1680

Mercure galant, février 1680 [tome 3].

2015
Source : Mercure galant, février 1680 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Avant-propos] §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 1-11.

 Croirez-vous, Madame, qu’apres vous avoir si souvent parlé du Roy depuis trois ans dans le commencement de mes Lettres ; apres vous l’avoir fait voir également Guerrier & Pacifique, Pere de l’Europe, ainsi que de ses Sujets ; libéral pour les Gens d’un mérite particulier, & pour ses Peuples en general, bon, juste, & grand en tout ; croirez-vous, dis-je, qu’apres vous avoir justifié par les actions mesmes que je vous ay marquées de cet incomparable Monarque, mille qualitez extraordinaires qui brillent en luy, je puisse ajoûter quelques traits nouveaux au Portrait que je me suis hazardé de vous en faire ? Sa magnificence vous est connuë, & je vous ay rarement écrit sans vous en dire d’assez grandes choses ; mais vous sçavez qu’il y en a de deux sortes. L’une se peut regarder comme un effet de la libéralité du Prince qui embrasse avec plaisir toutes les occasions de faire du bien, & c’est particulierement en cela qu’on peut assurer que jamais personne n’approchera de Loüis le Grand. Vous l’avez veu, par ce que je vous ay fait remarquer des Charges de la Maison de Madame la Dauphine, dont Sa Majesté pouvoit retirer plusieurs millions, comme il s’est toûjours fait en mesme rencontre, & qui ne luy ont cependant servy que pour en faire la récompense du vray mérite. Il y a une autre espèce de magnificence. Elle est attachée aux dépenses que doit faire un Souverain, pour faire éclater la gloire de ses Etats par la grandeur des Festes publiques. Il n’y a presque aucun Empereur Romain qui n’en ait laissé l’exemple. Ces Maistres du Monde ne croyoient jamais faire mieux paroistre la majesté de leur rang, qu’en donnant des Spectacles à leurs Peuples. Que ne fera point l’auguste Loüis qui a toutes les vertus de ces Empereurs sans en avoir les défauts, & qui est beaucoup plus Maistre du Monde qu’ils ne l’ont esté puis qu’ils l’avoient tyranniquement assujety par la force de leurs Armes, & qu’il en a sçeu gagner les cœurs, en voulant bien s’arrester au milieu de ses Conquestes, & donner des bornes à sa valeur, afin d’en donner à ses victoires ? Examinez tout ce qu’il a fait dans les rencontres, où la grandeur de la France sembloit estre intéressée. Jamais Monarque n’a soûtenu avec tant d’éclat certaines dépenses necessaires à la gloire d’une Nation, pour faire voir qu’elle l’emporte en tout sur les autres ; necessaires pour entretenir les beaux Arts, en faisant connoistre dequoy sont capables ceux qui en font leur plus sérieuse étude, & necessaires enfin pour disperser des sommes considérables parmy ces Hommes habiles, & mille autres Ouvriers, qu’il est d’un grand Prince d’occuper de temps en temps, afin que ces sortes de libéralitez répanduës sur eux, leur donnent moyen de se perfectionner. Tout cela s’est vû dans le brillant Opéra de Proserpine, qui vient d’estre représenté à S. Germain. Jamais on n’avoit encor parlé ny de si magnifiques Décorations, ny d’Ornemens si superbes. Il ne faut point s’étonner si ceux qui ont eu le soin des Peintures, & des Habits, n’ont rien fourny que de somptueux. Ils n’ignoroient pas qu’on ne pouvoit donner trop de pompe à ce qui devoit servir aux plaisirs de la plus belle Cour de l’Europe, & dans la certitude que rien ne leur manqueroit pour l’exécution des choses qu’ils auroient l’avantage d’inventer, pourveu qu’elles fussent dignes de la Grandeur du Maistre qui les ordonnoit, ils ont laissé agir leur imagination, sçachant bien que quelque loin qu’elle pust aller, le pouvoir du Roy estoit encor d’une plus grande étendüe. Comment auroient-ils pû en douter, puis que dans la plus grande chaleur de la Guerre, lors qu’il avoit un nombre presque infiny d’Ennemis à combatre seul, l’abondance a toûjours esté égale dans ses Etats, & que les plaisirs n’ont jamais quité sa Cour ? Si le bruit des Armes n’a pû les épouvanter, quelle apparence qu’ils s’en éloignassent pendant la plus glorieuse Paix dont on ait entendu parler dans aucun Siecle ? Mais le bonheur dont joüit la France, m’a mis insensiblement hors de ma matiere. J’auray tant d’occasions d’y r’entrer, que j’en remets la suite à une autre fois. L’Opéra nouveau qui fait aujourd’huy le divertissement de la Cour, fera celuy de Madame la Dauphine dans quelque temps ; & si vos occupations de Province vous empeschent d’en venir voir les beautez à S. Germain, je tâcheray alors de vous en faire une exacte description, afin que vous puissiez vous imaginer plus aisément jusqu’où va la magnificence de ce grand Spéctacle. Je viens à d'autres Articles.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 56-57.

Apres vous avoir menée en Voyage, il est bon, Madame, de vous délasser par quelque chose de touchant pour vous. L’avantage que vous avez de bien chanter, vous fait aimer les beaux Airs. En voicy un noté qui ne vous déplaira pas.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah que j’aime l’horreur de ces tristes Forests! doit regarder la page 57.
Ah, que j’aime l’horreur de ces tristes Forests,
D’où l’Hyver a banny la riante verdure !
Je ne gémis plus seul dans leurs Antres secrets,
Tout gémit avec moy dans une nuit obscure.
Mais hélas ! à quoy sert que toute la Nature
    S’intéresse dans mes regrets,
    Si l’Ingrate qui fait ma peine
    N’en est pas moins inhumaine ?

Les Paroles de cet Air sont de Mr l’Abbé Mallement de Messange, dont vous avez déjà veu beaucoup de Vers.

images/1680-02_056.JPG

[Entrée de M. Fourbin, Evesque & Comte de Beauvais, dans la Ville de ce nom] §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 62-70.

