1679

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1679 (tome VII).

2015
Source : Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1679 (tome VII).
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

Air nouveau à boire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1679 (tome VII), p. 278-280.L'auteur de cet air a composé de nombreux récits de basse, ce qui suffit d'après le Mercure Galant à l'identifier. Il s'agit de Bacilly que le chroniqueur du Mercure présente comme étant l'inventeur de ce type d'airs. Cette attribution est confirmée par l’article Mercure dans lequel sont cités de nombreux ouvrages du compositeur de l'air Vous demandes des vers, du même auteur que celui-ci et identifié comme étant Bacilly. Cet article et cet article font allusion à cette contrefaçon dans le Mercure

Voicy un Air à boire, dont l´Autheur est facile à deviner par le grand nombre de ceux qu´il a faits de cette maniere. Je veux dire des Recits de Basse. C'est luy qui en est l'Original & l'Inventeur, & on le peut voir par ses deux Livres gravez qu'on vend chez les Sieurs de Luyne & Blageart, avec son Traité de l'Art de bien Chanter, & ses autres Livres gravez d'Airs sérieux. Ces derniers font bien connoistre qu'il n'est pas borné au Genre Bachique. Il est aisé sur tout de prouver le mérite de ses deux Livres d'Airs spirituels, gravez il y a huit ans, & si favorablement reçeus du Public, qu'un Imprimeur les a contrefaits sous le faux titre de diférens Autheurs, mesme sans les seconds Couplets en diminution qui en font presque tout le prix. On sçait que l'Autheur y excelle par dessus les autres, à cause de la grande connoissance qu'il a de nostre Langue à l'égard du Chant, ce qui se justifie par son Livre de l'Art de Chanter, augmenté depuis peu de plusieurs curieuses Observations. Le temps des Vendanges a donné lieu aux Paroles que je vous envoye, avec les Notes gravées de cet excellent Autheur.

AIR NOUVEAU A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Sommeil, quand nous vuidons les Pots, doit regarder la page 280.
Sommeil, quand nous vuidons les Pots,
Tu viens icy mal-à-propos
Combatre une si noble envie.
Va de ces fous d'Amans assoupir le cerveau,
Laisse-nous cette nuit l'usage de la vie,
Pour des soins plus beaux,
Nous voulons achever un Muid de Vin nouveau.

[Feu de joie fait à Reims] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de juillet 1679 (tome VII), p. 325-340.

LE TRIOMPHE DU SOLEIL,
OU LE FEU DE JOYE,
Fait à Rheims devant l'Hôtel de Ville, pour la Paix genérale de l'Année 1679.

La Ville de Rheims voulant marquer une reconnoissance particuliere, à l'Invincible Monarque qui a donné le calme à toute l'Europe, n'eut pas plûtost reçeu les ordres qu'elle attendoit impatiemment pour faire publier la Paix, qu'on y forma le dessein d'un Feu de joye, qui accompagnant cette Publication, pust faire connoitre le zele de ses Habitans. Voicy de quelle maniere il fut ordonné.

Dans l'endroit le plus élevé de la Machine, on voyoit un grand Soleil d'or, avec ces mots au dessous, Sic inferiora Serenat. Il estoit posé dans un Vase sur la pointe d'une Pyramide quarrée, de neuf pieds de hauteur, soûtenuë d'une Base de cinq. Sur chacun des costez de la Pyramide estoient trois Signes du Zodiaque, rangez suivant leur ordre, & qui répondoient aux quatre Saisons, représentées sur les quatre Faces de la Base.

Le Printemps avoit pour Devise, A Sole & Marte incipit annus.

L'Esté estoit accompagné d'un Lyon, qui est un de ses trois Signes, & qui fait les Armes de la Flandre, avec ces mots, Soli grata domus

La Balance & le Sagittaire représentoient l'Automne, & il portoit pour Devise Libranque, arcuque verendus

La Devise de l'Hyver estoit, Solis vis nescia bruma. Cette Base s'élevoit de dessus un Globe à seize pans quarrez, qui portoient autant de Devises, avec des Symboles de Paix &de Guerre, dans huit Triangles. Ce Globe estoit de huit pieds de Diametre, & les Devises.

