1681

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7]. §

[Avant-propos] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 1-13.

J’ay bien de la joye, Madame, que quelque longue que soit la Relation que je vous ay envoyée du Canal de Languedoc, vous l’ayez leuë avec assez de plaisir, pour me faire un remercîment particulier du soin que j’ay pris de vous expliquer une partie des Travaux qu’il a fallu faire pour l’achevement de ce grand Ouvrage. Il est surprenant de le voir finy en quinze années, apres qu’on a crû d’abord qu’à peine un siecle y pourroit suffire. Cette espece de prodige aura sans doute exercé longtemps vos refléxions ; mais en les faisant sur le succés de cette entreprise, avez-vous assez examiné combien le Roy en tire de gloire ? C’est peu que les Hommes cedent à son Bras. Les Elémens ne sont pas moins prompts à suivre ses ordres, & dés qu’il commande aux Eaux, soit qu’il veüille qu’elles contribuënt à ses plaisirs, soit qu’il ait dessein de s’en servir pour faire voir sa magnificence, ou pour assurer un commerce utile à ses Sujets, il les trouve prestes à luy obeïr. Il faut cependant une grandeur d’ame extraordinaire pour ne se point rebuter des impossibilitez aparentes qui se rencontrent dans un Projet de cette nature ; sur tout lors que des affaires qui paroissent plus pressantes, semblent demander qu’on change de sentimens. Mais c’est une chose dont ce grand Monarque sera toûjours incapable. Il considere avant que résoudre, & toutes ses entreprises ayant pour mesure la grandeur de sa puissance, la fermeté dont il sçait les soûtenir, ne luy laisse voir aucun obstacle dont il ne soit seûr de venir à bout. Avant la jonction des deux Mers, on avoit crû qu’un dessein trouvé impossible par les Romains, ne pouvoit s’executer ; mais ceux qui ont eu cette pensée ne devoient pas oublier que le Roy a fait des choses, que malgré tout leur pouvoir ces Maistres du Monde n’ont osé tenter, ou qu’ils ont du moins tentées inutilement. Qu’on jette les yeux sur leurs Ouvrages les plus importans. Ce sont des Chemins, & le Rhône divisé. Mais quand on se souviendra que ces Ouvrages n’ont esté faits qu’à diférentes reprises, qu’il a fallu des siecles pour les achever, & que de nombreuses Armées y travailloient, on en sera beaucoup moins surpris, que d’avoir veu depuis peu d’années des Villes entieres fortifiées, sortir de terre presque au seul ordre de Sa Majesté, & d’autres qu’on y avoit fait rentrer, paroistre quelque temps apres, plus fortes qu’auparavant, selon la necessité des affaires de ce Prince. Il n’appartenoit qu’à un si puissant Monarque de joindre les Mers de l’Orient à celles de l’Occident ; & quand on s’est pû surmonter soy-mesme en faveur de ses Ennemis, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’on surmonte la Nature en faveur de ses Sujets. Tous les Peuples qui reconnoissent le Roy pour leur Souverain, doivent bien en mesme temps le reconnoistre pour leur Pere, puis qu’il leur fait voir de jour en jour les bontez qu’il a pour eux, & les soins qu’il prend de ce qui leur est utile. Les dépenses faites pour le Canal auroient pû luy estre d’un fort grand secours, pendant qu’il avoit à soûtenir les forces de toute l’Europe. Cependant il n’a point voulu qu’on ait discontinué ce travail, bien moins pour Luy, que pour eux, dont on a veu qu’en toute rencontre il a préferé les avantages à ses propres intérests. En effet si on regarde les utilitez qu’ils tireront de ce merveilleux Ouvrage, on demeurera d’accord que rien ne leur pouvoit estre ny plus commode, ny plus important. Le Languedoc trouvera par ce moyen le debit aisé de ses denrées. Cette Province, la plus grande du Royaume en étenduë, & la plus riche par l’abondance & la multiplicité des fruits, & des autres choses dont elle est remplie, ne laissoit pas avec tous ses biens de demeurer dans une espece de disete, parce qu’elle manquoit des richesses Etrangeres, que le commerce apporte ordinairement aux lieux où il peut estre exercé. L’ouverture du Canal qui la traverse, luy fait répandre ses Vins, ses Fruits & ses Grains à droit & à gauche, & distribuer tout ce qu’elle a, non seulement au dedans, mais au dehors du Royaume par deux Issuës qui luy donnent l’entrée libre dans l’Ocean, & dans la Mer Méditerranée ; & en mesme temps ces mesmes Issuës luy font recevoir de toutes parts tres-facilement les choses dont elle a besoin, & qui ne croissent point sur son fond. Joignez à cela qu’au lieu qu’on a voituré jusqu’à présent toutes les Marchandises qui nous viennent du Levant, à grands frais, & avec péril, le long des Costes d’Espagne, dont on faisoit le tour, passant par le Détroit de Gibraltar, on viendra à l’avenir les rendre à Bordeaux & aux autres Ports que nous avons sur l’Ocean, par un chemin qui sera beaucoup plus seûr. Il doit estre doux de s’épargner mille lieuës, pendant lesquelles le calme est presque aussi redoutable que la tempeste & les vents contraires. Par là, on évite les Pyrates, & tous les accidens de la Mer ; & sans s’exposer à mille soins & à mille peines, dont il estoit impossible de se garantir, on a seulement soixante lieuës de chemin à faire sans aucun danger, à l’ombre des Arbres en beaucoup d’endroits. D’un autre costé ce mesme Canal donne les moyens de faire par eau le tour entier de la France, par la plus agreable route, & par les plus belles Villes du Royaume. On n’a pour cela que quatre journées à faire par terre, depuis Auxerre jusques à Châlons. Je n’entreray point aujourd’huy dans ce détail, dont l’occasion s’offrira peut-estre une autre fois.

[Stances sur la Jonction des deux Mers] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 13-17.

Elle ne peut estre plus favorable pour vous faire voir des Stances irrégulieres qui ont esté faites sur le Canal. Vous y trouverez une tres-belle peinture de la puissance du Roy, & des grands Travaux qu’il a fallu entreprendre pour mettre la chose en état de réüssir. Je croy que les beaux Esprits ne seront pas épuisez si-tost sur cette matiere, & que leurs Ouvrages m’obligeront à vous en parler encor pendant quelques Mois.

SUR LA JONCTION DES DEUX MERS.
AU ROY.

La France est aujourd’huy la Merveille du Monde,
C’est dans son propre sein qu’on a joint les deux Mers,
Elle va posseder tous les Trésors divers
Que l’on voit dispersez sur la Terre & sur l’Onde.
Ce mesme Dessein autrefois
Fut conçeu par diférens Roys ;
Mais nul pour le tenter n’eut assez de courage.
Le plus puissant des Roys aujourd’huy l’entreprend,
Et le succés d’un tel Ouvrage
N’estoit deû qu’à Loüis le Grand.
***
Ces deux vastes Mers opposées,
Qui dans leurs propres bords se retiennent toûjours,
Grand Prince, sans vostre secours,
Seroient pour jamais divisées.
Ces deux Mers par vostre Canal,
Comme par un nœud conjugal,
Font une eternelle alliance,
Et forment par deux Bras divers,
Dans le cœur mesme de la France,
Le Rendez-vous de l’Univers.
***
Ce grand Chef-d’œuvre incomparable
Qui nous marque vostre pouvoir,
Dans tous ses Travaux nous fait voir
Ce qui nous sembloit incroyable ;
De profonds Abysmes comblez,
De rapides Torrens dans un Lit assemblez,
Des Rochers abatus, des Montagnes percées,
Des Ponts qui soûtiennent des Eaux,
Des Fleuves suspendus, des Rivieres forcées,
Et des Champs entr’ouverts tous couverts de Bateaux.
***
Dieu par sa prudence infinie
Conduit vos desseins & vos pas ;
Comme tout cede à vostre Bras,
Tout cede à vostre grand Génie.
Quoy que vous puissiez projetter,
Grand Roy, vous n’avez qu’à tenter,
Le succés suit vostre entreprise ;
Et selon que vous l’ordonnez,
Toute la Nature soûmise
Suit les Loix que vous luy donnez.

[Sonnet sur le mesme sujet] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 17-19.

J’ajoûte un Sonnet à l’avantage de la Nymphe d’Orb. Vous vous souviendrez que c’est la Riviere qui passe à Beziers.

Bien qu’à peine mon Nom ait paru dans l’Histoire,
Que l’on marque mon cours comme un des plus petits
Qui vont porter leurs eaux jusqu’au sein de Thétis,
A-t-on jamais rien veu de pareil à ma gloire ?
***
Cent Miracles divers que l’on n’auroit pû croire,
Dont mes bords aujourd’huy se trouvent embellis,
Occupent les Sçavans de l’Empire des Lys
A graver le nom d’Orb au Temple de Mémoire.
***
Je fais l’Hymen des Mers, remplissant ce Canal,
Qui va porter si loin le pouvoir sans égal
Du plus grand des Héros qu’on ait veu dans le Monde.
***
Ce Chef-d’œuvre de l’Art ne seroit rien sans moy.
Dans son Lit fiérement je fais rouler mon onde,
Pour publier par tout la grandeur de mon Roy.

[Avanture] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 19-22.

J’ay veu depuis peu une Lettre de Marseille du 10. de Juin, par laquelle on donne avis qu’il y est arrivé une Barque de Salé, chargée de soixante-dix Esclaves François, parmy lesquels il s’est trouvé un jeune Homme, qui a éprouvé la mesme fortune que Daniel. Celuy qui écrit a sçeu de luy-mesme ce que je vay vous conter. Ce jeune François estoit Esclave du Roy de Fez, & en avoit deux autres sous sa conduite. Ces deux Esclaves estant un jour entrez en querelle, le Roy passa qui les vit aux mains. Il commanda aussi-tost qu’on luy fist venir celuy qui devoit répondre d’eux, & luy demanda pourquoy il les laissoit batre. Le jeune Esclave ayant répondu qu’il estoit malade au Lit dans le temps de leur querelle, le Roy, sans luy rien dire autre chose, luy donna un coup d’une Lance qu’il tenoit, & voulut qu’on le jettast dans la Caverne aux Lions. On executa son ordre, & l’Esclave fut abandonné dans le mesme temps à cinq de ces Animaux qui se retirerent. On eut beau les animer. Ils le regarderent pendant six heures, comme si quelque puissance secrete les eust retenus. Une des Femmes du Roy, à qui on conta cette merveille, alla demander sa grace. L’ayant obtenuë, elle fit dire au jeune François, qu’on luy sauveroit la vie s’il vouloit se faire Turc. Il rejetta l’offre avec beaucoup de courage ; & comme il n’y avoit pas ordre d’insister sur cet article, on luy donna une Echelle, dont il se servit sans qu’aucun des cinq Lions se fust approché de luy. Peu de temps apres on jetta deux Mores dans le mesme lieu, & ils furent dévorez en un quart-d’heure. Ce jeune François estoit aux Infirmeries de Marseille à faire sa quarantaine, lors qu’on a écrit ce que je vous viens d’apprendre.

Projet pour une nouvelle Secte de Philosophes, en faveur des Dames §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 22-39.

Vous me demandez si je n’ay plus de nouvelles de Madame de Saliez, Viguiere d’Alby, dans le même temps que j’en reçoy. Comme cette Dame a l’esprit tres-éclairé, elle en employe toûjours les lumieres à des choses dignes d’elle, & je m’assure que si en plusieurs occasions le tour aisé de ses Vers a mérité vos loüanges, vous approuverez d’autant plus sa Prose, que ce que je vay vous en faire voir regarde les avantages de vostre beau Sexe, & que du caractere dont je vous connoy, elle ne propose rien que vous n’ayez étably déja en quelque façon parmy vos Amis & vos Amies. C’est ce que vous connoistrez en lisant sa Lettre.

PROJET POUR UNE NOUVELLE SECTE DE PHILOSOPHES,
en faveur des Dames.
A MADAME DE ***

Depuis que j’ay sçeu, Madame, avec combien de galanterie & d’enjouëment vous avez répondu à certains discours ridicules, ausquels toute autre que vous auroit eu la foiblesse d’estre sensible, je me confirme plus que jamais dans l’estime que j’ay toûjours faite de vos maximes. Je ne doute point qu’elles ne fussent celles de tout le monde spirituel, & raisonnable, si l’on y refléchissoit autant que moy. En verité, Madame, si les Gens de bon goust se sçavoient un peu entendre, on passeroit la vie tout autrement qu’on ne fait, & l’on ne se rendroit pas volontairement l’esclave, & la victime d’un monde ingrat, & injuste, qui paye d’ordinaire si mal toutes les violences que nous nous faisons pour luy plaire. Vous rendriez un fort grand service à toutes les Personnes de mérite, si vous vouliez publier les commodes maximes de vostre Philosophie. Vous établiriez par là une nouvelle Secte mille fois plus agreable & plus utile, que toutes celles que des Hommes sçavans & spirituels avoient inventées pour parvenir au repos de la vie. Je m’offre, Madame, pour estre vostre premiere Disciple, & je le souhaite mesme avec plus d’ardeur que je n’ay jamais desiré de me voir belle & charmante ; car enfin quand on seroit la plus belle Personne du monde, on ne se feroit admirer qu’autant d’années que cette beauté dureroit ; mais si nous executons ce que je vous propose, nous serons illustres pendant plusieurs siecles. Il me semble déja que l’on dit par tout, que nous avons étably une Secte qui va rendre tout le monde heureux, & que je voy venir des Gens d’esprit de toutes parts pour nous demander d’estre instruits de nos maximes.

