1680

Mercure galant, août 1680 [tome 10].

2015
Source : Mercure galant, août 1680 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Sapate] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 8-23.

La Galanterie du Sapate que l’Espagne a communiquée à la Savoye, commence à se pratiquer en France ; & celuy qui fut donné le mois precédent pres de Chaumont en Bassigny, à une Dame d’un tres-grand mérite, vous fera connoistre que nous ne cedons en aucune chose aux Etrangers. La Feste de cette illustre Personne, aussi considérable par ses belles qualitez que par le rang qu’elle tient, arrivant le 28. Juillet, tous ceux du Canton dont on peut dire qu’elle fait l’honneur, s’empressent à l’envy à luy marquer ce jour-là leur zele. Elle estoit alors dans une Maison de plaisance, qui passe pour un Bijou, & dont elle a dressé le Plan elle-mesme. Cette Maison qu’elle habite pendant l’Eté quand elle vient en Province, est à demy lieuë de Chaumont, & separée seulement de cette Ville par une grande Allée de Tillots, qui en fait une avenuë fort agreable. Ce fut là que la veille de sa Feste on commença à la celébrer par des Serénades de Violons, de Hautbois, & de Trompetes, qui joüant alternativement, luy fournirent assez longtemps un des plaisirs qu’elle aime le plus. Un Echo formé par les Montagnes voisines, répondoit à ces divers Instrumens, & les sons qu’il repétoit méritoient bien qu’on les écoutast. Le lendemain, elle eut les mesmes Serénades à son lever ; & comme apres avoir reçeu des Bouquets de toutes parts, sa devotion luy fit prendre le chemin d’une Chapelle, éloignée de deux cens pas de son Logis, elle en trouva le chemin bordé d’une Haye vive, mais la plus réjoüissante qu’elle eust jamais veuë. Cette Haye estoit composée de Tubéreuses, de Jasmins, & d'Orangers, par des distances égales, avec leurs Pots de divers émail, & on voyoit chaque Plante attachée d'une infinité de nœuds de Ruban gris-de-lin, ouvragez des Chifres de son nom. Le retour eut des agrémens d'une autre nature. La Dame ayant voulu prendre l'air, & faire une promenade avant le Dîner, deux grands Levrauts retirez sous un Buisson, & effrayez du bruit de la Troupe qui l'accompagnoit, prirent tout-à-coup la fuite, & gagnant la Plaine avec une legereté admirable, donnerent le divertissement de la Chasse qu'on n'avoit pas attendu. Deux Levriers qui avoient suivy quelques Laquais, sans qu'on pust croire qu'il y eust aucun dessein, partirent dans le mesme instant, & les poursuivirent si chaudement, que si l'un de ces Levrauts leur échapa, l'autre tarda peu à en estre atteint. On l'apporta mort à la belle Dame, qui fut fort surprise de luy voir un Collier de Ruban pareil à ceux qui renoüoient les Bouquets. Une petite Plaque d'argent en forme de cœur, pendoit du Collier. On avoit gravé ces Vers dessus.

Aux Chiens qu'on a veu me poursuivre
J'eusse aisément donné plus longtemps à courir ;
Mais mon zele pour vous ne me l'a pû soufrir
Puis que ma mort vous fera vivre
Pouvois-je, belle Iris, trop promptement mourir ?

Cet Animal parut si agreable dans l'excuse qu'il faisoit de n'avoir pas prolongé sa vie pour prolonger le divertissement de la Chasse, que la Dame regreta fort la perte de l'autre, ne doutant point qu'il n'eust aussi quelque chose de galant à luy faire entendre. Cependant la chaleur devint si forte, que n'estant plus suportable, on se hasta de regagner le Logis. Ce fut au retour que cette aimable Personne, à qui son illustre Sœur tenoit compagnie, trouva sur la Table de la Salle où elle venoit se rafraîchir, une maniere de Toilete qui paroissoit couvrir quelque chose d'assez élevé. C'estoit un grand Satin bleu taillé en rond, & frangé d'or, ayant au milieu un Soleil en broderie aussi d'or, environné de quelques nuages assez épais, travaillez de soye, que ce Soleil sembloit avoir attirez pour estre la matiere des pluyes & des tonnerres. Vous pouvez juger de l'empressement qu'eurent les Dames de sçavoir ce que ce Ciel artificiel couvroit. Elles osterent le Satin bleu qui estoit dessus, & apperçeurent une grande Corbeille de Filigrane, formant une espece de Montagne chargée de toute sorte de Fleurs, comme pour donner à choisir dequoy composer un magnifique Bouquet. À peine eurent-elles pris quelques-unes de ces Fleurs, qu'elles virent qu'il n'y avoit pas seulement dans cette Corbeille dequoy réjoüir la veuë & l'odorat, mais encor dequoy contenter le goust par de grosses Trufes aussi fraîches, que si elles eussent esté engendrées ce mesme jour dans le sein de cette galante Montagne par les influences de ce Soleil, & par le secours des nuages en broderie qui la couvroient. Ce qu'il y eut de plus surprenant, c'est que ces Trufes faisoient compliment aux Dames par un Listeau de Vélin doré, attaché sur chacune avec une grande Epingle d'or à teste de Diamans. La premiere qu'on tira, s'adressoit aux deux Sœurs par ces quatre Vers.

Rare Couple de Sœurs, recevez mon hommage,
Et daignez me choisir l'une ou l'autre en partage.
J'estimeray mon sort heureux,
Si je suis à l'une des deux.

La seconde estoit une grosse Trufe, qui se fendoit en deux, & qui parlant à la Dame de la Feste, disoit.

D'estre à vous, belle Iris, chacun si fort s'empresse,
Que d'avance pour vous je me sens de tendresse.

La troisiéme, la plus ronde de toutes, & de la meilleure figure, s'expliquoit ainsy.

Vostre goust, le plus fin du monde,
Devroit préferer la plus ronde.

Vous voyez par là que chaque Trufe parloit à peu pres selon sa figure. Voicy ce que disoit la quatrième.

Mangez moy, belle Iris, quoy que petite & plate,
Je n'en suis pas moins délicate.

La cinquiéme sembloit contenir deux Trufes, qui pourtant n'en faisoient qu'une ; & cette forme qu'elle avoit reçeuë de la Nature, luy donnoit sujet de dire,

Ma figure doit plaire aux deux illustres Sœurs,
Puis qu'elle peint l'union de leurs cœurs.

La sixiéme n'avoit pas esté tirée de terre adroitement, & paroissoit un peu tronçonnée. Aussi prenoit elle soin de s'en excuser en ces termes.

Pardonnez, belle Iris, à la main indiscrete
Qui m'a renduë ainsi de forme peu complete.

La septiéme parloit doctement ; & à l'exemple du Moucheron qui alla se perdre dans l'œil d'une Belle, elle témoignoit par ces quatre Vers se vouloir faire un noble destin.

