1681

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1681 [tome 12].
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Mercure galant, novembre 1681 [tome 12]. §

[Avant-propos, accompagné d’Ouvrages en Prose & en Vers] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 1-17.

Je vous ay fait voir, Madame, en vous parlant de Strasbourg la derniere fois, que le Roy regle toutes ses actions sur la Justice. Il la consulte toûjours avant que de faire aucune Entreprise, & ne s’en rapporte ny au nombre de ses Troupes, ny à sa valeur. S’il se vouloit servir de ces avantages, il est impossible qu’il ne soit persuadé ainsi que toute l’Europe, que quelques desseins qu’il puisse former, il luy est facile d’en venir à bout, & c’est en cela sur toutes choses que sa modération éclate. Il sçait que lors qu’on peut tout, on ne doit pas tout vouloir, & cette raison est cause qu’il ne veut jamais que ce qui est juste. Aussi quand ce grand Monarque a une fois résolu, toutes les Puissances du Monde s’oposeroient inutilement à sa conduite, à ses forces, & à sa prudence. Ces trois choses vous ont paru dans tout ce qui s’est passé touchant les soûmissions que Strasbourg luy a renduës, & je vous ay fait connoître avec combien de justice il avoit voulu se les faire rendre. Quoy que je ne vous aye rien dit que de vray, c’estoit moy qui vous parlois, & vous serez sans-doute bien-aise qu’un témoignage qu’on ne puisse récuser, soit la confirmation de ce que j’ay avancé sur cet Article. Je puis vous en donner un qui vous sera d’autant moins suspect, qu’il est & public, & d’un Ministre public. C’est le Mémoire que Mr le Comte d’Avaux, Ambassadeur de Sa Majesté, présenta aux Etats Generaux à la Haye le 8. du dernier Mois. Ce Mémoire contenoit, Qu’il croyoit de son devoir de faire connoistre à LL. SS. que le Roy son Maistre ayant esté pleinement informé que ceux qui espéroient trouver leurs avantages dans les troubles, employoient tous leurs efforts pour porter les Habitans de la Ville de Strasbourg à estre les principaux Autheurs des désordres qu’ils vouloient faire naistre dans l’Empire, & que pour cet effet ils faisoient entendre à ceux de la Ville, que la Cour de Vienne n’avoit donné son consentement aux Conférences de Francfort, que pour cacher d’autant mieux le dessein où elle estoit de renouveller la guerre aussi-tost que l’Empereur auroit achevé les Levées, & que la Ville de Strasbourg auroit reçeu les Troupes que la Maison d’Autriche y vouloit introduire, pour porter ses armes dans l’Alsace avec tout l’avantage que ce Poste luy pouvoit donner, Sa Majesté avoit crû devoir apporter d’autant plus de diligence à prévenir les désordres que l’execution de ce dessein pouvoit causer dans l’Empire, qu’Elle avoit esté avertie presque aussi-tost que les intrigues & séditions du Baron de Mercy, jointes aux offres & aux promesses que luy & les autres Emissaires de l’Empire faisoient au nom de Sa Majesté Impériale aux Habitans de cette Ville-là, commençoient à faire de si fortes impressions sur les Esprits crédules & turbulens ; qu’ils estoient tout disposez à recevoir les Troupes Autrichiennes, & que le Prince Charles de Lorraine se préparoit à y faire entrer celles qui sont sous son commandement ; de sorte que Sa Majesté voyant que la guerre estoit inévitable, si Elle ne prévenoit avec une extréme diligence & un tres-grand secret, les mauvais desseins de ceux qui cherchoient à s’emparer d’un Poste si considérable au préjudice des droits acquis à la Couronne de France, par les Traitez de Munster & de Nimégue, sur toute la Haute & Basse Alsace, & par conséquent sur Strasbourg qui en est la Capitale ; Elle s’estoit trouvée obligée de s’y transporter Elle-mesme, pour y recevoir le serment de fidelité qui luy estoit deû, de crainte qu’une plus longue patience ne luy portast préjudice ; Que comme Mr le Marquis de Louvois que le Roy avoit envoyé avant luy, avoit mandé que les Troupes avoient marché avec tant de diligence, qu’elles s’estoient emparées le 28. Septembre de la Redoute qui regarde le Pont, & avoient prévenu les Troupes Impériales qui avoient ordre de s’en saisir ; que ceux de Strasbourg avoient en mesme temps témoigné qu’ils estoient tout prests à se soûmettre à l’obeïssance qu’ils devoient à Sa Majesté, & qu’ils vouloient bien recevoir les Troupes dont Elle croyoit qu’ils eussent besoin pour leur défense, Sa Majesté avoit renvoyé aussitost en leurs Quartiers toutes celles qui n’estoient pas nécessaires pour la seûreté de la Ville de Strasbourg, où Elle devoit se rendre à petites journées pour visiter la Place, & pour ordonner ce qu’Elle jugeroit à propos ; Qu’ainsi il y avoit sujet d’espérer que ce qui auroit esté une occasion de guerre, serviroit d’oresnavant d’un moyen plus facile à conserver la paix, puis que la soûmission de la Ville de Strasbourg à l’obeïssance de Sa Majesté, ruinoit les desseins de ceux qui prétendoient se servir d’un Poste si avantageux pour recommencer la guerre, & que d’ailleurs il n’y avoit pas lieu de croire que les Princes de l’Empire, estant aussi éclairez qu’ils sont, voulussent troubler le repos dont toute l’Europe joüit à present, pour disputer à Sa Majesté des droits qui luy appartenoient avec justice, qu’Elle possedoit, & qu’Elle estoit résoluë de maintenir par tous les moyens que Dieu luy avoit mis en main ; Que cependant, comme les Ministres Autrichiens avoient tâché d’alarmer tout l’Empire, en publiant que Sa Majesté avoit dessein de porter ses armes au delà du Rhin, il pouvoit bien assurer LL. SS. que le Roy son Maistre avoit des intentions si sinceres pour conserver la Paix dans l’Europe, que loin de songer à rien entreprendre, il estoit au contraire tout disposé à consentir dés-à-present à faire entierement démolir les Fortifications de Fribourg, & à restituer à l’Empereur cette Place qui est la Capitale du Brisgaw, à condition que l’Empereur feroit pareillement raser les Fortifications de Philisbourg, & rendroit cette Bourgade & ses dépendances à l’Evesque de Spire ; de sorte que par ce moyen il ne tiendroit qu’à Sa Majesté Impériale de faire cesser de part & d’autre tout sujet d’inquiétude & de défiance, d’oster pour l’avenir toute occasion de renouvellement de guerre, & d’affermir pour toûjours une parfaite correspondance entre la France & l’Empire.

Vous voyez, Madame, par le dessein qu’avoient les Impériaux de se saisir de Strasbourg, que Sa Majesté ne les a prévenus que pour empescher la Guerre. Ils s’estoient préparez à la déclarer apres qu’ils se seroient emparez de cette Place, & le Roy n’a voulu en estre Maistre que pour affermir la Paix. C’est ce que je vous ay marqué fort au long dans ma Lettre precédente, & ce que vient de vous confirmer le Manifeste, dont j’ay crû devoir vous faire part. Ainsi l’on ne peut douter que ce ne soit avec une tres-grande justice que le Roy s’est fait rendre l’obeïssance qui luy estoit deuë par ceux de Strasbourg, & qu’il n’ait eu plus d’une raison de le faire. Cependant afin que les jaloux de la gloire qu’il a si bien meritée, n’eussent aucun lieu de s’alarmer, il s’est empesché, par un effet de la plus haute modération, & qui luy est pourtant ordinaire, de tenter une entreprise, qui depuis plusieurs années luy estoit aussi facile qu’elle l’a esté le jour qu’il résolut de l’exécuter. Un motif pressant êtoit seul capable de luy faire prendre cette résolution ; & il ne l’a prise que lors qu’il a veû la Paix en péril d’estre troublée. Ainsi on peut dire qu’en se faisant ouvrir les Portes de Strasbourg, il a fermé celles de la Guerre, puis que les Autrichiens vouloient s’assurer de ce Passage, pour pouvoir en suite nous la déclarer. Ce n’est point assez pour ce grand Prince, d’avoir donné le repos à toute l’Europe. Il veut la maintenir dans ce calme, & l’on n’en sçauroit douter, si l’on examine ce qu’il ne fait point & ce qu’il est en état de faire. On n’eût pas sitost nouvelles qu’une partie de ses Troupes marchoit vers Strasbourg, que ce Madrigal parut.

D’un Projet si juste & si beau
Quel succés devons-nous attendre ?
Sans quelque miracle nouveau,
Strasbourg pourroit-il se défendre ?
Non, non, le Grand Loüis sera toûjours vainqueur,
Sa prudence ny sa valeur
Ne trouveront jamais d’obstacles,
Et c’est un point de foy qui n’est que trop constant ;
Quoy que puisse le Protestant,
Il ne peut faire de miracles.

[Ce qui s’est passé à Strasbourg, & dans le retour du Roy, jusques à son arrivée à S. Germain] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 17-19.Voir cet article qui relate le reste du voyage du roi

Le Voyage de Sa Majesté à Strasbourg a fait trop de bruit pour n’en parler qu’une fois, & vous voudrez bien sans doute, que nous reprenions cette matiére. Le jour que le Roy entendit la Messe dans l’Eglise Cathédrale, Mr l’Evesque de Strasbourg qui le reçeut à la Porte, comme je vous l’ay déja marqué, n’êtoit pas seulement accompagné d’une partie de son Chapitre, mais encor de sept Abbez mitrez avec leurs Crosses. Jamais l’allégresse ne parut plus grande en aucune occasion qu’elle se fit remarquer par les cris de joye qu’on poussa dans celle-cy. Le Te Deum fut chanté au bruit du Canon, des Cloches, des Orgues, des Timbales, des Trompetes, & des Fifres des Cent Suisses, & des acclamations d’un nombre infiny de Personnes de toute sorte d’états. Je ne vous dis rien de la Musique. Chaque Païs se fait là-dessus des beautez à sa maniére, & il n’y a rien qui ne plaise quand il est de nostre goust.

[Plusieurs Pièces en Vers & en Prose sur la soûmission que Strasbourg a renduë au Roy, & sur l’entrée des Troupes de Sa Majesté dans la Citadelle de Cazal] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 31-40.

Plusieurs ont écrit sur la soûmission que Strasbourg a renduë au Roy, & sur l’entrée des Troupes de Sa Majesté dans la Citadelle de Cazal. Voicy quelques-unes des Pieces qui ont esté faites sur ce sujet.

MADRIGAL.

Quand faute d’Ennemis,
LOUIS victorieux,
Laisse reposer son Tonnerre,
Ce qu’il fait dans la Paix, le rend plus glorieux,
Que ce qu’il a fait dans la Guerre.

L’Abbé de Sainte Croix-Charpy.

SONNET.

Ouy, Strasbourg s’est soûmis à vostre obeïssance,
Et Cazal qui le suit, reçoit les mesmes Loix ;
Grand Roy, vostre seul Nom, ou vostre seul voix,
Font voir à l’Univers quelle est vostre puissance.
***
Ainsi malgré l’effort de la Triple-Alliance,
Ne parustes-vous pas le plus puissant des Roys ?
Et lors que vous preniez six Villes à-la-fois,
L’Europe s’étonnoit des progrés de la France.
***
Si ce vaste pouvoir qui s’étend en tous Lieux,
Est celuy d’un Héros toûjours victorieux,
En est-il apres Vous un plus grand sur la Terre ?
***
Non, non, on voit briller en tout temps vos hauts Faits ;
Car ayant triomphé dans le temps de la Guerre,
Ne triomphez-vous pas dans celuy de la Paix ?

Rault, de Roüen.

MADRIGAL.

Assujetir le Rhin & le Pô tout d’un temps,
N’est pas une petite affaire ;
César ne le fit qu’en dix ans,
LOUIS en un jour l’a sçeu faire.

On sçait que César employa neuf ans à se rendre Maistre des Gaules & du Rhin qui passe aupres de Strasbourg, & qu’en suite il alla faire la guerre à Pompée, & assujettit le Pô, qui passe à Cazal. C’est ce qui a donné lieu à ces quatre derniers Vers.

J’adjoûte un Billet que vous trouverez galamment tourné sur cette mesme matiere. Il est de Mr de Clelban de Normandie.

A MONSIEUR DE ***
en luy envoyant le Mercure.

Je ne vous envoye ny Cyrus ny Cléopatre. Il y a long-temps que ces Livres ont cessé d’estre à la mode, & je ne sçay pas comment les surannez attraits de cette Princesse, & les exploits fabuleux du grand Artamene, ont eu jusques à présent quelque pouvoir sur vostre esprit. Nous ne sommes plus au temps des contes ; s’il s’en fait encor, ce n’est que pour rire ; & ceux qui tiennent du meilleur goust sont fort au dessous de ce qu’on voit faire tous les jours àLoüis le Grand. En effet, les Romans n’ont jamais tant inventé qu’il exécute ; & se rendre Maistre de Strasbourg & de Cazal dans le mesme temps, passeroit pour une Fable, si l’Allemagne, l’Italie, & tous les Peuples, n’estoient témoins de ses grandes Actions. Jettez les yeux sur ses diverses Conquestes, leur rapidité vous surprendra. Regardez qu’il s’arreste lors qu’il peut tout vaincre, & vous avouërez que les Faiseurs de Romans n’avoient point encor trouvé ce bel endroit pour former le cœur de leurs Héros. Ils en ont aujourd’huy un parfait modelle, & vous, Monsieur, un Livre vivant, sans aller chercher dans Cléopatre & Cyrus, où vous ne trouverez pas ce que vous avez devant les yeux. Je vous envoye le Mercure, & vous l’envoyeray tous les mois. Il ne manquera pas de vous apprendre agréablement les Illustres Actions de nostre Auguste Monarque ; & afin que vous n’ayez point à regreter la perte de vostre vieille Cléopatre, il vous contera mille petites Histoires amoureuses, & vous fera le Portrait des plus jolies Dames du monde, qui sont d’un goût plus charmant que les plus vantées de celles qui vivoient dans le Siécle de Mandane. Adieu, Monsieur. Vous n’aurez de mes nouvelles que par le premier Mercure.

Je ne puis mieux finir cet Article que par un Sonnet dont Mr de Longpré Académiste est l’Autheur. Vous prenez tant d’interest à ce qui regarde la gloire du Roy, que je ne fais aucun doute que vous ne soyez de son sentiment.

SONNET.

Auguste, apres César, eut l’immortel bonheur
De remplir de son Nom un des mois de l’année ;
L’Univers s’y soûmit, & ce supréme honneur
Passe tous les succés dont sa vie est ornée.
***
LOUIS, le Grand LOUIS, cet illustre Vainqueur,
Sous qui s’étend la France, & se voit fortunée,
Ce Héros dont l’esprit égale le grand cœur,
A merité cent fois la mesme destinée.
***
Consacrez à son Nom le mois qu’il vint au jour,
Bannissez desormais Septembre, & sans retour,
Peuples, soûmettez-vous à ce que veut sa gloire.
***
Vous avez admiré ses Exploits inoüis ;
Mais pour éterniser son Nom & sa mémoire,
Que Septembre à jamais ait le Nom de LOUIS.

[Divertissemens apres le Depart du Roy] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 41-43.

Dés le lendemain que Sa Majesté fut arrivée à S. Germain, Elle alla voir à Versailles ce que les Ouvriers avoient avancé depuis son départ, les dépenses qu’Elle est obligée de faire pour les Troupes, pour les Armemens de Mer, & pour les Fortifications de beaucoup de Places, n’empeschant point qu’on ne travaille toûjours aux Ouvrages qui sont dignes de la magnificence d’un Grand Roy. C’est par là que nostre Auguste Monarque acheve de porter au plus haut point la gloire de son Etat. Les Plaisirs qu’on avoit abandonnez pour le Voyage d’Alsace, & qui estoient partis pour Chambord, ont esté rappellez à S. Germain incontinent apres le retour, & l’on a déja commencé à y joüer alternativement le Pourceaugnac, & le Bourgeois Gentilhomme du fameux Moliere. Comme la Musique du Roy, & les Danseurs à qui Sa Majesté donne Pension, sont employez dans les agrémens de ces deux Pieces, elles ont paru avec beaucoup d’avantage, & ont extrémement satisfait toute la Cour. Les Comédiens de leur costé se sont acquitez tres-bien de leurs Rôles, la plûpart les ayant joüez d’Original, & ayant esté instruits par l’Autheur mesme.