La fin de nostre Secte doit estre de vivre commodement, & de déterminer toutes les Personnes raisonnables, à secoüer le joug des contraintes, que l’erreur & la coûtume ont établies dans le monde. Il faudra ensuite faire des Loix selon lesquelles l’on devra vivre, & donner un nom à nostre Secte. C’est à vous, Madame, à le choisir. Je vous diray seulement que vous devez en trouver un propre à des Personnes qui veulent établir les bonnes & solides maximes, qui font trouver la vie agreable, honneste, & commode, & qui donne tant de peur aux Sots, que jamais ils n’osent nous approcher. C’est pour se défaire d’eux que des Philosophes ont pris autrefois (quoy que fort sages) les noms d’Humoristes, & d’Insensez.

Pour les Loix, c’est à vous aussi, Madame, à les imposer ; mais pour vostre soulagement, voyez si mes sentimens conviennent avec les vostres, & si cela est, je leur donneray plus d’étenduë.

Vous sçavez, Madame, qu’il y a deux sortes de beaux Esprits. Ceux qui le sont effectivement, & ceux qui croyent l’estre & ne le sont pas. Il faudra soigneusement examiner les esprits de ceux que l’on voudra recevoir, afin d’éviter le péril de s’y méprendre.

L’on fera un Serment solemnel de donner l’exclusion à cette sorte de Gens qui pour faire les beaux Esprits, ne s’approchent jamais d’aucune Femme, sans luy dire des douceurs. L’on bannira ceux qui parlent toûjours ou de leur naissance, ou de leur bravoure, qui croyent qu’une visite est incivile, si elle n’est de quatre ou cinq heures, & qui sont persuadez que pour estre bien Gentilhomme, il faut estre dans la derniere ignorance. Nous ne devons aussi jamais admettre dans nostre Secte ces sortes de beaux Esprits, que Dieu n’a mis au monde que comme il y envoye la guerre, & la famine, pour en estre les fleaux ; ces Esprits qui ont des bornes si étroites, que l’on ne les voit jamais aller au dela de certaines manieres de parler, de deux ou trois contes affectez, & de quelques comparaisons qu’ils sçavent par-cœur.

Il faut sans-doute, Madame, exclurre les Femmes qui auront les mesmes defauts en leurs manieres, ne point recevoir ces Prudes qui croyent qu’une amitié tendre & délicate, est le plus honteux des crimes ; ny celles qui affectent une séverité ridicule, qui leur fait condamner un honneste enjouëment, qui est pourtant l’ame de la conversation. Il ne faut avoir nul commerce avec ces Dames qui croyent, que parce qu’elles ne sont pas Coquetes, il leur est permis de gronder, de donner éternellement de leçons de modestie, & de retenuë, & qui ne pouvant souffrir qu’on rie, se déclarent contre tout ce qui s’appelle divertissement.

Je serois aussi d’avis que nous ne reçeussions point celles qui ne parlent jamais que d’une Juppe, ou d’une Coëfure ; celles qui ne peuvent souffrir que les autres lisent des Livres agreables, & qui s’imaginent que pour estre honneste Femme, il ne faut sçavoir qu’aller à l’Eglise, & lire des Livres de devotion.

Je crois, Madame, qu’il est bon sur tout de bannir entierement l’Amour de nostre societé, de peur qu’il ne trouble le repos que nous cherchons, & de substituer à sa place l’amitié galante & enjoüée.

Apres avoir montré ce que nous devons rejeter, il me semble que la premiere Loy de nostre Secte doit estre de vivre avec beaucoup d’amitié, & de respect les uns pour les autres. Je ne parle pas de ce qu’on appelle respect parmy les Gens que nous voulons chasser, qui ne consiste qu’en des cerémonies importunes & embarrassantes, car ceux de nostre Secte doivent sur tout renoncer à cela ; mais le respect que j’entens, consistera à s’estimer beaucoup, à ne rien dire jamais qui puisse déplaire, & à ne se point trop familiariser.

Les qualitez absolument nécessaires pour estre admis, sont l’esprit, & la docilité. Cette docilité demande deux choses ; la premiere, que l’on reçoive avec soûmission, & avec plaisir tout ce qui sera enseigné ; & la seconde, qu’on quitte sans peine & sans trop raisonner, les mauvaises maximes que l’on pourroit avoir prises dans des societez diférentes de la nostre.

Il faut que l’esprit de ceux que nous voudrons recevoir, soit capable de cette liberté si aimable, qui fait dire agreablement, & librement ce qu’on pense ; de cette raillerie belle & innocente, qui fait qu’on tourne les choses d’un biais tout-à-fait divertissant ; de cette petite malice ingénieuse qui fait qu’on surprend les Personnes les plus spirituelles, dans de certains endroits de leur conversation qui les embarassent un peu, & dont elles ne se tirent qu’apres avoir donné beaucoup de plaisir. Enfin, Madame, il faut que vos Disciples ayent la conversation galante, & tout ce qui rend la societé agreable & douce, sans que pour quelque raison que ce soit, vous en receviez aucun dont le visage & les discours soient armez d’une severité ridicule.

Il y doit avoir une fidelité entiere parmy ceux de nostre Secte, c’est à dire, qu’on se parlera sincerement & tendrement, sans façon & sans grimace, qu’on verra souvent ceux qu’on aimera, & que l’on évitera ceux qu’on n’aimera pas. On travaillera de concert & sans cesse, pour arracher les mauvaises maximes qui se sont glissées dans le monde, & l’on fera une guerre continuelle aux Sots, dont il sera permis de se divertir, quand par malheur on se rencontrera avec eux.

Je croy, Madame, que voila à peu pres les Loix qui seront necessaires pour l’établissement, & pour le progrés d’une Secte si considérable. Si vous les approuvez, il sera facile d’y en ajoûter quelques autres.

Vous jugez-bien, Madame, que nous trouverons des contradictions. Tous les grands desseins sont difficiles, la plûpart des Gens estant ignorans ou foibles, & ne jugeant des choses que par de certaines préventions, que la politique & la coûtume ont mises dans l’esprit des Hommes ; mais j’espere pourtant que nous trouverons assez de Personnes éclairées, qui ne se laissent point surprendre à ces préventions, & qui seront bien-aises de s’unir avec nous, pour ne plus s’assujetir à toutes les contraintes qui ne servent qu’à faire perdre les plus agreables momens de la vie. Ils ne se perdent que trop par des raisons qui ne dépendent pas de nous.

Si ce Projet vous agrée, je travailleray, Madame, de toutes mes forces à seconder vos desirs, & je croy que Solon, ny aucun de ces Philosophes qui ont travaillé pour établir le repos des Hommes, n’ont jamais esté si fameux que nous le serons un jour.

La Viguiere d’Albi.

[Suite de la Description de la Salle d’Amour de Cléranton] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 52-73.

Je finis l’Article, pour venir à nostre Amy qui a fait un second Voyage aux Bords de la Seine, dans la charmante Vallée de Cléranton. Il y a reveu la Salle d’Amour, dont il m’avoit promis d’ajoûter les Ornemens qui luy tiennent lieu de Tapisserie, à ceux de la Cheminée, de la Croisée & des Portes, que je vous marquay fort au long dans ma Lettre du mois d’Aoust dernier. Voicy de quelle maniere il s’est acquité de sa parole.

SUITE DE LA DESCRIPTION DE LA SALLE D’AMOUR
de Cleranton.

Une Frise regne tout autour de cette agreable Salle, où sont des Armes de Famille entremeslées de Couronnes & de Festons, avec la Devise Tout bien à vienne. Au dessous est une Corniche, soûtenuë par huit Colomnes & quatre Termes ; & plus bas, l’Histoire amoureuse & galante de feu Mr le Marquis de Riceys, Oncle à la mode de Bourgogne de Mr de Busserolles, avec la Sœur aînée de Mr le Comte de Bregis qu’il épousa. Cette Histoire est partagée en vingt deux Tableaux, de la main d’un habile Peintre d’Italie. Il y a au dessous autant de Cartouches, où l’on voit diverses sortes d’Emblêmes & de Devises, à la gloire de l’Amour ; & au bas sont de grands Rouleaux chargez de jolis Vers qui expliquent les desseins de ces Cartouches.

Je ne diray rien des Tableaux, sinon que l’Amant & la Maîtresse y sont représentez sous des Habits de Berger & de Bergere ; qu’un Rival desagreable qui traversa leurs amours, y est peint sous la figure d’un More ; qu’un autre Rival aussi mal venu, mais plus témeraire & plus insolent, y paroist sous celle d’un Satyre ; & qu’enfin toutes leurs avantures y sont déguisées de la mesme sorte, avec beaucoup d’art & d’esprit.

Les Cartouches dont je vous rendray un compte plus exact, sont toutes diférentes dans leur structure & leurs ornemens. Il y en a quatre où sont contenus les quatre Ages, qui suivent le démeslement du Cahos.

La premiere, étale l’Age d’Or, dans sa pleine liberté, avec ses graces, & ses douceurs. Ces mots sont au dessus, Tout par amour, & ces Vers dans le Rouleau d’en bas.

Lors qu’Amour charme un Esprit qui l’adore,
Ah qu’il est doux de pousser des soûpirs !
On diroit que pour luy l’Age d’or vient d’éclore,
Ce ne sont que beaux jours, ce ne sont que plaisirs.
Jeunes Beautez, qui commencez d’apprendre
Qu’il est trop doux d’aimer pour s’en pouvoir défendre,
Aimez, aimez un feu si doux,
Et vous aurez toûjours l’Age d’or avec vous.

La seconde Cartouche représente l’Age d’Argent, avec la contrainte & la retenuë qui l’accompagnent. Ces mots sont au dessus, Tout par fleuretes, & ces Vers dans le Rouleau qui est au dessous.

Jeunes Beautez, qui passez vos beaux jours
A vous faire conter l’ardeur de mille amours,
Que vous perdez de momens agreables !
Laissez-vous toucher comme nous.
Si vous n’aimez, quand vous estes aimables,
Dieux, en quel temps aimerez-vous ?
Cessez, cessez d’estre Coquetes,
Un doux moment d’amour vaut dix ans de fleuretes.

On voit dans la troisiéme Cartouche l’Age d’Airain, avec l’Intérest qui y regne. Ces mots sont au dessus, Tout par présens, & ces Vers dans son Rouleau.

Belles, que l’intérest ne vous domine pas ;
Il est honteux de vendre ses appas,
La tendre passion doit estre genéreuse,
Pour se rendre longtemps heureuse.
Suivez donc purement les amoureuses Loix,
Vostre gloire est la nostre ;
Ayez plus d’égard mille fois
Au présent du cœur, qu’à tout autre.

On remarque dans la quatriéme, l’Age de Fer, avec sa barbarie & ses violences. Ces mots sont au dessus, Tout par force, & ces Vers au dessous.

L’insolence a passé dans le degré supréme,
D’indignes libertez de l’amour sont l’effet,
Et sans presque dire qu’on aime,
Nous n’osons dire ce qu’on fait.
Belles, n’attendez pas qu’on en vienne à la force ;
Avecque les froideurs faites plutost divorce.
Cédez de bonne grace une place en vos cœurs,
Vous en aurez cent fois plus de douceurs.

Il y a un cinquiéme Rouleau au bas de la Croisée, qui contient ces autres Vers.

Profitez du temps qui vous presse,
Le bel Age fuit sans retour,
Et qui passe un jour sans tendresse,
Peut dire avec regret, qu’il a perdu ce jour.
Aimer en ses beaux ans, c’est prudence & sagesse ;
Mais quand trop tard on vient à s’échauffer,
Au lieu de l’Age d’or qu’on trouve en sa jeunesse,
On ne trouve pour lors que le Siecle de fer.

Dans cinq autres Cartouches, on voit parmy de beaux Païsages l’Amour représenté de la maniere dont les Poëtes le figurent. Il est dans la premiere, comme un Enfant ; dans la seconde, comme un Chasseur, ou comme un Guerrier ; dans la troisiéme ; nud avec un Flambeau à la main ; dans la quatriéme, sur un Autel comme un Dieu ; & dans la derniere, au milieu de l’air, avec son Bandeau & ses aîles. Voicy les Vers qui accompagnent ces cinq Portraits.

Cédez, jeunes Beautez, à ce Dieu triomphant,
Et le suivez sans défiance ;
On ne le représente Enfant,
Que pour en montrer l’innocence.
***
Rendez-vous à ses doux attraits,
Sans crainte de la médisance ;
Il ne s’arme d’Arc & de Traits,
Que pour prendre vostre défence.
***
Son procedé charmant & beau
N’a rien qui choque, ny qui blesse ;
Il est nu, tenant un Flambeau,
Pour marquer qu’il est sans finesse.
***
Je le vois déja dans vos yeux,
Laissez-le entrer, prenez courage ;
On ne le met au rang des Dieux,
Que pour enseigner qu’il est sage.
***
Ne faites point de luy de mauvais jugement
Sur son bandeau, ny sur ses aîles ;
Il n’est point léger pour les Belles,
Il les meine au Port seûrement.
Sans craindre donc le changement,
Ou de tomber en quelque précipice,
Abandonnez-vous librement
Au doux espoir qu’il vous sera propice.
Ses aîles montrent seulement
Qu’il est prompt à rendre service ;
Et son bandeau, qu’il sert aveuglement.

