1681

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV).

2017
Source : Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV).
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV). §

Lequel doit estre estimé le plus malheureux, ou l’Aveugle né, ou celuy qui a perdu la veuë §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 1-12.

Ne soyez point surprise, Madame, si dans chacune de mes Lettres Extraordinaires vous trouvez beaucoup d’Ouvrages sur les matieres qui ont composé le précedent. On me les envoye si tard, & les Lieux d’où j’en reçois quelques-uns sont si éloignez, que je suis toûjours contraint d’en remettre une partie jusques au Quartier suivant. Ce retardement n’oste rien de leur beauté, & j’espere que vous ne serez pas moins satisfaite de ceux qui vont faire le commencement de cette Lettre, que vous me l’avez paru de tout ce qui a remply celle du 15. d’Avril. Mr Perrin est Autheur de la Réponse que vous allez voir à la Question des deux Aveugles. Il est d’Aix en Provence, Fils d’un Secretaire du Roy, & l’un des plus beaux Esprits de la Province. La maniere dont il établit son raisonnement, vous en convaincra.

LEQUEL DOIT ESTRE
estimé le plus malheureux, ou l’Aveugle né, ou celuy qui a perdu la veuë.

Si l’on eust autrefois proposé ce Probléme à cet Athénien, qui se fait un honneur d’estre insensible, comme il mettoit sa gloire à paroistre indiférent dans les disgraces qui survenoient, il n’auroit pas balancé sur la réponse qu’il eust euë à faire. Il eust fait voir que celuy qui a perdu la veuë, ne l’auroit point touché, mais que celuy qui naist aveugle l’auroit attendry.

Si nous entrons dans le sentiment de ce Philosophe, nous demeurerons d’accord, que quoy que tous deux soient privez de la lumiere, l’usage qu’a eu de ses yeux celuy qui a veu, luy laisse dequoy se consoler ; car en effet, plusieurs avantages reparent en quelque façon les incommoditez des tenebres où il se trouve. Il a eu le plaisir de voir le monde, & les beautez qui le rendent aimable. Disons plus. Les images qui en sont restées dans son esprit, luy rendent les mesmes beautez comme présentes, & peuvent en quelque sorte agreablement le divertir. A la verité il est dans les tenebres, mais ses tenebres ne sont qu’extérieures ; elles ne s’étendent pas jusques au dedans de luy. Le corps est aveugle, mais l’ame est clairvoyante. Les rayons du Soleil ne sont pas necessaires pour entretenir les connoissances qu’elle a acquises. Que si elle a besoin du ministere des yeux, ce n’est que pour discerner les couleurs, & non pas pour conserver les sentimens. D’ailleurs, l’ame, ce chef-d’œuvre de Dieu mesme, cette ame a une noblesse qui l’éleve au dessus des miseres qui attaquent son compagnon ; & de mesme qu’elle demeure libre parmy les liens qui l’enchaînent, elle conserve aussi ses lumieres au milieu des tenebres qui l’environnent. Personne n’ignore qu’Homere n’eust cessé de voir les objets sensibles, & cependant ses ouvrages ne sont-ils pas remplis de descriptions si achevées des beautez qu’il avoit veuës, qu’elles trouveront toûjours des Admirateurs, par tout où il y aura de bons Connoisseurs ? D’autres Anciens, aussi devenus aveugles, ont porté si loin les connoissances qu’ils avoient sur la Philosophie, qu’ils ont fait voir que leurs yeux n’estoient pas necessaires pour s’immortaliser par des découvertes, dont les plus curieux clairvoyans font les matieres des plus belles loüanges.

Les Siecles passez ne sont pas les seuls qui fournissent des Aveugles sçavans. On en trouve encor dans le nostre. Il y a des Gens qui parlent avec tant de justesse de ce qu’ils ont veu, qu’on diroit qu’ils le regardent encor, & que c’est sur ce qu’ils voyent qu’ils s’expriment, tant il est vray que si la Nature afflige de beaucoup d’incommoditez ceux qui sont devenus aveugles, elle les console de beaucoup d’avantages, & que faisant en quelque façon comme cette Lance dont parle la Fable, elle fait des guérisons où elle a fait des blessures, prenant plaisir à se montrer bienfaisante, où elle sembloit en avoir pris à se faire voir cruelle. Mais si, pour ainsi dire, cette commune Mere ne fait de ceux qui sont devenus aveugles que des demy-Malheureux, elle fait des Malheureux achevez de ceux qu’elle prive de la veuë dés le ventre de leur Mere. Et de vray, gardant pour eux la qualité de cruelle, sans conserver celle de bienfaisante, elle ne leur fait éprouver que ce que l’aveuglement a de plus fâcheux, & il semble qu’elle s’occupe des moyens qui les peuvent empescher d’avoir en ce monde quelques doux momens ; car en les privant de la veuë, elle leur oste ce qui peut rendre la vie agreable, & les mettant ainsi dans l’impuissance de connoistre beaucoup de choses, elle les met en mesme temps dans la necessité d’en ignorer plusieurs. Aussi les tenebres de ces Infortunez passent fort souvent jusques dans leur esprit, & augmentent la grandeur des autres miseres qui suivent l’aveuglement ; car d’ordinaire ils ont l’ignorance en partage, & s’il arrive qu’ils tâchent d’acquérir quelque science, comme ils ne peuvent avoir que des connoissances superficielles, leurs soins se trouvent presque tous inutiles. On doit donc avoüer que des deux Aveugles de nostre Probléme, le moins malheureux c’est celuy qui a perdu la veuë. S’il a des incommoditez qui luy soient communes avec l’Aveugle né, il a des avantages qui luy sont particuliers, & qui pour consolation dans ses peines, luy rendent sa disgrace suportable. Que dans le dessein de combatre ce sentiment, on ne dise pas que pour sçavoir si quelque chose est un bien, il faut en avoir gousté le plaisir ; & que l’Aveugle né, qui n’a jamais joüy de la veuë, se trouve dans une heureuse ignorance, qui en luy dérobant la connoissance du misérable état où il est, luy en oste la douleur. Qu’on dise plutost qu’il reçoit du préjudice de cette ignorance, puis qu’au lieu de diminuer son malheur, elle l’augmente ; car enfin, qui ne sçait que l’imagination est semblable à ces Lunetes d’approche qui grossissent les objets ; & que quand on ne sçait pas les choses, c’est alors qu’elle agit plus puissamment sur l’esprit, qu’elle figure les maux plus grands qu’ils ne sont, & que pour le dire en un mot, elle est ingénieuse à tourmenter ? Il est vray que si l’Aveugle né, ne sçachant pas la qualité de son malheur, ignoroit qu’il fust malheureux, son ignorance alors ne pourroit luy estre qu’avantageuse. Dans cet état son imagination ne pourroit troubler son repos ; mais sa disgrace est un mal qui ne se sçauroit dissimuler. Des aviditez secretes dont la Nature ne peut se soulager que par les regards, luy tiennent lieu d’une plus grande assurance de son malheur. Si l’on parle devant luy ; parmy les diverses choses qu’on dira, toutes celles qu’il ne pourra pas comprendre, seront encor autant de nouveaux sujets de déplaisir que luy donnera son infirmité. Ainsi au milieu des diférentes assurances de sa misere, il est impossible qu’il ne soit persuadé qu’il est bien plus misérable n’ayant jamais veu la lumiere, que s’il en avoit joüy pendant quelque temps. Donc l’Aveugle né est plus malheureux que celuy qui a perdu l’usage de la veuë.

De la Superstition, et des Erreurs populaires §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 12-88.

DE LA SUPERSTITION, ET DES ERREURS POPULAIRES.

L’ignorance de la Divinité, dit Plutarque, engendre l’impieté dans les ames dures & grossieres, & la superstition dans les ames tendres & timides. L’impieté rend les Hommes incrédules, audacieux, teméraires ; & la superstition les rend faciles, lâches, & défians. L’Athée ne croit point qu’il y ait de Dieu, & n’en redoute point la colere ; Le Superstitieux vit toûjours dans la frayeur & dans la crainte du Dieu qu’il adore. Ils pensent mal tous deux de la Divinité, l’un par la fausseté de son jugement, l’autre par le déreglement de sa volonté. L’un ne comprend point du tout comme Dieu est, l’autre le comprend comme il n’est pas. L’un ne peut croire qu’il soit quelque part, l’autre le cherche par tout. Enfin l’un accuse de son malheur les Hommes & la Fortune, l’autre s’en prend aux Dieux. Mais pour montrer que la superstition est plus criminelle que l’atheïsme, Plutarque en rapporte un exemple fort juste. Il dit qu’Anaxagoras fut accusé d’impieté, pour avoir soûtenu que le Soleil estoit une Pierre, & que les Cimmériens n’en furent point repris, qui disoient qu’il n’y avoit point du tout de Soleil ; & la raison est, qu’il est plus criminel d’attribuer aux Dieux ce qui est indigne de leur essence, que de les nier absolument ; & il continuë cette induction par luy-mesme. J’aime mieux qu’on dise que Plutarque n’est point, ou n’a jamais esté, que de dire que Plutarque est colere, avare, fourbe, ou infidelle. Le Superstitieux a de la haine pour le Dieu qu’il révere, & de son Adorateur il devient son Ennemy. S’il a pour luy du respect & de la venération, c’est comme pour un Tyran qu’on honore, parce qu’on le craint ; & quelquefois il voudroit estre Athée, & ne rien croire, pour ne rien craindre. En effet, la superstition est voisine de l’impieté, ou plutost une habitude qui luy est conforme, comme par le Philon, qui l’appelle encor un rejeton superflu de la Religion. L’Impie, dit-il, ne fait rien pour elle ; le Superstitieux en fait trop. Sa créance, dit Mr Chevreau, est fondée sur une Religion malheureuse, & sur une impieté devote. Il est ridicule dans ses observations, il est esclave de ses craintes, il invoque Dieu selon son caprice, & luy donne quelquefois plus qu’il ne faut, & toûjours autre chose qu’il ne luy demande. Il ne prend conseil que des Vieilles & des Etoiles. Il distingue tous les bons & tous les fâcheux momens de l’année, & regle sur leur fatalité, toute la conduite de sa vie. La nuit qui a esté faite pour le repos des Hommes, luy cause mille inquiétudes, & dans cette obscurité il s’imagine voir à toute heure quelque Spectre ou quelque Fantôme. Il a toûjours quelque vision ou quelque rêverie, & se tenant à luy-mesme lieu de Devin & de Prophete, il prend à bon ou méchant augure, la rencontre d’un Animal, le vol & le chant d’un Oyseau, comme si les Bestes devoient gouverner les Hommes, au lieu que les Hommes doivent gouverner les Bestes.

Je veux croire avec les Sçavans, qu’il y a beaucoup d’imperfection de naturel dans le Superstitieux, & qu’il est foible par tempérament ; mais il y a aussi beaucoup d’habitude, de curiosité, & de vanité. Il n’est pas toûjours ignorant & grossier, il ne se laisse pas conduire par le nez, mais par les oreilles, dit un Moderne, qu’il a grandes & mobiles, dans lesquelles tout entre, & rien n’en sort ; car s’il est facile de le séduire, il est impossible de le détromper. Il a de l’ambition, quoy qu’il soit toûjours dans la crainte & dans un honteux esclavage ; car, comme dit Pline, l’Homme est la plus superbe & la plus misérable des Créatures, & dans la pensée de Socrate, le plus superbe & le plus superstitieux. Un autre assure, que plus on a de malice, & plus on a de superstition, & que lors qu’on est méchant & superstitieux, on est sujet à mille illusions & à mille fantômes qui troublent l’esprit. On a des songes terribles & épouvantables, qui sont moins un effet du malheur qui nous arrive, que de nostre méchante conscience & des châtimens que nous méritons. Enfin le Superstitieux est quelquefois trop curieux & trop sçavant. Pline dit que de son siecle les Ignorans & les Doctes s’arrestoient à examiner leurs songes, leurs rencontres, & jusques à leurs éternûmens.

On n’appelle pas cela des Erreurs populaires, parce qu’il n’y a que le Peuple qui en soit capable ; mais parce que ce sont les opinions de tous les Peuples, ou plutost parce que la superstition est la maladie de tous les Hommes, des Braves comme des Lâches des Doctes comme des Ignorans, des Devots comme des Impies. Elle se répand chez toutes les Nations, dit un Ancien ; elle gagne toutes les Ames, elle occupe tous les Esprits. Ce qui est Religion chez les uns, est superstition chez les autres. Le Concile de Trente a eu cette pensée, lors qu’il la définit, veræ pietatis falsa imitatrix ; mais elle va jusqu’à l’excés de la folie, & elle trouble de telle sorte l’imagination des Peuples, que sous le Regne de Charlemagne estant survenu une grande mortalité sur le Bestail en l’an 801. ils crûrent en France que c’estoit Grimoald Duc de Benevent, qui avoit infecté les Herbes & empoisonné les Bestes, par le moyen de Sorciers qu’il faisoit embarquer en un certain Païs appellé Magodie, & qui se débarquoient où il leur plaisoit pour jetter leur sortilege. Mais ils n’en demeurerent pas à cette vision. Il y en eut d’assez foux pour se croire de cette Cabale, & pour s’aller accuser eux-mesmes en Justice comme Sorciers & coupables de cette mortalité. Si nous en croyons Mr de la Mothe le Vayer, Homme dont la grande probité & la profonde érudition rendent le témoignage irréprochable, un Official de Troyes en Champagne, donna une Sentence l’an 1516. à la requeste des Habitans de Villenoce, contre des Chenilles desquelles ils se plaignoient, apres avoir eu l’équité, ou plutost la folie, de leur donner un Avocat pour les défendre, par laquelle Sentence elles sont admonestées de se retirer dans six jours, à faute dequoy elles sont déclarées maudites & anathématisées. On dit que les Magiciens de Babylone conjuroient aussi les Sauterelles, les Serpens, les Ours, les Lions, & mesme la pluye & la grêle. Pythagore conjura une Ourse, en passant par la Poüille, & luy commanda de ne nuire plus aux Hommes, & de se retirer dans les Bois ; & à un Bœuf, de s’abstenir de manger des Féves semées dans un certain champ. Ce fut là son coup d’essay dans la Magie, & la premiere épreuve de ce grand pouvoir qu’il eut en suite sur toutes les Bestes, & mesme sur les Hommes. Apres cela, faut-il s’étonner si les Soldats d’Aléxandre troublez de ce que la nuit qui préceda la Bataille contre Darius, la Lune s’estant éclipsée tout d’un coup, & ayant paru quelque temps apres comme teinte & gastée de sang, ils furent rassurez par des Devins Egyptiens, qui leur dirent que le Soleil estoit pour les Grecs, & la Lune pour les Perses, & qu’elle ne s’éclipsoit jamais qu’elle ne les menaçast de quelque malheur ? En cela leur superstition leur fut favorable, & ils furent heureusement les Dupes de ces Devins, puis qu’ils furent vainqueurs, & défirent entierement Darius. Xerxes au contraire ayant esté porté à la conqueste de la Grece, par les grandes espérances que luy donna un Devin Athénien, la rencontre d’un Lievre que fit son Armée le mit en desordre, luy fit prendre la fuite, & la superstition rompit le grand dessein qu’elle avoit fait naître, tant il est vray que rien n’entretient davantage dans la crainte & dans l’espérance ; les Esprits foibles & crédules. Rien n’est si puissant, dit Quintecurse, pour tenir la populace en bride ; mais rien n’est aussi plus propre à la soûtenir & à la porter à la sédition ; car s’il est quelquefois avantageux de l’entretenir dans son erreur, il est souvent utile de l’en retirer. L’ignorance fait la plûpart du temps son inquiétude & son tourment, & la superstition luy fait craindre mille chimeres dont on pourroit la guérir avec un peu de sagesse. Ce ne sont pas icy des Superstitieux par devotion, mais des Superstitieux ignorans & indiscrets, qui craignent tout, qui parlent de tout, & qui veulent tout sçavoir. Ils ressemblent parfaitement au Peuplier, qui porte leur nom, & dont les feüilles tournent à tous les Solstices. La teste de ceux-cy tourne à la moindre Eclipse de Soleil ou de Lune. Une Etoile qui tombe, un Eclair, un Feu folet, les épouvante, & les met en desordre. Ils ne songent point au présent. Ils oublient le passé, & n’ont des yeux que pour l’avenir. Mais, comme dit Cicéron, nul ne regarde ce qui est devant ses pieds, & chacun se promene par les régions du Ciel. Nous vivons dans un temps où ceux qui commencent à marcher, commencent à discourir des matieres les plus difficiles. Disons donc, avec Mr de la Mothe le Vayer, qu’il n’y a rien de plus commun que d’errer, & de plus sot que la multitude. Pythagore estoit si prévenu contre le Peuple sur ce sujet, qu’il en défendoit étroitement le commerce à ses Disciples, car les opinions les plus vulgaires ne sont pas les meilleures, & il n’y en a point de plus assurément fausses que les plus universellement reçeuës. La superstition introduit l’erreur par le mensonge, & l’impieté par la crainte du Diable, suivant le sentiment de Theophraste, qui dit que c’est une crainte des Démons & des Dieux nuisans.

Mais tous les Superstitieux ne sont pas ignorans. C’est le foible des plus grands Hommes aussibien que du Peuple. Cela vient mesme d’une trop grande application dans les Sciences vaines & cachées, & d’une devotion trop scrupuleuse ; ce qui rend un Homme ridicule dans sa conduite à l’égard de Dieu & des Hommes. Pic de la Mirande, ce prodige d’érudition, eut la foiblesse de croire dans une maladie inconnuë qui surprit sa Fille, que des Sorciers avoient passé par le trou de la serrure de sa Chambre, pour l’empoisonner. Pythagore & ses Disciples, estoient les plus superstitieux de tous les Hommes ; toutes leurs paroles & toutes leurs actions estoient mystérieuses. Ce Philosophe vouloit qu’on chaussast toûjours le pied droit le premier, & au contraire qu’on lavast la main gauche avant la droite. Il ordonnoit de se grater le devant de la teste en sortant du Logis, & le derriere lors qu’on y rentroit. Il défendoit de sortir jamais d’un Carrosse les pieds joints, d’adorer l’Echo en temps de vent, de ne manger jamais de Féves rouges, & mille autres choses aussi vaines que ridicules. Je sçay bien qu’on a crû qu’il renfermoit sous ces allégories les secrets de sa doctrine, & que quelques Sçavans, comme Plutarque, se sont efforcez de nous en donner des explications morales ; mais outre leur obscurité & la difficulté qu’il y a à leur donner un sens juste & raisonnable on m’avoüera que s’il n’estoit pas un grand Magicien qui cachoit là-dessous les mistéres de sa Cabale, c’estoit du moins un Charlatan superstitieux, qui imposoit aux Peuples par ses frénésies & ses visions chimériques ; & c’estoient là les Hommes qui, au raport de Jamblique, se croyoient autant de Dieux sur la terre ; & que tous ceux qui n’estoient pas initiez dans leurs mistéres, devoient estre traitez comme des Bestes. Tout ce qu’on appelle Cabale, n’est pas une superstition toute pure ; & j’appellerois la Pierre Philosophale & les Talismans, des Erreurs populaires, si le Peuple estoit aussi habile pour la chercher & pour les faire, qu’il est simple pour les croire & pour en estre infatué.

Les Egyptiens, qui ont esté les premiers qui ont adoré des Dieux, & cultivé les belles Lettres, ont aussi esté les Hommes du monde les plus superstitieux dans leur Religion & dans leurs coûtumes. Moïse qui sçavoit que le Peuple de Dieu estoit imbu de leurs erreurs, luy défendit, en luy donnant son premier Commandement, de n’observer en aucune maniere ny les augures, ny les songes ; de ne jamais consulter les Magiciens & les Devins, & mille autres choses, comme la coûtume de passer les Enfans par le feu, en forme de lustration & de purification, afin qu’ils ne mourussent point dans leur enfance, & qu’ils vécussent longtemps. Les Juifs croyent qu’un Ange, qu’ils appellent un Ange de Mort, se présente une fois à tous les Hommes avant qu’ils meurent ; mais il semble que ce soit plutost un Boureau qu’un Messager fidelle, qui les avertisse de leur salut, puis qu’ils disent qu’apres le trépas il lave ses mains à la premiere eau qu’il rencontre. C’est presque la même doctrine des Turcs, qui ont aussi un Ange de Mort nommé Adariel ; mais ils adjoûtent, qu’apres que le Corps est enterré, il vient deux Anges qui luy baillent son Ame à vestir, afin qu’il reprenne vie, car ils ne croyent pas à la résurrection, mais que l’Ame se revest de l’Idole ou de l’ombre du Corps qu’elle avoit auparavant ; & là-dessus les Rabins ont une assez belle vision. Ils divisent l’Ame en trois parties, l’une divine, l’autre raisonnable, & la troisiéme mortelle. Ils donnent des noms à ces parties, suivant l’idée qu’ils en conçoivent ; mais comme ils sont particuliers à leurs Langues, je me contente de raporter icy ce qu’ils pensent de cette derniere partie de nostre Ame. Ils disent que c’est le simulacre, l’ombre, ou l’écorce de nostre Corps, & ils croyent qu’elle se détache un peu avant la fin de nostre vie, & qu’elle demeure pres des Tombeaux & des Lieux où l’on enterre les Morts, où elle est veuë de jour aussi-bien que de nuit. C’est à peu pres l’opinion de Tertullien, qui donne à l’Ame une figure & une forme humaine ; & cela pourroit estre ce que nous appellons des Spectres & des Fantômes. On lit dans le Talmud, qu’un Rabin vit cette Nephesh, comme il la nomme, ou Simulacre, se détacher de sorte d’un de ses Amis qui l’aimoit tendrement, qu’elle luy faisoit déja ombre vers la teste, ce qui l’avertissoit qu’il devoit bientost mourir, mais qu’ayant fait beaucoup de prieres, de jeûnes, & de mortifications, il obtint de Dieu qu’elle luy fust remise comme auparavant, & liée de nouveau à son Corps, afin de prolonger sa vie. Voila jusqu’où va l’erreur & le mensonge ; & comme les plus devots & les plus sçavans n’en sont pas exempts. Aussi S. Jean Chrysostome disoit que les Juifs avec leurs charmes & leurs prestiges, étonnoient les Chrestiens crédules & superstitieux, comme on fait peur aux Enfans avec des Masques. Les Grecs & les Romains n’ont pas esté moins superstitieux que les autres Peuples de la terre. Darius ayant changé le Fourreau de son Cimeterre qui estoit à la Persienne, pour en prendre un à la Grecque, son Armée en tira un méchant augure, & crût que son Empire passeroit aux Grecs qu’il avoit malheureusement imitez. C’estoit une superstition populaire. Cependant parce que l’évenement fut tel, les Grands autorisent leur foiblesse sur de pareils exemples, & croyent qu’il y a de l’habileté à paroistre superstitieux en certaines choses. J’ay connu mesme des Personnes qui ne l’estoient que par une imitation de vanité, ce qui les rendoit plus ridicules, que dignes de pitié. Ils estoient devenus foibles à force de remarquer la foiblesse des autres ; & comme ils affectoient de copier en tout de celebres Originaux, ils croyoient qu’il n’y avoit rien que de grand dans ces Gens-là. Tout le monde condamne en general la Superstition & les Erreurs populaires, mais chacun les approuve en particulier. Il n’y a personne qui n’en soit un peu infecté ; quand il n’auroit que celle de n’en avoir point du tout ; je veux dire de s’acharner trop contre les Superstitieux, de se piquer de ne rien croire, de ne s’épouvanter de rien, & de traiter tout le monde de fou & de visionnaire, car il y a des Gens qui se mettent sur ce pied-là, & qui ne sont pas moins ridicules que les autres.

