard. Il n’est point necessaire d’attendre que le Rossignol vous en parle. L’Amour n’a point de meilleur Interprete que luy-mesme. Il est de tous les âges & de toutes les saisons.

    L’on peut s’engager en tout temps.
    A quoiy bon remettre au Printemps ?
En vain les noirs frimats affligent la Nature,
    En vain la neige étouffe la verdure,
    L’Hyver ne peut rien sur l’Amour,
    Celuy-cy me le fait connoistre ;
    Certaine ardeur que je sens naistre,
Au lieu de s’amortir, augmente chaque jour.

Je suis fort trompé cependant si mon exemple vous persuade ; & pour vous attacher sérieusement, vous estes trop prévenuë du Proverbe Italien, Cogli la Rofa, e lascia star la spina. Apprenez celuy-cy, belle Iris, E viezza talhora mutar consiglio. Vous croyez que cette Rose sans épine, est d’avoir beaucoup d’Amans sans que vous en aimiez aucun ; mais l’un n’arrive guere sans l’autre. Une cruelle insensibilité guérit les plus malades, & l’on est bientost las de soûpirer à crédit.

Qu’il ne soit point de cœur insensible à vos coups,
Que de vos agrémens une Ame soit charmée,
Avec tous ces attraits, avec ces yeux si doux
Il faut aimer un peu pour estre bien aimée.

C’est alors que le plaisir du triomphe fait oublier la fatigue du combat. On est si remply des charmes de sa victoire, que les chagrins qui les peuvent suivre ne servent qu’à les faire mieux savourer. Ils nous les rendent plus chers, & ressemblent en quelque façon à ces petits Diamans mis en œuvre aupres d’une Pierre fort précieuse pour en relever l’éclat. Le temps qui nous paroist long dans l’absence, nous donne le plaisir de songer incessamment à ce que nous aimons. Quand il arrive quelque disgrace à l’Objet aimé, l’on ne se peut satisfaire plus agreablement qu’en luy sacrifiant mille pleurs, dans un lieu où l’Amour seul est témoin de nostre tendresse. Un peu de jalousie redouble nos soins. On en prend quelquefois pour avoir le plaisir d’en témoigner ; & on se fait souvent une agreable occupation d’un malheur imaginaire.

En Amour la difficulté
Anime un cœur à la conqueste,
Et la disgrace qui l’arreste
Redouble sa fidelité.

Mais il s’en trouve peu dont la constance tienne bon contre le desespoir. Si l’on se flate au commencement, on se détache à la fin. Les maux de l’amour veulent estre partagez, autrement ils deviennent insuportables ; & puis que je suis en train de parler une Langue que vous possedez, il faut que je vous dise encor, ch’il mele si fa lecare per che è dolce.

Si vous voulez que l’on vous aime,
Il faut aimer à vostre tour ;
Car le meilleur philtre d’Amour,
Aimable Iris, c’est l’Amour mesme.

Si vous examinez mes conseils, vous trouverez que je vous les donne en Amy. C’est vostre interest seul que je regarde ; & comme je sçay qu’on va de l’oreille au cœur, & que vous chantez parfaitement, j’ay fait mettre en Air les premiers Vers de ma Lettre. Faites-y refléxion, & me croyez vostre, &c.

[Air]* §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 215.

Voicy l’Air dont il est parlé sur la fin de cette LettreII. Comme vous en avez déjà lû les Vers, je me contente de vous les envoyer meslez avec les Notes. Ce sont ceux qui commencent par

Le cruel Hyver fait place, &c.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Le cruel Hyver fait place, doit regarder la page 215.
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[Lettre en Vers de Brunaut, Matou banal des environs d’Argentan, à l’aimable Grisete, Chate de Madame des Houlieres] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 215-220.

C’est une étrange chose que l’amour. Il ne cause pas seulement du fracas parmy les Hommes, il tourmente jusqu’aux Animaux, & l’aimable Chate Grisete pour laquelle tant de beaux Esprits ont fait les galantes Pieces que vous avez leuës dans l’Extraordinaire du Quartier d’Octobre, n’a pas borné ses conquestes à Paris. Le bruit de son mérite a esté plus loin, & voicy ce qu’on luy écrit d’aupres d’Argentan. La Lettre est au nom du Matou Brunaut, à qui Mr d’Abloville a prêté ces Vers.

Brunaut,

Matou banal des

environs d’Argentan,

à l’aimable

Grisete,

Chate de Madame

des Houlieres,

ATtendant l’autre jour une tendre avanture,
        Assis aupres d’une Masure,
    Où je traitois d’heures tous les momens
    Qui retardoient la fin de mes tourmens,
        Grisete, j’appris du Mercure
        Vos aimables miaulemens.

***
Ils me firent bientost abandonner la place,
        Et malgré la neige & la glace,
Concevoir le dessein de me rendre à Paris.
Un Chat qui pour vous voir veut quiter son Païs,
Par la saison qu’il fait, mérite quelque grace,
Voudriez-vous luy marquer du mépris ?

***
Je suis de qualité ; je ne sens point le Drille,
On peut sans vanité compter dans ma Famille
        Des Chats Héros de Pere en Fils,
    Les Rodilards, les Rominagrobis,
De tout temps ont passé pour estre fort habiles
        A faire la guerre aux Souris.

***
Nulle Chate en ces lieux ne m’a paru Tygresse ;
        Si la beauté, si la tendresse,
Pouvoient me contenter, mon sort seroit bien doux ;
        Mais des Chats bastis comme nous,
Demandent de l’esprit, de la délicatesse,
        Et tout cela n’est que chez vous.

***
Tata m’allarme quelque peu ; quoy qu’il sçache bien dire,
    Bien raisonner, bien rimer, bien écrire,
        Il n’est, en gros comme en détail,
        Bon qu’à faire un Chat de Serrail,
Son conseil vaut beaucoup, mais c’est lors qu’on veut rire,
        Peu de chose que son travail.

***
Tous les autres Matous de vostre voisinage
    A mon abord changeront de langage,
        Entr’autres Dom Gris & Mitin ;
        Certain Renault, certain Blondin,
    Renonceront pour jamais au fromage,
    Quand je voudray prendre mon air mutin.

***
        Cecy n’est point par Gasconnade ;
S’ils veulent avec moy venir à la gourmade,
        Ils verront comme un Chat Normand,
        Qui s’est declaré vostre Amant,
        Sçait mettre en jeu l’estafilade,
    Pour posseder un Objet si charmant.

