1681

Mercure galant, février 1681 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1681 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1681 [tome 2]. §

[Madrigal] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 1-4.

Je n’ay point douté, Madame, que la peinture, quoy que tres-informe, que je vous ay faite de la derniere Action du Roy, n’attirast de vous l’admiration que vous me marquez. Elle est le sujet de mille loüanges qui retentissent dans tout le Royaume ; & ceux qui n’ont point de part aux avantages qu’en ont reçeu les Interessez, ne montrent pas moins d’empressement à publier que rien n’approcha jamais de la grandeur d’ame de nostre auguste Monarque. Ainsi quand on songe à la perte volontaire de ce Procés que l’exacte rigueur de la Justice luy eust fait gagner, il n’y a personne qui n’entre dans les sentimens de l’Autheur du Madrigal que vous allez voir, & qui ne dise avec luy,

Du Rhin impétueux avoir dompté les flots,
Avoir soûmis l’orgueil de la fiere Allemagne,
A demander la Paix avoir réduit l’Espagne,
Avoir du Monde entier assuré le repos ;
Grand Roy, tous ces Exploits feroient plus d’un Héros ;
Mais avoir contre toy pris en main la Balance,
Contre toy de ton Peuple avoir pris la défence,
T’estre toy-mesme condamné,
Ces Exploits inconnus aux Héros de l’Histoire,
Font bien voir que par tout tu trouves la victoire,
Puis que mesme en perdant elle t’a couronné.

[Dialogue] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 18-26.

Quelque fierté dont s’arment les Belles, il est difficile qu’elles se défendent longtemps de témoigner qu’elles sont sensibles, quand un Amant digne d’estre aimé, sçait faire valoir ses plaintes. Vous l’allez connoistre par ce Dialogue.

TIRCIS, PHILIS.

TIRCIS.

Philis, vous fuyez qui vous aime,
En vain je vous suis pas à pas.
Si pour moy vous faisiez le mesme,
Helas ! je ne vous fuirois pas.
Pourquoy m’accablez-vous d’un traitement si rude ?
Est-ce le prix de mon amour ?
Philis, c’est une ingratitude
Dont je verray le Ciel vous punir quelque jour.

PHILIS.

Je ne crains point cette injuste menace,
L’Amour n’a jamais pû me ranger sous sa Loy ;
Tu dis que tu n’aimes que moy ;
Tircis, que veux-tu que j’y fasse ?
Peut-estre si j’aimois, un autre auroit ma foy,
Peut-estre aussi n’aimerois-je que toy.
C’est le Destin qui veut que je sois…

TIRCIS.

  Inhumaine !

PHILIS.

Dis-moy, t’ay-je promis, que sensible à ta peine,
Je soulagerois tes ennuis ?
Je te plains de m’aimer, c’est tout ce que je puis.
Je te souhaite un cœur qui réponde à ta flâme,
Un cœur plus tendre que le mien,
Un cœur que ton amour enflâme ;
Comptes-tu tout cela pour rien ?

TIRCIS.

C’est beaucoup en effet, & ma triste mémoire
N’oublira jamais ce bienfait ;
Mais si mon cœur m’en vouloit croire,
Il vous pourroit épargner ce souhait ;
Car enfin qu’espérer de vostre indiférence ?
Vous m’accablez de mille maux,
Et vous ne me plaignez de ma perséverance,
Que pour m’en causer de nouveaux.
Ou cessez à l’Amour de vous montrer rebelle,
Et modérez vostre rigueur ;
Ou confessez enfin que d’une main cruelle
Vous vous plaisez à me percer le cœur.
Je vous aime, Philis, est-il rien de plus tendre ?
Quel crime peut commettre un cœur en vous aimant ?
L’Amour vous sollicite en faveur d’un Amant,
Voulez-vous toûjours vous défendre ?

PHILIS.

Fierté, mépris, cessez de vous cacher,
Mon cœur commence à se laisser toucher,
Prestez-moy de nouvelles forces
Pour éteindre mes premiers feux.
Et toy, de mon repos ennemy dangereux,
Va-t-en porter ailleurs tes trompeuses amorces.
Mon cœur renonce à tes plaisirs,
C’est en vain que tu fais tes efforts pour me nuire,
C’est en vain qu’employant mille tendres desirs,
Tu crois, flateur Amour, à la fin me séduire.
Fierté, mépris, cessez de vous cacher,
Mon cœur commence à se laisser toucher.

TIRCIS.

Pourquoy vous montrer inhumaine,
Et pourquoy m’accabler d’une nouvelle peine ?
Qu’ay-je fait que de vous aimer ?
Mon cœur vous adore sans cesse.
Si vous voulez qu’on vive sans tendresse
Pour ces beaux yeux qui sçavent tout charmer,
Pourquoy, Philis, nous enflâmer ?
Pourquoy d’un doux regard assujetir nos ames ?
Pourquoy nous faire aimer un cœur qui n’aime rien ?

PHILIS.

Mon cœur plus tendre que le tien,
S’efforce d’éteindre ses flâmes ;
Cependant…

TIRCIS.

Ah, Philis, poursuivez.

PHILIS.

  Je ne puis,
Adieu, ferme les yeux sur le trouble où je suis.
A te bien oublier je mets tout en usage,
Je ne le cele point, je voudrois te haïr,
Mon cœur à ma fierté refuse d’obeïr,
Tircis, que veux-tu davantage ?

Ce Dialogue a esté fait par une Personne dont le nom vous est connu. Il est de la Solitaria del Monte Pinceno. Vous voyez par là que je l’ay reçeu de Rome. On y a fait depuis peu un illustre Mariage. C’est celuy de Mr le Prince Gaëtan, qui a épousé Mademoiselle Barberin, Fille de Mr le Prince de Palestrine, Petit-Neveu d’Urbain VIII. & Neveu des fameux Cardinaux, François & Antoine Barberin.

[Mort d’Henry de Bancalis]* §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 36-42.

Cette mort a esté précedée de celle de Henry de Bancalis, Sr de Pruines, qui est mort d’apopléxie le 15. de Janvier, dans sa soixantiéme année. C’estoit un Gentilhomme des plus anciennes Maisons de Roüergue. On ne peut rien adjoûter à l’exactitude avec laquelle il s’est acquité des divers Emplois qui luy ont esté donnez. Il fut d’abord Capitaine de Chevaux Legers dans le Regiment de S. Simon, & en suite Capitaine-Exempt des Gardes du Corps du Roy. Il avoit l’esprit vif, le jugement tres-solide, & s’estoit acquis par ses longs services l’estime particuliere de Sa Majesté. La confiance qu’Elle eut en luy en fut une preuve, quand Elle le choisit entre tous les Officiers de sa Maison pour l’honorer de la Charge de Commandant des Gardes de la Reyne, qu’il a exercée plusieurs années pendant l’absence du Roy, qui estoit alors à la teste de ses Troupes. La Reyne le considéroit, & il s’estoit fait aimer de toute la Cour. Pour récompense de sa fidelité & de son zele, Sa Majesté luy donna la Majorité de Senlis, avec la Lieutenance des Chasses de la Capitainerie Royale de la mesme Ville, dont Monsieur le Prince est Capitaine ; & à Mr de Pruines son Frere, l’Abbaye de Nostre-Dame d’Ardores au Diocese de Castres. Cet Abbé qui a porté autrefois les armes avec beaucoup de succés, donne tous les jours des exemples de pieté & de vertu qui le font estimer de tout le monde. Celuy dont je vous apprens la mort, a laissé deux Garçons & une Fille. L’Ainé a esté nourry Page de la Grande Ecurie, & ne fut pas plutost sorty de ce poste, qu’il entra dans les Gardes du Corps, où il se fit distinguer dés sa premiere Campagne par une action de bravoure qui eut d’illustres Témoins. Ce fut à la fameuse Bataille de Senef. Un Officier Ennemy sortit de ses Rangs, & s’avança vers nos Troupes pour faire le coup de Pistolet. Mr de Pruines se détacha aussitost de son Escadron, courut vers cet Officier, essuya ses deux coups de Pistolet, luy appuya le sien dans les reins, & le tua sur la place. La mort de Mr de Pruines son Pere l’a mis en possession de la Charge de Capitaine-Exempt, dont le Roy luy avoit donné la survivance. C’est particulierement dans la perte qu’il vient de faire, que Leurs Altesses Serénissimes luy ont marqué l’estime qu’Elles font de sa Personne par le Présent de la Lieutenance des Chasses de Senlis. Comme la Charge de Capitaine-Exempt des Gardes du Corps l’oblige d’estre souvent à la Cour, & d’aller à l’Armée, Monsieur le Prince a donné un Brevet honoraire de Lieutenant des Chasses à Mr de Pruines son Oncle, afin qu’il puisse exercer cette Charge en son absence. Le Cadet dont je ne vous ay encor rien dit, a esté pourveu par le Roy depuis trois ans de l’Abbaye de Boisaubry au Diocese de Tours. Ce jeune Abbé se fait voir le digne Heritier des belles qualitez de Mr son Pere. Il a l’esprit aussi fin, les manieres aussi délicates, beaucoup de facilité pour les belles Lettres, la mémoire heureuse, & enfin tout ce qu’on peut souhaiter pour faire un tres-honneste Homme.

Air §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 45-46.

Vos Amis qui aiment tant vostre belle voix, ont eu raison de vous dire que la Chanson du dernier mois, qui commence par Dans nos Bois, Tircis, &c. se chante icy depuis quelque temps. J’aime mieux ne vous les pas envoyer toutes nouvelles, & estre assuré qu’elles sont des plus grands Maîtres. Du moins je vous les donne notées, & fort correctes, avant que personne en ait de Copies. Je ne doute point que vous ne chantiez celle-cy avec plaisir.

AIR.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Vous vous plaignez qu’Iris est trop severe, doit regarder la page 46.
Vous vous plaignez qu’Iris est trop severe,
Que jamais elle n’aimera.
Aimez-la tendrement, prenez soin de luy plaire,
Amour vous aidera,
Laissez-le faire.
***
Engagez-la dans ce tendre mistere,
Toute sa rigueur finira.
Aimez-la tendrement, &c.
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[Plusieurs madrigaux] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 46-50.

 

Voicy des Vers qui ont esté faits pour une belle Personne, en luy envoyant une Corbeille de Fleurs pendant la rude Saison. Ils sont du Druïde de Saumur.

A MADEMOISELLE P*

La terre, des glaçons ne craint point les rigueurs,
Quand elle vous doit rendre un tribut de ses Fleurs,
Rien n’en peut contre vous ruiner l’abondance.
C’est en vain que le froid la veut couvrir d’effroy.
Helas ! de nos destins voyez la diférence,
Tout est Printemps pour vous, tout est Hyver pour moy.

Les deux Madrigaux qui suivent sont du mesme Autheur, & pour la mesme Personne.

SUR LE DEPART D’UNE
Belle, dans le temps qu’on voyoit paroître la Comete.

Un Etoile fatale alarme l’Univers.
Tous les Esprits en font des jugemens divers.
Chacun s’efforce à la dépeindre.
Pour moy je ris de son horreur,
Le feu ne me fait point de peur,
Et j’ay d’autres malheurs à craindre.
Iris a résolu de quiter ces beaux Lieux,
Elle a mesme déja commencé ses adieux,
Ce funeste départ me trouble & m’inquiete,
C’est là ce qu’il faut craindre, & non pas la Comete.

POUR LA MESME.
Sur ce que les Glaces ont retardé son départ.

Neges, frimats, glaçons, horreur de la Nature,
Sans raison contre vous on s’emporte, on murmure ;
Graces à vos rigueurs, Iris ne s’en va pas.
Neges, frimats, glaçons, que vous avez d’appas !
Vostre plus grande horreur est un charme à ma veuë.
Je vous aime bien mieux que le plus beau Printemps,
Par vos soins obligeans Iris est retenuë ;
Hyver, charmant Hyver, helas, durez longtemps.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 50-70.

Ce qui est marqué dans l’un de ces Madrigaux de l’apparition de la Comete, me fait souvenir que je vous ay promis le Recit d’une Avanture sur cette matiere. Je vay vous tenir parole.

