1681

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI).

2017
Source : Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI).
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Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI). §

[Réponses de M. de Simprou aux Questions proposées dans le XIV. Extraordinaire] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 1-49.

Vous vous souvenez, Madame, qu’en finissant ma quinziéme Lettre Extraordinaire, je vous marquoy qu’il me restoit plusieurs Pieces que je réservois, faute de place, pour les employer dans celle-cy. C’est par là que je la vay commencer, ne voulant pas priver leurs Autheurs de la gloire qu’ils peuvent attendre de leur travail. Quoy que ces Matieres semblent n’estre plus nouvelles parce qu’elles ont esté déja traitées, elles ne laisseront pas de faire un agreable mélange avec celles qu’on a proposées la derniere fois. D’ailleurs, les mesmes sujets donnant lieu d’écrire à diférentes Personnes qui prennent le soin de m’adresser leurs Ouvrages, ce n’est point par choix que je vous envoye les uns avant les autres ; mais seulement selon le temps qu’ils me sont rendus. Ainsi il est juste que tout le monde soit satisfait. Voicy de quelle maniere Mr de Sinprou s’est expliqué sur les Questions du XIV. Extraordinaire.

Si un Amant aimé qui a peu de bien, une extréme ambition, beaucoup de délicatesse, & un violent amour ; doit épouser une Maistresse, peu favorisée de la Fortune, & qui a comme luy de l’ambition & de la délicatesse.

Aimer avec passion une Belle, & en estre tendrement aimé, est le sort le plus heureux de deux veritables & parfaits Amans ; mais si cet amour, aussi violent, & aussi délicat qu’on le supose, doit unir ces deux Amans qui ne sont pas moins ambitieux, que passionnez, & à qui la Nature semble n’avoir donné un cœur que pour former des desirs, sans avoir soûtenu les nobles sentimens de leur ame par les biens de la Fortune ; c’est ce que le Mercure demande, & ce que je croy qui ne se doit pas faire.

La Question, sçavoir si l’amour tout puissant qu’il est, lors qu’il partage un cœur avec l’ambition, en doit demeurer le maître, n’a pas encor esté absolument déterminée. Ceux qui tiennent le party de l’amour, disent que s’il est vray que les Hommes les plus ambitieux respectent ses Loix, & que tout ce qu’il y a de plus élevé & de plus orgueilleux soit obligé de luy rendre hommage, il est hors de doute que l’ambition doit ceder à l’amour, & qu’on ne peut mériter la qualité de parfait Amant si l’on balance à sacrifier l’intérest de son ambition à l’ardeur de sa flâme ; que plus il y a de peine à se vaincre, plus la victoire est glorieuse au Vainqueur, les plaisirs de l’amour n’estant jamais plus doux que quand ils coustent beaucoup. Quand on obtient ce qu’on aime, qu’importe à quel prix, dit la Chanson ? C’est ce que diront les Soûpirans au Galant de nostre Mercure ; mais si l’Amour est aveugle, je ne croy pas qu’il doive estre sourd aux bons avis d’un Amy, lors qu’il est question de changer le nom d’Amant en celuy de Mary. Je pardonne facilement à un Amant qui donne à l’amour la preférence sur l’ambition, tant qu’il est aux pieds de sa Maistresse ; mais quand il faut se lever de ses pieds pour luy donner la main, je ne peux consentir à cette démarche, s’il est ambitieux, à moins que sa Maistresse ne luy apporte les moyens de soûtenir son ambition, & ses grands desseins, un Amant qui connoist que la possession de sa Belle ruine ses espérances, & sa fortune, devant se retirer honnestement de l’engagement qu’il a avec elle. Quelque violence qu’ait l’amour d’un Amant passionné, & quelque mérite qu’ait la charmante Personne pour qui il soûpire, la possession diminuë beaucoup de l’amour du Mary & de la considération du mérite, & des charmes de sa Femme. Six mois de mariage satisfont pleinement les desirs, les empressemens, & les transports de l’amour du plus passionné des Amans. Il n’y en a point de si constant à qui la plus belle & la plus vertueuse Femme ne soit en de certains momens indiférente, pour ne pas dire à charge.

Que si ceux qui sont satisfaits de leur choix, & qui n’ont autre sujet de tiedeur que la paisible joüissance de ce qu’ils ont recherché avec tant d’inquiétudes, & de crainte, ne laissent pas d’avoir du dégoust & du déplaisir, à quels chagrins ne s’expose point un Amant, à qui trois mois de mariage, ouvrant les yeux, font voir que c’est luy seul qui ayant eu entre ses mains le moyen de pousser plus loin les nobles sentimens de son ambition, s’est mis hors d’état de faire sa fortune, en sacrifiant sa gloire à son plaisir, & son intérest à son amour ? N’y auroit-il pas lieu de craindre que l’ambition l’emportant alors sur l’amour, il n’eust pour sa Femme autant de haine & d’aversion, qu’il avoit eu d’inclination pour sa Maistresse ? Quelque beauté qu’ait le Rivage où un Pilote a échoüé, il n’a plus rien de charmant pour luy. Il y a cette diférence entre l’amour & l’ambition, que le premier borne ses desirs dans la possession de la chose qu’il desire, au lieu que l’ambition ne borne jamais ses souhaits ; la joüissance d’une Charge ou d’un Employ ne faisant qu’augmenter ses desirs, bien loin de les satisfaire. Ainsi nous devons, autant qu’il nous est possible, flater une passion qui ne nous donne aucun relâche, sans l’irriter par des obstacles invincibles. Un Mariage d’amourette n’a jamais avancé les affaires d’un Ambitieux ; mais assez souvent le succés avantageux des desseins d’un Ambitieux a terminé avantageusement la fortune amoureuse de deux Amans. Un Homme sage ne doit jamais rien faire dont il puisse se repentir. Le regret d’une chose faite, est une marque d’imprudence ; & enfin je conclus que si la Belle a pareillement de l’ambition, elle ne doit point souhaiter la conclusion d’un mariage dont les douceurs se changeroient bientost en amertumes, & dont les plaisirs seroient suivis de prés, d’inquiétudes mortelles, & de chagrins éternels.

Si cet Amant ne devant point épouser cette Maistresse, peut aimer une autre Personne sans estre Inconstant.