J’aurois des choses tres particulieres à vous dire, de l’Entrée de Mr Fourbin dans la ville de Beauvais dont il est l’Evesque, si on avoit gardé toutes les formalitez qu’on a de coûtume d’observer, quand un Evesque, Pair & Comte de Beauvais, prend possession, mais sa modestie s’y est opposée, & le Chapitre luy a déferé, à la charge toutefois que ce retranchement de Cerémonies ne porteroit aucun préjudice pour les autres. La Reception de ce Prélat fut faite le 23. du Mois de Decembre. Mr le Boucher, Chanoine de la Cathédrale de S. Pierre, ayant reçeu sa Procuration le 20 pour prendre possession en son nom, fit connoistre le pouvoir qu’il en avoit, & se retira à l’Evesché avec les Officiers du Comté qui le suivirent. Mr le Doyen précedé des Massiers, & accompagné de deux Notaires Apostoliques, le vint prendre au Palais Episcopal, & le conduisit de là au Chapitre. Apres qu’il y eut communiqué son Pouvoir, & que toutes les formalitez ordinaires en ces sortes d’occasions eurent esté observées, on le mena au Jubé, où la Bulle Ad Populum fut lûë, Mr le Doyen annonçant tout haut à ceux qui estoient présens, que Messire Toussaint de Fourbin estoit Evesque de Beauvais. Cela fait, Mr le Boucher alla à l’Autel, & occupa en suite la Place du Chœur désignée pour les Evesques. Pendant ce temps, on chanta un fort beau Motet de la composition de Mr Bourgault, qui depuis quinze ans est Maistre de la Musique de la Cathédrale. Vous sçavez, Madame, que la Musique de Beauvais passe pour une des meilleures qu’il y ait en France. Au sortir de l’Eglise, Mr le Boucher fut conduit à L’Evesché, où Mr le Doyen commença les proclamations. Le mesme Mr le Boucher ayant fait donner avis dés le matin à Messieurs de Ville, du Pouvoir qu’on luy avoit envoyé, on sonna la Cloche qu’on appelle la Commune, & il fut reçeu de ces Messieurs accompagné de la mesme sorte qu’à la Cathédrale. Mr l’Avocat du Roy le harangua ; ensuite dequoy il prit possession de la Ville au nom de Mr l’Evesque. Ce Prélat y arriva le 22. & trouva les Compagnies des Privilégiez assemblées, & les Suisses de la Garnison sous les Armes dans la Place. Il alla sur les quatre heures à l’Evesché, où Mr le Président Vigneron, & Mr le Lieutenant General, le haranguérent. Les Echevins le salüerent en suitte, & luy firent les Présens accoutûmez, qui sont deux Pieces de Drap, l’une grise, & l’autre blanche, avec quantité de Bouteilles de Vin. Le lendemain 23. il parut avec son Habit de Comte de Beauvais, qui luy est particulier, & alla se présenter à la Porte de l’Eglise, où il fut harangué par Mr l’Abbé d’Ormesson, Doyen. Il signa la Conservation des Privileges du Chapitre, & ayant esté revestu de ses Habits Pontificaux, il celébra la Messe solemnellement, apres que la Musique eut chanté le Te deum. Depuis qu’il est à Beauvais ; il s’est continuellement appliqué à connoistre son Diocese ; & comme il a sçeu que son Seminaire estoit un des plus fameux de France, il a amené avec luy des Prestres de la Mission pour le conduire avec Mr Valteblé qui en est le Directeur. Il a eu le mesme soin pour le College, dont il a donné la Principauté à Mr Barbier, Docteur de Paris, & Recteur de l’Université, qui y regentera aussi la Philosophie.

Le zele des Habitans de Beauvais a fort éclaté dans cette rencontre. Ils en ont toûjours montré beaucoup pour leurs Evesques, qu’ils honorent non seulement comme leurs Pasteurs, mais comme leurs Seigneurs temporels. Ils ont donné des marques de la singuliere venération qu’ils avoient pour le dernier, en faisant graver son Portrait apres sa mort. Vous sçavez qu’il s’appeloit Messire Nivolas Choart. On lit ces six Vers au dessous de ce Portrait.

Prier, agir, veiller, visiter son Troupeau,
Brûler à chaque instant d’un zele tout nouveau,
Se faire tout à tous, remplir son Ministere,
Trouver dan le travail un vif & saint attrait,
Ce fut de ce Prélat le divin Caractere ;
Peindre la Charité, c’est faire son Portrait. 

[Feste de saint François de Sales à Alby] * §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 70-71.

Jamais l’Eglise n’eut tant de grands Hommes. Mr de Serrony Premier Archevesque d’Alby, qui donne tous les jours de nouvelles marques de sa pieté, la fit paroistre particulierement il y a un mois, dans la solemnité de la Feste de Saint François de Sales. Les Vespres furent chantées par sa Musique, dans l’Eglise des Filles de la Visitation d’Alby, & ce Prélat fit ensuite le Panégyrique du Saint avec un applaudissement universel.

[Réjoüissances faites à Pezenas pour le Mariage de Monsieur le Prince de Conty] §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 118-124.

La nouvelle de celuy [le mariage] de Monsieur le Prince de Conty, ayant esté portée à Pezenas dont il est Seigneur, elle y fut reçeuë avec tant de joye, qu’on tint aussi-tost Conseil genéral pour résoudre une Feste publique au lendemain. Il fut ordonné entr’autres choses, que le Poulain sortiroit. C’est un Cheval de bois fort doré, qu’on avoit accoustumé de mener dans toutes les Ruës le jour de la grande Feste de la Ville. Quantité de jeunes Gens proprement parez le conduisoient. D’autres s’atroupoient pour s’en rendre maîtres, & leur rencontre causoit quelquefois de tres-grands combats. Comme il estoit difficile qu’ils se terminassent sans aucun desordre, feu Mr le Prince de Conty abolit cette coustume, & elle n’a esté extraordinairement rétablie que pour rendre plus solemnel le grand jour de cette Feste. Jamais Ville ne fit éclater ny tant de zele dans une occasion de cette nature, ny de si parfaites réjoüissances. Il sembloit que tout le monde fust de mesme humeur, & de mesme âge. Les plus vieux & les plus sensez, s’accomoderent à tout ce que la jeunesse put inventer de plaisirs, & les Dames les plus prudes de Pezenas, bannirent leur sérieuse fierté, comme estant peu compatible avec la gayté qu’on voyoit paroistre de toutes parts. Les Artisans se mirent tous sous les Armes. Il y eut des tonneaux de Vin défoncez à chaque Carfour ; afin que personne ne demeurast affligé pendant qu’on avoit tant de sujet de se réjoüir, on fit sortir des Prisons cinq ou six Personnes arrestées pour des debtes qu’il leur estoit impossible de payer, & que la Ville acquita de ses deniers. Le Chastelain, & les Consuls, précedez de l’Infanterie & d’un Escadron de Marchands, furent suivis de toute la Noblesse des environs, & firent un tour dans les principales Ruës avec douze Violons, & autant de Hautbois & de Flustes douces. La plûpart des jeunes Gens se masquerent, & firent profusion de Confitures au Peuple, montez sur des Chariots couverts de riches Tapis. D’autres donnerent le Bal en divers endroits, & six des principaux de la Ville tinrent Table ouverte pendant tout le jour. La Santé de leurs Altesses Serénissimes y fut solemnisée au bruit des Boëtes, à plusieurs reprises. On avoit préparé un Feu de joye qui fut allumé le soir, ensuite dequoy chaque Particulier en alluma devant sa Maison. On n’avoit pas seulement éclairé les Fenestres & les Toits avec des Lampes & des Bougies, on avoit encor mis des Lanternes dans toutes les Ruës, comme on en met à Paris, & à voir cette maniere d’illumination, on eust dit que Pezenas estoit tout en feu. Mr Chassaing qui est le Premier Consul, pria plus de soixante Personnes à souper. Le Régal fut magnifique, & la Feste se termina par le Bal & une tres-belle Collation qu’il donna aux Dames. Le lendemain plusieurs Personnes de qualité, de l’un & de l’autre Sexe, furent régalées superbement par Mr de Carlencas. Le Bal suivit le Soupé, & ce mesme jour tout Pezenas fut encor en joye. 

[Les Amazones dans les Isles Fortunées] * §

Si vous avez pris plaisir à lire les particularitez que je vous marquay il y a deux mois, de l’Opéra des Amazones dans les Isles Fortunées, je crois que ce vous sera quelque chose de fort agreable, de voir dans la Planche que je vous envoye, une des plus superbes Décorations qui ayent servy à la représentation de ce grand Ouvrage. Je l’ay fait graver sur l’Estampe qui en a esté faite à Vénise. Je vous prie de l’examiner, & en mesme temps de la faire voir. Elle convaincra les Incrédules de vostre Province, qui veulent douter qu’on porte les choses si loin dans un Opéra.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 164-184.

