1679

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7]

2015
Source : Mercure galant, juillet 1679 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Anaïs Masson (Transcription) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Poëme de M. de Fontenelle] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 19-32.

Je puis enfin vous tenir parole touchant les Vers de Mr de Fontenelle que je vous envoye. Il y a apparence qu’ils ont esté faits un peu apres la Bataille de Sénef.

Sur ce que
Mr le Prince
ne vit plus que de Lait.

SI la frugalité qui regne en vos Repas,
        Succede au luxe qu’elle chasse ;
Si de cent mets exquis le Lait y tient la place,
        Grand Prince, n’en rougissez pas.

***
    Autrefois lors que la Nature
Ne faisoit que sortir des mains de son Auteur,
    Et conservoit un tranquile bonheur,
        En se conservant toute pure,
La Terre vit couler mille ruisseaux de Lait
        Sur ses Campagnes fortunées ;
        Dieux & Héros en burent à souhait,
        Et vêcurent longues années.

***
Pour ce grand Jupiter qui fait craindre en tous lieux
Sa majesté supréme, & sa vaste puissance,
Il fut nourry de Lait, & ce Maître des Dieux
Le trouvant à son goust, soit par reconnoissance,
Soit pour avoir toûjours du Lait en abondance,
        Mit sa Nourrice dans les Cieux.

***
Et quel fut le sujet de la métamorphose
        D'Apollon en simple Berger ?
À garder un Troupeau s’il voulut s’engager,
        Quelle en pouvoit estre la cause,
Si ce n’est que ce Dieu se sentoit dégoúté
De ce fade Nectar versé par Ganimede,
Et que son dégoust c’estoit le vray remede,
Que de boire du Lait en pleine liberté ?

***
Le Lait n’inspire pas une mollesse oisive,
Un grand cœur en conçoit une flâme plus vive,
        Qui sans souffrir aucun repos,
Par les élancemens d’une vertu divine,
Remonte vers le Ciel, d’où l’esprit d’un Héros
        Sent qu’il tire son origine.
***
C'est ainsi que vainqueur de deux Serpens affreux
    À l’Univers Hercule sçeut apprendre
Que la jeune valeur qu’il essayoit sur eux,
    Jusqu’au Ciel mesme auroit droit de prétendre ;
Si la gloire déslors fut son unique objet,
    D'où tiroit-il ces forces, ce courage ?
Du Lait qu’il avoit pris, car il estoit d’un âge
    À n’avoir pris encore que du Lait.

***
        Mais d’un Héros imaginaire
        Nous nous autorisons en vain.
    Vous connoissez ce Pasteur du Jourdain,
        Qui ne se fit point une affaire
    De déchirer les Lions de sa main ?
        Jamais avec un coup de Fronde
Du bruit de sa valeur eust-il remply le monde,
        Et jamais eust-il terrassé
Ce Philistin, l’effroy de la Judée entiere,
        Sans le Lait qu’il avoit sucé
        De quelque Génisse guerriere ?

***
Pourquoy prendre, Condé, d’autre témoin que vous ?
La genéreuse ardeur qui vous rend invincible,
Le Lait peut-il l’éteindre ? & parce qu’il est doux,
Vostre Bras dans la guerre en estoit moins terrible ?
Que l’Espagne le dise, elle qui ne s’unit
        A la Hollande sa rebelle,
        Que pour partager avec elle
Les malheurs éclatans dont la France punit
        Cette Republique infidelle.

***
Qu'ils le disent aussi, ces valeureux Soldats,
Qui dans de longs Festins étudioient la guerre ;
Ces Allémans, qui puisoient dans un Verre
L'héroïque chaleur qu’ils portoient aux combats.
La Sambre avec effroy vit ses ondes troublées
        De Sang & de Vin confondus ;
Aujourd’huy dans Sénef ces grands Corps étendus,
        Remplissent encor les Vallées.

***
        Mais quel Héros a remporté
Sur des Buveurs de Vin cette illustre Victoire ?
C'est un Buveur de Lait. Nostre Posterité
En lisant ces Exploits, les pourra-t-elle croire ?
S'en rapportera-t-elle à la fidelité,
        Ou de ma Muse, ou de l’Histoire ?

***
Tel qu’un jeune Lion qui boit en mesme temps
    Et la fureur & le lait de sa Mere,
        Et qui des ongles & des dents
    Sur les Troupeaux exerce sa colere ;
Tel, graces à ce Lait dont la douce liqueur
Vous a fait de vos ans oublier la foiblesse,
Vous avez aux Combats repris vostre jeunesse,
        Et vostre premiere vigueur.

***
Sans-doute quand le Rhin vous vit de son rivage
Couronner vostre Front de cent Lauriers nouveaux,
Il crút qu’il faloit estre en la fleur de son âge,
Pour porter tout le poids de ces nobles travaux.

***
Cependant pour le Lait vostre reconnoissance
Va si loin, que déjà vous ne luy devez rien ;
Si de vostre santé c’est l’unique soutien,
        Il en reçoit sa récompense,
Vous luy faites honneur quand il vous fait du bien.

***
Tous nos François glorieux de vous suivre,
Des superbes Festins ne feront plus d’état,
Et je prévoy qu’ils ne voudront plus vivre
        Que d’un Néctar si délicat.

***
Bacchus mesme verra la Vigne abandonnée,
        Il arrachera de chagrin
Les Pampres dont sa teste est toújours couronnée,
    Et maudira la fatale journée
    Où pour le Lait vous quittâtes le Vin.
Les Lys dont le Lait seul rend la couleur si belle,
En seront arrosez pour la seconde fois,
Et nous admirerons une fraîcheur nouvelle
Sur ces illustres Fleurs de l’Empire François.

***
Et toy, que le Destin reservoit à la gloire
        De nourrir un Héros si grand,
        Si d’une immortelle mémoire
        Je suis un assez bon garant,
        Genisse mille fois heureuse,
        Tu peux bien t’en fier à moy,
        Io, cette Io si fameuse,
Quoy qu’en ait publié la Gréce fabuleuse,
        Ne l’emportera point sur toy.

***
Il est vray que de Fille elle devint Genisse,
De Genisse, Déesse, & qu’au pied des Autels
Tout un Peuple attend d’elle un seul regard propice,
        Et qu’il suffit qu’elle mugisse,
        Pour rendre un Oracle aux Mortels.

***
    Mais laisse-luy ces foibles avantages,
    Oüy, tes Destins seront encor plus beaux,
Et tu tiendras ton rang dans ces grands Pâturages
Que remplissent au Ciel cent nobles Animaux.
Là, par un doux hymen tu te verras unie
Au celeste Taureau digne de tes amours,
    Et vous viendrez tous deux de compagnie
        Nous amener nos plus beaux jours.

***
Cependant repais-toy plus qu’à ton ordinaire,
Choisis la meilleure herbe, & la plus salutaire,
D'un Illustre Héros tu répons aujourd’huy,
Conserve-nous longtemps cette Valeur supréme
    Dont nous faisons nostre plus ferme appuy,
Et sçache que tu dois avoir soin de toy-méme,
        Pour avoir plus de soin de luy.
Empesche que Condé n’aille de trop bonne heure
Par le chemin de Lait prendre sa place aux Cieux ;
Encor que son grand cœur vole à cette demeure,
        Le plus tard ce sera le mieux.

[Feste ancienne & fort particuliere, retablie à Tartas à l’occasion de la Paix] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 32-48.

La joye que les Peuples ont ressentie de la Paix, ne s’est pas bornée aux réjoüissances qui sont ordinaires aux Villes où la Publication en est faite. Elle a réveillé (s’il est permis de parler ainsi) des Festes assoupies depuis vingt années, & c’est ce qu’on a veu depuis deux mois à Tartas. Celle que l’occasion de la Paix y a fait renouveller, est d’une Institution fort particuliere, & s’y celébroit autrefois avec toute sorte de magnificence. Il faut vous en conter l’origine. Il y avoit neuf mois que Tartas, troisiéme Ville de la Frontiere des Pyrenées, estoit assiegé par les Anglois. Tout avoit cedé à ces puissans Ennemis, & c’estoit fait de la Guyenne, si Tartas eust ouvert les Portes. Du Pleix assure que la Fortune de la France se joüoit devant cette Ville ; & de Serres adjoûte qu’il ne s’agissoit pas seulement de la réputation du Roy, mais du salut de tout le Royaume, de la secourir. Charles VII. y accourut de Toulouse. Il arriva devant cette Place le jour de la Pentecoste, fit lever le Siege le lendemain, batit les Anglois en trois Combats, & apres les avoir chassez de la Guyenne, il assigna luy-mesme un fond sur le Revenu de Tartas pour celébrer durant la semaine de la Pentecoste la mémoire de la délivrance de cette Ville. Elle a esté depuis ce temps-là du Domaine des Roys de Navarre, & on y voit encor la Maison où Henry IV. se retiroit lors qu’il venoit chasser aux environs.

Le jour de la Pentecoste, c’est à dire le 21. de May dernier, toute la Bourgeoisie, les Magistrats en teste, alla prendre des Rameaux à un des Fauxbourgs, suivant l’ancienne Institution. On s’assembla en suite à l’Hostel de Ville, où les Officiers de la Seigneurie furent éleus. Ces Officiers ont le soin des trois Combats qui doivent se faire le lendemain en mémoire des trois Batailles dont je vous viens de parler. Les Charges ayant esté distribuées, Mr de Lhospital Capitaine de la Feste, comme premier Jurat, régala les Officiers du Présidial, la Noblesse des environs, & les principaux de la Bourgeoisie, d’une superbe Collation. Les Dames & la Jeunesse furent traitées séparément à cause de la foule. Les Trompetes, les Hautbois, les Violons, & le grand bruit du Canon qui fut tiré ce jour-là pour le Feu de joye de la Paix ratifiée avec l’Empire, mirent tout le monde de belle humeur. Ainsi l’on n’entendoit que des Vive le Roy de tous costez. Mr de Lhospital, dont l’esprit sublime est soûtenu d’un fort grand mérite, donna le Bal à Madame la Senéchale. C’est une Personne qui se fait aimer de tous ceux qui ont le goust bon & délicat. Rien n’est plus honneste que ses manieres. Elle a l’air aisé & engageant, & il est dangereux de la voir quand on veut se conserver libre. Toutes les Dames se rendirent chez elle dans une propreté merveilleuse, & on ne finit le Bal que fort avant dans la nuit.

Le lendemain qui estoit Lundy, on commença la journée par de grandes réjoüissances. On dança dans tous les Quartiers, & le Festin public termina les plaisirs de la matinée. On n’eut pas si-tost dîné, qu’on se prépara pour le Combat de gazon. On avoit élevé une espece de Fort dans la Ville haute. Des Bras vigoureux furent destinez pour soûtenir les efforts des Assaillans. On planta des pieux, & on attacha de grosses cordes pour se défendre de l’assaut. Les Trompetes & les Tambours ayant commencé de se faire entendre, la Jeunesse monta à cheval. Mr de Corados, Seigneur de Marsillac, estoit à la teste, comme Guidon. Mr le Chevalier du Prat, qui a servy à Messine & dans nos dernieres guerres, & Mr de Lanefrangue, Garde du Corps, qui se trouva alors à Tartas, rangerent toutes les Compagnies en bataille. L'heure du Combat estant venuë, la Cavalerie traversa la Ville l’épée à la main. Ceux du Fort furent sommez de se rendrez, & sur le refus qu’ils en firent, le Guidon s’estant détaché avec les plus braves Cavaliers, commença l’attaque. Ils furent reçeus avec une grêle de coups de gazon, qui les obligea de se retirer. Tout combatit séparément, & apres que cette attaque eut duré deux heures, on monta à l’assaut avec la Bote. Comme la chaussure n’est pas commode pour les Escalades, on en renversa une vingtaine par terre. Les autres que l’ardeur de vaincre emportoit, passerent par dessus ces Malheureux, malgré tous leurs cris, & entrerent enfin dans la Barricade. On fit plusieurs Prisonniers. Les Vainqueurs les condamnerent à des peines agreables, & ces peines furent un nouveau sujet de divertissement pour tout le monde. Ce Combat finy, on commença celuy de la Corde. On l’appelle ainsi, à cause d’une corde qu’il faut franchir à cheval, ou couper avec des Sabres. Il fut fort opiniâtré, parce que le Peuple le soûtenoit. On descendit en suite à la Ville basse, pour essayer le Combat du Pot cassé que la grande Bourgeoisie jettoit du haut d’un Théatre, & un magnifique Repas fut le délassement de tant de fatigues. Le soir de ce mesme jour, il y eut Bal chez Madame de Marsillac, Femme du Guidon de la Feste. Comme c’est une des plus belles Personnes de la Province, & que les Dames y vinrent en fort grand nombre, les Cavaliers mirent en usage toute leur adresse pour la dance ; & ceux qui avoient de l’esprit & du mérite, ne manquerent pas d’occasions de faire connoistre ce qu’ils valoient.

Le Mardy, la Noblesse & la Jeunesse coururent la Bague. Madame de Marsillac donnoit le Prix. La gloire de le recevoir de sa main, anima tellement tous les Prétendans, que beaucoup d’entr'eux ayant couru avec un succés égal, on fut obligé de remettre la Partie à un autre jour. Le Bal fut donné le soir chez Madame de Maurian.

Un Combat qui se fit sur la Dauce (c’est une Riviere qui sépare Tartas en Ville haute & en Ville basse) fut le divertissement du Mercredy. La Jeunesse y parut en Vestes de tafetas rouge, & en Toques de mesme façon, tous chargez de Guirlandes. Les Bourgeois estoient distinguez par le tafetas blanc. On s’embarqua sur douze Bateaux à un demy quart de lieuë de la Ville. On les attendoit sur le Pont pour les voir passer dessous, & les combatre en passant. Le Bateau du Guidon estoit tout brillant par les peintures. On voyoit à la Prouë un Neptune, tel que la Fable nous le dépeint se promenant sur les eaux, & répandant la sérenité par tout. Ces mots se lisoient au bas, Tempestates serenat. Je ne vous en marque point l’allusion, elle es aisée à connoistre. Les Bateaux ne se furent pas si-tost approchez du Pont, que le Combat commença. On passa sous les Arches. Le grand nombre de Gazon qu’on jetta sur les Vestes de tafetas, leur fit changer de couleur. Les Toques flotoient sur la Riviere. On se défendit des Bateaux, où il y avoit aussi du gazon. On monta à l’assaut, & les Prisonniers qu’on fit, furent mis à l’eau jusques au menton. On régala tous les Combatans d’un fort grand Soupé, & il y eut Bal chez Madame de la Saledupoy.