Comme je ne conclus pas au Mariage, je m’explique sur la maniere dont nostre Amant doit vivre avec sa Maistresse, & s’il peut en aimer une autre sans passer pour Inconstant. Je dis premierement, que la bonne foy estant l’ame du commerce des cœurs, ainsi que de beaucoup d’autres, cette bonne foy doit regner parmy les Amans, aussi-bien que parmy les Négotians, & que nostre Amant doit faire connoistre les veritables sentimens de son cœur à sa Belle, & luy faire voir que l’ambition ne pouvant se soûtenir sur les aisles de l’Amour, elle a besoin d’un plus ferme appuy ; qu’il n’est pas à propos de consommer un mariage qui ruineroit la fortune de l’un & de l’autre ; que c’est un reproche éternel qu’une Femme peut faire avec justice à son Mary, de l’avoir épousée pour la rendre malheureuse, sçachant qu’il n’avoit pas dequoy la mettre à son aise. Que si l’Amant & la Belle s’aimoient autant qu’on le dit, il pourroit luy proposer de vivre dans le mesme engagement, & d’attendre du succés de leur ambition un changement avantageux de leur fortune ; mais si cet état estoit contraire à l’élévation de nostre Amant, je croy que sans passer pour Inconstant, il pourroit s’attacher à une autre Personne, pourveu qu’elle fust capable de faire, ou d’aider à faire sa fortune. Quoy que l’inconstance en amour soit le plus souvent blâmable, parce qu’elle suppose une legereté d’esprit dans un Amant, & un défaut de mérite ou de beauté dans la Personne aimée, il est neantmoins des occasions, où cette inconstance est une marque de sagesse. Nous consultons rarement la raison quand nous nous engageons ; & quand nous sommes coëffez d’une Maistresse, nous ne voulons pas qu’on nous en parle, si ce n’est pour nous en dire du bien, ou pour nous flater sur nostre choix ; mais quand on est assez heureux pour faire une sérieuse refléxion, & qu’on connoist que son engagement n’est avantageux, ny à la Personne que l’on aime, ny à soy-mesme, il est de la prudence de rompre un commerce amoureux ; & comme ceux qui s’engagent dans un chemin qui paroist fort beau au commencement, & qui conduit dans un précipice, agissent de fort bon sens, lors qu’ils quittent une si dangereuse route ; de mesme, un Amant qui s’est engagé à aimer une Belle, dont l’Alliance les rendroit l’un & l’autre malheureux, passe pour un Homme d’esprit & de jugement en rompant un mariage qui ruine ses espérances & sa fortune ; & bien loin d’estre tenu pour Inconstant, l’on dira toûjours qu’il a aimé véritablement, puis qu’il n’a pas voulu satisfaire son amour aux dépens de la fortune, & du repos de sa Belle.

Si les Plaisirs du Corps sont plus sensibles que ceux de l’Esprit.

Comme ce que je vous écris n’est qu’une premiere réfléxion sur les Questions du Mercure que je ne touche qu’en passant, je viens à celle de sçavoir si les Plaisirs du corps sont plus sensibles que ceux de l’esprit. Je croy que pour bien décider ce Problême, il faudroit connoistre parfaitement le tempérament du corps, & le caractere de l’esprit des Hommes. Nous en voyons quelques-uns qui goûtent avec tant de sensibilité les Plaisirs du corps, que pour y estre trop sensibles, ils paroissent ne l’estre point ; & pour qui les Plaisirs de l’esprit ont si peu de charmes, qu’ils n’ont pas seulement de l’indiférence pour eux, mais mesme du dégoust. Les autres au contraire s’abandonnent si absolument aux Plaisirs de l’esprit, qu’ils paroissent enyvrez de joye, lors que leur esprit gouste quelque satisfaction, les Plaisirs du corps n’ayant pour eux que peu, ou point d’attraits. D’où peut venir cette diférence, si ce n’est de la constitution du corps, & de la disposition de l’esprit des Hommes ? Je laisse cette Question à traiter aux Phisiciens, & aux Cartésiens, pour vous dire que c’est par les seuls effets que l’on peut connoistre si les Plaisirs de l’esprit sont plus sensibles que ceux du corps.

N’est-il pas vray que quelque Plaisir que la beauté, & la varieté des objets puissent causer à la veuë, qui est le sens le plus délicat, & le plus capable de Plaisir ; quelque joye dont la Musique puisse flater l’oüye, par la douceur de ses Concerts ; quelque suave que soit l’odeur dont on puisse recréer le Cerveau ; quelque délicatesse dont on puisse satisfaire le Goust ; & enfin quelque plaisir que nous puisse donner l’Attouchement des choses les plus ardemment souhaitées ? n’est-il pas vray, dis-je, que l’effet de tous ces Plaisirs, est de satisfaire nos sens pour quelques momens ? Mais ne faut-il pas avoüer que si ces Plaisirs du corps paroissent estre sensibles, ce n’est que par le moyen de l’esprit qui leur communique cette sensibilité, & que ce n’est que par les mouvemens que ce mesme esprit imprime aux sens qu’ils agissent si puissamment.

Si l’esprit n’animoit nos sens pour connoistre la beauté des Objets, discerner les accords des Concerts, respirer la douceur des Odeurs, goûter la délicatesse des mets, toucher & embrasser ce qu’on aime ; tous ces Plaisirs seroient bien fades. Un Homme à qui l’un a troublé l’esprit, quelque usage qu’il ait des Sens, n’est gueres sensible aux Plaisirs de la Veuë & de l’Oüye, quelque Objet qui se présente à luy, & quelque Symphonie qu’il entende ; mais au contraire les Plaisirs de l’esprit sont toûjours tres-sensibles, parce que les Plaisirs n’estant plus ou moins sensibles, que par rapport à la sensibilité du sujet sur lequel ils agissent, l’esprit estant une substance tres-pure, tres-subtile, & tres-sensible ; il s’ensuit que les Plaisirs de l’esprit sont toûjours tres-purs, tres-délicats, & tres-sensibles. Cette verité se reconnoist en faisant réfléxion sur la diférence de la Joye qu’on reçoit d’un Plaisir de l’esprit, ou des sens. Quelque Plaisir qu’un Débauché puisse goûter parmy la bonne chere, n’est-il pas vray que si on luy apportoit la nouvelle de l’établissement de sa fortune, du retour de son Amy qu’il auroit crû mort, d’un Mariage avantageux, il ressentiroit plus sensiblement la joye de ces nouvelles, que le Plaisir du Repas ? L’Histoire nous a décidé la Question, lors qu’elle nous a appris (c’est Valere-Maxime qui le rapporte) que deux Meres Romaines moururent de joye en apprenant le retour de leurs Enfans, qu’ils avoient crû morts. Cette sensibilité de l’esprit pour les Plaisirs de l’esprit, n’a pas agy seulement sur les Femmes, mais mesme sur l’esprit des plus genéreux, & des plus modérez Capitaines, s’il est vray (comme dit le mesme Autheur) que Juventius Thalma, ayant soùmis l’Isle de Corse, mourut de joye au pied de l’Autel où il sacrifioit, en lisant les Lettres du Senat, qui luy avoit décerné les honneurs du Triomphe, & ses Prieres publiques. Pline nous assure que Sophocles, & Dionisius, moururent de la mesme sorte, en recevant les nouvelles qu’on leur avoit accordé le Prix des Poëmes tragiques. Les Plaisirs du corps n’ayant jamais esté assez sensibles pour produire des effets si surprenans, je croy qu’on peut dire avec verité, qu’ils sont bien moins sensibles que ceux de l’esprit.