Une fort jolie Personne, noble de naissance, mais manquant de Bien, s’estoit attachée en qualité de Suivante aupres d’une Dame d’un rang distingué. La Dame qui avoit toûjours eu une conduite assez réguliere, & que l’âge mettoit au dessus de l’ordinaire scrupule des Femmes, dont la plûpart ne veulent point aupres d’elles des Filles bien faites qui pourroient les effacer, aimoit à satisfaire ses yeux, & avoit choisy celle dont je vous parle, préferablement à beaucoup d’autres. Il y avoit environ trois ans qu’elle estoit chez elle, & les services qu’elle en recevoit luy donnant tout lieu d’en estre contente, elle auroit esté ravie d’aider à la marier, s’il se fust offert un Party avantageux. La Suivante s’attiroit assez de douceurs de tous ceux qui la voyoient, mais si-tost qu’on remarquoit qu’elle estoit incapable de s’attacher qu’en faveur d’un Homme qui voudroit songer au Sacrement, les plus fortes protestations cessoient, & son manque de fortune la faisoit trouver moins belle. Un jour qu’on la pria d’une Nôce, elle y parut avec tant d’éclat, qu’un Parent du Marié en fut ébloüy. Il estoit riche, maître de luy mesme, & prest à prendre une Charge, qu’il pouvoit payer argent comptant. Pendant tout ce jour il entretint l’aimable Suivante, & luy fit d’autant plus d’honnestetez, que sa naissance paroissant dans ses manieres, & tout ce qu’elle disoit estant fort juste, il ne trouvoit pas moins de plaisir à l’entendre qu’à la voir. Ce plaisir luy fut sensible, & ne pouvant se résoudre à y renoncer sitost, il luy demanda en la remenant, s’il ne pourroit point quelquefois luy rendre visite. La Belle luy dit qu’elle avoit des heures dont on vouloit bien qu’elle disposast, & conta à sa Maîtresse, dans la seule veuë de la divertir, la demy-conqueste que le hazard luy avoit fait faire. La Dame ayant sçeu que le nouveau Soûpirant demandoit à voir, luy ordonna de le recevoir quand il viendroit, & ne douta point qu’en le ménageant adroitement, elle ne trouvast le secret de l’engager à quelque proposition de Mariage. L’Amant vint deux jours apres. La Belle que la Dame autorisoit, le fit monter dans sa Chambre, & sçeut si bien le charmer, qu’insensiblement il se rendit assidu. Cependant comme pour ne pas l’effaroucher, elle crût devoir ne luy rien dire d’abord de trop pressant sur le dessein qu’il pouvoit avoir, il se contentoit de l’assurer que sa veuë faisoit sa plus forte joye. La connoissance qu’il avoit de sa vertu, le tenoit dans un respect dont il voyoit bien qu’il ne pouvoit s’éloigner sans estre banny ; mais quelques tendres protestations que son amour luy fist faire, il ne venoit point aux mots décisifs. La Belle qui trouvoit son compte à l’épouser, & qui commençoit à n’estre point indiférente pour luy, tâchoit de parvenir à ses fins par toutes les marques d’estime que l’intérest de sa gloire luy pouvoit permettre, quand le hazard termina l’affaire. L’Amant avoit passé une apresdînée presque toute entiere dans sa Chambre ; & sur le point de luy dire adieu, il s’avisa de luy demander si elle avoit veu la Comete. Elle se montroit seulement depuis deux jours ; & comme toutes les choses extraordinaires frapent fortement, cette nouvelle apparition faisoit parler tout Paris. La Belle qui avoit déja appris qu’on voyoit une Comete, témoigna beaucoup d’envie de sçavoir par elle-mesme comment estoit faite cette longue Queuë qui effrayoit tant de Gens. L’Amant luy dit aussitost, que sans aller loin, elle pouvoit avoir ce plaisir ; qu’il ne falloit que monter au lieu le plus haut de la Maison, qui estoit tres-élevée, & que de là, il luy seroit aisé de se satisfaire. La Belle voulut contenter sur l’heure l’humeur curieuse qu’elle avoit marquée, & laissant prendre la lumiere à son Amant, elle monta avec luy jusqu’au Grenier, d’où elle vit fort commodement cette nouvelle Planete. Apres l’avoir regardée autant qu’il luy plût, elle prit le Chandelier pour retourner dans sa Chambre ; mais ce fut avec si peu de précaution, qu’en le panchant par mégarde, la Chandelle s’échapa, & s’éteignit en tombant. Cet incident luy parut fâcheux. Quoy que tout le monde fust persuadé de l’exactitude de sa conduite, elle n’estoit pas bien aise qu’on la surprist sans lumiere avec un Homme qui passoit pour son Amant. Tandis qu’elle examinoit si elle devoit descendre seule ou accompagnée, elle entendit tout-à-coup cinq ou six Personnes qui montoient. C’estoit sa Maîtresse, que la mesme curiosité amenoit, & qui suivie de quelques Amis, venoit aussi au Grenier pour voir la Comete. Ce contre-temps mit la Belle au desespoir. Elle ne pouvoit se laisser surprendre avec son Amant dans un lieu secret, sans s’exposer à des railleries qui alarmoient sa fierté. Son innocence avoit beau parler pour elle. La Chandelle éteinte estoit la conviction d’une entreveuë condamnable, & les moins sujets à prendre les choses au criminel, en auroient jugé sur les apparences. Comme il n’y avoit aucun temps à perdre, elle obligea son Amant à se cacher. Il s’enfonça dans le Foin le mieux qu’il luy fut possible, & elle alla au devant de sa Maîtresse, à qui elle dit qu’en regardant la Comete, le vent l’avoit laissée sans clarté. Après qu’on eut observé pendant un quart d’heure la figure & la situation de ce nouvel Astre, la Dame craignit que ses Domestiques, qui estoient en fort grand nombre, ne devinssent curieux à son exemple ; & comme elle avoit de grandes précautions pour prévenir tous les accidens du feu, en sortant, elle ferma elle-mesme le Grenier, & en emporta la Clef, dont la Suivante s’ofrit inutilement à estre dépositaire. Elle voulut la garder, & la mettant dans sa poche, laissa cette aimable Fille fort embarassée de son Prisonnier. Quand en se couchant, elle ne l’eust pas cachée sous son chevet, la Suivante n’eust pû éviter d’estre découverte, en allant si tard le tirer de sa prison. D’ailleurs, qu’en eust-elle fait tout le reste de la nuit, puis que le Portier tenoit toûjours la Maison fermée si-tost qu’on avoit soupé ? Il falut donc se résoudre à laisser les choses comme elles estoient. Tout ce qu’elle pût pour consoler son Amant de sa disgrace, fut d’aller luy dire à la porte du Grenier, qu’il prist patience, & qu’elle luy tiendroit compte des méchantes heures qui luy restoient à passer. Le Poste avoit dequoy luy déplaire, mais enfin la chose estoit sans remede, & il eut besoin de l’amour qui l’échaufoit, pour moins sentir le grand froid de la saison. Il se fit une maniere de Loge au milieu du Foin, la plus commode qu’il pût, & y demeura fort inquiet de la fin de l’Avanture. Jugez de quelle longueur luy parut la nuit. Le lendemain, le Cocher ayant esté demander la Clef à la Dame, ouvrit le Grenier sur les dix heures pour prendre la provision de ses Chevaux. Apres cinq ou six botes de Foin jettées dans la Court, il en prit une à l’endroit où l’Amant s’estoit caché, & en la tirant, il aperçeut une de ses jambes. Il ne douta point que ce ne fust un Voleur, & craignant de n’en pouvoir estre maître s’il eust voulu l’arrester, il sortit incontinent, ferma le Grenier tout de nouveau, & alla chercher un Commissaire, sans dire à personne ce qu’il avoit veu. Il en parla seulement quand le Commissaire suivy de tous les Laquais monta au Grenier. Le bruit d’un Voleur caché, qui passa soudain de bouche en bouche, ayant fait connoître à la Suivante que son Amant estoit découvert, elle courut à la Chambre de la Dame, l’instruisit de ce qui s’estoit passé le soir précedent touchant la Comete, & se jettant à ses pieds, la conjura d’empescher qu’on ne fist insulte à un honneste Homme. Dans ce mesme temps on luy amena l’Amant de la Belle. Tous ceux du Logis l’ayant reconnu, il avoit prié le Commissaire de luy faire voir la Dame, qu’il vouloit entretenir en particulier. La Dame prévint ce qu’il avoit à luy dire. Comme sa prise avoit fait éclat, & qu’en rappellant les circonstances, l’honneur de la Belle s’y trouvoit intéressé, elle dit d’abord à ce prétendu Voleur, qu’il avoit trop bonne mine pour pouvoir croire qu’il se fust caché dans aucun mauvais dessein, & tombant de là sur le commerce secret de luy & de la Suivante, dont il ne pouvoit disconvenir, apres qu’on l’avoit trouvée le soir sans lumiere dans le mesme lieu où il venoit de passer la nuit, elle adjoûta qu’estant Demoiselle, & d’une naissance qui méritoit bien qu’il fermast les yeux sur son manque de fortune, il ne devoit point prétendre qu’on luy permist de sortir, qu’il n’eust reparé en l’épousant le tort qu’il faisoit à sa réputation. L’Amant qui ne songeoit à rien moins qu’à se marier si-tost, & qui peut-estre n’y eust jamais songé tout-de-bon, se vit obligé de parler François. Quoy que son commerce fust innocent, ce qui estoit arrivé servoit contre luy de preuve. Il avoit affaire à une Femme dont le crédit pouvoit tout. La Belle estoit tres-aimable, avoit beaucoup de vertu, & dans le fond de son cœur l’Amour parloit fortement pour elle. Toutes ces raisons l’empeschant de balancer, il signa sur l’heure un Traité de Mariage, & trois jours apres, la Cerémonie s’en fit. La Dame paya les frais de la Nôce, & tout s’y passa avec une égale satisfaction des deux Parties. Vous voyez par là qu’on n’a pas raison de dire que les Cometes ne présagent rien que de malheureux, puis que celle-cy a contribué au bonheur d’une Personne, à qui la Fortune avoit esté jusque-là tres-peu favorable.

Sur la Comete. Sonnet. §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 70-73.

Nous commençons d’entrer dans un temps qui nous engage aux plus pieuses refléxions. Ainsi, Madame, je croy qu’il ne sera point hors de propos de vous faire part d’un Sonnet que fit Mademoiselle de Castille lors que la Comete commença de se montrer. Vous vous souviendrez que ce fut vers les Festes de Noël.

SUR LA COMETE.
SONNET.

Quand du Sauveur naissant nous celébrons les Festes,
Quel feu nouveau ternit tous les feux de la nuit ?
Toute-puissante Main du Dieu qui l’a produit,
Enseigne-nous quels biens, quels maux tu nous aprestes ?
***
Vient-il nous menacer de nouvelles tempestes ?
De nos saintes ardeurs annonce-t-il le fruit ?
Est-ce un Chemin de Lait qui vers Toy nous conduit ?
Est-ce un Torrent de feu qui fondra sur nos testes ?
***
Est-ce l’heureux Flambeau qui conduisit les Rois ?
Ou ce Glaive enflâmé, qui punit autrefois
L’insolent attentat de nostre premier Pere ?
***
S’il vient encor punir les superbes Humains,
N’en frape que leurs cœurs dans ta juste colere,
Et leurs larmes, Seigneur, l’éteindront dans tes mains.

Traduction de l’Ode XI. du Livre d’Horace §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 73-76.

L’excellent Discours que vous avez veu sur les Cometes dans ma Lettre du dernier mois, fait assez connoistre qu’il n’y a rien de plus trompeur que l’Astrologie. Horace est cité parmy les fameux Autheurs qui traitent de crime l’empressement curieux de penétrer l’avenir. L’Ode dans laquelle il s’en explique, a esté traduite depuis peu d’une maniere si agreable, que je croy vous faire plaisir de vous l’envoyer.

TRADUCTION DE
l’Ode XI. du Livre d’Horace, qui commence par Tu ne quæsieris scire.

Du terme de nos jours ne soyons point en peine,
C’est un secret, Philis, qui n’est que pour les Dieux.
Méprisez ces Trompeurs, dont la science vaine
Se vante follement de lire dans les Cieux.
***
Attendons en repos l’ordre des Destinées ;
Prests à leur obeïr, en tous lieux, en tout temps ;
Soit qu’il nous reste encor un grand nombre d’années,
Ou qu’enfin nous touchions à nos derniers momens ;
***
Ne songeons qu’aux plaisirs que donne la Jeunesse ;
Nos jours durent trop peu pour de si grands desseins.
Le temps, cet heureux temps, se dérobe sans cesse,
Et fuit bien loin de moy pendant que je m’en plains.
***
Profitez en ce jour des douceurs de la vie ;
Songez-bien qu’il s’en va pour ne plus revenir ;
Et qu’apres tout, Philis, c’est faire une folie,
De perdre le présent à chercher l’avenir.

[Réjoüissances faites à Grenoble apres le Serment presté par M. de Virieu pour la Charge de Premier Président du Parlement de la mesme Ville] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 79-84.

Vous avez appris par quelqu’une de mes Lettres la Reception de Mr le Marquis de Saint André Virieu, en la Charge de Premier Président au Parlement de Grenoble. Il en est venu prester le Serment entre les mains de Sa Majesté, dont il a esté reçeu avec tous les témoignages d’estime qu’il pouvoit attendre de ce grand Monarque. Il a usé de beaucoup de diligence pour son retour, & s’y est crû obligé, non seulement comme Chef d’une auguste Compagnie, mais encor comme Commandant dans le Dauphiné, en l’absence de Mr le Duc de Lesdiguieres qui en est Gouverneur, & du Lieutenant de Roy. Il partit de Grenoble au temps des Vacations d’Octobre, & y retourna pour la premiere Audience de l’ouverture des Roys. Cette Ville qui a naturellement de l’inclination à honorer ses Magistrats, a des obligations tres-particulieres de revérer cet illustre Chef de son Parlement, par les soins continuels qu’il donne à la tranquilité publique, & à la Police, par l’application qu’il fit paroistre ces années dernieres pour établir le bon ordre, contre les miseres de la disette des grains, & par la pieté qu’il joint à celle de Mr le Camus, Evesque de la mesme Ville, pour l’entretien du grand Hôpital. Aussi tous les Ordres coururent chez luy en foule, pour luy faire compliment à son retour. Les Officiers de la Milice, qui en diférentes occasions l’ont eu pour leur Commandant, ne furent pas les derniers à luy en marquer leur joye. Ils se rendirent chez luy en Corps, ayant Mr Baudet Pere du Conseiller de ce nom à leur teste, comme le plus ancien Capitaine, devancez & suivis par les Sergens des Quartiers qui portoient leurs Hallebardes, & marchoient chacun suivant le rang de chaque Quartier. Le soir il y eut des détachemens d’un certain nombre de Mousquetaires de toutes les Compagnies. Ils furent rangez dans la grande Court des Peres Dominiquains, par les soins de Mr le Clair qui fait la fonction d’Ayde-Major, & qui joignit aux Détachemens dont je vous parle une fort agreable Symphonie de Hautbois, Violons, Musetes, & autres Instrumens. Tout cela marcha avec une partie des Officiers à la lueur d’un grand nombre de Flambeaux, & alla occuper la Ruë de l’Apartement de Mr de S. André, où les Salves & la Symphonie firent un effet merveilleux. Voila, Madame, quelles ont esté les Réjoüissances de la Ville de Grenoble pour le retour de son Magistrat.

[Plaidoyer pour M. Baudry du Buc, prétendu Religieux Cordelier] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 87-89.

En vous parlant d’un Chef de Justice, il me souvient que vous me demandastes il y a quelques mois, des nouvelles d’un Procés qui faisoit alors grand bruit, & pour lequel tout Paris sembloit estre partagé. Il s’agissoit de la Succession de feu Jacques Baudry, Ecuyer Sr du Buc, & de Dame Marie des Hayes, demandée par Mr Baudry du Buc leur Fils, prétendu Religieux Cordelier ; contre diférens Coheritiers de cette mesme Succession. Le détail qu’il auroit falu vous faire de toutes les difficultez qui se rencontroient dans ce Procés, estoit si grand, qu’il ne me fut pas possible de satisfaire vostre curiosité dans ce temps-là. Vous n’aurez plus rien à souhaiter là-dessus, puis que je vous envoye aujourd’huy le Plaidoyé de Mr Lordelot. Il contient l’Histoire de la Vie de Mr Baudry, pleine d’incidens fort rares, avec un Traité touchant la validité des Vœux des Religieux. Tous ceux qui l’ont vû, assurent qu’il n’a rien perdu sur le papier de la beauté que l’on y trouva, lors qu’il fut prononcé en la Grand Chambre. Il a esté lû avec plaisir, & mesme à la Cour, où les Ouvrages de cette nature ne sont pas ordinairement fort recherchez.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 89-105.

