1679

Mercure galant, juin 1679 [tome 6]

2015
Source : Mercure galant, juin 1679 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Anaïs Masson (Transcription) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Reception de Monsieur l’Evesque de Troyes dans la Capitale de son Diocese] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 1-4.

J’entre d’abord en matiere, et suis assuré, Madame, que vous apprendrez sans étonnement que rien ne peut égaler la joye avec laquelle Monsieur de Chavigny, nouvel Evesque de Troyes, fut reçeu le 17. de May dans cette Capitale de son Diocese. Le mérite de ce Prélat vous est si connu, qu’on ne luy rendra jamais d’honneurs qui vous surprennent. Ce fut une foule de monde incroyable dans toutes les Ruës par où l’on sçeut qu’il devoit passer. Il ne fut pas plutost arrivé, que Mrs du Chapitre de la Cathédrale, & apres eux, Mrs de S. Estienne & de S. Urbain, l’allerent complimenter. Les Doyens de chacune de ces Compagnies portoient la parole. Le lendemain, Mrs du Présidial, Mrs de Ville, & tout ce qu’il y a de Personnes considérables à Troyes, ou aux environs, s’acquiterent du mesme devoir. Il fut mis en possession par Mr le Grand Archidiacre de Sens, auquel appartient ce droit. Il en retire un marc d’or, que luy doit donner le nouvel Evesque. Cet Archidiacre le présenta à Mrs de S. Pierre, qui le vinrent recevoir, tous en Chape, à la grande Porte de leur Eglise. Apres le serment presté, & les autres cerémonies accoûtumées, on chanta un Motet, & le Peuple s’en retourna fort ravy de se voir sous la conduite d’un Prélat que ses grandes qualitez rendent si digne du rang qu’il occupe.

[Contre-critique en Vers de Madame la Viguiere d’Alby] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 4-9.

Un applaudissement si genéral me fait rappeller ce que vous m’avez écrit d’avantageux d’une Lettre que je vous ay envoyée de Madame la Viguiere d’Alby, touchant ce qui se passa il y a quelques mois dans une occasion de mesme nature. Cette Lettre, quoy que fort approuvée icy, où l’on peut dire que le bon goust régne plus qu’en aucun autre lieu du Royaume, n’a pas laissé de luy attirer des Censeurs dans sa Province. C'est une preuve du mérite de l’Ouvrage, puis qu’on ne critique jamais que ce qu’on est chagrin de voir estimé. Madame la Viguiere d’Alby s’est vangée de ses Jaloux d’une maniere fort digne d’elle ; c’est à dire en faisant connoistre par ces Vers qu’il ne part rien de sa plume qui ne soit aisé, & tout plein d’esprit.

LOrs que d’un Grand Prélat je chante le mérite,
    Foibles Censeurs, imitez ma conduite,
Ou du moins retenez vos sentimens jalous.
        L'on n’entend murmurer que vous,
Mais un emportement si lâche & si vulgaire
        Ne m’oblige pas à me taire,
Et puis que mon Prélat daigne écouter ma voix,
Je luy feray souvent quelque offrande nouvelle
        Des humbles tributs de mon zele,
Je connois mon devoir, & j’en suivray les loix,
Sans que vostre chagrin m’étonne & me retienne.
Toûjours de mon Prélat fidelle Historienne,
J'observeray sans cesse avec un soin égal
Ses grandes actions pour remplir mon Journal,
Et malgré les efforts de vostre noire envie,
Je dépeindray le cours de son illustre vie.
Déja sans m’amuser à reflechir sur vous,
J'ay dit combien ses soins sont estimiez de tous.
        J'ay déjà malgré vos Critiques
Tracé tout le détail de ses dons magnifiques.
J'ay déjà fait sçavoir en mille & mille lieux,
Qu'à son Peuple assemblé dans nostre auguste Temple
Il a fait un discours docte, touchant, pieux,
        Et qu’il nous prêche encore mieux
        Par sa vie & par son exemple.
Je ne suspendray point mon glorieux employ ;
Censeurs, si vous pouvez, écrivez mieux que moy.
Parlez du Grand Prélat que le Ciel nous envoye,
Ses Eloges feront mon plaisir & ma joye.
De ses rares vertus je ne dis pas assez
Dans les simples Ecrits que ma main a tracez ;
Par de nouveaux efforts travaillons à sa gloire.
Muses, placez son nom au Temple de Mémoire,
        Je veux en dépit des Jalous
    Luy consacrer ce que je tiens de vous.

[Les Apoticaires de Marseille, Histoire] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 9-30.

Si la Jalousie est excusable, il semble qu’elle ne dévroit l’estre qu’en amour. Elle a causé depuis peu (quoy que fort indiréctement) une Avanture qui mérite bien d’avoir place icy.

Un Gentilhomme de Normandie, considérable par ses belles qualitez, & prenant le nom de Chevalier à bon titre, estoit à Marseille il y a deux ou trois mois, & il y avoit déjà passé assez de temps pour s’estre fait connoistre de toute la Ville. Comme il aimoit fort à voir le beau monde, il n’avoit pas laissé son mérite oisif, & apres plusieurs tendres protestations qu’on prenoit plaisir à écouter, il s’estoit fait un engagement de cœur avec une Dame de ce Païs-là, belle, aimable, mais d’un tempérament si jaloux, que les moindres choses luy faisoient ombrage. Ainsi il vivoit assujetty à de grandes précautions ; & si la tendresse de la Dame estoit un bonheur pour luy, c’estoit d’ailleurs une servitude qui lui réduisoit à fuir le beau Sexe, & à se montrer sans complaisance pour toutes les Belles qui auroient bien voulu l’attirer. Il s’estoit trouvé trois ou quatre fois dans une societé de Femmes, parmy lesquelles une fort agreable Personne rendoit la conversation pleine d’enjoüement. Elle n’auroit pas déplû au Chevalier, mais il avoit le cœur pris, & il n’estoit plus en état de se donner. La chose fut sçeuë, & ses visites, toutes innocentes qu’elles estoient, piquerent si fort la Dame jalouse, qu’il ne put faire sa paix avec elle qu’en luy promettant qu’il se dégageroit pour toûjours de cette Societé. Il luy tint parole. Les Dames qui n’eussent pas esté fâchées de le voir souvent, l’envoyerent inutilement chercher en plusieurs occasions. Il s’excusa sur divers prétextes de toutes les parties de divertissement dont elles luy mandoient qu’elles l’avoient mis, & pour n’avoir plus de querelles à essuyer, il ne répondit pas mesme à quelques Billets qu’il en reçeut. Un procedé si desobligeant d’un Homme naturellement galant & civil, leur en fit chercher la cause. Il ne leur fut pas difficile de la trouver. L'attachement qu’il avoit pour la Dame leur estoit connu. Elles ne douterent point de sa jalousie, & plaignant le Chevalier de s’estre rendu l’esclave de sa passion, elles se mirent en teste de rompre le charme, ou du moins de faire passer de méchantes heures à la Jalouse. Le dessein leur parut réjoüissant, mais il s’agissoit de l’executer, & c’est ce qu’elles ne pouvoient faire aisément. Le Chevalier estoit sur ses gardes, & ne se trouvoit jamais en lieu où elles pussent noüer conversation avec luy. Enfin elles le firent si bien épier, qu’ayant sçeu un jour qu’il se promenoit seul sur le Port, elles y vinrent fort déterminées à ne le pas laisser échaper. Il les apperçeut, & tâcha de les éviter en retournant sur ses pas, mais elles y avoient pourveu. Deux d’entr'elles marchoient derriere luy, & comme elles l’enfermoient, il fut obligé de s’arrester. Vous jugez bien que tout spirituel qu’il estoit, il ne leur put donner que de méchantes raisons de son oubly. Elles n’en voulurent écouter aucune, & luy dirent en riant qu’il s’estoit fait une si grande affaire avec elles, qu’à peine le reste du jour suffiroit pour l’entendre sur ses faits justificatifs ; qu’elles s’en alloient souper ensemble, & qu’il n’avoit qu’à les suivre, s’il se sentoit quelque envie de vuider leur diférent. Le Chevalier auroit volontiers accepté la proposition, mais soit qu’il craignît que ce ne fust un piege qu’on luy dressast, soit qu’il crust que ce qui est sçeu de plusieurs ne peut jamais demeurer secret, il ne voulut point exposer à se broüiller de nouveau avec sa Belle, & pour se mettre à couvert de toute surprise, il s’excusa du Repas sur quelque indisposition qui l’obligeoit à se retirer sur l’heure, pour se mettre peut-estre au lit un moment apres. Comme jamais Malade n’avoit eu l’apparence de se mieux porter, les Dames ne donnerent point dans cette défaite. Elles l’entreprirent, & se montrerent si résoluës à l’emmener en quelque état qu’il pust estre, que pour s’en défaire, il fut réduit à les quitter brusquement. L'incivilité les piqua. Elles jurerent de l’en punir, & en attendant qu’elles pûssent venir à bout de le mettre mal avec la Dame qui les faisoit mépriser, elles chercherent à se vanger de luy dés le soir mesme. Le faux prétexte dont il s’estoit servy pour se dégager, leur ayant frapé l’esprit, elles s’aviserent d’une aussi plaisante malice qu’on en ait jamais fait aucune. Ce fut la belle Enjoüée qui la proposa. Elles envoyerent un Laquais déguisé chez tous les Apoticaires de la Ville, avec ordre de la part du Chevalier, de luy apporter chacun un Remede pour une Colique qui le tourmentoit, le premier precisément à huit heures, le second demy heure apres, & les autres de demy heure en demy heure, jusques à minuit. Ils promirent tous de ne pas manquer à l’heure marquée. Le Chevalier estoit fort connu. Il logeoit à l’Hostel de Malte, & soupoit en tres-bonne compagnie d’Auberge, quand au milieu du Soupé un Homme à manteau noir entra dans la Salle. Tout le monde se détourna pour le regarder ; & le Chevalier s’estant détourné comme les autres, l’Apoticaire luy fit humble revérence, & crût que c’estoit assez pour luy faire entendre ce qui l’amenoit. Cette revérence faisant voir au Chevalier que l’Ambassade s’adressoit à luy, il demanda de quoy il pouvoit estre question. Autre revérence de l’officieux Apoticaire, qui luy fit signe dans le mesme temps qu’il avoit son affaire sous son manteau. Ce signe n’éclaircissant point le Chevalier, l’Apoticaire tâcha de s’expliquer mieux par quelques autres, & voyant que c’estoit inutilement, il découvrit enfin la Seringue. Toute la Compagnie éclata de rire. On railla le Chevalier sur le besoin du Remede. Il en plaisanta luy-mesme, & se souvenant qu’un Cavalier de l’Auberge s’estoit retiré dans sa Chambre à demy malade, sans vouloir souper, il crût que la chose le regardoit, & luy envoya l’Apoticaire. Le Gentilhomme chagrin de je-ne-sçay-quoy, se montra mal gratieux ; & comme on le prenoit dans un temps où il n’entendoit point raillerie, l’Apoticaire eust pû s’en appercevoir, si apres son premier compliment il ne se fust sauvé au plus vîte. Il gagna la Court, & remporta son Remede. L'Avanture divertit fort les Gens de l’Auberge. Elle leur servit longtemps d’entretien, & ils en rioient encor sur la fin de leur dessert, quand une nouvelle Figure d’Homme à manteau noir parut dans la Salle. Il n’y eut jamais un si grand éclat de rire. Ce second Apoticaire ayant demandé au Chevalier s’il vouloit qu’il l’allast attendre dans sa Chambre, tous ceux qui estoient à table s’écrierent comme de concert, que quoy qu’il se portast mieux, il ne devoit point diférer au lendemain ; que les mesmes douleurs qui le pressoient quand il avoit envoyé chercher le Remede, pouvoient revenir, & que le meilleur conseil qu’on luy pust donner, c’estoit de s’en faire quite tout d’un coup. L'Apoticaire convaincu par là qu’on ne l’avoit point appellé à faux, déployoit de son costé toute l’éloquence que Dieu luy avoit donnée pour persuader au Chevalier qu’un Remede de précaution sauvoit quelquefois la vie. Je ne sçay mesme s’il ne se servit point du mot d’anodin pour luy faire croire qu’il n’y en avoit point de plus benin ny de mieux faisant que celuy qu’il luy apportoit. Le Chevalier eut la patience de le laisser haranguer sans l’interrompre ; & s’estant en suite diverty quelque temps à le faire raisonner en termes de l’Art sur une chaleur d’entrailles qu’il suposa, il luy prit la main, luy tasta le poux, & luy ayant dit qu’il estoit luy-mesme malade, & bien plus malade qu’il ne pensoit, il luy voulut faire prendre son propre Remede. Je ne vous dis point combien cette Comédie fut agreable. Vous pouvez aisément vous l’imaginer. Elle finit par la fuite du Harangueur, qui se voyant pressé de trop pres, connut bien qu’il n’avoit point de meilleur party à prendre. On fit de nouvelles plaisanteries sur la piece. Le Chevalier en jugea comme il devoit, & ne doutant point qu’elle ne vinst des Belles qu’il avoit refusées sous prétexte de se porter mal, il fut persuadé qu’elle ne finiroit pas sitost, & dans cette pensée, il convia tous ceux de l’Auberge au plaisir que la suite leur en promettoit. La chose arriva comme il l’avoit dit. Les autres Gens à Seringue, Maistres ou Garçon, s’acquiterent si ponctuellement de l’ordre reçeu, qu’ils vinrent joüer chacun leur Scene dans le temps marqué. Ils s’adressoient tous au Chevalier, & s’il y avoit de la diversité dans la reception qu’il leur faisoit, tantost sérieuse, tantost enjoüée, c’estoient toûjours des manieres tres réjoüissantes pour les Regardans. Enfin apres avoir bien ry des Mal-contens qui s’en retournoient, on sçeut qu’il estoit minuit. Chacun se retira dans sa Chambre, & le Chevalier eut à peine mis le pied dans la sienne, qu’'il y vit entrer un nouveau Frater. Celuy-cy, pour se faire valoir davantage, luy dit gratieusement que pour tout autre que pour une Personne de sa qualité, il ne se seroit pas résolu à veiller si tard, mais que sa santé estoit trop importante pour en négliger le soin, quelque heure qu’il fust. Le Chevalier qui n’avoit plus personne à rire avec luy, & qui s’ennuyoit de voir des Seringues, le pria un peu rudement de le laisser en repos. L'Apoticaire s’en scandalisa, & haussant le ton, prétendit se faire payer, quand mesme on ne se serviroit point de son Remede. La réponse fut, que qui le prendroit, le payeroit. Aussitost le Chevalier fit saisir l’Apoticaire par ses Laquais. On versa le Remede dans la Seringue, & il luy fut donné je ne sçay comment. Ce fut la fin de la piece. Je n’ay rien appris de ce qui s’est passé depuis ce temps là entre les Dames, & le Chevalier. Ce qu’il y a de certain, c’est que présentement encor à Marseille, quelque accident qui pust survenir, on mourroit dans l’Hostel de Malte, faute d’un Remede d’Apoticaire.