Si le Mary doit estre plus grand Maistre que la Femme.

Je ne sçay point de raison qui puisse, ou qui doive empescher l’Homme d’estre plus grand Maistre que la Femme, puis que Dieu dans le Paradis Terrestre, ordonna que la Femme fut soúmise au pouvoir de l’Homme. Toute la Sainte Ecriture considérant avec douleur, la grandeur & l’éternité des maux que la Femme avoit causez dans un seul moment où elle avoit esté plus grande Maistresse que l’Homme, dans la crainte qu’elle ne perdist absolument toute la Nature, si elle faisoit encor la Maîtresse, luy recommande par tout l’obeïssance, & la soûmission aux ordres & aux volontez de son Mary. Saint Pierre qui sçavoit la difficulté que les Femmes ont à se soúmettre à leurs Marys, leur repete incessamment ce devoir. Plutarque dans ces Préceptes de Mariage, parle bien de la deférence qu’une Femme doit avoir pour son Mary, mais il ne dit pas un mot en faveur du prétendu droit de Maîtrise des Femmes. Jule-César dans le sixiéme Livre de ses Commentaires, dit que par l’ancienne Coútume des Gaulois, les Femmes estoient en la puissance des Marys ; toutes les Loix mettent les Femmes, in tutela Mariti, & la plúpart de nos Coustumes, veulent qu’elles soient sous la puissance des Marys, avec cette diférence, que ce n’est point à cause de l’imbécilité du Sexe, comme les Romains l’avoient déclaré ; mais bien pour l’intérest, & pour l’autorité du Mary. J’aurois bien lieu de conclure pour la puissance maritale apres tant de raisons, mais comme le Mariage rend l’Homme & la Femme communs, je veux aussi partager l’autorité, & la maîtrise. Je dis donc que dans les affaires d’honneur & de conséquence, qui demandent de la prudence & du jugement, l’Homme doit estre le Maistre absolu ; & que dans les bagatelles, qui regardent le ménage, & qui ne méritent pas les soins d’un Mary, c’est à la Femme à en disposer, l’Homme n’y devant avoir l’œil que lors que la Femme use mal de la liberté qu’il luy a donné.

De l’Origine de la Medecine.

L’Origine de la Medecine est si incertaine, que peu d’Autheurs s’accordent sur cet article. Pline donne l’invention de la Medecine à Chiron Fils de Saturne, & de Philira. Aule-Gelle la donne à un Fils d’Oceanus ; Ovide, à Apollon ; Æschylus, à Prométhée ; & Homere, à Paon ; mais il est certain (si nous en croyons le mesme Homere) que les Egyptiens furent les premiers Medecins, qui s’adonnant à la connoissance des Simples, travaillerent à connoître les maladies. Pour moy je croy dans cette incertitude, que l’Origine de la Medecine est si ancienne, que personne ne la sçait assurément ; & comme la Medecine donne les richesses, & la santé, & que de tout temps l’on a recherché l’une & l’autre, je tiens l’Origine de la Medecine aussi ancienne que le Monde.

Sur la Politesse.

Il seroit de mauvaise grace à un Provincial de vouloir faire des Leçons sur la Politesse, & sur l’Air du monde. C’est aux Gens de la Cour à qui ce droit appartient, & c’est d’eux que j’attens les regles du bel Air du monde.

Sur les Billets galans.

Pour des Billets courts, & galans, contenant des déclarations d’amour, ce n’est point le fait d’un Homme de mon âge. Pour y bien réüssir, il faudroit estre échaufé du feu de l’amour dont je ne ressens plus les ardeurs. Mille Amans qui ont intérest de déclarer leur passion aux Belles pour qui ils soûpirent, en fourniront assez au Curieux. Pour moy qui ne suis plus bon que pour le conseil, je diray seulement qu’un Amant doit connoistre l’esprit, & l’humeur de sa Maistresse, pour sçavoir bien prendre l’heureux moment de faire une déclaration. Un contretemps dans ces sortes d’affaires, est capable de gaster tout le mystere amoureux, & l’on s’abuse si l’on cherche l’heure du Berger, il faut chercher l’heure de la Bergere.

Sur l’Eloquence ancienne, & moderne.

Je suis fort surpris que Mercure qui est le Dieu de l’Eloquence, demande aujourd’huy quelque discours sur l’Eloquence ancienne, & moderne. Est-ce qu’il ne se souvient plus de la maniere dont on parloit aux Siecles passez, & de celle dont on parle à présent ? Non, non, je vois bien que sa curiosité naist du desir qu’il a de sçavoir les avantages que l’on a tirez, du don de bien dire qu’il nous a fait. Sçachez donc, Mercure, que si les Siecles passez ont travaillé apres vous à l’embellissement de l’Eloquence, nostre Siecle a l’honneur de luy avoir donné sa perfection. Pour en estre persuadé, lisez les doctes Ouvrages de la plus illustre, & de la plus florissante Académie du Monde ; ou jettez les yeux sur les éloquens Discours, qui apres avoir esté prononcez devant de nombreuses Assemblées, sont fort souvent donnez au Public.