Dans quatre autres Cartouches, on voit des especes de Devises. L’une représente des Salamandres au milieu des flâmes, avec ces mots au dessus, C’est nostre Elément. Ces Vers sont dans le Rouleau.

Les doux plaisirs n’ont point de source plus féconde
Que l’ardeur des tendres amours ;
Il en naist des transports les plus charmans du monde,
Heureux qui peut brûler toûjours !

Il y a dans l’autre, des Aiguilles frotées d’Ayman, qui s’arrestent dés qu’elles sont tournées du costé du Nort. Ces mots sont au dessus, C’est nostre repos, avec ces Vers au dessous.

Dans l’Objet que l’on aime, on trouve tout aimable.
On le regarde, il plaist, on en est enchanté ;
Ce doux état tient le cœur arresté.
Que ce repos est agreable !
Comme Dieu l’on est immuable,
Vive cette felicité.

On apperçoit dans la troisiéme, des Héliotropes qui se courbent du costé du Soleil suivant leur nature, avec ces mots, C’est nostre panchant. Ces Vers sont dans le Rouleau.

Il n’est point sans tendresse
D’aimables, ny de doux momens ;
Tous les autres plaisirs sont sans délicatesse,
A peine frapent-ils les sens.
Mais si-tost que l’on aime,
Le moindre des plaisirs est un plaisir extréme,
Tout l’amoureux panchant
Est heureux & touchant.

La quatriéme est remplie de Papillons qui se vont brûler à la chandelle. Ces mots sont au haut, C’est nostre plaisir, & ces Vers au bas.

Si l’ame en secret est ravie
De sentir l’engageante envie
Qu’excite l’amoureux desir,
Ah que la suivre est bien un plus charmant plaisir !
Eprouvez-le, chere Sylvie,
Vous aimerez l’amour cent fois plus la vie.

Quatre diférens Postes de gloire occupez par l’Amour, remplissent quatre autre Cartouches. L’un est un Trophée ; le second, un Trône ; le troisiéme, le Char du Soleil ; & le dernier, est le Ciel. Voicy les Vers qui accompagnent l’Amour, consideré comme Vainqueur sur le Trophée.

On ne voit rien dans l’Univers
Qui ne soit vaincu par ses armes ;
Il met Hommes & Dieux aux fers.
Qui peut résister à ses charmes ?

Voicy ceux qui sont faits pour luy, consideré comme Roy sur le Throne.

Il est l’unique Roy des Cœurs,
Ils font sa gloire & son partage,
Il les comble de ses faveurs.
Qui ne luy rendroit pas hommage ?

Ceux-cy le regardent comme Illuminateur, sur le Char du Soleil.

Il est le Soleil des Esprits,
Il les échauffe & les éclaire ;
Son Charme en releve le prix.
A qui pourroit-il ne pas plaire ?

Et ceux-cy, comme un Dieu dans le Ciel.

N’est-il pas le Dieu des Plaisirs ?
Et s’il a tout le soin possible
De satisfaire les desirs,
N’a-t-on pas tort d’estre insensible ?

On le trouve enfin dans cinq autres Cartouches, adoré de tout ce qu’il y a de Peuples, de Princes, de Princesses, & de Divinitez dans le Monde, avec ces Vers dans les Rouleaux, qui s’adressent aux Belles comme les autres.

S’il n’est Mortelle, ny Mortel,
Dont il n’ait mis le cœur en flâme,
Pensez-vous qu’il soit naturel
D’empescher qu’il entre en vostre ame ?
***
Si des Cœurs qui n’ont rien de bas,
Ont fait gloire de leur tendresse,
Connoissez que l’on ne doit pas
Le prendre pour une foiblesse.
***
Si des Ames pleines d’honneur
Passent au dela de l’estime,
Et s’échauffent de son ardeur,
Croyez-vous qu’aimer soit un crime ?
***
Si vous le voulez contenter,
Imitez des Ames si belles ;
Vous n’avez rien à redouter,
Ayant tous les Dieux pour modelles.
***
Vaine Raison, petite Liberté,
N’aspirez point à la victoire ;
Vous aurez cent fois plus de plaisir & de gloire
A vous soûmettre à la Divinité
Dont la Terre & le Ciel suivent la volonté.
***
L’Amour, quand il luy plaist, peut forcer à se rendre
Le Cœur qui se croit le moins tendre ;
Il n’en est point qui ne soient faits pour luy.
Renoncez donc au soin de vous défendre.
Puis qu’il faut leur céder, pourquoy vouloir attendre,
Et remettre à demain, ce qu’on peut aujourd’huy ?

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 73-74.

Tant de jolis Madrigaux employez par tout dans cette Description, n’empescheront point sans-doute que vous n’en voyiez encor un avec plaisir. Je vous l’envoye mis en Air par Mr Deleval. La beauté de cet Air, quoy que fait inpromptu, vous doit convaincre de celle des Pieces ausquelles il donne la derniere main. Les Paroles sont de Mr Mallement de Messange.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Tircis attendant sa Bergere, doit regarder la page 74.
Tircis attendant sa Bergere,
Disoit sur la Fougere
Aupres de ses Moutons paissans,
Viens donc sur la verdure ;
Ah que le temps me dure !
Ah que les maux que j’endure sont grands !
Ah qu’ils sont grands les tourmens que je sens !
images/1681-07a_73.JPG

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 78-112.