Ceux qui croyent qu’un amour tres-violent ne peut naître tout d’un coup, seront convaincus de leur erreur, par ce qui est arrivé depuis six semaines. Une Dame de Province venuë à Paris pour quelques affaires de Famille, alla peu de jours apres entendre la Messe aux Minimes de la Place Royale. Dans le temps qu’elle descendoit de son Carrosse, un Cavalier tres-bien fait descendoit aussi du sien. Il fut frapé dés ce mesme instant de la beauté de la Dame. Malgré la rigueur de la saison, elle avoit un teint dont l’éclat ébloüissoit ; & ce qui le rendoit plus admirable, c’est qu’on voyoit bien qu’il estoit tres-naturel. Des yeux bleus, aussi brillans que spirituels, une belle bouche, un nez des mieux faits, des traits délicats, & un tour de visage merveilleux, vous font le portrait de cette aimable Personne. Joignez à cela une taille des plus fines, & un air si remply de majesté, qu’elle eust inspiré du respect aux plus hardis. Tant de charmes ne laisserent pas un moment le Cavalier en pouvoir de consulter sa raison. Il abandonna son cœur à sa passion naissante, & ayant suivy cette belle Dame dans l’Eglise pour la mieux considérer, quand il la vit preste d’en sortir, il se mit sur son passage, & la salüa d’une maniere qui luy fit connoître qu’elle en avoit esté observée. Il eust bien voulu luy offrir la main pour la conduire jusqu’à son Carrosse, mais il craignit que sa civilité ne fust mal reçeuë, & se contenta de la faire suivre pour sçavoir qui elle estoit, & avec qui elle avoit des habitudes. On luy rapporta qu’elle estoit Femme d’un Gentilhomme fort riche, qui estant retenu en Province par quelque incommodité, l’avoit envoyée à Paris poursuivre un Procés avec un Vieillard de ses Parens ; qu’elle ne sortoit presque jamais, à moins que ses affaires ne l’y obligeassent, ou qu’elle n’allast chez une Veuve de ses Amies, & que cette Veuve estoit une Femme fort retirée. Cette régularité de conduite donna grand chagrin au Cavalier, par l’impossibilité qu’il trouvoit à faire connoissance avec la Dame. Son amour n’en pût pourtant estre refroidy. Il fit poster un Laquais aupres du Logis de cette belle Personne, pour estre averty des lieux où elle alloit à la Messe. C’estoit ordinairement à une petite Eglise voisine, & assez peu fréquentée. Le Cavalier ne manquoit pas de s’y rendre, sitost qu’il avoit reçeu l’avis. Il y alla plusieurs fois, sans tirer de tous ses soins autre avantage que celuy de voir. Enfin ayant un jour apperçeu son Loup qui estoit tombé, il le releva, & le présentant à cette belle Personne, il luy marqua la joye qu’il auroit, s’il estoit assez heureux pour trouver l’occasion de luy rendre un plus important service. La Dame luy répondit fort civilement, & le Cavalier voulant profiter d’un moment si favorable, noüa une petite conversation, qui luy fit connoître, quoy qu’elle parlast fort peu, qu’elle n’estoit pas moins estimable par son esprit que par sa beauté. Il auroit continué l’entretien plus qu’il ne fit, si elle ne luy eust témoigné qu’elle n’estoit pas bien aise de parler dans un lieu où elle croyoit ne pouvoir jamais avoir assez de respect. Il se retira, pour ne pas interrompre sa devotion, qui fut ce jour là tres-longue. Elle vouloit l’ennuyer, afin qu’il sortit sans elle ; mais enfin voyant qu’il s’obstinoit à l’attendre, elle se leva pour s’en aller. Il vint à elle aussitost, & luy présenta la main, qu’elle accepta, jugeant à sa Suite qu’il estoit d’un rang à n’estre point refusé. Il luy aida à monter dans son Carrosse, & l’eust suivie au Palais où elle se fit mener, s’il n’eust craint de luy déplaire. Il rentra chez luy tout remply de son mérite, & employa le reste du jour à s’examiner sur ce qu’il sentoit. Quoy que sa vertu le laissast sans espérance, & qu’il la vist dans une retraite peu favorable à sa passion, il ne pouvoit affoiblir ces sentimens pleins d’ardeur qui la luy peignoient la plus aimable des Femmes. Le lendemain il alla l’attendre dans la mesme Eglise où il la trouvoit tous les matins sur les onze heures, mais il y resta inutilement jusqu’à ce qu’on la fermast. Elle n’y vint point ; & comme il s’imagina qu’elle alloit ailleurs pour l’éviter, le jour suivant il renvoya le mesme Espion, qui l’avertissoit de sa sortie. Cet Espion luy vint dire, qu’apres avoir fait le guet jusqu’à midy, il avoit sçeu d’un Voisin qu’elle estoit allée à S. Germain. Il s’y rendit le jour mesme, & en arrivant, il eut le chagrin d’apprendre qu’elle estoit partie pour retourner à Paris. Cette disgrace luy fut d’autant plus sensible, qu’il se vit contraint de demeurer à la Cour pendant quelque temps pour une Affaire importante. Il en eut tant de douleur, qu’il fit paroître son abatement sur son visage. Tous ses Amis qui s’en apperçeurent, luy en demandoient la cause, & aucun d’eux ne pouvoit comprendre le prompt changement de son humeur. Si-tost qu’il eut terminé l’Affaire qui l’arrestoit, il retourna à Paris, où il arriva fort tard. Ainsi il fut obligé de remettre au lendemain à s’informer de la Belle. Il sçeut qu’elle estoit allée aux Jesuites de la Ruë S. Antoine. Il y courut aussitost, & la chercha dans toute l’Eglise. Il n’y vit rien qui luy ressemblast, & desesperoit déja de la rencontrer, lors qu’une Dame de son air & de sa taille, sortit tout à-coup d’un Confessionnal. Elle estoit en équipage de Veuve, & s’il la suivit jusqu’au Balustre, ce fut plutost par la curiosité que luy donna ce raport de taille, que dans aucune pensée que ce fust la Dame qu’il venoit chercher. Il se mit assez pres d’elle, & fut quelque temps sans pouvoir la voir. Son visage estoit couvert de Voiles de crêpe. Enfin elle les leva, & n’en laissant qu’un, elle découvrit au Cavalier ces mesmes traits que l’Amour avoit si bien gravez dans son cœur. Jugez avec combien de surprise il la vit dans un état si diférent de celuy où il l’avoit toûjours veuë. Ses Habits lugubres n’avoient rien diminué de ses premiers charmes, & il la trouva aussi touchante avec un Bandeau de Veuve, qu’il l’avoit trouvée aimable dans sa plus grande parure. L’attention avec laquelle il la regardoit, luy fit remarquer des larmes qui moüilloient ses joües. Il en fut tout penétré, & partagea sa douleur, malgré la secrete joye qu’il pouvoit avoir de ce qu’elle estoit en liberté de répondre à son amour. Aussitost qu’il fut chez luy, il envoya s’informer si le changement de sa fortune n’en apportoit point à ses Affaires. On luy apprit qu’elle partoit dés le lendemain, & retournoit en Province. Cette nouvelle fut pour luy un coup de foudre. Le déplaisir de la perdre le fit resver quelque temps, & enfin il résolut de la suivre, ne doutant point que des sentimens aussi tendres & aussi respectueux que ceux qu’il avoit pour elle, n’eussent le pouvoir de toucher son cœur. Il estoit tout prest d’exécuter ce dessein, quand la mort précipitée d’une Parente qui le fit son Heritier, mit obstacle à son depart. Il se vit mesme obligé d’aller ailleurs pour des Affaires pressantes qui regardoient la Succession ; & dans le chagrin d’estre éloigné de la Dame, il ne trouvoit à se consoler que quand il songeoit que sa fortune augmentée le rendoit plus digne d’en estre écouté favorablement. Cependant le déplaisir de l’absence a esté si grand pour luy, qu’il en est tombé malade dans une Ville, où un intérest tres-considérable le tient arresté. Il n’y voit qu’un seul Amy qui sçait son secret, & qui s’est chargé d’apprendre à la Dame l’état malheureux où l’a réduit son éloignement. Si cette aimable Personne se reconnoît à ces circonstances, comme il luy sera aisé, puis qu’il n’y en a aucune inventée, elle doit se tenir seûre d’avoir un Amant tres-passionné, qui feroit tout son bonheur de pouvoir la rendre heureuse.

[Metamorphose d’Alectrion en Coq] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 106-111.

Je passe à d’autres amours dont le recit vous plaira, quoy que l’Avanture n’ait rien de nouveau pour vous. Il est naturel, & d’une Muse qui a des expressions aisées. Peut-estre avez-vous quelques Amies dans vostre Province, qui s’éveillant quelquefois au chant du Coq, ne sçavent pas que la necessité de se faire entendre quand le jour approche, est un châtiment qu’il s’est attiré. Ce petit Ouvrage est d’une Personne de qualité, dont le mérite répond à l’esprit.

METAMORPHOSE D’ALECTRION EN COQ.

Le Conte dit que le Dieu Mars,
Rebuté comme un vieux Gendarme
De la fatigue & des hazards
Que la Guerre de toutes parts
Traîne avec de si grands vacarmes,
Résolut de se reposer,
Et pour se divertir, voulut galantiser.
Suivant ce beau dessein, dans l’Isle de Cythere
Il choisit un Quartier de rafraîchissement.
La Dame du Païs le reçeut galamment,
Et luy fit, dit-on, chere entiere.
Un soir qu’il avoit rendez-vous
Avecque son Hostesse aussi tendre que belle,
  De crainte des Filoux,
  Ou du Mary jaloux,
Il se fit escorter par un Valet fidelle
Qu’on appelloit Alectrion,
D’autant qu’en pareille affaire
  Un peu de précaution
Est toûjours fort necessaire :
Mais comme le Dieu des Combats
Sans-doute ne s’ennuyoit pas
Pres de la belle Cytherée,
Il s’oublia dans les plaisirs,
Et la nuit toute entiere, au gré de ses desirs,
Parut de fort courte durée.
Cependant le Prince du Jour
Qui soûpiroit pour la Déesse,
Sans pouvoir gagner sa tendresse,
Plein d’inquiétude & d’amour,
Remonta sur nostre Hémisphere
Un peu plus-tost qu’à l’ordinaire.
Ses rayons curieux, fort indiscretement
Entrerent trop matin dans un Apartement,
Où le Galant & la Belle
Parloient de leur passion,
Car le pauvre Alectrion
S’endormit en sentinelle.
Il en fut aussi battu
D’une terrible maniere ;
Son Maître estoit si bourru,
Qu’il eut cent coups d’étriviere.
Enfin dans le couroux dont Mars fut embrazé
Par cette funeste avanture,
Le pauvre Alectrion fut métamorphosé.
On luy donna d’un Coq la forme & la figure ;
Mais en changeant de nature,
Il se fit plus avisé,
Car sa disgrace passée
Sans cesse occupant sa pensée,
On voit toûjours dés le minuit
(Bien que dans l’Univers tout repose sans bruit)
Que quand l’Astre du Jour veut quiter l’autre monde
Pour rendre à celuy-cy sa lumiere féconde,
Dés qu’il approche l’Horizon,
Le Coq se souvenant du sort d’Alectrion,
Aussitost se met à l’erte,
Et chantant à gorge ouverte,
D’un empressement nompareil,
Il annonce aux Mortels le retour du Soleil.
Je ne vous diray point si c’est Histoire ou Fable,
Je le tiens cependant d’un Autheur approuvé ;
Si le cas n’est pas véritable,
Il paroist assez bien trouvé.

[Divertissement donné gratuitement au Public chez M. Malo] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 130-167.

Voila, Madame, tout ce que j’ay pû recueillir sur cette matiere. Je viens à un Article de divertissement. Mr Malo, & quelques-uns de ses Amis qui ont passion pour la Musique, ne voulant rien épargner pour se donner ce plaisir, ont fait toute la dépense qui pouvoit estre necessaire pour mêler d’agreables Intermedes de Chants, & de Dances, à l’Amphitrion du fameux Moliere. Cette Comédie a esté représentée plusieurs fois ce Carnaval, sur un fort galant Theatre dressé chez Mr Malo, en présence d’un fort grand nombre de Personnes de qualité invitées à ce Spectacle. Les Acteurs estoient des Particuliers, qui se sont tous acquitez admirablement de leurs rôles. La Musique des Intermedes qui ont divisé les Actes, est de Mr Lalloüete, Eléve de Mr Lully. C’est assez dire pour répondre de sa bonté. Voicy en quoy consistent les Ornemens qu’on a prestez à la Piece. L’ouverture du Theatre se fait par la Seine, qui commence le Prologue. Elle est suivie de ses Nymphes, deux desquelles chantent ces Vers.

Sortons, sortons de nos Grotes profondes,
Ce jour pour nous est un jour glorieux ;
Le Dieu qui régne sur ces Ondes,
Doit bientost paroistre en ces lieux.
La Seine répond.
Qu’à seconder mes soins vostre zele s’empresse,
Que vostre heureuse adresse
Donne à vos yeux un nouvel agrément ;
Qu’en vos chants, qu’aux transports d’une pleine allégresse,
Eclate le bonheur d’un sejour si charmant.

Apres que le Chœur des Nymphes a répeté ces deux derniers Vers, & qu’elles ont toutes exprimé leur joye par leurs Dances, deux d’entr’elles chantent ce qui suit.

On dit qu’il faut aimer les peines
Que l’Amour mesle à ses douceurs.
Laissons ces Biens trompeurs
A qui veut porter des Chaînes,
Laissons ces Biens trompeurs
A qui veut verser des pleurs.
***
La peur d’une Chaîne cruelle
Ne me fait point craindre sa Loy ;
Mais il n’est plus de foy,
On rougit d’estre fidelle ;
Mais il n’est plus de foy,
Il vaut mieux n’aimer que soy.

Neptune paroist suivy des Tritons. La Seine va au devant de ce Dieu avec ses Nymphes, & tous ensemble, ils font cette Scene.

LA SEINE.

Quelle faveur pour ces heureux Climats !
Quel sujet, Dieu puissant, attire icy tes pas ?

NEPTUNE.

Je viens voir de plus pres ta gloire sans seconde,
Je viens estre à mon tour témoin de ton bonheur,
Et montrer icy quel honneur
Moy-mesme je me fais du tribut de ton Onde.
C’est sur tes Rivages fameux
Que le plus grand des Roys, en tout ce qu’il médite,
Charme par sa haute conduite
Ses Peuples qu’il rend heureux,
L’Univers qu’il étonne, & les Dieux qu’il imite.
***
Quel charme de le voir à son Peuple, à sa gloire,
D’un cœur si satisfait immoler son repos,
Et faire oublier ces Héros,
Ou qu’a formez la Fable, ou que vante l’Histoire !

LA SEINE.

Que le Gange orgueilleux, jaloux d’un sort si beau,
Sur des Arenes d’or roule son onde fiere,
Que du Dieu de la Lumiere
Ses flots soient le brillant Berceau ;
A voir ce que mes Bords étalent d’abondance,
J’ay droit de mépriser tout l’or de ses sablons ;
Et d’un si grand Héros l’éclat & la présence,
Du Soleil à mes yeux valent bien les rayons.

Tous ensemble.

Le bruit de sa gloire extréme
A cent Peuples charmez fait souhaiter ses Loix.
On ne peut nombrer ses Exploits.
La Renommée elle-mesme
S’est veuë en peine avecque ses cent voix.

UN TRITON à la Seine.

Nul ne peut mieux que toy de sa rare valeur
Montrer icy les preuves.
Tandis que Mars en fureur
De l’Europe troublée alarmoit tous les Fleuves,
D’horribles cris gémissoient leurs Echos,
Le sang soüilloit leurs eaux & leurs rivages.
Ce Grand Roy cependant assuroit ton repos,
Et toûjours tes libres flots
Portoient au Dieu des Mers tes paisibles hommages.

UNE NYMPHE.

Par ce calme constant de ces ondes si vives
On peut juger quels attraits
Une profonde Paix
Entretient sur ces Rives.
***
Sans cesse mille Concerts
En ces aimables Lieux font retentir les airs.
Une allégresse entiere
N’y laisse plus pousser que d’amoureux soûpirs,
Et la Trompete guerriere
De cette heureuse Paix sert encor aux plaisirs.

NEPTUNE & UN TRITON.

Que ces aimables Lieux
Soient toûjours exempts d’alarmes.
 Le Chœur répete ces deux Vers.

NEPTUNE.

Que la faveur des Dieux
En maintienne sans cesse, en augmente les charmes.

UN TRITON.

Pour les Voisins jaloux soient le trouble & les larmes.

DEUX NYMPHES.

De ces justes souhaits l’effet n’est point douteux.
Le destin de LOUIS, la terreur de ses armes,
En sont de seûrs garands à ses Peuples heureux.

Tous ensemble.

Que ces aimables Lieux
Soient toûjours exempts d’alarmes.

Apres que ces Vers ont esté chantez, les Tritons forment une Entrée avec les Nymphes. Elle est suivie de ces deux Couplets que chante la Seine.

Icy l’Amour fait aimer sa puissance,
Ces Lieux charmans y portent nos desirs.
Suivons ses Loix. Que sert la resistance ?
Toûjours les maux précedent ses plaisirs ;
Mais quand un cœur voit payer sa constance,
Regrete-t-il sa peine & ses soûpirs ?
***
Quand des Amans on fuit le tendre hommage,
Sçait-on joüir des droits de sa beauté ?
Quels sont les biens que gouste un cœur sauvage ?
Doit-il vanter sa triste liberté ?
Que de plaisirs il perd dans le bel âge !
Qu’un jour ce temps sera bien regreté !

