1679

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10].

2015
Source : Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Anaïs Masson (Transcription) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Lettre de la Lorraine Espagnolete, sur les rêjoüissance faites à Madrid, & sur la Mort de D. Jean] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 3-32.

Tandis qu’on s’affligeoit à Fontainebleau du départ de la nouvelle Reyne d’Espagne, on faisoit des Feux de joye à Madrid de l’espérance de son arrivée, sur la nouvelle qu’on y avoit euë de la celébration de son Mariage. Ces réjoüissances ont duré trois jours, & je croy ne vous en pouvoir faire part d’une maniere plus agreable, qu’en vous envoyant ce que la Lorraine Espagnolete m’écrit là-dessus. C'est avec raison que vous aimez tout ce qui vient d’elle. Le tour galant qu’elle donne aux choses ne peut assez s’estimer.

Madrid, 20. Septembre 1679.

JE me suis engagée, Monsieur, à vous envoyer un détail des Festes galantes qui se feroient en cette Cour, à l’occasion du Mariage du Roy ; & j’ay commencé à m’acquiter de cette promesse, par les deux Relations que vous avez bien voulu placer dans vostre Mercure du mois d’Aoust. J'aurois encor quelque chose de fort particulier à vous dire là-dessus par ce Courrier ; & je pourrois vous faire une description assez exacte des réjoüissances publiques qu’il y a eu icy pendant trois jours à l’arrivée de l’Extraordinaire qui a apporté la nouvelle des Solemnitez du Mariage de Sa Majesté, dont l’on fit les cerémonies à Fontainebleau le 31. du mois passé, si je n’avois à vous faire un recit d’une autre nature dans cette Lettre. J'aurois lieu de vous parler aussi fort au long d’une nouvelle Course du Parejas, qui se fit à la Place du Palais le Dimanche 10. de ce mois, & dont je me contenteray de vous dire en peu de mots, qu’elle fut composée de cinquante Quadrilles de Grands d’Espagne, & d’autres Personnes de qualité, tous habillez de la mesme façon. C'estoit d’un taffetas rouge, couvert par tout de toile d’argent, & enrichy de pierreries ; les manches brodées d’or & de soye. Un petit Manteau de toile d’argent, doublé de taffetas de la couleur de l’Habit, leur pendoit négligemment derriere le dos jusqu’aux arçons de la Selle. Leurs Bonnets estoient garnis de Plumes blanches & incarnates, attachées sur le devant avec un gros nœud de Diamans ; & tout le reste de l’équipage répondoit à cette magnificence. Ils estoient montez sur de tres-beaux Chevaux, richement équipez, & couverts de grandes tresses de Rubans des mesmes couleurs que les Plumes. Ces Cavaliers avoient tous des Flambeaux de cire blanche à la main, aussi-bien que les Valets de pied dont ils s’estoient fait accompagner. Ils en avoient chacun six, tous habillez de taffetas incarnat, bordé de toile d’argent, avec des Toques ou Bonnets de diférentes façons, garnis de Plumes de toute sorte de couleurs ; ce qui faisoit le plus bel effet du monde à la lueur des Flambeaux, & des autres Feux dont toute la Place du Palais estoit éclairée. Les deux Parrains de la Course (c’est le nom que l’on donne icy à ceux qui entrent les premiers, & qui sont comme les Chefs, les Autheurs, & les Juges de la Feste) estoient Mr le Connestable de Castille, Grand-Maistre de la Maison du Roy, & Mr le Duc de Medina-celi, Chevalier de l’Ordre de la Toison d’or, Grand Chambellan de Sa Majesté, tous deux Grands d’Espagne, de la premiere Classe, & du Conseil d’Etat de la Monarchie.

Ils s’acquiterent parfaitement bien de leur employ, & toutes les Quadrilles qui les suivoient en bon ordre, se firent admirer dans leur course. Le Roy les vit de son Balcon avec plaisir, & toute la Cour ne manqua pas de leur donner les applaudissemens qu’ils méritoient.

Cette Feste fut suivie d’un tres-beau Feu d’artifice, qui dura longtemps ; & quoy que l’on en eust déjà fait un la veille, qui avoit réüssy admirablement, ce second ne laissa pas d’avoir toute la grace de la nouveauté, parce que c’est une maniere de divertissement qui n’est pas fort ordinaire en ce Païs. L'on en fit un troisiéme le lendemain, & j’aurois bien des particularitez à vous dire de son dessein, & du succés qu’il eust, aussi-bien que de la Course que je viens de vous décrire tres-legérement, si je ne me voyois obligée de finir ces Recits de Festes galantes, pour faire place à un Article de deüil, qui en a fort diminué le plaisir, & qui a causé une douleur tres-sensible à Sa Majesté, laquelle par cette considération a fait diférer un Combat de Taureaux qui se devoit faire ces jours passez, pour mieux celébrer, selon l’usage du Pais, la solemnité de son Mariage.

C'est la mort de Son Altesse le Prince D. Jean d’Austriche, qui arriva Dimanche dernier 17. de ce mois, apres une maladie de vingt-trois jours, dont les circonstances ont paru assez extraordinaires, pour vous en faire part. Il avoit en mesme temps trois sortes de fievre, dont les accés estoient tantost reglez, & tantost irréguliers. Ces accés avoient chacun leur caractere, & leur degré de violence diférens, & passoient l’intelligence de tous les Medecins. Tantost ce Prince se trouvoit réduit à l’extrémité, & peu d’heures apres il faisoit paroistre beaucoup de force & de vigueur, jusques à donner de grandes espérances de sa guérison. On luy a fait tous les remedes imaginables, sans épargner mesme le Vin Emétique, qu’il a pris à diverses fois, & dont l’extréme violence a fait desirer à tous ceux qui ont lû icy vos Mercures, que l’on eust le moyen d’employer ces Remedes doux & bienfaisans, qui rendent si fameux en France les Peres Capucins du Louvre. Ils auroient sans-doute esté d’un grand secours à ce Prince, que l’on a vû cinq fois aux abois pendant le cours de sa maladie ; & mesme la veille du jour qu’il expira, il fust crû mort six heures entieres, jusques-là que les Medecins se retirerent, & que l’on commençoit déja à préparer les choses necessaires pour l’embaumer, lors qu’il s’éveilla de sa létargie, & demanda de la nourriture. Il vêcut encor plus de vingt-quatre heures, mais enfin il mourut le lendemain, à une heure apres midy, le mesme jour, & le mesme mois que le feu Roy Philippe IV. son Pere estoit decedé dans le mesme Palais, quatorze ans auparavant.

Je croy estre obligée de vous faire icy l’Eloge, ou plutost le fidelle Portrait de ce Prince, par la part que je dois prendre à ce qui regarde sa mémoire, à cause des engagemens qu’avoit aupres de luy une Personne qui me touche de fort pres, qui estoit l’une de ses Créatures, qui est venu des Païs-Bas en cette Cour par ses ordres, qui m’y a amenée par la mesme occasion, & qui a beaucoup de part à toutes les Pieces que vous avez reçeuës de ma main jusques à présent. J'ajoûte à cette considération, que vous estes aussi en quelque façon obligé de contribuer vous-mesme à la gloire de cet illustre Mort, puis qu’il estoit l’un des Partisans du Mercure, & que dans les momens de son loisir, il s’en faisoit lire tous les mois les plus beaux endroits, aussitost que chaque Volume paroissoit icy.

Je vous diray donc, Monsieur, que D. Jean d’Austriche estoit d’une taille médiocre, fort bien fait de sa personne, & qui avoit tous les traits du visage extrémement doux & réguliers. Ses yeux estoient noirs, vifs, & pleins de feu. Ses cheveux avoient esté fort grands & fort beaux ; & quoy qu’ils fussent dêja meslez, cela n’empeschoit pas qu’on ne reconnut qu’ils avoient esté parfaitement noirs. Il avoit la main tres-belle. Ses façons estoient toutes engageantes, & l’air de sa Personne avoit un je-ne-sçay-quoy qui charmoit, quoy qu’il ne pût s’empescher de mesler à beaucoup de douceur une certaine fierté qui luy estoit assez naturelle, & qui faisoit bien connoistre qu’il estoit Fils d’un Grand Roy. Il aimoit extrémement la propreté, & elle paroissoit toujours dans sa Personne, & dans ses Habits.

Pour ce qui est du caractere de son Esprit, on peut dire qu’il avoit une extréme délicatesse, & qu’en ce point il ne tenoit rien du Climat qui luy avoit donné la naissance. Cette délicatesse paroissoit dans toutes ses actions, mais particulierement dans ce qui partoit de sa plume, ou de sa bouche. Son stile estoit si connoissable pour sa pureté, son élegance, sa force, & sa briéveté, qu’on peut assurer qu’il estoit le seul en Espagne qui parlast, & qui écrivist comme il faisoit. Il avoit beaucoup de penétration, le jugement tres solide, & une justesse admirable de veuës & de pensées. Il parloit avec beaucoup de netteté & de facilité cinq sortes de Langues, & il en entendoit encor d’autres. Il possedoit les beaux Arts, comme la Peinture, la Miniature, l’Orfêvrerie, & la Chymie. Il estoit fort versé dans l’Histoire, & il faisoit son principal plaisir de l’êtude des Mathématiques, avant que les Affaires du Gouvernement de l’Etat luy en dérobassent le loisir. Toutes ces qualitez sont assez rares dans un Païs où la plûpart des Grands ne se font pas une honte d’ignorer beaucoup de choses qui sont estimées & recherchées ailleurs. Il avoit une tres-grande curiosité pour tous les Secrets naturels, & il ne dédaignoit point de se communiquer à quelque Particulier que ce fust, pourveu qu’il crust pouvoir tirer de nouvelles connoissances de luy, & faire par son moyen quelque découverte dans les Arts ou dans les Sciences. Il estoit fort adonné à la devotion depuis plusieurs années, & mesme il s’approchoit tous les jours des Sacremens autant que les pressantes affaires de son Ministere le pouvoient permettre. Ce Prince avoit beaucoup d’expérience en toute sorte d’affaires, & c’est par cette considération qu’on luy avoit confié les plus grands Emplois de la Monarchie d’Espagne. Il avoit esté Vicaire Genéral d’Italie, & par ce caractere il avoit eu droit de commander à tous les Viceroys de ce Païs-là. Le Gouvernement des Païs-Bas luy appartenoit en proprieté. Le Royaume d’Arragon, & la Catalogne, l’avoient reconnu pour Vice-roy. Il estoit Capitaine Genéral de toutes les Mers d’Espagne, Grand-Prieur de l’Ordre de S. Jean de Jérusalem, & enfin il avoit esté appellé par le Roy depuis plus de deux ans & demy, pour avoir en qualité de Premier Ministre, le gouvernement & la direction de toutes les Affaires de la Monarchie. Il estoit le seul Prince à qui l’on donnoit le nom d’Altesse dans tous les Etats du Roy. Il estoit logé au Palais, dans le Quartier des Infants, & y donnoit presque tous les jours ses Audiences publiques. Sa Majesté accordoit à luy seul le Carreau & le Fauteüil dans sa Chapelle, immédiatement aupres de la Courtine Royale, & à la teste de tous les Grands d’Espagne ; & en toutes choses Elle témoignoit avoir beaucoup d’amitié & de considération pour sa Personne. Il est mort à l’âge de 50. ans, apres avoir veu la Paix faite pendant le temps de son Ministere, & le Mariage du Roy conclu par ses soins. Il n’a point fait de Testament, mais il a nommê le Cardinal de Portocarrero, Archevesque de Tolede, le Duc de Medina-celi, & le Duc d’Albe, le Président de Castille, le Confesseur du Roy, & le sien, pour régler apres sa mort, sous le bon plaisir de Sa Majestê, ce qu’il n’avoit pas voulu régler luy-mesme pendant sa vie ; & pour l’exécution de ce que ces Messieurs en disposeront, il a nommê le Marquis de Cerraluo, son Grand Maistre-d’Hostel ; son Grand Ecuyer, & Dom Diego de Velasco Marquis de las Navas, l’un des premiers Officiers de sa Maison. Son Corps a estê exposé 24. heures sur un Lit de parade de velours cramoisy, enrichy de broderie d’or, & fort magnifiquement dresse dans sa grand’Salle d’Audience, au mesme Quartier des Infants, où l’on a êtalé dans cette occasion ses Meubles les plus riches, & ses plus belles Tapisseries. Le concours de Peuple a esté fort grand pour le voir en cet état, & l’on a fait refléxion qu’il avoit les mesmes Habits qu’il s’estoit fait faire pour aller recevoir la nouvelle Reyne aux Frontieres de Castille. Sa Casaque estoit d’une Etofe tres-riche, & toute couverte d’une fort belle broderie. Il avoit de petites Bottes blanches fort propres, avec les Eperons dorez, le Bâton de Genéralissime à la main, & le Manteau de l’Ordre sous luy. On le mit en suite dans un Cercueil de plomb, & la nuit passée on l’a porté à l’Escurial dans un Carrosse de deüil, à la clarté d’un tres-grand nombre de Flambeaux, & avec une pompe funebre de la derniere magnificence, en la mesme maniere que l’on a coûtume d’y porter les Corps des autres Princes de la Maison Royale. Il doit estre inhumé dans le petit Panteon, qui est le lieu où sont les Tombeaux des Princes & des Princesses d’Espagne, qui n’ont pas porté la Couronne. Voila, Monsieur, ce que vous recevrez pour cette fois de

La Lorraine Espagnolete

Tout ce que cette belle & spirituelle Personne m’envoye, est si finement tourné, que quelques-uns de nos beaux Esprits ayant peine à croire qu’on puisse écrire si purement François en Espagne, veulent se persuader que ses Lettres sont Lettres écrites icy à plaisir. Mais outre que je vous ay déja dit qu’elles me sont renduës par Mr Vankessel, dont on sçait le grand commerce par tout, il ne faut que faire refléxion sur les matieres dont elles traitent. Elles sont remplies de trop de circonstances, qu’il est presque impossible d’imaginer, pour ne venir pas du lieu qu’elles marquent. Ce que vous venez de lire de la maladie & de la mort de Dom Jean en est une preuve. On n’en peut estre si bien informé que par les témoins des choses, & ces sortes de particularitez ne s’inventent point. Puis que ces Lettres sont trouvées si belles icy, mesme par les Esprits les plus délicats, il seroit à souhaiter pour la gloire de l’Espagne, & le plaisir de la France, que la Lorraine Espagnolete ne quitast point la Cour de Madrid, afin qu’elle pust toûjours envoyer des Rélations aussi agreables que celles qui sont parties de sa plume. Il est à croire que la jeune Reyne qui a déja fait connoistre qu’elle estimoit ses Ouvrages, ne laissera pas sortir de sa Cour une Personne qui parle si bien nostre Langue, & qui fait voir tant d’esprit en écrivant.