Le Moineau et l’Hirondelle. Fable. §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 31-36.

Tout le monde n’aime pas avec la mesme fidelité que le Chevalier dont je vous parle, & il en est peu qui ne trouvassent enfin quelque dégoust à ne voir jamais que le mesme Objet. La Fable du Moineau en est une preuve. Elle est traitée par Mr Brossard de Montanay. Vous connoissez son talent à tourner agreablement les choses.

Le Moineau
et l’Hirondelle.

Fable.

L'Hyver cédoit à peine à la saison nouvelle,
Lors qu’un Moineau qui couroit sur les tois,
        Vit arriver une Hirondelle ;
        Il l’avoit connuë autrefois.
        Dieu vous gard, luy dit-il, la Belle,
Comment vous va ? depuis pres de six mois
    En ce Païs on ne vous a point veuë.
        Où vous estes-vous donc tenuë ?
Dans le creux de quelque Arbre ? ou dans le fonds d’un Bois ?
        Vous moquez-vous, repartit-elle ?
    A vostre avis j’ay donc l’air d’un Hybou ?
        J'irois me cacher dans un trou !
        Je n’ay pas si peu de cervelle.
        Ces superbes Maisons des Champs,
Et tous ces grands Hostels qu’on bastit à la Ville,
Ne sont-ils pas à moy ? Quand je viens au Printemps,
        N'en fais-je pas mon domicile,
        Et croyez-vous de bonne-foy
Que lors que d’un Hyver les rigueurs effroyables
        Vous rendent icy misérables,
        Ce malheur s’étende sur moy ?
        Eh pourquoy non ? quel rare privilege
Vous rend, dit le Moineau, moins frileuse que nous ?
Quand la terre en ces lieux est couverte de neige,
Un Soleil fait exprés ne luit-il que pour vous ?
        Vous remplumez-vous ? bagatelle,
C'est n’est point tout cela, mais suivant la saison
Je change de Païs, & c’est là ma finesse,
        Je n’y fais point d’autre façon.
        Si vous aviez moins de paresse,
Et si las de passer la saison des frimas
        A vivre comme un misérable
        Sous les tuiles d’un Galétas,
        Vous cherchiez en d’autres climas
        Une saison plus favorable,
Vous auriez comme moy des jours toûjours heureux.
    L'Eté finy, vous iriez en Provence,
        Où nous rencontrerions tous deux
        Un beau Printemps qui recommence.
Fort bien, dit le Moineau, j’aime assez le Printemps.
Et du grain pour manger ? Du grain ? belle demande !
        Le Mil est par tout dans les Champs,
Et l’on en prend sans qu’aucun le défende.
Tant-mieux ; j’y deviendray plus dodu qu’un Chapon,
    Je l’aime fort, mais s’y divertit-on ?
Eh vrayment oüy, l’on chante, on se promeine,
    On fait l’amour. Comment ? vous moquez-vous ?
    L'amour ! à qui ? vous voila fort en peine.
    En ce Païs à qui le faisons-nous ?
    N'avons-nous pas chacun une Femelle ?
    Dans la Provence elle nous suit aussy,
        Et nous y faisons avec elle
        L'amour comme on le fait icy.
Oh oh, dit le Moineau, cecy change l’affaire.
        Quoy, dans ce Païs éloigné,
De la mesme Femelle on est accompagné ?
        Le voyage auroit pû me plaire,
Mais pour le coup je ne vous suivray pas.
        Vous passez donc ainsi la vie ?
Par tout du mesme Objet vous avez l’embarras ?
Le Mil, ny le Printemps, ne me font plus d’envie,
Je veux estre plumé, si j’en fais un seul pas.

[Cerémonie des Chevaliers de S. Georges faite à Besançon] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 36-47.

La Cerémonie qui se fait tous les ans à Besançon par les Chevaliers de S. Georges le jour de la Feste de ce Saint, y a esté faite cette année avec les solemnitez ordinaires. Mr le Marquis de Montauban, Lieutenant de Roy dans la Comté, & les principaux Magistrats de la Ville, en ayant esté conviez, ils se rendirent le vingt-deuxiéme d’Avril, veille de cette Feste, dans une Salle du Convent des Carmes, où les Chevaliers de cet Ordre ont accoûtumé de s’assembler. On y proposa diverses affaires, & entr’autres on entendit le rapport des Commissaires donnez à ceux qui avoient demandé à entrer dans l’Ordre. Leurs Preuves de Noblesse y furent tres-severement examinées. C’est ce qui se fait toûjours avec la derniere rigueur, car à moins que les seize quartiers, ou pour parler à leur maniere, les seize lignes ne soient pleinement verifiées, on ne peut éviter l’exclusion, n’y ayant aucune grace pour les nouveaux Ennoblis, ny pour les mérites roturiers.

Apres que l’Assemblée eut employé deux ou trois heures à cet éxamen, & à d’autres affaires sur lesquelles on avoit à déliberer, on fit avertir les Religieux, qui tous en Chapes tres magnifiques, vinrent en Procession à la porte de la Salle, & allerent de là dans l’Eglise au mesme ordre qu’ils estoient venus, suivis des Chevaliers deux à deux, portant chacun un cierge à la main, les derniers reçeus, à la teste, & les Anciens apres eux. Le Bâtonnier revétu de son Manteau, qui fut, dit-on, autrefois celuy des Ducs de Bourgogne, tenoit en main son Bâton d’argent de la hauteur d’une Crosse, & marchant à la gauche de Mr de Faltans Gouverneur de l’Ordre, comme l’ont esté plusieurs de ses Ancestres, fermoit avec luy le dernier rang de ces Chevaliers. J’oubliois à vous dire que ce Bâton a pour ornement une tres-belle, & tres-riche Image de S. Georges. Sur leurs pas, & presque sans aucune distance, Mr le Marquis de Montauban alloit seul. Il fut conduit à une place qui luy avoit esté préparée à costé de l’Autel sur une Estrade élevée de deux marches, & couverte d’un tapis de pied avec un Prie-Dieu & un Fauteüil. Les Chevaliers occuperent les Chaises du Chœur. Or commença Vespres, apres lesquelles on retourna dans la Salle, où l’heure ayant esté prise pour le lendemain, on se sépara sans autre cerémonie que celle des Officiers des Troupes qui accompagnerent Monsieur de Montauban jusque chez luy.

Le jour suivant la mesme Compagnie s’assembla sur les huit heures dans le mesme lieu. Mr le Comte de Poitiers, dont la Maison n’est pas moins illustre par son ancienneté que par ses alliances avec diverses Couronnes, y fut reçeu Chevalier, aussi bien que Mrs de Vaudray, de Vaugrenan, & de Gillers, Personnes de tres-grande qualité. Ces nouveaux Chevaliers ayant presté le serment accoustumé, prirent place, & opinerent en leur rang sur les affaires. On alla de là à la Messe qui fut solemnellement celebrée. Il n’y eut rien de changé dans ce qui s’estoit fait le jour précedent, tant pour la marche que pour les seances. Tout ce qu’on remarqua d’extraordinaire, ce fut l’honnesteté de Mr de Faltans Gouverneur de l’Ordre, qui alla prendre Mr le Marquis de Montauban à sa place, & le conduisit à l’Autel pour la cerémonie de l’Offrande. Ce Lieutenant de Roy donna un magnifique Repas apres la Messe, aux principaux Chevaliers & Officiers de la Garnison. L’apres-midy on retourna à l’Eglise où les secondes Vespres furent chantées. Au Verset du Magnificat qui commence par Deposuit potentes de sede, le Celébrant se leva & s’approcha de l’Autel, où sur la premiere marche il y avoit un Fauteüil pour luy. L’ancien Bâtonnier y vint aussi-tost accompagné du Chevalier qui luy devoit succeder dans sa Charge, & s’estant mis tous deux à genoux, le Celébrant prit le Bâton & le Manteau des mains de l’un, & les remit en celles de l’autre, le dernier Bâtonnier éleu commençant alors à precéder celuy qui avoit le pas un moment auparavant.

Il y a diversité d’opinions touchant l’Instituteur de cet Ordre. Les uns veulent qu’il ait esté étably par Frederic III. à qui les Guerres de Hongrie firent naistre la pensée de faire une espece de Compagnie particuliere, composée seulement de Personnes de grande naissance, & dévoüées au service de la Religion Catholique. Les autres en donnent la gloire à un Gentilhomme appellé Guillaume de Vienne, auquel apartenoit une Terre portant le nom de S. Georges proche de Châlons sur Saône ; & pour le prouver, ils disent que l’Histoire d’Auxonne fait foy que les premieres Assemblées des Chevaliers de cet Ordre se faisoient dans cette Terre ; qu’elles furent tenuës ensuite dans un Bourg de la Comté nommé Rougemont, & que ce Bourg ayant esté brulé par le malheur des dernieres Guerres, ces Assemblées furent enfin transportées à Besançon, où elles se tiennent régulierement dans la Maison des anciens Carmes de la Ville.

[Avanture du Prince perdu] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 47-58.