[Monument découvert à Geneve] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 220-225.

Il y a longtemps que j’oublie à vous parler d’un Monument qui a esté découvert à Geneve depuis quelques mois. C’est un Marbre quarré & assez mal poly, qui doit avoir servy de Piédestal à une Statuë du Dieu Silvain. On le connoist & à quelques vestiges de l’assiette des pieds du Simulacre qui se remarquent encor au dessus de cette pierre, & à l’Inscription d’un de ses Panneaux. Il n’y a rien de gravé sur les trois autres. Voicy ce que contient cette Inscription.

DEO SILVA

NO PRO SALV

TE RATIARIORUM

SUPERIOR. A

MICOR. SUOR.

P…. T SANCT.

MA….S.. CIVIS HEL

V. S. L.     M

Quelques Bourgeois de Geneve allant à la Pesche, apperçeurent cette Antiquité dans le fond du Rhône à sa sortie du Léman. L’eau estoit alors si basse & si claire, qu’il leur fut aisé de voir que la pierre estoit écrite. Ils eurent soin de la faire tirer sur le bord, un peu au dessous de la Tour qu’on appelle de César. Elle y demeura exposée deux ou trois jours, en suite de quoy elle fut portée dans la Court de l’Hostel de Portugal. Mr Minutoli, Professeur aux belles Lettres, à qui appartient présentement cet Hôtel, fit un peu apres deux Dissertations Académiques sur cette nouvelle découverte, & les recita publiquement. Il parla du Dieu Silvain, mais sans s’y étendre beaucoup, parce qu’il s’en voit quantité d’autres Inscriptions & dans le Trésor de Gruter, & dans les Pieces que le sçavant & curieux Mr Spon continuë de nous donner. Il s’arresta principalement sur la navigation du Lac Léman, laquelle du temps des Romains, & mesme longtemps apres, ne s’est faite qu’avec des Radeaux. Le mot de Ratiarij qui est connu des Jurisconsultes, comme celuy qui signifie des Conducteurs de Radeaux, & qui n’avoit point encor paru dans aucune Inscription, luy fournit la matiere de quantité de doctes Recherches, dont je ne doute point qu’il ne fasse un jour part au Public.

[Le Triomphe de Bélise, Galanterie, pour apprendre aux Dames à connoistre leurs Amans] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 248-315.

Il s’est fait depuis peu une galanterie, dont la nouveauté vous divertira. Je dis plus, Madame. Elle pourra estre utile à plusieurs de ces Belles que vous connoissez, qui ayant grand nombre d’Amans, sont embarassées dans le choix qu’elles doivent faire d’un Mary. Voicy ce qui a donné lieu à la galanterie dont je vous parle.

Un Cavalier d’une Naissance tres-considérable, ayant pris une forte passion pour une jeune Personne dont l’esprit ne brilloit pas moins que la beauté, eut le malheur de luy voir épouser un Marquis, que des raisons de famille engagerent ses Parens à luy préferer. La Belle consentit à ce mariage. Elle avoit de l’estime pour le Cavalier ; mais comme il n’estoit pas le seul qu’elle eust écouté, elle avoit reçeu ses soins sans attachement, & s’estoit tenuë toûjours assez maîtresse de ses sentimens, pour s’accommoder du choix qu’on feroit pour elle. Le Cavalier la perdit avec une douleur inconcevable, mais il ne put cesser de l’aimer. Il luy rendoit mille agreables services, faisoit tout son plaisir de la voir quand il en pouvoit trouver les occasions, & luy ayant protesté en plusieurs rencontres que malgré son engagement il ne vivroit jamais que pour elle, il refusa tous les Partys qui se presenterent, quelques avantageux qu’ils fussent pour luy. La Belle Marquise devint Veuve. Il s’attacha aupres d’elle plus que jamais, & comme elle avoit beaucoup de merite, il eut bien-tost beaucoup de Rivaux. Tant de Protestans l’inquiéterent. Il ne put voir leurs assiduitez sans quelque chagrin, mais il eut beau le faire paroistre. C’estoit l’humeur de la Dame. Elle aimoit le monde, & estant devenuë maistresse d’elle-mesme, elle crut devoir profiter de cet avantage. Sa cour grossissoit de jour en jour. Chacun luy disoit qu’elle estoit aimable, & rien ne luy plaisoit tant que de se l’entendre dire par plusieurs bouches. Le Cavalier luy en faisoit quelquefois de galans reproches, & l’ayant trouvée un jour avec cinq ou six de ses Amies sans aucun de ses Rivaux, il dit les choses du monde les plus agreables sur un abandonnement si peu ordinaire. Il se mit en suite à resver profondement. On en fut surpris. Il sçavoit si bien parler, qu’on ne luy donnoit jamais sujet de se taire. Les Dames sont curieuses. Celles qui estoient de la conversation voulurent sçavoir le sujet de sa resverie. Il répondit qu’il faisoit réflexion sur la quantité d’Amans qu’avoit la Marquise, & qu’il en venoit de compter plus de cinquante. Elles commencerent toutes à rire, & de ce nombre d’Amans, & de la réflexion. La Marquise n’en fut point fâchée. Une Belle ne l’est jamais d’avoir des Adorateurs, quand mesme elle n’en aimeroit aucun, puis que le nombre est une preuve de son mérite. Une Dame des plus enjoüées de la Compagnie poussa la matiere, & dit que ce qui l’empescheroit de recevoir tous les vœux qu’on s’empresseroit de luy offrir, estoit qu’elle croyoit impossible d’avoir des Amans en si grand nombre, sans qu’il y en eust de bien fatigans. Elle adjoûta qu’il y avoit apparence que le Cavalier connoissoit parfaitement les defauts de tous ceux qui s’estoient déclarez pour la Marquise, n’y ayant personne qui eust des yeux plus penétrans qu’un Rival, quand il s’agissoit d’examiner ses Rivaux. Le Cavalier se contenta de répondre qu’il n’y avoit aucun d’eux qui ne meritast d’estre estimé, puis qu’on ne pouvoit aimer la Marquise sans se montrer de bon goust. On se récria sur cette douceur, & la Marquise qui accusa le Cavalier d’estre peu sincere, ne luy pardonna ce qu’il avoit dit de trop obligeant pour elle, qu’à condition qu’il feroit la peinture de tous ses Amans. Les Dames condamnerent le Cavalier à luy obéïr ; & comme ce qui approche un peu de la satyre divertit beaucoup, elles luy firent une espece de necessité de parler contre ses Rivaux, adjoûtant pour l’y engager plus aisément, qu’on sçavoit bien qu’il ne feroit que des peintures de leurs manieres d’aimer plus plaisantes que satyriques, & qui ne diminuëroient rien de leur réputation. La chose valoit bien qu’on y pensast. Le Cavalier demanda du temps & voicy ce qu’il envoya quelques jours apres à la Marquise. Il fit faire une Pyramide de cœurs, sur lesquels des Amours en l’air tiroient des fléches de tous costez. Il y en avoit un qui faisoit la pointe de la Pyramide, & qui sembloit dominer sur tous les autres. Il tenoit un cœur percé qu’il regardoit. On en remarquoit plusieurs sur des degrez de Marbre qui faisoient le pied de cette mesme Pyramide, & ceux-là estoient en posture d’Amours qui se retirent, & qui ont eu leur congé. Tous ces Amours avoient des attitudes diférentes, aussi bien que ceux qui estoient dans les Paneaux. A costé de chaque Amour on voyoit un Chifre, & ce Chifre avoit son raport à un autre du mesme nombre, mis au dessus d’un petit discours mêlé de Prose & de Vers qui expliquoit la nature de cet Amour. Il y avoit jusqu’à vingt-sept de ces Amours marquez par des Chifres, & les vingt sept Articles qui les regardoient, estoient écrits en lettres d’or dans un grand Rideau au dessous de la Pyramide. Vous en pouvez voir la Figure que je vous envoye gravée. J’ay suprimé le Rideau, parce qu’il auroit esté trop grand. Vous n’y perdrez rien, puis que je vous vay écrire tout ce que vous y auriez leû, si je l’avois fait graver avec la Figure. Les Chifres vous marqueront les Amours ausquels chaque Article doit se rapporter. Cette agreable Galanterie estoit accompagnée d’une Lettre du Cavalier conçeuë en ces termes.