[Prix tiré par la Compagnie des Arquebusiers de Rheims] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 42-54.

Ma Lettre Extraordinaire du 15. de ce mois vous a fait part des réjoüissances faites à Rheims en y publiant la Paix genérale. Cette Ville ne s’est pas contentée d’en marquer sa joye par une Feste. Elle en a fait une seconde devant l’Hôtel des Arquebusiers. C’est une Compagnie de plus de cinq cens Bourgeois, qui dans les occasions de paroistre se trouvent toûjours en état, & sous les armes. La Paix s’estant faite, ils se sont crûs particulierement obligez d’honorer ce glorieux Ouvrage d’un Prince qui les a luy-mesme honorez de ses bienfaits, & qui dans le débris de tant d’autres Compagnies, a soûtenu la leur par la continuation de leurs Privileges, en considération de son antiquité, du nombre choisy de ses Chevaliers, & de la gloire qu’ils se sont acquise dans les Prix genéraux par leur adresse. La Feste se fit le 14. de l’autre mois, & commença par un Prix qui fut tiré, & dont Mrs de la Ville gratifierent la Compagnie ; apres quoy le Lieutenant des Habitans accompagné des Conseillers de Ville, & des Echevins, alluma le Feu de joye au bruit de la Mousqueterie, des Boëtes, des Trompetes, des Fifres, & des Tambours. Le dessein du Feu représentoit le Triomphe de la Paix, qui se servoit des Jeux de l’Arquebuse pour desarmer Bellone. Ces Jeux en forme de petits Amours s’empressoient les uns de l’enchaîner, les autres de la dépoüiller, & tous employoient les Armes arrachées de ses mains aux divertissemens de la Paix. La Machine du Feu estoit élevée de 28. à 30. pieds, au haut de laquelle on voyoit une Figure qui représentoit la Déesse de la Paix dans un pompeux équipage. Il sortit de sa main une Fusée qui réduisit la Discorde en poudre avec quantité d’Instrumens de guerre. Le Corps de la Machine, la Base, le Piédestal, la Pyramide, enfin tout estoit couvert d’artifice, & orné de Tableaux & de Trophées d’Armes, accompagnées de plusieurs Drapeaux, avec ces mots, qui sont la Devise de la Compagnie, Pro Rege & Patria. L’artifice de ce Feu estoit du Sieur Egé Ingénieur, & Chevalier de la Compagnie. Enfin tout se termina par la distribution des Prix que Mrs de la Ville donnerent. Il y eut beaucoup de Vin distribué au Peuple. Voicy les Vers des Emblémes qui estoient aux quatre faces de la Machine du Feu.

Premiere embleme.

Deux Arquebuses passées en sautoir, avec ces mots, Ludus erit, quod terror erat.

Quittez le Champ de Mars, petits Foudres de guerre,
Vous serez entre nous sous de meilleurs destins ;
Vos voix s’accorderont avec le bruit du Verre,
Nos combats innocens ne sont que des Festins.
    Renoncez au carnage,
Ne vous engagez plus dans les fureurs de Mars ;
Le seul sang de Bacchus coulant de toutes parts,
    Est le sang où l’on nage.

Seconde embleme.

Deux Trompetes passées pareillement en sautoir, sur un Fifre & un Tambour, avec ces mots, Et paci canimus.

C'est trop faire en tous lieux retentir les alarmes,
Ces usages sanglans sont contre nos souhaits :
Apres avoir servy dans le Mestier des Armes
Nous devenons enfin des Instrumens de Paix.
    Las parmy la poussiere
D'inspirer aux Soldats la haine & le couroux,
Nous allons enchanter par des accords plus doux,
    Cette illustre Carriere.

Troisieme embleme.

Des Abeilles qui se servent d’un Casque comme d’une Ruche, avec ces mots, Dabit haec quoque dulcia nobis.

Nous nous plaisons au bruit dans les temps les plus calmes,
L’Image de la Guerre a des charmes pour nous ;
Sans en souffrir les maux, nous y cueillons des Palmes,
Et nous y triomphons sans en craindre les coups.
    Le bonheur est extréme,
C’est tirer le Nectar d’un Casque ensanglanté,
Trouver du Miel au Fer, & dans la dureté,
    Puiser la douceur même.

Quatrieme embleme.

Des Barils de Poudre, avec ces mots, Et festos accendor in ignes.

Mes feux ne seront plus de ces affreux Cometes
Que le Dieu de la Guerre éleve dans les airs,
Pour estre, en éclairant, les tristes Interpretes
Des funestes malheurs que souffre l’Univers :
    Ce sont des Feux de joye,
Qui font luire, en brûlant, mille Astres lumineux,
Dont l’aimable clarté prédit les jours heureux
    Que le Ciel nous envoye.

Il y avoit pour Inscription sur la Porte de l’Hostel des Arquebusiers,

ludovico magno,

Victori Pacifico.

Et plus bas, sous un Portrait du Roy, deux Vers Latins expliquez par ceux qui suivent.

La Paix triomphe au son des Instrumens guerriers,
Et fait gouster icy la douceur de ses charmes ;
    Le Jeu se mesle au bruit des armes,
        Et l’Olive aux Lauriers.

***
Ainsi parmy le Fer, ainsi parmy le Feu,
louis alloit bravant les hazards de la Guerre ;
    Et ce qui fait trembler la Terre,
        N’estoit pour luy qu’un jeu.

On fit ces autres Vers sur les Prix que Mrs de la Ville donnerent à la Compagnie.

Grand & fameux Senat, on voit revivre en toy,
Celuy que Rome a veu vainqueur de tout le Monde,
    Et dont la sagesse profonde
    En tous lieux imposoit la loy.

***
Monter dans le Conseil le bon sens du Romain,
Dans la magnificence avoir encor la sienne ;
    C’est là de la Rome ancienne,
    Conserver la teste & la main.

***
Ton Art de gouverner étonne les Esprits ;
Et c’est par les présens qu’aujourd’huy tu nous donnes,
    Que nos Combats ont leurs Couronnes,
    Et nos paisibles Jeu, leur Prix.

[Suite de l’Avanture dit Prince Caillou] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 58-59.

Vous vous souvenez, Madame, de ce que je vous manday il y a cinq ou six Mois des avantures du Prince Caillou. L'Article vous fut suspect, & vous le regardastes comme une Fable. Cependant je ne vous ay rien écrit là-dessus qui ne m’ait esté confirmé depuis peu de temps par celuy mesme à qui les choses sont arrivées, & qui s’estant reconnu dans cette Histoire, a voulu sçavoir de moy par qui j’en avois esté si particulierement informé. Je l’ay veu, je l’ay entretenu, & il a dequoy justifier tout ce que je vous ay dit de sa fortune.

Le Voyageur. Conte §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 59-63.

On m’avertit que le Mémoire qui a donné lieu à l’Article des Religieuses du Paraclet d’Amiens, employé dans ma Lettre du Mois d’Aoust, avoit esté amplifié, & que ceux qui se sont trouvez à la Cerémonie dont il traite, ne se sont point aperçeus de beaucoup de particularitez qui y sont marquées. On devroit prendre garde en m’écrivant, à n’éxagerer jamais ce qu’on est bien aise de rendre public. On ne manque point de Témoins des choses. Ces Témoins me font la grace de me détromper, & quand il y a de la fausseté, ou trop d’embellissement dans les circonstances, je ne me fais point une honte de m’en dédire. Vous voyez par là, Madame, que je prétens que mes Lettres ne contiennent que des veritez, quoy que s’il en faut croire le Conte qui suit, il n’y ait quelquefois rien de plus dangereux que de dire la verité.

Le Voyageur.
Conte.

UN certain Voyageur ayant esté volé
        Par des Gens masquez sur la brune,
        S'en alla triste, désolé,
        Dans un Temple de la Fortune,
        Où le Dieu de la Verité
        Estoit autrefois consulté
        Sur les larcins & brigandages
Qu'on faisoit tous les jours dans les Bois d’alentour,
        Et dans les plus prochains Villages.
        Il arriva qu’il estoit jour.
        Helas ! quelle fut sa surprise,
        Quand il vit le Dieu décolé !
        Il avoit, dit-on, trop parlé.
        Certain Brigand à barbe grise,
        Par un sacrilege attentat,
        L'avoit mis en ce triste état.
Le Voyageur confus s’adresse à la Fortune.
        Il la consulte sur son vol ;
        Mais elle craignant pour son col,
Luy dit ; Sortez, l’Amy, sans faire plainte aucune,
Je me regle toûjours sur l’exemple d’autruy.
Jadis le Dieu rendoit mille fameux Oracles,
Peu de jours se passoient qu’il ne fist des miracles.
Il estoit Dieu, voyez ce qu’il est aujourd’huy,
        Pour avoir esté trop sincere ;
Je pourrois encourir mesme destin que luy,
        Si je ne sçavois pas me taire.
On ne doit pas toûjours dire la verité ;
        La trop grande sincérité
        Peut attirer plus d’une affaire.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 98-102. Attribution grâce à l'article du Mercure qui suit celui-ci (cf. Mercure) dans lequel sont cités explicitement certains ouvrages du compositeur.Cet article fait allusion à cette contrefaçon et voir l'article dans le Mercure

Apres l’Air à boire que je vous ay envoyé dans l’Extraordinaire du 15. de ce Mois, il faut vous en faire voir un sérieux du mesme Autheur, c’est à dire, d’un des plus habiles Hommes que nous ayons pour la beauté & pour la méthode du Chant. Les Paroles qui suivent luy ont esté envoyées avec une Lettre fort obligeante, par une Personne de la premiere qualité, & d’un mérite aussi élevé que la naissance. C’est par son ordre qu’il les a notées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Vous demandez des Vers, & si j’en croy vos yeux, doit regarder la page 99.
Vous demandez des Vers, & si j’en croy vos yeux,
Ils demandent, Philis, quelque chose de mieux.
    J’aurois plus de panchant qu’un autre
    À me fier à leur langueur ;
    Mais quand ils demandent un cœur,
    Ont-ils bien consulté le vostre ?

Le tour aisé de ces Vers méritoit bien qu’un grand Maistre les fist chanter. Tout ce que vous avez veu de cet Autheur a toûjours esté de vostre goust, & je croy que vous apprendrez avec beaucoup de plaisir qu’il promet de me donner ses Airs tous les Mois. Ce sera un embellissement pour mes Lettres où vous les aurez corrects, au lieu qu’en les surprenant comme on fait, pour les insérer dans les Livres de diférens Autheurs, on les défigure par mille fautes. Cela se peut remarquer mesme dans celuy qu’on a imprimé cette année, intitulé, Premier Livre d’Airs sérieux & à boire, de diférens Autheurs. Ce Livre n’est à proprement parler que son Journal des Nouveautez du Chant de 1678. qui se vendoit chaque Mois en petits Cayers, & qu’on vend présentement relié en deux Volumes chez les Sieurs de Luyne & Blageart, avec ses seconds Couplets en diminution ; le tout gravé au Burin.

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[Plusieurs Madrigaux contre une Vieille] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 102-105.

Voicy quatre Madrigaux que vous ne serez point fâchée de voir. Ils sont de Mr Brossard de Montaney, & sur une matiere dont la proposition ne vous avoit pas déplû.

Contre
une vieille.

I.

        L'Amour apres cinquante ans,
        Cloris, n’est qu’une folie.
        C'est un Mestier qui s’oublie,
        Quand on le fait si longtemps.
        Ne faites plus l’agreable,
        Ce soin est hors de saison.
        L'Amour veut comme la Table,
        Jeune Chair, & vieux Poisson.

II.

        EN cachant vos cheveux gris
        Sous une Perruque blonde,
        Vous croyez encor, Iris,
        De pouvoir leurrer le monde.
        En vain vous vous ruinez
        Pour vos appas surannez,
        Vostre pauvre esprit s’abuse.
        Personne ne craint vos coups,
        Et le Rouge & la Céruse
        Ne peuvent tromper que vous.

III.