Ce Prologue estant finy, les Acteurs représentent le Premier Acte de la Comédie d’Amphitrion, dont Jupiter emprunte la forme pour se faire aimer d’Alcmene. C’est là-dessus qu’est fait l’Intermede qui suit cet Acte. L’Amour y vient s’applaudir de la victoire qu’il a remportée sur le Souverain des Dieux. Vénus paroist avec luy. Il est suivy des Plaisirs, & elle des Graces.

VENUS.

Celébrez de l’Amour la victoire nouvelle,
Chantez sa gloire immortelle.

CHŒUR.

Celébrons de l’Amour la victoire nouvelle,
Chantons sa gloire immortelle.

L’AMOUR.

Que Jupiter vante à mes yeux
Son pouvoir redouté des Hommes & des Dieux ;
De ses mains, quand je veux, j’arrache le tonnerre,
Il quite les Cieux pour la Terre,
Et trouve dans mes fers son destin glorieux.

CHŒUR.

Celébrons de l’Amour, &c.

UN PLAISIR.

Résister à l’Amour est une triste gloire.
En vain d’un fier orgueil on se croit faire honneur ;
Pour un jeune cœur
La défaite vaut mieux cent fois que la victoire.

VENUS.

  La Jeunesse
  Sans tendresse,
Est un Printemps sans fleurs.
Gardez-vous bien de traiter de foiblesse
Les amoureuses langueurs.
  La Jeunesse
  Sans tendresse,
Est un Printemps sans fleurs.
A l’Amour il faut se rendre.
Cedez-luy sans attendre,
Pour gouster plus longtemps ses douceurs.
  La Jeunesse
  Sans tendresse,
Est un Printemps sans fleurs.

TROIS PLAISIRS.

Si vous croyez toûjours une Fierté cruelle,
Vous vous épargnerez des ennuis, des soûpirs.
Si vous voulez croire un Amant fidelle,
Vous gousterez les plus charmans plaisirs.

UNE GRACE.

Toucher une Beauté que sa propre douceur
Conduit aux sentimens qu’on veut luy faire prendre,
C’est un triomphe aisé qu’on doit tout au bonheur ;
Mais desarmer un cœur
Qui des traits de l’Amour s’est toûjours sçeu défendre,
C’est vaincre avec honneur.

VENUS.

Au pouvoir de l’Amour, rendez, rendez les armes.

UN PLAISIR.

Rien ne peut, rien ne doit résister à ses coups.

VENUS & UN PLAISIR.

Dans son Empire plein de charmes
Il est des momens moins doux,
Mais les plaisirs ailleurs ne valent pas ses larmes.

VENUS.

Vostre gloire en cédant doit estre sans alarmes.

UN PLAISIR.

Il a soûmis des cœurs
Qui n’ont point eu d’autres vainqueurs.

L’AMOUR.

Amans, si l’orgueil de vos Belles
Semble d’abord à vos ardeurs fidelles
Ne promettre pour fruit que de tristes regrets,
Ne vous lassez point de vos chaînes.
Soyez constans, soyez discrets,
Bientost dans les plaisirs vous oublirez vos peines.

AUTRE GRACE.

Un cœur qui sçait se taire,
Sçait conduire une affaire.
Dans le sort le plus doux
Plaignez-vous d’un malheur extréme.
Un bonheur bien caché ne craint point les Jaloux,
Il ne faut estre heureux que pour l’Objet qu’on aime.

L’AMOUR.

Joignez vos voix & vostre zele.
Que la Terre & les Cieux
Retentissent du bruit de ma gloire immortelle,
Suivez toûjours mes Loix, c’est imiter les Dieux.

Le Chœur répete, Ioignons nos voix, &c. Apres quoy, les Plaisirs & les Jeux font une Entrée, pour marquer la part qu’ils prennent à la victoire de l’Amour. La Dance finie, un des Plaisirs chante ce qui suit.

Ne croyez pas toutes les plaintes
Qu’on fait de l’Empire amoureux.
Un cœur bien discret sous ces adroites feintes
Souvent veut cacher le bonheur de ses feux.
Ne croyez pas toutes les plaintes
Qu’on fait de l’Empire amoureux.
***
Que sans aimer, la vie est triste !
Cédons à l’Amour, cédons tous.
Tout aime à son tour ; un cœur qui resiste,
S’attire l’effort des plus rudes coups.
Que sans aimer, la vie est triste !
Cédons à l’Amour, cédons tous.

Les Acteurs ayant représenté le Second Acte d’Amphitrion, dans lequel Jupiter trouve moyen de se raccommoder avec Alcmene, Mercure amene des Musiciens & des Danceurs vestus en Bergers & en Faunes, pour la Feste que ce Souverain des Dieux fait préparer aux Officiers de l’Armée. L’ouverture de cet Intermede se fait par Mercure, qui chante ces Vers.

Messieurs, c’est icy qu’à loisir
Vous pouvez préparer vostre galante Feste,
Qui du Festin qu’on appreste
  Doit achever le plaisir.
Que vos Jeux animez par le Dieu des Bouteilles,
Charment les yeux & les oreilles,
Et dans vos Chants celébrez tour-à-tour
Le Dieu du Vin, & celuy de l’Amour.

BERGER CONSTANT.

Aimable liberté, charme d’un cœur tranquile,
Un Amant malheureux trouve en toy son azile,
Nul chagrin sous tes Loix ne le fait murmurer ;
Et moy dans les plus rudes chaînes,
  Accablé de mille peines,
Je meurs sans te pouvoir seulement desirer.

BERGER INCONSTANT.

De tes mortels chagrins je plains la violence ;
Pour t’en guérir, éprouve l’inconstance.
***
Qu’un Inconstant est heureux !
  Que sa Bergere
Soit ingrate ou légere,
Il n’en a point de momens plus fâcheux.
Qu’un Inconstant est heureux !
S’il se trouve mal dans sa chaîne,
D’abord il en brise les nœuds,
Et consolé d’un sort qu’il repare sans peine,
En va chercher ailleurs une selon ses vœux.
Qu’un Inconstant est heureux !

BERGER CONSTANT.

Iris est insensible à mon amour fidelle,
Mais je ne puis aimer qu’elle.

UN FAUNE.

Méprise les conseils de cet Amant volage,
De son aveuglement tu dois te garantir.
Changer d’esclavage,
Ce n’est pas en sortir.

Tous les Faunes ayant répeté ces deux derniers Vers, deux d’entr’eux chantent,

Pour guérir ton chagrin,
Ne cherche que le Dieu du Vin.
Fais ton azile d’une Treille,
C’est là que tu peux te sauver.
L’Amour ne t’y viendra trouver
Que pour partager ta Bouteille.

BERGER CONSTANT.

Iris est insensible à mon amour fidelle,
Mais je ne puis aimer qu’elle.

BERGER INCONSTANT.

Essaye, essaye une fois
Les plaisirs d’un cœur volage.

LES FAUNES.

Suy Bacchus comme nous, suy ses aimables Loix.

BERGER INCONSTANT, & UN FAUNE.

Tu changeras bientost de sort & de langage.

BERGER CONSTANT.

Ah, si vous connoissiez la Beauté que je sers,
Vous partageriez mes fers.

BERGER INCONSTANT.

J’ay veu cette Beauté qui se rit de tes peines,
Cependant ses appas ne peuvent rien sur moy.

BERGER CONSTANT.

Il faut donc qu’un Rocher soit plus tendre que toy.

BERGER INCONSTANT.

Non, mais une Beauté qui n’ofre que des chaînes,
N’aura jamais ma foy.

UN FAUNE.

Bacchus ne défend pas d’aimer,
De beaux yeux quelquefois ont bien sçeu me charmer ;
Mais quand l’Amour devient trop puissant sur mon ame,
Je mets une Bouteille au devant de ses coups ;
Et le Vin dans mon cœur, pour modérer sa flâme,
Allume un feu plus doux.

LES FAUNES.

Vive le Dieu du Vin, vive son doux empire.
Ses charmantes douceurs
Ne coustent point de pleurs,
On possede aussitost tout ce que l’on desire.
Vive le Dieu du Vin, vive son doux Empire.

BERGER CONSTANT.

Un seul regard d’Iris mesme severe,
Vaut à mon cœur les plaisirs les plus doux.
Si ce regard estoit desarmé de colere,
Grands Dieux, de mes transports je vous rendrois jaloux.

BERGER INCONSTANT.

Esclave malheureux du Tyran que tu sers,
Il ne te faut que des pleurs & des fers.

LES FAUNES.

Va porter tes ennuis ailleurs,
Et quels que soient les maux dont tu sens les atteintes,
Ne trouble point icy nos jeux par tes clameurs,
Ou le bruit de tes plaintes
Ne fera qu’exciter nos ris & tes douleurs.

Les Faunes commencent icy à dancer, & en suite chantent ces Vers.

Fussiez-vous accablé de mille soins confus,
Quand l’Amour, un Procés, & tous vos Biens perdus,
Vous donneroient du dégoust pour la vie,
Voulez-vous rire encor malgré le Sort jaloux ?
Voulez-vous voir tous les Roys sans envie ?
Buvez, buvez, enyvrez-vous.
***
Eh bien, ces jeux & ces plaisirs
Ne valent-ils pas bien tes pleurs & tes soûpirs ?

BERGER CONSTANT.

Iris est insensible à mon amour fidelle,
Mais je ne puis aimer qu’elle.

BERGER INCONSTANT.

Esclave malheureux du Tyran que tu sers,
Il ne te faut que des pleurs & des fers.

BERGER CONSTANT.

Tant qu’Amour gardera son pouvoir sur les ames.

LES FAUNES.

Tant que Bacchus chassera le chagrin.

BERGER INCONSTANT.

Tant que l’Amour constant fera craindre ses flâmes.

Tous ensemble.

Bacchus, le seul Bacchus, reglera mon destin.
Iris, la belle Iris, reglera mon destin.
L’aimable changement reglera mon destin.

Jupiter s’estant fait connoistre pour l’Amant d’Alcmene dans le troisiéme Acte, les Thébains finissent la Piece, en exprimant par leurs dances & leurs chants la joye qu’ils ont que leur Ville ait esté honorée de la présence de ce Dieu.

CHOEUR DE THEBAINS.

Jupiter pour ces Lieux
Quite le sejour des Dieux.

DEUX THEBAINS.

De ce grand jour gardons bien la mémoire,
Que l’Encens en tous lieux fume sur nos Autels.

CHOEUR DE THEBAINS.

Que le reste des Mortels
Soit jaloux de nostre gloire.

DEUX THEBAINS.

Ces Lieux ont pour luy des appas
Qu’au Ciel il ne trouvoit pas.

DEUX AUTRES THEBAINS.

Concevons un bonheur supréme
Sur le charmant espoir qu’il nous donne luy-mesme.

UN THEBAIN.

Tremblez, Ennemis jaloux,
Il va naître parmy nous
Un Héros dont les Faits doivent remplir la Terre.
Vous reconnoistrez à ses coups
Le Fils du Maistre du Tonnerre,
Tremblez, Ennemis jaloux.

AUTRE THEBAIN.

Jeunes Beautez, dont les rigueurs extrémes
Sont tout le fruit de nos ardeurs,
Voyez condamner vos cœurs
Par l’exemple des Dieux mesmes.
  Est-il honteux
De brûler de leurs feux ?

DAME THEBAINE.

Les Dieux aux transports amoureux
Peuvent trouver des charmes.
Tous les plaisirs sont faits pour eux,
Ils n’ont point dans leurs vœux
De cruelles alarmes.
Ce n’est point aux Mortels jaloux
D’espérer un sort si doux.

THEBAIN.

Quitez une erreur si vaine,
Les Dieux en prenant une chaîne,
Ne sont pas exempts de soûpirs.
Un peu de peine
Fait mieux gouster les plaisirs.

DAME THEBAINE.

Il n’est point de tourment cruel
Qui puisse mettre à bout leur courage immortel,
Mais de ma fermeté mon ame se défie.
J’ay veu de cent Beautez le malheur éclatant.
S’il m’en arrivoit autant,
Ce seroit fait de ma vie.

DEUX DAMES THEBAINES.

Fuyons, fuyons l’Amour, craignons ce Dieu trompeur,
On ne peut contre luy garder trop bien son cœur.

THEBAIN.

Si la crainte des soûpirs
  Vous fait fuir les plaisirs
Où le bel âge vous convie,
D’un Amant éprouvé faites un heureux choix,
Pour suivre de si douces Loix,
Ce vous sera trop peu que toute vostre vie.

LES THEBAINS.

Aimez, jeunes Beautez, aimez,
De vos fers, de vos feux, vos cœurs seront charmez.

DAME THEBAINE.

Il est trop malaisé de faire un choix heureux.

AUTRE THEBAINE.

Tout est plein aujourd’huy de Trompeurs dangereux.

AUTRE THEBAINE.

On ne les connoit plus ; ils ont tous le langage
Des cœurs bien amoureux.

DEUX THEBAINES.

Gardons, gardons toûjours une fierté sauvage,
Il est trop malaisé de faire un choix heureux.

THEBAIN.

Il est des Amans infidelles,
Mais risquons-nous moins
En vous ofrant nos soins ?
Les feintes aux cœurs des Belles
Sont-elles moins naturelles ?

DEUX THEBAINS.

Aimons, aimons ; que nulle crainte
N’empesche de nous engager.

DEUX AUTRES THEBAINS.

On démesle aisément une ame bien atteinte,
D’avec un cœur léger.

AUTRE THEBAIN.

Et quand on y devroit courir quelque danger,
Le prix que l’Amour nous propose
Est-il un prix si bas,
  Qu’il ne vaille pas
Qu’un cœur pour l’acquérir hazarde quelque chose ?

THEBAINS & THEBAINES
ensemble.
THEBAINS.

Suivez, suivez l’Amour, aimez ce doux Vainqueur.

THEBAINES.

Fuyons, fuyons l’Amour, craignons ce Dieu trompeur.

THEBAINS.

On ne peut contre luy garder longtemps son cœur.

THEBAINES.

On ne peut contre luy garder trop bien son cœur.

Ce Dialogue est suivy d’une Entrée que dance le Peuple de Thébes ; apres quoy une Thébaine chante ces Paroles.

Lors que nous passons la vie
Sans quelque amoureux desir,
Que nos jours font peu d’envie !
Ils sont pour nous sans plaisir,
Lors que nous passons la vie
Sans quelque amoureux desir.
***
Le retour de la verdure
N’est dû qu’aux soins de l’Amour.
Si tout rit dans la Nature,
C’est que tout luy fait la Cour.
Le retour de la verdure
N’est dû qu’aux soins de l’Amour.

DEUX THEBAINS.

  Rendons-nous
Quand l’Amour nous inspire ;
  Rendons-nous,
Tout doit aimer ses coups.
Le Chœur répete, Rendons-nous, &c.

DEUX THEBAINS.

Le vain honneur de braver son empire,
Nous cousteroit nos plaisirs les plus doux.

Le Chœur répete Le vain honneur, &c. & on chante le Couplet qui suit de la mesme sorte.

  Nos beaux ans
Sont faits pour la tendresse,
  Nos beaux ans
Ne durent qu’un Printemps ;
Aimons, aimons ; si c’est une foiblesse,
Pour estre sage, on n’a que trop de temps.