J’avouë que je ne puis lire dans Suétone sans étonnement, que Jules-César, qui estoit aussi docte que brave, portast toûjours une Couronne de Laurier sur sa teste, de peur du Tonnerre qu’il craignoit extraordinairement ; & qu’Auguste ne chaussast jamais le pied gauche avant le droit. J’estime Aléxandre en cela, & en toute autre chose. Rien ne l’étonnoit. Il n’estoit point ingénieux à se tourmenter, & à se former des chimeres pour les combatre. Il estoit curieux, dit Quintecurse, de toutes sortes de connoissances, mais il méprisoit les Présages & les Oracles, & ny les uns ny les autres ne l’empescherent pas de prendre Gaze, où il fut blessé, & d’entrer dans Babylone, où il mourut de poison. Une Eclypse de Lune fit périr Nicias, avec quarante mille Athéniens, pour avoir crû que c’estoit un signe de sa défaite, & de la victoire de ses Ennemis ; & Socrate, tout Socrate qu’il estoit, se fit expliquer trois jours avant sa mort, un Vers d’Homere qu’il avoit songé en dormant, qui disoit, Je vais en Phtie, qui estoit une Ville de Thessalie ; & comme ce mot signifie aussi la mort, ses Amis jugerent qu’il mourroit dans trois jours. Pythagore, qui estoit le plus grand Philosophe des Latins, estoit du Païs de la Superstition, je veux dire de la Toscane, dont les Romains, & presque tous les Payens, avoient appris l’Art d’estre Superstitieux. Sylla en faisant un Sacrifice ; voit un Serpent du costé de l’Autel. Un Devin sur cet augure luy fait prendre les armes, & il gagne la Bataille contre les Samnites. Cajus Hostilius estant à Gennes, comme il entre en une Barque, il part un Serpent de ses pieds, & il est vaincu par les Numentins, & livré à ses Ennemis. Ne voila-t-il pas des signes bien certains & sur lesquels un Homme sage doive se régler ? Mais-y a-t-il rien de plus ridicule que de voir Lucius Paulus triompher en idée & par avance du Roy Persée, parce qu’en arrivant du Sénat chez luy, sa petite Fille luy dit que son Chien Persée estoit mort ? Cependant Valere le Grand, encor plus ridicule que luy, veut que la Posterité sçache de pareilles bagatelles, & nos Femmes sçavantes triomphent dans leurs visions sur l’autorité d’un Autheur de cette Classe. Il n’y a point de Femmes de qualité qui n’ayent beaucoup de foiblesse & de curiosité sur ce sujet, & qui ne disent avec cette fausse Reyne d’Ethiopie, dont un Autheur nous a fait une si plaisante peinture ; Quoy, ne sera-t-il pas permis à la Nature souffrante & frémissante, de gémir pour les menaces du Ciel & de la Terre ? Combien de sortes de Devinations, toutes aussi sotes & ridicules que vaines & criminelles, par les Dez, par le Crible, par les feüilles de Laurier, par l’eau, par le feu, par la fumée, par la cendre, par le Fromage, par l’Orge, par un Coq, par le cœur tout chaud d’une Taupe, par les ongles, par le Miroir, par la démangeaison des narines, par l’inspection du front & des omoplates, par le hennissement des Chevaux, par les encensemens, & mille autres moyens qui ne font pas la centiéme partie de la Superstition & des Erreurs populaires ? Pasquier dit que la Devination par sort à l’ouverture d’un Livre, sur tout des Vers de Virgile, qu’on appelloit Sorts Virgiliens, estoit en grand usage parmy les Gaulois, & que lors qu’ils furent convertis à la Religion Chrestienne, ils ne firent que changer de superstition, en prenant un Livre saint au lieu d’un Livre profane. Ils se servoient pour cet effet des Pseaumes des Evangiles & des Epistres de S. Paul, & cela fut pratiqué durant la premiere Race de nos Roys jusques à Loüis le Debonnaire, qui le défendit par une Ordonnance qu’il fit exprés. Cran Fils de Clotaire I. & Meroüée Fils de Chilperic, en userent ainsi, avant que de faire la guerre à leur Pere, dans laquelle ils périrent misérablement, suivant les passages qu’ils avoient rencontrez. Les voix impréveuës estoient encor fort considerées par les Romains. C’estoit une des foiblesses d’Auguste. On envoyoit, dit Tibule, un jeune Enfant dans la Ruë, recueillir la premiere voix qu’il entendroit, & apres qu’il estoit venu en faire le raport, on la recevoit si elle estoit bonne, & on prioit les Dieux d’en détourner l’effet, & de l’oublier, si elle estoit mauvaise. Mais au reste, ce n’est pas toûjours une superstition, que de s’arrester à la rencontre de quelques paroles que l’on entend fortuitement. Nous en voyons beaucoup d’exemples dans l’Histoire Ecclesiastique. S. Antoine détermina de sa vocation, & vendit tout son Bien, ayant entendu lire cette Evangile, où Nostre-Seigneur dit, Si tu veux estre parfait, vens tout ce que tu as, & tu auras le Paradis. S. Cyprien & S. Augustin, ont eu de pareilles rencontres qui ont semblé décider de leur conversion & de leur conduite. Les Anciens rejettoient aussi tous les noms dont la signification estoit de méchant augure. L’on préferoit toûjours les Soldats & les Capitaines qui avoient le plus beau nom, & on rapporte qu’un Caliphe des Arabes combatant contre le Fils de l’Empereur Theophile, prédit sa défaite sur les noms du Païs, du Lieu, & du Fleuve où il estoit campé.

Apres cela, il faut avoüer que la Superstition est plus ancienne que le Monde, mais elle est aussi plus universelle & plus étenduë ; ce qui me fait souvenir de ce que dit Philon, que la malice est plus vieille que la vertu, & que la vertu est plus jeune en force & en autorité. Les Peuples les plus éclairez des lumieres de Dieu & des sciences du monde, ont bien de la peine à se garantir de la superstition & de l’erreur. Où la grace abonde, & où la prudence du Siecle manque, on y trouve ces defauts d’autant moins pardonnables, qu’on les attribuë au zele de la Religion. Les Indiens Occidentaux jeûnent & s’abstiennent quelques jours de leurs Femmes, avant que de chercher les Mines d’or, croyant que s’ils y manquoient, ils n’en pourroient rencontrer. Mais Christophe Colomb rencherit sur cette superstition ; car outre qu’il obligea les Chrestiens à observer les mesmes choses, il voulut encor qu’ils allassent à confesse avant que d’y travailler. Là où la sagesse des Hommes surpasse la grace de Dieu, nous voyons que la superstition y fait toute la Religion & la Politique. Les Turcs ne mangent de la viande d’aucun Animal, sans avoir prononcé le Nom de Dieu avant que de le tuer ; & où les Peuples vivent sans discipline & sans connoissance de la Foy, la Nature corrompuë les réduit dans un aveuglement déplorable. Les Hurons ont une extréme venération pour un Rocher dans lequel ils croyent qu’il réside un Démon qui est favorable aux Voyageurs. Ils luy adressent des Prieres, & luy offrent du Tabac, quand ils passent par ce lieu-là, afin d’avoir un bon voyage. Ils s’abstiennent de la Pesche quand quelqu’un d’eux est mort. Ils ont grand soin que leurs Rets & leurs Filets n’en approchent, parce qu’ils disent que les Poissons ont de l’aversion pour les Morts, mais au contraire qu’ils aiment beaucoup la virginité ; & dans cette pensée, ils marient tous les ans leurs Rets ou Seines à deux petites Filles de six à sept ans. Ils placent la Seine au milieu de ces deux Vierges, & celebrent cette Feste avec de grandes réjoüissances ; mais sur tout ils ont une croyance aux songes qui est extraordinaire. C’est l’Oracle & le Prophete qu’ils consultent dans tout ce qu’ils font & dans tout ce qui leur arrive ; mais cette superstition n’est pas particuliere aux Sauvages, il n’y en a point de plus generale que celle des songes. Elle est de la Cour & de la Ville, des Grands & du Peuple, des Doctes & des Ignorans. Elle semble mesme avoir esté autorisée chez le Peuple de Dieu. Si Moïse luy défendit de croire aux songes & à ceux qui se meslent de les expliquer, il ne luy défendit pas ce qui s’appelle revélation & prophétie, & c’est de la sorte qu’il faut entendre les paroles de Saül à la Pythonisse. Ce Prince réduit à l’extrémité, ou plutost abandonné de Dieu, ayant esté la consulter, répondit à l’Ombre du Prophete Samüel, qu’elle avoit évoquée à sa priere, & qui luy demandoit pourquoy il l’avoit fait venir, que Dieu luy avoit osté toute connoissance, & ne luy faisoit plus rien sçavoir ny par les Prophéties, ny par les songes. Dieu se sert mesme des songes pour troubler ses Serviteurs. Terrebis me per somnia & per visiones horrore concuties, disoit Job. Les songes miraculeux de Joseph en font encor une plus grande preuve, & les Juifs estoient si habiles en cela, qu’ils surpassoient les Chaldéens & tous les Devins des autres Nations, comme il paroist par les songes de Pharaon, de Nabucodonosor, & d’Anthiocus, si exactement rapportez dans l’Ecriture Sainte.

Les Saints ont eu des songes qu’ils ont dit à leurs Amis, & qu’ils ont expliquez selon l’état de leur vie ; mais outre qu’ils estoient Hommes comme les autres, ç’ont esté pour la plûpart des Revélations qu’il leur a esté permis de communiquer aux Fidelles pour leur instruction, & pour les fortifier & les consoler dans quelques fâcheuses conjonctures, ou mesme qui ont esté des marques de la grandeur & de l’élevation de quelques Creatures que Dieu a choisies pour sa gloire. Ainsi on ne craint point de rapporter les songes de la Mere de S. Dominique & de la Mere de S. Bernard, de S. Paul, de S. Polycarpe, & de tant d’autres Saints dont la Légende est pleine. On dit que la conqueste de la Terre-Sainte fut un effet d’un songe de Pierre Lhermite, qui estoit pour lors Pelerin à Jérusalem. Le Pere Spinola, avant que d’estre arresté au Japon, rêva sur la minuit que des Voleurs estoient entrez par force dans sa Chambre. Le Pere d’Orleans assure que c’estoit un avertissement de ce qui arriva demy-heure apres. La peur d’un malheur qu’on appréhende, remplit aisément nostre imagination par quelques simboles ou figures ; mais si nostre ame a dans les songes de grands pressentimens de ce qu’il luy doit arriver, il faut que ce soit pour des évenemens considérables, car Dieu ne nous donne pas toûjours des signes, & nostre ame ne s’émeut pas de la sorte pour des bagatelles ; c’est pourquoy les Grands du monde sont plus sujets à faire des songes véritables & significatifs, que les autres Hommes, parce que tout ce qui leur arrive est d’importance, soit pour eux, ou pour les Peuples. Comme le songe est un mouvement, par lequel l’ame se forme diverses images du bien ou du mal à venir, les plus grands Hommes se sont arrestez à l’explication de ces images ; & comme le mouvement provient de l’ame unie au corps, il est fort naturel de s’attacher à elles, & d’en chercher la signification. La superstition n’est pas tant de s’y arrester, que de croire que tous les songes soient des inspirations & des avertissemens des Dieux, comme l’enseignoit Orphée, & qu’ils prédisent les choses futures à ceux qui réverent les Dieux avec une grande pureté d’esprit, & une grande intégrité de vie. Zénon disoit que l’ame en dormant, dégagée en quelque façon des sens, estant libre, faisoit juger de ses bonnes ou mauvaises inclinations, comme si les plus vertueux & les plus saints n’estoient pas sujets d’avoir dans le sommeil des pensées criminelles, & les plus coupables des pensées vertueuses. Homere croyoit que les Roys & les Grands avoient des songes bien plus particuliers & plus merveilleux que les autres Hommes, & cela faisoit qu’on les recevoit vrais ou faux, comme des Oracles, au lieu qu’on traitoit de rêverie tous ceux du Peuple, & comme des effets des fumées du Vin & des Viandes ; ce qui me fait encor souvenir de ces pauvres Hurons, qui croyent beaucoup aux songes, mais qui ne tiennent compte que de ceux des Grands & des Riches. Cependant les Roys rêvent souvent des bagatelles, & leur ame en dormant n’a pas toûjours des images fort relevées, comme Pharamond avec ses sept petites Gerbes & ses sept Vaches maigres. Il y en a qui ont eu beaucoup de vanité en cecy, & qui ont affecté de faire croire que les Dieux les avertissoient de tout pendant leur sommeil, & qui avoient toûjours un grand nombre de Devins pour expliquer leurs rêveries. Mais le Roy de Babylone n’estoit-il pas plaisant, de vouloir faire deviner aux autres ce qu’il avoit songé ? Il faloit estre plus que Devin pour expliquer de pareils songes. N’estoit-ce pas un beau songe, & bien digne de César, lors qu’estant à Cadis, il songea qu’il avoit couché avec sa Mere, (ce que les Devins interpréterent qu’il seroit Souverain de toute la Terre ;) & cet autre de Domitien, qu’il luy estoit crû une bosse d’or sur la nuque du col, & que cela se devoit entendre du doux Regne de ses Successeurs ; & Marc-Aurele, qui rêva avant son adoption par Antonin, qu’il avoit les mains & les épaules d’yvoire ?

Je ne puis oublier sur ce sujet ce que dit Dion Chrysostome d’un certain Egyptien Joüeur de Luth. Il songea une nuit qu’il joüoit de son Luth aux oreilles d’un Asne. Il ne fit pas d’abord refléxion sur ce songe ; mais quelque temps apres, Antiochus Roy de Syrie estant venu à Memphis pour voir son Neveu Ptolomée, le Roy fit venir le Joüeur de Luth pour divertir Antiochus ; mais ce Prince qui n’aimoit pas la Musique, en fit peu d’estime, & luy ordonna de se retirer. Le pauvre Homme se voyant méprisé, se souvint du songe qu’il avoit fait, & ne pût s’empescher de dire en sortant, J’avois bien rêvé que je joüerois devant un Asne. Antiochus qui l’entendit, commanda qu’on le liast, & luy fit donner les étrivieres. Voila comme il en prend de s’attacher trop aux songes. De pareilles explications sont toûjours fâcheuses. Artémidore & plusieurs autres, ayant fait un Art d’expliquer les songes, cette superstition devint si genérale, que chacun tenoit registre des siens. Le Sophiste Aristide prit soin de mettre par écrit & fort dans le détail, tous les songes qu’il avoit faits pendant une longue maladie. Mais Mithridate fut encor plus grand rêveur que luy ; il eut la foiblesse de faire un Livre des songes de ses Concubines. C’estoit pousser la galanterie bien loin ; mais aparemment que cet Amant leur disoit bien des rêveries, puis qu’il prenoit tant de plaisir d’en entendre. Auguste écoutoit ceux de ses Domestiques ; & on dit que pour avoir crû celuy de son Medecin, il évita la mort que Brutus luy auroit infailliblement donnée, s’il se fust trouvé à la Bataille de Philippes. Mais bien plus. Il y en avoit qui prenoient la peine de songer pour les autres ; ce que font encor les Peuples de la Nouvelle France, qui songent pour leurs Enfans quand ils sont malades. Narcisse estoit le Rêveur de l’Empereur Claude ; & Martial prie son Amy Nazedius de ne prendre plus cette peine-là pour luy, & la raison qu’il en donne est digne de l’esprit de ce Poëte.

Tous les matins que je te voy,
Mon esprit est troublé, mon visage se change,
D’entendre le recit étrange
Des songes que tu fais pour moy.
Contre tant de malheurs qui menacent ma vie,
J’ay mille fois offert de l’Encens, des Gasteaux ;
J’ay déja répandu mon Vin jusqu’à la lie,
Et j’ay sacrifié presque tous mes Troupeaux.
Ne fais plus de songes nouveaux,
Veille, ou dors pour toy, je te prie.

On faisoit des sacrifices pour détourner les mauvais songes, comme on faisoit des prieres pour en avoir de bons. On s’adressoit au Soleil & à Jupiter, & on les prioit que s’ils devoient avoir un bon effet, que ce fust au plutost ; & que s’ils devoient estre méchans & fâcheux, ils arrivassent à leurs Ennemis. La nuit produit les songes, dit Properce ; la Lune les envoye, le Soleil les chasse & les dissipe. Je me suis un peu étendu sur cette matiere, parce que ce n’est pas seulement une superstition vulgaire, mais l’erreur & la folie de tous les Hommes.

La rencontre des Animaux est encor une superstition des Payens, qui croyoient que les Dieux les envoyoient diversement aux Hommes selon qu’ils estoient propices ou couroucez ; mais de dire que l’Homme ait de la superstition pour la rencontre d’un autre Homme, il faut avoir l’esprit bien infatué du mensonge & de l’erreur. Horace prie les Dieux que sa Galathée ne rencontre que des Animaux heureux pendant son voyage, & qu’elle ne trouve pas en chemin une Louve, une Chienne, un Renard, un Serpent ; mais il ne faut pas s’arrester aux sentimens des Poëtes, ils suivent souvent leurs caprices, ou celuy des autres. Horace s’accommode icy à l’opinion commune & à l’humeur d’une Femme qu’il veut flater. Il détourne ailleurs fortement sa Maistresse de l’Astrologie Judiciaire, parce qu’elle y avoit trop de curiosité, & que cette curiosité ne luy estoit pas favorable. Voicy à peu pres de la maniere qu’il s’y prend.

C’est offencer les Dieux, belle & jeune Climene,
Que de se mettre tant en peine
Du cours de vos ans & des miens.
Pour éviter les maux dont le Ciel nous menace,
N’allez plus consulter, de grace,
Un Devin ignorant qui ne sçait pas les siens ;
Car soit que vous viviez encor quelques années,
Ou que par cet Hyver elles soient terminées,
Climene, croyez-moy, donnez à vos desirs
Mille doux passetemps, mille innocens plaisirs ;
Bornez-la toute vostre envie,
Et mesurez tous nos desseins
Sur le peu que dure la vie,
Sans rien attendre des Destins.
Tandis que nous parlons, le bel âge se passe ;
Ménagez vos beaux jours comme je fais les miens,
Et ne consultez plus de grace
Celuy qui ne sçait pas les siens.

Ce seroit icy le lieu de rapporter tout ce qu’on appelle Superstition ou Erreurs populaires ; mais je me contenteray de ce que j’en ay dit, car il n’y auroit peut-estre pas moins de foiblesse à les dire qu’à les croire. Mais on passe insensiblement de la créance qu’on a en des bagatelles, à une superstition plus dangereuse. On ne se contente pas de Ligatures, de Préservatifs, de Billets, de Paroles ; on a recours aux Astres, aux Devins, aux Magiciens. Quelques-uns de nos Roys, comme Charles V. Charles VI. Charles VII. & Loüis XI. furent superstitieux de Pere en Fils, & crûrent beaucoup à l’Astrologie Judiciaire. Ils avoient toûjours quelque Astrologue ou quelque Devin aupres de leurs Personnes ; ce qui faisoit que la Cour estoit remplie de pareilles Gens, & infectée de cette vaine & sote curiosité. La passion de Loüis XI. fut extréme pour les Astrologues, jusque-là qu’il donna l’Archevesché de Vienne à un certain Angelo Caltho, qui par quelques Prédictions qui avoient réüssy, s’estoit acquis beaucoup de confiance en son esprit, comme par celle de la mort du Duc de Bourgogne, qui se trouva vraye, soit qu’il en fust instruit le premier, ou par un pur effet du hazard. Les Regnes suivans, je veux dire de Henry II. & de ses Enfans, furent des Regnes de superstition & de libertinage, pour ne rien dire de pis, à la mémoire de ces Princes. Catherine de Médicis, comme Femme & comme Italienne, fut superstitieuse & curieuse jusqu’à l’excés, quoy qu’elle fust tous les jours trompée par les Fourbes, & que leurs pronostications fussent toûjours fausses à l’égard du bien, & par punition de Dieu que trop véritables à l’égard du mal qu’elle appréhendoit. Elle fut toûjours esclave de la Superstition & de l’Astrologie, & consulta les Devins jusqu’à sa mort, qui ne se trouva ny dans le temps ny telle qu’on la luy avoit prédite. On luy avoit dit qu’elle mourroit par les Ruines d’une Maison. Elle faisoit étayer les murailles de sa Chambre dans tous les lieux où elle se trouvoit, & cela signifioit qu’elle devoit mourir dans la Ruine de la Maison de Guise. On l’avoit avertie qu’un S. Germain luy seroit fatal. Elle ne voulut jamais demeurer à S. Germain en Laye, & on dit qu’elle n’y coucha jamais depuis ; & cela vouloit dire qu’un nommé S. Germain Docteur en Théologie, la devoit assister à l’heure de sa mort. Toutes les autres prédictions de la mort de son Mary & de ses Enfans, de leur vie & de leur regne, furent aussi obscures & aussi frivoles, & que trop fâcheuses, en ce qu’elles eurent de veritable, pour avoir pris tant de soin & de curiosité pour les sçavoir, & pour en détourner les effets. Quoy que l’on fasse, on ne peut connoistre l’avenir ; on se tourmente en vain ; mais c’est le foible de l’Homme.

Nescia mens Hominum fati sortisque futuræ.

Il y a deux moyens de deviner, dit Cicéron ; l’un est naturel, l’autre vient de l’Art. Le premier n’est pas criminel, puis que cela arrive en nous par un mouvement involontaire & par un don spécial de Dieu ; mais l’autre est toûjours criminel, puis qu’il ne se peut faire sans attache, sans curiosité, & sans tromperie.

L’Astrologie est veritablement la Science des Superstitieux, & tous les Peuples qui ont eu de plus grossieres erreurs, & qui ont eu plus de foiblesse de ce costé-là, ont esté les Inventeurs de cette Science qu’on attribuë aux Egyptiens, aux Phénitiens, aux Assyriens, & aux Caldéens, & il n’y a point de Nations plus superstitieuses que celles-là. Cet Art devient tel au commencement, dit Polydore Virgile, qu’il sembla n’estre inventé que pour troubler les meilleurs Esprits. Epicure appelloit l’étude des Matématiques une contagion, & louë un certain Philosophe de ses Amis, de l’avoir évitée dans sa jeunesse. Cardan avouë luy-mesme dans l’Histoire de sa Vie, que rien ne luy avoit esté plus préjudiciable que sa trop grande crédulité aux regles de l’Astrologie. S. Bazile l’appelle vanitatem ex abundantia otii profectam. Mais voicy un Passage admirable d’un autre Autheur au Livre de Homine, qui mérite la refléxion des Sages, & qui doit servir d’instruction aux Esprits foibles & crédules, & qui ont trop d’attache pour cette vaine science. Quod Astrologia à contemplatione siderum de futuris eventibus fortuitis judicare, vel in utramque partem pronunciare audet, non scientiæ est sed fugiendæ egestatis causâ Hominis stratagema est ut prædam auferat à populo stulto.

Le peu de connoissance que j’ay de l’Astrologie, me devroit dispenser de parler de la Comete qui a paru depuis quelque temps ; mais comme les présages qu’on en tire sont des effets de la Superstition & des Erreurs populaires, je croy ne pouvoir mieux finir ce Discours que par elle. Voicy la quinziéme Comete qui ait paru en France depuis l’an 1556. & on dit qu’en l’an 1560. il en parut quatre. Quelques-uns ont crû qu’elles sont eternelles, & fondent leur eternité sur la régularité de leur mouvement. Les autres ne veulent point que ce soit des effets des Méteores qui s’engendrent dans la moyenne région de l’air, parce qu’ils ne peuvent comprendre comment il se peut amasser une si grande abondance d’exhalaisons & de vapeurs qu’il faut pour les produire ; & la plus grande difficulté est, que le mouvement de la Comete est circulaire, & celuy de l’exhalaison en droite ligne. Cette objection auroit lieu, si on ne distinguoit pas de deux sortes de Cometes, & si on prétendoit que les exhalaisons montassent au dessus de la supérieure région de l’air. Nous laissons ce lieu-là pour les Cometes miraculeuses, mais pour les autres il n’y a rien qui y répugne ; car s’il se trouve dans la moyenne & dans la basse région de l’air une si grande quantité de vapeurs pour produire le tonnerre & la pluye, qui durent quelquefois si longtemps, & avec tant d’abondance, pourquoy ne s’y en amassera-t-il pas suffisamment pour y produire une Comete ? Le long intervale d’années qui se passe entre l’aparition de ces Méteores, donne du temps à la Mer & à la Terre de pousser leurs vapeurs, au Soleil de les attirer, & à l’air de les arrester & de leur donner de la consistance ; mais quand ces exhalaisons amassées ne suffiroient pas pour entretenir la durée d’une Comete, elle en attire d’autres qui s’élevent sans cesse, & qui la conservent ; & s’il y en a qui ont duré une année entiere, il y en a qui n’ont duré que sept jours. Si elle change de place, ces exhalaisons & le feu qui la compose, la suivent par tout par le moyen de l’air, car le mouvement direct des vapeurs ne paroist tel qu’à nostre veuë lors qu’elles commencent à s’élever ; l’air les agite apres, & les portent vers le lieu où il est attiré. Si les Cometes paroissent quelquefois au dessus des Planetes qui les dominent, les Critiques disent que les Cieux qui sont si purs, ne pourroient souffrir cette corruption ; mais c’est de leur pureté que vient la raréfaction du Méteore. D’autres ne veulent pas que ce soit la refléxion de quelques Planetes, parce que la rencontre qui se fait de ces Astres ne dure qu’un moment, à raison de leur mouvement qui est perpétuel, outre qu’elles se prédiroient aussi-bien que les Eclypses. Quelques-uns pensent que ce n’est qu’une refléxion de la lumiere du Soleil dans l’exhalaison qu’il a disposée pour la produire, étenduë au dehors pour recevoir ses rayons, & resserrée au dedans pour les refléchir & leur donner cette couleur qui paroist à nos yeux, d’où se forment diverses figures qui nous surprennent, & qui n’ont point d’autre consistance que celle que nous voyons dans les nuës au lever & au coucher de cet Astre. D’autres prétendent que ce sont des Etoiles dont le cours nous est inconnu, qui s’abaissent & qui attirent ces vapeurs lors qu’elles viennent à paroistre ; mais ce ne peut estre une Etoile de la nature des autres, parce qu’ayant paru une fois, elle ne se dérobe plus à nos yeux, & c’estoit pourquoy l’Etoile des Mages n’estoit qu’un Méteore qui avoit la ressemblance d’une Etoile. Il est vray que ces Mages qui estoient habiles Astrologues, dirent en demandant dans Jérusalem, où estoit né le nouveau Roy des Juifs, qu’ils avoient veu son Etoile ; mais il faut sçavoir que la naissance du Messie devoit estre figurée par une Etoile, ou plutost que c’estoit cette Etoile mystique qui se devoit lever de la Maison de Jacob ; & que c’est encor une chose ordinaire de donner ce nom à tous ces Signes qui paroissent au Ciel. Les Etoiles ne sont nouvelles, qu’en ce qu’elles apparoissent, ou sont découvertes nouvellement. Elles ont esté toutes produites en mesme temps ; & comme Dieu trouva le Ciel parfait lors qu’il l’eut creé, il n’en a point augmenté le nombre, & n’a rien adjoûté à la beauté de son Ouvrage. Si la Comete est un Astre nouveau, on doit l’examiner comme les autres Etoiles, c’est à dire observer son lever, son coucher, son exhaltation, sa déclinaison, sa longueur, sa largeur, son paralaxe ou sa distance, sa refraction & sa clarté ; mais les Cometes n’ont que la figure d’Etoiles, & ne sont pas de la mesme nature. Les Astres attirent les exhalaisons, & en forment divers Méteores, ausquels ils communiquent leurs influences, & particulierement le Soleil & la Lune ; & c’est ce qu’entend Virgile, quand il dit, Solstici signa dabit ; & les Signes sont presque toûjours certains, suivant le Planete qui les domine. Solem quis dicere falsum audeat. Le Poëte parlant de la mort de César & de la guerre de Pharsale, dit qu’il arriva d’étranges prodiges, & sur tout d’horribles Cometes. Nec diri toties arsere Cometæ. Il en est des trois principales sortes de Cometes, ce que les Anciens disoient des trois Foudres de Jupiter. Les premiers venoient du propre mouvement de Jupiter, & ceux-là estoient plus avantageux que nuisibles. Les seconds venoient par l’avis des douze Dieux qui composoient son Conseil, & ils estoient favorables à quelques-uns, & dangereux pour quelques autres. Les troisiémes venoient des Héros, & des Démons ou Esprits malins ; & les derniers estoient toûjours funestes, terribles & pernicieux.

