1679

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9]

2015
Source : Mercure galant, septembre 1679 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Anaïs Masson (Transcription) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Avant propos] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 1-9.

QUoy que depuis un An & demy, les Articles de mes Lettres que vous avez le plus estimez, ayent esté fort souvent sur le sujet de la Paix ; le Roy l’ayant donnée à ses Ennemis, & procurée en divers temps à ses Alliez, cette Paix n’estoit point encor genérale, & ce n’est que par le Traité qui vient d’estre signé entre la France, la Suede, & le Dannemarc, que ce grand Ouvrage se trouve entierement consommé. Il ne peut l’estre, qu’il ne soit en mesme temps vray de dire que la gloire de Loüis le Grand est montée au plus haut point, puis que nous n’avions pas encor veu de Princes assez modérez pour joindre le nom de Pacifique à celuy de Conquérant. Si le Roy a mérité l’admiration de tous les Siecles, en donnant la Paix à ses Ennemis, il ne la mérite pas moins par ce qu’il a fait pour ses Alliez. Lisez l’Histoire, Madame. Ny dans l’ancienne, ny dans la moderne, vous ne trouverez point d’exemples pareils. Il a d’abord cedé beaucoup de Places qu’il pouvoit garder, afin que les Princes qui en avoient conquis sur eux, eussent moins de peine à les rendre ; ce qu’ils pouvoient faire sans aucune honte, puis qu’il ne peut estre que glorieux d’imiter le plus grand Prince qui fut jamais. Il n’en est pas demeuré là. Apres avoir cedé des Places ; apres avoir employé ses Ambassadeurs, afin que par leurs négotiations ils fissent restituer celles qui avoient esté prises sur ses Alliez ; apres leur avoir donné dequoy fournir aux frais de la Guerre, au lieu de goûter le mesme repos dont presque toute l’Europe joüissoit par Luy, & de s’épargner les sommes immenses que coûtent les grandes Armées à entretenir, il a toûjours conservé un nombre considérable de Troupes en faveur de ces mesmes Alliez. Il a fait plus. Il les a fait marcher à leur secours, & leur a fait faire deux cens lieuës avec une incroyable dépense. La fatigue d’un si long Voyage ne les a pas empeschées de vaincre. Elles ont cherché les Ennemis. Elles les ont joints sans reprendre haleine ; & comme il suffisoit de les joindre pour remporter la victoire, elles en ont d’abord triomphé. On peut aisément juger que ces Troupes qui avoient combatu contre un monde d’Ennemis, la Paix estant faite avec la plûpart, estoient en pouvoir d’accabler les Souverains qui s’obstinoient à ne pas vouloir accepter ce que le Roy leur avoit offert. Cependant ce Grand Prince n’a pas voulu se servir de ses avantages. Dés qu’ils ont parlé de satisfaire ses Alliez, il a consenty à les écouter, & n’a rien voulu pour Luy, quoy qu’il fust en état de tout prendre. Toûjours vainqueur & toûjours moderé, il s’est contenté d’avoir employé ses armes, afin que le grand Ouvrage de la Paix genérale se terminast. Il s’est achevé, & ceux qui n’estoient ses Ennemis qu’à cause de ses Alliez, n’ont voulu que Luy pour Arbitre de leurs intérests. Ils ont demandé que leur Paix fust signée dans sa Cour ; & en restituant des Places qu’il les obligeoit Luy seul de rendre, ils n’ont pas laissé de l’admirer. Admirons-le aussi, Madame, & disons qu’un Prince qui garde une si exacte fidélité pour ceux qu’il reçoit dans son Alliance, est digne de commander à toute la Terre. Cette Paix fut signée à Fontainebleau le deuxiéme de ce Mois par Mr de Pompone Ministre & Secretaire d’Etat, & par Mr de Meyerkron Envoyé Extraordinaire de Dannemarc.

[Magrigal] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 9-10.

Voicy un Madrigal qui vient de paroistre sur ce sujet. Il est de Mademoiselle Leon de Dreux.

La France
à l’Europe,
sur la Paix.

EUrope, quel bonheur ! Il est bien à propos
De loüer de mon Roy la bonté sans égale ;
Vous avez maintenant une Paix genérale,
Et l’auguste LOUIS pour vous mettre en repos,
Partageant son amour, sans partager sa gloire,
Vous donne cette Paix, & garde la Victoire.

[Ce qui s’est passé à l’Académie Françoise le jour de la distribution des prix] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 13-20.

Comme cette matiereI est intarissable, elle a esté traitée depuis ce temps-là par de grands Hommes, dans un jour celebre pour Mrs de l’Académie Françoise. Vous voyez bien que je parle de celuy de S. Loüis. Il y a déjà quelques années que ce jour-là cette illustre & sçavante Compagnie fait faire un Panégyrique de Sa Majesté, en forme de Sermon, dans la Chapelle du Louvre. Elle choisit toûjours pour cela un Prédicateur dont la haute réputation réponde à la grandeur du Sujet. Vous jugez bien qu’il doit estre des plus estimez, pour prêcher devant un Corps qui est tout Esprit. Mr l’Abbé de la Broüe, nommé à l’Evesché de Mirepoix, s’en est acquité cette année, avec un succés qui a dignement remply l’attente que ces Messieurs en avoient. L'apresdînée l’Académie s’estant assemblée, fit la distribution des Prix qu’elle donne tous les deux ans à pareil jour. Le Sujet du premier, qui est celuy de la Prose, estoit sur la fausse & la vraye humilité. La Piece qui remporta le Prix estoit de Mr l’Abbé Savary Chanoine de Saint Maur, & fut leuë par Mr l’Abbé de Lavau devant une Assemblée aussi illustre que spirituelle. Je croy vous avoir déjà dit dans quelqu’une de mes Lettres, que Mr de Balzac a laissé un fonds pour donner ce Prix tous les deux ans. On l’appelle le Prix de l’Eloquence. Le Sujet de celuy des Vers, estoit sur ce que les Conquestes du Roy l’ont rendu facile à faire la Paix. Mr l’Abbé du Jary Angoumois, remporta le Prix. Ses Vers furent lûs par Mr le Clerc, & reçeurent de tres grands applaudissemens. Ce Prix est donné par un des plus illustres, & des plus honnestes Hommes de l’Académie. Il y a peu de Personnes en France à qui sa réputation ne soit connuë, & ce n’est pas sans contrainte que je défere à la modestie qui luy fait cacher son nom. Apres qu’on eut leu ces Pieces, Mrs de l’Académie de Soissons, qui sont associez à celle de Paris, & qui par cette raison doivent leur envoyer tous les ans deux de leurs Ouvrages, ayant choisy deux Personnes de leur Corps pour les apporter, ces deux Messieurs en firent eux-mesmes la lecture. Le premier estoit un Panégyrique du Roy, dans lequel estoient renfermées avec beaucoup d’ordre, toutes les grandes Actions de ce Monarque. Le second estoit une Eglogue, sur le sujet de la Guerre, & de la Paix. Mr de Besons Conseiller d’Etat, Directeur de l’Académie, leur dit ensuite en peu de paroles, mais avec beaucoup de justesse, Que puis que pendant la Guerre leurs Muses n’estoient pas demeurées oisives, il y avoit lieu d’esperer qu’elles n’auroient pas moins d’ardeur à s’occuper pendant la Paix. Ce Compliment achevé, Mr l’Abbé Tallemant le jeune, dont l’éloquence est connuë, & qui ne parle pas avec moins de hardiesse & de bonne grace, qu’il écrit fortement & avec justesse, fit un autre Panégyrique du Roy, où il se proposa seulement de loüer la modération qui luy avoit fait donner la Paix à l’Europe. Il y réüssit à son ordinaire, c’est à dire, qu’à peine les fréquens applaudissemens luy laisserent le temps de parler. Comme on ne pouvoit plus rien entendre qui fust aussi beau, l’Assemblée se sépara en donnant mille loüanges à cet illustre Orateur.

Le Veillard et l’Asne. Fable §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 26-31.

Vous m’avez paru assez contente de quelques Fables que je vous ay déja envoyées. En voicy une nouvelle qui ne vous déplaira pas. C'est la quinziéme du premier Livre de Phédre. Celuy qui s’est diverty à la traduire, est de Dijon. Elle a ce tour aisé & naturel que vous avez remarqué dans tout ce que je vous ay fait voir de luy.

Le Veillard
et l’Asne.

Fable.

        UN timide Vieillard,
Qui peut-estre en son temps ne fut que trop gaillard,
        Passant pres d’un Village en Brie,
(Brie, c’est pour rimer,) laissoit paistre à son gré
        Son Asne dans un Pré,
Tandis que luy couché dessus l’herbe fleurie,
Dormoit tranquillement, & ronfloit de bon cœur.
        Il dormit peu ; car par malheur
Ayant eu toûjours l’ame assez mal aguerrie,
Il se sentit saisy tout-à-coup de frayeur,
        Au bruit que faisoit le ravage
        De quelques Troupes de Soldats,
    Qu'il vit de loin avancer à grands pas.
Le bon Homme tremblant, se leve, & prend courage.
Il exhorte son Asne à grands coups de baston,
        D'abandonner là le Chardon,
Et de doubler le pas pour gagner le Village,
        Craignant de tomber dans les mains
De ces Soldats, Voleurs de grands Chemins.
Mais nostre Asne chargé de deux Sacs de Farine,
Allant toûjours son train, & marchant gravement,
S'adressant au Vieillard, non sans faire la mine,
        Luy fit ce compliment.
Si l’Ennemy sur nous enfin peut avoir prise,
Mon Maistre, dites-moy, croyez-vous franchement
Qu'il me dust faire encor porter quelque Valise,
        Ou quelqu’autre nouveau Paquet ?
        Non, répond l’Homme à barbe grise.
Que m’importe-t-il donc, dit ce rusé Baudet,
À quel Maistre je sois, si comme à l’ordinaire
Je dois toûjours porter ma charge, & qu’ay-je à faire
        De courir pour vous le galop ?
À vostre avis, cet Asne estoit-il sot ? pas trop.
        La morale de cette Fable
    N'est souvent que trop véritable.
        Quand dans les changemens d’Etat
        La misere devient commune,
Le Riche y perd le plus, & son destin s’abat ;
Mais celuy qui n’a rien, & qui vit sans éclat,
Peut bien changer de Maistre, & non pas de fortune.

[Mariage de M. le Comte de Maulevrier avec Madem. de Monthelon] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 36-42.

Trois jours auparavant, c’est à dire le 19. du mesme Mois, il s’estoit fait icy un autre Mariage que je ne vous puis laisser ignorer. C'est celuy de Mr le Comte de Maulevrier avec Mademoiselle de Monthelon, Fille de Mr de Monthelon qui estoit Maistre d’Hostel ordinaire de la feuë Reyne, Mere de Sa Majesté. La naissance des deux Parties est trop illustre pour ne vous en rien dire. Mr le Comte de Maulevrier tire son extraction de l’ancienne Maison du Faï en Normandie, qui a possedé pendant plusieurs Races la Charge de Bailly de Roüen, qui est le premier Bailliage de cette Province. Il est Fils de feu Mr le Comte de Maulevrier, qui à l’imitation de ses Ancestres a passé toute sa vie dans les Armes. Il commanda une Compagnie d’ordonnance de cent Chevaux, puis un Regiment d’Infanterie sous le Regne de Loüis XIII. & enfin le Roy d’aprésent l’honora du Brévet de Mareschal de Camp de ses Armées. Cette Maison se trouve alliée avec celles de Vantadour, de S. Géran, de Bauvilliers -S. Aignan, d’Allégre, de Bellefond, de Foüilleuse- de Flavacour, & de Chaumont. Mademoiselle de Monthelon, aujourd’huy Madame de Maulevrier, est aussi d’une des meilleures Familles du Royaume. Elle prend son origine de l’ancienne Maison de Monthelon, qui porte son nom d’une Chastellenie considérable, située pres d’Autun en Bourgogne. Les Emplois de guerre qu’ont eu ses Prédecesseurs, ne sont pas oubliez dans l’Histoire. On y voit que dans la Bataille d’Azincourt donnée en 1415. Tristan de Monthelon fut tué en combatant pres le Duc de Brabant & le Comte de Nevers, Freres puînez de Jean Duc de Bourgogne, sous lesquels il commandoit toute leur Cavalerie. On y voit encor que Charles de Monthelon rendit de tres-signalez services à la Religion sous le Grand-Maistre d’Aubusson son Oncle maternel, en la défense de la Ville de Rhodes assiegée par les Turcs sous Mahomet II. en 1480. Cette Maison a cet avantage, que si dans son Origine elle a suivy la Profession des Armes avec gloire, elle n’a pas esté moins chargée d’honneur dans la Profession de la Robe, qu’elle a embrassée depuis. Il n’en faut point d’autre témoignage que les applaudissemens avec lesquels François de Monthelon, Seigneur du Vivier & d’Aubervilliers, a remply la Charge de Président à Mortier, & en suite le Poste illustre de Garde des Sceaux de France, dont il presta le Serment entre les mains du Roy Henry III. Il laissa un Fils heritier de ses vertus, & qui luy succeda dans ses Dignitez.

[Billet sur une Proposition du dernier Extraordinaire] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 53-55.

Un Billet qui m’a esté envoyé depuis quelques jours, vous doit faire attendre de fort agreables choses. Vous allez sçavoir sur quelle matiere. Voicy ce que le Billet contient.

Parmy les Articles de vostre premiere Lettres, de grace, aimable Mercure, ne refusez pas de mêler un mot d’avis au galant Homme, Autheur d’une certaine Proposition de vostre dernier Extraordinaire. Elle porte que de tous les maux de l’amour, celuy de n’estre point aimé est le moindre. Dites luy, je vous prie, que j’ay une extréme joye d’avoir enfin trouvé quelqu’un de mon sentiment. Comme j’en ay de fort particuliers sur l’amour, & tres-diférens de tous ceux que je connois que les autres ont, je croy que celuy qui s’est expliqué par vous d’une maniere si conforme à mon cœur, ressent encor les mesmes mouvemens que moy. Je meurs d’envie de faire connoissance avec luy par vostre moyen. S'il accepte le party, je luy écriray sincérement tout ce que je pense. Je le prie d’y consentir, & de me répondre avec la mesme sincerité. Nos Lettres pour estre publiques, ne laisseront pas d’estre secretes & misterieuses. Je luy promets de luy apprendre la plus nouvelle maniere d’aimer dont il ait jamais entendu parler. Dés le premier Mercure, il pourra me faire sçavoir s’il se résout à lier commerce.

[Réjoüissances faites aux Gobelins] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 55-65.

Je reviens à la Feste de S. Loüis. Mr le Brun, premier Peintre de Sa Majesté, qui la solemnise tous les ans avec un zele particulier, fit chanter une Messe en Musique ce jour-là, dans la Paroisse de S. Hyppolite. La composition de la Simphonie estoit de Mr Charpentier. L’Eglise se trouva toute tendüe des plus riches Tapisseries qui se fassent aux Gobelins. Elles représentoient l’Histoire du Roy, & furent admirées aussi-bien que la Musique, de tous ceux qui se rencontrerent en ce lieu-là. On avoit préparé un Feu d’artifice pour tirer le soir, mais le mauvais temps le fit remettre jusqu’au Dimanche 27. Un grand Arc de Triomphe de vingt pieds de haut, & large à proportion, faisoit la décoration de ce Feu. Cet Arc estoit d’ordre Corinthien, fort riche, & orné de Peintures, de Bas Reliefs de couleur de Lapis sur des fonds d’or, & des Festons de feüilles d’Olive & de Laurier, entre-meslées de Fleurs, avec des Figures allégoriques qui représentoient les vertus héroïques de Sa Majesté. L'Alliance de la France avec l’Espagne, se voyoit peinte sous le Portique. Au dessous de l’Arc on avoit élevé un magnifique Trophée d’armes, environné de Palmes & de Lauriers, & ce Trophée estoit posé sur des Festons d’Oliviers & de Fleurs, pour faire entendre que la fin principale des Armes de nostre invincible Monarque, avoit esté de donner une glorieuse Paix à l’Europe. Au dessous de ce Trophée estoit élevée une Couronne de bronze, soûtenuë par quatre grandes Figures de huit pieds de haut, qui marquoient la Valeur, la Sagesse, la Justice, & l’Abondance ; Vertus qui font regner les Princes sur les cœurs de leurs Sujets, & qui humilient l’Orgueil, l’Ambition, la Jalousie, & l’Envie de leurs Ennemis. C'est ce qui estoit représenté par quatre Figures tristes & abatuës, qu’on avoit posées sur quatre Piedestaux, au dessous de l’entablement. Pour mieux concevoir toutes ces choses, vous n’avez qu’à jetter les yeux sur le Dessein de ce Feu que je vous envoye. Il a esté gravé par Mr le Clerc de la Maison des Gobelins, & de l’Académie Royale.