Le Jeudy on courut de nouveau la Bague, qui fut enfin emportée par Mr du Camp, Avocat du Roy. Comme il est un peu avancé en âge, & que Madame de Marsillac n’a pas moins de jeunesse que de beauté, il luy fit un compliment fort galant, sur ce que ne se contentant pas de soûmettre les jeunes cœurs par la force de ses charmes, elle luy avoit inspiré assez d’ardeur de luy plaire, pour le rendre victorieux. La Feste qui avoit commencé dés le Dimanche, fut terminée ce jour-là par le Bal qu’on donna le soir chez Madame la Procureuse du Roy. C’est une Dame d’un mérite singulier, & dont l’air grand & majestueux ne tient rien de la Province.

[Dom Joseph de Velasco, Histoire] §

Mercure galantt, juillet [tome 7], 1679, p. 51-60.

On éprouve tous les jours de fâcheuses tromperies dans le Mariage, mais il en est peu dont les circonstances soient aussi cruelles que vous les allez trouver dans l’Avanture qui suit. Une jeune & fort aimable Personne, d’une tres-honneste Famille de Bruxelles, se vit recherchée de plusieurs Amans, parmy lesquels il y en eut un qui toucha son cœur plus que les autres. Il s’appelloit Don-Joseph de Valasco. Le Pere de la Belle dont je vous parle, quoy que né Parisien, estoit au service du Roy d’Espagne en Flandre, en qualité de Commissaire General pour la paye des Soldats. Il mourut dans le temps qu’elle auroit eu le plus besoin de ses conseils, & sa mort l’ayant laissée sous la conduite de sa Mere, Don-Joseph en sçeut si bien ménager l’esprit, qu’il n’eut qu’à parler pour la rendre favorable à son amour. Il se disoit Espagnol, & par conséquent fort bon Catholique ; & comme il suffit de plaire pour persuader tout ce qu’on veut, il porta loin les avantages de sa fortune & de sa naissance, & n’eut pas de peine à se faire croire sur sa parole. Le Mariage se fit il y a environ trois ans, & sembla augmenter une passion qui n’estoit déja que trop violente. Don-Joseph qui aimoit veritablement sa Femme, avoit pour elle des complaisances qui la charmoient. Ils estoient presque toûjours inséparables, & l’union avec laquelle ils vivoient redoubla si fort l’attachement de la Belle, que le Mary ayant feint d’avoir des affaires en Angleterre, elle ne put se résoudre à l’abandonner. Il connoissoit son esprit, & ne faisoit ce voyage qu’afin qu’elle en voulust estre, & que ce fust pour elle une necessité de passer la Mer. Elle emporta tout ce qu’elle avoit de Bijoux, prit congé de sa Mere pour quelques mois, & fit le Trajet avec plaisir, parce qu’elle n’en pouvoit prendre qu’avec celuy qu’elle accompagnoit. A peine eut-il demeuré un mois en Angleterre, qu’il proposa à sa Femme d’aller à Madrid, où il la vouloit faire connoistre à ses Parens. C'estoit luy plaire, elle y consentit. Ils s’embarquerent, & la Belle qui croyoit aller en Espagne, fut bien surprise d’entendre dire à un Matelot qu’on prenoit la route de Barbarie. Il falut que le Mary s’expliquast. Il la pria de ne se point étonner, & apres les plus fortes protestations d’un amour qui ne finiroit jamais, il luy déclara qu’il estoit Turc, natif d’Alger, & que c’estoit le lieu où il la menoit. Jugez du déplaisir de la Belle. Un Turc estoit son Mary, & c’estoit parmy des Turcs qu’elle alloit. Il n’y avoit point cependant d’autre party à prendre que celuy de débarquer. Le faux Espagnol alla trouver ses Parens, & ils n’eurent pas sitost appris qu’il s’estoit marié à une Chrestienne, qu’apres luy avoir dit tout ce qui se peut imaginer de plus outrageant, ils ajoûterent, que si dans un certain temps il ne l’obligeoit à se faire Turque, ils se porteroient contre luy aux plus rigoureuses extremitez. Il en parla à sa Femme, luy fit voir les avantages qu’elle luy pouvoit procurer en changeant de Religion, & l’ayant trouvée là-dessus dans une fermeté inébranlable, il fut contraint de quiter Alger, pour faire cesser les cruelles persécutions qu’elle recevoit. Il s’embarqua dans un Vaisseau qui faisoit voile en Aléxandrie, & vint de là à Rossette, où il se promettoit une plus favorable réception de quelques Algériens ses Parens qui y demeuroient, mais il les trouva encor plus impitoyables que les premiers. Il fut mis aux fers, & sans quelques Bijoux que donna sa Femme, il luy eust esté difficile de s’en tirer. Il se rendit avec elle au Caire où il est presentement, & où apres avoir acheté une paye de Janissaire, Mr de Bonnecorse, Consul pour Sa Majesté, l’a pris à sa porte, voyant qu’il n’avoit plus dequoy subsister. Sa Femme qui est tres-délicate, soufre ce qu’il seroit malaisé de concevoir. On a écrit depuis peu à ses Parens à Bruxelles pour obtenir quelques secours, & c’est par les mesmes Personnes qui prennent ses interests au Caire, qu’on a sçeu icy les particularitez de ses disgraces.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 60-66.

Voila, Madame, comme les passions inconsiderées ont presque toûjours des suites fâcheuses, quand mesme elles seroient légitimes. Heureuses les Belles qui ont assez de fierté pour n’aimer pas, & qui estant persuadées que pour choisir un Mary, l’amour est moins necessaire que l’estime, resolvent ce choix avec leur raison. C'est un seur moyen de ne s’en point repentir, mais il en est peu qui en usent de cette sorte. On va souvent au devant d’une déclaration de tendresse, & il est si rare de trouver des Fieres qui s’en scandalisent, qu’un Amant, pour peu qu’il ait de mérite, ne la fait presque jamais inutilement. Le Druide Lyonnois s’explique fort galamment sur cette matiere. Voicy le fragment d’une de ses Lettres.

Non, Dorise, l’on ne voit plus dans le Monde de ces Dames qui s’irritent d’une déclaration d’amour, & à dire vray, ces exactes Scrupuleuses n’ont gueres fait de figure & de bruit que dans le Païs des Romans. Au contraire, depuis que l’honnesteté est devenuë l’ame des conversations, c’est tellement la mode de montrer de la joye à un Amant qui découvre sa passion, qu’on peut dire qu’il n’y a presque point de Tygresses aujourd’huy parmy le beau Sexe.

        La Fiere n’est plus à la mode,
        La Douce s’est mise en crédit ;
        Alors qu’on s’aime, on se le dit,
Nostre Siecle en amour est devenu commode.
        Aimer & pousser des soûpirs,
Sont pour un jeune cœur deux choses necessaires ;
Par la fierté, Dorise, on se fait des affaires,
    Par la douceur on se fait des plaisirs

Cependant l’Autheur du Mercure Galant, dans son cinquiéme Extraordinaire, nous demande des Devises pour une Femme d’un Caractere bien diférent. Il la fait fiere, mais d’une fierté si tranquille, & d’une si rare modération, qu’elle ne donne aucune marque de joye, ny de colere à l’Amant qui a la hardiesse de luy déclarer sa passion. Pour moy, qui raisonne toûjours sur le principe que j’ay étably, je tiens que sous le serieux affecté qu’elle fait paroistre, elle dissimule sa joye, & peut-estre pensay-je assez juste d’elle en disant,

        Que l’air serein de son visage
        Rassure contre le naufrage
Un Amant trop timide & douteux de son sort,
        Et que pour peu qu’il se ménage,
        Par hymen ou par badinage,
Il a du vent assez pour donner dans le Port.

A cette belle Dame d’un air si tranquille, & qui ne laisse échapper aucune émotion d’esprit ny de cœur, je croy qu’on pourroit offrir cette Devise. Le corps est une Mer dans sa bonace, & un Alcion dessus qui fait son nid, avec ces paroles pour ame,

Je bastis dans le calme.

Cette Devise ne vous doit pas estre inconnuë, puis que je l’ay fait graver parmy celles qui ont été faites pour des Cachets, & qui sont dans le sixiéme Extraordinaire que je vous envoyay le 15. de ce Mois.

[Elegie] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 66-72.

Cependant si vous voulez voir de quelle maniere en doivent user les aimables Fieres qui cherchent à se défendre d’aimer par raison, vous n’avez qu’à lire l’Elegie qui suit. Vous y trouverez une peinture aussi agréable que délicate, des sentimens d’une Belle dont le cœur pourroit devenir sensible, si elle l’abandonnoit à son panchant. Je ne vous puis dire qui la fait parler, mais je sçay bien que peu d’Ouvrages de cette nature ont d’aussi grandes beautez.

Elegie.

GEnéreux Licidas, Amy sage & fidelle,
Dont l’esprit est si juste, & dont l’ame est si belle,
Vous, de qui la Raison ne fait plus de faux pas,
Ha, qu’il vous est aisé de dire, n’aimez pas !
Quand on connoist l’Amour, ses caprices, ses peines,
Quand on sçait comme vous ce que pesent ses chaînes,
Sage par ses malheurs, on méprise aisément
Les douceurs dont il flate un trop crédule Amant,
Mais quand on n’a point fait la triste expérience
Des jalouses fureurs, des chagrins de l’absence,
Que pour faire sentir de redoutables feux
Il ne paroist suivy que des Ris & des Jeux,
Qu'un cœur resiste mal à son pouvoir supréme !
Que de soins, que d’efforts pour empescher qu’il n’aime !
Je sçay ce qu’il en couste, & peut-estre jamais
L'Amour n’a contre un cœur émoussé tant de traits.
Insensible à l’'honneur de fixer un Volage,
Ou de forcer d’aimer l’Ame la plus sauvage,
Je n’ay jamais tombé dans ces vaines erreurs,
Qui donnent de vrais maux pour de fausses douceurs ;
Mes sens sur ma raison n’ont jamais eu d’empire,
Et mon tranquille cœur ne sçait comme on soúpire,
Il l’ignore, Berger, mais ne présumez pas
Qu'un tendre engagement fust pour luy sans appas.
Ce cœur que le Ciel fit délicat & sincére,
N'aimeroit que trop bien, si je le laissois faire ;
Mais grace aux Immortels, une heureuse fierté
Sur un si doux panchant l’a toûjours emporté.
Sans cesse je me dis qu’une forte tendresse
Est malgré tous nos soins l’écueil de la Sagesse,
Qu'on s’y trompe toûjours, & qu’il faut s’allarmer
Dés qu’un Berger paroist propre à se faire aimer.
Comme un subtil poison je regarde l’estime,
Et je crains l’Amitié, quoy qu’elle soit sans crime.
Pour sauver ma vertu de ces égaremens,
Je ne veux point d’Amis qui puissent estre Amans.
Quand par mon peu d’appas ma raison est séduite,
Je cherche leurs défauts, j’impose à leur mérite,
Rien pour les ménager ne me paroist permis,
Et dans tous mes Amans je vois mes Ennemis.
A l’abry d’une longue & seûre indiférence,
De leurs tendres transports je vois la violence ;
L'Esprit libre de soins, & l’Ame sans amour,
Dans le sacré Valon je passe tout le jour,
J'y cueille avec plaisir cent & cent fleurs nouvelles,
Qui braveront du temps les atteintes cruelles ;
Et pour suivre un panchant que j’ay reçeu des Cieux,
Je consacre ces fleurs au plus galant des Dieux.
Par un juste retour on dit qu’il sçait répandre
Sur tout ce que j’écris un air touchant & tendre ;
Je n’ose aller plus loin, & sur la foy d’autruy
Je chante tous les jours & pour, & contre luy ;
Heureuse si les maux dont je feins d’estre atteinte,
Pour mon timide cœur sont toújours une feinte.

[Grande Cerémonie faite à S. Lo] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 72-86.

