1680

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1].

2015
Source : Mercure galant, janvier 1680 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Les Estrennes, Histoire] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 98-152.

On m’a conté une Avanture du premier jour de l’Année, dont les circonstances méritent bien que je vous en fasse le détail. Une jeune Veuve de qualité, aussi enjoüée que spirituelle, menoit une vie commode, qui ne luy laissoit passer que de beaux jours dans une agreable societé. Elle avoit beaucoup d'Amis & d'Amies, qu'elle voyoit avec assez de familiarité, & de ces Amis il n'y en avoit aucun qui ne se fust declaré volontiers Amant ; mais comme l'état de Veuve luy sembloit heureux, & que son dessein estoit de faire un bon choix si elle se trouvoit d'humeur à y renoncer, elle examinoit tous ceux qui luy en contoient, & ne leur permettoit jamais d'aller trop avant. Elle en recevoit des Billets galans, leur faisoit réponse, & tout cela se terminoit à un commerce plaisant, dont l'amour estoit banny. Du moins si elle sentoit quelque chose de plus fort pour l'un que pour l'autre, c'estoit un secret entr'elle & son coeur, & celuy qui luy plaisoit davantage, ne pouvoit connoistre qu'il estoit le préferé. Cependant ils s'attachoient tous également à luy marquer par leurs soins les sentimens qu'ils avoient pour elle, & c'estoit entr'eux à qui luy procureroit de plus fréquentes Parties de plaisir. Elle en mettoit ses Amies & chacune d'elles prenoit party selon son panchant, pour luy conseiller de faire un Heureux. Elle répondoit toûjours qu'elle ne pouvoit trop délibérer de ce qui devoit estre pour toute sa vie, & que son cœur ne luy faisant rien sentir qui luy fist craindre qu'il pust se laisser séduire, elle vouloit voir qui s'empresseroit le plus à le mériter. Un jour que celles qui estoient le plus dans sa confidence, se trouverent seules avec elle, la conversation tomba sur les diverses manieres d'aimer. Les opinions furent diférentes, chacune mettant les preuves d'une veritable passion dans ce qu'elle auroit souhaité qu'on eust fait pour elle, par raport à son humeur. Enfin la derniere qui s'expliqua, ayant dit que rien ne luy sembloit devoir tant satisfaire une Maistresse que la dépense, parce qu'elle estoit la marque d'une ame bien faite, & qu'il y avoit apparence qu'un Amant fort libéral ne seroit point avare Mary, elles tomberent toutes dans son sentiment. Il y en eut seulement une qui adjoûta, qu'afin que cette dépense luy plût, elle voudroit qu'on la fist de bonne grace ; surquoy on ne manqua point de citer ces Vers du Menteur de Mr de Corneille l'aîné.

Un Lourdaut libéral aupres d'une Maistresse,
Semble donner l'aumône alors qu'il fait largesse.

L'aimable Veuve fut de ce party, & alla mesme plus loin, en disant, que si on faisoit quelque dépense pour elle (ce qu'elle avoüoit qui ne luy déplairoit pas dans un Amant) elle voudroit, non seulement qu'on la fist de bonne grace, mais avec esprit, parce que selon elle, il n'y avoit que l'esprit qui donnast le prix aux choses. Alors on commença de luy dire qu'on ne doutoit point qu'elle n'eust bientost sujet d'estre satisfaite là-dessus, puis qu'elle n'avoit point d'Amant qui ne fust aussi spirituel que magnifique, & que le premier jour de l'Année approchant, il y avoit lieu de croire que chacun d'eux feroit ses efforts pour surpasser ses Rivaux en galanterie. On en nomma cinq ou six, & entr'autres un Marquis fort riche qui n'estoit pas le moins amoureux. La Dame rougit d'entendre parler d'Estrennes. On se moqua du scrupule qu'elle faisoit de recevoir des Présens dans un jour où il estoit de l'honnesteté d'en faire, à moins qu'ils ne fussent d'un prix excessif, & on allégua ce qui avoit esté mis en usage depuis quelque temps, d'envoyer pour marque de souvenir à ses Amies, des Bijoux & des Cassetes, au lieu de Bouquet, le jour de leur Feste. Le Marquis qui venoit d'estre nommé parmy les Soûpirans de la Veuve, entra dans ce mesme temps, & on entama une autre matiere. L'Assemblée grossit. On fit des Tables de jeu, & l'heure de se séparer estant venüe, une des Dames qui avoient eu part à la premiere conversation, & qui ayant une estime particuliere pour le Marquis, avoit entrepris de le servir, luy donna la main, & voulut qu'il la remenast chez elle. Vous jugez bien qu'elle ne manqua pas à luy rendre compte de ce qui avoit esté dit. Il prit ses mesures là-dessus, & deux jours apres il luy découvrit un moyen assez nouveau qu'il avoit imaginé, pour penétrer s'il pouvoit prétendre au cœur de la Veuve, car jusque-là elle avoit montré une telle égalité de sentimens pour tous ceux qui aspiroient à s'en faire aimer, qu'on n'avoit encore pû connoistre qui estoit le mieux dans son esprit. Ses autres Amans, qui avoient aussi des Confidentes parmy ses Amies, reçeurent le mesme avis, & ils se préparerent tous à faire un Présent d'Estrennes, dont la galanterie se fist distinguer. Le premier qu'on apporta fut envoyé par un Cavalier qui avoit mis la Suivante de la Veuve dans ses intérests. C'estoit un Miroir avec une Bordure d'argent. Des Ouvriers vinrent l'attacher de grand matin dans son Antichambre. Ils avoient fait des trous dans la muraille le soir précedent, tandis que la Dame estoit en Ville, afin qu'ils le pussent placer le lendemain sans craindre de l'éveiller. La glace de ce Miroir estoit des plus belles. Un Amour d'argent d'environ un pied de haut, faisoit le milieu & la pointe du Chapiteau. Cet Amour estoit de relief & cizelé. Un ressort qui pouvoit estre lâché par le bas, le faisoit mouvoir. Ce Meuble nouveau frapa les yeux de l'aimable Veuve si-tost qu'elle sortit de sa Chambre. Elle en parut étonnée, mais la surprise qu'elle en témoigna ne l'empescha pas de faire une action assez naturelle. Ce fut de s'y venir regarder. Dans le temps qu'elle approcha, la Suivante qui l'accompagnoit, lâcha le ressort sans qu'elle y prist garde. L'Amour se détacha aussitost, & la Veuve fit un cry en le voyant, & dans le Miroir, & devant elle, luy presenter un Billet. Elle ne s'estoit pas apperçeuë d'abord qu'il en tenoit un. La nouveauté luy sembla galante, & dans l'impatience de connoistre l'Autheur du Présent, elle prit le Billet, & y leut ces Vers.

Si vous ne sçavez pas encore
Quelle Beauté charmante a sur moy tout pouvoir,
Regardez-vous dans ce Miroir,
Vous verrez l'Objet que j'adore.