L’Eloquence est quelque chose de si admirable, que le Titre de Reyne des autres Disciplines n’ayant pas paru assez pompeux à ceux qui en ont connu l’excellence, ils l’ont nommée une semence du Ciel, un rayon de la Lumiere éternelle, & n’ont pas mesme craint d’avancer, qu’elle avoit de grands rapports avec Dieu, puis qu’elle estoit dans la vie civile ce que Dieu est dans le monde, & l’ame dans le corps. Je ne sçay si le sentiment des Grecs, qui croyoient que Mercure avoit apporté l’Eloquence du Ciel en Terre ; ou l’opinion des Gaulois, touchant leur Hercule, n’avoit donné lieu de croire que l’Eloquence fust une Invention, & un Présent des Dieux ; mais laissant ce sentiment, je viens à celuy du Maître de l’Eloquence Latine, qui convient dans son premier Livre des Rhétoriques, avec tous les autres Orateurs, que l’Eloquence ne commença à estre connuë dans le monde, que lors que des Gens sages & prudens, s’aviserent de ramasser dans les Bourgs, & dans les Villes, les Hommes qui vivoient épars & vagabons dans les champs comme les Bestes, & de les réduire à une maniere de vie plus honneste, en leur persuadant les choses que la raison demandoit d’eux.

Ces Esprits qui tenoient encor de leur humeur brutale, ayant peine à se rendre à la raison, il falut chercher un moyen de leur insinuer doucement les sentimens que la justice, & cette raison avoient découverts. L’Eloquence en parut un infaillible. En effet à la faveur de ses graces, & de sa force, l’on établit parmy les Hommes la Justice, & la Religion. Tout alloit bien jusques-là, parce que la Prudence & l’Eloquence estoient inséparables ; mais comme dit Cicéron, Sapientiam sine eloquentia parum prodesse civitatibus, eloquentiam vero sine sapentia nimium obesse pleramque, prodesse nunquam ; ces deux Amies s’estant broüillées, leur séparation produisit autant de maux, qu’il estoit arrivé de biens de leur union. Car ceux que la Nature avoit favorisez de quelque avantage de l’esprit, ayant connu l’utilité de l’Eloquence, ne songerent plus qu’à leur interest particulier, & à monter aux Charges, & aux Dignitez par son moyen, & ne négligerent pas seulement le bien public, mais tâcherent à s’en rendre les maistres, & à se l’approprier.

L’Eloquence n’estoit alors que dans le berceau, pour ne pas dire dans la crasse, quoy qu’Homere, & quelques autres, eussent déja mérité le titre d’Orateurs & de Poëtes ; & elle ne commença à paroistre à Athenes avec éclat, suivant le témoignage de Cicéron, qu’au temps de Périclés, à qui le Philosophe Anaxagoras l’enseigna. Ce fut l’exemple de ce Prince, qui fit naistre l’amour de l’Eloquence dans l’esprit des Grands, & qui porta les Maistres à donner des regles de ce bel Art, parce qu’il estoit pour lors la porte des Dignitez, & le chemin à la Souveraine Magistrature. Cet Art fut enseigné quelque temps dans sa pureté ; mais comme parmy les Abeilles il se mesle des Frélons qui gastent la disposition des Ruches, & mangent le miel, il s’eleva parmy les Professeurs d’Eloquence de certains Sophistes, qui s’aviserent de corrompre sa beauté naturelle par des termes affectez, & des figures étudiées ; & comme la nouveauté plaist en toutes choses, ils trouverent des Gens d’assez peu de discernement pour donner dans leurs sentimens, & se plaire à leur doctrine. Ce fastueux genre d’écrire par lequel avoient prétendu élever leur nom jusques au Ciel, les fit non seulement mépriser, mais mesme fit que le nom de Rhétoricien qui estoit en venération chez les Grecs, devint un nom vil, & méprisable ; mais comme la corruption des mœurs donne lieu à la promulgation des Loix les plus saintes, & les plus équitables, la corruption de la pureté de l’Eloquence anima le zele d’Aristote, & de Démostene, ces deux grands Maistres, qui donnerent des regles certaines de la pure & de la veritable Eloquence que Cicéron a suivies, & que nous observons encor aujourd’huy. Ce fut par leur moyen que les Hommes ayant sçeu que non seulement la Nature devoit estre d’accord avec l’Art pour former un Orateur, mais qu’il falloit encor de l’exercice ; ceux qui se sentirent avoir quelque disposition naturelle pour cette Science, s’exercerent suivant les preceptes de ces parfaits Rhétoriciens.

La difficulté de suivre exactement toutes ces Regles altera un peu la pureté de l’Eloquence, & chacun se croyant estre dans le bon chemin, parce qu’il suivoit en quelques endroits, quoy que de loin, la route de ces grands Maistres ; chacun, dis-je, se donna la liberté d’adjoûter ce qui luy parut propre à la beauté de cette Science, & s’écarta insensiblement du veritable chemin. Ce n’est pas que ces nouvelles observations n’acquissent beaucoup de graces à l’Eloquence, & ne contribuassent à la rendre plus parfaite, puis que ce fut pour lors que la Grece eut l’avantage de voir chez elle un nombre infiny de grands Orateurs, dont les doctes Ecrits ont porté la gloire & le nom jusques à nous ; mais comme les Grecs avoient plus de vivacité d’esprit, que de solidité, ils retomberent bientost de cette pureté de l’Eloquence dans les dangereuses maximes des Sophistes, quittant les naturelles expressions pour s’attacher à des termes métaphoriques, & à force de vouloir parer l’Eloquence des graces étrangeres, ils la dépoüillerent de sa beauté naturelle.

Ce fut le chagrin de voir placer cette fausse Idole au Temple de Minerve, qui obligea les Muses de quitter Athenes pour passer à Rome. Elles n’y trouverent pas d’abord cette délicatesse des Grecs, mais elles y rencontrerent plus de solidité, & plus d’amour pour la pureté de l’Eloquence. Aussi peut-on dire que tant que les Orateurs Romains suivirent leurs maximes ordinaires, & les regles d’Aristote, & de Démostenes, l’Eloquence Latine conserva toûjours sa pureté, & qu’elle ne commença à se corrompre qu’au moment qu’ils s’attacherent aux erreurs des Sophistes Grecs. Il n’y eut que Cicéron, dont l’Eloquence a mérité les loüanges de tous les Siecles, qui conserva la beauté de l’Eloquence. Ce fut luy seul qui sçeut joindre la grace du discours à la pureté du stile, qui trouva le secret d’exprimer les grandes choses dans des termes majestueux sans faste, les petites dans des termes simples, mais sans bassesse, & qui sçeut enfin si bien imiter la majesté du stile de Platon, la douceur de celuy d’Isocrate, la force du discours de Démosténe, la subtilité de Lysias, & l’élegance de Theophraste, que la beauté & l’éloquence de ses Ouvrages luy acquirent le nom de Prince des Orateurs.

