1680

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13].

2015
Source : Mercure galant, octobre 1680 [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Régal donné à Chastillon sur Seine] §

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13], p. 29-38.

La Galanterie regne par tout, & elle n’est pas moins en usage dans les Provinces, que dans la Capitale du Royaume. Il suffit pour la faire agreablement éclater en quelque lieu, qu’il soit plein de Gens d’esprit qui aiment la joye, que les Dames y soient bien faites, & que les Hommes y cherchant à plaire, joignent à beaucoup de complaisance, ces manieres de vivre aisées, que la connoissance du monde fait acquérir. C’est ce qui se trouve depuis fort longtemps dans une petite Ville de Bourgogne nommée Chastillon sur Seine. Mr Soyrot, qui est un des plus considérables de ceux qui l’habitent, a une fort belle Maison de plaisance, qui n’en est éloignée que de cent pas. Elle est au milieu de la Prairie. Ce ne sont de tous costez que des chutes d’eau qui l’environnent. Elle a un fort grand Jardin coupé d'un tres-beau Canal, remply de toutes sortes de Poissons. Il y en a quantité de monstrueux. Les Terrasses, au milieu desquelles est bastie cette Maison, sont fort grandes, & ont de hauteur quinze ou seize pieds. Les Parterres sont placez dans ces Terrasses. Le Canal dont je viens de parler, coupe en parties égales huit quarrez, dont toutes les Platebandes sont d'Arbrisseaux, & de Fleurs fort rares. En suite est un jeune Bois de Charmes, planté par compartimens. La Riviere qui le borde aussi-bien que tout le reste, a plus de trois cens pas de longueur, & plus de vingt-cinq de large dans toute cette étenduë. Elle est profonde de plus de quinze pieds, & ses bords semblent avoir esté taillez au niveau, tant elle est droite. Trois petits Bateaux ou Gondoles, couverts de Toiles peintes, & environnez de Flâmes & de Giroüettes, servent tous les jours pour le divertissement des Dames. Je ne vous parleray point des Statuës qui sont sur le bord de cette Riviere, de plus de trente Bustes rares et antiques, de la beauté de deux Balcons l'un sur l'autre, dont le plus élevé est couvert de plomb ; d'une infinité de Pots & Quaisses d'Orangers, Jasmins & autres Fleurs ; d'un tres-agreable Sallon de Peintures, ny enfin d'une Chambre ornée de mille curiositez & dans un arrangement admirable. Je vous diray seulement que c’est la promenade ordinaire de tout ce qu’il y a de beau monde à Chastillon, & aux environs, qu’il n’y passe point d’Etrangers qu’elle n’attire, & que Mr Soyrot ayant voulu depuis peu de temps donner une Feste aux Dames, choisit ce beau lieu pour les régaler. Le Repas se fit sans confusion, quoy qu'il eust invité cinquante Personnes. Les Tables furent dressées dans le Sallon de Peintures, mais d'une façon extraordinaire, c'est à dire, qu'elles furent rangées du costé des Tableaux, & qu'on n'y laissa que l'espace necessaire pour chacun des Conviez. Ainsi elles furent servies par le milieu en ambigu, avec une propreté surprenante. Les Pyramides de Fruits toutes couvertes de Fleurs, faisoient un effet charmant. Le Bufet qui avoit esté construit de verdure dans le dehors, estoit tout plein de lumieres, aussi-bien que le Sallon. Les Violons & les Hautbois se firent entendre pendant le Soupé, les derniers sur la Terrasse, & les autres dans un des Balcons. Au sortir de table, on commença à dancer, & une heure apres tout le Jardin se trouva illuminé. La mesme chose sur le bord de la Riviere. À l’endroit où finissoit la Terrasse, estoit un Theatre, sur lequel on voyoit un Piedestal haut de quatre pieds, avec une Pyramide de dix autres pieds sur ce Piedestal, & tout au haut un Soleil sur une Lanterne qui estoit aussi de quatre pieds. Tout estoit garny de Feu d’artifice sur cette hauteur. Quantité de Vers galans & de Devises, ornoient cette Pyramide & le Piedestal. On avoit peint grand nombre d’Emblêmes autour de la frise du Theatre. Quatre petites Pieces de Canon que l’on entendit, firent connoistre qu’on alloit tirer le Feu. Six Tambours, avec les Fifres, Hautbois & Trompetes, répondirent à ce bruit, & en mesme temps ce fut un éclat prodigieux de plus de quinze cens Petars, Saucissons, Serpenteaux, Grenades, Lances à feu & Fusées volantes, qui firent un effet d’autant plus beau, que la nuit sembloit avoir une obscurité extraordinaire. Il y avoit plus de quatre mille Personnes dans le Jardin, & beaucoup plus au delà de la Riviere. Apres ce Spectacle, on recommença la Dance, & la Feste ne finit qu’avec le jour.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13], p. 189-190.