La Couronne dont je vous ay parlé estoit environnée de lumieres que l’artifice faisoit éclater, sans qu’on découvrist d’où elles venoient. Elle avoit pour Cimier un Soleil, qui tournant incessamment sur son centre, dardoit ses rayons de toutes parts, & remplissoit l’air & la terre de feux. Il estoit aisé d’en faire l’application à nostre incomparable Monarque, qui du centre de la France, donne la Loy à toute l’Europe, & porte le bruit de sa gloire par tout le Monde. Toute la Corniche & la Balustrade, au milieu de laquelle on voyoit briller les Armes du Roy, estoient bordées de Lances & de Pots-à-feu. On avoit mis un fort grand nombre de Fusées volantes derriere les quatre Figures qui paroissoient ainsi abatuës. Ces Fusées s’éleverent tout à coup jusqu’aux nuës, & remplirent l’air d’une infinité d’Etoiles & de Serpenteaux. Le bruit en fut grand, & sembla marquer le dépit & la colere de ces Monstres languissans, qui furent enfin devorez par le mesme feu qu’ils avoient produit. Ainsi il ne demeura que l’Arc de Triomphe, la Couronne, avec les quatre Figures qui la portoient, le Trophée, & le Soleil. Ce Feu avoit esté précedé d’une grande quantité de Boëtes, de Fusées volantes, & d’une Fontaine de Vin qui coula pendant quatre heures. Les Trompetes & les Hautbois furent de la Feste, & firent connoistre fort loin ce qui se passoit aux Gobelins. Toutes les Fenestres de cette Maison & des environs, estoient remplies de lumieres extraordinaires, qui ne contribuérent pas peu à faire paroistre les Dames qui les occupoient, dans tout leur éclat. On donna en suite une superbe Collation aux plus considérables des Conviez.

C'est par ces marques de zele que l’illustre Mr le Brun tâche à reconnoistre les graces qu’il reçoit du Roy. Sa Majesté est tellement convaincuë de son mérite, que pour en donner des marques publiques, Elle luy a fait expédier des Lettres de Noblesse en 1662. & luy a permis de remplir son Ecusson d’une Fleur de Lys d’or & d’un Soleil d’or en chef sur un champ d’azur. J'auray soin à l’avenir de vous instruire de tout ce qui se fera de beau aux Gobelins. Ce sera vous faire connoîstre autant de Chef-d’œuvres.

[Honneurs rendus à Son Altesse Serenissime en Bourgogne, à Lyon, & en Bresse] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 72-117.

Il est temps, Madame, que je vous tienne parole sur un grand Article, en vous apprenant les honneurs qui ont esté rendus à Son Altesse Serénissime Monseigneur le Duc, dans son dernier Voyage en Bourgogne. Ce Prince joint un mérite si peu ordinaire à ce que la haute Naissance peut avoir de plus illustre, qu’il ne pouvoit moins attendre que l’applaudissement genéral des Peuples dans tous les lieux où il a passé. Il partit d’icy le 8. de Juillet, & deux jours apres il se rendit à Rejane. C’est une Maison qui appartient à Mr l’Evesque d’Auxerre. Ce Prélat aussi illustre par ses grandes qualitez, que par l’éclat de sa dignité & de sa naissance, n’oublia rien de ce qui pouvoit marquer la joye qu’il avoit de son arrivée. Je ne puis vous le faire mieux connoistre, qu’en vous disant que la bonne chere se trouva également digne, & de celuy à qui elle fut faite, & de celuy qui la fit. Madame Davigno, Femme du Lieutenant Genéral qui porte ce nom, aida à donner les ordres. Mademoiselle Davigno sa Fille estoit avec elle. C’est une Personne bien faite, jeune, d’une taille dégagée, qui se connoist finement en toutes choses, & qui se distingue encor plus par les charmes de son Esprit, que par les avantages de la Nature. Ce fut dans cette Maison que Mr Billard Président au Présidial, & Maire d’Auxerre, vint complimenter Mr le Duc. Il estoit suivy d’un bon nombre des principaux Bourgeois à cheval. Le Prevost des Mareschaux s’estoit déjà rendu à Rejane, & ce Prince en partit précedé des uns et des autres, pour aller à Auxerre, où le mesme Mr Billard, Homme de beaucoup d’érudition, donna de nouvelles marques de son esprit par un second Compliment. Tous les autres Corps rendirent aussi leurs devoirs à Mr le Duc, qui partit en suite au bruit du mesme Canon qu’on avoit fait entendre à son Entrée. Les Ruës estoient bordées d’une double haye de Bourgeois armez. Il reçeut de pareils honneurs dans les petites Villes où il passa jusqu’à Châlons. Il y arriva le Samedy 15. du mois. Mr Joly Maire & Avocat de la Ville, & les Echevins accompagnez des Magistrats & de quatre-vingts des plus notables Bourgeois, allerent l’attendre à une lieuë de Châlons, aussi-bien que Mr l’Evesque & Mr Bouchu Intendant de la Province. Apres qu’ils l’eurent complimenté, on s’avança vers la Ville, où Mr le Duc entra au bruit du Canon, & au milieu d’une double haye de Bourgeois rangez sous les armes, depuis les Capucins jusqu’à l’Evesché. Si-tost qu’il y fut, il reçeut les Harangues de tous les Corps Séculiers & Réguliers, & alla en suite se promener à pied sur les Ramparts, & dans la Prairie le long de la Saône. Apres son Soupé, qui ne fut que de quelques Fruits en particulier, il prit le divertissement d’un Concert de Voix & d’Instrumens. On y chanta quelques Dialogues Italiens, de la façon du fameux Carissimi, avec un autre de la composition de Mr l’Abbé Mailly. Ces Dialogues se trouverent tellement du goust de Mr le Duc, qu’il en fit repéter beaucoup d’endroits. Le lendemain, qui estoit Dimanche, ce Prince apres avoir monté le matin à la Citadelle, traversé la Ville, visité le Rampart du Fauxbourg S. Laurens, & s’estre promené en Carrosse dans la Prairie qui est au dela de la Saône, se rendit sur les quatre heures dans un Bateau qu’on luy avoit préparé pour voir la Jouste sur l’eau. Tous les bords de la Riviere, & les Bastions de part & d’autre, estoient couverts d’un nombre extraordinaire de Peuples accourus à cette Feste des Bourgs & Villes des environs. Les Dames estoient dans le bateau de Mr le Duc, ouvert par les deux costez, & proprement tapissé. Voicy de quelle maniere se fait cette Jouste. On fait deux Troupes égales des Combatans. Ils sont couverts d’un large Ecu, & on les poste dans de petits Bateaux, ayant chacun une Lance de bois, de laquelle ils se choquent au milieu de la Course qui se fait avec toute la vîtesse possible. Les Champions sont placez sur le derriere du Bateau. Ainsi le plus foible tombe nécessairement dans la Riviere, & bien souvent tous les deux ensemble, quand ils se trouvent d’une force égale. Les Jousteurs qui avoient esté choisis pour donner ce divertissement à Mr le Duc, estoient fort proprement habillez à la Matelote, de Toile Indienne, avec quantité de Rubans aux couleurs de la Ville. Ils estoient quarante qui jousterent tous, & il y en eut quinze qui ne pûrent estre renversez dans l’eau. Apres la Jouste corps contre corps, ils rompirent la Lance contre un pieu planté au milieu de la Riviere. On appelle cela le Faquin d’eau. On fit en suite les Courses de l’Oye, du Chat, & de l’Anguille, qu’on avoit fortement attachez à une corde tenduë sur toute la largeur de la Riviere. Le Bateau passant fort viste sous cette corde, celuy qui en veut à l’un de ces Animaux, y demeure suspendu, & apres tous ses efforts qui sont souvent inutiles, il tombe dans l’eau, ou s’il est plus heureux, il s’y jette luy-mesme avec sa proye. Ces trois Animaux furent arrachez, mais le Chat laissa des marques de ses grifes à la plûpart de ceux qui s’attacherent à luy. Les plaisirs de la Riviere estant finis, Mr le Duc alla se promener dans la Prairie avec les Dames jusques à la nuit qu’il vint souper, & incontinent apres il se rendit sur le Rampart de Sainte Marie, pour voir un Feu d’artifice dressé au milieu de la Saône sur deux grands Bateaux. C’estoit une Pyramide garnie de Fusées & Lances à feu, qui avoit aux quatre costez les Armes du Roy, de S. A. S. de Mr d’Uxelles, & de la Ville. Ce Feu fut accompagné de la décharge du Canon & des Boëtes, & d’une infinité de Fusées volantes. Apres le Feu, Mr le Duc voulut donner le Bal au Dames sur le Bastion ; mais la confusion du monde qui s’empressoit pour le voir, l’en empeschant, on fut contraint d’aller dans la grande Salle de l’Evesché. Le Bal commença, où la belle Madame Thériat brilla beaucoup. Les Dames estoient toutes fort parées. Apres qu’on eut dancé quelque temps, ce Prince les régala d’une magnifique Colation de Confitures & de Liqueurs. Le Lundy 17. on luy donna le divertissement de la Pesche à une demy lieuë au dessus de la Ville. Il entra sur les dix heures dans le Bateau qu’on luy tenoit prest, & où toutes les Dames s’estoient rendues. À peine l’eut-on tiré hors du Port, que quantité de petit Bateaux luy apporterent un Déjeuné tres-propre, préparé par les Magistrats. Les Violons estoient à la suite. La Pesche fut belle & heureuse. Au retour, il fut salüé du Canon de la Ville en sortant du Bateau, comme il l’avoit esté en y entrant & alla dîner à la Citadelle. Il ne se peut rien de plus somptueux que fut ce Repas. Madame la Marquise d’Uxelles qui en avoit donné les ordres, fit joindre à la propreté tout ce que la délicatesse des mets a de plus exquis. Mr du Cléron Lieutenant de Roy de la Citadelle, en fit les honneurs en l’absence du Gouverneur Mr le Marquis d’Uxelles, pour lors à Vésel, où il commande jusqu’à ce que les Conventions de la Paix concluë avec l’Electeur de Brandebourg, soient exécutées. Mr le Duc revint de là terminer quelques affaires à l’Evesché, & entra sur les quatre heures dans un Bateau au bruit du Canon, pour aller coucher à Senosan chez Mr le Comte de Briord son Premier Ecuyer. Cette Maison est sur le bord de la Saône, entre Châlons & Mascon, dans une assiete admirable. Elle consiste en plusieurs Appartemens bastis à la moderne. Rien n’est ny mieux entendu, ny plus superbe. Ainsi on peut dire que peu de Maisons en France l’emportent sur Senosan. Ce fut là qu’une Troupe de Bressans passa la Riviere, dans l’empressement de voir ce Prince. Ils le divertirent en dançant à leur maniere au son de quantité de Cornemuses & de Hautbois champestres, & reçeurent des marques de sa libéralité, comme en avoient déja reçeu ceux qui avoient jousté sur la Saône. Quelques Dames d’une petite Ville de Bresse s’estoient meslées parmy les Païsannes de cette Troupe. Son Altesse les distingua, & leur fit honnesteté. J’aurois trop à vous dire du Régal que luy fit Mr Briord. Ce fut une profusion surprenante de toutes choses, & un si grand ordre en mesme temps, qu’à peine s’apperçeut-on des préparatifs. Mr de Choin Gouverneur de Bourg & Bailly de Bresse, vint salüer Mr le Duc dans cette Maison, & en reçeut cet accueil satisfaisant qui luy gagne tous les cœurs. Ce Prince arriva le lendemain à Mascon sur les dix heures du matin, précedé de Mr Berrurier Avocat, & premier Echevin, qui suivy d’un nombre d’Habitans à cheval, l’avoit rencontré à demy lieuë de la Ville, & luy avoit fait son premier Compliment. Un Bataillon de Sault qui se trouva alors à Mascon, s’estoit avancé à une portée de Mousquet dans cette belle Prairie qui regne pres de vingt lieües de l’un ou de l’autre bord de la Saône. Mr le Duc s’arresta pour luy voir faire l’Exercice ; apres quoy il se rendit dans la Ville au bruit du Canon, & entre une double haye de Mousquetaires. Son logis luy avoit esté préparé sur la Saône, où estant descendu, il fut de nouveau complimenté par Mr Berrurier, & ensuite par Mrs du Présidial, & par les autres Corps, qui s’en acquiterent tous avec beaucoup de succés. Le soir il y eut un Feu de joye tres-bien entendu. Le lendemain, S. A. S. fort satisfaite de Mrs de Mascon, partit dans le mesme ordre & avec le mesme éclat qu’Elle y estoit entrée, & alla coucher à Neufville, chez Mr l’Archevesque de Lyon. C’est une Maison admirable, dont le Parc, l’Orangerie, les Terrasses, & tous les dehors, vont de pair avec tout ce qu’il y a de plus beau en France. Je ne vous dis point de quelle maniere Mr le Duc fut reçeu. Vous connoissez la magnificence du grand Prélat que je viens de vous nommer. Il est Frere de Mr le Maréchal Duc de Villeroy, & de Mr l’Evesque de Chartres. Son Ecurie n’est pas la moindre chose qu’il y ait à voir dans cette belle Maison, où l’on trouve les meilleures Meutes qui soient en France. Mr le Duc y passa trois jours. Il y en eut deux employez à courre le Cerf, & le troisiéme à voir Lyon, qui n’en est éloigné que de deux lieües. Il y arriva en Bateau le Samedy 22. & n’eut pas si-tost mis pied à terre, que Mr de Monceaux Prevost des Marchands, accompagné des Echevins de la Ville, le complimenta. La joye des Habitans s’expliqua par la bouche du Canon pendant qu’on le conduisit à l’Hôtel du Gouverneur, où il fut harangué par Mr le Comte de Marillac, Doyen de la Cathédrale, à la teste des Chanoines. Vous sçavez, Madame, qu’ils sont tous Gens de la premiere Qualité du Royaume & qu’ils doivent l’estre par les Statuts de leur Eglise, qui les obligent à faire des preuves exactes de leur Noblesse, lors qu’ils en sont reçeus Chanoines & Comtes de Lyon. C’est une qualité qui leur est acquise depuis longtems, & qui leur a esté confirmée par nos Rois, qu’ils ont l’honneur d’avoir pour premiers Chanoines. Je n’ay point appris l’ordre des autres Harangues. Je sçay seulement que Mr Gayot qui porta la parole pour Mrs les Trésoriers de France, dit, Que la Province d’où venoit S. A. S. & qui luy obeït avec plaisir, ne devoit, & ne pouvoit pas envier à Lyon l’honneur & la joye de le recevoir, parce que les avantages de sa naissance & de son mérite, la rendoient comme un bien universel, dont le propre est de se répandre. Mrs du Présidial firent leur Compliment par la bouche de Mr Charrier qui les présida alors. C’est un Magistrat dont l’esprit est vif & penétrant, & qui ne prononce rien qui n’ait un caractere d’autorité & d’éloquence. Il dit, Que sa Compagnie se monteroit bien indigne d’avoir reçeu du Roy l’administration de sa justice, si elle-mesme manquoit à l’observation de se Loix principales, qui veulent qu’on rende au Sang auguste de nos Souverains, l’estime & l’hommage qui luy sont dûs. Mr le Prevost des Marchands fit une seconde Harangue, à la teste de tout le Consulat, & dit, Que quand il n’y auroit à considerer dans la Personne de Mr le Duc, que le Sang & le Nom de nos Rois, il n’en faudroit pas davantage pour engager tous les Citoyens à une profonde venération ; mais que son propre mérite le rendant si digne de l’un & de l’autre, ils se voyoient tous obligez de luy donner les marques les plus veritables de leur admiration & de leur estime. Le mesme Prevost des Marchands fit un troisiéme Discours quelques momens apres, comme Président de la Conservation. Mr de Noyele Président de l’Election, appuya le sien par la comparaison d’Epaminondas, & dit, qu’à l’exemple de ce fameux Héros de l’Antiquité, on devoit venir admirer dans la personne de S. A. S. les rares qualitez jointes ensemble, de la Naissance, des Armes, & des Lettres. Elle reçeut aussi dans la mesme Ville les Complimens du Parlement de Dombes. Mr Garron de Chastenay, Président dans ce Parlement, & Lieutenant Particulier Criminel au Bailliage de Bourg, avoit la parole. C’est un parfaitement honneste Homme, qui s’en acquita avec autant d’esprit que de grace. L’apresdînée Mr le Duc monta aux Chartreux, pour y considerer la situation avantageuse de leur Monastere. On découvre de là toute la Ville, avec le Rhône & la Saône, qui par les contours agreables de leurs eaux, ne contribuënt pas moins au plaisir de ses Habitans, qu’à augmenter sa magnificence. Ce n’est pas là seulement que se termine cette belle veuë. Elle s’étend encor sur la vaste Plaine du Dauphiné, appellée vulgairement la Plaine de Sangfonds, à Sanguinè fuso, (Vos Amies voudront bien me pardonner deux mots de Latin) à cause du carnage horrible qui s’y fit à la Bataille de Severe contre Albin ; laquelle Bataille décide de l’Empire en faveur de ce premier. Estant sorty des Chartreux, il eut la curiosité de voir le College des Jesuites, fameux sur tout par une Bibliotheque des plus estimées de toute l’Europe. Le Bâtiment en est magnifique. On doit une partie de sa beauté aux soins du R.P. de la Chaise, aussibien que la recherche d’un nombre infiny de Livres rares & curieux, qui attirent tout ce qu’il vient à Lyon d’Etrangers & de Scavans. Le soir il alla se promener en Bellecour ; apres quoy Mrs de la Ville luy donnerent le plaisir du Bal. Les Dames s’y trouverent en fort grand nombre, aussi parées que bien faites. La belle Mademoiselle Pecoil, Fille du Conseiller de ce nom, s’y fit distinguer. Le 23. il alla coucher à la Sausaye. C’est une autre Maison de Chasse, tres-belle, & qui sert comme de relais. Elle est aussi à Mr l’Archevesque de Lyon. Mr le Duc y fut reçeu par les soins de ce Prélat avec la mesme magnificence qu’il l’avoit esté à Neufville. Le lendemain 24 estant monté en Carrosse à six heures du matin, pour se rendre à Bourg Capitale de la Bresse, qui fait une partie de son Gouvernement, il fut rencontré à deux lieuës de la Ville par le corps de la Noblesse, composé de quatre-vingts ou cent Gentilhommes, à la teste desquels estoit Mr de Choin leur Bailly, qui avoit quitté Mr le Duc le jour precédent. Les Sindics de la Noblesse, suivis de quelques-autres, mirent pied à terre à la veuë de son Carrosse ; & Mr de Fontanet premier Sindic, luy fit un Compliment qu’on trouva tout plein d’esprit. Ce Prince ayant répondu tres obligeamment à cette civilité, & la Noblesse estant remontée à cheval, on marcha environ un quart de lieuë. Les Sindics Genéraux, & le Corps du Conseil de la Province, composé de douze ou quinze Personnes, se trouverent en cet endroit. Mr Chambard Avocat de réputation & premier Sindic, porta la parole, & reçeut beaucoup de loüanges de son Compliment. Mr Brossard de Montaney Conseiller de Bourg, s’avança ensuite à la teste du Corps de Ville, & d’environ deux cens des principaux Bourgeois tous bien montez. Il y a tant d’esprit dans les Ouvrages que je vous ay envoyez de luy, qu’il suffit que je vous le nomme pour vous persuader qu’il fit un tres-beau Discours. Ces Harangues faites, on marcha jusqu’à une Plaine à deux mille pas de la Ville, où Mr le Duc rencontra un Bataillon de six cens Bourgeois tous tres-propres, & les Officiers couverts de tours de Plumes & de Rubans de ses couleurs. Ses Gardes qui estoient depuis quelques jours à Bourg, se rendirent dans le mesme lieu, & suivirent le Carrosse. Tout estant passé, ce Bataillon fit une décharge qui ne parut pas d’une Bourgeoisie. Son Altesse mesme s’en expliqua, & entra dans la Ville au bruit du Canon, entre une double haye de Bourgeois, commandez par des Officiers parez des mesmes couleurs que les premiers, & tous les Sergens ayant des Echarpes Isabelles, garnies & renoüées de Rubans couleur de feu. Mr le Duc descendit chez Mr de Choin Gouverneur de la Ville, où il fut logé dans un magnifique Apartement. Il y reçeut les Complimens du Présidial, du Corps des Eleus, & des autres Compagnies, avec le Présent de Ville ordinaire, qui est de Vin, de Gibier, & de Fruit. Il y eut Bal le soir. Mr Brossard de Montaney le commença avec Mademoiselle de Montplaisant Fille de Mr du Pont Gentilhomme de Bresse. Le lendemain, le matin fut employé à entendre diverses Harangues de la Noblesse de Bugey, des Sindics Genéraux du Païs, & du lieutenant du Bailliage de Bellay. Apres le dîné, Mr le Duc visita l’Eglise de Nostre-Dame de Broü, hors des Murs de la Ville. Elle a esté bâtie par Marguerite d’Autriche Veuve de Philibert le Beau, Duc de Savoye. Tout est régulier, tout est riant, tout est magnifique dans cette Eglise. Les Tombeaux des Ducs de Savoye qu’on y a élevez sont d’un travail achevé, & d’une délicatesse surprenante. Ils sont de Marbre, aussibien que plus de deux mille Statuës qui embellissent ce superbe Bâtiment. Son Altesse fut complimentée par le Prieur qui est un Homme sçavant & curieux, & principalement en Médailles. Elle partit le lendemain pour se rendre en Bugey, où elle vit l’état du Fort de l’Ecluse qui est bâty au milieu d’un Deffilé entre deux Montagnes. Rien n’est si beau que de voir la Riviere qui passe en ce lieu, s’abîmer & se perdre entierement entre ces Montagnes dans un espace qui est d’une tres-médiocre largeur. Ce Prince entra ensuite dans le Païs de Gex, où les Députez de Géneve vinrent luy offrir leur Présent de Vin, & de Truites, & ayant dîné à Colonges qui n’est est qu’à quatre lieuës, il s’avança jusqu’à Sanney, petit Village à un demy quart de lieuë de la Ville d’où on la découvre entierement. Enfin apres avoir visité tout ce Païs, il revint à Bourg le 28. & y fut reçeu comme la premiere fois. Le soir il y eut un grand Bal chez luy. Les plus belles Dames de la Ville s’y trouverent, déguisées à la Bressane, d’une maniere aussi galante que propre. Son Altesse les trouva tres-agreables dans cette parure. Mr Brossard avoit préparé plusieurs petites Entrées de Balet, avec divers Menüets qui plurent fort. On dança jusqu’à deux heures apres minuit. Mr le Duc estant party de Bourg au bruit du Canon & de la Mousqueterie, revint à Châlons, où il fut reçeu comme à son arrivée de Paris. Il se rendit ensuite à Verdun, & de là à Dijon, où l’on ouvrit les Etats le quatriéme du dernier Mois. S. A. S. y expliqua les intentions du Roy & le fit avec toute la grace & la politesse qu’on peut attendre d’un Prince si éclairé & si délicat. Mr Bouchu l’Intendant, qui l’a suivy dans tout son Voyage, & dont nous voyons la réputation si bien établie, parla apres luy, & s’étendit sur la gloire & sur les héroïques vertus de nostre auguste Monarque. Son Discours fut plein d’érudition & de force ; mais d’ailleurs si poly, qu’il n’y eut personne qui n’en fust charmé. Depuis ce jour-là, Son Altessse s’attacha avec une aplication surprenante à examiner & à regler les affaires de la Province. Son divertissement le plus ordinaire estoit de se promener au Cours, & de là à la Colombiere, où une excellente & nombreuse bande de Violons ne manquoit jamais à se trouver. Il y avoit aussi un Concert admirable chez Mr Malateste Conseiller au Parlement, d’un mérite extraordinaire. C’est un Concert Italien qu’il a étably chez luy depuis longtemps. Il est composé de Gens choisis & de qualité. La Symphonie y est admirable, & peu de Personnes en France l’emportent sur ces illustres Musiciens. Le 15. Mr le Duc assista à la Procession genérale. Je ne vous parle point des Régals qui luy ont esté faits par Mr le Premier Président Brulart, par Mr l’Evesque d’Auxerre, & par Mr l’Intendant. Ce Prince ayant à travailler à l’accommodement de Madame Royale, comme Marquise de quelques Terres en Bugey, avec le Bailliage de ce Païs-là, cette illustre Souveraine qui avoit remis ses interest entre ses mains, luy envoya le Fils de Mr le Premier Président de la Perrouse, qui s’acquita de sa commission avec beaucoup d’avantage.