Un Moucheron jadis s'ennuyant de la vie,
Pour se faire un Cercueil, choisit l'oeil de Sylvie.
Mon sort seroit cent fois plus beau,
Si la bouche d'Iris devenoit mon tombeau.

Il y en avoit encor plusieurs qui parloient separément ; & enfin on voyoit un plus grand Listeau, étendu sur quantité d'autres moins grosses que les premieres. Ces Vers y estoient écrits.

Nos plus doux vœux seroient d'honorer vos mérites,
Mais de nostre impuissance il faut nous consoler.
Vous jugez bien, Iris, qu'estant encor petites,
Ce n'est pas à nous à parler.

Tout cela fournit de divertissement le reste du jour ; & dans chaque visite que reçeut la Dame, on examina qui pouvoit estre l’Autheur d’une Galanterie si bien entenduë.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 70-103.

Un Homme de qualité, Marquis à bon titre, estant appellé en Languedoc pour un Procés d’importance, arriva sur le midy à Montpellier le Lundy des Festes de la Pentecoste. Il y connoissoit un Officier des plus considérables de la Ville, qui ayant de grandes habitudes au Parlement de Toulouse, luy devoit donner des Lettres de recommandation qu’il venoit prendre en passant. Aussitost qu’il eut dîné, il sortit de l’Hostellerie où il estoit descendu, & alla chercher cet Officier. En entrant dans une assez grande Ruë, il y vit beaucoup de monde assemblé des deux costez, & entendit aussitost des fanfares de Trompetes, qui se meslant au bruit des Tambours, invitoient le Peuple à se rendre Spectateur d’une Cavalcade qui suivoit. Douze Violons & six Hautbois, joignoient leurs accords à cette harmonie guerriere, & tout cela précedoit quantité de Gens, la plûpart à rouges trognes, & d’une mine aussi extraordinaire qu’il en eut jamais paru. On les voyoit marcher deux à deux jusque'au nombre de deux cens, montez chacun sur sa Mule ou Cheval tres-bien étrillé, portant un Panache sur la teste, & ayant la Museliere & tout le Harnois orné de Rubans. Ils avoient tous des juste-à-corps à galon d'or ou d'argent, des Tours de Plumes, de riches Echarpes, des Bas de soye, des Souliers fort propres, l'Epée au costé & un Foüet à la main dont le manche estoit aussi garny de Rubans de diférentes couleurs. Apres eux venoit un Homme vestu de Brocard avec une Aigrete à son Chapeau, & des Plumes blanches, rouges, & bleuës. Il estoit porté sur un Chariot fait en Tonne, avec quantité de branches de Laurier, & un grand nombre de Banderoles de toutes couleurs. Pendant la Marche, tous ces Cavaliers, dont je viens de vous représenter la figure, faisoient un cliquetis continuel de leurs Foüets, qui avec le bruit des Clochetes attachées au poitrail de leurs Chevaux, formoit une espece de Musique qui n’avoit jamais esté entenduë. Cette nouveauté obligea le Marquis de s'arrester & à peine eut-il veu passer les six premiers, qu'il demanda quelle estoit la cause de cette Feste. On luy répondit que tous les ans les Charretiers de la Ville & des environs, s'assembloient à pareil jour ; que ceux qu'il voyoit s'estoient rendus le matin à pied dans l'Eglise des Cordeliers de l'Observance, pour y faire leurs offrandes selon la coûtume, & que cette mesme coûtume les engageoit à se promener l'apresdinée ainsi à cheval dans toutes les Ruës, pour y mener leur Roy en triomphe. Le Marquis trouva la Cerémonie bizarre, mais il ne demeura pas en état de l'examiner entiere. Un autre Objet luy frapa les yeux. Comme les Fenestres estoient remplies de Spectateurs, ainsi que la Ruë, il les arresta sur une jeune Personne dont la beauté l'ébloüit. Elle estoit brune, avoit les yeux noirs, la bouche admirable, le tour du visage un peu ovale, & le teint si éclatant, que quoy qu'elle fust au milieu de plusieurs Dames assez brillantes ; il estoit impossible de ne la pas distinguer. Un agreable soûrire luy prestoit de nouveaux charmes quand elle parloit, & de la maniere dont elle estoit faite, on eust dit que les Graces & les Amours se fussent unis pour étaler tous leurs agrémens. Dés que le Marquis l'eut apperçeuë, il ne vit plus qu'elle. Tous ses regards luy furent donnez, & dans l'impatience de la connoistre, il entra bien-tost en conversation sur son chapitre, avec le plus apparent de ceux qui l'environnoient. Ce qu'il apprit de ses belles qualitez, & de l'estime generale qu'on avoit pour elle, augmenta fort les sentimens d'admiration que sa beauté luy avoit déja causez. Il sçeut pour l'essentiel, qu'elle estoit Fille d'un Gentilhomme de Montpellier, qui avoit plus de naissance que de fortune, qu'elle avoit reçeu longtemps les assiduitez d'un Cavalier qui passoit dans le Païs pour un Party assez important ; qu'une Parente plus riche qu'elle, qui luy en devoit la connoissance, avoit si bien fait par ses intrigues, qu'il s'estoit résolu à la préferer ; que ce mesme jour on s'assembloit chez cette Parente pour signer leurs Articles de Mariage ; que toutes les Dames qu'il voyoit si propres estoient de cette Assemblée ; qu'il devoit y avoir un magnifique Soupé ; & que la Belle dont il s'informoit en ayant esté conviée, avoit voulu s'y trouver, au grand étonnement de toute la Ville, qui s'interessant pour elle, soufroit avec peine qu'elle fust témoin des avantages de sa Rivale. Le Marquis prit feu sur ces circonstances. Il s'indigna contre la Parente qui avoit si mal agy, & plaignant la Belle dont il commençoit à estre charmé, il voulut connoistre de quel caractere estoit son esprit, pour soûtenir avec fermeté un incident de cette nature. Le peu de sejour qu'il prétendoit faire à Montpellier, ne luy laissant pas le temps d'y former des habitudes, voicy les moyens dont il se servit pour se satisfaire dés ce mesme jour. Il dançoit fort bien, & sçachant que les plus considérables Personnes de la Ville, de l'un & de l'autre sexe, devoient estre du Repas qui se donnoit chez le Pere de la Parente apres la cerémonie de la Signature, il résolut d'y aller en masque sur les dix heures du soir, & de s'introduire par une Entrée galante de feints Charretiers, dont la Feste qu'il voyoit luy fournit l'idée. Tout est facile quand on ne veut point épargner l'argent. La Belle s’estant retirée de la fenestre, le Marquis retourna au lieu où il avoit laissé ses Chevaux, & pria le Maistre d’Hostellerie de faire venir six des plus habiles Danseurs qu’il pourroit trouver. Les Danseurs vinrent. Le Marquis leur communiqua son dessein. Un d’entr’eux composa un Air grotesque, sur lequel on fit des Pas. Ils furent étudiez ; & le Marquis, qui tenoit le milieu dans cette Entrée pour danser seul quelquefois, leur fit connoistre qu’il n’avoit rien à apprendre d’eux. Il s’habilla d’une maniere aussi galante que propre, mit un Juste-à-corps fort riche, & ne ressembla au Personnage qu’il voulut représenter, que par la rustique figure du Masque, & par le Foüet qu’il tint en sa main. Les six Danseurs prirent l’équipage des Charretiers dont on avoit veu la Marche, & sitost que la Compagnie fut hors de table, ils se rendirent au lieu où elle estoit assemblée, & y menerent douze Violons masquez comme eux, & vestus tres-proprement. Ils furent reçeus avec plaisir, & cette galanterie estant de la Feste, on se rangea pour voir leur Entrée. On n’eut pas de peine à reconnoistre les six Danseurs de la Ville. Il n’y eut que leur Conducteur qui embarassa. Sa taille & son air ne convenoient à aucun de ceux que l’on soupçonnoit, & sa maniere de danser differoit fort de toutes les autres. C’estoit une legereté & une justesse admirable dans ses moindres pas. Tout cela le faisant prendre pour un Etranger, on ne pouvoit concevoir par quel interest il paroissoit dans cette Assemblée. On questionna les Violons, & comme aucun d’eux n’en sçavoit le nom, ils ne satisfirent les Curieux qu’imparfaitement. L'Entrée finie, le Marquis demanda permission de faire danser les Dames. La Maîtresse du Logis s'estant présentée, luy dit fort civilement, que ne sçachant à qui on parloit, on n'avoit rien à répondre, mais que s'il vouloit se démasquer, on accepteroit volontiers le divertissement qu'il offroit. La condition ne pouvant se refuser, il osta son masque, & fit voir un Homme