L’air de la nouvelle Chanson que je vous envoye est de Mr Charpentier.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Consolez-vous, chers Enfans de Bacchus, doit regarder la page 189.
     Consolez-vous, chers Enfans de Bacchus,
          A quoy bon ce chagrin étrange,
          En voyant nostre Vendange
          Couler avec si peu de jus?
     Nous n’en aurons pas en abondance,
               Mais en récompense
               Nostre Vin nouveau
               Vendangé sans eau,
                    Sera si fin,
                         Si divin,
               Si fort, si puissant,
               Si bon, si charmant,
                    Si brillant,
                    Si petillant,
          Qu’un seul Verre dans un Ecot,
Fera plus de fracas que n’auroit fait un Pot.
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[Magnificences faites à la Reception d’un Medecin de Montpellier] §

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13], p. 190-208.

Il n’y a personne qui ne connoisse dans quelle estime est l’Université de Montpellier, mais peut estre ignore-t-on, que chacun de ceux qui s’y font passer Docteurs en Medecine ou en Droit, estant obligé de donner une Feste à ses Amis, selon la dépense qu’il peut soûtenir, ces Festes sont quelquesfois d’une magnificence extraordinaire. Telle a esté celle qu’a donnée depuis un mois Mr Barbairac, à l’occasion d’un Fils unique reçeu dans la Faculté. C’est un Medecin qui possede quatre ou cinq cens mille livres de bien, & qui tous les ans en gagne encor quinze ou vingt. Une si grande richesse ne doit pas vous étonner, la Medecine estant florissante à Montpellier, & y attirant de tous les lieux de l’Europe un nombre infiny d’Etudians. Quoy que ce Fils n’ait aucun dessein de l’exercer la complaisance qu’il a pour un Pere dont les fatigues luy ont assuré une si haute fortune, l’a engagé à demander le Bonnet. Aussi a-t-il pris l’Epée aussi-tost apres la reception au Doctorat. Voicy quelle en fust la Cerémonie. Un jour avant qu’elle se deust faire, Mr Barbairac alla avec luy chez tout ce qu’il y a de Personnes de qualité dans la Ville, pour les prier de se rendre le lendemain, selon la coûtume, à la Faculté de Medecine, où l’on devoit recevoir son Fils Docteur. Les Dames invitées pour la plûpart aux Actes publics de cette nature, ne manquerent pas de s’y trouver. Les Hommes, pour luy faire plus d’honneur, voulurent aller chez luy, afin de l’accompagner au lieu destiné pour l’Assemblée. C’estoit une grande Salle, tapissée d’une Hautelisse achetée exprés, la plus magnifique qu’on eust pû trouver. Tous les Bancs aussi-bien que la Chaise du Docteur, estoient garni d'un Drap bleu, avec des Chifres de soye & d'or en plusieurs endroits. Ces Chifres servirent d'abord d'amusement à la Compagnie chacun s'attachant à les expliquer. On en vint à bout sans beaucoup de peine. OnI recherchoit une Fille de naissance, & cette recherche estant approuvée, on connut bien-tost que c'estoit son Nom entrelassé avec celuy de la Belle. Le Pavé estoit parsemé de Laurier & d'Herbes, avec force Fleurs. On observa les Cerémonies accoûtumées à le recevoir Docteur. On sortit ensuite, & on le remena chez luy dans l’ordre suivant. Quatorze Violons marchoient les premiers, avec Six Hautbois, & quatre Trompetes. Ils précedoient le nouveau Docteur, vétu d’une Robe noire, ayant un Bonnet carré couvert de soye rouge, une Chaîne d’or qui luy servoit de Ceinture, & un Diamant au doigt d’un prix tres considérable. On le voyoit au milieu des Professeurs de la Faculté, qui portoient leurs grandes Robes de Brocard rouge, avec des Bonnets couverts de soye de mesme couleur. Ils estoient suivis de plus de deux cens Docteurs, chacun en Robe noire & en Bonnet, marchant deux à deux, & ayant à leur teste leurs quatre Bedeaux en Robe & en Bonnet ainsi qu'eux. Ces Bedeaux portoient chacun une longue Masse d'argent. Les Parens & les Amis fermoient cette marche, les Dames vétuës avec une propreté admirable, & les Hommes dans un tres-grand ornement, chacun se piquant de contribuer à la beauté de la Feste. Le chemin depuis le lieu où l'on avoit fait la Cerémonie jusqu'à la Maison du nouveau Docteur, estoit parsemé d'Herbes & de Fleurs, ainsi qu'à la Faculté. En arrivant, on vit devant le Logis un Arc de triomphe, fait de branches de Laurier, & de quantité de Bouquets de fleurs mélées ensemble, avec des Tableaux, remplis tous des Chifres que je vous aiII déja expliquez. Sitost qu'on