Je vous ay toûjours veu prendre un intérest si particulier à la gloire de Monsieur & de Madame de Richelieu, que je croy ne vous pouvoir rien envoyer de plus agreable que la Lettre de Mr de Grammont que vous allez voir. Outre qu’elle est d’un stile aussi aisé que galant, & qu’elle ne peut manquer de vous plaire par elle-mesme, elle vous plaira encor par ce que vous y trouverez de conforme aux sentimens que vous avez pour les illustres Personnes qui on doné sujet de l’écrire.

A monsieur de ***

    À Richelieu ce 9. Fevrier 1680.

    Quoy que nos dernieres guerres, Monsieur, ayent esté tres-avantageuses à la France, par le grand nombre d’Exploits que les François ont glorieusement exécutez sous la conduite du plus grand Roy qu’ils ayent jamais eu, la Paix qu’ils n’attendoient pas si tost, n’a pas laissé de causer une joye si universelle dans leurs cœurs pour la gloire qui en revient à leur auguste Monarque, qui en a luy mesme prescrit les Conditions, qu’ils l’ont par tout témoignée par des réjouissances extraordinaires. Les grands & importans Mariages qui se sont faits depuis, l’ont encor tellement augmentée, qu’on ne voit par tout que Bals, Assemblées, & Feux de joye. Richelieu sur tout, dont les Habitans ont toûjours pris part aux prospéritez de la France, & qui outre l’intérest public, en ont pris un tres-particulier aux honneurs qu’ont reçeu leur Duc & leur Duchesse dans la Maison de Monseigneur le Dauphin ; Richelieu, dis-je, a fait paroître par des Divertissemens diférens, & le zele qu’il a pour ses Maistres, & la part qu’il prend à la felicité publique. Le bruit qui courut par tout le Duché d’un Feu de joye qu’on devoit faire en cette Ville, y attira les premiers jours de ce mois une foule de monde étonnante. Je n’ay pû sçavoir ce qui avoit donné cours à cette nouvelle ; mais je sçay bien qu’elle estoit tres-mal fondée, & que l’on n’a veu icy ny préparatifs pour ce Feu, ny l’exécution qu’on en attendoit. Tout ce qu’il y a de vray, est que quelques Officiers de la Ville voulant témoigner la joye qu’ils avoient du choix que le Roy a fait de Monsieur le Duc & de Madame la Duchesse de Richelieu, pour estre, l’un Chevalier, & l’autre Dame d’Honneur de Madame la Dauphine, prirent ceux de la Noblesse voisine qu’ils sçavoient s’intéresser le plus en ce qui touche ces deux illustres Personnes, de se trouver en cette Ville à certain jour assigné, afin de s’y réjoüir tous ensemble des avantages de leur Seigneur commun ; & comme la Renommée n’a jamais manqué d’augmenter les choses qu’elle publie, il y a grande apparence que le bruit se répandit que l’on préparoit à Richelieu des Réjoüissances particulieres. C’est sans doute ce qui attira ce prodigieux nombre de Personnes que nous y vîmes. Cependant la plûpart de ces Gens-là ne voyant rien de tout ce qu’ils s’estoient imaginez, tâcherent de se consoler de leur méprise par des divertissemens d’une autre espece. Les uns se déguiserent, & coururent les Ruës avec des Violons & des Hautbois. Les autres noyerent leur chagrin dans le Verre, & chacun enfin chercha le plaisir qui répondoit le plus à son inclination. Pendant ce temps là, nos illustres Conviez arrivérent ; & sans particulariser ny leur nombre qui estoit grand, ny leur qualité qui ne l’estoit pas moins, je vous diray seulement que chacun des Officiers dont je vous ay parlé, reçeut fort civilement chez luy ceux qu’il avoit invitez, & qu’ainsi cette grande Compagnie se sépara afin de se rejoindre apres pour recevoir de nouveaux plaisirs. J’ay donc a vous dire, Monsieur, qu’il n’y a point eu icy de Feu de joye, comme le bruit en a couru jusqu’à vous ; & à vous en parler sincérement, comment auroit-on pû y en faire ?

    Les Canons dont le bruit affreux
    Imite celuy du Tonnerre,
    Et qui n’est fait que pour la Guerre,
    Ne se trouvent point en ces lieux.

Jamais Mars n’en troubla les tranquilles douceurs,
Au contraire l’Amour y tint toûjours sa place,
    Pour reparer de bonne grace
La perte de Soldats qu’on pouvoit faire ailleurs.

Mais puis que maintenant Mars n’est plus en couroux,
    Laissons reposer son Tonnerre ;
Les Canons, les Mousquets, ne sont bons qu’à la Guerre,
Il faut pendant la Paix des Instrumens plus doux.

Ceux-là de nos Combats rapellant les images,
Ne feroient que troubler le calme de nos jours ;
    L’Artillerie & les Tambours,
Ne doivent entre nous se trouver qu’aux carnages.

Aussi loin de ce bruit à l’oreille fatal,
    Dans ce plus beau Lieu de la Terre,
Nostre Troupe par tout n’en fit qu’à coups de Verre,
Et ne l’interrompit que pour aller au Bal.

En effet, ces Repas finis, où il se trouva plus d’ordre & de propreté, que de magnificence & de pompe, toute cette noble & galante Compagnie fut conviée au Bal chez une Dame de la Ville, dont la Maison a toûjours esté ouverte aux honnestes Gens de la Province, & qui fait toutes choses de bonne grace & avec honneur. Toutes les Belles ne manquerent pas de s’y trouver, & l’on en vit dans la Salle du Bal dont les yeux jettoient plus de feu que tous les flambeaux qui l’éclairoient.

Mais ces yeux, quoy que doux, lancerent des œillades
Qui furent pour les cœurs pleines de cruauté ;
    Et beaucoup vinrent en santé,
    Qui s’en retournerent malades.

Cette Compagnie ne s’y fut pas plutost assemblée, que la Maitresse du Logis la fit passer dans une autre Salle encor plus spacieuse que la premiere, où elle fut d’abord fort surprise de voir la quantité de Lustres qui l’éclairoient, & un Theatre tout dressé pour la représentation d’une Comédie ; mais elle le fut beaucoup davantage, quand apres qu’on eut levé le Rideau, elle vit une Décoration aussi magnifique que réguliere.

On y représentoit Bois, Jardin, & Parterre,
Des Nuages épais, la Mer, & le Printemps,
    Et de vieux Chasteaux que les ans
    Sembloient avoir jettez par terre.