S’il y a des Cometes, ou plûtost des Etoiles miraculeuses qui nous annoncent le courroux ou la clemence de Dieu, comme celle qui parut sur la Ville de Jérusalem avant sa destruction, & celle qui conduisit les Mages à la Cresche du Sauveur ; il y a des Cometes ou des Etoiles vulgaires qui ne sont que de simples Méteores qui paroissent en l’air ; mais les Peuples se sont épouvantez d’un mot qu’ils n’entendent pas, & qui ne signifie rien de fâcheux & de terrible. Au contraire, les Grecs n’ont donné le nom de Comete à ces sortes d’Etoiles, que parce qu’elles avoient plus de lumieres, & qu’elles estoient ornées de plus de rayons que les autres. Pourquoy les cheveux & la barbe, qui ne sont que des rayons dans ces Astres, auroient-ils quelque chose de funeste, eux qui dans la Nature font l’ornement & la beauté des Hommes, qui sont diformes, & qui mesme dans la superstition sont de méchante rencontre lors qu’ils leur manquent ? C’est donc faussement qu’on se sert du nom de Comete comme d’un épouventail pour transir, & pour consterner souvent les Peuples mal-à-propos ; car sous prétexte de la colere & des jugemens de Dieu dont on leur veut donner par là de la crainte, on les fait tomber dans mille erreurs, mille superstitions, qui pour estre grossieres, n’en sont pas moins criminelles. Personne ne s’amende ; on s’amuse à raisonner sur les Astres ausquels on attribuë ce qui se passe icy bas ; & bien loin de corriger ses mœurs & de songer à ses fautes, on s’enteste de sotes & de ridicules opinions, qui corrompent & amusent les Hommes le reste de leur vie. Il faut se mocquer des Cometes avec Scaliger, & de ceux qui ont la foiblesse de s’y arrester. On dit que leur grandeur montre leur force ; leur couleur, la nature des Planetes qui les dominent ; leur éclat, leurs effets ; & que leur forme est un caractere Hyéroglifique qui exprime le couroux du Ciel. Quelques-uns attribuënt particulierement leurs effets à la Religion, & ont remarqué que de soixante & huit Cometes qui ont paru depuis la mort de Jesus-Christ, il n’y en a aucune qui n’ait prédit quelque Herésie, ou quelque changement dans l’Eglise ; mais il est facile d’ajuster de pareilles Remarques Historiques aux influences des Astres, & d’apporter de pareils exemples pour appuyer des conjectures qui n’ont aucune démonstration.

Il y en a d’autres qui n’admetent pas l’Astrologie à l’égard de ces sortes d’Etoiles, mais qui ne laissent pas d’en juger astrologiquement, par une longue Indiction qu’ils font des effets de la Comete, dans laquelle ils prétendent découvrir la cause naturelle des Guerres, des Morts, & des changemens d’Etats dont ils menacent les Hommes. Ils disent, que la Stérilité, la Peste, & la Mort subite, sont les effets ordinaires de ce Méteore, & que de là naissent les Inimitiez, les Séditions populaires, la Guerre, & la Révolution des Empires. Il est vray que ces Méteores peuvent causer de méchans effets, mais ils en peuvent causer de bons. Ils ont leurs influences, & le Ciel les communique diversement à la Terre, & c’est dans ce sens qu’on dit que la fertilité de la terre vient de la bonté de l’année. Les Curieux doivent encor sçavoir que les Cometes ont aussi naturellement de bons effets que de méchans, & qu’un Philosophe appellé Charemon a fait un Livre, où il remarque qu’elles avoient toûjours présagé du bonheur ; car en verité de tels raisonnemens sont dignes de pitié, & c’est là proprement tirer la Comete par les cheveux. Il faut bannir tous les prestiges de l’Astrologie Judiciaire, & se souvenir de cette Défence du Prophete Jerémie, A signis Cœli nolite timere quæ timent Gentes. Il n’y a que les Peuples ignorans qui s’amusent à ces faux présages, Leges Populorum vanæ sunt. Leurs opinions n’ont pour fondement que la superstition & l’erreur ; ils font une Divinité cruelle de la Comete, & croyent avec Homere, qu’on ne voit pas les Dieux impunément. Ce qui montre leur foiblesse, c’est qu’en vain on leur fait connoistre que la Comete n’a rien qui doive les épouvanter. La premiere qui vint à paroistre, réveille tout de nouveau leur fole curiosité, & leur donne mille nouvelles-allarmes. Je sçay que les Présages ont esté des marques de Religion parmy les Payens, parce que, dit Valere le Grand, les choses n’arrivent pas à l’avanture, mais par la providence & la volonté des Dieux. Je sçay encor que dans l’Ancien & Nouveau Testament, ils n’ont pas esté ny vains ny inutils ; au contraire, Dieu s’en est servy pour communiquer ses graces aux Hommes, ou pour leur montrer sa colere & les châtimens qu’il préparoit à leurs crimes. C’est pourquoy il y a des Prophetes, & ces Prophetes ont annoncé toutes ces choses. Les Juges, les Roys d’Israël, les ont consultez. La captivité du Peuple de Dieu dans l’Egypte, sa délivrance, sa conduite dans le Desert, la Naissance de Jesus-Christ, & sa Mort, son second avenement, la destruction de Jérusalem, tout cela a esté prédit par des Présages & par des Signes ; mais tous ces Signes qui paroissent dans le Ciel ne sont pas des marques qui viennent de la part de Dieu. Le Diable s’en mesle souvent ; & comme il se met souvent dans le Tonnere, & qu’il fait quelquefois les orages & les tempestes, il peut tracer en l’air diverses figures pour épouvanter les Hommes, & abuser de leur simplicité. Un certain Rabin assure que le Diable émût d’horribles tempestes, & fist voir un Cercueil en l’air, pendant que Moïse estoit sur la Montagne, afin de persuader au Peuple que Moïse estoit mort, & pour le porter plus facilement à l’idolâtrie ; mais les grands courages ne s’étonnent pas de ces Prodiges. Charles IX. chassant dans la Forest de Charle-Val en Normandie, ses Véneurs épouvantez par la rencontre d’un Fantôme tout en feu de la hauteur de plus d’une Pique, qui pouvoit estre quelque Méteore embrasé, ou quelque illusion du Diable, ils prirent tous la fuite. Le Roy demeuré seul, le poursuivit l’Epée à la main, & le fist disparoistre. Peut-on craindre & adjoûter foy à ces Signes sans estre superstitieux ? Qui nous a assuré qu’ils sont des marques de châtiment & de punition pour les Hommes ? Il faut sçavoir s’ils sont naturels ou extraordinaires, s’ils veulent signifier du bien ou du mal ; car enfin s’ils sont naturels, c’est une superstition de leur attribuer d’autres effets que ceux qui sont propres à leur nature ; s’ils sont miraculeux, il ne faut point en porter un faux jugement, il faut s’en remettre à la volonté de Dieu qui les envoye. La Colomne de feu qui conduisoit le Peuple d’Israël, estoit un Signe de bonté pour luy, & de colere pour les Egyptiens. Il ne faut point s’attacher aux Présages ny à la Superstition en quelque maniere que ce soit. Quand cela ne seroit pas défendu par nostre Religion, & qu’il seroit permis a chacun de s’abandonner au déreglement de son esprit, & de sa volonté, il n’y a point d’Homme sage qui ne les méprise.

De la Fevrerie.

[Lettre de la Solitaria del Monte-Pinceno, sur diverses Questions] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 88-95.

Cette Piece est si remplie de recherches curieuses, qu’on trouve peu de matieres qui soient traitées plus à fond. Joignez à cela la beauté du stile, & vous avoüerez à la gloire de l’Autheur, qu’on ne peut trop estimer de pareils Ouvrages. Les Décisions qui suivent sont d’une Personne de vostre Sexe, que l’éloignement des lieux n’empesche pas de s’intéresser dans nostre commerce.

A Rome ce 22. Mars 1681.

Humble salut, Seigneur Mercure,
Dont le nom fait bruit en tous lieux,
Sur mes Vers mal polis jettez un peu les yeux,
Et daignez, s’il vous plaist, en faire la lecture ;
De ma Muse naissante agréez ce présent,
Soyez pour elle un Dieu facile & complaisant.

Lequel est le plus à plaindre, ou un Mary jaloux, ou la Femme d’un Mary jaloux.

Celuy qui souffre davantage,
Est le plus digne de pitié.
Un Mary n’est jaloux que par trop d’amitié.
Ce trop cause souvent du bruit dans le ménage.
S’il aimoit moins sa Femme, il en seroit plus sage,
Et son bonheur seroit plus grand de la moitié.
Cet Homme est d’autant plus à plaindre,
Qu’il souffre pour vouloir guérir,
Et croit se soulager, cherchant à découvrir
Ce que pour son repos il a le plus à craindre.
Aussi l’esprit toûjours inquiet & resveur,
Il nourrit le chagrin qui le ronge sans cesse,
Et c’est luy-mesme qui s’empresse
A s’éclaircir de son malheur.
Sa Femme cependant agissant à sa teste,
Prend droit de le faire enrager,
Et croit, parce qu’elle est, ou passe pour honneste,
Qu’elle n’a rien à ménager ;
Ce n’est pas agir trop en Beste.
Ainsi la Femme du Jaloux
Passe des momens assez doux
Sans crainte de la jalousie,
Pendant que Monsieur son Epoux
Dans sa bizarre frénesie
N’a pas un beau jour en sa vie.

Je vous laisse à juger, Mercure Galant, lequel est le plus à plaindre des deux. Je suis pour le Mary, quoy qu’il soit l’autheur du mal, parce qu’en effet il souffre davantage, & que son tourment ne finit point.

Lequel doit estre estimé le plus malheureux, ou l’Aveugle né, ou celuy qui a perdu la veuë.

Les Plaintes d’un Amant, qui est devenu aveugle depuis qu’il a commencé d’aimer, pourront servir à décider cette Question.

J’adore les beautez dont Philis est pourveuë,
L’Amour m’a rangé sous sa Loy ;
Mais helas ! la Cruelle insensible pour moy,
Se moque du tourment que m’a causé sa veuë.
Amans, qui soûpirez, & plaignezvostre sort,
Le mien est beaucoup plus à plaindre que le re ;
J’ay perdu les deux yeux, & pour tout réconfort
Un Aveugle en conduit un autre.
Ah, mes yeux, quand je vous perdis,
Fut-ce l’éclat de ceux de la Cruelle,
Ou le regret de voir mes vœux trahis,
Qui vous couvrit d’une nuit eternelle ?
Helas ! qu’il m’eust esté bien doux
De prendre naissance sans vous !
Je n’aurois point veu l’Inhumaine,
J’ignorerois encor les tourmens amoureux ;
Oüy, vous m’avez perdu, mes yeux, mes traîtres yeux,
Et vous avez esté les autheurs de ma peine.

Ce que doit faire une Belle, qui est pressée de se déclarer pour deux Amans, dont l’un a beaucoup d’amour & peu de mérite, & l’autre beaucoup de mérite avec peu d’amour.

Amans, qui consacrez vos feux
A l’engageante Vacesmonde,
Vous ne pouviez choisir un Objet dans le monde
Qui fust plus digne de vos vœux ;
Mais qu’un de vous deux me pardonne,
S’il se voit de la Belle un jour peu satisfait,
Et si le conseil que je donne
Est peu conforme à son souhait.
Beauté, qui nourrissez leurs amoureuses flâmes,
Le mérite pour vous doit avoir des appas ;
C’est la marque des belles Ames,
De refuser les vœux de ceux qui n’en ont pas ;
Un Homme de mérite, & sensible à vos charmes,
Rendra justice à vostre amour ;
Ne craignez point, qu’ayant rendu les armes,
Il s’en repente quelque jour.
Il faut malgré luy qu’il vous aime,
Vous avez trop d’esprit pour le laisser aller ;
Si vous l’aimez, il en fera de mesme,
Et qui brûle pour vous, sçaura toûjours brûler.

Le conseil des Femmes n’est pas toûjours bon à suivre ; mais comme je suis persuadée que la Belle Vacesmonde est une Personne accomplie, & qu’il est naturel d’avoir de l’inclination pour son semblable, il est à croire qu’elle rendra justice au mérite.

Puis que vous estes le Dépositaire des conseils dont on a besoin, je vous prie, Galant Mercure, de vouloir bien proposer cette Question dans vostre Extraordinaire, sçavoir, Lequel est le plus avantageux pour une Veuve de 25. à 26. ans, ou de se remarier, ou de demeurer dans le Veuvage, ou d’abandonner entierement le monde, en se retirant dans un Convent. J’attendray réponse là-dessus dans quelqu’un de vos Extraordinaires, pour décider de ma fortune, & suis vostre &c.

La Solitaria del Monte Pinceno.

[Divers Madrigaux sur les deux Enigmes du Mois de Mars, dont les Mots estoient la Cire & la Cloche] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 120-141.

Voicy divers Madrigaux sur les deux Enigmes du Mois de Mars, dont les noms estoient la Cire & la Cloche.

I.

Un jour Mercure le trompeur
Voulut duper Apollon sans rien dire.
Pour cet effet, tranchant du grand Seigneur,
Portoit toutes marques d’honneur,
Et ne portoit rien moins que le nom de Messire.
Ce n’est pas tout ; des Lettres de Cachet
En Lacs de soye & Sceaux de Cire,
Etalloient par tout son empire,
Et ce n’estoit qu’Edit, Ordonnance, ou Brevet.
Apollon étonné de ce grand étalage,
Changea de mine & de visage,
Et prenant un front lumineux,
Brûla d’un rayon de ses yeux
Ces Lettres & Brevets, fondit les Sceaux de Cire,
Tant il est vray qu’à le bien dire
On ne sçauroit tromper la prudence des Dieux.

Le Marquis de Grassamant, de Troyes.

II.

Et pour la joye & pour le deüil,
Pour la naissance & le cercueil.
Souvent dans les Temples on sonne ;
Mais le respect que j’ay pour la Religion
Ne veut point sur ce fait que mon esprit raisonne.
Je me rends sans rebellion,
Soit que j’en sois loin ou fort proche,
Promptement en l’Eglise au premier son de Cloche.

Il Signore de Casa Cremata.

III.

Je vous entens, Seigneur Mercure,
Avec re Cloche à la main.
Vous nous conviez tous à voir mettre demain
Caresme dans la sepulture ;
Mais pourquoy tant vous mettre en frais ?
Laissez-là re Cire, il n’est pas nécessaire
De faire un si beau Luminaire.
Peut-estre que charmé de tant de beaux apprests,
Un jour il reviendroit exprés
Nous en voir encor autant faire.

Le Febvre, de Roüen.

IV.

Quand LOUIS, le plus grand des Roys,
Confirme ses augustes Loix
Par sa puissance sans égale ;
Et que pour faire à ses Sujets
Sentir tant en guerre qu’en paix
Ses libéralitez, ou sa faveur Royale ;
***
Un Car tel est nostre plaisir,
Que nos Roys ont voulu choisir,
A ce Monarque peut suffire ;
C’est assez, que de ce Héros
On voye, apres ce peu de mots,
L’Image en Lacs de soye éclater sur la Cire.

Rault, de Roüen.

V.

Depuis trois ans Mercure ayant quitté les Cieux,
A pris divers emplois sur terre,
Tant pour la paix que pour la guerre,
Et les préfere tous aux messages des Dieux.
***
Chaque Mois son devoir l’appelle
A quelque fonction nouvelle,
Selon qu’on l’exige de luy.
Remarquez si jamais il a la main en poche ;
Non, non, son devoir aujourd’huy
Est de gaillardement faire entendre la Cloche.

Le mesme.

VI.

Mercure, sans quitter le surnom de Galant,
Peut prendre celuy de Marchand,
Par les beaux emplois qu’on luy donne,
En voyageant dans tous les Lieux
Qui sont renfermez sous les Cieux,
Plus viste que jamais n’a fait encor personne ;
Car dans les voyages divers
Qu’il fait dans ce vaste Univers,
Il apporte souvent diférentes denrées.
Je le voy chargé dans ce Mois
De deux que l’on peut vendre au poids,
Qui sont des preuves assurées
Qu’il veut trafiquer cette fois.
Il porte en premier lieu d’une tres-belle Cire,
Jaune, & blanche indiféremment.
Pour le prix, c’est un brave Sire,
Qui le dira fort justement ;
Mais sa seconde marchandise
Peut causer un peu de surprise
A ceux qui douteront des forces de son Bras,
Puis qu’il apporte dans sa poche
Un belle & charmante Cloche,
Sans en souffrir nul embarras.

Alcidor, du Havre de Grace.

VII.

Ma foy, Mercure est aux abois,
Puis qu’apres ses grands exploits,
On voit à présent ce beau Sire
Réduit à chausser la Cire.

E. Foyneau, Sous-Chantre de la Cathédrale de Vennes.

VIII.

A des Sous-Chantres sans reproche,
Mercure peut-il déguiser
Celle qui sçait les maîtriser ?
Non, ils connoissent trop la Cloche.

Le mesme.

IX.

Mercure, aupres de moy c’est mal faire ta Cour.
Quoy, me prens-tu pour une Cruche,
De me donner un mois, lors qu’il ne faut qu’un jour,
Pour trouver la Cloche & la Ruche ?

Le Soleil du Quartier S. Mederic.

X.

Ne vous étonnez pas de voir presser la Cire
A Mercure avec tant d’ardeur,
Car j’ay toûjours entendu dire
Qu’il ne hait pas la douceur.

Baudoüin, de Lisieux.

XI.

Si je ne tiens pas vostre Mot,
Du moins de bien pres j’en aproche,
Et dust-on me croire un vray Sot,
Je soûtiens que c’est une Cloche.

Le mesme.

XII.

 La Cire que les Abeilles
Vont sur les Fleurs cueillir de toutes parts,
Et la Cloche qui fait tant de bruit aux oreilles,
Sont les deux Enigmes de Mars.

Le Chevalier Blondel.

XIII.

Mercure, vous estes discret,
Et bien propre pour le secret,
Je suis obligé de le dire.
Vous sçavez cacher aux Jaloux
Dessous le Cachet & la Cire,
Ce que l’Amour a de plus doux.

La Tronche, de Roüen.

XIV.

Mercure a sçeu trouver l’heureuse invention
De faire des Cloches nouvelles.
Nuit & jour point de bruit entr’elles,
Point d’appel, point de carillon ;
Que si l’on en avoit en tous lieux de pareilles,
On nous fatigueroit moins souvent les oreilles.

De la Mare-Chesnevarin, de Roüen.

XV.

Sans chercher tant de Mots pour expliquer l’Enigme
Qu’on nous propose dans ce Mois,
 La Cire a toute mon estime,
C’est d’elle dont je fais le choix ;
Et sans craindre d’aucun le blâme & le reproche,
Je veux aussi la donner à la Cloche.

Floridor, de la petite Ville du Havre.

XVI.

Iris, que vous avez de charmes !
Je me rends, je mets bas les armes,
Mes sens se trouvent enchantez
Quand je vous vois, quand vous chantez ;
Mais c’est peu que de vous le dire,
Puis que je n’ay pas le bonheur
D’estre gravé sur vostre cœur,
Comme un Cachet dessus la Cire.

L’Albaniste de Roüen.

XVII.

Estre à mes vœux toûjours rebelle,
Toûjours fiere & toûjours cruelle,
C’est me traiter en Etranger.
Pour faire cesser ce reproche,
Mercure fait sonner la Cloche ;
Que ce soit l’heure du Berger.

Le mesme.

XVIII.

Une Explication peut-elle estre plus pure
Que cet Eloge du Mercure ?
Il est aimé, chacun le suit,
Comme la Cloche il fait grand bruit ;
Et quand il s’agit du mistere,
On le voit discret & prudent,
Ensevelir en sage Confident
Dans la Cire ce qu’il faut taire.

Le Solitaire de S. Geniez.

XIX.

Industrieuses Ménageres,
Abeilles, qui courez les champs
Aussitost que le doux Printemps
Donne de la vigueur à vos aîles légeres ;
Observez de pres le talent
De nostre Mercure Galant,
Qui n’eut jamais la teste cruche.
Faiseuses de Cire & de Miel,
Rendez-luy grace, il est venu du Ciel
Pour vous faire offre d’une Ruche.

L. Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy.

XX.

Morgué je passons pour Faquins,
Disoit Mallet à Janot son Compeze.
Est-ce que je n’ozezions faize
Queme ces Badauts les Devins ?
Quand je voulons entrer en confézance,
On ne boute dehors quari queme des Sots.
Je ne pouvons dize deux mots,
Qu’on ne nous taxe d’ignozance.
Par la morgué je sommes las
De passer pour des Nicoulas
Qui ne sauzions faire une rime ;
Faisons queuque petit tracas
Qui nous boute toute en estime.
Cà, voyons, j’explique une Enigme.
De ce Mercure de Pazis.
Par ma foy je croy que j’y sis.
Te souvient-il de ce qu’on houche,
Janot, quand j’allons prier Guieu ?
Hé là… n’est-ce pas une Clouche ?
Mais me dizas-tu point un peu
D’où c’est… ah j’y sis par m'name,
C’est la Clouche de Noustre-Dame,
Que j’oyons tout l’Hyvar aupres de nouste feu.

Maillet, de Passy lez Pazis.

XXI.

J’ajoûteray, Galant Mercure,
Un Fait de nostre puissant Roy,
A ceux que tu décris, & qui rendront ta foy
Aux Siecles à venir suspecte d’imposture.
Ce Prince voulant empescher
Que dans d’indignes mains se trouvast la Noblesse,
Afin qu’en la vertu chacun l’allast chercher.
A la Cloche laissa sa premiere bassesse,
Ordonnant qu’en la Cire on n’imprimast son Sceau
Que pour distinguer le mérite.
Mercure, tu verras si ce discours nouveau
Des Enigmes de Mars pourroit grossir la suite.

Le Nouveau Bourgeois de la Rochelle.

XXII.

Mercure en cent façons tous les jours se déguise ;
Il est en mesme temps Messager, Postillon,
Tantost Coupeur de Bource, & tantost Violon,
Quelquefois il conduit l’amoureuse entremise.
Il change tous les mois d’état, de passion.
Pour vous dire en un mot tout ce qu’on en peut dire,
Mercure prend comme la Cire
Toute sorte d’impression.

Le Berger de Frussart, pres Vennes.

XXIII.

Pour chanter les vertus de Mercure Galant,
Ce n’estoit pas assez qu’il eust l’heureux talent
De bien toucher le Luth, ou joüer de la Poche,
Il falloit le son d’une Cloche.

Le mesme.

XXIV.

Pour nous engager à lire,
Tu nous offres de la Cire ;
Mais pour nous en tirer, de peur que nos beaux ans
D’un soin trop assidu ne portassent la peine,
Tu fais sonner à contretemps,
Et ta Cloche pourroit s’attirer nostre haine,
Si son bruit éclatant ne formoit dans nos cœurs
Un temps plus remply de douceurs,
En nous faisant quitter une aimable lecture,
Pour goûter un repos plus doux,
Nous donnant les momens d’admirer ces grands coups
Que fait retentir le Mercure.

L’Indiférent du Havre de Grace.

XXV.

Aminte, on ne parle pas bien,
Quand on dit que vos yeux ne sont plus bons à rien ;
Car puis qu’en faisant de la Cire,
Ils nous font découvrir le véritable sens
D’une Enigme de prix, qu’on vante, qu’on admire,
C’est assez pour des yeux de plus de soixante ans.

Le Rat du Parnasse, du Cloistre S. Mederic.

XXVI.

N’estoit-ce pas assez d’embarasser nos yeux,
Sans porter nostre oreille à ce nouveau reproche,
Que jusqu’icy, malgré la distance des lieux,
L’on nous vient reveiller par le bruit de la Cloche.

Frolant, Avocat au Parlement de Normandie.

XXVII.

Vous me dites en vain, Philis, que le Caresme
Cause le mal que je ressens,
Puis que de la langueur où je voy tous mes sens,
Je n’en accuse que vous-mesme.
Absent de vous, je ne vis pas ;
Et puis quand je voy vos appas,
Croyant par ce moyen soulager mon martire,
Vos yeux, dont l’éclat sans pareil
Est plus brillant que le Soleil,
Me font fondre comme la Cire.

De Corday, pres Falaise.

XXVIII.

Non, le changement d’air ne peut changer mon sort.
Mon amour est toûjours extréme.
Dites-moy, Philis, je vous aime,
Ou la Cloche bientost vous apprendra ma mort.

Le mesme.

XXIX.

L’avanture est assez bizarre ;
J’ay pris Mercure pour Icare,
Et chacun s’est moqué de moy ;
Mais cependant je n’ay pas veu pourquoy
A mes dépens on prétendoit tant rire,
Puis qu’il estoit tout barboüillé de Cire.

De S. Placide, du Cloistre S. Germain de Lauxerrois.

XXX.

Lors que la Cloche me réveille,
Elle me cause un dur ennuy,
Car je ne puis souffrir celuy
Qui trouble mon repos alors que je sommeille ;
Mais pour luy rendre la pareille,
Et luy joüer quelque bon tour,
Il ne faut que mourir un jour,
Et ses sons importuns trouveront sourde oreille.

Les deux Camarades d’Ecole du Jardin de la France.

XXXI.

Cette Enigme sent bien la Cire,
Je n’oserois presque le dire,
Tant j’ay peur de n’en pas donner
Le Mot qu’on laisse à deviner.
Quoy qu’il en soit, dûssay-je icy passer pour Cruche,
Je dis que c’est ou la Cire, ou la Ruche.