Je quite ce qui est purement galant, pour venir à une matiere toute sérieuse. La solemnité qui se fit le Mardy des Festes de la Pentecoste, pour la Translation des Reliques de S. Lo dans la Ville de basse Normandie qui porte ce nom, mérite bien que vous la sçachiez. Il vivoit Evesque de Coutance il y a environ douze cens ans. Son corps ayant esté porté d’abord à Roüen pour le sauver des mains de certains Peuples du Nort, gens tres-furieux, qui avoient envie de s’en saisir, on fut contraint pour une plus entiere seûreté, de le transferer à Angers, & de là à Tulles. Cela seroit peut-estre encor ignoré, sans les soins de Mr l’Evesque de Condom, qui ayant une venération particuliere pour ce Saint, a découvert où son Corps estoit. Mr l’Evesque de Tulles luy en ayant accordé une partie des Ossemens, pour les donner à la Ville qui porte encor aujourd’huy son nom, ce Prélat que d’importantes affaires appelloient ailleurs, pria Madame la Doüairiere de Matignon sa Mere, de se charger du soin de la Feste. Elle y consentit, & s’en acquita avec cette magnificence qui luy est ordinaire en toutes choses. C’est une Dame qui a l’esprit aussi éclairé qu’on le puisse avoir, & qui soûtient admirablement la grandeur de la Maison où elle est entrée. Vous sçavez que celle de Matignon est au nombre des plus Illustres. Elle a produit neuf Chevaliers des Ordres du Roy, & la Baronnie de S. Lo luy appartient depuis fort longtemps. Je vous en dirois davantage, si je ne vous en avois déjà parlé amplement, quand Mr de Matignon fit enregistrer ses Lettres de Lieutenant de Roy en Normandie. Le jour de la Feste ayant esté arresté, & Mr l’Evesque de Coutance s’estant rendu au Chasteau chez Madame la Doüairiere le lundy au soir 22. de May, elle luy mit entre les mains une Cassette cachetée, dans laquelle estoient les Os prétieux du Saint. Il les en tira avec les cerémonies accoûtumées, & les enferma en suite dans un Buste d’argent du prix de deux mille livres que Mr de Condom avoit envoyé. Cela fait, il les emporta dans l’Eglise de l’Abbaye appellée de S. Lo, qui est à un des Fauxbourgs de la Ville, & les y ayant laissez en dépost jusqu’au lendemain, il se retira dans l’Apartement qu’on luy avoit préparé dans cette Abbaye. Le Mardy, Mr de Lauvay-Boisjugan, Commandant de la Ville & de la Citadelle, qui avoit fait mettre les Bourgeois sous les armes le jour precédent, les fit assembler de bon matin pour les placer en deux hayes depuis la Cathédrale jusqu’à l’Abbaye. Cette Cathédrale estoit tenduë des plus riches Tapisseries de la Maison de Matignon. On n’avoit rien épargné pour son ornement, & le chœur sur tout brilloit d’une si grande quantité de dorures, d’argenterie, & de lumieres, qu’il ne se pouvoit rien voir de plus éclatant. Mr de Bayeux, que Mr l’Evesque de Coutance avoit prié d’officier, y estant arrivé sur les sept heures, la Procession en sortit quelque temps apres dans l’ordre que je vous vay dire. La Baniere, donnée par Mr de S. Martin Docteur en Théologie dans l’Université de Rome, estoit suivie de douze jeunes Hommes qu’il avoit fait vestir de Serge blanche à l’Apostolique. Apres eux marchoient plus de six-vingt Ecoliers de douze à quinze ans, tous tres-propres, & portant chacun de la main droite un Guidon de tafetas de diférentes couleurs, & de la gauche un Bouclier avec une Devise à l’honneur du Saint. Ceux cy précedoient un pareil nombre d’Enfans habillez en Anges, & suivis d’autres Enfans de sept à huit ans comme eux, qui representoient les Arts & les Vertus. Le Clergé marchoit en suite, composé de la plus grande partie des Prestres du Diocese, & apres luy, Mrs du Chapitre de Coutance, ayant Mr de Bayeux accompagné de ses Officiers immédiatement derriere eux. Madame la Doüairiere de Matignon, Madame de Matignon sa Belle-Fille, Mesdames les Comtesses de Thorigny, de Coigny, & de Franquetot, & Mademoiselle de Matignon, précedées des Gardes de Mr de Matignon, & suivies de plusieurs Dames des plus qualifiées de la Province, & de Mrs de la Justice en Corps, fermoient cette Marche. Vous pouvez juger avec quelle foule le Peuple estoit accouru de tous costez à cette Feste. Le Procession estant arrivée à l’Abbaye, où Mr de Coutance l’attendoit, ce Prélat présenta les Reliques à Mr l’Evesque de Bayeux. Pendant qu’on leur rendoit la venération qui leur est deuë, une tres-bonne Musique chanta diférens Motets, apres lesquels la Procession sortit, & fit le tour de la Ville avec ces Reliques portées sur un petit Trône magnifiquement orné. Mrs les Evesques marchoient derriere, celuy de Bayeux à la droite, & celuy de Coutance à la gauche. Si-tost qu’on fut rentré dans la Cathédrale, Mr de Bayeux commença la Messe qu’il celébra en Habits Pontificaux. Apres qu’elle fut finie, Mr de Coutance qui remplit si dignement aujourd’huy la place que S. Lo a autrefois occupée, monta en Chaire dans la Court du Chasteau, à cause de la quantité de monde que l’Eglise n’eust pû contenir. Il traita des vertus du Saint avec tant de force & d’éloquence, qu’il s’attira d’admiration genérale. Cette juste & pieuse cerémonie s’estant ainsi terminée, Madame la Doüairiere de Matignon fit monter Mrs les Evesques & les Dames dans une tres-belle Salle de son Apartement. Elle estoit superbement tenduë, & toute remplie de fleurs. Les Personnes les plus considérables de la Ville de l’un & de l’autre Sexe, qui avoient esté invitées le jour précedent, s’y rendirent dans le mesme temps, aussi-bien que Messieurs du Chapitre de Coutance, & une bonne partie du Clergé. Huit Tables de quinze à vingt Couverts, furent servies à quatre Services avec une propreté & une profusion surprenante. Rien n’y manquoit de ce que la saison pouvoit fournir de plus rare & de plus exquis. On n’a jamais veu tant de fleurs tout-à-la-fois. On eust pris chaque Table pour un parterre, tant elles y estoient en abondance. L’agréable odeur qui s’en répandoit par toute la Salle, ne faisoit pas un des moindres plaisirs du Festin. Le Te Deum fut chanté le soir en Musique pour la Paix ratifiée avec l’Allemagne. En suite toute la Compagnie assista à la cerémonie du Feu de joye qui fut allumé par Mr le Marquis de Canisy Lieutenant de Roy en Normandie. Il en avoit donné les ordres en l’absence de Mr de Matignon, qui les luy avoit envoyez quelques jours auparavant.

Sur un Baiser dérobé §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 89-95.

On aura beau conclure la Paix entre les Couronnes, il y aura toûjours guerre parmy les Amans. Il est vray que comme il faut peu de chose pour la faire naître, elle n’est pas ordinairement de longue durée. Voyez si des Vers aussi galans que ceux que je vous envoye, ne mériteroient pas que la Belle consentîst au raccommodement qu’on luy demande. Ils sont de Mr de Templery. C'est un Gentilhomme d’Aix en Provence, dont je vous ay déjà fait voir de fort agreables Stances sur des Vers à soye.

Sur un baiser
derobé.

    POur un Baiser que je vous ay surpris,
        Et que je suis prest de vous rendre,
        Pourquoy, trop rigoureuse Iris,
À l’honneur de vous voir ne dois-je plus prétendre ?
Ce Baiser dés longtemps attiroit mes souhaits,
Dans mon pressant besoin je crus le pouvoir prendre ;
Mais las ! vostre courroux me fait assez comprendre
Que le Bien dérobé ne profite jamais.
***
    À ce Baiser vous fites la farouche,
Et si mon ame alors vint jusques sur ma bouche,
    Par un transport qui n’eút jamais d’égal,
Son curieux dessein ne vous fit point d’outrage ;
Elle qui dans mon cœur voit toújours vostre image,
        En voulut voir l’original.

***
Sa curiosité ne me rend point coupable ;
        Toutefois je suis misérable,
Pour avoir satisfait mon innocent desir.
Je languis, je soúpire, & depuis six semaines
        Je conte aux Ruisseaux, aux Fontaines,
Tous les tourmens qui me viennent saisir.
        Faloit-il qu’un si court plaisir
        Fút suivy de si longues peines ?

***
Mais, Iris, maintenant que l’Europe est en paix,
Pouvez-vous consentir que nous soyons en guerre,
Et que lors que le calme est par toute la Terre,
        Un rien nous divise à jamais ?
        L'Empire, l’Espagne, la France,
        La Holande, & les Païs-Bas,
        Sont en fort bonne intelligence,
        Cependant nous n’y sommes pas.
        Depuis le Tage jusqu’au Tibre,
Depuis le Pont-Euxin jusqu’au Flux & Reflux
        Aujourd’huy le Commerce est libre ;
        Helas ! le nostre ne l’est plus.

***
Rougissez, rougissez, bel Objet que j’adore,
De l’injuste refus de nous raccommoder.
Jusques à nos Canons, tout cesse de gronder,
        Cependant vous grondez encore.
        Chacun a mis les armes bas ;
        Les Places les mieux défenduës
        En peu de jours se sont renduës,
En un mois & demy vous ne vous rendez pas.

***
Iris, à nostre accord ne soyez plus rebelle,
        Et puis que dans cet heureux temps
Des Roys ont fait la Paix sur des points importans,
Ne la ferez-vous point sur une bagatelle ?

***
De quel couroux l’Amour ne vient-il pas à bout ?
Vivre toujours brouillez est assez incommode.
        D'ailleurs la Paix est à la mode,
Elle régne au Parnasse, au Mercure, & par tout.
Dans nos Livres nouveaux on ne voit autre chose.
Ah, puis que comme un bien chacun nous la propose,
        Signons la nostre pour jamais ;
De nos dissentions faisons un bon usage,
        Et de nos Articles de Paix,
        Des Articles de Mariage.

Air à boire §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 95-97.

Faites la Paix tant qu’il vous plaira, vous n’obligerez jamais les Buveurs à signer celle du Vin avec l’Eau. Toutes leurs Chansons parlent de l’antipatie qu’ils veulent qui soit entre l’un & l’autre. En voicy une nouvelle qui m’a esté envoyée de Lyon sur cette matiere. Je ne sçay qui a fait les Vers. Je sçay seulement que Mr Bellon, les a mis en Air.

AIR A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Quoy, de l’eau dans ce Verre, doit regarder la page 96.
    Quoy ? de l’eau dans ce Verre ?
        Répandons-la viste par terre,
Je n’en puis soufrir quand je bois.
Elle oste au Vin sa force & sa couleur brillante,
    J’aime une Liqueur qui contente
    Le goust & la veuë à la fois.
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[Le hazard procure à deux Belles l’honneur de chanter devant le Roy] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 97-99.

J’apprens avec grande joye que vous exercez toûjours vostre belle voix. C’est un talent estimé de tout le monde, & qui a procuré beaucoup de gloire depuis quelques jours à Mesdemoiselles Compoint. Madame leur Mere estant à S. Cloud où elle a une Maison, y fut visitée par plusieurs Personnes de ses Amis qu’elle régala ; en suite dequoy elle mena toute la Compagnie dans le Jardin de Monsieur. Le Roy, la Reyne, & Leurs Altesses Royales, y estoient. Ces Demoiselles se voyant dans un endroit écarté, ne voulurent point refuser une Chanson qu’on leur demanda. Leur voix attira des Curieux. Ils trouverent je-ne-sçay-quoy de si juste & de si délicat dans leur maniere, qu’ils ne pûrent s’empescher de le dire au Roy. Sa Majesté les voulut entendre, & pour marque de la satisfaction qu’elle avoit reçeuë, elle commanda qu’on leur donnast le divertissement des Eaux.

[Le Voleur innocent, Histoire] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 99-111.

Le hazard produit beaucoup d’Avantures, mais peut-estre ne vous a-t-on jamais rien conté de si bizarre, que ce qui est arrivé depuis un mois à Bruxelles. Un Medecin appellé chez une Dame de qualité que quelque maladie arrestoit au Lit, apres luy avoir rendu plusieurs visites, la pria un jour de luy prester un Cheval, parce que le sien estoit boiteux, & qu’il falloit necessairement qu’il allast à une lieuë de la Ville. Il est difficile de refuser les Gens dont on a besoin. La Dame donna l’ordre à une Demoiselle, qui en ayant chargé un Laquais, assura le Medecin qu’il trouveroit un Cheval tout prest dans la Court. Cependant le Maistre d’Hôtel pressant le Laquais d’aller promptement en quelque lieu, il y courut sans songer à ce que la Demoiselle luy venoit de dire. Le Medecin raisonna encor quelque temps avec la Dame, écrivit une Ordonnance, & sortit en voyant entrer un Homme boté qu’il ne connut pas. C'estoit le Valet de Chambre d’un Comte qui envoyoit faire compliment à la Malade. Il s’en acquita, & alla se rafraîchir à l’Office, pendant que le Medecin descendu en bas, chercha dans la Court le Cheval qu’il y devoit prendre. Il en vit un attaché, qu’il ne douta point qui ne l’attendist. C'estoit un Barbe de cinquante Loüis, sur lequel le Valet de Chambre estoit venu. Il monta dessus sans avoir trouvé personne à qui parler, & le mena dans son Ecurie, ayant quelques Malades à voir dans la Ville avant que d’aller à la Campagne, d’où il prévoyoit qu’on ne le laisseroit revenir que le lendemain. Les choses en estoient là, quand le Valet de Chambre voulut partir. Il alla chercher son Barbe, & fut fort surpris de ne le trouver ny dans la Court, ny dans l’Ecurie. Il falut sçavoir ce qu’il estoit devenu. On le demanda à tous ceux de la Maison, & personne n’en put donner de nouvelles. Grande inquiétude pour le Cheval que l’on crut volé. Le coup paroissoit hardy, mais on ne sçavoit à qui l’imputer. On nomma tous ceux qui estoient entrez depuis l’arrivée du Valet de Chambre, & le Medecin fut celuy à qui on songea le moins. Le Laquais qui avoit eu l’ordre de luy faire seller un Cheval, & qui eust pû s’aviser de la méprise, n’estoit point encor de retour. La chose pressoit, & le remede le plus prompt estoit le meilleur. Des Espions s’allerent placer à toutes les Portes de la Ville, pour observer ceux qui sortiroient, & le Barbe fut demandé à son de Trompe dans chaque Carfour. On laissa tout ignorer à la Dame. Ce malheur ne pouvoit que luy causer du chagrin, & elle n’estoit pas en état d’en recevoir. Cinq ou six heures s’estant passées dans cette recherche sans aucune revélation, le valet de Chambre crut devoir aller avertir son Maistre de ce qui luy estoit arrivé. Il se servit d’un Cheval d’emprunt, & eut à peine détourné deux Ruës, qu’il vit de loin un Homme monté sur son Barbe. Il n’est pas besoin de vous dire que c’estoit le Medecin. Comme une monture paisible estoit son fait, il n’avoit pas peu d’affaires à se rendre maistre du Barbe qui ne vouloit aller que par bonds. Le Valet de Chambre piqua vers luy à toute bride, & prit le devant d’une maniere qui luy fit connoistre qu’il avoit dessein de l’arrester. Le Medecin sentit redoubler son embarras. Il n’avoit songé d’abord qu’à se bien tenir sur le Barbe qui sembloit avoir peine à le souffrir, & ce ne fut pas pour luy un petit sujet de surprise, de recevoir l’insulte d’un Inconnu, avec qui il croyoit n’avoir rien à deméler. Il soûtint quelque temps l’attaque sans lacher la bride, mais le Valet de Chambre ayant crié au voleur, & cherchant à le colleter pour le renverser par terre, il aima mieux s’y laisser glisser, que de s’exposer au péril de la cullebute. Le monde s’amassoit de tous costez, & quantité de Gens de livrée qui connoissoient le Valet de Chambre, estant accourus, on le crut d’autant plus facilement sur ce qu’il dit du Cheval volé, que le Medecin en estant volontairement descendu, paroissoit en quelque façon demeurer d’accord du crime. Il voulut parler, mais personne ne l’écouta ; & comme il n’estoit environné que de ceux qui prenoient le party de l’Accusateur, & que mesme un assez méchant Habit de campagne le déguisoit, il ne fut reconnu d’aucun d’eux. On fut d’avis de le mener en prison, & on l’y auroit sans doute conduit, si le Valet de Chambre n’eust crû qu’il y alloit de son honneur de luy faire rendre raison de son vol dans le lieu mesme où il avoit pris le Cheval. Le Medecin ne fut pas fâché d’aller chez la Dame. Il n’y manqua pas d’escorte. Le Valet de Chambre monté sur son Barbe l’avoit devancé. Tous les Domestiques l’ayant congratulé de son bonheur, se préparoient à régaler d’importance celuy qu’on leur amenoit, & il n’y avoit pas jusqu’au moindre Marmiton qui ne s’armât d’une broche. Jugez de la surprise qu’ils eurent, quand le prétendu Voleur approchant, ils le reconnurent pour le Medecin de leur Maistresse. La chose fut aisément éclaircie. Le Medecin demanda réparation d’honneur, mais celuy qui eust dû la faire, n’estant pas obligé de le connoistre pour Medecin, ny de deviner qu’il y avoit eu ordre de luy faire seller un Cheval, il n’eut, pour toute satisfaction de son insulte, que les témoignages de chagrin qu’on luy en donna, & les excuses qu’un Laquais luy fit de sa négligence. Il n’a pas laissé de retourner chez la Dame, & comme il est d’assez belle humeur, il n’a point trouvé de meilleur party à prendre que celuy de plaisanter luy-mesme de son avanture.