On m’a conté depuis peu les circonstances d’un autre Mariage dont je croy devoir vous faire part. Un Cavalier fort bien fait, & de tres-bonne Maison, apres avoir employé sept ou huit ans à visiter toutes les Cours de l’Europe, arriva un soir à une Ville éloignée du Lieu de sa naissance environ de trente lieuës. Une Fille des plus qualifiées du Païs, s’estoit mariée ce mesme jour. Il y avoit grande Assemblée chez son Pere, qui estant des mieux alliez de la Province, avoit prié de la Nôce quantité de Personnes considérables de l’un & de l’autre Sexe. Le Bal devoit suivre le Soupé ; & comme en ces sortes d’occasions il est naturel d’estre curieux, le Cavalier à qui on conta la chose, résolut de prendre un masque, & d’aller estre témoin de la joye des Mariez. L’heure estant venuë, il se déguisa, & se mesla parmy quelques autres qu’il vit entrer aussi déguisez. La Compagnie luy parut fort belle. Il la trouva composée de plusieurs Dames qui avoient toutes beaucoup de brillant. Il examina la Mariée, qui ayant de grands agrémens par elle-mesme, en recevoit de nouveaux de l’ajustement où elle estoit ; mais rien ne le surprit tant qu’une jeune Brune d’un teint admirable. Si-tost qu’il l’eut apperçeuë, il n’eut plus d’yeux que pour elle. Il la regarda longtemps avec un plaisir inexprimable ; & quand on la fit dancer, il fut si charmé de la beauté de sa taille qu’il vit alors toute entiere, que dans la prévention où il se trouva pour elle, quand elle n’eust eu aucune adresse à la Dance, il luy eust donné tout l’avantage du Bal. Comme on écoute volontiers les Masques, il s’approcha de cette aimable Personne, & l’engagea dans une conversation agreable qu’elle soûtint avec une finesse d’esprit qui acheva de le perdre. Le Bal estant tout prest de finir, il la quitta pour s’informer de son nom. On luy apprit qu’elle estoit Fille d’un Gentilhomme qui demeuroit à trois lieuës de là, que l’occasion de cette Nôce l’avoit fait venir chez une Parente qui la devoit garder quelques jours, & qu’ensuite elle retourneroit chez son Pere. Le Cavalier se sentit frapé de la plus vive douleur quand on luy nomma le Gentilhomme. C’estoit l’Ennemy mortel de sa Maison, & un de ces intraitables Ennemis, à qui on parle inutilement de paix. Il possedoit une Terre dans le voisinage du Cavalier, & c’estoit la source des longs démeslez qui avoient broüillé les deux Familles. La haine, devenuë heréditaire dans l’une & dans l’autre depuis plus de soixante ans, avoit causé de fort grands malheurs, & jamais division ne s’estoit entretenuë avec tant d’aigreur. Ces raisons ne pûrent rien sur l’amour du Cavalier. La Belle, quoy que Fille de son Ennemy, luy parut toûjours la plus aimable Personne qu’il eust jamais veuë, & tous les efforts qu’il fit pour l’arracher de son cœur, ne servirent qu’à l’y mettre plus avant. Elle eut toutes ses pensées pendant la nuit, & il ne put se résoudre à quitter la Ville tant qu’elle auroit à y demeurer. Le lendemain il l’attendit dans l’Eglise où il apprit qu’elle alloit tous les matins, & en luy trouvant la mesme beauté, il eut le plaisir d’admirer la modestie qui tenoit ses yeux aussi arrestez que son esprit sembloit recueilly. Il la regarda sans qu’elle y prist garde, & continua de cette sorte à nourrir sa passion, jusqu’à ce qu’il sçeut qu’elle estoit partie. Il se rendit aussitost chez luy, pour donner ordre à son Bien que la mort d’un Frere arrivée depuis un an, avoit beaucoup augmenté. C’estoit son Aîné qui le laissoit unique Heritier de la Maison. Les soins qu’il fut obligé de prendre pour le reglement de ses affaires, n’empescherent point qu’il ne songeast sans cesse à la Belle. Rien ne le touchoit plus fortement. Il conta son avanture à un Amy tres-attaché à ses intérests, & luy ayant peint la grandeur de son amour, il le pria d’aller faire au Gentilhomme la proposition de son Mariage, qui assoupiroit tous leurs diférens. Cet Amy, ravy de contribuer à un accommodement si souhaité, se fit un plaisir de cet employ, & se flata d’autant plus de réüssir, que le Cavalier restant seul de sa Famille, l’union qu’il recherchoit, étoufoit entierement la cruelle haine qui les divisoit depuis si longtemps. Il alla trouver le Gentilhomme de qui il estoit connu, passa chez luy comme revenant d’un plus long voyage, & apres plusieurs loüanges données à la Belle qu’il trouva toute charmante, il demanda si on luy vouloit permettre de luy chercher un Mary. L’offre n’ayant point déplû, il fit le portrait d’un Cavalier, riche, de bonne naissance, spirituel, parfaitement honneste Homme, & qui se contenteroit de ce qu’on voudroit donner. Une proposition si avantageuse fut reçeuë de la maniere du monde la plus agreable. On le pria de travailler sérieusement à cette affaire ; mais quand il vint à nommer l’Amant, il trouva le Pere incapable de raison. Il eut beau luy dire que le Cavalier estant party dés ses plus jeunes années, pour de longs voyages qui l’avoient toûjours tenu hors de France, il n’avoit aucune part aux vieilles querelles qui luy faisoient prendre de l’aversion pour luy ; qu’il ne s’offriroit jamais une occasion si favorable de les terminer glorieusement ; que les belles qualitez de celuy qu’il proposoit rendoient le party doublement considérable, & qu’il seroit condamné de tout le monde de vouloir rendre éternelle une inimitié qui n’avoit déja produit que trop de méchans effets. Ces raisons, quoy que tres-fortes, ne pûrent rien sur le Gentilhomme. Il demeura infléxible, & l’Amy partit sans avoir rien obtenu. Ce mauvais succés ne rebuta point le Cavalier. Il songea toûjours à se rendre heureux, & sa passion s’augmentant par les obstacles, luy fit employer l’adresse pour les surmonter. Le dessein qu’il prit fut un peu bizarre. Il avoit connu à Rome un Abbé de qualité avec qui on luy trouvoit beaucoup de raport de traits. Il résolut d’aller sous son nom chez le Pere de la Belle, & pour le mieux ébloüir, il instruisit deux de ses Amis de ce qu’ils auroient à faire pour luy estre utiles dans le personnage qu’il vouloit joüer. La force de son amour ne soufrit point de retardement. Il partit en mesme temps vestu en Abbé, & ne mena avec luy qu’un Valet de Chambre. Estant arrivé au lieu où le Gentilhomme avoit sa Terre, il alla descendre à une méchante Hôtellerie, dénuée de tout, & fort malpropre à recevoir des Gens comme luy. Il feignit d’estre malade, & sous le prétexte de quelques besoins, apres qu’on luy eut nommé le Gentilhomme, il luy envoya faire compliment. Le nom qu’il prenoit estant fort connu par les grandes Charges que ceux de cette Maison avoient toûjours euës en Cour, le Gentilhomme ne manqua point à le venir tirer de l’Hôtellerie, pour le conduire chez luy, où il luy donna un Apartement fort agreable. Le faux Abbé qui vouloit n’estre malade qu’autant qu’il falloit pour ne pas quitter si-tost un Lieu tout charmant pour luy, affecta une langueur qui en l’empêchant de poursuivre son voyage, ne l’obligeoit pas à garder le Lit. Ainsi il en estoit quitte pour quelques fausses foiblesses, qu’il feignoit d’avoir de temps en temps, & on en usoit de si bonne grace, qu’il ce da sans peine aux prieres qu’on luy fit de demeurer chez le Gentilhomme, jusqu’à un entier rétablissement de sa santé. On l’y regardoit comme Fils d’un Homme tres-consideré du Roy, & ses manieres honnestes engageoient d’ailleurs si fort, qu’en tres-peu de jours il se fit aimer de tout le monde. D’un autre costé son Valet de Chambre qu’il avoit instruit, joüoit admirablement son rôle. Il peignoit son Maistre le plus accomply des Hommes, & n’en disoit rien d’avantageux que le faux Abbé ne confirmast en faisant paroistre un fort grand merite. Vous jugez bien que son soin le plus pressant fut d’entretenir la Belle. Il n’en perdit point l’occasion, & comme il avoit beaucoup d’esprit, & des complaisances dont rien n’aprochoit, il eut bien-tost gagné son estime. Cependant les deux Amis qui avoient promis de le servir, vinrent chez le Gentilhomme, & témoignant une fort grande surprise d’y trouver le faux Abbé, ils firent entr’eux la Scene dont ils estoient demeurez d’accord. Ils luy demanderent des nouvelles de son voyage de Rome, le mirent sur les avantages de la Maison dont il se disoit, luy parlerent du revenu de son Abbaye, & il répondit si juste à tout sans s’embarasser un seul moment, qu’on eust crû que le hazard avoit fait la chose, & qu’il estoit veritablement l’Abbé dont il empruntoit le nom. Ses Amis partirent, & deux jours apres s’estant trouvé dans un teste à teste, il dit à la Belle, que quoy qu’il fust mal-séant à un Abbé de faire une déclaration d’amour, ses desseins estoient si légitimes, qu’il ne demandoit que son agrément pour luy faire voir jusqu’où alloit le pouvoir qu’elle avoit acquis sur luy ; qu’il estoit prest à quitter ses Benéfices, & que peut-estre elle trouveroit en l’épousant assez d’avantages pour se croire heureuse, si elle comptoit à quelque chose le plaisir d’estre aimée parfaitement. La surprise où ce discours mit la Belle, luy causa un si grand trouble, qu’elle ne sçeut que répondre. Sa rougeur parla pour elle, & le faux Abbé qui crût l’entendre, en tira un bon augure. Comme elle doutoit qu’il luy parlast tout de bon, il eut besoin plusieurs fois de luy repéter la mesme chose avant qu’il pust l’obliger à dire, qu’elle suivroit le choix de son Pere, qui estoit le maistre de ses volontez. Charmé d’un aveu si favorable, il alla trouver le Gentilhomme, & luy expliquant le dessein où il estoit, il luy fit connoistre qu’il n’avoit jamais eu d’inclination pour le party de l’Eglise, qu’il ne l’avoit embrassé que par complaisance, n’ayant osé refuser deux Benéfices qu’on luy avoit fait donner dés son plus bas âge ; que pouvant disposer de l’un, qui estoit de quatre mille livres de revenu, il alloit le résigner à un de ses Fils ; que quoy que le Roy nommast à l’autre, il ne desesperoit pas d’obtenir son agrément pour ce mesme Fils, si l’on pouvoit se résoudre à tenir son Mariage secret jusqu’à la mort de son Pere ; qu’il estoit si vieux, qu’il ne pouvoit vivre encor longtemps ; & qu’une année ou deux de contrainte luy épargneroient ce qu’il devoit craindre de sa colere, s’il se déclaroit imprudemment. Tout cela fut dit avec tant de marques d’amour pour la Belle, que le Gentilhomme se laissa toucher. Il fut ébloüy de la qualité du Gendre qu’il devoit avoir, & pressé par cet Amant dont le mérite estoit fort persuasif, il conclut le Mariage, apres que le Cavalier eut fait tout ce qu’il falut pour la résignation du Benéfice. Le Gentilhomme le crût tellement de bonne-foy, qu’il ne voulut point attendre à le rendre heureux, qu’on eust reçeu réponse de Rome. On observa les formalitez essentielles, mais avec tant de secret, qu’il n’y eut que deux Domestiques d’un zele éprouvé, à qui on donna connoissance de l’Affaire. La Belle qui ayant le goust tres-délicat, avoit infiniment de l’estime pour celuy qu’on luy faisoit épouser, se trouva la plus contente du monde par ce Mariage. Le Cavalier l’adoroit, & l’honnesteté qu’il faisoit paroistre à tous ceux de sa Famille, luy en gagna si bien tous les cœurs, que le Gentilhomme ne pût s’empescher de dire souvent, que s’il l’avoit bien connu, il l’auroit choisy par le seul mérite de sa Personne, quand il n’auroit eu d’ailleurs aucune distinction qui eust demandé la préference. Le Cavalier vivoit avec luy d’un air si respectueux & si soûmis, qu’à force de déferences il eut tout pouvoir sur son esprit. Les Lettres de Rome qui arriverent quelque temps apres, sembloient devoir apporter quelque embarras ; mais le Cavalier ménagea la chose avec tant d’adresse, que par les mesmes raisons qui faisoient cacher son Mariage, il fit reculer la Prise de possession. Je pourrois icy embellir l’Histoire, en vous disant que pendant l’absence du Cavalier qui auroit rendu quelques visites dans le voisinage, un des Parens de l’Abbé, ou l’Abbé luy-mesme, à son retour d’Italie, eust esté mené chez le Gentilhomme, qui se connoissant dupé, auroit pû craindre de s’estre donné un Gendre indigne de luy ; mais cela n’arriva point, & le Fait dont il s’agit a dans ses vrayes circonstances assez de choses extraordinaires pour n’avoir aucun besoin qu’on luy en preste de fausses. Le Cavalier qui ne cherchoit qu’à se découvrir, redoubla ses soins pour gagner entierement l’amitié du Gentilhomme. Dés qu’il se connut assez bien dans son esprit pour se hazarder à luy dire son secret, il luy parla d’une Grace qu’il le prioit de luy accorder, comme une chose qui pouvoit le rendre beaucoup plus heureux. Le Gentilhomme luy ayant promis tout ce qu’il voulut, il adjoûta qu’il avoit appris l’inimitié qui regnoit depuis longtemps entre sa Famille & celle d’un Cavalier qu’il avoit connu à Rome, & avec lequel une assez longue habitude luy avoit fait faire la plus tendre liaison ; qu’estant revenu avec luy en France, il estoit témoin que ses premiers soins en arrivant, avoient esté de chercher à faire finir leur division ; que pour cela il avoit voulu épouser sa Fille ; que le refus de le recevoir dans son Alliance ne l’ayant point rebuté, il l’avoit prié de venir chez luy sous quelque prétexte ; que ce voyage fait à sa priere, avoit esté cause du bonheur qu’il possedoit, & que le devant en quelque façon à son Amy, il s’accuseroit d’ingratitude, s’il s’employoit lâchement à obtenir pour luy une chose dont il estoit seûr qu’il le croiroit digne quand il luy seroit connu. Comme en ces occasions on peut se loüer sans honte, quoy qu’il parlast de luy-mesme, il fit un Portrait du Cavalier qui en donnoit bonne opinion. Le Gentilhomme luy répondit un peu froidement que c’estoit assez qu’il eust promis ; que l’estimant autant qu’il faisoit, il se résolvoit à faire pour luy ce qu’il n’auroit fait pour aucun autre, mais qu’il le prioit de luy donner quelques jours pour se préparer à l’accord qu’on souhaitoit. Le Cavalier ne le pressa point, & se contenta de mériter par mille devoirs la complaisance qu’il luy laissoit espérer. Enfin l’occasion s’estant présentée de proposer de nouveau l’accommodement, & le Gentilhomme luy ayant marqué qu’il avoit vaincu sa répugnance, le Cavalier se jetta à ses genoux, & luy découvrit la tromperie. Jamais surprise ne fut égale à la sienne. Il regardoit à ses pieds un Gendre qu’il estimoit. Son bien, sa naissance, & ses belles qualitez, tout parloit pour luy ; mais le dépit de se voir la Dupe de sa bonne-foy, luy donnoit un air chagrin, qu’il accompagna d’un long silence. Le Cavalier prit ce temps pour prévenir les reproches qu’il pouvoit luy faire à l’égard du Benéfice. Il luy dit qu’avant que la mort de son Aîné luy eust laissé le Bien qu’il avoit, l’Abbé sous le nom duquel il estoit entré chez luy, l’avoit assuré vingt fois qu’il luy en feroit la démission, s’il vouloit quiter l’Epée, & qu’estant Amis au point qu’ils l’estoient, il ne doutoit point qu’il ne luy tinst parole avec joye en faveur de son Beaufrere. L’Abbé dont il luy parloit, estant alors à Venise, devoit revenir en France quelques mois apres. Le Gentilhomme fit dans ce moment les refléxions qui estoient à faire. Le Cavalier méritoit beaucoup. L’Affaire estoit terminée. C’estoit l’Epoux de sa Fille, & il trouvoit dans son Alliance tous les avantages qu’il auroit pû souhaiter. Il se rendit à tant de raisons, & luy témoignant tout de nouveau beaucoup de joye de son Mariage, il le déclara dés le lendemain par un superbe Régal donné à tous ses Amis. Vous jugez bien que le Cavalier ne manqua pas de demander à la Belle si elle se souvenoit d’un Masque qui l’avoit entretenuë fort longtemps dans un Bal de Nôces. Cette Avanture fit fort raisonner sur le pouvoir de l’Amour, qui, quand il luy plaist, sçait réünir les cœurs les plus divisez, & qui vient à bout de ses entreprises par des moyens qu’il peut seul imaginer.

[M. d’Ormoy fait honneur à Messieurs de l’Académie des Sciences de la visiter […]] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 112-132.

J’oubliay à vous dire le dernier mois, que Mr d’Ormoy, tres-digne Fils de Monsieur Colbert, s’estoit rendu à l’Assemblée de l’Académie des Sciences qui se tient deux fois toutes les semaines, dans une des Salles de la Bibliotheque du Roy, Ruë Vivien, sçavoir, tous les Mercredis, pour y parler de Physique ; & les Samedis, pour y traiter de Mathématique, d’Astronomie, &c. Mrs les Mathématiciens l’entretinrent d’abord sur les avantages des principales découvertes qui ont esté faites depuis qu’on a étably cette illustre Compagnie, & particulierement sur la méthode de connoistre la Longitude qu’on a pratiquée en plusieurs endroits du Royaume, à Cayenne en Amerique, & en Dannemark par ordre de Sa Majesté ; & en plusieurs autres endroits du monde, suivant la curiosité des Astronomes. Mrs Picard, Richer, & de la Hire, qui sont de ce Corps, ont travaillé à ces observations, & continuënt encor chaque année à y travailler. Pendant les voyages qui ont esté faits pour ce sujet, Mr Cassini est toûjours demeuré à l’Observatoire de Paris, pour faire aussi des observations en mesme temps que ceux qui estoient en campagne. Elles sont toutes si justes, qu’on peut s’assurer dans la Longitude à quelque distance que ce soit de cent toises ; ce qui n’est rien sur la grandeur du Globe de la Terre. Il entretint à son tour Mr d’Ormoy sur la derniere Comete dont il a fait imprimer une Dissertation fort sçavante, & remplie de toutes les observations que l’on a pû faire à l’Observatoire. Ce Traité a esté tres-favorablement reçeu de Sa Majesté & de toute la Cour. On ne voulut point parler dans cette Séance sur les Sujets que l’on s’estoit proposez, qui estoient des plus profondes Méditations de Geométrie, dont Mrs Blondel & de la Hire entretiennent ordinairement la Compagnie ; & comme il restoit fort peu de temps, Mrs Perrault, Dodard, & du Verney, firent voir au mesme Mr d’Ormoy de nouvelles découvertes d’Anatomie, principalement sur l’Ouye, où le dernier a fort travaillé. En suite, Mr Mariotte luy expliqua quelques particularitez d’un Traité des Couleurs qu’il fait imprimer, & qui est un des plus beaux Ouvrages qui ait paru depuis plusieurs Siecles. Il y rend raison d’une infinité d’apparences dans les Couleurs dont jusqu’à présent on n’avoit point sçeu les causes. Apres cela, Mr du Clos, Medecin & Chimiste, l’entretint de plusieurs admirables expériences de Chimie, où Mr Bourdelin & Borelli ont tres-bonne part. Mr d’Ormoy prit d’autant plus de plaisir à entendre ces Messieurs, que quoy qu’il soit encor dans un âge fort peu avancé, il a des lumieres surprenantes, & sçait à fond tout ce qui regarde sa Charge de Surintendant, & d’Ordonnateur General des Bâtimens du Roy, laquelle demande qu’on soit consommé dans beaucoup de Connoissances. Voila, Madame, ce qui se passa dans cette docte & celebre Académie le jour que Mr d’Ormoy l’honora de sa présence. Vous sçavez, je croy, qu’elle doit son établissement & ses progrés à Monsieur Colbert, à qui l’Etat, les Sciences, & les beaux Arts, sont si redevables. Ceux qui la composent sont,

Modérateur.

Mr Carcavi.

