1681

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1681 [tome 13].
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Mercure galant, décembre 1681 [tome 13]. §

[De l’Académie Royale d’Arles]* §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 16-18.

Strasbourg & Cazal ayant fait parler toute l’Europe, ont esté une féconde & glorieuse matiere pour Mrs de l’Académie Royale d’Arles, dont la plus pressante occupation est celle de travailler à l’envy sur les grandes Actions de Sa Majesté. Ainsi on n’en publie jamais aucune d’éclat, qu’ils ne choisissent quelqu’un de leur Corps pour faire un Discours à sa loüange. Celuy que vous allez voir, & qu’ils m’ont fait la grace de m’envoyer depuis peu, est de Mr Guyonnet de Vertron, l’un des Académiciens dont leur Compagnie est composée. Je croy, Madame, vous avoir déja appris qu’elle prend le titre de Fille aînée de l’Académie Françoise. Divers Ouvrages que vous avez veus de Mr Guyonnet de Vertron, vous l’ont si bien fait connoistre, qu’il me seroit inutile de vous vanter son esprit. S’il s’est acquis vostre estime en se déclarant le Protecteur de vostre beau Sexe, il la mérite beaucoup davantage par le zele ardent qu’il fait tous les jours paroistre, en ne laissant échaper aucune occasion de loüer le Roy. C’est ce qu’il a fait souvent en Prose & en Vers, & quelquefois mesme en diverses Langues. Voyez avec combien d’art il a déployé son éloquence sur l’affaire de Strasbourg.

[Cerémonies faites à l’établissement de la Chambre de Tournay] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 27-37.

Je vous ay promis de vous faire part des Cérémonies qui ont esté observées en établissant la Chancellerie de Tournay ; il faut m’acquitter de ma parole. Tournay a eu de tout temps des avantages tres-particuliers, jusqu’à posseder celuy d’avoir esté la demeure de nos Roys, au commencement de la Monarchie. Sa Majesté l’ayant adjoûté à ses Conquestes en 1667. ne luy pouvoit mieux marquer son estime, qu’en l’honorant de la garde de son Sceau. Elle décharge par là ses Habitans, & toutes les Jurisdictions qui relevent du Conseil Souverain de cette Ville, des grand frais qu’il falloit faire pour obtenir des Lettres à la Chancellerie de Paris, ce qui apportoit toûjours beaucoup de retardement aux affaires. Le Mercredy 15. d’Octobre ayant esté choisi pour la premiere ouverture de celle dont je vous aprens l’établissement, Messieurs du Chapitre de l’Eglise Cathédrale firent sonner le soir précédent la grosse Blanche, qui est une Cloche que l’on ne sonne jamais qu’à la mort de l’Evesque & des Chanoines, & dans les occasions extraordinaires. On l’appelle ainsi, à cause de sa grosseur, & du don que la Reine Blanche, Mére de S. Loüis, en fit autrefois à cette Eglise. La mesme Cloche fut encore sonnée le matin du Mercredy, & sur les neuf heures, Mr Maqueron Secrétaire du Roy, porta les Sceaux & la Subdélégation de Ms le Chancelier à Mr le Premier Président de Tournay. Il estoit accompagné de Mrs Huez, le Noir, Cazier, de la Chapelle, Perrette, & Héron, tous en Robe de Cérémonie de satin noir, ayant un Cordon d’or, & des Gands à frange de mesme matiere ; & de Mrs de l’Isle & le Sage en Robe d’Avocats. Le Sr Longchamp Chauffecire les suivoit en habit gris avec l’épée au côté. Mr Huez Secrétaire du Roy, & Controlleur en la Chancellerie de Paris, & Mre le Noir, Cazier, & Héron, aussi Secretaires du Roy, ont esté choisis par Sa Majesté, qui les a tous honorez de Commissions signées de sa main, pour exercer les Chargés de cette Chancelliere, jusqu’à ce qu’il y en ait assez de venduës pour tenir le Sceau. Mr Huez y fait la Charge d’Audiencier ; Mr de la Chapelle, Frere de Mr de l’Isle, Secretaire du Roy, celle de Controlleur ; & Mr de l’Isle Fils du mesme Secrétaire du Roy, & Mr le Sage, tous deux Avocats au Parlement, y sont en qualité de Référendaires. Mr Perrette est le premier qui ait traité de l’une des Charges de cette nouvelle Création. En arrivant chez Mr le Premier Président, ils le trouvérent en Robe de Velours noir. Aprés que Mr Maqueron luy eut presenté les Sceaux dans un petit Coffre cacheté des Armes de Mr le Chancelier, avec la Lettre de ce digne Chef de la Justice, & la Subdélégation qu’il luy envoyoit, on leut l’une & l’autre, & le Coffre fut ouvert. On le referma en suite ; ce qui estant fait, le Chauffecire le prit pour le porter au Carrosse de Mr le Premier Président, qui y monta à la gauche des Sceaux. Mr Maqueron se plaça sur le devant, ainsi que Mr Huez. Le reste des Officiers monta dans d’autres Carrosses. Celuy de Mr le Premier Président Garde-scel estoit précédé par deux Huissiers à pied, l’un & l’autre en Robe & en Toque de velours. Ils allérent dans cet ordre à l’Eglise Cathédrale, où ils descendirent à la principale Porte. Le Chauffecire prit alors les Sceaux, & les porta immédiatement devant Mr le Premier Président. Les Secrétaires du Roy suivoient deux à deux. Ils entrérent ainsi dans le Chœur, & y prirent les places qui leur estoient préparées. Les deux Huissiers estoient à la teste, ayant derriére eux le Chauffecire. On posa les Sceaux sur une Table, couverte d’un Tapis de velours violet, semé de Fleurs de Lys d’or, avec un Carreau de mesme parure. Un peu plus bas estoit un Prié-Dieu, & un semblable Carreau, sur lequel Mr le Premier Président se mit à genoux. Il avoit derriére luy un Fauteüil avec un Carreau de velours rouge. A sa main gauche estoient deux rangs de Bancs couverts de velours violet, sur lesquels furent placez les Secrétaires du Roy, & autres Officiers de cette nouvelle Chancellerie. Les hautes Chaires du Chœur estoient remplies de Messieurs du Conseil Souverain, de Mr le Grand Bailly, & des Chanoines. Quantité de Dames de qualité avoient pris leurs places vers l’Autel, & une foule incroyable d’autres Personnes de toutes conditions, occupoit le reste de l’espace. La Messe fut solemnellement celébrée par Mr le Doyen, qui officioit en l’absence de Mr l’Evesque de Tournay, ayant deux Chanoines pour Diacre & Sousdiacre, & cinq autres Assistans, tous revestus des plus beaux ornemens de la Cathédrale, qui sont tres-superbes, tant par leur matiere, que par la riche broderie dont ils sont couverts, La Musique qui est meilleure à Tournay que dans tout le reste de la Flandre, se fit particulierement admirer dans cette Cérémonie. La Messe estant achevée, Mrs du Conseil Souverain sortirent, ainsi que Mr le Premier Président & les Secretaires du Roy. Ces derniers gardant toûjours le mesme ordre, se rendirent dans la Salle de la Chancellerie, qu’on avoit parée fort proprement d’une Tapisserie à fond bleu, toute parsemée de Fleurs de Lys.

La Poule, aux Œufs d’or. Fable §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 43-51.

On ne peut donner de trop fréquentes leçons aux Avares. Ainsi, Madame, quoy que je vous aye déja envoyé dans quelqu’une de mes Lettres une Fable sur la Poule aux Oeufs d’or, vous en voudrez bien voir une seconde d’un autre Autheur sur cette mesme matiére. Elle est du Berger Fidelle des Accates. L’agréable tour qu’il donne aux Sujets qu’il traite, a un caractére particulier qui ne sçavroit manquer de vous plaire.

LA POULE, AUX OEUFS D’OR.
FABLE.

Ce Phrygien de burlesque memoire
Dont le subtil esprit s’est acquis tant de gloire,
 Et dans ses Ecrits vit encor,
Nous a laissé la merveilleuse Histoire
D’une Poule qu’avoit un Païsan du Mogor.
Elle pondoit (dit-il) tous les jours un Oeuf d’or.
Cet avare Manan fut assez fat pour croire
Que dans le ventre elle avoit un trésor.
 Il l’ouvrit dans cette croyance,
Et n’y trouva que quelques grains de Blé,
Qui n’avoient encor pû se changer en substance.
A cette vision de douleur accablé,
Il se plaignit d’avoir par un trait d’innocence
 Perdu sa plus douce esperance,
 Sa joye & son unique bien ;
 Mais ses regrets ne servirent de rien.
***
 Brillant métal auquel les Hommes,
 Dans l’âge de fer où nous sommes,
Mettent tout leur bonheur, & trouvent tant d’appas,
 Helas, à quoy ne les portes-tu pas ?
 Pour t’acquerir le Matelot peu sage
Sur un fresle Vaisseau court les mers hardiment ;
Un Juge interessé par toy vend son suffrage ;
 On fait par toy faire un faux Testament ;
Les Témoins apostez le signent sans le lire,
Iris se radoucit auprés de son Amant,
 Sa Sœur Mariane fait pire,
 Et tous enfin vivent sous ton empire.
De la terre pourtant tu n’es qu’un excrément,
 Un excrément abjet & méprisable,
Que nostre seul caprice a rendu précieux ;
 Quoyque l’Avare, avide, insatiable,
Te devore sans cesse, & du cœur & des yeux,
 Pour cela tu n’en vaux pas mieux ;
 Mais revenons à nostre Fable.
 Voicy Lecteurs, quel en est le vray sens.
 Au lieu de vous rompre la teste
A chercher les moyens de devenir puissans,
 Contentez-vous d’une fortune honneste.

[Cerémonies faites à la Benédiction de la Citadelle de Mont-Loüis] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 51-64.