A la charmante

Belise.

DEmander à un Ennemy ce qu’il pense de son Ennemy, c’est le croire bien genéreux, ou n’avoir pas dessein d’adjoûter foy à ce qu’il en dira. Il en est de mesme d’un Amant, qui ne regardant ses Rivaux que d’un œil de jalousie, ne sçauroit en dire du bien. Il a de la peine à leur trouver du mérite, parce qu’il ne leur en souhaite point. Il ne les examine que de leur mauvais costé, & son plus grand desir seroit qu’on ne leur vist rien que de haïssable. Quand je vous dirois que je ne suis point de ce nombre, je ne sçay si en faisant trop l’honneste Homme, on ne me prendroit point pour un Amant peu touché. Comme la raison n’est pas toûjours la marque d’un grand amour, il est dangereux d’estre trop raisonnable en aimant. La plûpart des Femmes sont délicates, sur tout quand elles ont de l’esprit. Elles tirent des conséquences de la moindre chose, & il vaut souvent mieux leur montrer qu’on les aime éperduëment, & mériter par là leur tendresse, que de s’acquérir leur estime par des voyes qui leur font connoistre qu’on a plus de raison que d’amour. Un Amant qui sçait trop se posseder, plaist rarement à une Maîtresse. Elle croit que ce grand empire qu’il conserve sur soy-mesme, s’étend jusqu’à le rendre toûjours maître de son cœur ; & dans la pensée qu’il est en pouvoir de s’en resaisir quand il luy plaira, elle ne luy laisse pas faire de grands progrés sur le sien. Voila, ce me semble, par où je pourrois m’autoriser à une entiere Satyre contre mes Rivaux ; car à dire vray, charmante Bélise, je vous aime trop pour ne les pas haïr beaucoup. Vous me dispenserez pourtant de vous en nommer aucun. Vous avez trop d’esprit pour ne les pas connoistre par la peinture que je vous en vay faire ; & je ne sçay s’il n’y en aura pas beaucoup qui ne se connoistront pas si bien eux-mesmes que vous les connoistrez. Ce qui me le fait croire, c’est que plusieurs attribuënt aux autres les defauts qui sont en eux. Ils en sont sans doute moins condamnables, puis que s’ils croyoient les avoir, ils chercheroient à s’en corriger. Je dois pourtant demeurer d’accord qu’il y en a parmy eux qui ont du mérite, mais ce mérite n’est pas complet, ce qu’ils ont de bon estant meslé de qualitez peu dignes qu’on les trouve aimables. Pour vous, charmante Bélise, on peut dire que les Amours s’intéressent à vous servir à l’envy, puis que vous avez des Amans de toute sorte d’âges, de tempéramens, & d’humeurs. Cette diversité vous est glorieuse. C’est un avantage de soûmetre des cœurs de toute nature, & il n’y a point un plus grand triomphe pour une Belle ; car enfin, quoy qu’un Brutal ne doive pas estre aimé, il est plus glorieux d’assujetir ce Brutal, qu’un Amant naturellement tendre. Je dis la mesme chose des autres cœurs peu disposez à l’amour. Vous avez tout assujety ; c’est ce qui rend vostre triomphe parfait. Vous en avez rebuté plusieurs ; c’est ce qui donne le dernier éclat à vostre gloire. Vous en soufrez par pitié ; c’est ce qui fait connoistre vostre bonté. On ne doit pas s’étonner apres cela, si le Tableau que je prens la liberté de vous envoyer, porte le titre de vostre triomphe.

Voicy ce que cet ingénieux Amant avoit fait écrire en lettres d’or sur chaque Amour representé dans ce Tableau.

Le Triomphe

de Belise.

1. L’Amour entreprenant.

CEt Amour estoit à craindre pour vous. Il n’a jamais de respect ; & comme il falloit que vous fussiez toûjours en garde avec luy, vous avez bien fait de le chasser.

Les indignes Amans qu’il vous avoit soûmis,
    Haissant les discours frivoles,
Joignoient les actions à l’ardeur des paroles,
Et croyoient qu’à leur feu tout dust estre permis.
Sur ces Entreprenans on n’a qu’un vain empire,
    Il ne vous aiment que pour eux,
    Et de tels Amans, pour tout dire,
    Sont plus débauchez qu’Amoureux.