Le Blanc-Boucher, de la Ruë Simon le Franc.

XXXII.

Mercure, qu’aurez-vous à dire
Pour ne pas aprouver mon choix,
Si pour trouver les Mots de l’Enigme du Mois
Je me sers de Cloche & de Cire ?

F. Ha… du Mesnil, de Chambrais en Normandie.

XXXIII.

Quelqu’un qui croit n’estre pas Cruche,
Lût cette Enigme, & dans l’instant
Me vint dire, tout triomphant,
J’ay trouvé le Mot, c’est la Ruche.
Apres avoir pris à loisir
Le temps de la lire & relire,
Je luy dis, je veux mieux choisir ;
Gardez la Ruche, & moy la Cire.

Dargent, Commis de l’Extraordinaire des Guerres.

XXXIV.

En cette Enigme tout est doux,
L’Abeille & le Miel, tout m’attire ;
Mais pour éviter son couroux,
J’y trouve, & j’y laisse la Cire.

Il Signore de Casa Cremata.

XXXV.

Qui peut vous concevoir agreable Mercure,
Dans tous les tours que vous prenez ?
Ce qui n’est bien souvent que peu dans la Nature,
Par une agreable imposture
  Vous le donnez
Pour ses biens les plus fortunez.
De ce qu’icy je viens de dire,
J’ay pour garand l’Enigme de ce Mois.
De Mots plus relevez pouviez-vous faire choix ?
Vous ne voulez pourtant parler que de la Cire.

Autier le cadet, Toulousain.

XXXVI.

Ah qu’à vous découvrir avec peine on approche !
Il faut souvent monter bien haut.
Je vous connois pourtant, vous avez un defaut,
Souvent vous m’éveillez, trop importune Cloche.

Le mesme.

XXXVII.

Ouy, Cire, tu sers de retraite
A des Peuples entiers, & conserves leur Roy.
Tu ne peux cependant empescher leur défaite,
Lors que d’avares mains s’animent contre toy.
***
Cette perte d’eux tous ne finit pas ta peine ;
Car comme ils t’ont commis un dépost prétieux,
Pour te le faire rendre, on te presse, on te gesne,
Et bien souvent en suite on te condamne aux feux.

L’Amy sans feintise, de Rennes.

XXXVIII.

Cloche, quoy que tu sois du Sexe féminin,
Toûjours à parler trop enclin,
Il faut qu’on t’ait fait violence,
Lors qu’à te faire entendre enfin tu te résous.
Ainsi quand avec toy l’on n’en vient point aux coups,
Jamais tu ne romps le silence.
***
Comme ta voix est éclatante,
Beaucoup de ceux vers qui cet éclat la conduit,
Venant presque aussitost, remplissent ton attente,
Mais c’est souvent en vain que tu fais tant de bruit.
Il est certaines Gens rebelles,
Quoy qu’à cris redoublez longtemps tu les appelles,
De qui tu ne pourrois jamais rien obtenir,
Si l’on n’alloit chez eux pour les faire venir.

Le mesme.

De l’Origine de la Chasse §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 142-176.

DE L’ORIGINE DE LA CHASSE.

Il semble que la Chasse soit un effet du peché, & qu’il l’ait introduite jusque dans le Ciel, lors que les Anges en chasserent les Démons, qui ont paru tant de fois apres leur révolte sous la figure horrible de plusieurs Animaux, comme dit S. Athanase en parlant de S. Antoine, Eum Dæmones variis & horrendis ferarum figuris assumptis, impetu facto terrere conabantur, & le docte Palladius en l’Histoire des Peres, Horribilis Dæmon forma Ethiopis ignem oculis & naribus efflantis. Le premier Homme fut chassé du Paradis terrestre, apres que son crime eut effacé l’Image de la Divinité dans son Ame, & il devint semblable à la Beste, aussi-bien que Nabuchodonozor, selon Daniel & Joseph, qui assurent que ce Prince devint une veritable Beste, quoy que S. Jerôme dise qu’il n’y eut du changement que dans l’esprit & dans la fantaisie. C’est ce qui se rencontre encor aujourd’huy chez les Sauvages de l’Amérique, Hommes cruels & sans raison, à qui nos Pescheurs sont obligez de faire la chasse comme à des Bestes, puis qu’ils ont outre leur férocité le corps herissé de poil, & armé d’ongles merveilleusement longs & crochus. Ainsi l’Ange fit effectivement la chasse à l’Ange dans le Ciel, & Dieu la fit à l’Homme dans le Paradis terrestre ; car enfin ces Creatures comme métamorphosées, devinrent la proye de ces illustres Chasseurs ; & l’Homme faisant le Singe, s’est fait un plaisir de les imiter. La Chasse qui estoit alors un effet du peché, fut ensuite un effet de la justice de Dieu & de l’injustice des Hommes, qui se sont donné la liberté de répandre le sang humain comme celuy des autres animaux. La gloire, la vangeance, le plaisir, & l’utilité, ont esté tour à tour le but le plus ordinaire des Chasseurs. C’estoit, dis-je, pour quelqu’une de ces raisons qu’on faisoit la guerre à toutes sortes d’Animaux, sans épargner l’Homme mesme, selon le sens de l’Ecriture, qui appelle Nembrod un puissant Véneur devant le Seigneur, Erat robustus venator coram Domino, puis que Lamech mit à mort le malheureux Caïn, le premier de tous les homicides, croyant que ce fust une Beste sauvage, & par ce moyen donna lieu à cette pernicieuse espece de Chasse que les Hommes font aux Hommes, & que l’on a depuis nommée Guerre, Bataille, Combat. Neantmoins un Autheur moderne, dans un Ouvrage Latin, qu’il appelle la Chasse des Hommes, ou l’Art de gagner leur amitié, nous a donné une invention plus noble & plus innocente de leur faire la chasse ; mais selon mon sens, ce qui donna lieu à celle des Bestes, fut que l’Homme chassé du Paradis terrestre, se voyant exposé à la fureur des autres Animaux qui se rebellerent contre luy, fut contraint de leur faire la chasse, pour se garantir de leurs outrages. Ils cesserent d’obeïr à sa voix, & en suite il tâcha d’en gagner quelques-uns qui devinrent plus traitables. Les autres n’ayans jamais rien quitté de leur naturel féroce & malfaisant, ceux-là luy aiderent à se vanger de ceux-cy. C’est peut-estre pourquoy il se trouve encor une si grande antipathie entre quelques-uns, qu’ils ne sçauroient s’entrevoir sans estre portez à s’outrager. C’est par là qu’entre les Volatiles, le Faucon, le Gerfau, le Tartaret, l’Epervier, le Sacre, l’Emerillon, & le Tiercelet, ont esté employez contre le Héron, le Canard, la Gruë, le Milan, la Corneille, le Faisan, & la Perdrix ; entre les Quadrupedes, le Furet contre les Lapins ; & plusieurs sortes de Chiens, comme les Bassets, les Epagneuls, les Limiers, & les Levriers, contre le Sanglier, le Loup, le Renard, l’Ours, le Cerf, le Tygre, le Lion, le Leopard ; & pour ce sujet l’on a inventé les Epieux, les Toilles, les Pans ; les Rets, les Meutes, les Lesses ; mais contre les Poissons que l’on ne peut pas suivre à la trace, & qui sont du nombre de ces rebelles, l’Homme a mis en usage les Filets, les Lignes, le Leurre, & l’Appast.

Il n’est aucunement difficile de voir qu’il y a de trois sortes de Chasse, sçavoir, celle qui se fait aux Oyseaux, qu’on appelle Fauconnerie ; celle qui se fait aux Bestes à quatre pieds, qu’on nomme Vénerie ; & celle enfin qui se fait aux Poissons, à qui l’on a donné le nom de Pesche.

La Vénerie, selon le P. Pomey, est la Chasse qui se pratique sur la Beste à poil, & à la course des Chiens & des Piqueurs, ainsi qu’elle est en usage parmy la Noblesse de France. C’est, dit-il, un exercice pour la Noblesse tres-utile à la santé du Corps, & au divertissement de l’Esprit, fort profitable à la Ménagerie, & qui pour estre parfaitement conforme à celuy des Armes, est un des plus honorables qui se puisse pratiquer.

La Fauconnerie est l’art d’aprivoiser & assurer l’Oyseau de proye, & de l’employer à propos à la Volerie du Gibier.

Et selon un autre, la Pesche est l’art de prendre des Poissons à la Ligne, au Filet, ou en quelqu’autre maniere, pour le plaisir & pour l’utilité. C’est pour cette derniere fin qu’on la pratique en Dannemarc, où les meilleurs Revenus du Roy consistent au profit de la Pesche, qui pour cet effet ne donne pas un médiocre plaisir à ce Prince.

Mais s’il y en a en la Pesche, il ne s’en trouve pas moins en la Vénerie, puis qu’elle est utile à la santé du Corps & au divertissement de l’Esprit ; & l’on peut dire qu’il est en quelque façon de cette sorte de Chasse, comme de la Philosophie, qui demande l’Homme entier, c’est à dire le Corps pour l’exercice, & l’Esprit pour regler tous les mouvemens, soit dans les détours, soit dans les attaques, soit dans les poursuites, ou dans les autres actions particulieres qu’on est obligé de faire pour quester la Beste, pour juger des fumées, pour garder le change, pour faire les enceintes, & pour démesler les ruses de l’Animal, qui pleure, qui crie, qui se cache, qui résiste, qui se dresse, qui s’abat, & qui fait enfin tout ce qu’il peut pour se dérober aux Chasseurs. C’est pourquoy il est bon de sçavoir que les Chiens de chasse ont moins de nez au Printemps qu’en une autre saison, parce que les Arbres & les Plantes qui florissent alors, jettent plusieurs sortes de senteurs qui empeschent les Chiens de démesler celle de la Beste, non plus que ses fumées qui demeurent offusquées par la quantité des autres. Ce n’est pas tout ce qui sert d’obstacle au flairer des Chiens ; la gelée blanche les empesche de suivre le Gibier, parce que l’air froid & époissy à l’entour du nez, restraint les odeurs, lesquelles par ce moyen ne peuvent couler ny se répandre pour émouvoir les sentimens. Il y a, selon Plutarque, cette diférence entre le Sanglier & le Cerf, que les larmes de celuy-là sont douces, & que celles de celuy-cy sont salées, & de mauvais goust. La raison qu’il en donne, est que le Cerf est froid de sa nature, & que le Sanglier est chaud & boüillant ; d’où vient que l’un fuit & l’autre resiste, quand il est besoin de soûtenir quelque assaut. Alors la chaleur fait monter des larmes d’une douceur surprenante dans les yeux du Sanglier en colere ; & ses larmes, selon Empédocle, viennent d’un sang noir & trouble.

Nous avons divisé la Chasse en trois manieres ; mais parce que Platon, qui semble traiter de celle des Grecs dans son Sophiste, la divise autrement, voyons un peu comme il en parle. Il y en a de deux sortes, dit-il, sçavoir une qui se fait aux Animaux qui respirent, & l’autre qui se fait à ceux qui ne respirent point. De ces deux il en fait une troisiéme, qui est comme mixte, parce qu’on se sert quelquefois pour prendre les uns & les autres, de Clôtures, de Filets, de Feux d’Hameçons ; & cette derniere se trouvant ainsi composée des deux autres, il la divise encor en celle qui se fait de nuit, & en celle qui se fait de jour, à raison qu’on employe à celle qui se fait de nuit, des Flambeaux & des Fascines, & à celle qui se fait de jour, des Hameçons & des Lignes. Ce Philosophe n’est pas d’avis qu’on pratique ces deux sortes de Chasse, à cause qu’elles ne se font qu’à force de ruses & de surprises ; mais il permet de s’occuper à une troisiéme qui se fait avec les Chiens & les Chevaux, afin que cet exercice rende les Chasseurs prests de batre les Ennemis de leur Etat, comme s’ils avoient toûjours fait celuy des Armes. Il est à croire que la plûpart des Grecs, & sur tout les Athéniens, estoient trop adonnez à ces autres Chasses qu’il desaprouve, puis qu’il n’a pas craint de dire, que celle qui se fait de nuit, n’est autre chose que l’occupation des Faineans, qui perdent le temps qu’ils doivent employer à servir utilement leur Patrie. Ils peuvent, dit-il, se retirer en des Lieux écartez & deserts, pour ne pas faire voir au reste de la Grece, ny aux autres Nations, la bassesse de leur courage. Il consent que la Pesche se pratique en toutes sortes d’eaux, réservé dans les Ports sacrez, dans les Fleuves, dans les Marais, & dans les Etangs.

Les Romains cependant n’ont pas déferé beaucoup à ses sentimens, selon ce précepte des Georgiques.

Tum laqueis captare feras, & fallere visco.

Ils ont pratiqué la Chasse & la Pesche dans les Bois, dans les Montagnes, dans les Fleuves, dans les Marais, & dans les Etangs. Fulvius Lipinus commença de mettre en certains Parcs des Sangliers. Lucullus & Hortensius ne furent pas long temps sans l’imiter. Ils appelloient ces Parcs, Vivaria, Leporaria, Septa, Roboraria, à Tabulis roboreis quibus septa erant antequam mænibus cingerentur, comme parle Varron. Quoy que ces Lieux ne fussent fermez que de planches de bois, on n’y faisoit pas moins la chasse aux Bestes qui y estoient, qu’à celles qui furent mises depuis dans les Amphitheatres, dans les Cirques, & dans le Colizée. Ainsi les Romains s’estant dispensez de la rigueur des Loix de Platon, nous ne devons pas craindre de les violer, & de dire que la Fauconnerie & la Pesche ne sont pas moins l’exercice des honnestes Gens que la Vénerie. Il est certain que les Apostres ayant pratiqué la Pesche, elle est d’un mérite à ne pas céder aux deux autres. Mais puis que l’on donne le premier rang à la Vénerie, disons que la Chasse que l’on pratique sur le Sanglier, sur le Lion, sur le Cerf, sur l’Ours, & sur le Tygre, est sur toutes les autres digne de l’occupation des Hommes genéreux & robustes ; au lieu que celle qui se fait au Lievre, au Chevreau, au Loup, au Renard, & à d’autres Animaux semblables, n’est que pour les Hommes moins vigoureux & plus lâches, qui travaillent davantage pour l’utilité que pour la gloire.

Quoy qu’il en soit, les Romains en remporterent beaucoup à la Chasse qu’ils faisoient aux Bestes qu’on amenoit dans leurs Amphitheatres, dans les Cirques, & dans le Colizée dont je viens de parler, ou enfin dans les Ruës & dans les Places publiques de Rome. Suétone rapporte que l’Empereur Titus abandonna cinq mille Bestes au plaisir du Peuple Romain, qui demeurerent toutes sur la place. Plutarque dit que Pompée fit faire au Peuple Romain des Chasses si prodigieuses, qu’il y eut jusques à cinq mille Lions tuez. César & Domitian en firent pratiquer pendant la nuit à la clarté des Flambeaux. Gordian fit exposer en un seul jour cent Panthéres, mille Ours, deux cens Cerfs, trente Chevaux sauvages, cent Giraffes, dix Elans, cent Taureaux de Chypre, trois cens Autruches de Mauritanie, trente Asnes sauvages, cent cinquante Sangliers, deux cens Dains, & deux cens Chamois. L’Empereur Philippes fit tuer aux Jeux Séculaires trente-deux Eléphans, dix Elans, autant de Tygres, soixante Lions, & trente Léopards apprivoisez, dix Hyenes, un Rhinoceros, un Hippopotame, quarante Chevaux sauvages, dix Archoleous, dix Giraffes, & vingt Asnes sauvages. Trajan ayant vaincu les Daces, si-tost qu’il fut de retour à Rome, donna au P.R. le plaisir de tuer & de voir tuer jusques à dix mille Bestes sauvages & privées. Il n’est pas difficile de juger que l’Aréne de ces Amphitheatres estoit d’une grande étenduë. On lit que celuy que César fit bastir contenoit quatre arpens de terre, estoit long de trois stades, & large d’un, & que deux cens soixante mille Personnes s’y pouvoient asseoir. Le grand Cirque estoit capable de loger trois cens quatre-vingts cinq mille Personnes, & le mesme Suétone dit que César y fit mettre une fois deux Camps, pour donner au P.R. le plaisir d’un Combat. Il se voyoit encor à Rome un autre Lieu qu’on appelloit les Septes Julies, ou les Septes d’Agrippa, dans lequel l’Empereur Claude donna pendant un an entier au Peuple Romain le divertissement de la Chasse. Nous avons l’avantage d’avoir en la Ville de Nismes un superbe Amphitheatre nommé les Arénes, qui est un Ouvrage digne de la grandeur & de la magnificence des Romains. Il surpasse beaucoup ceux de Doüay & de Vérone. Mr le Comte de Brionne dit que le dernier est rétably, & qu’on y fait des Chasses & des Combats à pied & à cheval aux jours de Feste.

Mais tous ces plaisirs & ces curiositez semblent avoir déplû merveilleusement à Pétrarque, lors qu’il dit,

Quid juvat optandum venatu perdere tempus
Quærere cùm possis commodiora tibi ?

Il s’étend fort au long sur ce sujet, dans un de ses Dialogues, dont voicy les principaux sentimens, que j’ay rendus par ces Vers.

Vous courez, nous dit-il, apres ce qui vous fuit,
Les Chiens & les Autours font toute vostre joye ;
Pour avoir le plaisir d’une incertaine Proye,
Vous passez le jour & la nuit ;
Il ne vous reste plus pour comble de folie,
Que d’estre Oyseaux de Volerie.
Mais ne voyez-vous pas qu’un Faucon inhumain,
Des ongles & du bec vous déchire la main ?
Insensibles à la Nature,
Pourquoy souffrez-vous cette injure ?
***
Quand je voy fouler nos guérets
Par ce grand attirail de Chiens & de Valets,
Qui gâtent tous nos Bleds, nos Foins, nos Pâturages,
Ce n’est là le plaisir que d’un Noble à demy,
Et non celuy des grand Courages.
Il a trop peu de cœur pour vaincre un Ennemy ;
Il en a trop aussi pour se mettre à ses gages ;
Il fait consister sa valeur
A pousser à la Chasse une grande entreprise ;
Il abhorre la marchandise,
Et croit avoir beaucoup d’honneur,
Lors qu’il voit à ses pieds quelque Beste soûmise.

Et en suite afin de prouver par exemple la folie des Chasseurs, il raporte un endroit de la Vie de l’Empereur Adrian, qui fit dresser de grands & superbes Buchers, pour brûler le corps de quelques-uns de ses Chiens, & bâtir une Ville au lieu mesme où il avoit tué une Ourse, à qui il faisoit la chasse ; & il se fit une coûtume de luy sacrifier un Lion. Ces sortes de Gens, dit-il, dédaignent de s’occuper aux Arts mécaniques, parce qu’ils n’y trouvent aucun plaisir ; & ne pouvant s’occuper à l’étude des Sciences, & des Arts libéraux comme leurs Devanciers, ils ne sont propres qu’à la Chasse. Car enfin on trouvera bien que Platon donnoit son temps à la Philosophie ; Homere, à la Poësie ; Cicéron, à l’Art Oratoire ; César, à celuy de triompher ; mais on ne lira jamais, si je ne me trompe, qu’ils en ayent donné aucun moment à la Chasse. Sæpe quidem legere potuerunt Platonem Philosophantem, & Homerum Poëtantem, Tullium orantem, & Cæsarem triumphantem ; venantem, puto, non legerunt. Et pour finir, il demande pourquoy les Chasseurs veulent se vanter d’avoir eu l’avantage de tuer un Animal, dont la mort est souvent le seul ouvrage des Chiens, ou des Oiseaux de Proye.

Je ne prétens pas priver icy les grands Hommes de la gloire qui leur est deuë, pour avoir mis à mort des Lions, des Pantheres, des Tygres, des Ours, & d’autres Bestes sauvages apres des combats singuliers. L’éloge que contiennent l’Histoire & la Fable, de plusieurs qui se sont signalez en ces occasions, est une marque incontestable de leur valeur.

Rura sequi, jaculisque feræs agitare solebat,
Nodesasque cavâ tendere valle piagas,

dit le fameux Ovide, en parlant d’une celébre Chasseresse ; & lors qu’il veut discourir de Céphale, il le fait si agreablement qu’on est charmé.

Clarus erat Cephalus Sylvis, multæque per herbam
Conciderant illo percutiente feræ.

Mais tout cela n’est que peu de chose en comparaison de ce qu’il dit d’Atalante, qui poursuivant un Sanglier d’une grandeur si énorme qu’il faisoit trembler toute l’Arcadie, eut l’avantage de luy donner le premier coup, au préjudice de ceux de sa compagnie qui aspiroient à la mesme gloire.

Quelque severe que soit la Satyre de Pétrarque, elle ne semble pas attaquer directement les Personnes de ce rang, dont le but est sans-doute le bien de la Patrie, quelquefois leur propre salut, ou l’exercice du corps, que par ce moyen on dispose à soûtenir les travaux de la guerre.

Mais c’est assez parler de la Chasse des Grecs & des Latins, disons quelque chose de celle des Turcs, qui est considérable parmy ces Peuples. La plûpart des Princes Ottomans, qui croupissent, pour ainsi dire, dans l’oisiveté, ont choisy la Chasse pour le plus agreable de leurs divertissemens. L’Histoire nous apprend que Bajazet premier du nom, l’aimoit d’une telle maniere, que personne ne luy eust bien fait sa Cour, s’il n’avoit sçeu chasser. Et un jour ses Fauconniers ayant jetté un Gerfau par mégard apres un Oiseau, il en eut un si grand dépit, que sans le Comte de Nevers, Fils de Philipe le Hardy Duc de Bourgogne, qui estoit présent, il en eust fait mourir sur le champ deux mille. Ce Prince en entretenoit sept mille, qui furent chassez par Mahomet II. son Successeur, si tost qu’il fut monté sur le Trône. Un certain Autheur dit qu’en faisant une action si juste, il déclara qu’il ne vouloit pas donner son Pain à des Gens si inutiles, & destinez à la poursuite d’un plaisir si vain. Solyman II. qui fit la Conqueste de Rhodes, passa une année entiere à Andrinople, pour avoir seulement le plaisir de la Chasse. Osman qui luy succeda fut encor aussi fou, puis qu’il fit venir à sa Cour un grand nombre de Véneurs, & de Fauconniers ; car les Turcs font d’ordinaire la Chasse au Milan, au Faisan, au Leopard, au Cerf, au Liévre, & mesme au Sanglier, quoy qu’il leur soit défendu d’en manger par la Loy de leur Prophete ; mais ils ont trouvé le moyen de s’en permettre la Chasse, à condition d’en donner la chair aux Chrêtiens.

Si nous voulons passer, pour ainsi dire, des Forests de Turquie, en celles de Suede, nous ne manquerons jamais d’y rencontrer un Monarque, qui ces derniers jours estant à la Chasse proche de Congsor, se batit contre un Ours qui se présenta devant luy. Ce Monstre l’entreprit de telle maniere, qu’il eut besoin de toute sa force pour s’en défendre, & pour le mettre à mort. C’est encor le mesme qui a tué depuis ce temps-là jusqu’à huit Loups, qu’il a rencontrez allant à la Chasse au mesme lieu.

Nous avons, ce me semble, assez écrit de la Chasse des autres Nations, sans toucher quelque chose de la nostre, & de son commencement. Il est à croire, s’il est permis de conjecturer, qu’encor que les Latins en fissent un grand exercice, on ne laissoit pas de chasser dans les Gaules, où il se trouvoit beaucoup plus qu’à présent, pour le moins autant de Rivieres, de Garennes, de Marais, & d’Etangs. Gomer, surnommé Gallus, petit Fils de Noé, qu’on dit estre le premier Fondateur des Gaulois, ou Galathée Femme d’Hercule, qui regnoient dans les Gaules environ l’an du Monde 2264. selon Berose & Xénophon, auroient-ils manque d’apprendre à cette Nation l’Art de chasser, que Noë, Isac, Jacob, Esaü, Hercule, & les autres Asiatiques, & Afriquains, sçavoient si parfaitement pratiquer ? Si les Troyens enfin ne l’ignoroient point, comme Virgile nous en assure en plusieurs endroits, pourquoy ne voudra-t-on pas qu’Astianax ou Francion, qui estoit Fils du grand Hector, & de qui selon Manethon, nos Roys tirent leur origine, leur ait appris ce bel Art qu’Ascanius n’ignoroit pas ?

At puer Ascanius medijs in vallibus acri
Gaudet equo, jamque hos cursu, jampræterit illos,
Spumantemque dari pecora inter inertia votis
Optat aprum, aut fulvum descendere monte Leonem.

Il y a certes trop d’apparence qu’ils en avoient la pratique, pour en douter, à joindre qu’il n’y a rien qui empesche que nous n’ayons eu l’usage de la Chasse presque aussitost que les Hommes qui vivoient dans l’Asie avant le Déluge, puis que nous avons eu le mesme panchant, & la mesme inclination à la recherche de nos plaisirs, & je ne n’en trouve pas d’autre raison, sinon que l’Asie ayant esté peuplée la premiere, l’Europe doit luy ceder l’avantage d’avoir eu les premiers Chasseurs qui furent, comme j’ay dit, les premiers Hommes du Monde. Un Ancien nous veut vendre trop cher la loüange qu’il nous donne, touchant l’Art de chasser, lors qu’il dit que les Latins l’ont eu avant nous. Fuit hæc quondam Latinorum, nunc Gallorum ars propria ; Et il n’y a que le temps de son commencement dans les Gaules, qui nous empesche d’estre d’accord ; car il est certain qu’un Moderne nous apprend, qu’on faisoit autrefois deux grandes Chasses en France durant chaque année, & que c’estoit à l’issuë des Parlemens, qui ne se tenoient que deux fois l’an. Depuis on a trouvé plus de plaisir à chasser plus souvent, & de Prade raporte que Charles IX. aima si passionnément cet exercice, qu’il en composa un Livre, que Mr de Villeroy pour lors Secretaire d’Etat écrivit, & qu’enfin le lieu où il aimoit le plus à chasser estoit une Forest de Normandie, où il fit commencer le Bastiment de la superbe Maison de Charleval. Il n’y avoit pendant les premiers Regnes sur l’Etat de la Maison du Roy, que de simples Véneurs, des Fauconniers, des Perdriseurs, des Oiseleurs, des Louvetiers & de tels autres Officiers, plus necessaires que considérables ; mais aujourd’huy l’on y voit de Grands-Veneurs, Grands-Fauconniers, & de Grands-Louvetiers, dont les Charges sont exercées par des Comtes, par des Marquis & par des Ducs & Pairs. C’est ce Grand-Veneur, que nos Devanciers appelloient autrefois Grand-Forestier. Il y a quantité d’autres Officiers pour la Chasse, des Noms & des Offices desquels je chargerois inutilement ce papier, puis qu’on les peut voir ailleurs, n’en ayant parlé que pour faire voir que la Chasse de nostre Monarque n’est pas moins nombreuse & magnifique, que celle du Grand-Seigneur. Aussi cet illustre Successeur de Charles IX. s’y exerce assez souvent, pour sçavoir mettre aux abois les Bestes les plus fieres, & se faire craindre à toute la Terre.