Il arrive tous les jours des choses si extraordinaires, qu’apres ce que je vous ay mandé de la vie cachée de Mr de la Roche Karlan, vous ne trouverez rien d’incroyable dans l’Histoire que racontent quelques Marchands Asiatiques arrivez icy des Indes depuis deux mois. Ils s’informent avec grand soin de ce que peut estre devenu un jeune Prince de leur Païs qu’ils prétendent avoir amené en France, & voicy ce qu’ils en disent. Une Reyne, Femme d’un Roy qui a ses Etats au dela du Gange, estant accouchée il y a 22. ou 23. ans, de deux Enfans mâles d’une excellente beauté, on vit paroistre en l’air dans le mesme instant une Epée teinte de sang sur la teste de l’un des deux, & on entendit une voix qui prononça distinctement ces paroles ; L'Epée qui est teinte de sang infidelle, est l’assemblée du Diadéme de son Chef. Ce prodige fut consideré comme le présage de quelque malheur ; & pour s’en mettre à couvert, la Reyne sans en rien faire connoistre au Roy son Mary, résolut de cacher la naissance de cet Enfant, & de luy laisser ignorer à luy-mesme ce qu’il estoit. On publia donc qu’elle n’estoit accouchée que d’un Garçon, & une Dame de ses Confidentes donna l’autre à nourrir à une pauvre Femme qui en prit soin. Quoy que cette Nourrice ne sçeust point que c’estoit un Prince qu’on luy avoit confié, elle ne laissa pas de remarquer quelque chose de miraculeux dans cet Enfant. Elle en avertit la Dame qui en ayant conferé avec la Reyne, reçeut ordre de prévenir par sa mort les desordres qu’il pouvoit un jour causer. On donna l’Arrest, mais il ne fut pas executé. La Dame alla trouver la Nourrice, & touchée de pitié pour l’Enfant, elle fit consentir cette pauvre Femme à l’aller nourrir dans quelque Païs éloigné. Il luy fut aisé d’en venir à bout en luy découvrant sa veritable naissance, & luy donnant dequoy ne manquer de rien. La chose fut résoluë. Les Marchands dont je vous parle estoient sur le point de faire voyage. On les fit entrer dans le secret. Ils partirent avec la Nourrice, & apres beaucoup de peines, ils arriverent en France, sans que les fatigues de la Mer eussent apporté aucun préjudice à la santé de l’Enfant. Il est vray que celle de la Nourrice en fut alterée. Elle commença de s’en plaindre en débarquant, & tomba malade sur la route du Gastinois. Le mal fut si violent qu’il la contraignit de s’arrester dans la Maison d’un pauvre Homme qui estoit seule au milieu de la Campagne entre Milly & Melun. Elle y mourut deux heures apres. Les Marchands n’ayant rencontré personne en ce lieu-là pour élever l’Enfant qui leur demeuroit, avancerent vers un Bourg à dix ou douze lieuës de Paris, & y estant arrivez, ils entrerent dans une Maison assez apparente, dont le Maistre se nommoit Caillou. Ils luy apprirent la fortune de cet Enfant, & le persuaderent si bien de sa naissance, qu’il leur promit que luy & sa Femme en prendroient le mesme soin qu’ils pourroient avoir de leur propre Fils. Ils luy laisserent dequoy le bien élever, vinrent à Paris, firent leurs affaires, & estant repassez à leur retour par le lieu où ils avoient laissé l’Enfant, ils n’y trouverent plus que la Femme de Caillou. Elle leur apprit que son Mary estoit mort depuis quelques Mois, & qu’ayant perdu dans le mesme temps un Fils dont elle avoit accouché un peu avant qu’ils fussent venus en France, elle nourrissoit l’Enfant qu’ils luy avoient confié, comme estant à elle, & qu’il n’y avoit personne dans tout le Bourg qui ne crust qu’il estoit son Fils. Ces Marchands adjoûterent un nouveau Présent à celuy qu’ils luy avoient déjà fait la premiere fois, & retournerent en leur Païs fort contens des assurances qu’elle leur donna, d’en avoir soin tant qu’elle vivroit. Apres un fort grand nombre d’années, ces mesmes Marchands ont esté obligez de faire un second voyage en France, & sont arrivez à Paris au commencement du mois d’Avril dernier. Ce n’a pas esté sans avoir passé par le Bourg, où ils n’ont trouvé ny la Femme ny l’Enfant. Ils en ont demandé des nouvelles à tous les Voisins, & ils ont sçeu d’eux, que la Femme dont ils s’informoient ayant esté fort traversée de ses Parens dans son Veuvage, avoit tout abandonné, apres avoir mis son Fils chez la Dame du lieu, qui l’avoit pris comme un Orphelin ; que cet Enfant y avoit esté assez soigneusement élevé jusqu’à l’âge de huit ou neuf ans, & que s’y voyant trop gourmandé de quelques Domestiques jaloux, il estoit party de chez la Dame, sans qu’on eust pû découvrir ce qu’il estoit devenu.

Voila ce que ces Marchands, qui sont encor à Paris, publient pour tres-veritable. Jugez, Madame, que seroit l’étonnement du Prince qu’ils cherchent, & qui apparemment ne se connoist que sous le nom de Caillou, si estant aussi curieux que beaucoup d’autres qui lisent toutes les Lettres que je vous écris, il tomboit sur cet Article, & aprenoit qu’il est né de Sang Royal. La difficulté seroit de se faire reconnoistre, à moins qu’il n’eust quelque marque de naissance, car on ne l’en croiroit pas sur sa parole, & il y auroit bien des preuves à demander.

[Monseigneur le Dauphin va pour la troisiéme fois à l’Opéra de Bellérophon] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 58-59.

Monseigneur le Dauphin a veu pour la troisiéme fois l’Opéra de Bellérophon. Il fut representé extraordinairement pour ce jeune Prince le Mercredy 31. de May. Rien ne sçauroit estre plus glorieux pour Mr Lully, qui voit par là ce que peuvent les charmes de sa Musique.

[Air de Monsieur Lambert] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 59-61.Cet article dans le Mercure où le nom du poète, M. de Frontinières, est cité.

Voicy un Air que vous trouverez admirable. Quoy qu’il ne soit pas tout-à-fait nouveau, parce que tout ce que fait le fameux Mr Lambert est incontinent répandu par tout, c’est beaucoup de pouvoir vous dire que vous ne le pouvez avoir si fidellement noté que je vous l’envoye. La Basse-continuë y est adjoûtée, & c’est ce que peu de Personnes seroient en pouvoir de vous donner. Les Paroles répondent parfaitement au sujet, & ont je ne sçay quoy de si touchant, qu’il est aisé de connoistre qu’elles partent d’une bonne source.

AIR.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ombre de mon Amant, Ombre toújours plaintive, doit regarder la page 61.
Ombre de mon Amant, Ombre toújours plaintive,
    Helas ! que voulez-vous ? je meurs.
    Soyez un moment attentive
Au funeste recit de mes vives douleurs.
    C’est sur cette fatale Rive
Que j’ay veu vostre sang couler avec mes pleurs.
Rien ne peut arrester mon ame fugitive,
    Je cede à mes cruels malheurs.
Ombre de mon Amant, Ombre toújours plaintive,
    Helas ! que voulez-vous ? je meurs.
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[Depart de Monsieur Lorenzani pour aller en Italie chercher des Musiciens pour le Roy] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 62.

Je vous marquay la derniere fois beaucoup de choses qui font connoistre le mérite de Mr Lorenzani. Vous serez aisément persuadée que je ne vous en ay rien mandé que de veritable, quand je vous diray que le Roy luy a donné une nouvelle marque de son estime, en luy ordonnant de faire un voyage en Italie, pour luy amener de ce Païs là les meilleurs Musiciens qu’il pourra trouver.

[Sonnet italien] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 62-65.

La Langue Italienne a une je ne sçay quelle délicatesse qui s’accommode admirablement à la Musique. Elle donne de grands agrémens aux Ouvrages de Poësie ; & le Sonnet de Mr Tonty que je vous envoye vous en fera demeurer d’accord. Il a esté lû au Roy par Mr l’Abbé Dangeau, & il n’a pas moins plû à Sa Majesté qu’à toute la Cour.

Alla Maesta Christianissima

Di

Ludovico Magno.

Soneto.

HOr che di Giano le fatali porte
Chiudon le Palme di LUIGI invitto,
E ch'all’ Europa cura il sen trafitto
All’ ombra de gl’ Olivi amica sorte ;

***
Tema l’Asia infedele, e guerra, e morte ;
Speri Sion ; cada Macon sconfitto ;
Roma eregga Trofei ; pianga l’Ecgitto
L'alte Moschée da ulerice fiamma absorte.

***
S'affretti ad adorar l’Arabo, e'l Moro
La Croce, ove Giesú morio esangue,
E'l Libano á nutrir Christiano Alloro ;

***
E l’impie fronti, in cui l’ardir giá langue,
Al nuovo folgorar de Gigli d’oro,
Irrighi il pio Giordano, ó'l proprio sangue.

Humiliato a i piedi di V. Maestá

vota questi augurii gloriosi,

Michel Angelo Tonti.

[Sonnet faite par une Dame] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 65-67.

Apres un Sonnet Italien, il faut vous en faire voir un François. Vous le devez lire avec plaisir, puis qu’il est fait par une Personne de vostre Sexe. Les Belles qui ne se piquent pas toûjours de fidelité, trouvent quelquefois des Infidelles. C'est là-dessus que Mademoiselle Moussard s’est divertie à faire ces Vers.

UN aveugle transport de tout mon sort décide,
C'est par un Inconstant que mon cœur est charmé ;
Et quoy qu’il ait perdu tout espoir d’estre aimé,
Il cede à ce panchant qui l’entraîne & le guide.

***
Une Etoille fatale à mon destin préside ;
Elle entretient toújours un feu trop allumé,
Ce funeste desir par l’amour confirmé,
Malgré moy me condamne à chérir un Perfide.

***
O vous, qui pouvez tout, & versez dans le cœur
Ou la tendre foiblesse, ou l’austere rigueur,
Que vous partagez mal vos froideurs & vos flâmes !

***
Astres trop inhumains qui causez mes soucis,
Que ne me laissiez-vous la plus fiere des Ames,
Ou que ne donniez-vous ma tendresse à Tirsis ?

Si un Inconstant a pû donner lieu à ce Sonnet, il y a des fidélitez inviolables, & je puis vous le prouver par Certificat.

[Histoire du Certificat de Constance] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 67-75.

Un Cavalier estoit amoureux de cent cinquante lieües loin. L'absence qui ralentit d’ordinaire les plus fortes passions ne pouvoit rien sur la sienne, & soit qu’effectivement il eust un fond extraordinaire de constance, soit que quelque autre raison luy fist trouver de la douceur dans la solitude, il résolut de ne voir personne, & de vivre d’une maniere fort retirée dans une petite Ville où ses affaires l’avoient appellé. Il y passa d’abord pour un Misantrope. Cette réputation ne luy plût pas. Cependant il s’en consoloit en recevant assez souvent des Lettres de sa Maistresse, qui ne manquoit jamais à luy faire de grandes exhortations de fidelité. Celle du Cavalier estoit à l’épreuve, & afin que la Belle n’en pût douter, il s’avisa de dresser un Certificat de Constance, & de l’envoyer chez quelques Dames de ce Païs-là qu’il ne connoissoit que de veüe, avec un compliment par lequel il les prioit de rendre justice à sa maniere de vivre, en signant cette attestation de son amoureuse prudomie. Sa galanterie surprit agreablement. On commença de le connoistre. Le Certificat fut signé de la meilleure grace du monde, & vous pouvez croire que le Cavalier en fit admirablement sa cour en l’envoyant par le premier Ordinaire à l’aimable Personne dont il estoit éloigné. Je vous en fais part. Vous le trouverez signé par les Bergeres de la Durole. La Durole, Madame, si vous ne le sçavez, est une petite Riviere qui passe en Auvergne, à laquelle nous devons la Manufacture du plus beau Papier qui se fasse en France.

Certificat
de Constance.

A Mad*** C.D.B.L.