[Galanterie en Prose & en Vers] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 43-54.

La fierté sied bien à celles de vostre Sexe, mais elle cesse d’estre une vertu, quand on la porte jusqu’à faire gloire de passer pour insensible. C’est un défaut qu’on reproche à une fort belle Personne, qui depuis plusieurs années, charmant tous ceux qui la voyent, fait autant de Malheureux qu’elle s’attire d’Amans. Les plus empressez à luy donner tous leurs soins, cherchent inutilement par où son cœur peut estre touché ; & comme personne n’a pû encor découvrir les chemins qui y conduisent, on ne la nomme par tout que la belle Indiférente. Une Dame de Paris qu’elle a sujet de considérer, & qui auroit de la joye qu’elle voulust se défaire d’une qualité qui luy fait tort, luy envoya il y a fort peu de temps un Amour d’Email tres-bien fait, tenant d’une main des Cœurs enchaînez avec une Clef de l’autre. Ce présent luy fut rendu en Province, où cette Belle fait son séjour le plus ordinaire. Il estoit accompagné d’une Lettre dont on avoit chargé cet Amour, qui devoit en mesme temps offrir à la Belle deux Paires de Boutons de Topase tres riches, propres pour mettre aux Manchetes, & tout cela au nom de la Dame. Je ne vous dis point que cette Dame a l’esprit tres délicat. Vous le connoistrez en lisant sa Lettre.

A MADEMOISELLE ***

Il semble, ma Chere, que vous soyez en possession de gagner les cœurs de tout le monde, & de ne donner jamais le vostre ; & je pense que vous vous imaginez, parce que vous avez toûjours conservé une raison libre, un esprit fort, un empire absolu sur vos passions, & que vous avez mené jusques à présent une vie douce & tranquille, ennemie de tout engagement, qu’il vous sera permis de vivre toûjours de la mesme sorte. Cette prétention est injuste ; elle n’est pas mesme trop Chrestienne. C’est un crime, que de manquer de reconnoissance pour ceux qui nous aiment, & nous sommes obligez d’avoir pitié de nostre prochain. Je vous diray aussi en bonne Amie, qu’il n’y a pas seulement de la dureté dans ce procedé, mais aussi quelque chose de fort singulier, de se vouloir ainsi tirer du pair, & se distinguer du reste des Gens. Défaites-vous, ma Chere, de vos faux préjugez, & détrompez-vous de vos erreurs. Vous avez beau faire. Vous ne vous dispenserez point d’aimer non plus que les autres ; l’Amour est un Dieu sans quartier, & tost ou tard, chacun luy doit payer le tribut, ainsi qu’à la Mort. Celuy que je vous envoye, & à qui je vous prie de faire un accueil favorable à cause de moy, est un Amour tres-irrité contre vous. Il a tenté plusieurs fois inutilement la conqueste de vostre cœur, mais à présent il se fait fort de l’emporter ; & l’eussiez-vous mis à couvert sous cent Cadenats & sous mille Clefs, la sienne vaut mieux que toutes les vostres, puis que c’est un Passe-par-tout à qui rien ne resiste, & qui se fait donner passage en tous lieux.

Amour, ce petit Dieu, vient de quitter sa Mere.
Il descend de l’Olimpe avec tous ses attraits.
Il traverse les airs, armé de tous ses traits,
Et profere ces mots, dans sa juste colere.
***
Moy, qui tiens sous ma Loy l’un & l’autre Hémisphere,
Qui ne conçois jamais que de vastes projets ;
Egalement puissant dans la Guerre & la Paix,
Ne pourray-je toucher une ingrate Bergere ?
***
 Je l’auray, malgré sa froideur.
Oüy, je triompheray de ce cœur insensible.
Cette Place, apres tout, n’est point inaccessible,
 Et j’en veux estre le vainqueur.
***
Je sçay bien que ce cœur me fera résistance,
Qu’il me faudra forcer plusieurs Retranchemens,
Et qu’on m’opposera tous les fiers Régimens
De l’Orgueil, du Dédain, & de l’Indiférence.
***
 Je ne crains point ces Ennemis,
Leurs efforts serviront de relief à ma gloire ;
On gouste avec plaisir les fruits de la Victoire,
 Apres que l’on a tout soûmis.
***
Si la Bergere veut me remettre la Place,
 Sans me disputer le terrain,
 Qu’elle contesteroit en vain,
Ah, foy de Dieu d’honneur, elle obtiendra sa grace.
***
 J’auray pour elle cent douceurs.
La Parque filera ses jours d’or & de soye ;
 Les Ris & les Graces, mes Sœurs,
La feront vivre en paix, & mourir dans la joye.

Voila, ma Chere, de belles promesses que l’Amour vous fait. Ce n’est point un Dieu fourbe & fanfaron, il les exécutera à la lettre. S’il ne dit pas quelquefois tout ce qu’il fait, il fait souvent bien plus qu’il ne dit. Si vous voulez suivre mon conseil, vous accepterez le party qu’il vous offre. C’est le plus seûr, le plus agreable, & j’oseray dire, le plus glorieux, puis que les Dieux, les Roys, & les Conquérans, s’y soûmettent, & qu’à moins que de vivre comme un Anachorete de la Thébaïde, ou d’estre un peu Misantrope & Loup-garou, on ne peut pas vivre sans aimer.

J’ay chargé ce petit Amour en partant de Paris, de vous présenter deux Paires de Boutons de Topaze, de ma part, & de vous faire mes complimens ; mais comme c’est un Dieu fort intéressé, & que parmy les Dieux, aussi-bien que parmy les Hommes, la charité commence par soy mesme, je croy qu’il ne vous parlera que de ses intérests, & qu’il oubliëra ma commission. Je luy ay pourtant fort recommandé de vous les donner en main propre.

 Ces Nœuds sont pour lier vos manches,
 Ou bien pour lier vostre cœur.
 Permettez que ce Dieu vainqueur,
De ses bras potelez, de ses belles mains blanches,
 Vous attache cette Faveur.
Je dois vous l’avoüer, elle n’est pas bien grande,
 Pour employer un Immortel ;
Et je ne sçay que trop, qu’une pareille offrande
N’est pas digne de vostre Autel.

Toute indigne pourtant qu’elle est de vous estre offerte, je vous conjure de la recevoir comme un gage de mon amitié sincere, & de me croire, &c.

Recepte amoureuse §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 55-56.

On m’a fait part d’une galante Recepte qui seroit bien propre pour une Belle du caractére dont je vous ay peint l’aimable Personne à qui cette Lettre est adressée. Je vous en envoye une Copie.

RECEPTE AMOUREUSE.

Pour bien purger une Beauté
Dont les yeux charment tout le monde,
Purgez-la de sa cruauté,
C’est là l’humeur dont elle abonde.
***
Afin que la Purgation
Cause peu d’altération,
Récipé pour nostre Ordonnance
Le poids d’un Ecu de Pitié ;
Une once en gros de Confiance,
Avec deux drachmes d’Amitié,
Et quatre de Correspondance.
***
Infusez le tout en douceur,
Cela luy purgera le cœur
De cette humeur fiere & maline
Qui sied mal à Beauté divine.
Que si vous estes assuré
Que le mal soit invéteré,
Et qu’il y reste quelque chose,
Vous réïtererez, & doublerez la dose.

[Prix tirez à Charolles en Bourgogne, & disputez par les Dames] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 56-113.

Je ne sçay, Madame, si la Ville de Charolles en Bourgogne vous est connuë. Quoy qu’elle soit fort petite, on ne laisse pas de s’y divertir aussi agréablement que dans les plus grandes du Royaume. Les Dames y sont spirituelles & fort sociables, & se déclarant ennemies de la contrainte, elles ont en toutes choses une liberté honneste, qui leur attire l’estime de tous leurs Voisins, & les rend capables de toute sorte d’exercices. Celuy de la Chasse, où l’on peut dire qu’elles sont infatigables, est un Divertissement qui leur fait faire la plûpart du temps de tres-galantes Parties. Elles montent aussi bien à cheval qu’elles dancent, & ne font pas moins paroistre d’adresse à tirer un coup de Fusil & de Pistolet, qu’elles en montrent lors qu’elles veulent manier l’Eguile. Apres cela vous ne serez pas surprise de ce que j’ay à vous en conter. Comme la plûpart des plus considérables Personnes de Dijon, Châlons & Mascon, viennent tous les ans passer à Charolles les plus beaux jours de l’Eté, les Chevaliers de cette petite Ville choisirent ce temps, qui n’est destiné qu’aux plaisirs & à la joye, pour députer vers ceux de Paroy-le-Moinel, du Mont-Ceny, & du Mont S. Vincent, afin qu’ils se préparassent à venir tirer le Prix le 25. Aoust, suivant leur Défy de l’année derniere. Le Chevalier qui fut député, leur porta parole qu’on les attendroit avec tout ce qui estoit nécessaire pour la pompe de la Feste, & qu’il y auroit deux Prix, l’un du Panton, & l’autre de l’Arbaleste ; le premier, d’un petit Service de Vaisselle d’argent de huit cens Ecus ; & le second, de cent cinquante Loüis, que l’on payeroit en especes. Ce Défy fut accepté par les trois Compagnies Etrangéres, qui estant venuës au jour arresté en tres-bon ordre, furent reçeuës avec de fort grands honneurs, & logées en suite chez les Chevaliers de la Ville, qui sont obligez de les défrayer pendant tout le temps que dure la Feste. Le lendemain fut employé en Festins, & à tirer quelques coups d’essay, apres quoy on résolut que le jour suivant on tireroit pour le Prix. Il fut gagné par les Etrangers, au grand déplaisir de ceux de Charolles, qui passent pour les meilleurs Fuseliers de la Province. Le jour s’acheva en réjoüissances, & le Prix de l’Arbaleste fut remis au lendemain. Les Chevaliers Etrangers eurent encor le même avantage, & se firent reconnoistre pour Vainqueurs au bruit des Tambours & des Trompetes. Apres qu’ils se furent fait compliment les uns aux autres, & qu’ils eurent donné aux Vaincus le Défy pour l’année prochaine, ils les envoyérent lier avec des Rubans pour marque de leur esclavage. On éleva aussitost les Enseignes des Chevaliers Etrangers au plus haut des Tentes. On cria Victoire, & en observant les cérémonies ordinaires, on se mit en marche pour retourner à la Ville. Jugez quelle fut la surprise des Vainqueurs, lors qu’y croyant entrer en triomphe, ils en trouvérent les Portes fermées. Le Roy de la Feste envoya sur l’heure un de ses Trompetes pour en sçavoir la raison. Le Trompete n’eut pas plutost donné le signal, qu’il apperçeut une Dame au travers d’une Fenestre, qui luy jettant une Lettre, luy dit qu’il la portast à son Maistre. Il alla soudain retrouver le Roy, qui ayant reçeu la Lettre, la lût tout haut aux Chevaliers de sa Suite. Voicy dans quels termes elle estoit conçeuë.

Ne soyez point surpris, Roy vainqueur, & vous braves Chevaliers, si en vous disputant l’entrée d’une Ville qui vous est acquise par le droit des Armes, nous semblons par là arrester le cours de vos Conquestes. Nous ne sçaurions voir le brillant éclat de vos Trophées sans confusion & sans douleur. Ces Couronnes dont vos testes sont chargées, sont l’Ouvrage de nos mains. Ces Lauriers que vous faites porter à vos costez pour témoignages de vostre victoire, estoient destinez à d’autres Vainqueurs, & c’est par nos soins & par nos peines que vous les voyez enrichis de Rubans & de Devises. La triste posture de nos Chevaliers vaincus, qui vous suivent les yeux baissez & sans Armes, est une Image odieuse, qui nous fait former une entreprise que vous devez appuyer, si vous ne voulez que vostre gloire demeure imparfaite. Elle ne peut estre entiére, tant que vous ne regnerez que sur la moitié d’un Peuple. Ces infortunez Vaincus composent cette moitié, & nous sommes l’autre qu’il vous reste à vaincre. Profitez de vostre bonne fortune. Rien ne vous peut résister apres l’avantage que vous avez eu. Peut-estre ne vous sera-t-il pas difficile de venir à bout de nous ; mais peut-estre aussi trouverez-vous quelque obstacle dans cette victoire. A peine avons-nous appris la défaite de nos Chevaliers, que comme nous l’avions projetté auparavant si ce malheur arrivoit, nous avons fait sonner la Retraite pour celles des nostres qui pouvoient estre dans vostre Camp, où nous avons esté averties que ce son avoit apporté quelque désordre. Nous nous sommes assemblées, & dans le Conseil tenu entre nous, il a esté résolu qu’on vous fermeroit les Portes, & que l’entrée de la Ville ne vous seroit accordée qu’apres que vous auriez consenty à nos demandes. Si vous avez l’injustice de les rejetter, on vous déclare que nous avons poudre & plomb, & des munitions suffisantes pour soûtenir un Siége de longue durée. Pour du courage, soyez assurez que nous n’en manquerons pas. Ce que nous vous demandons, braves Chevaliers, est l’avantage de disputer un Prix avec vous. Le Panton & l’Arbaleste ont servy de Théatre à vostre gloire, & nous vous ofrons dequoy la rendre parfaite, en vous proposant de combatre pour l’Oyseau. Cet Oyseau sera de bois, de la grosseur d’une Merlete, les Aisles éployées & le Corps cuirassé, afin qu’il résiste à la balle du Fusil. On le mettra à la pointe d’une grande Verge de fer, où nous le ferons cloüer & river à force, & il sera en suite élevé à la cime d’un des Saules qui forment la belle Avenuë des Ecluses de la Ville ; mais comme on peut diviser l’Oyseau en quatre, nous voulons aussi partager en quatre Lots ce que nous avons à vous proposer.

I.

Qui emportera l’Aisle droite, aura une Garniture de Rubans, Gands, Baudrier, Epée, le tout de cinquante Loüis.

II.

Pour l’Aisle gauche, un Castor & de Plumes, avec une Garniture, des Gands & des Manchetes de Point-d’Espagne, du prix de vingt Loüis.

III.

Pour la Teste & le Col de l’Oyseau, deux Fusils & deux Paires de Pistolets des plus curieux & des plus beaux.

IV.

Pour le Corps, la liberté des derniers Vaincus, avec le droit des Victorieux.

Voila nos intentions. Nous attendons vostre Réponse avec une extréme impatience, c’est à dire vostre consentement, vous estimant trop pour vous croire capables de refuser un pareil Défy. Il ne vous sera jamais honteux d’avoir combatu avec des Femmes, qui n’ont de leur Sexe que la taille, la douceur, & la beauté ; car pour le courage & la hardiesse, on nous le verra toûjours disputer avec les plus vigoureux.