Mathématiciens, & Astronomes.

Mr Huguens.

Mr Blondel.

Mr Cassini.

Mr Picart.

Mr de la Hire.

Mr Roëmer.

Physicomathématicien.

Mr Mariotte.

Medecins Chimistes & Physiciens.

Mr du Clos.

Mr Perrault.

Mr Dodart.

Mr Borelly.

Mr du Verney.

Mr Bourdelin.

Secretaires.

Mr Galloys.

Mr du Hamel.

Vous vous plaindriez sans-doute, si je vous nommois tant de Sçavans, sans vous parler d’eux en particulier.

Mr Carcavi est Intendant de la Biblioteque du Roy, & sçait beaucoup de choses à fond. Il a esté dépositaire de ce que les plus Doctes de l’Europe ont eu de plus rare, ayant souvent esté leur Arbitre. Ainsi son nom sera immortel dans les Lettres de Mrs Descartes, Pascal, Fermat, & autres Sçavans de nostre siecle.

Mr Huguens a découvert l’Anneau de Saturne, & un de ses Satellites. Nous avons un Livre de luy De Horologio Oscillatorio, ou la Pendule, qui est un des plus beaux Ouvrages, & des plus sçavans qui se trouvent parmy les Geometres.

Mr Blondel est Maréchal des Camps & Armées du Roy, & a eu l’honneur d’enseigner les Mathématiques à Monseigneur le Dauphin. Il a donné au Public un Cours d’Architecture, avec les Résolutions des quatre principaux Problémes de cette Science, & plusieurs autres Livres.

Mr Cassini estant à Bologne, passoit déja pour le premier Astronome de son siecle. Il y a fait imprimer plusieurs Traitez, & entre autres un des Satellites de Jupiter, & leurs Ephemérides ; la Découverte des deux Satellites de Saturne, outre celuy de Mr Huguens. Il a depuis donné au Public un Planisphere, & un Livre sur la derniere Comete de 1680. & 1681. Les Tables qu’il a dressées du mouvement des Satellites de Jupiter, qui sont les Lunes de cette Planete, se trouvent si justes, que par le moyen de leurs Eclipses qui arrivent tres-souvent, on peut trouver la Longitude sur la Mer en voyageant, pourveu que l’on sçache l’heure où l’on observe l’Eclipse.

Mr Picard s’occupe ordinairement aux Observations Astronomiques, & a fait imprimer son Voyage à Vranesbourg en Dannemarck. Il y a mis toutes les Observations celestes qu’il a faites au mesme endroit que Ticobrahé. Il a encor donné au Public la Mesure de la Terre.

Mr de la Hire peut estre appellé Geometre par excellence. Il a donné deux Traitez des Coniques, dans lesquels sur ses nouveaux principes, il a montré & rendu facile cette Partie de la Geometrie qui estoit la plus difficile, ainsi qu’elle est la plus noble, & en 1679. il a enrichy cette Science par son Livre intitulé, Nouveaux Elémens des Sections Coniques, les lieux Geométriques, la Construction, ou Effection des Equations.

Mr Roëmer a fait construire deux admirables Machines à rouës. La premiere fait voir dans un moment le mouvement des Planetes, & leurs aspects pour les années, & les jours que l’on souhaite. On découvre par la seconde, l’an, le jour, & l’heure que toutes les Eclipses sont arrivées, & celles qui arriveront. Il a fait paroistre une tres-grande vivacité dans les choses qu’il a imaginées, & s’est beaucoup perfectionné dans l’Académie des Sciences, composée de tant de sçavans Hommes. Il est retourné au Nort où il est né, le Roy de Dannemark ayant souhaité de le revoir.

Mr Mariotte a l’esprit aussi fécond que penétrant. Il sçait si bien joindre la Physique aux Mathématiques, que rien ne luy échape. Il a fait imprimer trois Livres touchant l’organe de la Vision, un Traité du Nivellement, un autre du choc des Corps, un Essay de Logique, & trois autres petits Traitez ou Essais de Physique ; de la vegétation des Plantes, de la nature de l’air, du chaud, & du froid. Il a aussi composé un Traité des Couleurs, qu’on acheve d’imprimer.

Mr du Clos a fait deux Traitez ; l’un, des Eaux minérales de France ; & l’autre, des Sels.

Mr Perrault est un Homme universel. Il a donné le Vitruve François, avec de tres-sçavantes Annotations, & une docte Explication des termes qui avoient arresté tous les Commentateurs de ce Prince de l’Architecture Romaine. Il a aussi fait imprimer trois Traitez intitulez Essais de Physique ; du Bruit, de la mécanique des Animaux, & de la circulation du Sang.

Mr Dodard a fait le Projet des Plantes.

Mr Borelly fait de tres-bons Verres objectifs pour les Télescopes, ou grandes Lunetes d’approche. Celle qu’on voit à présent à l’Observatoire, est de son travail. Cette Lunete a soixante & dix-sept pieds de longueur.

Je vous ay déja parlé de Mr du Verney & de Mr Bourdelin, en vous disant que l’un a fort travaillé aux nouvelles Découvertes d’Anatomie, & que l’autre a bonne part aux expériences de Chimie qui ont esté faites.

Mr Galloys a l’esprit tres-vif, & tres-net. Il a dit de tres-belles choses en peu de mots, & intelligiblement, dans les Journaux des Sçavans qu’il a composez depuis le 4. Janvier 1666. jusques au 17. Decembre 1674.

Mr du Hamel fit imprimer l’an 1670. quatre Volumes qui enrichissent la Philosophie, & qui valent presque tout ce que l’Antiquité a produit sur ce sujet. En voicy les noms. De Corporum affectionibus, en deux Volumes ; De Corpore animato, & De mente humana. Il nous a donné cette année cinq Volumes qui ont pour titre, Philosophia vetus & nova ad usum Scholæ accommodata.

On a imprimé sous le nom de toute l’Académie, une partie de l’Histoire des Animaux. Elle contient leur anatomie, &c.

Vous voyez, Madame, qu’encor que je vous écrive depuis cinq années, j’ay toûjours quelque chose de nouveau à vous mander, non pas à l’égard de ce qui arrive chaque jour, & qu’on appelle Nouvelles, mais à l’égard de ce qui estoit déja étably en France depuis fort longtemps. Cela doit faire admirer le pouvoir, les bontez, & la magnificence du Roy, aussi-bien que les soins de ses vigilans Ministres.

[Reponses sur une Explication demandée dans le dernier Extraordinaire] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 132-141.

Voicy deux Réponses, l’une en Prose, & l’autre en Vers, sur l’explication qu’une Dame a demandée de la fin d’une Lettre qu’un de ses Amis luy a écrite, où elle a trouvé ces mots. Adieu, Madame, si je voulois vous dire la centiéme partie de ce que je pense, je n’aurois pas assez de papier ——— Ce trait vous dira le reste.

A MADAME ***

Quand vous demandez, Madame, ce que veut dire le trait dont vous témoignez estre inquiete, ce n’est point que vostre cœur empruntant le secours de vostre esprit, ne vous l’ait déja apris, mais vostre modestie vous fait soupçonner ces deux interpretes, & vous craignez qu’ils ne soient d’intelligence à vous abuser. Je voudrois pouvoir dissiper ce doute & vous confirmer dans les sentimens que l’amour vous doit donner, car je ne puis me taire sans crime, quand vous employez le Dieu Mercure pour me forcer à parler. Je ne m’expliqueray cependant que par une Fable, que vostre cœur, si je ne trompe, ne manquera pas de s’appliquer. Elle servira à vous faire voir qu’on doit aimer quand on est aimée.

Le jeune Daphnis avoit de l’amour pour Euristée, la Nymphe en avoit pour luy, & quoy que tous deux fort spirituels, ils ne sçavoient point les sentimens l’un de l’autre. Euristée estoit modeste, Daphnis timide, & aucun des deux ne se déclaroit. Daphnis se plaignant un jour de la cruelle contrainte où le respect l’obligeoit de vivre, l’Amour s’offrit à ses yeux dans son équipage accoûtumé, & luy fit quelques reproches de ce que son secours estant necessaire à tous ceux qui aiment, il ne songeoit point à l’implorer. Daphnis se montra tout prest à se ranger sous ses Loix, pourveu qu’il luy fournist un moyen de faire connoistre à Euristée qu’il l’aimoit, sans luy rien dire de sa passion. Hé-bien, dit l’Amour, prens un Trait dans mon Carquois, & le fais porter à Euristée par les Vents. Il suffit que j’ay disposé son cœur à te trouver à son gré. Elle a de l’esprit, & comprendra mieux par ce Trait l’amour que tu as pour elle, que si tu luy en faisois la plus touchante déclaration. Pour reconnoissance de ce bien-fait, sois luy fidelle. Daphnis crut l’Amour. Il envoya aussi-tost ce Trait à son aimable Euristée, & employa ces paroles à la fin d’un Billet qu’il y joignit. A dieu, charmante Euristée. Si je voulois vous dire la centiéme partie de ce que je pense, je n’aurois pas assez de papier ——— Ce Trait vous dira le reste.

Si ce Trait, Madame, vous a fait entendre ce que représente cette Fable, ne dédaignez pas de faire voir que je ne suis pas trompé, & que vous sçavez que j’aspire au bonheur de vous prouver que je suis le plus fidelle, & le plus passionné de vos Serviteurs,

A.D.B.D.

Il paroist que l’Autheur de cette Lettre a intérest que la Dame demeure persuadée de son Explication. L’autre Réponse sur ce mesme Trait est d’un caractere fort diférent. Vous la trouverez dans les Vers qui suivent.

A LA BELLE CLORIS.

Sur la demande que propose
Dame Provinciale, ou Dame de Paris,
Elle me semble, adorable Cloris,
Estre en peine de peu de chose.
Du moins, je n’en vois pas le fin ;
Son Amy se trouvoit au bout de son Latin,
Il ne sçavoit plus que dire.
Au lieu d’un & cætera,
Il a mis ce trait pour rire,
Et je pense que voila
Ce que l’on peut sur cela
Le plus justement écrire.
***
Ce n’est pas que ce trait ne souffre un autre tour,
Et qu’un Faiseur de Commentaire
  Qui chercheroit à plaire,
N’en puisse faire un trait, ou d’esprit, ou d’amour ;
Un trait d’amour pour l’amoureux silence
Que le respect impose à qui sçait bien aimer,
Quand on est prest d’expliquer ce qu’on pense ;
Un trait d’esprit, qui porte à suprimer
Ce qu’un autre Ecrivain, de moindre intelligence,
Tout au long voudroit exprimer.
***
Mais moy qui suis franc & sincere,
Je dis, & je crois que ce trait
N’enferme pas plus de mistere
Que l’& cætera de Notaire,
Et finit seulement un peu mieux le Billet
Que cette façon trop vulgaire.
***
Si pourtant vous voulez luy faire plus d’honneur,
Je n’ay garde d’avoir un sentiment contraire ;
Je croiray qu’il contient une grande douceur,
Et qu’il est plus galant que la fin ordinaire,
Où l’on trouve toûjours, Je suis de tout mon cœur
 Vostre tres-humble Serviteur.

[Réception faite à la Reyne Mere de Dannemark à la Cour de Hanover] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 141-155.

Le 25. du dernier mois, sur l’avis qu’on eut que la Reyne Mere de Dannemark estoit partie de Zelle pour venir à la Cour de Hanover, l’ordre fut donné à la Milice de prendre les Postes qui luy avoient esté assignez sur le passage de Sa Majesté, & en mesme temps on fit dresser une magnifique Tente dans une Prairie tres-spatieuse sur le grand Chemin à une lieuë de la Ville, où Monsieur le Duc de Hanover, Frere de cette Princesse, avoit dessein de la recevoir. Incontinent apres le Dîné, la Marche se fit de cette maniere.

Quatre Compagnies d’ordonnance, & cinq de Cavalerie, sortirent du Palais en bon ordre, ayant leurs Trompetes & leurs Officiers à leur teste. Tous les Cavaliers avoient de grands Bufles neufs chargez de Rubans de toutes couleurs, & leurs Officiers estoient en Juste-au-corps de Broderie d’or & d’argent, avec les Housses de leurs Chevaux de mesme parure.

L’Ecurie de Son Altesse Serénissime continuoit cette Marche. Elle estoit de trente Chevaux de main en Couvertures de Broderie de diférentes façons, mais toutes également superbes & riches. Les Chevaux avoient la teste si couverte de Rubans, qu’à peine pouvoient-ils voir devant eux. Le reste du corps en estoit chargé à proportion. Deux Ecuyers marchoient devant ces Chevaux, & tous les Palefreniers estoient en Livrées neuves de Drap rouge, semé de Galons d’argent & de Velours noir entremeslez. Cinquante Carrosses dorez, tous à six Chevaux, suivoient à la file. Ces Carrosses estoient remplis des principaux Cavaliers & des Dames les plus qualifiées de la Cour ; les Hommes en Juste-au-corps brodez ou galonnez d’or, & les Dames dans les plus riches ajustemens qu’on eust pû choisir, selon la mode de France. Celle qui se fit le plus distinguer, fut Madame la Baronne de Platen. Elle estoit vestuë d’une Etofe à fleurs d’or & d’argent, avec une Garniture de gros Diamans. Cet ornement produisoit un effet des plus brillans sur une Personne aussi grande, aussi belle, & aussi bien faite qu’elle est.