LE CESNE, de Coûtance.

Avanture de l’Amour, décrite par le Secretaire du Zéphire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 177-191.

Vous sçavez, Madame, qu’on a demandé dans le dernier Extraordinaire, Si un Amant qui a beaucoup d’amour & peu de mérite, est préférable à celuy qui a beaucoup de mérite avec peu d’amour. Cette Question a donné lieu à Mr de la Salle de l’Estang, d’imaginer ce qui suit.

AVANTURE DE L’AMOUR,
Décrite par le Secretaire du Zéphire.

Moy, Secretaire de Zéphire,
Je prens la plume, afin d’écrire
Ce que chez Philis l’autre jour
Je vis arriver à l’Amour.
Jamais, & c’est chose fort sûre,
Ce Dieu n’eut si triste avanture.
Ce jour-là donc qu’il souffrit tant,
Je portois un Billet galant
A la belle & charmante Flore.
Il estoit l’instant où l’Aurore
Avec un visage vermeil
Devance les pas du Soleil,
Quand je rencontray la Déesse,
Qui de mon Maître est la Maîtresse,
Ce fut au Jardin de Philis.
Dans le moment que je la vis,
Je luy donnay le Billet tendre
Que j’estois chargé de luy rendre.
Flore prend le Billet, le lit,
En paroist touchée, & me dit
Qu’à son tour elle veut écrire ;
Ce qui fait que je me retire
Dans une Allée un peu plus loin,
En attendant qu’on prist le soin
De m’appeller, pour me remettre
La Réponse faite à ma Lettre.
L’air estoit parfumé d’odeurs,
Et pour ressusciter les Fleurs,
Mon Maître le Zéphire à peine
Venoit d’employer son haleine.
Pour passetemps je carressois,
J’entretenois, & j’embrassois
Les plus belles d’entre les Roses
Qui ne faisoient que d’estre écloses.
C’estoit là mon amusement,
Lors que de son Apartement
Philis sortit ; mais qu’inquiétes
Furent mes aimables Fleuretes,
Craignant de servir de Bouquet,
Non sans raison, car en effet
Je puis bien dire cela d’elles,
Que c’estoient les Fleurs les plus belles
Quoy qu’à nous tendissent ses pas,
Philis à nous ne songeoit pas.
Je vis qu’elle estoit en colere
Contre le Dieu qui seul suggere
Tous les sentimens amoureux ;
Ah que mon sort est malheureux !
S’écrioit-elle ; au moins qu’Acante
Ait une flâme plus ardente,
Luy qui me montre tant d’esprit ;
Ou bien lors que Tyrcis me dit
Que sa flâme n’est pas petite,
Que n’a-t-il autant de mérite !
Amour, ne range sous tes Loix
Les cœurs qu’au moment que tu vois
Dans l’Amant & dans la Maîtresse
Mesme esprit & mesme tendresse.
Pourquoy, fier Tyran de ces cœurs
Les asservir à tes ardeurs,
Quand elles font tout leur martyre
Tu voulois m’obliger à dire
Ce que tu m’as fait ressentir.
J’eusse eu lieu de m’en repentir,
Car Acante a l’humeur volage,
Et Tyrcis n’a pas l’avantage
De passer pour spirituel.
Fais naître un raport mutuel,
Ou sors de mon cœur tout-à-l’heure,
Sors, & n’en fais plus ta demeure.
Fais pour ce cœur un digne choix,
Ou ne le tiens plus sous tes Loix.
Un Amant, pour en estre maître,
N’a-t-il qu’à souhaiter de l’estre ?
D’un tendre panchant prévenu,
Doit-il estre au premier-venu ?
Il faut connoistre la Personne
A qui pour toûjours on se donne ;
Autrement on fait des faux pas
Qui causent de longs embarras,
Et ce n’est point là ma pensée
Que d’aller la teste baissée
M’exposer à tous les hazards
Que l’on court sous tes Etendarts.
Ce discours finy, l’Amour pense
Qu’il feroit mal sa résidence
Dans un cœur où l’on le maudit ;
Il en sort, mais sortant, il dit ;
Adieu, Philis, le coup est rare,
Que trop de raison nous sépare ;
Pour rentrer chez vous, je ne veux
Que vostre bouche, & que vos yeux ;
Vous avez un air admirable,
re esprit n’a point de semblable,
Et vous ne pouvez empescher
Que l’on ne se laisse toucher
Par l’aimable amas de vos charmes.
Ce seront là toutes mes armes ;
J’en suis content, vous choisirez
Un Amant tel que vous voudrez,
Mais tost ou tard chacun soûpire,
Et se range sous mon empire.
Comme Amour parloit assez haut,
Pan s’éveille alors en sursaut,
Plein encor du jus de la Treille
Dont il s’estoit remply la veille,
Il ne faut point s’émerveiller
S’il a peine à se réveiller
Le lendemain des Lupercales,
Et s’il se permet des mots sales
Contre le Dieu qui fait aimer.
Fâché de n’avoir pû charmer
Syrinx, cette aimable Cruelle,
Il voit l’Amour, il le querelle,
Et vomit mille juremens,
Mais sans laisser le moindre temps
A ce petit Dieu de répondre.
Pour s’en vanger & le confondre,
Il s’avise d’un pareil trait ;
Ainsi qu’on endort un Poulet,
Mettant dans ses aîles sa teste,
Comme un Dieu plus fort Pan s’apreste
De faire de mesme à l’Amour.
Il le tourne donc plus d’un tour,
Et par là Morphée est le Maître
De celuy qui sçeut toûjours l’estre
Des Mortels & de tous les Dieux.
Le diray-je ? L’Audacieux,
Osant pousser plus loin sa rage,
Sans perdre Amour de veuë, engage
A soy jusqu’à la moindre Fleur
De celles qui gardoient au cœur
Contre Amour un peu de colere.
Ainsi d’une course légere
Pres de ce Dieu chaque Fleur vient ;
Autour de luy conseil se tient.
Là, leur infortune l’accuse,
C’est son crime ; en vain il s’excuse,
S’estant réveillé par le bruit
Que l’aproche des Fleurs produit.
Comme un Criminel en justice,
On ordonne de son suplice.
Et qui commence d’opiner ?
C’est Narcisse. Il faut le berner,
Dit-il ; prenons ces Toiles blanches
Que l’on met sécher sur des branches
Icy tout prés dans le Verger.
Qu’il seroit doux de me vanger
Du Dieu qui m’a fait infléxible
Pour la Nymphe la plus sensible,
Pour Echo, pour tous ses appas !
Que de plaisir, si dans ces draps
Tomboit le Dieu qui fait qu’on aime,
Ainsi qu’amoureux de moy-mesme
Je me précipitay dans l’eau !
Vrayment, cela seroit fort beau,
Dit Crocus ; mais aussi je pense
Que pour vanger l’indiférence
De Smylax qui causa ma mort,
On pourroit, lors que l’Amour dort,
Mettre mon Saffran à l’usage
D’un Camouflet sur son visage.
Hyacinthe osa demander
Contre Amour, de le lapider.
Hé quoy, dit-il, je rendis l’ame,
Sans avoir ressenty sa flâme,
Ny goûté les moindres douceurs
Qui sont faites pour tous les cœurs
Qu’il a soûmis à sa puissance ;
Cela mérite ma vangeance.
Il est digne d’un tel destin,
Qu’un coup de pierre fist sa fin.
Si j’avois paru moins aimable,
Helas ! seroit-il véritable,
Quand je mourus joüant, dit-on,
Au Palet avec Apollon,
Que de pleurs la face baignée
Il déplora ma destinée,
Et que touché de mon malheur,
Il travestit mon Corps en Fleur ?
Enfin, là chaque Fleur se pique
D’inventer un dessein tragique
Contre leur Ennemy commun ;
Mais des avis il en est un
Où l’on s’arreste, & qu’on veut prendre.
Adonis soûtient qu’il faut pendre
L’Amour à quelque Arbre, à celuy
Que de tout temps on vouë à luy,
Et c’est afin que davantage
Ce Fils de Cyprine en enrage
D’où vient, poursuit-il, qu’il souffrit
Qu’en chassant, la mort me surprit,
Qu’avec une dent meurtriere
Un Sanglier finit ma carriere,
Et que Chasseur infortuné,
Je vis mon triste sort borné
Dans certain Bois, au pied d’un Arbre ?
Si le corps aussi froid qu’un Marbre,
Sous un Myrte pendoit l’Amour,
Et là qu’il tournast plus d’un tour
Au gré des souffles du Zéphire,
N’aurions-nous pas sujet d’en rire ?
Un pareil suplice seroit
Le destin qu’il mériteroit.
N’a-t-il pas deû voir que sa Mere
Auroit une douleur amere,
S’il laissoit périr les appas
Dont alors je ne manquois pas ?
Car à Vénus je fus aimable,
Non, cela n’est point pardonnable ;
Sus donc, qu’au Myrte il soit pendu.
Cet Arrest à peine est rendu,
Que l’Arbre commence à paroître
Sensible à l’affront de son Maître.
On voit son faiste verdoyant
En marquer un courroux bruyant.
Quoy qu’oppose Amour, Pan arrache
La corde de son Arc, l’attache
Luy-mesme à l’Arbre ; & si la mort
Des Deïtez estoit le sort,
L’Amour ne seroit plus en vie.
Ensuite aux Fleurs il prend envie
De lancer contre luy les traits
Dont il ne s’est servy jamais
Que pour mettre un cœur à la gesne,
Et luy causer plus d’une peine.
On tire donc hors du Carquois
Les Fleches, & l’on fait le choix ;
De celles qui sont émoussées,
Ou qui semblent estre passées
Plus d’une fois dans le Poison.
Les Fleches de cette façon
Doivent servir contre luy-mesme,
Et causer un tourment extréme,
Afin qu’aux yeux des Fleurs, l’Amour
Soufrant le martyre à son tour,
Leur oste tout lieu de le craindre.
Cet Enfant se mit à se plaindre,
Sa plainte penétra les Cieux,
Et sa Mere en émût les Dieux.
Pour servir l’Amour, & mon Maître,
J’estois seul, falloit-il paroître
L’Ennemy de Pan & des Fleurs ?
Falloit-il blâmer leurs rigueurs ?
Devois-je agir ? mon imprudence
M’auroit cousté cher, que je pense.
J’estois dans un trouble pressant,
Quand Vénus dans son Char descend,
Et perce tout-à-coup la nuë.
L’ame de Pan en est émeuë ;
Ce Dieu blâmant ce qu’il a fait,
Alloit témoigner son regret,
Si la Déesse de Cythere
N’eust alors parlé la premiere.
Pan, je vois, dit-elle, à vos yeux,
D’où vient l’état injurieux
Du Dieu qui maîtrise le Monde.
Au Ciel, sur la Terre, & dans l’Onde.
Tout se range sous son pouvoir.
Vous l’insultez, cela fait voir
Que vous vous sentez de la Feste ;
Car vous vous mettriez en teste
Que c’est là vouloir contre vous
Armer les Dieux, & leur couroux,
Vous craindriez qu’un long suplice
Ne punist en vous l’injustice.
Quoy qu’il en soit, priez l’Amour
De pardonner ce vilain tour,
Ouvrez les yeux, soyez plus sage,
Je suis sa Mere, & je m’engage
Que jamais il n’en sera rien,
Si vous défaites le lien
Qui ridiculement le lie
A l’Arbre que l’on luy dédie.
A cet ordre Pan obeït,
Tandis que d’ailleurs Vénus dit,
Qu’Adonis qui luy fut aimable,
Seroit toutefois misérable,
Si luy, comme les autres Fleurs,
Pouvoient craindre quelques malheurs.
Enfin l’Amour sorty d’affaire,
Remercie à loisir sa Mere,
Elle l’embrasse, & dit, Mon Fils,
Retournez au cœur de Philis,
Et remontrez à cette Belle
Qu’Acante doit estre pour elle,
Qu’ayant l’esprit plein d’agrément
Autant que l’ait aucun Amant,
C’est presque une chose impossible
Qu’il soit tout-à-fait insensible ;
Eust-il mesme un cœur de Rocher,
Elle peut toûjours le toucher ;
Mais quand il se feroit un crime,
D’aller au dela de l’estime,
A Philis il est glorieux
Qu’il rende hommage à ses beaux yeux ;
C’est la grandeur de l’entreprise,
Qui fait que le succés s’en prise.
La perséverance peut tout ;
Si d’Acante elle vient à bout,
Tous deux passeront dans la joye
Des jours filez d’or & de soye,
Jamais nulle division
Ne troublera leur union.
Une flâme est toûjours la mesme,
Quand c’est par raison que l’on aime ;
Le mérite sera l’aimant
Qui les unira constamment,
Et les tiendra toute leur vie
Dans la plus douce sympathie.
***
Sur ce discours j’en dirois plus,
Si durant le temps que Vénus
Ne le finissoit pas encore,
Je n’eusse eu de la part de Flore
Réponse au Maître que je sers.
Aussitost je fendis les airs,
Afin d’accomplir mon message,
Sans rien écouter davantage.

Reponse à Madame la Duchesse D*** Sur l’Origine & les Armes de quelques Familles de France §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 194-196.

Un Manuscrit de l’Abbaye de S. Victor de Paris fait foy, que le Soudan ou Roy de Damas, fut pris en guerre dans la Terre-Sainte l’an 1186. par Hugues III. du nom Duc de Bourgogne, qui le fit instruire dans la Foy Chrêtienne, & luy donna son nom au Baptême, & que ce Prince par un sentiment de devotion, & de reconnoissance pour sa nouvelle Religion, quitta les trois Testes de Maures qu’il portoit pour Armes, & prit la Croix. C’est de ce Hugues Roy de Damas, que sont venus les Comtes de Thianges du nom de Damas, qui portent d’or à la Croix ancrée de gueules.

Ce que vous m’avez mandé de la Famille des Comtes d’Urfé, est autorisé par un Titre de la mesme Bibliotheque, qui porte que ces Seigneurs ont esté appellez Altoffs, puis Welfes, Wlfs, & puis Urfé. Ramierus dit qu’ils descendent de Guarin ou Varin Duc en Suaube, l’an 750. du temps de Pepin le Bref, & qu’il fut Comte d’Altoff. On trouve vingt-quatre degrez de Mâles jusqu’à Mr d’Urfé, Frere de Mr l’Evesque de Limoges d’aujourd’huy, & l’Abbé qui est Prestre de l’Oratoire, & Supérieur de la Maison de Nostre-Dames des Vertus. Cette Famille porte de vair au chef de gueules pur.

[Sentimens en Vers de M. du Rosier, sur toutes les Questions du dernier Extraordinaire] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 219-234.

Mr du Rosier a expliqué ce qu’il pense sur toutes les Questions du dernier Extraordinaire, par les Vers qui suivent. Il est le veritable Autheur de tous les Sentimens en Vers, qui ont paru sous des noms suposez dans les Extraordinaires précedens.

S’il est plus avantageux à une Femme, d’estre aimée dés la premiere fois qu’on la voit, ou de ne l’estre qu’apres qu’on a eu le temps d’examiner son mérite.

Comme il n’est point d’Amant fidelle,
Et qu’on traite d’abus une amour eternelle,
Il est sans-doute avantageux
Aux charmans attraits d’une Belle,
Qu’elle gagne d’abord & nos cœurs & nos vœux,
Et que chacun brûle pour elle,
Dés qu’elle paroist à nos yeux.
Elle connoist par là le pouvoir de ses charmes.
Il ne faut que la voir pour luy rendre les armes.
Mais ce n’est pas sans déplaisir
Qu’elle voit qu’un Amant qu’à l’amour elle invite,
Avant que de ceder, se donne le loisir
De reconnoistre son mérite ;
Car enfin son plus grand desir,
Est d’aller promptement au giste.

Si une Femme qui aime toûjours un Amant dont elle a esté trahie, doit écouter sa passion ou sa gloire, quand cet Amant tâche à obtenir le pardon de son infidelité.

Ouy, Philis, cet Amant ingrat
Est indigne de vostre estime ;
Mais vous l’aimez encor, il reconnoist son crime,
Et pouvez-vous dans cet état
Luy refuser enfin un pardon legitime ?
L’amour doit sur l’ambition
Remporter toûjours la victoire.
De ce tendre retour ayez compassion,
Ne craignez rien pour vosre gloire,
  Ecoutez vostre passion.

Comment l’ame, estant purement spirituelle, est touchée par la Musique qui est une chose sensible.

L’Ame estant d’elle-mesme une source infinie Voir l'article l'Extraordinaire du Mercure de Juillet 1681
De charmans & divins accords,
Je ne m’étonne point qu’estant unie au Corps,
Elle soit icy-bas sensible à l’harmonie :
Car quand ce ne seroit que par raport aux sens,
Quoy que toute spirituelle,
La Musique par ses accens
Peut aisément agir sur elle.
L’Homme est tout harmonie ainsi que l’Univers.
Ses sens, ses facultez dans son Corps organique,
Comme autant d’Instrumens divers,
Se meslent à tous les Concerts,
Que pour toucher nostre ame invente la Musique.

Si la Santé peut estre alterée par les Passions.

Il semble que nos passions
Devroient peu sur nos Corps faire d’impressions,
Ayant avec nous pris naissance,
Cependant chacun sçait quelle est leur violence.
On les voit triompher de nostre liberté,
Et souvent nous ravir la vie & la santé,
L’Homme, source des maux, par luy-mesme s’y pousse.
Ce sont ses passions qui font tous ses malheurs ;
On le voit par l’amour, qui bien que la plus douce,
Luy cause tous les jours mille & mille douleurs.

Des manieres des plus fameux Peintres.

Sans cesse la Nature & s’applique & s’exerce
A donner aux Humains une forme diverse ;
Et ces Portraits vivans de la Divinité,
Ont, selon qu’il luy plaist, plus ou moins de beauté.
De mesme on voit en chaque Ouvrage
Des Peintres de l’Antiquité,
Quel estoit le talent qu’ils avoient en partage,
Quel estoit leur génie & leur habileté.
Tous dans un si bel Art n’ont pas eu mesme usage ;
Chacun diversement arrivoit à sa fin.
L’un avoit l’Ordonnance, & l’autre le Dessein.
L’un d’un beau Coloris rehaussoit sa peinture.
Un autre plus exact imitoit la Nature.
L’un à bien ressembler mettoit tout son esprit.
L’un ne peignoit qu’en grand, & l’autre qu’en petit.
C’est ainsi qu’à l’envy se formant un modelle,
Ils sont tous parvenus à l’immortalité.
Mais dans cette diversité,
La gloire est deuë au grand Apelle.
Pour les traits délicats, pour la naïveté,
Aucun autre que luy plus haut ne peut atteindre,
Il peignoit le Soleil, la Foudre, les Eclairs,
Tous les Feux qu’on voit dans les airs,
Il peignoit ce qu’on ne peut peindre.
Mais ce qui luy donnoit encor le premier rang,
Apelle osoit peindre Aléxandre,
Comme Le Brun ose entreprendre
Le Portrait de Loüis le Grand.

Sur la Magie Naturelle.

Tout ce que l’Homme ingénieux
Fait paroistre de grand, est souvent peu de chose.
Il suffit d’en cacher la cause,
Pour tromper aisément nos esprits & nos yeux.
Ces bizares effets que l’on ne peut comprendre,
Ne doivent pas tant nous surprendre,
Et souvent c’est à tort qu’on les veut critiquer ;
Car enfin la Magie, ou ce que l’on appelle
Parmy les Curieux, Science naturelle,
N’est, à proprement s’expliquer,
Qu’une connoissance tres pure
Des merveilles de la Nature,
Avec l’art de bien l’appliquer.

Sur ce qu’on a demandé des Madrigaux touchant la libéralité du Roy, qui a donné au Public les cent mille francs qu’il avoit gagnez à la Loterie.

Dignes Favoris d’Apollon,
Faut-il que Mercure vous prit
De venir aujourd’huy dans le sacré Vallon,
Pour chanter de LOUIS la grande Loterie ?
Ce Prince en tout si merveilleux,
Est grand encor parmy les Jeux,
Et l’on voit bien que la Fortune,
Quoy que favorable à ses vœux,
Ne le rend pas toûjours heureux,
Quand à tous ses Sujets elle n’est pas commune.

Description d’un Printemps.

Déja de mille Oyseaux on entend le ramage,
Déja de mille Fleurs on voit les Champs couverts,
Déja tous les Arbres sont vers,
Et font un agreable ombrage.
L’air est pur & serain, une douce chaleur
A nos Corps abatus redonne la vigueur,
Et dans cette saison nouvelle
Tout rajeunit, tout renouvelle.
Tout rit, tout plaist, tout charme, avecque les beaux jours,
Et ce n’est pas enfin sans sujet qu’on appelle
Cet aimable Printemps la saison des amours,
Puis qu’en tous lieux on ne respire
Que les tendres soûpirs de l’amoureux Zéphire.
Mais pourquoy s’amuser à tracer un Tableau,
De ce que le Printemps étale de plus beau ?
Quittons desormais nos Murailles,
Et courons voir Saint Clou, Versailles,
Saint Germain, & Fontainebleau.
Ma Muse, je l’avouë, est foible & languissante,
Pour bien représenter la Nature naissante.
Il faut estre sçavant, il faut estre amoureux,
Pour décrire de Flore & l’Empire & les Jeux.
Il faut aux graces du Parnasse
Joindre le stile des Amans ;
Quelque effort qu’un Poëte fasse,
Il ne peut sans aimer dépeindre un beau Printemps.

Sur les Assemblées des Tuilleries.

Mais sans aller plus loin, entrons aux Tuilleries,
Tout le monde y tourne ses pas ;
Elles sont vertes & fleuries,
C’est là que le Printemps a de nouveaux appas ;
Mais ils sont effacez par tous ceux qu’il convie
De venir dans ce Lieu charmant
Prendre le divertissement
Le plus innocent de la vie.
Que d’éclat, que de pompe on voit de toutes parts !
Que ce flus & reflus de Galans & de Belles
Surpasse de bien loin toutes les Fleurs nouvelles,
Et mérite mieux nos regards !
Que de brillant, que de jeunesse,
Que de beauté, que d’agrément,
Que de vertu, que de sagesse,
Se trouve icy confusément,
Et que ces belles Assemblées
Parent encore ces Allées
Par leur superbe ajustement !
Par tout, l’or & les pierreries
Brillent d’un merveilleux éclat,
Et rehaussent des Broderies
L’ouvrage fin & délicat ;
Mais de cent modes diférentes,
Aussi nouvelles que galantes,
On admire l’invention ;
Et comme en ce Lieu l’on se pique
D’estre galant & magnifique,
On y fait bien l’honneur de nostre Nation.

Devise d’un galant Homme, & si l’on peut dire avec raison, qu’il doit rarement estre complaisant.

En vain mon esprit subtilise,
Et raffine sur ce sujet.
Un galant Homme est un Objet
Qu’on peint mal dans une Devise ;
Mais puis qu’il faut enfin en faire le Portrait,
Voicy, si je l’ay bien comprise,
L’idée au naturel d’un Homme si parfait ;
Un Quadran au Soleil, avec ces mots pour ame,
Toûjours officieux, sans erreur & sans blâme.
Et pour finir la Question,
Comme un galant Homme pour plaire
Doit estre complaisant en toute occasion,
Malgré tout le Party contraire,
Le mot de rarement me choque en ce discours,
Souvent est mieux, & mesme on peut dire toûjours.

De l’Origine et de l’Usage des Masques §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 234-264.

DE L’ORIGINE ET DE L’USAGE DES MASQUES.

Il est presque impossible de bien traiter de l’origine des Masques, & de leur usage, qu’on ne parle en mesme temps de l’origine des Bacchanales, & de celle de la Tragédie & de la Comédie, parce que toutes ces choses ont un enchaînement entr’elles, ou plûtost une dépendance les unes des autres ; mais pour suivre l’ordre des temps que tout a commence, & des Nations qui en ont pris l’usage, il est à propos d’expliquer d’abord ce que c’estoit que les Bacchanales.

Si-tost que Bacchus, qui depuis fut appellé le Dieu Liber, eut subjugué les Indes & l’Egypte, ayant, comme dit Lucien, pour Chefs de son Armée, Pan & Silene, & que par ses conquestes il en eut réduit les Nations à son obeïssance, il résolut d’en mener le Triomphe dans son Char attelé de Tigres & de Leopards, accompagné des mesmes Pan & Silene, & suivy des Faunes, des Satyres, des Egipans & des Nymphes. C’est à dire à proprement parler, que quand Bacchus, que depuis l’on a tenu pour une Divinité, eut appris aux Indiens, & aux Egyptiens, l’art de cultiver les Vignes, & de faire les Vandanges, l’on institua à l’honneur de ce Dieu, des Festes celébres dans toutes les Régions par où il avoit passé, lesquelles furent appellées Bacchanales, & qui depuis furent apportées des Indes & de l’Egypte dans la Grece, & de la Grece dans la Toscane, & en suite à Rome.