CLoris, on me l’a dit ; vous vous estes chargée
De m’apprendre en amour comme il faut s’adoucir.
        C'est vous estre fort engagée,
        Vous aurez peine à réüssir.
Je sçay que vos vieux ans vous ont deû rendre habile ;
        Mais malgré vostre habileté,
Comme j’ay quelquefois l’esprit lourd, difficile,
        Une jeune & simple Beauté
        Me trouveroit bien plus docile.

IV.

UN jour la vieille Iris me faisant les yeux doux,
        Autant qu’elle pouvoit le faire,
Me disoit bonnement, j’ay dessein de vous plaire,
        Ne pensez pas de fuir mes coups,
        J'en ay bien pris d’autres que vous.
Je le sçay, répondis-je, on m’a dit vostre vie.
Longtemps vos yeux ont sçeu tout asservir,
Mais ils vous ont si longuement servie,
Qu'ils ne sont plus en état de servir.

[Particularitez touchant le College des Nobles de Parme] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 106-117.

Je vous ay déja parlé de la beauté du College des Nobles de Parme. Voicy ce qu’on m’en écrit de particulier. Cette jeune Noblesse que l’on y éleve avec de si grands soins, s’assemble ordinairement sur la fin de chaque année avant leurs Vacances, dans un grand Sallon destiné à l’ouverture del Teatro dell’ Honore. C'est ainsi qu’ils appellent cette celebre Journée, où le Secretaire de l’Académie qui s’y trouve en Corps, publie à haute voix ceux qui excellent, & qui ont profité dans leurs études, & dans les exercices qu’on leur fait apprendre. Mr le Duc de Parme leur fait ordinairement l’honneur d’y assister, & ce fut le 13. du Mois d’Aoust passé que ce Duc, accompagné du jeune Prince Odoard son Fils aîné, & de toute sa Cour, fut surpris de leur voir faire des choses qui paroissoient surpasser leurs forces. Il n’y a point d’Exercices propres à un Cavalier, où ils ne se fissent admirer. Mr le Duc de Parme leur fait ordinairement l’honneur d’y assister, & ce fut le 13. du Mois d’Aoust passé que ce Duc, accompagné du jeune Prince Odoard son Fils aîné, & de toute sa Cour, fut surpris de leur voir faire des choses qui paroissoient surpasser leurs forces. Il n’y a point d’Exercices propres à un Cavalier, où ils ne se fissent admirer. Mr le Duc de Parme témoigna la satisfaction qu’il venoit d’en recevoir, par les loüanges publiques qu’il leur donna, & par des carresses qui ne laissent point douter de l’attachement, & du plaisir qu’il a de faire fleurir de plus en plus cet incomparable College. Vous en jugerez, Madame, par le don qu’il luy a fait d’un Palais de délices qu’il avoit à dix milles de Parme, où ces jeunes Seigneurs auront à l’avenir pendant deux Mois de l’année, les passe-temps de la Promenade & de la Chasse. Ce beau Lieu qui est situé sur une Coline au pied des Mons Apennins, appartenoit à feuë Madame la Duchesse Doüairiere sa Mere, & il est si commode, & si logeable, que tous ces Pensionnaires y doivent avoir chacun leur petite Chambre, quoy que présentement il y ait pres de trois cens Personnes logées dans ce Château. Quelques-jours avant l’ouverture del Theatro dell’ Honore, ils firent suivant leur coûtume un Carrouzel (qu’ils appellent Cavalarizza generale) dans le grand Manége, que la plus grande partie des Dames, & de la Noblesse des Villes voisines, fut ravie de voir. Ce Carrouzel fut suivy d’une Course de Bague & de Testes, où cette belle Troupe fit des merveilles. Elle estoit composée de quatre Quadrilles ; la premiere, conduite par Dom Alessandro Sforza Romain ; la seconde, par Dom Antonino Colonna ; la troisiéme, par Mr le Comte de Konigssegh Fils du Comte de ce nom, l’un des premiers Ministres de l’Empereur ; & la quatriéme, par Mr le Comte de Lewestein proche parent de Mrs de Furstemberg. Je ne vous diray rien de la magnificence de leurs Habits, ny de leur adresse, puis que leur haute Naissance répond assez de l’une & de l’autre. Mr le Duc de Parme, outre les trente Chevaux qu’il leur envoye trois fois la semaine, avec ses Ecuyers pour leur enseigner à monter à cheval, leur envoya ce jour-là la plus grande partie de ceux de son Ecurie, qui est une des plus belles qu’il y ait en Italie. Ce Prince témoigne tant d’inclination pour l’embellissement de ce College, que pour donner une belle émulation à la jeune Noblesse qui le remplit, il a institué depuis quelques-années une Académie de belles Lettres qu’on appelle de Scelti, dans laquelle l’on n’admet aucun Sujet, qui ne se soit distingué en plusieurs occasions par des preuves d’une grande étude, particulierement dans la Poësie vulgaire ou Italienne. L'on a uny l’Académie des Armes à celles des Lettres. On ne peut estre reçeu dans cette premiere qu’apres s’estre signalé dans tous les exercices propres à un Cavalier. Les fonctions de la Reception se font deux fois l’année au plus, & Mr le Duc de Parme y assiste ordinairement. Voicy comme les Académiciens de l’une & de l’autre espece sont distinguez d’avec les autres Nobles. Ils portent tous une Médaille d’or du poids de trois Loüis, attachée au Pourpoint avec un Ruban rouge ou bleu, comme les Croix que portent les Chevaliers de Malte. Cette Médaille représente d’un costé les Armes de Farnése en relief, qui est une Fleur de Lis émaillée d’azur ; & sur le Revers celles du College, qui est une Ruche d’où sortent des Abeilles, avec cette Devise, Nobis at que alliis. Les Académiciens de Lettres ont une longue Robe garnie de Boutons à queüe, & d’Allemares or & soye à manches pendantes de mesme ; & ceux d’Armes, au lieu de Robe, portent le Manteau doublé de Brocard à fleurs d’argent sur un fonds bleu, & l’Epée au costé. Le nombre de ces Académiciens n’est pas déterminé, mais il ne passe jamais celuy de trente, dont le Chef qui est toûjours du nombre de ceux des Lettres, & qui porte le nom de Prince de l’Académie, est distingué des autres par une Robe traînante de Brocard d’or à fleurs, & par sa Médaille garnie de Diamans. Je ne vous parleray point, Madame, de l’œconomie de cet illustre College. Ce sera assez de vous dire qu’il est gouverné par le Pere Luigi Masdoni, des premieres Familles d’Italie, qui en est Recteur, & par le Pere Agostino Franceseo Sirani à qui l’invention de ces deux belles Académies est deuë. L'on me promet de temps en temps des Ouvrages de cette illustre Académie, qui ne déplairont peut-estre pas aux Curieux, sur tout à ceux qui estiment les beautez de la Langue Italienne.

[Placet de l’Amour] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 117-122.

Il court une Galanterie fort agreable dont je me croy obligé de vous faire part. Elle est d’une Dame de qualité. La maniere fine & délicate dont cette Piece est tournée, fait connoistre la beauté de son esprit. On juge aisément qu’elle a esté faite sur quelque Arrest obtenu contre les projets de deux Amans. La Réponse que vous trouverez en suite est un Inpromptu, fait par une Personne tres-spirituelle, qui fait parler l’Ombre d’une Illustre.

Placet
de l’amour,
au roy.

Grand Roy, qui redonnez le repos à la Terre,
Ah ne permettez pas qu’on me fasse la guerre.
Quand vous avez marché, mes Sujets à l’envy
Par tout aux grands Exploits vous ont-ils pas suivy ?
Si j’ay sçeu dans les cœurs inspirer la tendresse,
La Gloire en a toûjours demeuré la maîtresse,
Et l’on a veu souvent par vos braves Guerriers
Les Myrthes négligez pour les sanglans Lauriers.
Mais les jours sont venus où l’Europe respire ;
Alliée, ou soûmise à vostre heureux Empire,
J’entens de toutes parts que l’on chante la Paix,
Et je croyois me voir au but de mes souhaits.
Je croyois qu'on pourroit dans ce temps favorable
Retrouver le plaisir d’aimer & d’estre aimable ;
Cependant quand je fais ces innocens projets,
J’apprens que contre moy l’on donne des Arrests.
Iris se laisse voir, elle est charmante & belle,
Il est d’illustres cœurs qui s’enflâment pour elle,
Sur cela l’on se plaint & l’on porte l’excés
Jusqu’à luy vouloir faire un criminel Procés.
On n’ose plus aimer, qu’aussitost l’on n’informe ;
Les Juges assemblez, par leurs Decrets en forme,
Prétendent aujourd’huy détruire mon pouvoir,
Et punir les Amans quand ils font leur devoir.
J’appelle à Vous, Grand Roy, d’une telle injustice,
Ne laissez pas régner ce dangereux caprice,
Ordonnez à vos grands & sages Parlemens,
De vuider les Procés, sans en faire aux Amans.
Vous avez, en mettant Victoire sur Victoire,
Elevé vostre Trône au faiste de la Gloire.
De là, quand il vous plaist rappeller les Plaisirs,
Suis-je pas toûjours prest à remplir vos desirs ?
Prenez donc mon party contre la Tyrannie
Qui s’attache à troubler les douceurs de la vie.
On me verroit bientost quitter ce beau sejour,
S’il falloit pour aimer, un Arrest de la Cour.
Daignez par un seul mot dissiper tant de brigues
Qui pensent avoir droit sur mes tendres intrigues,
Et déclarez enfin, pour finir leurs erreurs,
Que louis & l’Amour sont seuls maistres des cœurs.

Reponse à Madame D*** L'Ombre de Madame la C.D.L.S. §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 122-124.

Reponse
à Madame D***
l’Ombre de Madame
la C. D. L. S.

L’Amour se plaint à tort, quand tout le favorise,
La France de tout temps à ses Loix fut soûmise,
Et mesme dans Paphos où Vénus tient sa Cour,
Avec moins de puissance on voit régner l’Amour.
Jamais, quand il veut seul régler nos destinées,
On ne voit par les Loix ses Conquestes bornées,
Ses traits soûmettent tout, & Thémis & Pallas,
        Des plus severes Magistrats
N’en peuvent garantir les dernieres années ;
Mais quand avec l’Hymen on connoit aujourd’huy
        Qu’il veut partager sa puissance,
On n’a plus pour ce Dieu la mesme obeïssance,
        Et les Loix ne sont plus pour luy.

***
Vous l’avez éprouvé, charmante Cythérée,
Qu’on voit toûjours l’Hymen dans cet heureux sejour,
Apres quelques plaisirs d’une foible durée,
        Creuser le tombeau de l’Amour.

[Réponse à la Difficulté proposée touchant le Pavé à la Mosaïque] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 124.

On a satisfait à ce que vos Amis vouloient sçavoir touchant le Pavé à la Mosaïque. Voicy ce qu’on m’a écrit sur la difficulté qu’ils ont proposée. C’est le Pavé & le Sallon, car tout le Sallon est Pavé. Il est vray que le Portrait où sont les quatre Figures n’est que le milieu du Pavé, & n’a que quatre ou cinq pieds en quarré.

[Entrée de M. l’Archevesque de Bourges dans la Ville de ce nom] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 125-138.

Mr de la Vrilliere nommé par le Roy à l’Archevêché de Bourges, & attendu depuis longtemps dans son Diocese, avec toute l’impatience que peut causer un mérite extraordinaire, arriva à Bourges le dernier du Mois. Un grand nombre de Personnes de qualité alla au devant de luy, & fit un Cortege de vingt ou trente Carrosses. Mr l’Abbé Chéron Doyen de la Cathédrale, & Deputé de son Chapitre, se mit à leur teste. On sçait l’estime où il est pour sa vertu, & pour les Emplois illustres qu’il a eus dans le Clergé. Il mit pied à terre si-tost qu’il apperçeut le Carrosse de ce nouvel Archevesque qui descendit aussi en le voyant. Il le harangua avec une éloquence digne de sa réputation, & du rang qu’il tient dans le Diocese. Il avoit esté précedé par Mr le Begue, Prevost Provincial de Mrs les Maréchaux de France en Berry. C’est un Gentilhomme dont le mérite n’est pas moins connu que la qualité. La Harangue spirituelle & cavaliere qu’il fit à ce grand Prélat, le fit admirer de tous ceux qui l’entendirent. Ce qu’il y eut de plus singulier dans cette heureuse journée, fut l’empressement de tout le Peuple qui couroit dans les Ruës pour voir son Pasteur, avec toutes les marques de joye qu’il pouvoit donner. Les Fenestres & les Portes estoient pleines de Cavaliers & de Dames. On le salüoit de toutes parts & il luy fut aisé de juger qu’il n’y avoit rien de contraint dans les témoignages du zele respectueux qu’il vit éclater par tout.

A peine estoit-il entré dans son Palais, que le mesme Mr l’Abbé Chéron vint se présenter suivy de tout son Chapitre, remply d’une infinité de Personnes illustres par leur naissance & par leur vertu. Il le harangua de nouveau avec le mesme succés qu’il avoit eu la premiere fois, & fut suivy de Mr de Maubranchere Lieutenant Genéral de Berry, à la teste du Présidial. Il méritoit l’attention qui luy fut prestée. C’est un des Hommes de France qui sçait parler le plus juste, & qui écrit avec le plus de politesse. Mr Becueau Maire de la Ville, accompagné de ses Echevins, finit par une tres-belle Harangue les cerémonies de ce premier jour.