Avoüez, Madame, que pour des Particuliers, rien ne sçauroit estre plus glorieux, que de se donner à eux, & à leurs Amis, un divertissement assez peu commun pour attirer tout Paris, si l’entrée du Lieu avoit esté libre pour de l’argent. Le bruit qu’il a fait ayant fait naître l’envie à Monseigneur le Dauphin de voir ce galant Spectacle, il se rendit il y a trois jours chez Mr Malo, accompagné de Madame la Dauphine, de Monsieur, de Madame, de Mademoiselle, & suivy d’une partie de la Cour. La Comédie fut si bien joüée, & les Intermedes chantez d’une maniere si juste, que ce Prince témoigna tout haut, que de longtemps il n’avoit rien veu qui luy eust paru si agreable.

[Billet composé de plusieurs Mots à la mode] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 174-177.

Il se fit ces derniers jours une Conversation tres agreable entre plusieurs Personnes d’esprit, touchant certains mots, ou manieres de parler, dont on a voulu amener la mode. Un fort galant Homme qui s’en estoit diverty comme les autres, prit de là occasion de les employer dans ce Billet qu’il envoya le lendemain à la Dame, chez qui l’examen s’en estoit fait.

BILLET.

Impraticable Beauté. I’aurois vieilly sans vous avec un cœur tout neuf. Cependant depuis que je me suis embarqué à vous aimer, je n’ay pû sçavoir la destination du vostre, & il est toûjours indéchifrable pour moy. Puis que je me fais une vraye affaire de vous aimer, pourquoy prendre des airs de chagrin quand vous me voyez ? Je suis d’une bonne paste d’Homme, & l’on en peut faire une bonne paste d’Amant. Je vous aime d’un amour distingué, & je vous trouve une Beauté à manger. Pour le coup vous avez tort, & vous ne devez pas estre avec moy du droit, & du dédaigneux dont vous estes. Vous avez de violentes douceurs pour d’autres, qui ne seroient pas du goust du sublime. Je suis un Homme d’un bon commerce, & si je n’ay pas un assez gros bien pour vous, j’ay du moins un gros amour, & comme je vous aime avec une grosse délicatesse, je souhaite que vous ayez une grosse tendresse pour moy, sinon croyez que je ne vous aimeray jamais plus.

[Réponse à l’Histoire de mon Cœur, intitulée Histoire de mes Conquestes] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 184-213.

Il y a grande apparence que la liaison que je vous dis la derniere fois qui commençoit à se former entre deux Personnes qui ont autant de délicatesse que d’esprit, sera de durée, par la maniere dont vous allez voir qu’elle s’établit. La Dame que le Cavalier avoit régalée de l’Histoire de son cœur, ne se contenta pas de luy témoigner le lendemain qu’elle se tenoit obligée de la confidence qu’il luy avoit faite de ses Intrigues. Elle voulut à son tour se faire connoistre, & luy envoya deux jours aprés une Réponse qui contenoit ce qui suit, & avoit ce Titre.

HISTOIRE DE MES CONQUESTES.

Je suis si contente de la sincérité que vous m’avez marquée en m’envoyant l’Histoire de vostre cœur, que je veux suivre vostre exemple, & vous conter aussi de bonne-foy toutes les petites avantures de ma vie ; mais avant que de commencer mon Histoire, il faut que j’acheve la vostre, & que j’y ajoûte une Piece qui y manque, c’est à dire mon Portrait, qui devoit bien tenir sa place parmy ceux des Belles, à qui vous vous estes attaché. Vous connoissez ma personne, & vous dites qu’elle vous plaist, ainsi je n’en dis rien ; mais pour le cœur & l’esprit, j’ay peine à croire que vous me connoissiez assez par ces endroits-là. J’ay eu une éducation tres-capable de m’étouffer l’esprit ; cependant je n’ay pas laissé d’en échaper, & d’en sauver quelque chose. Il me reste assez de finesse & de délicatesse dans mes pensées, mais peut estre j’y gagnerois, si on les pouvoit deviner sans que je les exprimasse. Il y avoit en moy des commencemens de plus d’esprit que je n’en ay. L’intention de la Nature estoit que l’Art achevast ce qu’elle avoit laissé à achever, mais l’Art n’en a rien fait. Si vous voulez cependant que je vous dise ce qu’en pensent quelques Connoisseurs qui parlent de moy plus avantageusement, ils m’ont assurée que la Nature m’avoit donné tout l’esprit qu’elle me pouvoit donner, mais que l’Art me pouvoit donner quelques apparences d’esprit, qu’à la verité il ne m’avoit pas données. On dit que je pense mieux que tous ceux qui parlent mieux que moy, & que j’écris mieux que tous ceux qui ne pensent qu’aussi-bien. Ne me demandez point dans la conversation des médisances & des contes agréables, des traits d’une imagination bien vive, des expressions extraordinaires & surprenantes. Il faut, s’il vous plaist, vous passer de tout cela, mais contentez-vous d’une mélancolie douce qui regne sur tout ce qu’on dit ; de quelques pensées fines semées de temps en temps, & à propos ; d’un certain air de bonté & de sincerité répandu jusques sur les moindres discours ; enfin d’un agrément qui part plûtost du cœur que de l’esprit, & peut-estre trouverez-vous vostre compte avec moy. Me voila insensiblement venuë à l’article de mon cœur. Je vous avertis que si j’en parle beaucoup, j’en diray du bien. Je l’ay naturellement tendre & délicat, & disposé à aimer d’une certaine maniere, qui fait que je ne puis jamais aimer beaucoup de Gens. Si je m’en estois cruë, ma tendresse eust ressemblé à celle de la plûpart des Femmes. Elle eust esté jalouse, inquiete, ombrageuse, mais un peu de raison y a donné ordre. Vous allez croire que la raison ne peut se mêler de ce qui regarde la tendresse, sans l’affoiblir beaucoup. Je ne suis point de cet avis. La délicatesse des sentimens n’est pas incompatible avec leur noblesse. Mon cœur prend les conseils de ma raison. Aussi n’est-ce pas une raison farouche. Elle approuve de certains engagemens, & mesme les fortifie. Elle est de moitié avec le cœur à goûter ses plaisirs. Sans cela je serois fort à plaindre dés que j’aimerois, car je me souviens que ma raison m’a donné d’étranges peines, quand elle a esté seulement pour quelques momens d’un autre party que mon cœur. Songez à ce que vous faites en m’aimant. Je ne me trouve presque jamais assez aimée. A vous dire le vray, je me suis quelquefois surprise moy-mesme dans des instans, ou c’estoit la vanité qui produisoit en moy ce sentiment. Quelquefois aussi ce n’estoit pas elle. A propos de vanité, j’y donnerois quelquefois, si je n’y prenois garde. Je suis assez capable d’entendre raison. Il semble que ce ne soit pas là faire un grand éloge de moy-mesme ; mais à moy il me paroist que c’est un si grand mérite que de pouvoir entendre raison, que je n’ose presque me le donner. Voila à peu prés tout le bien & tout le mal que je puis vous dire de moy. Je viens à mes avantures. J’estois encor fort jeune. Je répondois parfaitement aux espérances d’une Mere, qui avoit pris tous les soins imaginables à me rendre fort simple, & fort innocente. Je n’avois jamais rien vû, & ne sçavois pas qu’il y eust rien à voir. Enfin j’étois une tres-petite Fille, lors qu’avec un peu de teint, & des yeux assez passables, quoy que mal conduits, je ne laissay pas de faire une conqueste. C’estoit un jeune Homme, toûjours assez bien mis ; mais qui du reste n’avoit aucun caractere. Il n’estoit ny mélancolique ny enjoüé, ny complaisant, ny opiniâtre, ny agreable, ny ridicule. On ne sçavoit ce que c’estoit. Il me rendoit des soins. Il estoit assidu aupres de moy, & je ne sentois rien. Je me demandois quelquefois à moy-mesme ; mais d’où vient que je ne prens point de plaisir à le voir ? N’est-il pas assez bien fait, & toûjours fort propre ? Oüy. Que luy manque-t-il donc ? Je n’en sçavois rien alors, car je ne sçavois pas qu’il y avoit quelque chose qui s’appelloit esprit & agrément. J’appris enfin ce que c’estoit un jour que je rencontray dans une visite un jeune Cavalier, qui avoit assez de réputation dans le monde. Je connus aussitost ce qui manquoit à mon Amant, & je vis fort bien à quoy il tenoit que je ne l’aimasse. L’autre parloit une langue que je n’avois jamais oüy parler, & que j’entendois pourtant. Cela répondoit à une certaine idée confuse que j’avois dans la teste. Je n’avois jamais vû d’Homme d’esprit, & je sentis bien qu’il l’estoit. Au sortir de cette visite, mon Amant me devint insuportable. Je songeay au plaisir que j’aurois d’estre aimée du Cavalier que je venois de voir ; mais j’y songeay comme j’aurois fait au plaisir d’estre Reyne, car la chose ne me paroissoit pas possible. J’envisageois une distance épouvantable entre son esprit & le mien, & je me trouvois une tres-petite Creature. Je ne croyois pas qu’il pust m’aimer, & cependant je sentois bien que je ne pouvois plus souffrir d’estre aimée que de luy. Je fus plus heureuse que je n’espérois. Voicy tout d’un coup le Cavalier à mes pieds. Ces yeux, ce teint, cet air de jeunesse, tout cela avoit fait son effet. Je m’apperçeus-bien qu’il ne me trouvoit tout au plus que belle. J’en eus du dépit en moy-mesme. Je voulus élever mon mérite jusqu’à l’esprit, mais c’estoit une affaire qui n’alloit pas si viste. Je pensois assez-bien, & je faisois des efforts pour pousser mes pensées hors de ma teste, mais j’avois beau faire. Je demeurois toûjours riche de mille jolies choses que je n’avois point dites. Mon nouvel Amant avoit par bonheur assez de penétration. Il démesla ce qui se passoit chez moy, & me tint compte de l’esprit que je ne paroissois pas encor avoir. Enfin je commençay à parler. Il m’échapa des choses assez heureuses, & qui furent fort applaudies. Il se trouva que j’avois de l’esprit. Jamais je ne fus si étonnée. Ma réputation se forme. Me voila dans le monde sur le pied de Fille tres-spirituelle. Mon nouvel Amant devient fou du mérite qu’il m’avoit presque donné, puis qu’il me l’avoit découvert. Enfin tout me réüssit, tout prospere. Vous ne trouverez pas mauvais que pour avoir de l’esprit, il en ait cousté quelque chose à mon cœur. La reconnoissance m’y auroit engagée au defaut de l’inclination. L’Amant dont je vous parle icy estoit d’un caractere fort particulier ; & une des principales choses qu’on luy reprochast, c’estoit cela mesme, qu’il estoit trop particulier. Il aimoit les plaisirs, mais non point comme les autres. Il estoit passionné, mais autrement que tout le monde. Il estoit tendre, mais à sa maniere. Jamais ame ne fut plus portée aux plaisirs que la sienne, mais il les vouloit tranquilles, plaisirs plus doux, parce qu’ils estoient dérobez. Plaisirs assaisonnez par leur difficulté, tout cela luy paroissoit des chimeres. Ainsi ce qui me persuada le plus de sa tendresse pour moy, c’est que je luy coûtois quelque chose. Il avoit une espece de raison droite & infléxible, mais non pas incommode, qui l’accompagnoit presque toûjours. On ne gagnoit rien avec luy pour en estre aimée. Il n’en voyoit pas moins les défauts des Personnes qu’il aimoit, mais il n’épargnoit rien pour les en guérir, & il ne s’y prenoit pas mal. Des soins, des assiduitez, des manieres honnestes & obligeantes, des empressemens tant qu’il vous plaira, mais presque point de complaisance sinon dans les choses indiférentes. Il disoit qu’il auroit une complaisance aveugle pour les Gens qu’il n’estimeroit guére, & qu’il voudroit tromper ; mais que pour les autres, il vouloit les accoûtumer à n’exiger pas des choses peu raisonnables, & à n’estre pas les dupes de ceux qui les feroient. A ce compte là, vous voyez bien que la plûpart des Femmes qui sont impérieuses & déraisonnables, ne se fussent guére accommodées de luy, à moins qu’il ne se fust longtemps contraint ; ce qu’il n’estoit pas capable de faire. Il estoit d’une sincérité prodigieuse, jusque-là que quand je le prenois à foy & à serment, il n’osoit me répondre que de la durée de son estime & de son amitié ; & pour celle de l’amour, il ne la garantissoit pas absolument. Il avoit toûjours, ou un enjoüement assez naturel, ou une mélancolie assez douce. Dans la conversation, il y fournissoit raisonnablement, & y estoit plus propre qu’à toute autre chose, encor faloit-il qu’elle fust un peu reglée, & qu’il raisonnast, car il triomphoit en raisonnemens, & quelquefois mesme dans des conversations communes, il luy arrivoit d’y planter des choses extraordinaires, qui déconcertoient la plûpart des Gens. Ce n’est pas qu’il n’entendist bien le badinage. Il l’entendoit mesme trop finement. Il divertissoit, mais il ne faisoit guére rire. Son extérieur froid luy donnoit un air de vanité ; mais ceux qui connoissoient son ame, déméloient aisément que c’estoit une trahison de son extérieur. Je vous en fais un si long portrait, & il semble que j’ay tant de plaisir à parler de luy, que vous croirez peut-estre que nostre intelligence dure encor. Non, elle est finie, mais ce n’est ny par sa faute, ny par la mienne. L’amour avoit fait de son costé tout ce qui estoit necessaire pour rendre nostre union éternelle. La fortune a renversé tout ce qu’avoit fait l’amour. J’estois sa seule Maîtresse, & la premiere de ses Amies. Il estoit mon seul Amant, & le premier de mes Amis. Jugez par là de quelle nature estoit nostre commerce. Un troisiéme Amant vint prendre sa place, & essaya inutilement de la remplir tout-à-fait. Ce n’est pas que sa Personne ne fust assez agreable, qu’il n’eust de la vivacité d’imagination, & de certains tours dans l’esprit tres-divertissans ; mais quand on l’examinoit un peu à fond, on trouvoit que ses manieres faisoient honneur à son esprit. Qui auroit osté aux choses qu’il disoit, l’air, & le ton dont il les disoit, leur eust peut-estre osté tout leur agrément. C’estoit sur cet air, & sur ce ton, que rouloit son badinage. Il amusoit les Gens plus qu’il ne les entretenoit. Il y avoit dans sa phisionomie je-ne-sçay-quoy qui m’estoit suspect en fait de tendresse, & quand je le voyois, mon cœur m’avertissoit que je ne me fiasse point trop à luy. Il ne me sembloit point Homme à estre la dupe d’une passion ; & son cœur, autant qu’il m’estoit possible d’en juger, n’estoit pas de nature à se laisser embarquer dans de mauvaises affaires. Il n’avoit pas l’air tendre, il affectoit mesme quelque rudesse d’esprit ; & pour se persuader qu’on en fust aimée, il falloit estre prévenuë d’amour pour luy. Les réfléxions que je fis sur son chapitre, furent cause qu’il ne fit jamais que me divertir, sans venir à bout de m’engager ; mais je pensay entrer dans un commerce de cœur plus particulier, avec un autre Amant qui s’attacha à moy dans ce temps-là. C’estoient les manieres du monde les plus tendres, l’air le plus doux. Rien ne paroissoit plus propre à une passion. Des honnestetez, des complaisances, des empressemens, autant qu’on en pouvoit souhaiter ; tout cela luy tenoit lieu de vivacité d’imagination, & d’enjoüement dans l’entretien, & empêchoit en quelque sorte qu’on ne s’aperçeust que ces choses-là luy manquoient. L’usage du monde l’avoit un peu gâté. Il s’imaginoit que les Gens vouloient estre trompez, & sur ce pied-là il prodiguoit les douceurs assez indiféremment ; mais son adresse paroissoit, & par conséquent elle n’estoit plus adresse. Je trouvay en l’aprofondissant, qu’il avoit l’esprit ombrageux, & défiant jusqu’à l’excés, & la peine que j’aurois euë à le persuader de ma tendresse, fut cause que je n’en conçeus point pour luy. Vous me connoissez présentement aussi-bien que je me connois moy-mesme. Je vous ay confié toutes mes avantures, & tous mes sentimens. Prenez vos mesures là-dessus. Si nous ne sommes pas le fait l’un de l’autre, le plûtost que nous pourrons nous en aviser, ce sera le mieux.

