1680

Mercure galant, juin 1680 [tome 8].

2015
Source : Mercure galant, juin 1680 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1680 [tome 8], p. 57-58.

On a travaillé sur les Paroles de Mademoiselle Castille que je vous envoyay dans ma Lettre du mois d’Avril. Il me souvient qu’elles vous parurent agreablement tournées, & cela m’oblige à vous les donner aujourd’huy en Air. La Note est de Mr Bellon de Lyon.

AIR NOUVEAU.I

Avis pour placer les Figures : l’Air le plus petit, doit regarder la page 58.
          Ah qu’ils sont courts
               Les beaux jours
     D’une Fleur Printaniere !
C’est ainsi que s’enfuit la saison des Amours.
Hastez-vous donc d’aimer, ô jeune Beauté fiere,
Hastez-vous, on n’est pas jeune & belle toûjours.
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[Les Arts, les Sciences, & les Armes employez par l’Hymenée, pour le Mariage de Monseigneur le Dauphin. Comédie] §

Mercure galant, juin 1680 [tome 8], p. 66-88.

Cette avanture de Mariage me fait souvenir d’une Piece toute pompeuse qui fut représentée le 13. de l’autre Mois dans le College Royal des Jesuites de la Flêche, qui passe pour un des plus magnifiques de toute l’Europe. Elle avoit pour titre, Les Arts, les Sciences, & les Armes, employez par l’Hymenée pour le Mariage de Monseigneur le Dauphin. Ce Dieu voulant faire quelque chose de superbe pour une si importante occasion, sans avoir recours ny à Minerve ny à Apollon, ny à Mars, se servit pour ce dessein des Amours ses Freres, les jugeant capables de fournir à tout. Ainsi des Amours déguisez en Artisans, en Sçavans, & en Guerriers, firent les trois parties de cette Piece.

Dans la premiere qui estoit des Arts, le Theatre représentoit une grande Salle où estoient plusieurs Apartemens. Divers Amours Artisans y travailloient, Peintres, Sculpteurs, Forgerons, Musiciens, & autres, & dans le fond estoit cette Inscription en lettres d’or, Quas non se fingat ad Artes ? Tous ces Artisans invitez par l’Hymenée à faire voir leur travail, ouvrirent le Theatre & formerent une Dance, chacun avec l’Instrument qui estoit propre à son Art. Apres cela ils vinrent présenter leurs Ouvrages à l’Hymenée. Le Peintre apporta le Portrait de Madame la Dauphine ; le Sculpteur, la Médaille de Monseigneur le Dauphin ; & les Forgerons, les cœurs de l’un & de l’autre formez sur ceux des plus grands Princes & des plus grandes Princesses que nous ait vantez l’Histoire. Les Musiciens firent à leur tour un Opéra. Le sujet estoit une Alliance feinte d’un Dauphin qu’une Sirene avoit sçeu charmer par la douceur de son chant. Tout estoit allégorique dans cette Alliance, & avoit raport à ce qui s’estoit passé dans le Mariage de Monseigneur le Dauphin. La Sirene, les Tritons, les Nymphes de la Seine, & les autres Divinitez des Eaux, composerent un agreable Concert qui termina cette Scene. Pendant que ce petit Opéra satisfaisoit les oreilles, on avoit pris soin du plaisir des yeux, en faisant paroistre une Peinture qui représentoit un Dauphin attiré par le chant d’une Sirene, avec ces paroles, Trahitur dulcedine cantus. Voicy ce qui a esté fait sur cette idée.

[suit une fable, Le dauphin et la sirène, p. 72-77 ]

Les Amours qui avoient pris la Dance pour leur party, firent la derniere Scene de la premiere Partie dont j’ay commencé de vous parler, & représenterent le Balet des Fleurs qui disputoient entr’elles, à qui auroit l’avantage de composer la Couronne de Madame la Dauphine. Le Lys fut preferé aux autres Fleurs par le jugement de l’Hymenée. A peine eut il prononcé en sa faveur, qu’on fut étonné de ne voir plus que des Lys, qui formerent une espece de Couronne en dançant. Une nouvelle Peinture augmenta en mesme temps les ornemens du Theatre. Elle fit paroistre un Lys élevé au dessus des autres Fleurs, qui sembloient se pancher pour luy rendre leurs hommages, avec cette Inscription, Plebeii cedite Flores.

Les Amours de la seconde Partie avoient pris les Sciences pour leur partage ; & l’explication de ces paroles qui se lisoient, Cessit Parnassus Amorii, fut aisée à faire, quand on vit Apollon & les Muses quiter le Parnasse pour les en laisser les maistres. Dans le mesme temps on entendit un agreable Concert, où ceux-cy témoignoient leur joye de cet avantage, & celuy-là son chagrin d’estre obligé de ceder sa Lyre à un des Amours.