fust entré dans cette Maison, qui est une des plus belles & des mieux meublées de la Ville, chacun congratula le Docteur, & on le fit avec des témoignages de joye d'autant plus sinceres, que ses belles qualitez le font estimer de tous les honnestes Gens. Il est bien fait, a la taille belle, de l'esprit infiniment ; & comme il est libéral, & qu'il fait une tres-belle dépense, il voit tout ce qu'il y a de beau Monde à Montpellier, & est bien reçeu par tout. Les complimens faits, on pria la Compagnie de passer dans une Salle, qu’on avoit ajustée tres-proprement. Elle estoit fort grande, & tapissée d’un Brocard couleur d’or, avec de l’argent mélé. Les Chaises estoient garnies de mesme, & avoient pour ornement des Chifres en broderie. Comme c’estoit la Salle de Bal, le jour en avoit esté chassé dés trois heures apres midy, afin que la Dance eust plus de grace, estoit reparé par douze grands Lustres qui l’éclairoient, ainsi que des Bras dorez attachez de toutes parts. Apres que chacun se fust placé, le Docteur parut au milieu de l’Assemblée, mais fort diférent de ce qu’il estoit un moment auparavant. Un Habit de Cavalier rehaussoit sa bonne mine, & c’estoit un air galant qui faisoit bien voir que la Medecine n’estoit point son fait. Il alla prendre Mademoiselle de Bompar, Fille d’un Gentilhomme qualifié de ce mesme nom, & commença le Bal avec elle. Vous jugez-bien qu'il luy rendit cet honneur en qualité d'Amant déclaré. Cette Belle est grande, fort bien faite, a des cheveux noirs, les yeux de mesme, le teint du monde le plus uny & le plus blanc, la gorge charmante, l'humeur enjoüée, & une propreté qui fait qu'on l'admire dans ses habits les plus négligez. Elle estoit habillée ce jour-là d'une Gaze couleur de feu à grandes fleurs, avec une Jupe toute de Point d'Angleterre, coëfée de ses seuls cheveux, & ayant une Garniture de petit Ruban jaune & blanc qui luy donnoit un fort grand éclat. Aussi n'y eut-il personne qui n'avoüast que le prix de la beauté luy apartenoit. Le Bal dura jusqu’à huit heures, apres quoy la Compagnie se dispersa dans quatre Chambres, preparées pour le Soupé. Il y avoit dans chacune une Table de vingt-cinq Couverts, avec six Lustres pour l'éclairer. Ces quatre Chambres estoient tapissées d'un petit Brocard, l'un blanc, & les trois autres, jaune, vert, & rouge, les Chaises de mesme, & par tout des Chifres. Rien ne manqua au Régal, ny pour la magnificence, ny pour le bon ordre. Il y eut six Services à chaque Table, & douze Plats à chacun. Pendant le Soupé, un Chœur de Musique préparé dans chaque Chambre, fut un agreable divertissement pour les Conviez. Il estoit interrompu de temps en temps, par les Violons qui alloient par tout. À peine eut-on desservy, qu’on vint avertir les Dames que la Comédie les attendoit. On ne songeoit à rien moins qu’à ce plaisir. On l’alla prendre dans une grande Salle basse, où une Troupe de Comédiens avoit fait dresser un Theatre fort galant. La Tapisserie de cette Salle estoit blanche, toute enrichie de Ruban-Ponceau, qui faisoit le plus bel effet du monde. Les Comédiens représenterent la Devineresse, avec tous ses ornemens, & dans cette Représentation Madame Jobin se mit de si belle humeur, qu’elle réjoüit toute l’Assemblée. La Comédie faite, on repassa dans la mesme Salle où s’estoit tenu le Bal. Il y fust recommencé avec le mesme ordre ; & apres qu’on eut encor dancé environ deux heures, on vit paroistre douze grands Valets habillez fort proprement, & portant chacun une Corbeille pleine de Boetes de Confitures, garnies au dehors de Rubans de diférentes couleurs. La nuit qui estoit déja fort avancée obligeant les Dames à se retirer, on prit congé du Docteur, & en sortant on fut fort surpris de voir la Rue aussi éclairée que l'estoient les Salles de cette Maison. On y avoit suspendu des Lustres, & vingt Carrosses attendoient les Dames avec cent Valets, tenant chacun un Flambeau. Elles furent toutes conduites chez elle avec cette pompe. On continua la Feste pendant les trois jours suivans entre les plus intimes Amis. On ne manquoit point d’aller tous les soirs donner une Serenade à la belle Mademoiselle de Bompar avec un Chœur de Musique & les Violons, qui demeuroient là une partie de la nuit, éclairez par une si grande quantité de Flambeaux, qu’il ne s’est jamais rien veu de plus magnifique. Je n’ajoûte rien à ce Mémoire ; je crains mesme que le zele de celuy qui l’a dressé en faveur de son Amy, ne l’ait emporté un peu trop loin.