Trois ou quatre Peintres de la Ville, dont la réputation commence à faire bruit dans la France, & quelques autres que la curiosité de dessiner les Statuës & Bustes antiques, qui se trouverent en plus grande quantité dans le magnifique Chasteau de Richelieu qu’en aucune autre Maison de l’Europe, y avoit amenez depuis quelques jours, entreprirent le dessein de cette Décoration ; & le Sieur de la Guertiere Peintre du Roy, qui est un des Hommes du monde qui entend le mieux la Perspective, & qui a donné au Public des marques avantageuses de ce qu’il sçait faire, y voulut bien contribuer de ses soins, & joindre son industrie à celle de ces excellens Peintres, pour la rendre plus réguliere, & la faire exécuter avec plus de promptitude. Aussi fut-elle faite avec tant de diligence, quoy qu’avec beaucoup d’art, qu’aucune Personne de la Ville, & mesme la plûpart des Domestiques, n’en sçeurent rien ; & c’est ce qui causa a surprise de tout le monde, qui fut encor augmentée en voyant paroistre quelques Acteurs qui commencerent une Piece qui a fait grand bruit dans le Royaume, & qui n’a pas esté mieux representée à l’Hostel de Bourgogne, qu’elle le fut en cette petite Ville, par l’aveu general de tous les Connoisseurs qui s’y trouverent. Cependant ce ne furent point des Comédiens de profession qui donnerent cet agreable divertissement, mais de jeunes Personnes de la Ville, qui n’ont pas moins d’esprit que de bonne mine, & dont l’air noble, l’action libre, & la belle prononciation, charmerent tout ce qu’il y eut de Spectateurs. Un fort beau Balet suivit cette Comedie. Je ne vous en feray point la description, car je n’aurois jamais fait si j’entrois dans ce dêtail. Imaginez-vous seulement, Monsieur, qu’on ne vit jamais rien de mieux inventé, de plus galant, ny de plus heureusement executé. Tous les Acteurs de la Comédie en estoient, & firent voir qu’ils ne sçavoient pas moins bien dancer, que reciter agreablement des Vers, & qu’ils sont capables de réüssir en tout ce qu’ils voudront jamais entreprendre. Le Bal succeda à la Comedie & au Balet, & ne fut terminé que par le jour, qui chassant les tenebres de dessus la terre, fit retirer avec chagrin toute cette belle & illustre Compagnie. Ces plaisirs ont continué pendant huit jours avec une fort grande diversité. Il y a eu chaque soir Tragedie & Comedie nouvelles, nouvelles Décorations, & nouveaux Balets. Mais ce qui s’y est veu de plus plaisant, & qui m’a donné lieu de vous écrire tout cecy, est qu’un soir en représentant Crispin Medecin apres le Mitridate de Mr Racine, un certain Vieillard de la Compagnie, si passionné d’une jeune Demoiselle, qu’il estoit prest, dit-on, d’en faire faire la demande à ses Parens, se crût joüé en la Personne de Mr Lisidor. Il s’imagina que c’estoit luy-mesme que l’on désignoit ; & le hazard voulant que l’Acteur eust beaucoup de son air, & fust mesme habillé comme luy, avec une Perruque & une voix toutes semblables, il s’en fallut peu qu’il ne crût estre en mesme temps en deux diférens endroits. On le vit plusieurs fois changer de couleur, & il n’y eut presque personne qui ne n’aperçust de son agitation. Il se tâta souvent pour voir s’il estoit bien, où il croyoit estre ; & enfin le pauvre Bon-homme donna de son costé la Comedie à toute l’Assemblée, & principalement à ceux qui sçavoient une partie de ses sentimens. On croit qu’il ne se hazardera pas à faire la déclaration qu’il prètendoit, & que l’exemple de Lisidor dont il craint le mesme destin, l’empeschera de s’exposer à un semblable refus.

Voila comme on profite à voir la Comédie,
Un Portrait ressemblant fait entendre raison ;
Et tel qui voit joüer en grande Compagnie
    Les défauts de son Compagnon,
Avec un soin exact corrigera sa vie,
De peur d’estre joüé par quelque autre Bouffon.

[Grand Régal donné par son Altesse Serénissime] §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 198-218.

Vous avez raison, Madame, d’attendre quelque chose de grand du Régal qu’on vous a dit qui avoit esté donné au commencement de ce mois par Son Altesse Serénissime Monseigneur le Duc. Vous sçavez que ce Prince ne fait rien qui ne soit de la plus haute magnificence ; & comme vous estiez icy il y a quelques années, vous vous souvenez du grand Bal qu’il donna sur le Theatre du Palais Royal, qui sert aujourd’huy aux Représentations de l’Opéra. La magnifique propreté de la Salle entiere qu’il fit accommoder exprés pour cela, l’abondance de tout ce qui en composoit la Collation, le choix des plaisirs, & le bon ordre qui est souvent incompatible avec ces sortes de Festes, sont des choses qui feront conserver longtemps la mémoire de ce superbe Divertissement ; mais il s’agit aujourd’huy d’un autre, ou plutost de plusieurs ensemble, puis que pendant deux nuits presque entieres, à commencer dés le soir, les yeux, les oreilles, le goût, & l’esprit, ont abondamment trouvé dequoy estre satisfaits. La grande dépense n’est pas toûjours ce qu’il y a de plus considérable dans une Feste. Beaucoup en peuvent donner mais beaucoup aussi fatiguent ceux qu’ils prétendent divertir. Les plus grands plaisirs deviennent importuns par leur longueur ; le peu de diversité les rend languissans, & quand le choix en seroit toûjours bien fait, le desordre qu’il est difficile d’en bannir, empesche souvent de les bien goûter. Le contraire de toutes ces choses est ce qui a fait la beauté de la Feste dont vous souhaitez que je vus parle.

Son Altesse Serénissime l’avoit ordonnée ; & comme ce Prince n’épargne aucune dépense, vous pouvez croire qu’il n’y manquoit rien. Il choisit luy-mesme tous les Divertissemens, il en invente beaucoup, & ayant l’esprit aussi délicat qu’il l’a, il est impossible qu’ils ne soient toûjours & bien choisis & bien inventez. Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est qu’il fait si bien exécuter ce qu’il entreprend, qu’il a le secret de donner de l’ordre à ce qui n’est que confusion par soy-mesme. Comme les petites choses font juger des grandes, on peut dire que ceux qui trouvent moyen d’empescher le desordre en de semblables occasions, sont capables de tout ce que l’on peut imaginer de plus grand. Tout cecy pourroit ne passer que pour le desir que j’ay de dire du bien d’un Prince qui a l’ame aussi élevée que sa naissance, si ce que je vay vous apprendre de cette derniere Feste, n’estoit la preuve de ces veritez.