A la queuë de ces Carrosses on en voyoit un tres-magnifique, dans lequel estoit Mr le Baron de Platen Grand Maréchal de la Cour. Celuy du Lieutenant General de l’Etat, deux autres des quatre Genéraux Majors, & ceux des principaux Ministres, le precédoient.

La Compagnie des Gardes du Corps en Livrées tres-riches, leurs Trompetes & leurs Officiers à leur teste, tous en dorure & superbement vestus, donnoit un tres-grand éclat à cette Marche.

Le Carrosse de Messieurs les deux Princes aînez, George-Loüis, & Fréderic-Auguste, paroissoit un peu séparé de cette file. Quelques Gentilshommes, & plusieurs Pages à cheval, l’environnoient, & quantité de Valets-de-pied estoient à la teste des Chevaux. Celuy de Madame la Princesse suivoit immédiatement ce dernier. Il n’estoit pas moins pompeux, quoy qu’il ne fust point entouré de tant de monde. Enfin douze Trompetes & les Timbales de Son Altesse Serénissime, dans un fort leste équipage, annoncerent par leurs fanfares la venuë de ce Prince, qui sortit de son Palais dans le plus magnifique Carrosse qu’on puisse voir. Il estoit environné de quantité de Gentilshommes, de plusieurs Pages à cheval, & d’un grand nombre de Valets-de-pied à la teste des Chevaux. Six autres Carrosses suivoient, & une Compagnie de Cavalerie fermoit cette longue file.

Apres qu’on fut sorty de la Ville dans cet ordre, on se rendit sous la grande Tente, où la Reyne de Dannemark arriva un peu apres. Monsieur le Duc de Hanover suivy de cinquante Gentilshommes, & Madame la Duchesse avec les principales Dames de sa Cour, allerent recevoir Sa Majesté à la descente de son Carrosse. Son Altesse Serénissime luy donna la main, & Monsieur le Prince Royal de Dannemark la donna à Madame la Duchesse de Hanover. Un Gentilhomme de la Cour, & Lieutenant Colonel d’Infanterie, porta la queuë de la Reyne. Messieurs les Princes reçeurent le Prince de Holstein, & Madame la Princesse reçeut une jeune Princesse de Meklebourg, de la Branche de Gustrau. Toute cette belle Troupe demeura quelque temps sous la Tente, & remonta en suite en Carrosse. La Reyne fut seule dans le fond de celuy de Son Altesse. Monsieur le Prince Royal, & Madame la Duchesse de Hanover, se mirent sur le devant, & Monsieur le Duc à la Portiere.

Mr le Prince de Holstein monta dans le Carrosse de Messieurs les Princes, & la jeune Princesse de Meklebourg dans celuy de Madame la Princesse.

On passa de cette sorte à la Porte de la Ville, laquelle salüa d’abord la Reyne de douze volées de Canon, qui furent suivies de cent autres apres qu’elle fut passée, car elle marcha tout droit à une Maison de campagne appellée Hornhans, à la portée du Canon de Hanover. Cette Maison avoit esté préparée pour son Logement. Deux Regimens d’Infanterie qui estoient postez sur le Chemin, firent leurs salves apres que Sa Majesté en fut un peu éloignée.

Il y eut un magnifique Soupé, pour lequel on avoit dressé sept grandes Tables, outre celle de la Reyne, qui fut seulement de douze Couverts. Quand elle lava, deux Generaux Majors présenterent, l’un l’Eguiere, l’autre le Bassin ; le Grand Maréchal de la Cour, la Serviete ; & un Lieutenant Colonel, une Assiete pour prendre les Gands de cette Princesse. La mesme Cerémonie fut observée en sortant de table. Monsieur le Prince Royal prit place à la droite, & Madame la Duchesse de Hanover à la gauche, à la distance d’un Couvert de costé & d’autre de Sa Majesté. Apres le Prince Royal, suivoient Son Altesse Serénissime Mr le Prince de Holstein, Messieurs les deux Princes aînez de Hanover, & le Grand Ecuyer de la Reyne. Du costé gauche estoient Madame la Princesse de Meklebourg, Madame la Princesse de Hanover, la Dame d’honneur, & le Grand Maréchal de la Reyne. Les Violons François firent des merveilles à leur ordinaire, & pendant tout le Soupé le Sr Farinel fit valoir les Airs du fameux Lully, qui fait admirer par tout les agrémens de sa Symphonie.

Le lendemain on servit les mesmes Tables avec une égale magnificence. L’apresdînée on fit voir la Grote, la Cascade, & les Jets d’eau, à Sa Majesté. Le soir il y eut deux Comédies, l’une sérieuse, & l’autre comique ; & le jour suivant, cette Princesse traversa la Ville pour aller à Pyrmont, où elle arriva le 29. de l’autre mois.

[Lettre en Proverbes] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 155-163.

On continuë de prendre plaisir à écrire des Lettres en Proverbes. En voicy encor une nouvelle, adressée à la spirituelle Personne qui en a donné l’exemple.

REPONSE A LA LETTRE EN PROVERBES DE MADEMOISELLE ***

Pour vous payer en mesme monnoye, & Chou pour Chou, je fais réponse aujourd’huy, veille de demain, à vostre Lettre, laquelle est fort, Mademoiselle, gentille ; mais n’estant pas assez bien ferré à glace pour y réüssir, je crains d’oublier quelque virgule, & qu’on ne dise de moy, faute d’un point Martin perdit son Asne. Mais baste. A tout perdre, il ne faut qu’un coup. Quand ma fortune sera faite, je n’auray que faire d’aller en Hollande. Le doute que vous avez de mon affection, me fait ronger des os toutes les nuits ; & lors que tous les jours pendant vostre absence je mets vos loüanges sur le tapis, je croy toûjours que l’on me va dire, en parlant du Loup en en voit la queuë. Il est vray que vous ne pouvez pas estre en mesme temps au Four & au Moulin ; mais aussi en matiere d’amitié, c’est comme au Moulin, le premier venu doit estre le premier engrainé. Si vous me dites que ce n’est pas pour moy que le Four chauffe, je vous répondray aussi que vous n’avez qu’à fermer la main, & dire que vous ne tenez rien. Bien attaqué, bien défendu. Avec les Loups il faut hurler, & aboyer avec les Chiens. Point de rancune, je vous prie, autrement je deviendrois muet comme une Carpe pâmée. Si vous me reprochez que je fais des Coq-à-l’asne, je vous diray que changement de discours réjoüit l’esprit ; outre plus, toûjours pesche qui en prend un. Pourveu que vous m’aimiez autant que je vous aime, je m’appelle la Roche. Vogue la Galere. Je me moque des Rats, il n’y a point de Blé dans mon Grenier. Si pourtant quelque Envieux trouve à redire à nostre amitié, Mademoiselle, tres-innocente, & qu’il dise, luy & elle ce n’est qu’un, ils s’entendent comme Larrons en Foire ; laissez-moy faire, je suis Homme pour luy. Je luy feray voir qu’à une injure de Trompete il faut une défense de Tambour. Ce que j’en dis pourtant, ce n’est pas que j’en parle ; car je me soucie aussi peu de luy que de ma vieille Chemise ; & puis, si l’Envie ne meurt point, les Envieux mourront. Mettez en fait que quand je dis la verité je ne mens point. Je souhaite vous voir avec autant d’amour & de passion que les Quinze-Vingts de Paris. Les Montagnes ne se rencontrent point, mais si font bien les Hommes. Je partiray demain, mais non pas le prochain, car l’Homme propose, & Dieu dispose. Si j’estois Sorcier comme une Vache, je vous dirois la chose au net ; mais je ne devine que ce que je vois. Peut-estre direz-vous, que mes mépris me servent de loüanges. Si vous voulez tourner la Médaille, & mettre la Charette devant les Bœufs, vous trouverez que mes loüanges me servent de mépris. Je ne vous dis aucune nouvelle, car vous sçavez tout avec plusieurs autres choses ; mais je vous diray, faites toûjours bien, & j’en prendray le peché. Je suis ravy de sçavoir que vous aimez bien courte Messe & long Dîné ; car enfin finale, est assez presché qui veut bien faire ; & on ne perd que sa lescive à laver la teste d’un More. A propos de Bottes, voicy un beau Baston. Je veux finir icy ma Lettre, Mademoiselle, assez jolie. Si vous n’en voulez point, couchez-vous aupres. Si vous n’estes pas contente, prenez des Cartes. Quand on fait ce qu’on peut, on n’est point coupable. Personne ne peut donner ce qu’il n’a pas. Je vous en ay plus rendu que vous ne m’en avez donné. Grand-mercy de vos Choux, la Soupe estoit de nostre Pain ; & parce que la fin couronne l’œuvre, écoutez-moy, car à un bon Entendeur il ne luy faut qu’une demie parole. Vous sçavez bien ce que je vous suis, rien du tout si vous ne voulez. Entrez dans ma pensée touchant cette parole, car je la dis de bouche, mais le cœur n’y touche. Bon jour & adieu, c’est bientost fait. Tirez le Rideau, la Farce est joüée. Je vous aimeray, malgré vous & vos dents, jusqu’à la semaine des trois Lundis, huit jours apres jamais.

Le Jeune Sans soucy, de Guise.

Avanture §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 166-169.

Le triste accident dont je vay vous faire part, a bien fait verser des larmes. Un Gentilhomme marié dans le Rommois, Diocese de Roüen, ayant une Fille de son premier Mariage, épousa en secondes Nôces une Veuve qui de son costé avoit un Fils. La Dame mourut, & ces deux jeunes Personnes eurent à peine atteint l’âge de s’engager dans le Sacrement, que le Cavalier jetta les yeux sur la Demoiselle. Elle estoit belle, avoit de l’esprit, & un enjouëment d’humeur qui la faisoit souhaiter par tout. Aussi donna-t-elle tant d’amour au Cavalier, qu’il devint jaloux de tous les Rivaux qu’il crut avoir. Il le fut sur tout jusques à l’excés d’un Gentilhomme, à qui la Belle ne déplaisoit pas. Apres deux ou trois visites, il le fit prier de ne plus venir chez elle. Il ajoûta les menaces aux prieres, & passa enfin jusqu’à la fureur. Ayant sçeu un jour que ce Gentilhomme avoit tenu compagnie à une Parente chez cette aimable Personne, il vint tout à coup avec un Fusil à la porte de la Salle, & regardant son Rival se mit en état de s’en défaire. La Belle qui craignit quelque malheur, courut à luy pour le retenir. Le Fusil tira, & elle reçeut le coup. Elle en mourut dés le lendemain, 16. du dernier mois, à neuf heures du matin, sans qu’il fust possible de remedier à sa blessure. Les sentimens de détachement & de pieté qu’elle fit paroistre dans ce peu de temps, ne se peuvent concevoir. Jugez du désespoir de ses deux Amans.

Narcisse. Fable §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 169-173.

Autre accident qui n’est pas commun. Une Belle est morte par excés d’amour. Je ne vous puis dire si la langueur qui a terminé ses jours, a esté causée par l’insensibilité du Cavalier qu’elle aimoit, ou par les obstacles que les Parens ont apportez à sa passion. Je sçay seulement que sa mort a donné occasion à celuy qui prend le nom du Berger fidelle des Accates, d’envoyer à cet Amant les Vers que vous allez voir.

NARCISSE.
FABLE.

Jadis vivoit au pied du Mont Parnasse
Un Berger plus beau que le jour,
Qui préferoit le plaisir de la Chasse
Aux tendres douceurs de l’Amour.
C’estoit en vain que Nymphes & Bergeres
Abandonnoient le soin de leurs affaires,
Pour aller grossir sa Cour ;
Car plutost avec un crible
On eust desseché la Mer,
Que porté cet Insensible,
En charmant tout, à se laisser charmer.
C’estoit enfin une chose impossible,
Témoin l’avanture d’Echo.
Cette Nymphe trop susceptible,
Avoit de l’embonpoint, les yeux vifs, le teint beau,
L’air enchanté, la taille faite à peindre.
A la voir on eust aisément
Juré qu’elle n’auroit jamais lieu de se plaindre
De la cruauté d’un Amant.
Cependant de son sort admirez l’injustice,
Elle secha sur ses pieds de douleur,
De voir nostre Berger Narcisse
Luy refuser l’empire de son cœur.
Aussi ne tarda-t-il guére
D’en payer la folle enchere ;
Car un jour qu’il resvoit sur les bords d’un Ruisseau
Aux cruels effets de ses charmes,
Qui portant dans les cœurs de charmantes allarmes,
Mettoient pourtant les Nymphes au tombeau,
Il apperçeut sa figure dans l’eau.
A cette veuë il sentit dans son ame
Naître des mouvemens de tendresse & de flâme.
Il se méconnut, & soudain
De la raison ayant perdu l’usage,
Dans les convulsions d’une amoureuse rage
Il plongea tout vestu (sans-doute dans son sein,
Amour, tu mis ce funeste dessein)
Desirant de joüir par un prompt Mariage
De sa froide & mouvante Image.
C’est ainsi que nostre Blondin
Périt à la fleur de son âge,
Pour avoir eu le cœur trop libertin.
Quiconque l’imite est peu sage,
Et court risque d’avoir un semblable destin.