        NOus Bergeres de la Durole,
        Certifions à qui voudra,
        Ou plutost qu’il appartiendra,
Que le jeune Tirsis qu’une absence desole,
        Est arrivé depuis six mois
        Dans nos Valons, & dans nos Bois,
        Où vivant sous la loy severe
D'une fidelité merveilleuse en ce temps,
Il a détruit l’erreur du sentiment vulgaire,
        Qu'il n’est plus de Bergers constans.
Quand l’aveugle fortune insulta sa tendresse,
L'éloignant de l’Objet qu’il aime uniquement,
Nos Rochers sont témoins qu’il eut une tristesse
        Digne d’un veritable Amant.
Il fuyoit nos Hameaux, & se fuyoit luy-méme,
Pour chercher en esprit la Personne qu’il aime,
Ne parloit qu’aux Echos, se cachoit à nos yeux,
Enfin malgré ses soins il fut veu dans ces lieux ;
De l’hospitalité le devoir charitable
        Nous fit luy montrer nos appas ;
Il en vanta l’éclat, & ne s’en émût pas.
Une ingrate froideur pour la Brune & la Blonde,
Luy fait fuir parmy nous le commerce du monde,
Et toújours solitaire, on ne le voit jamais
S'exposer au brillant de nos jeunes attraits.
D'un si parfait Amant la vertu peu commune
Nous en fait souhaiter un pareil à chacune,
        Estant assez rare aujourd’huy
De trouver un Berger si fidelle que luy.
Il n’est point de faveurs dont la douce abondance
Puisse récompenser une telle constance ;
Son amour tost ou tard doit estre couronné ;
    En foy dequoy toutes avons signé
Le quinziéme du mois où le Rossignol chante,
        L'an mil six cens neuf & septante.

Amarante, Uranie, Lisete, Philis, Caliste, D. B. ou Silvanire.

Une des ces aimables Bergeres, qui fait profession de dire tout ce qu’elle pense, & qui s’en acquite avec autant de grace & de présence d’esprit, qu’elle a d’enjoüement dans l’humeur, eut peine à passer un des Articles du Certificat. Elle dit qu’une regularité si farouche ne luy plairoit point, & qu’elle aimeroit mieux un Amant qui seroit un peu moins fidelle, & plus sociable. Les sentimens des autres furent partagez ; mais enfin chacune d’elles convint qu’on ne devoit pas refuser un peu de complaisance aux malheureux, & qu’il y auroit de l’injustice à ne pas signer.

[Plusieurs Bals donnez dans quelques Isles aux environs du Village de Neüilly] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 83-85.

Je passe à une matiere plus gaye. Nous vivons sous un Regne si heureux & si florissant, & les continuelles victoires du Roy nous ont tellement, accoûtumez à la joye, que les Bals qui n’entroient autrefois que dans les plaisirs du Carnaval, sont presentement de toutes Saisons, avec cette diférence, que la plûpart de ceux qui servent de divertissement pendant les beaux jours, ne se font pas dans des lieux fermez. On en a donné six au Port de Neüilly. Mr de Bourges, Correcteur des Comptes, a commencé le premier ces magnifiques & galans Régals. Il donna son Bal dans l’Isle de Puteaux. Le second fut donné dans l’Isle de Pont. L’Isle de Villiers servit de Salle aux trois autres, & le sixiéme se fit dans le Jardin de Mr des Hallus Seigneur de Corvois. Tout ce qu’il y avoit de Personnes de qualité dans sept ou huit Villages des environs, prit part à ces agreables Festes. Les Isles que je viens de vous nommer estoient remplies d’un nombre infiny de lumieres, qui donnant un éclat nouveau à la verdure naissante, produisoient le plus bel effet du monde. Joignez à cela ce qu’on en voyoit briller sur la Riviere, ou plus de cent petits Bateaux qui en estoient tous garnis, servoient à passer & à repasser sans cesse, selon le besoin qu’on en avoit. Il y eut Collation à chaque Bal, & le tout fut digne des belles Assemblées qui s’y trouverent.

[Compliment fait au Roy au nom de l’Académie Françoise par Monsieur Rose Secretaire du Cabinet] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 117-133.

Je vous ay déja mandé que toutes les Compagnies avoient eu permission d’aller faire compliment au Roy sur la Paix. Messieurs de l’Académie Françoise s’acquiterent de ce devoir le 23. de l’autre Mois. Mr Rose Secretaire du Cabinet, porta la parole, & s’attira l’admiration de toute la Cour par cette Harangue.

Sire,

L'Académie Françoise, dont les veilles sont consacrées à l’immortalité du Nom de son auguste Protecteur, félicite Vostre Majesté du supréme degré de gloire où la Paix que toute l’Europe vient de recevoir de sa main, éleve ce Nom triomphant.

Elle avouë, SIRE, qu’elle croyoit que la Guerre l’eust déja mis en son plus haut point de splendeur, sans le secours mesme de tant de Victoires remportées sous ses auspices dans les commencemens de son Regne.

Il estoit bien difficile qu’elle n’en fust pas persuadée, voyant aussitost que Vostre Majesté eut pris les resnes de son Empire, la Hongrie sauvée, la Thuringe soûmise, & la Hollande délivrée par vostre seule protection.

Et lors qu’elle parut en personne à la teste de ses Armées, la moitié de la Flandre conquise dés la premiere Campagne.

La Franche-Comté subjuguée en quinze jours au cœur de l’Hyver, & depuis renduë & reprise avec une égale magnanimité.

La Meuse, le Rhin, le Vahal & l’Issel, & toutes les Places qui défendoient ces Climats inaccessibles, forcez en moins de cinq semaines.

Quarante autres Places des Païs-Bas, de l’Allemagne, & de l’Espagne, dont la plûpart estoient tenuës auparavant pour imprénables, insultées plutost qu’assiegées en toute sorte de saisons.

Des Batailles gagnées, des Marches, des Campemens, des Retraites & des Combats, qui ne seront pas d’un moindre éclat dans l’Histoire, que les Batailles.

Les Flotes de Vostre Majesté victorieuses sur l’Ocean & sur la Mediterranée, favorisoient aussi cette impression.

Tous ces Trophées de sa valeur, de la justesse de ses ordres, de ce fonds de science guerriere qui suplée à tous ces Héros que la mort luy a ravis, ou que l’âge & les infirmitez ont retiré du service ; tous ces Trophées, dis-je, qui sont propres à Vostre Majesté, & uniquement à Elle, ne laissoient rien imaginer au dela de cet amas de gloire qu’Elle s’est fait par les Armes.

Mais la Paix découvre à nos yeux des choses encor plus merveilleuses.

Un jeune Monarque, intrépide, infatigable, entraîné par les plus rapides mouvemens d’une noble ambition & d’une juste vengeance, guidé par la Fortune mesme toûjours esclave de sa vertu, à de nouvelles conquestes & à la destruction entiere de ses Ennemis, qui s’arreste au milieu de sa course pour sacrifier au repos public ses ressentimens & ses interests, à la veuë (si je l’ose dire) de la Victoire qui l’appelle pour luy mettre sur la teste la Couronne de l’Univers.

Que diray-je de plus ? Un Triomphe où le Char du Vainqueur n’est pas suivy comme autrefois de quelques malheureux Captifs, & des représentations de succés la plûpart chimériques ; Mais un Triomphe dont la pompe est ornée d’une illustre foule de grands Princes & de Potentats, soûmis aux conditions qu’il vous a plû de leur prescrire. Un Triomphe où vostre grand cœur est le premier au rang des Vaincus, où toute la Chrestienté vous comble de benédictions ; & au lieu de ces vaines images dont on avoit accoûtumé de repaître le Peuple Romain, nous avons le spéctacle réel d’Etats valans des Royaumes, adjoûtez à vostre Couronne, ou qui seront au premier jour restituez à vos Amis, ou déja rendus libéralement à ceux que vos faits heroïques ont contraints à le devenir.

Que l’on cherche dans tous les temps s’il y a rien de comparable à ce chef-d’œuvre de puissance & de modération.

Pouvant conquérir toute la Terre, vous avez borné vostre pouvoir à la délivrer des maux qui l’accablent.

Vous n’avez porté le fer & le feu dans le sein de vos Aggresseurs, que pour les rendre sensibles aux calamitez publiques.

Vous n’avez foudroyé tant de Bastions, que pour relever mille & mille Autels.

Vous n’avez dompté ces fieres Nations qui s’estoient liguées contre vous, que pour leur donner moyen de s’unir contre les Infidelles.

Vous n’avez bravé les périls, les saisons, & les élemens, essuyé tant de fatigues & de dures incommoditez, que pour mettre en seûreté nos vies & nos fortunes ; nous faire joüir des douceurs d’une profonde tranquillité, ranimer l’autorité des Loix, bannir l’impunité des crimes, pourvoir avec un amour paternel au salut de nos Familles, exterminer la violence, l’oppression, & la tyrannie ; ramener l’innocence & la bonne foy, & porter la felicité de nostre Siecle au dessus de tout ce qu’on a dit de celle du Siecle d’Auguste.

Quelle étenduë de mérite envers Dieu & envers les Hommes !

Quel exemple ! quels engagemens pour le digne Fils d’un tel Pere !

Ma voix que le Sort a mal choisie, est trop foible pour exprimer tout ce que l’Académie Françoise pense sur un si grand sujet.

Elle a de meilleurs Interpretes des hautes idées dont elle est remplie, qui sçauront donner une de plus digne forme à ces précieuses matieres.

Ces fameurs Autheurs qui d’un trait de plume, font des éloges plus durables que n’est le marbre ny le bronze, employeront à l’envy toute la force de l’Eloquence, tout le feu divin de la Poësie, toute l’exactitude de l’Histoire, pour celébrer dans leurs Ouvrages, ce concours inoüy de tant de vertus militaires & pacifiques en vostre Personne sacrée.

Heureux de pouvoir porter jusqu’au Ciel les loüanges de leur Bienfaicteur sans estre soupçonnez de flaterie !

Cependant nous redoublerons nos vœux pour la conservation du genéreux Vainqueur de soy-mesme, de l’Arbitre souverain de la Republique Chrestienne, du Restaurateur de la Religion & de la Justice, du Pere du Peuple & des Lettres, enfin de LOUIS XIV. ce Roy donné de Dieu par miracle, pour estre l’honneur, les delices, & (si sa modestie peut souffrir ce terme) le Maistre du Genre humain.

Ce Discours finy, Sa Majesté se leva, & s’approchant de Mr Rose, elle luy fit l’honneur de luy dire qu’elle estoit persuadée du zele de tous les Académiciens pour la gloire de son Nom ; Qu'elle en avoit reçeu beaucoup de preuves, & que comme elle s’en promettoit la continuation, ils devoient aussi estre assurez de celle de sa bien-veillance.

Elle eut aussi la bonté de témoigner à Mr Rose qu’elle estoit contente de luy en son particulier.

Vous jugez-bien, Madame, qu’il fut aussi-tost environné d’un nombre infiny de Gens qui le féliciterent sur l’heureux succés de sa Harangue. Mr le Duc de S. Aignan qui avoit marché en son rang d’Académicien, perça la foule, & luy dit ces quatre Vers.

O l’honneur de la Maison,
Eloquent & sçavant Rose,
Je ne puis dire autre chose,
Sinon, que le Sort a raison.

Il répondoit par cet Inpromptu à ce qu’il venoit d’entendre dire à Mr Rose, que le Sort l’avoit choisy pour faire au Roy le Compliment de Mrs de l’Académie ; car il portoit la parole comme Chancelier de la Compagnie, & vous ne devez pas avoir oublié qu’on y élit tous les trois mois un Directeur & un Chancelier, & que c’est le hazard qui en décide. Mr Pélisson ayant entendu ces quatre Vers, obligea Mr le Duc de S. Aignan à rentrer dans la Chambre de Sa Majesté, & à luy dire que c’estoit un compliment sur le compliment. Le Roy eut la bonté de les écouter, & témoigna à ce Duc en soûriant, que cela ne luy avoit pas esté desagreable.

[Les Pois verts, Histoire] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 143-161.