L'écriture luy estoit connuë, & à peine eut-elle achevé de lire, & l'Amour de remonter au lieu d'où il estoit descendu, qu'elle vit entrer quatre petits Esclaves Maures, dont les habits n’estoient pas moins riches que propres. Ils tenoient de gros Cordons d’or & de soye couleur de feu, tortillez, au bout desquels estoient de grosses Houpes de mesme. Ces Cordons estoient attachez aux quatre coins d’une Mane que ces petits Esclaves portoient. Après qu’ils l’eurent posée sur la Table de la Chambre, un d’entr’eux chanta une Chanson Espagnole à la gloire de la belle Veuve, puis ils dancerent tous quatre, & s’en retournerent. Il fut inutile de leur demander qui les envoyoit. Un Carrosse les attendoit dans la Ruë. Ils y montèrent et disparurent sans avoir rien dit. La jeune Veuve surprise agreablement de cette galanterie, leva une Toilete de Brocard, couleur de feu & or, qui couvroit la Mane. Les quatre coins, à l'endroit d'où sortoient les Cordons, estoient garnis de quatre gros noeuds de tissu aussi riches que la Toilete. Il y avoit douze Ecrans au dessus de cette Mane. Les Bârons en estoient de vermeil doré, travaillez avec une délicatesse admirable, & remplis de Lacs d'amour & de Chifres de la Veuve. L'Etofe estoit de Satin blanc, avec une Broderie or & vert tout autour, large environ de deux doigts, & représentant des branches de Mirthes. Comme elle faisoit le tour du dedans de chaque Ecran, il y avoit un autre embellissement en dehors. C'estoit une Dentelle d'or qui débordoit. Une Miniature tres-fine faisoit voir les douze mois de l'Année sur ces douze Ecrans. Chacun avoit un Portrait pour ornement, & ce Portrait estoit celuy de l'Amant qui envoyoit la Mane à la Dame, mais il n'avoit pas voulu qu'on l'eust fait entierement ressemblant, afin que la chose parust gerérale, & qu'il ne pust estre reconnu que de sa Maîtresse qu'il avoit fait peindre en Pallas. Il avoit cru l'obliger en luy donnant la figure de cette Déesse, par laquelle il prétendoit luy marquer l'estime qu'il faisoit de son esprit. Ce qu'il avoit fait pour elle dans toute l'année, estoit gravé sur ces douze Ecrans, avec la plûpart des lieux où quelque partie de plaisir les avoit fait se trouver ensemble. Il y avoit aussi plusieurs Cartouches dans ces Ecrans, tous remplis de Madrigaux & de Maximes galantes qu'elle pouvoit mieux entendre qu'un autre. Le grand Ecran qui se tient seul sur un pied, faisoit le treiziéme. Les deux Amans estoient peints au milieu de cet Ecran, & l'Amour entre eux qui les portoit à s'unir. Au dessus on voyoit l'Hymen descendant du Ciel. On n'en pouvoit rien attendre que de favorable, puis qu'il sembloit estre de concert avec l'Amour pour les rendre heureux. On trouva sous ces Ecrans quantité de Boëtes de Confitures qui remplissoient le fond de la Mane. Elles estoient noüées d'un Ruban or & couleur de cerise. Le nœud estoit gros, & il s'en falloit fort peu qu'il ne couvrit chaque Boëte du grand nombre de ses branches. Le dehors en estoit doublé de Satin couleur aussi de cerise, avec des Chifres de cordonnet d'or. On avoit doublé la Mane de la mesme sorte tant en dehors qu'en dedans ; mais au lieu de Chifres, ces doublures estoient toutes couvertes de fleurs d'or & d'argent, meslées de soye. Une petite Boëte de filigrane d'or, faite en cœur, & enrichie de Rubis, se trouva au milieu des autres Boëtes. Elle enfermoit un Billet aussi galant que spirituel. La Dame ayant connu par le caractere à qui elle avoit obligation du Présent, fut fort satisfaite de toutes les choses qui le composoient. Il ne pouvoit estre pris pour un Présent d'importance, puis qu'on ne luy envoyoit que des Ecrans & des Confitures. Cependant c'estoit quelque chose de magnifique, de bien entendu, & qu'on voyoit aisément qui devoit avoir beaucoup cousté. La galanterie de cette Mane luy fit faire réflection sur le Miroir placé, sans qu'elle en sçeust rien, dans son Antichambre. Il luy sembla qu'un Présent de cette nature n'estoit point à faire, & elle résolut dés ce moment de le renvoyer. C'est ce qu'elle eust fait sur l'heure, quoy que luy pust dire la Suivante qui s'intéressoit à luy faire garder le Miroir, si un troisiéme Présent qu'on luy apporta, ne l'eust occupée pendant quelque temps. Elle aimoit les Perroquets, & ç'en estoit un d'un tres-beau plumage qu'on luy envoyoit. Il estoit dans une Cage de vermeil doré. Au lieu de quatre gros bâtons qui sont ordinairement aux quatre coins de ces Cages, il y avoit quatre petites Colomnes torses, & au dessus des Colomnes, quatre Oyseaux émaillez, & ayant les aîles étenduës, comme s'ils eussent esté sur le point de s'envoler. Chacun avoit à son bec un Madrigal écrit en lettres d'or sur un morceau de Satin, grand à peu pres comme le fond de la main, brodé tout autour de semences de Perles, & doublé de peau de senteur. Ces Madrigaux estoient faits au nom des Oyseaux, sur les belles qualitez de l'aimable Veuve, & faisoient connoistre qu'ils ne songeoient à prendre l'effor que pour aller vanter son mérite aux quatre coins de la Terre. Dans le milieu de chaque panneau de cette Cage, estoient quatre Chifres de la Dame, entrelassez avec les bâtons. On les avoit faits d'un fil d'archal doré, aussi poly que luisant, & tres délicatement travaillé. Cette Cage estoit portée sur le dos de quatre petits Lyons de vermeil doré. L'Auge du dedans estoit un Ouvrage cizelé de mesme matiere. On y avoit mis un Billet plié en M, qui marquoit la premiere lettre du nom de la Belle. À la pointe du milieu de cette M, estoit un petit nœud de nompareille, couleur de feu, dans lequel on avoit passé une Bague. Le Diamant en estoit taillé en cœur. La Dame n'eut point à demander qui luy faisoit ce Présent. Le Valet de Chambre qui l'apportoit, luy estoit connu. Si-tost qu'il l'eut posé sur la Table, il dit quelque chose au Perroquet. Apparemment c'estoit pour le faire souvenir de quelque leçon apprise, car il commença aussi-tost à dire, Prenez, Maistresse, prenez ; & mettant en suite sa teste dans l'Auge, il en tira le Billet dont je viens de vous parler. La Veuve le prit, & pendant ce temps, le Valet de Chambre s'échapa. Je ne vous dis rien de ces Billets. On me les promet avec la plûpart des Madrigaux, qu'on m'assure estre remplis d'esprit. On eut soin sur tout d'envoyer des Vers à la Belle Veuve parce qu'on sçavoit son goût là-dessus. Ce Présent plut fort à cette aimbale Personne. Elle employa tant de temps à l'examiner, & à entendre causer le Perroquet, qu'elle oublia presque qu'il estoit un jour de Feste. Elle courut à l'Eglise, & y trouva une de ses Amies, qu'elle amena dîner avec elle. On parla fort des Présens d'Estrennes, & il estoit bien juste qu'ils fussent veus. L'Amie demanda si elle n'avoit rien eu du Marquis, & ayant appris que non, elle assura qu'elle en auroit quelque chose de magnifique, parce qu'il avoit du bien, qu'il estoit fort amoureux, naturellement galant & libéral, & qu'elle venoit d'aprendre que ce mesme jour il avoit fait un Présent considérable à une Personne qui luy avoit rendu un service peu important. Elle adjoûta qu'il faudroit que les marques qu'il luy donnoit de sa passion, ne fussent que feinte, s'il ne faisoit pour elle quelque chose d'extraordinaire. Tout cela se dit en retournant de l'Eglise chez la Veuve. Elles monterent, & on n'eut pas si-tost ouvert la porte de l'Antichambre, qu'elles aperçeurent au milieu une Armoire d'aix de Sapin, haute comme un Cabinet. La Veuve ayant demandé d'où elle venoit, ses Gens luy donnerent une Lettre, & dire que c'estoit tout ce qu'ils en sçavoient. L'Amie prétendit que le Marquis avoit envoyé l'Armoire, & eust volontiers gagé là-dessus ; mais le caractere qui fut reconnu décida la chose. Il estoit d'un autre Amant, qui avoit tourné la Lettre sur ce qu'ayant remarqué que la belle Veuve aimoit les Livres & la couleur verte, il avoit crû que le principal soin d'un Amant devoit estre de se conformer aux inclinations de ce qu'il aimoit. Ainsi l'Armoire se trouva remplie de Livres, les uns galans, les autres d'histoires. Elle estoit doublée de Velours vert en dehors comme en dedans, avec un gros galon vert sur les coûtures. La couverture des Livres estoit du mesme Velours. On y avoit adjoûté une broderie plate pour ornement, & il n'y en avoit presque aucune dont le dessein de la broderie ne fust diférent. Le premier füeillet de chaque Livre estoit de Vélin, & sur ce Vélin il y avoit quelque chose de galant en Prose ou en Vers, à l'avantage de la jeune Veuve. Apres qu'elle eut visité toute l'Armoire avec son Amie, elle luy fit voir les autres Présens. Ils méritoient bien qu'on les regardast un peu à loisir. Cela fut cause que les Dames dînerent fort tard, & qu'il vint plusieurs Personnes avant qu'elles fussent sorties de table. La Dame qui estoit de la confidence du Marquis se trouva du nombre. Comme elle n'estoit venuë que pour le servir, elle demanda, parmy les Présens que la Veuve luy fit voir, quel estoit celuy qu'il luy avoit fait. La Veuve rougit, & fit paroistre quelque émotion, en luy répondant, qu'il ne s'estoit pas mesme donné la peine de luy faire faire un simple message. Cette rougeur fut d'un bon augure à l'adroite Confidente ; elle blâma le procedé du Marquis, & feignit autant d'indignation que d'étonnement, de ce que s'estant montré jusque-à si amoureux; il dédaignoit d'en donner