[Préparation du Triomphe de l’Amour] * §

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13], p. 279-281.

Le retour de la santé de Monseigneur le Dauphin, dont Mr Daquin & Mr Fagon ont toûjours eu soin, a causé une joye extraordinaire à toute la Cour. Il n’est point de termes qui puissent marquer combien Madame la Dauphine en ressentit au moment qu’on luy apprit qu’il n’avoit point eu d’accés. Elle fit tant de carresses à celuy qui luy porta le premier cette nouvelle, qu’on peut dire que tout son cœur se montra. La convalescence de ce jeune Prince fait qu’on prépare à la Cour avec plus d’empressement & de plaisir, un Balet, qui doit y estre dancé aussitost apres Noel. Je dis Balet, parce que ce n’est point un Opéra. Il n’y aura point de Comédie. Ce seront des Entrées mêlées de Recits, & le tout sera nommé, Le Triomphe de l’Amour. On y verra les Conquestes de ce Dieu sur tous les cœurs, qui auront passé pour insensibles. Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, plusieurs Princes, Princesses, Grands Seigneurs & Dames de la Cour, danceront dans ce Balet.

[Entrée de M. Gombaut Envoyé Extraordinaire du Roy à la Cour de M. le Landgrave de Hesse-Cassel] §

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13], p. 281-307 [extraits p. 281-307].