2. L’Amour sans esprit.

Cet Amour aussi maltraité de vous que de ses Freres, dont peu le veulent reconnoistre, a mis au nombre de vos Amans de pauvres Esclaves qui sont à plaindre, mais qui sont en mesme temps si peu dignes que vous les considériez, que vous ne luy avez point fait d’injustice en le bannissant ;

    Car enfin on a beau me dire,
    Que qui pour de beaux yeux soûpire,
Quoy qu’il soit sans esprit, peut aimer fortement.
    Quand son amour seroit extréme,
Comme il s’agit de plaire, il faut que cet Amant
Ait plus que de l’amour pour meriter qu’on l’aime.

3. L’Amour laid.

Il n’est point, dit-on, de laides amours. Je le veux croire ; mais cela n’empesche pas qu’il n’y ait de fort laids Amans. Cet Amour vous en a soûmis quelques-uns qui sont de ce nombre. Leur laideur vous a dégoûtée, & il s’est retiré de dépit.

Je sçay que la beauté n’est pas dans un Amant
    Le plus necessaire agrément.
L’amour, les soins, l’esprit, cela vaut mieux sans doute ;
Mais enfin quand on fait les ofres de sa foy,
Il faut avoir du moins certain je-ne-sçay-quoy
    Qui merite qu’on vous écoute.

4. L’Amour causeur

et vain.

Que vous avez sagement fait, de vous garder des Amans dont cet Amour vous avoit attiré l’hommage ! Si vous ne les eussiez chassez, leurs langues en auroient chassé bien d’autres.

Ces Causeurs éternels, & d’eux seuls amoureux,
Ne cherchent en aimant que ce qui peut paroistre,
    Et pourveu qu’on les croye heureux,
    Ils s’inquiétent peu de l’estre.

5. L’Amour paresseux.

Il y a beaucoup à risquer avec de pareils Amans ; & comme il est difficile qu’ils n’ayent autant de paresse que l’Amour qui vous les soûmet, vous n’en devez pas attendre de grands soins à vous procurer des plaisirs.

S’il faut que pour Mary cet Amour se hazarde
    A vous proposer quelqu’un d’eux,
    De grace, prenez-y bien garde.
C’est un Epoux bien froid qu’un Amant paresseux.

6. L’Amour tranquille.

Cet Amour qui aime à se reposer, & qui ne s’inquiéte jamais de rien, vous a donné des Amans qui vous feront peu de bruit. A peine vous diront-ils qu’ils vous aiment, & je ne voudrois pas mesme assurer qu’au defaut des paroles, ils vous le fassent connoistre par leurs actions.

Ils vous verront soufrir leurs Rivaux sans se plaindre,
Vostre absence jamais ne les fera gêmir,
Et mesme aupres de vous ils pourront s’endormir,
    Sans s’embarasser, sans rien craindre.
    Attirez par vostre beauté,
Ils se font de vous voir une agreable affaire ;
    Mais ils fuiroient, s’il falloit pour vous plaire,
Dérober quelque chose à leur tranquillité.

7. L’Amour Brillant.

Vous avez obligation à cet Amour. Il vous donne des Amans qui vous peuvent oster le chagrin que vous recevez de la veuë de quelques autres. Ils ont le bel air. Tout brille dans leurs manieres & dans leur personne. Ils sautent & dancent toûjours. Ils président dans les Ruelles galantes, & il n’y a point de matieres sur lesquelles ils ne trouvent abondamment à s’étendre.

C’est un torrent de mots qu’on ne peut arrester.
Ils partent sans soufrir bien souvent qu’on réponde,
    Et chacun d’eux, tant qu’on veut l’écouter,
    Dit les plus jolis riens du monde ;
Mais comme au seul brillant on doit peu s’attacher,
Ces Amans d’Oripeau ne sont point vostre affaire.
Vous aimez le solide, il sçeut toûjours vous plaire,
    Et c’est ailleurs qu’il vous le faut chercher.

8. L’Amour obstiné.

Tous ceux que cet Amour a blessez pour vous luy ressemblent ; mais ne croyez pas que quand il faudra vous aimer toûjours, ils demeurent également obstinez. Leur obstination ne consiste qu’à vouloir fortement ce qu’ils veulent, & à l’emporter mesme contre ce qu’ils aiment, soit qu’ils ayent raison ou non. Ceux qui sont de ce caractere, n’en sortent jamais.

Tant qu’ils ne sont qu’Amans, on trouve lieu d’en rire,
Chacun a, leur dit-on, ses defauts favoris ;
    Mais on en soufre un dur martyre,
    Quand ils sont devenus Maris.

9. L’Amour prompt.

Gardez-vous des Amans dont la promptitude ne sçauroit se modérer.

    Quiconque estant encor Amant,
Peut montrer sa colere à l’Objet de sa flame,
Quand il sera Mary, pourra mal-aisément
    S’empescher de batre sa Femme.

10. L’Amour soûmis.

Cet Amour est bien trompeur, & les Amans qui le reconnoissent ne le sont pas moins. Vous les voyez soûmis, insinüans, complaisans, & ils veulent tellement tout ce que vous voulez, qu’il semble que les choses les plus fâcheuses pour eux, leur soient agreables. Une si parfaite soûmission est à estimer ; mais comme il est autant d’Hypocrites en amour qu’en autre chose, on doit fort se défier de la passion d’un Amant qui a trop l’art de se posseder. En effet,

Il est bien malaisé qu’on soit toûjours le maistre
D’un amour dont l’ardeur ne sçauroit s’augmenter.
Plus cet amour est fort, & plus il fait connoistre
    Qu’il est sujet à s’emporter ;
Mais comme ses transports marquent sa violence,
La Belle qui les voit les pardonne aisément ;
Et si par politique elle en gronde un moment,
    Ce n’est qu’un chagrin d’aparence.

11. L’Amour impérieux.

Un je ne sçay quel Amour fier vous a donné des Amans si impérieux, qu’on peut dire qu’ils ne sçavent prier qu’en commandant.

L’esprit le moins timide en est déconcerté.
    C’est une hauteur sans égale,
Un sérieux qui glace, un air plein de fierté,
    Une gravité magistrale
Qui s’explique toûjours avec autorité.
De ces impérieux cherchez à vous défaire.
Les Belles comme vous naissent pour commander,
Et tout Amant qui ne veut point ceder,
    Semble n’estre point fait pour plaire.