Cette Lettre leuë, le Roy dit beaucoup de choses à l’avantage de ces genéreuses Héroïnes, & fit convenir ses Chevaliers qu’il falloit leur aller rendre les armes, & leur remettre les Vaincus entre les mains. La joye parut genérale, & mille Gens qui estoient témoins de tout, pousserent un cry qui se fit entendre jusque dans la Ville. En mesme temps tous les Chevaliers vainqueurs prirent chacun un Vaincu, & les conduisirent à la Porte. La Dame parut lors que le Trompete eut fait le signal ; & la résolution que l’on avoit prise luy ayant esté expliquée au nom du Roy par un Chevalier, qui luy dit fort galamment qu’ils venoient changer de condition avec leurs Captifs, elle répondit d’une maniere aussi obligeante que spirituelle, qu’elles ne pouvoient accepter leurs offres ; que les vouloir rendre Arbitres du sort des Vaincus, c’estoit aller au dela de la genérosité ; qu’estant leurs Esclaves de bonne guerre, elles auroient à rougir, si la liberté leur estoit renduë par une autre voye ; & que puis qu’ils les avoient assez estimées pour vouloir bien consentir à leurs demandes, il estoit juste que par leur valeur & par leur adresse elles méritassent de rompre leurs fers, ou qu’elles en fussent chargées elles-mesmes. On disputa quelque temps, & enfin les Chevaliers furent contraints de céder. Le Roy estant informé de tout, fit assembler son Conseil. Il fut résolu que l’on renvoyeroit un Chevalier pour complimenter les Dames sur un procedé si genéreux, & pour les prier en même temps d’ouvrir les Portes afin qu’ils pussent continuer leur Triomphe. La mesme Dame qui avoit déja parlé, promit qu’on tiendroit les Portes ouvertes ; mais pour le Triomphe, elle pretendit qu’il seroit borné, c’est à dire, que les Chevaliers vainqueurs ne traverseroient que la moitié de la Ville, ou bien que leur marche estant deux à deux, il n’y auroit qu’un costé armé, pour marquer par là que leur victoire n’estoit pas entiere. Le Chevalier eut beau dire qu’il n’y avoit point d’exemple qui autorisast leur prétention ; que c’estoit borner le droit de la Royauté, & que dans la suite, les Etrangers estimeroient moins le Prix des Chevaliers de leur Ville, s’ils avoient à craindre d’estre assujetis à des Loix nouvelles. La Dame répondit au nom de toutes, que ce qui pouvoit arriver un jour, ne les touchoit point ; qu’elles estoient résoluës de racheter la liberté de leurs Chevaliers aux despens de la leur propre, & qu’elles ne soufriroient jamais qu’on prist aucun droit sur elles qu’à tres-juste titre ; que si ces conditions blessoient le Roy & ses Chevaliers, ils pouvoient faire leur Triomphe dans les Fauxbourgs, ou se rendre maistres de la Ville, s’ils ne croyoient pas qu’elles fussent assez fortes pour la bien défendre. Le Chevalier estant allé faire son raport, le Roy trouva qu’ayant affaire à des Dames, il estoit de leur honneur & de leur galanterie, de se soûmettre à leurs volontez ; que cependant, comme borner leur Triomphe selon leurs prétentions, seroit renoncer aux avantages qu’ils venoient de remporter sur la Ville, il estoit plus à propos de le remettre jusqu’à ce que tout fust prest pour le Combat de l’Oyseau, dont ils gagneroient aisément le Prix. On alla dire aussitost aux Dames que le Roy & ses Chevaliers mettoient bas les armes, qu’elles n’avoient qu’à ouvrir les Portes, & que tous leurs diférens se termineroient dans un Bal qu’ils leur donneroient le soir, ne voulant songer qu’à ce qui pourroit leur causer quelque plaisir, jusqu’à ce qu’elles eussent préparé tout ce qu’elles croiroient necessaire pour le Combat qu’elles vouloient entreprendre. Leur réponse fut, que le naturel des Femmes estant défiant, elles les prioient de leur envoyer en ostage deux de leurs principaux Chevaliers, qu’elles traiteroient assez agreablement pour leur donner lieu de se loüer d’elles, & qu’en mesme temps on leur ouvriroit les Portes. Les Ostages furent aussitost donnez, & les Chevaliers ayant renvoyé tous leurs Chevaux, entrerent sans armes dans la Ville. Leur étonnement fut grand, quand ils y trouverent les Dames rangées en haye, armées d’un Mousquet & d’une Epée, avec un Chapeau & un Juste-au-corps. Elles firent leur décharge en l’air ; & les Chevaliers, apres mille complimens sur leur bravoure, les déchargerent de leurs Armes, qu’ils firent porter par ceux de leur Suite ; & les ayant prises par la main, ils les menerent au Lieu que l’on avoit préparé pour le Roy du Prix. Elles y furent superbement régalées, & il y eut Bal, Collation, Concert, & réjoüissance entiere tout le reste de la nuit. Le lendemain, elles donnerent ordre pour leur Prix, résolurent la maniere dont elles s’habilleroient, & firent porter parole aux Chevaliers, qu’elles seroient prestes pour le Combat proposé, le 21. Septembre, jour de S. Mathieu. Ce jour-là estant venu, elles se rendirent dans la Chambre de leur Conseil, où chacune s’estant habillée à son avantage, elles monterent à cheval sur les dix heures, & allerent en tres-bon ordre dans le Pré S. Nicolas, joignant les Ecluses de la Ville, qui est le Lieu ordinaire de la Promenade. Rien n’estoit mieux ordonné, ny plus charmant que leur marche. A la teste de leur Compagnie estoient deux Trompetes, & quatre Hautbois ; dans le milieu, leur Enseigne, quatre Violons, & six Flustes douces ; & à la queuë, quatre Hautbois, avec deux Trompetes. Elles firent l’Exercice dans ce Pré, & il n’y eut aucun des Spéctateurs qui n’admirast leur adresse. En suite, elles retournerent dans la Ville, où elles avoient ordonné un magnifique Repas pour régaler les Chevaliers combatans, qui depuis deux jours s’estoient rendus à Charolles. On se mit à table sur le midy, & la Compagnie fut servie par les Chevaliers vaincus, qui portoient tous une Chaîne de Rubans penduë au col, pour marque de leur esclavage. Le Dîné finy, les Dames avertirent les Chevaliers qu’il estoit temps de partir. Chacun monta à cheval. Les Dames eurent la droite, & les Combatans la gauche, avec les Esclaves qui marchoient à leurs costez. On n’entendoit en tous lieux qu’acclamations de joye. Toutes les Fenestres estoient remplies d’un nombre infiny de Spéctateurs ; & en plusieurs endroits de la Ville, on défonça des Tonneaux de Vin, où tout le monde eut la liberté de boire. Les deux Compagnies marcherent en tres-bon ordre jusqu’au Lieu du rendez-vous où l’on avoit élevé l’Oyseau. Il y avoit six Tentes dressées, deux pour les Combatans & les Combatantes ; & les quatre autres, pour les Spéctateurs & les Instrumens. Lors que l’on fut prest de commencer, la Dame qui jusque-là avoit parlé pour toutes les autres, dit aux Chevaliers, que pour empescher qu’il n’y eust aucun desordre, il falloit régler le nombre de ceux qui devoient tirer. On en nomma neuf de chaque Party, & l’honneur du premier coup fut laissé aux Dames. Celle qui fut choisie pour cela, salüa la Compagnie pendant les fanfares des Trompetes ; & du coup qu’elle tira, elle donna dans la Feüille, directement au dessus de la teste de l’Oyseau. Cet heureux essay fut pris pour un bon augure. Il faut vous dire ce que c’est que cette Feüille. Comme l’Oyseau est petit, & qu’on auroit peine à le découvrir, par la distance qu’il y a du lieu d’où l’on tire, à celuy où l’Oyseau est élevé, l’on met une Feüille de fer blanc par derriere, rabatuë en arcade par dessus sa teste, afin qu’on le puisse voir par la reverbération du Soleil. Ce premier coup de la Dame luy attira l’applaudissement de tout le monde. Les Chevaliers tirerent en suite, mais sans aucun avantage. Dans le second coup que l’on tira, l’Aisle droite de l’Oyseau fut emportée par la Dame ; & tous les autres de chaque Party n’attraperent que la Feüille. Au troisiéme coup, un des Chevaliers abatit l’autre Aisle. Au quatriéme, une des Dames emporta la Teste. Il n’y eut rien au cinquiéme de part ny d’autre, non plus qu’au septiéme ; mais au sixiéme, une autre Dame abatit la Feüille ; & au huitiéme, celle qui avoit eu déja de grands avantages, emporta l’Oyseau. On courut le prendre, & on l’apporta à cette illustre Victorieuse, à qui chacun s’empressa de marquer sa joye. En mesme temps elle fut proclamée Reyne au son des Trompetes, & au bruit des Fusils qu’on tira de toutes parts. Les Chevaliers qui regardoient les honneurs qu’on luy rendoit, comme des reproches de leur défaite, furent obligez de se soûmettre à leur tour. Ils se jetterent aux pieds de ces belles Amazones, & leur dirent d’une maniere fort spirituelle, que ce n’estoit pas la premiere fois qu’elles les avoit vaincus. La Reyne les assura qu’ils seroient traitez favorablement, & fit publier par tout le Camp que l’on remettoit le Triomphe au lendemain, parce qu’il estoit trop tard, & qu’on n’avoit pas le temps de préparer ce qui estoit necessaire pour le rendre plus celebre. Alors tout le monde se retira dans la Ville, les Vaincus meslez parmy les Vainqueurs, comme si l’on fust revenu de la Promenade. Le soir il y eut Bal en plusieurs endroits. Aucune des Dames, qui avoient part au Triomphe, ne s’y trouva, estant toutes occupées à donner leurs ordres pour le jour suivant. Leur nombre estoit de vingt-quatre, qui le lendemain se rendirent dans le Camp sur les deux heures. Je ne nommeray que celles qui avoient esté choisies pour tirer au Prix. Voicy dans quel ordre commença leur Marche.

Trois Trompetes & trois Hautbois parurent d’abord, suivis d’une Dame, à qui on avoit donné la qualité de Maréchal des Logis. Elle avoit un Juste-au-corps de Tafetas bleu, doublé de rouge, & enrichy d’une Dentelle d’argent, avec une Garniture isabelle, la Jupe, la Culote, & les Bas de mesme. Elle précedoit Mademoiselle de Ganay, Fille de Mr de Ganay, Chevalier, Seigneur de Genelard, Montéguillon, Langeres, & le Süeil, qui estoit au milieu de deux des Dames qui n’avoient pas tiré. Chacune d’elles tenoit avec un Ruban un des Vaincus, qui marchoient à pied, sans Armes, & sans Chapeau. Mademoiselle de Ganay avoit ses cheveux enfermez par derriere, dans une Bource noüée d’un Ruban couleur de Cerise ; un Castor garny de Plumes couleur aussi de Cerise, & meslées avec des blanches ; une Cravate d’un Point tres-fin d’Angleterre, à la Cavaliere ; un Juste-au-corps de Satin blanc de la Chine, enrichy de Galons d’or, & doublé d’un Tafetas couleur de Cerise, avec une Jupe de ce mesme Tafetas, au bas de laquelle estoit une Frange d’or. Cette Jupe ne passoit point les genoux. L’Echarpe qui la ceignoit, estoit de Dentelles d’Angleterre pareilles à la Cravate. On luy voyoit sur l’épaule, aux Manches, & à l’Epée, de grosses Toufes de Rubans étroits, couleur de Cerise & blancs. Elle avoit une Culote de Satin blanc, toute couverte de Dentelle d’or, avec un Bas de Soye couleur de Cerise, qui estoit roulé sous le genoüil. Dans cet équipage, elle marchoit fiérement, montée sur un petit Cheval blanc, presque tout couvert de petits Nœuds de Ruban, de mesme couleur que sa Garniture. Elle soûtenoit son Fusil de la main droite, & le tenoit appuyé sur la custode de son Pistolet.

Mademoiselle de Grand-jean la jeune, Fille du Maire de la Ville, paroissoit en suite montée sur un Cheval Roüan, ayant ses cheveux dans une Bource, & tenant son Fusil comme la premiere, ce qui estoit imité par toutes les autres. Elle avoit à ses costez deux Demoiselles, tenant chacune un Vaincu, & parées ainsi que celles dont je viens de vous parler. Son Juste-au-corps estoit bleu, garny de Dentelles d’argent, & doublé de feüille-morte. Quantité de Plumes de ces deux couleurs, faisoient l’ornement de son Chapeau.

Mademoiselle des Autels la jeune, Fille du Lieutenant Civil, suivoit sur un Cheval gris-pommelé, accompagnée ainsi que les autres. Elle avoit un Juste-au-corps de Tafetas couleur de Cerise, doublé de blanc ; avec une Jupe, & les Bas de Soye tres-bien assortis ; le tout couvert de Dentelles d’or & d’argent. Sa Garniture estoit bleuë.

Mademoiselle Carré, Fille du Greffier en chef, marchoit de la mesme sorte, montée sur un Cheval Pie, ayant un Juste-au-corps bleu, avec une simple Tresse d’or sur les coutures, des Tours-de-bras de Point-d’Espagne, & une tres-belle Garniture.

Mademoiselle de Juchaut la jeune, Fille de Mr de Juchaut Trésorier de France en Bourgogne & Bresse, avoit un Juste-au-corps couleur de chair, doublé de vert, une Garniture blanc, vert, & incarnat, & montoit un Cheval blanc.

Apres ces cinq Demoiselles, venoient deux Trompetes & deux Hautbois, précedant Mademoiselle de Juchaut l’aînée, qui portoit l’Enseigne. Sur cette Enseigne estoient peints plusieurs Trophées d’Amour, d’Epées, & de Fusils, & au milieu on lisoit ces quatre Vers qu’on avoit écrits en lettres d’or.

Il n’est rien que l’Amour
Icy-bas ne surmonte.
Plus d’un Captif en ce jour
En fait l’épreuve à sa honte.

Mademoiselle de Juchaut avoit un Castor noir, bordé d’or, sans Plumes, un Juste-au-corps de Velours, une Garniture jaune, & montoit un Cheval noir, tout couvert aussi de Rubans jaunes. Deux Trompetes, & deux Hautbois, marchoient derriere-elle.

Mademoiselle Damas de Marsilly, Fille de feu Mr le Comte de Marsilly, & Cousine germaine de Mademoiselle de Ganay, suivoit seule en qualité de Grand-Maistre de la Maison de la Reyne. Comme elle a la plus belle teste du monde, ses cheveux estoient seulement noüez par derriere d’un Ruban incarnadin, & l’on en voyoit trois ou quatre grosses boucles, qui ondoyoient sur la croupe de son Cheval. Elle avoit un Castor noir, couvert de Plumes blanches, bleuës, & incarnadines ; un Juste-au-corps de Moire bleuë, enrichy de gros Galons d’or & d’argent ; une Garniture de Rubans en tres-grande quantité des couleurs des Plumes ; une Echarpe de Point d’Espagne, or & argent ; une Jupe d’un Brocard bleu, à fleurs aussi or & argent ; une Culote de Satin incarnat, & des Bas de soye de mesme. Elle montoit un Cheval isabelle tout couvert de Rubans bleus ; & comme elle avoit abatu la Teste de l’Oyseau, un Laquais de sa Livrée, portoit cette Teste immédiatement devant elle à la pointe d’une Epée. Douze Chevaliers la suivoient quatre à quatre, ayant l’Epée nuë, comme Gardes-du-Corps de la Reyne.

En suite on voyoit Mademoiselle des Landes des Pierres, Fille de Mr Droüy des Pierres, Chevalier, Seigneur des Landes, des Pierres, & de Douvant, Lieutenant General, Civil & Criminel au Bailliage Royal du Charollois. Elle avoit des Plumes violetes & blanches, une Garniture de mesme, un Juste-au-corps de Tafetas blanc doublé de violet, & montoit un Cheval gris-de-souris, couvert de Rubans violet & blanc. Elle marchoit seule en qualité de Maréchal de Camp de la Maison de la Reyne, & devant elle estoit un Laquais de sa Livrée, portant la Feüille qu’elle avoit abatuë. Six Gardes suivoient avec deux Exempts, & apres eux paroissoit la Reyne.