[Plusieurs Opéra de Venise, avec la Description de la Maison de Piazzola, appartenante à M. de Contarini Procurateur de S. Marc] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 213-249.

Je vous parlay l’année derniere de l’Opéra intitulé Les Amazones dans les Isles Fortunées, que Mr Contarini, Procurateur de S. Marc, avoit fait représenter en présence d’un nombre infiny d’Auditeurs illustres, dans sa belle Maison de Piazzola. On l’y a représenté encor cette année, avec un autre, qui a eu pour titre, Berénice vindicative. Piazzola, Madame, n’est autre chose qu’un Bourg à dix milles de Padouë, où ce Noble Venitien, qui est tres-riche, a fait bâtir un Palais superbe. Il y a cinq ans que l’on y travaille ; mais quoy que le principal Corps de Logis soit du Dessein du fameux Palladio, ce miracle d’Architecture est presque effacé par les ornemens dont Mr Contarini a pris soin de l’embellir, & par les Bâtimens qu’il y a fait adjoûter des deux costez.

Ce Palais est dans une situation assez élevée. Il a au devant une Avenuë de pres d’un mille, & qu’on doit continuer encor plus loin. Sa largeur est d’environ cent pieds ; ce qui produit un tres-agreable effet quand on arrive. Les Murailles de la Court sont tres-belles, & tout le Palais est environné de Canaux d’une eau courante, qui servent aussi de Reservoirs, & qui se déchargent tous dans un grand Bassin de figure ronde, entouré de grandes Portes, ou Arcades ornées de Statuës. Ce Bassin a tant d’étenduë & de profondeur, que l’on y peut naviger avec de petites Barques ou Gondoles. C’est dans ces Gondoles que Mr Contarini donne des Serenades & des Concerts de Musique pendant l’Eté. La Court qui depuis la grande Porte jusqu’à l’Escalier a deux cens cinquante pieds, en a cinq cens de largeur. Elle est entourée de trente Voûtes ou Grotes ornées de Coquillages, avec des Niches garnies de Statuës, qui seront dans peu de temps autant de Fontaines, dont on ne peut trop loüer le dessein. Le Palais est composé de quatre Etages, sans compter le bas ou rais de chaussée. Trois Statuës servent d’ornement à chaque Fenestre, avec des Festons de fleurs & de fruits. On voit au premier Etage deux grandes Loges ou Balcons couverts. De grosses Colomnes soûtiennent ces Loges. Il y en a aussi deux au second Etage, d’un dessein aussi noble qu’il est extraordinaire. Du costé droit est une Aîle de cent soixante & dix pieds de longueur. Le bas en est embelly de Grotesques de diférentes couleurs. Au dessus il y a de grandes Fenestres séparées par des Figures Gigantesques de marbre, hautes environ de dix-huit pieds. Elles soûtiennent une fort grande Corniche aussi de marbre, sur laquelle on voit un autre Ordre de petites Colomnes qui servent de baze à des Statuës isolées. Du costé gauche il y a une autre Aîle du mesme dessein, pareille à cette premiere.

Quand on est entré dans le Palais, on se trouve dans un grand Sallon de structure ronde, avec des Statuës, & au dessus, des Colomnes, sur lesquelles il y a un Corridor pour aller autour, & voir du premier Etage dans le second. A chaque costé de ce Sallon on voit quatre grandes Chambres, & deux magnifiques Escaliers qui se regardent l’un l’autre. En traversant le Sallon, on découvre un petit Bois de Citronniers, & en suite, on entre du costé gauche dans un Sallon quarré, dont chaque costé est long d’environ cinquante pieds. De haut en bas, ce ne sont que Stucs & Figures de relief. Le Platfond & les costez sont ornez de Tableaux des plus fameux Peintres du Siecle passé. Au sortir de là, on entre dans six autres grandes Chambres, dont la derniere a un grand Balcon, embelly de Colomnes de marbre, d’où l’on apperçoit une tres-belle Cascade. Au dessous sont six autres Chambres soûterraines, qui doivent servir pour divers artifices d’eau, ausquels on travaille actuellement. De là, par un tres-bel Escalier qu’on trouve au milieu de ces six Chambres, on descend dans une longue Galerie, pavée de petites pierres, qui représentent diverses Figures. Les Murailles sont incrustées de Rocailles, & d’autres choses tirées de la Mer, & ont des Satuës & des Stucs pour ornement. De cette Galerie on monte dans le grand Sallon dont j’ay parlé, par un autre Escalier remply de Statuës, & d’un dessein tres-particulier. Au dessus de cette premiere Galerie, on en doit construire une autre qui sera pleine de Tableaux anciens & modernes, & dans laquelle on a dessein de placer une Biblioteque de toute sorte de Livres. Au dessus il y a des Chambres pavées de Carreaux vernis de diverses figures & couleurs. Le Platfond & les costez en seront enrichis d’or.

Au sortir de ces grands Apartemens, en allant au costé droit, on trouve huit autres grandes Chambres pareilles à celles du costé gauche. On voit de là un second Bocage de Citronniers semblable au premier. Ces Chambres doivent estre ornées de Stucs, de Pastes colorées, de Marbres fins, de Mosaïque, & de Miroirs. Les Portes de toutes ces Chambres forment une Enfilade, qui est aussi longue que la Court est large, c’est à dire, qui a cinq cens pieds, en sorte que l’on ne pourroit reconnoître une Personne d’un bout à l’autre. Au milieu de ces dernieres Chambres qui ne sont pas encor achevées, il y a un superbe Escalier orné de Statuës, qui conduit à quatre Corridors, où le jour entre par des ouvertures rondes qui sont au haut. Dans ces Corridors, sont vingt-quatre Chambres pour les Domestiques. Ce mesme Escalier conduit dans une grande Salle d’Armes, où l’on en trouve de toutes manieres. Sous cette Salle sera une Galerie ornée de Sculpture. Au dessous des Chambres il doit y avoir des Bains. On travaille incessamment à ce costé qui répond au grand Bassin, par lequel j’ay commencé la description de ce Palais. Il y a aussi un Balcon qui répond à celuy que je vous ay dit estre dans l’autre costé. De ce Balcon, on va, par un petit Escalier de marbre, à un Corridor basty sur les Murailles de la Court, & d’où l’on peut aller au Theatre. Ce Corridor est embelly de part & d’autre de Colomnes de marbre, accompagnées de Statuës de mesme matiere. Ces Colomnes soûtiennent le Toit couvert de plomb, & sont séparées par les Fenestres, qui doivent estre garnies de Vitres de cristal travaillé à figures, avec leurs Cages ou Jalousies dorées, pour les défendre de la gresle. On travaille de l’autre costé à un Corridor semblable, avec le mesme ordre de Colomnes, de Statuës, de Toit, & de Fenestres. Les deux autres Corridors qu’on doit faire en face du Palais, auront des Statuës & des Colomnes, mais ils n’auront ny Toit ny Fenestres, afin de ne pas empescher la veuë.

Je serois trop long, si je voulois vous marquer toutes les beautez de ce Palais. Au second Etage, il y a quatre Apartemens, avec des Salles tres-amples, & capables de loger de Grands Seigneurs. Je passe les Lieux qui doivent servir à l’usage domestique. On trouve au troisiéme Etage une Galerie, où se voyent toutes les sortes d’Instrumens de Musique que l’on peut s’imaginer, avec tous les Opéra qui ont esté veus jusqu’à présent, soit à Venise, ou ailleurs. L’Hercule fait par le Sr Cavali, & représenté à Paris pour le divertissement de Sa Majesté, y tient sa place parmy les autres. Il ne faut point s’étonner de cet amas, puis que pour avoir les Instrumens les plus particuliers, Mr Contarini n’a épargné aucune dépense. Les deux Loges dont j’ay parlé au commencement, sont aux deux costez de la Galerie, avec des manieres de Tribunes tout autour, pour y mettre des Chœurs de Musique & d’Instrumens, afin de divertir pendant le repas. De l’un & l’autre costé de ces Loges, il y a deux Terrasses, avec des Colomnes & des Statuës isolées. Ces Terrasses se joignent avec les Galeries & les Loges, & forment une seconde Enfilade de cinq cens pieds, pareille à celle des Chambres. Dans ce mesme Etage sont divers endroits pour y loger & coucher. Le quatriéme est composé de Chambres pour les Domestiques, & pour la commodité de la Maison, avec deux petites Rotondes ou Dômes qui leur servent d’ornement. A compter toutes les Chambres de ce somptueux Palais, on y en trouve jusques à deux cens. Le reste des Bâtimens pour divers usages, comme les Remises de Carrosses, les Ecuries, les Greniers, les Moulins pour moudre le Bled, pour scier des Planches, pour filer & pour préparer la Soye à la maniere de Bologne, pour fouler les Draps, pour batre du Fer, & pour d’autres Inventions qui s’exécutent toutes par la force de l’eau qu’on y employe avec divers artifices ; tous ces Bâtimens, dis-je, sont presque innombrables, & répondent à la magnificence des autres Ouvrages que je viens de vous décrire. Les Jardins, les Bois de Citronniers, les Allées couvertes, les Labyrinthes, les Mines ou Chambres soûterraines, & enfin les Lieux où l’on éleve des Cailles & des Faisans, ont quelque chose de si merveilleux, qu’ils passent tout ce qu’on s’en peut imaginer. Au dehors de la Court de ce Palais, on doit faire une grande Place ovale, avec cent Boutiques autour, & des Portiques doubles. Le Dessein qu’on en a fait est tres-singulier.

Mr Contarini, qui est magnifique en toutes choses, accompagne ses grandes qualitez d’une pieté solide, & en a donné de nobles marques, en faisant bâtir à ses dépens l’Eglise du Bourg, & luy donnant des Revenus qui suffisent pour entretenir l’Archiprestre, & les autres Prestres dont il a la nomination. Il a de plus fait construire un Lieu en forme de Monastere, avec une Court environnée de Portiques soûtenus de Colomnes de marbre, des Apartemens dans le bas pour l’usage & les nécessitez de la Maison, & des Chambres au dessus. Il y a fait bâtir une Eglise encor plus belle & plus grande que celle du Bourg. On éleve dans ce Lieu trente-trois pauvres Filles de Famille honneste, ausquelles il entretient des Femmes pour en avoir soin, & pour leur enseigner les Ouvrages ordinaires aux Personnes de leur Sexe, & des Maîtres pour leur apprendre la Musique, qu’il aime avec passion. Comme il s’est trouvé parmy ces Filles de tres-belles Voix, il résolut aussitost de faire construire un magnifique Theatre pour des Opéra qu’il fait composer exprés. Ce Theatre a cent quatre-vingts pieds de long. Sa largeur est de soixante. Il y a quatre Ordres ou Etages de Loges disposées en demy-cercle, tirant sur l’ovale. On y monte par des Escaliers de marbre, ornez & soûtenus de Statuës. Les Murailles & les Loges sont peintes à Fresque, & les ouvertures tres-bien travaillées. Le Parterre, qui contient cinq cens Personnes, est tout fait de bois avec des degrez percez à jour pour recevoir le frais. L’eau passe dessous. Il y a aupres de là pour le mesme effet une Chambre soûterraine, qui sert à donner du vent en Eté à tous les endroits de ce superbe Theatre. Les Loges peuvent aussi contenir cinq cens Personnes. Elles sont toutes ornées de Statuës de relief dorées. Le Ciel ou le Lambris est tout travaillé à fleurs & à feüillages, avec un tres-grand nombre de Miroirs, qui refléchissent la lumiere, & la renvoyant de tous côtez, font un effet surprenant.

Ce fut sur ce beau Theatre que pour la seconde fois on représenta l’Opéra des Amazones le 10. ou 11. de Novembre. Vingt Torches de cire blanche l’éclairoient. Le Rideau qui en cachoit la Décoration, estoit de Velours cramoisy à poil, avec des Coûtures couvertes de Trainetes ou petits Passemens d’or, que la lumiere rendoit tres-brillans. Les Spéctateurs estoient la plûpart d’une qualité fort relevée, puis qu’on y voyoit le Duc de Mantouë, le Prince de Bozzolo, le Landgrave de Hesse, & beaucoup d’autres, & les Ambassadeurs de l’Empereur, de France, & d’Espagne, avec toute leur Suite, quoy que ces Ministres y fussent inconnus, de mesme que plusieurs Procurateurs & Senateurs de Venise. Les Dames Venitiennes y parurent au nombre de deux cens, & autant de Nobles. Les Etrangers de l’un & de l’autre Sexe, estoient encor en plus grand nombre, en sorte que les Loges & tous les autres endroits en furent remplis autant qu’ils le pouvoient estre. Mr Contarini fit distribuer à tous indiféremment des Livres de l’Opéra, & des Bougies pour les lire, parce qu’avant qu’on levast la toile, on éteignit les vingt Torches, & l’on ne laissa allumées que celles qui estoient dans les divers Etages des Loges, jusques au commencement de la Représentation. Elle dura trois heures & demie avec beaucoup de varieté, & un aplaudissement universel. Parmy les choses extraordinaires qui y parurent, on y remarqua trois cens Acteurs, sçavoir, cent Femmes Amazones, cent Hommes déguisez en Mores, cinquante Hommes à cheval qui firent une tres-belle montre, des Pages, des Estafiers, des Laquais, & des Cochers, qui à la fin de la Piece conduisirent sur le Theatre un Carrosse tout couvert de Broderie d’or, tiré par six des plus beaux Chevaux qu’on puisse voir. Les Scenes que l’on admira le plus, furent celles d’un grand Cabinet, dont toutes les Pieces estoient relevées en Broderie, & une autre de Tentes ou Pavillons brodez. Il y en avoit pour le moins quarante.

Le lendemain sur le soir, on se promena dans l’Avenuë qui est au devant du Palais, avec les Seigneurs & les Dames qui y parurent tous dans leurs Carrosses à six Chevaux, au nombre de plus de cent cinquante. En suite on donna le Bal, où l’on vit de tres-superbes Habits, & des Pierreries qui n’ont point de prix.