Au Roy. Sonnet §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 111-114.

Je vous envoye deux Sonnets que j’ay reçeus d’Allemagne. Ils sont tous deux sur la Paix, quoy que diférens de stile. Mr de la Barre Matéï en est l’Autheur. C'est un Gentilhomme d’un fort grand mérite, auquel Sa Majesté, par estime particuliere, a témoigné avoir envie de faire du bien. C'est là-dessus qu’il a fait le premier de ces Sonnets. Il fut presenté au Roy ces jours passez par une Personne de tres-grande qualité. Le second est un Inpromptu pour Mr le Comte de Louvigny, qui, comme vous sçavez, est un des plus braves Hommes qu’il y ait dans le Party de l’Empereur. Il y a peu de temps qu’il traita magnifiquement toute la Cour de Monsieur le Duc de Hannover, dans son Quartier sur le chemin d’Embs, où ce Prince alloit aux Eaux. Mr de la Barre Matéï estoit du Régal, & fit ce Sonnet en buvant à la santé de ce fameux Commandant.

Au Roy.

Sonnet.

Ta bonté se répand sur la Terre & sur l’Onde,
Et remplit l’Univers des douceurs de la Paix.
Que de Peuples heureux vont joüir desormais
Des Biens que leur promet cette source féconde !

***
Sur elle mon espoir, comme le leur, se fonde,
Et j’en attens un jour d’infaillibles effets ;
J'ay sujet de prétendre aux graces que tu fais,
Lors que tu prens plaisir d’en combler tout le monde.

***
Tu voulus autrefois m’honorer d’un bienfait.
As-tu pú le vouloir sans qu’il m’ait esté fait,
Et manqueray-je seul de place en ta mémoire ?

***
Grand Roy, par deux raisons je t’en fais souvenir,
Il y va de mon bien, il y va de ta gloire,
Ce sont deux intérests que je dois maintenir.

Pour Monsieur le Comte de Louvigny §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 115-116.

Pour Monsieur
le
Comte de Louvigny,
Genéral des Armées d’Espagne,
& des Troupes d’Osnabruck.

Sonnet.

QUe n’es-tu, Louvigny, le Grand-Mogol des Indes !
Que ne possedes-tu les Biens du Grand-Seigneur ;
Ou que n’as-tu quelqu’un à peu pres de mon cœur,
Et qui, comme je fais, puisse boire cent brindes !

***
Tu pourois mieux que Sphan sauver Lipstadt & Mindes,
Et servir la fierté du Danois plein d’ardeur.
Aux Suédois armez tu ferois grande peur,
Et toucherois par tout les plus fieres Dorindes.

***
Mais quand tu n’auras point par cent Combats divers
Subjugué tant de Gens, & dompté l’Univers,
Il suffit que tu sois digne de leur hommage.

***
C'est assez aux grands Cœurs d’avoir tout mérité ;
Lors que du Grand LOUIS le Monde est le partage,
Tu fais plus que César, de l’avoir disputé.

[Filles Chartreuses sacrées par M. l’Evesque de Grenoble] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 119-124.

Vous n’avez peut-estre jamais entendu parler de Sacre de Filles. C’est une Cerémonie qui s’est faite depuis peu de temps avec grand éclat dans le Convent de Salettes, qui est une Chartreuse de Dames de qualité, bâtie sur les Frontieres du Dauphiné du costé qui regarde la Bresse. Mr l’Evesque de Grenoble qui avoit esté prié de la faire, s’y rendit la veille du jour arresté ; & comme le bruit de ce Sacre, qui n’est proprement qu’une Benediction extraordinaire, à laquelle on donne ce nom dans le Païs, avoit attiré un nombre infiny de Curieux, on fut obligé de garder les Portes de l’Eglise pour empescher la confusion. Apres les Prieres accoûtumées, les Rideaux de la Grille furent tirez, les Portes du Chœur des Dames s’ouvrirent, & sept d’entr’elles que Mr de Grenoble devoit benir, parurent au milieu des autres, vétuës de blanc, dans un air sérieux & modeste, tenant chacune un cierge à la main parsemé des Ecussons de leur Famille. En cet état, elles s’approcherent de Mr l’Evesque revétu de ses Habits Pontificaux, & assis dans un tres-riche Fauteüil. Celuy qui faisoit l’Office de Diacre les precédoit. Apres trois profondes revérences, la premiere à la sortie du Chœur, la seconde au milieu de l’Eglise, où l’on avoit laissé un grand espace, afin qu’elles pussent aisément passer jusqu’à ce Prélat, & la troisiéme au pied de l’Autel, elles y firent leurs vœux entre ses mains, & il leur donna le Voile noir, les benissant de cette maniere qui n’est commune à aucune autre qu’à celles de cette Maison. La Messe finie, on apporta deux Bassins d’argent, dans l’un desquels estoient sept Anneaux, & dans l’autre sept Couronnes semblables à celles qu’on donne aux Filles de France, & autour desquelles on avoit écrit en lettres d’or quelques mots Latins, qui marquoient le sacrifice qu’elles faisoient à Dieu d’elles-mesmes. Mr de Grenoble leur mit les Anneaux aux doigts, & les Couronnes sur la teste, en disant les Oraisons propres à cet effet ; apres quoy pendant qu’on chanta le Te Deum, il alla luy-mesme les presenter à la Superieure de ce Convent, qui les reçeut à l’une des Portes du Chœur, où elles rentrerent pour ne plus jamais sortir. L’austerité de la vie que menent ces Dames, n’empescha pas qu’elles ne donnassent un magnifique Repas ce jour là à plus de trois cens Personnes de l’un & de l’autre Sexe. Des monstres de Poisson y furent servis, & pour le Dessert, des pyramides de toute sorte de Confitures. Le bel ordre de cette Maison, la propreté de l’Eglise, & la richesse de ses Ornemens, répondent au zele qui anime ces dignes Chartreuses.

[Grande Cerémonie faite à Orange pour le rétablissement d’une Croix] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 124-131.

Celuy [le zèle] qu’a le Roy pour tout ce qui regarde la Religion, a fort éclaté dans ce qui s’est fait à Orange. Cette Ville ayant esté renduë à son Prince le 21. d’Octobre dernier, ensuite du Traité de Paix fait avec les Etats Genéraux, quelques Huguenots allerent la nuit suivante abatre une Croix élevée sur les Ruines du Château, qui avoit esté démoly pendant les dernieres guerres. Mr l’Evesque d’Orange en donna avis à Sa Majesté, qui envoya aussitost ses ordres. La crainte que les Coupables en eurent, fut cause qu’on trouva la Croix remise, sans qu’on sceust par qui. Ce prélat rendit compte de tout à la Cour. Le Roy qui donne à l’Eglise une protection singuliere, fit expédier de nouveaux ordres à Mr Roüillé Intendant de Provence. Ils luy enjoignoient d’envoyer une Personne de confiance à Orange, pour y faire entendre que Sa Majesté vouloit, non seulement que la Croix remise en secret, fust rétablie au mesme lieu par une solemnité publique, mais encor qu’on en élevât une nouvelle en telle place de la Ville que Mr l’Evesque voudroit. Cet actif & judicieux Intendant dépescha à Orange Mr de Gumery son Secretaire, qui satisfit avec tant de conduite & de fermeté aux instructions particulieres qu’il avoit reçeuës, que tout ce qu’il demanda luy fut accordé. Les Consuls de la Religion Prétenduë Réformée firent leurs efforts pour se dispenser d’estre présens aux Cerémonies de ce rétablissement, mais le Conseil de la Ville les y condamna. Le jour ayant esté pris pour cette solemnité, elle fut commencée à huit heures du matin par le Te Deum chanté dans la grande Eglise, en présence de Mr l’Evesque revestu de ses Habits Pontificaux. Ce Prélat precedé de tout le Clergé, & suivy de plus de six mille Personnes, se rendit de là sur la Montagne où estoit le Château d’Orange. La premiere Croix y fut rétablie, les Consuls Huguenots présens en Chaperon, teste nuë de mesme que le reste de l’Assemblée. On y chanta un Motet à huit parties, de la composition de Mr Nauce, un des excellens Maistres de Musique du Royaume, & ensuite la Procession continua sa marche jusqu’à la Place du Cirque, où est resté ce superbe Monument des Romains, qui fait un des plus grands ornemens d’Orange. Cette Place avoit esté choisie par Mr l’Evesque, non seulement comme la plus belle, mais encor comme la plus spatieuse de toute la Ville. On y aborde par sept diférentes Ruës. C’est là où fut élevée la nouvelle Croix, en presence des mesmes Consuls, ausquels Mr de Gumery déclara de la part du Roy qu’il mettoit l’une & l’autre sous leur sauvegarde, & qu’ils répondroient, aussi bien que tous les autres Huguenots d’Orange, des insultes qui pourroient y estre faites. Il en fit dresser un Acte sur les Registres de la Maison de Ville. Vous voyez par là, Madame, que l’autorité du Roy ne se fait pas moins connoistre par tout que sa justice, puis qu’un Homme seul appuyé du nom de ce grand Monarque, a fait sans obstacle dans l’Etat d’un Prince Etranger, ce qu’il semble qu’on n’auroit dû exécuter qu’avec peine mesme à force ouverte.

Lettre de Madame Royale à M. le Duc de Saint-Aignan §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 131-134.

L'intérest que vous avez toûjours pris à la gloire de Mr le Duc de S. Aignan, m’assure du plaisir que vous recevrez, en voyant les marques particulieres d’estime que luy donne une des plus grandes Princesses du Monde, par la Lettre dont je vous envoye une Copie.

Lettre
de
Madame Royale,
à M. le Duc de Saint-Aignan.

MOnsieur le Duc mon Cousin. Vous exprimez si bien les favorables sentimens que vostre honnesteté vous inspire à mon avantage, que quelque joye que je ressente du souvenir obligeant que vous conservez de moy, je ne puis que me plaindre de la retenuë qui vous a empesché jusqu’à présent de m’en donner de si agreables assurances, & qui vous a dêrobé en mesme temps les protestations sinceres de ma reconnoissance. Mais nous reparerons tous deux cette perte, si vous voulez bien, comme je vous en conjure, me continuer les genéreux témoignages de vostre amitié, & renouveller ma joye par de fréquentes occasions de vous donner des preuves de l’estime singuliere que j’ay pour vous, & de la partialité sans égale avec laquelle je suis,

Monsieur le Duc mon cousin,

Vostre bien affectionnée

Cousine à vous servir,

M. I. BAPTISTE.

De Turin le 3. Juin 1679.

La Chauvesouris et l’Hyrondelle. Fable §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 134-138.

Il y a un tres-grand plaisir à obliger, mais c’est par là fort souvent qu’on perd ses Amis. Ils nous fuyent, ou par impuissance de s’acquiter, ou parce que naturellement on n’aime point à voir ceux à qui l’on doit. Mr le Président la Tournelle de Lyon, a fait quelque chose de fort agreable sur les Débiteurs embarassez. Je vous l’envoye. Vous y trouverez ce tour aisé qui fait seul valoir les Ouvrages de cette nature.

La Chauvesouris et l’Hyrondelle.

Fable.

        UN jour la Chauvesouris
Voulant négotier au Païs de la Chine,
        Emprunta de sa Voisine
        Une Bourse de Loüis.
        Sa Voisine l’Hyrondelle
        Luy presta de bonne-foy
        Ce qui se trouva chez elle
        D'argent de meilleur aloy,
A rendre dans un an sans aucune remise,
        En argent ou marchandise.
        Chauvesouris y consent,
Et trouve le party tres-doux & tres-honneste ;
Elle fait ses adieux, ses paquets, & s’appreste
        A partir au premier vent.
        Les premiers jours du voyage
        Furent d’un heureux présage,
        Chauvesouris ne resvoit
Qu'à l’employ des trésors que son cœur concevoit
        D'un si facile passage,
        Mais souvent lors que l’on croit
Voguer en seûreté, l’on trouve le naufrage.
        Chauvesouris le trouva,
        Et du débris ne sauva
        Que ses dents & que ses aisles ;
            Elle se desespera,
Mais malgré les accens de ses plaintes mortelles
        Son argent y demeura.
Le bout de l’an venu, la douleur renouvelle ;
        Sa Voisine l’Hyrondelle
        La menace d’un Sergent ;
        Fâcheuse & triste nouvelle
A qui doit & ne sçait où prendre de l’argent.
        Elle s’enferme chez elle
        Sans équipage & sans bruit,
Et pour se garantir de la main criminelle
        Et de sa triste Sequelle,
        Ne paroit plus que la nuit.
        Ainsi fait un Misérable
        Qu'un Creancier peu traitable
        Presse, menace, & réduit
A chercher dans la suite un secours favorable.

[Avanture du Bain] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 147-153.

Si l’on vous disoit, Madame, qu’une Femme se seroit jettée entre les bras d’un Homme inconnu, dans un état où la retenuë du Sexe ne soufriroit pas qu’elle se montrast à ses Amis les plus familiers, vous prendriez sans doute des impressions desavantageuses de sa conduite. Cependant c’est ce qui est arrivé depuis peu à quelques Dames, qu’une réguliere vertu ne laisse exposées à aucun reproche. La pudeur n’a point esté capable de les arrester, & vous ne les condamnerez pas d’avoir cedé à la passion qui les a surprises, quand je vous auray appris ce qui les a obligées d’en user ainsi. Elles estoient six qui firent dessein d’aller se baigner vers Conflans le Lundy 10. de ce Mois. A peine furent-elles descenduës dans l’eau, qu’elles entendirent crier que c’estoit fait d’elles, si elles ne se sauvoient promptement. Ces cris leur firent lever un coin de leur Tente. Le péril qu’elles couroient leur fut aussi-tost connu. Elles apperçeurent un Coche qui n’estant plus gouverné à cause du vent extraordinaire, estoit prest de fondre sur le lieu où elles se baignoient. C'estoit celuy de Joigny. La frayeur les prit, & ne se souvenant point qu’elles estoient à demy nuës, elles ne songerent qu’à se sauver. L'une se trouva fort pressée entre deux Bateaux qui s’éloignoient, & qui la mirent en seûreté. Les autres se confierent à des Cavaliers qu’elles virent en état de les secourir, & il y en eut une qui n’ayant pû s’échaper, auroit infailliblement péry sous le poids du Coche, si ceux qui estoient dedans n’eussent eu autant d’adresse que de vigueur à la tirer. Cette belle Compagnie ainsi dispersée, eut besoin de temps pour se ramasser. Les Tentes voisines ne manquerent pas d’alarmes, & les Dames dont je vous parle ne furent pas les seules que le scrupule de la nudité n’embarassa point. Il y alloit de la vie, & il valoit mieux pour elles qu’elles se laissassent voir dans un état approchant de celuy de la naissance, que de se laisser mourir par trop de pudeur. Il n’y avoit rien de honteux pour la plûpart d’elles, & il en est à qui peut-estre une pareille occasion ne déplairoit pas, si le péril en estoit osté. Le Coche qui donna heureusement sur du gravier où il s’arresta, fit cesser la crainte, & alors les Baigneurs que la curiosité attira de tous costez en cet endroit, se rendirent en foule sur le Rivage. Ils n’estoient pas tout-à-fait en équipage décent, mais le bruit qui s’estoit répandu de ce désordre leur avoit fait croire, que dans ce moment les Loix du Bain ne devoient pas estre si religieusement observées. Les Bateliers les plus vieux, assurent qu’ils n’ont jamais entendu parler d’aucun accident semblable.