Apollodore au Livre 3. Orphée en un Hymne qu’il fait à la loüange de Bacchus, & Hésiode en sa Theogonie, aussibien que l’Histoire Génealogique des Dieux, parlent amplement de la naissance, & de tous les progrés de Bacchus. Eurypide en sa Tragédie des Bacchantes fait mention de cette Divinité, comme Pausanias en ses Attiques, qui dit quels estoient les Satyres, les Faunes, les Silvains, Silene, & les autres Divinitez champestres, qui d’ordinaire accompagnoient le Dieu Bacchus.

Or comme les Bacchanales, qui estoient une espece de Sacrifice, se celebroient avec beaucoup de solemnité, & avec un grand concours de Peuple, tantost dans les Bois consacrez aux Dieux, & tantost dans les Carfours des Villages, les Villes n’estant pas encor en nombre, l’on avoit coûtume d’immoler à Bacchus un Bouc, soit que cet Animal apportast du dommage aux Vignes, ou que ce fust la récompense de ceux qui composoient les Vers qui se recitoient en l’honneur de ce Dieu, ou plûtost qu’on leur donnast une Peau du mesme Bouc remplie de Vin, car les Peaux de cette espece d’Animaux estoient les vaisseaux à Vin de ces temps-là. C’est de là, selon le sentiment de divers Autheurs, que les Bacchanales & la Tragédie n’avoient qu’un mesme principe, ou qu’elles dépendoient l’une de l’autre, le mot de Tragédie, comme tiennent quelques-uns, venant de celuy qui en Grec signifie Bouc, ou de celuy qui en la mesme Langue, comme d’autres pensent, signifie Lie, parce qu’avant l’usage des Masques, les Boufons qui joüoient leurs Personnages avoient coûtume de se froter le visage de Lie d’Huile, pour n’estre pas facilement reconnus. C’est la pensée de Donatus, & ce que dit Horace en son Art Poëtique, parlant de l’origine de la Tragédie.

Carmine qui Tragico vilem certabat ob hircum.

Et à l’égard du déguisement du visage, il parle aussi de cette Lie d’huile en ces termes.

———Peruncti fœcibus ora.

Puis que l’on remarque que les Bacchanales & la Tragédie sortoient d’une mesme source, qui estoient les Sacrifices que l’on faisoit à Bacchus, il est à propos de s’arrester sur les particularitez de la derniere, quoy que le mesme Donatus donne le mesme principe à la Comédie qu’à la Tragédie, du temps des Indiens & des Egyptiens.

Apres qu’un certain Mélampus Fils d’Amytheon & de Dorype, eut apporté le premier les Bacchanales de l’Egypte dans la Grece, les Athéniens les reçeurent les premiers, & l’on tient que Livius Andronicus fut le premier qui inventa la Tragédie Grecque. Suidas dit que ce fut Epigene de Sicyonie, & qu’apres luy Thespis de la Ville d’Icare, fit paroistre aux yeux des Athéniens le Triomphe de Bacchus. C’est ce que confirme Horace par ces paroles.

Ignotum Tragicæ genus invenisse camœnæ
Dicitur, & plaustris vexisse Poëmata Thespis,
Quæ canerent, agerentque.

La Tragédie reçeut en suite beaucoup plus d’éclat par Sophocle, & par Eurypide ; & apres eux Accius, & Pacuvius, & d’autres celébres Autheurs, l’embellirent. D’abord les Actions tristes & funestes convinrent à la Tragédie ; mais on ne fut pas longtemps sans y mesler les Héros, les Roys, & les plus grands Personnages. Thersippus dit que l’on observoit une certaine Dance dans la Tragédie, qu’on appelloit Emmelie. Elle estoit grave & sérieuse, & il ajoûte qu’elle y avoit esté introduite par Bathyllus d’Aléxandrie, Juvenal parle aussi de ce Boufon,

———Multùm saltante Bathyllo.

Mais ce fut apres que la Tragédie fut devenuë fixe & arrestée sur le Theatre.

Il faut remarquer que comme ces Jeux estoient publics, & se celebroient d’un lieu en un autre lieu, pour faciliter la veuë des Spectacles au grand nombre des Assistans qui s’y rendoient, les Acteurs de la Tragédie, & de la Comédie, trouverent à propos de se servir de Chariots roulans, pour les représenter d’un Village en l’autre. Horace attribuë l’invention de ces Chars à Thespis dont il vient d’estre parlé.

Varron est d’opinion qu’avant que les Athéniens se fussent assemblez pour former une Ville, la Jeunesse Grecque avoit coûtume d’aller autour des Bourgs, des Villages, & des Carfours, chanter avec solemnité des Vers boufons & gaillards à l’honneur de Bacchus, & que de là la Comédie auroit pris son nom & son origine, la faisant dériver du mot Grec qui signifie Bourg, ou Village, & de celuy de Chant. D’autres veulent qu’elle tire sa dénomination d’un autre mot qui signifie en la mesme Langue, agir avec lasciveté, & faire le Boufon ; & que pour cela l’on proposoit des Prix, & des récompenses à ceux qui y réüssiroient le mieux. C’est ce que Virgile dépeint admirablement au 2. Livre de ses Georgiques, quand il parle des plaisirs que les Athéniens se donnoient dans les Bacchanales, & autres Jeux publics qui se celébroient à la Campagne.

Præmiáque, ingentes pagos & compita circùm
Theseidæ posuere, atque inter pocula læti
Mollibus in pratis unctos saliere per utres.

Ce mesme Autheur introduit chez les Toscans, & chez les Romains, de pareils Jeux & Spéctacles publics avant que Rome eust esté bastie, & ajoûte qu’ils avoient coûtume de se faire des Masques d’écorce d’Arbres, & que sous ces faux visages, ils récitoient leurs Vers boufons à haute voix à l’honneur du Dieu Bacchus.

Nec-non Ausonij, Trojâ gens Missa, coloni
Versibus incomptis ludum, risúque soluto,
Oráque corticibus sumunt horrenda cavatis,
Et te, Bacche, vocant per carmina læta, &c.

Virgile donc aussibien que Servius, fait icy connoistre que la Comédie que les Grecs représentoient, & apres eux les Toscans & les Romains, n’a pris son origine que des Festes de Bacchus, en l’honneur duquel se faisoit l’immolation du Bouc.

———Baccho caper omnibus aris Cæditur.

Voyons quelles parties on a coûtume d’attribuer à la Comédie, & quels en ont esté les Autheurs.

Suidas divise la Comédie en trois âges ; l’une qu’il appelle ancienne, dans les temps que chez les Athéniens l’Empire estoit encor au pouvoir du Peuple. Alors les Autheurs des Drames ou Pieces Comiques, avoient la liberté de mesler dans leurs railleries, & dans leurs brocards, des pointes d’esprit, & des Vers piquans, pour exciter leurs Auditeurs à la risée, & le Peuple prenoit beaucoup de plaisir à entendre les Déclamations qui se faisoient contre les mœurs corrompuës des Citoyens, & contre les iniquitez des Juges, & l’avarice des Magistrats. C’est aussi ce que remarque Horace dans ses Satyres.

———Seu fur, seu mœchus foret, aut alioquin
Famosus, multa cum libertate notabant.

Cette licence fut & devint si grande, qu’il n’y avoit point d’ordres, d’âges, de sexes, ny de conditions qui n’y fussent exposez ; & l’on trouvoit que c’estoit alors un moyen pour corriger les vices, & pour rendre les Personnes plus affectionnées à s’acquérir une bonne réputation, & à suivre un meilleur genre de vie. Ces invectives se faisoient souvent par tout le Corps des Acteurs, & c’est ce qui est remarqué par Aristophane. Quelquefois toute la Piece ne consistoit qu’en cela. Il n’y eut plus ensuite que les Chœurs qui eurent cette liberté. Les Autheurs qui furent celébres en cette ancienne Comédie, furent Cratinus, Cupolis, Aristophane, Phrynichus, & plusieurs autres.

Si-tost que le pouvoir du Peuple eut passé aux Grands, & aux Magistrats, cette licence fut moderée. On retrancha les Chœurs de la Comédie, & par là il s’en fit une nouvelle. En celle-là Philippides, Straton, Anaxilides, Ambraciota, Epicrates, & plusieurs autres, acquirent beaucoup de réputation. La derniere fut en suite séparée en cinq Actes, & Suidas raporte que Susarion de la Ville de Mégare, a esté le premier Comique de ces temps-la, & qu’il a donné le nom à la Comédie. Epicharmus de Syracuse l’a suivy de prés, & selon Aristote, Phormus avec luy inventa la Comédie réformée.

Suidas, & apres luy Scaliger, rapportent qu’Aristophane se peignit le premier le visage de Vermillon ou de Céruse pour se déguiser, parce qu’il n’osoit paroistre devant Cleon à visage découvert à cause de sa puissance de Tribun du Peuple, aucun des autres Boufons n’osant représenter ce Personnage. Ainsi cet Aristophane par sa hardiesse fut cause que les principaux craignant qu’on ne les reprist, changerent de mœurs.

Il s’observoit dans ces anciennes Comédies une Dance lascive & boufonne, que l’on appelloit Cordace, & que l’on tient avoir esté inventée & établie par Bacchus mesme, apres la Victoire qu’il remporta dans les Indes. Les sujets de la Comédie de ces temps-là, estoient le plus souvent les amours, ou les ravissemens des Vierges, & la fin en estoit toûjours heureuse.

A l’égard des Personnages qui paroissoient dans les Bacchanales chez les Grecs, & que la Tragédie & la Comédie ont imité, l’on voit, selon que rapporte Suidas, que les uns estant grotesquement déguisez, y faisoient les Satyres ou les Faunes, quelques-uns Pan ou Silene, & d’autres les Nymphes champestres, & que pour mieux contrefaire les Personnages qu’ils y vouloient introduire, ils s’y présentoient la teste environnée de Lierre, ou de Lambruches, ou de Pampre avec des Raisins pendans, & que d’autres avoient le Thyrse à la main avec des ceintures ou peaux de Bouc, récitans à haute voix leurs Vers qui sentoient les airs Bacchiques.

Apres l’usage des Chariots, celuy des Theatres fut introduit chez les mesmes Grecs. Les Toscans & les Romains les imiterent, parce que le Peuple qui venoit en foule aux Jeux publics, par l’élevation du Theatre, avoit la veuë plus libre pour les Spéctacles, & pour voir les Actions Tragiques & Comiques. Cassiodore en une Epigramme qu’il a tirée des Grecs, dit que les Athéniens furent les premiers qui dresserent des Théatres, quoy que, selon Eusebe, l’on en donne la premiere invention à Bacchus sous le nom de Denys. Servius confirme encor cette opinion, que les Théatres ont esté dressez à l’honneur du Dieu Liber, lors qu’il parle des Jeux publics ou de Theatre, que les Anciens avoient coûtume de celebrer tous les ans. Plutarque en la Vie de Thesée, raporte pareillement qu’en la Ville d’Athenes il y avoit des Theatres publics, de mesme qu’il y en avoit prés d’Aléxandrie dans l’Isle Antirrhodos, comme dit Strabon ; mais ces premiers Theatres n’estoient dressez que pour un temps. Ce sont les Romains qui dans leur luxe en ont dressé de perpétuels, & de si somptueux, qu’ils ont égalé les plus superbes Edifices ; & c’est ce qui a attiré l’admiration des Peuples qui venoient en cette Capitale de tout le Monde.

Il est encor à remarquer que les premieres Scenes ne se faisoient chez les Grecs qu’avec des Festons de Lierre, des Branches de Vigne, ou d’autres Rameaux, ce qui sentoit encor les Bacchanales, & qu’elles avoient esté introduites non pas pour des Décorations, mais pour servir d’ombrage. Elles servirent ensuite pour diversifier les Entrées des Acteurs, comme dit Suidas. L’on donne l’ornement nouveau de la Scene à Phormus, car il changea les Festons en des Peaux rouges, & se vestit le premier de Robe longue. Ce fut Phrynichus qui introduisit chez les Athéniens, le premier Personnage de Femme sur le Théatre.

Les Scenes & les Décorations ayant esté imitées par les Toscans & par les Romains, cela donna lieu aux Jeux qu’ils appelloient de Scene ou de Theatre, à la distinction des autres. Tite-Live dit que ces premiers Jeux furent représentez environ l’an 380. apres la fondation de Rome, sous le Consulat de Sulpitius & de Licinius Stolon ; car auparavant l’on faisoit venir de la Toscane, les Boufons qui ne faisoient que des gesticulations, & des postures grotesques, en sautant & dançant au son des Flustes, & récitans quelques Vers boufons à la mode du Païs, car ceux que l’on appelle Histrions ou Boufons, tirent leur nom du mot Toscan.

Lucien faisant une distinction entre les Acteurs de la Tragédie & ceux de la Comédie, introduit dans le Dialogue intitulé les Exercices, Anacharsis & Solon, qui disent leur pensée sur les uns & sur les autres. Nous permettons, dit Solon, aux Comiques de reprendre librement dans leurs brocards, & dans leurs railleries, les mauvais Citoyens, autant de fois qu’ils apprendront qu’ils commetent des actions indignes de la République ; c’est là le vray moyen de les faire devenir meilleurs. A quoy Anacharsis répond. Je connois les Tragiques & les Comiques, & je sçay les distinguer. Ceux-cy sont montez sur de hautes Chaussures. (Il entend parler des Tragiques qui portent le Gothurne ou Brodequin) Ils sont bigarez par leurs vestemens à bandes d’Ecarlate enrichie d’or. Ils portent des Masques à la verité ridicules, & dont la bouche est fort ouverte pour déclamer plus facilement, & à haute voix ; & en les voyant, je m’imaginois que Rome celébroit encor les anciennes Bacchanales ; mais quant aux Comiques, ils avoient des Escarpins plus bas, (c’est du Soc qu’il veut parler) leurs vestemens sentoient les Boufons, & leurs Masques estoient beaucoup plus ridicules, & donnoient à rire à tous les Auditeurs ou Spectateurs.

Nous voila venus à l’origine & à l’usage des Masques, qui font la dernier partie de ce Discours, & que j’avois destinée pour la premiere ; mais comme les Bacchanales en ont esté le principe, il a fallu suivre cet ordre.

La Lie d’Huile, comme nous avons dit, fut donc la premiere invention qui servit à déguiser le visage, & Thespis s’en servit le premier. Aristophane, au raport de Suidas, se peignit le visage de Vermillon ou de Ceruse ; mais comme ce déguisement ne sembla pas suffisant, les feüilles de l’Herbe nommé Bardane ou Personata, d’où le mot de Personnage ou Masque est dérivé, fut mis en suite en usage pour les Acteurs tant de la Tragédie, que de la Comédie, dans leurs déguisemens. Virgile, comme il a esté déja dit, donne aux premiers Toscans & Romains l’usage des écorces d’Arbres pour se faire des Masques. Quoy que Suidas donne l’invention des Masques à Cherillus d’Athenes, & qu’il dise qu’il ait commencé le premier la Scene chez les Grecs, Horace en son Art Poëtique ne laisse pas d’assurer que les Masques furent introduits sur le Theatre, avec la diversité des habillemens, par Eschylus.

Post hunc personæ, pallæque repertor honestæ
Æschylus.

Apres tous ces usages nouveaux, l’on se servit de Toille ou de Peaux de Bouc pour en faire la composition ; à quoy succeda la Carte jettée au moule.

Voila le sentiment de Servius en son Commentaire sur Virgile, en parlant des Masques, & il le dit en ces termes. Il estoit necessaire, à raison des Sacrifices que l’on offroit à Bacchus, qu’il se fist quelques actions boufonnes & grotesques, par lesquelles le Peuple en cette coûtume solemnelle pust estre excité à la risée, & que ceux qui faisoient ces actions, pour la honte qu’ils en pouvoient recevoir, trouvassent un moyen de se déguiser le visage, ce qui ne se pouvoit faire que par les choses qui viennent d’estre dites, ou par les Masques.

Mais comme cette coûtume de porter le Masque dans la plûpart des Jeux publics, n’a pû tomber, elle a esté retenuë non seulement par les Balladins & par les Boufons de Theatre, mais mesme elle a encor regné dans la suite des temps, & regne jusques à présent en diverses Parties de l’Europe, tant en Italie, en France, qu’en Allemagne, & elle ne se peut perdre en certaines Villes, qui suivent encore ce reste du dernier Paganisme, qui aidoit à celébrer les anciennes Bacchanales avec des Chars de Triomphe, & des Troupes de Personnes diversement déguisées sous le Masque ; & mesme l’on distribuë encor des Pasquins qui imitent en quelque façon les Vers des anciens Boufons de Theatre, pour pincer ou mordre ceux dans les actions desquels on trouvoit quelque chose à redire, soit qu’ils eussent passé pour Dupes, ou qu’ils se fussent laissez lourdement surprendre ; ou pour reprendre les vices ou les mœurs corrompuës du Siecle ; ce qui n’a pû estre encor déraciné ou retranché par la Police des Magistrats, ny par les Loix mesmes. Les Balets & les Dances souffrent les Personnes déguisées & sous le Masque ; mais ces déguisemens n’ont rien de profane ny d’injurieux. Cela ne se fait que pour des plaisirs innocens & honnestes, & les plus belles Cours de l’Europe y trouvent leurs divertissemens.

Mais ne pourra-t-on pas dire qu’une partie des Fables a donné lieu aux Poëtes de nous représenter par leurs fictions l’origine & l’usage des Masques ? Car que voudroit dire Persée avec sa Teste de Méduse, dont la figure estoit si diforme, & le regard si affreux, qu’il pouvoit changer les Hommes en pierre ? Que pourroit signifier la Teste des Gorgones, & celle des Cyclopes, qui n’avoient qu’un œil ? celle des Cercopes si contrefaites, ou une infinité d’autres changemens de postures ou de visages, à qui l’on donne le nom de Métamorphoses, si ce n’estoit autant de Masques de figures diférentes, dont on a crû que les Anciens se sont servis dans leurs déguisemens ? Sur cela il faut voir Macrobe en ses Saturnales.

Toutefois comme la politesse du beau Sexe de la Nation Françoise, luy fait chercher les moyens de se conserver le teint frais & délicat, ou contre les injures de l’air, ou contre les rigueurs du temps ou de la saison, il ne faut pas improuver l’usage des Masques qu’il a pris depuis plus d’un Siecle. La figure, la couleur, & la matiere, qui n’ont rien de choquant, ne passent pas pour un déguisement. Aussi n’ay-je pas dessein d’y rien contredire, les Loix n’ayant jamais étendu leur autorité pour en interdire l’usage.

Je finis donc, en donnant non seulement l’origine & l’usage des Masques, mais aussi celle des Bacchanales, de la Tragédie, & de la Comédie ; à quoy j’ajoute, apres l’usage des Chariots, l’origine des Theatres & de la Scene, parce que le tout n’a qu’un mesme principe & une liaison, qui attache une chose à l’autre.

Rault, de Roüen.

[Divers Madrigaux sur les deux Enigmes du mois d’Avril, dont les mots estoient la Brandebourg & les Rouës] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 264-288.

Voicy divers Madrigaux qui m’ont esté envoyez sur les deux Enigmes du Mois d’Avril, dont les Mots estoient une Brandebourg, & les Rouës.

I.

Tout se va pervertir dans le Siecle où nous sommes.
Le Manteau qui servoit aux Hommes
Estant en son nom masculin,
Quoy qu’on se fâche, ou qu’on s’irrite,
Se trouve maintenant d’usage feminin,
Ou pour le moins Hermaphrodite ;
Et malgré le Qu’en dira-t-on,
L’on verra la Jupe & la Cotte,
Dans peu de temps changer de nom,
Comme on fait par ces Vers Brandebourg en Capotte.

De Maisonpleins, Capitaine à Châlons en Champagne.

II.

Mercure assurément est Maistre en tout Mestier,
Nous en avons des témoignages ;
Il sçait faire une Cloche, il sçait faire un Soulier,
Et cent autres petits Ouvrages.
Je ne sçay pourtant pas s’il est bon Maréchal,
S’il sçait bien mettre en œuvre & le Fer & l’Archal,
Et s’il sçait bien aussi faire Ciseaux & Houë,
Et d’autres Instrumens divers ;
Mais du moins il sçait l’art de bien faire des Rouës,
Comme il le montre dans ses Vers.

De Lepine de Ploermel.

III.

Soit dans la Ville ou le Fauxbourg,
De l’Hyver on incague & le froid & les bouës,
Quand on est mis en Brandebourg
Dans un Carosse à quatre Rouës.

La Blondine Guerin.

IV.

Dites-nous par quelle raison,
Agreable & Galant Mercure,
Dans cette agreable Saison,
Avez-vous endossé si pesante Vesture.
***
Est-ce donc pour un Dieu de Cour
Un Equipage bien commode,
De porter en dépit du chaud & de la mode,
La Casaque de Brandebourg ?

Langlois, Prestre de S. Lo de Roüen.

V.

Mercure lassé de voler
A tire-d’aîles par le monde,
Dit que quoy que Momus en gronde,
Desormais en Carosse il fait dessein d’aller.
***
En vain d’un air railleur enflant ses maigres jouës,
Ce Dieu boufon se rit du Messager volant ;
Bientost sur son Carosse il verra le Galant,
Car déja par avance il s’est fourny de Rouës.

Le mesme.

VI.

J’ay peine à suporter le grand froid, je l’avouë,
Si d’une Brandebourg je ne couvre mon dos ;
Et ce m’est un suplice, à l’égal de la Rouë,
D’expliquer en deux mots
Tes Enigmes, Mercure, où ton esprit se jouë.

Le Marquis Inconnu.

VII.

Mercure sage & prudent,
Crains pluvieux accident.
Comme il court de Ville en Ville,
Jusqu’aux Climats les plus froids,
Il sçait bien, le fin Matois,
Que Brandebourg est utile.

Mad. Tonton, du Quartier de S. Germain Lauxerrois.

VIII.

Vos quatre Sœurs soûtiennent des Carosses,
Et se font fort souvent traîner sur le chemin
Par de nobles Coursiers, & souvent par des Rosses,
De Versailles à Saint Germain.

La Marquise de Meutrezy.

IX.

Le Printemps brille en vain dans ce riant Fauxbourg,
En vain le doux Zéphir avec Flore s’y jouë,
La Fiévre m’y tient sur la Rouë,
Ou plié dans ma Brandebourg.

Le Malade du Fauxbourg S. Germain.

X.

D’où vient que le Galant Mercure
Change d’habit & de figure ?
Quand en France il vient voir Province, Ville, ou Bourg,
Quoy qu’en tous ses desseins ce Dieu toûjours rafine,
Il ne peut déguiser sa mine
Sous sa Chappe de Brandebourg.

Rault, de Roüen.

XI.

Que le Mercure agit en tout temps galamment !
Obliger est son élément,
Il n’est aucun qui ne l’avouë.
Quelqu’un veut-il avoir un Carosse & du Train,
Qu’il n’attende pas à demain,
Ce Dieu dés-aujourd’huy luy va fournir de Rouë.

Le mesme.

XII.

Vos Enigmes, Galant Mercure,
Sont toutes deux faites à l’avanture.
L’Autheur de la premiere a-t-il de la raison ?
Qu’a-t-on besoin dans la belle Saison
De Brandebourg, ou de Casaque ?
L’autre est cruel, pardon, si je l’attaque
Avec un terme si choquant.
Ne diroit-on pas qu’il se jouë,
Quand on le voit dans un mesme moment
Faire naître & mourir l’Enigme sur la Rouë.

L’Abbé de Boulançois.

XIII.

Mercure est appellé Galant avec raison,
Il se plaist à suivre la mode.
Je trouve cependant que dans cette saison
 La Brandebourg est incommode.

De la Chausse le jeune, d’Abbeville.

XIV.

Le Messager des Dieux a fort bonne raison
De vouloir se mettre à son aise.
Il est doux en toute Saison
De se faire porter en Chaise.

Le mesme.

XV.

Philis sensible à mon amour,
Laisse enflâmer son cœur, je n’y vois plus de glace ;
Aux beaux jours du Printemps l’Hyver cede la place,
Mercure, il ne faut plus porter de Brandebourg.

Daubaine.

XVI.

Mercure, quoy que Messager,
S’il faut l’en croire dans Moliere,
Dans son chemin jamais n’eut pour se soulager,
Chaise roulante, ny Litiere.
Pour porter ses Paquets, il n’eut mesme, dit-on,
Jamais aucun secours d’une méchante Rosse.
Si le Destin veut donc qu’il soit toûjours Piéton,
Dequoy luy serviront les Rouës de Carosse ?

De Bergonzy, de Grenoble.

XVII.

re premiere Enigme, agreable Mercure,
N’est pas de saison dans ce jour.
Il faut attendre la froidure,
Pour parler d’une Brandebourg.
Mais la seconde est toûjours à la mode ;
Car est-il rien de plus commode,
Pendant l’Hyver, pendant l’Eté,
Qu’un bon Carosse à quatre Rouës,
Qui met les Gens en seûreté
Contre la Poussiere & les Bouës ?

Grammont, de Richelieu.

XVIII.

N’Appréhendez plus la froidure,
On a quitté la Brandebourg ;
Philis, venez voir la verdure
Qui paroist icy tout autour,
Elle vous donnera, j’en jure,
Et du plaisir, & de l’amour.

Allard.

XIX.

Depuis que j’ay connu l’Ingrate que j’adore,
J’ay perdu le repos & la nuit & le jour,
Et je suis enflâmé du plus fidelle amour
Que le cœur le plus tendre ait pû jamais éclore.
***
La Belle peut sçavoir le feu qui me devore,
Mes yeux & mes soûpirs s’expliquent tour-à-tour,
Mes transports langoureux luy vont faire la Cour,
Et je ne pense pas enfin qu’elle l’ignore
***
Je m’en tais, il est vray ; mais tout parle pour moy,
Mon teint, mes actions, mes peines, & ma foy,
Mais Philis de mes maux se rit, elle s’en jouë.
***
On diroit qu’elle en fait son divertissement,
Et cependant je souffre un plus cruel tourment
Que ne font les Bandits expirant sur la Rouë.