[Tout ce qui s’est passé au transport du Corps de feu M. le Duc de Lesdiguieres en Dauphiné, & les Honneurs funebres qui luy ont esté rendus en cette Province] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 256-278.

Ma Lettre du mois de May vous apprit la mort de Mr le Duc de Lesdiguieres. Son Corps ayant esté embaumé fut mis en dépost dans l’Eglise de S. Germain en Laye, & y demeura le nombre des jours qu’on a de coûtume d’y laisser les Personnes de sa naissance. Des Prestres l’y garderent nuit & jour, avec douze grands Flambeaux de cire blanche toûjours allumez. Cependant, Madame la Duchesse de Lesdiguieres sa Veuve, dont la pieté est connuë de tout le monde, luy fit faire icy un Service tres-pompeux dans l’Eglise de S. Paul, Paroisse de l’Hôtel de Lesdiguieres. Il y eut une affluence extraordinaire de Personnes du premier rang, de l’un & de l’autre Sexe. L’ordre fut donné en suite pour porter son Corps en Dauphiné, où est le Tombeau de ses Ancestres. On le posa sur un Chariot couvert d’un grand Drap noir, croisé de blanc, & frangé d’argent, avec les Armoiries de Lesdiguieres & de Créquy. Vous sçavez, Madame, que ce Duc estoit l’Aîné de l’illustre Famille de Créquy. Ce Chariot estoit attelé de six Chevaux noirs, caparaçonnez & couverts de noir jusques à terre, & accompagné de Mr de Vaucluse, ancien Gentilhomme de la Maison, de Mr de Flote, Gentilhomme de la Maison de Madame la Duchesse de Lesdiguieres, de plusieurs Pages, & autres Domestiques, de quelques Carrosses, & d’un grand nombre de Chevaux de main. Il reçeut beaucoup d’honneur dans toute la route, & rien n’eust manqué à ceux qu’on luy eust rendus dans le Dauphiné, si Madame de Lesdiguieres n’eust tenu secret le départ de ce Convoy, afin d’épargner à cette Province les dépenses qu’elle jugeoit bien que l’on voudroit faire. En cela elle pratiqua la modestie de la grandeur veritable, & suivit l’exemple de cet illustre Défunt, qui par les mesmes raisons arrivoit toûjours à Grenoble, de nuit & en Poste. Le Corps reposoit déja dans l’Eglise de Moirene, qui n’est qu’à trois lieuës de cette Capitale du Dauphiné, quand on y apprit qu’il y passeroit le lendemain. Les Officiers de Milice s’assemblerent aussitost chez Mr Baudet, Pere de Mr de la Ronziere Conseiller au Parlement, Premier Capitaine, & allerent recevoir les ordres de Mr de S. André, Premier Président, Commandant dans la Province. Le lendemain au matin, les Consuls de Grenoble, animez de leur zele accoûtumé, & voulant marquer combien ils avoient de reconnoissance pour toutes les graces que la Ville avoit reçeuës de Mr de Lesdiguieres & de ceux de sa Maison, partirent avec leurs Robes de cerémonie, accompagnez de l’Hôtel de Ville, devancez par les Huissiers & Valets en deüil, leurs Chevaux couverts de Housses noires traînantes ; & s’estant rendus à Moirene, prirent le devant du Chariot, qui de Paroisse en Paroisse fut précedé toûjours du Clergé. Les Religieux Prieurs de S. Robert, entre Moirene & Grenoble, ne voulurent pas s’exempter de ce devoir, quoy qu’ils ne fassent jamais de pareilles fonctions. Tandis que le Convoy approchoit, les onze Compagnies de Milice, ayant Mr Baudet à leur teste, sortirent hors de Grenoble par la Porte nommée de France, bastie par les soins du Connestable de Lesdiguieres. Ces Compagnies assemblées en si peu d’heures, ne laisserent pas de monter à pres de quinze cens Hommes, qui, rangez en Bataille par Mr de S. Sauveur Major de la Ville, borderent l’Isere, & occuperent une partie du terrain qui est depuis la Porte jusqu’au lieu où ce terrain est coupé par cette mesme Riviere. Dés que le Convoy arriva au Camp, elles commencerent à prendre leur marche, les Capitaines & Lieutenans portant leurs Piques sous le bras, la pointe en arriere, & presque traînante. Les Drapeaux estoient voilez de Crêpe, & portez aussi sous le bras la pointe baissée en avant. Les huit ou dix Sergens de chaque Compagnie tenoient leurs Hallebardes la pointe dessous & pendante, & les Soldats portoient leurs Mousquets la crosse sous le bras gauche, avec la bouche en arriere. Les Tambours qu’on avoit aussi voilez de noir, faisoient paroistre l’Ecusson des Armes de Lesdiguieres. Leur Baterie estoit celle des Convois funebres. Enfin tous les Officiers, Sergens, Caporaux, Tambours, & Valets de la Suite des Officiers, avoient des Habits de deüil & de longs Crêpes, aussi-bien qu’une partie des Soldats. Jugez par toutes ces choses combien cette Marche estoit lugubre. Le grand silence qu’on y observa, joint à la tristesse qu’on voyoit peinte sur tous les visages, fit assez connoistre ce qui se passoit dans le cœur des Assistans. Tous les Corps Ecclesiastiques, non seulement de Grenoble, mais des environs, vinrent au devant de ce Convoy jusques à la Porte de la Ville, avec leurs Banieres noires, & prirent leur rang accoûtumé, chaque Chanoine, Prestre, ou Religieux, ayant un Cierge à la main. Apres eux marchoit un nombre de Pauvres, vestus de noir, portant chacun un Ecusson des Armes de la Ville. La Compagnie des Gardes précedoit immédiatement le Chariot, autour duquel on avoit rangé douze Sergens de la mesme Milice, qui avec leurs Hallebardes écartoient la grande foule. L’Hôtel de Ville suivoit avec ceux de la Maison de Mr de Lesdiguieres, tant de Paris que de Grenoble. Le Peuple fermoit la Marche, & fit paroistre une contenance toute desolée. Mais rien ne fut plus touchant que ce que l’on entendit, quand les Habitans, accourus dans une multitude prodigieuse jusqu’à la Porte de France, apperçeurent les tristes Reliques de leur Gouverneur. La consternation qui jusque-là s’estoit emparée de tous les Esprits, se changea en des transports dont ils ne pûrent retenir l’éclat. Ce ne furent que voix confuses de gémissemens & de regrets ; & comme s’ils eussent voulu estre ingénieux à augmenter leur douleur, chacun à l’envy marquoit quelque grace, quelque acte de bonté ou de justice, dont il estoit redevable à cette Ame veritablement magnanime, ne cessant tous de pousser des vœux pour le repos de celuy qui avoit contribué si souvent au leur, qui en quantité d’occasions avoit fait céder ses intérests à ceux du Public, & qui enfin avoit esté le parfait Imitateur de Mr le Duc son Pere, dans le grand nombre de pieuses Pensions qu’il avoit données à des Particuliers de Grenoble, par de purs motifs, qu’on ne sçauroit mieux nommer qu’en les nommant de Lesdiguieres, puis que la genérosité est si naturelle à ceux de cette Maison. Ce triste Convoy arriva sur les neuf heures du soir à l’Eglise Cathédrale de Nostre-Dame, au son de toutes les Cloches de la Ville. La Milice campa dans la Place qui est au devant de cette Eglise, & le Corps fut descendu à l’entrée par huit des Sergens, quatre Gentilshommes ayant pris les bouts du Drap. Il reposa jusqu’au lendemain dans une Chapelle toute environnée de grands Flambeaux. Pendant la nuit, on posa un Corps-de-garde de dix Hommes, & un Sergent de chaque Compagnie, avec un Capitaine, un Lieutenant, & un Enseigne. Le jour suivant, à cinq heures du matin, la Messe fut celébrée, & le Corps remis un peu apres sur le mesme Chariot, qu’on accompagna dans le mesme ordre jusques au Convent des Récolets, hors la Porte de Bonne. La Milice y tenoit deux hayes ouvertes, au milieu desquelles le Convoy passa ; apres quoy les Soldats firent la Salve de leur pitoyable adieu. Le Corps reposa ce mesme jour à la Mare, qui est une de ses Terres. Les Prestres de la Paroisse, les Capucins, les Penitens, & les Principaux du Lieu, vinrent au devant jusques à Pierre-Chastel, distant d’une lieuë, & l’accompagnerent le lendemain jusques à Ponthaut, éloigné d’une autre lieuë, où les Peuples de tous les environs estant accourus, firent voir par leurs regrets combien ils sentoient sa perte. Il fut mis ce mesme jour au Tombeau de ses Ancestres. C’est un Mausolée, enrichy de plusieurs Figures de marbre blanc & noir, d’une sculpture admirable, dans le Chasteau de Lesdiguieres, Lieu de la Pairie.

Il me reste à vous parler du Service solemnel qui fut fait pour luy le Vendredy 11. de ce mois dans la Cathédrale de Grenoble. Ce jour ayant esté pris, les Officiers de Milice se saisirent dés cinq heures du matin de toutes les Portes & Avenuës de l’Eglise, qu’ils firent garder par les Sergens pour empescher la confusion. Elle estoit tenduë de noir, avec une double Litre de Velours neuf, chargée de l’Ecu de Lesdiguieres d’un pied à l’autre. Sept Litres de mesme, ornées des mesmes Ecus, couvroient tout le Grand Autel, ainsi que la Chaire du Prédicateur. Un nombre infiny de Cierges allumez par tout, éclairoit l’Eglise, qui ne recevoit que cette lumiere, toutes les Fenestres estant fermées par de grands Draps noirs. Au milieu du Chœur estoit le Mausolée, élevé sur quatre Marches, couvertes de six-vingts Flambeaux d’argent, garnis de Cierges chacun d’une livre. Le Parlement s’y rendit en Corps sur les neuf heures, avec la Chambre des Comptes, & ces Compagnies prirent leurs places à leur ordinaire à chaque costé du Chœur. Mr l’Intendant de la Province qui y assista, se mit immédiatement apres les Présidiens à Mortier. Les Consuls & les Officiers de Milice furent placez au milieu du Chœur sur des Sieges mis en travers, & drapez de noir. Mr Morel Conseiller au Parlement, & Chanoine de cette Eglise, officia en l’absence de Mr l’Evesque de Grenoble qui estoit allé faire sa Visite ; & apres la Messe, l’Oraison Funebre fut prononcée par le Pere Brenier Jesuite, celebre Prédicateur. Il eut beaucoup de succés, & fit paroistre une éloquence tres fine dans les trois Parties de son Discours, qui furent, Grandeur à l’Armée, Grandeur à la Cour, & Grandeur parmy les Siens & avec le reste du Monde. Il prit pour Sujet de la premiere, ce que sçait toute l’Europe de l’illustre Duc dont il parloit ; & dans les deux autres, il fit éclater mille endroits de probité, de bonté, de cordialité, de compassion, de justice, & de genérosité, autres que ceux qui estoient publics. Il releva tous ces endroits de vertu, ausquels l’ostentation n’avoit jamais eu de part, comme partans d’un fond de bon naturel & de magnanimité, & finit trop tost pour la satisfaction de ses Auditeurs. Les Boutiques de la Ville furent fermées pendant tout ce jour, & le Parlement ne donna point d’Audience.

Le Berger Fleuriste, à la Nymphe des Bruyeres §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 281-288.

Je vous ay déja parlé bien des fois du Berger Fleuriste, & la délicatesse de son esprit vous est connuë par plusieurs de ses Ouvrages qui ont embelly mes Lettres. Ainsi je ne sçaurois mieux vous préparer à une lecture agreable, qu’en vous disant que le Billet que vous allez voir est de sa façon. Il accompagnoit un Présent de Fleurs, envoyé à une Belle le jour de sa Feste.

LE BERGER FLEURISTE,
A la Nymphe des Bruyeres.

Ne vous envoyer point de Fleurs le jour de vostre Feste, belle Nymphe, & vous écrire pour excuse que les plus brillantes des Parterres perdent leur lustre aupres de celles de vostre teint ; qu’à vostre approche les plus blanches semblent devenir pâles, & les plus vermeilles rougir de honte, & que deux Soleils feroient bientost mourir ce qu’un seul fait naître,

 Ce seroit faire le Badin,
Et vous donner d’assez mauvaise grace,
 Pour de belles Fleurs de Jardin,
 Les plus communes du Parnasse.
L’amitié tendre, aussi-bien que l’amour,
 Vous en doit, du moins en ce jour,
 Présenter de plus naturelles.
Ce tribut appartient au nom que vous portez ;
 Et s’il se paye aux moindres Belles,
Vous, que l’on voit briller de cent rares beautez,
Je vous laisse à penser, si vous le méritez.

Ne vous en offrir d’ailleurs qu’en petite quantité, & vous mander pour raison de cette épargne,

 Vous en auriez eu davantage.
  Mais quoy, dés le matin
Les Abeilles ont mis le Parterre au pillage,
 Et s’en vont avec leur butin.
Il leur faut pardonner aujourd’huy ce ravage,
 Elles l’ont fait à bonne fin.
Les Zéphirs mes amis, m’ont dit que cette Queste
Estoit pour celébrer, par un fameux Festin,
  Ce jour de vostre Feste.