12. L’Amour avare.

Ceux que cet Amour gouverne, ne peuvent offrir à leur Maîtresse qu’un cœur partagé, puis que leurs trésors sont toûjours ce qui leur est le plus cher. Ils rompent toutes les parties qui les pourroient engager à quelque dépense, & le moindre présent à faire leur feroit quiter la plus belle Personne du monde. Cependant quelque attachement qu’on puisse avoir pour le bien, on n’a jamais veritablement aimé, qu’on n’ait cessé d’estre avare.

De ces passions c’est l’effet ordinaire,
D’un violent amour les Amans combatus
    Changent leurs vices en vertus
    Si tost qu’ils ont dessein de plaire.
Ainsi l’on montre en vain l’ardeur des plus beaux feux ;
    Qui n’est point liberal, ne peut estre amoureux,
    Dans un Amant l’avarice est infame,
À cent defauts par elle on se laisse entraîner,
Et quand à sa Maistresse on peut ne rien donner,
    On retranche tout à sa Femme.

13. L’Amour emporté.

Les Amans qui suivent les Loix de cet Amour, sont d’abord tout de feu pour leurs Maîtresses. Gardez de vous assurer trop sur ceux qu’il vous a soûmis. Ils n’ont que des transports violens, & leurs premiers soins sont accompagnez d’un emportement de passion qui ne laisse rien à souhaiter ; mais tout ce qui est violent n’est jamais durable, & si vous y faites refléxion,

De la force souvent la foiblesse a sçeu naistre ;
Pour avoir trop agy, cette force s’abat ;
C’est ainsi qu’un grand feu qui jette un vif éclat,
S’éteint presque aussi-tost qu’il commence à paroistre.

14. L’Amour languissant.

Cet Amour est d’un caractere entierement opposé à l’autre. Ceux qu’il fait brûler pour vous, ne vous parlent jamais que des yeux. Rien n’est plus triste que leurs manieres. Ils n’ont presque pas la force d’ouvrir la bouche, & à voir leurs regards mourans, vous diriez qu’ils sont toûjours au bord du tombeau. De pareil Amans ne sont pas ceux qui aiment avec le plus violence.

Toute leur passion n’est que dans leur langueur.
Pour trop sentir, à peine ils se sentent eux-mesmes,
Ce ne sont que soûpirs, qu’abatemens extrémes,
    Qui de l’amour étoufent la vigueur.

15. L’Amour interessé.

Fuyez les Amans qui suivent les maximes de cet Amour. Ils ne peuvent aimer veritablement, puis qu’ils ont un autre but que celuy de se faire aimer. Quelques charmes que puisse avoir une Belle, ils sont moins touchez de sa beauté que du bien qu’ils en esperent, & c’est ce qui les rend encor plus à mepriser que les Avares, qui peuvent au moins aimer fortement, pourveu qu’on ne leur demande rien de ce qu’ils ont déja amassé. Qu’une belle Personne plaise à ces Avares, ils chercheront quelquefois à se satisfaire, & n’examineront point s’ils pourroient trouver ailleurs plus d’avantages. Mais

L’Amant interessé ne regarde que soy,
Dans l’hommage apparent qu’il rend à sa Maistresse.
Qu’une autre soit plus riche, il luy donne sa foy,
Et perd sans nul regret sa premiere tendresse.

16. L’Amour de gloire.

Il est beaucoup de ces Amours dans le monde, & ils vous ont attiré quelques Amans, mais songez qu’ils s’attachent moins à vous pour vous aimer, que pour faire croire que vous les aimez. Les soins qu’ils vous rendent ne sont qu’un effet de leur vanité. La pensée qu’ils ont que les apparences d’avoir quelque part dans vostre cœur leur peuvent donner de la gloire dans le monde, vous seroit avantageuse, s’ils ne vouloient en mesme temps qu’on les crust aimez de toutes les autres Belles qui ont un mérite extraordinaire, & ausquelles ils adressent leurs hommages aussi-bien qu’à vous.

    C’est sans-doute les estimer,
Jamais un bon effet n’eut qu’une bonne cause ;
Mais où l’amour n’est pas, l’estime est peu de chose,
Quand on a comme vous dequoy se faire aimer.

17. L’Amour enjoüé.

Comme il est de toute sorte d’Amours, il est aussi de toute sorte d’Amans. Celuy-cy n’a pas manqué de vous en soûmettre d’enjoüez & de badins ; mais qui rit toûjours, doit estre suspect à une Belle.

L’Amour veut quelquefois un peu de sérieux.
Qu’un de ces Enjoüez pour vos beaux yeux soûpire,
Il a beau le jurer, vous n’en sçaurez pas mieux
    Si c’est tout de bon, ou pour rire.

18. L’Amour delicat.

Les Fleches dont cet Amour a blessé pour vous quelques-uns de vos Amans, n’ont pas fait de fort profondes blessures. Ils sont toûjours prests à rompre. Tout le choque. Tout les chagrine. Des Bagatelles leur paroissent des Monstres, & ils ne croyent jamais estre aimez. Peut-estre n’agissent ils de cette sorte que par un excés de passion. Ils le disent, & je le veux croire ; mais enfin

    Quand ces plaintifs & trop fâcheux Amans
Auroient autant d’amour que de délicatesse,
    Que servent leurs empressemens,
    Si jamais leur chagrin ne cesse ?

19. L’Amour grondeur.

Tous les cœurs que cet Amour a frapez, ne sont que des cœurs d’Amans grondeurs, chagrins, inquiets, & propres à faire enrager la Beauté la plus complaisante.

De semblables Amans ne le sont que de nom,
    Et leur amour qui toûjours gronde
    Peut s’appeller avec raison
    Le plus vilain amour du monde.

20. L’Amour coquet.

Cet Amour vous a soûmis des Amans assez agreables. Ils vous disent de fort jolies choses, & dés la premiere fois qu’ils vous voyent, ils ne manquent point à vous faire les protestations les plus tendres, & les plus remplies de passion ; mais gardez de vous y tromper.

Tous leurs sermens d’amour sont sermens d’habitude,
En conter en tous lieux est leur unique êtude ;
Ainsi quelque brillant qu’étalent vos appas,
Ils ont beau vous jurer qu’un fort amour les touche,
Ils vous peignent des maux qu’ils ne ressentent pas,
Et leur cœur ne sçait rien de ce que dit leur bouche.