de vingt-sept à vingt-huit ans, tres bien fait, & portant sur son visage ces heureuses marques qui font d'abord connoistre les Gens pour ce qu'il sont nez. Vous jugez bien avec quel attachement chacun jetta ses regards sur luy. L'Officier dont il esperoit des Lettres de recommandation estoit de la Compagnie. Il vint l'embrasser, & en un moment toute l'Assemblée apprit par luy le rang du Marquis. Il estoit d'une Maison tres-considerée, tant pour l'ancienneté que pour le bien & les grandes alliances. Les Dames s'estant placées pour le Bal, ce fut au Marquis à le commencer. Il prit l'Accordée, & en ayant esté repris un peu apres, il mena danser la Belle qui estoit la cause du déguisement, & ne la quita plus du reste du soir. Elle montra tant d'esprit dans la conversation qu'il eut avec elle, que si sa beauté l'avoit surpris, il fut charmé de son entretien. On ne l'avoit jamais veuë si enjoüée, & il n'y eut personne qui ne demeurast persuadé qu'elle s'estoit trouvée exprés au Régal, pour braver ceux qui croyoient luy faire piece. En effet on ne l'avoit priée d'y venir, que parce qu'on se tenoit assuré de son refus. Elle avoit compris l'avantage qu'on en prétendoit tirer, & pour ne le pas laisser à son indigne Parente, elle avoit esté bien aise de luy faire voir qu'elle regardoit avec mépris l'infidélité qu'on luy faisoit. L'Amant qui l'avoit quitée, ne s'y estoit résolu que par des veuës d'interest ; & comme il ne luy avoit pas osté son coeur en la trahissant, il estoit au désespoir de la voir si gaye quand le dépit de le perdre luy devoit causer quelque chagrin. Ce ne fut pas le seul déplaisir qu'il eut. Les Violons ayant attiré toute la Ville, force jeunes Gens crierent tout haut, que son mauvais choix vangeoit bien la Belle qu'il abandonnoit. Cependant le Marquis continuant à l'entretenir, y trouvoit toûjours quelques nouveaux charmes. Il ne s'aperçeut de leur effet qu'apres que le Bal finy l'eut arraché d'aupres d'elle. Il passa toute la nuit à se représenter ce qu'il avoit veu, & malgré sa premiere résolution de ne s'arrester qu'un jour à Montpellier, il luy fut impossible de partir le lendemain. Il alla voir l'Officier qu'il connoissoit, & comme la Belle luy tenoit au cœur, il fit aussi-tost tourner le discours sur elle. L'Officier qui estoit de ses Parens, vanta si fort son mérite, que l'empressement de la revoir rendit sa visite beaucoup plus courte qu'elle n'eust esté. Il courut chez cette aimable Personne, & la trouva, quoy qu'en habit negligé, encor plus charmante qu'elle ne luy avoit paru le soir precédent. Sa Mere à qui il avoit fait compliment pendant le Bal, le reçeut avec toute la civilité qu'il pouvoit attendre, & ayant appris de luy qu'il alloit poursuivre un Procés au Parlement de Toulouse, elle témoigna estre fâchée de ce que son Mary estoit absent pour huit ou dix jours, parce qu'il auroit pû luy donner de tres puissantes recommandations aupres de ses Juges. Le Marquis ne balança point à dire qu'il attendroit son retour. Il a mesme confessé depuis qu'il appréhenda qu'il ne fust trop prompt, rien ne luy estant plus fâcheux que de s'éloigner d'un lieu, où il sentoit que son cœur avoit interest de l'arrester. Il profita de ce temps, vit assiduëment la Belle, & fut bientost convaincu que l'éclat de sa beauté estoit le moindre de ses avantages. Cet attachement fit bruit. Toute la Ville souhaita qu'il eust effet, & ce souhait general ayant fait ouvrir les yeux au Cavalier qui avoit trahy la Belle ; il se repentit cent fois d'avoir préferé le bien à un mérite si universellement reconnu. Outre la diférence des deux Personnes, tant pour le brillant que pour l'agrément, celle qu'il estoit prest d'épouser, avoit une humeur impérieuse, capable de rebuter le plus patient ; au lieu que l'autre estant aussi douce que civile, se faisoit aimer de tous ceux qui la voyoient. Le Cavalier ne put résister longtemps à son repentir. Quoy que les Articles fussent signez, il fit offrir à la Belle rupture entiere avec sa Parente, si elle vouloit consentir à l'écouter. Toute autre qu'elle eust accepté le party. Elle en tiroit de grands avantages du costé de la fortune, & c'estoit d'ailleurs triompher d'une Rivale, qui avoit esté assez riche pour luy voler un Amant. On se servit inutilement de ces raisons pour l'ébloüir. Elle opposa que le Cavalier l'ayant obligée à luy oster son estime, elle n'estoit plus en pouvoir de prendre pour luy les sentimens qui luy seroient deûs, si elle se résolvoit à estre sa Femme, & que ne songeant à se marier que pour rendre un Homme heureux, & l'estre elle-mesme, elle ne s'exposeroit jamais aux bizarreries d'un Inconstant. Cette réponse fut sceuë du Marquis. Il la trouva d'une Personne toute raisonnable, & prit son party contre sa Mere qui se déclaroit pour le Cavalier. Je ne vous puis dire si la démarche que fit ce dernier fut connuë de sa Maistresse, mais enfin ils se broüillerent ensemble, & soit que le Cavalier ne pust souffrir ses hauteurs, soit qu'il esperast qu'en se dégageant, il viendroit plûtost à bout de fléchir la Belle, il fit si bien que les Articles furent déchirez. La rupture faite, il ne songea plus qu'à renoüer sa première intelligence. Il voulut rendre visite, & n'en put obtenir la permission. Ce premier refus ne l'étonna point, il avoit du bien, & c'est un charme qui adoucit toûjours la plus fiere. Le Gentilhomme, Pere de la Belle, revint quelques jours apres. L'assurance qu'il reçeut en arrivant de la disposition où le Cavalier estoit d'épouser sa Fille, luy fit donner des ordres précis de le traiter favorablement. Elle en fut inconsolable, & le Marquis l'estant venu voir le lendemain à son ordinaire, fut aussitost informé du sujet de ses chagrins. Ils estoient d'autant plus grands, qu'elle connoissoit l'esprit de son Pere, qui estoit ferme dans ses résolutions, & qui regardant ce Mariage comme une affaire tres-avantageuse pour sa Famille, devoit entrer difficilement dans les raisons qu'elle avoit de ne pardonner jamais au Cavalier. Comme le Marquis ne trouva point le Gentilhomme chez luy, il eut tout loisir d'examiner le cœur de la Belle. Apres qu'il eut assuré de ses veritables sentimens, il la pria de le laisser faire, adjoûtant qu'il voyoit avoir un sceûr moyen de la garantir du malheur qu'elle craignoit. Le Gentilhomme qui entra dans ce moment, obligea la Belle à se retirer. Il avoit sçeu ce que le Marquis attendoit de luy, & connoissant sa Maison, il embrassoit avec joye cette occasion de les servir. Il luy en fit les plus obligeantes protestations, apprit de quelle nature estoit le Procés qui le menoit à Toulouse, & s'engageant fort civilement à luy porter les Lettres de faveur qu'il souhaitoit, le Marquis luy dit que cette affaire luy estant tres-importante, il appréhendoit qu'il n'écrivist pas assez fortement, s'il ne recommandoit que les interests d'un Etranger, & qu'ainsi il le suplioit de le vouloir agréer pour Gendre, afin que ce titre luy fist mériter qu'il s'employast de tout son pouvoir contre ses Parties. Le Gentilhomme crût mal entendre, tant il resta étonné de ce compliment ; mais enfin les mesmes choses luy ayant esté dites encor une fois en termes aussi pressans que passionnez, il fit appeller sa Femme & sa Fille, qui ne furent pas moins agreablement surprises que luy d'un avantage si peu attendu. Le Marquis les conjura l'une & l'autre de ne point s'opposer à son bonheur, & fit connoistre qu'il n'avoit gardé un si long silence qu'afin de mieux s'assurer si la Belle estoit aussi maîtresse de son cœur qu'elle prétendoit. Cette nouvelle qui se répandit le lendemain par toute la Ville, fut un coup de foudre pour le Cavalier. Il s'éloigna aussitost, desesperé d'un malheur qu'il s'estoit causé luy-mesme. Le Mariage se fit peu de jours apres. Comme il y eut Assemblée, la Belle en fit prier sa Parente, qui n'ayant pas l'esprit aussi bien fait qu'elle, refusa de s'y trouver. Jugez quel fut son chagrin de voir que tout ce qu'elle avoit fait pour nuire à cette aimable Personne, n'avoit servy qu'à luy procurer une fortune plus avantageuse.