Le lendemain sur les neuf heures du matin, Mr de la Vrilliere prit possession de l’Archevesché. Il faut vous dire de quelle maniere, en vous apprenant l’usage particulier de Bourges, dans une occasion de cette nature. On ferme toutes les Portes du Cloistre qui environne la grande Eglise, & qui forme comme une espece de Ville, & le nouvel Archevesque se rend dans la Maison d’un Chanoine, bastie aupres de la Porte par où il doit entrer, & ayant communication par une fausse Porte avec les Quartiers qui sont hors du Cloistre. Là il est harangué par le Grand Chantre de l’Eglise. Cette Dignité est présentement remplie par Mr Mignot Abbé de Belveaux, qui charma toute l’Assemblée par la beauté de son Compliment. L’Archevesque signe en suite quelques Actes ausquels assistent comme Témoins ou comme Barons, deux Chanoines de la Sainte Chapelle, députez de leur Chapitre. Il avoit choisy pour cet employ dans cette derniere occasion Mr l’Abbé Marpon Trésorier de France, un des plus spirituels & des plus honnestes Hommes de la Province, & un autre Chanoine dont on ne m’a point appris le nom. L’Archevesque qui est prest à prendre possession ayant satisfait à ces petites formalitez, sort de la Maison dont je vous viens de parler, accompagné de tous ses Officiers, & revétu d’une petite Chape blanche. Il s’avance vers la principale Porte du Cloistre par laquelle il doit entrer, & d’abord qu’il est arrivé en cet endroit, le Peuple se jette sur luy avec un empressement qui tient quelque chose de la fureur, & luy arrache sa Chape. Elle est aussi-tost déchirée en mille morceaux. Cependant la Porte s’ouvre, & l’Archevesque continuë son chemin vers la grande Eglise. Cette Chape demeurée ainsi dans les mains du Peuple, cause des combats, où il y a quelquefois beaucoup de sang répandu. Chacun en veut avoir un petit lambeau, & il n’en demeure jamais rien d’entier. On dit que cette Cerémonie est un mouvement de la sainteté des premiers Evesques qui faisoient tous des Miracles, & dont le Peuple déchiroit les Habits pour avoir de leurs Reliques. Il est certain qu’il y a peu d’Eglises qui ayent eu tant de Prélats Saints que celle de Bourges. On estoit si accoûtumé autrefois à n’en voir point d’autres, que cette pieuse fureur du Peuple (s’il est permis de parler ainsi) est devenuë un usage, & une cerémonie qu’on y observe régulierement. On la pratiqua pour Mr de la Vrilliere qui trouva tout le Chapitre sur les marches de la grande Eglise. Mr l’Abbé Chéron estoit à la teste, & harangua ce nouveau Prélat, en Latin, avec autant de grace qu’il avoit fait en François. Toutes les Cloches sonnerent ensuite. La Musique chanta le Te Deum, & cet Archevesque fut mis en possession avec les cerémonies ordinaires. Apres qu’on les eut finies, il entra dans le lieu où le Chapitre s’assemble, & parla aux Chanoines avec tant d’érudition, de politesse & d’honnesteté, qu’il les charma tous. Ils l’accompagnerent jusqu’au Palais Archiepiscopal, où ils furent régalez d’un magnifique Dîné.

Ce mesme jour il fut harangué à diverses heures, par Mr Colladon pour l’Université ; par Mr Cornuel pour les Trésoriers de France ; par Mr Gassot pour l’Election ; par Mr Gougnon pour la Prevosté, & ensuite pour le Parquet, & pour le Corps des Administrateurs de l’Hostel Dieu ; par Mr du Danion pour les Juges Marchands ; par Mr l’Abbé Guenois pour l’Officialité : par Mr l’Abbé Chéron pour le Bureau Ecclesiastique, & un peu apres pour les Administrateurs de l’Hospital General ; & enfin par Mr l’Abbé de la Chapelle pour la Chambre des Députez du Diocese. Vous connoissez ce dernier, & les Ouvrages que je vous ay envoyez de luy, vous ont concaincuë il y a déjà longtemps, que peu de Personnes composent aussi juste, & avec autant de bon sens qu’il fait. Les jours suivans on présenta quantité de Vers à ce nouvel Archevesque. Ceux des Imprimeurs de Mr Toubeau sont les seuls qui soient venus jusqu’à moy. Vous les trouverez tres-bien tournez. Ils sont d’un Parent de Mr l’Abbé de la Chapelle qui porte ce mesme nom. Souvenez-vous, s’il vous plaist, Madame, que ce sont des Imprimeurs qu’il fait parler.

[Vers sur ce sujet] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 139-142.

A MONSIEUR
L’ARCHEVESQUE
DE BOURGES.

Dans cet heureux Climat où le Ciel vous envoye,
Tout résonne déjà du bruit de vos vertus ;
Déjà nos Citoyens par mille cris confus,
Jusqu’aux pieds des Autels ont fait parler leur joye.

***
Pour nous, dont l’Art avec moins de fracas,
Sçait parler à l’esprit, sans fraper les oreilles,
Nous venons vous offrir & nos soins & nos veilles :
Nos applaudissemens font peu de vains éclats,
Et durent fort souvent mesme apres le trépas.

***
Nous ouvrons aux Héros le Temple de la Gloire.
Leurs noms bravent par nous les insultes du temps,
Et c’est en vain qu’ils font des Exploits éclatans,
Si nostre Art au Public ne donne leur Histoire.

***
    Combien de vos Prédecesseurs ;
    Jadis comblez de mille honneurs,
Ne seroient maintenant qu’un peu de pourriture,
    Inconnus sous leur Tombe obscure
    Au reste des Humains,
S’ils n’avoient imploré le secours de nos mains ?

***
Sans les Livres sacrez qu’ils ont pris soin de faire,
    Leurs Noms que par tout on révere,
    Jusqu’à nous n’eussent point passé.
Mais tous n’ont pas finy ce qu’ils ont commencé :
Et pour vous préparer une gloire nouvelle,
    Le Ciel a fait qu’ils ont laissé
    Un vaste champ à vostre zele.

***
    Tandis que plus éclairé qu’eux
Vous répandrez par tout des Lumieres plus vives,
Nos Presses qui déjà se lassent d’estre oisives,
Donneront chaque jour mille éloges pompeux
        À vostre Nom fameux.
    Ce sont de nostre ardeur sincere
        Les Monumens fortunez,
    Contre qui les ans mutinez
    N’exercent point leur colere.

***
        Toute la Posterité
    Par nous de vos vertus instruite,
Admirera vostre sage conduite,
Longtemps apres que vous aurez êté ;
    Et nos premiers hommages
    Sont pourtant d’heureux gages
        De l’Immortalité.

Madrigal §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 161-164.

La Mort n’afflige pas seulement les Intéressez, elle chagrine aussi quelquefois ceux qui ne prennent aucune part à la perte des Mourans. Les Vers qui suivent en sont une preuve. Un Cavalier fort spirituel, soûpirant depuis quelque mois pour une jeune Personne qui ne trouvoit pas aisément l’occasion de se laisser voir, en avoit enfin obtenu un Rendez-vous. Une Tante de la Belle s’avisa d’estre malade à l’extrémité dans ce mesme temps. Elle voulut voir sa Niéce avant sa mort. On la vint chercher, & cette rencontre fit manquer le Rendez-vous. C’est le sujet de cet Inpromptu.

Madrigal.

Mourez vistes, mourez, incommode Mourante,
Qui faites aujourd’huy manquer vostre Parente
        Au rendez-vous qu’elle avoit pris.
Mourez, & que de vous l’Achéron nous délivre ;
Vous ne sçauriez mourir sans avoir veu Cloris,
        Et sans la voir je ne puis vivre.
Parlez de bonne-foy, n’avez-vous pas grand tort ?
        Estoit-il besoin, je vous prie,
        Que les plaisirs de vostre mort
        Valussent tous ceux de ma vie ?

[Mariage de M. de Monthelon & de Mademoiselle de la Guillaumie] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 171-175.

Il s’est fait un Mariage le neuviéme de ce Mois, entre deux Personnes qui vous doivent estre connuës. Plusieurs de mes Lettres vous ont instruite du mérite de Mr de Monthelon, fameux par ses Plaidoyers, & par quantité de beaux Ouvrages qu’il nous a laissez. Mr de Monthelon son Fils Conseiller au Grand Conseil, qui soûtient avec tant de gloire le rang qu’il a dans cette grande & illustre Compagnie, quoy que dans un âge peu avancé, épousa Mademoiselle de la Guillaumie le jour que je viens de vous marquer. C’est un Couple parfaitement assorty. Le Marié est bien fait, a l’esprit vif & fort posé tout ensemble, le raisonnement solide, & tant de lumieres sur toutes choses, qu’on peut esperer de le voir un jour dans les plus beaux Emplois de la Robe. La Mariée est aussi agreable que spirituelle, parle fort juste, joüe du Clavessin aussi bien que Fille de France, dance de mesme, & sçait tres-bien la Musique. Son humeur douce, civile, & honneste, la fait aimer de tous ceux qui la connoissent. Elle est Fille de Mr la Guillaumie, Secretaire & Greffier du Conseil, & proche Parente des illustres Messieurs Lallemand. Madame de la Guillaumie sa Mere, & Madame d’Epinville sa Tante, Femme de Mr d’Epinville Conseiller au Grand Conseil, estoient Filles de Mr Lallemand Maistre des Requestes, qui a rendu de si considérables services à l’Estat, & principalement dans la Commission qui luy fut donnée pour la Chambre de Justice. Il eut pour Frere le Pere Lallemand Jesuite, qui a souffert le martyre chez les Iroquois.

Le mérite des deux Mariez dont je vous parle, donne lieu de croire que leur union sera fort heureuse.

[Billet Galant] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 175-180.

Cependant, si l’on s’en rapporte à beaucoup de Gens, il ne faut souvent que se marier pour faire cesser la passion la plus violente. On l’a vû par mille épreuves, & vous l’allez voir encor par la Nouvelle qui suit. Le stile en est particulier, mais fort agreable. Ne me demandez point de qui elle est. Je n’en sçais que ce que m’a appris le Billet que je vous envoye. Il accompagnoit ce galant Ouvrage, & estoit conçeu en ces termes.

Il ne reste plus rien à desirer au Mercure si ce n’est que les Dames veüillent bien que leurs Ouvrages y paroissent plus souvent qu’on ne les y voit. Il seroit mesme à souhaiter pour sa gloire, qu’il n’y en eust jamais d’autres. Personne apres cela ne se hazarderoit plus à luy contester le titre de Mercure Galant, puis que ce seroit des Dames qu’il le recevroit. C’est une entreprise digne du beau Sexe. Les Gens ne sont galans que par luy, les Livres ne le seroient non plus que par luy. Galanterie du monde, galanterie du Mercure, tout dépendroit des Dames. Il ne seroit plus permis de porter le nom de galant sans leur aveu & elles pourroient ordonner de grosses amendes contre ceux qui le prendroient sans leur approbation. Si toutes estoient faites comme celle dont je vous envoye l’Ouvrage qui suit, le succés n’en seroit point assurément douteux. C’est une Personne fort spirituelle. La conversation en est enjoüée, le tour de l’esprit agreable & fin, & l’expression toute de feu. Vous connoistrez tout cela par cet Ouvrage, & vous jugerez, sans doute, que je ne me trompe pas. Vous m’en croirez donc sur ma parole, s’il vous plaist, quand je vous diray qu’elle est aussi aimable que spirituelle. Le Public me permettra de n’en pas dire davantage. Des proclamations de beauté d’une Dame ne sont pas quelquefois trop agreables dans la suite à ceux qui les font d’abord avec plaisir. Comme l’esprit est plus difficile à reconnoistre, j’en parle avec plus de liberté. Je voudrois bien neanmoins en prendre davantage, pour vous faire connoistre tout ce que vaut cette charmante Personne ; mais puis que pour de plus grands Ouvrages, elle emprunte le nom d’autruy, & qu’elle veut bien qu’on se fasse honneur de ce qui luy appartient, je dois imiter sa modestie en vous parlant d’elle.

Zenobin, nouvelle §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 180-191.

Zenobin,
nouvelle.