[Vers sur le Mariage d’Iris & d’Angelique] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 153-155.

L'Histoire Enigmatique que vous avez veuë dans la premiere de mes Lettres Extraordinaires, a donné lieu à une galanterie d’amitié. Cette Histoire vous peignoit un Mariage contracté entre deux Parties du mesme Sexe ; deux aimables Filles en ont voulu faire une verité. Elles ont dressé des Articles, & apres les avoir signez en presence de plusieurs Témoins qu’elles ont fait signer avec elles, elles ont pris, l’une le nom de Mary, & l’autre celuy de Femme. Un galant Homme qui aime passionnément la derniere, & qui croit n’en estre pas hay, ayant eu l’avis de ce Mariage, luy envoya les Vers que vous allez voir.

A l’aimable Iris,

Sur son Mariage avec la
Belle Angélique.

MEs yeux tournez sur vous, vous ont dit mille fois,
        Adorable Iris, je vous aime ;
Les vostres à leur tour répondant à leur voix,
        M'ont quelquefois parlé de mesme.

***
Cet heureux temps n’est plus, il est passé pour moy.
        Le charmant Objet que j’adore,
Reçoit d’un autre Epoux & la main, & la foy,
        Et cependant je vis encore.

***
Que dis-je ? C'est à tort que mon amour se plaint
D'un Hymen innocent qui n’a rien que de feint.
Pardonnez, belle Iris, à mon trop de tendresse
        Cet excés de délicatesse,
Qui me fait redouter jusqu’à l’ombre des maux
Qui peuvent rendre heureux quelqu’un de mes Rivaux.

Déclaration d’Amour à Mademoiselle de S. §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 155-157.

Un de ces Amans respectueux qui craignent d’estre mal reçeus en se déclarant d’abord ouvertement, apres avoir parlé plusieurs fois de sa passion à une Belle sous le nom d’un autre, a trouvé enfin moyen de lui faire lire ce Madrigal.

Declaration
d’amour.
A Mademoiselle de S.

JE vous ay dit souvent, charmante Solitaire,
Que mon meilleur Amy vous aimoit tendrement ;
Du reste mes soûpirs n’ont pas fait de mistere.
Pourquoy me demander le nom de cet Amant ?
Pouvez-vous ne pas voir à mon visage blême
Que mon meilleur Amy n’est autre que moy-même ?

Madrigal §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 157-158.

Voicy d’autres Vers qui m’ont esté envoyez de Chartres, & que vous ne trouverez pas mal tournez pour une Fille. Ils sont de Mademoiselle F. D. A. qui parle en Amant, en faveur d’une charmante Personne accusée & poursuivie fort injustement pour galanterie.

Madrigal.

        QUe vos Persécuteurs s’abusent,
        Caliste, lors qu’ils vous accusent
D'avoir eu pour quelqu’un des sentimens trop doux !
        La preuve n’en est pas possible ;
Mais s’ils vous accusoient d’avoir l’ame insensible
Jusqu’à négliger ceux qui meurent de vos coups,
        Je déposerois contre vous.

[Réjoüissances faites à Angers pour la Paix de l’Empire, avec le rétablissement de l’Académie à monter à cheval dans la mesme Ville] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 159-168.

Angers n’a pas esté la moins empressée des Villes de France à faire paroistre sa joye pour la Publication de la Paix ; mais comme je ne vous parle point des autres, je ne vous diray rien ny de deux Jets de Vin, l’un blanc, & l’autre rouge, que le Maire fit sortir de sa Maison pendant tout le jour, ny d’un Feu d’artifice des mieux concertez, qui fit admirer l’adresse de Mr Reydebel-air Ingénieur du Roy, & Maistre de Mathématique. Pour vous faire concevoir une juste idée des magnificences qui ont est veuës dans les grandes Villes, lors que cette Publication y a esté faite, il me suffira de vous apprendre les réjoüissance d’un Bourg qui n’est presque pas connu, & qui n’a pas laissé de se distinguer par tout ce qu’on peut donner de marques de zele à son Prince. Il est du costé de Sens, & s’appelle par corruption Villeneuve la Guerre, quoy que son vray nom soit Villeneuve la Guyard. Ces réjoüissances s’y firent le Dimanche onziéme de Juin. Trois Compagnies parurent avec tous leurs Officiers, & formerent un Corps de bataille. La bonne mine & la taille des Soldats répondoient à leur adresse. Ils estoient tous dans une fort grande propreté, & faisoient l’Exercice avec tant de grace, qu’il sembloit qu’ils eussent passé toute leur vie parmy les Armes. Apres le Te Deum chanté en Musique dans l’Eglise, ces trois Compagnies marcherent en ordre vers une éminence qui est hors le Bourg. On y avoit éleve un Arbre d’une longueur & d’une grosseur prodigieuse. Il estoit environné de branchages, & d’autre bois propre à estre embrasé facilement. Si-tost que le feu y eut esté mis, les Musiciens, soûtenus de Violons, de Basses de Viole, de Flustes-douces, & de plusieurs autres Instrumens ; commencerent l’Exaudiat. A trente pas de ce Feu, qu’on apelle ordinairement Bucher, étoit un Théatre, sur lequel Mr du Chesnay Ingénieur, avoit posé la Figure du Dieu Mars. On le voyoit à demy couché sur deux Tambours & sur quelques Trophées d’Armes, tenant son Sabre négligemment d’une main, & son Bouclier de l’autre. Aux pieds de ce Dieu mourant paroissoit Vulcain, tout accablé de douleur d’avoir perdu son plus fort appuy. Son Enclume à ses costez, & ses Marteaux jettez à droit & à gauche, faisoient voir qu’on le laissoit sans employ. Il y avoit six Drapeaux autour de Mars. Les Armes de France estoient appliquées dans le premier, & ces quatre Vers servoient d’ornement à sa bordure.

Le Dieu Mars tout confus de voir qu’un Mars nouveau
Sçait beaucoup mieux que luy le grand Art de la Guerre,
Se va cacher de honte au centre de la Terre,
Et Loüis par trois Paix fait sceller son Tombeau.

On voyoit une grande Croix bleuë dans le second, avec cette Inscription.

    Apres tant de Lauriers cueillis,
    Le plus grand de tous les Monarques,
De ses bontez, à la gloire des Lys,
    A donné d’éclatantes marques.

Le troisiéme estoit parsemé de Fleurs de Lys, avec ces paroles.

Pax alma cunctis

Un Soleil estoit peint dans le quatriéme, accompagné de ces mots.

Justitia & Pax osculatae sunt.

Ceux-cy se lisoient dans le cinquiéme Drapeau.

Cessat discordia pace.

On a oublié de me marquer ce qu’il y avoit dans le sixiéme. Une quantité de Balustrades également séparées l’une de l’autre, faisoit la décoration de ce Théatre. Les Fusées volantes qui partirent au bruit d’une Baterie de Couleuvrines, formerent en l’air une multitude d’Etoiles, qui terminerent le divertissement du Feu d’artifice. Cette Feste m’a paru si grande pour un petit lieu, que non seulement j’ay crû vous en devoir le Récit, mais encor le Dessein du Feu, que vous trouverez gravé dans cette Planche. Vous jugerez en l’examinant, de ce qui a pû estre fait dans les Villes, où la magnificence des Festes de cette nature, reçoit un nouvel éclat de la dignité des Magistrats.

[Les Chenilles & le Buisson, Fable] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 207-225.

Cette matiere1 ne peut estre traitée ny plus agréablement, ny avec plus d’esprit qu’elle l’est dans la Fable que je vous envoye. Quoy qu’elle soit un peu longue, je suis assuré qu’elle ne vous ennuyera pas. Mr de Frontiniere en est l’Autheur. Il a un talent admirable pour la Poësie, & travaille avec beaucoup de délicatesse. C’est luy qui depuis quelques années a fait la plûpart des belles Paroles que Mr Lambert a mises en Air. Celles que je vous envoyay notées le dernier Mois, commençant par Ombre de mon Amant, sont de luy. Il n’y a personne aujourd’huy qui ne les chante.Voir cet article où est publié le poème Ombre de mon amant.

Les
Chenilles
et le Buisson.

Fable.

    AUtrefois un Chesne reçeut
De la Terre, & du Ciel, d’infinis avantages.
Il estoit haut, touffu, bien fait dans ses branchages,
    Qui s’élevoient tous par étages,
Et qui pouvoient loger, sans qu’on s’en apperçeût,
Cent Familles d’Oyseaux, & leurs petits ménages.
Quelques Buissons jaloux, qui rampoient à l’entour,
    Médisoient de luy chaque jour.
    Lassez de son voisinage,
    Ne le pouvant plus souffrir,
    Ils croyoient que son ombrage
    Les empeschoit de fleurir,
    Et de croistre davantage.
Un des plus anciens, par conséquent plus sage,
    Les avoit écoutez tous.
    À quoy bon tous ces murmures,
    Leur dit-il, & ces injures,
Qui du Chesne ennemy redoublant le couroux,
    Ne font que l’attirer sur nous ?
        Il vaut mieux se taire,
            Et faire.
    Vous parlez trop hautement ;
    Des Chenilles inhumaines
    Nous rongent terriblement,
    C'est le comble de nos peines ;
    Et par elles (que sçait-on ?)
    Ce cruel Tyran des Plaines
    Veut nous mettre à la raison,
Et les vient d’envoyer chez nous en garnison,
    Pour y vivre à discretion.
    Voila le mal, mais le remede ?
    Appellons dés aujourd’huy
    Les Chenilles à nostre aide,
Contre nostre Ennemy faisons-nous un appuy ;
    Il se sert d’elles pour nous nuire,
    Servons-nous d’elles contre luy,
    C'est le moyen de le détruire.
    Alors dit un certain Buisson,
    Assez scrupuleux, assez bon,
    Ou qui le vouloit paroistre ;
    Cette proposition,
    Contre le Roy nostre Maistre,
    Sent la conjuration,
    Ma foy, je n’en veux pas estre.
On le traita comme un petit Garçon,
        On le fit taire ;
Enfin l’on rejetta l’avis de ce dernier,
    Et l’on chargea le premier
    De tout le soin de l’affaire ;
    Aussitost il entreprit,
    Et voicy comme il s’y prit.
    Une Maistresse Chenille,
    Avec toute sa Famille,
    Se promenoit un matin
    Aupres de sa Maison blanche,
    C'est à dire de son Couvin,
    Justement sur une branche
    De nostre Buisson mutin.
    Elle avoit fait peu de chemin
    Sans s’estre bien reposée.
Le Buisson aussitost ayant pris un air doux,
    Et sa mine composée,
    Luy dit ; Comment vous portez-vous ?
    Car elle estoit indisposée.
    Toûjours mal assurément,
    Toûjours mal, répondit-elle.
    O la meschante nouvelle,
    Repliqua-t-il tristement !
    Mais aussi qui se persuade,
    D'estre icy, sans estre malade.
    Je sçay que l’humidité
    Ne vous est point salutaire,
    Et sera toûjours contraire
    À vostre posterité.
    Ce qui vous est necessaire,
    C'est la chaleur de l’Eté,
    Autrement point de santé.
    Depuis le temps que cet Arbre
Dans son vaste contour nous retient en prison,
Loin de sentir l’effet de l’ardente saison,
    Nous sommes tous froids comme marbre.
    Lorsque je parle, en bonnefoy,
    Je sens ses racines sous moy,
    Qui m’arrachent ma substance,
Et comment donc suffire à vostre subsistance ?
    Nous sommes rongez haut & bas.
    Si vous n’estes point nourrie,
    Pouvez-vous estre guérie ?
    N'attendez que le trépas.
    Ce n’est pas que je vous anime,
    À ne plus suivre ses Lois,
    Mais on sçait que la famine
    Chasse le Loup hors des Bois.
    Le Chenille sçait comprendre
    Ce qu’on veut luy faire entendre.
    Elle fait refléxion,
    Qu'elle est sans munition,
Que tous les jours le Chesne augmente,
    Et qu’il pousse en perfection,
Ressentant la chaleur, & sa vertu puissante.
Elle voit que cet Arbre empesche le Soleil
De pouvoir au Buisson causer un bien pareil,
    Et conclud dans sa faim pressante,
    Seul sujet de son ennuy,
    Qu'elle trouvera chez luy
    Une pasture abondante.
Dans cet espoir faut-il exécuter ?
    Elle est preste de tout tenter,
    Et malgré le mal qui la tuë,
    Elle entreprend une Reveuë,
Va dans tous les Quartiers, fait des Détachemens,
    Et sort de ses Retranchemens.
    Elle se met à la teste,
    Forme un épais Escadron
    De plus de cent mille de front,
    Et pour assurer sa conqueste,
    Fait d’abord investir le tronc ;
    Par tout elle dispose, ordonne.
Une Chenille éclose assez nouvellement,
Et qui ne paroissoit Chenille nullement,
    Est envoyée en haut comme Espionne.
        Elle y fut en un moment.
            Une Pie,
            Accroupie,
        Qui faisoit alors le guet ;
        Où cours-tu si daguet ?
        Demeure, luy cria-t-elle,
    Demeure, ou de mon bec crains l’atteinte mortelle.
    Elle obéït ; soudain le Chesne est averty
    Que c’est une Chenille, animal travesty.
        Luy, raillant la Sentinelle,
Une Chenille ! bon, voila bien rapporté,
Vous vous y connoissez, cette Beste est gentille.
Point de replique ; en vain la Pie eust contesté,
Un vieux Chesne, prudent, sage, expérimenté,
    Se devoit connoistre en Chenille.
    Que voulez-vous, luy dit-il doucement ?
    Par cet heureux commencement,
La Chenille en secret se promet tout facile,
    Et fait ainsi son compliment.
Roy des Arbres, vers vous je viens, humble Reptile,
        Vous demander azile
    Pour deux ou trois jours seulement.
        Cette grace est accordée,
        Aussitost que demandée.
        En ce moment, Oyseaux à l’entourer,
        Oyseaux à la considérer,
        Et chacun à bond, à volée,
            A dire sa ratelée ;
    Trois Fauvetes sur tout assurent, la voyant,
    Qu'elle est Chenille, ou qu’elle en a la mine.
        Si je le croyois pourtant,
        Dit une qui l’examine,
        Je la goberois à l’instant.
        Une autre dit, Je l’ay veuë en passant,
        Sur ce Buisson attenant.
            La Bestiole écoutant,
        Vous estes des prévenuës,
        Repart-elle fiérement ;
    Vous m’avez veuë ! où donc ? quand ? & comment ?
        Je viens de tomber des nuës,
        Et de naître maintenant.
        Les Oyseaux se virent confondre,
        Et ne sçeurent que répondre.
    La nuit venuë, elle ne s’endort pas ;
        Tandis que l’Arbre sommeille,
    Elle va tout conter aux Chenilles d’enbas,
        Qui cependant faisoient merveille.
        Le matin chacun s’éveille,
    Le Genéral paroist fort satisfait
        De ce que la Chenille a fait.
    Les autres Chefs à ses ordres s’attachent,
        Et sans craindre les Oyseaux,
    A la faveur des feüilles qui les cachent,
        Font avancer les travaux.
        Enfin toutes ces Reptiles,
        Infatigables, agiles,
        Parviennent jusques en haut,
        Et donnent un grand assaut.
        Au milieu de la nuit le Chesne,
        Tout d’un coup s’éveille en sursaut,
    Comme on fait quand on est en peine,
        Et s’agite tellement,
        Que ses racines en tressaillent,
Ny plus ny moins, que ceux que les Puces assaillent,
    Et qu’elles mordent vivement.
    En effet dans ce moment,
Chenilles, de tout temps incommode vermine,
    Le piquoient cruellement.
    En luy-mesme il resve, il rumine,
    D'où luy peut venir ce tourment.
    Déja l’Aurore naissante
    Etaloit sa pourpre brillante ;
Le Chesne avoit toûjours soútenu les efforts
    De sa lumiere impuissante,
Qui n’éclairoit jamais que ses dehors.
    Il estoit seul de la Contrée
    Qui luy resistast dans les Bois,
    Et pour la premiere fois,
Elle fait au dedans une superbe entrée.
    A cette nouvelle clarté
    Il est tout épouvanté,
Voit son feüillage épais aussi percé qu’un crible,
    Et ses bras touffus & vers,
    Par un changement terrible,
    Comme au milieu des Hyvers.
    Il n’est plus maistre de la Place,
    Et pour derniere disgrace,
    Malgré tous les Oysillons,
    Les Chenilles triomphantes
    Avancent leurs Bataillons,
    A ses yeux dressent des Tentes,
    Et plantent leurs Pavillons.
    La Fauvete en secret l’approche,
        Pendant ceste extrémité.
Tout est perdu, dit-elle, & sans reproche,
Avec les miens j’ay longtemps resisté
    Aux Ennemis redoutables.
Nous en avons défait des Troupes innombrables,
    J'en puis parler certainement,
    Car j’estois à tout en personne.
    Il en faut rabatre pourtant,
    Je croy naturellement
    La Fauvete un peu Gasconne.
    D'autres se veulent mesler
    De remontrer, de consoler,
    Et d’autres mesme d’instruire ;
Mais l’Arbre les dédaigne, & fait si peu de cas
    De tout ce qu’ils viennent dire,
    Qu'il ne les écoute pas.
    Il sçait que l’espoir qui luy reste,
    Est en la Puissance celeste ;
Il pouvoit aisément se faire entendre aux Dieux,
    Puis qu’il estoit voisin des Cieux.
Grand Jupiter, dit-il, un seul de vos miracles
Peut finir un malheur qui ne peut s’égaler.
Quand vous avez voulu rendre quelques Oracles,
Quel Chesne mieux que moy vous fit jamais parler ?
Un autre vous diroit le sujet de sa peine,
    Mais je m’en garderay bien,
Vous le sçavez, les Dieux n’ignorent rien.
    Sa priere ne fut point vaine,
    Le Dieu l’exauça promptement,
    Et par son commandement,
    Le Ciel se couvrit de nuages,
    Messagers des grands orages.
On croit qu’il veut encore innonder l’Univers,
    Et ce n’est point raillerie,
    Tous ses Reservoirs sont ouverts,
Et la pluye, & le vent, d’une égale furie,
    Font dans le Chesne un tel fracas,
    Que les Chenilles secoüées
    (Leurs entreprises échoüées)
    Tombent de tous costez en bas.
Tentes & Pavillons, tout l’attirail de Guerre
    Est aussitost jetté par terre ;
    La tempeste finit alors,
Et le Chesne perdit pendant tous ces efforts,
    Pendant tous ces grands ravages,
    Quelques rameaux, quelques branchages.
Tous les Oyseaux, son plus bel ornement,
    Qui pour lors l’abandonnerent,
    L'orage passé, retournerent,
    Et depuis leur trébuchement,
    Toutes les Chenilles créverent.
Le Chesne nettoyé, par la pluye & le vent,
    Repoussa des feüilles nouvelles,
    Et tous les Buissons rebelles
    Furent rongez comme devant.
Ainsi les Envieux que nostre gloire irrite,
    Répandent sur le mérite
    Leur venin le plus dangereux ;
    Mais par un effet contraire,
    Tout le mal qu’ils veulent faire,
    Souvent retombent sur eux.