Air à boire §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 103-104.L'illustre Autheur qui me donne ses Ouvrages depuis un an est probablement Bacilly, auteur de onze des vingt-et-un airs publiés entre octobre 1679 (première publication d'un air de Bacilly dans le Mercure) et la publication de l'air précédant celui-ci. Cinq de ces airs sont attribués à un autre compositeur et cinq sont anonyme.

Jamais de plus magnifiques Paroles n’ont esté employées pour un Air à boire, que celles dont l’illustre Autheur qui me donne ses Ouvrages depuis un an, a fait le sujet de celuy qui suit.

AIR A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Si vous voulez me croire, doit regarder la page 1[0]4.
Si vous voulez me croire,
Braves Guerriers,
Apprenez a mesler les Pampres aux Lauriers.
Aléxandre dont la mémoire
Vous rend jaloux & vous surprend
N’auroit pas eu le nom de Grand,
S’il n’eust jamais appris à boire.

Voilà, Madame, de quelle maniere les Buveurs conservent entr’eux la memoire des Grands Hommes, tandis que les Amans celébrent celle de leurs Maistresses par les tendres marques de leur souvenir.

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[Le Musicien Medecin] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 128-131.

Le Sr des Prez, Musicien ordinaire de la Chapelle de Sa Majesté, a sçeu toûjours si bien ménager son temps, que celuy qu’il donnoit à la Musique, ne l’empeschoit point d’en réserver pour lire Galien & Hippocrate. Apres qu’il y eut pris goust, & qu’il se fut senty du talent pour profiter de cette lecture, il alla trouver le Roy, & luy dit que c’estoit un de ses Musiciens qui venoit se plaindre d’un fort grand desordre auquel il s’ofroit de remédier ; que depuis douze ans qu’il avoit l’honneur d’estre de sa Musique, il avoit remarqué que tous ses Confreres avoient encor plus besoin d’un Medecin pour les régler quand ils alloient boire, que d’un Maistre pour bien conduire leur voix ; & que si Sa majesté luy vouloit permettre de s’absenter quelque temps de son service touchant l’employ qu’il avoit dans sa Chapelle, il espéroit se mettre en état de luy en rendre de plus considérables quand il auroit pris le Bonnet de Docteur en Medecine. Le Roy trouva la chose plaisante, & dit à ceux qui l’accompagnoient, Que diroit Moliere, s’il estoit encor au monde, de ce qu’un Musicien demande à se faire Medecin ? Le Fait estant extraordinaire, on crût d’abord que le Sr des Prez n’avoit parlé que pour divertir le Roy ; mais il poursuivit en termes si sérieux, qu’on connut bientost que le cœur luy en disoit de ce costé-là. Sa Majesté en estant persuadée, luy permit de s’absenter autant qu’il voudroit pour s’appliquer à l’étude ; & il y a si bien réüssy, que depuis deux mois il a en effet reçeu le Bonnet de Medecin avec l’approbation de toute la Faculté.