C’estoit Mademoiselle Péserat, tres digne Fille de Mr Peserat, si recommandable par ses belles qualitez, & tres-estimé de tout ce qu’il y a de Personnes de naissance dans la Province. Il est genéreux, magnifique dans tout ce qu’il fait, sçavant autant qu’on peut l’estre, & on peut dire que si sa Table est ouverte à tous les honnestes Gens, son Cabinet est l’Académie des plus beaux Esprits de ce Païs-là. Mademoiselle Peserat est tres-bien faite, a de la beauté, de l’esprit infiniment, parle aussibien Latin que François, sçait la Philosophie & Théologie ; & de tous les Exercices, la Chasse est celuy qu’elle aime le plus. Rien n’estoit plus brillant qu’elle dans l’équipage où elle parust en son Triomphe. Deux Pages la précedoient, dont l’un portoit son Fusil, & l’autre le Corps de l’Oyseau à la pointe d’une Epée. Elle estoit montée sur un Cheval d’Espagne noir, couvert d’une Housse d’Ecarlate enrichie de Broderies & de Franges d’or & d’argent, la teste, le col, & la queuë du Cheval ornez de petits nœuds de Ruban couleur de feu. Ses cheveux, du plus beau noir que l’on puisse voir, estoient noüez en Perruque, qu’elle rejettoit négligemment sur ses deux épaules. Elle avoit une Cravate de Point de France avec cinq ou six feüilles de Ruban ponceau ; un petit Castor noir, garny d’une simple Plume couleur de feu ; un Juste-au-corps bleu, en Broderie or & argent ; une Echarpe tres-riche de Point-d’Espagne, or & argent ; une petite Jupe ainsi que les autres, de Brocard bleu à fleurs aussi or & argent, avec une Frange au bas de la mesme sorte ; une Culote garnie d’une petite Broderie pareille à la Frange, & des Bas de soye couleur de feu. Sa Garniture estoit de petit Ruban ponceau. Elle marchoit d’un air fier & digne d’une veritable Reyne, & avoit à ses costez quatre Demoiselles en qualité de Capitaines des Gardes de sa Personne. Elles portoient l’Epée nuë, & estoient en Juste-au-corps bleu, enrichy de Galons d’or. Deux autres Exempts & six Gardes, trois à trois, alloient derriere la Reyne, & estoient suivis du reste des Chevaliers qui venoient de recouvrer leur liberté, tenant chacun un Vaincu avec un Ruban.

Ce fut dans cette ordre que l’on marcha jusques à l’Eglise de Saint Nizier, où les Chanoines chanterent le Te Deum en Musique. Les Trompetes & les Hautbois répondirent en Fanfares à chaque Verset, ce qui faisoit un Echo fort agreable. La Reyne y fit venir un Drapeau ; & comme elle est admirable en toutes choses, elle se leva, fit un grand Discours aux Vaincus sur leur malheur, & leur dit obligeamment que si elle avoit vaincu d’autres Chevaliers, elle mépriseroit sa Victoire ; & pour leur faire connoistre qu’elle leur parloit sincérement, elle adjoûta que pendant la marche il luy estoit tombé en pensée de créer un Ordre en faveur duquel la liberté leur pourroit estre renduë, car il est porté par les Loix du Prix de ce Païs, que ceux qui seront vaincus resteront sujets jusqu’à ce qu’on en tire un autre. Toutes ses Chevalieres s’estant approchées, elle demanda si elles ne voudroient pas consentir à l’Institution de cet Ordre, dont elles sçauroient les Vœux dans leur premiere Assemblée, les assurant qu’ils ne seroient ny fâcheux, ny rudes à exécuter. Cette proposition ayant esté reçeuë avec joye, elle dit que quand elle auroit fait les Regles & les Vœux de l’Ordre, elle leur en feroit prester le serment, & qu’alors elle en donneroit les Dignitez à celles qui en seroient jugées dignes. Cependant elle le nomma l’Ordre des Chevalieres de l’Oyseau, & leur fit la description de la Marque qu’elle promettoit d’en faire faire, & qui doit estre, un Trophée de Fusils, d’Epées & de Flêches, chargé sur le tout d’un Cœur plein de feu, & au dessous, un Oyseau démembré, le tout noüé d’un Ruban, avec cette Inscription, Libertatis honor & gloria. En mesme temps elle conféra cet Ordre à toutes ces aimables Chevalieres, & les pria, pour rendre ce jour plus éclatant, de donner la liberté à tous le Vaincus. La joye redoubla de toutes parts. Les Chevaliers Etrangers reçeurent, comme ils devoient, le Don qui leur estoit fait, & rompirent les Rubans qui leur tenoient lieu de Chaînes. Les Hautbois & les Trompetes faisoient cependant retentir toute l’Eglise. Chacun en sortit tres-satisfait, & les Dames estant remontées à cheval, firent le tour de la Ville dans le mesme ordre que je vous ay déja décrit. Le seul changement qu’on y remarqua, fût que les Vaincus montant aussi à cheval, allérent au rang des Chevaliers de Charolles. Le tour de la Ville estant achevé, on se rendit chez Mr Peserat, Pere de la Reyne. On y servit un magnifique Repas, auquel succéda le Bal qui dura toute la nuit. Le lendemain, les Chevaliers traiterent les Dames, & les autres jours de la semaine se passerent en plaisirs. On me promet de m’apprendre quels auront esté les Vœux de ce nouvel Ordre, & les galantes Cerémonies que l’on aura observées pour le Serment de fidélité. C’est dont j’auray soin de vous instruire sur ce qu’on m’écrira.

Chanson §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 113-114.

Les Paroles que vous trouverez icy notées sont de Mr Daubaine, dont vous avez déja veu de fort jolis Vers. L’Air est d’un habile Maître.

CHANSON.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par On peut encor dans la Prairie, doit regarder la page 113.
On peut encor dans la Prairie
Mener quelquefois son Troupeau,
Et cependant, la volage Silvie
Ne veut plus sortir du Hameau.
Le froid n’est pas ce qui l’arreste,
Je ne l’ay que trop reconnu.
A suivre mon Rival on la voit toûjours preste,
C’est pour moy seulement que l’Hyver est venu.
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L’Amour, et la Mort. Fable §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 114-122.

Il est assez rare que l’Amour soit sans rigueurs. Si vous en voulez sçavoir la raison, vous la trouverez dans la nouvelle Fable que je vous envoye. Elle est de Mr Bardou de Poitiers.

L’AMOUR, ET LA MORT.
FABLE.

Les deux Tyrans de la Nature,
L’Amour, la Mort, un beau matin
Se rencontrerent en chemin,
Par je-ne-sçay-quelle avanture.
Ils se font d’abord compliment,
Se disent qu’ils s’en vont dans un certain Village,
Où sous les Loix d’Hymen s’engageoit un Amant,
Et d’un commun consentement
Ils résolvent de faire ensemble le voyage.
Pour en moins ressentir les incommoditez,
Ils s’entretiennent de nouvelles,
Mille Contes badins sont par eux debitez,
Car l’Amour se repaist sur tout de bagatelles.
Sur le midy que la chaleur
Invite les Passans à l’ombre,
Nos Voyageurs couverts de poudre & de sueur,
Se tirent à l’écart dans un Bocage sombre,
Pour y respirer la fraîcheur.
La place estoit tenable ; une claire Fontaine
Couloit dans cet aimable Lieu,
Et des Zéphirs la douce haleine
Porta bientost le petit Dieu
A se coucher au bord de l’Onde.
La Mort en fit autant, & tous deux de concert,
Apres avoir posé dessus le Tapis vert
Leurs Arcs & leurs Carquois, si funestes au monde,
Dans ce Bois, à l’abry des ardeurs du Soleil,
S’abandonnerent au sommeil.
***
Ces deux Ennemis de la vie
Dormoient assez tranquilement.
Les Soucis, les Chagrins, & la Mélancolie,
Reposoient avec eux dans cet heureux moment.
Que nostre sort, helas ! estoit digne d’envie,
Si d’un sommeil mieux affermy,
Sans s’éveiller jamais, tous deux eussent dormy !
Je ne sçay quel Démon contre nous en colere
Troubla cette charmante Paix.
Tout d’un coup un nuage épais
Dérobe au Soleil sa lumiere ;
Le feu de mille Eclairs brille de toutes parts,
On entend gronder le Tonnerre,
Et le Ciel irrité semble priver la Terre
De ses favorables regards,
Quand tout d’un coup le Foudre avec un bruit horrible
Tombe sur le Bocage où reposoit l’Amour.
Réveillé par ce coup terrible,
Il voit en feu les Arbres d’alentour.
Combien ce petit Dieu, dont le cœur est si tendre,
De ce spectacle affreux fut-il épouvanté ?
(Car pour l’autre Divinité,
Sans s’étonner de rien, elle voit tout en cendre.)
Croyant estre perdu, dans cette extrémité,
Il eut recours aux cris, aux larmes,
Et se hasta de partir de ce Lieu
Où l’on n’avoit nul respect pour un Dieu ;
Mais voulant reprendre ses armes,
Dans son impatient transport,
Il prit sans y penser le Carquois de la Mort,
Et laissant à cette Inhumaine
Les Traits dont il blessoit & Tyrcis, & Climene,
Triste, troublé, confus, accablé de frayeurs,
Il se mit à gagner la Plaine.
La Mort en mesme temps chercha fortune ailleurs.
***
Apres un si fâcheux orage,
On voit venir le calme & la serénité,
Et du Soleil la brillante clarté
Dissipa cet épais nuage.
L’Amour alors revenu de sa peur,
Voulut de cet affront s’aller plaindre à sa Mere ;
Il se mit de mauvaise humeur,
Et fut décharger sa colere
Sur un jeune Berger, qui dans un Lieu charmant,
Sans amour, sans inquiétude,
Joüissoit fort innocemment
Des douceurs de la solitude.
Le petit Dieu troubla cet heureux sort
D’une maniere assez terrible ;
Car voulant luy donner un cœur tendre & sensible,
Il tire, mais helas ! il luy donne la mort.
Il causa bien d’autres allarmes ;
Mille innocens Bergers, mille jeunes Beautez,
Sentirent l’effort de ses armes.
On n’entendoit de tous costez
Que cris, que soûpirs, & que larmes,
Et tous les Echos d’alentour
Se plaignoient tristement des rigueurs de l’Amour.
***
La Mort de son costé faisoit bien du ravage.
Mille Vieillards dans un seul jour
Quitterent du Styx le rivage,
Pour s’embarquer avec l’Amour.
Elle eut beau dire, elle eut beau faire,
Ses Traits n’avoient rien que de doux,
Tout estoit renversé, les Vieux cherchoient à plaire,
Et se mesloient de faire des Jaloux,
Tandis que l’aimable Jeunesse.
Triste, & le cœur gros de soûpirs,
Abandonnoit à la Vieillesse,
Les ris, les jeux, & les plaisirs.
***
Depuis cette Avanture & bizarre & cruelle,
La fierté, les rigueurs, succedent à leur tour,
Et la Beauté la moins rebelle
S’allarme au seul nom de l’Amour.

[Mort de M. de la Baume] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 122-126.

La mort de Mr de la Baume, Conseiller au Parlement de Dauphiné, arrivée le 20. du dernier mois, a fort affligé icy plusieurs Personnes qui avoient pour luy une estime particuliere. Je vous ay parlé fort amplement de cette Famille, en vous apprenant le Mariage de Mr de la Baume, Seigneur de Chasteaudouble. Mr de la Baume Pere du Defunt, ne fut pas moins consideré des Puissances, que l’avoient esté ses Prédecesseurs. Les deux Comtes de Soissons, & le Connestable de Lesdiguieres, Gouverneurs, & Lieutenans Genéraux en la Province de Dauphiné, l’employerent plusieurs fois en des Commissions, pour des Affaires importantes à l’Etat, deça, & dela les Monts. Il fit en suite la fonction de Procureur General au Sénat de Savoye sous Loüis XIII. tant que ce Monarque voulut estre Souverain de cette Principauté, & eut plusieurs Enfans d’une Heritiere, qui estoit Niéce du Sous-Doyen & Garde des Sceaux du Parlement de Grenoble. Celuy dont je vous apprens la mort estant l’aîné, prit la profession de la Robe, & a passé quarante ans dans la Magistrature, où il s’est acquis beaucoup d’estime dans le Parlement de Dauphiné, & dans la Commission de la Chambre de Justice de Paris. Il ne s’est point voulu marier, afin de suivre avec plus de liberté le panchant qu’il a toûjours eu pour les belles Lettres. Jamais Homme ne s’appliqua plus que luy à la lecture. Il a donné sa Bibliotheque aux Jésuites de Grenoble qui l’ont assisté à la mort, & laissé pour Heritier un de ses Neveux, qui porte le nom de la Baume-Pluvivet, Marquis d’Aigluy, Gouverneur de la Ville, Tour & Chasteau de Crest, qui est un des Gentilshommes les plus accomplis de la Province, & qui d’ailleurs a de tres-grands Biens. Il sera le sixiéme Conseiller de sa Famille dans le mesme Parlement. Mr de la Baume portoit, d’or, à la Bande vivrée d’azur, à deux Hermines de sable.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 129-136.

L’Œuf admirable sur lequel on a trouvé la Figure du Soleil, a donné occasion à la Lettre que je vous envoye. Vous vous souvenez sans doute, de ce que Mr de Vienne-Plancy m’a fait la grace de m’écrire sur cette matiere.

A MADAME LA L.G.
de Bar-sur-Seine.

Vous ne sçavez peut-estre pas, Madame, qu’à la mesme heure que vous estes accouchée de vostre dernier Enfant, une Poule de vostre Ville a fait un Œuf qui porte l’image du Soleil. J’ay consulté sur cette rencontre d’habiles Connoisseurs en présages. Ils m’ont tous assuré que ç’en estoit un, que la Fille que vous avez mise au monde, y paroîtroit un jour comme ce bel Astre, avec éclat & gloire. Un augure si heureux est en verité bien digne d’une Mere aussi aimable & aussi brillante que vous, & mérite d’autant plus de créance, que vostre Fille a déja comme les Etoiles, l’avantage d’estre belle dés son Orient. On dit qu’Helene sortit d’un Œuf ; & cette Fable n’a esté inventée, que pour exprimer la blancheur du teint de cette Grecque ; mais il suffira de parler du vostre, pour donner une grande & juste idée de celuy de vostre Fille, puis qu’elle vous ressemblera. Jamais teint n’eut tant de blancheur & tant d’éclat pour une Brune.

 Tout ce qu’on dit des Roses & des Lys,
Ne sçauroit exprimer un si beau coloris ;
Il efface le teint de la plus belle Blonde,
 C’est le teint le plus beau du monde.

Vos yeux n’ont pas moins de charmes que vostre teint. Il n’en fut jamais de plus propres à faire des conquestes, & il y a bien plus de plaisir à les regarder, pour sçavoir comme ceux de vostre bel Enfant seront faits, qu’à consulter le Soleil & l’Œuf.

A la Mere d’Amour vous les avez pareils ;
 Ils percent jusqu’au fonds de l’ame,
 Et sont eux-mesmes des Soleils,
Puis qu’ils portent par tout la lumiere & la flâme.

Ce seroit inutilement que je vous dirois l’effet que ce beau teint & ces beaux yeux ont produit sur mon cœur ; il y a longtemps que vous le sçavez. Je vous représenteray seulement qu’il sera bien doux un jour à ceux qui prennent part à vos intérests comme moy, de voir vostre aimable Fille briller avec ces mesmes avantages, & succeder ainsi à l’empire qu’ils vous ont acquis sur toutes les Personnes qui ont l’honneur de vous approcher.

 Cet empire n’est pas petit,
Vous estes engageante autant qu’on le peut estre ;
 Et quand l’Enfant qui vient de naître
 Sera dans l’âge où tout nous rit,
Où l’on sçait ce qu’on veut, ce qu’on fait, ce qu’on dit,
 Que de gloire pour cette Belle,
  De voir à ses genoux
 Mille Amans s’enflâmer pour elle
Des mesmes feux qu’ils auront eus pour vous !
Un sort si glorieux ne sera pas moins doux.
 Cette Cour constante & fidelle
 S’accroîtra d’une Cour nouvelle,
Où le Ciel luy fera prendre un charmant Epoux,
 Qui l’aimera, sans en estre jaloux.
 Enfin cette jeune Merveille,
 L’image de l’Astre du Jour,
Aussibien que la vostre, & celle de l’Amour,
N’aura non plus que vous au monde sa pareille,
  Et sa félicité
  Sera telle que sa beauté.