des marques dans un temps où ses Rivaux faisoient éclater leur passion. Ce blâme affecté fit donner la Veuve dans la panneau. Elle avoüa qu'elle trouvoit un peu de mépris dans cet oubly, non pas qu'elle se souciast de Présens, puis qu'elle en avoit cent fois refusé de considérables, mais qu'il ne laissoit pas d'y avoir certaines occasions, où ceux qui aimoient ne pouvoient se dispenser d'estre galans, & qu'elle se vouloit mal d'avoir un coeur plus sensible aux manieres desobligeantes du Marquis, qu'à la joye de se voir veritablement aimée de tous les autres. Elle rougit plus qu'elle n'avoit encore fait en achevant cette confidence, & toute interdite d'en avoir tant dit, elle commença elle-mesme à s'apercevoir qu'elle sentoit quelque chose pour le Marquis. Son Amie ne voulant pas luy faire connoistre qu'elle avoit lû dans son cœur, tourna le discours sur d'autres matieres, & attendit le moment où elle devoit agir. Le Cavalier qui avoit donné le Miroir, entra dans le mesme temps. La Veuve luy témoigna fort obligeament combien elle estoit satisfaite de son souvenir ; mais elle voulut une chose dont elle ne put le faire tomber d'accord, ce fut qu'il reprendroit son Présent qui luy sembloit de trop grande taille pour estre accepté, & qu'il luy envoyeroit un Miroir de poche qu'elle s'engageoit à porter toûjours. Il luy répondit qu'il ne sçavoit pourquoy elle luy parloit de Miroir, qu'il ne reclamoit aucun des Présens qu'elle avoit reçeus, & que s'il luy avoit donné quelque chose, il estoit fort seûr qu'avec autant de mérite qu'elle en avoit, elle ne le laisseroit jamais en pouvoir de le reprendre. Cela donna lieu à une conversation galante qui n'empescha pas que la belle Veuve ne donnast toûjours un peu de chagrin au Cavalier, en demeurant ferme sur l'article du Miroir. Le lieu n'estant pas assez commode pour y passer le reste du jour, elle fit entrer la Compagnie dans sa Chambre. La premiere chose qui frapa les yeux en y entrant, fut un Almanach de la Comedie de la Devineresse, attaché contre la Tapisserie. Il estoit sur du Satin. Un Rouleau d'Ebeine noire en bas, & une maniere de Corniche en haut du mesme bois, le faisoient tenir en état. On s'en approcha, & quelqu'un ayant crié, voila Madame Jobin, la Veuve voulut sçavoir d'où cet Almanach luy estoit venu. Le Cavalier qui estoit piqué du refus de son Miroir, prévint la réponse qu'on luy faisoit, & dit que c'estoient les Estrennes de sa Suivante, qui ne montroit que la moitié du Présent, & qu'assurément deux Oranges avoient accompagné l'Almanach. La plaisanterie choqua la Dame, qui en ouvrant un Billet qu'on luy donna, avoit déja reconnu l'écriture du Marquis. Elle avoit eu la foiblesse, comme beaucoup d'autres, de consulter la plûpart de celles qui se meslent de deviner, & une d'entr'elles luy avoit prédit qu'elle ne pouvoit estre que malheureuse, si elle épousoit un Homme dont le nom commençast par un C, & c'estoit la premiere lettre du nom du Marquis. Il luy écrivoit contre cette ridicule Prédiction, & luy marquoit d'une maniere tout-à-fait galante, qu'il n'y avoit rien présentement plus à la mode qu'estoit Madame Jobin, qu'elle servoit d'entretien & de divertissement public, qu'elle occupoit les Sérieux & les Enjoüez, & qu'il avoit crû la luy devoir envoyer en Almanach, afin que l'ayant devant les yeux, elle se souvinst qu'il ne falloit point croire aux Devineresses. Le Billet parut plaisamment tourné, mais il ne put servir d'excuse au Marquis, de n'avoir envoyé qu'un Almanach. Chacun condamna l'épargne, & la Dame qui avoit si fortement assuré qu'il feroit quelque Présent magnifique, entra dans une veritable colere de ce qu'il avoit si mal répondu à ce qu'elle croyoit devoir attendre de luy. Le Cavalier qui voyoit avec plaisir qu'on abaissoit un Rival qu'il avoit sujet de craindre, le railla sur l'Almanach d'une maniere un peu forte. La raillerie fit peine à la Veuve, qui toute surprise d'un Présent si peu digne d'une Personne qu'on estimoit, se disoit à elle-mesme, ce qu'elle entendoit dire aux autres. Enfin comme elle avoit de l'esprit, & qu'il y alloit de son honneur de cacher ses sentimens, elle déclara qu'elle se tenoit plus obligée au Marquis qu'à aucun de ceux qui s'estoient mis en dépense, puis que des Présens considérables font toûjours rougir, & qu'il l'avoit assez estimé pour luy vouloir épargner cette sorte de confusion. Quoy qu'elle marquast assez d'enjoüement en disant cela, il estoit accompagné d'un je-ne-sçay quel soûrire malicieux qui faisoit connoistre son dépit secret. La Dame, Confidente du Marquis s'en apperçeut, & jugeant qu'elle ne devoit pas diférer plus tard à joüer le rôle dont elle estoit convenuë, elle fit semblant de découvrir deux petits bouts de Ruban qui estoient au bas des deux côtez de l'Almanach, & demanda à quoy ils servoient. Elle commença aussitost à les tirer, & en mesme temps le Satin de l'Almanach se plissa en se haussant, & monta jusqu'au bord du bois d'en haut, au dessous duquel il demeura plissé en festons. À mesure qu'il se leva, on vit paroistre un tres-beau Tableau de miniature. L'aimable Veuve y estoit représentée dans le milieu, tres-ressemblante. Un Amour luy présentoit une Montre enrichie de Diamans, & de l'autre main il tenoit un papier ouvert, où l'on pouvoit lire quelques Vers galans, adressez à cette belle Personne. Un autre Amour paroissoit dans ce Tableau, & attachoit un Collier de Perles au col de la Veuve. L'invention parut agreable, & le Cavalier demeura luy mesme d'accord qu'il y avoit de l'esprit dans ce dessein. Il dit seulement en riant, qu'il n'avoit guére veu de plus belles Perles, mais qu'enfin ce n'estoient que des Perles en peinture. Dans ce moment on entendit sonner une Montre. Toute la Compagnie se regarda, en demandant à qui elle estoit. Chacun protesta qu'il n'en avoit point de sonnante. La surprise de ce qu'on avoit entendu augmentant par là, le Chevalier continua la plaisanterie, & dit qu'on n'avoit point à chercher la Montre, & qu'assurément c'estoit celle du Tableau qui avoit sonné. La pensée fit rire, mais on rit bien plus quand la Confidente du Marquis prenant sa parole d'un ton sérieux, prétendit qu'il pouvoit y avoir de la vérité dans ce que le Cavalier avoit dit par raillerie. Comme on se contentoit de rire sans luy répondre, elle adjoûta que puis que le Satin de l'Almanach avoit caché un Tableau, elle estoit persuadée qu'il y avoit du mistere dans tout le reste. Alors elle fit semblant de vouloir tourner un des bouts de la Corniche, quoy qu'elle sçeut bien qu'on ne la pouvoit ouvrir. C'estoit pour venir au Rouleau d'enbas. Elle tourna une petite Pomme à vice qui le fermoit par un bout. La Pomme s'osta, & un petit Ruban, qu'on apperçeut, fit connoistre que le Rouleau estoit creux. La Confidente tira le Ruban, & fit paroistre une Montre fort petite, mais toute couverte de Diamans. Une autre Dame fit la mesme chose de l'autre bout, & en fit sortir un tres-beau Collier de Perles, le tout semblable à ce qu'on voyoit peint dans le Tableau. Jamais personne ne fut si déconcerté que le Cavalier. L'Amie du Marquis prit plaisir à le railler à son tour, pendant que tout d'une voix on admira la magnificence & la galanterie du Présent de l'Almanach. Les loüanges qui furent données au Marquis, acheverent de mettre le Cavalier de méchante humeur. Il brutalisa la Confidente, & la Veuve se plaignant du peu de considération qu'il avoit chez elle, & pour une Femme, il ne put soufrir ses plaintes avec la soûmission que doit un Amant à une Maistresse. Il luy échapa quelques paroles d'aigreur contre elle-mesme, & il s'oublia si fort, qu'elle fut obligée de rompre avec luy. Vous vous imaginez bien, Madame, qu'elle ne manqua pas à luy renvoyer le Miroir dés ce mesme jour. Tout le monde estant party, la Confidente demeura seule avec elle. Ce fut alors qu'exagérant la passion du Marquis, & faisant valoir la douceur de son esprit, l'assiduité de ses soins, & la galanterie de son Présent, elle luy fit avoüer que le Cavalier, & beaucoup d'autres de son caractere, estoient entierement éloignez de son mérite. Il fut question du Collier de Perles, & de la Montre. La belle Veuve vouloit absoluement qu'on les reportast, ces sortes de choses estant d'un prix & d'une nature à ne pouvoir estre acceptées sans qu'on se fist tort, sur tout quand elles avoient esté reçeuës en présence de témoins. Son Amie luy ayant fait remarquer la discrétion du Marquis qui n'avoit laissé paroistre qu'un Almanach, ayant caché la Montre & les Perles, afin qu'elles ne fussent veuës que d'elle seule, adjoûta qu'elle sçavoit un moyen qui la mettroit en pouvoir de garder le tout avec honneur. Ce moyen estoit de se déclarer pour le Marquis, & de consentir à l'épouser. La Veuve rougist au lieu de répondre, & l'adroite Amie profita si bien du desordre de son cœur, dont les sentimens ne luy avoient pas esté bien connus jusque-là à elle-mesme, qu'elle luy permit enfin de dire tout ce qu'elle voudroit de plus favorable à son Amy. Il fut averty de ce qui s'estoit passé, & s'estant allé jetter le lendemain aux pieds de la Dame, transporté de joye, il luy marqua tant d'amour, que pour entiere assurance de son bonheur elle commença dés ce moment à se parer du Collier de Perles, & de la Montre. C'est un Mariage résolu, qui doit s'achever sur la fin du Carnaval.