Vous avez déja sans doute entendu parler de Mont-Loüis. C’est une Place que Sa Majesté fait bâtir depuis trois ans en Cerdagne, à deux lieuës de Puycerda, au plus haut des Pyrenées, pour mettre le Languedoc & le Roussillon à couvert des insultes des Ennemis, ausquelles ces deux Provinces avoient esté exposées pendant les derniéres guerres. Cette Place qui donne une entrée facile en Espagne, du costé de la Plaine d’Urgel, n’y en ayant aucune considérable jusqu’à Lérida, est composée d’une Citadelle à quatre grands Bastions, & d’une Ville revestuë & fortifiée à proportion, avec des dépenses extraordinaires, & telles qu’il est aisé de juger pour l’exécution d’une pareille entreprise, où prés de cinq mille Hommes sont employez toutes les Campagnes. La Citadelle, malgré la rigueur de ce climat, qui ne permet d’y travailler que cinq mois au plus dans toute l’année, se trouvant en état de recevoir la Garnison que le Roy y destinoit cet Hyver, Mr le Comte de Chazeron, Lieutenant Général des Armées de Sa Majesté & de la Province de Roussillon, & Mr Trobat Président au Conseil Souverain, & Intendant au mesme Pays, s’y rendirent le vingt-troisiéme d’Octobre dernier, accompagnez de Mr de Zurtauben, Inspecteur Général des Troupes, Colonel Commandant du Régiment de Furstemberg ; de Mr de la Caussade Lieutenant pour le Roy de la Citadelle de Perpignan, & de plusieurs autres Officiers, pour la Bénédiction qui se devoit faire de cette Place, le Dimanche vingt-sixiéme du mesme mois ; & quoy que les neiges & les pluyes n’eussent point cessé toute la semaine jusqu’au Samedy au soir, Dieu qui seconde toûjours les Actions de nostre pieux Monarque, rendit ce jour le plus beau qui eust paru depuis fort long-temps. Toutes les Troupes, au nombre de plus de quatre mille hommes d’Infanterie, qui campoient aux environs, se rendirent le matin dans la Citadelle, dont elles bordérent les ramparts, avec des munitions pour les Salves qui leur seroient ordonnées pendant la Cérémonie, en mesme temps que se feroient celles de trente Piéces de Canon, qu’on y avoit amenées depuis un mois. Ensuite Messieurs de Chazeron Lieutenant Général, Trobat Intendant, Durban de Fortia Gouverneur de la Place, de Longpré Lieutenant de Roy, de S. Martin Major, & de Malézieu Commissaire des Guerres, chargé depuis trois ans de la Police de ces Troupes, dont il s’acquitte aussi dignement qu’on le puisse faire ; estant entrez dans la Chapelle de la Citadelle, avec tout le reste des Officiers, une grande Messe y fut célébrée avec toute la pompe possible. Si-tost qu’on la commença, les Ingénieurs employez à la construction de la Place, partirent de la Maison de Mr Durban, précédez de quatre Trompetes, de douze Hautbois, & de vingt-quatre Tambours, que suivoient quatre Sergens. Mr la Lande principal Ingenieur, portoit un Bassin, dans lequel estoient trois Clefs dorées, attachées ensemble par un Ruban bleu. Quatre autres Sergens marchoient aprés les Ingénieurs, suivis de quelques Soldats, & d’une foule incroyable de Peuple Ils entrérent par la Porte Royale, où Mr le Chevalier Durban, Cadet dans la Compagnie Colonelle du Régiment de Furstemberg, estoit en Faction d’un costé, & Mr Marçau, Cadet dans celuy d’Estoppa, de l’autre. Ils s’arrestérent proche la Chapelle, jusqu’à l’heure de l’Offrande. Quand cette heure fut venuë, les Ingénieurs marchérent jusques à la porte, où celuy qui portoit les Clefs présenta le Bassin à Mr de Malezieu, qui le donna à Mr Trobat. Cét Intendant l’ayant pris, alla se mettre à genoux sur le Marchepied de l’Autel, pour faire benir les Clefs de la Place, ce qui fut fait par Mr Arnaud Recteur du lieu, qui officioit. Cette Bénédiction finie, Mr Trobat présenta le Bassin à Mr de Chazeron, qui prenant les Clefs, les délivra à Mr Durban. Ce dernier les remit entre les mains de Mr de Longpré Lieutenant de Roy, d’où elles passérent entre celles de Mr de S. Martin Major, de Mr Creté Aide-Major, & enfin de Mr de S. Laurens Capitaine des Portes, qui les garda jusqu’à la fin de la Messe. Tout cela se fit au bruit des Trompetes, Hautbois & Tambours, avec les acclamations publiques de Vive le Roy. La premiére Salve de toute la Mousqueterie s’estant faite en ce moment, fut suivie de celle du Canon, & l’une & l’autre réïtérée pendant l’Elevation. La Messe estant achevée, on chanta les Priéres pour le Roy, apres lesquelles on alla benir la Citadelle, & porter les Clefs au Logis du Gouverneur. Quand on y fut arrivé, le Capitaine des Portes luy remit ces Clefs qu’il avoit toûjours gardées, & là on fit la Bénédiction de la Citadelle, aprés quoy on s’en retourna à la Chapelle en chantant le Te Deum, au bruit du Canon & de la Mousqueterie. La Cérémonie finit par un superbe Repas que Mr Durban donna à la Compagnie. Voyez, Madame, jusqu’où s’étend le pouvoir du Roy. Faire bâtir une Place, aussi forte qu’importante, dans l’endroit de plus desert de tout son Royaume, & qui jusques-là avoit paru le moins habitable, n’est-ce pas se rendre en quelque façon le Maistre de la Nature, c’est à dire, d’une Reyne à laquelle tous les Hommes sont soûmis ? Il m’en est tombé entre les mains un Panégyrique qui mérite bien que vous le voyiez. Je parle de la Nature, dont Mr Thiot Conseiller & Avocat du Roy au Présidial de la Fléche, releva merveilleusement les avantages le Jeudy 13. de l’autre mois, à l’ouverture du Palais. Quoy que ce Panégyrique soit un peu long, la solidité du raisonnement, & la profonde érudition y sont si bien jointes avec le brillant, que tout dénué qu’il est des graces que luy presta son Autheur en le prononçant, je ne doute point qu’il ne vous donne le mesme plaisir qu’en ont reçeu ceux qui l’ont entendu. Dans la nombreuse Assemblée qui fut présente à cette Ouverture, il n’y eut Personne qui n’en demeurast charmé. Si vos Amies se trouvent embarassées des citations Latines, vous prendrez le soin de leur en donner l’explication.

[Discours prononcé à l’ouverture du Présidial de la Fléche] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 84-86.

Il ne faut point s’étonner, Messieurs, si la Loy naturelle est si generale & si puissante, puis qu’elle participe de la Loy éternelle, & qu’elle est originaire du Ciel. Dieu, tout-puissant qu’il est, est pour ainsi dire soûmis à cette Loy de la Nature ; & quoy qu’il ait arresté le Soleil au combat de Josué, quoy qu’il ait commandé à Abraham de faire mourir son Fils innocent ; & aux Israëlites de prendre & d’enlever les Vases d’or des Egyptiens, on ne peut pas dire pour cela, qu’il ait jamais interrompu le cours de la Nature, ny violé aucune de ses Loix, parce qu’il y a une telle conformité de la Nature à ses volontez, que tout ce qu’il fait c’est la nature de la chose mesme. Quid Natura nisi Deus, & divina ratio toti mundo inserta ? C’estoit peut-estre à cause de cela que les Stoïciens disoient que Dieu & la Nature n’estoient qu’une mesme chose. En effet la Nature est un extrait de la grandeur de Dieu, & un écoulement de sa Toute-puissance ; & la Loy de la Nature un rayon de la Loy eternelle, dont il nous a fait un present comme d’un phare qui nous éclaire pendant nostre vie. C’est une science incorporée avec nous, burinée au dedans de nous-mesmes, & infuse dans l’essence de nostre ame. Aussi Saint Augustin disoit, que pour avoir cette notion de la Loy naturelle, il n’a pas eu besoin de lire les Livres, cette Loy estant si connuë d’elle mesme, que les Pasteurs la chantent sur les montagnes, les Poëtes sur les Theatres, les Ignorans dans leurs Cercles, les Doctes dans leurs Biblioteques, les Maistres dans leurs Ecoles, les Evesques dans leurs Eglises, & le Genre-humain sur toute la terre.

L’Artichaut et la Laitue. Fable §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 137-144.

Le Mariage dont vous me demandez des nouvelles, est entiérement rompu. L’Amant, quoy que charmé de la Belle, s’est apperceu qu’elle ne l’avoit tenu en balance pendant deux ans, que dans l’espérance d’une plus haute fortune ; & quand elle a commencé à se déclarer en sa faveur, il s’est refroidy, & n’a point voulu d’une Personne dont il croyoit n’avoir pas touché le cœur. La Fable qui suit a grand rapport à cette Avanture. Vous la ferez voir aux Belles de vostre Province. La moralité en sera utile à celles, qui pour trop attendre de leur mérite, refusent des avantages, qu’il ne leur est pas toûjours aisé de trouver.

L’ARTICHAUT ET LA LAITUE.
FABLE.

 De la beauté d’une Laitüe
 L’Artichaut fut un jour épris ;
Chacun en son espece ils estoient fort bien pris.
 Laitüe estoit assez menüe,
Elle avoit la peau belle, & le sein bien placé.
Pour defauts, il est vray qu’elle avoit les mains potes,
 Jambe courte, & de peur des crotes
 Le nez quelque peu retroussé.
 Si l’autre l’aima de la sorte,
 Je ne sçaurois dire pourquoy ;
 Elle avoit ce je-ne-sçay-quoy
Capable d’inspirer la flâme la plus forte.
Un beau visage est tout ce qu’il faut à l’Amour ;
 Un bras de moins, une main seche,
 Un dos en voûte, un pié trop court,
 Un taille avec une bréche,
 De l’embonpoint comme une méche,
 Si le visage est d’un beau tour,
S’il a ce doux brillant aux Belles ordinaire,
 Rien ne peut l’empescher de plaire.
Artichaut, du grand air, bien taillé, plein de feu,
Plaisoit à tout le monde, & ne plaisoit pas peu ;
 Moins blanc, mais droit comme chandelle,
Civil au dernier point, & toûjours sans chapeau,
 La jambe belle, & le pié beau,
 Jugez si sa Voisine auroit esté cruelle.
 Quoy qu’elle eust beaucoup de froideur,
Elle avoit l’humeur douce, & mesme assez de tendre ;
Mais loin de penétrer les mouvemens du cœur,
 Il faloit les luy faire entendre.
 Artichaut sechoit sur le pié,
 De voir que sa piteuse mine
 N’inspiroit pas à sa Voisine
 Quelque sentiment de pitié.
 Il rompit donc un jour silence,
Et les larmes aux yeux (il venoit de pleuvoir)
 Belle à qui jour & nuit je pense,
Estes-vous de ma flâme à vous appercevoir ?
 Un légitime mariage
Est l’unique remede aux peines que je sens.
 Ah, si nous estions en ménage,
 Que nous ferions de beaux Enfans !
 Il pouvoit parler plus longtemps,
 Mais il n’en dit pas davantage ;
Et la Belle prudente & sage,
Luy dit qu’il en faloit informer ses Parens.
Artichaut trop certain par là de sa prudence,
 Ne fut pas des plus satisfaits,
Car son dessein estoit d’en avoir par avance,
(Sauf en cas de besoin à l’épouser apres,)
 Quelque faveur de conséquence.
 Je ne sçay s’il avoit raison,
 Mais une Femme à la Maison,
 Quand on en peut trouver en Ville,
 Est un meuble assez inutile.
S’il l’eust falu pourtant, il auroit consenty
 A signer pardevant Notaire ;
Mais la Belle espérant quelque meilleur party,
Empeschoit tous les jours qu’on ne conclust l’affaire.
Elle diféra tant à répondre à ses vœux,
  Qu’enfin le temps qui tout consume,
 Rendit son teint moins vif que de coûtume,
 Et mit du blanc dans ses cheveux.
 D’ailleurs les Railleurs disant d’elle
 Je-ne-sçay-quelle bagatelle,
Faisoient courir le bruit d’un commerce secret
 Avec un Chou du voisinage,
Et l’on ne pouvoit pas croire qu’elle eust du lait,
 Et qu’elle eust toûjours esté sage.
 Artichaut n’en avoit rien sçeu.
 Ce n’est pas la premiere affaire
 Dont, sans qu’on s’en soit apperçeu,
L’Amour ait poussé loin l’agréable mistere.
Cependant de Laitüe enfin l’âge parut,
 Mille cheveux blancs la trahirent,
 Et si mal-à-propos le firent,
 Que plus Artichaut n’en voulut.
***
 Fille qui tard Fille demeure,
 Par cet exemple apprend sans art
 Qu’un moindre Party de bonne heure
 Vaut mieux qu’un bon Party trop tard.
 En vain apres trente ans, Climene,
 Affectez-vous de la douceur,
Si-tost qu’une Herbe monte en graine,
 Elle est sans goust & sans saveur.