[Sacre de M. le Coadjuteur de Roüen] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 137-141.L'article du Mercure de septembre 1680 complète cette relation

Le Dimanche 4. de ce Mois, Mr l’Abbé Colbert, nommé par le Roy Coadjuteur de Roüen, fut sacré dans l’Eglise de Sorbonne, sous le titre d’Archevesque de Cartage. Ses Actes publics pour estre reçeu Docteur de cette Maison, & l'éloquence qu'il a fait paroistre dans plusieurs Sermons qu'on a entendus de luy, parlent si fort à son avantage, qu'il suffit de le nommer pour donner l'idée du plus grand mérite. Ainsi, Madame, je ne vous repéte point ce que je vous en ay déja dit plusieurs fois. J'adjoûteray seulement que s'il est rare de voir un sçavoir aussi profond, & des lumieres aussi étenduës dans un Homme de son âge, il l'est encor plus de voir tant de belles qualitez soûtenues d'une modestie pareille à la sienne. Vous jugez bien des apprests qu'on fit, afin que la pompe du dehors respondist à la dignité du Sacre. Toute l'Eglise se trouva tenduë de tres-belles Tapisseries, & pour rendre cette solemnité plus auguste, on avoit osté la Closture qui sépare le Chœur d'avec la Nef, si bien que l'Autel estoit dressé au milieu du Chœur. La Cerémonie fut faite par Monsieur l'Archevesque de Roüen, qui avoit pour Assistans Mr les Evesques de Bayeux & de Lisieux. Les autres Prélats qui s'y trouverent, estoient Mrs les Archevesques de Paris, d'Ambrun, de Bourges, d'Alby, Mr le Coadjuteur d'Arles, & Mrs les Evesques d'Amiens, de Senlis, de Coustance l'ancien, de Sarlat, d'Olone, d'Heliopolis, de Geneve, de Saint Malo, d'Authun, du Mans, de Coustance, de Beziers, de Condon, de Montauban, de Langres, d'Acqs, de Poitiers, de Toul, de Frejus, d'Aire, de Vence, de S. Papoul, de Troyes, d'Auxerre, de Grasse, de Carcassonne, de Gap, de Perpignan, de Tarbes, de Mirepoix, & d'Evreux. Le reste de l’Assemblée estoit composé de Personnes de la premiere qualité. Il y eut une excellente Musique de la façon de Mr Lorenzani, Maistre de la Musique de la Reyne. C’estoit luy-mesme qui la conduisoit. Elle estoit chantée par les plus habiles Musiciens du Roy, & soûtenuë d’une Symphonie toute charmante. Apres la Cerémonie, tous les Archevesques & la plûpart des Evesques, allerent dîner à Sceaux avec Mr Colbert & sa Famille.

[Nouvelles de Malte] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 173-184.

Apres ce que je vous ay dit de l’Election de D. Gregorio Caraffa, à la dignité de Grand-Maistre de l’Ordre de Malte, vous ne doutez point, Madame, que ses premiers soins n’ayent esté d’en donner avis à tous les Princes Chrestiens. Peu de jours apres qu'il eut fait expedier toutes ses Dépesches, il reçeut le Bref d'agrément du Pape, avec de grandes marques de joye du choix qui avoit esté fait de sa Personne, & ensuite un autre Bref, qui l'exhortoit à entrer dans l'union que Sa Sainteté a dessein de faire, pour renverser les projets des Infidelles. Dans ce mesme temps, on vit arriver à Malte le Premier Gentilhomme du Viceroy de Sicile, & plusieurs autres Envoyez des Princes & Seigneurs de ce Royaume, & de celuy de Naples, pour luy faire compliment sur sa Promotion au Magistere. Celuy qui vint de la part du Prince Mazarin-Buter Neveu de Son Eminence, luy présenta un Horloge à Colomnes de Cristal de Roche, qui est d'un prix fort considérable. De son costé Mr le Grand-Maistre fit partir ses Galeres pour aller à Syracuse, & nomma Mr le Commandent de la Rochefoucault (on l'appelle le Commandeur de Bayers dans l'Ordre) Capitaine de la Galere Patronne, pour aller trouver le Viceroy de Sicile, en qualité d'Ambassadeur, & le prier suivant la coûtume, d'estre favorable à l'Isle de Malte, touchant les Provisions qu'il faut qu'elle tire des Lieux qui luy sont soûmis. Le Viceroy estoit à Agousta, où apres avoir reçeu les complimens qu'on luy venoit faire, il s'embarqua sur la Galere de Mr le Commandeur de Bayers, qui le porta à Messine. Trois Galeres du Grand Duc y arriverent, & ce Commandeur ayant arboré l'Etendard de Malte comme Capitaine, par l'ordre du Viceroy, chacune de ces Galeres le salüa de quatre coups de Canon. La Vice-reyne qui se trouva à Messine, s'embarqua sur cette mesme Patronne de Malte pour aller à Palerme, accompagnée des Galeres de Livourne, & fit présent au Commandeur qui l'y conduisit, d'une Montre à Boëte de Diamans, estimée trois cens Loüis.

Mr le Grand-Maistre, apres avoir donné ordre aux affaires du dehors, songea à nommer ses principaux Officiers. Il fit Mr le Commandeur Ximenez, ancien de la Langue d'Arragon, son Premier Maistre d'Hôtel ; prit le Commandeur Moix, pour son Receveur ; Mr le Chevalier Bovio de la Langue d'Italie, pour Secretaire de ses Commandemens ; Mr le Commandeur Spinelli, pour son Chambellan ; Mr le Commandeur Balbani pour son Soûmaistre d'Hôtel, & confirma tous les autres Officiers qui estoient au feu Grand-Maistre. Le Peuple de Malte a senty des effets de sa bonté, par un don considérable, qui a fait diminuer le prix du Bled de deux écus par septier, outre la supression d'une Gabelle qui avoit esté établie il y a quelques années, pour fournir aux frais des dernieres Fortifications. Jugez combien son gouvernement est applaudy.

Le 29. de Juin, jour de la Feste de Saint Pierre & de Saint Paul, il partit à trois heures du matin, & se rendit en la Ville notable, appellée Cité-Vieille, pour y faire son Entrée. C'est l'ancienne & premiere Ville. Il y vint accompagné de vingt-six Grand-Croix, & de plus de quatre cens Chevaliers, precédez de toute la Cavalerie de l'Isle. Les Jurats & autres Officiers le reçeurent, & il fut complimenté sous l'Arc Triomphal orné de Devises, sur la noblesse & antiquité de la Maison Carassa dont vous sçavez que le Pape Paul V. estoit. L'Evesque de Malte suivy de tout son Clergé, luy rendit des honneurs accoustumez, & le Te Deum fut chanté par la Musique de la Cathédrale, au bruit de cent cinquante coups de Canon. L'apres-dînée sur les cinq heures du soir, Son Eminence se rendit avec toute sa Cour, sur un petit costeau, où on luy avoit préparé un Balcon, d'où Elle eut le plaisir de voir la Course des Esclaves noirs & des blancs, pour gagner le Prix destiné à celuy qui arrive le premier au lieu marqué. Il y eut aussi quelques Courses de Chevaux, avec une si extraordinaire affluence de Spectateurs, qu'on croit qu'il s'y trouva au moins quarante mille Personnes. J'oubliois à vous dire que ce nouveau Grand-Maistre a nommé Mr le Bailly Colbert, Fils du Grand Ministre d'Etat, General de ses Galeres, dont il aura le Commandemement dans dix-huit mois, apres que le temps de Mr le Bailly Correa qui les commande à present, sera expiré. Il a aussi reconnu les services que Mr Bataille, Servant d'Armes, a rendus depuis longtemps, & rend tous les jours à la Religion avec tres-grand zele, en luy faisant donner l'Ordre de Chevalerie. La Cerémonie s'en fit par Mr le Bailly de Caumont dans l'Eglise de Saint Jean, où il y eut un tres-grand concours de monde. Celuy pour qui elle se faisoit, estant allé au Palais au sortir de là, Son Eminence, pour luy marquer son estime, luy mit au col une Chaîne d'or, & une Croix de filigrane qu'Elle portoit avant son élection. Il est d'une tres-bonne Famille de Soissons, où ses Ancestres ont possedé les premieres Charges de la Robe.