[Entrée de M. l’Evesque de Munster à Munster] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 152-165.

 Vous vous souvenez sans doute que le Prince Ferdinand de Furstemberg, Evesque de Paderborn, l’est devenu de Munster. Je vous ay parlé de ses grandes qualitez & de sa Maison, en vous apprenant la mort du defunt Evesque. Il faut aujourd’huy vous apprendre les solemnitez de son Entrée dans la Ville de Munster. Elle a esté faite depuis deux mois avec tout l’éclat qui pouvoit rendre digne du Prince pour qui elle estoit ordonnée. En effet on ne se souvient point d’en avoir veu de pareilles. Ce qui en a augmenté le lustre, outre le nombre de Spéctateurs qui y sont accourus de tous costez, ç’a esté la veritable & sincere joye, que non seulement les Habitans de la Ville, mais tous les Peuples voisins, ont fait paroistre dans cette rencontre. Le 13. de Novembre 1679. ce Prince partit de Wolbeck, suivy de sa Cour, & de plusieurs Cavaliers du Païs de Paderborn. A une heure de Munster, il fut rencontré par la Noblesse de ce Païs-là, en suite par les Capitulaires, par les Prélats du Chapitre, & par les Ambassadeurs des Princes Ecclesiastiques. Après les complimens faits de part & d’autre, on prit le chemin vers la Porte Saint Leger ; par où l’on entra dans l’ordre suivant.

Le Maître de Postes de Paderborn, avec ses Postillons devant luy.

Deux Fourriers de la Cour.

Les Mulets, avec leurs Couvertures en broderie.

Deux Compagnies de Dragons.

Le Regiment des Gardes à pied, de dix Compagnies, commandé par le Colonel Baron Guillaume de Plettemberg, Commandeur de l’Ordre Teutonique, qui marchoit à pied à la teste du Regiment de mille Hommes.

Le Regiment des Gardes à cheval, commandé par le Lieutenant Colonel Gosæus, de cinq cens Hommes.

Les Chevaux de main, de la Noblesse de Munster, des Cavaliers de la Cour, & des Capitulaires.

Leurs Valets, en trois Escadrons.

L’Ecuyer de Son Altesse, suivy de douze Chevaux de main, avec des Harnois & des Couvertures fort propres.

La Noblesse de Munster, en tres-bel équipage, ayant à sa teste le General Major Baron de Naguel, Seigneur de Vorenholtz-Drossard de Stromberg, & Conseiller de S. A.

Le Tymballier et dix Trompetes de S. A.

La Noblesse de la Cour, ayant le Baron de Westerholt, Seigneur de Lembeck, Maréchal de Munster, & Conseiller d’Etat de S. A. à sa teste.

Le Baron Ferdinand de Furstemberg, Grand Ecuyer, & Neveu de S. A.

Le Comte Jean-Adolphe de Bentheim-Tecklenbourg.

Douze Valets de pied devant S. A.

Monsieur l’Evesque de Munster, monté sur un Cheval Turc, environné de douze Hallebardiers & de quatorze Heiducs.

Les Capitulaires de Munster à cheval apres le Prince.

La Compagnie des Gardes ordinaires, avec la Casaque de la Livrée de S. A. montant à cent Chevaux.

Un Carrosse vuide du Prince, de Velours verd dedans & dehors, travaillé en Borderie d’or relevée, traîné par six Chevaux gris-de-perle, avec des Harnois proportionnez.

Le Carrosse où estoient les Ambassadeurs des Princes Ecclesiastiques, c’est à dire de l’Electeur de Treves, de l’Archevesque de Saltzbourg, du Grand-Maistre de l’Ordre Teutonique, & de l’Abbé de Fulde.

Deux autres Carrosses, où estoient dans l’un les Prélats du Chapitre de Munster, excepté le Baron de Velen, Vice-Dominus, qui suivoit le Prince à cheval, & les Conseillers d’Etat dans l’autre.

D’autres Officiers de la Cour & du Païs, dans divers Carrosses, qui alloient au dela de quarante, tous à six Chevaux.

Huit Chariots de bagage, avec les Armes du Prince en broderie sur les Couvertures.

Deux Regimens de Cavalerie, de cinq cens Hommes chacun, l’un commandé par le Colonel de Bonninghausen, l’autre par le Colonel de Wendz, venoient à la fin de la Cavalcade.

La Bourgeoisie en armes, & rangée en double haye, bordoit les deux costez de Ruës par où la Cavalcade passoit. Elle marcha jusques à la Court, vis-à-vis du Dôme. Les Regimens & la Compagnie des Gardes s’y estoient mis en bataille.

Mr l’Evesque de Munster mit pied à terre dans la Court, & s’estant retiré dans la Chapelle de S. Michel, il y prit l’Habit Episcopal, & fut servy & mené en Procession par les Religions, le Clergé, & le Chapitre, à la Cathédrale, où apres qu’il eust fait les prieres & cerémonies ordinaires, & réçeu le serment & l’hommage du Chapitre, on chanta le Te deum , avec double Chœur de Musique, & les Trompetes, triple décharge du Canon de la Ville, & trois salves de la Cavalerie & de l’Infanterie. Cela estant fait, ce Prince s’en retourna à la Court en Procession, comme il en estoit party, & l’on traita fort magnifiquement toute cette grande Assemblée, pendant trois jours que dura la Cerémonie. L’arrivée de trois Ambassadeurs de Hollande, de Brandebourg, & d’Osnabruch, fut pour elle une augmentation d’éclat. Le second jour, la Noblesse du Païs de Munster presta serment de fidelité à S. A. laquelle assista en suite en Habit Pontifical à la Messe chantée par le Trésorier du Chapitre de Schmising. Apres la Messe, elle reçeut l’hommage des Magistrats, & de la Ville de Munster, avec de grands applaudissemens du Peuple, & s’en revint à la Court en Carrosse, précedée de plus de deux cens Gentilshommes qui marchoient à pied.