Le présage donne lieu de juger ainsi de son mérite & de sa fortune, pourveu que vous ne luy soyez pas contraire, & que vous l’aimiez autant que vostre cher Fils, & on a sujet d’espérer cette justice de vostre bon naturel, & de l’exemple que vous en donne Monsieur vostre sage Epoux. Mes vœux secondent ce présage & cette espérance, & je suis, Madame, à mon ordinaire, vostre, &c.

Le Berger de Flore.

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 136-186.

Il n’y a point d’amitié si forte, qui ne soit sujette à la rupture, lors que l’Amour a ses interests particuliers à soûtenir. Je puis vous en donner un exemple.

Deux jeunes Personnes, aussi agréables que bien faites, se voyant souvent comme Voisines, prirent un si fort attachement l’une pour l’autre, que rien ne sembloit égal à leur amitié. L’une estoit brune, & l’autre d’un blond cendré admirable, & toutes deux avoient les yeux vifs & pleins de feu, le teint fort brillant, & je-ne-sçay-quoy de dégagé dans la taille qui n’aidoit pas peu à les faire regarder. Comme elles avoient beaucoup d’esprit, elles donnérent à leur amitié tout l’agrément qu’elle estoit capable de recevoir. La Brune prit le nom de Serviteur, la Blonde celuy de Maistresse, & sous ces deux noms, elles ne se contentoient pas de se parler d’une maniére tres-tendre ; elles s’écrivoient encor presque tous les jours, & la conformité de leur Sexe les mettant au dessus de la réserve, tout ce que l’Amour fournit de termes passionnez estoit employé dans leurs Billets. Quelques mois apres leur union, la belle Brune fit une Conqueste. C’estoit un Homme fort riche, à qui une Charge de Conseiller qu’il exerçoit avec grand honneur depuis dix ou douze années dans un des plus celébres Parlemens de France, donnoit un rang fort considérable. Le hazard luy en ayant fait acquérir la connoissance, il sembla la cultiver par un pur effet d’inclination. Les soins obligeans qu’il luy rendoit, & quelques demy-déclarations qu’il luy avoit faites, luy donnant lieu de penser qu’il songeoit au Mariage, elle s’en ouvrit avec son Amie. La Blonde prit part à son heureuse fortune, & ne pût venir souvent en apprendre des nouvelles, sans que son Amant la vist plusieurs fois. Elle avoit un caractére d’esprit doux & engageant, qui malgré elle, fit impression sur le cœur du Conseiller. Il se contraignit d’abord, & cacha ce qu’il sentoit ; mais la contrainte irritant sa passion, il s’abandonna à sa destinée, & ennuyé de ne voir la Blonde qu’en présence de témoins, il luy rendit visite chez-elle. Cette aimable Fille qui la recevoit comme une visite de civilité, n’en fit point mistére à son Amie. C’estoit sa Maistresse qu’elle prétendoit qu’il cherchast en elle, & quelques douceurs qu’il pust luy conter, elle les nommoit douceurs de réflexion qui n’estoient point pour son compte. Il la vit ainsi de temps en temps pendant plus d’un mois, sans que cette Amie en fust allarmée ; mais enfin soit qu’il marquast quelque froideur à la Brune, soit qu’il luy parlast de la belle Blonde avec trop d’estime, elle commença à le soupçonner d’en estre amoureux, & vint avec-elle dans un éclaircissement qu’elle ne pût faire sans beaucoup d’aigreur. La Belle n’eut aucune peine à la satisfaire. Elle l’assura qu’elle banniroit le Conseiller, & luy tint parole, en le priant la premiere fois qu’il la revit, de ne luy plus rendre aucune visite. Cette priére, dont il estoit fort aisé de comprendre les raisons, eut un succés tout contraire à celuy qu’on attendoit. Elle marquoit une beauté d’ame qui charma le Conseiller, & ne servit qu’à haster ce qu’il avoit résolu de faire. Apres s’estre plaint de la rigueur de cette aimable Personne, il luy dit dans les termes les plus sérieux & les plus soûmis, qu’il n’y avoit qu’elle seule qu’il fust capable d’aimer, & qu’il ne prétendoit point, pour quelques soins rendus sans dessein à son Amie, avoir renoncé au droit de disposer de son cœur ; qu’il estoit à elle depuis le moment qu’il l’avoit veuë ; qu’aucune autre n’y auroit jamais de part ; & que s’il estoit assez heureux pour ne luy déplaire pas, il luy donneroit de promptes marques du sacrifice qu’il luy en faisoit. Quoy que la Belle ne pust se défendre de répondre avec estime à une déclaration si obligeante, elle en témoigna beaucoup de chagrin, & demeura ferme dans la résolution de ne plus souffrir le Conseiller. Toutes les raisons qu’il luy opposa furent inutiles. Il se vit contraint de la quiter apres une longue contestation qui n’eut point d’effet, & revint chez elle trois ou quatre fois, sans qu’elle voulust se rendre visible. Comme les obstacles redoublent l’amour, ces difficultez ayant augmenté le sien, il ne garda plus aucunes mesures. Il alla trouver son Pere, & s’imaginant qu’elle ne cherchoit qu’un ordre absolu qui excusast sa conduite, il luy découvrit l’état des choses, & le conjura d’estre favorable à sa passion. Le Pere qui vit le Party avantageux, luy promit de vaincre les scrupules de sa Fille ; & ne voulant pas se servir contr’elle de sa pleine autorité, il se contenta de luy donner libre accés chez luy, ne doutant point que le temps, son amour, & son mérite, ne luy fissent obtenir le consentement qu’on luy refusoit. La Belle, obligée de soufrir le Conseiller, que son Pere luy amenoit fort souvent luy-mesme, fit connoistre à son Amie la violence qui luy estoit faite, & apres luy avoir juré tout de nouveau l’amitié la plus constante & la plus fidelle, elle l’assura que malgré l’obeïssance qu’elle devoit à son Pere, on n’auroit jamais à luy reprocher qu’elle eust le cœur assez bas pour luy vouloir oster son Amant. Un procedé si honneste n’adoucit point cette Amie. Elle estoit outrée de ce que le Conseiller avoit cessé de la voir ; & regardant l’aimable Personne qui en estoit cause, quoy qu’innocemment, comme une Rivale, complice en secret de sa trahison, elle prit pour elle autant de haine qu’elle luy avoit auparavant montré de tendresse. Ainsi ses emportemens n’eurent point de bornes. Le commandement d’un Pere estoit un prétexte mandié pour couvrir sa perfidie ; & quelques prieres que luy fist la Belle d’attendre à la condamner qu’elle fust coupable, elle n’écouta que sa jalouse colere, & se déclara son Ennemie avec un éclat qui surprit tous ceux qui la connoissoient. La rupture fut entiere, & quand la Brune sortit de chez son Amie, apres avoir sçeu qu’elle soufroit encor son Amant, ce fut avec protestation de ne la revoir jamais, & de chercher tant qu’elle vivoit les occasions de se vanger. La Belle eust pû tourner à son avantage des honnestetez si mal reçeuës ; mais quoy que le Conseiller n’eust rien qui dust luy déplaire, elle conserva pour son Amie les sentimens qu’elle luy avoit promis eternels, & se fit un point-d’honneur de s’opposer toûjours à un Mariage qui l’eust pû rendre suspecte d’avoir agy de mauvaise foy. L’Amante jalouse, dont toutes les passions estoient violentes, ne fut point touchée d’une genérosité si peu commune. Sa haine alla jusques à l’excés ; & comme le voisinage luy fournissoit tous les jours quelque occasion d’en donner des marques, sa Mere, à qui cet éclat ne plaisoit pas, changea de Maison, pour en prévenir les suites, & alla loger dans le Quartier de Paris le plus éloigné de celuy qu’elle quitoit. Cependant les Affaires qui avoient amené le Conseiller à Paris, ayant finy au bout de trois mois par un accommodement avantageux, il voulut sçavoir déterminément à quoy il devoit s’attendre. La Belle ne balança point à prendre party, & soit que son cœur ne sentist rien, soit qu’elle fust toûjours genéreuse, comme son Pere luy avoit enfin laissé la liberté de choisir, elle pria cet Amant d’aller offrir à quelque autre ce que son premier engagement luy défendoit d’accepter. Il retourna en Province, remply d’estime pour cette charmante Fille ; & pour se guérir de son amour, il s’y maria presque aussitost avec une assez jolie Personne dont on luy parloit depuis fort longtemps. La belle Brune fit la mesme chose un mois apres son départ. Un Amant s’offrit. Il avoit beaucoup de Bien, & quoy qu’il ne fust ny spirituel, ny d’une naissance fort élevée, la considération de ses avantages l’obligea de l’épouser. Cette occasion parut favorable à son Amie pour renoüer avec elle. Sitost qu’elle sçeut son Mariage, elle luy fit demander si elle voudroit recevoir ses complimens. Un nouveau serment de haine paya cette honnesteté. On eut beau luy dire que la maniere dont son Amie en avoit usé faisoit voir son innocence ; elle répondit que loin qu’elle eust refusé le Conseiller, elle sçavoit avec certitude qu’il s’estoit dégousté d’elle, & qu’on pouvoit le connoistre, puis qu’il s’estoit marié dans le mesme temps qu’il l’avoit abandonnée. Son esprit aigry la rendant si peu traitable, on la laissa dans l’aveuglement où elle voulut rester. Son Mariage fut de fort courte durée. L’Epoux mourut un mois apres cet engagement ; & comme l’amour y avoit eu peu de part, la jeune Veuve se consola bientost de sa perte. Son deüil luy donna de nouveaux charmes. Elle en parut avoir le teint plus brillant, & sa fortune estant augmentée par le Bien que luy laissa son Mary, elle devint un Party considérable. Six mois de veuvage s’estant écoulez, elle commença à voir le monde, & dans ce temps mesme un jeune Marquis Provincial s’attacha à son Amie. Il estoit bien fait & riche, mais fort délicat en matiere de tendresse. Il cherchoit un cœur qu’il possedast sans partage ; & s’il croyoit impossible d’en trouver un qui n’eust rien aimé, il vouloit du moins qu’il n’eust jamais ressenty une forte passion. A peine eut-il rendu quelques soins à cette aimable Personne, qu’il apprit l’engagement que le Conseiller avoit pris pour elle. Il luy en parla, & elle ne fit aucune façon de luy avoüer que ce n’estoit point par manque d’estime qu’elle s’estoit défenduë de l’épouser, mais parce qu’elle devoit cette résistance à une Amie qu’elle n’avoit pas laissé de perdre, quoy qu’elle luy eust sacrifié une assez grande fortune. Le Marquis trouva le procedé de la jeune Veuve si peu vray-semblable apres de si fortes marques d’une solide amitié, que l’Avanture luy devint suspecte. Il voulut s’en éclaircir, & s’informa avec d’autant plus de soin des veritables raisons qui avoient empesché ce Mariage, qu’il luy parut que le Pere de la Belle eust dû se servir de son pouvoir pour la contraindre d’épouser le Conseiller. La chose luy estant contée diversement selon qu’on l’avoit apprise de l’une des deux Parties, il crût que le mieux qu’il pouvoit faire, estoit d’observer la conduite de la Belle, & de juger par luy-mesme des sentimens dont son cœur estoit capable. Il redoubla l’assiduité qu’il avoit pour elle, & luy voyant charmer tout le monde par sa douceur & par ses honnestetez, il en devint éperduëment amoureux. Vous pouvez croire qu’il ne tarda pas long-temps à se déclarer. Quoy qu’il pust voir aisément que sa déclaration estoit bien reçeuë, il dit à la Belle, que ne cherchant à se marier que pour estre heureux, il vouloit qu’elle eust le temps de le bien connoître, afin que si elle s’expliquoit en sa faveur, elle n’eust jamais sujet de se repentir. Ainsi il continua ses soins encor plus d’un mois sans parler d’affaires, & ce n’estoit pas assez pour luy de la voir presque à toute heure ; il luy écrivoit encor tous les jours, & rien n’estoit si passionné que ses Billets. La Belle estoit entiérement reservée dans ses réponses, & cette réserve qui marquoit sa modestie, plaisoit au Marquis, & le chagrinoit en mesme temps. S’il y trouvoit ce caractere de sagesse & de pudeur qu’on doit souhaiter dans une Femme, il craignoit que les sentimens d’estime dans lesquels elle bornoit sa reconnoissance, ne fussent des marques de son peu d’amour. Voila l’état où estoient les choses, quand l’incident le plus impréveu troubla l’union de ces deux Amans. Un jour que la jeune Veuve, qui gardoit toûjours sa haine, avoit chez elle grande compagnie, apres diverses nouvelles qu’on y debita, une Dame luy apprit que son Amie d’autrefois estoit sur le point de se marier. Elle demanda aussitost à qui. La mesme Personne ayant répondu qu’elle ignoroit le nom de l’Amant, mais qu’on le faisoit fort riche, & qu’il se disoit Marquis, un Cavalier adjoûta que c’estoit avec raison qu’il prenoit ce titre ; qu’il estoit de ses intimes Amis, & qu’il pouvoit assurer, de quelque mérite que fust sa Maîtresse, qu’elle auroit eu peine à faire un plus digne choix. La jeune Veuve n’ayant rien dit davantage, tourna le discours sur des matieres, dans lesquelles elle fit paroistre un esprit sans trouble & plein d’enjoüement. La Compagnie se retirant peu à peu, le Cavalier resta des derniers, & enfin il demeura seul avec elle. Alors remettant sur le tapis le Mariage dont la Dame avoit parlé, elle dit au Cavalier, qu’estant autant de ses Amies qu’elle estoit, elle ne pouvoit le voir dans l’intérest du Marquis, sans luy découvrir qu’il ne seroit point heureux, s’il épousoit la plus lâche & la plus dissimulée de toutes les Filles ; que luy ayant enlevé le Conseiller par de honteuses avances, elle avoit tâché de le retenir par des faveurs qu’il n’attendoit pas, & qui l’en avoient si fort dégousté ; qu’il avoit voulu revenir à elle ; que dans l’espérance de l’obliger à luy pardonner sa trahison, il luy avoit fait le sacrifice de toutes les Lettres qu’il avoit reçeuës de sa fausse Amie, & qu’il connoistroit en les lisant, que le Conseiller avoit eu des avantages qui la rendoient fort indigne qu’un honneste Homme la considérast. En mesme temps elle tira de son Cabinet un fort grand nombre de Lettres qu’elle luy fit voir. C’estoient celles que la Belle avoit écrites à la jeune Veuve pendant leur intelligence. Elles estoient toutes d’une Maîtresse à un Serviteur, & si pleines d’un amour qui n’a rien de réservé, qu’on n’en pouvoit faire la lecture, sans y trouver la conviction du commerce le plus libre. Le Cavalier la pria de luy confier ces Lettres, & ne les obtint qu’apres qu’il l’eust assurée qu’elles ne sortiroient point de ses mains, & que dés le lendemain il auroit soin de les rapporter. Il demeura si persuadé du peu de conduite qu’avoit eu la Belle, qu’il crût qu’en donner avis à son Amy, c’estoit luy rendre un tres-bon office. Il luy demanda, en luy faisant voir le premier de ces Billets, s’il en connoissoit le caractere. Le Marquis luy répondit aussitost que c’estoit celuy de sa Maîtresse ; & comme il l’aimoit passionnément, un Criminel à qui on prononce son Arrest, ne montre point plus de trouble qu’il en fit paroistre à chaque ligne qu’il lût. A dire vray, les expressions estoient tres-fortes. Vous en jugerez par ce Billet, qui fut l’un de ceux qu’on avoit donnez au Cavalier.

Il m’a paru, mon cher Serviteur, que vous me quitastes hier un peu froidement. Je ne sçay si la Dame qui à force de contester vous obligea d’accourcir vostre visite, vous avoit mis de méchante humeur ; mais à peine jettastes-vous un regard sur moy en vous en allant, & je n’en ay point dormy de toute la nuit. Vous n’aurez pas de peine à me croire au teint broüillé que vous me verrez. Venez promptement réparer cela par vos plus tendres carresses. Je suis tres-disposée à les recevoir, & si vous estes aussi amoureux qu’aimé, vous aurez tout lieu d’estre satisfait.