        Par grands vols & succés heureux,
Zénobin devenu redoutable sur l’onde,
        Ne crût son nom assez fameux,
S’il ne faisoit trembler tous les Marys du monde.
    Plaisante estoit la résolution,
        Mais l’entreprise dangereuse ;
        Pirater sur Mer amoureuse,
    Seroit pourtant douce occupation,
    Si cette Mer estoit moins orageuse.
        Cependant quoy qu’on ait tâché
D’effrayer quelque cœur par maint & maint naufrage
Qu’a fait maint autre cœur, aucun n’en est plus sage.
Discours tant éloquent personne n’a touché,
Ainsi perdre son cœur n’est un fort grand dommage,
        Et qui n’y perd rien davantage,
        En est quite à fort bon marché.
        Mais revenons à nostre histoire,
        Laissons-là le raisonnement.
    Un jour voguoit sur l’onde arrogamment
        Un Vaisseau de triste mémoire ;
Il s’arreste en un lieu qu’on disoit se nommer
    L’Isle de Chypre, où Vénus réverée
Fait qu’à douze ans les cœurs ont droit de s’enflâmer.
Tres-vaste est maintenant cette belle Contrée ;
Mesme puis qu’en tous lieux tous cœurs sçavent aimer,
On peut nommer tous Lieux l’Isle de Cythérée ;
C’est de peur de méprise aussi que franchement
J’en ay donné le nom à ce Païs aimable,
        Où chaque Belle avoit Amant,
        Et chaque Amant, Belle traitable.
        Croiroit-on qu’en lieu si charmant
    Se rencontrast un Mary seulement ?
S’en rencontra pourtant un seul que l’Hymenée
        Faisoit gémir dans ces lieux.
A mesme peine estoit la Femme condamnée ;
D’Hymen, & non d’Amour, ils tenoient tous leurs biens ;
Aussi plus d’une nuit leur parut une année ;
Tous deux s’estoient aimez pendant assez longtemps,
L’Amour seul avoit fait leurs plus cheres delices,
        Mais par je ne sçay quels caprices,
Ils crûrent que l’Hymen les rendroit plus contens.
        Hymen leur offre ses services ;
Rendre service aux Gens n’est pourtant son mestier ;
        C’est un contretemps quand on s’aime,
        Que de vouloir se marier ;
Aussi bientost apres leur chagrin fust extréme.
    Un mois passé, l’Amour se retira,
        Ils s’ennuyoient d’estre en ménage,
        Le froid Hymen seul demeura.
    Que mariage est lors chose importune,
    Quand on en est une fois à ce point !
    Le meilleur est chercher ailleurs fortune :
Aussi nos Epousez en cherchoient-ils quelqu’une,
        Mais chacun avoit sa chacune,
        Fortune ne se trouvoit point.
Arriva Zénobin dans cette conjoncture,
        Galante avanture il cherchoit.
    Il voit l’Epouse, & l’Epouse le voit,
        Qui cherchoit galante avanture.
        C’estoit assez pour la conclure ;
Un je vous aime dit, un je vous aime aussy,
        Fait toute la cerémonie.
        Dans peu soûpirs ont réüssy,
Amour est augmenté, pudeur est affoiblie,
Teste-à-teste se cherche en leur tendre soucy,
        Teste-à-teste finit ainsy.
Par un tranquille soin pressé d’amour ardente,
    Zénobin sort de sa Maison flotante,
Et le cœur agité de douce passion,
        Court, vole à douce occasion.
Comme il conta ses feux, je ne sçaurois le dire,
Le bien & mal d’amour j’ay toûjours ignoré ;
Sçaurois-je ce qu’on dit quand par fois on soûpire,
        Moy, qui n’ay jamais soûpiré ?
Toûjours il est certain que la nuit ils passerent
    Ensemblement, mesme avec quelque émoy,
        Et que les Dieux ils offencerent,
        Qui mirent tout en desarroy.
(Dieux froids s’entend) car Dieux galans en rirent,
Teste-à-testes pour eux ne sont griefs pechez,
Mais Eole & Neptune en furent si fâchez,
Que de vanger l’Hymen grosse affaire se firent,
(Dieux pourtant à l’Hymen ne sont trop attachez,)
Tout tremble sur la Mer, tout tremble sur la Terre,
La flâme des Eclairs fait un horrible jour,
Et pour les Elémens c’est un sujet de guerre,
Que de voir deux Amans en paix avec l’Amour.
Le malheureux Vaisseau tout brisé de l’orage,
Resiste en vain à ces Dieux mutinez,
Impitoyablement à sa perte acharnez ;
        En un moment il fait naufrage.
        Zénobin revient cependant,
Il voit le Nautonnier pâle encor, & tremblant,
        Qui s’est sauvé sur le rivage,
Entend sans s’émouvoir son funeste recit.
Il aprend sans chagrin la perte qu’il a faite,
        Pour un moment l’en garantit ;
Cette douce pensée s’est bientost affoiblie,
    Dans son Vaisseau s’est perdu tout son bien.
Un plaisir qui n’est plus, facilement s’oublie ;
Quand grand mal est présent, plaisir passé n’est rien ;
Mais laissons-le pester, en laissant la Morale,
Voyons un mal plaisant naistre d’un triste mal.
Portrait s’estoit donné par Dame libérale,
        En attendant l’Original ;
    Ce petit mal causa seul grand scandale,
Car d’un petit peché c’est l’ordinaire sort.
Le grand fait esquiver l’indiscrete lumiere ;
        Sombre nuit, silence, mistere,
        Tout se trouve avec luy d’accord.
        Petit peché tout au contraire,
        Se découvre presque d’abord ;
Il est bien peu de Gens qui voulussent en faire.
Or ce Portrait donné, dans la Mer fut perdu,
Et quelque temps apres, par la Mer fut rendu.
Le Peuple accourt, il croit que la Déesse
        Qui fait languir Hommes & Dieux,
        Pour luy témoigner sa tendresse,
        Donne son Portrait à ces lieux.
On le porte à son Temple en magnifique pompe,
Mille vœux en passant le Portrait recevoit,
Vénus estoit chérie, & chacun accouroit ;
Le Mary vient aussi, qui certes ne s’y trompe.
Il conçeut aussitost un soupçon violent,
        Que ce Portrait tant adorable
    Avoit passé par les mains d’un Galant,
    Car les Marys ont beaucoup de talent
    Pour sentir un malheur semblable.
Oh, oh, dit-il, Déesse au cœur plein d’amitié,
(Car ce Portrait icy vous marque assez humaine,)
L’Hymen vous déplaisoit, & vous aviez pitié
Qu’un cœur comme le vostre eust toûjours mesme chaîne ;
        À trouver une autre Moitié
    Vous n’avez pas esté longtemps en peine.
Zénobin par hazard se trouvant pres de luy,
        Luy dit pour flater son ennuy ;
Cher Amy, lors qu’on a chez soy telle Déesse,
        Il ne faut point estre jaloux,
        Si chacun à l’envy s’esmpresse,
        Quand nostre encens pour elle cesse,
        À luy rendre hommage pour nous.

[Les Apparences trompeuses, Histoire] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 197-221.

On est si souvent trompé par les apparences, que les Sages n’y doivent jamais asseoir aucun jugement. Ce que vous avez lû au commencement de cette Lettre en est une marque. Je pousse la chose plus loin, & prétens qu’il ne faut pas toûjours croire ce qu’on voit. En voicy la preuve. Une fort agreable Demoiselle, mariée depuis un an, faisoit le charme de tout ce qu’il y avoit d’honnestes Gens dans une des meilleures Villes du Royaume. Elle estoit toute aimable dans ses manieres, avoit un enjoüement d’humeur admirable ; & comme son Mary luy donnoit beaucoup de liberté, elle ne manquoit jamais de Compagnie. Le Jeu, la Promenade, le Bal, les Festes galantes, elle estoit de tout. Grand nombre de Soûpirans. On luy disoit qu’on l’aimoit. Elle témoignoit en sçavoir bon gré, & aucune tendre déclaration ne l’embarassoit. Cependant, point de particulier avec elle. Tout le monde estoit reçeu à tout heure, & si on vouloit estre de ses Amis ou de ses Amans (car le mot d’amour ne l’effrayoit pas) il falloit qu’on s’accommodast du genéral. Les plus amoureux redoubloient leurs soins sur l’espérance qu’ils avoient au temps. Leur regards parloient quand trop de témoins les empéchoient de s’expliquer autrement, & elle en avoit de flateurs qui leur faisant croire qu’on les entendoit, servoit d’amorce à les retenir. Ainsi sa Cour estoit toûjours grosse. Elle ne rebutoit personne, & ce genre aisé de vie la contentoit d’autant plus, que son Mary estant de sa confidence, entroit de part dans le plaisir qu’elle en recevoit. Sa facilité à tout écouter ne laissoit pas de luy attirer quelques médisances. Beaucoup disoient qu’on ne prestoit pas l’oreille si volontiers, qu’on n’eust dessein d’engager le cœur, & de longs chapitres de Morale luy estoient faits là-dessus, par une Amie d’un caractere entierement opposé au sien. C’estoit une Femme d’un dehors sévere, bien faite, quoy qu’un peu âgée, mais qui regardant avec des yeux de pitié toutes celles qui se laissoient soupçonner d’intrigue, affectoit une scrupuleuse régularité, qui ostoit la parole aux plus enjoüez. Il n’y avoit point moyen de rire avec elle. C’estoit un sérieux éternel. La moindre conversation galante la rendoit muette. Elle fuyoit toutes les Parties agreables, & le nom de Prude sembloit luy tenir lieu de tous les plaisirs. Elle n’y estoit pas pourtant insensible, & toute réservée qu’elle vouloit qu’on la crust, elle avoit ses heures qu’elle ménageoit adroitement, mais par une maxime qui trouve ses partisans comme beaucoup d’autres. Elle estoit persuadée qu’il n’y avoit que l’éclat qui fist le crime, & en effet les apparences de vertu luy plaisoient beaucoup plus que la vertu mesme. Un fort galant Homme luy avoit touché le cœur. L’intrigue estoit forte, & les rendez-vous tellement cachez, qu’on ne croyoit pas mesme qu’il la connust. Comme le hazard se mesle de tout, une rencontre impréveuë donna à la Belle certaines lumieres qui la détromperent fort de cette Amie. Elle sçeut le particulier de son commerce, & se lassant d’en recevoir à tout heure d’incommodes remontrances de pruderie, apres luy avoir dit plusieurs fois qu’elle aimoit mieux faire un peu d’éclat par les fréquentes visites de ses Amis que de n’en voir qu’un seul à petit bruit, elle luy marqua enfin un jour qu’elle estoit instruite de ses affaires. Ce fut assez pour la rendre son Ennemie. La fausse Prude ne pût luy pardonner d’avoir appris son secret. Elle résolut de s’en vanger & un sentiment de haine s’estant joint à la jalousie qui est naturelle aux Femmes, & mesme entre les meilleurs Amies, elle mit tout en usage pour nuire à la Belle. Ce ne fut pas pourtant une guerre ouverte. Elle dissimula pour mieux réüssir, & ayant inutilement tâché de faire prendre des soupçons à son Mary, elle s’appliqua plus particulierement à observer sa conduite. Soit qu’elle en jugeast par elle-mesme ; soit que les manieres flateuses de la Belle luy eussent donné des impressions desavantageuses de sa vertu, elle s’estoit mis en teste que ses intrigues ne se bornoient point à des paroles, & voulant qu’il y eust quelque Amant favorisé, elle vit son Amie plus que jamais pour trouver l’occasion de penétrer son secret. La porte luy estoit ouverte à tous momens, & ne voyant ny teste-à-teste affecté, ny correspondance particuliere, elle commençoit à desesperer de son entreprise, quand un incident des plus bizarres luy fit goûter la joye d’un entier triomphe. Le Mary estoit party le matin pour deux ou trois jours. La Prude entra l’apresdînée chez la Belle, & ne trouvant ny Servante, ny Laquais à qui parler, elle alla jusqu’à sa Chambre. La Porte en estoit fermée, & il n’y avoit point de Clef. Elle s’arresta sans y fraper, parce qu’elle cherchoit à la surprendre. Elle écouta quelque temps, & n’entendit rien, & ce silence luy ayant fait croire d’abord qu’il n’y avoit personne dans cette Chambre, elle s’avisa de s’en vouloir éclairicir en regardant par le trou de la Serrure. Cette ouverture donnoit sur un costé du Lit de la Belle. Quel agreable spéctacle pour la fausse Prude ! Les rideaux du Lit estoient ouverts, & elle vit son Amie couchée entre deux draps, dormant la teste tournée vers la Porte. Aupres d’elle, mais le visage tourné de l’autre costé, il y avoit une autre Personne qui dormoit aussi avec un Bonnet de nuit d’Homme sur la teste. Ce Bonnet aupres d’une Coife, luy parut de la plus étroite amitié du monde. Elle s’applaudit d’avoir enfin découvert que son Amie avoit un Galant. Il ne s’agissoit plus pour l’achevement de sa joye, que de trouver moyen de le voir au nez. L’occasion luy sembloit bien prise. Le Mary estoit pour trois jours à la campagne, & son absence ostoit le péril du rendez-vous. Elle pensoit peut-estre de plaisantes choses sur les Amans endormis, quand elle entendit monter quelqu’un. Rien ne pouvoit arriver plus à propos. Il luy falloit des Témoins pour faire éclater le commerce de la Belle, & on luy épargnoit la peine d’en aller chercher. Celuy qui montoit estoit le plus important. Elle n’en pouvoit souhaiter aucun qui luy donnast plus de joye. C’estoit le Mary. Il avoit eu avis en chemin que ceux qu’il alloit chercher estoient en voyage. D’abord qu’elle l’apperçeut, elle descendit cinq ou six degrez, & le prenant par la main comme si elle eust voulut le mener ailleurs, elle luy fit entendre en termes malicieux, qu’elle luy rendoit un fort bon office. Sa voix basse, un je-ne-sçay quel trouble affecté, & un empressement extraordinaire à demander qu’il ne montast point, luy en firent naistre plus d’envie. La Dame feignit encor quelque temps de le vouloir arrester, & remontant enfin avec luy, elle le pria de regarder seulement par le trou de la Serrure, adjoustant qu’il y avoit des choses qu’un honneste Homme devoit souvent ignorer, & qu’elle luy promettoit de ne rien dire. Le Mary plus embarassé par ces dernieres paroles, s’approcha de la Porte pour s’éclaircir, & le Bonnet d’Homme qu’il apperçeut fut pour luy la conviction d’un malheur qu’il croyoit n’avoir aucun lieu d’appréhender. L’honnesteté qu’il avoit euë pour sa Femme, la tendresse qu’elle luy avoit toûjours témoignée, & la confidence des douceurs qu’on luy contoit, qu’elle n’avoit pû luy faire que pour l’ébloüir, estoient des circonstances cruelles qui augmentoient la noirceur de la perfidie. La fureur le prit. Il voulut que la Dame fust témoin de la vangeance qu’il méditoit, comme elle l’estoit de sa honte. Ce fut alors qu’elle tâcha tout de bon de le retenir. Quoy qu’elle ne fust pas fâchée qu’il eust veu la chose, elle n’aimoit pas le sang ; & comme il tenoit ses Pistolets (il les apportoit pour les renfermer) elle eut peur qu’il ne la défist d’une Amie qu’elle souhaitoit vivante, pour avoir l’avantage d’en triompher. Elle eut pourtant beau vouloir le porter à estre Mary pacifique. Il n’écouta rien, & donnant des pieds contre la Porte avec une violence qui ne se peut concevoir, il l’enfonça dés les premiers coups. La Belle que ce grand bruit éveilla, ne pouvoit comprendre ce qu’elle voyoit. Son Mary avoit l’air d’un Furieux, & elle jugeoit aisément qu’il ne s’emportoit pas ainsi sans sujet. Cependant la fausse Prude s’estoit jettée sur ses Pistolets, & il cherchoit à se débarasser de ses mains pour aller oster la vie à celuy qui luy ravissoit l’honneur, quand ayant jetté les yeux sur ce prétendu Galant, il reconnut la Sœur de sa Femme. Elle estoit venuë passer l’apresdînée avec elle au retour d’un voyage de deux mois ; & comme elles s’aimoient cherement, & qu’elles ne s’estoient point veuës depuis fort longtemps, l’envie de s’entretenir en liberté de cent choses, les avoit fait s’enfermer, avec ordre en bas de dire à ceux qui viendroient, qu’on estoit en Ville. La fausse Prude avoit malheureusement trouvé la Porte ouverte, & estoit montée en haut sans rencontrer aucun Domestique. Il faisoit fort chaud. On sçait que la chaleur a esté excessive pendant tout l’Eté, & ce que je vous dis est arrivé il y a trois mois. La Belle qui ne vouloit voir personne, s’estoit mise au Lit pour se rafraîchir, & avoit obligé sa Cadete d’en faire autant. Cette Cadete estoit d’une humeur fort gaye. Le Bonnet du Mary qui estoit demeuré sur la Toilete, luy avoit paru assez propre, & elle l’avoit mis sur sa teste en badinant, comme devant faire le Mary de sa Sœur le reste du jour. Les deux Belles apres avoir dit mille folies, s’estoient insensiblement laissé surprendre au sommeil, & ce fut dans cet état que l’infidelle Amie les décrouvrit. Elle estoit cause de tout le desordre. Sans l’empressement malicieux qu’elle témoigna avoir de retenir le Mary, il eust frapé à la Porte de la Chambre, & les deux Belles auroient parlé. Jamais douleur ne luy avoit esté si sensible. Il en gousta mieux la joye, de trouver sa Femme aussi vertueuse qu’il l’avoit cruë. Les tendres manieres dont il se servit pour obtenir le pardon de son outrageant emportement, furent la chose du monde la plus touchante. Il luy apprit par quelle surprise il avoit esté contraint d’en croire ses yeux, au préjudice des marques de fidelité & d’amour qu’il en avoit toûjours reçeuës ; & comme il ne put se justifier sans l’instruire du procedé de la fausse Prude, la Belle ne garda plus aucune mesure avec elle. Jusque-là elle s’estoit contentée de luy faire connoistre en termes couverts, qu’elle estoit informée de ses intrigues. Il luy fut impossible de se retenir davantage. Elle dit tout, nomma son Galant, marqua le lieu où les entreveuës se faisoient, & mit la Prude dans une telle rage contr’elle, qu’elle sortit aussi furieuse que le Mary estoit entré, apres avoir enfonçé la Porte. Leur inimitié a fait grand éclat. Elle aura peut-estre des suites, je vous les feray sçavoir dans le temps.