Il faut vous conter une Avanture dont les incidens sont particuliers. Un Amant voulant envoyer quelque chose de nouveau à sa Maistresse, chercha des Pois verds aux environs de Paris. On n’y en avoit point encor apporté, & la rareté fut cause qu’en ayant trouvé quatre litrons, ils luy coûterent six Loüis le litron. C'estoit l’unique Présent considérable qu’il luy pust faire sans s’exposer au refus. La Belle estoit fiere, & il s’imagina bien qu’elle n’auroit rien accepté d’une autre espece. Je ne vous puis dire si le Cavalier donna ordre qu’elle fust instruite de ce que luy coûtoient les Pois, ou si le hazard seul s’en mesla ; mais enfin elle estoit aussi sçavante que l’Acheteur, quand on luy apporta le Présent. Il fut reçeu, & comme elle estoit plus coquete que friande, elle ne pût s’empescher de dire qu’il falloit estre peu sage pour employer tant d’argent à si peu de chose. La Mere qui estoit naturellement avare, la voyant dans ce sentiment, luy proposa de vendre les Pois. La Fille n’eut pas de peine à y consentir. Elle avoit du Bien, mais un peu embarassé de Procés, & l’argent des Pois luy pouvoit fournir beaucoup de petits ajustemens qui luy manquoient. Elle avoit aupres d’elle tout à propos une de ces Amies de condition moyenne, qui ne se font point une affaire de trafiquer de tout ce qui peut tomber en commerce. L'Amie alla aussitost aux Halles trouver une Femme de sa connoissance qui fournissoit la plûpart des Maistres d’Hostel des grandes Maisons. On n’y avoit point encor veu de Pois, comme je vous l’ay déja dit, & elle sçeut de cette Femme, que le Pourvoyeur d’un Prince qui donnoit un fort grand Repas, luy en estoit venu demander ; qu’il devoit repasser pour je-ne-sçay-quoy, & que si elle vouloit l’attendre, elle feroit affaire avec luy. L'Amie demeura, & pendant ce temps, la Belle pour qui elle revendoit, reçeut visite d’un Soûpirant. Son bien, sa beauté, & son esprit luy en attiroient un assez grand nombre, & celuy-cy estoit des plus amoureux. La conversation roula sur toutes les choses de la saison. On parla de Pois, & sur ce que la Belle dit là-dessus, ce second Amant se persuada qu’elle avoit envie d’en manger. Il sortit presque aussitost, & comme sa plus forte passion estoit de luy plaire, il courut aux Halles chercher des Pois verds. On luy dit en plusieurs endroits qu’on n’en avoit point encor vû, & enfin il vint à la Femme qui avoit parlé du Pourvoyeur. Elle dit qu’elle en avoit quatre litrons, mais qu’elle attendoit nouvelles d’un Prince qui les payeroit largement. L'Amant avoit le cœur pris. C'estoit une necessité pour luy d’estre libéral. Il pria, pressa, jetta sa bourse, & trouva qu’on luy faisoit bon marché en ne luy demandant que trente Loüis-d’or. L'Amie fort en joye de l’heureux succés de sa négotiation, porta les trente Loüis à la Belle, qui fut fort surprise d’apprendre que l’Amant qui la venoit de quiter, avoit acheté les Pois. Il avoit esté connu de la Vendeuse sans qu’il eust sçeu à qui il avoit donné son argent. Ce qu’il y eut de bizarre en cette rencontre, c’est que la Belle fort contente de l’argent qu’on luy avoit apporté, ne put entendre le nom de l’Acheteur sans chagrin. C'estoit celuy de tous ses Amans qui luy plaisoit davantage. Elle raisonna sur la dépense qu’il venoit de faire, s’imagina qu’il donnoit quelque Repas à une Rivale, & faisant refléxion sur ce que sa visite avoit esté plus courte que de coûtume, elle ne douta point que les apprests du Régal n’en fussent la cause. Une Dame de ses intimes Amies qui survint, l’empécha de s’abandonner à tout son dépit. On tomba sur les fausses protestations des Amans. La Belle que la jalousie faisoit parler, soûtint qu’il ne se falloit jamais fier à aucun, & elle poussoit cette matiere d’une grande force, quand elle vit entrer un Laquais de celuy qui avoit acheté ses Pois. Il luy envoyoit une Corbeille qu’il avoit accommodée luy-mesme fort proprement avec des Rubans, & qui paroissoit pleine de fleurs. Elle la fit mettre sur la table, dit je ne sçay quoy au Laquais pour celuy qui l’envoyoit, & pensa qu’il la vouloit ébloüir avec un Bouquet, tandis qu’il régaloit sa Rivale. La Dame qui avoit fort loüé la galanterie du Présent, s’approcha de la Corbeille, & en tira quelques fleurs pour les emporter. Les Pois parurent, & la Belle connoissant alors que les fleurs n’avoient esté mises que pour les couvrir, ne put s’empécher de rire & des soupçons que sa jalousie luy avoit fait prendre, & de ce qu’on avoit acheté d’elle-mesme de-quoy luy faire un Présent. La Dame familiere de tout temps dans cette Maison, succomba à la tentation de manger des Pois, & se pria de souper. Elle dit qu’elle estoit fort assurée qu’on n’en avoit point encor servy chez les Princes, & que c’estoit une nouveauté dont elle vouloit se faire honneur dans le monde. Il n’y eut pas moyen de la refuser. Des quatre litrons on en servit un au grand regret de la Belle, qui sçachant ce qu’avoient coûté les Pois, voyoit avec peine que tant d’argent se consumast à manger. La Dame partie, on délibera de ce qu’on feroit des trois qui restoient. La Belle les eust volontiers vendus encor une fois, mais la Mere obligée à un Avocat qui avoit plaidé pour elle une Cause, crût l’engager à l’en tenir quite en luy envoyant les Pois. Ils furent portez le lendemain au matin à l’Avocat ; & s’ils ne firent pas naître de la jalousie, ils donnerent au moins lieu à une dispute entre le Mary & la Femme. Celle-cy qui aimoit la bonne chere, vouloit en régaler ses Amis, & l’Avocat en disposa malgré elle pour un Marquis du bel air, qui avoit sollicité quelque chose pour luy à la Cour. Il n’y eut peut-estre jamais d’incident pareil à celuy qui arriva. Le Présent avoit esté fait à l’Avocat avec la Corbeille, & une partie des fleurs qui ne couvroient pas tout à fait les Pois. L'Avocat le fit au Marquis de la mesme sorte, & il estoit encor sur sa table, quand celuy qui l’avoit fait le premier avec la Corbeille, entra dans la Chambre du Marquis pour quelque affaire dont il avoit à l’entretenir. Son Présent luy sauta aux yeux. Il reconnut la Corbeille dont il avoit noüé les Rubans, & fut dans un desespoir inconcevable de voir qu’on se fust servy de ce qu’il avoit envoyé, pour donner des marques de considération à son Rival. Il sortit, alla chez la Belle, & se contenta d’abord de recevoir avec beaucoup de froideur le remercîment qu’elle luy fit de ses Pois. Mais quand elle dit qu’on les avoit trouvez d’un goust admirable, il ne put s’empescher de luy répondre, que pour parler juste, elle devoit attendre que le Marquis luy eust fait sçavoir ce qu’il en pensoit. La Belle demanda l’explication de cette Enigme. Elle fut donnée, & le diférent qu’elle causa sembloit n’estre pas facile à terminer. L'Amant soûtenoit qu’il avoit veu son propre Présent chez le Marquis. La Belle se trouvoit mortellement offencée de ce reproche, & disoit avec une fierté digne d’elle, que si elle estimoit assez de certaines Gens pour en vouloir accepter quelque Présent de cette nature, on la devoit juger incapable d’en faire jamais aucun à un Homme. L'Amant demandoit à voir la Corbeille, & on répondoit qu’il estoit indigne qu’on songeât à se justifier avec luy. Enfin le hazard qui avoit donné occasion à la dispute, fit connoistre qu’ils avoient tous deux raison. Les Pois revinrent pour la troisiéme fois à la Belle. Le Marquis, à qui elle ne déplaisoit pas, aima mieux luy en faire présent que de les manger. On les apporta dans la plus grande chaleur de leur diférent ; & si l’Amant fut pleinement convaincu que la Belle ne les avoit point donnez au Marquis puis que le Marquis les luy envoyoit, elle fut convaincuë à son tour par la Corbeille, que l’Amant avoit veu les Pois chez le Marquis. La Mere arriva, & surprise autant que sa Fille de ce qu’on luy faisoit présent de son Présent, elle déclara celuy qu’elle avoit fait à son Avocat. On ne douta point qu’il n’eust envoyé la mesme Corbeille chez le Marquis, parce qu’on les voyoit fort souvent ensemble. La paix fut faite, & les Pois qui avoient déjà causé de la jalousie des deux costez, furent mangez avec l’Amant Favory que la Mere retint à dîner.

[Régal fait à Monsieur l’Ambassadeur d’Espagne par Monsieur de Gourville] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 161-164.

Je ne vous puis parler de Repas sans vous dire que Mr l’Ambassadeur d’Espagne, Madame l’Ambassadrice, Mr le Duc de S. Pierre son Gendre, Madame la Duchesse sa Femme, & le Fils de Mr l’Ambassadeur, furent régalez par Mr de Gourville le Jeudy huitiéme de ce Mois. Mr le Prince de Monaco, Madame, & Mademoiselle de Roye, Mr Tambonneau, Madame sa Mere, & Mr Camas, Portugais d’un fort grand mérite, estoient du Régal. Il fut magnifique ; mais quoy que la magnificence allât loin, elle ne pût qu’égaler la délicatesse des Mets. Apres le dîné, on passa dans un Apartement, dont les Chambres estoient remplies de quantité de beaux Vases tous garnis de fleurs. Il y avoit des Tables pour joüer à l’Hombre, & tandis qu’on se divertissoit au Jeu, on fut agreablement surpris d’entendre un Concert. La Symphonie dura jusqu’à six heures du soir. Elle estoit conduite par le Sr Chicaneau, Maistre de la Musique de Monsieur le Duc.

Le Printemps d’Olympe §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 167-175.

Quoy que nous commencions d’entrer dans l’Eté, vous ne serez pas fâchée que je rappelle les premiers jours de la derniere Saison pour vous faire voir une Piece fort galante de laquelle ils ont fourny la matiere. Vous sçavez, Madame, que tout le mois d’Avril s’est passé en pluyes, & qu’on l’a pû compter cette année pour un mois d’Hyver. C'est là-dessus qu’on a fait ces Vers.

Le Printemps
d’Olympe.

        BElle Olympe, dont les appas
Font tant de méchans coups dont on n’ose se plaindre,
Et qui sçavez vous faire aimer & craindre
        Par tel qui ne s’en vante pas ;
Comme en desirs d’apprendre à vostre âge on abonde,
    N'estes-vous point en peine de sçavoir
D'où vient que nuit & jour il ne fait que pleuvoir ;
Que le vent qui sans cesse à nos oreilles gronde,
        Dans la plus belle des saisons
        Fait le plus vilain temps du monde,
Et qu’à la fin d’Avril on couve ses tisons ?
En un moment, si vous voulez m’entendre,
        Ce Recit pourra vous l’apprendre,