Le mesme.

XX.

L’Eté, comme l’Hyver, l’on peut faire voyage ;
Et comme la pluye en tout temps
Peut tout-à-coups moüiller les Gens,
Tout Voyageur prudent & sage,
Quand il n’iroit qu’au prochain Bourg,
Ne part jamais sans Brandebourg.

C. Hutuge, d’Orleans, demeurant à Mets.

XXI.

Un jour que j’estois fort en peine
De deviner l’Enigme de ce Mois,
J’allay rendre visite à la belle Climene,
Où dés l’abord un fin Matois
Parla de bonne & mauvaise fortune,
Et sur les deux raisonna sçavamment.
Lors un Quidam, d’une langue importune,
D’un air & d’un discours fades également,
Nous dit, la Fortune se jouë
Maintenant des plus beaux Esprits.
Pour les Sçavans elle a trop de mépris,
Et c’est avec raison qu’on la peint sur la Rouë,
Alors l’interrompant ; vouloir s’en plaindre, abus,
Luy dis-je, consultez Mercure là-dessus,
  Il a de la délicatesse,
De l’enjoûment & de la politesse ;
Cependant elle fait à ce Dieu les yeux doux,
Et révere en luy la Science.
Mais si j’abuse ainsi de vostre patience,
C’est qu’on n’a jamais fait quand on parle de vous.

Mad. Peruard, de Troyes.

XXII.

Mercure, ne savons-je pas
Queme il faut nous tizer des plus grands embazzas ?
Et n’en déplaise à vouste Signouzie,
Je savons ce que c’est que parler Poësie,
Car j’avons appris à rimer.
Que dites-vous de nouste Clouche ?
La pensée en est-elle louche ?
N’a-t-elle pas dequoy nous bien faize estimer ?
Je sommes en honneur ; n’en diza par la Ville,
Hé là, reguettez donc ce Gille,
Ce Mallet de Passy, que pas-un ne disoit
Qu’il sauzoit liau troubler. C’est pourtant luy qui brille
Avec sa Muse tant gentille.
Et qui parguenne le croizoit ?
Je m’imagine voir sortir de leurs Carosses
Montez sur des Rouës de bois,
Tirez, traînez par de puissantes Rosses,
Les Dames, se disant, reguettez ce Narquois.
Lors un Marquis fourré, sentant la Frangipane,
Diza, peste du Païsan,
Il cache sous la piau d’un Asne,
Et l’adresse & l’esprit d’un Docteur tres-sçavant.

Mallet, de Passy lez Paris.

XXIII.

Ah pour le coup, Mercure, il faut que je le dit,
N’entend pas la galanterie.
C’est sçavoir mal faire sa Cour
A mon avis aupres des Belles.
Que de paroistre devant elles
Au plus beau mois de l’an avec la Brandebourg.

Le Fiebure, Principal du College de Sanzay en Poitou.

XXIV.

Mercure dit qu’enfin il est las de trotter,
A toute heure, en tout temps, jour & nuit, par les bouës.
Comme il sçait qu’en Carosse on ne peut se crotter,
Le Galant en veut un, quoy qu’il puisse couster,
Et déja par avance on en a fait les Rouës.

Le mesme.

XXV.

Quoy qu’on quitte le Drap pour prendre le Crépon,
Quand on voit le retour de l’aimable verdure,
Avoüez-le pourtant, Mercure,
La Brandebourg icy n’est pas hors de saison.

L’Abbé de Beaumaigre, de Roüen.

XXVI.

C’est en vain que je veux démesler les mysteres
Que tu nous caches dans tes Vers.
Mon esprit en est de travers,
Et si je ne m’apperçois guéres
Que je puisse à la fin débroüiller ces affaires.
Ma foy, j’abandonneray tout ;
Et connoissant que l’on me jouë,
Je ne suis pas d’humeur à me mettre à la Rouë,
  Pour en venir à bout.

L’Abbé de Vernelle, du Cloistre S. Jacques de l’Hôpital.

XXVII.

Un bon Carosse à quatre Rouës,
Fait en tout temps beaucoup de bien,
Et je ne compte pas pour rien
Ma Brandebourg pendant les Bouës.

L’Amant de la Belle Veuve du bout de la Ruë Dauphine.

XXVIII.

Mercure, nous verrons un jour,
Quand l’Hyver reprendra sa place
Suivy de neiges & de glace,
A découvert ta Brandebourg.

Sablier le jeune, de Tours.

XXIX.

Pourquoy tant gesner les Esprits ?
Mercure, il faut que tu l’avouës,
Que ces Sœurs que tu nous décris,
Ne veulent dire que les Rouës.

Pigache, de Roüen.

XXX.

Une Casaque en ce temps-cy,
Mercure, ce n’est pas la mode.
Je n’irois pas si loin d’icy
Chercher ce qui n’est pas commode.

L’Inconnu, d’Argenton-Chasteau.

XXXI.

A trouver l’Enigme du Mois
Ne croyez plus que je me jouë.
Il a falu plus de cent fois
Mettre mon esprit à la Rouë.

Le mesme.

XXXII.

Je ne suis point Egiptien,
Ny Démon, ny Magicien,
Moins encor Esprit Angélique.
Cependant, Mercure Galant,
Je gage contre vous tout ce que j’ay valant,
Que sur la Brandebourg vostre Enigme s’aplique.

De Pois.

XXXIII.

Moy li savoir point bien parler François,
Pourtant moy voulir de sti Mois
Expliquer l’Enigme nouvelle,
Pour li complaire à mon Cloris,
  Dont la face tant belle
  A sti cœur de moy pris.
Vous li trouverez bon que li moy bien dénouë
Le nœud de l’Enigme de vous,
Et que moy dise devant tous
Qu’à nous vous li présenter Rouë.

Oüilland, Gentilhomme Irlandois, demeurant à Troyes,

XXXIV.

Casaque à Brandebourg est donc fort à la mode,
Puis que l’Ambassadeur Galant
Ne la trouve point incommode
Dans un temps où le chaud se montre si brûlant.

Alcidor, du Havre de Grace.

XXXV.

Mercure autrefois sur la Terre
Passoit aussi fort qu’un Eclair
Par les vastes routes de l’Air,
Puis qu’il devançoit le Tonnerre.
A présent il se sert d’un Char
Porté par quatre grandes Rouës,
Et s’il s’en tire, c’est hazard
Si les chemins sont pleins de bouës.

Guepin, de Rennes.

XXXVI.

Enfin voicy la chaleur de retour,
A ta Cloris si tu veux plaire,
Amy, quitte ta Brandebourg,
Prens une Etoffe plus legere.

Le Blanc-Boucher, de la Ruë Simon le Franc.

XXXVII.

J’ay bien peu de necessité
De deux, de trois, ny quatre Rouës,
Car mon Bien & ma Qualité,
Veulent que l’Hyver & l’Eté
Je marche les pieds dans les Bouës.
***
Si pourtant Monseigneur Mercure
Donnoit aussi six bons Chevaux,
Un Carosse avec la parure,
Je prendrois, la chose est bien seûre,
Le Carosse & les Animaux,
Et ne laisserois pas les Rouës,
Pour aller l’Hyver & l’Eté
En Carosse, bien ajusté,
Et non à beau pied dans les Bouës.

L.F.V. de Morlaix.

XXXVIII.

J’Estois au plus profond d’un Bois
  Couché sur la verdure,
Où je lisois dans le Mercure
Les Enigmes du dernier Mois,
Quand une pluye assez soudaine
Vint arroser & les Bois & la Plaine,
Et me perça jusqu’à la peau.
Je n’avois par malheur Brandebourg, ny Manteau.

Le Berger Floriste du Costentia.

XXXIX.

Vous plaisantez, Galant Mercure,
Vous estes dans une posture
Pour recréer le plus chagrin.
Des Rouës sous vos pieds, des Brides à la main !
Un Dieu Cocher ! l’agreable figure !
***
Quand vous passez par le Fauxbourg,
Vous voyant revestu d’une grande Casaque,
Chacun la prend pour celle d’un Cosaque ;
On se trompe, à mon sens c’est une Brandebourg.

L’Albaniste de Roüen.

XL.

Brandebourg en Hyver est d’un fort bon usage,
Mais je croyois qu’il fust du genre masculin ;
Mon Brandebourg, c’estoit jusqu’icy mon langage,
Mais c’est ma qu’il faut dire, au genre feminin.

Sylvandri, de Caen.

XLI.

Quand je roule en Carosse au milieu de la Bouë,
Je suis entre les Sœurs de l’Enigme nouveau ;
Et quand un Malheureux expire sur la Rouë,
Il m’explique la fin de ce parlant Tableau.

Le mesme.

XLII.

Le Messager Mercure autrefois dans les Cieux,
Ne portoit qu’un Bonnet pour toute sa parure ;
Mais le mauvais temps, la froidure,
L’oblige en Brandebourg, de paroistre à nos yeux.

L’Avanturier nocturne.

XLIII.

De tel qui se voit haut monté,
  La Fortune se jouë,
Et souvent l’a précipité
Jusqu’au bas de sa Rouë.

Le Cavalier inconnu.

XLIV.

Mercure agit imprudemment
Dans une chaleur si pressante,
Lors qu’il vient nous offrir pour rafraîchissement
 Une Brandebourg pesante.

L’Eloigné de soucy, de Moulin en Bourbonnois.

XLV.

Pour moy franchement je l’avouë,
J’aime mieux couché dans mon Lit,
Mourir tout seul, & sans Habit,
Qu’en bonne compagnie expirer sur la Rouë.

L’Amant chaste de Poitiers.

XLVI.

Sur l’Enigme du Mois j’allois demeurer court,
Quand pour m’armer contre la bise,
Je demanday ma Brandebourg ;
Aussitost j’ay veu clair, & quitté la surprise.

L’Amant irrésolu de la Belle Philis de Roüen.

XLVII.

Une Brandebourg & des Rouës,
Sont-ce pas les deux Mots que nous cachent tes Vers ?
Mercure, si tu ne l’avouës,
Je n’ay rien de meilleur, je m’y rends, je m’y pers.

Droüart de Roconval, du Pont-de-l’Arche.

XLVIII.

De vostre Brandebourg tout le monde murmure ;
Aussi vous n’avez pas raison,
Vous la deviez garder pour un temps de froidure,
Elle est hors de saison.

L’Indiférent heureux.

XLIX.

Je croy que Mercure a la goute,
Qu’il a fait banqueroute,
Ou joüé quelque mauvais tour ;
Car quoy qu’à courir il se plaise,
Il ne sort plus qu’en Chaise,
Le nez dans une Brandebourg.

L.
Explication enigmatique
de l’Enigme des Rouës.

Le Mot de vostre Enigme est quelquefois fâcheux,
Le plurier en suporte une douce voiture ;
Mais pour le singulier, il est de triste augure,
Sur tout lors qu’on le voit planté dans certains Lieux.

L.B.

Le gros Lot du Roy §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 314-324.

Les Pieces qui suivent regardent la Loterie, dont je vous ay envoyé la Planche dans ma Lettre du mois de May.

LE GROS LOT DU ROY.

Je pourrois assurer qu’on ne trouve personne
Qui connoissant le Roy, s’étonne
Qu’il ait remporté le gros Lot,
Puis que tout ce qui rend une ame peu commune,
A toûjours fait pour luy déclarer la Fortune,
Comme icy clairement je le montre en un mot.
Bien que dans le détail, durant plusieurs années
Mes Vers ayent fait voir ses grandes Actions,
Malgré tous les efforts de tant de Nations
Des plus beaux Lauriers couronnées,
Où visiblement le bonheur
Prit le party de sa valeur,
Lors que dans ses fameux & mémorables Sieges,
La Parque luy tendoit incessamment des pieges,
Qu’on le voyoit de toutes parts
Aller au devant des hazards ;
Il est vray qu’on a peine à croire
Que sans avoir le moindre mal,
Ce Monarque en tout sans égal
Ait toûjours remporté le gros Lot de la gloire,
Que ne sçauroit payer l’Inde avec tout son Or ;
Mais passons plus avant encor.
Quand tous les ans par des Armées
De son grand courage animées,
Ses fiers & puissans Ennemis,
Fortement prévenus de la haute espérance,
De partager entr’eux l’Empire de la France,
En tous lieux se trouvent soûmis,
Et qu’enfin par la Paix il les force de rendre
Ce que sur ses Amis ils avoient osé prendre,
Mieux que n’a jamais fait aucun autre Vainqueur,
N’a-t-il pas remporté le gros Lot de l’honneur ?
La grande & longue maladie,
Qui de son cher Dauphin a menacé la vie,
Et qui put nous allarmer tous,
Apres l’avoir rendu l’Epoux
D’un Objet si digne qu’on l’aime,
Qui d’un auguste Sang & d’un mérite extreme,
A sçeu nous apporter la Dot ;
La santé de ce Prince, à present si parfaite,
Donnant au Roy ce qu’il souhaite,
De la faveur du Ciel n’a-t-il pas le gros Lot ?

Sur la remise que Sa Majesté a faite du Lot de cent mille Francs.

I.

Louis ne veut pas profiter
Du bonheur d’une Loterie ;
Et si vous en osez douter,
Lisez la Vie
De ce Héros fameux.
Elle va vous apprendre,
Que lors que l’on est genéreux
  Jusques à rendre
Ce que la Victoire a sçeu prendre,
On estime trop peu ce qui vient du hazard
Pour y garder aucune part.

De S. Placide, du Cloistre S. Germain l’Auxerrois.

II.

Grand Roy, que le bonheur suit toûjours pas à pas,
Pour nous faire du bien te voit-on jamais las ?
Tandis que nous vivons dans une paix profonde,
Ton amour envers nous devient ingénieux ;
Tu cherches les moyens de nous rendre en tous lieux
Les plus heureux Peuples du Monde.
Tantost pour soulager mille Particuliers
Tu te rends toy-mesme injustice ;
Tantost tu donnes volontiers
Ce qui t’estoit écheu par un hazard propice.
Prince, par là, tu nous fais voir
En éternisant ta mémoire,
Que c’est une action bien plus digne de gloire,
De donner, que de recevoir.

De la Mare-Chesnevarin, de Roüen.

III.

Fut-il jamais Héros aussi grand que LOUIS,
Qui par ses exploits inoüys
Ait fait de plus grandes Conquestes,
Ou qui pour l’union des Roys & des Sujets,
Ait quitté des Couronnes prestes,
En donnant à l’Europe une éternelle Paix ?
***
S’il chasse la Discorde & termine la Guerre,
S’il donne le calme à la Terre,
Si de Luy-mesme il est Vainqueur ;
Si malgré la Fortune il cede la Victoire,
N’admirera-t-on pas son cœur,
Puis qu’à ses intérests il préfere la gloire ?

Rault.

IV.

Quand pour Loüis le Grand n’es plus inconstante,
Fortune, à d’autres tes faveurs.
Si tu crois en faire un de tes Adorateurs,
  Trop vaine est ton attente.
Chacun sçait qu’il donne soudain
Les Présens qu’il veut bien recevoir de ta main.
Voy donc, ouvrant les yeux sans tant faire la brave,
Lors qu’il fait de tes dons ces illustres emplois,
Que ce sont des tributs que tu rends comme Esclave
  Au plus puissant des Roys.

Lerssou de Maisonpleins, Capitaine de Quartier de Châlons en Champagne.

V.

A quoy que vous vouliez, grand Roy, vous occuper,
Nous voyons réüssir toutes vos entreprises,
Vous ne souffrez-point de surprises,
Personne ne vous peut duper.
Vostre gain va toûjours à des sommes immenses ;
Mais vous ne voulez pas en grossir vos Finances,
C’est une espece de profit
Dont le seul plaisir vous suffit ;
Car lors que le gros Lot vous arrive en partage,
Et qu’on vante vostre bonheur,
Vous n’en retenez que l’honneur,
Le Public en a l’avantage.

Le Cesne, de Coûtances.

VI.

L’Invincible LOUIS qu’au Monde rien n’égale,
Si nous considérons son intrépidité,
Son esprit penétrant, sa genérosité,
Aremis le gros Lot, & sa main libérale
Veut bien abandonner aux ordres du destin
De dix mille Loüis la somme,
Qui peut donner moyen à plus d’un honneste Homme
De pouvoir doucement arriver à sa fin.
Admirons le bonheur de ce digne Monarque,
Qui luy fournit en tous endroits
De quoy se discerner entre les plus grands Roys,
Et qui visiblement nous marque
L’inépuisable fond de courage & d’honneur
Qu’il a toûjours eu dans le cœur.

J’ajoûte deux Epigrammes Latines de Mr Chastillon, Docteur en Medecine, qui ont esté présentees à Sa Majesté, le premier sur le gros Lot qu’Elle a eu, & le second, sur ce qu’Elle a bien voulu le remettre.

I.

Iustitiæ fortuna comes in sole refulgens,
Cœca licet, noscit jus dare cuique suum.

II.

Reddere cuique suum vulgaris regia virtus,
At dare quæ sua sunt, Francorum est propria Regis.

SUR LA LOTERIE.

J’Ay suivy vos desirs, Iris, quoy qu’en mon ame
Je sçeus bien que je faisois le sot
D’attendre le gros Lot
Pour l’heureux succés de ma flâme ;
Mais nous aimons tous deux, vous l’argent, moy vos yeux ;
En un mot nous avions pour nos Guides des Dieux,
Dont l’un estoit aveugle, & l’autre témeraire.
Le vostre m’engagea, pour ne vous pas déplaire,
A suivre malgré ma raison
L’espoir que vous me fistes naistre,
Et le mien aveuglé m’empécha de connoistre
Que c’estoit dans une saison
Où la valeur a toûjours fait paroistre
La Fortune attachée au Char du grand Bourbon.

S’il est plus avantageux à une Femme d’estre aimée dés la premiere fois qu’on la voit, ou de n l'estre qu'apres qu'on a eu le temps d'examiner son merite §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 324-327.

S’il est plus avantageux à une Femme d’estre aimée dés la premiere fois qu’on la voit, ou de ne l’estre qu’apres qu’on a eu le temps d’examiner son mérite.

 

La diférence qui se rencontre entre l’agrément & le mérite, décide cette Question. Le premier consiste en des charmes, & des graces qui surprennent, qui touchent, & qui enlevent d’abord l’inclination. Le second est fondé sur l’estime qu’une connoissance parfaite des belles qualitez imprime dans l’ame qui se sent forcée aussi doucement qu’infailliblement, de rendre ce qui est dû à ces belles qualitez. A les considerer séparement en des Personnes diférentes qui ne pourroient prétendre que l’un des deux, il est sans-doute qu’une honneste Femme préferera toûjours d’estre aimée apres que l’on aura remarqué qu’elle en est digne ; & une Coquete au contraire, d’estre aimée aussitost qu’on l’aura veuë, & avant qu’on ait pû faire réflexion sur l’engagement où elle met le cœur, parce que celle-cy s’attache davantage aux plaisirs, aux ajustemens, & aux attraits propres à faire des conquestes d’éclat & promptes ; & que l’autre desire une considération qui soit de plus longue durée, qui ait un fondement plus solide, moins sujet au changement, & dont les motifs soient d’autant plus nobles & relevez, que la vertu & les beautez de l’ame excellent au dessus de celles du corps.

Mais si l’on examine ces avantages en des Personnes qui ont raison de prétendre conserver ce qu’elles ont acquis, dont le mérite est non seulement propre à soûtenir l’idée que l’on a conçeuë d’elles, mais capable d’assurer dans la communication de leur intérieur, l’amour que leur extérieur a fait naistre ; il est certain qu’il est plus avantageux à une Femme d’estre aimée dés la premiere fois qu’on la voit, parce qu’elle emporte par là une reconnoissance ingénuë qu’elle a tout ce qu’il faut pour plaire, aussibien que tout ce qui peut inspirer de l’estime, qui fait le partage de celles qui ne s’attirent que dans la suite du temps l’amitié de ceux qui les fréquentent.

Le Marquis Inconnu.

[Explication de la Lettre en Chiffres du dernier Extraordinaire] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 327-330.

Pour faciliter la découverte du sens de la Lettre en Chifres du dernier Extraordinaire, j’avois averty qu’il n’y avoit point diversité d’Alphabet, comme en quelques autres que je vous ay envoyées. Cependant il n’y a eu que Mr de Ganat qu’en ait trouvé le déchifrement. C’est peut-estre qu’on a compté les lettres dont le sens à découvert est composé, par raport aux Chifres qui cachent un autre sens, & que trouvant le nombre des Chifres plus grand que celuy des lettres, on s’est fait un embarras de cette augmentation qui a fait croire qu’on cherchoit inutilement le secret de ce nouveau Chifre. Mr Miconet de Châlons, qui en est l’Autheur, l’a rendu par là fort particulier, puis qu’on pourroit employer tel nombre de Chifres qu’on voudroit, jusqu’à en faire une grande Lettre de six pages de l’écriture ordinaire, sans qu’il fust besoin d’autre chose que des quatre lignes du sens découvert, aux lettres desquelles trente mille Chifres pourroient répondre. Voicy en quoy le secret consiste. Ces quatre lignes qui cachoient l’avis secret dans le dernier Chifre, estoient, Je me feray toûjours un tres-grand plaisir d’obeïr exactement à tout ce que vous me ferez l’honneur de me commander. Les premiers Chifres employez dans cette Lettre estoient 11. 800. 7. 130. 11. 180. 26. 18. Vous vous souviendrez que tous les Zero sont inutiles, & que 800. vaut seulement huit. Le premier Chifre qui est 11. marque qu’il faut prendre l’onziéme lettre du sens découvert. C’est O, seconde lettre du mot toûjours. Le second Chifre 800. marque qu’à compter depuis cet O trouvé, il faut chercher la huitiéme lettre C’est N, seconde lettre du mot un, lesquelles deux lettres font le mot On. Continuez de la mesme sorte jusqu’à la fin, prenant la septiéme lettre depuis un, qui est a, troisiéme lettre du mot grand, & quand vous serez à la fin de toutes les lettres du sens découvert, recommencez à compter par les premieres que vous joindrez aux dernieres, pour fournir le nombre dont vous aurez besoin suivant le Chifre marqué. Par ce moyen, vous trouverez que les 97. Chifres employez dans cette Lettre veulent dire, On a enfin écouté les calomnies de vos Ennemis, & l’ordre est donné de vous arrester incessamment, profitez de cet avis.

[Nouvelle Lettre en Chifres] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 330-333.

Je vous envoye une nouvelle Lettre de cette nature. On supose qu’une Belle d’intelligence avec son Amant, luy donne un avis secret, comme si elle écrivoit à une Dame.

Lettre dans laquelle un sens parfait est caché sous un autre sens parfait.

Madame,

Voicy le compte de ce que j’ay avancé suivant vos ordres.

Le 4. Janvier, payé 6 livres 8 sols d’une part, & 4 livres 1 sol d’une autre pour raccommoder vos Points.

Le 19. du mesme mois, 15 livres 8 sols pour reste à vostre Cordonnier.

Le 21. payé 18 livres 13 sols deniers à Madame Fleury.

Le 16. Fevrier 17 livres 15 sols à vostre Tailleur, & 4 livres 15 sols à Madame Robinau.

Le 1. Mars 10 livres à la mesme Madame Fleury, & 22 livres 7 sols 5 deniers encor à vostre Tailleur.

Le 2. du mesme mois, 11 livres 18 sols à Mr Ganse, & le 20. payé encor au mesme 22 livres.

Le 22. Avril, 10 livres 5 sols à Madame Hannequin, 12 livres 10 sols 10 deniers à Madame Finet, & 20 livres 8 sols 11 deniers à Madame Cousin.

Le 8. May 5 livres 19 sols 8 deniers à Madame Sanson, & 20 livres 15 sols pour des Rubans.

Le 19. du mesme mois, 3 livres 14 sols pour une Coëse. Je suis, Madame, vostre tres, &c.

[Lettre-énigme de M. de Vienne Plancy concernant une écriture universelle]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 333-348.

Vous voyez bien que ces divers Chifres répondent aux lettres qui forment ces mots, Voicy le compte de ce que j’ay avancé suivant vos ordres. Le secret est simple, en sorte que la première lettre trouvée fait trouver toutes les autres, & tous les Chifres valent ce qu’ils marquent. Ainsi 10. vaut dix, & non pas un.

Mr de Vienne Plancy, à qui nous devons la premiere invention des Chifres qui font découvrir un sens caché dans des paroles qui forment entre elles un sens parfait, a bien découvert un autre secret. Vous en serez éclaircie, en lisant ce qu’il m’a fait la grace de m’écrire.

A Fau-Cleranton le 15. de Juin 1681.