Apres le Mariage de Monsieur le Prince de Conty & de Mademoiselle de Blois, Son Altesse Serénissime résolut de donner un Soupé à ces deux illustres Mariez. L’apresdînée du jour que ce Prince choisit pour ce grand Régal, il fit baptiser Mademoiselle de Montmorency, l’une des Princesses ses Filles. La Cerémonie fut faite par Mr le Curé de S. Sulpice. Monsieur le Prince de la Roche-sur-Yon, & Madame la Princesse de Conty, furent Parrain & Marraine, & firent par là entre’eux une nouvelle alliance. Tout brilloit en la personne de cette Princesse. Sa jeunesse & sa beauté n’éclatoient pas moins que les ornemens qui la paroient. Elle estoit vêtuë de noir, & avoit des Chaînes de Pierreries autour de ses manches, & sur toutes les tailles de son Habit. Monsieur le Prince de la Roche-sur-Yon avoit un Juste-à-corps de Velours noir, avec des Boutons de Diamans. Le tour des Boutonnieres en estoit aussi garny. Il y eut Collation apres le Baptesme. Je ne vous en feray point le détail, ayant assez d’autres choses à vous dire. Apres que la Cerémonie fut achevée, on alla joüer dans l’Apartement de Madame la Duchesse. C’est un Lieu aussi bien entendu qu’il est propre & magnifique. Sur les neuf heures du soir, on se rendit dans le Sallon où le Soupé estoit préparé. On avoit pris soin de faire éclairer tous les Apartemens de ce vaste Hostel, & il y avoit des Lustres jusques sur les degrez. Deux Bufets avoient esté dressez dans deux hors d’œuvre aux deux bouts du Sallon où l’on soupa. Celuy qu’on avoit placé du costé du haut bout de la Table, estoit le plus magnifique. Il estoit garny de Vases, de Bassins, de Cuvetes, & de quantité d’autres Ouvrages d’argent & de vermeil doré cizelez. Il y avoit un fort grand nombre de Bras de vermeil, & des Orangers naturels aux deux costez. Quatre grands Guéridons estoient aux quatre coins du Sallon, avec des Girandoles d’argent sur chacun des Guéridons. De tres-beaux Tableaux estoient placez tout autour, avec des Bras de vermeil aux deux côtez de chaque Tableau. Outre tous les ornemens & les diverses lumieres qui faisoient briller ce magnifique Sallon, il estoit encor éclairé de plusieurs Lustres de cristal. La Table où le Soupé fut servy, avoit quinze pieds de long sur huit de large. Quatre grandes Corbeilles dorées & faites en octogone, estoient au milieu. Il y en avoit aux costez huit plus petites en façon de Quaisses, le tout remply de Fleurs printanieres. Entre les grandes Corbeilles qui faisoient la ligne du milieu, on avoit mis des Girandoles d’argent, garnies de Bougies ; & entre les petites, & à costé, estoient cinquante Flambeaux d’argent & de vermeil doré. Tous ces ornemens faisoient des Allées de fleurs & de lumiere qui produisoient à la veuë un effet aussi beau que singulier. Chaque Service fut de quatre grands Plats, de quatorze plus petits, & de vingt-deux de vermeil doré. Il y en eut trois. Le premier estoit de Potages & d’Entrées ; le second, de Rost & d’Entremets ; & le troisiéme, de tout ce qu’on peut s’imaginer pour un magnifique Dessert. Quarante Plats, & quatorze grands Bassins en pyramides de Fruit & de sec, le composoient. Jamais on ne vit une si agreable diversité de couleurs. Celle des Fleurs, des Fruits, des Pâtes, & des Eaux glacées, formoient des nüances si bien assorties, que les plus habiles Peintres seroient difficilement venus à bout de les imiter. Tout fut servy sans confusion, malgré le nombre des Plats & la pesanteur extraordinaire des Bassins. Les Suisses qui les porterent, avoient des marques diférentes pour les distinguer ; & par ce moyen ceux qui avoient à les employer, connoissoient en un moment à quoy chacun estoit destiné. Des Flutes douces se firent entendre pendant qu’on soupa. Madame la Duchesse estoit à table entre Monsieur le Duc de Bourbon, & Madame la Princesse de Conty. Mademoiselle de Bourbon estoit au mesme bout dans le mesme rang. Voicy sans ordre les noms d’une partie des autres Personnes qui estoient à table. Monsieur le Prince de Conty, Monsieur le Prince de la Roche-sur-Yon, Monsieur le Comte de Vermandois, Monsieur le Duc de Vendosme, Monsieur le Grand-Prieur, Monsieur de Duc de Villeroy, Monsieur le Prince d’Eysenac, Madame de Thiange, Madame Colbert, Mesdames les Duchesses de Chevreuse & de Mortemar, Mesdemoiselles de la Rochefoucaut, les Dames d’honneur des Princesses, & quelques autres. Pendant qu’on estoit à table, tout se préparoit pour les Divertissemens du reste du soir. Le Lieu où la Comédie devoit se joüer, estoit éclairé de plusieurs Lustres, qui descendoient du Plafond. Il y en avoit en Plaques, avec des Bordures de glaces, d’autres de vermeil doré, & d’autres d’argent. La Corniche & les Portes estoient toutes couvertes de Flambeaux d’argent & de vermeil. L’endroit où l’on avoit dressé le Theatre, estoit un enfoncement hors d’œuvre tout vis-à-vis de la Porte. Ce Theatre estoit en voûte, & brilloit si fort, que les yeux ne s’y pouvoient attacher sans estre ébloüis, les Fleurs peintes estoient si adroitement meslées avec les Fleurs naturelles, qu’il sembloit que l’artifice n’y eut point de part. Outre la Décoration ornée de Peintures & toute rehaussée d’or, il y avoit un rang de Guéridons des deux costez du Theatre, sur lesquels estoient des Vases d’argent, & des Quaisses dans le fond, avec de vrais Arbres. Enfin il y avoit quelque chose de si galant, de si riche, & de si bien entendu dans ce Theatre, qu’il n’y eut personne qui en le voyant, ne donnast d’abord des marques de sa surprise, & ne se récriast sur sa beauté. Les ordres estoient si bien donnez, & on les exécuta avec tant d’exactitude, que toutes les Personnes conviées entrerent sans embarras dans le Lieu où le divertissement de la Comédie avoit esté préparé. Tout le monde estant placé fort commodement, la Troupe du Roy représenta l’Amphytrion, qui fut diversifié d’Entrées faites par Mr de Beauchamp, & d’Airs chantez par une partie des plus belles Voix de France. Vous en conviendrez, quand je vous auray nommé Madame de S. Christophe, Mademoiselle Rabel, & Messieurs Morel & Langeais. Ces Airs estoient, les uns François & Italiens, & les autres Espagnols. Son Altesse Serénissime donna encor un magnifique Soupé le lendemain, quoy qu’il fut jour maigre. La mesme Troupe représenta l’Ecole des Femmes, qui fut entremeslée de Divertissemens diférens de ceux du premier jour. Apres la Comédie, il y eut grand Bal dans un Apartement magnifique, & préparé pour recevoir tous les Masques. Mr l’Abbé Bourdelot, dont l’agréable génie vous est connu, a fait une galante Description de ces deux Festes. Elle est en Prose & en Vers. Je n’en ay encor rien. On me la promet, & si l’on me tient parole, je vous l’envoyeray dans la Lettre du Mois prochain. 

[Entrée de la Reyne d’Espagne à Madrid] §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 218-260.

Il est difficile que le bruit que font par tout les choses extraordinaires, ne vous ait déjà appris une partie des magnificences qui ont esté faites à Madrid, pour l’Entrée publique de la Reyne. Vous sçavez, Madame, qu’en attendant le 13. de Janvier, qui estoit le jour choisy par le Roy pour cette maniere de triomphe, Sa Majesté estoit comme incognito dans le Buen-Retiro, Maison de plaisance qui n’est éloignée de la Ville que par le Cours. Ce fut depuis sa principale Porte que commencerent les ornemens préparez, ou plûtost par elle-mesme, puis qu'on en a fait une nouvelle, qui soûtient la Statuë de cette Princesse, ornée de plusieurs Festons de Fleurs taillez sur le Marbre. Une descente aisée qui conduit de la sortie de ce Palais, & qui en traversant le Cours se termine à l'entrée d'une Ruë des plus larges, & des mieux percées de Madrid, estoit réduite en forme de Galerie, bordée de deux costez d'un fort grand nombre de tres-belles Niches. Elles paroissoient creusées dans du Jaspe de toute sorte de couleurs, & représentoient les divers Royaumes que possede Sa Majesté Catholique, avec l'Ecusson des Armes qui leur sont patriculieres. Chaque Niche estoit attachée l'une à l'autre par de solides Colomnes qui portoient de grande Statues dorées, offrant des Couronnes d'une main, & de l'autre des Inscriptions dont l'allusion estoit aisée à connoistre. Cette Galerie se terminoit au premier Arc de Triomphe, qui donnoit entrée à la Ruë, & qui en occupoit toute la face. La Structure de cet Arc estoit magnifique, & son élevation prodigieuse. L'Eglise le couronnoit, aidée par S.Loüis, & par S. Fernand. Ils avoient la Justice & la Beauté à leurs costez, & au milieu, la Religion. Toutes ces Statuës, beaucoup plus hautes que le naturel, estoient accompagnées de plusieurs belles Peintures. Dans la principale, on voyoit paroistre la Ville de Madrid sous la figure d'une Déesse, ayant de chaque costé les deux premiers Héros qui l'ont gouvernée, & au bas le Fleuve Mançanares regardant couler les stériles ondes. Quatre Statuës qui estoient l'Abondance, la Prévoyance, Obon Fondateur de Madrid, & sa Mere Mantuës, se soûtenoient sur de grands Piliers qu'on eust crûs de Jaspe. Du costé qui regarde les Capucins, il y avoit une autre Peinture, où l'on voyoit Jupiter assujetissant Madrid, & luy faisant recevoir l'Idole que l'aveuglement de ses Habitants a fait adorer pendant tant d'années, & qu'on appelloit Génie. A l'entrée de cet Arc, quatre Nymphes qui tenoient des Roses, sembloient toûjours prestes à les jeter, & n'attendre pour cela que l'arrivée de la Reyne.