***
Le Printemps accablé d’un chagrin sans pareil,
        Vint un jour se plaindre au Soleil,
        Et luy dit, c’est chose cruelle,
    Que moy, qui suis dess saisons la plus belle,
Qui fais naistre les fleurs & les tendres amours,
    Et qui par là devrois régner toûjours,
    Je sois réduit, si j’ay quelque durée,
        A l’avoir si fort resserrée,
        Que l’on n’a presque pas le temps
        De reconnoistre le Printemps.
        Par quelle étrange destinée
L'Hyver, qui des Mortels est la crainte & l’effroy,
        Régnera-t-il autant que moy ?
        Ne faisant que du bien, pourquoy
        N'ay-je que le quart de l’année ?
Encore si chacun vivoit content du sien,
Que mes Soeurs sur mon quart ne prétendissent rien,
Je n’en aurois jamais demandé davantage ;
        Mais helas ! c’est grande pitié,
Parce que je suis doux, on me pille, on m’outrage,
Et de trois pauvres mois qui font tout mon partage,
        Je n’en ay jamais la moitié.
À peine par mes soins ranimant la Nature,
Ay-je aux Champs comme aux Bois ramené la verdure,
        Qu'on voit l’Hyver fier & mutin
        Venir souvent un beau matin
Ramenant avec luy sa maudite froidure,
Geler & fleurs & fruits, & rendre impunément
Des pauvres Jardiniers les espérances vaines,
        Enfin détruire en un moment
        Ce que j’ay fait en six semaines.
        Je ne suis guére mieux traité
                Par l’Eté.
        Ses ardeurs démesurées
        Sont toûjours prématurées,
Il met à sec mes gazoüillans ruisseaux,
    Fait taire les petits Oyseaux,
Et vient secher mes fleurs avec tant d’insolence,
        Qu'il me fait perdre patience.
        Ainsi parla le Printemps éperdu,
        Demandant qu’il luy fust pourveu ;
        Ce faisant que l’on fist défense
            A l’Hyver pour l’avenir,
Apres son temps passé, d’oser plus revenir,
De mesme qu’à l’Eté d’échauffer par avance.
Mais par malheur le Dieu qui préside aux Saisons
        Ne gousta pas fort ses raisons,
Et du pauvre Printemps la harangue inutile
        Fit aussi peu d’impression,
Que s’il eust exhorté le Maire d’une Ville
        A faire une Imposition.
    Il eut beau dire, il eut beau faire,
        Tout alla comme à l’ordinaire.
        Pour se vanger de ce cruel refus
Il jura hautement qu’on ne le verroit plus,
Qu'il renonçoit au soin de la saison nouvelle,
Que l’Hyver reglast tout au gré de sa cervelle,
Pour luy, que jamais rien ne pourroit l’émouvoir,
Et que quand il pleuvroit, il laisseroit pleuvoir.
        Qu'il avoit un moyen facile
    De s’assurer un agreable azile
        Qui luy feroit en seúreté
        Braver & l’Hyver & l’Eté.
        Alors sans tarder davantage,
Il vint se retirer dessus vostre visage ;
C'est là qu’il nous fait voir ses plus belles couleurs,
Et qu’il fait tous les jours éclore mille fleurs.
Il ne peut estre mieux, & ma foy, s’il est sage,
Il n’en partira point d’une centaine d’ans ;
Il ne craint en ce lieu ny le vent, ny l’orage,
        Ny les injures du temps.
D'ailleurs il gagne tout, changeant de destinée,
        Puis qu’au lieu de trois mois
        Qu'il avoit à peine autrefois,
Son régne aupres de vous dure toute l’année.

[Te Deum pour la Paix chanté dans l’Eglise des Grands Augustins de Paris, par l’Assemblée generale des Chantres, & de la Simphonie de Paris] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 184-186.

Le 14. de ce Mois, on chanta dans l’Eglise des grands Augustins un Te Deum pour la Paix, accompagné d’un fort beau Motet. C’estoit une Assemblée genérale des Chantres & de la Symphonie de Paris, composée de toute la Musique de Nostre-Dame, de la Sainte Chapelle, de Saint Germain de l’Auxerrois, & d’une partie de celle des Saints Innocens. Il y avoit une élevation dans le Jubé pour mettre les Violons, qui estoient des Vingt-quatre de Sa Majesté, & de son Altesse Royale Monsieur. Ils se méloient avec émulation dans les Chœurs des Musiciens, qui estoient divisez en trois, & qui se surpasserent à l’envy les uns des autres. Les Paroles du Motet portoient tout le monde à remercier le Ciel de la Paix, & à s’en réjoüir sur la Terre. Elles estoient de Mr Marests, Docteur de Sorbonne, Curé de S. Jean le Rond, & avoient esté mises en Musique par le Sr Mignon, Maistre de la Musique de l’Eglise de Paris.

[Promenade de Son Altesse Serenissime Monsieur le Duc, à la Maison de Monsieur le Brun à Montmorency] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 204-207.

J’oubliay de vous dire dans ma Lettre du dernier Mois, que Son Altesse Sérénissime Monsieur le Duc avoit fait l’honneur à Mr le Brun premier Peintre de Sa Majesté, d’aller se promener à sa Maison de Montmorency. Il estoit accompagné de Mr le Duc de la Rochefoucaut, de Mr de Condom, & de plusieurs autres Seigneurs de la Cour. Ils y arriverent le Dimanche 14. de May sur les six heures du soir, & regarderent avec plaisir, en entrant, la Façade de la Maison qui est du costé de la Court. Ils monterent dans tous les Apartemens, & se promenerent en suite dans les Jardins. On y fit joüer toutes les eaux, dont ils admirerent les beautez. Ils furent surpris d’y voir tant de Canaux, de Fontaines, de Cascades, de Grotes, & sur tout un grand Canal qui est devant la Façade de la Maison du costé du Jardin. Son Altesse Sérénissime se promena en Bateau sur ce Canal, & y reçeut le divertissement d’une fort agreable Symphonie. Le Soupé fut servy aussitost apres. La magnificence s’y trouva jointe à la propreté. Monsieur le Duc coucha dans cette Maison, avec ceux qui l’accompagnoient. Il y dîna le lendemain, apres s’estre promené tout le matin dans les Jardins dont on fit joüer de nouveau les eaux, & partit sur les deux heures pour aller à Chantilly.

Souhait de Socrate §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 238-242.

Mr le Marquis de Chamilly, accompagné de Madame la Marquise sa Femme, est arrivé à Fribourg, dont vous sçavez qu’il est Gouverneur. La Garnison estoit sous les armes pour les recevoir, & la plus grande partie de la Cavalerie alla fort loin au devant d’eux hors des Portes de la Ville, où ils entrerent au bruit du Canon. Toutes les Troupes, & les Habitans, admirent ces deux illustres Personnes, dont les manieres, la douceur, & l’honnesteté, gagnent tous les cœurs. Ils ont esté reçeus à Brisac, & dans les autres Villes de leur route, presque avec les mesmes honneurs qu’à Fribourg. Tous les Gouverneurs en avoient donné les ordres, & ils ont tenu à gloire de traiter avec toute la distinction possible, celuy qui a si bien sçeu se distinguer luy-mesme, en soûtenant le Siege de Grave avec une valeur & une conduite qui ne recevront jamais assez de loüanges. Un mérite si extraordinaire luy a fait acquérir quantité d’Amis, quoy que ce soit l’acquisition du monde la plus difficile à faire. Ecoutez ce que Phédre nous dit là dessus d’un des plus grands Hommes de l’Antiquité. Le Fils d’un Auditeur des Comptes de Dijon luy fait parler nostre Langue.

Souhait
de Socrate.

SOcrate, dont le nom ne périra jamais,
Fuyant la Cour des Grands, & leurs riches Palais,
Se fit faire à l’écart, avec peu de dépense,
    Une Maison de tres-basse apparence.
Un Citoyen flateur qui pres de là passoit,
        Luy dit qu’il s’étonnoit
Que des Gens comme luy, d’aussi grande importance,
Se vinssent renfermer en de si petits lieux.
Cet espace est petit, dit-il, mais plût aux Dieux
Pouvoir trouver encore assez d’Amis fidelles
        Pour remplir ma Maison !
Ce grand Homme, entre nous, n’avoit-il pas raison ?
Il connoissoit combien les amitiez sont belles,
    Quand la constance & la fidelité
Forment ces doux liens de la societé ;
Mais où chercher pour en trouver de telles ?

[L'Amant emflâmé dés la premiere veuë, & devenu Poëte le mesme jour, Histoire] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 242-254.

On fait souvent de longues démarches sans y réüssir, mais du moins il y a cet avantage dans l’amitié, que comme elle demande du temps pour se former, elle est presque toûjours de durée. Il n’en est pas de mesme de l’amour. C'est une passion impétueuse qui montant quelquefois dés les premiers jours au plus haut point où elle soit capable d’aller, s’éteint ordinairement avec la mesme facilité qu’elle s’allume. Ceux qui tiennent impossible qu’on se laisse fortement toucher à la premiere veuë d’un bel Objet, changeront de sentiment apres avoir sçeu ce qui est arrivé depuis six semaines.

Un fort honneste Homme, considérable par sa naissance & par son esprit, avoit choisy un genre de vie des plus retirez, pour se dégager de certaines tendresses de cœur qui luy avoient long-temps cousté son repos. Il croyoit s’en estre mis à couvert en suivant une profession toute contraire aux engagements de galanterie. Cependant son tempérament l’emporta sur sa raison, & une occasion impréveuë l’ayant exposé aux charmes d’une belle & jeune Etrangere venuë à Toulouse pour voir les Processions solemnelles qui s’y font dans le temps de la Pentecoste, toutes ses résolutions de n’aimer jamais s’évanoüirent en un moment. Il estoit alors dans une conversation tres-serieuse avec beaucoup de Personnes de qualité ; & à cette soudaine apparition, charmé, hors de luy mesme, & sans faire aucune réflexion à ce qui luy avoit déja esté si fatal, il courut vers cette aimable Personne avec une rapidité inconcevable. Il luy parla, luy dit tout ce qui se peut imaginer de plus obligeant, & ne la quitant que par une nécessité absoluë de la quiter, il s’en sépara le plus amoureux de tous les Hommes. Il perdit dés cet instant le repos, l’appétit, & le sommeil, & tomba dans une langueur qui luy changeant le corps & l’esprit, le laissoit à peine reconnoistre à ses Amis. Il est vray qu’estant soûtenu pendant quelque temps par la veuë presque continuelle de cette belle Etrangere, ses forces ne l’abandonnerent pas tout à fait. Quoy qu’elle eust tout le mérite imaginable pour se faire aimer, il n’avoit peut-estre jamais produit le mesme effet sur personne. Si vous me demandez pourquoy il fit une plus prompte & plus forte impression sur celuy dont je vous parle, qu’il ne l’avoit faite sur beaucoup d’autres, je vous diray, selon les remarques de celuy qui m’a fait part de cette Avanture, qu’une étincelle qui n’allume point la paille, embrase la poudre en un seul moment, & que le Soleil qui ne fait qu’ébloüir des yeux grossiers, en aveugle de délicats, quand on s’attache à le regarder trop fixement. Ce qu’il y eut de desespérant pour ce malheureux Passionné, c’est que la Belle, que la seule curiosité avoit fait venir à Toulouse, fut obligée de s’en retourner quelques-jours apres. Il quita des affaires tres-importantes pour l’accompagner une partie du chemin, mais enfin estant forcé de luy dire le dernier adieu sans qu’il pust prononcer une parole, & un coude du Canal Royal sur lequel elle s’estoit embarquée, l’ayant dérobée un peu apres à sa veuë, il demeura sans aucune force, & se laissant tomber sur le bord, comme s’il eust esté frapé d’un coup de foudre, ou plûtost comme si son ame se fust séparée de son corps pour suivre l’Objet aimé, il perdit entierement l’usage des sens. Un Homme de qualité de ses Amis le trouvant en cet état, le fit emporter dans une Maison de Campagne qu’il avoit à un quart de lieuë de là. Cet Amant transy y revint à luy, mais avec des inquiétudes qui ne peuvent s’exprimer. La force de sa passion luy fit montrer des foiblesses dont il luy estoit impossible de se rendre maistre. Toutes les Peintures agreables qui font une partie des embellissemens de cette Maison, luy paroissoient ressembler à son aimable Etrangere. Il cherchoit continuellement la solitude pour penser à elle, & si on luy faisoit rompre le silence, il ne parloit que de sa beauté. Le croirez vous, Madame ? Il ne s’estoit jamais avisé de faire des Vers, & tout d’un coup l’amour luy en donna le talent. Il faut vous faire voir un Sonnet de sa façon. Vous y trouverez je ne sçay quelle fureur Poëtique qui marque assez bien le trouble d’esprit dont il estoit agité.

Sonnet.

JE brûle d’une ardeur qui court de veine en veine,
Nul remede ne peut appaiser cette ardeur ;
De mes sens accablez l’importune langueur,
De tout ce qui m’a plû fait aujourd’huy ma peine.

***
Les Objets les plus beaux n’attirent que ma haine,
La nuit par son repos réveille ma douleur,
Et dans l’accablement dont je sens la rigueur,
Je voy jusqu’à la mort ma disgrace certaine.

***
Dans ce Siecle de fer, où par un art nouveau
L'avarice en secret nous creuse le tombeau,
Pressé de tant de maux, que ne dois-je pas craindre ?

***
Seroit-ce du poison que l’on m’auroit donné ?
Ah, trop charmante Iris, de qui puis-je me plaindre ?
Je me suis par les yeux moy-mesme abandonné.