Mr de Gombaut, Envoyé Extraordinaire de Sa Majesté, a esté à la Cour de Mr le Landgrave de Hesse-Cassel, où la considération tres-particuliere qu’on a partout pour le Roy, l’a fait recevoir comme Ambassadeur, c’est à dire, avec les mesmes honneurs que l’on rend à ceux qui ont cette qualité. Je vous diray sur l'origine du mot de Landgrave, que les Allemans appellent les Comtes Graven, qui en vieux langage, signifie Juge & les Latins les appelle Comites, parce qu'anciennement la justice estoit renduë à la Cour, & que ces Juges accompagnoient toûjours l'Empereur. Phatlzgrave, Markgrave, & Burgrave, sont d'autres noms composez du mot Graven ainsi que Landgrave, & restraints par ceux de Phaltz, Mark, Land, & Burg, qui veulent dire, Palais, Frontiere, Païs, & Forteresse. Ainsi Phaltzgrave, signifie Chef de Justice du Palais Impérial; Markgrave, Juge d'un Province Frontiere; Landgrave, Juge d'une Province mitoyenne; & Burgrave, Gouverneur de quelque importante Forteresse, ayant droit d'administrer la Justice dans tout son Gouvernement. LE Phaltzgrave, c'est à dire, le Comte Palatin, estoit autrefois Chef de la Justice. Il n'y avoit point d'appel qui ne vinst à luy, & il décidoit avec l'Empereur de toutes les grandes Affaires. Les abus que commettoient les Landgraves & les autres, ayant obligé l'Empereur d'envoyer les Phaltzgraves en divers endroits pour empécher l'injustice, insensiblement ces Comtes Palatins s'apropriérent les Provinces de Saxe, de Baviere, de Franconis, & du Rhin. Quoy que ces quatre Principautez ayant eu la qualité de Palatinat, il n'y a plus que la derniere qui joüisse de ce titre. Les Markgraves & les Landgraves, qui n'avoient pour but au commencement que la conservation de l'équité entre les Sujets de l'Empire, prirent soin ensuite d'empécher que l'Ennemy ne fist tort à ceux de leur Jurifiction, & enfin ils éleverent leurs Charges en un si haut point, que la négligence des Empereurs laissant diminuer leur autorité, au lieu d'Officiers, ils devinrent proprietaires des Provinces qu'ils avoient en garde. De tous les Landgraves, il n'y a plus que la Maison de Hesse qui ne fasse son principal titre. Le Landgraviat d'Alsace, a esté transporté au Roy de France, par le Traité de Munster; celuy de Lauctemberg, à la Maison de Baviere, par le Mariage du Duc d'Albert avec Mechtildis, Heritiere de cette Principauté; celuy de Turinge, apartient aux Ducs de Saxe; celuy de Sausemberg, à un Marquis de Bande; & celuy de Nollembourg à la Maison d'Autriche. Outre ces Landgraviats, les Comtes de Furstemberg se qualifient Landgraves de Stillengen, & de Bath, & ceux de Sultz, se disent Landgraves de Klegau. Cependant, ils préferent le titre de Comte. La Maison de Hesse, qui descend de Charlemagne, peut disputer d'ancienneté avec tout ce que l'Allemagne a de plus illustre. Henry de Brabant, qui ne estoit le premier Landgrave, mourut en 1308. & n'a eu que de grands Hommes pour Successeurs. Cette Maison est divisée en deux Branches, depuis l'accommodement qui fut moyenné par Ernest de Saxe en 1647 entre Guillaume VI & George, tous deux appellez au droit de leurs Peres, à la Succession du Landgrave Loüis leur Grand Oncle, mort sans Enfans en 1604. Guyillaume, fut Chef de la Branche de Cassel qui est l'Aînée, & épousa une Soeur de l'Electeur de Brandebourg. Les deux Princesses ses Soeurs ont esté mariées, l'une a Henry-Charles de la Trimoüille, Duc de Toüars, Prince de Tarente, & l'autre, à Charles-Loüis, Electeur Palatin, denier mort. George, Chef de la Branche de Darmestadt, qui est la Cadete, a esté marié à la FIlle aïnée du feu Electeur de Saxe, & est mort en 1661. Son Fils Aîné a épousé une Fille de Frideric, Duc de Holstein, & une Soeur mariée à Philippe Guillaume, Duc de Neubourg. Vous voyez par là que chacune de ces Branches à des Alliances tres-considérables. L'une, suit la Réforme de Luther; & l'autre, celle de Calvin.