Le jour suivant on alla au Cours dans l’Avenuë, & à quatre heures de nuit, on se rendit au Theatre que l’on trouva encor éclairé par vingt Torches de cire blanche, mais celles-cy estoient torses & dorées. La Toile qui cachoit le lieu de la Scene, estoit de Velours cramoisy à fleurs à fond d’or. On distribua des Bougies dorées, & dans les Livres qu’on donna à tout le monde, chaque Scene se voyoit représentée en Taille-douce. Les Spectateurs furent les mesmes du jour précedent. La Représentation dura depuis six heures jusqu’à onze, mais avec une admiration si continuelle, qu’aucun Opéra ne fut jamais aplaudy avec tant de marques d’une entiere satisfaction. Quoy que le premier fust beau, celuy-cy, qui estoit Berénice vindicative, le surpassa de beaucoup par la magnificence des Entrées, & par la richesse des Habits. On y compta jusques à cinq cens Acteurs ; sçavoir, cent Piquiers, cent Femmes, cent Cavaliers montans des Chevaux bardez, soixante Hallebardiers, des Chasseurs, des Estafiers, des Pages, qui parurent tous dans la premiere Scene du Triomphe. Rien ne pouvoit mieux représenter les fameux Triomphes des Empereurs Romains. On y voyoit sept superbes Chars pleins de Trophées, & un entr’autres tiré par quatre Chevaux vivans qui marchoient de front. La Reyne Berénice estoit assise sur ce dernier, qui estoit haut de vingt pieds, & orné de Stucs dorez & argentez d’une beauté admirable. Sur le derriere estoit un grand Aigle, qui de ses aîles faisoit ombre à cette Reyne. Devant ce Char qu’avoient précedé cent Femmes, toutes magnifiquement vétuës, on voyoit marcher celuy où son Ennemy vaincu estoit enchaîné. On admira le bel ordre de ce Spectacle, qui quoy que tres-grand, se termina sans confusion. Ce qui étonna le plus, ce fut une veritable Chasse de Cerfs, d’Ours, & de Sangliers vivans, qui furent tuez par les Chasseurs. Pour les Scenes feintes, on remarqua particulierement une grande Place, un Temple, une Ecurie avec cent Chevaux vivans & quantité de Palefreniers ; une Chambre toute garnie de Point de Venise d’une dépense extraordinaire ; un Carrosse qui parut à la fin du second Acte, dont l’Impériale, les Rideaux, les Portieres, les Houpes, & les Couvertures des Chevaux, estoient de ce mesme Point ; un autre tout couvert de fleurs de soye, un autre de Pierres fines, un autre embelly de Bustes d’or, un autre enrichy de Diamans & de Miroirs, & un autre orné de Stucs tous dorez. Ces six Carrosses, remplis de Dames & d’Hommes qui chantoient de petits Airs galans, alloient en tournant sur le Theatre, de la mesme sorte que l’on se promene au Cours. Les diverses Décorations ne changeoient pas à la maniere ordinaire. Elles sortoient de dessous la terre, & celles mesme qui estoient en place se perdoient, & s’abîmoient avec tant de promptitude que les yeux estoient trompez. Tout ce qui servit au nouvel Opéra de Berénice, fut diférent de ce que l’on avoit veu le premier jour à celuy des Amazones. Ainsi, ce furent nouveaux Habits, nouvelles Décorations, & nouveaux Musiciens. Ces admirables Représentations devoient estre continuées encor quatre fois, mais la chute d’un Bâtiment depuis peu construit, empêcha d’executer ce dessein. C’estoit une espece de Magazin, dans lequel on gardoit tous les Habits des Entrées, & des Personnages. Les Chars de Triomphe en furent brisez, avec les Carrosses dont je viens de vous parler.

Voila, Madame, ce que contient une fort exacte Relation envoyée par une Personne tres-digne de foy, qui s’est trouvée à toutes ces Festes. La Musique y fut charmante. Vous sçavez que c’est en quoy les Italiens excellent.

Second couplet des Stances du Cid, mis en Air §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 249-251.

Mr Charpentier qui a demeuré trois ans à Rome, en a tiré de grands avantages. Tous ses Ouvrages en sont une preuve. Je vous envoye la suite de ce qu’il a commencé.

SECOND COUPLET DES STANCES DU CID,
mis en Air.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Que je sens de rudes combats, doit regarder la page 250.
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse.
Il faut vanger un Pere, ou perdre une Maîtresse ;
L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.
Réduit au triste choix, ou de trahir ma flâme,
Ou de vivre en Infame,
Des deux costez mon mal est infiny.
O Dieu, l’étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuny ?
Faut-il punir le Pere de Chimene ?
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A une Belle, sur une Mouche qu’elle avoit mise §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 251-252.

Il est peu de Gens qui n’aiment, & bien souvent c’est un rien qui fait aimer. Mr Sanson d’Abbeville, a fait là-dessus un fort joly Madrigal.

A UNE BELLE,
Sur une Mouche qu’elle avoit mise.

L’amour naist de caprice ; un bel œil peut charmer,
Mais aussi tres-souvent c’est un rien qui nous touche.
I’ay veu tous vos appas cent fois sans m’alarmer,
Et sur un pied de Mouche,
Aujourd’huy je m’avise, Iris, de vous aimer.

[Epigramme] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 252-253.

Une Mouche fait icy naître l’amour, & si nous en voulons croire Anacreon, l’Amour luy-mesme s’est plaint d’une Mouche. Voyez de quelle maniere Mr le Président de la Tournelle, de Lyon, a exprimé la pensée de ce Poëte Grec.

EPIGRAMME.

Un jour cueillant une Rose,
Amour se piqua la main,
Et vit avec grand chagrin
Qu’une Abeille en estoit cause.
Il s’en alla tout en pleurs
Instruire de ses douleurs
La Déesse de Cythere.
Mon Fils, ce ne sera rien,
Luy dit cette bonne Mere.
Si vous ressentez si bien
Un piqueure légere,
Un Amant que doit-il faire ?

[Ce qui s’est passé à Paris pendant le Carnaval] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 262-269.

Il est temps de vous parler de ce qui s’est fait ce Carnaval. Vous ne doutez point, Madame, qu’on ne l’ait passé agréablement dans la Capitale d’un Royaume, qu’une glorieuse Paix rend abondant en plaisirs ainsi qu’en toute autre chose. Ils y ont régné parmy les Grands & parmy les Peuples, & plusieurs Ministres Etrangers se sont joints avec quelques Seigneurs de la Cour des plus qualifiez, pour se divertir entr’eux, & pour divertir le Public en recevant des Masques. Ces Messieurs estoient au nombre de dix-huit. Voicy leurs noms. Mr de Strasbourg, Mr les Ambassadeurs de Suede & de Venise, Mr Savel Envoyé Extraordinaire d’Angleterre, Mrs les Ducs de Lesdiguieres, d’Aumont, de Nevers, & de Gesvres, Mrs les Comtes d’Auvergne & de Bethune, Mr le Prince de Monaco, Mrs les Chevaliers de Tilladet & Cornaro, le dernier est Venitien, Mr le Marquis de Grillon ; Mr de Lorance, Noble Venitien ; Mrs de Langlée & Desormes, & Mr Moriel Gentilhomme Provençal. Ces Messieurs faisoient entr’eux chaque jour une espece de Loterie. Tous les Billets estoient noirs, mais ils coûtoient beaucoup plus cher que des blancs, parce que chaque Billet contenoit ce que ceux qui les tiroient devoient payer pour le Divertissement du soir. La premiere Assemblée se fit chez Mr l’Ambassadeur de Venise, qui loge au Marais. Vous sçavez quelle est la beauté de sa Maison, puis que c’est celle que Mr Aubert a fait bâtir. Apres un tres-grand Soupé, l’on joüa l’Andromaque de Mr Racine, Trésorier de France, & la petite Comédie de la Comete. Pendant ce temps les Masques vinrent en foule de tous les Quartiers de Paris. Le Bal commença en suite, & toute la nuit fut employée à dancer. Huit jours apres (car ces Festes ne se faisoient que tous les Jeudis) l’Hôtel de Nevers fut le lieu de l’Assemblée. Tous ces grands Apartemens estoient richement meublez, & on les voyoit briller d’un nombre presque infiny de lumieres. Le Cinna de Mr de Corneille l’aîné, fut représenté. Quelques Voix des plus belles de l’Opéra en distinguerent les Actes, & tout cela fut suivy de plusieurs Scenes plaisantes des Italiens. On ouvrit ensuite aux Masques qui avoient des Billets pour entrer. Comme l’on s’estoit fort diverty chez Mr l’Ambassadeur de Venise, & que ces Assemblées plaisoient extrémement au Public, on avoit crû avec beaucoup de raison que le nombre des Masques seroit tres-grand. On ne se trompa point. Aussi avoit-on eu la précaution de faire éclairer tous les beaux Apartemens de ce grand Palais, & de mettre des Violons ou des Hautbois dans toutes les Chambres, en sorte que chacune estoit un lieu d’Assemblée. Jugez, Madame, si cette agreable confusion de Masques, tous tres-bien mis, se peut trouver ailleurs qu’à Paris. La Collation fut magnifique, & l’on dança jusqu’au jour. Le Jeudy de la semaine suivante, cette mesme Compagnie se rendit chez Mr de Strasbourg. Vous sçavez trop de quelle maniere ce Prince fait les choses, pour n’estre pas persuadée que tout y estoit superbe, & en abondance. Il y eut Comédie Italienne. Apres le Soupé, Monsieur, & Madame, honorerent cette belle Assemblée de leur présence, & on leur servit une galante Collation, où vous pouvez croire que rien ne manqua.

[Mascarade chez Mme la Duchesse]* §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 269-277.

Les Divertissemens estant de toutes conditions, & de tous âges en de certains temps, il faut vous entretenir de celuy qu’ont pris des Personnes du premier rang d’un âge moins avancé. Son A. Serénissime Madame la Duchesse, qui se plaist sur tout avec sa Famille, a fait chez elle une Mascarade de Mr le Duc de Bourbon son Fils, & de Mesdemoiselles les Princesses ses Filles. Cette Mascarade que l’on regardoit d’abord comme un jeu d’Enfans, est devenuë insensiblement une maniere de Feste, qui a donné beaucoup de plaisir. Ils estoient dix-huit ou vingt déguisez, dont les plus vieux ne pouvoient avoir que quatorze ans. C’estoit peut-estre la premiere fois qu’ils s’estoient divertis de cette maniere. Ainsi ils parurent tous si satisfaits, qu’il estoit impossible en les voyant de ne pas sentir une partie de leur joye. Aussi Madame la Duchesse y prit elle tant de part, qu’elle leur permit de se déguiser plus d’une fois. Mademoiselle de Bourbon inventa un Habit de Bergere, qu’elle fit faire pour le second jour, sans en rien dire à personne. Elle fut admirée dans cet Habit. Madame la Duchesse luy en fit faire un troisiéme pour le Mardy-gras, tres-beau, & tres-riche, tant pour l’Etofe, que pour les Pierreries dont il estoit tout couvert. On n’y changea rien de la maniere du second, que cette jeune Princesse avoit inventé. Je vous dirois inutilement qu’elle a infiniment de l’esprit & du délicat, cela est connu de tout le monde. Elle a une taille des plus fines, & quoy qu’elle ne soit pas bien haute, on ne la flate point en disant qu’elle est aussi bien faite que Princesse de la Cour. Ses façons d’agir obligeantes & honnestes, témoignent assez que rien ne manque à son éducation. Monsieur le Duc de Bourbon son Frere, parut aussi dans la Mascarade avec de tres-beaux Habits. Rien n’estoit plus magnifique que celuy qu’il mit le Mardy gras. On fut surpris de la propreté de la petite Mademoiselle d’Enguyen, qui n’a encor que quatre ans. Ses petites manieres sont toutes charmantes, & on ne peut voir une plus aimable Enfant. Ils se masquoient d’ordinaire sur les quatre heures jusqu’à neuf ou dix du soir. Ils alloient chez Monsieur le Prince, qui leur faisoit apporter de fort belles Collations, & retournoient ensuite dancer chez Madame la Duchesse. Je ne vous ay rien dit de Mesdames les Princesses de Brunsvic, qui ont esté toutes trois de ce galant Divertissement. Elles estoient richement vétuës, la Princesse Charlote en Bohëmienne, la Princesse Henriete en Polonoise, & la Princesse Willemene en Bergere. Elles sont fort belles, & bien faites pour leur âge. La continuation de la Mascarade allant au delà d’un jeu d’Enfans, Madame la Duchesse de Hanover leur Mere en fit scrupule à cause de son deüil, & ne voulut point permettre qu’elles s’y trouvassent le Mardy-gras. Mademoiselle de Bourbon estoit la premiere fois en Egyptienne, & Monsieur le Duc de Bourbon de mesme ; la seconde fois tous deux en Berger & en Bergere ; & la troisiéme, Mademoiselle de Bourbon encor en Bergere, mais avec bien plus de magnificence, & Monsieur le Duc de Bourbon en Avocat. Mademoiselle Richou parut aussi en Bergere la premiere fois, & la seconde, en Persienne. Son Habit estoit tout de Dentelle or & argent, & garny de Pierreries. Comme elle est une des plus jolies Naines que l’on puisse voir, & qu’elle dance tres-bien, on la regarda avec beaucoup de plaisir. Mrs les Chevaliers de Blanfort, de Longueville, & de Soubise, estoient aussi tres-galamment habillez, ainsi que tous ceux de cette illustre & charmante Troupe.

[Divertissemens de S. Germain pendant le Carnaval, avec les noms de ceux qui ont esté des Mascarades, & la description deurs Habits] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 277-282.

Je vous ay dit quelque chose la derniere fois de la maniere dont on se divertissoit à Saint Germain. On a continué de la mesme sorte le reste du Carnaval, & on n’y a laissé passer aucun jour, sans prendre quelques-uns des plaisirs qui sont ordinaires dans cette saison. Le Balet, la Comédie, les Mascarades, & les Bals, en ont servy alternativement à toute la Cour. La Mascarade qui préceda celle du Mardy-gras, fut tres-éclatante. Monseigneur le Dauphin estoit Chef d’une Troupe de sept Indiens, ou Sauvages. Des Plumes de quatre couleurs en composoient tout l’Habillement. Celles qui estoient sur le corps, les bras, & les chausses, estoient de petites Plumes d’Oyseau attachées par des nüances de diférentes couleurs. Le Tour du col, celuy des épaules, les Tours de bras, la Ceinture, & les Jaretieres, estoient de Plumes d’Autruche assez grandes, sur le pied desquelles on voyoit une Chaîne de Rubis & de Diamans. Le Tonnelet & les Lambrequins estoient aussi de Plumes de diférentes couleurs, avec une nervûre de Plumes noires dans le milieu de ces Lambrequins. On avoit enchassé sur cette nervûre des Rubis & des Diamans, dans des Roses de Broderie d’or. Le mesme dessein paroissoit observé dans la Coifure. Les Bas & les Souliers estoient de couleur de feu, brodez d’argent, & le Masque de la mesme couleur. Monseigneur le Dauphin avoit fait la dépense de ces sept Habits. Mr le Duc de Vermandois se fit Chef le mesme jour d’une Bande de Persans. On n’eut pas de peine à le distinguer, tant il estoit magnifique. Il parut beaucoup dans cet équipage de Persan, aussi-bien que Mr le Duc de Mortemar. Mademoiselle de Nantes se fit admirer au Bal avec un Habit aussi riche que galant. Elle estoit vestuë à la Grecque ; mais quelque éclat que luy donnast son Habit, ce n’estoit pas ce qui la faisoit regarder ; & si les yeux de quelques uns estoient attirez par les agrémens de sa Personne, les autres qui la connoissoient plus particulierement, estoient beaucoup plus surpris de ce qu’à sept ans & demy (qui est son vray âge) elle sçait autant de choses, que la plus parfaite en pourroit sçavoir à vingt. La plûpart des Comédies que l’on a joüées à S. Germain, ont esté représentées dans l’Antichambre de Madame la Dauphine. Le Roy entierement occupé des soins de l’Etat, ausquels ce Prince se donne avec une application inconcevable, ne s’est trouvé à aucune. Sa Majesté a veu seulement la Représentation de la Devineresse, qui s’est joüée sur le Theatre du Balet.