Les Arcs qui suivoient estoient posez dans des distances proportionnées, en sorte qu'au sortir de l'un on découvroit l'autre.

Le second orné du Conseil Royal, de celuy de l'Inquisition, de celuy des Ines, du Conseil d'Etat, de ceux d'Arragon, d'Italie, de Flandre, & de tous les autres representez par de grandes Statuës dorées, faisoit voir la Justice dans le haut de la Structure. Un peu plus bas estoit l'Age d'or figuré par une Abeille, avec la Loy & la Récompense d'un costé, & la Défense & le Châtiment de l'autre. Le Temple du Dieu Fide estoit le sujet du principal Tableau. LA Fidelité & l'Honneur en ouvroient les Portes, & on en voyoit sortir la Joye, qui alloit recevoir la Reyne. Au costé droit de cet Arc estoit un autre Tableau qui avoit pour sujet la reception que fit autrefois Salomon à la Reyne de Saba. On voyoit Débora donnant les Loix à ses Peuples, dans le costé gauche. La partie de cet Arc regardoit la Porte appellée del Sol, avoit aussi beaucoup d'Ornemens, & on y admiroit en divers endroits & dans une agreable disposition, Astrée, Céres, la Vertu, la Concorde, la Sûreté, la Vie, la Terre, le Temps, la Paix, la Tranquilité, le Repos, la Magnificence, la Libéralité, avec Thémis sur une Colomne. Divers Tableaux accompagnoient ces Figures. L'un représentoit Enée, quand il voulut entrer aux Enfers. On voyoit paroistre Cerbere à la porte, & une Sibille qui le retenoit. Dans un autre estoit les Champs Elisées, où Anchise montroit à son Fils les Descendan qu'il auroit; tout cela remply d'Hyérogliphes.

A moitié chemin du troisiéme Arc, on se trouvoit agreablement arresté par un Jardin que les Peres de Saint François de Paule avoient fait accomoder dans l'enclos du devant de leur Eglise. Il avoit toutes les marques d'un véritable Jardin. Le Partere en estoit régulierement tracé. Il s'y élevoit un petit Bassin qui poussoit un Jet d'Eau de senteur de six pieds de haut, & quantité de Grotes, & de Statuës de Marbre blanc y estoient dans un ordre merveilleux.

Le milieu de la Place del Sol estoit occupé par le troisiéme Arc. Il estoit fait en forme de Temple, & à voir les grandes actions des Héros qu'il représentoit, on l'eust pû nommer celuy de la Gloire. Je n'entreray point dans le détail de plusieurs belles Peintures, & d'un fort grand nombre de Statuës qui estoient posées sur les costez. Je vous diray seulement qu'une de ses plus grandes beautez consistoit en une espece de Niche permcée en ovale. On y découvrit la Foy, l'Espérance, &la Charité. La Foy estoit au milieu, tenant un Crucifix d'une main, & ue Palme de l'autre. elle avoit à un de ses côtez Charles V. & Charlemagne. ce premier luy ofroit un Monde d'or, & l'autre tenoit un Livre & une Epée dans ses mains. Des Turbans, des Etendarts, avec des Croissans, l'Alcoran, un Cimeterre, & d'autres dépüilles, estoient sous les pieds de l'un & de l'autre. A la gauche, de la Foy paroissoient les Roys Don Fernand & Dona Isabel, posez sur deux Mondes. On avoit placé la Religion sur le haut de cette espece de Temple. Elle avoit le Gentilisme & les Herésies à ses pieds, & estoit acoompagnée de Saint Melchiades, de Saint Damase, de Sainte Helene, & de Constantin. Les quatre coins de cet Edifice estoient remplis par des Chevaux élancez que montoient le Patron d'Espagne S.Jacques; celuy d'Allemagne, . Leopold; de France, S. Denys; & d'Angleterre, S. George. Je laisse les Tableaux de toutes les Faces, & les Statuës posées contre les colomnes qui faisoient les divisions de cette Machine. Sa base recevoit les avenuës de quatre Ruës qui s'y terminoient, ou plutost de deux, car les Portes principales ne faisoient que contenir le passage de la mesme.

A quelques pas de cet Arc, estoient plusieurs Niches garnies de Rocailles, & remplies de Figures différentes qui présentoient des Corbeilles de toute sorte de Fruits. Au dessus s'élevoient cinq Tableaux, & par dessus tous on en voyoit un où la Reyne estoit représenté dans le Char de l'Aurore. La Renommée paroissoit sur la Bordure, & tout autour un grand amas d'Armes qu'elle consacroit à l'Amour par une Inscription fort ingénieuse. Tous ces Ornemens embellissoient un grand d'Escalier qui regne sur le devant de l'Eglise de S. Philippe. De l'autre costé, c'est à dire dans le Quartier des Fourreurs, ce n'estoient par tout que le Chef-d'oeuvres de leur Art. Des Peaux naturelles représentoient divers Animaux, comme Leopards, Tygres, Ours & Foüines. Deux Lyons soûtenoient dans le milieu les Armes de France & d'Espagne; & un autre offroit une Couronne à la Reyne. Les Armes de la Ville estoient plus avant. Elles avoient deux Ours pour Suports.

L'on entroit de là sois un autre Arc, qui estoit celuy de la Porte de Guadalajara. Il paroissoit de pierre de taille. Dans le haut estoit le Monde, avec la Majesté au dessus, & des Anges & des Trophées tout autour. Jupiter, Mars, Mercure, & Vénus, estoient placez dans les quatre coins; & dans les costez qui leur répondoient, on voyoit quatre Montagnes, sur lesquelles grimpoient les quatre Animaux qui les représentent. On connoissoit l'Europe par le Cheval, l'Afrique par le Lyon, l'Asie par l'Eléfant, & l'Amérique par le Chameau. Sous cet Arc, dans les Niches des côtez, il y avoit deux Syrenes, & sur leurs testes deux Cupions qui signifoient l'Enchantement & l'Amour. Un Cercle d'or faisoit briller le corps de cet Arc. Le Soleil y paroissoit dans son Char, cherchant l'Aurore, & dans la partie opposée, l'Aurore, dans un autre Cercle de mesme matiere, témoignoit la joye qu'elle ressentoit de rencontrer le Soleil.

Au sortir de là, on entroit dans la Ruë des Argentiers. Les Figures de la Force & de la Justice en commençoient l'ornement. Celles de la Tempérence & de la Prudence se voyoient dans l'autre bout de la mesme Ruë. Des deux côtez, de magnifiques Bufets dressez présentoient aux yeux tout ce qu'on peut voir de plus agreable & de plus riche. Les diverses Pieces qui composoient ces Bufets, estoient disposées de telle sorte, qu'elles formoient diverses Figures. On y découvroit plusieurs petits Boucliers, & dans chacun, des Lettres faites de Rubis, & de Perles, d'Eméraudes, & de Diamans, qui jointes ensemble, faisoient lire d'un côté CARLOS SEGVNDO, & de l'autre, MARIA LUISA. Les Armes de France & d'Espagne brilloient dans d'autres Ecus avec la mesme richesse. Ce que je viens de marquer estoit estimé plus de huit millions.