Je vous connois, belle Nymphe. Vous seriez d’humeur à ne croire ny les Zéphirs, ny leur Truchement, & l’on courreroit risque de ne passer aupres de vous que pour un Conteur de Nouvelles faites à plaisir L’inconvénient m’a paru fâcheux, & pour l’éviter, j’ay fait amasser des Fleurs, & vous en envoye trois Corbeilles toutes pleines.

Céladon, de ma part, vous les va présenter,
  Et j’ose me flater
 Qu’elles vous seront agreables.
Elles parfument l’air d’une charmante odeur ;
L’innocence & l’amour brillent dans leur couleur,
 Il n’en est point de plus aimables.
Les Roses & les Lys n’ont point tant de beautez,
Ce sont pour les Autels des ornemens passables ;
Mais voicy ce qu’il faut pour les Divinitez.

Fleurs d’Orange & de Grénade, Jasmin de France & d’Espagne, & Oeillets de toutes les sortes. Je n’ay pas voulu les mettre en Bouquets, ç’auroit esté entreprendre mal-à-propos sur cet esprit de discernement & d’invention dont vous estes pleine jusqu’au bout des doigts, & qui rend tous vos Ouvrages si beaux, qu’on n’en voit point de mieux travaillez que ceux qui sortent de vos mains.

 C’est donc à vostre adresse
 A faire valloir leur richesse,
A ménager leur rang, leur éclat, leur douceur,
Et puis à les placer sur vostre aimable cœur.
C’est là que vous allez finir vos destinées,
 Fleurs trois fois fortunées ;
Et c’est là qu’un Amant mettroit tout son bonheur
  A finir ses années.

Pour moy, belle Nymphe, bien que je ne sois qu’au nombre de vos Amis, sans mentir, en cette rencontre, si je l’ose dire,

Je suis du sentiment de vos Adorateurs.
Je voudrois bien avoir le destin de mes Fleurs.
 Tout iroit à me satisfaire,
Vous me regarderiez comme un joly présent,
 J’aurois le bonheur de vous plaire,
Et je mourrois en vous plaisant.
Est-il rien de plus doux, & de plus innocent ?

Chanson à boire §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 289.

Apres tous les Airs d’amour que je vous ay envoyez depuis plusieurs mois, vous serez bien-aise d’en voir un à boire. Les Paroles ont esté notées par un fort habile Maistre.

CHANSON A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : la Chanson à boire, qui commence par L’Hoste de ceans, doit regarder la page 289.
L’Hoste de ceans nous fait mal sa Cour,
Il mérite qu’on le gronde.
Quoy, n’avoir qu’un Valet pour verser à la ronde,
Et ne boire que tour-à-tour ?
  Pour nostre soif extréme
Est-il rien de plus importun ?
Croyez-moy servons-nous nous-mesme,
Nous boirons quatre coups pour un.
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[Explications en Vers des deux Enigmes du dernier Mois] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 290-291.

La seconde Enigme du dernier Mois, n’a pas seulement trompé vos Amies, mais plusieurs autres Personnes, qui ayant trouvé que le Feu estoit le vray Mot de la premiere, ont crû en devoir chercher un autre pour cette seconde. Cependant toutes les deux avoient esté faites sur le Feu, & c’est ce qui a donné lieu à ce joly Madrigal de Mr Daubaine.

De Mercure à Philis la diférence est grande.
Si quelqu’un de vous me demande
En quoy, comment, d’où vient qu’ils s’accordent si peu,
Il faut que je le satisfasse ;
C’est que Mercure est tout de Feu,
Et Philis est toute de glace.

[Explication d’une précédente énigme]* §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 297-298.

On a expliqué la seconde sur le Vin, l’Eau, le Tonnerre, le Charbon de terre, & la Mine ; & ceux qui ont connu que c’estoit le Feu, sont Mrs Pinchon, de Roüen ; De Clacy, de Caën, Avocat au Parlement de Paris ; & le Solitaire du Parnasse de Rheims, ces deux derniers en Vers.

Enigme §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 298-300.

Le Berger Fleuriste a fait la premiere des deux nouvelles Enigmes que je vous envoye. Le jeune Solitaire de Poitiers est l’Autheur de la seconde.

ENIGME.

Voicy deux Sœurs des plus aimables,
Dont l’une est Reyne, & l’autre Roy.
Leurs appas sont divins, si l’on en croit les Fables ;
Et sans eux, ou sans leurs semblables,
Vous qui pouvez de bonne-foy
A mille Cœurs donner la Loy,
Jeunes Beautez, (que de deüil & de larmes !)
Vous n’auriez pas la moitié de vos charmes.
***
En faveur de leurs grands attraits
On les aime par toute terre.
L’une, sur tout, en France ; & l’autre en Angleterre ;
Et ces Etats en ont grand nombre de Portraits,
Des plus riches, & des mieux faits.
***
Le Roy se soûtient de luy-mesme,
Il est grand, droit, & vigoureux ;
La Reyne est foible & tendre, & mérite qu’on l’aime,
Aussi son air est amoureux.
Mais la Belle a des Gardes
Armez de bonnes Hallebardes,
Pour la défendre, ou la vanger
De l’Etourdy qui la veut outrager.

Autre Enigme §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 300-301.

AUTRE ENIGME.

Quiconque s’est servy de moy,
Sçait combien à présent utile est mon employ.
Mon Corps est simple & froid autant qu’on le peut estre ;
Il est pourveu de plusieurs bras
Dont le nombre ne doit faire aucun embarras.
Qu’il suffise au Lecteur qui cherche à me connoistre,
Que de moy sans cela l’on feroit peu de cas.
Il ne faut point que l’on s’étonne,
Si ce que je n’ay pas, quand on veut, je le donne.
De moy-mesme je ne puis rien,
Par le secours d’autruy je rens le mien utile,
Et je ne fais ny mal ny bien,
Tandis qu’on me laisse inutile.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 301-307.

L’Amour est le Dieu des Avantures, & il en fait naître tous les jours qui nous convainquent qu’il n’y a point d’âge qui puisse mettre les cœurs à couvert de son pouvoir. Un galant Homme ayant épousé une Demoiselle dont le mariage l’accommodoit, logea chez luy avec grande joye une Sœur cadete, qui n’ayant plus ny Pere ny Mere, partageoit avec sa Femme tout le Bien de la Maison. Il avoit grand soin de sa conduite, & luy preschoit si souvent l’infidelité des Hommes, qu’il luy fut aisé de voir par quel motif charitable il luy en vouloit donner du dégoust. Sa Succession le regardoit ; & quoy qu’il n’osast luy conseiller la retraite, il n’eust pas esté fâché qu’elle eust pris party dans le Convent. La Belle qui lisoit dans ses pensées, se donnoit souvent le plaisir de les flater. Elle marquoit du mépris pour tous les plaisirs du monde, plaignoit la folie de celles qui écoutoient des douceurs ; & à l’entendre, le nom d’un Amant luy estoit insuportable. Rien ne plaisoit tant à son Beaufrere. Il croyoit déja luy voir une Guimpe, & dans le détachement qu’elle montroit tous les jours, il luy donnoit le nom de Béate, & ne faisoit plus qu’attendre qu’elle remplist sa vocation. Il l’attendit inutilement. Quoy qu’il pust faire pour l’y affermir, ses soins n’empescherent point qu’elle ne trompast ses espérances ; & ce qui luy fut le plus fâcheux, c’est que ce malheur luy arriva d’où il devoit le craindre le moins. Il avoit encor son Pere, qui gardant chez luy un Apartement, contribuoit aux frais du ménage. C’estoit un Homme d’un mérite distingué, & à qui un grand Prince avoit fait l’honneur de le choisir pour agir dans ses affaires. Comme il avoit soixante & douze ans, son Fils ne pust soupçonner qu’il eust encor l’ame tendre. Cependant à force de voir la Belle, il en demeura charmé. Apres quelque temps perdu à luy dire en general mille choses obligeantes, il luy parla sérieusement. Elle l’écouta malgré son âge. Ils convinrent de leurs faits, & ce fut par son avis qu’elle se feignit dégoûtée du monde. Ils ébloüirent par là les Surveillans qu’ils avoient à craindre ; & pour ne les pas chagriner avant le temps, ils se donnerent la foy en secret, & le bon Homme se rendit heureux sans que personne en pust rien connoistre. Les mesures qu’on le pria de garder pendant quelques mois, demandant de luy de grandes contraintes, il commençoit à les trouver importunes, quand la Belle s’apperçeut qu’il estoit temps de parler. Elle déclara son mariage, qui fit d’autant plus de peine aux Intéressez, qu’ils la virent en état d’estre bientost Mere. L’Avanture donna sujet de parler à toute la Ville, où la Belle est présentement reconnuë pour Bellemere de sa Sœur aînée, & son vieil Epoux pour Beaupere & Beaufrere de sa Bellefille.

[Sur une tournure stylistique du Mercure galant]* §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 316-320.

Encor une fois, Madame, (car je me souviens de vous en avoir déja priée) je vous conjure d’obtenir de vos Amis de ne faire aucun pary sur mes manieres d’écrire. Si j’ay mis dans l’Histoire de l’Avare du dernier Mois, l’irréguliere structure du Corps de la Mariée, & non pas la structure irréguliere, ce n’a point esté sans y songer, mais par la mesme raison qui oblige ceux pour qui vous m’avez écrit, à préferer ce dernier arrangement à l’autre, je veux dire, parce que le premier m’a paru plus doux, & que le redoublement de la lettre r, m’a fait quelque peine dans ces deux mots, la structure irréguliere. Je n’ay jamais crû qu’on dust se faire une regle de mettre par tout le substantif avant l’adjectif. L’un est fort souvent préferable à l’autre, & il me paroist qu’il en faut laisser décider l’oreille. Il y a mesme plusieurs adjectifs, qui doivent toûjours préceder le substantif. Petit & grand sont du nombre ; & si c’est fort bien parler de dire, le juste dépit qu’il eut de voir, &c. on parleroit Allemand, si on disoit, le dépit juste qu’il eut. Vous ajoûterez ce qu’il vous plaira à la Réponse que vous avez souhaitée de moy sur cet Article. Comme les Dames ont les sentimens tres-délicats, elles s’expriment aussi avec beaucoup de justesse, & vous n’avez qu’à vous consulter vous-mesme, pour juger les diférens que vous voyez naistre sur la Langue. Vous estes d’un Sexe dont les Ouvrages font voir, que l’heureux talent de dire aisément les choses luy a toûjours esté naturel.

[Daumalinde, Princesse de Lusitanie] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 320-321.

Aussi sont-ils recherchez avec un empressement extraordinaire, & c’est ce que nous voyons encor aujourd’huy par le grand débit qu’on fait du Livre intitulé, Daumalinde, Princesse de Lusitanie. Il est tout mistérieux, & donne fort à resver à ceux qui se piquent de sçavoir la carte de la Cour. Il est fait par Madame de S. Martin. C’est vous dire tout, que vous la nommer. Il ne faut rien davantage, pour en donner une idée parfaite à ceux qui connoissent comme vous les Personnes distinguées.

[Le Circé, Livre en Dialogues] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 321.

Le Sr de Luyne, Libraire au Palais, débite un autre Livre nouveau, que vous trouverez tres-digne de l’estime qu’on en fait. On l’appelle la Circé. C’est une Traduction de l’Italien de Jean-Baptiste Gelli. Ce Livre est divisé en plusieurs Dialogues tres-curieux, qu’on ne peut lire avec application sans en tirer beaucoup d’avantages, pour se connoistre soy-mesme.

[Régal fait à la Reyne, par M. de Louvoys, dans le Chasteau de Meudon] §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 337-339.

Monseigneur le Dauphin estant dans une entiere santé, & Madame la Dauphine presque tout à fait remise, on a jugé à propos de luy faire changer d’air, parce que quelque bon que soit celuy qu’on respire dans un Lieu ou l’on est tombé malade, il semble qu’on ne se puisse rétablir parfaitement que dans un autre. Si ce n’est la verité, du moins est-ce la pensée de la plûpart des Malades, & vous sçavez que dans ces sortes de choses l’opinion fait beaucoup. Toute la Cour partit de Versailles le Lundy 28. de ce Mois, & alla coucher à Villeroy, & le Mardy à Fontainebleau. Si la santé de Madame la Dauphine eust esté plus forte, on s’y seroit rendu en un jour, ainsi que l’on a accoûtumé. Il y eut Comédie Françoise dés le lendemain. Vous jugez-bien que l’on y prendra tous les divertissemens du Lieu & de la Saison. La Cour peut se divertir, quand le Monarque travaille sans cesse.

[Avis sur la division du Mercure en deux parties]* §

Mercure galant, juillet 1681 (première partie) [tome 7], p. 341.

Le Mercure de ce Mois est divisé en deux Parties, qui se vendent trente sols chacune, & dont la seconde contient la Negotiation du Mariage de Son Altesse Royale de Savoye avec la Serénissime Infante de Portugal, & le Voyage de Mr le Marquis de Dronero Ambassadeur de S.A.R. à Lisbonne pour la Celébration des Fiançailles.