[Mort de M. le Duc d’Usés] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 203-216.

Je finis ma Lettre du dernier Mois par la nouvelle que je vous donnay de la mort de Mr le Duc d’Usés. Mrs les Marquis de S. Suplice & de Montsalais, ses Freres, estoient morts dix ou douze jours auparavant. Ils avoient tous deux tres-bien servy, s'estoient distinguez en divers emplois, & vivoient en Province depuis quelque temps, apres avoir essuyé les plus longues fatigues de la guerre. Mr le Duc d'Usés leur aîné avoit esté élevé Enfant d'honneur du feu Roy. On luy a veu pratiquer ce qui est peu ordinaire aux Personnes de son rang. Les grandes dépenses qu'il s'estoit trouvé obligé de soûtenir, l'avoient engagé à faire des debtes, & pour les payer plutost & plus aisément, ne pouvant vendre aucune des belles & grandes Terres qu'il possedoit, parce qu'elles sont toutes substituées à l'Aîné, il s'estoit retranché de toutes choses, jusqu'au necessaire de son Train, & laissoit par là la plus grande partie de ses Revenus à ses Creanciers, qui estoient presque tout-à-fait payez quand il est mort. Il estoit Pere de Mr le Duc de Crussol. Cette Maison est une des plus illustres de tout le Royaume, soit pour les Gouvernemens & les premieres Dignitez de l'Etat qu'elle a toûjours possédées, soit pour l'éclat que luy ont donné les plus hautes Alliances depuis plus de six cens ans qu'elle s'est heureusement conservée par plus de vingt-deux degrez de genération, sans avoir manqué de Mâles.

Loüis de Crussol, Grand Chambellan de Loüis XI. Grand Panetier de France, & Gouverneur du Dauphiné, épousa l'Heritiere de la Maison de Levy.

Jacques de Crussol son Fils, Grand Panetier de France, épousa l'Héritiere d'Usés, descenduë des anciens Comtes de Toulouse.

Charles de Crussol, Fils de Jacques Gouverneur de Languedoc, Grand Chambellan & Grand Panetier de France, épousa l'Heritiere & Fille unique du fameux Jacques de Genoüillac, dit Galiot, Grand Maistre de l'Artillerie, qui se trouva à la Bataille de Fornouë en 1495. au Siege de Capouë en 1501. à la Journée d'Agnadel en 1504. à la Bataille de Marignan en 1515. & à celle de Serisolles en 1544. qu'il fut fait Chevalier de L'Ordre, & Grand Ecuyer de France.

Antoine de Crussol son Fils, fut aussi fait Chevalier de l'Ordre, Lieutenant General des Armées du Roy & Chevalier d'honneur de la Reyne Catherine de Médicis. Les grands services qu'il avoit rendus à l'Etat pendant les premiers troubles de la Religion, furent cause que le Roy Charles IX qui les voulut reconnoistre, érigea la Vicomté d'Usés en Duché & Pairie l'an 1565. Cette Duché & Pairie se trouve aujourd'huy la premiere du Royaume en rang & en dignité.

Jacques de Crussol, second Duc d'Usés, fut Lieutenant General des Armées du Roy. Il eut le crédit de mettre sur pied à ses frais une Armée de vingt-deux mille Hommes de la meilleure Milice de France, dans le temps des troubles de la Religion.

Emanuel de Crussol, son Fils, troisiéme Duc d'Usés, Chevalier des Ordres du Roy, fut choisy entre tous les Grands du Royaume, pour estre Chevalier d'honneur d'Anne d'Autriche lors de son mariage avec le feu Roy en 1615. Il épousa l'Heritiere de la Maison de S. Suplice.

François de Crussol, Fils d'Emanuel, quatriéme Duc d'Usés, fut fait aussi Chevalier d'honneur de la mesme Reyne. Il porta longtemps les armes en Hollande sous le feu Prince d'Orange, & en suite commanda deux Regimens en France pour le service du Roy. Il avoit épousé en premieres Nôces la Veuve de Mr d'Angoulesme, Heritiere de la Maison de la Chastre, & en secondes, l'Heritiere & Fille unique de Mr le Comte d'Apcher. C'est celuy qui est mort depuis un mois. Mr le Marquis de Florensac, un de ses Freres, fut tué au siege de Turin.

Emanuel de Crussol, qu'on a appelé jusqu'à aujourd'huy Duc de Crussol, & qui est à présent le cinquiéme Duc d'Usés, est Gouverneur de Xaintonge & d'Angoulmois, & Mestre de Camp d'un Regiment d'Infanterie. Il a donné d'éclatantes marques de son courage dans toutes les occasions que la derniere guerre luy a offertes, & auparavant contre les Turcs en Hongrie pour le service de l'Empereur. Il a épousé la Fille unique de Mr le Duc de Montausier. Vous voyez par ce détail qu'il n'y a point de Maison en France où il soit entré tant de grandes Heritieres. Mr le Marquis de Florensac, Frere de ce Duc s'est aussi acquis beaucoup de réputation en dix-sept Campagnes qu'il a faites, où il a reçeu de grandes blessures. Je ne vous dis rien du mérite particulier de Madame la Duchesse d'Usés. Vous sçavez qu'elle a l'esprit aussi élevé que délicat, & que sa conduite & sa vertu soûtiennent avec beaucoup de gloire pour elle tous les avantages des Maisons de Montausier & de Ramboüillet. Il n’y a rien de plus accomply que Mr le Comte de Crussol son Fils aîné, & Mademoiselle de Crussol sa Sœur. Ce jeune Comte sçavoit à huit ans la Langue Allemande dans la derniere perfection. Il n’en a pas encor douze, & est non seulement beau, tres-bien fait, d’un air admirable, civil, doux & honneste, mais il a encor les plus nobles inclinations qu’on luy puisse souhaiter. Il danse tout-à-fait bien, fait des armes, & monte à cheval de la meilleure grace du monde, & apprend enfin sans aucune peine tout ce qu’on juge à propos qu’il sçache. Mademoiselle de Crussol, quoy que plus jeune que luy, n’est pas moins parfaite. Elle est toute belle & toute charmante, & on n’a point encor veu dans un âge si peu avancé tant de douceur, d’honnesteté, de modestie, de politesse, & de délicatesse d’esprit. Joignez à cela qu’elle surprend par sa danse, jouë du Clavessin, & sçait mille choses dignes d’une éducation telle que vous jugez bien qu’on luy donne. Mademoiselle de Florensac sa Sœur, & Mr le Comte d'Assier, Mr le Comte & Mr le Chevalier d'Usés ses autres Freres, quoy que tous tres-jeunes, sont les plus jolis du monde.