Le Marquis fut si outré de douleur, qu’il resta comme immobile, sans pouvoir dire un seul mot. Apres un quart-d’heure de silence, il voulut prendre ces Lettres comme des témoins irréprochables de la folle passion de sa Maîtresse dont il prétendoit l’aller convaincre ; mais son Amy refusa toûjours de l’en rendre maistre, & il falut qu’il se contentast de les copier. Il ne le put faire sans soûpirer mille fois, & l’excés de son amour qui luy peignoit la Belle avec mille charmes, luy faisant craindre qu’il ne s’en laissast gagner s’il la revoyoit, il résolut de fuir ce péril, & au lieu d’aller chez elle, il luy écrivit un Billet, dont son Amy se chargea. Ce Billet portoit, qu’il luy disoit adieu pour jamais, & qu’il ne pouvoit luy mieux prouver qu’il l’avoit aimée tres-tendrement, qu’en luy cachant le sujet qui l’obligeoit d’en user ainsi. Imaginez-vous avec combien de surprise elle vit ce changement. Elle s’y estoit si peu attenduë, dans la disposition où il marquoit estre de conclure enfin le Mariage, qu’elle crût d’abord qu’il cherchoit à l’éprouver ; mais ses Amis eurent beau agir. Ils ne pûrent l’obliger à leur rien dire, & il cessa entiérement de la voir, sans s’estre expliqué sur la rupture. Ce fut un fort grand Triomphe pour la jeune Veuve ; mais il luy manquoit, pour le rendre entier, d’attirer l’Amant. Elle fit si bien aupres de l’Amy, qui la trouvant d’une humeur tres-enjoüée, la crût capable de consoler le Marquis, qu’il luy en donna la connoissance. Le Marquis se laissa mener chez-elle avec plaisir, espérant que les circonstances qu’elle luy découvriroit des fausses démarches de son imprudente Amie, effaceroient de son cœur ce qu’il luy restoit d’amour. La jeune Veuve qui estoit adroite, donna un tour si spirituel, quoy que tres-malicieux, à ce qu’elle supposa qui s’estoit passé entre la Belle & le Conseiller, que le Marquis luy voyant moins regreter l’Amant que l’Amie, fut persuadé qu’elle estoit sincere, & commença insensiblement à luy rendre quelques soins. Elle y répondit par toutes les complaisances que l’honnesteté luy pouvoit permettre. Elle connoissoit son caractere, & le sçachant délicat sur la tendresse de cœur, elle luy fit voir, sans trop affecter de le vouloir faire, que si le sien prenoit de la passion, ce seroit la seule qu’elle eust jamais ressentie. Il ne falut rien de plus pour luy faire croire qu’il seroit heureux s’il réüssissoit à s’en faire aimer. Elle estoit belle & bien faite, avoit l’esprit vif, beaucoup plus de Bien que son Amie ; & ce qui estoit un tres-grand charme pour luy, elle eut tant de soin de bannir tous ceux qui luy pouvoient faire ombrage, qu’en quelque temps qu’il la vist, il la trouvoit toûjours seule. Il estoit en bonne main, & sans faire des avances qui le pussent refroidir, elle l’obligea bientost à s’expliquer en termes intelligibles. Il crût d’autant moins risquer en se déclarant, qu’il luy restoit encor quatre mois pour achever l’année de son deüil, & qu’il pouvoit pendant tout ce temps étudier son esprit & son humeur, & connoistre à fond, avant qu’il s’engageast pour toûjours, si l’embarquement n’avoit rien de dangereux. Cette passion nouvelle, dont il se servoit comme d’un remede propre à le guérir de la premiere, ne pût luy faire oublier la belle Blonde, qui demeurant à l’un des bouts de Paris, ne sçavoit rien de l’intrigue. Il songeoit souvent à elle, & quelquefois l’allant regarder de loin dans une Eglise, il estoit au désespoir que la modestie qu’il voyoit sur son visage ne fust qu’apparente, & qu’un extérieur si honneste ne pût estre le garant d’une sagesse effective. Le temps s’écouloit toûjours, & la jeune Veuve, qui avoit sujet de craindre qu’on ne découvrist sa fourbe, faisoit entendre à demy, qu’elle ne vouloit qu’estre pressée pour se résoudre à se marier avant la fin de l’année de son veuvage, quand le Conseiller qui avoit aimé la Belle, fut obligé de revenir à Paris. Le Marquis le sçeut, & souhaita le connoistre. On luy ménagea une occasion de rencontre, dans laquelle ils eurent une conversation particuliére. La Belle en fit bientost le sujet. Le Conseiller en parla avec des marques d’estime qui ne pouvoient partir que d’un Homme véritablement persuadé. Il dit au Marquis qu’il ne sçavoit point ce qui les avoit broüillez ; mais que pour luy, s’il avoit esté assez heureux pour en estre aimé, il auroit fait gloire de la preférer aux plus brillantes fortunes ; qu’il s’estoit marié par desespoir, & qu’une Amie pour qui malheureusement il avoit eu quelque complaisance en arrivant à Paris, estoit cause que plus de trois mois d’assiduité n’avoient rien pû aupres d’elle. Là-dessus il entra dans le détail de l’Avanture, & luy peignit en termes si forts la beauté d’ame de cette charmante Personne, que le Marquis demeura embarrassé. Le Conseiller ne luy disoit rien qui ne luy parust tres-vray semblable ; mais quelque panchant qu’il eust à le croire, il ne pouvoit démentir ses yeux. Il avoit lû. Les Lettres estoient de la belle Blonde, & le caractere luy en estoit trop connu, pour pouvoir croire qu’il se fust trompé. Le Conseiller parla si long-temps la mesme Langue, qu’enfin le Marquis fut obligé de luy dire qu’il estoit discret, & que cependant on n’ignoroit pas qu’il avoit reçeu quantité de Lettres qui faisoient voir que les faveurs de la Belle l’avoient payé de ses soins. Il répondit à cela par tant de sermens de n’en avoir jamais eu le moindre Billet, & demanda avec tant d’instance qu’on luy fist connoistre les Imposteurs qui publioient cette calomnie, que le Marquis commença d’avoir quelque soupçon de la surprise qu’on luy avoit fait faire. Il quita le Conseiller, apres en avoir tiré d’autres éclaircissemens qui justifioient sa belle Maistresse. Quoy que les Lettres qu’il avoit veuës d’elle, fussent écrites à un Amant, & à un Amant favorisé, le Conseiller nioit fortement qu’il en eust reçeu aucune ; & la fausseté d’une circonstance dans une Histoire contée par des Gens intéressez, engage à tenir le reste suspect. Dans cet embarras, sans prendre conseil que de son amour, il se résolut d’aller chez la Belle, & de s’éclaircir avec elle-mesme du secret commerce qu’on prétendoit qu’elle eust eu. Jugez quel étonnement pour cette aimable Personne, de revoir un Inconstant dont depuis deux mois elle n’avoit eu aucunes nouvelles. Elle le reçeut d’un air fier & froid, mais pourtant civil, & se tint debout, afin qu’il ne parust pas qu’elle voulust l’engager à une longue visite. Le Marquis entra d’abord en matiere, & sans luy nommer la jeune Veuve, il luy dit que devant se marier au premier jour, il avoit voulu luy venir apprendre le sujet de sa rupture, afin que tombant d’accord des justes raisons qui l’y avoient obligé, elle n’eust pas à se plaindre qu’il eust mal agy. En suite, il la pria d’écouter, & luy ayant lû trois ou quatre des Billets qu’il avoit transcrits, il luy demanda si elle en avoit reconnu le stile. La Belle luy dit, en le regardant assez fiérement, qu’elle n’avoit pas besoin de voir ces Billets en original, pour luy avoüer qu’elle les avoit écrits à un Serviteur cherement aimé, & qu’elle vouloit, pour l’intérest de sa propre gloire, & non dans aucune veuë de le contenter, luy en faire voir toutes les Réponses. En mesme temps elle ouvrit son Cabinet, & tira d’une Layete plus de cinquante Billets qu’elle avoit reçeus de son Amie. Le Marquis en reconnut d’abord l’écriture, & par le juste raport des uns aux autres, il vit le commerce d’Amant & d’Amante si bien étably entr’elles, que rappellant la réserve avec laquelle sa belle Maistresse luy avoit toûjours écrit, & faisant réfléxion sur les sermens que luy avoit faits le Conseiller, il ouvrit les yeux sur la tromperie. Je ne vous dis point qu’il se jetta aux pieds de la Belle, & qu’en luy faisant de justes reproches, on luy refusa longtemps le pardon qu’il demanda. Ils s’aimoient tous deux, & il n’y a point d’offence que le veritable amour ne fasse oublier. Le Marquis parla au Pere dans ce moment mesme, & ne voulut point sortir qu’on n’eust signé des Articles. Le Party estoit trop avantageux pour remettre au lendemain. On appella le Notaire, & le Mariage se fit quatre jours apres. La seule vangeance que la Belle prit de son Amie, fut d’ordonner au Marquis de la remplir d’espérance jusqu’à la conclusion de l’Affaire, dont il l’avertit luy-mesme par un Billet le jour qu’il se maria. Cet avis donné fut pour elle un coup de Foudre. Il avoit joint au Billet quelques-uns de ceux qu’elle avoit écrits à la belle Blonde. Elle vit par là que son artifice avoit esté découvert, & pour s’épargner la honte d’avoir des témoins de la rage où elle fut, elle partit aussitost pour aller à une Terre, d’où elle n’est point encor de retour depuis plus de six semaines que le Mariage a esté fait.

[Rondeau] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 186-189.

Voyez, Madame, combien quelquefois il est dangereux de condamner sur les apparences. Quoy que les noms de Maîtresse & de Serviteur ayent pensé des-unir deux cœurs, qu’on pourroit dire formez l’un pour l’autre, ils ne laissent pas d’estre fort communs parmy les Belles. Le galant Rondeau que vous allez voir en pourroit servir de preuve. Il est de Madame la Comtesse de Maroupian de Marseille, qui prenant le nom d’Amant avec une Dame de la mesme Ville, a fait ce Rondeau pour elle, & l’a adressé à un Gentilhomme qu’elles ont choisy pour Confident de leur passion.

RONDEAU.

De mon amour la flâme est éternelle ;
Quand une fois d’une œillade mortelle
Un bel Objet a sçeu blesser mon cœur,
Indiférence, injustice, froideur,
Rebut, oubly, rien ne m’éloigne d’elle.
***
Je suis perdu, s’il est vray qu’Isabelle
Ait résolu d’estre à mes vœux rebelle,
Car rien ne peut estre égal à l’ardeur
  De mon amour.
***
Mon cher Damon, mon Confident fidelle,
Vous qui pour moy faites voir tant de zele,
De grace, ayez pitié de ma langueur,
Et pour fléchir son injuste rigueur,
Entretenez quelquefois cette Belle
  De mon amour.

Requeste d’un jeune Hestre aux Mirtes des Jardins de Venus, qui sont dans la Ville d’Idalie en Cipre §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 207-219.

Il vous sera aisé de connoistre par la lecture des Vers que je vous envoye, que celuy qui les a faits n’est pas mal avec les Muses. Il faut vous en dire le sujet. Une Dame des plus réservées à faire connoistre les sentimens de son cœur, ayant à passer une partie de l’Eté à la Campagne, recevoit chez elle toute la Noblesse de son voisinage. Un Cavalier s’y rendit fort assidu, & dans quelques Madrigaux qu’il fit pour elle, il se donna le nom de Tircis. La Dame recevoit les Madrigaux sans façon, parce qu’elle aimoit les Vers, & que ceux du Cavalier avoient un tour agreable qui les faisoit lire avec plaisir. Ces Madrigaux l’accoûtumerent si bien au nom de Tircis, qu’en se promenant un jour elle l’écrivit sur l’écorce d’un jeune Hestre. Il fut lû du Cavalier, qui ayant trouvé quelque temps apres le mot de Fidelle, écrit encor de sa main sur le mesme Hestre, luy dit d’une maniere fort tendre, que ses desirs estoient satisfaits, puis que sa fidelité luy estoit connuë. La Dame rougit, & un je-ne-sçay quel trouble dont elle ne put estre la maistresse, luy faisant connoistre à elle-mesme, qu’elle estimoit plus le Cavalier qu’elle n’avoit crû, apres quelques vains efforts pour déguiser ce qu’elle sentoit pour luy de trop favorable, elle luy permit de croire ce qu’il voudroit de l’embarras où il l’avoit veuë. Deux ou trois jours furent à peine passez, qu’elle écrivit quelques Vers sur la mesme écorce. C’est là-dessus qu’ont esté faits ceux que vous allez lire.

REQUESTE D’UN JEUNE HESTRE
aux Mirtes des Jardins de Vénus, qui sont dans la Ville d’Idalie en Cipre.

Mirtes des Jardins d’Idalie.
Habitans d’un sejour si doux,
Un Arbre Etranger vous supplie
Qu’on le reçoive parmy-vous.
***
Il est vray, je ne suis qu’un Hestre,
Né dans des Lieux qui vous sont inconnus ;
Mais avec tous cela, peut-estre
Je vaux un Mirte de Vénus.
***
C’est le prendre un peu haut, Mirtes, je le confesse,
Et non pas cependant plus haut que je ne doy,
Si vous me demandez mes Titres de Noblesse,
Je les porte gravez sur moy.
***
Sçachez que l’autre jour une aimable Bergere,
Errant dans nostre Bois, rêveuse, solitaire,
Vint sous nos ombrages charmans.
A sa douce langueur, à sa démarche lente,
Nous dismes aussi-tost, c’est quelque jeune Amante,
Car tous les jours nous voyons des Amans.
***
Elle cherchoit des yeux une écorce nouvelle,
Jeunes Hestres s’empressoient tous
D’offrir leur écorce à la Belle,
De ces marques d’honneur nous sommes fort jaloux,
Heureusement je fus choisi par elle.
***
Elle grava, Tirsis ; moy ravy de prester
Mon écorce naissante à cet aimable usage,
Glorieux de son choix, je semblois m’en vanter
Aux Hestres envieux de tout mon voisinage.
Deux ou trois jours apres, elle vint ajoûter
Et le mot de Fidelle, & ce petit Ouvrage.
***
En rêvant dans ce Bois à qui m’a sçeu charmer,
 Sur cette écorce tendre & belle
Je gravay son nom seul, sans parler de son zele,
Tous les Bergers du nom le venoient réclamer ;
 Mais à présent que j’ajoûte, Fidelle,
 Tirsis des Amans le modelle
S’y connoistra luy seul, puis qu’il sçait seul aimer.
***
Ah ! si vous aviez veu cette jeune Personne,
Si vous connoissiez sa beauté,
Vous ne blâmeriez pas, Mirtes, la vanité
Que sa confidence me donne.
***
Nos Hestres les plus vieux qui mille & mille fois
Préterent aux Amans leur ombre favorable,
M’ont dit d’une commune voix
Qu’ils n’ont jamais vû dans nos Bois
Une Bergere plus aimable.
***
J’ay demandé son nom à ces petits Amours.
Qu’en foule depuis quelques jours
Un desir curieux dans nostre Bois amene,
Et dont autour de moy se fait un grand concours
Pour voir les Vers dont mon écorce est pleine.
C’est Iris, m’ont-ils dit, & l’Amour se promet
 De tirer une gloire extréme
De ce qu’elle t’a pû confier son secret ;
 Depuis assez longtemps elle aime,
 Et son cœur n’en avoit pas fait
 La confidence à son cœur même.
***
Tirsis, (& quel Amant n’est-ce pas que Tirsis ?)
Quoy qu’elle partageast ses amoureux soucis,
N’en pouvoit obtenir un aveu de sa bouche.
 Enfin, apres un long ennuy,
Il sçait depuis un mois que son amour la touche,
 Et tu l’as sçeu presque aussitost que luy.
***
Songe que cette Iris obstinée au silence
 Et qui n’aimoit qu’en se cachant de toy,
Ne vous a mis que trois dans cette confidence ;
 Elle-mesme, Tirsis, & toy.
***
Voila quelle est mon Avanture.
Fier de tant d’honneur, je suis las
De vivre en une foule obscure
D’Arbres que l’on ne connoist pas.
***
Souffrez que chez vostre Déesse
Par les Amours je me fasse emporter,
Je suis en ma verte jeunesse
Et propre encor à transplanter.
***
Parmy-vous de nouveau je me prépare à naistre,
D’Iris & de Tirsis vous verrez l’amour croistre,
En mesme temps que je croistray
Dans ces heureux Jardins que la Déesse habite,
J’en pourrois bien avoir quelque visite,
Grace aux Vers de sa main que je conserveray.
***
Ne craignez point la conséquence,
Ny qu’un nombre trop grand de Hestres transplantez
Ne regne enfin de tous costez
Dans les lieux de vostre naissance.
***
Recevez-les, tous ceux qui porteront écrits,
De tendres Vers d’une Bergere
Qui vaille la Bergere Iris,
Et soyez surs de n’en recevoir guére.
***
Vous voyez mes desirs, daignez les approuver.
Mirtes, ainsi toûjours une main immortelle
Prenne soin de vous cultiver,
Et chaque Mirte mâle, ait son Mirte femelle.