[M. le Marquis d’Entremons est reçeu Lieutenant de Roy de Bresse au Parlement de Dijon] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 117-118.

Dans ce mesme temps, Mr le Marquis d’Entremons fit présenter au Parlement de Dijon les Provisions de la Charge de Lieutenant de Roy de Bresse, qu’il a obtenües de Sa Majesté. Il vint au Palais accompagné de six Carrosses remplis de Noblesse. Tous les Lieutenans de Roy, & les Evesques qui ont droit d’entrer au Parlement, se trouverent à l’Enregistrement de ses Lettres. Il leur donna au sortir de là un magnifique Repas ainsi qu’à plus de cinquante Gentilhommes de Bourgogne & de Bresse.

A Madame la Princesse de Soubise, Sur ce qu’elle est accouchée d’une troisiéme Fille §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 126-129.

Madame la Princesse de Soubise, qui est de la mesme Maison de Rohan, a donné de la joye dans sa Famille, pendant qu’on y a versé des larmes pour Madame de Guimené. Sa grossesse qui estoit tres-proche de son terme, l’empeschant de suivre la Cour à Fontainebleau, elle vint icy, où elle accoucha d’une belle Fille, quinze jours apres que l’Aînée des trois qu’elle avoit se fut retirée du monde pour entrer dans un Convent. Ainsi il semble que le Ciel a pris soin de rendre incontinent à cette Princesse ce qu’elle luy avoit donné, & que la comparaison qui fut faite d’elle à la Mere d’Amour, lors qu’elle mit au monde une troisiéme Fille il y a un an, doit toûjours durer. Vous la trouverez dans ce Sonnet que je vous envoye. Je ne vous en parlay point alors, parce qu’il ne m’estoit pas tombé entre les mains ; mais puis qu’il subsiste aujourd’huy dans toute sa force, par la naissance de cette nouvelle Fille, & que d’ailleurs il mérite bien d’estre veu, je croy devoir rendre à son Autheur la justice qui luy est deuë. Il se fera connoistre quand il luy plaira.

A Madame
la Princesse
de Soubise,

Sur ce qu’elle est accouchée d’une
troisiéme Fille.

        ENfin c’est aujourd’huy, Princesse,
        Qu'en mettant une Fille au jour,
        Rien que vostre rare sagesse
Ne vous distingue plus de la Reyne d’Amour.

***
        Comme elle de Race immortelle,
        Belle comme elle pour le moins,
        Mere de cinq Garçons comme elle,
Vous n’estiez pas encor comme elle en tous les points.

***
        Pour achever la ressemblance,
        Il manquoit une circonstance
        Reservée à ce jour heureux.

***
        La belle Reyne de Cythere,
        De trois Graces estoit la Mere,
        Et vous ne l’estiez que de deux.

[Le roi donne l’abbaye de S. Laon de Thouars à M. Desmarests] * §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 167-168.

L'estime que vous avez pour Mr l’Abbé Regnier Desmarests, de l’Académie Françoise, vous fera apprendre avec plaisir que Sa Majesté luy donna il y a quelques jours l’Abbaye de S. Laon de Thoüars. Il y a beaucoup d’érudition. C'est de luy que sont les belles Traductions de Rodriguez.

[L'Amant invisible, Histoire] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 174-194.

Apres vous avoir parlé de ce qu’on n’auroit pas crû possible autrefois, il faut vous conter une Histoire qui vous surprendra, & qui sans-doute trouvera des Incrédules. On me l’écrit pourtant comme vraye dans toutes ses circonstances, & on me nomme mesme les Personnes interessées, dans le Memoire que j’en ay reçeu, avec assurance que toute la Province où la chose est arrivée, en certifira la verité. Une Fille de Nion (c’est une Ville du Dauphiné) assez bien faite pour inspirer de l’amour, joignoit à beaucoup d’agrémens de sa Personne, des lumieres d’esprit extraordinaires qui luy faisoient découvrir les secrets les plus cachez. Tout le monde la consultoit, & sans observer aucune regle de Chiromancie, il luy suffisoit souvent de regarder ceux qui luy parloient, pour sçavoir ce qu’ils croyoient n’estre connu de personne. Elle n’auroit pas eu de peine à persuader qu’elle eust eu des revélations, si elle eust voulu joüer le personnage de Sainte ; mais l’hypocrisie l’eust trop fait souffrir, & elle trouvoit mieux son compte à laisser croire qu’il y avoit de la Magie en son fait, que de détruire cette opinion par les gesnes d’une vie étudiée. Elle voyoit ses Amis, rioit la premiere de l’opinion qu’on avoit d’elle, & se faisant un plaisir de l’admiration où elle mettoit tous ceux dont elle devinoit les secrets, elle faisoit paroistre des connoissances qui embarassoient les plus éclairez. Un Auvergnac, arresté à Nion par quelques affaires, l’alla consulter comme les autres, & il fut si satisfait, & de ses réponses, & de la maniere agréable dont elle soûtint une assez longue conversation, que l’ayant reveuë plusieurs fois avec le mesme plaisir, il prit insensiblement de l’amour pour elle. Il estoit riche, & comme elle ne l’ignoroit pas, & que le party l’accommodoit elle profita si bien de son foible, qu’il parla enfin de Sacrement. La parole en fut donnée, & l’exécution remise au retour d’un voyage de trois Mois, qu’il ne se pouvoit dispenser de faire. Les Lettres luy adoucirent le chagrin de l’éloignement. Les trois Mois passerent. L'Auvergnac revint, & à peine fut-il arrivé, qu’il courut au Logis de sa Maistresse. Il monta jusqu’à sa Chambre sans trouver personne qui pust l’avertir. La Porte n’en estoit qu’à moitié fermée, & comme il entendit quelqu’un qui parloit, il s’arresta quelque temps à écouter. La voix luy fut inconnuë. Il distingua seulement qu’elle venoit de la ruelle du Lit, où la conversation se faisoit. Il presta l’oreille, & sans pouvoir voir personne, parce que les Rideaux estoient baissez, il fut fort surpris d’entendre qu’il faisoit la matiere de l’entretien. On rendoit compte à la Belle de toutes les particularitez de son voyage, & apres qu’on l’eut assurée de son retour, celuy qui parloit éleva sa voix, nomma l’Auvergnac, & luy demandant tout haut ce qu’il faisoit à la Porte ; ajoûta qu’il n’avoit qu’à s’avancer. L'Auvergnac le fit, & ne demeura pas moins étonné de ne voir personne avec sa Maistresse, qu’elle parut interdite de ce qu’il estoit entré dans sa Chambre à contretemps. Le trouble qui les saisit l’un & l’autre empescha les témoignages de joye que se donnent ordinairement deux Amans apres une longue absence. L'Auvergnac demanda à la Belle, où estoit celuy qui le venoit d’appeller, & croyant qu’il se seroit caché dans un petit Cabinet qu’il vit ouvert de ce costé-là, il y entra sans qu’elle cherchast à l’en empescher. Il n’y vit personne, & entendit de grands éclats de rire dans la Chambre dont on ferma la Porte avec bruit. La Belle se rassura pendant qu’il fut dans le Cabinet, & se trouvant obligée de l’éclaircir, elle luy fit croire qu’une de ses Amies à qui on avoit écrit tout ce qui luy estoit arrivé dans son voyage, l’avoit apperçeu à la Porte, du bord de son Lit où elle s’estoit assise ; qu’elle s’estoit jettée sur le Lit apres l’avoir appellé, & que n’en ayant point esté veuë, elle avoit poussé la piece pour se divertir, en s’échapant sans s’estre montrée. L'Auvergnac aimoit. Il y avoit de l’apparence qu’on luy disoit vray, & il ne demandoit pas mieux que d’estre content. L'excuse le satisfit. Il reçeut de grandes carresses, & sa passion fut si fort augmentée, qu’il pressa luy-mesme le Mariage qu’on souhaitoit. Le jour en fut pris. Il venoit voir la Belle à toute heure, & ne trouvoit jamais personne avec elle. Il estoit charmé de cette conduite, & il touchoit presque au moment qui le devoit unir avec sa Maistresse, quand l’entretenant dans sa Chambre à son ordinaire, il vit tomber à ses pieds un Billet qui avoit esté jetté par la fenestre. Il le ramassa, & fut fort surpris d’y lire ces mots.