[Ce qui s’est passé à la Majorité de l’Electeur de Baviere] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 267-271.

Le Jeudy 11. de l’autre Mois, Mr l’Electeur de Baviere, entré ce jour-là dans sa dix-neufviéme année, qui est celle de la Majorité des Electeurs, se rendit aux Théatins de Munic, où l’on chanta le Te Deum au bruit de cent grosses Pieces de Canon qui furent tirées. Il y eut le soir un tres-beau Feu d'artifice qui réüssit admirablement, malgré la grande pluye qui dura tout ce jour là, & qui ne cessa qu'une heure avant qu'on le fit joüer. Ce Divertissement fut suivy le lendemain d'un superbe Carrousel, dont le spéctacle attira toute la Noblesse des Villes voisines. Il ne manqua rien à cette Feste, soit pour le bel ordre soit pour la magnificence. Son Altesse Electorale se distingua fort par sa bonne grace & par son adresse, & emporta un des trois Prix que l'on y donna, tous trois fort considérables. Le Dimanche suivant, il y eut un Opéra pour lequel on avoit fait venir à grands frais les meilleurs Musiciens d’Italie. Ce jeune Electeur voulut commencer son Gouvernement par une action de pieté, & alla à pied en pelerinage à Oettingen le 17. du mesme Mois. Ce Lieu est une Sainte Chapelle bastie il y a cinq ou six cens ans, où plusieurs grands Princes & Empereurs sont venus de temps en temps accomplir des Vœux qu'ils y avoient faits. On y voit un Présent tres-riche d'un Roy de France. À son retour d'Oettingen, d'où il revint en poste à Munic, il nomma Mr le Baron de Rechberg, Grand Maistre & Premier Ministre ; Mr le Comte de Taerring, Grand Chambellan & Mr le Comte de Preysing Grand Maréchal de la Cour & Minsitre d'Etat. Les deux premiers possedoient auparavant les Charges de Grand Chambellan, & de Grand Maréchal. Il avoit d'abord remercié Mr le Duc Maximilian son Oncle, des soins qu'il avoit pris pendant sa Minorité pour l'administration de ses Etats, & luy en avoit marqué sa reconnoissance, en augmentant son Apanage de vingt mille escus par an.

[Ce qui s’est passé à l’Académie Françoise le jour de S. Loüis] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 280-293.

J’ay à vous parler d’un autre Panégyrique qui fut prononcé Dimanche dernier, jour de la Feste de S. Loüis Roy de France, en présence de Mrs de l’Académie Françoise. Vous sçavez, Madame, qu’ils ont accoûtumé ce jour-là de faire celébrer une Messe solemnelle dans la Chapelle du Louvre. Mr l’Abbé de la Montagne, qu’ils avoient prié de faire l’Eloge de ce grand Saint, y joignit celuy du Roy, & employa de si brillantes couleurs dans ses diverses Peintures, que les Illustres qui l’écoutoient, n’eurent pas moins sujet d’admirer le tour éloquent qu’il donna à ses pensées, que ses pensées mesmes. On chanta pendant la Messe un Motet en Musique qui fut extrémement estimé. Il estoit de la composition de Mr Oudot, qui d’une commune voix passe maintenant pour un de nos meilleurs Maistres. Les Paroles du Motet estoient tirées de divers Pseaumes, dont les Versets estant joints les uns aux autres, à la mode des Centons, composent une Priere pour le Roy, en forme d’un nouveau Pseaume, où les plus considérables évenemens de nostre temps sont marquez, comme le soûlevement des principales Puissances de l’Europe contre le Roy, la rapidité inconcevable de ses Victoires, la Paix si glorieusement conclüe, & dont il a prescrit les conditions à ses Ennemis, le Mariage mesme de Monseigneur le Dauphin, & enfin les vœux de tous les Peuples pour de ce grand Roy. Il n’y a rien de plus ingénieux que cet Ouvrage. Aussi est-il de Mr Charpentier, l’un des plus celebres Membres de l’Académie Françoise. Il ne s’est pas contenté du Latin, il l’a encor expliqué en Vers d’une maniere presque inimitable, tant elle est serrée, précise & magnifique. Je ne doute point, Madame, que vous ne fassiez le même jugement de l’un & de l’autre de ces Ouvrages que je vous envoye.


PRO REGE

PRECATIO.

Ps. 71. v.1. Deus judicium tuum Reg? da,
Et justiciam tuam filio Regis.
2. v.1. Quare fremuerunt Gentes,
82. v.4. Et super populum tuum malignaverunt consilium ?
82. v.6. Cogitaverunt unanimiter simul adversus te,
82. v.5. Et dixerunt venite & disperdamus eum.
***
32 v.13. Respexit Dominus
17. v.15. & dissipavit eos,
17. v.15. Et misit sagittas suas
20. v.10. & devoravit eos ignis.
20. v.14. Cantabimus & psallemus virtutes tuas,
75. v.7. Quis resistet tibi ?
***
21. v.7. Facta est pax in virtute tua,
75. v.9. Auditum fecisti judicium, Terrae tremuit, & quievit.
66. v.5. Quoniam judicas populos in aquitate,
2. v.15. Beati omnes qui confidunt in te.
***
127. v.5. Benedicat tibi Dominus ex Sion,
147. v.2. Benedicat Filiis tuis in te.
17.v.6. Et videas filios filiorum tuorum,
44. v.17 Constitutes eos Principes super eminem terram.
***
44. v.11. Audi filia & vide,
v.12. Concupiscet Rex decorem tuum
v.3. Speciosus suis ferma prae filiis hominum.
44.v.17 Pro patribus tuis nati sunt tibi filii,
v.14 Omnis gloria filiae Regis.
***
85.v.9 Et glorificabunt nomen tuum,
148.v.12 Juvenes & virgines, senes cum junioribus.
***
27.v.9 Salvum fac populum tuum homine,
131.v.10 Propter DAVID servum tuum
27.v.9. Salvum fac populum tuum,
16. v.7 Qui salvos facis sperantes in te
19.v.10. Domine salvum fac Regem,
Et exaudi nos in die qua invecaverimus te.