Le troisiéme jour on monta à la Citadelle, pour voir le Feu d’artifice préparé sous la direction du Colonel de l’Artillerie Correy, avec plusieurs Machines & Figures tres-bien disposées, sur la terre & sur l’eau du Fossé. Ce Spéctacle eut tout le succés qu’on en pouvoit esperer. Les Collations servies sous des Tentes pour régaler les Dames qui s’y trouverent en fort grand nombre, acheverent les divertissemens de la Feste.

[Reception faite à M l’Abbé de Gesvres à Bernay] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 165-172.

Les Habitans de Bernay se disposoient fort à y recevoir Mr l’Abbé de Gesvres, d’une maniere qui luy fist connoistre la parfaite estime qu’ils ont pour une Personne de sa qualité & de son mérite ; mais sa modestie s’oposant à la dépense qu’ils vouloient faire, luy fit cacher le jour de son arrivée. Le seul avis qu’ils en eurent, leur vint d’un Homme qui avoit rencontré ce jeune Abbé, avec tout son équipage, à demy lieuë de la Ville, le Mardy 9. de ce mois, sur les huit heures du soir. Cette nouvelle porta aussitost la joye par tout. Le bruit des Tambours qu’on entendit presque en mesme temps, fit prendre les armes à plus de quatre cens Bourgeois, qui se rangerent en haye depuis la Porte de la Ville jusqu’à celle de l’Abbaye, où le son des Cloches fit accourir tous les Habitans. Les Peres Benédictins qui estoient déjà couchez, se leverent pour recevoir en Corps à la Porte de leur Eglise. Il y entra, & pendant qu’il faisoit sa priere, on chanta le Te Deum. Le Canon fut tiré en suite, & tous les Mousquetaires firent leur décharge. Si-tost qu’il eut esté conduit dans l’Apartement qu’on luy avoit préparé, il donna ordre que l’on défonçast plusieurs Muids de Vin dans le milieu de la Court. Jugez de la réjoüissance du Peuple. Deux Mousquetaires gardoient les Portes de son Escalier & de sa Chambre, pour empescher la confusion. Les principaux de la Ville vinrent le salüer dés ce soir mesme, & on ne le quita qu’à deux heures apres minuit.

Le lendemain, les Mousquetaires s’estant mis dans le mesme ordre qu’on les avoit veus le jour précedent, le Pere Visiteur des Benédictins de la Province, qui estoit à Bernay, passa au milieu pour venir salüer Mr l’Abbé dans sa Chambre. Le Clergé des Paroisses de Sainte Croix & de Nostre-Dame de la Cousture, entra apres luy. Les deux Curez le haranguérent en termes choisis, ce qui fut fait de la mesme sorte par les Gardiens des Peres Cordeliers, & Penitens, à la teste de leurs Communautez. Les Juges d’Orbec & de Montreüil, accompagnez d’un grand nombre d’Avocats & de Procureurs, luy rendirent ensuite les mesmes devoirs. Mr de la Boisarderie Bailly de Montreüil, luy fit un discours qui luy attira beaucoup d’éloges. Ce jeune & illustre Abbé répondit à tout avec tant d’agrément, & de presence d’esprit, qu’il fut admiré de tous ceux qui l’entendirent. Cette premiere cerémonie qui dura jusqu’à midy, fut suivie d’une autre qui fut la reception de ce mesme Abbé à l’entrée de la Porte de l’Eglise de l’Abbaye. Le P. Visiteur revétu d’une Chape, ainsi que tous les autres Religieux, vint l’y recevoir sous un Dais qui fut porté par quatre Officiers. Il luy présenta de l’Eau-beniste, & le harangua avec beaucoup d’éloquence. Il fut conduit dans le Chœur sous le mesme Dais, & on commença la Messe qui fut solemnellement chantée. Au retour, il fit faire une distribution tres-considérable à plus de sept cens Pauvres qui estoient venus de toutes parts. Le Jeudy 11. il traita magnifiquement les Officiers qui avoient commandé la Milice, & il a reçeu depuis les visites de toute la Noblesse des environs.

Air nouveau chanté à la Reyne §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 174-177.D'après le Mercure, les airs Vous demandez des vers, Vous avez de l'esprit, Je suis prêt de revoir, Premier objet de ma tendresse, Pendant que vous donnez, Reine aussi belle que bonne sont dus au même auteur. Or l'article du Mercure permet d'attribuer l'air Vous demandez des vers à Bertrand de Bacilly qui serait donc aussi l'auteur des autres airs cités.

Je vous envoye un Air de l’illustre Autheur, dont vous en avez trouvé dans toutes mes Lettres depuis quelques Mois. Il a fait le Chant & les Paroles, & l’on peut dire qu’il l’a voulu proportionner à la petitesse de celle qui a eu l’honneur de le chanter à la Reyne, comme un remercîment du Présent que Sa Majesté luy a fait apres l’avoir entendüe joüer du Clavessin. C’est une Enfant de cinq ans, que Mr Jaquet a rendüe comparable aux plus habiles en six ou sept mois. Il luy est bien glorieux de faire des miracles au dehors comme il en a fait dans son domestique. Cette Enfant connüe sous le nom de la petite Michon, a joüé trois fois sur l’Orgue de la Chapelle du Roy, les Pieces qu’elle joüe sur le Clavessin. Il n’y a rien de plus surprenant que de luy voir à son âge des mains assez fortes pour toucher un Instrument de ce poids. Aussi sa réputation est-elle déjà si grande, que tout le monde s’empresse à venir l’entendre chez l’Autheur de l’Air que vous trouverez icy gravé. C’est luy qui a soin de son éducation.

AIR NOUVEAU

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Reyne aussi belle que bonne, doit regarder la page 177.

chanté à la Reyne.

Reyne aussi belle que bonne,
Ce n’est pas vostre Couronne
Qui vous fait briller le plus,
Reyne, ce sont vos vertus.
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[Mort de M. le Duc de Hanover] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 189-213.