Quoy que l’Eloquence Latine fust alors dans le plus haut point de sa perfection, Rome neantmoins ne put parmy le grand nombre de ses Sçavans, trouver un second Cicéron, & elle eut le regret de voir tous ses Orateurs, & tous ses Historiens, alterer la pureté de l’Eloquence, & tomber dans les erreurs des Grecs, sans pouvoir les en corriger. Les Siecles suivans ne furent pas plus heureux dans la production des Orateurs, chacun de ces Siecles pouvant se vanter à peine d’en avoir formé un parfait parmy le grand nombre de ceux qui se piquoient de cette qualité.

Ce fut dans ce temps que Rome manquant de courage & d’esprit, perdit avec l’Empire du Monde, la gloire d’estre l’Ecole des beaux Arts, & que cette superbe Ville vit flétrir les Lauriers du Capitole, & les Palmes des Rostres. La France qui avoit toújours disputé aux Orateurs Romains le prix de l’Eloquence, & l’avantage de la Victoire, & qui avoit esté la derniere à reconnoistre la puissance de Rome, fut la premiere qui rentra dans ses droits ; & comme il n’y avoit eu que Rome qui eust esté capable de luy enlever ces deux avantages, elle ne trouva dans la décadence de cet Empire, aucune Nation qui luy osast disputer l’honneur d’estre la premiere en courage, & en science.

Les glorieuses Conquestes des François firent bien-tost connoistre, & craindre leur courage à leurs Ennemis ; & les doctes Ouvrages des illustres & sçavantes Académies que l’on institua pour y enseigner les Sciences, porterent en peu de temps le nom des Orateurs François par toute la Terre. Ce fut alors que les plus habiles Gens se firent un plaisir & un honneur de cultiver les beaux Arts, & de s’adonner à l’Eloquence ; mais dans ce temps, comme dans ceux qui avoient precedé, peu de Personnes suivirent les veritables regles, & beaucoup donnerent dans les fausses maximes des Sophistes, dont les fastueuses expressions, & les discours figurez, plaisoient infiniment plus que la pureté d’une masle & vigoureuse Eloquence.

Cette erreur trouva toûjours des Partisans dans les Siecles qui suivirent, & elle en a mesme encor aujourd’huy de si aveuglez, qu’ils ne veulent pas ouvrir les yeux de peur de reconnoistre leur faute, & d’estre obligez de changer leur stile ; mais comme il y en a d’autres qui ne sont dans l’erreur, que parce qu’ils ne connoissent pas la verité ; c’est pour ceux-là que l’illustre & sçavante Académie Françoise a entrepris d’établir la pureté de l’Eloquence, qu’il est aussi facile de remarquer dans leurs Ecrits, que difficile d’imiter. Et voila à mon sens la diférence de l’Eloquence ancienne d’avec la moderne.

S’il est vray que les paroles ne sont que pour exprimer la nature des choses, ne faut-il pas demeurer d’accord, que plus les paroles font connoistre particulierement la substance, & les proprietez des choses, plus elles sont propres & significatives ? Que sert-il donc pour exprimer une chose, d’aller chercher des circonlocutions ennuyeuses, & des termes étrangers quand on en a de naturels ? Ce n’est pas une excuse à un Sçavant qui use de termes particuliers, de dire que les Doctes doivent parler autrement que les autres, & qu’il est honteux de s’exprimer en termes communs & usitez. L’on ne parle que pour se faire entendre, & celuy qui est le plus intelligible, est celuy qui parle le mieux. Je sçay bien qu’il y a des termes, & des mots, qui peuvent estre pris dans un sens figuré, aussibien que dans un sens naturel, & que quand ils sont bien placez, ils ont autant & mesme plus d’agrément que dans leur propre signification ; mais il faut le faire avec esprit & jugement, & c’est en quoy consiste la délicatesse de la Langue, & la beauté de l’Eloquence. C’est un des grands défauts de la plûpart des anciens Orateurs, qui s’estant exprimez en termes particuliers, & trop métaphoriques, se sont rendus si peu intelligibles, qu’on est encor aujourd’huy à sçavoir ce qu’ils ont voulu dire. C’est ce vice que l’Eloquence moderne évite avec soin. Elle ne veut se servir que de termes propres, & expressifs ; elle n’employe les métaphores, & les circonlocutions que tres-rarement ; ou bien quand la necessité du discours l’oblige à le faire, c’est toûjours avec grace.

L’Eloquence ancienne ne pêche pas seulement dans le choix des termes, mais elle pêche encor dans la neteté du stile, & la disposition des périodes. La lecture des anciens Orateurs tant Grecs que Latins, fait assez connoistre cette verité, puis qu’il n’y a pas un de leurs Ouvrages, quoy que tres-doctes & tres-élegans, qui n’embarasse l’esprit du Lecteur, & qui ne l’oblige à relire trois ou quatre fois de certaines périodes pour en comprendre le sens. Il est certain que si ces grands Hommes avoient consulté leur jugement, & non pas leur oreille, ils auroient connu que le bon sens devant estre le maistre par tout, les mots & les phrases ne sont que les serviteurs. C’est ce qu’a fort judicieusement remarqué Quintilien, dans le Chapitre, De Perspicuitate, où il veut que l’expression soit si claire qu’elle frappe d’abord l’esprit du Lecteur, & que quand on parle ou qu’on écrit, ce soit avec tant de neteté, que non seulement l’on se rende intelligible, mais mesme qu’on ne puisse pas n’estre point entendu. C’est icy où l’on peut dire que l’Eloquence moderne a non seulement assez de circonspection, mais mesme trop de scrupule, puis qu’elle ne peut souffrir dans une période un terme impropre, ny une construction un peu louche, qui puisse arrester un moment l’esprit du Lecteur.