[Voyage des Troupes du Roy, & leur Entrée dans la Ville de Cazal] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 219-239.

Je vous entretins le mois passé de l’entrée des Troupes du Roy dans la Citadelle de Cazal, mais j’accompagnay cette nouvelle de si peu de circonstances, qu’une Lettre qui en est toute remplie, m’estant tombée depuis ce temps-là entre les mains, je croy vous faire plaisir de vous l’envoyer. Elle est d’un Homme fort intelligent & fort exact, & contient des choses qui n’ayant point encor esté sçeuës, méritent bien qu’on parle deux fois d’une evénement aussi remarquable que celuy dont elle traite.

LETTRE D’UN OFFICIER
des Troupes de la Citadelle de Cazal.
De Cazal le 9. Octobre 1681.

Je vous ay appris, Monsieur, ce qui c’est passé jusques à l’arrivée de nos Troupes en Dauphiné. La discipline qu’elles y ont observée est une chose innoüye jusques au Regne de Louis le Grand. Elles n’y ont pas pris un grain de Raisin, ny fait le moindre désordre. Je ne parle point par exagération, je dis la vérité toute pure. Cette belle discipline vient du bon choix de la Cour, qui n’employe que de sages Genéraux, & des Intendans fort prévoyans. On a campé par tout sans entrer dans aucune Ville ny Village, & sans aller au Fourrage ny au Bois, parce que sous ce prétexte, on auroit pû s’écarter mal-à-propos. Les Troupes ont trouvé leur Camp marqué dans toute la marche, du Pain, du Vin, de la Viande, du Bois, des Perches, & des Piquets pour tendre les Tentes. La Cavalerie a aussi trouvé par tout du Foin & de l’Avoine, & cet ordre s’est observé avec de si seûres précautions, l’argent du Roy & la vigilance de Mr Breant y ayant pourveu également, qu’aucun Soldat ny Cavalier n’est sorty de son Camp, & ne s’est détaché de son Escadron ou Bataillon pendant la Route. Mr de Bouflers partit de son Camp sous Pignerol la nuit du Samedy au Dimanche du 28. Septembre dernier, avec vingt Escadrons de Cavalerie, & quatre Régimens de Dragons, & laissa le reste de sa Cavalerie, toute l’Infanterie, les Equipages, les Vivres, & le Trésor, à Mr de Catinat qui le devoit suivre le lendemain, & qui reçeut le Brevet de Maréchal de Camp, le jour qu’il partit de Pignerol. Ses lumieres sont connuës, & ont esté employées utilement en beaucoup d’occasions pour le service de Sa Majesté. J’aurois beaucoup à m’étendre sur son esprit, & sur la solidité de son jugement ; mais pour vous faire son Panégirique en un seul mot, je vous diray que le Roy, le plus éclairé de tous les Monarques, l’a choisi pour luy confier la Citadelle de Cazal. Revenons à nostre marche. Nous estions guidez par Mr du Verger Maréchal genéral des Logis de l’Armée, qui pendant toute la derniere Guerre a servy en cette qualité-là en Catalogne avec beaucoup de succés & d’applaudissement du costé de la Cour, & des Genéraux. Il a un talent tout particulier pour cet employ, & l’Italie ne luy est pas moins connuë que l’Espagne. Nous passames le Pô avant le jour sur le Pont de Carignan. On fit alte pendant quatre heures. La Messe fut dite dans le Camp, & l’on dîna, apres quoy on détacha un Escadron de Cavalerie qu’on laissa au bout du Pont pour attendre Mr de Catinat, & son Infanterie, & l’on se remit en marche. Nous passâmes sur le glacis de Villeneuve d’Ast. C’est une Ville assez grande, bien fortifiée, & qui appartient à Mr le Duc de Savoye. De là nous allâmes camper & coucher à San Paolo, Village de Lastegean. Mr du Verger avoit marqué le Camp au delà du Village, dans une grande Prairie, le long du Ruisseau. Nous y arrivâmes deux heures avant le Soleil couché ; de maniére qu’on prit la commodité de reconnoistre le Camp & ses environs, de poser les Gardes de jour, de tendre les Tentes, & de prendre sans confusion la Ration du Fourrage que nous avions eu pendant toute la Route dans les Pays Estrangers, comme dans les Terres mesmes de Sa Majesté, non seulement par le bon ordre de nostre Genéral, mais encor par la prévoyance merveilleuse & les soins infatigables de Mr Breant Intendant de nostre Armée & de Cazal. C’est un Eléve de Mr Robert. Ce mot veut dire tout. De San Paolo nous vinsmes camper sous Montcalve qui appartient au Duc de Mantouë. C’est une grande Ville scituée sur une Colline. Il y a eu autrefois un Chasteau ou Citadelle avec des Tours, dont on void encor les vestiges du costé du Septentrion. La Ville a un Gouverneur & beaucoup de Noblesse, mais elle n’a point de Garnison. En cet endroit Mr de Bouflers reçeut Mr le Comte d’Ogliani de la part de Madame Royale. Il est Capitaine des Gardes de cette Princesse. Tous les Capitaines de Montcalve, & tous ceux du Montferrat, vinrent avec luy marquer la joye qu’ils avoient d’estre sous la puissante Protection de Sa Majesté. On ne sçauroit assez exprimer celle des Peuples, & les carresses qu’en reçeurent les François. Les Dames mesme eurent de l’empressement à les venir voir pendant qu’ils furent campez. Apres qu’on eut passé la quelques heures, comme si on eust dû y coucher, on marcha toute la nuit, en suite dequoy l’on fit alte de nouveau pendant une heure à une lieuë de Cazal. On passa les Défilez des Colines, & enfin le Mardy 30. Septembre, on arriva devant la Citadelle où l’on se mit en Bataille un peu avant que le jour parust. En mesme temps Mr de Bouflers détacha Mr de Crillon & Mr l’Intendant pour aller sçavoir à la Citadelle si l’on estoit prest à nous recevoir. Ils se présentérent à la Porte de Secours, mais on leur cria qu’ils allassent par la Ville, & qu’ils ne pouvoient entrer par là. Ils y allerent, & virent les Gouverneurs de la Ville & de la Citadelle, qui leur firent des excuses de ce que la Porte de Secours n’estoit pas encor débouchée, & qui les prierent de vouloir attendre. Ces Messieurs rapporterent ces nouvelles à Mr de Bouflers, qui les renvoya sur leurs pas pour hâter cette ouverture, & offrir des Dragons pour y travailler. Il recommanda à Mr l’Intendant de songer au fonds, luy dit de mener avec luy Messieurs Grezilemont, la Fonds & Grini, Commissaires des Guerres. Il ordonna aussi à Mr le Marquis de S. Hilaire d’y aller pour commencer les Inventaires de l’Artillerie. Ce Marquis est Fils de feu Mr de S. Hilaire Lieutenant Genéral de l’Artillerie, qui eut un bras emporté du coup qui tua Mr de Turenne. Il s’est acquis tant de réputation, qu’il n’y a Personne qui ne sçache qu’il a herité du mérite de Mr son Pere, & du zele qu’il avoit pour le service du Roy. Il ordonna aussi à Mr de la Mothe-Lamire de s’y rendre en mesme temps, pour songer aux reparations qu’on jugeoit necessaires. Estant entrez par la Porte de la Ville, nostre principal soin fut de déboucher celle de Secours. On y travailla fortement, Mr de Bouflers qui regardoit en dehors ce travail avec autant d’attention que d’impatience, crût sur le midy que l’ouverture estoit assez grande, & il y entra avec les Régimens de Dragons de la Lande, & de Barbesiéres. En mesme temps la Garnison qui estoit en bataille dans la Place d’Armes, & composée de six Compagnies d’Infanterie Italienne qui devoient estre chacune de cent Hommes, commença à défiler, & se retirant du costé de la Ville nous laissa la Citadelle vuide & libre. Mr le Marquis de Bouflers fut aussitost complimenté par tout le Pays, par le Conseil Souverain & la Chambre Ducale, & par les Magistrats, comme il l’avoit esté par les Gouverneurs & par toute la Noblesse. L’Evesque, le Clergé, & tous les Notables, le complimentérent en particulier. Il fut servy à disner aux despens de la Ville avec une tres-grande magnificence. Il y avoit quatre Tables, chacune de vingt Couverts. Les Principaux de la Ville & plusieurs Officiers de l’Armée, y mangerent, on bût la santé du Roy, & celle de Mr le Duc de Mantouë. La Ville traita Mr de Bouflers soir & matin pendant trois jours avec les mesmes apprets. Les Peuples ne se lassoient point de faire éclater leur joye, & de repeter les loüanges de Sa Majesté. Mr de Bouflers dépescha ce mesme jour à la Cour Mr de Saint Felix, & envoya Mr le Marquis de Fimarcon Colonel d’un Regiment de Dragons, à Mr le Duc de Savoye, & à Madame Royale, pour leur faire part de l’entrée des Troupes du Roy dans la Citadelle de Cazal, & les assurer d’un bon Voisinage de la part des François. Mr le Marquis de Crillon fut aussi envoyé vers Mr le Comte de Melgar Gouverneur du Milanois, Ce Marquis outre sa qualité a infiniment de l’esprit & du merite, & ses services ont fait assez connoistre son zele. Il mena avec luy Mr le Marquis de Gesvres, qui est un jeune Seigneur d’un nom trop connu pour vous en parler. Ces Messieurs revinrent de Turin & de Milan, fort satisfaits de la maniere obligeante & pleine d’estime dont on les avoit traitez. Les deux Regimens de Dragons de Barbesiéres, & de la Lande, qu’on a mis dans la Citadelle, sont tres-beaux, tres-bien montez, & font environ neuf cens Hommes. Il en reste deux au Camp de pareille sorte, dont l’un est Fimarcon, & l’autre Tessé. Il y a outre cela les Regimens de Cavalerie appellez Servon, autrefois la Rabliere, Royal, Roussillon, Crillon, Arnolfini, Chevalier Duc, & plusieurs autres, avec leurs Colonels, tant en chef qu’incorporez. Le Commandant de la Cavalerie est un des plus anciens Brigadiers du Royaume. Il a beaucoup de service, & est fort connu en Portugal, où il a servy longtemps, aussi bien qu’en Catalogne. Toutes ces Troupes vivent sans sortir du Camp, ny estre à charge à qui que ce soit. Le Lieutenant de Roy de la Citadelle est Mr de l’Isle, qui a esté Lieutenant Colonel de Louvigny ; & le Major, Mr du Coudray, Major du Regiment Royal de la Marine, tous Gens choisis, de service & de merite.

Le Mercredy premier d’Octobre, Mr de Catinat arriva sur le midy, avec le reste de l’Armée Cavalerie, & Infanterie, Equipages, Vivres & Trésor, que trois cens Mulets portoient avec les farines. L’Infanterie estoit composée de quatre Bataillons ; sçavoir, un de la Marine de huit cens Hommes effectifs, commandez par Mr Mathieu (c’est un Homme dont les services sont anciens & connus) un Bataillon de Sault, commandé par Mr de la Batisse ancien Capitaine, qui s’est signalé à la prise de Bellegarde en Catalogne, à la Bataille d’Epoüille, & à Puicerda ; un Bataillon de Laré, conduit par le Marquis de ce nom qui en est Colonel, Homme de qualité & de mérite ; & le Bataillon de Castres, commandé par le Lieutenant Colonel, Mr le Marquis de Castres estant demeuré à Pignerol. Toute cette Infanterie avec la Cavalerie, & les Dragons relevez, alla aussitost grossir le Camp qui est sous la Citadelle en deux Lignes. François, & Mantoüans, chanterent le Te Deum, à la Citadelle & à la Ville, & pendant toute la nuit on ne vit que feux, & on n’entendit que coups de Canon.

[Réception faite à Tours à Monsieur le Duc du Maine] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 247-252.

L’avis ayant esté apporté à Tours que Monsieur le Duc du Maine y devoit passer le Lundy 10. de ce mois, à son retour des Eaux de Rarrege, Mr le Marquis de Rasilly, Lieutenant Genéral de la Province, alla au devant de luy, accompagné de la Noblesse, de ses Gardes, & des deux Compagnies de la Maréchaussée. Ce Prince à qui sa haute naissance n’inspire que des sentimens d’honnesteté, s’arresta pour recevoir son compliment, & y répondit d’une maniere toute obligeante, avec la grace & la présence d’esprit qui luy est si naturelle. Ce Marquis le conduisit dans la Ville, où il arriva au brüit de toute l’Artillerie, & des décharges de la Bourgeoisie, qui estoit rangée en double haye depuis la premiere Porte du Fauxbourg jusqu’à sa Maison qu’il avoit fait préparer pour ce jeune Prince. Le Présidial & les Tresoriers de France l’y vinrent complimenter, ainsi que le Corps de Ville ; ce que firent aprés eux les Chanoines de S. Gatien & de S. Martin, qui luy présenterent le Pain & le Vin de leur Chapitre. Ces complimens estant faits, Mr le Marquis de Rasilly le régala d’un magnifique Soupé, qui fut suivy de la Comédie. C’est un divertissement que luy donnerent des Comédiens qui heureusement estoient arrivez à Tours. Le lendemain jour de S. Martin, ce Prince entendit la Messe aux Jacobins, où il fut conduit par le mesme Mr de Rasilly, qui luy donna ensuite un Dîné tres-propre. Au sortir de table il remonta en Carrosse, pour aller coucher à Amboise. Les mesmes honneurs du jour précedent luy furent rendus ; c’est à dire qu’en partant il trouva encor la Bourgeoisie sous les armes, & que Mr le Marquis de Rasilly l’accompagna jusqu’à une lieuë de la Ville, avec la Noblesse & les deux Compagnies de la Maréchaussée. Ce Marquis est présentement l’Aîné de l’ancienne Maison de Rasilly, aussi celebre par la valeur & par les services que ceux de ce nom ont rendus de Pere en Fils, sur mer & sur terre, que par les Charges qu’ils ont possedées. L’esprit n’est pas moins un privilege de cette famille, que l’éclat de la naissance.

Au Roy, Sonnet §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 252-254.

On le peut connoistre par un Sonnet que Mademoiselle de Rasilly a fait présenter au Roy sur Cazal & sur Strasbourg. Il semble qu’au lieu du sang qu’ont répandu ses Ancestres pour le service de sa Majesté, & pour ses augustes Prédecesseurs, elle veüille épuiser le feu de son esprit, pour marquer l’attachement qu’elle a aux interests & à la gloire de nostre Monarque, qui n’a remporté aucune Victoire, qu’elle n’ait tâché de consacrer par quelqu’un de ses Ouvrages. Voicy le dernier que l’on ait veu d’elle.