La Place de la Ville qu'on rencontroit au sortir de là, estoit réduite en forme d'Amphithéatre. Les Travaux d'Hercule faisoient le sujet des Tableaux qu'on y voyoit tout autour, avec une Bordure assortissante, chargé de petits Anges, qui offroient des Couronnes à Leurs Majestez. Les Portraits du Roy & de la Reyne estoient élevez dans le milieu, & un Hercule à genoux leur présentoit d'une main sa Peau de Lyon, & soûtenoit la Massuë de l'autre. L'allusion regardoit les Gerésies que l'Espagne a détruites dans le Nouveau Monde.

Le dernier Arc appellé de Sainte Marie, estoit à deux pas de là. On y voyoit Apollon assis sur le haut, joüant de la Harpe, & environné des Neuf Muses, qui avoient toutes des Boucliers en forme de Soleils. On lisoit dans tous le Nom de la Reyne. Un peu plus bas qu'Apollon, estoit l'Hymenée couronné de Fleurs; & dans le Revers, la Déesse de la Persuasion, ayant une Couronne d'or sur la teste. Elle en tenoit une autre de Mirthe, d'une main, & de l'autre, le Caducée de Mercure. Plusieurs Statuës, disposées toutes dans un tres-bel ordre, accompagnoient diverses Peintures, dont les principales estoient les Portraits du Roy & de la Reyne, tous deux à cheval. Les autres contenoient des Fables qui avoient un juste raport au sujet de cette Entrée.

Apres qu'on avoit passé cet Arc, on jettoit les yeux sur la Place du Palais. Outre son ordinaire beauté, elle en recevoit une nouvelle par la représentation des principales Rivieres d'Espagne, dont les Figures de plastre panchées sur leurs Urnes, & environnées de Roseaux, déclaroient en Vers Latins & Castillans, qu'elle venoient consacrer leurs eaux à leur Reyne sous l'heureux nom de Lisis. Ces ornemens régnoient sur l'entre-deux des Arcs & du Perron qui entourent toute cette Place. La face du Palais qui est d'un Ordre Toscan, & d'une beauté aussi singuliere que majestueuse, estoit tenduë des plus riches Tapisseries de la Couronne. Il en estoit de mesme de tous les espaces que j'ay marquez, & que les ornemens laissoient vuides. La quantité des Balcons y est aussi agreable que commode pour voir de semblables Festes.

Le jour qui avoit esté choisy pour celle-cy estant arrrivé, Messieurs de Ville, qu'on nomme Régidores, sortirent de leur Assemblée sur les neuf heures & demie, & marcherent deux à deux, vêtus de leurs Robes de cérémonie de Brocard d'or cramoisy, avec des Trousses & de petits Chapeaux plissez, couverts de Plumes. Ils estoient montez sur de superbes Chevaux proprement enharnachez; & apres qu'ils eurent traversé tous les Arcs dans l'ordre que je vous marque, ils allerent se placer a costé du premier, dans un lieu préparé pour présenter les Clefs à la Reyne, & la recevoir sous leur Dais.

Sur les dix heures, le Roy qui estoit allé au Buen-Retiro, revint accompagné de la Reyne Mere, & passa dans tous les lieux où l’on avoit dressé des Arcs de triomphe. Leurs Majestez êtoient dans un Carrosse dont elles avoient fait ouvrir l’Impériale à demy, pour donner au Peuple la satisfaction de les voir. Elles descendirent chez la Comtesse d’Oñate, d’où elles virent passer la jeune Reyne. La Marche commença de cette maniere.

Six Trompetes vêtus de blanc & de rouge, avec les Timbales de la Ville, alloient à la teste des Alcaldes de Cour, en habits de Ministres, montez sur de beaux Chevaux couverts d’une grande Housse de Velours noir. Les chevaliers des diférens Ordres d'Espagne, qui sont ceux de S. Jacques, de Calatrava, & d'Alcantara, marchoient en fuite, chacun ayant l'Habit de son Ordre, avec des Manches toutes brodées d'or, & des Chapeaux fort garnis de Plumes. Dans le mesme ordre, & avec plus de richesse, suivoient les Titrez de Castille & les Officiers de la Maison du Roy. Ils portoient tous des Botes blanches les plus propres qu'on puisse voir. La plûpart des Grands d'Espagne se trouvoient dans cette Suite. Il n'y a point de distinction à faire entr'eux. Tout ce que l'Italie & la Catalogne avoient pû fournir de plus riches Broderies, estoit employé dans leur parure. La plûpart avoient des Chapeaux tous garnis de Diamans entrelassez de Perles de grande valeur. Leurs Chevaux, les mieux choisis parmy les plus beaux qu'on eust pû trouver, sembloient ajoûter encor quelque chose à leur fierté naturelle, en voyant floter sur eux une profusion surprenante de Cordons d'or & de Rubans de toutes couleurs. Chacun des Grands ou des Officiers qui les montoient, estoit précedé par un petit Escadron de Laquais, avec une Livrée aussi magnifique que les Habits de leurs Maistres. Il y en avoit mesme qui estoient tellement chargez de Plaques d'argent massif, qu'elles paroissoient tenir lieu d'Armure.

Le Capitaine des Gardes à la teste de sa Compagnie, précedoit les Ecuyers de la Reyne. Cette Princesse suivoit, montée sur un tres-beau Cheval d'Andalousie, dont le Marquis de Villa-maina son Premier Ecuyer tenoit la bride. On ne pouvoit distinguer l'Etofe de son Habit sous la Broderie dont il estoit tout couvert. Elle avoit un Chapeau garny de Plumes, d'où pendoit au retroussis la Perle nommée la Perégrina. Elle est en forme de Poire, & d'une grosseur qui la rend inestimable. On la pescha en 1515. dans la Mer de Sur, proche le Darien, dans l'Isle de Terarequy. La Reyne portoit aussi le grand Diamant du Roy, qu'on estime unique au monde, tant il est gros & parfait. Mais quoy qu'elle fust toute brillante, & par la richesse de son Habit, & par le grand nombre de Pierreries dont il estoit parsemé, son plus grand éclat venoit de la majesté de sa Personne. Sa taille aisée, sa beauté, & la douceur qui est répanduë sur son visage, la faisoient admirer de tout le monde. Elle soûrioit aux acclamations du Peuple, & voyoit avec plaisir toutes les Ruës de son passage tendues des plus belles Tapisseries des Particuliers. Estant arrivée au premier Arc, qui estoit celuy del Prado,elle y trouva le Marquis de Ugena Corrégidor de Madrid, & les Régidors, qui luy présenterent les Clefs de la Ville avec un superbe Dais. Il fut porté sur elle par les principaux d'entr'eux. Les autres suivirent à pied. Derriere la Reyne, marcha hors du Dais, la Duchesse de Terranova, en habit de Veuve, ainsi que Doña Laura de Alagon Guarda Mayor. Elles estoient montées sur des Mules ; & en suite paroissoient cinq Filles d'honneur de la Reyne, fort couvertes de Pierreries, & accompagnées chacune de deux Gentilshommes de la Chambre, tres-bien montez, qui alloient à côté de leurs Chevaux. Ceux de la Garde de la Lancille, tous à cheval, & ayant la Lance à la main, fermoient cette Marche. Le Carrosse de la Reyne fait à la Françoise, & tout brillant d'or, estoit à la queuë, avec celuy du Marquis d'Astorga, qui estant malade, ne pût se trouver à cette Cerémonie. Il y avoit un nombre infiny de monde dans toutes les Ruës, ainsi qu'aux Fenestres, aux Balcons, & sur les Theatres & Echafauts qu'on avoit dressez de tous côtez. La Reyne estant arrivée devant le Palais de la Comtesse d’Oñate, s’y arresta un moment, & salüa le Roy & la Reyne Mere. Elle mit pied à terre à Sainte Marie, où le Cardinal Portocarrero Archevesque de Tolede, l’attendoit. Il luy présenta l’Eau-benite, la conduisit dans l’Eglise, & entonna aussitost le Te Deum. Au sortir de là, elle remonta à cheval, & trouva deux Chars de triomphe remplis de Musiciens à l’entrée de la Place du Palais. Ces deux Chars se rangerent de chaque côté, & l’accompagnerent jusqu’à la Porte, avec une fort agreable Symphonie. Le Roy & la Reyne l’y reçeurent, & les marques de tendresse qu’ils luy donnerent, charmerent tous ceux qui furent présens. La Reyne Mere la prit par la main, & la mena dans l’Apartement qu’on luy avoit préparé. Le soir il y eut des Feux de joye dans toutes les Ruës, & tous les Balcons furent éclairez. La mesme chose se fit les deux jours suivans.