Lettre du Berger Fleuriste à la Nymphe des Bruyeres, sur le jour de sa naissance §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 145-153.

Rien n’est plus commun que des Bouquets envoyez aux Belles le jour de leur Feste ; mais rien ne l’est moins qu’une Lettre aussi galante que celle que je vous envoye sur un pareil jour.

LETTRE DU BERGER FLEURISTE
A la Nymphe des Bruyeres, sur le jour de sa naissance.

C’est demain, Belle Nymphe, l’heureux jour à qui la terre est redevable de l’un de ses plus grands ornemens, puis que c’est celuy de vostre naissance ; & j’ay appris de la Renommée que l’Amour se préparoit à le celebrer avec les Jeux, les Ris, les Graces, Flore, & Pomone ; que l’Amour vous donneroit le Feu de joye ; les Ris, la Comédie ; les Jeux, le Ballet ; les Graces, le Bal ; Flore, le Bouquet ; Pomone, la Collation ; & qu’enfin rien ne seroit oublié dans cette rencontre, de tout ce qui peut contribuer à vos plaisirs, & à vostre gloire. Mais j’ay oüy dire, en mesme temps, que vos Amis n’auroient aucune part à ces divertissemens ; & que comme l’Amour est l’Autheur de cette Feste, ils estoient reservez à vos seuls Adorateurs. Cette exclusion est bien fâcheuse ; & si l’on ne peut la faire lever, je vous prie, Madame, de trouver bon que je me joigne au party de la faveur. Il n’est pas difficile à un Amy tendre, de passer pour Amant ; & pourveu que vous ne me soyez pas contraire, l’Amour sera aisément pris pour duppe. Agréez donc, s’il vous plaist, une petite tromperie, qui me produira beaucoup de joye, & adjoutez à vos plaisirs, dans ce jour celebre, celuy de reconnoître si je sçaurois bien remplir les devoirs d’un veritable Amant ;

Et si je m’en acquite avec quelque avantage,
 Et qu’il vous plaise desormais
Que je fasse entre nous le mesme personnage,
 Je ne le changeray jamais.
***
Mes plus fréquens regards sur vostre beau visage
 S’attacheront avec ardeur,
Afin que vous voyiez vous-mesme vostre Image
 Dans mes yeux, comme dans mon cœur.
***
Mille tendres soûpirs vous rendront témoignage
 De mille desirs innocens ;
Et pour l’air tout divin dont le Ciel vous partage,
 Ils seront aussi mon encens.
***
Les chaînes & les feux deviendront mon langage ;
 Et si je parle d’amitié,
Ce sera seulement pour couvrir d’un nuage
 Un lien plus doux de moitié.
***
Enfin vous me verrez mettre tout en usage
 Pour vous montrer beaucoup d’amour ;
Et si plus loin encor je ne pousse l’ouvrage,
Sans regret je perdray le jour.

Je n’oserois dire, Belle Nymphe, que j’essayeray de vous communiquer une partie de mon feu. Entreprendre de vous brûler, & attenter sur vostre franchise, ce seroient des crimes que vous auriez peut-estre trop de peine à pardonner ; & c’est bien assez pour ceux que vous honorez de vostre estime, de permettre qu’ils vous aiment, sans que vous les aimiez aussi. Excusez donc la Rime, si elle est allée un peu plus loin que la Raison. Il est vray qu’elle ne s’est expliquée qu’à demy, & vous pouvez ne la pas entendre, pour n’estre pas obligée de me refuser l’épreuve que je vous demande. Je vous prirois encore plus fortement de me l’accorder, si j’étois seur que l’Amour & sa Suite fissent demain ce que j’en ay appris ; mais comme je ne le sçay que de la Renommée, dont les raports ne sont pas toujours fideles, j’en doute en quelque façon ; & l’épreuve n’estant que conditionnée, je suis d’avis d’attendre que l’Amour paroisse, pour m’expliquer plus ouvertement à vous. Neanmoins comme il seroit plus que fâcheux, qu’un jour aussi fortuné & aussi beau que celuy qui vous a mise au monde, ne fust pas solemnisé par quelques réjoüissances, faites moy l’honneur, Madame, de le venir passer dans ma solitude, avec la Compagnie qui s’y doit rendre ; & si le Dieu & sa Cour manquent à l’execution de ce qu’on en a publié, je suppléray à leur deffaut. Je vous donneray des Fleurs & le Bal. Je vous feray voir une charmante Comédie, entremeslée d’agreables Ballets, dans le nouvel Opéra qu’on m’a envoyé. Les beaux Fruits, & les belles Confitures, ne vous seront pas épargnez ; & quant au Feu de joye, si vous prenez plaisir à estre aimée, mon cœur vous le fournira, avec l’artifice le plus ingénieux qu’il me sera possible d’imaginer. Caliste, Caliston & Tircis, iront au devant de vous, jusqu’à l’entrée de la Plaine. Mais de grace, Belle Nymphe, que leurs pas, mes prieres, & nostre attente, ne soient pas inutiles à la satisfaction de Vostre, &c.

[Ce qui s’est passé avant la mort de M. Bernardy, à l’Attaque du Fort qu’il faisait construire tous les ans] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 154, 164-165.

Je vous ay appris la mort de Mr Bernardy. Quelques mois avant qu’elle arrivast, il avoit fait à son ordinaire construire un Fort, que les jeunes Gentilshommes de son Académie attaquérent il y a environ deux mois dans toutes les formes d’un vray Siége. […]

Les Assiégez sortirent Tambour batant, Méche allumée, & Balle en bouche. Aprés la Prise du Fort, Mr le Comte de Veruë, & Mrs les Marquis de Breauté, de Biron, & de la Saumés, furent choisis pour faire l’exercice du Drapeau, dont ils s’acquitérent admirablement, au son des Hautbois, des Tambours, & des Trompetes. Mr le Comte de Nassau, qui n’estoit arrivé en France, pour se mettre dans l’Académie, que le jour qui précéda la Capitulation de la Place, fut témoin des derniéres Attaques des Assiégeans. Il n’y a point à douter que sa naissance, son nom, & son inclination guerriére, ne le placent à leur teste, si-tost que l’occasion s’en offrira.

[Lettre de M. de Vaumorieres sur le mesme sujet, à M. le Marquis de Martel] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 165-170.

Ce seroit oster un grand ornement à cette Relation, que de n’y pas joindre une Lettre écrite sur la Prise de de ce Fort, par un des plus beaux Esprits de nostre temps. Tous les Ouvrages qu’il a donnez au Public ont esté si approuvez, que ce que je pourrois dire icy à son avantage, n’ajoûteroit rien à sa réputation. Ainsi je vous laisse lire.

A Mr LE MARQUIS DE MARTEL.

Est-il possible, Monsieur, que vous me querelliez sans sujet, & qu’un Homme que la Turquie n’a pû gaster dans un Voyage de Constantinople, soit venu prendre un cœur Turc au milieu de la Chrestienté ? Cependant il est bon de ne me plus faire de ces pieces. Je suis devenu impatient & colere depuis vostre depart. Je pense que c’est le chagrin qui m’a changé de la sorte. Si je vous avois répondu sur le champ, je l’aurois fait d’une terrible maniere, mais heureusement pour vous, on m’a entraîné à l’Opéra, & la Symphonie a moderé mon ressentiment. Aussi en useray-je comme si vous ne m’aviez pas offencé, & j’avoüeray mesme que vos plaintes sont bien fondées. Oüy, Monsieur, j’ay sort de ne vous avoir pas envoyé le détail de ce qui se passa l’autre jour au Fort de Mr Bernardy. C’auroit esté un grand régal pour une Personne qui vient de voir les Chasteaux des Dardanelles, & qui a connu les Breneurs de Pabylone, de Rhodes & de Candie. Je veux croire neanmoins que vous avez des raisons qui vous donnent envie de sçavoir ces particularitez, & je consens à faire l’Historien pour vous en rendre compte. Vous sçaurez donc que le Mercredy 22. d’Octobre, les Troupes composées d’une élite de jeune Noblesse, prirent leur marche sous les Marquis de Rosmadec & de Bouzols, qui les commanderent de fort bonne grace. Ce qu’il y ad admirable pour la réputation de nos armes, c’est que les Generaux que je viens de vous nommer penetrerent jusques au delà de Luxembourg, sans qu’aucun Party des Ennemis se mist en état de leur disputer le passage. On ouvrit la Tranchée. On fit grand feu. Le Major Rousseau s’égosilla à crier, Marche. D’autre part on fit de vigoureuses Sorties. L’Ingenieur Charlois, le Vauban du Fort, fut d’un grand secours au Gouverneur. Il y avoit dans la place quatre Grenadiers qui se signalerent particulierement. L’Allemagne en avoit fourny deux.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 178-179.