Vous estes trop des Amies de mon Rival pour me pouvoir conserver plus longtemps des vostres. Je vous déclare que si vous ne rompez avec luy, je ne suis plus vostre Raguiny

L'Auvergnac, jaloux naturellement, ne s’accommoda pas de ce Billet. Le nom de Rival l’épouvanta. Il voulut sçavoir qui estoit ce Raguiny, & n’en pouvant tirer aucun éclaircissement de la Belle, qui soûtint toûjours que c’estoit une piece qu’on luy faisoit, il se retira fort résolu de ne rien précipiter. Il n’avoit pas envie d’estre la Dupe d’un Rival aimé ; & comme il n’y a rien qui ne se découvre avec le temps, il ne douta point qu’en ne se mariant pas si-tost, il ne vinst à bout de s’instruire de la verité. Il eut beau faire. Les Espions qu’il mit jour & nuit autour du Logis de sa Maistresse, n’y virent entrer personne, & le nom de Raguiny estoit inconnu à toute la Ville. Apres avoir employé trois mois à cette recherche sans qu’on le détournast d’épouser la Belle par aucune autre raison que parce qu’on soupçonnoit qu’elle fust Sorciere, il se laissa emporter à sa passion. Le Mariage se fit, & l’Auvergnac se trouva heureux d’estre possesseur d’une Personne qui n’estoit qu’esprit, & qui d’ailleurs ne manquoit pas de beauté. Son bonheur ne fut troublé d’aucune disgrace pendant quelque temps. La Belle luy donnoit mille marques de tendresse. Toutes ses complaisances estoient pour luy, & elle vivoit dans une si grande retraite, qu’il luy demandoit tous les jours pardon d’en avoir esté jaloux. Les choses changerent. Il entra un soir dans une Chambre où il avoit choisy son Cabinet, & il n’y eut pas fait si-tost quelques pas, qu’on éteignit tout d’un coup la lumiere qu’il portoit. Ce fut assez pour le faire crier au Voleur. Il trouvoit du monde où il devoit estre seul, & il n’y avoit pas d’aparence qu’on y fust venu de nuit sans mauvais dessein. On paya ses cris de cinq ou six coups de Cane tres-vivement appliquez sur les épaules, & il entendit en suite que quelqu’un s’échapoit par l’Escalier. Il cria tout de nouveau au Voleur. On vint au secours, & les Domestiques l’ayant assuré qu’ils n’avoient veu descendre personne, & que la Porte de la Ruë estoit fermée à la clef, il ne douta point que celuy qu’il avoit surpris dans la Chambre, ne se fust caché. Il prit son Epée, fit armer ses Gens, & chercha par tout. Ce fut inutilement. Il ne trouva rien, & la Belle qui luy aidoit à chercher, prétendant qu’il y avoit de l’imagination dans l’Histoire du Voleur, il se le seroit volontiers persuadé, si les coups de Cane eussent esté un peu moins réels ; mais il les avoit trop bien sentis, pour croire qu’il n’eust fait que s’imaginer les avoir reçeus ; & voulant qu’on eust oublié la visite de quelque recoin, il ne se coucha qu’apres de nouvelles perquisitions. Comme il n’y fut pas plus heureux que dans les premieres, il craignit qu’il n’y eust quelque chose de surnaturel dans le Voleur prétendu. Le Billet qui estoit venu par la Fenestre sans qu’il eust pû découvrir qui l’avoit jetté, luy frapa l’esprit. Sa Femme estoit soupçonnée d’avoir de terribles connoissances ; & quelque tendresse qu’elle luy marquast, il ne sçavoit s’il pouvoit se croire en seûreté avec elle. Ces refléxions l’occupérent toute la nuit. Il cacha ce qu’il en soufroit, & s’estant couché le lendemain à son ordinaire, toûjours remply des fâcheuses pensées qui le tourmentoient, il crût entendre quelqu’un parlant tout-bas à sa Femme. Il presta l’oreille, se saisit de son Epée, & sautant à la Ruelle d’où venoit le bruit, il s’y sentit accabler de coups sans trouver personne. Sa Femme fit l’étonnée, & luy demanda la cause de son transport. Il n’estoit pas en état de luy répondre. La certitude qu’il eut par cette nouvelle épreuve que l’Ennemy qui s’accoûtumoit à le régaler de ses faveurs estoit invisible, luy donna un si grand sujet de s’effrayer, qu’il en demeura sans connoissance. Un prompt secours le fit revenir. Il ordonna à ses Gens de le veiller, & passa le reste de la nuit comme il put, sans vouloir parler sur son accident. Le lendemain il se retira chez un Amy, où une violente fievre qui le saisit, fit quelque temps douter de sa vie. Toute la Ville fut informée de ce qui luy estoit arrivé, & personne ne le blâma d’avoir fait divorce avec sa Femme. Il est résolu à ne retourner jamais avec elle, & se haste de terminer ses affaires pour s’éloigner de Nion. Il faudroit presque donner dans la ridicule opinion des Gnomes & des Silphes, pour n’estre pas embarassé de cette avanture. Elle a dequoy exercer vos raisonnemens. Je vous ay nommé le lieu. Il vous sera aisé de sçavoir si j’adjoûte rien aux circonstances.

[Mariage de M. le Marquis de Seignelay avec Madem. Matignon] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 215-243.

Vous aurez sans-doute appris que Mr le Marquis de Segnelay, Secretaire d’Etat, a épousé Mademoiselle de Matignon. Mr l’Evesque de Lisieux l’ancien, Commandeur des Ordres du Roy, en fit la Cerémonie le 6. de ce Mois, assisté de Mr l’Evesque de Lisieux son Neveu. Mr le Marquis de Segnelay estoit arrivé le jour précedent avec Mr le Comte de Gaçey Matignon, & avoit esté reçeu par une grande Troupe de Noblesse qui alla au devant de luy, & par toute la Bourgeoisie de Lisieux sous les armes, au bruit du Canon & de la Mousqueterie. Le mérite de cet illustre Marié vous est connu. Je vous en ay déja parlé plusieurs fois, ou plûtost je vous ay laissé entendre parler le Public, vous ayant toûjours envoyé les mesmes choses qu’on m’écrivoit de ses grandes lumieres, & de son activité pour le service du Roy. Les loüanges données par des Témoins qui ne cherchent point à estre nommez, ne peuvent estre suspectes, puis qu’elles ne sont qu’un témoignage qu’on rend à la verité. Mademoiselle de Matignon, aujourd’huy Madame la Marquise de Segnelay, n’est pas moins considérable par les avantages de sa Personne, & par son air également doux & noble, que par la grandeur de sa Naissance. Tout le monde sçait que du costé paternel, elle peut compter dans sa Maison cinq ou six Chevaliers de l’Ordre, depuis le Maréchal de Matignon, un des plus grands Hommes de son Siecle ; & que du costé maternel, elle a l’honneur d’avoir eu pour Ayeule Eleonor d’Orleans, Princesse de la Maison de Longueville, qui estoit Fille d’une Marie ou Marguerite de Bourbon, Tante de Henry IV. La Feste qui suivit ce Mariage fut des plus pompeuses. Mr le Duc de Beauvilliers, & Madame la Duchesse de Chevreuse, s’y trouverent ; & Mr de Matignon, Lieutenant de Roy en Normandie, fit connoistre par une dépense digne de luy, qu’il n’oublioit rien pour honorer en la personne de Mr de Segnelay son Gendre, le Fils de Mr Colbert Ministre d’Etat. Ce grand Homme alla attendre cette Compagnie à Sceaux le Lundy 11. de ce Mois. Elle remplissoit neuf Carrosses à six Chevaux, & trouva dans la magnifique Reception qui luy fut faite avec un ordre admirable, que jamais personne ne sçeut mieux que luy faire les honneurs de sa Maison. On passa à Sceaux le Mardy entier, & ce fut un jour où rien ne manqua de tous les plaisirs qui peuvent accompagner une grande Feste. Il y eut dans la belle Chapelle faite par Mr le Brun, une excellente Musique de la composition du Sr Oudot. Chacun en sortit tres-satisfait. Vingt quatre Violons se firent entendre pendant le Dîné. Vous jugez bien que tous les Repas furent somptueux. On prit en suite le divertissement d’un petit Opéra en Musique. Rien ne pouvoit mieux convenir au lieu, puis qu’il fut chanté dans le Cabinet de l’Aurore, & qu’il représentoit les Amours de cette Déesse & de Titon. Comme le Prologue en a extrémement plû, il n’a pû échaper à quelques mémoires heureuses. C'est par là qu’il m’est tombé entre les mains. Je vous l’envoye, afin que vous partagiez en quelque façon les plaisirs de cette Feste. Ce Prologue estoit chanté par l’Aurore.

Lors que mes feux naissans ont de l’Astre du Jour
    Annoncé le pompeux retour,
Et sur ceux de la Nuit remporté la victoire,
Je viens dans ces Jardins où tout charme les yeux,
J'y trouve tant d’appas, qu’à peine puis-je croire
    Avoir quitté les Cieux.

***
Le Maistre de ces Lieux touché de mes attraits,
    M'a fait élever ce Palais,
Et m’en a consacré la demeure charmante.
D'autres Divinitez ont brigué cet honneur ;
Mais on pouvoit juger que la plus diligente
    Luy toucheroit le cœur.

***
Nous méprisons tous deux les douceurs du Sommeil ;
    Avant le lever du Soleil,
A d’illustres travaux nostre employ nous appelle ;
Pour le plus beau des Dieux je renonce au repos,
Il veille incessamment pour la gloire immortelle
    De nostre grand Héros.

La Promenade qui se fit sur la grande Piece d’eau en octogone, succeda à ce divertissement de Musique. On s’embarqua sur trois petites Galeres peintes & parées magnifiquement. Apres qu’on se fut promené quelque temps sur l’eau, on vint voir l’Orangerie ; c’est un lieu fort agreable & tres-bien peint. On en sortit, pour aller faire un tour de Jardin ; & Mr Colbert ayant ramené la Compagnie au mesme lieu comme pour le traverser, elle fut extraordinairement surprise d’y voir un Théatre tout dressé, une fort belle Décoration, des Lustres allumez, & des Sieges pour une grande Assemblée. Cela parut un Enchantement, parce qu’on n’avoit pas mesme veu de Comédiens dans la Maison. La Troupe du Roy du Fauxbourg S. Germain, joüa le Mitridate de Mr Racine. Cette Piece fut si bien représentée, que Mr Colbert dit qu’il n’avoit jamais esté plus satisfait de la Comédie. On monta de là à une grande Salle, où le Soupé estoit préparé, & d’où l’on vit en suite un Feu d’artifice le plus beau & le plus agreable qui ait esté veu depuis fort longtemps. Il estoit composé de deux Corps de Feu, l’un d’air, & l’autre d’eau. Le premier estoit dans un fond, hors les Jardins du Chasteau de Sceaux. On l’avoit dressé sur cinq lignes de six Quaisses chacune de Fusées de partement & de doubles Marquises, qui font trente Quaisses de 4. 6. 8. 10. & 12. douzaines de Fusées chacune. Sur la derniere de ces lignes estoit une Grande de 36. douzaines de Fusées chacune. Sur la derniere de ces lignes estoit une Girande de 36. douzaines de Fusées. A costé de toutes ces Quaisses, il y avoit cent douzaines de Pots à feu qui tiroient avec toutes les Fusées ; & derriere le Feu, plusieurs Chevalets où estoient posées 36. grosses Fusées d’honneur qui furent tirées trois à trois avant le Feu d’air.

Celuy d’eau estoit dans le Jardin sur le bord du Canal, composé d’une Pyramide de vingt-six pieds de haut sur seize de large, à laquelle on avoit attaché quinze Soleils ; & sur les bords du Canal estoient cinquante douzaines de Fusées d’eau qui furent tirées dans le mesme temps de la Pyramide, derriere laquelle il y avoit une autre Girande de 30. douzaines de Fusées doubles Marquises, qui fut tirée la derniere.

Les Fusées d’eau & les Soleils, sont d’une composition toute autre que celle des Fusées d’eau qu’on a veuës jusques icy. C'est le Sr Gervais qui en est l’Inventeur. Il en a fait plusieurs épreuves devant le Roy & Mr Colbert, avec toute la satisfaction qu’il en pouvoit souhaiter.

Le lendemain toute cette illustre Compagnie vint à Paris, où les deux Familles se separérent, avec une si égale satisfaction de ce Mariage, qu’on auroit peine à dire laquelle des deux en montre le plus.

Mr le Marquis de Segnelay, avec Madame la Marquise sa Femme, & Madame Colbert, alla à Fontainebleau, où Sa Majesté luy fit connoistre par beaucoup de témoignages obligeans que cette alliance luy estoit fort agreable. Il devoit partir bientost apres pour Provence par ordre du Roy, pour y remplir les devoirs de sa Charge, dont il s’acquite avec la plus parfaite application. C'est dans ces voyages que ses lumieres sur le fait de la Marine, ont toûjours surpris les plus éclairez.

Il ne me reste plus qu’à vous apprendre de quelles Personnes la belle Assemblée de Sceaux estoit composée. Il y avoit du costé de Mr de Matignon,

Mr l’Evesque de Lisieux l’ancien, grand-Oncle de la Mariée. L'estime que ses grandes qualitez luy ont acquise, est trop genérale pour ne vous estre pas connuë.

Mr l’Evesque de Lisieux son Neveu. Il remplit tres-dignement la place que Mr son Oncle luy a bien voulu mettre en dépost, & ne se fait pas moins admirer par sa fermeté à maintenir la discipline Ecclesiastique dans son Diocese, que par le bon exemple qu’il donne, & par sa magnificence pour la décoration de son Eglise & de son Palais Episcopal.

Madame de Matignon la Doüairiere. On peut dire d’elle que si la force de son esprit luy fait mériter beaucoup de loüanges, on ne luy en peut trop donner pour sa conduite. C'est elle qui a rendu cette Maison aussi florissante que nous la voyons, & qui par ses soins & par sa sage œconomie, a ménagé les grands Biens qui en soûtiennent l’éclat.

Mr de Matignon, Pere de la Mariée. Il est lieutenant de Roy en Normandie, & d’un mérite qui le fait également aimer & respecter par la Noblesse & par les Peuples.

Madame de Matignon sa Femme. Elle est de la Maison de la Lutumieres. Sa vertu & la bonté de son esprit ne brillent pas moins que la pieté extraordinaire dont elle a laissé des impressions à Mesdames de Torigny & de Segnelay ses Filles, par la grande & sage application qu’elle a toûjours euë à les élever en Personnes de leur naissance.

Mr le Comte de Torigny. Il ne se distingue pas moins par sa bonne mine & par son air noble, qu’il s’est toûjours distingué par sa valeur & par les autres qualitez qui luy font soûtenir le nom de Torigny avec tant d’éclat. Il est Frere de Mr de Matignon dont il a épousé la Fille, & a présentement la Survivance à sa Charge de Lieutenant de Roy en Normandie.

Madame la Comtesse de Torigny. Elle a une douceur admirable dans sa Personne, & de l’esprit autant qu’on en peut avoir.