Le Dimanche 14. du mesme mois, le Roy tint Chapelle. La Reyne se plaça dans la Tribune, & le Te Deum y fut chanté. L’apresdînée Leurs Majestez sortirent ensemble en public, dans un Carrosse ouvert, en maniere de Char de Triomphe, & allerent à Nôtre-Dame de Atocha, par les mesmes Ruës où la Reyne avoit passé le jour precédent. Les mesmes ornemens y estoient encor. Les Grands qui marcherent à leur suite estoient ce jour-là dans des Carrosses tres-magnifiques, & avoient fait prendre une nouvelle Livrée à leurs Gens. La plûpart en ont fait paroistre neuf diférentes pendant les neuf jours qu’a duré la Feste. Je vous ay déjà marqué dans une autre occasion que c’est un genre de magnificence, dont presque tous les grands Seigneurs d’Espagne se piquent. On chanta de nouveau le Te Deum ; & comme le jour finissoit quand Leurs Majestez sortirent de cette Eglise, on alluma des Flambeaux de cire blanche à toutes les Fenestres des Ruës qui servirent à leur passage, pour avoir la joye de les voir à leur retour. Il y en avoit une quantité prodigieuse à tous les Balcons de la grande Place. Jugez de l’effet que tant de lumieres produisoient, puis que toutes les Maisons sont de cinq étages, & que chaque étage à son Balcon.

Le Lundy 15. le Roy alla au Pardo, où il prit le divertissement de la Chasse. La Reyne ne sortit point ce jour-là, mais le lendemain elle accompagna le Roy qui alla rendre visite à la Reyne Mere. Elle avoit reçeu le matin les Complimens du Cardinal Portocarrero, qui luy estoit venu baiser la main à la teste du Chapitre de Tolede. Les Ambassadeurs, & en genéral tous ceux qui ont quelque distinction parmy la Noblesse, luy avoient rendu les mesmes devoirs. Le Mercredy 17. Leurs Majestez allerent à Zarzuela, où il y eut Comédie ; & le Jeudy 18. les Femmes des Grands, & les autres Damqes qualifiées de la Cour, baiserent la main à la Reyne

Voilà, Madame, ce qui m’a esté écrit presque en mesmes termes par un Cavalier qui a esté témoin des magnificences de cette Entrée, & qui ne se fait connoistre que sous le nom de El Amante de una Mariposa. Il a eu l’honnesteté de se charger de ce soin, au défaut de la spirituelle Lorraine Espagnolete, qu’il a sçeu estre partie de Madrid pour passer en France, dix ou douze jours avant celuy qu’on avoit choisy pour cette Feste. J’espere que ce mesme Cavalier voudra bien continuer à me faire part de ce qui se passera de curieux dans la Cour d’Espagne, & ainsi je pourray vous en faire des Articles considérables de temps en temps.

[Le Sieur Guichard à Madrid] * §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 261-262.Voir cet article du Mercure de janvier 1680 pour l'annonce erronée de ce décès.

Je vous manday la derniere fois que le Sr Guichard qui estoit allé en cette Cour pour y établir un Opéra, avoit esté surpris à Madrid d’un mal violent dont il estoit mort. L’accident qui donna lieu de le croire, luy dura plus de deux heures, & apres l’avoir tüé sur ce qui en avoit esté écrit à Paris, il me semble que je dois le ressusciter. Je croy que je ne seray pas dans la mesme obligation pour la Demoiselle Beaucreux qui estoit allée avec luy, & qu’on dit estre morte effectivement. C’est la mesme que vous entendistes chanter dans l’Opéra d’Alceste, quand vous en vistes icy les premieres représentations. 

[Air de Mademoiselle de Saint Jean de Saint Malo]* §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 283-285.D'après le chroniqueur du Mercure cet air est du même auteur que l'air Comment pourrais-je voir, attribué de manière certaine à Bacilly.

Je me souviens que vous m’avez fort vanté les Paroles de deux Chansons, que vous avez trouvées parmy beaucoup d’autres dans les Journaux de l’illustre Autheur, qui me fait la grace de m’en donner depuis quelque temps pour toutes mes Lettres. Ces Paroles commencent par Croyez-moy, croyez-moy, mon cœur, &c. Sortez, petits Oyseaux. &c. J’ay découvert qu’elles sont de Mademoiselle de Saint Jean de Saint Malo, & comme il m’en est tombé entre les mains de nouvelles de sa façon, que le mesme Autheur a mises en Air, je ne doute point que je ne vous fasse plaisir de vous les donner notées. Vous ne pouvez rien apprendre qui soit plus nouveau.

AIR.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Que je crains de Tircis le respect dangereux, doit regarder la page 285.
Que je crains de Tircis le respect dangereux !
        Et que ses regards amoureux
    Avec son cœur toûjours d’intelligence,
        Me font redouter son silence !
        Par ce langage ingénieux,
Amour cause à mon cœur de secretes alarmes ;
        Helas ! je me défendrois mieux
        Contre les soupirs & les larmes.
images/1680-02_283.JPG

[Divertissemens de Paris] §

Mercure galant, février 1680 [tome 3], p. 343-345.

Outre le divertissement des Courses, & de l’Opéra de Proserpine, il y en a eu plusieurs autres à Saint Germain. On y a souvent Masqué, & Monseigneur a esté à un Bal chez Madame de Thiange, vestu d’un Habit moitié François & moitié Suisse. Monsieur le Prince de Conty en avoit un tout semblable. La plûpart des jeunes Seigneurs de la Cour diféremment déguisez, les accompagnoient. Ils allerent chez la Reyne. Madame de Thiange qui donnoit le Bal à Monseigneur, luy donna aussi une magnifique Collation.

La Devineresse continuë encor à faire le divertissement de Paris. Les Assemblées y sont toûjours fortes, & comme on en a commencé les Représentations en Novembre, & qu’elles ne finiront qu’en Mars, on voit ce qui n’est arrivé à aucune Piece sans machines, qui est d’estre joüée pendant cinq mois diférens. On l’a imprimée, & je vous l’envoye. Cette Piece est si naturellement représentée par la Troupe de Guenégaud, que Leurs Altesses Serénissimes qui la virent ces derniers jours, dirent en sortant, qu’elles croyoient avoir veu une verité au lieu d’une Comédie.

    L’Hotel de Bourgogne a joüé l’Adraste de Mr Ferrier. Il est remply de beaux Vers, & tres-aisément tournez.