Il seroit facile de faire voir la diférence des expressions de l’Eloquence ancienne & moderne, si l’on examinoit aussi les Ouvrages des deux âges ; mais il suffira de dire que la plûpart des anciens Orateurs, se sont peu souciez d’accommoder leurs discours à la qualité de la matiere qu’ils traitoient. C’est ce vice qu’on leur reprochoit, en les comparant aux Tailleurs ignorans, qui faisoient de longs habits à un Nain, & des habits courts à un Geant ; qui habilloient un Roy en Bourgeois, & un Bourgeois en Roy. C’est ce defaut que l’Eloquence moderne évite avec soin. Elle traite les matieres graves d’un stile élegant, & nerveux ; les choses basses, d’un stile coulant & naturel. Elle proportionne son discours à son sujet. Elle fait parler un Roy majestueusement, un Philosophe sçavamment. Chaque chose y est marquée par son propre caractere ; & comme la fin de l’Eloquence est de persuader, elle insinuë si bien dans l’esprit des Auditeurs la verité qu’elle a entrepris de prouver, qu’elle est toûjours victorieuse.

Je finis en disant que l’ancienne Eloquence est une belle Femme, qui a de beaux jours ; mais qui s’est tellement fardée, qu’elle en a perdu sa beauté naturelle ; & que l’Eloquence moderne est une belle jeune Fille, dont la beauté naturelle a mille charmes qui surpassent le faux brillant des attraits, que le fard peut prester.

De l’Origine des Bagues. Fable §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 50-74.

DE L’ORIGINE DES BAGUES.
FABLE.