Ce Concert finy, le Parnasse avança sur le Theatre, & dix Amours couronnez tous de Laurier, en descendirent dans le mesme instant, l’un ayant l’équipage d’Apollon, & les neuf autres tenant à leur main les Instrumens qui distinguent chaque Muse. Ils firent une tres-agreable Entrée de Balet, & apres qu’ils eurent présenté divers Ouvrages faits à l’honneur de Monseigneur le Dauphin & de Madame la Dauphine, ils terminerent cette Partie par la Fable du Dauphin placé au Ciel, pour avoir reçeu Arion sur son dos lors qu’il se précipita dans la Mer. L’Amour Apollon présidoit à cette Cerémonie celeste, & mit le Dauphin aupres de la Lyre, du Cigne, & des Astres qui ont quelque raport avec les Sçavans.

La troisiéme Partie de cette Piece comprenoit l’exercice des Armes. Le Theatre représentoit une espece de Camp où plusieurs Troupes d’Amours Guerriers estoient sous diverses Tentes. Ils sortirent formant divers petits Escadrons, avec les Armes, Simboles, & Enseignes ordinaires des Guerriers ; & dans la principale peinture de la Décoration paroissoit un Mars, dont ces paroles qui se lisoient au-dessus marquoient la surprise. Miratur telis æmule tela suis. Ils commencerent par un Tournoy ; & comme les Amours sçavans avoient placé le Dauphin au Ciel, les Amours Guerriers le rendirent victorieux dans un Combat que les Astres firent. Les Tenans pour le Dauphin estoient le Soleil, qui représentoit le Roy ; la Planete de Jupiter, qui représentoit Monsieur ; celle de Mars, qui représentoit Monsieur le Prince ; & les Astres des Bourbons, qui représentoient les autres Princes de la Maison Royale. (Vous sçaurez, Madame, que les Astronomes ont donné le nom d’Astres des Bourbons à de petites Planetes qui sont toûjours autour du Soleil, & qui l’accompagnent & le suivent.) On voyoit pour Assaillans l’Aigle celeste qui représentoit l’Empereur ; le Lyon celeste, qui représentoit l’Espagne & la Flandre ; la Lune ou le Croissant, qui représentoit le Grand-Seigneur. D’abord deux Hérauts s’avancerent en dançant, suivis des Pages qui tenoient les Lances des Combatans. Le Cartel des Tenans fut publié par le premier des Hérauts. L’autre y répondit, & les Tenans & les Assaillans s’estant joints à eux, repéterent le mesme Cartel, le tout en chantant. Cela fait, on commença le Tournoy. On y combatit avec trois sortes d’Armes, la Lance, le Sabre, & le Poignard. Apres ces combats, la Couronne celeste se présenta au Dauphin, qui par l’apuy du Soleil, estoit demeuré Vainqueur des autres Astres. La Couronne dança seule, & fit la derniere Entrée de ce Balet. Chaque Astre avoit son Recit & la Devise qui tomboient également sur l’Astre, & sur la Personne qu’il représentoit. Ces premiers Guerriers s’estant retirez, firent place à d’autres Amours Guerriers qui représentoient les Nations. Ces Nations estoient le François, l’Espagnol, l’Anglois, l’Italien, & le Hollandois. Ils firent un Carrousel, où le François qui marquoit Monseigneur le Dauphin, emporta la Bague. Ils avoient tous leur Récit & leur Devise, selon le caractere de la Nation. L’Hymenée qui avoit promis un Carquois doré à celuy qui réüssiroit le mieux, ne sçachant à qui le donner, parce qu’ils l’avoient tous également bien servy, avoüa que l’Amour estoit le plus habile des Artisans, le plus ingénieux des Sçavans, & le plus adroit des Guerriers, & que rien ne le pouvoit récompenser dignement, que la gloire d’avoir travaillé pour un Prince & une Princesse d’un aussi grand mérite que ceux qu’il avoit voulu honorer par cette Feste.

La Piece fut représentée par un grand nombre d’Enfans de qualité, la plûpart Pensionnaires des Peres Jesuites. L’Assemblée estoit composée du Présidial, & des autres Corps de la Ville. Le Prince Loüis de Wirtemberg Filleul du Roy, s’y trouva avec quantité de Seigneurs & Gentilshommes Allemans, Polonois, & Anglois, & presque toute la Noblesse du Païs. L’aprobation fut generale, & il n’y eut personne qui n’avoüast que depuis longtemps, on n’avoit rien veu de plus beau dans ce grand College. J’adjoûte le Dialogue des Fleurs dont il est parlé dans la premiere Partie. [suit le texte du Ballet des fleurs ou la victoire du lys, p. 89-108] 

[Galanterie faite à Crusy aupres de Tonnerre] §

Mercure galant, juin 1680 [tome 8], p. 110-114.