Rien n’est certain dans le monde, & c’est se tromper, que de s’y promettre une joye durable. Madame la Duchesse de Hanover en avoit beaucoup de venir en France. Madame la Princesse Palatine sa Mere, & Me la Duchesse sa Sœur, estoient de grands charmes pour l’y attirer. Cependant elle y a versé des larmes ; & si la douleur que luy a causée la nouvelle de la mort de Mr le Duc de Hanover son Mary a pû trouver du soulagement, ce n’a esté que par la part qu’elle y a veu prendre aux deux Personnes qu’elle considere & qu’elle aime davantage. Ce Prince ayant résolu d’aller passer le Carnaval à Venise pendant l’absence de Madame la Duchesse sa Femme, partit accompagné de Mr l’Evesque d’Osnabruk son Frere, si-tost qu’il eut veu les affaires d’Allemagne & de Dannemark accommodées. Il tomba malade à Ausbourg, & mourut cinq jours apres, la nuit du 27. au 28. du dernier mois. Les Chirurgiens qui ont esté employez à ouvrir son Corps, ont trouvé que la cause de sa mort est venuë de deux excrescences de chair qui s'estoient formées autour du poulmon, & qui ayant creû insensiblement, se sont jointes apres une longue succession de temps, & l’on privé tout-à-coup de la faculté de respirer. Aussi est-il mort en un instant, sans témoigner qu’il sentist aucune douleur. Il est universellement regreté pour ses belles qualitez. Il avoit l’ame grande & genéreuse ; & comme il prenoit plaisir à faire du bien à des Particuliers de mérite, il le faisoit quelquefois d’une maniere si noble, qu’on payoit toutes leurs debtes, quelques considérables qu’elles fussent, sans qu’il laissast découvir que ce fust luy qui les eust payées. C’estoit un des Princes du Monde qui faisoit le mieux les choses extérieures & avec plus d’ordre, quand il vouloit se donner la peine de les regler ; ce qui luy arrivoit fort souvent. Il estoit secret, tres-délicat sur la gloire, & particulierement sur la sienne propre, & sur celle de sa Maison, dont il a tâché d’augmenter l’éclat par toutes sortes de voyes. On l’a toûjours veu fort absolu sans que personne l’ait gouverné, son autorité estant la chose dont il se montroit le plus jaloux. Il prenoit connoissance de tout ce qui regardoit son Etat, ses Finances, & sa Milice, & mesme de tous les Actes de Justice, afin d’en juger luy-mesme, ordonnant de tout jusqu’aux moindres choses, dont il n’oublioit jamais que ce qu’il vouloit. Ainsi son esprit estoit dans une activité continuelle. Pour se délasser, il aimoit les petites railleries, & les Personnes qui le divertissoient agreablement. Il a toûjours entretenu une Troupe de Comédiens François avec Mr le Duc de Zell son aîné, & sur ses dernieres années, il a fait faire des Opéra en Italien, qu’on a trouvez admirables, sur tout pour les Voix & les Décorations. Il en régala la jeune Noblesse de l’Armée de France, qui alla le voir lors qu’elle estoit vers Minden. L'agreable maniere dont il la reçeut, luy donna tout lieu de s'en loüer. Sa Cour estoit aussi moderée, que grande, civile, & magnifique. Il y avoit étably toutes les manieres Françoises qu'on suivoit en tout, jusque dans les Familles mesme de la Ville. Il avoit dans sa Cour & dans ses Troupes beaucoup d'Officiers François, & leur faisoit garder, ainsi qu'aux Soldats, les regles de France. Il a toûjours eu dans cette derniere Guerre douze à quatorze mille Hommes tres-bien payez, qu'il a fait vivre avec une fort grande discipline, tant dans ses Etats que dans les Quartiers qu'ils ont occupez. Il jetta les yeux sur Mr Podwits, Maréchal de Camp en France, tres habile en son Mestier, & un parfaitement honneste Homme, pour le faire Lieutenant Genéral de ses Troupes, & l'envoya demander au Roy.Il faisoit gloire d'estre fidelle observateur de ses Traitez, & quoy qu'il avoit fait paroistre en plusieurs occasions beaucoup d'attachement pour la France, & une venération toute extraordinaire pour la Personne du Roy, dont il ne parloit jamais que comme du plus grand & du plus sage Monarque du Monde, il n'a pas laissé de se maintenir toûjours dans la Neutralité avec l'Empereur & les autres Puissances, & dans une bonne intelligence avec les Princes voisins. Il leur a donné à tous de la jalousie, & en a esté continuellement sollicité, ainsi que des Testes Couronnées & des Etats Genéraux ; mais il est demeuré inébranlable, & travaillant de tout son pouvoir pour le bien de l'Empire, & pour la Paix generale, il a fait paroistre une entiere fermeté contre l'Empereur, & contre tous ceux qui ont voulu l'inquiéter dans ses Quartiers, qu'il a défendus jusqu'à la fin. On peut dire encor de luy qu'il estoit tres-équitable, & qu'il n'y a jamais eu un meilleur Maistre. Il sçavoit dissimuler & soufrir de ses Sujets, de ses Gens, & mesme de ses Ministres, quand la raison & la necessité l'exigeoient. Comme il avoit l'art de se faire craindre aussi bien qu'aimer, il les a toûjours maintenus dans le devoir, & a particulierement eu soin que ses Ministres d'Etat fussent tres-habiles. Il y en a peu dans l'Allemagne qui soient du poids de Mr de Grotte, & de Mr de Witzendorf, sur la prudence desquels il se reposoit de la Régence de ses Etats quand il alloit à Venise, où il faisoit un voyage de temps en temps. Cette République l'estimoit infiniment, & l'avoit mis au rang de ses Nobles. Les deux Ministres que je viens de vous nommer, sont entierement consommez dans les Affaires, le premier pour les Finances & l'Oeconomie, & l'autre pour ce qui regarde l'Etat. La conduite de ce Prince a toûjours esté si judicieuse, qu'il n'a point donné d'Emplois qui ne servent de preuves d'un vray mérite à tous ceux qui en ont esté honorez. On le voit en la Personne de Mr Brosseau, qu'il avoit choisy pour son Résident en France, & que sa fidélité inviolable, & le zele tres-passionné qu'il a toûjours eu pour son service, ont fait voir si digne de toutes les marques de considération qu'il en a reçeues. Vous n'ignorez pas sans doute que Mr le Duc de Hanover estoit Frere de la Reyne Mere de Dannemark qui l'aimoit fort tendrement. Le 7. de l'autre Mois, c'est à dire, vingt jours avant qu'il mourust, il avoit envoyé au Roy par un de ses Gentilshommes, un attelage de six Chevaux gris de perle non pommelez, qui peuvent passer pour les plus beaux de l'Europe, & dont on tient qu'il avoit refusé douze mille Ecus. Comme il n'a point laissé d'Enfans mâles, Mr l'Evesque d'Osnabruk, qui est son Cadet, hérite de ses Etats. Ils sont d'une assez grande étendüe, bien situez, & Luthériens comme ceux de Mr le Duc de Zell son Frere aîné, & de son Parent Mr le Duc de Volfembutel. L'exercice de la Religion Catholique ne laissoit pas de s'y faire publiquement depuis sa Régence dans l'Eglise Ducale de son Palais. Il entretenoit pour cela splendidement un Vicaire Apostolique qui estoit Evesque, avec quinze ou vingt Capucins, qui prêchoient alternativement en François, Italien, & Allemand dans son Eglise, à caus de ces trois Nations dont sa Cour estoit composée. Ils estoient logez dans un des Apartemens de son Palais, & avoient souvent l'honneur d'estre reçeus à sa table. Toutes choses leur estoient fournies en abondance, tant pour leurs besoins, que pour distribuer à tous les Pauvres qui se presentoient chez eux, & pour les Religieux des autres Ordres. Il y avoit vingt-trois ans qu'il s'estoit fait Catholique, & quinze qu'il estoit devenu Duc de Hanover. Il n'avoit eu jusques là des Pensions, estant le troisiéme Fils du Duc George, qui avoit ordonné par son Testament, que les deux Aînez de sa Branche seroient seuls à l'avenir à partager ses Etats. Ainsi Christian-Loüis qui estoit l'aîné, fut Duc de Zell ; & George-Guillaume, Duc de Hanover. Christian Loüis estant mort sans avoir laissé d'Enfans, Georges-Guillaume devint l'aîné & Duc de Zell, & laissa le Duché de Hanover à Jean-Frideric, qui est celuy dont je vous apprens la mort. Il laisse trois Filles, qui ne peuvent hériter que des meubles & de l'argent . L'aînée de ces trois Princesses n'a pas encor neuf ans. La seconde en a huit, & l'autre sept. Elles sont toutes trois fort belles, & bien élevées, ont l'esprit tres-avancé pour leur âge, parlent également le François & l'Allemand, & de se démeslent pas mal de l'Italien qu'elles sçavent expliquer. Madame la Duchesse de Hanover leur Mere, qui les a amenées avec elle en France, n'oublie rien pour leur donner une éducation digne du rang qu'elles tiennent. J'aurois beaucoup à vous dire de cette Princesse. Elle est encor jeune, belle, & d'une bonté toute extraordinaire. Ses douceurs & ses manieres honnestes charment tous ceux qui l'approchent, & rien n'égale la délicatesse de son esprit que celle de sa vertu. Elle a une de ces belles ames qui sçavent si bien & si agreablement faire toutes choses, & qui ayant la gloire pour premier objet, ne démentent jamais ce caractere. La conduite qu'elle a gardée dans l'Allemagne, a esté si sage & si moderée, qu'elle s'y est fait admirer de tout le monde. Rien n'est plus à estimer que l'application qu'elle a eüe à se conformer à toutes les inclinations de feu Mr le Duc de Hanover son Mary. Elle en faisoit le plus grand de ses plaisirs, & c'est par là qu'elle a toûjours vescu avec luy & en elle-mesme, dans cette douce tranquillité qui fait le souverain bonheur de la vie. Tant de belles qualitez doivent peu surprendre dans une Personne qui a l'avantage d'avoir pour Mere Madame la Princesse Palatine, dont vous avez oüy vanter tant de fois le grand air & la beauté. Vous sçavez qu'elle est Veuve d'Edoüard de Baviere, Prince Palatin du Rhin. Je n'ay rien à adjoûter à ce que je vous ay dit depuis peu de cette Maison. Quant au mérite particulier de Madame la Princesse Palatine, je ferois icy un long Article sans vous dire trop. Elle a une force & une présence d'esprit inconcevable. On luy a eu quelquefois dicter dans un mesme temps quatre ou cinq Lettres diférentes sur des matieres de la plus grande conséquence, & elle n'a jamais entrepris de négotiations dont elle ne soit venuë à bout. Elle estoit Sur-Intendante de la Maison de la feuë Reyne Mere, qui l'honoroit d'une tres-particuliere bienveillance, & qui la regardoit comme son Amie. Je croy que sa Maison vous est connuë. Elle est Fille de Charles de Gonzague, Duc de Nevers & de Rhetel, & depuis Duc de Mantouë & de Montferrat, & de Catherine de Lorraine, Fille aînée de Charles de Lorraine, Duc du Maine, & avoit pour Sœur Loüise-Marie de Gonzague, Femme d'Uladislas-Sigismond IV. Roy de Pologne, & remariée avec Dispense au Roy Jean-Casimir son Beaufrere. Charles II. de Gonzague, Duc de Rhetelois, estoit le Frere de ces deux Princesses. C'est de luy que les Ducs de Mantouë d'aujourd'huy descendent.Les Ducs de Nevers ont vêcu autrefois en France avec tant d'éclat, que les plus puissans Souverains de l'Europe ne portoient pas leur grandeur plus loin. La Maison de Gonzague, dont celle de Nevers est une Branche, a donné des Femmes aux Empereurs, & en a pareillement reçeu d'eux.