Depuis longtemps Théandre estoit épris
A Paphos, des beautez de la jeune Ericie.
Leur voisinage avec la sympathie
Avoit uny si fort leurs cœurs, & leurs esprits,
Qu’on eust dit qu’ils n’avoient qu’une ame, & qu’une vie.
Jamais Amour ne fit de si beaux nœuds ;
Mais jamais il ne vit des traverses égales.
Leurs Peres ennemis s’opposoient à leurs feux,
Leurs Meres autrefois avoient esté Rivales,
Théandre en Biens n’estoit pas fort heureux,
Et pour surcroist de maux un Tiran plein de rage,
En ses amours fier, & hautain,
Dans leur Païs s’estant fait souverain.
Vouloit avoir la Belle en mariage.
***
Ils ne se parloient plus, réduits aux seuls desirs ;
Et n’ayant pas la liberté d’écrire,
S’ils soûpiroient, ils cachoient leurs soûpirs,
Leurs yeux n’osoient pas mesme exprimer leur martyre ;
Mais leur amour ingénieux
De tous leurs Surveillans détruisant les pratiques,
Des Signes hiérogliphiques
Faisoient ce qu’auroit fait la parole, ou leurs yeux.
Lors que se promenant à l’ombre d’un Bocage,
La Belle appercevoit quelques Chifres nouveaux
Dessus l’écorce des Ormeaux,
Elle passoit, de peur de donner de l’ombrage ;
Mais pour répondre à son Amant,
Qu’elle l’aimeroit constamment,
Et qu’elle porteroit des chaînes éternelles.
Elle mettoit adroitement
Sur sa fenestre un Bouquet d’Immortelles.
***
Que s’il publioit ses Chansons,
Il leur donnoit un tour si tendre,
Qu’elle y reconnoissoit le stile de Théandre ;
Et quelquefois leurs plus grands Espions,
Les premiers, les luy venoient rendre.
***
S’il avoit dépeint dans ses Vers
Le désespoir du malheureux Pirame,
Comme elle crayonnoit pour exprimer sa flâme,
Elle faisoit courir par des moyens divers
Dans toute cette Ville agreable & galante
Le Portrait languissant d’une Thisbé mourante.
***
S’il déploroit dans ses écrits
L’amour d’Orphée, & son cruel suplice,
Elle peignoit une Euridice
Qu’obsédoient cent malins Esprits.
Enfin quoy que l’on fist, sans confidens, sans aide,
À leurs maux trouvant du remede,
Ces deux Amans se donnoient chaque jour
Quelque marque de leur amour.
***
Mais pour avoir commerce en ce rude esclavage,
Ericie à la fin trouve un moyen aisé.
Théandre avoit aprivoisé
Un Pigeon d’un fort beau plumage,
Qui voletoit par tout le voisinage ;
Il venoit fort souvent sur le plus proche Toit,
  Comme aux Amans tout est sensible,
Théandre aux pieds chaque jour luy mettoit
Deux nœuds de ce Ruban, qu’on appelle invisible,
De la couleur que sa Belle portoit.
Elle fit un appast d’un secret infaillible,
Pour attirer l’Oiseau dedans son Cabinet.
Le Pigeon d’abord s’y vint rendre,
Il en mange & se laisse prendre.
Lors elle le chaussa proprement d’un Billet,
Qu’il eut bientost porté chez son Maistre Théandre.
Aussitost cet Amant le prit,
Il ouvrit le Billet tout transporté de joye,
Et se servant de cette heureuse voye
Pour faire mille jeux d’esprit,
Vingt fois le jour ce Messager fidelle
Portoit de leurs amours une marque nouvelle.
***
Mais, helas, le Tiran vain, superbe, amoureux,
Tenant esclave sa Patrie
Obtint bientost l’aveu des Parens d’Ericie,
Et voulut qu’on le fist heureux.
La Belle l’ignorant, estoit toute étonnée,
De voir faire l’apprest d’un pompeux Hymenée,
Quand ce Tyran vint d’un air peu soûmis.
Luy dire qu’elle estoit Reyne de son Païs.
Alors cette belle Personne,
Qui vouloit aimer constamment,
Se moqua de sa flâme & luy dit fiérement,
Qu’elle préfereroit la mort à sa Couronne.
L’impérieux Tyran de ce refus surpris,
Devinant le sujet d’un si honteux mépris,
Ne manqua pas de luy faire comprendre,
Qu’il avoit résolu la porte de Théandre.
Va, luy dit-elle va, cruel, cœur endurcy,
Si mon Théandre meurt, je veux mourir aussy.
Le Tyran enflâmé d’une colere extréme,
Enferma cet Amant dans une forte Tour.
À peine y voyoit-il le jour.
On traita l’Amante de mesme.
Ses Parens indignez l’enfermerent chez eux,
Sa Chambre avoit de fer la Fenestre garnie ;
Jusques dans les tourmens le Tyran somptueux,
Sur ces Barreaux mit une Jalousie,
De filets d’or & d’un bois précieux,
Soit qu’il crust faire une galanterie,
Soit qu’il voulust marquer le pouvoir de la main,
Qu’elle avoit méprisée avec tant de dédain.
***
Ericie à la fin demeurant obstinée,
De son Amant hasta la destinée,
Au Malheureux Théandre on annonça la mort.
Il ne s’en étonna pas fort ;
Heureux, s’il avoit pû, parlant à cette Belle,
Luy dire qu’il mouroit pour elle !
Cependant le Pigeon, apres plus de huit jours,
Trouva, volant de Fenestre en Fenestre,
Sa Maistresse en prison, mais il cherchoit son Maistre,
Quand furetant les trous des Maisons & des Tours,
Il le sentit au fonds de sa Prison obscure,
Venant, pour ainsi dire, exprés,
Pour estre le Porteur de ses derniers secrets.
Théandre ne pouvoit employer l’écriture ;
Mais trouvant par hazard du Mirthe, & du Cyprés,
Au pied de ce Pigeon l’un dans l’autre il les lie,
Et plein de sa chere Ericie,
  Amour qui sçeustes m’engager,
Conduisez cet Oyseau, dit-il, vers cette Belle,
Et luy faites sçavoir que je meurs sans changer,
 Toûjours amoureux & fidelle.
Ce Pigeon apasté, qui sçavoit en ce cas
Les soins de cette illustre Fille,
Crut à son ordinaire y faire un bon Repas.
Il vole, & s’attache à la grille.
Joyeuse de luy voir un Pacquet cette fois.
Elle la rompt avec ses doigts,
Son amour luy donnant une force admirable ;
Mais voyant ce Présent, elle comprit d’abord
Que le Cyprés, marquoit la mort,
Le Myrthe vert l’amour durable,
Et qu’en les unissant dans son sort déplorable,
Son Amant l’assuroit que l’horreur du Tombeau
Ne pourroit de sa flâme éteindre le flambeau.
Parens cruels, je ne suis plus à plaindre,
Dit-elle ; & toy Tyran, tu perds enfin tes soins.
 Si nous ne sçaurions estre joints
Par ce fidelle amour que tu penses contraindre,
 La mort nous unira du moins.
Nos maux devoient durer, elle nous en délivre.
 Cher Théandre, ô la douce Loy,
 Que mon ame trouve à te suivre !
 Qu’il est doux de cesser de vivre,
 À qui ne peut vivre sans toy !
 Si tu meurs sans que je te voye,
 Hélas, mon sort est toûjours beau,
 De mourir avecque la joye
De sçavoir que ton cœur m’aime jusqu’au Tombeau ;
Mais, ô malheur ! je n’ay rien pour t’écrire.
Qui sçait si ce Tyran, pour punir mon Amant,
N’a point trouvé le plus cruel tourment,
 Qui seroit de te faire dire
 Qu’enfin je répons à ses feux,
Et que tu meurs pendant qu’il est heureux ?
Hélas ! qui sçait, si voyant ta mort proche,
 Ce Myrthe n’est point un reproche ?
 Quel dur chagrin ! quel désespoir !
 Et quel excés de tyranie !
Qu’on m’oste tout moyen de te faire sçavoir,
Que mon amour, Théandre, est infinie.
***
Ce soupçon luy causant ses plus grandes douleurs,
Luy fit répandre mille pleurs,
Lors qu’à la fin tournant la veuë
Sur un Filet de la Grille rompuë,
Apres l’avoir uny contre un Barreau,
L’entrelassant elle en fit un Anneau ;
Elle en cacha les bout : avecque tant d’adresse,
Que l’envoyant, cet Amant d’un goust fin,
Conçeut ce que vouloit luy dire sa Maîtresse,
Que comme cet Anneau n’avoit ny bout ny fin,
L’on ne verroit jamais la fin de sa tendresse.
 Ah, bienheureux Cercle d’Amour,
S’écria-t-il, symbole de constance,
 Dont on ne fait jamais le tour,
 Qui ne finit jamais, & qui toûjours commence !
 O, quelle est ma félicité !
 Ah, Tyran, quel doux avantage