[Entrée de M. de Varangeville à Venise] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 227-257.

Je vous appris il y a trois ou quatre Mois que Mr de Varangeville estoit arrivé à Venise, où il a esté envoyé en Ambassade. Il faut vous dire aujourd’huy avec quelle magnificence il y a fait son Entrée Publique. Les particularitez de ce Récit vous feront connoistre qu’on ne peut mieux s’entendre à faire les choses, & que si les Ambassadeurs du Roy ont accoûtumé de se dintinguer en toute sorte d’occasions de ceux des autres Couronnes, par la dépense qu’ils font éclater dans leurs Emplois, il seroit difficile de rien ajoûter à ce que Mr de Varangeville a fait pour soûtenir dignement l’honneur de son caractere.

Le vingt-cinquiéme du dernier Mois il partit de son Palais sur les deux heures, pour se rendre à l’Isle du S. Esprit, à quatre milles de Venise. Il y a un Convent de Cordeliers dans cette Isle, destiné à recevoir les Ambassadeurs de France. Mr de Varangeville y alla avec toute sa Maison, dans six Gondoles, voguées chacune par quatre Gondoliers revétus de ses Livrées. Il estoit accompagné de Mr le Duc de Valentinois, Fils de Mr le Prince de Monaco, & de Mr le Chevalier de Chavigny, & suivy de tout ce qu’il y a de François considérables établis en ce Païs-là. Plusieurs Gentilhommes de l’Etat Venitien, à qui le Roy a accordé l’Ordre de S. Michel, & quantité d’autres qui sont attachez d’inclination à la France, estoient aussi du Cortege, & tous avoient des Gondoles à quatre Rames. Il ne s’estoit rien veu jusqu’icy de si riche, ny de si brillant que la premiere de celles de Mr l’Ambassadeur. La gloire du Roy, & ses grandes qualitez, faisoient le sujet du dessein de cette Barque, par des Figures qui représentoient la Valeur, la Sagesse, les Lumieres, & la Puissance de Sa Majesté. Elle estoit dorée jusques à fleur d’eau, & on y avoit peint en dehors des combats de Tritons & de Nayades, contre des Monstres Marins. Le dessus de la Proüe & de la Pouppe de ce petit Bastiment, estoit d’une Sculpture où les Ouvriers s’estoient surpassez. Des branchages d’où sortoient des Enfans tenant d’une main des Couronnes de Laurier, & de l’autre, des Sceptres & des Palmes faisoient admirer cette Sculpture. A l’endroit le plus élevé de la Prouë, on voyoit la Gloire assise sur des nuées. Elle estoit appuyée sur une Couronne, & portoit un Brandon de feu. Cette Figure auroit pû passer pour la plus achevée qui eust encor paru à Venise, si celles des quatre coins de la Caponnere n’eussent esté également belles. La Caponnere est le lieu où l’on s’assied, & il est à peu pres comme le corps d’un Carrosse. La premiere des Figures de ces quatre coins, estoit un Mars appuyé fiérement sur des Trophées d’Armes ; la seconde, une Minerve, avec tout ce qui est particulier pour faire connoistre cette Déesse ; la troisiéme, un Hercule tenant l’Hydre sous ses pieds ; & la derniere, une Céres chargée de toutes les choses qui peuvent marquer l’Abondance. Les deux costez de la Caponnere estoient deux bandes de Sculpture en demy bosse. On voyoit dans l’une des Esclaves enchaînér parmy tout l’Attirail de la Guerre, & des Enfans qui se joüoient avec des Fruits ; dans l’autre, les Travaux d’Hercule, & plusieurs Instrumens de Musique & de Mathématique. Entre chacune de ces bandes, & ce qui couvroit le tout en forme d’Impériale, il y avoit un Ange qui portoit les Armes du Roy, dont l’Ecusson estoit enrichy d’un Cartouche tres-bien entendu. Cette maniere d’Impériale dont je viens de vous parler, estoit une espece de Velours cramoisy en broderie or & argent, tant pleine que vuide, relevée d’un grand poulce. Une Campane tres-riche l’accompagnoit. L’invention en estoit nouvelle. L’Estrade, qui est un Tapis qui se met sur le derriere de la Caponnere, moitié en dehors, & moitié en dedans, estoit de Velours aussi cramoisy, avec un bord de broderie semblable à celle que je vous viens de marquer. Aux quatre coins de l’Estrade, il y avoit des Fleurs de Lys en feüillages d’une broderie encor plus relevée. Les deux Coussins qu’on y avoit mis adossez, estoient de mesme parure, mais tellement couverts d’or & d’argent, qu’on n’en pouvoit distinguer l’Etofe. Les Banquetes ou Sieges du dedans de la Gondole, estoient aussi couverts de Velours, avec de la broderie & des franges or & argent. Le Tapis mesme de pied n’estoit pas moindre que la Housse de ces Sieges. Le Fer de Prouë qui avoit accoûtumé d’estre uny, estoit travaillé au ciseau & avoit la forme d’un Dragon. Celuy de la Poupe estoit une tige de feüillages & de fleurs crotesques, d’un dessein tres-recherché ; l’un & l’autre, d’acier bruny, doré en quelques endroits. Le reste de la premiere Gondole répondoit à cette magnificence. La seconde estoit de Sculpture dorée sur un fond verd. Il n’y avoit rien de plus agreable que le dessein, quoy que ce ne fussent que de simples ornemens meslez de Fleurs de Lys. Ce que je vous ay dit qui tient lieu d’Impériale, estoit de Velours verd, avec un bord d’un pied de large, d’une broderie or & argent, aussi belle & aussi relevée que celle de la premiere. Dans le milieu, il y avoit une espece de Bouquet de Grotesques, & dans les coins, c’estoient des feüillages en issuë. Cela faisoit un tres-bel effet. L’Estrade, les Coussins, les Sieges, & le Tapis de pied, assortissoient à la Housse, & les Fers estoient des mieux travaillez. La troisiéme de ces Gondoles estoit or & bleu, à l’exception de la Housse qui estoit de Damas noir, & environnée d’une grande frange d’or. Les Sieges estoient aussi de Damas comme la Housse, avec de pareilles franges. On avoit fait une Bordure de feüillages, & mis au milieu un Chifre couronné dans un Cartouche, le tout d’un molet d’or. La quatriéme, qui estoit celle dont Mr l’Ambassadeur se sert ordinairement, estoit de Sculpture or & noir, assortie de Damas noir, avec des franges de mesme. Les deux dernieres estoient simples comme celles de la Noblesse, mais des plus belles qu’on ait coûtume de faire.

Quand Mr de Varangeville arriva au S. Esprit, il trouva au bout du Pont par où on y aborde, les Religieux du Convent dont je vous ay déjà parlé. Ils luy firent le Compliment ordinaire, & le conduisirent dans leur Eglise. Il y entra précedé de tout son Cortege, & monta de là à l’Apartement que la République avoit fait meubler pour le recevoir. Ce fut là que les Officiers de Mr le Nonce, & les Gentilhommes des Résidens luy vinrent faire Compliment au nom de leurs Maistres. Un moment apres on vint l’avertir que les soixante Sénateurs qui avoient esté nommez pour l’aller prendre, estoient arrivez. Il descendit dans l’Eglise avec tout son monde, & s’arresta au milieu de la Nef pour les attendre. Cependant ses Gentilhommes les allerent recevoir hors de la Porte. Mr le Chevalier Justiniani estoit à leur teste en Habit de pourpre comme eux, à Manches Ducales. La République l’avoit choisy pour estre le Chef de tant d’illustres Personnes, en considération de son mérite particulier, & de l’Ambassade qu’il a faite en France. Il s’avança vers le lieu où estoit Mr l’Ambassadeur, qui marcha vers luy en mesme temps ; & quand ils furent pres l’un de l’autre, ce Chevalier le complimenta au nom de la République, & n’oublia rien de ce qui pouvoit la flater d’une Reception favorable, & le persuader de la haute estime qu’ils avoient tous pour Sa Majesté. Mr de Vanrageville ayant répondu à ce Compliment d’une maniere tres-obligeante se mit à la droite de Mr Justiniani, qui le mena dans sa Gondole, & le conduisit dans son Palais. Chaque Sénateur fit la mesme chose, & prit avec luy un des Gentilhommes du Cortege. On arriva à Venise en cet appareil. le grand nombre de Barques qui estoient venuës à cette Entrée, joint à la quantité de Masques dont elles estoient remplies, rendoient cette marche tres-agreable. Le grand Canal par où l’on passa, estoit bordé d’une multitude de monde incroyable. Il n’y en avoit pas moins aux Fenestres, occupées la plus grande partie par des Nobles & par des Gentildonnes en masque. On appelle ainsi les Femmes des Nobles. Le Peuple, qui en de semblables jours se rend presque maistre des Palais des Ambassadeurs, estoit accouru en si grande foule dans celuy de Mr de Varangeville, qu’on eut peine à le faire resserrer pour trouver passage. On monta dans le mesme ordre qu’on estoit party du Saint Esprit ; & quand on fut dans la Chambre d’Audience, Mr Justiniani fit un nouveau Compliment à Mr l’Ambassadeur, prit heure pour la fonction du lendemain, & se retira. Jamais il ne s’est veu tant de monde qu’il y en avoit dans le Palais. Tout estoit en feste. Les Confitures & les Liqueurs se donnoient avec une profusion surprenante. On n’entendoit que Tambours, Trompetes, Violons, & Hautbois. Les Fenestres en estoient pleines ; mais ce qui arresta le plus agreablement les Masques & la Noblesse, ce fut un Concert des meilleurs Instrumens qu’on eust pû trouver. Il estoit dans le portique de l’Apartement d’Audience. Ce Portique estoit meublé superbement aussi-bien que les Chambres qui l’accompagnoient ; mais quoy qu’il y eust dans l’Antichambre de celle d’Audience, une Tapisserie de Flandre des plus fines, rehaussée d’or, le Meuble de cette derniere atachoit particulierement le veuë de tous ceux qui y entroient. Elle estoit tenduë du plus beau Damas cramoisy qu’on ait fait jusqu’icy à Venise. (Vous sçavez qu’on y excelle en ces sortes d’Etofes.) Il y avoit un galon d’or de six grands doigts de large sur tous les lez. La Frise & le Dais sous lequel estoit le Portrait du Roy, estoient du mesme Damas, mais plus couverts de galon. Une grande frange d’or des plus fortes, régnoit tout autour. Les Chaises dont les Bois estoient dorez, & les autres Meubles de cette Chambre, n’avoient pas moins dequoy arrester les yeux. Deux Miroirs d’une grandeur excessive, avec des Bordures de Cristal garnies d’argent, estoient placez au dessus de deux Tables d’une Sculpture dorée. Les Chênets, & tout ce qui les doit accompagner, estoient d’argent du mesme travail que les Bordures des deux Miroirs. Je laisse ce qu’il y avoit d’autres ornemens. Le Portrait du Roy du fameux Mr Mignard, servoit là de preuve à l’Italie que la belle Peinture est passée en France. Ce Monarque y estoit représenté devant Cambray, mais avec des traits si achevez pour bien exprimer cette majesté qui donne de la terreur & de l’amour tout-ensemble, que les Sénateurs s’attacherent longtemps à le regarder. Ils s’étendirent en suite sur ses éloges, & firent connoistre avec des termes pleins d’admiration pour ce Grand Prince, que sa physionomie les persuadoit de tout ce que la Renommée avoit publié à son avantage.