Je viens aux honneurs rendus à nostre Envoyé Extraordinaire. Vous en trouverez la Relation dans cette Lettre d’un Allemand de Cassel qu’on a fait traduire. Il écrit du 24. d’Aoust à un des ses Amis de Paris.

Traduction

d’une lettre

d’un allemand

de Cassel.

     Il faut que je vous fasse part de la joye que Mr le Landgrave a fait voir de l’arrivée d’un Envoyé Extraordinaire du Roy de France, & des marques qu’il luy en a données pendant le sejour qu’il a fait icy. On ne peut faire paroistre plus de reconnoissance de l’honneur qu’il a reçeu d’un si grand Monarque, ny plus d’estime pour celuy à qui cet Employ a esté donné. On nous a dit que c’estoit un Gentilhomme ordinaire de la Maison du Roy, nommé Mr de Gombaut. Il paroist âgé d’environ de trente-sept ans, est bien fait de sa personne, a l’air noble, & passe dans cette Cour pour un Homme universel. Il arriva le 8. de ce Mois en cette Ville, & envoya aussi-tost son Secretaire au Premier Ministre de Mr le Landgrave, & au Maréchal & Grand-Maistre de la Cour, pour leur en donner avis. Le mesme jour, Mr le Landgrave l’envoya complimenter sur son heureuse arrivée, par un de ses Premiers Gentilhommes, qui luy dit qu’on le viendroit prendre le lendemain sur les onze heures, pour le conduire à l’Audience. Les Carrosses arriverent à l’heure marquée. Il monta seul dans l’un des trois que luy envoya le Prince. Ce Carrosse estoit des plus magnifiques, & tiré par six Chevaux d’une admirable beauté. Ses Officiers entrerent dans les deux autres, avec des Gentilshommes de Mr le Landgrave. En suite, marcherent les Carrosses de l’Envoyé, tres-propres, & tirez aussi par six Chevaux, & un fort grand nombre d’autres Carrosses des Princes, & Princesses qui sont dans cette Cour, & des Personnes de qualité qui la composent. Le Train de cet Envoyé estoit fort leste. En arrivant au Chasteau, il y trouva la Garde du Prince qui estoit en haye, Tambour batant, & Enseignes déployées. Son Carrosse avança jusqu'au pied de l'escalier, où il fut reçeu par le Maréchal & Grand-Maistre du Prince, accompagnez de quarante Gentilshommes. Ils le devancerent tous jusqu'à la Porte de l'Antichambre, où le Prince se trouva. D'abord qu'il parut, tout le monde se rangea pour le laisser avancer vers l'Envoyé. Apres quelques complimens, ils entrerent tous deux de front dans la Chambre du Prince, où ils demeurerent assez peu de temps. Au sortir de là, cet Envoyé alla salüer Madame la Landgrave Regente, avec qui estoient Madame la Landgrave Doüairiere, Madame l'Electrice Palatine, la Princesse Soeur de Mr le Landgrave, & la Princesse de Curlande, Sœur de Madame la jeune Landgrave. Toute cette Cour se trouva dans l'Antichambre, où elle s'estoit avancée pour le recevoir. Il leur fit à toutes des complimens diférens, mais si justes, qu'il n'y en eut aucune qui n'admirast son esprit. L'heure du Dîné estant venuë, on servit un magnifique Repas. Les Princesses prirent place, & l'Envoyé fust assis entre Mr de Landgrave, & le Prince Philippe son Frere. Il eut le Cadenas ainsi que les Princes, & un Gentilhomme faisoit l'essay avant que de luy donner à boire. Ce Gentilhomme demeura toûjours de garde aupres de luy, pour prendre soin que rien ne luy pust manquer. Apres le Repas, il alla rendre visite au Prince Philippe, & à toutes les Princesses séparement, & fut charmé de la beauté, & de l'esprit de la Princesse de Curlande, qui répondit en François aux complimens qu'il luy fit. En suite on le conduisit dans un tres superbe Apartement de plein pied, à celuy de Mr le Landgrave, qui luy rendit sa visite dés ce mesme jour. Il a continué de manger avec le Prince, & les Princesses, & l'on a remarqué que Madame la Landgrave Regente, pour luy faire plus d'honneur, a presque tous les jours changé d'Habit. Elle en mettoit de tres-magnifiques, que Madame la Princesse de Tarante luy envoye de France. Mr de Gombaut en a aussi changé fort souvent, & on luy en a veu d'une riche Broderie, que l'on a trouvez aussi superbes que bien entendus. Comme il s'est heureusement rencontré