21. L’Amour jaloux.

Si les Amans Coquets aiment si legérement, qu’ils ne se souviennent point des protestations qu’ils ont faites, si-tost qu’ils ont quitté la Belle qui les a reçeuës, ceux que l’Amour jaloux a blessez, aiment au contraire avec tant d’excés, qu’on peut dire que rien n’approche de la violence de leur amour. Mais quoy qu’il semble que celles de vostre Sexe ne doivent rien tant souhaiter que des Amans fort passionnez, elles n’ont guére sujet de s’accommoder de ceux-cy.

Toûjours la défiance au soupçon les entraîne,
    Leur amour ressemble à la haine,
De leurs transports jaloux rien n’arreste l’éclat.
Sans cesse à ce qu’on aime imputer quelque crime,
C’est ne l’estimer point, & l’amour sans estime
N’a jamais satisfait un cœur bien délicat.

22. L’Amour capricieux.

Si vous haïssez l’inégalité, ne vous attachez pas aux Amans que cet Amour vous a engagez. Vous les trouverez un jour tout de feu, & dans l’autre vous les verrez tout de glace. Apres vous avoir montré une entiere complaisance, ils ne pourront s’empescher de vous faire paroître leur brutalité. Ils seront quelquefois prests à se détacher de vous, & vous promettront en suite une constance éternelle.

    Quel fond faire sur un Amant
Dont vous craignez toûjours que l’amour ne finisse,
    Et qui dans son attachement
    N’a pour regle que son caprice ?
Aujourd’huy tout à vous, demain presque ennemis.
Ces inégalitez sont des peines cruelles,
    Et n’accommodent point les Belles
    A qui toújours on doit estre soúmis.

23. L’Amour resveur.

Cet Amour naturellement mélancolique, n’a mis sous vos Loix que des Amans aussi mélancoliques que luy. Ils resvent toûjours, parlent peu, ont plus d’application que les autres à examiner ce qui se passe ; & quand ils sont recueillis en eux-mesmes, ils font souvent des jugemens fâcheux de tout ce qu’ils voyent. Ainsi une pareille resverie n’est pour l’ordinaire qu’une sombre jalousie cachée, dont ils soufrent beaucoup, & qu’ils n’osent pourtant découvrir, de peur qu’on ne les rebute.

Dés que le nom d’Epoux a rendu ces Amans
    Maistres de l’Objet de leurs flâmes,
Ils reforment l’abus qui causa leurs tourmens,
Et font bientost changer de conduite à leurs Femmes.
    Sur tout ce qui leur a déplú,
Et dont avant l’hymen ils n’ont osé se plaindre,
    Ils parlent d’un ton absolu,
Et s’ils ne sont aimez, du moins ils se font craindre.

24. L’Amour…….

Je ne sçay quel nom donner à cet Amour. Il ne fait que des Amans qui aiment leurs aises, & qui ne cherchent qu’eux seuls en toutes choses. Ils prennent par tout sans façon la place la plus commode, sans l’ofrir à leur Maistresse. Ils s’accommodent des meilleurs morceaux, & contractent une habitude d’incivilité qui leur donne ce privilege.

De ce genre d’Amans l’amour n’est que du vent,
    Leurs flâmes les plus apparentes
Pour le plus bel Objet sont si peu violentes,
Que quand ils sont Maris, de leurs Femmes souvent
    Ils font leurs premieres Servantes.

25. L’Amour doucereux.

Cet Amour n’est ny froid ny chaud, & ceux qu’il blesse sont de mesme nature que luy. Sans avoir de cette langueur que produit le veritable amour, ils disent d’un ton lent quantité de douceurs, & les accompagnent de meschantes pointes appellées Turlupinades, qui ne peuvent satisfaire un Esprit bien fait.

Leur entretien est fade, & n’a rien d’agreable,
Et pour vous, dont le goust est délicat & fin,
    C’est un ragoust bien misérable
    Que les douceurs d’un Amant Turlupin.

26. L’Amour inconstant.

Les traits que décoche cet Amour sont en grand nombre, mais ils font des blessures si légeres, que les cœurs des Amans qu’ils frapent en sont à peine éfleurez. Comme ils se trouvent bientost guéris, & qu’ils soufrent peu, ils s’exposent volontiers à estre blessez de nouveau. Ainsi ils ont de perpétuelles affaires sans presque en avoir, estant toûjours plus prests à entrer dans de nouvelles, qu’à poursuivre celles qu’on leur a veu commencer. Je sçay qu’ayant autant de mérite que vous en avez, vous devez moins craindre qu’une autre d’éprouver leur légereté.

Vous sçavez sous vos Loix fortement engager
Ceux que de vos beautez le vif éclat occupe ;
Mais comme un Inconstant est sujet à changer,
    Vous en pourriez estre la Dupe.

27. L’Amour constant.

La plûpart de ceux que les autres Amours ont blessez, ont des manieres sur lesquelles on ne peut pas entierement s’assurer. Ils ont beau marquer de grandes complaisances pour ce qu’ils aiment, elles sont d’une nature qui peut faire bientost finir leur attachement. Je dis attachement, pour ne pas dire tout-à-fait amour, car on abuse souvent de ce nom. Rien de plus commun, & cependant rien de si rare que ce qu’on peut dire véritablement amour. Rien de si peu ordinaire qu’un amour constant, quand mesme il se trouveroit qu’il fust véritable. Rien enfin qui soit tant dans la bouche, sans estre presque jamais dans le cœur. Il en faut demeurer d’accord. Chacun ne regarde que soy en aimant, & il y a peu de Personnes qui aiment leurs Maîtresses pour elles-mesmes.

L’Amant seul qui jamais ne se lasse d’aimer,
Doit estre regardé comme Amant veritable.
Tout remply de l’Objet qui le sçeut enflâmer,
    Il ne voit rien ailleurs d’aimable.
Les devoirs qu’il luy rend l’occupent nuit & jour,
De cent soins obligeans sa tendresse est suivie,
Et le dernier soúpir qui termine sa vie
    Est encor un soúpir d’amour.