[L'Amant Garde, Histoire] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 238-267.

Si vous doutiez de ce qui a esté dit cent fois, qu’il n’y a point d’obstacles si forts que l’amour ne soit capable de surmonter, il me seroit aisé de vous en convaincre par l’Avanture qui suit.

Un Gentihomme, jeune, bien fait, & spirituel, revenu de l’Armée apres six années d’absence, devint passionnément amoureux d’une fort aimable Personne qu’il voyoit souvent chez une Dame de ses Amies. Son amour fut aussi tost connu de la Belle, & en fut connu avec plaisir. Un vieux diférent qui divisoit leurs Familles, devoit peut-estre les empescher de s’abandonner à leur panchant ; mais la sympatie fut si forte entr'eux, que cette raison ne les retint point. Au contraire, ils furent persuadez qu’on ne seroit pas fâché de se réünir par un Mariage, & ne voyant aucun obstacle d’ailleurs à leurs desseins, ny pour le bien, ny pour la naissance, ils se jurerent une eternelle fidelité. Le Cavalier répondoit de gagner son Pere. Celuy de la Belle ne leur paroissoit pas inéxorable, & la Dame qui favorisoit leurs entreveuës, ayant entrepris d’en venir à bout, il ne restoit qu’à prendre un temps favorable pour réussir. Elle estoit un jour chez luy. Apres une longue conversation sur diférentes matieres, quelqu’un parla du retour du Cavalier, & dit beaucoup de choses à son avantage. Le Pere de la Belle se contenta de répondre qu’il le croyoit tel qu’on le disoit, mais qu’il ne le connoissoit pas. Cette réponse faisant juger à la Dame qu’il n’estoit prévenu d’aucune aigreur, elle le pria de luy donner audience dans son Cabinet. La déclaration fut faite, mais fort mal reçeuë. Il ne pût goûter de s’allier à son Ennemy, & disant toûjours que le Cavalier n’aimoit sa Fille que parce que son Bien l’accommodoit, il prit pour outrage l’intelligence secrete qui s’estoit formée entr'eux. Il s’en expliqua fort sevérement avec la Belle, & pour comble de disgraces, il luy défendit de voir la Dame qui s’intéressoit dans cet amour. La Belle en fut affligée au dernier point, mais elle n’en demeura pas moins ferme dans l’eternelle correspondance qu’elle avoit promise à son Amant. Ne pouvant le voir, parce qu’elle estoit continuellement observée, elle apprit de ses nouvelles par la Dame qui trouva moyen de luy faire tenir quelques Billets. Ils estoient si remplis de passion, que ce nouveau commerce qu’ils entretinrent quelque temps, les confirma dans la résolution de se roidir contre tous les obstacles qui s’offriroient. Cependant les persécutions que reçeut la Belle pour un autre Amant, jointes au chagrin de ne plus voir celuy qu’elle aimoit, l’accablerent tellement, qu’elle n’y pût résister. Elle tomba dans une langueur fâcheuse. La fiévre la prit, & les accés en furent si violens, que le Medecin craignit pour sa vie. Son Pere fut sensiblement touché de sa maladie. Il s’en crut la cause ; & comme ce qui s’estoit passé n’empeschoit pas qu’il ne l’aimast cherement, la peur de la perdre luy fit chercher tout ce qui pouvoit servir à sa guérison. Il n’y crut rien de plus propre que de luy faire espérer, que quand elle seroit en état d’entendre parler d’affaires, il verroit ce que ses Amis luy conseilleroient touchant l’alliance du Cavalier. Cette espérance dont elle se laissa aisément flater, fut un remede souverain pour son mal. Sa fiévre diminua, & quelques Voisines eurent permission de la voir pour la divertir. L'une d’elles estant Amie intime du Pere, il la pria de mettre tout en usage pour la dégoûter de son Amant, sans qu’il y parust d’affectation. Elle l’entreprit, & avoit tous les jours quelque méchant conte à luy en faire. Tantost il estoit le Protestant le plus assidu d’une Dame qu’elle connoissoit. Tantost il faisoit d’agréables parties de Promenade avec d’autres Belles, & par tout il n’avoit en teste que ses plaisirs, sans s’inquiéter du cours de son mal. L'aimable Malade en soûpiroit ; mais sa Garde que le Cavalier avoit gagnée, & par qui elle recevoit tous les jours de ses nouvelles, l’assuroit si fortement de la sincérité de sa passion, que si ces malicieux raports luy causoient quelquefois un peu de chagrin, c’estoient de foibles nuages qui se dissipoient en un moment. Le Cavalier estoit averty de tout, & dans l’impatience de se justifier luy-mesme avec sa Maistresse, il prit le plus bizarre dessein dont on ait jamais entendu parler. Mais dequoy un Amant n’est-il point capable ? Quoy qu’il eust passé six ans à l’Armée, on l’y avoit envoyé si jeune, qu’il estoit encor en âge de se pouvoir déguiser en Fille. Il se résolut d’en joüer le rôle. Ses traits estoient délicats. Sa taille facilitoit la métamorphose, & un peu plus de libéralité envers la Garde, luy fit faire tout ce qu’il voulut. Elle suposa quelques affaires qui l’obligeoient à sortir souvent, offrit une Personne de confiance pour tenir sa place pendant le jour, & assura qu’elle reviendroit veiller la nuit aupres de la Demoiselle. Elle tourna la chose si adroitement, qu’elle fut exécutée dés le lendemain. Le Cavalier travesty entra dans la Chambre. La Garde luy dit tout haut ce qu’il faloit faire, promit tout bas à la Belle de luy envoyer au plus viste des nouvelles du Cavalier, & sortit sans l’avoir avertie du déguisement. La Malade n’en connut rien, soit parce que la Chambre n’estoit éclairée que d’un faux jour, soit parce que la Chambre n'estoit éclairée que d'un faux jour, soit parce que la nouvelle Garde se contentant d’agir sans parler, ne luy donnoit pas lieu de la regarder attentivement. La maniere dont elle se découvrit eut quelque chose de fort singulier. La Dame qui estoit si fort dans les intérests du Pere, vint voir la Malade, & à son ordinaire elle ne manqua point de mettre le Cavalier sur le tapis. Elle dit qu’elle venoit de le voir monter en Carrosse dans une propreté achevée, qu’il estoit avec une Dame toute brillante dont on ne luy avoit pû dire le nom, & qu’aparemment ils alloient ensemble à quelque Régal. La Belle qui luy avoit déja une fois parlé là-dessus avec aigreur, répondit fort fiérement qu’elle estoit ennuyée d’entendre ses contes, qu’elle sçavoit ce qu’elle devoit croire du Cavalier, que tous ses soins à luy faire soupçonner sa fidelité estoient inutiles, & qu’une fois pour toutes elle la prioit de ne luy en parler jamais. Jugez quelle joye pour la fausse Garde qui entendoit tout. La Dame sortit, & personne n’estant resté dans la Chambre, le Cavalier métamorphosé prit l’Ecritoire qui servoit au Medecin, écrivit quelques lignes à la haste, ouvrit la Porte comme si quelqu’un eust frapé, & donna en suite le Billet à la Malade. Elle en reconnut d’abord l’écriture, & surprise de ne le voir pas cacheté, comme l’estoient tous les autres, elle fit tirer un de ses Rideaux pour lire ce qu’il contenoit. Il estoit conçeu en ces termes.

Je vous suis infiniment obligé de la bonté avec laquelle vous avez pris mon party. Vous l’avez pû en toute assurance. D'aujourd’huy je n’ay monté en Carrosse. D'aujourd’huy je ne me suis entretenu qu’avec vous, & quoy qui arrive, vous serez toûjours la seule Personne brillante pour moy. La propreté dans laquelle on vient de vous assurer qu’on m’a veu, ne s’accorde guére avec l’habit que j’ay pris. Il ne laisse pas de m’estre fort agreable, puis qu’il m’engage à fuir tout le monde pour vous avoir toûjours presente à mes yeux, & qu’il me donne lieu par là de vous convaincre de la plus ardente passion qui fut jamais.