Mr le Comte de Gaçey. Il est tres-bien fait, fort sage dans sa conduite, & a fait éclater sa valeur dés sa plus tendre jeunesse. Ce qu’il fit en Candie sous Mr de la Feüillade en est une preuve. Il alla l’Epée à la main, attaquer les Turcs jusque dans leurs Retranchemens, & y reçeut un coup au visage dont il porte encor l’honorable marque. On luy rend justice quand on le regarde comme le digne Heritier des grandes qualitez de l’autre Comte de Gaçey son Frere, qui avoit acquis tant de réputation à la Cour & dans les Armées, & que le Roy honoroit de ses bonnes graces & de son estime. Il reçeut un coup mortel à la Bataille de Senef, dont il mourut quelques jours apres. Celuy dont je vous parle luy a succedé au Commandement du Regiment de Vermandois.

Madame la Marquise de Nevet. Elle est Veuve de Mr le Marquis de Nevet, & Sœur de Mr de Matignon. C'est une des plus belles Femmes de France, & qui n’est pas moins recommandable par la bonté de son cœur & de son esprit, que par les charmes de sa personne.

Madame la Comtesse de Coigné. C'est une autre Sœur de Mr de Matignon, Femme de Mr le Comte de Coigné-Franquetot, qui commande un des Regimens du Roy. Elle a de la beauté, de l’esprit, & de cet esprit doux & agreable qui se fait aimer par tout.

Il faut présentement vous parler de ceux qui se trouverent à cette Feste du costé de Mr Colbert.

Mademoiselle de Blois. Tout ce qu’on peut dire de cette Princesse, ne sçauroit donner qu’une idée tres-imparfaite de son mérite. On voit briller dans ses yeux l’auguste Sang qui l’anime, & elle est d’une beauté & d’une grace si extraordinaire, qu’on ne la peut voir qu’avec autant d’admiration que de surprise.

Monsieur Colbert. Ce grand Ministre est au dessus de toutes loüanges, & il en mérite par tant d’endroits, que j’ay tous les jours de nouvelles occasions de vous en parler.

Madame Colbert. Sa vertu & ses grandes qualitez sont connuës de toute la France, & la sagesse de sa conduite est marquée particulierement par la bonne éducation qu’elle a donnée à Mademoiselle de Blois, une des plus parfaites Princesses du monde.

Mrs les Ducs de Chevreuse, de Beauvilliers, & de Mortemar, Gendres de Mr Colbert, avec Mesdames leurs Femmes, Mr l’Abbé Colbert Docteur de Sorbonne, & Mr l’Ambassadeur Colbert, Président à Mortier. Je vous ay parlé de ce dernier dans cette Lettre & du mérite de tous les autres, dans plusieurs Articles que vous avez veus en divers temps.

Mr le Comte de Menarts. Il est Frere de Madame Colbert, Maistre des Requestes, & Intendant pour le Roy en la Genéralité d’Orleans. Il fait paroistre tant de conduite & d’esprit dans les Emplois que Sa Majesté luy donne, qu’il ne faut pas s’étonner s’il est si genéralement estimé.

Madame de Menarts sa Femme. Elle est belle, & joint une fort grande douceur aux charmes de sa personne.

Madame de Sommery, Sœur de Madame Colbert, & Mademoiselle de Sommery sa Fille. Elles ont paru dans cette Feste avec beaucoup d’avantage, & ont admirablement soûtenu celuy qu’elles ont d’estre d’une Famille toute illustre.

Madame de Bellisani. Elle s’est acquis l’estime particuliere de Mr & Madame Colbert, & on ne le peut, sans avoir infiniment du mérite.

Voila, Madame, ce que j’avois à vous dire d’un Mariage dont je sçay que je ne pouvois vous apprendre trop de particularitez.

[Madrigal inpromtu par Madame le Camus] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 243-247.

Pour continuer à vous entretenir agréablement, je vous fais part de deux Madrigaux inpromptu qui ont esté veus de toute la Cour. Je ne doute point que vous ne leur donniez la mesme approbation qu’ils y ont reçeuë. L'un est de la spirituelle Madame le Camus à Mr de S. Aignan, qui luy en avoit déja envoyé plusieurs. Cet illustre Duc que la force & la délicatesse de son Esprit ne distinguent pas moins que les avantages de sa Naissance, y a fait réponse sur le champ par les mesmes rimes, à l’exception de la seconde qu’il a changée.

A Monsieur
Le Duc de S. Aignan.

Mon cœur depuis longtemps s’estoit accoûtumé
À soufrir qu’on m’aimast sans en estre alarmé ;
Mais je sens depuis peu que sa peine est extréme,
        Je croy qu’il craint que l’on ne m’aime.
Je le surpris hyer avant la fin du jour
        S'entretenant avec l’Amour,
Ils paroissoient tous deux en grande intelligence ;
        Il m’en fait encor un secret ;
Dés qu’il me l’aura dit, si vous estes discret,
        Je vous en feray confidence.

Réponse de Monsieur
Le Duc de S. Aignan
A Madame le Camus.

MOn cœur depuis longtemps n’est plus accoûtumé
A ces marques d’amour dont j’estois si charmé,
On ne m’en donne plus sans une peine extréme ;
    S'il arrive au matin qu’on m’aime,
    On s’en repent avant la fin du jour,
        Tant je suis mal avec l’Amour.
Ne laissons pas pourtant d’estre d’intelligence,
        Je sçay bien garder un secret ;
Et si l’on ne me veut comme un Amant discret,
        Je suis propre à la confidence.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre [tome 9], 1679, p. 247-248.

J’ajoûte icy des Paroles mises en Air depuis peu. J’en ay fait graver les Notes pour vous.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Aimables Lieux, paisible Solitude, doit regarder la page 247.
Aimables Lieux, paisible Solitude,
Seuls Confidens de nos derniers adieux,
    Soyez témoins de mon inquiétude,
Soyez témoins des pleurs que font couler mes yeux.
Le bel objet qui me les fait répandre,
Hélas ! mérite bien mon ardeur & mes soins ;
    Il a comme moy le cœur tendre,
Aimables Lieux, vous en estes témoins.
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[Tout ce qui s’est passé depuis le jour de la Cerémonie du Mariage de la Reyne d’Espagne, tant à Paris qu’à Fontainebleau, jusques à son départ de la Cour, avec les Harangues qui luy ont esté faites] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 259-359.

Ce seroit icy le lieu, Madame, de vous faire la Relation des Cerémonies du Mariage de Mademoiselle, mais ma Lettre est déja si avançée que je ne pourrois l’y faire entrer sans estre obligé de remettre à une autre fois le récit de ce qui s’est passé au regard de cette nouvelle Reyne, depuis le jour de son Mariage, jusqu’à son départ de Fontainebleau, pour prendre le chemin d’Espagne. Dans cette necessité de vous faire attendre l’une ou l’autre Relation, j’ay crû que vous consentiriez avec d’autant moins de peine au retardement de la premiere, que je vous en ay déjà envoyé une du Bureau qui mérite toutes les loüanges que vous luy donnez. L’exactitude qui y paroist, & qui la fait rechercher de tout le monde avec beaucoup de justice, semble ne m’avoir rien laissé de nouveau à vous dire sur ce sujet. Cependant comme il échape toûjours mille choses aux yeux les plus clairvoyans & à la mémoire la plus heureuse, j’espere que ce que je vous ay promis, & que je vous promets encor de nouveau, sera tout diférent de ce que vous avez déjà veu, à la reserve du Corps qui ne sçauroit estre que le mesme. Tous ceux qui ont eu rang à la Cerémonie y seront nommez ; tous les Habits des Fiançailles, & du jour du Mariage, décrits ; quantité d’autres choses dépeintes ; & enfin tout dans l’ordre où il a esté, sans que la moindre particularité y soit oubliée. Je fais graver une Planche que j’y joindray, & qui vous fera connoistre les places de tous ceux qui estoient dans la Chapelle. Ce soin & ces diférentes recherches demandent du temps, & c’est par cette raison qu’il est impossible de ne se pas méprendre aux circonstances, si elles sont en grand nombre, ou de n’en laisser échaper aucune, quand on est obligé de donner des Relations dans le mesme temps que les choses se sont passées. Je ne remettray pourtant pas la mienne jusqu’au Mois prochain. Vous l’aurez dans le septiéme Extraordinaire que vous recevrez le 15. d’Octobre ; & afin que vous soyez persuadée que je ne pers pas un moment pour tenir les choses prestes, j’ay déjà fait graver le Portrait de la Reyne d’Espagne, sur le mesme dessein qui a servy à faire l’Habit qu’elle avoit le jour de son Mariage, & vous l’envoyeray dans le mesme temps.

Je viens à ce qui se fit le soir de ce grand jour, qui fut le Jeudy 31. d’Aoust. La Troupe des Italiens représenta une de leurs plus plaisantes Comedies, qui a pour Titre le Medecin du temps. Apres ce divertissement, le Roy fit passer les Reynes, & toute la Cour, dans la Galerie d’Ulisse. On l’appelle ainsi, à cause que les Travaux d’Ulisse y sont dépeints en 58. Tableaux, dont les sujets sont tirez d’Homere. Leurs Majestez virent de là un Feu d’artifice, dressé dans la Court du Cheval blanc, par les soins des Srs Gervais, Caresme, & Morel, qui y avoient tous trois travaillé. Comme y ils ont fait entrer des choses nouvelles que l'artifice n'avoit point encor fait voir, vous ne serez pas fâchée d'en avoir la description. Ce Feu contenoit vingt toises de face sur autant de profondeur. On fit douze lignes de quatre Quaisses de Fusées volantes de partement, qui font 48. Quaisses, dont il y en avoit 36. de cinq douzaines de Fusées chacune, & douze de huit. On appelle Fusées de partement les petites Fusées volantes. Entre ces quarante huit Quaisses, il y avoit trois cens douzaines de Pots-à-feu, sans compter les Balons d'air. Dans le milieu de la face du Feu, estoit une Gerbe de cent Trompes à feu, dont chacune jettoit des Serpenteaux par cinq reprises. Trois toises derriere estoit la Girande. C'est une espece de Tour, dans laquelle il y avoit cent grosses Fusées d'honneur, & tout autour huit Quaisses, chacune de douze douzaines de Fusées d'honneur doubles Marquises, qui sont Fusées de moyenne grosseur. À deux toises des deux costez de la Tour, on avoit dressé deux Bastions, composez chacun de cinq Quaisses. Autour du corps du Feu, on voyoit plusieurs Chevalets, sur lesquels il y avoit deux cens grosses Fusées d'honneur, & douze Fusées de gloire. Ces dernieres n'avoient point encor paru dans aucun Feu. Elles sont de l'invention du Sr Gervais, qui a fait seul le Feu de Sceaux dont je vous ay parlé dans cette Lettre. Ces Fusées de gloire pesent environ trente livres chacune, & portent sur leurs testes jusqu'à neuf cens Serpenteaux, ou mille Etoiles.

Toute la Cour estant arrivée, on commença à tirer le Feu, par les deux cens Fusées d'honneur. On les tira six à six, & ensuite les douze Fusées de gloire l'une apres l'autre. Cela estant fait, le Corps du Feu se fit entendre avec un bruit surprenant, par les cent Trompes dont la Gerbe estoit composée. On fit joüer en mesme temps les Quaisses & les Pots-à-feu des lignes. Tout fit son effet successivement, & ce fut par la Girande qu'on finit. Elle estoit de cent grosses Fusées d'honneur, comme je vous l'ay déja marqué, & de deux cens seize douzaines de Fusées doubles Marquises, qui partirent toutes ensemble.

Le Feu d’artifice ayant agreablement diverty Leurs Majestez, Elles vinrent souper dans l’Apartement de la Reyne. Celle d'Espagne estoit à table, ayant le Roy à sa droite, & la Reyne à sa gauche. La Serviete luy fut donnée par Mr Sanguin Premier Maistre d'Hôtel ; & Mr le Marquis de Livry son Fils reçeu en survivance, la donna au Roy. Apres le Soupé, la nouvelle Reyne se retira dans l’Apartement qui luy avoit esté preparé. C'estoit celuy qu'occupoit la feu Reyne Mere. Outre qu'il est tres beau de luy-mesme, il estoit orné de Meubles si riches, qu'il en prenoit un nouvel éclat. Ce fut là que pour luy faire honneur, le Major des Gardes luy vint demander le Mot par ordre du Roy. Vous sçavez, Madame, que c’est ce qu’on appelle le Mot du Guet. Les Commandans le reçoivent de Sa Majesté, & à l’Armée ils le prennent du General. Ils le donnent en suite aux Sentinelles qui ont ordre d’arrester tous ceux qui ne leur disent pas ce Mot. Ainsi le Guet & les Rondes qui se font la nuit ne pourroient passer s’ils ne le sçavoient. Le Reyne d’Espagne fut fort agreablement surprise de la déference que le Roy avoit pour Elle, & des honneurs qui luy faisoient rendre ; mais comme il estoit question d’une chose qu’elle ignoroit, elle demanda ce qu’il falloit faire. On luy répondit que l’usage le plus ordinaire en France, estoit de donner le nom d’un Saint. On luy entendit dire en mesme temps Charles, & ce mot choisy marqua d’autant plus les sentimens de son cœur, que le Roy d’Espagne porte ce nom, & qu’elle l’avoit épousé ce même jour.

Le lendemain qui estoit le premier de ce Mois, cette Princesse alla chez la Reyne le matin, & l’apresdîner elle reçeut les visites de Mademoiselle d’Orleans, de Madame la Grand’Duchesse de Toscane, & de Madame de Guise. Elle leur fit donner des Fauteüils, & les alla voir ensuite dans leurs Apartemens.

Le soir il y eut Bal dans une grande Salle de l’Apartement de la Reyne d’Espagne. Cette Salle estoit tenduë des plus riches Tapisseries du Roy, & éclairée de trente-trois Lustres de Cristal, qui faisoient admirablement briller de tous costez le nombre presque incroyable de Pierreries, dont toutes les Dames avoient meslé l'ornement à leur parure. Sa Majesté s'y rendit avec un Habit à boutonnieres d'or trait, garnies par dessus de tres-petits Boutons faits d'or trait. Le fond en estoit d'un Droguet d'or tres beau. On avoit brodé le plein de ce mesme Habit d'une Lisiere d'or ; & une Cartisane aussi d'or, en marquoit les compartimens. Le Baudrier estoit d'une broderie de mesme, tout plein & tout à fait riche ; la Garniture, d'un tissu étroit or & vert, & le Chapeau garny d'un Bouquet de Plumes vertes, un peu meslé. Le Roy mena dancer la Reyne d’Espagne ; Monseigneur le Dauphin dança avec la Reyne ; Monsieur avec Madame, & ensuite les Princes & Princesses du Sang. La jeune Princesse d’Osnabrug ; Fille de la Duchesse de ce nom, parut beaucoup dans ce Bal, tant pour sa beauté, que pour son bon air & ses manieres aisées. Elle n’a que dix à onze ans, sçait déja les Langues, dance tres-bien, & touche le Clavessin avec une grace merveilleuse.