dans cette Cour le jour de la Naissance du Prince, il luy fit un fort galant Présent d'Eventails, de Miniatures, de Pomades, Essences, Parfums, Gands, & autres curiositez. Mr de Landgrave témoigna l'estime qu'il en faisoit, en les distribuant aux Princesses qui en firent un honneur de tres-bonne grace à cet Envoyé. Tous les jours de son sejour n’ont esté que Festes, le Prince l’ayant toûjours régalé splendidement avec Symphonie & Musique de toutes sortes. Il a eu souvent le divertissement de la Chasse, & sur tout de celle des Cerfs dans les Toiles, où il a montré son adresse en les tuant à coups d’Epée & de Pistolet. La plus galante & la plus considérable des Festes qu’on luy a données, a esté celle du 14. de ce mois. Elle commença par un grand Soupé, servy dans un Cabinet richement orné de Peintures & de Lustres. Ce Cabinet est sur la Terrasse du grand Jardin qui donne sur le Véser, au dela duquel, & vis-à-vis du Cabinet, Mr le Landgrave avoit fait construire un Fort dans une grande Prairie. Toute la Garnison estoit rangée en bataille, entre le Fort & cette Riviere, & sous la Terrasse du Jardin, on avoit placé un grand nombre de Canons & de Bombes, qui tirerent toutes aussi bien que le reste de l'Artillerie, lors que Mr le Landgrave but à la Santé du Roy, & que l'Envoyé luy en fit raison. Quand on eut soupé au son de toute sorte d’Instrumens, placez à une juste distance pour ne nuire pas à la conversation ; les Dragons qui estoient en deça de la Riviere, la passerent sous le feu du Canon, & vinrent donner avec le reste des Troupes par trois endroits diférens. Le feu fut considérable, tant des Attaquans que des Attaquez, & dura une heure. Le Fort ayant enfin esté pris d’assaut, on y entendit de grandes Fanfares de Tambours & de Trompetes. Cela fut suivy d'un tres-beau Feu d'Artifice, que l'on avoit preparé le long du Veser. Ce Feu estoit composé d'un nombre presque infiny de Fusées volantes, qui firent un tres-agreable effet ; apres quoy on retourna à la Ville dans des Caleches richement parées, chacune attelée de six Chevaux. La quantité des Flambeaux qui les éclairoient, sembloit avoir ramené le jour, & il n'y avoit rien de si beau que ce Cortege. Je ne puis finir ma Lettre, sans vous apprendre la joye que tous les Catholiques de Cassel ont euë en particulier, de l’arrivée de Mr de Gombaut. Ce sera par là que vous connoistrez les respectueux égards qu’a nostre Prince, pour le Roy de France, puis qu’il a accordé à son Envoyé la permission de faire celebrer publiquement la Messe dans Cassel, ce qui n’avoit esté permis à aucun depuis plus de trente années, non pas mesme à feu Mr le Duc de Longueville, lors qu’il y passa pour le Traité de Munster. Mr le Landgrave luy avoit offert un Lieu particulier dans son Palais, pour y entendre la Messe, à huit clos, avec toute sa Maison, mais il aima mieux la faire dire dans le Logis où estoit son Train, croyant que cela feroit plus d’honneur à sa Religion, & seroit plus utile aux Catholiques Hessiens, qui n’auroient osé venir au Palais du Prince. Mr le Landgrave a eu beaucoup de regret de le voir partir si tost, & pour l'obliger à se souvenir de sa Cour, il luy a fait présent de six grands Gobelets, d'un grand Bassin cizelé, & d'une Eguiere faite en Autruche qui est sur une Montagne, avec un petit Cupidon sur le dos de cette Autruche, tui tient une Chaîne pour estre son Guide. C'est un travail qu'on peut dire rare, & qui surpasse infiniment la matiere. Mr de Gombaut a répondu à cette libéralité, en donnant quantité de Médailles qui contiennent les grandes Actions du Roy dans ses dernieres Campagnes, & faisant d'extraordinaires largesses à une partie des Officiers de Mr le Landgrave, qui a eu la genérosité de défrayer tout son Train, pendant le temps qu'il a esté à Cassel. Il est retourné à Munster, où l'Evesque de ce nom luy donne des marques de son estime, & reconnoist en sa Personne l'honneur qu'il reçoit d'avoir aupres de luy, de la part du Roy de France, un Envoyé dont le mérite se fait connoistre par tout.