Rien n’approche de l’étonnement où la lecture de ce Billet mit cette aimable Personne. Elle ne pouvoit comprendre par quelle sorte de revélation son Amant sçavoit déja ce qu’il ne pouvoit avoir appris sans l’aide de quelque Esprit familier. Il n’y avoit qu’un moment que le conte du Carrosse & de la Dame brillante s’estoit fait, & il avoit déja eu le temps de luy en écrire. Apres mille pensées diférentes qui ne faisoient que l’embarasser toûjours davantage, elle appella sa nouvelle Garde pour sçavoir de qui elle avoit le Billet. Il falut qu’elle parlast, & son ton de voix ayant obligé la Belle à examiner son visage, elle reconnut le Cavalier. Il seroit difficile de vous exprimer ses sentimens. Ce qu’elle devoit à la bienséance, luy faisoit voir avec peine un Homme déguisé en Fille aupres d’elle. Elle voulut d’abord s’en fâcher, mais que ne peut point l’amour ? Le Cavalier luy dit des choses si tendres, & luy persuada si bien que n’estant presque point connu dans la Ville à cause de sa longue absence, il ne la mettroit en aucun danger, qu’elle consentit enfin à le retenir pour Garde. Il luy fit connoistre la fausseté de toutes les Parties galantes qu’on luy avoit imputées, par celle dont elle venoit d’estre convaincuë, puis qu’on le faisoit aller en régal avec une Dame, tandis qu’il se métamorphosoit pour la garder. Les protestations redoublerent, & jamais Amans ne se promirent si fortement de s’aimer toûjours. La nuit arriva. La Garde revint, & le Cavalier pria inutilement qu’on luy permist de veiller. On voulut qu’il se retirast jusqu’au lendemain. Vous jugez bien qu’il ne fut pas paresseux à revenir. Les choses se passerent de cette sorte pendant huit jours. Il avoit des soins si particuliers de la Malade, qu’ils estoient remarquez de tout le monde. Chacun l’en loüoit, & le Pere luy-mesme dit un jour qu’il n’avoit point veu de Garde plus officieuse, & qu’il auroit souhaité qu’elle se voulust attacher pour toûjours aupres de sa Fille. La fausse Garde ne pût s’empescher de rire, & luy ayant dit qu’elle se tenoit fort heureuse de luy plaire, elle adjoûta que rien ne la satisferoit davantage que le Party qu’il luy proposoit. Une Amie qui entra dans ce mesme instant, empescha le Pere de répondre. La Malade, à qui la joye de voir toûjours son Amant rendoit visiblement la santé, se fâchoit presque de guérir trop tost, quand une occasion impréveuë luy épargna le déplaisir de s’en séparer. Son Pere tomba malade à son tour, & pria la jeune Garde d’avoir soin de luy. Elle y consentit, à la charge que ce seroit elle seule qui le garderoit, & qu’on n’en feroit point venir une autre la nuit. C'estoit ce qu’il demandoit. Les manieres de la fausse Garde, sa vigilance, & l’honnesteté avec laquelle elle alloit au devant de tout, l’avoient tellement charmé, qu’il la vouloit voir à tous momens. Sa maladie fut tres-dangéreuse. Le Cavalier travesty ne le quitoit point, & animé par la veuë de sa Maistresse qui venoit souvent dans sa Chambre, il le veilla avec un soin si particulier, qu’estant tiré de péril par la force des Remedes, il crut devoir la vie à sa Garde, & l’assura de tout ce qu’elle pourroit souhaiter de luy pour récompense. Elle le pria de songer seulement à se guérir. Il recouvra sa santé, & luy ayant proposé sérieusement de grands avantages aupres de sa Fille, si elle vouloit s’attacher à sa fortune, comme il luy en avoit déja parlé en riant avant qu’il tombast malade ; l’adroite Garde luy dit que c’estoit sa plus forte passion, & qu’elle ne souhaiteroit rien tant que de luy voir rendre cet engagement si fort, qu’il ne se pust rompre que par la mort de l’une ou de l’autre ; mais qu’estant d’une tres-honneste Famille, & dépendant d’un Frere qui ne luy avoit laissé prendre l’employ où il la voyoit que par de tres-puissantes raisons, elle avoit besoin de son consentement pour disposer d’elle ; qu’il tiendroit à gloire de le venir trouver le lendemain, & qu’elle seroit contente de tout ce qu’ils résoudroient ensemble. Elle le pria en mesme temps de luy permettre de se retirer, sous prétexte d’aller conférer avec ce Frere, & sortit apres avoir averty la Belle de ce qui devoit arriver le jour suivant. Il s’agissoit de tout leur bonheur. C'estoit dequoy prendre un peu d’alarme. Cependant le Cavalier ne s’étonna point, & crut s’estre si bien mis dans les bonnes graces du Pere, qu’il alla chez luy avec confiance d’estre bien reçeu. Il le fit demander par un Laquais de la part de la Personne qui l’avoit gardé ; & l’ordre estant venu de le faire entrer, il monta en se cachant le visage avec un mouchoir, pour n’estre pas reconnu des Domestiques. Il estoit dans une propreté qui surprit le Pere. Tant d’ajustement ne convenoit point au Frere d’une simple Garde ; & quoy que la ressemblance des traits (il estoit impossible d’en trouver de plus semblables) l’assurast qu’on luy avoit dit vray de ce costé-là, il ne pouvoit que s’imaginer de ce qu’il voyoit. Le Cavalier ne le tint pas longtemps en erreur. Il se fit connoistre pour le Fils de son prétendu Ennemy, luy déclara l’avantage qu’il avoit de s’estre fait aimer de sa Fille, & se jettant à ses pieds pour luy demander pardon du déguisement où l’impatience de voir ce qu’il aimoit plus que luy-mesme, l’avoit obligé de recourir, il luy parla d’une maniere si touchante du pouvoir où il estoit de le rendre le plus heureux ou le plus malheureux de tous les Hommes, que le Pere s’en estant laissé attendrir, le fit relever en l’embrassant. Il admira la constance de son amour, fit venir sa Fille, approuva son choix, & prit un Arbitre pour le diférend qu’il falloit accommoder. On régla les choses, & l’Amant Garde de sa Maistresse, se vit quelques jours apres le plus content de tous les Maris.

[Messieurs de l’Académie Françoise choississent M. Verjus pour estre de leur Corps] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 267-275.

Mr Verjus, Secretaire de la Chambre & du Cabinet du Roy, fut choisy le dernier Mois par Sa Majesté pour estre son Plénipotentiaire à la Diete de l’Empire assemblée à Ratisbonne, & composée des Plénipotentiaires & Deputez de l’Empereur, & des Couronnes de France, d’Espagne, de Suede, de Danemarck, du Duc de Savoye, de tous les Electeurs, Princes, & Etats d’Allemagne, & de tous les autres Princes qui ont quelque interest aux Affaires de l’Empire. La réputation de probité, & de fidelité qu’il s’est acquise dans les Employs qu’il a déja eus en Allemagne, y a fait recevoir cette nouvelle avec joye dans la plûpart des Cours des Electeurs, & des Princes. Elle doit estre grande pour eux, d’avoir à traiter avec les Ministres d’un Roy qui garde l’éxactitude la plus scrupuleuse dans l’execution de ses paroles, & qui préfere avec tant de gloire l’interest de ses Alliez, à ses propres avantages. Je ne vous parleray point des qualitez qui ont fait juger Mr Verjus propre à cet Employ. Tout le monde sçait avec quel succés il s’est déja acquité des Négotiations qui luy ont esté confiées en Portugal, en Savoye, en Angleterre, & sur tout en Allemagne, où Sa Majesté l’a honoré de plusieurs importantes Commissions en qualité de son Envoyé Extraordinaire, tant aux Diétes de Vvestphalie, & de Basse-Saxe, qu’aupres des Electeurs de Brandebourg, & de Cologne, de tous les Princes de la Maison de Brunsvvic, & de Lunebourg, du Duc de Neubourg, du Landgrave de Hesse, des Evesques de Munster, & de Paderborn, des Villes & Républiques de Cologne, de Hambourg, & de Strasbourg, & de divers autres Princes & Etats de l’Empire. L'application qu’il a euë à bien apprendre les Langues Etrangeres qu’il possede parfaitement, soit pour les parler, soit pour les écrire, n’a point empesché qu’il n’ait gardé toute la politesse de la nostre. Il en a donné des marques publiques par le grand nombre de Mémoires, de Manifestes, & d’autres Ecrits qui ont paru en divers temps, & qu’il a faits selon le besoin des affaires, pour remédier aux artifices des Ennemis de la France, & pour réfuter les calomnies dont ils remplissoient toute l’Europe. Il ne faut pas s’étonner de la passion qu’il a toûjours fait paroistre pour les belles Lettres & pour la perfection de nostre Langue, puis qu’il la tient de Famille, & comme par Succession. En effet les Sciences n’ont point eu de plus solides appuis au Siecle passé que Mrs Verjus, Présidens & Conseillers au Parlement. On se souviendra toûjours du fameux Président André Verjus, qui en tant d’occasions a si vigoureusement défendu les droits de la Couronne. Personne n’a fait plus de bruit que le docte Conseiller Jacques Verjus, si estimé de tous les Sçavans de son temps. L'Ayeul & le Pere de celuy dont je vous parle, ont eu la mesme inclination pour les belles Connoissances ; & les Ouvrages que le dernier avoit donnez au Public dans sa jeunesse, firent souvent regreter à Mr Coeffeteau & à Mrs de Vaugelas & Malherbe, ses intimes Amis, que ses voyages & ses affaires l’eussent éloigné de leurs éxercices. La vaste érudition de Mr l’Abbé Verjus, admiré de la plûpart des Sçavans de l’Europe qui ont honoré sa memoire de leurs éloges, fut toûjours accompagné d’une si grande politesse en nostre Langue, qu’il ne se peut rien voir de mieux écrit que quelques-uns de ses Ouvrages qui sont devenus publics. Ces veritez n’ont pas esté inconnuës à Mrs de l’Académie Françoise, qui ayant à remplir la place de Mr l’Abbé Cassagne, ont crû ne le pouvoir faire plus dignement qu’en choisissant le mesme Mr Verjus qui a donné lieu à cet Article. Il porte un nom consacré depuis longtemps aux Muses Françoises, & on luy a rendu justice par ce choix. Il fut reçeu il y a trois jours dans cette celébre Compagnie. On ne m’a encor rien appris du Compliment qu’il luy fit. Je vous en rendray compte le Mois prochain.

Placet au Roy §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 275-278.

Vous vous plaindriez de mon peu de soin, si un autre que moy vous faisoit voir un Placet qui a esté presenté au Roy depuis quelques jours par un ancien Officier, à qui Sa Majesté donne pension. Il y avoit attaché un Ruban bleu d’où pendoit une Médaille de trente Loüis d’or. Le Portrait du Roy estoit dans cette Médaille.

Placet au Roy.

CEtte Medaille, SIRE, est ma derniere Piece,
Vostre auguste Portrait fait toute ma richesse,
Trop heureux de garder ce gage précieux
Qui présente par tout vostre image à mes yeux ;
Mais réduit à la fin dans un état funeste,
Grand Roy, cette Médaille est tout ce qui me reste,
Et n’ayant pour tout bien que ce charmant LOUIS,
Pour conserver le grand, j’ay besoin des petits.
Ordonnez, s’il vous plaist, SIRE, que l’on m’en donne ;
Quoy que vieux Officier, j’ay la dent assez bonne,
        Et pour comble de mes desirs,
        Qu'ils soient de vos menus plaisirs.

Le Roy fit rendre la Médaille à l’Officier, & sa Pension luy fut payée dans le mesme temps sur l’argent qui s’appelle des Menus. Rien n’est plus avantageux qu’une gratification sur ce Fond, puis qu’il ne faut point d’Ordonnance pour estre payé.

Epitaphe de Madame la Duchesse de Longueville §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 284-291.

Quoy que l’image de la Mort soit fâcheuse, je croy que vous la soufrirez avec plaisir, pour voir ce que Madame la Comtesse de B. a fait sur celle de Madame la Duchesse de Longueville. C'est une des Illustres de vostre beau Sexe. Tout ce que nous avons veu d’elle est si achevé, que son nom sera toûjours une forte recommandation pour ses Ouvrages. Ainsi je ne vous dis rien de celuy-cy, sinon que le titre qu’elle luy donne, est

Epitaphe
de Madame la Duchesse
de Longueville.

ANne de Bourbon, Duchesse de Longueville, vient de finir ses jours, pour commencer son heureuse éternité. Cette Princesse se trouva née avec tous les avantages dont une Creature peut estre doüée ; car elle estoit sortie d’un Sang qui ne forme que des Monarques & des Hêros ; & pour achevement de sa grandeur, elle s’est veuë proche Parente d’un Roy qui fait & qui fera l’êtonnement & l’admiration de tous les Siecles. Cet avantage s’est trouvé accompagné de celuy d’estre Sœur d’un Prince, dont le rare merite & l’éclatante valeur empescheront toûjours les Conquérans du temps passé, d’oser pretendre à la premiere Gloire. Elle avoit donc ainsi du costé de la Naissance tout ce qui peut satisfaire l’orgueil. Elle ne l’eut pas moins du costé de sa Personne, qui se trouvoit ornée de la beauté & de l’esprit d’un Ange. Son air celeste sembloit estre le presage certain que Dieu la reservoit pour luy, & qu’il vouloit luy donner des lumieres qui instruiroient ses yeux à ne plus regarder que le Ciel. En effet, dés que les reflexions de cette Princesse luy eurent appris qu’il y avoit un Estre plus parfait que le sien, elle cessa dêslors d’estre êbloüye d’elle-mesme, & commençant à mêpriser les graces de sa Personne & celles de son Esprit, elle ne considera plus son Corps que comme une Victime qu’elle prenoit plaisir d’immoler à chaque instant. Ce Dieu qui s’estoit fait connoistre à elle, s’estoit en mesme temps si parfaitement rendu maistre de son cœur, qu’il l’en avoit chassée elle-mesme ; & depuis qu’elle eut le bonheur de connoistre qu’il y avoit quelque chose de plus digne d’adoration qu’elle n’avoit esté selon ses yeux, & selon les yeux de tous ceux qui l’avoient jamais veuë, elle prit pour Dieu un attachement si fidelle, qu’à peine s’estoit-elle gardé aucun sentiment humain, hors celuy de regarder avec veneration & tendresse le Prince son Frere. Toutes les autres choses luy parurent indignes d’une Ame Chrestienne. Elle a vescu ainsi plusieurs années sans vivre, quand Dieu voulant finir cette longue souffrance, luy envoya la mort, seulement pour la conduire à la gloire que tant de vertus avoient meritée. Ainsi en êchange de sa solitude volontaire, elle va prendre place parmy la Troupe des Bienheureux Esprits qui composent la Cour de ce Roy, dont la gloire & la puissance ne finiront jamais. Pour les graces & les beautez de son Corps, qu’elle avoit mêprisées, elle en va recevoir de bien plus brillantes & de bien plus durables ; & pour avoir aneanty tous les mouvemens de son cœur, sans luy permettre aucun sentiment d’amitié ny de haine, il sera comblé d’une eternelle joye ; & enfin chacun des sacrifices qu’elle a faits, recevra de la bonté de Dieu sa récompense particuliere. Heureux ceux qui pourront recueillir ce qui nous reste d’Anne de Bourbon, l’exemple de toutes les Vertus, & qui en attendant la force de les pouvoir imiter, auront du moins la justice de les loüer !

Portrait de Monsieur, envoyé à Madame §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 322-327.

Vous m’avez demandé des nouvelles de Madame le Camus, dans le temps que je me préparois à vous en donner. La vivacité de son Esprit éclate de jour en jour par ses Inpromptu ; & comme Leurs Altesses Royales ont pour elle une estime particuliere, elle a fait le Portrait de Monsieur, depuis quelques jours. Je vous l’envoye tel qu’elle l’a envoyé à Madame. Vous y trouverez la mesme facilité de Poësie qui est dans tout ce que vous avez veu d’elle.