Le Samedy 2. de ce Mois, la Reyne d’Espagne reçeut les Complimens de tous les Ambassadeurs & Envoyez Extraordinaires. Mr le Comte de Vermandois, Mademoiselle de Blois, & Madame la Duchesse de Verneüil, allerent ensuite chez Elle. Elle leur fit donner des Chaises à dos. Monseigneur le Dauphin y alla à onze heures & demie. la Reyne entra un moment apres. Comme on n'avoit point averty la Reyne d'Espagne, elle ne put que la recevoir dans sa Chambre. Le Roy la vint voir presque dans le mesme temps. Elle en eut avis, & alla au devant de luy jusqu'à la Porte de son Antichambre. Il passa le premier, & un peu apres ils sortirent tous ensemble pour aller entendre la Messe. Elle y fut placée sur un Prie-Dieu entre Leurs Majestez, comme au jour du Mariage. L’apresdînée, le Roy alla chez Madame. Il y trouva la Reyne d’Espagne en Habit de Chasse, & estant monté dans une Calêche avec Elle & avec Madame, il les mena à la Chasse au Lievre. Ils vinrent de là se promener au bord du Canal. La Reyne y estoit avec Mademoiselle d’Orleans, & Madame la Grand’Duchesse. La Comedie Françoise succeda au plaisir de la Promenade. Crispin Musicien fut représenté ce soir-là, & divertit fort la Compagnie. Le Dimanche, Mr le prince de Conty, & Mr le Prince de la Roche-sur-Yon, allerent voir le Reyne d’Espagne. Elle leur fit donner des Chaises à dos, ainsi qu’à Mrs les Cardinaux de Boüillon & de Bonzi, qui luy rendirent visite en Rochet & en Camail. Le Lundy, elle partit de Fontainebleau, & apres avoir dîné au Bouchet (c’est une Maison qui apartient à Madame la Marquise de Clairambaut, Dame d’Honneur de Madame) elle arriva à Paris. Elle estoit dans un Carrosse du Roy, avec Monsieur, Madame, & Mademoiselle, ayant pour escorte cent Gardes-du-Corps, commandez par Mr du Repaire Lieutenant, & par deux Exempts. Mr du Saussoy Ecuyer du Roy, nommé par sa Majesté pour la conduire jusque sur la Frontiere, estoit dans le second Carrosse. Celuy des Ecuyers est appellé second Carrosse, quoy qu'il précede toûjours. Les Gardes du Corps avoient l'Epée haute quand elle entra dans la Ville, comme quand ils sont à la suite de Sa Majesté. Le Peuple estoit en foule dans toutes les Ruës de son passage, & s’obstina à y demeurer, quoy qu’il fust fort tard, car à peine pouvoit-on distinguer les objets quand cette Reyne arriva. Elle trouva les Soldats des Gardes en haye devant le Palais Royal, leurs Officiers en teste, & des Sentinelles à la grande Porte en dehors ; & en dedans proche de la mesme Porte, des Gardes de la Porte rangez en haye. Dans la seconde Court au bas de l'Escalier, il y avoit des Archers de la Prevosté en haye, & des Cent Suisses le long du grand Degré, ainsi que des Gardes du Roy dans la Salle des Gardes de Monsieur, car ce Prince luy avoit cedé son Apartement. Des Huissiers du Cabinet & de la Chambre du Roy, s'estoient mis à toutes les Portes. Cet Apartement estoit magnifiquement meublé. Il y avoit dans une Antichambre une Tapisserie de Satin blanc de tres-grand prix, remplie de quantité de figures de la Chine, travaillées toutes avec de l'or, de l'argent, & de la soye. La Chambre qui suivoit estoit meublée d'un Brocard d'or. Il y avoit un Lit d'Ange de la mesme Etofe, dont le Ciel estoit à pans, un grand Miroir d'argent, des Bras tout autour en forme de Plaques, aussi d'argent ; quantité de Vases & de Bassins de vermeil doré dans la Cheminée, aussibien que sur deux Cabinets d'une tres-grande beauté. On passoit ensuite dans un petit Cabinet tout orné de Tableaux de prix, & l'on entroit de là dans le grand Cabinet des Audiences. Il est impossible de rien voir de plus magnifique. Il estoit meublé de Brocard d'or & d'argent, à fond blanc, les fleurs fort relevées. Au haut de la Tapisserie, tout autour de ce Cabinet, regnoit un Point d'Espagne d'or, d'environ un pied & demy. Le Dais estoit de la mesme Etofe, à la réserve qu'entre les lez du Brocard, il y avoit des bandes de Brocard tout or. Au dessous de ce Dais, presque de toute la hauteur, & la largeur de la queüe, estoit un Miroir orné de grandes figures d'argent d'un prix extraordinaire. À costé de ce Miroir on voyoit deux grands Guéridons qui portoient des Girandoles. Il y avoit douze grands Bras en forme de Plaques, un grand Lustre à double rang, quatre Miroirs moins grands que celuy dont je vous viens de parler, plusieurs Guéridons avec des Girandoles ; tout cela d'argent. Ce qui est ordinairement de bois aux Sieges en estoit aussi. Il y avoit encor quatre Cabinets garnis de Vermeil doré avec des Miniatures, tous chargez d'Argenterie. Ainsi on peut dire qu'on ne voyoit qu'or & argent dans ce Cabinet. Les deux grandes Galeries qui répondoient à ces deux Chambres, outre leurs Peintures & leurs Dorures, estoient ornées de quinze ou seize Cabinets tres-riches, & remplis de Miniatures. On voyoit tout le long de ces Galeries, plusieurs Lustres de Cristal, des Porcelaines, & des Cuvetes d'argent remplies de fleurs. Tout fut allumé au premier avis qu'on eut de l'arrivée de la Reyne. Ainsi en entrant au Palais Royal, elle trouva toutes les Chambres & les Galeries de l'Apartement qui luy avoit esté préparé, éclairées de plus de quatre cens lumieres. L'effet que produisoient ces lumieres estoit brillant, que toutes les Cours du Palais Royal paroissoient aussi éclairées que les Chambres mesmes. Tant qu'elle a demeuré à Paris, ce grand & superbe Apartement a tous les jours esté éclairé de la mesme sorte. Elle soupa en public dés le soir mesme de son arrivée, & elle y a presque toûjours mangé jusqu'à son départ, quoy que la confusion ait esté si grande, qu'à peine pouvoit-on respirer dans le lieu où on la servoit.

Le Mardy elle reçeut les visites de Mr le Prince, & de Mr le Duc, & leur fit donner des Chaises à dos. Mr le Cardinal d'Estrées la vint voir le mesme jour. Il estoit en Camail & en Rocher, & il eut pareillement une Chaise à dos. Cette Princesse alla ensuite aux Carmelites du Fauxbourg Saint Jacques, voir la Mere Marie-Loüise de la Miséricorde, autrefois Duchesse de la Valliere. Elle se rendit de là au Val de Grace, où repose le Cœur de la Reyne Mere, qui luy avoit donné de si obligeantes marques de tendresse dans son Testament. Au sortir de ce magnifique Monastere, elle voulut voir les Filles de Sainte Marie du Fauxbourg S. Germain, d'où elle revint au Palais Royal. Comme elle avoit esté en Des-habillé tout le jour, elle prit une Robe pour recevoir Mrs de Ville. Voicy dans quel ordre se fit leur Marche. Cent cinquante Archers alloient les premiers, leurs Officiers en teste. En suite paroissoient douze Archers portant quatre grandes Manes couvertes de Taffetas blanc, dont il y en avoit deux remplies de six douzaines de Flambeaux de Cire blanche, & les deux autres de six douzaines de Boëtes de Confitures seches. Apres les Présens, venoient six Carrosses où estoient Mrs les Prevost des Marchands, & Echevins, revétus de leurs Robes de velours my-parties, quelques Conseillers, & le Procureur du Roy de la Ville. À costé de chacun de ces six Carrosses, marchoient quatre Archers, dont il y avoit encor grand nombre à leur suite. Pendant que tout ce grand Corps estoit en marche, la Reyne d'Espagne mit un Habit couleur de cheveux, brodé d'argent, avec une garniture de Topases & de Diamans, & vint se placer sur une Estrade qui estoit au dessous du Dais du grand Cabinet, où je vous ay marqué qu'elle devoit donner Audience. Elle estoit accompagnée de plus de soixante Femmes de la premiere qualité, toutes tres-magnifiquement parées. Apres qu'on eut fait paroistre les Manes que cette Princesse vit passer devant elle d'assez loin, Monsieur le Prevost des Marchands s'approcha pour luy faire son Compliment. La Reyne d'Espagne l'écouta assise, mais il parla debout, & non à genoux comme il a accoûtumé de faire devant le Roy. Il luy dit, Que ce seroit avec beaucoup de plaisir qu'ils luy témoigneroient la joye qu'ils ressentoient tous de la voir Reyne, si cette joye n'estoit moderée par le chagrin qu'ils avoient de perdre une des plus grandes Princesses du Monde ; Que tout ce qui les pouvoit consoler dans cette perte, c'estoit de voir qu'elle alloit servir de lien pour unir plus étoitement les deux plus puissantes Monarchies de la Terre ; Qu'elles avoient disputé quelque temps ensemble l'avantage de la posseder ; Que si l'Espagne l'avoit demandée avec grand empressement, la France ne s'estoit pas résoluë à s'en priver sans beaucoup de peine, mais qu'enfin l'interest de toute l'Europe l'avoit emporté ; Que ces deux puissantes Nations avoient fait pour elle tout ce qui se pouvoit faire, l'une luy ayant donné la Naissance, & l'autre luy ayant donné une Couronne ; Que la Ville de Paris esperoit que quand elle seroit à Madrid, elle tourneroit quelquefois les yeux du costé des Montagnes ; qu'elle se souviendroit de Loüis le Grand, qui luy avoit procuré l'avantage d'estre Reyne, & qu'elle penseroit à un Pere dont elle avoit toûjours reçeu de fort grandes marques de tendresse, & qui n'estoit pas moins recommandable par sa valeur & par le mérite de sa Personne, que par la gloire de sa Naissance. Il finit en disant, que c'estoit par le commandement du Roy, & au nom de tous les François, qu'il luy venoit offrir ses respects. Ce Discours attira de grands aplaudissemens. La Reyne en remercia Mr de Pommereüil Prevost des Marchands, d'un air qui luy fit connoistre qu'elle en estoit extrémement satisfaite. Il luy presenta en suite les Echevins, qui en reçeurent un tres-favorable accueil.

Le mesme jour Mr le Duc de Pastrane luy donna le Présent de Nôces du Roy d'Espagne. C'est une Boëte de Diamans de la grandeur de la main, faite en lozange, soûtenuë d'un nœud de Diamans qui a sept ou huit branches. Le Portait du Roy d'Espagne est dessous. Cette Boëte est estimée deux cens mille écus.

Le Mercredy cette mesme Reyne alla à l’Abbaye S. Antoine, & entendit la Messe dans l’Eglise de la Maison Professe des Jesuites. Elle avoit ce jour-là une Robe violete & or, toute garnie de Point d'Espagne, & estoit parée des Présens du Roy, & de la Boëte de Diamans dont je vous viens de parler.

Monsieur l'Archevesque de Paris, conduit par Mr de Rhodes & par Mr de Saintot, la complimenta ce mesme jour à la teste de son Chapitre. Mr Joly Chantre, & Mr l'Abbé de la Motte Archidiacre de l'Eglise de Paris, estoient derriere luy, & les Chanoines en suite. La Reyne d'Espagne l'écouta debout. Il tourna son Compliment sur ce qu'il estoit juste que la voyant assise sur un des plus grands Trônes de l'Univers, apres une Céremonie des plus éclatantes & des plus augustes, l'Eglise de Paris dont elle estoit Fille par le Baptesme, & qui l'avoit fait Chrestienne, luy vint témoigner sa joye par sa bouche. Il fit en suite une courte description de tout ce qui brille dans la personne de cette Princesse, & dit, Qu'il s'en falloit peu que par un sentiment superstitieux, il ne crust que tant de perfections luy auroient fait mériter une Couronne, quand mesme elle n'auroit pas esté deuë à sa naissance ; mais que lors qu'il venoit à examiner son esprit, sa pieté, & sa prudence prématurée, il ne luy estoit plus permis de douter qu'elle ne le méritast par de si grands avantages. Il parla en suite de l'impatience avec laquelle le Roy d'Espagne l'attendoit, de ce que le Roy avoit fait pour elle, de la tendresse de Monsieur, & marqua que c'estoit par l'ordre de Sa Majesté qu'il venoit.

Ce Compliment fut reçeu avec de grands témoignages de satisfaction & d’estime ; apres quoy cet illustre Prélat remonta en Carrosse dans la grande Court du Palais Royal, ainsi que tous ceux qui l’avoient accompagné, & qui estoient venus dans quatre Carrosses de ses armes. La Reyne alla voir en suite l’Opéra de Bellérophon, qu’on joüoit extraordinairement par son ordre.

Le Jeudy elle reçeut les Complimens du Parlement, de la Chambre des Comptes, de la Cour des Aydes, de la Cour des Monnoyes, de l’Université, des deux Chastelets, & de l’Election. Toutes ces Compagnies furent conduites à l'Audience par le Grand Maistre & le Maistre des Cerémonies, & comme elles avoient ordre d'y venir en Corps, & non par Députez, elles montoient à un nombre presque infiny. Il y avoit plus de deux cens Personnes du Parlement seul. Il estoit en Robes rouges, & chaque Corps avoit ses Habits de cerémonie. Le Parlement estant au haut du grand Escalier, on le fit passer par l'Apartement de Madame. Il traversa en suite la grande Terrasse & la grande Galerie, & entra dans le grand Cabinet de la Reyne d'Espagne. On n’a jamais rien veu de si magnifique qu’estoient les Dames qui l’environnoient. Il y en avoit quatre Rangs sur l’Estrade à chaque costé de cette Princesse, & elles estoient toutes couvertes de Pierreries, parce qu’apres les Audiences elles devoient aller au Bal chez Mr de los Balbases. Le Lieutenant des Gardes estoit derriere le Fauteüil de la Reyne

Monsieur le Premier Président, dont le stile est si serré, qui ne dit pas un mot inutile, & qui faisant toûjours entendre beaucoup de choses en peu de paroles, ne parle jamais sans charmer, dit, Que le Roy n'avoit pas voulu pacifier seul toute la Terre d'Espagne en partageast la gloire avec luy. Il adjoûta, Qu'on voyoit en Elle les sentimens d'Anne d'Autriche, & la vertu d'Henriete d'Angleterre. Et après s'estre étendu sur les grandes qualitez de cette Princesse que nous estions sur le point de perdre, il loüa le Roy d'Espagne d'une maniere fort ingénieuse, & qui luy attira beaucoup d'applaudissemens. Il fit voir que la premiere Conqueste de ce Monarque estoit grande ; qu'il commençoit à triompher avec beaucoup d'avantage pour luy ; que ce jeune Prince plaçoit si bien ses premieres inclinations, qu'on avoit lieu d'espérer que les suites de son Regne seroient heureuses, & qu'on devoit tout attendre de luy.

Monsieur Nicolaï Premier Président de la Chambre des Comptes, fit rouler son Discours sur deux choses. Apres avoir donné quelques loüanges à la Reyne d'Espagne, & parlé à l'avantage de la France, il dit, Que les Princes de ce Royaume n'avoient qu'à combatre pour triompher, & les Princesses qu'à paroistre pour faire des Esclaves. Il prit de là occasion de donner de nouvelles loüanges à cette Reyne, & dit, Qu'elle avoit assujetty une fiere Nation qu'aucune Puissance n'avoit jamais pû abatre, & que l'Espagne pourroit par son moyen avoir un jour des Conquérans d'un Sang que l'on venoit de voir vainqueur de plusieurs Nation, & l'Arbitre de toute la Terre.

Monsieur le Camus Premier Président de la Cour des Aydes, s'étendit sur la jalousie que les autres Nations auront à l'avenir de l'Espagne, ce qu'il fit d'une maniere toute ingénieuse, marquant fortement pour sa Compagnie, qu'elle se souviendroit toûjours du mérite de cette nouvelle Reyne.

Il n'est pas besoin, Madame, de vous dire beaucoup de choses touchant le Compliment de ce Président, pour vous persuader qu'il fut beau. Je vous ay entretenue plus au long de ceux qu'il a faits au Roy, & vous sçavez qu'au jugement mseme de toute la Cour, peu d'autres les ont égalez par leur solidité & par leur bon goust.

Monsieur Chauvry Premier Président de la Cour des Monnoyes, parla apres Monsieur le Camus, & s'étendit sur les Alliances que les Enfans de la Reyne d'Espagne seroient quelque jour avec la France. Ce Président réussit à son ordinaire.

Monsieur de Lais Recteur de l'Université de Paris, fit son Compliment en suite. Il passe pour un tres-sçavant Homme, & c'est une qualité que personne ne luy dispute. Si-tost qu'il eut cessé de parler, Monsieur le Camus Lieutenant Civil, parut. Il y avoit eu quelque diférent entre les Officiers des deux Chastelets à qui présideroit en cette rencontre, à cause que Monsieur le Camus servoit au nouveau Chastelet ; mais on fit voir qu'il avoit esté décidé qu'en toutes sortes de Cerémonies les deux Corps se joindroient, & qu'il porteroit toûjours la parole. Voicy les mesmes termes dont il se servit. Son Compliment fut si court, qu'on n'eut pas de peine à le retenir.