Mr Chevalier a fait l’Air nouveau que je vous envoye. Les Connoisseurs l’ont fort approuvé. Ainsi j’ay sujet de croire que vous en serez contente.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Vous qui m’avez promis un amour eternel, doit regarder la page 178.
Vous qui m’avez promis une amour eternelle,
Vous que j’aimois si tendrement,
 Pouvez-vous bien estre infidelle
 A vostre plus fidelle Amant ?
 Je devrois vous rendre le change,
Je devrois vous haïr, ou devrois vous changer ;
 Mais si c’est par là qu’on se vange,
 Je ne veux jamais me vanger.
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[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 179-209.

Ce que vous m’avez mandé des fausses Bergeres de vôtre Canton, me fait connoître qu’on s’y divertit agréablement. Je doute pourtant que le divertissement que se sont donné ces belles Personnes, égale celuy dont j’ay à vous faire part. Il a esté pris par deux Cousines, qui ont toutes deux de la qualité, & beaucoup de bien. L’une est Veuve, déja un peu avancée en âge, mais aimant la joye & la portant par tout où elle se trouve. L’autre est une Fille de dix-huit à dix-neuf ans, qui a la taille fort belle, & qui ne brille pas moins par les agréemens de sa personne, que par son esprit & son enjoüement. Comme elles passent presque tous les ans une partie de l’Eté dans une forte belle Maison, qui est à trois ou quatre lieuës de Paris, elles se sont fait une maniere d’étude du langage Païsan, & l’une & l’autre le parle si bien, que si on ne faisoit que les entendre, il n’y a personne qui ne les prist pour de veritables Villageoises. Le séjour de la Campagne estant ennuyeux, si on n’est d’humeur à se divertir de tout, elles apprirent il y a deux mois qu’il se devoit faire aux environs une Nopce de Village, & en mesme temps elles resolurent d’y aller dancer en habit de Païsannes. Le jour de la Feste estant arrivé, on leur vint dire qu’il y avoit eu de la dispute entre les Parens des futurs Epoux, & que si le mariage n’estoit pas rompu, il ne se feroit du moins de longtemps. Elles s’estoient préparées à un plaisir, dont il leur fâchoit de se voir privées. Pour en joüir malgré la rupture, il leur prit envie de suppléer à la Nopce, & d’en joüer elles-mesmes les principaux personnages. Elles appellerent aussi tost l’Intendant de la Maison, & le firent consentir à faire le Marié. Il falut ensuite songer au déguisement. La jeune Cousine, qui faisoit la Mariée, prit les habits des Dimanches de la Fille Jardiniere. Ils consistoient en un Corset de Brocard, avec une Jupe de Serges de Londres rouge, ayant tout au tour une Guipure verte & blanche. La Veuve ayant entrepris de faire la Mere, se fit une bosse sur le dos, afin de pouvoir paroistre plus vieille, & prit la Hongreline & la Juge noire de la Mere Jardiniere. Un bon gros Habit & un Manteau d’une Serge de Berry que l’on avoit emprunté au Fermier de la Maison, rendoient l’Intendant tout Villageois. Leur chaussure ne démentoit point le reste, & la maniere dont les deux Cousines estoient coifées, chacune selon son rolle, changeoit si fort leur visage, qu’il estoit presque impossible de les reconnoître. Celle qui faisoit la Mere de la Mariée, prit le Jardinier pour son Mary, & comme il estoit d’une taille courte & ronde, elle l’appella Gros Jean. S’estant ainsi déguisée, ils s’en allerent tous quatre sur les cinq heures du soir à un Village voisin, où ils prirent trois Menestriers. Ensuite les Violons joüant devant eux, ils vinrent chez une Dame de la connoissance des deux Cousines, à laquelle on fut contraint de le découvrir. Apres qu’elle eut promis le secret, la pretenduë Mariée envoya dire à dix ou douze jeunes Demoiselles des lieux voisins, qu’il y avoit une Nopce de Village dans celuy où elle estoit, & qu’elle croyoit qu’elles voudroient bien l’y venir trouver pour y passer la soirée ensemble. La plûpart y vinrent, & sçeurent de son Laquais que l’on fit mettre à la porte, qu’elle arriveroit incontinent avec une Amie chez qui elle avoit passé. Ces jeunes Personnes estant entrées dans la Salle où joüoient les Violons, on leur fit baiser la Mariée, qui s’avança en baissant les yeux & faisant fort la honteuse. Toutes s’écrierent sur sa beauté, mais aucunes d’elles ne la reconnut, non plus que la Mere qui joüoit son rolle admirablement. On dança force Courantes entremeslées de Menuets ; & si Gros Jean divertissoit toute l’Assemblée par ses gestes naturelles, la Mere & les Mariez le secondoient si naïvement, qu’il n’y eust jamais une Scene si plaisante. Cependant les Demoiselles, veritablement fâchées de ne point voir leur Amie, qui les ayant fait venir sembloit leur avoir manqué de parole, faisoient un complot pour se vanger d’elle, & se disposoient à s’en aller quand la fausse Mere trouva moyen de les retenir en se declarant à celle qui pouvoit le plus sur toutes les autres. Les Gens de la fausse Nopce estoient si bien déguisez, & leur langage avoit un rapport si juste à ce qu’ils representoient, que la Demoiselle à qui l’on se découvrit eut peine à croire d’abord qu’on ne cherchast point qu’à la tromper. Enfin ouvrant bien les yeux, & rappellant tous les traits qui luy avoient échapé sous ces habits extraordinaires, elle reconnut la Metamorphose. Rien ne luy parut plus réjoüissant ; elle en fit mystere à ses Compagnes, & commençant à se divertir de leur erreur, ainsi que ceux de la Mascarade, elle leur dit que pour punir leur Amie qui les faisoit trop long-temps attendre, elle estoit d’avis d’enlever les Mariez, & de les mener ailleurs, pour luy faire perdre ses pas & sa peine quand elle viendroit ; qu’elle sçavoit une Dame dans le plus prochain Hameau qui avoit chez elle bonne compagnie, & qu’en y allant elle répondoit d’un accueil tres-agreable. Toutes ayant approuvé la chose, on la proposa aux deux fausses Païsannes qui y consentirent. En mesme temps on se mit en marche, les trois Violons, joüant devant cette belle Troupe. Il faisoit un temps fort doux, la Lune estoit dans son plein, & la promenade, quoy qu’elle se fist de nuit, ne pouvoit qu’estre agreable. Le Marié dançoit en marchant, & tenoit la Mariée que les Demoiselles prenoient plaisir à faire parler. Son jargon de Villageoise qui paroissoit naturel, aidoit si bien à la déguiser, qu’elle leur fut toûjours inconnuë. On arriva chez la Dame, qui crût la Nopce effective, & fut ravie qu’on luy amenast des Violons. Plusieurs Gentilshommes estoient avec elle, & commencerent un Bal fort divertissant, dont la jeune Mariée eut tous les honneurs. Outre qu’elle avoit les traits brillans & la taille fine, elle affectoit un air d’innocence qui donnoit envie de l’entretenir. Un Cavalier fort bien fait s’empressa plus que les autres à luy dire plusieurs fois qu’il la trouvoit toute aimable. Une grande reverence qu’elle luy faisoit à chaque douceur l’engageant à la flater davantage, insensiblement il fit le D. Joüan du Festin de Pierre, en luy demandant comment il estoit possible qu’une aussi jolie personne se fust resoluë à estre la Femme d’un Païsan. Elle répondit d’une façon niaise que c’estoit sa Mere qui l’avoit voulu ; qu’elle n’y avoit point mis son amitié ; & qu’on luy avoit toûjours dit qu’elle épouseroit quelque Monsieur, & que si elle pouvoit s’échaper en s’en retournant, elle sçavoit bien qu’elle n’étoit point encor mariée. Le Cavalier rit de sa prétenduë ingenuité, & se montrant prest à l’épouser quand elle voudroit, il luy dit qu’en attendant, il alloit prier une de ces Demoiselles qui l’avoient accompagnée, de se dérober de l’assemblée, & de l’emmener chez elle. La Belle rit à son tour d’une proposition si extravagante, & pour en avoir le plaisir entier, elle l’asseura que s’il vouloit bien estre son Mary, elle ne demandoit pas mieux que de laisser là sa Mere pour suivre une Demoiselle qui la garderoit en tout honneur. Le hazard voulut que le Cavalier estoit des Amis de celle à qui le secret du déguisement avoit esté confié. C’estoit une Personne d’esprit mariée depuis deux ans à une façon de Noble qui estoit absent. Il la tira à l’écart pour luy apprendre ce qu’il avoit arreté pour la Mariée, & luy dit que l’avanture seroit fort plaisante, si la dérobant cette nuit au Païsan, qui viendroit le lendemain la chercher chez elle, on la luy montroit habillée en Dame, frisée & parée, en sorte qu’il n’osast la reconnoistre. La Demoiselle, charmée de le voir donner dans le panneau, se chargea du soin de conduire cette affaire, à condition qu’il leur serviroit d’escorte, quand elles s’évaderoient, & qu’il viendroit le lendemain au matin voir ce qui se passeroit dans le changement d’une Païsanne en Demoiselle. Elle alla un peu aprés parler tout bas à la Mariée, qui se faisant un plaisir de continuer la tromperie, avertit la Veuve & l’Intendant de ce qu’elle avoit resolu de faire. Ils promirent l’un & l’autre de faire grand bruit de son prétendu Enlevement, mais ce fut un rôle que joüa la seule Veuve, la Collation qu’on apporta aprés que l’on eust dancé jusques à minuit, ayant donné lieu à l’Intendant d’en joüer un autre. On beut à luy comme au Marié, & il fit raison à tout le monde. A peine eut-il beu sept ou huit coups, qu’il commença d’affecter de bégayer en parlant, & fit ensuite toutes les postures d’un Homme à qui le Vin montoit à la teste. Il estoit inimitable dans cette sorte de plaisanterie. De la maniere qu’il la soustint pendant quelques temps, chacun le crut yvre, & la Dame du Logis voulut charitablement le faire lever de table, mais il en vit sortir tout le monde sans quiter sa place. Cela fut trouvé du vray caractere d’un Païsan qui s’enyvroit le jour de ses Nopces. On eut beau luy dire qu’il n’estoit pas temps de boire quand on venoit de se marier. Il prit la Bouteille des mains d’un Laquais, & dit en beuvant sans verre, qu’il n’avoit point d’autre Femme. La Demoiselle qui étoit d’accord d’emmener la Mariée, prit ce temps pour s’échaper. Le Cavalier les accompagna, & dit en se separant de l’aimable Villageoise, qu’il viendroit le lendemain luy apprendre à contrefaire la Dame. Cependant on s’apperceut aussi-tost que la Mariée ne paroissoit plus. La grande Cousine qui faisoit sa Mere, demanda de tous costez ce qu’elle estoit devenuë ; & la Dame du Logis, surprise elle-mesme de ne la plus voir, donna ses ordres, afin que l’on sçeust où elle estoit. On perdit beaucoup de temps à l’aller chercher par tout ; & enfin les Demoiselles qui l’avoient veuë plusieurs fois parler à l’Amie chez qui elle estoit effectivement, dirent que sans-doute, voyant le Marié yvre, elle l’auroit emmenée chez elle. La prétenduë Mere dit alors, que puis que sa Fille s’en estoit allée, il ne falloit plus songer qu’au Marié, qui faisoit semblant de ne pouvoir marcher droit. Gros Jean le prit d’une main, & elle de l’autre. Les Violons furent renvoyez, & le reste de la Compagnie se sépara. Si-tost que le Marié fut hors de la veuë du monde, il n’eut plus besoin d’estre conduit. La grande Cousine alla rejoindre la jeune, avec qui elle coucha chez l’Amie commune qui estoit de leur complot. Le faux Marié les ayant laissées dans cette Maison, y fit apporter le lendemain leurs veritables Habits, qui devoient servir au dénoüement de la Piece. La Belle se mit dans tous ses attraits. Ses cheveux frisez, son ajustement tres-propre, & force Mouches qui relevoient l’éclat de son teint, la rendoient toute brillante. Elle estoit en cet état quand le Cavalier parut. Il s’écria si-tost qu’il la vit sur l’amas de tant de charmes. Elle fit l’embarassée, comme n’osant remuer les bras à cause de sa parure. Le Cavalier, apres avoir dit qu’elle passeroit par tout pour une vraye Dame, luy donna quelques leçons pour former sa contenance, & voulut mesme l’instruire sur les airs de qualité. Jugez quel plaisir pour celle qui estoit témoin de tout, & qu’il croyoit de concert pour se réjoüir de son innocence. Dans ce mesme temps, la grande Cousine entra habillée encor en Villageoise, & joüant son premier rolle. Elle dit d’abord, en regardant seulement la Maîtresse du Logis, qu’elle venoit reprendre sa Fille ; & détournant en suite les yeux, & faisant fort l’étonnée, comme si dans ce moment elle eust commencé à la reconnoistre, elle demanda ce qu’on vouloit faire d’elle avec sa frisure & ses beaux Habits. La Belle luy dit dans son jargon affecté, qu’on sçavoit fort bien qu’elle n’avoit point lâché le mot qui marie les Filles ; qu’un Monsieur qu’elle voyoit, promettoit de l’épouser, & qu’elle ne devoit point l’empescher d’estre Madame. Cela fut dit d’un ton si naïf, que le Cavalier en fut la dupe. Il crût ne parler qu’à des Païsannes, & les jugeant sans esprit, il prétendit les persuader qu’il les mettroit toutes deux dans une haute fortune, si elles faisoient ce qu’il leur diroit. Grande revérence de la Mere, qui dit au Monsieur qu’il estoit bien vray qu’on n’avoit pas dit tout ce qu’il falloit pour marier tout-à-fait les Gens ; mais que sa Fille, pour n’estre que du Village, ne laissoit pas d’avoir de l’honneur, & que si c’estoit pour se moquer d’elle, il ne falloit point qu’il luy promist rien. Le Dialogue fut long, & fit fort rire l’Amie, qui eust joüy plus longtemps de ce plaisir, si une Dame voisine ne fust venuë la trouver pour quelque affaire. Comme elle entra sans estre attenduë, il fut impossible d’empescher que la tromperie ne fust découverte. Elle connoissoit la Belle, qu’elle arresta, la voyant se retirer tout-à-coup, ainsi que la fausse Villageoise, à qui cette Dame ne prit point garde. Elle luy fit un compliment obligeant sur ce qu’elle devenoit tous les jours plus belle, & luy parla de quelqu’un de sa Famille, dont tout le monde connoissoit le nom. Il ne falut rien dire de plus pour faire comprendre au Cavalier qu’on luy faisoit piece. Il devina qui estoit la Belle, & la fit rougir en la regardant attentivement. La Belle qui vit qu’elle n’avoit plus à se cacher, soûtint l’entretien pendant plus d’une heure avec une finesse d’esprit qui la fit paroistre dans tout son mérite. Le Cavalier ne dit presque mot, & laissa partir la Dame, qui fut à peine sortie, que l’autre Cousine rentra dans la Chambre avec un Habit assez magnifique. Ce fut alors à qui riroit davantage. Le Cavalier qui entendoit raillerie, avoüa de bonne-foy qu’il avoit esté trompé, mais il soûtint qu’il l’estoit bien moins qu’on ne le croyoit ; & pour le faire connoistre, il adjoûta qu’il avoit promis à la belle Païsanne de l’épouser quand elle voudroit, & qu’il s’engageoit tout de nouveau à ne luy point manquer de parole. Cela fut trouvé de fort bon sens, cette aimable Fille estant un Party tres-considérable. Le bruit de cette Avanture se répandit aussitost par tout. Elle surprit tout le monde ; & les Demoiselles du voisinage qui avoient veu leur Amie sans la reconnoistre, eurent besoin de l’aprendre de sa bouche, pour ne point douter qu’elle eust fait la Mariée.