Le lendemain, sur les dix heures du matin, Mr Justiniani, accompagné des Sénateurs, vint prendre Mr de Varangeville pour le conduire au College. La marche se fit comme le soir precédent. Mr l’Ambassadeur parla avec tant de grace, & donna un tour si juste à tout ce qu’il dit, qu’il s’attira l’applaudissement de tous ceux qui l’écouterent. La Salle estoit pleine de Gentildonnes, & de toute la Noblesse qui avoit pû y trouver place. Le Doge répondit à son Discours avec des termes de respect & de venération pour Sa Majesté, & d’estime particuliere pour luy. On remarqua que dans cette occasion ses expressions allerent beaucoup au dela de celles dont il se sert en de pareilles rencontres.

Apres que Mr l’Ambassadeur fut revenu du College, il reçeut le Régal ordinaire de Confitures que la République luy envoya. Les Masques, & le reste du monde qui entroit dans son Palais si tost qu’on l’ouvroit, s’estant retirez, on servit quatre Tables à seize Couverts chacune. Le Repas que Mr de Varangeville donna à ceux qui s’estoient trouvez à son Cortege, ne fut pas seulement abondant en tout ce qu’il y avoit de plus exquis dans cette saison, mais si délicat & si bien ordonné, qu’il eust esté difficile d’y rien adjoûter pour le rendre plus propre & plus magnifique. Apres le Dîné, on continua la Feste, quoy qu’elle dust finir à midy selon la coûtume. Les Portes du Palais furent ouvertes, & la multitude ne fut pas moindre qu’elle l’avoit esté jusques là. Les Violons recommencerent à joüer, & les Masques à se promener dans ce Palais. Cela dura jusqu’à dix heures du soir. Pendant tout ce temps, les Gens de Mr l’Ambassadeur furent sans cesse occupez à distribuer des rafraîchissemens à tous ceux qui en voulurent.

Le troisiéme jour, Mr de Varangeville alla prendre la Réponse de sa Harangue dans ses Gondoles avec le Cortege accoûtumé, & revint à pied par la Mercerie jusqu’au Pont de Realto, dans l’ordre qui suit. Un grand nombre de Valets de pied vestus d’une tres-belle Livrée, marchoit à la teste. Ils estoient suivis de plusieurs Pages fort propres, qui précedoient les Gens du Cortege. Apres eux venoient les Officiers de sa Maison, & il paroissoit enfin en Habit noir à Manteau. Toute cette Troupe estoit estrémement leste, chacun ayant fait de son mieux pour soûtenir la réputation qu’ont les François de se mettre plus proprement qu’aucune des autres Nations. L’apresdînée cet Ambassadeur reçeut la visite de celuy d’Espagne. On donna une tres-belle Collation à sa Suite. Le Patriarche, que l’on traite comme Ambassadeur, vint rendre la sienne le lendemain, & on régala ses Gens d’une semblable Collation. Les Résidens s’estant acquitez du mesme devoir, reçeurent les honnestetez qui leur estoient deuës.

[Nouvelles Impressions du Livre touchant la Verité de la Religion Chrêtienne] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 287-288.

Quoy qu’il me soit rarement permis de vous entretenir de Livres nouveaux, je ferois scrupule de me taire sur ce sujet, quand il y va de la gloire, & de l’interest de la Religion. Ainsi je ne puis m’empescher de vous apprendre que le Livre de Mr Hüet, Sous-Précepteur de Monseigneur le Dauphin, touchant la Verité de la Religion Chrestienne, a esté si bien reçeu par tout, qu’outre les nouvelles éditions qui s’en font icy, aussi bien qu’à Hambourg, à Utrec, & à Nuremberg, on en fait une Traduction en Bourgogne, & un Abregé à Sedan.

[Ce qui s’est fait de remarquable dans les Villes par où la Reyne d’Espagne a passé] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 288-321.

Je viens à un Article d’une plus longue étendüe. Je vous ay appris, Madame, avec combien de douleur la Reyne d’Espagne s’estoit séparée de Leurs Majestez, qui la conduisirent jusqu’à deux lieües de Fontainebleau, le Mercredy vingtième du dernier mois. Apres ces tristes Adieux, cette Reyne monta avec Monsieur, & Madame, dans le Carrosse dont le Roy luy avoit fait présent, & vint coucher à Pluviers. Des deux Ambassadeurs Extraordinaires d’Espagne qui estoient alors en France, il n’y eut que Mr le Marquis de los Balbases qui l’accompagna, Mr le Duc de Pastrane estant party en Poste, deux jours avant le voyage, apres avoir soûtenu son caractere avec tout l’éclat, & toute la grandeur possible, & marqué sa magnificence par des Présens à tous les Officiers du Roy qui l’avoient traité. En arrivant à Pluviers, elle trouva les Echevins à la Porte de la Ville. Ils la haranguerent, & luy firent les Présens accoûtumez. Le lendemain elle prit la route d’Orleans. Le Maire & les Echevins ayant donné tous les ordres necessaires pour la recevoir, les Capitaines de la Bourgeoisie se mirent en armes avec tous leurs Soldats. La premiere Compagnie s’avança jusqu’à un quart de lieüe de la Ville, & toutes les autres firent haye depuis cette espace, jusqu’à l’Evesché où elle devoit loger. Les Prevosts des Maréchaux Genéral & Provincial, avec leurs Archers, les Officiers des Eaux & Forests, & des Chasses, à la teste desquels estoit Mr de Lestré, Grand Maistre des Eaux & Forests, & quantité d’autres Personnes qualifiées, tous fort lestes & bien montez, allerent au devant de cette Reyne, sçavoir, les Prevosts des Maréchaux jusqu’au lieu où elle dîna, & les autres jusqu’à deux lieües de la Ville. Ils prirent tous le devant des Gardes du Corps qui environnoient son Carrosse, & passerent au milieu de la Bourgeoisie en armes. Les Echevins au nombre de douze, tous en Robe d’ecarlate, l’attendoient au Corps de Garde de la Porte de Bourgogne, où le Maire la complimenta au nom de la Ville. On luy présenta un Dais qu’elle ne voulut point accepter. Il fut neanmoins porté par quatre des Echevins devant son Carrosse, où elle estoit dans le fond à la droite de Monsieur. Quatre Archers de la Ville, porterent la Chaise où elle devoit estre assise sous ce Dais. Le fond en estoit d’une Etofe blanche d’argent, avec de grandes Franges d’or, & les Armes d’Espagne & d’Orleans my-parties, brodées d’or & d’argent dans les quatre pans. Le Compliment fait, la Reyne se rendit à l’Evesché. Toutes les Ruës par où elle devoit passer estoient tapissées, & il y avoit une foule de Peuple incroyable, tant de la Ville que des environs. Dés le soir, tous les Corps l’allerent complimenter, c’est à dire, le Chapitre de la Cathédrale, celuy de l’Eglise Collégiale de S. Aignan, dont le Doyen porta la parole avec grand succés. L’Université, les Trésoriers de France, les Officiers de la Prevosté, & ceux de l’Election. Elle reçeut les Présens ordinaires de la Ville, qui luy furent présentez par les Echevins, & qui consistoient entr’autres choses, en quantité de grandes Boëtes de Cotignac nouveau, & de Confitures seches, & avec les plus beaux Fruits verds qu’on eut pû trouver. Les Archers de la Ville avec leurs Casaques de couleurs, porterent ces Fruits & ces Boëtes dans de grands Bassins d’argent. La Reyne sejourna le Vendredy 22. à Orleans, & alla entendre la Messe à la Cathédrale, où elle fut complimentée à la Porte par Mr Fortecroix Doyen, à la teste de son Chapitre. L’apresdînée Monsieur ayant sçeu l’empressement qu’avoient les Habitans de la voir, fut bien aise de leur accorder cette satisfaction. Ainsi il monta en Carrosse avec Elle, & s’estant promenez dans les principales Ruës, & sur les Ponts, ils s’arresterent en quelques endroits, comme à la Verrerie, à la Visitation & en d’autres lieux. La Reyne, Madame, & les autres Dames de leur suite, furent toûjours démasquées. Le soir du mesme jour, la Reyne d’Espagne & Madame, voyant approcher le moment de leur séparation qui devoit estre le lendemain, la douleur les saisit, & elles verserent des larmes en si grande abondance, qu’il falut oster le Soupé du lieu où il avoit esté preparé. Elles résolurent de manger en particulier. La Reyne d’Espagne se retira dans un Cabinet en fondant en pleurs, & ne prit que deux œufs. Le lendemain 23. Madame se leva fort matin, entendit la Messe, puis entra chez la Reyne d’Espagne. Elles s’embrasserent plusieurs fois pendant une demy-heure, pleurerent beaucoup, & se séparerent. Madame retourna à Fontainebleau, & la Reyne d’Espagne alla coucher à Chambord, & le lendemain 24 à Amboise, où elle demeura le Lundy 25. On l’entendit soûpirer pendant tout ce jour, & on peut s’imaginer aisément ce qu’elle soufrit, puis qu’elle devoit se séparer de Monsieur le lendemain. L’Adieu commença à se faire dés le soir. Ce Prince qui vouloit luy en adoucir la douleur, & qui cherchoit à s’en épargner une partie à luy-mesme, luy promit qu’il ne partiroit point sans la revoir. Ce n’estoit pas pourtant son dessein & il devoit souhaiter d’avoir assez de force sur luy pour luy manquer de parole. Le Reyne d’Espagne appréhendant qu’il ne la trompast, se jetta à ses genoux, & ne voulut point se relever qu’il ne luy eust de nouveau promis qu’il la reverroit. Elle passa toute la nuit sans dormir, & luy envoya plusieurs Messages si-tost qu’il fut jour, pour le conjurer de ne luy refuser pas la derniere consolation qu’elle en attendoit. Tous ceux qui estoient aupres de Monsieur, firent ce qu’ils purent pour le détourner du dessein où ils le voyoient de luy dire encor une fois adieu ; mais l’amour de Pere l’emporta sur les raisons dont ils se servirent. Il alla dans la Chambre de cette Reyne, il se jetta sur son Lit, & ils se tinrent si longtemps embrassez que comme l’un ny l’autre ne parloit, on craignit quelque triste effet de leur douleur. Cela obligea Mr l’Evesque du Mans d’arracher Monsieur avec violence d’entre les bras de cette Princesse. Quand il l’eut quittée, elle se leva, jetta sa Robe de Chambre sur elle, & courut l’embrasser encor une fois. Les cris qu’on luy entendoit pousser, auroient attendry l’ame la plus dure. Monsieur qui en avoit le cœur penétré, partit promptement, & elle demeura dans le plus pitoyable état où elle se fust jamais trouvée.

Vous jugez bien, Madame, avec quel chagrin la Reyne d’Espagne continua son voyage. Elle arriva à Poitiers le Samedy 30. apres avoir sejourné le 29. à Châtelleraut, où le Maire de la Ville, le Présidial, le Chapitre de Nostre-Dame, & les Officiers de l’Election, la complimenterent. On luy présenta le Dais à Poitiers. Les Bourgeois s’estoient mis en Armes, & formoient une double haye jusqu’à la Maison de Ville où elle devoit loger. Le lendemain, premier de ce Mois, elle fût haranguée par tous les Corps de la Ville, parmy lesquels le Lieutenant General se fit admirer. Elle dîna en Public, comme elle avoit déja fait en d’autre Lieux, & fut fort agreablement divertie par quantité de Païsanes tres-propres, qui dançerent devant elle les Menüets de Poitou. On sçait qu’il n’y a point de lieu en France où ils soient si bien dancez.