[Mascarade à la cour]* §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 282-298.

Je viens au dernier jour du Carnaval. Vous sçavez, Madame, que toute la Cour masque ce jour-là, & qu’il y a toûjours Bal le soir. Il commença à dix heures, apres le Soupé du Roy, dans la grande Salle des Balets, qui avoit esté préparée pour cela, & qui estoit éclairée d’un nombre infiny de lumieres. Elles aidoient fort à faire briller les Habits des Masques spectateurs, dont tous les Amphitheatres estoient remplis ; & comme il n’y en avoit aucun qui ne se fust mis dans la derniere magnificence, on peut dire qu’il est peu d’occasions où l’on voye tout-à-la-fois tant de Personnes si superbement parées. Le Roy qui ne prend ces sortes de divertissemens que dans le dessein de les donner à sa Cour, ne mit ce soir-là qu’une Robe de Chambre tres-riche, & un Chapeau avec un Bouquet de Plumes. Jamais la Reyne n’avoit paru si bien mise. Son Habit estoit à la Grecque, & orné des plus belles Pierreries de la Couronne.

Madame la Dauphine se déguisa en Venitienne, mais d’une maniere si galante, qu’elle surprit toute l’Assemblée. Il seroit difficile d’expliquer tous les agrémens qui entroient dans cette maniere d’ajustement. Toute la parure estoit de Diamans fins, employez avec tant d’art & de propreté dans les endroits nécessaires, qu’on ne pouvoit se lasser de l’admirer. Un petit Turban de Velours tailladé, & orné de Diamans, faisoit la Coifure de cette Princesse. Du milieu de ce Turban s’élevoit une Aigrete de Diamans d’une beauté surprenante. Il n’y avoit que des Plumes blanches dans cette Coifure.

Monseigneur le Dauphin représentoit un Arabe. Le dessus de son Habit estoit d’un Brocard broché d’or, avec de grands Compartimens noirs, ornez autour d’un Point de France or & argent, au milieu duquel estoit une Bande de Marte Zibeline. Le Lacis du Tour de ses Manches estoit de Rubis, & le dessous de son Habit, d’un Brocard couleur de feu, & or, avec des Boutonnieres d’or tres-relevées, & tres-riches, meslées de noir. Ces Boutonnieres estoient ornées de Pierreries, & les Manches de l’Habit, d’un Point de Venise d’or, avec un riche Point de France entre-toile, d’une maniere si extraordinaire, qu’on n’a rien veu jusques à présent de plus magnifique. Le Turban de ce Prince estoit d’un Brocard de Venise à grandes fleurs d’or, lacé d’une Chaîne de Pierreries. Ses Plumes estoient couleur de feu & blanc.

Monsieur avoit une Veste toute couverte de Dentelle & de Diamans, avec de grandes Manches qui pendoient fort bas. Elles estoient ratachées à sa ceinture, & tomboient jusques à terre. La richesse & la galanterie de l’Habit de Mademoiselle, avoient dequoy se faire admirer. Les Pierreries y brilloient de tous costez.

Son Altesse Serénissime Monsieur le Duc avoit un Habit Hongrois. Le dessous estoit de Velours couleur de feu, tout couvert de Dentelles or & argent, cousuës en Coquilles. Il avoit par dessus une Veste à la Turque de Drap d’or & vert, doublée d’un Tissu d’or, le tout enrichy de Dentelles & de Frange d’or, & garny de Pierreries comme la Coëfure.

Monsieur le Prince de Conty vint à cette Mascarade, accompagné de Mr le Prince de la Roche-sur-Yon, de Mr le Duc de la Ferté, & de Mrs les Marquis d’Alincourt, de Nangy, & de Molac. Ce Prince représentoit un Persan. Sa Veste de Brocard or & vert, estoit retroussée sur les devans. Il avoit sous cette Veste un Tonnelet couleur de feu, or & argent, des Manches pendantes d’un tres-riche Point de France pareillement or & argent, & tout son Habit de mesme. Rien n’égaloit la beauté de son Echarpe. Il avoit de grandes Boutonnieres toutes de Pierreries, & un Turban de Brocard or & blanc, avec un Fronteau de Velours noir enrichy de Pierreries. Les Plumes qui couvroient son Turban, estoient de couleur de feu & blanc, accompagnées d’une tres-belle Héronniere. L’Habit de Mr le Prince de la Roche-sur-Yon, estoit tout pareil, aussi-bien que ceux des Seigneurs qui les suivoient. Il n’y avoit que Mr de la Ferté qui se fust mis d’une autre maniere. Ce Duc avoit un Habit d’ombre or & noir, couvert de Dentelles d’or. Celuy de Mr le Comte de Vermandois estoit aussi singulier que riche. Sa Veste de Brocard or & vert, paroissoit toute couverte de riches Dentelles, & pour agrément on voyoit sur ces Dentelles une bande de Velours noir large d’un doigt, & toute brillante de Pierreries. L’Habit de dessous estoit un Brocard couleur de feu & or, avec plusieurs Dentelles plissées. Un Turban de Velours noir tout à jour, garny de Plumes, & orné de Pierreries, faisoit sa Coëfure. Mr le Duc de Crussol avoit un tres bel Habit à la Turcque. Il menoit d’illustres & jeunes Bohëmiennes ; sçavoir, Mademoiselle de Nantes, Mademoiselle de Crussol, Mademoiselle de Noailles, Mesdemoiselles d’Epinoy, & Mademoiselle d’Eudicour. On n’a jamais rien vû de plus galant que Mademoiselle de Nantes en Bohëmienne. Ses cheveux bouclez estoient étendus, & flotoient sur ses épaules. Par dessus elle avoit un Point de France qui luy servoit de Coëfure, & dont les bouts pendoient à la négligence. Cette charmante Princesse fut l’admiration de cette auguste Assemblée, où celles de sa Suite parurent beaucoup. Mr le Duc de S. Aignan estoit vétu en Bassa. Il suffit de le nommer pour persuader de sa bonne mine, & de la magnificence de son Habit. Mr le Duc de Noailles s’estoit déguisé en Polonois. Il avoit une Robe de Brocard or & argent, & couleur de feu, de ces Etofes damasquinées du Sr Charlier qu’on estime tant. La Robe aussi-bien que le Bonnet, qu’il avoit fait faire de la mesme Etofe, estoient garnis de Marte Zibeline ; le tout enrichy de Franges d’or, d’Echarpes, & de tous les ornemens necessaires pour l’Habit. Mr le Marquis de Tilladet estoit à peu prés de la mesme sorte. Mr le Duc de Mortemart avoit un Habit à la Persane. Les Brocards or & argent, les Dentelles, & les Pierreries, ne luy manquoient pas. Depuis le peu de temps qu’il est dans le monde, il a sçeu se distinguer, & a fait paroistre en tout de la grandeur d’ame. Mesdemoiselles de Lislebonne ne s’attirerent pas moins de regards par la galanterie de leurs Habits, que par leur magnificence. L’une estoit en Persane, & l’autre en Bergere. Madame la Duchesse de Mortemart, & Madame de Segnelay, représentoient aussi des Persanes, avec des Habits tres-riches, mais fort diférens. Je ne vous dis point que Madame de Grancey parut beaucoup dans cette Assemblée. On sçait qu’elle n’a pas besoin d’ornemens pour se faire remarquer. Madame la Princesse Marianne fut admirée, tant pour la maniere extraordinaire dont elle estoit mise, que pour son ajustement. Elle avoit une Veste du plus riche Brocard or & argent, dont les tailles, les bords, & les lez, estoient ornez de Marte, avec des agrémens de Diamans & de Rubis aux deux costez. Ses Boutonnieres estoient aussi de Diamans. Elle portoit ses Manches ouvertes en deux pointes tombantes, d’une tres-belle Etofe, avec des Dentelles plissées autour, & une Houpe tres-riche à chaque pointe de Manche. Son Turban lacé de deux Etofes, l’une noire & or, & l’autre couleur de feu & argent, faisoit un tres-bel effet. Il y avoit cinq ou six Plumes sur ce Turban, & une Héronniere au milieu, sur la tige de laquelle on voyoit une Enseigne de Diamans d’un tres-grand prix. Cet Habit fut trouvé aussi magnifique que bien entendu.

[Explication en Vers de la premiere Enigme du mois passé] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 312-316.

J’avois crû que le vray Mot de la seconde Enigme du dernier Mois, ne pourroit estre trouvé, mais rien n’échapa à la penétration de ceux qui se divertissent à ce jeu d’esprit. Le Fils du Fort Mastin d’Abbeville a explique ainsi la premiere dans son veritable sens.

Mercure est devenu Joüeur,
C’est en vain qu’il en fait une affaire secrete.
Eussiez-vous jamais crû qu’il eust esté d’humeur
A tenir chez luy la Bassete ?

Plusieurs Personnes ont trouvé ce mesme Mot de la Bassete. Ce sont Mrs Blanchard, de Chasteauroux ; De Giseux, du Païs d’Anjou ; Le Chevalier du Catulé, du Ponteau-de-mer ; Claret, de Roüen ; D. Laurent Raguienne, Prieur de Bethune ; Ha… du Mesnil, de Chambrais en Normandie ; Le Hot, Avocat à Caën ; Daurould, Bachelier en Sorbonne, d’Abbeville ; Hutuge, d’Orleans ; Le Solitaire de Gimbrois lez Provins ; Les gays Pastoureaux de la Ruë S. Antoine ; Le Solitaire de la Porte S. Michel ; Samson, d’Abbeville ; Le Rat du Parnasse, du Cloistre S. Mederic ; L’Inconstant de profession ; Le Sincere Herminius ; Le Solitaire de la Ruë Cassete ; Le Perroquet des Muses ; L’Aimable Euterpe ; L’Amante sans amour ; La Belle Recluse ; Plautine la cadete ; La petite Silvie de la Ruë de Bouret à Morlaix. Elle a esté expliquée en Vers par Mrs Gardien ; Le Chevalier de Lamplicourt, de Roüen ; Buisson, Avocat en Parlement ; De P. le J. Seffrie de S. Joseph, d’Andely en Vexin ; L’Amant de la Belle Poëtevine ; Le grand Coureur de Sermons ; L’Amant de la charmante Mademoiselle de la G. de Roüen ; Le Reclus d’Aunoy lez Provins ; L’Inconnu d’Argenton-Chasteau ; L’Amant inconnu de la belle Philis de Roüen ; L’Albaniste de la mesme Ville ; Le Solitaire de la Ruë des Arcis ; Philonice ; & Paquete.

On a expliqué cette mesme Enigme sur la Guerre, le Duel, la Fortune, le Sort, le Poison, le Hoca, & la Comédie Burlesque.

[Explication en Vers de la Seconde Enigme] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 317-320.

L’Explication de l’autre Enigme, dont le Mot estoit le monosyllabe On, est dans les Vers que vous allez voir. Ils m’ont esté envoyez au nom du Soleil du Quartier S. Mederic.

On vit dans tous les lieux, On est dans tous les temps,
On a pris toutefois son origine en France.
On se mesle par tout avec toute assurance,
On parle librement des-Petits & des Grands.
***
Tous les Philosophes antiques
Dont vous voyez remplir les plus rares Boutiques,
Ces fameux Orateurs que l’on voit aujourd’huy,
N’en ont jamais tant sçeu que luy.
***
Sa science est universelle,
Mais il ne sçait parler qu’en langage François ;
Il écrit, fait, & dit cent choses à la fois,
Il apporte de tout la premiere nouvelle.
***
Aux plus sçavans Docteurs, aux plus rares Esprits,
Il donne de la tablature,
Et vous-mesme, Galant Mercure,
Vous vous servez souvent de cet On que je dis.
***
Mais vous ne faites pas (& vous avez raison)
Comme ces langues indiscretes,
Qui pour faire éclater des Intrigues secretes,
Disant ce qui leur plaist, se déchargent sur On.

Mademoiselle F. Bouvard de Chartres, a trouvé ce mesme Mot, aussi-bien que Mrs de Lisle Trésorier ancien des Gardes du Corps du Roy ; L. Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy ; Formentin & Caudron, d’Abbeville, qui ont tous expliqué cette Enigme en Vers. La Gazete, le Mercure Galant, la Renommée, & l’Enigme, sont d’autres sens qu’on luy a donnez. Mrs Regnier, & Coquillart Bourguignon, ont trouvé celuy de l’une & de l’autre.

[Enigme] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 320-322.

Je vous en envoye deux nouvelles, dont la premiere est de Mr de Gramont de Richelieu.

ENIGME.

Nous sommes plusieurs Sœurs ensemble,
Sans que pas-une se ressemble,
Quoy que nous ayons mesme sort.
L’une parle toûjours diféremment de l’autre ;
Cependant il n’est point d’accord
Qu’on puisse comparer au nostre.
***
Nostre destin pourtant est tellement bizare,
Et nostre avanture si rare,
Que telle qui de ses beaux doigts
N’osoit nous toucher autrefois,
Tant elle est propre & délicate,
Sans craindre de se faire tort,
Tantost avec plaisir nous flate,
Tantost se divertit à nous batre bien fort.
***
Pendant le vivant de nos Peres,
Nous sommes en mauvaise odeur ;
Mais si-tost qu’ils sont morts, par un rare bonheur,
D’officieuses mains nous tirent de miseres,
Et nous font acquérir une telle douceur,
Que nous pouvons charmer les cœurs les plus severes.

[Autre Enigme] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 322-323.

AUTRE ENIGME.

Admirez mon étrange sort ;
Je sçais donner la vie, & puis causer la mort.
De mon corps, s’il est plein, naist la crainte & la joye ;
S’il est vuide, il réduit les plus gays aux abois.
Toutefois, s’il faut qu’on m’en croye,
J’emprisonne souvent les Princes & les Roys.
***
Mon corps n’a que la peau ; quoy que sans os, sans chair,
L’on le met aux liens, pour me tenir esclave ;
Si par la soye & l’or on me veut rendre brave,
On prend grand soin de me cacher ;
Car Mercure qui sçait tous les tours de souplesse,
Par les siens me poursuit sans cesse,
Et fait, s’ils peuvent m’approcher,
Sur moy triompher son adresse.
C’est bien pis, s’ils fondent soudain
Sur moy les armes à la main.

[Enigme en figure] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 323-324.

Quant à l’Enigme en figure, vous voyez icy deux Géans représentez, l’un & l’autre armé de Coutelas, & un Nain qui s’est jetté sur les gardes de leurs armes, qu’il semble avoir dessein d’arrester. Je laisse à vostre curiosité d’en chercher le Mot.

[Voyage de Monsieur le Dauphin & de Madame la Dauphine à Paris, avec le Régal qui leur a esté donné chez M. Malo] §

Mercure galant, février 1681 [tome 2], p. 334-335.

Madame la Dauphine qui n’avoit point encor veu la Foire de Saint Germain, y alla Mardy dernier, apres avoir dîné au Palais Royal, où Son Altesse Royale traita Monseigneur le Dauphin. Ce fut de là que ce jeune Prince, accompagné de cette Princesse, de Monsieur, de Madame, & de Mademoiselle, se rendirent chez Mr Malo pour la Représentation & les Intermedes en Musique de la Comédie d’Amphitrion, dont je vous ay déja parlé dans cette Lettre. On leur servit une superbe Collation dans quarante Corbeilles d’argent. Toute cette auguste Cour n’en fut pas moins satisfaite que du compliment de Mr Malo, Conseiller au Parlement de Mets. Ils sont trois Freres, dont l’un est Conseiller à la Grand’Chambre, & l’autre Abbé.