[Ce qui s’est passé à Turin le jour du Sapate] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 245-266.

J’ay accoustumé de vous parler tous les ans de la galante Feste du Sapate établie à Turin le cinquiéme Decembre. Il faut vous rendre compte de ce qui s’y est passé la derniere fois. Ce jour-là il y eut Comédie Italienne le soir, & pendant que Madame Royale y estoit avec toute la Cour, S. A. R. fit porter trois Piedestaux carrez feints en argent, sur lesquels estoient peints des Vases & des Festons de fleurs, imitées au naturel. Les trois Piedestaux dont vous trouverez la Figure gravée dans cette Planche, s’ouvroient en maniere d’Armoire, & renfermoient chacun deux Sieges-plians d’argent massif, cizelez, & tres-délicatement travaillez. Le Siege en estoit couvert d’un velours violet, bordé d’une crespine d’or, le tout assortissant au Lit de Madame Royale. Au dessus il y avoit une espece de Marche-pied, qui diminuoit en largeur à mesure qu’il s’élevoit. Il estoit composé de trois Tiroirs sur chaque Piedestal, fort adroitement cachez, & remplis d’une tres-grande quantité de Paquets de Gans, & de Peaux d’Espagne & de Rome, de Coussinets de senteur en broderie, de Pieces de Rubans, & de riches Tissus, de Manchons de toutes façons, de Vazes & de Fiolles d’Essence, & de toutes sortes de galanteries les plus rares, qui peuvent estre à l’usage des Dames, à qui elles furent distribuées. Sur les trois Marchepieds, on voyoit trois Amours, tenant chacun une Corbeille d’argent, remplie de Bouquets de toutes les fleurs que le Printemps peut produire. C’estoit une assez grande nouveauté dans la saison du Sapate. Ces Bouquets liez avec de gros nœuds de riches Rubans de diverses couleurs, furent pareillement donnez aux Dames par Madame Royale, qui apres avoir bien cherché ce qui pouvoit estre pour elle, outre les six Plians, dont je vous viens de parler, trouva à la fin une Bague d’un Diamant taillé en cœur, d’une grosseur extraordinaire, & dont le prix marquoit quelque chose de la magnificence du grand Prince qui la présentoit, & de la grandeur de l’auguste Souveraine, à qui elle estoit presentée. Chacun de ces Amours avoit en sa main par écrit le Compliment qu’il ne pouvoit prononcer. La lecture en fut faite, & Madame Royale l’écouta avec beaucoup de bonté. Voicy les Vers que le Papier de chaque Amour contenoit. Ils sont de Mr G… Conseiller & Secretaire d’Etat de S. A. R. dont je vous ay envoyé une Epistre en Vers dans ma derniere Lettre. Je ne doute paoint, Madame, que vous ne soyez fort contente de ceux-cy, puis que toute la Cour de Savoye l’a esté.

Pour l’amour

de la Gloire.

Sonnet.

Le Prince dont icy je vous offre l’hommage,
S’attache à mes Leçons dans ses jeunes ardeurs ;
Déjà son cœur, plus grand que toutes les grandeurs,
Aux plus hautes Vertus accoûtume son âge.
***
La noble impression de cet apprentissage,
Le rendra tout brillant de ses propres splendeurs ;
Vaillant, & Souverain du fond de tous les Cœurs,
Tout chérira ses Loix, ou craindra son courage.
***
Ennemy des Flateurs, libéral, juste, & doux,
Exterminant le vice & l’erreur sous ses coups,
Il ne dispensera ses bienfaits qu’au mérite.
***
Que pour luy ce grand Art est facile à marquer !
Et qu’il est attentif, quand je le sollicite,
Sur ce que vostre exemple enseigne à pratiquer !

POUR L'AMOUR

FILIAL.

STANCES.

Plein d’une douce constance,
Qui marque mon respect, plutost que mon orgueil,
Je viens chercher icy vostre auguste présence,
Et recevoir de vous un favorable accueil ;
J’y suis trop bien fondé, pour y former du doute.
Vous sçavez que c’est moy qui vous ouvre la route
D’un Cœur, qui de vos vœux est l’objet le plus doux ;
Vous sçavez qu’à mes soins vous devez sa tendresse,
Et c’est par mes conseils qu’il vous jure sans cesse,
Qu’il sera toûjours tout à vous.
***
Dans cet illustre ministere,
Puis-je de mon espoir jamais me défier ?
Et quelque grand que soit le bonheur que j’espere,
J’apporte icy dequoy le bien justifier ;
C’est un charmant hommage, un tribut agreable ;
Que vous offre par moy vostre Fils adorable ;
Des plus tendres ardeurs de son empressement,
Ce sont de vifs transports d’une amitié fidelle,
Des respects que son cœur chaque jour renouvelle,
Pour durer éternellement.
***
Mais c’est en vain que je m’excite,
Ce grand attachement ne se peut exprimer ;
Mesurez-le, Princesse, avec vostre mérite,
Vous sçavez à quel point ce Fils vous sçait aimer.
Arbitre cependant de vostre doux commerce,
Je veux que desormais tout mon pouvoir s’exerce
À mesler à vos feux des plaisirs infinis ;
Et je feray douter dans cet amour sincere,
Quel est le plus ardent, ou du Fils pour la Mere,
Ou de la Mere pour le Fils.

POUR L'AMOUR

DE

LA RECONNOISSANCE.

VERS LIBRES.