Un soleil levant avec ces mots, Reditindefessus & idem.

Le Septentrion figuré par les sept Etoiles de la petite Ourse, & un Borée avec ces paroles, Aquilos subjicit illi.

Le Midy, par un Soleil au plus haut de la Sphere, Terret cum colligit ignes.

Un Soleil couchant, Ad gentes alias propcrat.

Une Lune & des Etoiles, Omnem vim influit absens.

Un Cadran Solaire, Omnia praefinit cum stare videtur.

Hercule tenant un Lyon & un Aigle enchaînez, Servat quos perdere posset.

Neptune appaisant une Tempeste, Meros componere praestat.

Mars présentant une branche d'Olivier à la Justice, Hic deditilla tuetur.

La Mer rompant une Digue, Obstantia vincit.

Un Arc & un Carquois, pendus à un Olivier, Cum feriit, feriatur.

Un Aigle à deux testes, panchée sous un Soleil, Tantos non sustinet igues.

Une Pluye sur des Bleds naissans, Post nubila, surgit ubertas.

Un Soleil, Obit omnia paesens.

Un Miroir ardent environné de Lézards & d'Etoiles, & recevant les rayons du Soleil, Vis & decor omnis ab illo.

Une Fontaine avec des Couleuvres auc ornemens du Bassin, Sufficit, nec deficit.

Les Devises du Levant, du Midy, du Septentrion, & du Couchant, estoient orientées & répondoient aux quatre Faces d'une Plinthe, haute de deux pieds, & large de trois, soutenant le Globe, sur laquelle on lisoit les Vers suivans qui expliquoient ces quatre Devises.

Le Levant

Redit indefessus & idem.
Ainsi sans jamais se lasser,
Dés que ce Prince auguste a finy sa carriere
Nous le voyons recommencer.
Ainsi, sans jamais faire un seul pas en arriere,
Vers la Gloire il sçait avancer.

Le midy

Terret cum colligit ignes.
Oüy, contre tant de feux la fuite est inutile,
Et vous tâchiez en vain d'en éviter l'effet ,
Mortels, il n'est point d'ombre, il n'est aucun azile,
Si luy-mesme ne vous en fait.

Le couchant.

Ad Centez alias properat
Ce n'est pas au repos qu'il tend,
Et sa Sphere n'est pas connuë
À quiconque en juge autrement.
Il est toûjours en mouvement,
On a beau le perdre de veuë.

Le Septentrion.

Aquilo se subjicit illi.
Venez rendre hommage au Soleil,
Habitans des froides Contrées,
Vous sçavez comme nous qu'il n'a point son pareil,
Et vous avez appris quelles sont ses journées.

Plus bas il y avoit un Piedestal haut de trois pieds, & large de sept, qui portoit tout ce que je viens de vous dire. Il estoit posé sur une espece de Theatre quarré, représentant le Temple de Janus. Ce Temple avoit quatre Portes, chacune ornée dans sa Face de deux Pilastres d'ordre Toscan, avec des Palmes & des branches d'Oliviers, qui prenant naissance de dessus l'Imposte, se joignoient & faisoient Arcade dans chaque costé. Il estoit haut de huit pieds, & large de treize. La Corniche de ce Temple servoit d'appuy à une Attique de mesme largeur, haute de quatre pieds, que laquelle on avoit représenté les Elemens avec leurs Symboles, aux deux extrémitez.

La terre estoit figurée par Cybelle, tirée dans un Char par deux Tortuës, & ces mots, Omnis mihi splendor ab illo.

L'eau, par Thétis, portée sur un Char en forme de Conque, traînée par des Chevaux Marins, Excitat & pacat.

L'Air, par Junon, dans un Char tiré par deux Oyseaux de Paradis, Que cogit nubila, solvit.

Le Feu, par Pluton, dans un Char tiré par des Salemandres, Hilarat, cum tertuit.

Chaque Elément avoit encore son Emblême au dessus, dans chacune des Faces du Piedestal qui soûtenoit le Globe & la Pyramide. C'estoient des Jeux de petits Amours qui avoient raport à l'Elément.

Des quatre coins de l'Attique s'élevoient quatre Figures, grandes comme le naturel, qui représentoient les quatre Parties du Monde. Leurs vœux estoient exprimez par les Vers suivans qu'on lisoit dans des Cartouches.