PRIERE

POUR LE ROY.

Seigneur, inspire au Roy ton jugement sublime,
Inspire ta justice à son Fils magnanime,
Illumine leurs cœurs de tes vives clartez.
Pourquoy tant d’Ennemis, fiers Enfans de la Terre,
Ont-ils à ce Monarque osé livrer la guerre ?
Quelle aveugle fureur les avoit emportez?
***
Un seul de ses regards dissipa leurs Armées.
décoche sur eux ses fléches enflammées,
Dont le feu devorant consume leurs Etats ;
Chantons de ce Guerrier l’immortelle victoire,
Celébrons ses Vertus sources de nostre gloire ;
Qui pourra desormais resister à son Bras ?
***
La Paix de son pouvoir est un gage autentique ;
A cent Peuples armez sa volonté s’explique,
Et chacun à l’envy recherche son appuy ;
De tant de diférends un seul Juge décide,
Parce que l’équité dans ses Conseils préside ;
Heureux, quiconque a mis son espérance en luy.
***
Que du haut de Sion l'Eternel le benisse ;
Que sur luy sa bonté pleinement s’accomplisse ;
Qu’il benisse en son nom ses augustes Enfans ;
Puisse-t-il voir fleurir leur féconde Lignée,
Et que sa main, toûjours de force accompagnée,
De mille Nations les rende triomphans.
***
Princesse, à mes discours ne ferme point l’oreille ;
Un Roy dont la splendeur n’eut jamais de pareille,
Pour son Fils bien-aimé jette les yeux sur toy ;
Quitte sans déplaisir les lieux de ta naissance,
Tes Fils, de tes Parens repareront l’absence,
Toute gloire est promise à la Fille du Roy.
***
Ton Nom va devenir l’objet de nos Cantiques,
Ton Nom va résonner dans nos Festes publiques,
Le bruit s’en répandra dans les Climats divers ;
Nos Filles chanteront tes Grandeurs souveraines ;
Et ceux de qui le sang s’est glacé dans les veines,
Se joindront avec joye à ces nouveaux Concerts.
***
Ecoute-nous, Seigneur, réponds à nostre zele,
En faveur de LOUIS ton Serviteur fidele,
Aux besoins de ton Peuple accorde ton secours ;
Conserve ce grand Roy que ta bonté nous donne,
Et que tout ce qui peut ébranler sa Couronne,
Jamais de son bonheur n’interrompe le cours.

[Ce qui s’est passé à la Tragédie representée au College de Clermont] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 305-312.

Le 21. de ce Mois, la grande Tragédie, dont les PP. Jesuites font donner le Spéctacle tous les ans par leurs Ecoliers, fut représentée icy dans la Court de leur College sous le titre d’Erixene. Quantité de Personnes de la premiere qualité s’y trouverent, & la beauté de la Piece jointe au recit naturel & à la noble action de plusieurs Acteurs, satisfit extraordinairement toute l’Assemblée, qui estoit aussi nombreuse qu’illustre. Un grand Ballet distingua chaque Acte. Il faisoit voir la France victorieuse de l’Injustice par les Loix, de l’Ignorance par les beaux Arts, de ses Ennemis par les Armes, & d’elle-mesme par la Paix que LOÜIS LE GRAND y a donnée de la maniere du monde la plus glorieuse pour Luy, & la plus avantageuse pour l’Europe. Ce Ballet, qui estoit de la composition de Mr de Beauchamp, fut dansé par tout ce qu’il y a de meilleurs Maistres en France, & par plusieurs Enfans de qualité, entre lesquels on remarqua aisément Mr le Prince de Masseran, Mrs les Comtes de Nogent & de Coffé, & Mrs les Chevaliers de Montpezat & de Rochechoüard.

Sur la fin de cette Piece, on fit selon la coûtume la distribution des Prix fondé par Sa Majesté. Les Pensionnaires du College en remporterent une fort grande partie. Mr le Duc de Bourbon, Fils unique de S. A. S. Mgr le Duc, eut le premier Prix de Vers Latins qu’il avoit merité dans sa Classe par une composition aussi ingénieuse que juste. Ce jeune Prince ayant esté nommé pour le recevoir, sortit de la Chambre qu’on luy avoit préparée pour voir l’Action, precedé de la plûpart des Acteurs de la Tragédie, & accompagné de ses Gentilhommes, & de ses Enfans d’honneur. Il passa dans cet ordre au travers d’une double haye de Soldats du Regiment des Gardes, & vint au son des Trompetes, des Hautbois & des Timbales, & avec l’acclamation genérale de cette grande Assemblée, se placer dans un Fauteüil qu’on luy avoit élevé sur une Estrade au milieu du Theatre. Ce fut là que Mr le Comte de Coffé luy présenta le Prix qui luy estoit deû. En suite dequoy le Fils de Mr de la Marguerie qui avoit fait le Personnage du Roy dans la Tragédie, luy fit un Compliment Latin qu’on écouta avec grand silence, & aussitost les Acteurs distribuerent par tout des Vers qu’on venoit de faire à la loüange du jeune Prince, dont les belles qualitez ne font rien attendre de moins grand que ce qu’on voit tous les jours de son auguste Ayeul, & de son illustre Pere.

Mr le Prince Camille, troisiéme Fils de Mr le Comte d'Armagnac, Grand Ecuyer de France, mérita aussi un Prix, & on le couronna de la maniere qui estoit deuë à sa qualité. Le Fils de Mr Courtin Conseiller d'Etat, si connu par les belles Ambassades, & les Négotiations importantes qui luy ont esté confiées, en remporta cinq en Rhétorique, quoy qu'il n'y ait encor étudié qu'une seule année, & qu'il soit rare d'en voir remporter qu'à ceux qui passent deux ans dans cette Classe.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 312-313.

Voicy des Paroles qui font la peinture d’un Amant d’assez bon goust en amour. Elles ont esté mises en Air par Mr Daniel Neveu de Mr de Bacilly.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Iris, je vous offre mon cœur, doit regarder la page 312.
Iris, je vous ofre mon cœur ;
Mais s’il faut soûpirer, ou répandre des larmes,
Pour obtenir quelque faveur,
Je renonce à vos charmes.
La joye enflâme mes desirs,
Tous mes vœux en amour ne sont faits que pour elle,
Et ce n’est que dans les plaisirs
Que je suis constant & fidelle.
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[Jonction des deux Troupes de Comédiens François] §

Mercure galant, août 1680 [tome 10], p. 332-333.

Vous serez surprise quand je vous diray que les deux Troupes de Comédiens François ayant eu ordre du Roy de se joindre ensemble, ceux de l’Hotel ont cedé leur Lieu aux Italiens, & joüent présentement tous les jours sur le Théatre du Fauxbourg S. Germain avec ceux de Guenegaud. Cette union ne peut qu’augmenter les nombreuses Assemblées qu’on y a veües depuis fort longtemps.