[Cerémonie faite à Marseille par l'ordre exprés du Roy] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 224-232.

Personne ne doute de la pieté de ce grand Prince. Elle paroist dans toutes ses Actions, & l’on en a veu encor depuis peu une glorieuse marque dans la solemnité de la Feste que l’on a faite à Marseille par l’ordre exprés qu’il en a donné. Il faut vous en apprendre la cause. Un Bohémien ayant reconnu qu’un jeune Forçat qui servoit dans les Galeres estoit d’un esprit crédule, l’ébloüit si bien, qu’il luy fit croire que par le moyen d’un sortilege il le feroit évader sans qu’on le vist, pourveu qu’il luy mist entre les mains une Hostie consacrée, dont ce sortilege devoit estre composé. Ce Malheureux se laissa persuader. Il feignit de faire ses devotions, & garda l’Hostie. La chose ayant esté sçeuë six mois apres, on se saisit de l’un & de l’autre, & on retrouva l’Hostie aussi blanche & aussi entiere, que si elle eust esté consacrée de ce mesme jour. Le Roy ayant esté informé de ce sacrilege, envoya soudain ses ordres à Mr Brodard Intendant de ses Galeres, pour faire punir les deux Coupables, & prendre le soin de faire faire une Procession generale, dans laquelle on portast cette Se Hostie en triomphe par toute la Ville. Cela fut executé. Le feu expia le crime du Bohémien & du Forçat, & six jours apres, la Procession se fit dans cet ordre. Un Bedeau précedé de quatre Trompetes portoit un Guidon, où d’un costé estoit peint un Soleil d’Eglise que deux Anges soûtenoient. De l’autre costé estoit le Soleil, dardant ses rayons sur une maniere de Boëte, avec ce Vers d’Horace pour ame,

Intaminatis fulget honoribus.

Huit Marguilliers suivoient ce Bedeau marchant deux à deux, & tenant chacun un Flambeau de cire blanche. Les Comites des Galeres paroissoient en suite avec plusieurs Hautbois à leur teste. Derriere eux estoient deux Tambours de Guerre, précedant les Ecrivains. Ces derniers marchoient devant les Ordres Religieux qui sont au nombre de vingt, & ceux-cy, devant les quatre Paroisses. Celle de la Major estoit en Chapes fort riches, ayant à la teste un Chœur de Musique, & à la queuë, quantité de Violons. Quatre Prêtres en Dalmatique, suivoient avec autant d’Encensoirs. Ils avoient tous une Couronne de Fleurs, ainsi que huit autres Prestres vestus en Diacres, dont chacun tenoit les Bastons du Daix. Mr Martinon, Sacristain de la Cathedrale, portoit le Soleil où la Sainte Hostie estoit enfermée. Tous les Capitaines, Lieutenans, Sous-Lieutenans & Enseignes des Galeres, marchoient deux à deux derriere le Daix, avec chacun un Flambeau de Cire blanche du poids de deux livres. La Procession estant sortie de la Cathedrale, passa sur le Port qui estoit orné de Tapisseries & semé de Fleurs, ainsi que toutes les Ruës. Les Hallebardiers bordoient ce Port d’un côté, & les Mousquetaires de l’autre. Quand la sainte Hostie passoit devant l’une des Galeres, on tiroit tout le Canon pour luy faire honneur, & tous les Soldats estant à genoux, mettoient leurs Mousquets à terre. Lors que l’on fut arrivé devant la Reale, on mit cette sainte Hostie sur un magnifique Reposoir qu’on avoit dressé au mesme lieu où les Coupables avoient expié leur crime. Un peu apres, l’Aumônier de la Forte, qui estoit la Galere des Criminels, descendit de la Reale, & se mettant à genoux la corde au col, demanda pardon à Dieu, & fit amende honorable, ce qui attira les larmes de tous ceux qui l’entendirent. Outre les Galeres, tous les Bastimens, Vaisseaux & Barques du Port, ainsi que la Citadelle & les deux Forts, firent trois décharges de tout leur Canon. Ainsi on peut dire qu’il s’en tira plus de mille coups. Apres qu’on eut donné la Benediction devant la Reale, la Procession s’en retourna dans le mesme ordre qu’elle estoit venuë, & fit le tour de la Ville avant qu’elle rentrast dans la Cathedrale, où Mr le Bar, Missionnaire de Saint Lazare, prescha fort éloquemment sur l’horreur du crime qu’on avoit tâché de reparer.

[Voyage du Roy à Paris, avec une exacte Relation de ce qui s’est passé dans tous les Lieux où sa Majesté a esté] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 257-269.