La crainte qu’eurent le Maistre & la Maistresse de la Maison, de le voir succomber à ses chagrins, leur fit tout mettre en usage pour l’en retirer. Ils feignirent que la belle Personne qui le réduisoit en cet état, estoit obligée de venir chez eux dans quelques jours ; & la joye qu’il en ressentit fut si forte, qu’il commença de se rendre sociable. La chose estoit en ces termes, quand on m’a écrit ce que je viens de conter. Je vous feray part de la suite, selon les nouvelles que j’en auray.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 254-255.

Je vous envoye cependant un Air nouveau de la composition de Mr le Froid. Les Paroles vous feront connoistre les peines d’un autre Amant, le plus à plaindre de tous, s’il l’en faut croire.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Que sert à mon amour que le Printemps renaisse, doit regarder la page 255.
Que sert à mon amour que le Printemps renaisse ?
Que me sert qu’en nos Champs la verdure paroisse,
Qu’elle invite aux plaisirs mille Amans que je voy ?
    Iris est toújours inhumaine,
Et tant que je la trouve insensible à ma peine,
    Il n’est point de beaux jours pour moy.
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[Reception faite à Turin à Monsieur de Varengeville Ambassadeur à Venise] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 255-270.

Vous avez sçeu que Mr de Varengeville estoit party de Paris pour son Ambassade de Venise, à laquelle je vous ay déja dit qu’il avoit esté nommé. Madame de Varengeville sa Femme, & Mademoiselle Courtin sa Sœur, l’ont suivy dans ce voyage. Elles ont toutes deux beaucoup de mérite. Il seroit surprenant qu’elles en manquassent, estant Filles de Mr Courtin Conseiller d’Etat, si celebre par les importantes Négotiations qui luy ont esté confiées, & dont les heureux succés ont toûjours avantageusement répondu à ce qu’on attendoit de son zele & de sa prudence. Ce fut luy qui lors du Mariage de la premiere avec Mr de Varengeville, allant en demander l’agrément au Roy, luy dit avec tant d’esprit, que la qualité d’Ambassadeur dont Sa Majesté l’avoit honoré tant de fois, ne luy avoit point acquis le droit de faire une Ambassadrice sans en obtenir sa permission. Apres avoir suivy la route ordinaire, ils arriverent à Turin le Lundy quinziéme de l’autre mois. Mr l’Abbé d’Estrades Ambassadeur de France en cette Cour, qui estoit allé au devant d’eux, les mena chez luy, & les ayant priez de ne prendre point d’autre Maison que la sienne, il les régala magnifiquement jusqu’à leur départ. Le lendemain Mardy, ils allerent incognito salüer Madame Royale, qui se montra fort sensible à la nouvelle assurance que le Roy luy donnoit de son amitié & de sa protection par la bouche de Mr l’Ambassadeur. Pendant tout le temps que Madame l’Ambassadrice luy parla, cette Princesse demeura debout. A peine le bruit de leur arrivée eut-il esté répandu, que toutes les Personnes de qualité les vinrent voir. Mr le Nonce, le Résident d’Espagne, & le Résident d’Angleterre, furent de ce nombre, aussi-bien que Mr le Cardinal d’Estrées, qui passa alors à Turin à son retour de Baviere. Le Mercredy, Madame Royale les régala de la Comédie. (Vous sçavez qu’elle entretient une Troupe de Comédiens François pour le divertissement de sa Cour.) On passa les soirs suivans au Cercle ; & le Samedy, cette illustre & obligeante Princesse envoya chercher Madame l’Ambassadrice pour la mener à la promenade. Elle la fit asseoir à costé d’elle ; & lors que Monsieur le Duc qui y estoit allé à cheval, descendit pour monter en Carrosse, Madame Royale ne voulut jamais soufrir que Madame l’Ambassadrice luy quitast sa place. Le Dimanche, jour de la Pentecoste, ils virent tenir Chapelle. C’est une Cerémonie qui nous est inconnüe en France, & qui se fait à Turin les quatre grandes Festes de l’année. Elle a quelque chose de majestueux, dont vous ne serez point fâchée d’estre instruite. Madame Royale est sous un Dais dans la Nef de la grande Eglise. A costé gauche, il y a un autre Dais vis-à-vis pour les Ambassadeurs. Les Chevaliers de l’Ordre sont rangez au dessous du Banc de cette Princesse. Les Dames viennent deux à deux passer devant elle, & apres luy avoir fait deux revérences, une aux Ambassadeurs, & une autre aux Chevaliers, elles vont prendre leurs places dans le milieu de l’Eglise où elles entendent la Messe. Lors que Monsieur le Duc sera en âge, ce sera aux Chevaliers à faire ce que font les Dames pendant la Régence de Madame Royale. Le soir de ce mesme jour, cette Princesse voulut que Madame l’Ambassadrice soupât avec elle ; & elle ne luy eut pas plutost veu quiter ses gands pour se mettre à table, que luy ayant pris la main, elle tira son Portrait en miniature, environné de huit gros Diamans, qu’elle avoit mis à son bras, & le passa à celuy de Madame de Varengeville, d’une maniere aussi galante que le Présent estoit magnifique, la priant que cela l’obligeast à se souvenir d’elle toute sa vie. Ce présent est de plus de deux mille écus. Elle luy donna aussi un tres-beau Bouquet de Fleurs d’Orange qu’elle avoit. Madame l’Ambassadrice le porta au lieu du sien, & mit le Portrait à la place de sa Croix. Elle fit paroistre ces ornements dans le lieu du Bal que Madame Royale luy voulut donner. C’estoit une grande Salle richement meublée, & éclairée de maniere à faire paroistre la beauté des Dames dans tout son éclat. Madame Royale estoit au haut de la Salle sous un Dais, dans un siege assez élevé, vis-à-vis de la Place où l’on dançoit. Les Dames qui sont presque toutes fort bien faites, se mirent des deux costez, tres galamment habillées. Il y en avoit plusieurs qui estoient toutes brillantes de Pierreries. Madame l’Ambassadrice alla se placer au second rang. Elle avoit prié qu’on la dispensât de dancer à cause qu’elle estoit incognito. Les Seigneurs qui s’estoient disposez pour le Bal, y vinrent tous en manteau. On ne prend à dancer dans cette Cour que ceux qui sont habillez de cette maniere. On commence par un Branle à mener, afin de faire dancer d’abord tout le monde, & on finit par plusieurs petites dances de la mesme sorte. Au milieu du Bal, Madame Royale quitta sa Place, & vint aupres de Madame l’Ambassadrice, qu’elle entretint fort longtemps. Cette Feste fut accompagnée d’une superbe Collation, où les Vins & les Liqueurs du Païs furent répandus en abondance. Le Lundy 22. Mr & Madame de Varengeville se disposoient à continuer leur route, mais Madame Royale leur fit dire qu’elle seroit bien aise qu’ils vissent la Vénerie avant leur départ. C'est une Maison de plaisance, que le feu Duc de Savoye a fait bâtir environ à quatre milles de Turin. Tout y respire la Chasse, jusqu’à la Chapelle qui est dédiée à S. Hubert. Il n’y a rien de plus agreable que les Canaux, les Bois, & les Jardins de cette Maison. Elle est embellie par tout de Peintures. Mr l’Ambassadeur & Madame l’Ambassadrice y furent conduits par Mr de S. Maurice Grand Ecuyer, & par quelques Dames de la premiere qualité. La promenade fut suivie d’une magnifique Collation. Le Mardy 23. ils allerent prendre congé de Madame Royale, & de toute la Cour ; & le Mercredy ils s’embarquerent sur le Pô pour achever leur Voyage. Mr le Duc de Mantoüe les régala à Casal, & on leur rendit les mesmes honneurs que s’ils n’avoient point passé incognito. Ce Prince en usa pour eux de la mesme sorte à Borgoforte, & à quelques autres Places de ses Etats, & les fit mesme prier d’aller jusques à Mantoüe. Mr l’Ambassadeur luy ayant envoyé un Gentilhomme pour luy marquer la reconnoissance qu’il avoit de sa civilité, accepta seulement quelques rafraîchissemens ; & enfin le Mardy 30. May il arriva à Venise, où il doit avoir fait présentement son Entrée publique.

[Sacre de Monsieur de Noailles Evesque de Cahors] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 270-274.

Comme il se présente souvent occasion de parler des Personnes d’un mérite extraordinaire, je vous ay entretenuë dans plusieurs de mes Lettres de celuy de Mr l’Abbé de Noailles. Il avoit esté nommé Evesque de Cahors depuis quelques mois, & fut sacré ces derniers jours dans l’Abbaye de Saint Antoine par Mr l’Archevesque de Paris, assisté de Mrs les Evesques de Meaux & de S. Brieu. Mrs les Archevesques de Sens, de Roüen, & de Bourges s’y trouverent. Ce dernier reçeut le Pallium à la fin de la Cerémonie. Les autres Prélats qui y assisterent furent Mrs les Evesques d’Orleans, de la Rochelle, d’Autun, de Coutance, de Lizieux, de Rennes, de Saint Malo, de Nantes, de Senlis, de Bellay, d’Arras, de Marseille, d’Axqs, d’Alet, de Tarbes, de Mirepoix, de Vance, & de Perpignan, avec Mrs les Abbez Colbert, de S. Luc, de Breteüil, & le Gay. Les Dames s’y trouverent aussi en grand nombre. Mademoiselle y estoit, ainsi que Mesdames les Duchesses de Verneüil, de Sully, de Foix & de Noailles, Madame la Princesse de Soubise, Mesdames des Comtesses de Guiche & de S. Géran, & Madame la Marquise de Villars. Il y avoit aussi plusieurs Ducs, entre lesquels estoient Mrs les Ducs d’Aumont, de Charost, de Gramont, de Roquelaure & de Noailles. Les Particuliers y vinrent en si grande foule, qu’on fut obligé d’avoir vingt-quatre des Suisses du Roy pour empescher la confusion. La Musique n’y pouvoit qu’être d’un tres-grand charme, puis qu’elle estoit composée de la plûpart des Musiciens de Sa Majesté. La Cerémonie faite, ce nouvel Evesque donna un tres-magnifique Repas. Il n’y eut que trois Services, parce qu’on servit l’Entremets avec le Rosty. Chaque Service estoit de vingt-six Plats.

[Reception faite à Marseille à Monsieur le Duc de Nevers, à Madame la Duchesse sa Femme, & à Madame la Duchesse Sforze] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 279-285.

Je vous manday la derniere fois, que Mr le Duc de Nevers & Madame la Duchesse sa Femme, estoient arrivez à Marseille avec Madame la Duchesse Sforze. Ils y estoient attendus avec une impatience extraordinaire Ils y estoient attendus avec une impatience extraordinaire ; ce qui leur faisant juger des continuelles civilitez qu’on leur rendroit, & de la foule qui les accompagneroit par tout, ils résolurent de ne point prendre de logement dans la Ville, & demeurerent dans une Bastide aux environs. Ils y arriverent à minuit, afin d’empescher qu’on n’allast au devant d’eux. Mr le Mareschal Duc de Vivonne les y vint trouver le lendemain. Il les amena voir le Port, & les vingt-huit Galeres du Roy, qui sont les plus belles & les plus pompeuses qu’on ait jamais veuës, & c’est peut-estre une des choses qui marquent le mieux la grandeur de Sa Majesté. Mesdames les Duchesses, qui sont toutes deux Filles de Madame de Thiange, Sœur de cet illustre Mareschal, monterent sur la Royale, où elles furent reçeuës au bruit du Canon & d’une Musique guerriere, avec tous les honneurs qui se pratiquent en ces sortes d’occasions. Elles virent faire l’Exercice à la Chiourme. Il y eut un concours extraordinaire de toute sorte de Gens partout où elles passerent. Personne ne se pouvoit lasser de les admirer, & on avoit peine à percer la foule. Mr Le Mareschal leur a donné la Comédie plusieurs fois. Elles ont pris sur tout un plaisir particulier à la représentation de l’Ariane de Mr de Corneille le jeune, qu’elles ont voulu voir deux fois. Ce grand Rôle estoit soûtenu par une Actrice nommée Mademoiselle Belonde. Elle réüssit si bien au gré de toutes ces illustres Personnes, dont la délicatesse du goust est connuë, que les Commédiens de l’Hostel de Bourgogne l’ayant sçeu, l’ont mandée incontinent pour venir remplir chez eux la place de la plus grande Comédienne que nous ayons euë depuis plusieurs Siecles. C’est vous faire entendre assez Mademoiselle de Chammeflé. La nouvelle Actrice que je vous ay déja nommé, est arrivée icy depuis quelques jours. Elle a répondu à l’attente que l’on avoit d’elle dans le Polieucte de Mr de Corneille l’aîné, & on peut dire à son avantage, que peu de grandes Comédiennes ont finy à Paris avec autant d’approbation qu’elle en a reçeu en commençant.