Un jeune & charmant Souverain,
A paroistre à vos yeux aujourd’huy m’intéresse,
Et je vous viens pour luy, grande & sage Princesse,
Communiquer un grand dessein.
***
Il veut que ma main immortelle
Travaille à luy faire un Tableau,
Où je surpasseray tout ce qu’on voit de beau,
Si j’en puis suivre le Modelle.
***
D’abord ce Modelle offre aux yeux
Une Princesse, en qui le moindre trait étale
Tout ce qu’ont de plus glorieux
La majesté de la Grandeur Royale,
Et les vives beautez des Cieux.
***
On la voit appliquée à conduire à la Gloire
Un Fils qui brille à son costé,
Qui prenant ses Leçons avec avidité,
Les renferme dans sa mémoire
Comme une celeste clarté,
Dont les divins rayons le disposent à croire
Qu’ils montrent le chemin de l’Immortalité.
***
Par le secret d’un Art inimitable,
On a peint son amour soigneux & délicat ;
C’est là qu’on voit cette Mere adorable
Dans l’assiduité d’un travail qui l’accable ;
Mais c’est en vain que le travail l’abbat ;
On voit de plus en plus sa conduite admirable,
Pour faire & soûtenir le bonheur d’un Etat,
De ses plus jeunes ans sacrifier l’éclat,
D’une constance infatigable.
***
Icy par sa prudence on voit régner la Paix
Dans le déchaînement des fureurs de la Guerre ;
Là ses Royales mains s’ouvrent pour ses Sujets,
Et reparent par ses bienfaits
La sterilité de la Terre.
***
Icy l’on rétablist le bon ordre & les Loix,
Là l’Héresie est aux abois ;
Là l’on voit refleurir les Arts & les Sciences.
Icy les Vices sont punis,
Et là des Monts affreux promptement applanis,
Ouvrent de cent correspondances
Les avantages infinis.
***
Des miracles si grands à cette illustre Mere,
Paroistroient cependant un succés ordinaire ;
Et l’on remarque en ce Tableau
Que ses vertus & sa sagesse,
Joignant par un effet aussi rare que beau,
Aux Etats conservez un Empire nouveau,
Couronnent ce cher Fils des fruits de sa tendresse.
***
Voilà surquoy le Prince ordonne sans tarder
Que je fasse éclater mon zele ;
Mais, Princesse, oserois-je icy cous demander
Si vous connoissez ce Modelle ?
***
Vous ne répondrez point sans-doute à mon discours ;
Mais si vous me cachez des vertus si publiques,
L’Univers entier tous les jours
Me répondra pour vous, par cent Panégiriques.
***
J’en vais donc copier les traits & la couleur,
Et pour placer dignement cet Ouvrage,
Princesse, j’ay choisy le fond mesme du cœur,
Du Prince, à qui ce soin m’engage.
***
Là traçant les effets de vos tendres bontez,
Pour sa grandeur & pour sa gloire,
Je graveray de vives seûretez
D’une inviolable mémoire.
***
Ainsi tous vos soins importans
Luy seront présens en tout temps,
Et voyant vostre Regne & si doux & si juste,
De sa reconnoissance il suivra les ardeurs,
Et vous dira, Regnez, Régente auguste,
Sur mes Etats, comme sur tous les Cœurs,
Qu’en tout vostre sagesse ordonne;
Que toûjours vos conseils soient mes plus cheres Loix ;
Et puis que vostre main me donne une Couronne,
Daignez toûjours m’aider à soutenir son poids.

Le mesme soir, Madame Royale entrant dans sa Chambre, y trouva devant son feu un Ecran d’une beauté singuliere. Il faut vous en faire la description. Le pied est d’argent doré, travaillé admirablement ; & dans le haut, il y a une Couronne de Savoye, couverte de fort beaux Diamans. Le corps de l’Ecran est une Miniature d’un excellent Maistre. Le dessein représente Son Altesse Royale Monsieur le Duc de Savoye sur le bord de la Mer, & à pied. Il est revestu du Manteau Ducal. Vis-à-vis de luy, Madame Royale paroist sortir d’un Palais, suivie des Vertus. Elle montre à ce jeune Prince qu’i faut quiter les plaisirs enfantins, (on les voit représentez derriere luy par une Troupe d’Enfans qui joüent à toute sorte de petits jeux,) & se préparer à passer à Lisbonne, qu’on découvre en perspéctive à l’orizon d’une grande Mer. Un petit Amour volant luy montre aussi avec le doigt, que c’est là qu’il doit aller chercher ses plaisirs. On voit un Port & des Vaisseaux prests pour l’Embarquement. La Gloire descend, tenant une Couronne de Lauriers ; & la Renommée fend les airs, pour publier à toute la Terre la glorieuse Alliance qui se fait entre la Savoye & le Portugal. On lit ces mots écrits à un coin, Matre Dea monstrante viam. Dans l’autre costé de la Table de l’Ecran, il y a une Broderie d’or, d’argent, & de soye couleur de feu, fort relevée, sur une peau de Frangipane, dont le dessein représente des flâmes de feu, sur lesquelles est une Couronne tres-riche. Les deux costez sont rejoints par un galon d’or, attaché avec un tres-grand nombre de clous à teste de Diamans. Madame Royale, & toute la Cour, furent fort longtemps sans pouvoir s’imaginer d’où venoit ce galant & magnifique Sapate ; mais enfin on découvrit que Mr le Cardinal d’Estrées, dont la vivacité du génie brille dans les petites choses, comme celle de son esprit se fait admirer dans les grandes, avoit envoyé ce Présent de Paris par un Courrier dépesché exprés.

[Mort du Sieur Guichard à Madrid] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 299.Voir également cet article pour un démenti de ce décès.

Le Sieur Guichard, dont la passion dominante estoit de mettre tout en usage pour faire des Opéra, & en établir en quelque lieu du monde que ce fust, est mort à Madrid, apres avoir crû estre venu a bout de son dessein. 

[ Divertissements publics] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 300-305.

Il est temps de vous parler des divertissemens de cette saison. Vous sçavez qu’elle est destinée par tout aux plaisirs. Je commence par ceux de la Cour. On n’y en a point pris d’autre pendant tout ce Mois, que celuy de l’Opéra de Bellérophon. Il a fort plû à Sa Majesté, qui en a trouvé des endroits si beaux, qu’Elle les a fait repéter deux fois dans chaque Représentation. Aussi tout Paris estoit-il demeuré d’accord, qu’on y rencontroit ce qui est rare, & tres difficile dans un Opera, je veux dire un Sujet conduit, qui attache par luy-mesme, qui a toutes les parties de la Tragedie, & dans lequel tous les divertissemens naissent du corps de l’Ouvrage, sans qu’on les y amene par des incidens forcez, à l’exception de la Scene des Napées & des Faunes, qui a esté faite contre le sentiment de l’Autheur, & seulement pour fournir des Vers à la Musique. On cessa les Représentations de cet Opéra Vendredy dernier, pour les reprendre alternativement avec celles de l’Opéra de Proserpine, qui paroistra pour la premiere fois le 5. Fevrier. Il est de Mr Quinault, qui s’est surpassé luy-mesme ; & comme ses Vers ont toute la délicatesse qui est necessaire pour le chant, on a une impatience inconcevable de les entendre. Si les oreilles doivent estre fort satisfaites dans cet Opéra, les yeux ne le seront pas moins, puis que soit pour la beauté des Décorations, soit pour la richesse des Habits il ne s’est jamais rien veu de si somptueux en France.

La Troupe Royale de l’Hostel de Bourgogne, a représenté une Tragedie intitulée, Genseric Roy des Vandales, mise au Theatre par l’illustre Madame des Houlieres. C’est tout dire. Vous sçavez combien les Ouvrages que je vous ay envoyez de sa façon, ont esté trouvez justes & pleins de délicatesse, & avec quel empressement on souhaite de tous costez d’en voir dans mes Lettres. La mesme Troupe promet une autre Piece nouvelle sous le nom d’Adraste. Elle est de Mr Ferrier.

Je croyois vous appprendre le succés d’Agamemnon, affiché depuis longtemps par la Troupe du Roy, qu’on appelle de Guénegaud, mais la foule augmente de jour en jour aux Représentations de la Devineresse, & non seulement elles ont continué jusqu’à aujourd’huy depuis la Saint Martin qu’elle a commencé de paroistre sur le Théatre, mais il y a grande apparence qu’elles continuëront tout le reste du Carnaval. Cet extraordinaire succés ne peut venir que de ce que tout le monde trouve à s’y divertir plus d’une fois, & vous tomberez d’accord que les choses qui nous font souhaiter de les revoir, ne peuvent estre que fort agreables. 

[Le libraire au lecteur] §

Mercure galant, janvier 1680 [tome 1], p. 311-312.

Le libraire

au lecteur.

Je debiteray sans aucun retardement la Comédie de la Devineresse, dans les premiers jours de Fevrier, comme je fais le Mercure. Quelques-uns disent qu’on l’a déja veue imprimée. Si cela estoit, on n’auroit pû faire cette Impression que sur une Copie dérobée pendant les Représentations qu’on en a faites depuis deux mois, & par conséquent tres-imparfaite, puis que si on a pû retenir l’ordre des Scenes, il est impossible qu’on les ait retenües toutes telles qu’elles sont joüées. Afin que personne ne soit surpris, ny à cette fausse Copie (s’il est vray qu’il y ait une Devineresse déja imprimée) ny aux Impressions contrefaites qui s’en pourront faire, & qui sont toûjours pleines de fautes ; je vous avertis que la veritable Impression de cette Comedie que l’Autheur fait faire présentement, & que je vous promets tres-correcte, aura le Titre de la premiere Page, composé des Caracteres suivans.

 

La

devineresse,

ou les faux

enchantemens.

Comedie.

Ces Caracteres ne peuvent estre contrefaits, & on doit tenir pour faux tous les Exemplaires où le Titre de la premiere Page ne sera point imprimé de la maniere que je vous le marque.