On peut dire que le Roy, apres avoir veu dans ses Cabinets des Ouvrages de Peinture imitant le Relief, alloit voir un Relief auquel il ne falloit plus que prester une Ame. C’estoit sa Statuë, à laquelle il y a plusieurs années que Mr de la Feüillade fait travailler. On sçait que ce Duc aime veritablement la Personne de Sa Majesté, & que son unique attachement a toûjours esté de la servir. Je ne dis rien de son intrépidité dans les périls, & de la derniere Action qu’il a faite. La conduite & la prudence y estoient si necessaires, qu’en estre sorty aussi glorieusement qu’il a fait, c’est avoir montré qu’il n’ignore rien dans le mestier de la Guerre. Je passe au grand Monument que je vous ay dit qu’il a fait dresser pour transmettre la gloire du Roy à la Posterité, & servir d’exemple à ceux qui comme luy ont reçeu de grands biensfaits de leur Prince. Quand on entreprend un Ouvrage de cette importance, on en fait toûjours un Modelle pour voir si l’Ouvrage entier est agreable à la veuë, & si les proportions qu’on luy a données produisent un bon effet. Ceux qui le voyent, donnent leurs avis sur les defauts qu’ils y trouvent ; & comme il est encor temps de s’en servir, ils ne peuvent qu’estre utiles. Ce que le Roy alloit voir n’estoit qu’un Modelle. On l’avoit placé dans le milieu du Jardin, en sorte qu’il pouvoit estre veu de loin, & de toutes les Faces, comme s’il eust esté dans une Place publique. Cet Ouvrage représente un Piédestal dont la hauteur est de vingt-un pieds. La Figure du Roy faite toute d’un bloc de Marbre blanc, est au dessus. Elle a dix pieds de hauteur. Quatre Esclaves de Bronze sont assis aux quatre coins ; & quoy qu’il semble que cette attitude doive marquer un état tranquille, on ne laisse pas de les prendre d’abord pour des Esclaves. La douleur diféremment peinte sur leurs visages, fait connoistre ce qu’ils soufrent, & leur dos presque courbé montre assez à quoy ils sont destinez. Chacun a quatre pieds de grosseur, & dix de hauteur. L’un est un Vieillard fort abatu ; l’autre un jeune Esclave, qui fait effort pour rompre ses chaînes ; un autre paroist dans un âge meûr ; & le quatriéme est diférent des trois autres. Les Simboles qui les accompagnent, peuvent donner lieu de les reconnoistre, ou servir du moins à faire faire des applications. Aux quatre Faces du Pié-destal, entre les Esclaves, sont quatre Bas-Reliefs de Bronze. L’un représente l’Ambassadeur d’Espagne, qui en présence de toute la Cour déclare que le Roy son Maistre cede le pas à Sa Majesté. Le second fait voir le Passage du Rhin. On voit dans le troisiéme la Prise de Besançon, & le Roy qui commande à Mr le Duc de la Feüillade de s’emparer de la Citadelle ; & le quatriéme représente Sa Majesté donnant la Paix à l’Europe. Toute cette grande Machine est accompagnée de quantité de Trophées, & de plusieurs autres Ornemens de Bronze, que les Connoisseurs trouvent admirables. Aussi avoüent-ils qu’on ne peut rien faire de plus beau, tant pour le grand goust du dessein, que pour les belles expressions, l’agreable contraste, la noblesse, & la varieté. Tout est étudié dans ce grand Ouvrage, & fait avec un soin merveilleux, & d’une maniere aussi belle qu’elle est particuliere à Mr Desjardins. C’est le nom du Sculpteur, à qui seul, apres Monsieur de la Feüillade, la France doit ce grand Monument. Sur la Face de devant, au dessus du Bas-Relief, on lit ces deux Vers Latins.

Et tibi, ne nobis Augusti sæcula desint,
Victori terras pace fovere datum.

Les Paroles suivantes sont marquées en lettres d’or au dessous du Bas-Relief.

LUDOVICO VICTORI INDEFESSO,

Domitis Batavis, adjectis Imperio
Hannonibus Sequanis Attrebatibus
Utriusque Austriæ Populis, Rheno
Eridanoque una die subjugatis,
Profligatis Europæ conjuratæ viribus,
Orbe pacato,
Hoc immortale Trophæum Regi erga se munificentissimo,
Grati animi Monumentum posuit
Franciscus d’Aubusson de la Feüillade,
Dux Franciæ Par & Marescallus, Delphinatus pro Rox,
Prætorianarum Cohortium Præfectus.

Sur la Face opposée, on voit cette grande Inscription Françoise, au dessous du Bas-Relief.

A LOUIS LE CONQUERANT.

Pour avoir dompté les Hollandois, Joint à l’Empire les Peuples du Hainaut, de l’Artois, de la Franche-Comté, & de l’une & l’autre Austrasie, Donné les Loix en un mesme jour au Rhin & au Pô, Vaincu les forces de l’Europe conjurées contre luy, Donné la Paix à tout le monde, François d’Aubusson de la Feuillade, Pair & Maréchal de France, Gouverneur du Dauphiné, Colonel des Gardes Françoises, a élevé ce Monument pour reconnoissance eternelle de tant de bienfaits, & pour trophée de tant de Victoires.

Au dessus de ce mesme Bas-Relief, sont les quatre Vers qui suivent.

Nos Roys dans tous les temps sur tous les autres Roys
Ont eu le premier Rang par leur grandeur supréme ;
Mais LOUIS a forcé par ses fameux Exploits
 L’Espagne si fiere autrefois,
A venir à ses pieds l’avoüer elle-mesme.

A costé droit, au dessus du Bas-Relief, on lit ces deux Vers Latins.

Aspice tranati Lodoïcum in littore Rheni
Granicæ sileat macedo Miracula ripæ.

Ces deux autres Vers Latins sont au dessus du Bas-Relief, du costé gauche.

Cæsar Alexiacas, geminis vix mensibus arces
Occupat, octavâ Lodoïcus lucè Vesuntum.

Le Roy estant entré dans le Jardin où ce Monument estoit élevé, dit d’abord, apres le premier coup d’œil, qu’il avoit bien du Grand. Il s’approcha en suite, examina tout en particulier, lût les Inscriptions, & dit à Mr de la Feüillade qu’elles estoient fort obligeantes ; puis se retournant du costé de Mr Desjardins, il luy dit, qu’il s’estoit fait une grande idée de cet Ouvrage sur le recit qu’on luy en avoit fait, mais que ce qu’il voyoit surpassoit tout ce qu’il s’en estoit imaginé.

Enigme §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 278-280.

Les vrais Mots des Enigmes du dernier Mois, & les noms de ceux qui les ont trouvez, seront dans ma seiziéme Lettre Extraordinaire, que vous aurez le 15. de Janvier. Cependant en voicy deux autres que je vous envoye. La premiere a esté faite par le Devot Captif d’Argenton-Château.

ENIGME.

 Sur un Terroir assez fertile
 Je me promene tous les jours,
Non loin de ces endroits, où les tendres Amours,
Les Graces, & les Ris, ont éleu domicile.
Lors qu’on donne à ma course entiere liberté,
D’une épaisse Forest perçant l’obscurité,
 C’est à moy de faire main basse
Sur tout ce qui s’oppose à ma rapidité.
 S’il arrive que je me lasse,
 Ceux qui me donnent de l’employ
Se plaignent hautement, & pestent contre moy.
Mal-à-propos pourtant quelquefois on m’outrage,
Car manquant d’yeux, dans mon aveuglement,
Si l’on me donne un Conducteur fort sage,
 J’agis aussi fort sagement.
 Cependant malgré ma sagesse,
 Il est des instans malheureux
Où les traces de sang que mon passage laisse,
 Font voir que je suis dangereux.

Autre Enigme §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 280-281.

AUTRE ENIGME.

Quoy que ma bouche soit fort grande,
Je n’ay point de diformité.
On connoit mon utilité
Par le secours que chacun me demande.
Quand pour en obtenir on députe vers moy,
 L’Envoyé ne perd point sa peine,
 Je le fais boire à tasse pleine,
Et le renvoye ainsi content de son employ.
De moy-mesme toûjours je demeure tranquille,
 Et quand on vient me mettre en fonction,
 Ce qui sert à me rendre utile,
Souvent de Spéctateurs attire plus de mille
 Pour voir son opération.

[Enigme en figure]* §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 281.

Les diférentes Figures que vous trouverez dans la Planche que j’adjoûte icy, font une troisiéme Enigme dont vos Amies se divertiront à chercher le sens.

Seconde Suite des Conseils, à Iris §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 281-301.

Les Conseils donnez à Iris leur ont tant plû, qu’elles verront avec joye la seconde Suite qui m’en est tombée entre les mains. Je vous envoyay la premiere dans le Mois d’Octobre. Celle-cy ne sera pas moins instructive pour les Belles qui commençant à paroistre dans le monde, ont besoin d’Avis, pour n’y pas faire de fausses démarches.

SECONDE SUITE DES CONSEILS, A IRIS.

Je crains toûjours, Belle Iris, que vous ne vous trouviez accablée sous le nombre des Conseils que je vous donne. Cependant si vous voulez avoir la patience de m’écouter jusqu’au bout, il ne tiendra qu’à vous que vous n’ayez l’experience de cinquante ans, avec la beauté de quinze. Les Gens qui s’aiment vent d’ordinaire assez peu la maniere d’estre familiers ensemble. Ils n’ont point l’Art de mêler comme il faut, la liberté que l’amour leur permet & le respect qu’ils se doivent. Il n’est pas mal de se défaire des noms de Monsieur & de Madame, & de s’en donner de plus tendres & de plus doux, mais il ne faut pas aller jusqu’au tutayement, ou du moins il doit estre extrémement rare, tres-bien placé, & assaisonné avec une grande adresse. Je ne vous presche pourtant pas une fierté, ny une roideur d’esprit qui vous rende incapable d’un certain badinage agréable dans lequel il faut entrer. Prenez le milieu. J’avouë qu’il est difficile à prendre, & dans le commerce ordinaire du monde on s’y trompe tous les jours. Vous voyez des Maisons où l’on se pique de donner cette liberté qui est si fort à la mode. Combien y a-t-il de ces Maisons là qui dégenerent en Halles ? l’air libre & galant y consiste à mettre tout en confusion & en desordre. On s’y batteroit volontiers, hommes & femmes, pour avoir les manieres aisées. Il en ira de mesme entre vous & vostre Amant, si vous ne sçavez le contenir, ou s’il ne se contient luy mesme dans les bornes de la familiarité qui luy est permise. Il ne doit point estre dispensé de la plûpart des petites regles de bien seance que le monde a établies, à moins qu’elles ne soient tout à fait vaines, & pour ainsi dire superstitieuses, comme il y en a quelques-unes : Encore doit-il toûjours faire un peu de façon pour ne pas observer celle qu’il n’observera pas. Il faut qu’il se serve de ses privileges d’une maniere timide, qui vous empesche de sentir que ce sont des privileges qui luy sont deûs. Sur tout, ne laissez jamais voir au monde aucunes marques de la familiarité où vous pouvez estre ensemble. Je ne dis pas par là que vous teniez vostre passion plus secrette, car elle pourra ne l’estre pas, & bien des gens s’aiment sans en faire un grand mystere, mais je veux dire que quand mesme vous n’en seriez plus tous deux à cacher vostre tendresse, il ne faudroit pas pour cela que le public en vist aucuns effets. J’ay remarqué des hommes qui entrant dans une chambre, distinguent leur Maistresse d’avec toutes les autres par une reverence plus familiere, par un petit mot à l’oreille, par quelque regle de civilité moins exactement gardée. Il y a aussi des Femmes qui si elles ont un Amant un peu considerable, ne manquent point de faire parade en toute occasion du pouvoir qu’elles ont sur luy. Je luy feray bien faire cecy, disent-elles, je le feray bien venir là. Toutes ces affectations sont de tres-mauvaise grace. Ce qui a quelque rapport & quelque liaison avec l’amour n’est bon qu’entre deux personnes.