Apres le régal de la Comédie, Mr le Mareschal Duc de Vivonne invita les deux Duchesses ses Niéces à venir se promener dans de petites Barques, afin que s’accoûtumant peu à peu à la Mer, elles fussent moins surprises quand elles se trouveroient sur les Galeres. Elles prirent beaucoup de plaisir à ces promenades, & en reçeurent un fort grand quelques jours apres d’une Feste qu’on fit à Marseille. Vous en trouverez la description dans cette Lettre. Elle est d’un Particulier à sont Amy.

[Mariage de Monsieur de Beauvais, Baron de Gentilly] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 303-307.

Environ dans ce mesme temps, Mr de Beauvais Baron de Gentilly, Fils de Madame de Beauvais, Premiere Femme de Chambre de la feu Reyne Mere, épousa Mademoiselle Bertelot de Bouvillé, Fille de Mr Bertelot Secretaire du Roy, & Niéce de Mr Bertelot Genéral des Poudres & Salpétrieres de France. Ce dernier donna un Soupé tres-magnifique. Quatre Tables furent servies en mesme temps avec autant de propreté que de délicatesse & d’abondance. Les Hautbois se meslerent aux Violons pendant le Soupé, & firent un Concert tres-agreable. L’Assemblée estoit nombreuse. Madame la Marquise de Richelieu s’y trouva avec plusieurs Dames de qualité. Le Bal suivît. On dança jusqu’à trois heures du matin que se fit la cerémonie des Epousailles. Ces deux nouveaux Mariez accompagnez d’un grand nombre de leurs Parens & de leurs Amis, allerent le mesme jour à Gentilly, où Madame de Beauvais la Mere, les a magnifiquement régalez pendant trois jours. Mr le Baron de Gentilly est bien fait, galant, spirituel, & s’est acquis la réputation d’estre toûjours un des mieux mis de la Cour. Il est Maistre d’Hostel du Roy, qui l’a tenu sur les Fonts, & qui estant pleinement persuadé de ses belles qualitez, luy a voulu marquer son estime par le présent d’une somme considérable. Ce Mariage ne peut qu’estre heureux, ayant reçeu l’agrément de Sa Majesté d’une maniere si glorieuse. La Mariée est belle, & tres-jeune. Elle a de l’esprit, de l’embonpoint, le teint d’une blancheur ébloüissante, les yeux bleus & bien fendus, la taille aisée, les cheveux cendrez, & par dessus tout cela, ce je-ne-sçay-quoy qui saute aux yeux, & qui est encor plus touchant que la beauté.

[Explication en Vers de la premiere Enigme du mois passé] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 311-312.

Je viens aux Enigmes du dernier Mois. Vous trouverez l’Explication de la premiere dans ce Rondeau des Réclus de S. Leu d’Amiens. Vous vous souviendrez que l’Enigme estoit de la Lorraine Espagnolete.

POur un Zéro se donner tant de peine,
Mettre pour rien son esprit à la gesne,
Resver longtemps, chercher sans trouver rien,
    En verité, belle & docte Lorraine,
C'est trop pour rien nous causer la migraine.

***
Qui l’auroit crû qu’un jour par vostre veine
Rien pust servir au Public d’entretien ?
Vous l’avez fait, & l’avez fait trop bien,
            Pour un Zéro.

***
Mais ce Rondeau, commandé par Climene,
Plus que Zéro me tourmente & me gesne ;
De le finir, le plus juste moyen
Est de donner à ma Belle inhumaine
Et mon Rondeau, vostre Enigme, & ma peine,
            Pour un Zéro.

[Explication en Vers de la seconde Enigme] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 314-315.

Le vray Mot de la seconde est dans ce Madrigal de Mr le P. Pelegrin, de Pignans en Provence.

D'Abord que le bon Patriarche
Vit ce que la Colombe apportoit à son bec,
        Croyant de marcher à pied sec,
        Il ouvrit les portes de l’Arche.
Il ne se trompa point : Le Ciel fut appaisé,
        Toute l’eau s’estoit écoulée ;
        Mais helas ! s’estant avisé
        Que la Terre estoit desolée :
        Noé (dis-je) voyant alors
        Tous les Arbres à demy-morts,
        Commence à se grater l’oreille :
Mais enfin inspiré par un Esprit Divin,
        Il planta la charmante Treille,
Et de nouveau sauva le triste Genre humain,
Qui retiré de l’eau, périssoit sans le Vin.

Enigme §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 322-324.

Les deux nouvelles Enigmes que je vous envoye, pourront coûter quelque resverie à vos Amis. La premiere est de Mr Gardien Secretaire du Roy ; & l’autre de Mr Castel-Colongtec.

Enigme.

        L'On voit deux Sœurs toûjours ensemble,
        Qui servent en mesme Maison ;
        Elles n’ont rien qui se ressemble,
        Si ce n’est la taille & le nom.

***
        Quoy qu’également nécessaires ;
        L'une est toújours sans se mouvoir,
        Et l’autre n’a pas peu d’affaires
        Depuis le matin jusqu’au soir.

***
        Par la franchise de l’Aînée,
        Et par son abord ingénu,
        On la verroit abandonnée
        À toute heure au premier venu.

***
        Mais par les soins de la Cadete
        On luy prescrit de justes Loix.
        Celle-cy passe pour discrete,
        Quoy qu’incivile quelquefois.

***
        Elle est fort sujete au caprice,
        Souvent elle fait des jaloux,
        Et ne rend presque point justice,
        Si ce n’est à force de coups.

Autre Enigme §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 324-326.

Autre Enigme.

MA Mere sans douleur m’enfanta dans les Champs,
        Avec soin je fus élevée,
    Je n’en suis pas pourtant plus reservée,
J'ay fréquenté depuis les Bons & les Méchans.
        Presque par tout je suis aimée,
Quoy que je sois contraire aux plaisirs de l’Amour.
On me voit à la Ville, on me voit à la Cour,
Mais beaucoup plus qu’ailleurs, on me voit à l’Armée.
À vous dire le vray, mon abord ne plaist pas,
    Fort peu de Gens y trouvent des appas.
        Je prens feu, sans estre en colere,
        Je m’échauffe facilement ;
Ainsi mon entretien ne sçauroit satisfaire
Ceux qui n’en goúteroient qu’une fois seulement.
On n’a jamais connu d’Iris, ny de Sylvie,
Qui de tant d’Amoureux ait esté poursuivie.
        Et quiconque enfin suit mes Loix,
        Les suit tout le temps de sa vie.
        De mille Amans tout à la fois
        Je puis satisfaire l’envie ;
        Mals bien que je brúle pour tous,
        Je n’en fais pas-un de jaloux.

[Explication de l’Enigme en figure] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 326-327.

L'Enigme d’Hyacinte mourant aux yeux d’Apollon qui le change en Fleur, est la Rosée qui se change en la substance des Herbes & des Fleurs, par la vertu du Soleil. C'est la premiere de cette nature dont on n’ait point trouvé le vray sens. On l’a expliquée sur le Sommeil, le Jet d’eau, le Printemps, le Tonnerre, la Gresle, l’Apopléxie, la Jalousie, le Bled, le Poison, l’Agonie, la Teinture bleüe, la Métempsychose, le Ver à soye, la Renommée, les Gens de Lettres, le Soleil couchant, un Parterre, la Mirrhe, le Melon, la Métamorphose, & le Phénix.

Le Ravissement de Proserpine, Fille de Cerés, est la nouvelle Enigme en figure que je vous propose.

[Nouvelle Piece Italienne] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 327-328.

Les Medecins n’ont jamais cessé d’estre à la mode. Il y en a cependant que quelques Secrets particuliers font chercher préferablement à tous les autres. Celuy que les Italiens ont fait paroître depuis quelques jours sur leur Théatre, & qu’ils nomment le Medecin du temps, est du nombre. Cette nouveauté leur attire tout Paris. Arlequin y charme à son ordinaire. Rien n’est plus plaisant que de le voir Dogue d’Angleterre. C'est un vray Protée. Il fait tout ce qu’il veut de son corps, & quelque figure qu’il prenne, il est toûjours également agreable.

[Le Jeu du Vert, Histoire] §

Mercure galant, juin 1679 [tome 6], p. 328-336.

Je m’y trouvay la derniere fois aupres de celuy que vous appellez Nouvelliste universel. Il m’aprit ce que je vay vous conter.

Deux Dames, d’assez de naissance pour prendre, l’une la qualité de Marquise, & l’autre celle de Comtesse, estant voisines à la Campagne, où elles passent une partie de l’année, s’estoient fait un défy de vingt Loüis payables par celle des deux qui se laisseroit prendre sans vert pendant tout le mois de May. Il y a longtemps que cette sorte de défy est en usage. Il engage à porter quelques feüilles de Groiselier dans une Boite. On doit prendre soin de les renouveler tous les jours, & on est vaincu quand on est surpris sans avoir sa Boite. Les deux Dames se rendoient de fort fréquentes visites ; mais comme on couroit les avertir dés qu’on voyoit l’une entrer chez l’autre, elles jugerent bien qu’il n’y avoit que l’adresse qui leur pust donner l’avantage qu’elles cherchoient. Ainsi les excessives chaleurs qu’on a souffertes dans le mois de May, ayant obligé la Marquise à s’aller baigner, la Comtesse n’eut pas plutost sçeu qu’elle avoit choisy pour cela la pointe d’une Isle qui est à quatre cens pas de sa Maison dans la Riviere de Seine, qu’elle résolut de l’aller surprendre au milieu du Bain. Elle ne le voulut pas faire les premiers jours, afin de l’accoûtumer à se mettre dans l’eau sans précaution ; & croyant luy avoir osté par là tout sujet de défiance, elle prit enfin un petit Bateau de Pescheur, où elle se cacha je ne sçay comment, descendit vers le lieu où se baignoit la Marquise, & l’aborda en criant qu’elle la prenoit sans vert. La Marquise se défendit quelque temps sur ce que la Comtesse avoit usé de surprise, & voyant que ce n’estoit pas une raison qu’elle écoutast, elle luy montra sa Boite qu’elle avoit attachée à son bras avec un ruban. Cependant elle redoubla ses soins pour venir à bout de la surprendre de son costé. Voicy l’occasion qui s’en présenta. Une Païsanne que la Comtesse avoit fait presser pour quelque Fermage, promit de luy porter de l’argent. La Marquise sçeut le jour, & s’estant mise en équipage de Villageoise, elle joüa le Rôle de la Païsanne, alla de fort bon matin chez la Comtesse, entra sans que personne songeast à l’examiner, & ayant trouvé un petit Laquais dans l’Escalier, qui luy demanda où elle alloit, elle répondit qu’elle apportoit de l’argent. Le Laquais alla avertir une Suivante dans la Chambre de sa Maistresse, & il fut suivy dans le mesme instant de la fausse Villageoise, qui n’attendit pas la permission d’entrer. Les Rideaux tirez sur les Fenestres, ne laissoient entrer qu’un demy jour dans la Chambre. La Dame ne faisoit que de s’éveiller. On luy parla d’argent apporté, & ayant apperçeu des habits de Païsanne, elle n’eut pas plutost dit qu’on avoit bien fait de n’attendre pas un dernier message, qu’un Je vous prens sans vert fut la réponse qu’elle reçeut. Jugez de l’étonnement qu’elle eut de voir la Marquise. Elle reconnut sa voix ; & ne pouvant luy montrer de vert, parce que sa Boite demeuroit toutes les nuits sur sa table, il fallut qu’elle payast les vingt Loüis dont elle estoit convenuë pour le défy. Il y eut des Valets grondez, & la vraye Païsanne qui arriva deux heures apres, essuya un peu de méchante humeur, mais les vingt Loüis ne laisserent pas d’estre perdus. Ma Lettre commence à estre trop longue. J'acheve mes autres Nouvelles en peu de mots.