Il n’y a ny magnificence, ny galanterie, dont les Particuliers ne soient aujourd’huy capables en France. Une Cerémonie de Pain-benit vous le fera voir. Un vieux Garçon de Crusy, petite Ville aupres de Tonnerre, ayant à s’en acquiter le Dimanche 12. de May, se rendit à l’Eglise de S. Barthelemy sa Paroisse dans l’ordre qui suit. Quatre Hautbois & vingt Violons assemblez chez luy, sortirent d’abord, faisant retentir l’Hymne du Patron sur leurs Instrumens. Apres eux parurent douze jeunes Filles vétuës de blanc, couronnées de fleurs, & ayant toutes un Cierge à la main. Elles précedoient le Pain-benit, qui estoit porté par quatre Garçons aussi couronnez de fleurs, & tres-proprement vétus. Ils avoient chacun une Echarpe blanche à frange d’argent. Dix pas derriere marchoit l’Autheur de la Feste, avec une grande Tavayole sur l’épaule, & au dessous, une riche Echarpe de tafetas incarnat à frange d’or. Il estoit suivy d’un fort grand nombre d’Amis conviez qui alloient en ordre. Il y eut une tres-bonne Musique pendant la Messe, & les Hautbois & les Violons tinrent la place des Orgues. On distribua plus de deux cens Cierges à tout ce qui se trouva dans l’Eglise de Jeunesse non mariée au dessus de l’âge de douze ans, pour la cerémonie de l’Offrande. Celuy qui rendoit le Pain-benit, l’offrit luy-mesme dans l’équipage que je vous viens de marquer. La Messe finie, il s’en retourna dans le mesme ordre. Quatre Tables estoient préparées chez luy. La premiere fut remplie par le Clergé ; la seconde, par les Magistrats & Corps de Ville ; la troisiéme, par la Jeunesse qui l’avoit accompagné ; & la derniere, par quelques Amis appellez des environs. Ces quatre Tables furent servies sans confusion à sept diférens Services, & le Régal dura jusqu’au soir. La nuit venuë, le Régalant sortit de chez luy, suivy de six Violons, & précedé de six jeunes Filles avec des Flambeaux. Dans cet appareil, il alla porter le Chanteau à celuy que la mesme Cerémonie regardoit pour le Dimanche suivant.

[Autre air sur les paroles de Mademoiselle de Castille]* §

Mercure galant, juin 1680 [tome 8], p. 209-210.

Vous aurez tout lieu d’estre contente de moy sur les Vers de Mademoiselle Castille qui vous ont tant plû, & que vous aurez déjà veus notez au commencement de cette LettreII. Je vous les donne encor une fois avec d’autres Notes, afin que vous les puissiez chanter diféremment. Mr Charpentier qui vient de les mettre en Air, en a fait une façon de Rondeau. Vous y trouverez ce caractere aisé & particulier qui vous fait aimer tous ces Ouvrages. Examinez celuy-cy ; mais en chantant,

Ah qu’ils sont courts les beaux jours, &c. Avis pour placer les Figures : l’Air le plus grand, doit regarder la page 209.

n’oubliez pas que vous devez profiter de la moralité de ces Vers.

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[Mort de M. Emery de Provence] §

Mercure galant, juin 1680 [tome 8], p. 210-212.

L’amitié que vous avez pour la Musique, vous obligera sans-doute de prendre part à la perte que celle de Provence a faite en la personne de Mr Emery. C’estoit un Homme d’un fort grand mérite, & qui s’estoit acquis la réputation d’un des meilleurs Musiciens de son temps. Il avoit appris sous les premiers Maistres d’Italie ; & lors qu’il retourna en Provence, il se rendit d’abord si recommandable, qu’il y avoit tres-peu de Chapitres où l’on ne chantast de sa Musique. Aussi n’estoit-ce qu’à luy qu’on avoit recours quand il s’agissoit de quelque Solemnité dans tous les endroits de la Province. Il se seroit fait encor mieux connoistre, s’il n’eust préferé son Canonicat de Pignans à tous les avantages qu’on luy offroit. Il est extrémement regreté de tous ceux avec qui il avoit quelque habitude, & sur tout de Mr le Comte de Grignan qui l’honoroit de son estime particuliere. 

[Tout ce qui s’est passé à Fontainebleau] §

Mercure galant, juin 1680 [tome 8], p. 249-254.