Si vous voulez gouster avec vostre Amant les veritables douceurs de la tendresse, prenez garde tous deux à ne vous laisser pas empoisonner l’esprit par la jalousie. Bien des gens ne sont pas de mon avis sur ce sujet. Ils ne reconnoissent plus l’Amour dés qu’il ne produit plus des emportemens, & une espece de rage, & c’est à quoy l’Amant jaloux est le plus propre. Pour moy, je trouve qu’au lieu de faire accompagner ce petit Dieu, par les Graces, par les Jeux, & par les Ris, ils luy donnent les Furies pour escorte, & on devroit bien le fuïr s’il avoit toújours cet effroyable attirail. Mais aussi je croy qu’il pourroit bien s’en passer. Il n’est pas besoin que dés que vous aurez veu un Homme deux fois de suite, vostre Amant vienne tout desesperé vous demander raison des assiduitez de ce prétendu Rival, ny que deux ou trois visites qu’il aura renduës à une jolie Femme vous fassent joüer le personnage d’une Ariane trahie. Je ne sçay comment on peut prendre goust à un commerce d’amour si agité. Les Coquettes & les Galans de profession, ne sçavent qu’accuser & se justifier. Toute leur vie roule là-dessus, & hors de là ils n’ont rien à dire. Comme ils n’aiment pas avec beaucoup de fidelité les uns ny les autres, ils ne croyent pas non plus qu’on en ait beaucoup pour eux, & cela produit sans cesse des reproches, des explications, des ruptures, des racommodemens, qui enfin aboutissent le plus souvent à des haines declarées. Mais les gens qui ont le cœur bien fait, ne souffrent pas si volontiers qu’on se défie d’eux. Quand vous vous serez une fois engagée, vous ne trouverez pas bon, qu’apres ce qu’il vous en aura coûté, vostre Amant croye que ce ne soit pas pour long-temps, & que vous soyez toute preste à en faire autant pour un autre. Vostre Amant de son côté, si vous l’avez bien choisi, vous aimera assez pour vous persuader qu’il ne courroit point de danger avec tout ce qu’il y a encore d’aimables personnes au monde. Ainsi vous serez tous deux au dessus d’une infinité de petites tracasseries, qui ne sont bonnes qu’entre les gens qui s’entre-trompent. Il n’y a rien de plus fatigant pour ceux qui n’y donnent aucun sujet, & quand je me meslois d’aimer, c’estoit là une des choses que mon amour, quelque violent qu’il fust, avoit le plus de peine à essuyer. Mais enfin s’il arrive, comme il est bien difficile de l’empécher absolument, que l’un de vous deux conçoive quelque soupçon, c’est à luy à s’en expliquer sur l’heure ; autrement, vous vous trouverez tous deux dans peu de temps une grande affaire sur les bras. L’un croit avoir raison d’être fâché, & sans demander de satisfaction, il veut qu’on le satisfasse. L’autre ne sçait ce que cela veut dire, & s’obstine quelquefois par dépit à ne le vouloir pas sçavoir. Les esprits s’aigrissent. Quand ils sont une fois dans cette disposition, ils empoisonnent tout, & voila une broüillerie d’importance, qui pouvoit d’abord estre terminée en quatre paroles. N’observez point en pareil cas l’ordre des procedez. Ne dites point, c’est à luy à dire ce qu’il a ; il n’importe pas qui commence l’éclaircissement, pourveu qu’il se fasse. J’ay veu de ces sortes d’affaires si bien gâtées à la longue par la faute des deux parties, & mesme si bien embroüillées, qu’ils ne sçavoient plus où ils en estoient, & avoient toutes les peines du monde à en revenir. Il y a une maniere si obligeante de dire les sujets de plainte qu’on a, aussi-tost qu’on croit les avoir reçeus, que je m’étonne comment on ne veut pas avoir ce merite là aupres de la personne qu’on aime.

Si vous estes, vostre Amant & vous, de deux caracteres differens, trouvez moyen de les ajuster ensemble, de sorte que vostre commerce mesme en soit plus doux. Cela demande un certain Art que tout le monde n’a pas. La pluspart des gens sont blessez de tout ce qui n’a pas le bonheur de leur ressembler ; mais au contraire, les differences qui sont entre deux caracteres, raisonnables pourtant d’ailleurs l’un & l’autre, produisent plus d’agrément. Deux personnes trop vives ne seroient pas bien ensemble, elles courroient les champs. Deux personnes trop paisibles n’y seroient pas bien non plus, rien ne les pourroit émouvoir ; mais une Femme un peu tranquille avec un Amant d’une humeur bien vive, cela fait des merveilles. La Maistresse modere l’Amant quand il le faut. L’Amant quand il le faut aussi, excite la Maistresse. L’un de ces caracteres donne à l’autre ce qui luy manque, & ces deux personnes, en empruntant quelque chose de ce qu’elles aiment, deviennent l’une & l’autre une personne fort accomplie. Il faut aussi qu’elles se recompensent mutuellement du bon office qu’elles se rendent, par beaucoup de déference pour les sentimens qui sont contraires aux leurs, & non pas que chacun prétende, comme il arrive le plus souvent, reduire l’autre à prendre ses manieres.

Il ne me reste plus qu’un conseil à vous donner ; mais je ne sçay comment je pourray vous le donner ; car quel tour prendre pour dire à deux gens qui s’aiment, qu’ils ne soient pas éternellement ensemble ? Ce qui détruit quelquefois l’amour, c’est qu’on est insatiable l’un de l’autre. En peu de temps on s’est épuisé, & le dégoust naturel qui est dans tous les cœurs, fait bien promtement son effet. Ce ne sont pas toûjours à mon gré les plus malheureuses des passions, que celles où l’on se plaint de part & d’autres, de ne se voir pas assez. Un peu d’absence tient l’amour en haleine. Ce n’est pas que je veüille qu’on se ménage volontairement des absences, quoy que quelques gens l’ayent fait avec succés ; mais du moins quand vous serez en pleine liberté de vous voir tant que vous voudrez, songez qu’il y a douze heures au jour, & qu’elles sont bien longues à passer, mesme avec la personne du monde la plus aimable, & que l’on aime le mieux. J’ay oüy conter depuis peu qu’une Dame qui se promenoit dans le Jardin du Roy, ouvrit par hazard un Cabinet, & qu’il en sortit aussi-tost un Homme & une Femme qui y estoient enfermez depuis six heures, & qui n’avoient pû ouvrir le Cabinet par dedans. La Dame qui les observa quand ils sortirent, vit briller sur le visage de tous les deux la joye qu’ils avoient d’être délivrez l’un de l’autre, quoy qu’apparemment ils fussent entrez avec d’autres sentimens. Profitez de cet exemple, Belle Iris. Ne vous reduisez pas tellement l’un à l’autre vostre Amant & vous, en renonçant au reste du monde, que vous vous trouviez enfermez dans ce Cabinet, que l’on ne pouvoit ouvrir. Soyez la plus agréable & la premiere affaire l’un de l’autre, mais non pas la seule, & ménagez vous si bien tous deux, que vous ne sortiez jamais d’ensemble sans avoir encore quelque chose à vous dire. Voila une partie des précautions que je croy qu’il faut prendre pour aimer, & pour aimer long-temps. Fasse l’Amour, Belle Iris, que vous en profitiez avant qu’il soit peu ; & quand vous vous en trouverez bien, souvenez-vous d’un Homme qui a esté bien aise d’avoir cinquante ans pour estre du moins propre à vous conseiller.

[Cerémonie faite à Lile en Flandre par les Chevaliers de S. Lazare] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 302-311.

Le Mercredy 17. de ce mois Mr de la Rabliere, Grand Prieur pour la Flandre, de l’Ordre de Nostre-Dame de Mont-Carmel, & de Saint Lazare de Jerusalem, fit faire une tres-pompeuse Solemnité de la Feste de ce Saint, dans l’Eglise des Peres Carmes de Lile. On l’avoit ornée des plus belles Tapisseries de la Ville, & dans un lieu des plus apparens estoit le Portrait du Roy, Grand Maître de cet Ordre, & au dessous, celuy de Mr de Louvoys qui en est le Grand Vicaire. Il y avoit des lumieres en si grand nombre, qu’on peut dire qu’il estoit presque infiny. La Solemnité commença le jour précedent aux premieres Vespres que l’on chanta en Musique. Tous les Commandeurs & Chevaliers des Villes voisines y assisterent, & furent placez sur deux Estrades par Mr le Conseiller Turpin qui faisoit la Charge de Maistre des Ceremonies. Mr du Mets, Gouverneur de la Citadelle, ne s’y trouva point, non plus que Mr le Chevalier de la Trousse. Ce dernier estoit malade, & Mr du Mets estoit occupé à la visite de l’Artillerie du Roy. Il y avoit treize Commandeurs, sçavoir.

Mr de la Rabliere, Maréchal de Camps aux Armées du Roy.

Mr de Saint Silvestre, Mestre de Camp, & Inspecteur de la Cavalerie.

Mr Rosamel, Capitaine Lieutenant des Gens-d’Armes de Flandre, Mestre de Camp.

Mr d’Avejan, Commandant aux Gardes qui sont à Lile.

Mr S. Germain de la Bretesche, Commandant d’un Bataillon des Gardes.

Mr de Fourrille, Capitaine aux Gardes.

Mr des Alleurs, Capitaine aux Gardes.

Mr de la Motte, Major de la Citadelle de Lile.

Mr Cheviré, Lieutenant aux Gardes.

Mr de Menevillette, Lieutenant aux Gardes.

Mr de Nonant, Sous-Lieutenant aux Gardes.

Mr de Sainte Fére, Enseigne aux Gardes.

Mr Cordé, Maréchal de Logis des Gens-d’Armes Bourguignons.

Les Chevaliers estoient,

Mr Warcoin, Majeur de la Ville, & ancien Chevalier.

Mr de Montalet, Capitaine des Fuseliers à cheval de Flandre.

Mr de la Tramerie.

Mr de Gorguel, Grand Bailly des Villes & Chastellenie de Bailleul.

Mr de Bloumac, Brigadier des Chevaux Legers de Monseigneur le Dauphin.