Madame

Régner avec plus d'éclat par ses perfections que par le brillant de sa Couronne ; joindre aux graces de la Nature toutes les beautez de la Vertu, & toutes les divines qualitez dont une grande Ame puisse estre remplie ; se servir de sa toute-puissance pour se faire aimer, plutost que pour se faire craindre ; charmer également les Cœurs & les Esprits ; surpasser la grandeur de sa Naissance par son propre mérite.

C'est, Madame, le Portrait le plus fidelle que nous puissions faire de Vostre Majesté, & que nous puissions conserver en la perdant.

Toute l'Assemblée qui avoit esté tres-attentive, se récria en mesme temps, qu'on ne pouvoit rien entendre de plus galant, ny de mieux imaginé. Vous demeurerez d'accord, Madame, qu'outre qu'il y a de la beauté dans ce Compliment, il a l'avantage d'estre original en sa maniere, & vous sçavez de quel prix sont les Originaux. Il s'en trouve peu, & ils méritent d'autant plus d'estre estimez, qu'il y a longtemps qu'on nous veut persuader qu'on ne sçauroit plus rien dire de nouveau.

Monsieur de Baussan, Président des Elûs, parla en suite, & dit, Que bien qu'ils fussent des derniers à venir rendre leurs hommages à la Reyne d'Espagne, ils auroient peut-estre esté les premiers à luy témoigner la joye qu'ils avoient de la voir Reyne, s'ils avoient pû se laisser conduire par la seule ardeur de leur zele ; Qu'ils avoient sujet de se réjoüir de ce Mariage avec toute la France, & mesme avec toute l'Europe, puis que s'il survenoit quelques diférens entre les deux plus puissantes Couronnes de la Terre, elle seroit une habile & agreable Médiatrice ; qu'elle sçavoit de quelle maniere il faloit toucher le cœur du Roy & qu'elle en connoissoit les endroits sensibles ; qu'on n'ignoroit pas le pouvoir qu'elle avoit sur celuy du Roy d'Angleterre ; & qu'ayant autant d'esprit, de mérite, & de beauté qu'elle en avoit, elle ne manqueroit par de crédit sur le cœur du Roy son Epoux.

Les Complimens finirent ce jour là par celuy de Mr de Baussan. Il faut remarquer que tous ceux qui parlerent pour les Cours Souveraines, monterent sur l’Estrade où estoit la Reyne, & que les autres ne parlerent qu’au bas de l’Estrade. Une demy-heure apres que toutes ces Audiences furent finies, la Reyne d’Espagne, Monsieur, Madame, Mademoiselle, & toute leur Cour, allerent chez Mr le Marquis de los Balbases, qui leur avoit préparé une grande Feste. L'Habit de la Reyne d'Espagne estoit violet, avec une Broderie or & argent fort délicate. Elle avoit une Jupe jaune toute brodée d'argent. Ce n'estoient que Diamans sur cet Habit. Il y en avoit de fort gros aux Poinçons de sa Coifure. Monsieur avoit un Habit de Brocard or & argent. Toutes les Boutonnieres de son Juste-à-corps estoient de Diamans, & de perles ; & les Boutons, de Diamans. L'Habit de Madame estoit gris, tout garny de Rubis & de Diamans. Mademoiselle estoit aussi fort parée, & il n'y avoit aucune des Filles d'Honneur de Madame qui n'eust quantité de Pierreries. Toute cette brillante Cour partit du Palais Royal, dans plusieurs Carrosses magnifiques. Celuy de la Reyne d'Espagne estoit précedé de son Carrosse des Ecuyers, des Archers de la Prevosté, & des Cent Suisses que Sa Majesté luy avoit donnez. Les Valets de pied du Roy, & les Gardes du Corps l'environnoient ; leurs Officiers estoient à cheval derriere. Madame la Comtesse de Soissons, Madame la Princesse de Bade, Mesdames les Duchesses de Bracciano, de Foix, de Sully, de la Ferté, & plusieurs autres Dames de la premiere qualité, s’estoient renduës en mesme temps chez Mr l’Ambassadeur. Il reçeut la Reyne d’Espagne accompagné de Madame l’Ambassadrice, de Mr le Duc de Sesto, & de Madame la Duchesse de S. Pierre, qui la conduisirent dans le Jardin, où elle entendit un Concert de Voix, & d’Instrumens. Ce Concert finy, toute la Compagnie passa dans un Sallon où l’on avoit fait dresser un Théatre. La Troupe du Roy, appellée de Guenégaud, y représenta Phedre & Hipolite de Mr Racine. Quelques Airs Italiens servirent à distinguer les Actes. Pendant la Comédie, on donna la Colation dans des Corbeilles fort galantes qui demeurerent aux Dames. Mr l’Ambassadeur en présenta à genoux à la Reyne. La représentation du Sicilien ayant finy les Divertissemens du Théatre, on monta dans l’Apartement d’enhaut. Le grand nombre de lumieres qui l'éclairoient, répandoit une tres grande clarté dans la Court & dans le Jardin. On admira en passant la magnificence d'un Buffet qui occupoit tout le Pourtour du Sallon où il avoit esté dressé. La Reyne d'Espagne se mit à table dans une Salle où répondoit ce Sallon, & se plaça entre Monsieur & Madame. La Table estoit de vingt cinq Couverts. Sa Majesté fut servie par Mr l'Ambassadeur ; Monsieur, par Mr le Marquis Impériale ; Madame, par Mr le Duc de S. Pierre ; & Mademoiselle, par Mr le Marquis Spinola. Il y eut une telle profusion de Viandes, qu'on fait monter le seul article des Ortolans à mille Ecus. On servit en mesme temps une autre Table pour les Seigneurs qui avoient suivy la Reyne. Au sortir de ce magnifique Repas, elle passa dans l’Apartement de Madame l’Ambassadrice, qu’elle admira pour la richesse & la somptuosité de ses Meubles ; apres quoy elle se rendit dans la Salle qu’on avoit préparée pour le Bal. La Tapisserie estoit d’un Velours vert, tout couvert de Broderie or & argent. La Reyne fut menée par Monsieur ; Madame, par Mr le Grand ; & Mademoiselle, par Mr le Duc de S. Pierre. On dança pendant deux heures, & la Reyne en se retirant, témoigna beaucoup de satisfaction à Mr l’Ambassadeur. Le Vendredy elle alla à la Messe à Nostre-Dame, & fut reçeuë par Mr l’Archevesque, en Chape & en Mitre. Il luy donna l'Eau-beniste, luy présenta la Croix à baiser, & luy fit un Compliment fort court sur sa piété. Il le tourna sur ce qu'elle ne seroit pas seulement dans les Annales, mais que sa vertu luy feroit avoir place au Livre de Vie. Il la conduisit jusqu'à son Prie-Dieu, où il luy donna la benédiction, & se retira. Elle fut reconduite apres la Messe par Mr l'Abbé de la Motte Archidiacre, qui l'entretint jusqu'à son Carrosse. Elle ne pouvoit assez s'étonner de la foule incroyable du Peuple qu'elle découvroit de tous costez. En montant en Carrosse elle dit à Mr l'Abbé de la Motte, qu'elle se recommandoit aux Prieres du Chapitre. L’apresdînée elle alla à S. Cloud, avec Monsieur & Madame, & y demeura jusqu‘au Dimanche 10. de ce Mois qu’elle en partit pour aller à Versailles, apres avoir esté haranguée par le Chapitre de S. Cloud. Mr Bontemps la traita de la part du Roy, comme il avoit fait quelques-jours auparavant Me la Duchesse d'Osnabrug, & Mr le Duc de Pastrane. Je vous parlay le Mois passé de Mr Bontemps, & vous appris de quelle maniere se font ces Régals. Le soir de ce mesme jour la Reyne d'Espagne revint à Paris, & trouva tous les Meubles de son Apartement, qui estoient d'Eté quand elle arriva de Fontainebleau, changez en Meubles d'Hiver d'une magnificence extraordinaire. Le Lundy au matin elle alla voir Madame l'Abbesse de Montmartre ; & l'apresdînée Mr le Président Barantin la complimenta à la teste du Grand Conseil. Voicy de quelle maniere il luy parla.

Madame,

Je ne sçay de quelle maniere l'Espagne pourra reconnoître les deux bienfaits qu'elle reçoit en si peu de temps de la liberalité du Roy. Le seul présent de la Paix doit épuiser toute sa reconnoissance. Quels seront ses sentimens, Madame, à la veuë de Vostre Majesté, qui est le second présent infiniment plus estimable que le premier ? Quoy que l'Espagne se vante que le Soleil éclaire toûjours quelque partie de ses Etats, elle ne trouvera jamais dans cette vaste étenduë dequoy payer le prix d'un si riche Trésor. Mais si son Trône dans sa plus haute élevation semble au dessous du mérite de V.M. le Roy qui l'occupe, Madame, est digne d'elle par la grandeur de son amour. Quelle impression ne fera pas la présence de V.M. sur un cœur déja si vivement touché du seul recit de vos grandes qualitez ? Il n'est pas facile de s'imaginer la joye & les agrémens qui accompagneront la premiere entreveuë de deux Personnes également dignes d'estre aimées. Il ne nous reste, Madame, qu'à joindre nos vœux à ceux de vos Sujets, pour demander au Ciel qu'il répande ses faveurs sur un Mariage aussi auguste ; & nous espérons que les fruits glorieux qui en doivent naître, mettront un jour l'Espagne en état de s'acquiter envers la France, & nous feront reparer la grandeur de la perte que nous cause aujourd'huy l'éloignement de Vostre Majesté.

On donna à ce Compliment les applaudissemens qu’il méritoit. Le Grand Conseil s’estant retiré, Messieurs de l’Académie Françoise eurent leur tour, & furent écoutez comme les Compagnies Souveraines. Mr Boyer Chancelier de la Compagnie, porta la parole, & dit,

Madame,

L'Académie Françoise, qui s’est toute consacrée à la gloire du Roy son auguste Protecteur, doit prendre part à celle de Vostre Majesté. Comme il y a entre vos deux Personnes sacrées une étroite liaison, & une communication mutuelle de grandeur, nous ne pouvons pas ignorer quels sont les respects et les hommages que nous sommes obligez de vous rendre.

Tout cet éclat qui environne nostre Grand Monarque, rejallit sur vostre Personne par le privilege de vostre Naissance, qui vous rend la premiere Princesse de son Sang, la Fille d’un Prince tres-accomply, d’un Prince l’unique & digne Frere de Loüis le Grand, d’un Prince admirable dans tous les temps, intrépide dans la Guerre, aimable dans la Paix ; & aujourd’hui V. M. fait rejallir sur la Personne du Roy les honneurs que vous recevez en devenant la Reyne d’une des plus belles Parties de l’Europe, & la glorieuse Epouse d’un des plus grands Roys de la Terre.

Mais il ne faut pas s’arrester à ce titre de Reyne, tout éclatant & tout auguste qu’il est. Nous contemplons V. M. sous une idée plus avantageuse. Nous la regardons comme le prétieux lien des deux premieres Couronnes du Monde, comme la Dépositaire du grand Trésor de la tranquillité publique. C'est Vous, Madame, qui devez contribuer plus que tout autre à la conservation de cette Paix achetée par tant de larmes & par tant de sang ; de cette Paix qui est le chef-d’œuvre de notre invincible Monarque, le plus grand miracle de son Regne, la felicité de tant de Peuples, & l’étonnement de toutes les Nations.

Apres cela, Madame, que nous reste-t-il à vous dire ? Pourra-t-on se l’imaginer ? & V. M. Elle-mesme le pourra-t-elle croire, qu’il y a dans son destin quelque chose encor de plus grand & de plus admirable ? Niéce du plus Grand Roy du Monde, Reyne d’un des plus vastes Empires de la Terre, & le gage le plus assuré de la réünion de deux Couronnes, ces titres ne suffisent pas pour remplir vostre Eloge. Il faut vous regarder, Madame, comme le prix dont la France veut récompenser l’Espagne du présent qu’elle nous a fait de la Mere & de l’Epouse de nostre Grand Roy.

L'Espagne nous a presté le Sang d’Austriche, pour avec le Sang de Bourbon former nostre Héros ; la France preste à l’Espagne le Sang de Bourbon, pour donner des Héros à la Maison d’Austriche. Loüis le Grand, Loüis le Magnifique ; ne se contente pas de donner la Paix à la Terre, & de donner en mesme temps à la Hollande, à l’Allemagne, & à toutes les Parties de l’Europe, la seûreté, la liberté, & l’abondance ; il a voulu, Madame, vous donner à l’Espagne, comme un présent plus grand que la Paix mesme, & comme le dernier effort de sa magnificence.

Que d’honneurs, que de grandeurs répanduës & ramassées sur Vostre Majesté ! C'est ce que l’Académie Françoise n’oubliera jamais. C'est sous ces traits admirables, Madame, qu’elle vous fera voir à toute la Terre dans une des premieres places de ce Temple auguste, de ce Monument eternel que nos Poëtes, nos Historiens, & nos Orateurs, éleveront à la gloire immortelle de nostre Protecteur.

Ce Compliment fut trouvé digne de l’Académie Françoise. C'est beaucoup de gloire pour M. Boyer, d’avoir si bien soûtenu l’honneur d’un Corps qui ne doit rien produire que d’achevé.

Apres avoir reçeu ces deux Complimens, la Reyne alla rendre visite à Mademoiselle d’Orleans. Ensuite elle passa aux P. de l’Oratoire, où le P. Carmagnole Supérieur de cette Maison, la complimenta à la teste de toute la Communauté. Elle vit encor l’Opéra de Bellérophon dans une seconde Représentation extraordinaire qu’elle en demanda. Le Mardy, qui estoit le jour de son départ, le Corps de Ville se rendit au Palais Royal. Elle en sortit toute en larmes sur les onze heures & dit à Monsieur le Duc de Chartres, en l’embrassant, qu’elle ne le reverroit jamais. Mademoiselle s’évanoüit presque dans cet adieu. Tout estoit en pleurs ; & quand la Reyne parut dans la Place, les cris du Peuple furent si grands, qu’elle ne put s’empescher d’en estre touchée. Elle abatit sa Coife pour cacher ses larmes, & en fit verser à tous ceux qui la virent dans cet état. Elle traversa ainsi Paris, précedée de la Marche dont je vay vous dire l’ordre.