À l’égard des Divertissemens de la Cour, la Comédie continuë toûjours à faire un de ses plaisirs. Les François l’y représentent deux fois la semaine, & les Italiens une. Quoy que Madame la Dauphine aime beaucoup plus les Pieces sérieuses que les Comiques, elle ne laisse pas de goûter les naïvetez d’Arlequin, qui satyrise agreablement les Modes outrées. Cette Princesse commença à se promener à cheval les Festes de la Pentecoste. Elle n'y avoit jamais monté, & on l'on fut surpris de luy voir autant d'adresse & de bonne grace dans cet Exercice, que si elle s'y estoit faite de fort longue main. Elle manioit son Cheval sans aucune peine, & vouloit mesme galoper dés le premier jour. Toutes les Dames qui l'accompagnoient, avoient des Perruques. Elle estoit la seule qui fust coifée avec ses cheveux. On en avoit fait plusieurs boucles noüées de Rubans. Ses Filles d'Honneur faisoient admirer leur propreté. Elle pouvoit estre grande, le Roy leur ayant donné dequoy se mettre en équipage de Chasse, pour suivre cette Princesse dans toutes ses Cavalcades. Madame estoit de cette Partie. Je ne vous en diray rien. Vous sçavez que c'est une Amazone à cheval, & qu'il est peu d'Hommes qui ayent plus de vigueur qu'elle dans cet Exercice. Madame la Princesse de Conty accompagnoit aussi Madame la Dauphine, avec le bon air & la grace qui luy est si naturelle. Le Roy & Monseigneur se promenerent avec cette belle & galante Troupe, & rien n'estoit si brillant à voir que toute la Cour à cheval, avec des Habits aussi magnifiques que bien entendus.

Si Madame la Dauphine donne de nouveaux sujets d'admiration par son adresse, elle en donne tous les jours par son esprit de fort glorieux pour elle. Tout ce qu'elle dit a un tour fin qui en fait briller la vivacité ; & la réponse qu'elle fit dernierement à Mr l'Archevesque de Paris qui l'avoit complimentée à la teste du Clergé, charma tout le monde. Il avoit esté auparavant chez le Roy & chez Monseigneur. La Harangue que cet illustre Prélat fit à Sa Majesté, avoit pour sujet le zele qu'Elle a toûjours eu pour l'interest de l'Eglise.

[Mariage de M. Feuret avec Madame Doriau] §

Mercure galant, juin 1680 [tome 8], p. 301-305.

Mr Feuret, Seigneur d’Aubigny, Conseiller au Parlement de Bourgogne, Petit-Fils de l’illustre Mr Feuret, qui a donné au Public le fameux Traité de l’Abus, s’est marié depuis peu avec Madame Doriau, Veuve d’un Capitaine de Cavalerie qui portoit ce nom. Elle est Fille de feu Mr Enin-Lietar, Comte de Roche, Lieutenant pour le Roy aux Ville & Citadelle de Châlons, & Sœur de Mr le Comte de Roche Lieutenant aux Gardes. Ce Mariage s’est fait à Châlons sur Saône, où s’estoient rendus les Parens des Mariez. Mr Feuret Conseiller d’Eglise dans le mesme Parlement, & Chanoine de la Sainte Chapelle de Dijon, leur donna la Benédiction Nuptiale. Toute l’Assemblée, apres avoir passé huit jours à Châlons en diverses Festes, s’embarqua dans un Bateau tout doré, & orné de plusieurs belles Peintures qui représentoient le Mariage de Psyché & de l’Amour. Un autre Bateau suivoit, & estoit remply d’une Bande de Violons, meslez de Hautbois. Dans cet équipage, les Mariez arriverent à Lyon, & réveillerent toutes les Dames qui depuis le Carnaval sembloient avoir rompu commerce avec les Plaisirs. Pendant le sejour qu’ils y ont fait, on n’a songé qu’à les divertir. C’estoit tous les jours quelque nouvelle Partie. La derniere se fit à la Clere, où Mr de Varisan Conseiller au Présidial de Lyon les régala. On avoit illuminé toutes les Allées du Jardin ; & les Dames qui estoient toutes tres-propres, avoient des Bouquets des plus belles Fleurs de la Saison. Le Repas fut d’une magnificence admirable. Il estoit à cinq Services. Il y eut en suite un fort beau Concert. Les Mariez partirent le lendemain pour retourner à Châlons, & se rendre de là à Dijon avec toute l’Assemblée de la Nôce. Tout le monde a esté charmé de la jeune Mariée, qui par sa beauté, par sa douceur, & par ses honnestetez, s’est acquis une estime genérale.