Le Bavolet §

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13], p. 333-335.Catherine Cessac attribue le texte de cet air à J. Donneau de Visé (Bulletin de la Société Marc-Antoine Charpentier, Airs sérieux et à boire, n° 20 (2003), p. 3).

Voicy le Bavolet de Mr Charpentier, que vous avez tant d’envie de voir noté, & que la Troupe de Guenegaud adjoûta dés l’année derniere à la galante Piece de l’Inconnu. Comme on en doit donner quelques Représentations incontinent apres la Toussaints, ceux de vostre Province qui s’y trouveront, pourront vous dire combien cette agreable Chanson est aimée.

LE BAVOLET.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ne fripez poan mon Bavolet, doit regarder la page 334.
          Ne fripez poan mon Bavolet,
               C’est aujordy Dimanche.
               Je vous le dis tout net,
          J’ay des éplingues sur ma manche,
          Ma main peze autant qu’al est blanche,
               Et vous gagnerez un souflet,
          Ne fripez poan mon Bavolet,
               C’est aujordy Dimanche.

Attendez à demain que je vaze à la Ville,
               J’auray mes vieux habits,
                    Et les Lundis,
               Je ne sis pas si difficile ;
               Mais à présent, tout franc,
               Si vous faites l’impartinent ;
               Si vous gastez mon linge blanc ;
Je vous barray comme il faut de la haste,
Je vous bateray, pinceray, piqueray,
Je vous moudray, grugeray, pilleray,
Menu, menu, menu, comme la chair en paste ;
Hom, voyez-vous, j’avon une tarrible taste,
     Que je cachon sous not bonnet ;
     Ne fripez poan mon Bavolet, &c.
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[Tragédie nouvelle] §

Mercure galant, octobre 1680 [tome 13], p. 335-337.

La grande Troupe, qui est à présent l’unique, a représenté dans ce mois pour Piece nouvelle, le Solyman de Mr de la Tuilerie, dont on a fort estimé les Vers. Elle va souvent joüer à Versailles dans l’Apartement de Monseigneur le Dauphin, où elle divertit ce jeune Prince depuis le retour de sa santé. Mademoiselle de Chammeslé, qui n’avoit point encor eu l’honneur de joüer devant Madame la Dauphine, y a paru avec tant d’éclat, que quoy que cette Princesse en eust entendu dire beaucoup de bien, elle en a trouvé encor davantage, & est demeurée d’accord qu’il n’y eut jamais une maniere de joüer plus propre à toucher le cœur.