L'Europe

Grace à tes soins, tout est calme chez moy,
Bellone en d'autres lieux peut chercher de l'employ,
Je sens déja le Siecle d'or renaistre.
Mais pourquoy faut-il, Grand Roy,
Que l'Europe ait plus d'un Maître ?
Pourquoy ne faut-il pas qu'elle soit toute à Toy ?

L'Asie.

Grand Roy, viens délivrer l'Asie,
C'est à ta Main que cet honneur est dû ;
Pour ce fameux Exploit le Destin l'a choisie,
Et voila le moment si longtemps attendu.
L'Europe est enfin paisible,
C'est maintenant, ou jamais.
À ta valeur, Grand Prince, il n'est rien d'impossible,
J'ay veu trembler Bysance au seul nom de la Paix.
La conqueste en est infaillible,
Ton Etoile nous en répond ;
Haste-toy, Monarque invincible,
La Victoire t'attend aux bords de l'Hellespont.

L'Afrique

À son triomphe, il faut que je m'explique,
J'ay ressenty ses traits dans mon triomphe ardent ;
Mais la chose est toute publique,
Et chacun connoit l'ascendant
Que le Soleil a sur l'Afrique.

L'Amerique.

Quoy que la derniere en date,
Je ne dois pas icy tenir les derniers rangs.
Des faveurs du Soleil à bon droit je me flate,
Et j'en ay de bons garans ;
Mais plus que l'or de mes veines
J'ai toûjours aimé les Lys
Dont L'invincible LOUIS
Prend soin d'embellir nos Plaines.
Heureuse, si le Ciel avoit fait mon sejour
Plus voisin de son Hémisphere.
Consolons-nous ; on en fait mieux sa Cour,
Quand on vient de loin pour la faire.

Chacun sçait assez combien les Elemens & les Saisons ont contribué à la gloire de Loüis le Grand. Ainsi il seroit inutile d'expliquer quel raport ils ont au triomphe.

Les Vers qui suivent se lisoient sur l'Hôtel de Ville au dessous des Armes du Roy qu'on avoit placées sur la Porte, dans un Cartouche séparé.

Au roy.

On ne peut le dire assez,
C'est le regne des Miracles,
On les y voit partout l'un sur l'autre entassez,
Mais voicy de nouveaux spéctacles.
Nimégue a de la Paix applany les obstacles,
Et de l'Europe enfin les vœux sont exaucez.
Grand Roy, l'on a peine à le croire,
Cet étonnant effet de tes soins empressez,
C'est une Paix conçeuë au sein de la Victoire.
Adieu les Siecles passez.
De leur éclat encor s'il restoit des vestiges,
À ce coup il sont effacez ;
Voila le comble des Prodiges,
On ne peut le dire assez.

La Cerémonie de ce Feu ne s'estant pû faire avec celle de la Publication de la Paix le 28. Aoust, elle fut remise au Dimanche suivant, troisiéme du dernier Mois. La Compagnie des Arquebusiers s'estant rendüe ce jour-là dans la Place en tres-bel ordre sur les huit heures du soir, Mr le Comte de Lhery, Capitaine pour le Roy dans la Ville, & Mr Coquebert Seigneur d'Agny, Lieutenant des Habitans, accompagnez des Conseillers & des Echevins, & précedez des Archers du Guet, mirent le feu à l'Apareil. Au mesme instant la figure du Soleil parut enflâmée, sans qu'on eust pû voir de quelle maniere le feu y estoit parvenu. Il se communiqua en suite à tout le reste de la Machine, qui estant couverte d'Artifice depuis le haut jusqu'au bas, & remplie au dedans d'un tres-grand nombre de belles Fusées, de la composition du Sr Chastelain de Rheims, forma un tres-agreable spectacle, & éclata par diverses reprises en mille sortes de feux d'artifice, tandis que les Trompetes, les Fifres, & les Tambours, se meslant aux décharges continuelles des Arquebusiers, & au bruit du Canon & des Boëtes, faisoient dire à tout le monde que rien n'est plus beau qu'une Figure de Guerre dans une Céremonie de Paix.