Il me semble, Monsieur, que ce n’est rien de lire, si l’on ne fait des refléxions sur ce qu’on a lû. Sans elles, la lecture & le songe ont un grand raport. Ils passent par l’esprit avec une égale vîtesse, & y font aussi peu d’impression l’un que l’autre. Si je n’avois refléchy sur ma lecture de Vigenere, je n’aurois pas découvert l’ingénieux Secret de Triteme & de Ventura, ny eu le plaisir d’en faire part aux Curieux par vostre entremise. Je pense donc toûjours aux choses que j’ay luës, pour peu qu’elles méritent d’attention, & je me trouve bien de cette pratique. Elle est cause d’une nouvelle découverte que je fis dernierement, dont l’ouverture ne peut qu’estre bien reçeuë de vous, & de ceux qui voyent vos Livres. Elle eut pour fondement la lecture d’un Chapitre de la Science Universelle de Sorel. Ce Chapitre est le 7. de la derniere Partie des quatre en quoy consiste cet Ouvrage. L’Autheur y traite dans la seconde Section de l’Ecriture universelle qui sera entenduë par toute sorte de Nations, encor que leurs langages soient divers. Mais il ne donne pas le secret de cette Ecriture, il luy estoit inconnu ; il se contente de proposer les avantages qui en résulteroient. Qui sçaura cette Ecriture, dit-il, n’aura que faire d’apprendre les diverses Langues du monde, pour sçavoir les pensées de tous les Peuples ; il les connoistra par ce Secret, &c. C’est la plus parfaite de toutes les Ecritures, parce qu’elle exprime toutes les Langues, encor qu’elle n’en exprime pas-une particulierement. Elle est la vraye marque des choses. Elle représente immédiatement les pensées, &c. Puis il ajoûte. Cela n’est pas hors de possibilité, puis que les Chifres d’Arithmétique, les Notes de Musique, & les marques dont se servent les Jurisconsultes, les Medecins, & les Astrologues, sont connuës de toutes les Nations. On peut aussi inventer des Caracteres pour toutes les choses du monde, & mesme pour représenter leurs actions & les autres circonstances, &c. Il faudra à la verité une grande quantité de figures ; mais l’excellence de ce Secret mérite bien qu’on se donne la peine de les inventer & de les apprendre. Enfin il conclud. Si l’on dit qu’il ne reste qu’à donner le modele des traits de cette Ecriture, & que le Public auroit obligation à celuy qui luy feroit ce présent ; l’on peut repartir qu’il suffit bien icy d’avoir découvert ces Secrets, & qu’il faut laisser au soin des Curieux, la maniere de les mettre en pratique, parce que les esprits des Hommes languiroient de paresse, s’ils trouvoient toutes choses inventées & accomplies.

Sur la lecture de ce Chapitre, dont voila l’extrait, je fis des refléxions à mon ordinaire. D’abord les Caracteres de la Chine se présenterent à mon esprit, comme les veritables Caracteres de l’Ecriture universelle, & je m’étonnay qu’ils n’eussent pas comme par toute la Terre pour le commerce des Nations, puis qu’ils signifient immédiatement les pensées ; mais je jugeay bientost que la peine qu’il y avoit à les former & à les reconnoistre, estoit sans-doute la cause que leur usage s’estoit borné au Païs de ceux qui les avoient inventez, & qui en avoient fait un Art tres-pénible ; les autres Peuples ne s’estant pas trouvez d’humeur à passer, comme les Chinois, la plus grande partie de leur vie dans l’étude d’une Ecriture dont tous les Caracteres sont si embarassez, qu’ils semblent autant de Labyrinthes.

La connoissance de ce defaut dans l’Ecriture de la Chine, me fit penser qu’il falloit chercher d’autres Caracteres plus aisez à figurer & à reconnoistre. Cela paroissoit assez difficile à trouver, veu le grand nombre qu’il en faut pour l’expression de toutes choses ; neantmoins la recherche n’en fut pas bien longue. Un de mes Amis qui me rendit visite en ce temps-là, sçachant ce que je méditois, me dit qu’il avoit veu un Livre où l’Autheur s’expliquoit par Ierogliphes intelligibles en toute sorte de Langues, & que c’estoit le cours des Mathématiques d’Herigone. Je luy demanday si en Ierogliphes n’estoient point semblables à ceux des anciens Sages d’Egypte, qu’il n’appartenoit qu’aux Peintres & aux Sculpteurs de représenter, & qu’aux Devins d’expliquer. Il ne l’avoit pas examiné. Il le tira du Cabinet d’un de ses Parens, & me l’envoya. Je vis ce Livre. Il est intitulé, Cours Mathématique démontré d’une nouvelle, bréve & claire méthode, par Notes réelles & universelles, qui peuvent estre entenduës facilement sans l’usage d’aucune Langue. Je me flatay d’une douce espérance à la lecture de ce Titre, croyant qu’il devoit estre suivy de l’Ecriture que je cherchois ; neantmoins je n’y rencontray que quelques mots exprimez par les Notes. C’estoient les necessaires à ses démonstrations, comme ⊣ pour signifier plus ; ∾ pour signifier moins ; ∟ pour signifier angles O pour signifier cercle ; ∧ pour signifier triangle, &c. Cette Invention est bonne pour son sujet ; mais je jugeay que si l’on vouloit exprimer toutes choses suivant cette méthode, on tomberoit bientost dans les defauts de l’Ecriture de la Chine, que je voulois éviter. Je tournay donc ailleurs mes pensées, & apres les avoir promenées quelque temps parmy les Arts, les Sciences & les Estres, enfin je trouvay heureusement ce que je souhaitois. La découverte d’un Trésor ne m’auroit pas causé plus de joye que j’en ressentis à la premiere apparition de ce grand Secret. Je ne diféray guére à en parler à mon Amy. Il en fut surpris & charmé, & s’étonna avec moy que Sorel, ny aucun autre que nous sçachions, n’eust pensé à un si beau moyen d’exprimer sans embarras toutes sortes de Langues. Il n’y a presque en toutes choses que les commencemens qui soient difficiles. J’eus donc bientost apres cela ébauché le Plan de l’Ecriture universelle ; & comme une connoissance en attire une autre, j’apperçeus qu’il en résultoit une Langue qui avoit les mesmes avantages que l’Ecriture, je veux dire, qui seroit facile à apprendre, & tres-propre à la communication des Nations aussi-bien qu’elle, & j’en ébauchay aussi le dessein.

Mais afin, Monsieur, que vous conceviez de l’une & de l’autre, des idées conformes à leur mérites, vous sçaurez,

1. Que cette Langue se peut écrire comme les autres, avec l’Alphabet de chaque Nation, ou bien avec l’Ecriture que j’ay imaginée, ce qui est remarquable.

2. Que chaque mot de cette Langue signifie un mot des autres, ce qui est ordinaire ; mais que chaque Caractere de cette, Ecriture, signifie un mot entier, ce qui n’est pas commun.

3. Que cette Langue est extrémement abondante, & que les Nations n’en ont point de si riche ; & que cette Ecriture est si féconde, qu’elle a autant de Caracteres diférens, qu’il y a de mots en cette Langue.

4. Que cette Langue, & cette Ecriture, n’ont pas seulement des mots & des Caracteres pour exprimer toutes choses, mais qu’elles en ont mesmes pour exprimer des phrases entieres, comme des sentences, des axiomes, des proverbes, & des façons de parler triviales.

5. Que tous ces Caracteres ne sont neantmoins difficiles ny à figurer, ny à reconnoistre, ny à retenir, en quoy consiste la beauté du secret, & que la Langue est douce à prononcer.

6. Que le grand nombre de mots & de Caracteres qui forment cette Langue & cette Ecriture, fait que l’une ny l’autre n’est sujete aux équivoques, & que l’on n’en causeroit pas mesmes dans l’Ecriture, quand bien on en figureroit les Caracteres sans séparation, tant-ils sont aisez à demesler, ce qui est un autre avantage bien singulier.

7. Que quand on a appris ce que signifie une partie des mots de cette Langue, on sçait aussitost ce que signifie l’autre ; & que cette avance va presque à moitié ; & qu’il en est de mesme de la signification des Caracteres, comme de celle des mots.

8. Qu’on discerne sans peine les huit parties du discours, & les articles dans cette Langue & dans cette Ecriture ; & que l’on en peut sçavoir en moins d’une heure décliner tous les noms, & tous les pronoms, & conjuguer toutes les sortes de verbes.

Et enfin que cette Langue & cette Ecriture sont si aisées à apprendre, qu’on peut sçavoir tous les mots de cette Langue en vingt-quatre heures, & tous les Caracteres de cette Ecriture encor plûtost ; ce qui tient de la merveille, & ce qui n’excede pas neantmoins la verité.

Mais quelque facilité qu’il y ait à s’instruire dans l’une & dans l’autre, je fais bien plus de fonds sur l’Ecriture que sur la Langue, parce que ce n’est pas assez de sçavoir toutes les paroles d’une Langue étrangere, pour s’en servir ; il faut sçavoir encor ce que chacune de ces paroles signifie dans sa Langue ordinaire ; & cette étude demande du temps, de l’application, de la mémoire, & de l’habitude, quelque accourcissement qu’on y apporte ; au lieu que mon Ecriture n’a qu’un tres-leger besoin de tout cela, & qu’il suffit de deux choses tant pour écrire, que pour expliquer ce qui sera écrit par toute sorte de Nations ; l’une de sçavoir décliner deux ou trois articles, & conjuguer autant de verbes ; & l’autre d’avoir devant les yeux un Dictionnaire tant des mots de la Langue qu’on parle, suivis de mes Caracteres, que de mes Caracteres suivis de ces mesmes mots.

Voila une espece d’Enigme & de Chifre que vous pouvez, Monsieur, proposer de ma part au Public, pour sçavoir ce qu’il en pensera, vous priant de croire que je suis d’aussi bonne foy sur ces secrets d’Ecriture & de Langue universelles, que sur celuy de Triteme & de Ventura.

De Vienne-Plancy.

[Explications de l’Enigme en Prose du dernier Extraordinaire] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 348-363.

Si les choses sont aussi faciles dans l’execution qu’on nous les promet dans cette Lettre, vous demeurerez aisément persuadée qu’on n’a jamais rien imaginé de plus curieux, ny de plus utile. J’attens avec grande impatience l’explication de cette sorte d’Enigme, qui a pour moy une entiere obscurité.

I’avois crû que celle que je vous envoyay la derniere fois en Prose du mesme Mr de Vienne-Plancy, ne seroit point expliquée, parce qu’elle n’est qu’un jeu de lettres. Cependant outre le Parisien Abbevillois du Cloistre S. Pierre, une Dame dont on ne m’apprend point le nom, a trouvé que son Mot estoit l’Amour. Je n’entens par là ny le Dieu d’Amour, ny la Passion appellée Amour, mais ce mot François Amour. Voicy de quelle maniere un spirituel Inconnu m’écrit ce qu’elle a pensé.

Lettre contenant l’Explication de l’Enigme en Prose de l’Extraordinaire du Quartier de Janvier 1681.

 

En verité, Monsieur, on a bien raison de dire qu’en quelque langage, & de quelque maniere qu’on parle d’amour, on se rend toûjours intelligible au beau Sexe. Madame … n’a pas eu besoin de lire deux fois l’Enigme en Prose de vostre dernier Extraordinaire, pour en deviner le Mot. Dés la premiere fois, elle s’est écriée, Vive l’Amour ; & a dit, que bien qu’Amour n’eust point icy de Flambeau, elle ne laissoit pas de l’entrevoir, & qu’elle se trompoit bien, s’il n’estoit caché sous le bandeau, ou plutost sous le voile de vostre Enigme.

En effet, Monsieur, ce mot Amour, n’est-ce pas un mot François, & François pour la vie, c’est à dire, tant qu’il durera, & sera dans l’usage de nostre Langue ?

N’est-il pas vétu de noir quand on l’écrit, & n’est-il pas formé de deux parties, c’est à dire, de deux sillabes, a & mour, dont l’une qui est simple a quelque chose de commun avec l’Ange, qui est sa lettre a, laquelle se trouve en ce mot Ange, comme en la sillabe a, & dont l’autre partie qui est composée, a quelque chose en soy des quatre Elemens, qui sont ses lettres a, r, & m, lesquelles se rencontrent en ces mots quatre Elemens, comme en la sillabe mour, ou bien qui sont ses lettres u, & r, lesquelles se voyent dans ces mots. Feu & Eau, Air & Terre, qui sont les quatre Elémens, comme elles se voyent dans la mesme sillabe mour.

On nous apprend qu’il est né dans un Palais, & sur la Pourpre. Et n’est-ce pas à dire dans la bouche, où sa premiere prononciation a fait sa naissance ? Le reste de cet Article s’explique de soy-mesme.

On dit que son Pere est d’un autre Païs que luy ; & c’est sans doute parce que le mot François, Amour, a esté tiré du mot Latin Amor. Ne croyez pas, Monsieur, que la connoissance de Madame … échoüast en cet endroit. Elle s’est fait un plaisir de sçavoir le mot d’Amour en toute sorte de Langues. Elle sçait qu’on l’appelle Amor, en Espagnol aussibien qu’en Latin ; Amore, en Italien ; Liefde, en Flamand ; Liebe, en Allemand ; Love, en Anglois.

Il ne luy fut pas difficile d’expliquer le reste de cet Article.

On raporte qu’il est de l’un & de l’autre Sexe. C’est à cause que quelques Personnes le font toûjours du genre masculin, comme Madame de Villedieu ; & quelques autres toûjours du feminin, comme Mademoiselle de Scudery ; ce qui se voit immanquablement dans tous leurs Ouvrages.

On assure pourtant qu’il tient davantage de l’Homme que de la Femme, & en voicy la raison. C’est que ses lettres o & m, se trouvent dans ce mot Homme, au lieu qu’il n’y a que sa lettre m, qui se rencontre dans ce mot Femme.

Il a trois parties de son corps (ce sont ses lettres m, o, r,) faites comme un Monstre, c’est à dire, comme ce mot Monstre, où elles se remarquent.

Il a sa teste, son col, & son ventre, (ce sont ses premieres lettres a, m, o,) renversées dans son estomach, c’est à dire, dans ce mot estomach, où elles sont ainsi disposées à l’envers, o, m, a.

Il a une jambe de gruë, c’est à dire, qu’il a pour sa pénultiême lettre un u, comme ce mot gruë, & une queuë de Renar, c’est à dire, qu’il a pour sa derniere lettre une r, comme ce mot Renar.

Son employ est de faire connoistre un Pere & une Fille, qui font grand bruit dans le Monde. Cela se dit fort à propos de l’Amour, parce que ce mot Amour signifie également, & le Dieu d’Amour, & la Passion d’Amour, dont l’un est comme le Pere & l’Auteur de l’autre. Ce qui précede en cet Article est facile à expliquer.

Les petis Enfans le montrent au doigt. C’est quand ils apprennent à lire, & il donne de l’exercice aux Eco & aux Presses. C’est à cause qu’il est meslé dans les Chansons, & dans les Livres galans. Le reste de ces deux Articles s’explique encor sans peine, & l’on ne doute point que les jeunes Personnes du beau Sexe ne regardent le mot d’Amour avec émotion, puis qu’à peine l’osent elles prononcer, le déguisant ordinairement sous les mots d’estime, d’amitié, de tendresse, & autres semblables. C’est un pas que franchissent aisément les grandes Personnes, & les Esprits forts, qui le font entrer dans la plûpart de leurs conversations, & qui le voyent avec plaisir dans les Livres & dans les Lettres.

Voila, Monsieur, l’explication que Madame … a donnée à l’Enigme de Mr de Vienne-Plancy, & il me semble qu’elle y quadre assez bien, pour croire que le mot d’Amour est son veritable mot. Je suis, &c.

J’ajoûte une seconde Explication de ce mesme mot Amour, qui m’a esté envoyée par Mr Gon Desormeaux d’Amiens. Voicy les termes dont il s’est servy.

Ce mot Amour est François, & quand il est écrit ou imprimé, c’est avec de l’encre, qui est presque toûjours noire. Il est donc presque toûjours vestu de noir, car l’Ecriture ou l’Impression qui donne la couleur aux choses, est comme l’Habit dont elles sont vestuës. Les deux syllabes qui forment ce mot, sont ses principales parties. La premiere syllabe est la lettre A. Qu’y a-t-il de plus simple ? L’autre est mour, qui est composée de quatre lettres. A, qui est la simple, se trouve dans ce mot Ange, avec qui par conséquent elle a quelque chose de commun ; & mour, la syllabe composée, a ces trois lettres, m, u, & r, qui sont aussi dans ces deux mots quatre Elémens. Amour n’est pas un mot nouveau, ny par conséquent d’une nouvelle extraction. Il est formé & naist dans la bouche. Ce n’est pas là non plus une basse origine. La bouche a son palais qui est revestu d’écarlate & de pourpre, ainsi que la langue. Quoy que ce mot Amour soit déja assez vieux, apparemment il ne sera pas si-tost suranné ny banny par l’usage.

Je m’en vay vous dire quelque chose de son Pere qui est de ma connoissance. Amour François est Fils d’Amor Latin. Le Pere & le Fils ne sont pas d’un mesme Païs. Amour est plus grand d’une lettre qu’Amor. Amour & Amor se ressemblent neantmoins beaucoup. Il n’y a pas-un trait, c’est à dire pas-une lettre dans Amor, qui ne soit dans Amour ; mais Amour a les deux traits de sa lettre u, qu’Amor n’a pas. Amour est masculin & feminin ; surquoy il faut consulter Vaugelas & l’usage. C’est estre de l’un & de l’autre Sexe. Amour a la terminaison, & tout l’air masculin. C’est par là qu’il tient plus de l’Homme que de la Femme.

A est la teste du mot Amour, m en est le col, & o le ventre. Il faut regarder comment s’écrit ce mot Estomach. On y trouve ces trois lettres, a, m, & o mais a la derniere, m avant a, & o avant les deux autres, dans un ordre renversé. Il y a donc quelque raison, & non pas si surprenante, à dire que la teste, le col, & le ventre du mot Amour sont renversées dans l’estomach, Cela est monstrueux.

Dans la mesme maniere de parler, la lettre u qui est dans le mot Amour, est la jambe du mot Gruë ; & la lettre r, qui est la queuë du mot Renar, est aussi la queuë d’Amour.

Amour est le mot le plus commun, & il n’est ny extraordinaire ny épouvantable. On le trouve dans les Vers & Billets galans ; & s’il se fait quelque conversation agreable, quel mot y est plus ordinaire que celuy d’Amour ? Son usage ou sa signification est, ou Amour le Dieu, ou la Passion d’Amour, qui font grand bruit dans le monde. On peut encor expliquer ce Pere & cette Fille en deux autres sens, prenant le Pere pour le cœur, & la Fille pour la passion d’amour, ou bien prenant l’amour, c’est à dire la passion d’amour, pour le Pere, & la Jalousie pour la Fille ; car Amour, ce mot Amour, s’employe pour marquer le cœur, pour marquer la passion qui s’appelle de ce nom, & pour marquer la jalousie, que les Jaloux n’ont garde de nommer jalousie, mais amour, un grand & délicat amour.

Les Enfans qui apprennent à lire, montrent au doigt les lettres du mot Amour, comme celles de tous les autres mots qu’ils lisent, a par soy a ; m, o, u, r, mour, Amour. Les jeunes Filles, de la maniere qu’on les éleve, ne lisent ce mot qu’avec émotion. Les grandes & les Esprits forts, ne font pas de mesme. Rien n’est si commun que de parler d’Amour aux Echo, & leur faire repéter ce mot. Enfin comme quantité de Livres parlent d’amour, il ne faut pas s’étonner s’il donne de l’exercice aux Presses. Ainsi,

Mercure, vous avez beau faire,
De vostre Enigme en vain vous cachez le mistere.
Sa figure, il est vray, m’a d’abord fait grand peur ;
Mais ce Monstre à mes yeux s’est bientost fait connoistre.
Quand Amour est gravé dans un fidelle cœur.
On sçait trouver ce Mot, si caché qu’il puisse estre.

On a expliqué cette mesme Enigme sur l’Alphabet, sur la Musique, & sur la syllabe &.

[Madrigaux sur la premiere Enigme du Mois de May, dont le Mot estoit la Lanterne] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 363-366.

Je viens aux deux en Vers que je vous ay envoyées dans ma Lettre du Mois de May. Le vray Mot de la premiere, qui estoit une Lanterne, a donné lieu à ces cinq Madrigaux.

I.

Dans les tristes horreurs d’une profonde nuit,
Qui couvroit de ses sombres voiles
Le Ciel, la Lune, & les Etoiles,
Je marchois pas à pas, & sans faire de bruit.
Mercure qui me vit sortir d’une Taverne ;
Cher Amy, me dit-il, où vas-tu ? viens chez moy.
 Je veux te remener chez toy,
 J’ay pour nous deux une Lanterne.

Rault, de Roüen.

II.

Mercure, à quoy bon lanterner ?
Sans avoir l’esprit angélique,
Je tiens le sens énigmatique
De vostre Enigme à deviner,
Et veux que par tout on me berne,
Si le Mot n’est pas la Lanterne.

Gavreluche.

III.

Dans le temps heureux où nous sommes,
Avec une Lanterne en plein midy chercher
Un Homme à qui les autres Hommes
N’eussent aucun defaut, ny tâche à reprocher,
C’est là, de memoire ancienne,
Ce que faisoit Diogene autrefois,
Quant à moy, si j’avois la tienne,
Mercure, sçais-tu bien ce que je chercherois ?
  Un Belle,
  Qui fust fidelle.

Daubaine.

IV.

Estant un soir sorty, quoy qu’il fust heure induë,
J’apperçeus dessous un Auvent
Un Filou recourbé, faisant le pied de Gruë.
Sans la Lanterne d’un Marchand,
Que le hazard amena dans la Ruë,
J’aurois peut-estre veu ma Bource sans argent.

Le Vaillant, de S. Lucien en Normandie.

V.

Sortir dans une nuit si sombre ! suis-je fou ?
Je risque à me rompre le cou.
Cette obscurité me lanterne,
Avalez-viste la Lanterne.

L’Amant de Manon.

[Explications de la seconde énigme dont le sens était le Pont]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 367-369.

La seconde Enigme a esté expliquée sur l’Alambic, le Fourneau, une Mine, le Termomettre, la Forge d’un Maréchal ou Serrurier, le Navire, le Verre, le Charbon, le Sel, la Pierre à Fusil, la Platine d’un Fusil, le Creuset, & la Poudre à Canon. Aucun de ces Mots n’en estoit le veritable. Mr Gardien, Mr Regnier de S. Martial, & Mr le Vaillant de S. Lucien en Normandie, sont les seuls qui l’ayent trouvé, en l’expliquant sur un Pont. L’Eau & l’Air ne quittent jamais un Pont ; & la Terre, le plus grossier de tous les Elemens ; entre dans sa composition. Ce Vers Des Machines de Philosophe, faisant luy seul une Enigme, a esté l’écueil de beaucoup de ceux qui ont voulu deviner. Selon Descartes, comme l’Homme seul est capable de penser, il n’y a que luy qui ait une Ame. Tous les autres Animaux sont des Machines. Les Chevaux estant au nombre de ces Machines, trouvent le milieu d’un Pont plus élevé que ses deux extrémitez, & la peine qu’ils ont à monter, est cause qu’ils y produisent du Feu, qui est le plus subtil des Elémens. On pourroit dire, que ce ne sont point les Chevaux qui font ce Feu ; mais les Fers qu’ils portent. La réponse est fort aisée, puis que le Fer ne produiroit pas de Feu par luy-mesme, sans les Chevaux qui luy donnent le mouvement dont il a besoin pour en faire naistre quand il frape le Pavé.

[Madrigal de M. du Rosier, qui a donné occasion à la Table de l’Extraordinaire] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 371-372.

Comme la derniere fois il me resta plusieurs Pieces que j’ay fait entrer dans cet Extraordinaire, je n’ay pû y donner place à beaucoup de celles qui m’ont esté envoyées depuis un Mois. Je vous les réserve pour le quinziéme Volume que vous aurez en Octobre. J’en excepte ce qui a esté écrit sur la Magie Naturelle, estant obligé de le suprimer, par la déference que je dois à une Personne d’un tres-grands poids, dont la prudence peut servir de regle en toutes choses, & qui a crû que cette matiere estoit délicate pour beaucoup d’Esprits. A l’avenir, vous trouverez une Table dans tous les Extraordinaires, qui en contiendra les Pieces chacune par chifres, comme celle de l’Ordinaire. Il seroit injuste de la refuser, apres que Mr du Rosier l’a demandée par ce galant Madrigal.

Mercure, les Autheurs qui dans vostre Ordinaire
 Courent le Monde tous les Mois,
 Ont bouche en Cour, font bonne chere,
Et sont traitez chez vous comme de petits Roys.
Vous leur faites à tous un accueil favorable ;
 Mais ceux qui dans chaque Quartier
 Vous servent selon leur Mestier,
 N’ont pas seulement une Table.

Je suis, Madame, votre, &c.

A Paris ce 15. Juillet 1631.

Avis §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'avril 1681 (tome XIV), p. 373-375.

AVIS.

On avertit qu’il ne faut donner aucun argent pour faire recevoir les Mémoires qu’on souhaitera de voir employer dans le Mercure Galant.

On les mettra tous, pourveu qu’ils ne desobligent point les Particuliers par quelques traits satyriques, & que les Histoires qu’on envoyera n’ayent rien qui blesse la modestie des Dames.

On prie qu’on affranchisse les porte de Lettres, & qu’on les adresse toûjours chez le Sieur Blageart, Imprimeur-Libraire, Ruë S. Jacques, à l’entrée de la Ruë du Plastre.

Les Particuliers, ou Libraires des Provinces, qui souhaiteront avoir le Mercure si-tost qu’il sera achevé d’imprimer, n’ont qu’à donner leur adresse audit Sieur Blageart, qui a sa Boutique dans la Court-neuve du Palais, au Dauphin, & il aura soin de faire leurs paquets sur l’heure, & de les faire porter à la Poste, ou aux Messagers qu’ils luy indiqueront, sans qu’il leur en couste rien pour la peine qu’il en prendra, parce que lesdits Particuliers ou Libraires qui les recevront, en acquiteront le port sur les lieux.

On a déja prié bien des fois ceux qui envoyent des Mémoires où il y a des noms propres, d’écrire ces noms en caracteres tres-bien formez. C’est à quoy on manque tous les jours, & ce qui est cause qu’on les met mal. Il y a aussi des Pieces qu’on ne met point, parce qu’elles sont trop difficiles à lire.

Il reste toûjours quantité de Pieces qui auront leur tour, ou dans le Mercure, ou dans l’Extraordinaire. Ainsi les Autheurs ne se doivent point impatienter. Les premieres reçeuës sont toûjours mises les premieres, à moins que la nouvelle matiere qu’on envoye, ne soit tellement du temps, qu’on ne puisse diférer.

On avertit que les Mercures qui s’impriment en Hollande & en quelques Villes d’Allemagne, sont fort peu corrects & tronquez en beaucoup d’endroits.