Le Lundy 2 de ce Mois, elle partit de Poitiers pour aller coucher à Lusignan. Elle n’y fut pas si tost arrivée qu’elle prit le divertissement de la Chasse, & se servit pour cela de l’Equipage de Mr de la Barre, Maréchal des Logis des Mousquetaires. Il l’accompagna six jours & ne prit congé d’Elle que le septiéme. Elle le vit partir avec regret, parce que pendant tout ce temps il luy donna tous les jours le plaisir de trois Chasses diférentes, qui furent celles des Levriers, des Chiens courans, & de l’Oyseau. De Lusignan elle vint à Melle, & de Melle à Saint Jean d’Angely, où elle arriva le Mercredy 4. Elle y reçeut les mesmes honneurs qui luy avoient esté rendus dans les autres Villes. Le Lieutenant Criminel l’ayant haranguée d’abord pour le Corps de Ville, les Officiers du Siege Royal, & ceux de l’Election, l’allerent ensuite complimenter dans l’Abbaye, où elle logea. Le Président qui porta la parole pour ces derniers, parla avec beaucoup de force & de grace. Elle ne partit de S. Jean d’Angely que le Vendredy six. En approchant de Xaintes, où elle arriva ce mesme jour sur les trois heures, elle trouva Mr le Marquis de Jarnac lieutenant de Roy de Xaintonge & d’Angoûmois, qui estoit allé au devant d’Elle, accompagné de cent Gentilhommes bien montez, & suivy de quarante Gardes à cheval. De Xaintes elle vint à Pons, de Pons au Petit-Niort, & du Petit-Niort à Blaye, où elle fut reçeuë le Mardy 10. au bruit du Canon de la Citadelle, & de celuy des Vaisseaux qui estoient alors à la Rade. Mr de Leyterie & Mr Delbreil, Jurats de Bordeaux, accompagnez de Mr du Bosq Secretaire de la mesme Ville, estoient venus à Blaye ce mesme jour dans un magnifique Bateau qu’on luy avoit fait préparer, qui estoit du genre de ceux qu’on appelle Maison Navale. Le Lendemain ils eurent l’honneur de faire leurs Complimens à la Reyne. La Parole fut portée par Mr de Leyterie. C’est un des plus fameux Avocats du Parlement de Bordeaux, à present Jurat. Il luy fit connoistre au nom de toute la Ville, avec combien de joye ils faisoient parler leur zele pour le service du Roy, dans les respectueuses soûmissions qu’ils luy venoient rendre. Rien ne pouvoit estre plus éloquent ny plus juste. La Reyne accepta leur Maison Navale, & s’y embarqua sur les huit heures. Le fond en estoit garny d’un Damas de Genes rouge-cramoisy, avec une crespine d’or & d’argent. Au milieu on avoit placé les Armes du Roy environnées de deux crépines pareilles à cette premiere. A l’un des bouts estoit le Portrait du Roy d’Espagne, & à l’autre, celuy de la jeune Reyne. De tres-beaux Tapis de Turquie couvroient l’Estrade. On y avoit mis un Fauteüil de Velours rouge cramoisy avec deux Carreaux, le tout garny de grands galons or & argent, sous un Dais de la mesme Etofe, enrichy d’une grande crespine aussi or & argent. La Maison Navale estoit remorquée par trois Chaloupes, dans chacune desquelles il y avoit vingt Rameurs vestus de bleu, la Bourguinote de mesme couleur avec de petit galon d’argent. L’Habit de chaque Pilote estoit gris avec un Passement d’argent, & une Echarpe blanche bordée d’une crespine de mesme. Quoy que ces Rameurs tirassent de toute leur force, comme ils ramoient contre la Marée, qu’ils avoient le Vent contraire, & que la pluye ne discontinua presque point de tout le jour, il fut impossible de faire le Trajet en moins de douze heures. La Reyne d’Espagne en employa une partie à joüer. On luy fit servir une grande Collation de Pastez, de Jambons, de Langues, & de Confitures seches & liquides. Les Violons joüerent pendant tout ce temps. Ils estoient dans un Bateau attaché à cette Maison Navale. On n’arriva qu’à huit heures. Jamais on ne vit une si grande foule qu’il y en avoit sur le Port. Tout le Canon des Vaisseaux tira, aussi bien que celuy du Château Trompette. Si-tost qu’on eut abordé, la Reyne sortit du Bateau, & alors Mr de Salegourde premier Jurat, qui l’attendoit avec les autres Jurats vestus de leurs Robes de Cerémonie, luy fit sa Harangue. C’est un Gentilhomme qui a de tres-belles qualitez, & qui fit connoistre par la maniere dont il parla, qu’il sçait dans l’occasion se servir aussi-bien de la Langue que de l’Epée. La Reyne monta en Carrosse, & ne voulut point se mettre sous le Dais qu’on luy présenta. Ce Dais estoit d’un Brocard or & argent, avec une grande & riche crespine de mesme. Il fut porté devant son Carrosse par Mrs Salegourde, Pontoise, Calvimont, Leyterie, Delbreil, & du Bosq. Je vous ay déjà marqué que ce dernier est Secretaire de la Ville. Il y a vingt-cinq ans qu’il exerce cette Charge avec grande gloire, diverses occasions luy ayant donné lieu de faire voir que son zele & sa fidelité pour le Roy sont à toute épreuve. Toutes les Ruës estoient tapissées, & il y avoit un fort grand nombre de lumieres aux Fenestres. Le Carrosse de la Reyne estoit environné de Flambeaux. Elle alla descendre à l’Archevesché. Mr l’Archevesque de Bordeaux la vint recevoir dans la Court, & luy fit son Compliment. Le Jeudy 12. elle alla entendre la Messe dans la Cathédrale. Ce mesme Prélat revestu de ses Habits Pontificaux, & accompagné du Chapitre en Chapes, luy donna l’Eau-benite, & la harangua la Mitre en teste ; apres quoy elle fut conduite sur une Estrade élevée de trois degrez au milieu du Chœur. Il y avoit un Dais de Brocard au dessus de cette Estrade. En suite Monsieur l’Archevesque entonna le Te Deum, pendant lequel un Aumônier de la Reyne commença la Messe. L’apresdînée elle reçeut les Complimens ordinaires. Mr le Doyen de S. André porta la parole pour son Chapitre, Mr Denys pour le Presidial, Mr Thibault pour les Trésoriers de France, & Mr Bauduer pour l’Université dont il est Recteur. Le Vendredy 13. elle monta à cheval, & alla au Château en Cravate & en Juste-à-corps, avec un Chapeau garny de Plumes. Elle visita la Citadelle, & fit l’honneur à Mr le Comte de Montaigu qui avoit la fievre, de le vouloir voir par la Fenestre, de dessus la Plate-forme. Elle croyoit prendre ce jour là le divertissement de la Chasse, mais on luy fit connoistre qu’il y avoit trop loin jusqu’au lieu où Mr le Marquis de Citran avoit fait mener ses Chiens. Le soir elle donna le Bal aux Dames, & dança avec Mr le Prince d’Harcour, & avec Mr le Duc del Sesto. Le Samedy 14. elle alla voir les Religieuses de la Visitation, & se disposa à partir le lendemain.

Vous voulez bien, Madame, que je la laisse à Bordeaux, & qu’en diférant d’un Mois à vous entretenir de la suite de son voyage, je cherche à m’instruire plus particulièrement de ce qui ne m’est pas connu. J’ay oublié de vous dire que dans tous les Lieux où la Reyne d’Espagne a passé, les Maréchaux des Logis du Roy, ont donné le Pour à Mr le Marquis de los Balbases. C’est ce qui n’est dû qu’aux Princes apres le Roy. Pour vous expliquer ce Pour, je vous diray que quand ceux dont je vous parle vont marquer les Logemens, ils mettent sur les Portes avec de la craye, Pour le Roy, Pour un tel Prince &c. au lieu qu’ils mettent seulement le nom des autres, sans mettre Pour.

Madame la Marquise de los Balbases, qui en France a eu plusieurs fois l’honneur d’avoir place dans le Carrosse de la Reyne, à cause que c’est la qualité qui y donne entrée, ne l’a point eu dans celuy de la Reyne d’Espagne pendant le voyage, parce que selon les coûtumes de ce Païs-là, il n’y a que les Charges qui fassent acquérir le droit d’y entrer.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 321-322. D'après le Mercure, les airs Vous demandez des vers, Vous avez de l'esprit, Je suis prêt de revoir, Premier objet de ma tendresse, Pendant que vous donnez, Reine aussi belle que bonne sont dus au même auteur. Or l'article Mercure permet d'attribuer l'air Vous demandez des vers à Bertrand de Bacilly qui serait donc aussi l'auteur des autres airs cités.

Voicy un second Air nouveau, dont j’ay fait graver les Notes pour vous. Il est du mesme Autheur que le premier, & fait à la priere de la mesme Dame qui en a aussi donné les Paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Vous avez de l’esprit, vous avez des appas, doit regarder la page 322.
Vous avez de l’esprit, vous avez des appas,
Ils font soufrir des maux que vous ne sentez pas,
        Et que rien ne soulage.
    D’aucun espoir on n’ose se flater ;
        Quand vous voudrez tout écouter,
        On vous en dira davantage.
images/1679-10a_321.JPG

[Divertissemens préparez pour cet Hyver] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 348-353.

Ayant accoûtumé de vous parler tous les ans dans cette saison des Divertissemens qu’on prépare pour l’Hyver, je croy, Madame, ne pouvoir mieux commencer que par ce qui regarde l’Opéra. Je ne puis vous entretenir des nouveaux qu’on doit donner, sans vous dire qu’on n’a finy les Représentations de Bellérophon depuis quatre jours, que pour les reprendre avec plus d’éclat, c’est à dire qu’on a cessé de le joüer à Paris, pour avoir le temps de se disposer à la faire paroistre à S. Germain. Quoy qu’il ait occupé le Théatre du Palais Royal pendant neuf mois, l’Assemblée qui s’y trouva le dernier jour, ne laissa pas d’estre des plus grandes. Leurs Altesses Serénissimes y accompagnerent Madame la Duchesse de Hanover, arrivée icy le 18. de ce mois, avec les trois Princesses ses Filles. Elle est Sœur de Madame la Duchesse, & Fille du feu Prince Palatin. Cet Opéra luy plût fort. Le Roy fait faire des Décorations neuves, & des Habits pour le voir à Saint Germain avec tous les ornemens qui luy sont propres. Il y doit estre chanté par sa Musique, & faire le divertissement de la Cour pendant tout le Carnaval, alternativement avec l’Opéra nouveau de Mr Quinaut, qui est en possession de faire les Opéra pour Sa Majesté. Le sujet de ce dernier est l’Enlevement de Proserpine. Mr Lully qui y travaille, n’ayant pû par cette raison en faire un pour le Public, en remet deux anciens qui paroistront cet Hyver. Ce sont Thésée & Cadmus. La belle & grande Troupe du Roy du Fauxbourg S. Germain, a commencé les divertissemens qu’elle prépare pour cette mesme saison, par la galante Comédie de l’Inconnu. Les Représentations qu’elle en a données depuis trois semaines, ont attiré des Assemblées si nombreuses, qu’on voit bien qu’il y a peu de Pieces qui soient plus aimées. La mesme Troupe doit faire paroistre en suite la nouvelle Piece qu’elle promet depuis quelque temps, intitulée la Devineresse. On l’attend avec d’autant plus d’impatience, que ce Titre excite la curiosité de tout le monde, & que le Théatre François imite parfaitement la Nature. On ne sçait encor quelles Nouveautez les deux autres Troupes nous doivent donner.

[Annonce du contenu du tome suivant] * §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 353-355.

Mon Paquet sera aujourd’huy plus gros qu’il ne l’a esté les autres Mois, puis qu’ayant trouvé assez de matiere pour faire encor une Lettre des seules Cerémonies du Mariage de Mademoiselle, je l’ay adjoûtée à cette premiere. Je ne doute point que vous ne me sçachiez quelque gré du soin que j’ay pris de faire graver les Figures qui l’accompagnent. Vous n’avez qu’à ouvrir cette autre Lettre. Elle fait partie de celle-cy, & n’en a esté séparée, que pour ne luy pas fonner trop de grosseur. Ainsi si vous voulez garder tout ce que je vous écris comme un Journal ou une Suite d’Histoire, il faut que l’une ait rang avec l’autre, les deux ensemble ne faisant que la seule Lettre de ce Mois. Je suis, Madame, vostre, &c.

A Paris ce 31. Octobre 1679.

[Apostille] §

Mercure galant, octobre 1679 (première partie) [tome 10], p. 355.

Je vous ay déjà quelques Harangues qui ont esté faites à la Reyne d’Espagne sur sa Route. Je les ay reservées pour le Mois prochain. J’en attens d’autres & n’ose prier ceux qui les ont faites, de les envoyer. Leur trop de modestie les en pouroit empescher ; mais leurs Amis ne seront peut-estre pas fâchez de prendre ce soin. Il faudroit me les faire tenir au plutost.