Mr de Capdeville, Maréchal de Logis des Chevaux Legers de Monsieur.

Mr le Conseiller Turpin, Premier Procureur General de l’Ordre, en la Langue des Belges.

Mr l’Aumônier de la Porte,

Mr de Buissy, Grand Bailly du Grand Prieuré.

Le lendemain à neuf heures du matin, tous ces Commandeurs & Chevaliers partirent de chez Mr le Grand Prieur où ils s’estoient assemblez, & se rendirent au Convent des Peres Carmes au bruit des Timbales, des Tambours & des Trompetes.

Le Supérieur accompagné de tous ses Religieux, les vint recevoir à la Porte de l’Eglise, & fit compliment à Mr le Grand Prieur, sur la joye qu’avoit le plus ancien des Ordres Reguliers, de se voir uny de Societé au plus ancien des Militaires. Il entonna en suite le Te Deum, & tous ces Messieurs allerent prendre les places qui leur estoient préparées. On commença la Messe aussi-tost, & elle fut chantée en Musique. Pendant l’Evangile, ils tinrent tous l’épée nuë, pour témoigner qu’ils estoient prests à donner leur sang pour la defence de la Foy. Apres qu’ils eurent esté à l’Offrande, un des Religieux du Convent monta en Chaire, & prit pour texte ce Passage des Macabées. Refulsit Sol in clipeos aureos & resplenduerunt montes ab eis, ausquelles paroles il adjoûta celles de l’Eglise, & fortitudo gentium dissipata est. Il s’étendit avec beaucoup d’éloquence sur les loüanges du Saint, sur les Eloges de l’Ordre, le plus ancien de toute la Chevalerie, & sur la gloire du Roy qui avoit pris soin de le relever. La Messe estant achevée, tous les Commandeurs & Chevaliers allerent chez Mr le Grand Prieur qui les régala magnifiquement. Ils retournerent de là aux secondes Vespres ; & apres que la Benediction eut esté donnée, on entendit un fort grand bruit de Petards, Boëtes, & autres feux d’artifice, accompagnez de Trompetes, de Tambours & de Timbales. Le lendemain on fit un Service solemnel dans la mesme Eglise pour tous les Morts de cet Ordre.

[Galanterie en Vers d’une Dame à un Cavalier, pour le détourner de la Chasse] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 311-313.

Les Vers qui suivent sont d’une Personne de vostre beau Sexe, à qui rien ne manque de tout ce qui rend une Fille aimable. Jugez si le Cavalier pour qui ils ont esté faits, pourra conserver la passion qu’il a toûjours montrée pour la Chasse, quand on l’invite d’une maniere si agreable à des occupations plus douces.

Cessez d’aimer la Chasse ; il est d’autres plaisirs
Plus dignes de suffire à vos jeunes desirs.
En pour suivant un Cerf, quel fruit, quels avantages
 Esperez-vous de vos travaux ?
Alcandre, croyez-moy, jamais dans les Bocages,
 Un Chasseur ne vit d’Animaux
  Parez de bois ou de plumages.
  Cherchez à partager ses maux.
Pour un pareil employ vous avez trop de charmes ;
Laissez & vos Chiens & vos armes.
Il est temps de goûter des biens qui soient plus doux,
 L’Amour en a qui ne sont que pour vous.
 Cherchez un cœur tendre & sensible ;
Quand on aime beaucoup, il n’est rien d’impossible.
Avec moins de péril vous en serez vainqueur,
Et ce plaisir vaut mieux que celuy d’un Chasseur.

[Mort de l’Abbé Cottin] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 315-316.

La mort de Mr l’Abbé Cottin a laissé en mesme temps vaquer une Place dans l’Académie Françoise. Il a fait bruit dans le monde, & divers Ouvrages qu’il a donnez au Public conserveront sa mémoire. Mademoiselle d’Orleans le considéroit, & luy a fait voir utilement en plusieurs occasions qu’elle l’honoroit de sa bienveillance. Quand on a une fois merité l’estime de cette Princesse, on a l’avantage de pouvoir compter sur sa durée, & sur les marques solides qu’elle ne manque jamais d’en donner.

[Divertissemens nouveaux] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 318-320.

Les Divertissemens de Paris n’ont pas esté en grand nombre depuis ma derniere Lettre. Vous sçavez qu’ils n’y commencent que lors qu’on entre dans le Carnaval, & que le plaisir de la Comédie est le seul qu’on prenne en toutes saisons. Deux Pieces nouvelles ont paru ce mois-cy presque en mesme temps. Les Comédiens François nous ont donné l’une sous le nom de Cléopatre, & l’autre a esté joüée sur le Théatre des Italiens, avec le titre d’Arlequin Vendangeur. Toutes les deux ont esté parfaitement bien représentées, & l’on a couru en foule voir Mr le Baron dans le Sérieux, & Arlequin dans le Comique. Mr de la Chapelle, Autheur de la Cléopatre, s’est acquis beaucoup de gloire en réüssissant dans un Sujet traité autrefois avec beaucoup de succés par Mr de Benserade, & par feu Mr MairetLe rédacteur du Mercure se trompe car Jean Mairet, auteur de la tragédie Le Marc-Antoine, ou La Cléopâtre parue en 1635 n'était pas encore décédé. . Je vous envoyeray sa Piece si-tost qu’elle sera imprimée, afin que vous ayez le plaisir de voir ce qui a tiré des larmes de quantité de beaux yeux.

Sur la Grossesse de Madame la Dauphine. Sonnet §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 320-322.

On continuë toûjours à ne point douter de la grossesse de Madame la Dauphine. Vous pouvez juger combien la Cour en ressent de joye. Voicy un Sonnet en Bouts-rimez, qui vous fera voir que cette joye se répand par tout. Vous y trouverez beaucoup d’esprit. Quand on est gesné par la contrainte des Rimes, il est impossible de s’exprimer aussi noblement que la matiere le demande.

SUR LA GROSSESSE
de Madame la Dauphine.
SONNET.

Peuples, venez dançans au son du Flageolet,
Voir l’effet d’un amour conforme au Décalogue ;
Benissez l’heureux flanc qui porte un Roitelet ;
Bergers, en son honneur entonnez un Eglogue.
***
Pour neuf mois de prison l’aimable Châtelet !
Tout en parle, Avocat, Ecolier, Pédagogue,
Medecin qui n’en sçait pas plus que son Mulet,
Sur son pauvre Malade acharné comme un Dogue.
***
Au Ciel faisons des vœux, ayant bien écuré
Chacun sa conscience aux pieds de son Curé ;
Telle Feste pour nous est une des plus belles.
***
Voit pâlir ton Croissant, tremble, fier Hellespont.
O si le Petit-Fils à son Ayeul répond,
Que de nouveaux Lauriers ! que de Palmes nouvelles !

[Divertissemens à la Cour] §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 323-329.Voir aussi cet article

Je vous ay déja marqué qu’au retour du Voyage du Roy on a joüé à la Cour le Bourgeois Gentilhomme alternativement avec le Pourceaugnac. Apres quelques Représentations, Monseigneur le Dauphin voulut se donner le plaisir de dancer dans l’une des Entrées qui font l’ornement de chacune de ces Pieces. Il choisit dans le Bourgeois Gentilhomme l’Entrée des Espagnols & Espagnoletes, & nomma pour dancer avec luy Monsieur le Prince de la Roche-sur-Yon, Mr le Comte de Brionne, Madame la Princesse de Conty, Madame de Seignelay, & Mademoiselle de Laval. Mr de Beauchamp dançoit seul par intervales dans le milieu de cette Entrée. Madame la Princesse de Conty fit voir avec la grace qui luy est si naturelle, tout ce que la Dance a d’agrémens. Les mesmes Personnes dancerent avec Monseigneur le Dauphin une Entrée de Biscayens & de Biscayennes, dans le Pourceaugnac. La maniere aisée avec laquelle Mademoiselle de Nantes fait tout ce qu’elle entreprend, jointe à la disposition & à la grande justesse qu’elle a pour la Dance, la fit souhaiter dans cette Entrée. Elle en apprit aussitost les Pas, & Mr le Comte de Guiche fut choisy pour dancer avec cette Princesse. Ils furent accompagnez de quatre jeunes Personnes, deux Garçons, & deux Filles. L’enjouëment de cette Entrée fut d’autant plus agreable, qu’on y batoit du Tambour de Basque, & que les Pas estoient un peu élevez, & par conséquent extraordinaires. Tout cela demande de la bonne grace, du sçavoir, & de l’adresse ; & comme toutes ces choses sont naturelles à Mademoiselle de Nantes, elle se distingua d’une maniere qui luy attira les voix & les cœurs de tout le monde. Sa Majesté s’est tellement divertie à voir ces Entrées, que toutes les deux ont esté dancées dans chaque Piece. Mr de Lully a représenté le Personnage du Mufty dans le Bourgeois Gentilhomme. C’estoit luy qui le joüoit dans les premieres Représentations de cette Piece qui fut faite pour le Roy dans un Voyage qu’il fit à Chambord, & il a crû le devoir continuer pour donner plus de plaisir à Sa Majesté, parce qu’ayant composé toute la Musique récitative de ce Personnage, aucun n’en peut avoir une plus parfaite intelligence, ny le joüer d’une maniere plus juste. A peine a-t-on conçeu le dessein de ces Entrées, qu’elles ont paru. On les a apprises, & les Habits ont esté faits d’un jour de Ballet à l’autre, l’ordre & l’exécution n’estans aujourd’huy qu’une mesme chose à la Cour. Je ne dois pas oublier de vous dire, en vous parlant de Mr de Lully, qu’il a esté reçeu icy depuis quelques jours Secrétaire du Roy. Quand on possede un bel Art dans le supréme degré, qu’on adjoûte à la Nature, & qu’on la perfectionne, il n’est point de Dignitez où l’on ne puisse se voir élevé, sur tout quand on fait comme Mr de Lully l’admiration de presque toutes les Nations polies.

[Chanson]* §

Mercure galant, décembre 1681 [tome 13], p. 337-338.

Adieu, Madame. Le temps me presse si fort de finir ma Lettre, que je vous laisse chercher les Paroles de la seconde Chanson que je vous envoye, parmy les Notes qui vous apprendront à les chanter. On m’assure que vous en serez contente. Je souhaite que vous le soyez toûjours de mes soins, que je tâcheray de redoubler, afin que la sixiéme année de nostre commerce ne me soit pas moins heureuse que me l’ont esté les cinq premieres, qui expirent aujourd’huy. Je suis vostre &c.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Pendant que je dormois, doit regarder la page 338.

A Paris ce 31. Decembre 1681.

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