Si des Amans de cette constance ont quelques defauts, on les doit attribuer à la Nature, & non pas à leur amour, & l’excés de leur passions joint à une fermeté si estimable, les rend dignes d’estre prêferez à tous les autres. C’est par là, aimable Bélise, que je pense mériter que vous vous déclariez pour moy contre mes Rivaux. Je le dis, & croy le pouvoir dire sans estre blâmé. S’il sied mal à un Homme de courage de dire qu’il est vaillant, à un habile Homme de faire vanité de son esprit, à une Belle de vanter ses charmes, il sied bien à un Amant de dire qu’il aime, de le dire mille fois le jour, de le prouver, de peindre l’excés de sa passion, & de faire voir que personne n’a jamais tant aimé, ny n’aimera jamais tant que luy. C’est ce que je fais ; & comme je suis ce Constant si rare à trouver, cet Amour constant qui est le mien, se voit placé au dessus de tous les autres, & tient mon cœur comme l’unique qu’il ait pû connoistre parmy tant de cœurs, capable d’aimer éternellement. C’est une verité dont il ne se peut que vous ne soyez convaincuë, pour peu que vous me rendiez justice. Je suis tout à vous, je vis tout pour vous, & je n’ay jamais eu d’yeux que pour vous. J’ay commencé à vous aimer dés vos plus tendres années. L’engagement que le mariage vous a donné, n’a point affoibly ma passion. Tous ceux qui vous avoient fait les mesmes protestations que moy, ont pris d’autres liaisons, si tost qu’ils vous ont veu faire un heureux. Moy seul, j’ay continué à vous aimer, & vous ne sçauriez douter que je ne vous aye aimée purement, pour vous, puis que j’ay continué à vous aimer sans aucun espoir. Vous estes devenuë maîtresse de vous-mesme, & en mesme temps de ma destinée. Vous en pouvez décider. Faisons un Contract dont l’Amour regle luy seul les Articles. Le mien deférera tout au vostre. Ma vie, mes biens, ma fortune, tout est à vous. Eprouvez si je dis vray ; & si la soûmission que j’auray à toutes vos volontez n’est point entiere, bannissez-moy pour jamais & de vos yeux, & de vostre cœur. Oüy, divine Bélise, je vous parle sérieusement quand je vous assure que la grandeur de ma passion ne sçauroit estre exprimée. Nous disons tous que nous aimons, il est vray, mais c’est nous-mesmes que nous aimons. Tout a raport à nous ; & de mille Amans, je ne sçay s’il s’en peut trouver un seul qui aime sa Maîtresse seulement par elle. Je ne puis moy-mesme desavoüer qu’il n’y ait de l’amour propre dans celuy que j’ay pour vous, autrement il faudroit que je vous aimasse sans que j’eusse aucun plaisir à vous aimer ; mais la diférence qu’il y a entre mes Rivaux & moy, c’est que je ne vous aime par aucun des motifs qui les attachent à vous. La plûpart cachent leurs defauts. Examinez-les, & pour peu que vous leur donniez occasion de paroistre, vous verrez que le plus concerté s’échapera, malgré la résolution qu’il peut avoir prise de se tenir sur ses gardes. Vous en avez de tous éprouvez, dont les defauts vous sont connus. J’entens des defauts qui seroient impénetrables pour une Personne qui auroit moins de lumieres que vous. Pourquoy vous attacher davantage à une épreuve si peu nécessaire ?

De nouveaux Soúpirans vous viennent tous les jours,
Mais sans qu’aucun Amant vous touche & vous engage,
    Voulez-vous avec les Amours
    Passer le plus beau de vostre âge ?

Ces Amours vous servent en foule. Mais quels Amours ! Démeslez le mien de cette foule, ou plutost voyez qu’il s’en démesle luy-mesme, & que sa constance & son ardeur méritent que vous le distinguiez. C’est ce qu’attend de vous celuy qui aimera éternellement l’aimable Bélise.

Le Cavalier a fait admirablement sa cour à la jeune Veuve par cette galanterie. On tient qu’elle s’est renduë à sa constance, & qu’elle doit l’épouser au premier jour. La peinture de tant d’Amans d’un caractere diférent, a fort réjoüy quelques Dames qui l’ont déja veuë. Elles prétendent qu’on en peut tirer beaucoup de lumieres, pour ne se point tromper au choix d’un Amant dont on a dessein de faire un Mary, & qu’ainsi on doit mettre ce que vous venez de lire au nombre de ces Ouvrages qui instruisent en divertissant.

Lettre de Madame Royale, A Monsieur le Marquis de Villars. §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 315-318.

Je vous envoyay le Mois passé une Lettre de la Reyne de Portugal. En voicy une de Madame la Duchesse de Savoye sa Sœur. Elle est écrite à Mr le Marquis de Villars qui estoit Ambassadeur pour le Roy en Savoye. Cet Ambassadeur estant party pour s’en retourner en France, Madame Royale luy écrivit, & accompagna sa Lettre d’un Présent magnifique, qu’Elle luy envoya pour Madame la Marquise de Villars sa Femme.

Lettre

de Madame

Royale,

A Monsieur le Marquis de Villars.

Vous avez une si grande délicatesse sur de certaines matieres, & j’aurois eu tant de honte à vous remettre moy-mesme si peu de chose pour Madame de Villars, que j’ay choisy le party de vous l’envoyer apres vostre départ. Je vous prie de le luy faire agréer comme une marque de mon amitié, & d’estre bien persuadez l’un & l’autre, de l’estime tres-particuliere que je conserveray toûjours pour tous deux.

Ce que Madame Royale veut bien nommer peu de chose, estoit son Portrait, enrichy de huit gros Diamans de plus de cent Loüis chacun. Les Présens de cette grande Princesse ne doivent pas estre seulement considérez par leur prix, mais encore par la maniere dont elle les fait. C’est toûjours si obligeamment, qu’elle charme ceux qu’elle honore de cette glorieuse marque de son estime.

[M. l’Abbé Colbert reçeu Docteur en Sorbonne] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 328-332.