Portrait
de Monsieur,
envoyé à Madame.

ILlustre Rejetton des Princes & des Rois,
Princesse, à qui le Ciel donna tout-à-la-fois
Un Corps remply d’appas, une Ame grande & belle,
Un Esprit délicat, un Cœur sûr & fidelle,
Qualitez qui vous font estimer d’un Epous
Qui des plus grands Héros est le parfait modelle...
Mais insensiblement je le quitte pour vous,
Princesse, je reviens au sujet qui m’appelle,
        En vous envoyant ce Portrait,
Qui ne doit rien sans-doute à l’excés de mon zele ;
    La Verité l’a tiré pour trait
Dessus l’Original que la Nature a fait.
Un Héros que le Ciel fit tout exprés pour plaire,
Par qui l’Amour jamais ne manque aucune affaire ;
Un Héros dont le Corps aussi-bien que l’Esprit,
Est admiré par tout sans aucun contredit ;
Un Héros dont l’abord est charmant, acostable ;
Un Héros plein d’honneur, un Amy véritable,
Un Sujet sans égal, de qui la bonne-foy,
Autant que la valeur, s’est fait voir à son Roy ;
Un Mouton dans la Paix, un Lion dans la Guerre,
Dont la noble fureur renversant tout par terre,
Donna tant de terreur à nos fiers Ennemis,
Lors qu’on le reconnut pour Frere de LOUIS,
Quand sur le Mont Cassel il gagna la Victoire,
Victoire qui combla nostre France de gloire,
Et qui fit concevoir aux Partys Hollandois
L'impossibilité de vaincre les François.
Le voila le Portrait de ce Prince adorable,
Vous le reconnoissez, il n’est rien plus semblable.

Air italien §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 335.L'attribution usuelle, ici sous-entendue, à Luigi Rossi, est erronée. Une note de Christophe Ballard dans son « Recueil d'airs sérieux et à boire de différents auteurs pour l'année 1701 » (Paris, Christophe Ballard, 1701, août, p. [2]) attribue sans ambiguité cet air (qui figure à la p. 156) à La Barre.

Comme vous m’avez témoigné que les Airs Italiens vous plaisent, je vous en envoye un qui est fort au goust des Connoisseurs. Il est du dernier Opéra que la Reyne de Suede a fait représenter à Rome.

AIR ITALIEN.

Avis pour placer les Figures : l’Air Italien doit regarder la page 335.
Due labra di rose
Fan guerra al mio core,
E provido amore
Dolcezze vi pose.
S’auvien che ridano,
Fuggi, cor ; che piu s’aspetta ?
In quel labro ogni riso
Ahi, che saetta !
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[Réception faite à Monsieur, Madame, & Mademoiselle, à M. l’Ambassadeur & l’Ambassadrice d’Espagne, & autres Seigneurs & Dames par M. de Boisfrant, dans sa Maison de S. Oüen] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 340-351.

Le Lundy 24. de ce Mois, Mr de Boisfrant, Sur-Intendant des Finances & Bâtiments de Monsieur, eut l’honneur de le recevoir dans sa belle Maison de S. Oüen, où Son Altesse Royale mena M. le Marquis de los Balbases. Le Cortege fut de dix Carrosses à six Chevaux, & de plusieurs autres à deux & à quatre. Celuy de Monsieur, avec qui estoient Madame, Mademoiselle, & Madame l’Ambassadrice d’Espagne, estoit précedé de trois autres, & suivy d’un cinquiéme remply de plusieurs Dames du premier Rang qui accompagnoient Madame & Mademoiselle. Mr le Prince de Saxe-Eysenach, Mr l’Ambassadeur d’Espagne, Mr le Duc del Sesto, & plusieurs Seigneurs de la Cour de Leurs Altesses Royales, estoient dans ces trois premiers Carrosses. Quelque temps apres arriverent Mr le Duc de S. Pierre, Gendre de Mr de los Balbases, & Madame la Duchesse sa Femme, avec Mr le Marquis de Borgia, venu depuis trois jours, non seulement de la part de Mr le Duc de Villa-Hermosa dont il est Parent, & qui s’appelle aussi Borgia (ils sont de la Maison du Saint de ce nom) mais encore de tous les Etats des Païs-Bas Espagnols, pour offrir à Mademoiselle, comme à leur Reyne, toutes les choses qui sont en leur pouvoir, avec assurance qu’elle en est Maistresse absoluë. Plusieurs Personnes de leur Suite remplissoient deux autres Carrosses.

Monsieur conduisit Mr de los Balbases dans tous les Apartemens, & prenoit plaisir à luy faire remarquer la propreté & l’ajustement de diférentes Pieces, à qui l’on avoit donné de nouveaux agrémens par un grand nombre de Vases de fonte dorez & vernis, remplis de Tubéreuses, d’une maniere tout-à-fait galante. On alla de là à la promenade. Elle commença par l’Orangerie, qui fut admirée, tant par la bonne culture & le nombre des Orangers, que par le Bâtiment de la Serre de 32. à 33. toises de long, couvert d’ardoise, considérable par sa grandeur, son bon goust, & mesme par le peu de temps qu’on a employé à le mettre en état d’estre veu d’une si Illustre Compagnie. On passa en suite dans quantité de petits Jardins fruitiers, partagez par de beaux & grands Espaliers, & apres qu’on eut fait le tour d’une partie du grand Jardin, on revint par les deux grandes Terrasses qui régnent sur une belle Prairie, dans toute l’étenduë de laquelle, la Riviere de Seine forme le plus bel aspect des environs de Paris. Au retour, Monsieur fit une Partie d’Hombre avec Mr de los Balbases & Mr le Chevalier de Lorraine. Madame joüa avec Mr l’Evesque de Troyes, & Madame l’Ambassadrice. Madame la Duchesse de Foix, & Madame la Mareschale de Clerambaut, firent une autre Table d’Hombre dans une Chambre voisine, tandis que Mademoiselle faisoit conversation dans la Ruelle de la mesme Chambre.

On se mit à table peu de temps apres. Elle estoit dressée dans le principal Sallon de la Maison, large de cinq pieds, & longue de dix. Il ne se peut rien adjoûter à la propreté & à la magnificence de l’Ambigu qu’on servit. L’agreable diversité qui s’y trouva, surprit tout le monde. Monsieur tenoit le haut bout, ayant Madame à sa gauche, tous deux dans des Fauteüils avec des Carreaux. Mademoiselle estoit à sa droite, sur une Chaise à dos. Du mesme costé de la Table, à la distance d’un Couvert de cette Princesse, estoient Madame la Marquise de los Balbases, Mesdames les Duchesses de Foix & de S. Pierre, Madame de Gourdon, Madame la Mareschale de Clerambaut, Madame la Comtesse de Brégy, & Madame de Belancourt Chanoinesse de Remiremont. De l’autre costé, à la main gauche de Madame, à la distance aussi d’un Couvert, Madame la Duchesse de Gramont, Madame la Marquise d’Alluye, Mademoiselle de Grancé, Madame de Pienne, Mademoiselle de Vaillac, Mademoiselle de Chasteau-Tier, Fille d’Honneur de Madame, & sur le retour de la Table, Mademoiselle de Pienne, & Mademoiselle de Boisfrant, qui fit les honneurs de la Maison de Monsieur son Pere, avec cette grace & ce bon air qui soútiennent si noblement les autres agrémens de sa personne. Monsieur fut servy par Mr de Boisfrant le Pere ; Madame, par Mr de Boisfrant le Fils, Maistre des Requestes ; & Mademoiselle, par Mr l’Abbé de Boisfrant, qui commença dés l’année passée à donner des preuves publiques de son succés dans ses premieres études de Philosophie.

Une autre Table fut servie en mesme temps avec beaucoup de magnificence, dans le petit Sallon de l’aisle droite du Logis, pour l’Ambassadeur, & pour les principaux Seigneurs qui estoient venus avec Monsieur & avec luy ; entr’autres Mr l’Evesque de Troyes, Mr le Prince de Saxe-Eysenach, Mr le Chevalier de Lorraine, Messieurs les Ducs de S. Pierre & del Sesto, Mr le Marquis de Borgia, Mr le Chevalier de Chastillon, Mr le Rotgrave, Fils naturel du Prince Palatin, Mr le Comte de Vaillac, Messieurs les Marquis d’Effiat, de Bron, & de Grave, & Mr de Purnon, Premier Maistre-d’Hostel de Monsieur. Souvenez-vous, Madame, que je vous ay déjà dit plusieurs fois, que dans des Festes de cette nature, toutes les Personnes que je vous nomme sont sans aucun ordre de rang.

Mr de los Balbases eut assez tost mangé, pour se trouver aupres de Monsieur pendant une partie du temps qu’il tint table. Il l’entretint des beautez, & de la régularité de la Maison en habile Connoisseur, parla de la magnificence du Régal ; & la conversation s’estant tournée sur plusieurs matieres agreables, il y entra avec autant d’adresse & d’esprit que dans les affaires sérieuses.

La Troupe des Violons de Son Altesse Royale, qui avoient joué pendant le Repas dans une distance assez éloignée, continua pour une maniere de petit Bal qui se fit dans une des deux Salles qui accompagnent le grand Sallon. Monsieur, Madame, & Mademoiselle, y dancerent plusieurs fois, ainsi que Madame la Duchesse de Foix, Mademoiselle de Vaillac ; & Mademoiselle de Boisfrant. Du costé des Hommes, Mr le Chevalier de Lorraine, Messieurs les Ducs del Sesto, & de S. Pierre,Mr le Prince de Saxe-Eysenach, Mr le Rotgrave, & Mr le Chevalier de Chastillon.

Le jeune Prince de Saxe-Eysenach a de l’esprit, de la grace, de l’enjoüement, & les manieres de France, au dela de ce qu’un sejour de deux mois à la Cour & l’âge de 14. ou 15. ans peuvent donner.

Mr le Duc de S. Pierre dança fort bien, & fort à la Françoise. Le Bal finit par quelques Entrées de Sarabande, que firent au son de la Guitarre les meilleurs Danceurs de l’Opéra, & par d’autres Dances à la Bohëme, de Lianse, & d’autres de sa suite, avec le Tambour de Basque & les Castagnetes. Leurs Altesses Royales partirent de cette Maison à minuit, & arriverent à une heure au Palais Royal.

Peu de jours auparavant, Monsieur avoit mené Mr de los Balbases à Conflans, où il régala les Dames qui furent de cette partie, dans la belle Maison de Mr l’Archevesque de Paris.

[Te Deum en Musique chanté dans l’Eglise des Feüillans, pour la Ratification de la Paix avec l’Allemagne] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 351.

On a chanté un Te Deum en Musique dans l’Eglise des Fuëillans pour rendre graces à Dieu de la Ratification de la Paix avec l’Allemagne. Il estoit de la composition de Mr Gorin. La Symphonie en a esté trouvée tres-belle, & a fait acquérir beaucoup de gloire à l’Autheur, & à ceux qui en ont eu les Parties à soûtenir. Ils sont du nombre des plus excellens Maistres de France.

[Enigme du mois passé] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 353.

J'avois crû les Enigmes du dernier Mois plus difficiles à expliquer qu’à l’ordinaire, mais il n’en échape aucune à ceux qui se font un plaisir d’en chercher le sens. Les Portes, c’est à dire la Porte de pierre qui laisseroit l’entrée libre à tout le monde sans la Porte de bois qu’on y attache, & cette mesme Porte de bois, estoient le vray Mot de la premiere. Mr Gon d’Abbeville, l’a expliquée par ce Quatrain.

        UNe Enigme de cette sorte
        N'est pas une Enigme pour Gon ;
Gon avec ces deux Sœurs a trop de liaison,
Pour ne pas reconnoistre & l’une & l’autre Porte.

Enigme §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 359-361.

Je vous en envoye deux nouvelles. La premiere est d’une aimable Personne de vostre Sexe ; & l’autre, de Mr de Montplaisir, Lieutenant de Roy d’Arras.

Enigme.

QUoy que je sois petit, je suis fort nécessaire,
Il est peu de Païs où je ne sois connu,
Et l’on sort bien souvent d’une mauvaise affaire,
        Quand on est de moy soûtenu.

***
Je sers dans les Combats, je sers aussi l’Amour,
        Et tel qui pour voir sa Maistresse
        Arrive dés le point-du-jour,
Sans moy n’arriveroit que lors que le jour cesse.

***
        Ma matiere est en mille lieux,
        Ma figure n’est pas commune,
Je ne voy goute, & j’ay pourtant des yeux,
Je brille quelquefois sans Soleil & sans Lune.

***
Mon Pere en me faisant, a la sueur au front,
    Encor qu’il géle à pierre fendre,
Et la peine qu’il prend ne le sçauroit défendre
    Que quelquefois je ne luy fasse affront.

Autre Enigme §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 361-363.

Autre Enigme.

MOn Pere m’engendra dans le sejour des Morts,
Aussi je ne vis pas, quoy que j’aide à la vie ;
Je suis le rare effet de ses derniers efforts,
Et l’on ne me voit point sans joye ou sans envie.
        Cent Misérables, pour m’avoir,
        Déchirent le sein de ma Mere ;
Et d’autres insensez, flatez d’un faux espoir,
Tâchent de m’engendrer d’une flâme adultere,
Et croyent vainement à toute heure me voir.
Je suis liquide & dur, je suis ferme & fléxible,
Je suis broyé, batu, l’on me donne cent coups.
        Je suis pourtant aimé de tous ;
Encor que je sois à l’Amour insensible.
Je tire de prison l’Esclave, & par malheur
Mon Esclave m’y tient, je le souffre sans plainte ;
On m’acquiert avec peine, on me possede en crainte,
        Et l’on me perd avec douleur.

[Explication de l’Enigme en figure] §

Mercure galant, juillet 1679 [tome 7], p. 363-364.

Mr Jarrés, & Mr Astoüin d’Aix en Provence, qui ont expliqué l’Enigme de Proserpine sur la Poudre à Canon, en ont trouvé le vray sens. Elle est composée principalement de Salpestre, de Soulfre & de Charbon meslez ensemble dans un Moulin. Le Salpestre est reprèsenté par Proserpine, Fille de Céres ou de la Terre ; le Charbon, par Pluton ; L'Esprit de Soulfre, par l’Amour ; & le Moulin, par le Chariot. Plusieurs ont expliqué cette mesme Enigme sur la Moisson, & d’autres sur la Semence, l’Exhalaison, la Tristesse, la Pesche, l’Eau de vie de Biere, la Gresle, & la Nuit.

Salmonée Roy d’Elide, qui voulut imiter le Foudre de Jupiter par des feux qu’il lançoit d’un Chariot de Fer avec grand bruit, est la nouvelle Enigme en Figure dont vos Amis chercheront à penétrer les obscuritez.