Trois Clercs du Guet des Compagnies des trois cens Archers de la Ville, parurent d’abord à cheval avec leurs Casaques de Clercs, & une Baguete à la main. Ils estoient suivis de trois Trompetes sonnant de leurs Cloches d’armes, qui précedoient vingt-cinq rangs d’Archers par quatre de front. Le Sr Droüard leur Colonel estoit à leur teste, & faisoit mener devant luy deux Chevaux de main, ayant des Fourreaux de Pistolets & des Housses d'une tres-belle broderie. Dans le troisiéme des rangs estoient les trois Cornetes des Compagnies, & sur les aisles, six Mareschaux des Logis. En suite marchoient les Huissiers de la Ville aussi à cheval & en housses, revestus de leurs Robes my-parties de drap, puis le Greffier, & derriere luy, Messieurs les Prevost des Marchands, Echevins, & Procureur du Roy, avec leurs Robes my-parties de velours, Conseillers en Robes noires, Quarteniers & Dizeniers en Manteau noir, tous à cheval & en housses. Sur chaque aisle, à costé du Corps de Ville, estoient vingt-quatre Archers. Tout le reste marchoit à la queuë par quatre de rang, & formoit l'Arrieregarde, avec deux Officiers à la teste. Les trois Guidons des trois Compagnies marchoient au troisiéme de ces rangs, ayant deux Trompetes devant eux, qui sonnoient aussi de leurs Cloches d’armes. Il y avoit six autres Mareschaux des Logis sur les aisles de l'Arrieregarde, & deux Officiers à la queuë. Tous ces Archers avoient une Plume blanche, & leurs Cravates renoüées d'un Ruban couleur de feu. Cette Marche précedoit le Carrosse des Ecuyers, apres lequel venoit celuy de la Reyne, environné de Valets de pied, & d'Officiers des Gardes à costé. Les Gardes du Corps tenoient l'Epée haute derriere le Carrosse, qui estoit accompagné de plusieurs autres à six Chevaux. Messieurs de Ville avoient fait mener à la Porte par où la Reyne sortit, quantité de Boëtes, & vingt Pieces de Canon qui la salüerent quand elle passa. Elle eut cette mesme Escorte jusqu'au bas de la Montagne de Villejuif, où ayant fait arrester, elle pria Mr le Prevost des Marchands de ne la pas conduire plus loin. Il descendit alors de cheval, ainsi que tous les Officers de Ville, & il luy fit son dernier Compliment, pendant lequel les trois cens Archers se mirent en haye. Cette Princesse, qui n’avoit point levé ses Coifes dans tout le chemin, les leva pour remercier Mr le Prevost des Marchands, & arriva le soir à Fontainebleau. Le Roy n’a rien oublié pendant le sejour qu’elle y a fait, pour luy adoucir le chagrin de son départ. Il y a eu tous les jours des Parties de Chasse & de Promenade, & Comédie tous les soirs, sçavoir une Italienne entre deux Françoises. Trois jours apres le retour de cette Princesse à Fontainebleau, Mr le Duc de Pastrane y fit son Entrée publique en qualité d'Ambassadeur Extraordinaire. Il avoit quatre Carrosses de parade, dont il y en avoit un de Brocard d'or, avec des Crêpines de mesme. Tous les harnois des Chevaux, & tout ce qui est ordinairement de cuir, estoit de velours cramoisy, avec des Chifres de vermeil. Ses Livrées estoient d'écarlate, & pour ornement, un Galon aurore & vert, meslé d'un autre or & argent. Il fut reçeu comme tous les Ambassadeurs Extraordinaires des Couronnes, & logé dans l'Apartement de Mr de Louvoys, à qui son indisposition n'a pas permis de se trouver à Fontainebleau. Cet Ambassadeur y fut traité pendant trois jours, non pas par présens, comme c'est la coûtume d'en user pour ceux qui font leur Entrée dans une Ville, mais comme il se pratique lors qu'on est à la Campagne, c'est à dire, que les Officiers du Roy apprêterent tout, & le servirent. Il eut le lendemain Audience de S.M., avec les cerémonies accoûtumées, & alla en suite chez la Reyne, chez Monseigneur le Dauphin, chez Monsieur, & chez Madame. L'apresdînée il alla chez la Reyne d'Espagne, non pas en qualité d'Ambassadeur, mais comme son Sujet, & il n'y fut point conduit par cette raison. Il luy donna une Lettre du Roy son Maistre, mit un genoüil en terre, luy baisa la main, luy parla couvert comme Grand d'Espagne, & luy présenta D. Gaspard & D. Joseph ses Freres, avec plusieurs Gentilhommes Espagnols. Il se mirent à genoux, & elle leur fit l'honneur de leur donner sa main à baiser. Le 17. ce mesme Ambassadeur eut son Audience de congé du Roy, & de toute la Maison Royale. Il partit avec le mesme éclat qui avoit accompagné son Entrée, & alla prendre la Poste à deux lieuës de Fontainebleau. Quant à Mr de los Balbases, il n'eut son Audience de congé que deux jours apres ; & comme ses soins ont beaucoup contribué au Mariage du Roy son Maistre, ce Prince l'a nommé pour conduire la Reyne en Espagne. Sa Majesté a fait présent à chacun de ces deux Ambassadeurs, de son Portrait dans une Boëte enrichie de Diamans. Chaque Boëte est estimée plus de trois mille Loüis.

Le 16. on alla à la Chasse au Sanglier. La Reyne d'Espagne & Madame, accompagnées de toute la Cour, se trouverent à cheval dans les Toiles, & c'est ce qui rendit cette Chasse plus considérable que toutes les autres qui s'estoient déja faites de cette nature. Le Roy & Monseigneur le Dauphin blesserent plusieurs Sangliers à coups d'Epée, & attirerent les yeux & l'admiration de tout le monde.

Le 17. la Reyne d'Espagne reçeut les Complimens de plusieurs Résidens, Envoyez Extraordinaires, & Ambassadeurs, qui furent conduits chez Elle par M. de Bonneuïl.

Le 18. elle essaya des Chevaux & courut dans le Pars avec la belle Mademoiselle de Vaillac, qu'elle honore de sa bienveillance tres-particuliere.

Le 19. cette Princesse alla courre un Cerf, qui fut pris apres avoir donné tout le plaisir qu’on peut recevoir de cette sorte de Chasse. Elle n'en attendit pas la fin. Le Soleil fut si ardent ce jour-là, qu'il la contraignit de se retirer. Elle vint manger chez elle, & ayant reçeu plusieurs Dames à qui elle fut bien-aise de dire adieu, elle leur parla d'une maniere si touchante, qu'elle tira des larmes de toutes. En suite elle fit habiller Mesdemoiselles de Piennes, pour monter à cheval avec elle & Mademoiselle de Vaillac. Elle se promena le reste du jour autour du Parc. Toutes ces Courses n'estoient que pour promener son inquiétude. Les refléxions continuelles qu'elle faisoit sur ce qu'elle se voyoit prête à s'éloigner du Roy pour toûjours, la mettoient dans une agitation qui ne se peut concevoir. Elle vit le soir la Comédie. On joüoit Sertorius. Ainsi c’est par une Piece du grand Corneille qu’elle a pris pour la derniere fois ce divertissement en France. Quoy qu'elle l'ait toûjours fort aimé, le trouble de son esprit ne luy laissa pas prêter grande attention. On la vit presque toûjours pleurer, & elle s'abandonna tellement à sa douleur, que si on ne l'eust extraordinairement pressée, elle ne se fust pas mise au Lit de toute la nuit. Elle tint Mademoiselle de Vaillac embrassée longtemps ; & comme elle luy a toûjours fait l'honneur de luy marquer beaucoup de tendresse, elle a voulu qu'elle l'ait accompagnée jusqu'à Orleans. Mademoiselle de Vaillac a tant de belles qualitez pour se faire aimer, qu'on ne doit pas moins loüer le juste choix de cette Princesse, que la constance qu'elle a fait paroistre dans cette amitié. Vous jugez bien, Madame, qu'elle ne passa pas la nuit sans soufrir beaucoup. Elle ne pouvoit se résoudre à quiter le Roy, ny Monsieur, & l'inévitable necessité qu'elle en voyoit, la mettoit dans un état digne de compassion.

Le lendemain 20. jour du départ, ses inquiétudes & ses agitations continuelles, l’obligerent à se lever dés sept heures du matin. Monseigneur le Dauphin, Monsieur, & Madame, furent longtemps avec Elle dans la Galerie de son Apartement, pour tâcher à la consoler. Elle fit un leger repas un peu avant dix heures qu'elle alla à la Messe, où elle fut placée à son ordinaire entre le Roy & la Reyne sur le mesme Prie-Dieu. Son déplaisir redoubla pendant la Messe, & elle en sortit toute en pleurs. Les Carrosses du Roy l'attendoient au pied de l'Escalier appellé du Fer à Cheval. La Court du Cheval blanc où donne cet Escalier, estoit remplie de quantité de Carrosses à six Chevaux, & d'une partie des Troupes de la Maison du Roy. Les Gardes Françoises & Suisses en bordoient les passages des deux costez, & avoient derriere elles cent Gardes du Corps, les Gendarmes, les Chevaux-Legers, & les deux Compagnies des Mousquetaires. Toutes ces Troupes estoient d'une magnificence extraordinaire. Ce n'estoit qu'or & argent de toutes parts, & cela faisoit le plus bel effet du monde sur les diverses couleurs des Etofes des Juste-au-Corps, des Casaques, & des Housses. Quand Leurs Majestez parurent, un triste silence commença à régner dans toutes ces Troupes. La douleur paroissoit sur tous les visages, & tous les yeux estoient tournez du costé du Carrosse où la Reyne d'Espagne alloit monter pour dire un eternel adieu à la France. Elle n'y monta pas sans faire connoistre ce qu'elle soufroit. Elle fut placée dans le fonds entre le Roy & la Reyne ; & Monseigneur le Dauphin se mit dans l'autre fonds entre Monsieur & Madame. Les deux Portieres furent remplies, l'une par Madame de Montespan, & l'autre par Madame la Duchesse de Richelieu. Quand le Carrosse fut sur le point de marcher, le grand silence qui avoit regné, cessa tout d’un coup. Les Tambours, les Trompetes, les Timbales, les Fifres, & les Hautbois des Mousquetaires, se firent entendre, & l’on ne peut rien s’imaginer de plus beau que ce qu’on vit quand toutes ces Troupes commencerent à se mouvoir. La Reyne d'Espagne estant sortie avec cette pompe, tous ceux qui remplissoient la Court, l'Escalier, & les Fenestres, demeurerent comme immobiles en la perdant de veuë, & le silence reprit la place du bruit qu'on venoit d'entendre. On entra dans la Forest, & le Roy & les Reynes furent surpris de la trouver bordée des deux costez, deux lieuës durant, de Carrosses que l'envie de voir encor une fois la Reyne d'Espagne avoit attirez. Pendant ces deux lieuës, le Roy fit ce qu'il pût pour la consoler. On arresta par son ordre en un endroit appellé la Chapelle à la Reyne, & aussitost toutes les Troupes se rangerent en haye des deux costez, laissant une espace vuide au milieu. Dés qu'on eut fait alte, le Roy embrassa la Reyne d'Espagne, & luy dit adieu ; apres quoy il sortit du Carrosse, afin de luy donner lieu de prendre congé de la Reyne & de Monseigneur le Dauphin ; mais elle embrassa la Reyne avec tant de tendresse & tant de larmes, que le Roy voyant qu'elle ne la pouvoit quitter, fut obligé d'interrompre ses adieux pour luy dire qu'il estoit temps de partir, que ce retardement ne servoit qu'à luy faire mieux sentir son chagrin, & qu'elle devoit moins s'affliger, puis qu'elle alloit estre heureuse en Espagne. Cette Princesse sortit enfin du Carrosse toute en larmes. Le Roy luy donna la main, & la conduisit jusqu'à celuy dont il luy a fait présent. Ce Prince l'embrassa encor une fois, & fut si touché de sa douleur, qu'il donna de visibles marques de la sienne. Ceux qui estoient les plus proches, ne pûrent retenir leurs larmes, & ce fut un spéctacle assez nouveau de voir pleurer tant de Braves. Le Roy ayant mis la Reyne d'Espagne dans son Carrosse, où Monsieur & Madame n'entrerent qu'apres Elle, revint à Fontainebleau avec la Reyne & Monseigneur le Dauphin. Cette Princesse continua sa route vers Orleans, escortée d'une Brigade de Gardes du Corps, & servie par les Officiers de sa Majesté. Elle a pour Dame d'honneur Madame la Mareschale de Clerambaut, & pour Dame d'atour Mademoiselle de Grancé, qui, quoy que Fille, a présentement le nom de Madame, à cause de cette qualité de Dame d'Atour. Mr le Prince d'Harcourt, & Madame la Princesse sa Femme, ont l'honneur de conduire cette Reyne. Leur Equipage est fort magnifique. Il est composé de quatre Carrosses, les deux premiers tres-riches, & traînez chacun par huit Chevaux ; le troisiéme, de campagne ; & le quatriéme, une Caleche, tous deux à six Chevaux. Ils ont trois Ecuyers, douze Pages, 24. Valets de pied, des Chevaux de main, des Mulets, & tout cela d'une propreté & d'un brillant qui répond admirablement à l'éclat de leur naissance. La Reyne d'Espagne emporte avec elle pour de tres-grandes sommes de Pierreries & d'Argenterie. Je ne vous dis rien du Présent du Roy, parce que j'en dois parler dans ma Relation de la Cerémonie du Mariage. Celuy de Monsieur consiste en une Boëte de Diamans, composée de cinq grosses Perles & de cinq gros Diamans, en deux Crochets faits en nœuds de tres-grand prix, en un Colier d'une fort grande beauté, & en plusieurs Ouvrages de vermeil doré, aussi curieux que bien travaillez. Elle emporte outre cela, six Robes à corps, dont la plûpart sont en broderie, huit Manteaux, vingt Jupes de dessous, plusieurs Habits de Chasse, des Pieces entieres de Brocard or & argent, & une Toilete admirable, avec quantité de tres-beau Linge, sans compter les Dentelles & cent autres choses. Je ne finirois point, si je voulois vous dire tout ce qui regarde ce Mariage. Cet Article seul auroit pû remplir ma Lettre, & je croy, Madame, que vous conviendrez que j’ay eu raison de remettre à l’Extraordinaire du 15. Octobre, la Relation des Cerémonies qui s’y sont faites.

[Explication des deux Enigmes en Vers] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 362-363.

Il me reste l’Article ordinaire des Enigmes, mais je ne vous en diray rien aujourd’huy, sinon que vos Amies ont deviné juste en expliquant les deux en Vers sur le Nez & les Cartes. Je remets les Noms de ceux qui les ont expliquées sur ces mesmes Mots, & les Explications qu’ils m’en ont envoyées en Vers, jusqu’à l’Extraordinaire que je vous promets dans quinze jours. J'y suis obligé faute de temps & de place. En attendant que je satisfasse vostre curiosité là-dessus, je vous envoye deux autres Enigmes. La premiere est de M. de Bonnecamp, de Quimper ; & l’autre de M. Clement, d’Amiens.

Enigme §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 363.

Enigme.

        LEs Oeillets & les Violetes,
        Sans entrer dans ce que je suis,
        Et la plus belle des Planetes,
Ont composé mon Corps du beau sang de Thétis.
        Je me carre venant au monde,
        Ma froideur est l’effet du chaud.
Quand je suis en festin, le plus délicat gronde,
Si je n’y suis placê de la façon qu’il faut.
Avecque les Catons j’ay de la simpatie,
        Mais quand par malheur je prens feu,
J'éclate & fais du bruit. Dites-moy, je vous prie,
Pourquoy l’on m’aime tant, & qu’on m’aime si peu ?

Autre Enigme §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 364a.

Autre Enigme.

    SAns lumiere on me voit paroistre
        Dans l’obscurité de la nuit ;
        Et celuy qui m’avoit fait naistre,
        Est bien souvent par moy dêtruit.
        Je ne puis avoir de demeure,
        Qu'on ne renverse ma maison.
    Je plais, déplais, presqu’à mesme heure,
        Parce que j’agis sans raison.
        Si vous desirez me connoistre,
        Regardez-moy quand je m’enfuis ;
        Au moment que je cesse d’estre,
        Vous pouvez sçavoir qui je suis.

[Nom de ceux qui ont expliqué l’Enigme en figure] §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 364b-365.

Quant à l’Enigme en Figure, M. de Baumanoir Chevreil ; M. du Mont, Avocat à Chaumont ; La Nayade, de Grainval ; & le Sérieux sans Critique, de Géneve, en ont trouvé le vray sens. C'estoit la Perle. Elle naist attachée à la Conque, & on ne la pêche aux pieds des Rochers qu’avec de grandes risques pour ceux qui la cherchent. Ainsi elle est tres-bien représentée par Hésione attachée à un Rocher ; & les Pêcheurs par Hercule.

Cette Enigme a esté encor expliquée sur la Paix, le Diamant, la Piere d’Aiman, le Miroir, le Printemps, l’Aube du jour, le Calme, la Pesche, la Vangeance, le Boulet de Canon, le Raisin tiré de l’Echalas par le Vandangeur, & le Commerce par Mer.

La Fable de Clytie vous est connuë. C'est la nouvelle Enigme en Figure que je vous propose.

[Annonce du contenu du prochain tome] * §

Mercure galant, septembre 1679 [tome 9], p. 365.

On vient de me donner en Original quelques-unes des Harangues faites à la Reyne d’Espagne, dont je vous ay déjà parlé dans ma Lettre. Je vous les envoyeray entieres dans celle du Mois prochain, & vous feray part en mesme temps des Festes de Rheims, & d’une autre donnée au Raincy. J'espere qu’on m’envoyera des Relations de toutes les Villes où la Reyne d’Espagne aura passé. Je suis, Madame, vostre, &c.

À Paris ce 30. Septembre 1679.