AU ROY,
SONNET.

Auguste Conquérant, vostre gloire immortelle
Pouvoit-elle esperer rien de plus éclatant ?
Vit-on jamais bonheur plus solide & constant
Ny de conduite aussi plus heureuse & plus belle ?
***
Vous revenez vainqueur d’une façon nouvelle
On vous voit du Midy, tout d’un coup au Levant,
Sur le Pô, sur le Rhin, paroistre triomphant
Et finir en un jour vostre juste querelle.
***
Mais parmy la Valeur, la Clemence eut son rang,
Vous blessâtes les Cœurs, pour épargner le Sang,
Vostre noble fierté dédaigna leur courage ;
***
Et si la Terreur fit sur ces Peuples vaincus
Ce que fit par le fer le grand Germanicus,
L’Amour les desarmant, fit beaucoup davantage.

Au Roy. Sur son Voyage à Strasbourg, Sonnet §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 254-257.

J’ajoûte un autre Sonnet de Mr Mallement de Messange. Je ne vous ay rien envoyé de luy qui n’ait plû, & sur tout les Ouvrages qu’il a faits pour le Roy, & pour Monsieur.

AU ROY.
Sur son Voyage de Strasbourg.
SONNET.

Le Rhin fut effrayé, lors qu’il te vit, grand Roy,
Avec tant de Guerriers qui couvrirent son Onde,
D’un air, qui répondoit de l’Empire du Monde,
Répandre le carnage, & l’horreur devant Toy.
***
Mais son étonnement surpasse cet effroy ;
Te voyant aujourd’huy dans une paix profonde,
Sans que ton Sabre frappe, ou que ton Canon gronde.
D’un tranquille regard mettre tout sous ta Loy.
***
D’où vient donc à present ce surprenant usage ;
Et quel siecle, dit-il, sur mon fameux rivage,
A pû voir autrefois, ce qu’on voit en ce jour ?
***
Au delà de mes Eaux, pour soûmettre une Place,
LOUIS s’en va suivy des Dames de sa Cour,
Comme au bord de la Seine il iroit à la Chasse.

[Cerémonie faite à Limours] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 276-284.

Cette foule n’a pas este moindre dans la Céremonie qui fut faite à Limours Diocese de Paris, le Dimanche 9. de ce mois, pour la Translation des Reliques de Saint Marc, d’une vieille Châsse dans une neuve. Mr l’Archevesque de Paris ne pouvant aller la faire, en donna la permission à Mr l’Evesque de Bayeux, Frere de Mr le Président de Némond, qui se rendit à Limours, accompagné de Mr l’Abbé de la Mothe, Chanoine de & Archidiacre de l’Eglise de Paris. Vous sçavez, Madame, quel est le mérite de cet Abbé. C’est luy qui a travaillé si utilement sous feu Mr de Pérefixe à rétablir la Jurisdiction Archiépiscopale dans le Fauxbourg Saint Germain, en détruisant celle que l’Abbaye de Saint Germain des Prez exerçoit depuis plus de sept cens ans. Aussi ce Prélat avoit pour luy tant d’estime, que luy voulant donner en mourant de nouvelles marques de sa confiance, il le fit Exécuteur de ses dernieres volontez.

Les Habitans de Limours ayant fait orner magnifiquement leur Eglise, ainsi que les trois Autels qui furent chargez d’un nombre infiny de Cierges, on chanta Matines, apres lesquelles Mr de Bayeux revêtu de ses Habits Pontificaux, commença la Céremonie par les Prieres accoûtumées. Il benit ensuite la nouvelle Châsse, & on alla processionnellement prendre l’ancienne dans le lieu où elle avoit toûjours esté mise. Mr l’Abbé de la Mothe l’ayant apportée pres du Grand Autel, & posée sur une Table préparée à ce dessein, ce Prélat en fit l’ouverture, & en tira les Reliques qu’on montra au Peuple, à qui on permit de les baiser sans qu’elles fussent couvertes. Il demeure pour constant que ces Reliques furent apportées de Venise sur la fin du quatorziéme Siécle, par Messire Jacques de Montmor, Chevalier, Chambellan du Roy, Gouverneur de Dauphiné, Seigneur de plusieurs Terres, & entr’autres de Brie & de Limours, & que les Venitiens l’en avoient gratifié, en reconnoissance d’un Secours considérable qu’il avoit mené à la République contre les Génois. Aprés la Messe qui celébrée pontificalement par Mr l’Evesque de Bayeux, Mr & Madame de Baville qui assisterent à cette Céremonie avec quantité de Personnes de qualité, régalerent ce Prélat, & les principaux des Officiers, dans le Château de Limours. On chanta les Vespres avec beaucoup de solemnité, & ensuite on commença la Procession, à laquelle se trouva un concours de monde inconcevable. Les Freres de la Confrairie de Saint Marc, chacun un Cierge à la main, précedoient le Clergé qui estoit en Chapes, aussi-bien que Mr l’Evesque de Bayeux & Mr l’Abbé de la Mothe. Ils suivoient tous deux la Châsse, que deux Ecclésiastiques revestus d’Aubes, portoient sous un Dais. Madame de Baville, & toutes les autres Dames, marchoient apres eux avec un Cierge allumé. La Procession alla au Convent de Picpus, où tous les Religieux vinrent recevoir la Châsse à la Porte de l’Eglise. Elle fut posée sur le Maistre-Autel, & apres quelques Antiennes chantées en l’honneur du Saint, les Religieux se mirent à la teste du Clergé, & remenerent la Procession jusques à l’Eglise. Lors qu’on y fut arrivé, on laissa encor baiser les Reliques à découvert aux Personnes de qualité, & aux Confreres qui le matin n’avoient pû en approcher. Apres cela, on mit le Procés verbal de la Cerémonie dans la Châsse, qu’on scella de plusieurs Sceaux, & l’on acheva de la couvrir du reste des Plaques cizelées de vermeil doré, dont la vieille estoit couverte. On voit sur ces Plaques la Figure de Saint Marc, & au bas est écrit, Marcus Sacerdos, Discipulus B. Petri Apostoli. L’on ne peut s’imaginer la devotion qu’ont fait paroistre les Peuples en cette rencontre.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 299.

Je vous envoye une seconde Chanson d’un assez bon Maistre pour me tenir assuré que vous en serez contente.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par En dépit de l’Amour, doit regarder la page 299.
En dépit de l’Amour, je vivois sans contrainte.
Mon cœur depuis longtemps résistoit à ses coups ;
Mais enfin qui pourroit ne pas sentir d’atteinte
D’un mal dont la rigueur a des effets si doux ?
On cherche en vain à se défendre,
Quand de beaux yeux veulent charmer.
Si tost ou tard il faut aimer,
Pourquoy refuser de se rendre ?
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[Sonnet du Berger Fleuriste, sur une Absence] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 300-301.

On ne peut mieux peindre le cruel chagrin que cause l’absence, qu’a fait le Berger Fleuriste dans le Sonnet que vous allez voir.

SONNET
Sur l’éloignement de la belle Cloris.

Si j’ay l’esprit chagrin, l’œil triste, le teint bléme,
N’en ayez pas d’étonnement ;
Mon cœur sent un certain tourment
Qui me rend odieux, & cruel à moy-mesme.
***
Aimer sans espérance, est un suplice extréme ;
Mais des maux qu’on souffre en aimant,
Le pire est, à mon jugement,
Celuy d’estre éloigné de la Belle qu’on aime.
***
Ah, si vous connoissiez la celeste Beauté
Dont les attraits m’ont enchanté,
Dont l’absence aujourd’huy me rend l’humeur si noire ;
***
Tircis, mon cher Tircis, vous seriez sous sa Loy,
Et loin d’elle, vous feriez gloire
D’avoir l’esprit, les yeux, & le teint comme moy.

[Explications en vers d’une précédente énigme]* §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 301-302.

Je viens aux Enigmes. Le vray Mot de la premiere est enfermé dans ce Madrigal, qui m’a esté envoyé au nom de la jeune Mariete, âgée de seize ans.

Ah, que le Mercure Galant
Ce Mois dernier est excellent !
Qu’on prend de plaisir à le lire !
Qu’il est beau ! qu’il est curieux !
Il a tant de beautez, qu’on ne peut les décrire,
Il charme l’Esprit par les Yeux.

[Explications en vers d’une précédente énigme]* §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 305.

Vous trouverez le vray Mot de la seconde dans cette autre Madrigal, de Fr. J. Aug. de Cambray.

 Le Pain de Sucre estoit caché
Dans cette Enigme incomparable ;
Mais estant necessaire à table,
Il y fut aussitost rencontré que cherché.

Enigme §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 311-312.

ENIGME.

Par un excés d’ambition,
Lors qu’on m’a fait quiter ma premiere rudesse,
Sous un nom éclatant je cache la bassesse
Qu’on trouve en mon extraction.
Pendant un certain temps je suis assez commode ;
Les Belles m’ont mise à la mode,
Et me placent en lieu d’honneur.
Aussi j’ay soin pour récompense,
Contre un fier Ennemy trop remply de rigueur,
De prendre ardemment leur défense.
Il est vray que deux Curieux,
Quand on se sert de moy, ne s’en trouvent pas mieux.

Autre Enigme §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 312-313.

AUTRE ENIGME.

Pres du Fleuve du Rhin j’ay pris commencement,
Et j’y parois fort noblement.
Je sçay favoriser les Dames.
Je fournis à leur sein une innocente ardeur,
De cet endroit sans crime elle passe à leur cœur,
Et ne sçauroit soüiller leurs ames.
***
Vous enviez mon sort, vous malheureux Amans,
Qui ne trouvez jamais de tréve à vos tourmens,
Et qui dans vos peines cruelles
N’approchez que de l’œil vos aimables Rebelles.
***
Mon régne n’a pas un long cours ;
Il finit quand on voit renaistre les beaux jours.
Mais quoy qu’en peu de temps la gloire en soit bornée,
J’en connois qui voudroient avoir ma destinée.
Tel qui de ce bonheur auroit esté flaté,
Au milieu de l’Hyver, croiroit trouver l’Eté.

[Retour de Monsieur à Paris, & tout ce que ce Prince y a fait pendant son sejour] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 313-318.Voir aussi cet article

Je vous ay parlé au commencement de ma Lettre du retour du Roy à Saint Germain, mais je ne vous ay rien dit de Monsieur. Ce Prince arriva avec toute sa Cour, un jour avant Leurs Majestez, & se rendit à Paris, où il a demeuré huit ou dix jours. Il avoit de l’impatience, ainsi que Madame, de voir Mr le Duc de Chartres, qui estoit indisposé depuis quelque temps. Leurs Altesses Royales ont raison de s’allarmer quand ce jeune Prince se trouve mal. C’est un prodige d’esprit, mais de cet esprit qui n’est pas ordinaire à ceux qui en font paroistre beaucoup à son âge, puis qu’il est accompagné de jugement ; ce qui se remarque dans ses reparties, où la justesse & le bon sens égalent l’esprit. Il semble qu’il n’ait eu besoin pour guérir que de la présence de Monsieur & de Madame ; car aussitost apres leur retour, sa santé est revenuë, sans aucun secours des Medecins. Pendant le séjour que Leurs Altesses Royales ont fait à Paris, Elles ont esté voir leur belle Maison de S. Cloud, & ont fait quelques voyages à S. Germain, ne pouvant estre éloignées longtemps de Leurs Majestez. Elles ont esté aussi prendre le divertissement de la Comédie à l’Hostel de Guénegaud, où Elles ont veu une Tragédie nouvelle, que Mr de la Tuilerie a fait joüer sous le nom d’Hercule. Cette Piéce à quantité de beaux Vers, & les Scenes tendres qui y sont meslées en rendent la représentation fort agreable. Leurs Altesses Royales sont retournées à S. Germain, où l’on jouë alternativement tous les Mercredis & les Samedis le Pourceaugnac & le Bourgeois Gentilhomme, ornez de Musique, comme je vous l’ay marqué. Les Comédiens Italiens y ont aussi representé quelques-unes de leurs plus plaisantes Comédies. Il y a souvent eu Chasse, & l’on a esté plusieurs fois se promener à Versailles. Enfin jamais la Cour n’a esté plus en joye. Elle a raison de se divertir, sous un Roy dont le continuel travail assure la gloire & le repos du Royaume. J’ay oublié de vous dire qu’avant que Leurs Altesses Royales partissent, Elles firent l’honneur à Mr Nocret de tenir sa Fille sur les Fonts. La Céremonie s’en fit dans la Chapelle de Madame, par Mr Testu Abbé de Fontaine-Jean, Aumônier ordinaire de cette Princesse, en présence de Mr le Vicaire de S. Eustaches. Mr Nocret a deux Charges dans la Maison de Monsieur, l’une de Valet de Chambre, & l’autre de Premier Peintre de Son Altesse Royale.

[Divertissemens de cet Hyver] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 319-320.

Il n’y aura aucun Opéra nouveau pendant tout l’Hyver. Celuy d’Atys, que Madame la Dauphine n’a point encore veu, servira ce Carnaval de divertissement à la Cour. On assure que la plûpart des Personnes de qualité qui ont dancé dans le Triomphe de l’Amour, danceront aussi dans cet Opéra. L’Académie de Musique a remis celuy de Proserpine qu’elle donne présentement au Public, & qu’on a rendu nouveau par plusieurs Machines qu’on y a changées, & par les Entrées que l’on a renduës plus belles, en y meslant la plûpart des Filles qui ont dancé tout l’Eté dans ce mesme Triomphe de l’Amour. Mr de Lully travaille à l’Opéra de Persée & d’Andromede, qu’il donnera au Public incontinent apres Pasques. Il est de la composition de Mr Quinaut. C’est tout dire en matiere d’Opéra.

[Theses soûtenuës à Avignon] §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 320-323.

Une des plus spirituelles Personnes de vostre beau Sexe, a écrit icy que depuis fort peu de temps le Fils aîné de Mr Guyon Doyen de la Rote, avoit soûtenu des Theses de Philosophie dans l’Eglise des Jesuites d’Avignon, avec une netteté & une présence d’esprit qui luy avoient attiré l’applaudissement de tout le monde. La These estoit dédiée à Mr le Cardinal Cibo, Légat d’Avignon, dont le Portrait travaillé à l’éguille or & soye, estoit fait avec tant d’art & tant de délicatesse, qu’il fut admiré comme un rare Ouvrage. Mr l’Archevesque, que ce Cardinal avoit prié de tenir sa place, invita à cette solemnité trois autres Prélats ses voisins, qui furent Mr Lascaris, l’Evesque de Carpentras, Mr de Sade-Masan Evesque de Cavaillon, & Mr l’Evesque d’Orange. Apres un magnifique Repas qu’il donna dans son Palais à ces Evesques & à la Compagnie de la Rote, il partit avec un Cortége d’environ quarante Carrosses, & se rendit à l’Eglise des Jesuites, où ces quatre Prélats se placérent sous un grand Dais de velours cramoisy, au brüit des Trompetes & des Hautbois, apres quoy la Musique & les Violons augmentérent le plaisir qu’il y avoit de voir le grand nombre de Personnes de qualité qui composoient l’Assemblée.

[Prononciation de Dites-luy]* §

Mercure galant, novembre 1681 [tome 12], p. 332-334.

Pour le Diférent dont il vous plaist me faire le Juge, vous possedez trop bien nôtre Langue, pour n’avoir pas déja dit à la Dame qui prend le party de Dites-ly, contre Dites-luy, qu’elle ne peut éviter d’estre condamnée. La prononciation de Dites-ly est tres-vitieuse, à moins qu’on ne l’adoucisse dans les Conversations familieres, en luy faisant tenir un peu de l’un & de l’autre. Quand le verbe nuire suit le pronom luy, je croy que l’on doit prononcer ly, comme l’envie de ly nuire, & non de luy nuire, parce que luy nuire ne peut estre prononcé sans beaucoup de peine. Je vous dis ce que je pense, sans prétendre décider, & suis, Madame, vostre &c.

A Paris ce 30. Nov. 1681.