Je vous ay mandé depuis quelques Mois la Reception de Mr l’Abbé Colbert à l’Académie Françoise, & l’on vous a confirmé tout ce que je vous dis alors à son avantage touchant le Discours qu’il fit le jour de cette Reception. Je vous ay marqué un peu apres qu’il s’estoit mis en retraite dans le Seminaire de S. Sulpice. Il a pris les Ordres depuis ce temps-là, & vient d’estre reçeu Docteur. Il ne seroit pas aisé de vous bien faire connoistre jusqu’où vont les progrés qu’a faits cet Illustre Abbé dans un fort petit nombre d’années. Il n’ignore rien de tout ce qu’un grand Homme doit sçavoir ; & il y a si peu de Docteurs de son âge, qu’on peut dire que les Sciences luy ont esté naturelles. Le Bonnet qu’il vient de recevoir en cette qualité, m’engage à vous entretenir de ce qui se passe en cette Cerémonie. Apres la Licence, on nomme par ordre, de quinze jours en quinze jours, ceux qui doivent recevoir le Bonnet de Docteur. Ils soûtiennent le jour precédent, ou quelques jours auparavant, une Vesperie, qui renferme les plus grandes Questions de la Theologie, & les endroits les plus difficiles de l’Ancien & du Nouveau Testament. Le lendemain ils soûtiennent une autre These, qu’on nomme Aulica, parce que ce doit estre chez Monsieur l’Archevesque de Paris ; en suite dequoy le Chancelier de l’Université leur donne le Bonnet de Docteur au nom du Pape, & les conduits dans l’Eglise Nostre-Dame, à la Chapelle S. Sebastien, où il reçoit le Serment qu’ils font de défendre la Verité, mesme aux despens de leur sang. Vous remarquerez, s’il vous plaist, Madame, que cette Cerémonie de donner le Bonnet, ne se fait point sans que quelque Docteur d’éclat & d’un mérite tres-reconnu, y represente le Grand-Maistre de la Faculté. Le choix en dépend de celuy qui est reçeu Docteur. Le Grand Maistre louë le Répondant, des veilles & des travaux par lesquels il s’est mis en état de mériter l’avantage qu’il reçoit. Le Chancelier fait en suite un petit Discours à la gloire du Grand-Maistre, & du nouveau Docteur ; & le nouveau Docteur les remercie, en faisant l’éloge de l’un & de l’autre. Monsieur l’Archevesque ayant esté prié de faire la fonction de Grand-Maistre dans la Cerémonie dont je vous parle, s’étendit fort sur les mérites de monsieur Colbert, & de Mr l’Abbé son Fils. Comme il n’y eut jamais d’Orateur plus éloquent que ce Grand Prélat, & que la matiere estoit ample & belle, je ne vous feray rien sçavoir de nouveau, en vous apprenant que tout ce qu’il dit fut admiré.

[Profession de mademoiselle de Langlée] §

Mercure galant, avril [tome 4], 1679, p. 335-336.

Mademoiselle de Langlée, qui avoit pris l’Habit il y a un an parmy les Filles de l’Assomption, fit Profession ces jours passez entre les mains de Mr l’Evesque de S. Brieu, Frere de Mr le Marquis de la Hoguete, & Neveu de feu M. l’Archeveque de Paris. La Ceremonie fut tres-belle. Les Religieuses y chanterent divinement à leur ordinaire. La beauté de ce Convent vous est connuë. Quantité de Filles de qualité & d’un grand mérite, le rendent celebre. Madame leur Supérieure est Sœur de Mr de la Haye l’Ambassadeur. Il se trouva à cette Cerémonie. L’Assemblée estoit composée de plusieurs Evesques, & d’un fort grand nombre de Personnes tres-considérables de l’un & de l’autre Sexe.

[Pourquoy l’on dit Chambre ardente] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 336-337.

La Chambre que je vous ay mandé qui avoit esté établie contre quelques Personnes arrestées pour le Poison, a commencé ses Séances à Vincennes. Mr Boucherat qui y préside, & Mr Robert qui en est Procureur General, ont fait de tres-beaux Discours à l’ouverture de cette Chambre. On la nomme Chambre ardente. Beaucoup en demandent la raison, & on la peut demander dans vostre Province comme on fait icy. Cela vient de ce qu’on jugeoit autrefois les Criminels dont la naissance estoit élevée, dans une Chambre toute tenduë de deüil, & qui n’estoit éclairée que par des Flambeaux. C’est à cause de ces mesmes Flambeaux que le nom de Chapelle ardente est demeuré aux Mausolées qu’on dresse aux Personnes de qualité, le jour des Services solemnels qu’on fait pour honorer leur memoire. Vous sçavez que la grande obscurité du deüil fait paroistre les lumieres toûjours plus ardentes qu’elles ne seroient sans l’opposition de cette nuit artificielle.

Enigme §

Mercure galant, avril [tome 4], 1679, p. 356-357.La solution de cette énigme se trouve dans l'article Mercure du mois de mai et dans l'article de l'extraordinaire du mois d'avril

Enigme.

    JE n’ay gosier, langue, ny bouche,
    Cependant je m’explique bien ;
    Mais il faut me contraindre, ou je ne diray rien.
Lors que je suis remply, je suis comme une souche,
Quand je ne le suis pas, on se plaist à m’oüir,
    Et ma voix grossiere & farouche
    Ne laisse pas de réjoüir.
Bien que je ne sois pas dans une grande estime,
Les plus grands, les plus fiers, sont soûmis à mes Loix ;
Et quand on fait refus d’obeïr à ma voix,
    Ce refus passe pour un crime.
Je me suis fais valoir, j’ay bien fait du fracas,
    Mais tous nos Voisins en sont las,
    Et je n’aurois plus rien à faire,
Si depuis quelque temps on ne me forçoit pas
    A parler pour qui me fait taire.

[Histoire du Grand Theodose, par M. l’Abbé Fléchier] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 362.

La celebre & belle Histoire du Grand Theodose, par Mr l’Abbé Flechier, se vend depuis quelques jours chez le Sr Cramoisy. Tout le monde court l’acheter en foule. Il y a longtemps qu’il ne s’est rien fait de si beau.

[Divertissemens] §

Mercure galant, avril 1679 [tome 4], p. 362-364.

Je ne vous tiendray point la parole que je vous avois donnée de vous faire ce Mois-cy un Article de Modes nouvelles. La saison ne le permet pas. Bien loin d’avoir engagé le beau monde aux Promenades, elle a fait courir aux divertissemens de l’Hyver. L'Opéra de Bellérophon a paru tout nouveau, tant les Assemblées ont continué d’y estre nombreuses. L'Ariane de M. de Corneille le jeune n’a pas esté moins suivie ; & Mademoiselle de Chammeslé, cette inimitable Actrice qui a passé dans la Troupe du Fauxbourg Saint Germain, y a tiré plusieurs fois des larmes de la plûpart de ses Auditeurs. On nous y promet apres L'Ariane, la galante Comédie de l’Inconnu, du mesme Autheur. C'est une Piece, dont on n’a jamais veu finir les Représentations qu’avec regret. La Troupe Royale a fait paroistre trois Acteurs nouveaux, qui ont eu de grands applaudissemens. Vous n’en serez point surprise, quand vous sçaurez qu’ils estoient dans la Troupe de Monsieur le Prince, qui apres les deux qui joüent à Paris, est la meilleure qui soit en France.