 D’emporter en mourant ce gage
 D’amour & de fidelité !
Je le mets à mon doigt ; quand ma mort sera preste,
Amour, daigne adoucir ce Rival inhumain,
 Qu’il me fasse trancher la teste,
 Avant du moins qu’on me coupe la main !
 Divinité, qu’on adore en cette Isle,
 Tu sçais que de tous les Mortels
 J’ay le plus suivy tes Autels.
 Grand Protecteur de cette Ville,
 Daigne proteger deux Amans.
 Je ne demande pas la vie ;
Je la demande, Amour, pour l’aimable Ericie ;
 Tu fis tous nos engagemens,
Conserve dans son cœur de si beaux mouvemens.
***
L’amour écoûta sa priere,
Et s’en alla dire à sa Mere,
Quoy ? ne regnons-nous pas de tout temps en ces Lieux ?
 Vous y faites vostre demeure
 Aussi souvent que dans les Cieux ;
Nous avons le pouvoir de soûmettre les Dieux,
Souffrirons-nous qu’un si beau Couple meure ?
Non, dit Vénus, cet Anneau me plaist tant,
Puis qu’il est inventé par un Cœur si constant,
Que je veux couronner leur constance invincible.
 Oüy, je veux qu’il rende invisible
 Qui le portera desormais,
 Et que cette figure ronde
 Devienne le signe à jamais
 De l’union par tout le Monde.
Ce Decret de Vénus les sauva du trépas.
Comme aux Dieux rien n’est impossible,
Théandre devint invisible,
Luy-mesme ne se voyant pas,
Il estoit étonné connoissant ce miracle ;
Quand ses Gardes vinrent ouvrir,
Dans le dessein de le faire mourir,
Il marcha doucement & sortit sans obstacle,
Laissant-là ces Soldats à sa mort préparez,
Tout confus & desesperez.
***
Il falloit concerter sa fuite ;
Quatre de ses Amis en prirent la conduite,
Et cependant cet invisible Amant,
S’alla glisser chez Ericie,
Pour luy donner nouvelle de sa vie.
Il estoit dans un coin de son Appartement,
Quand la Mere vint voir sa Fille.
Elle entre, il entre aussi ; Lors cette Femme en pleurs,
Dit à sa Fille les malheurs
Dont on menaçoit leur Famille ;
Qu’il falloit ceder aux Tyrans,
Et se sacrifier pour sauver ses Parens.
Mais cette pauvre Amante en de telles alarmes,
N’eut de réponse que ses larmes,
Cette Mere ne les pût voir,
Elle sortit toute attendrie.
Helas, c’est alors qu’Ericie
S’abandonne à son desespoir.
Heureux Théandre, un lâche ordonne que tu meures,
Dit-elle, sans que rien empesche ton trépas ;
L’on m’oste ce pouvoir, mais feignant quelques heures,
Le fer ou le poison ne me manqueront pas.
Théandre alors s’approchant d’elle,
Se découvrit, & luy dit à genoux,
 Je suis vivant, je suis fidelle,
Vivez, le Ciel rend nostre sort plus doux.
Elle avoit peur, & ne pouvoit le croire,
Mais pour la rassûrer il conta son histoire.
Quels furent les transports de ces Amans parfaits,
De pouvoir éviter les fers & le suplice !
O, Vénus, dirent-ils, qui nous estes propice,
 Venez nous unir pour jamais.
***
Vénus leur apparut charmante, & lumineuse ;
Et par le pouvoir qu’ont les Dieux,
Avecque cet Anneau saint & mistérieux,
Maria ces Amans de sa main bien heureuse,
Et leur dit, Quittez ce Païs,
 J’auray soin de vostre Patrie ;
 Etablissez-vous en Lydie.
 Gygés qui sera vostre Fils,
Avecque cet Anneau, du Roy prendra la place,
Il regnera longtemps avec prospérité,
Et transmettant le Sceptre à sa Postérité,
Le plus riche des Roys finira vostre Race.
Elle disparut à leurs yeux,
En les laissant dans une extrême joye ;
Ensuite ils chercherent la voye
De sortir de ces tristes lieux.
Théandre prend l’Anneau ; lors qu’on ouvre la Porte,
Il sort & court au rendez-vous.
Le Pigeon à sa Belle aussitost le rapporte,
Elle le prend, & sort, ainsi que son Epoux,
Et se rend dans un Bois, d’où leur fidelle Escorte,
Ainsi qu’ils l’avoient arresté,
Les mene en lieu de seûreté.
Apres quoy ces Amans s’estant mis à la voile,
Venus pour les guider leur donna son Etoile.
***
Cependant le Tyran de leur fuite confus,
Et ne sçachant à qui s’en prendre,
Jura la mort des Parens de Théandre.
Ceux d’Ericie alors craignoient encor plus.
Sa fureur remplissoit la Ville de tristesse,
Lors que les Prestres de Vénus,
Jaloux de publier l’honneur de leur Déesse.
Alloient prêchant ce prodige nouveau
De la Constance, & de l’Anneau.
Le Peuple fut émeu de l’éxil d’Ericie.
De la Religion, & de la Tyrannie ;
Et ces motifs l’ayant justement revolté,
Il rentra dans sa liberté.
On fit cent Hymnes à la gloire
De Vénus Protectrice, adorée à Paphos ;
Et pour éterniser des Anneaux la mémoire,
On fit toûjours depuis la Feste des Anneaux.
L’on en publia les merveilles.
Chacun s’en mit au doigt, l’on s’en mit aux oreilles ;
Les Femmes en portant, en flatoient leurs Maris ;
Chaque Fille en prenoit, les montrant comme un prix
D’amour & de perséverance ;
Et mesme pour lors les Amans
Les ornerens de Diamans,
Pour faire briller leur constance.
L’on se persuada qu’un cœur d’amour surpris,
En ressentoit d’abord la vertu salutaire,
Lors qu’un Amant maltraité l’avoit mis
Au doigt, que de son nom l’on appelle annullaire ;
Et ce fut un Statut nouveau,
De n’épouser plus sans Anneau.
Il fut le prix des Jeux, du Ceste & de la Luite.
La Course de la Bague, alors fut introduite ;
Mais le Vainqueur ne fut pas tant vanté,
Dans cette Ville de délices,
De son adresse en de tels exercices,
Que d’avoir remporté le Prix de Loyauté.
***
L’amour regnant par tout, sur la Terre, & sur l’Onde,
L’usage des Anneaux en tous lieux fut reçeu,
Et cette figure a tant plû,
Que l’on en a couvert tout le Globe du Monde.
Les Afriquains en sont fort curieux,
Et l’Indien, dont l’adresse extravague
À donner la place à la Bague,
Y joint tout ce qu’il a de Bijoux précieux.
L’on diroit que le Grec se flate,
Lors qu’il s’en sert, du sort de Polycrate.
Les Sénateurs, les Chevaliers Romains,
Pour témoigner à leur Patrie,
Que leur fidelité devoit estre infinie,
Ne l’ostant jamais de leurs mains,
Ne la perdoient qu’avec la vie.
L’on eust dit que leurs Avocats,
Plaidans sans Bague auroient trahy leur Cause,
Ils en alloient loüer lors qu’ils n’en avoient pas,
Et leurs Témoins attestans quelque chose,
Auroient en vain signé l’Acte qu’ils attestoient,
S’ils ne l’avoient scellé de l’Anneau qu’ils portoient.
Celuy qui né dans l’esclavage,
Avoit, apres, sa liberté,
Ne pouvant prendre aucune dignité,
L’anneau d’or luy donnoit un si grand avantage.
Des Papes & des Roys, la grande autorité
N’auroit aucun effet parmy les Politiques,
Si l’Anneau ne rendoit leurs Decrets authentiques.
***
O ma Patrie, il est temps que mes Vers
Fassent voir qu’un Anneau fut l’heureux artifice,
Qui te sauva du précipice,
Où te jettoîent quelques Esprits pervers,
Quand Childéric chassé par son Peuple rebelle,
Rompit en deux l’Anneau d’un Sujet, seul fidelle ;
Et qu’aux yeux de tout l’Univers,
Cette Bague fatale à la fin réunie,
Réunit cette grande & belle Monarchie !
O, Ciel, qui de la France eus un soin sans égal,
O, Providence fortunée !
Qui daignas attacher à ce peu de Métal
Un si grande Destinée,
Elle est remplie enfin, & tu vois qu’aujourd’huy
Fameux en paix, fameux en guerre,
Le Royaume des Lys est la crainte ou l’appuy
Des plus grands Etats de la Terre.
Cette France qui tint longtemps entre ses mains
Le vaste Empire des Romains,
Brillant d’une gloire immortelle
Sous nostre grand LOUIS le voit au dessous d’elle !
Le Nort, & le Midy, qui se croyoient trop forts,
Avec leur appareil terrible,
Ont eu le déplaisir, apres tous leurs efforts,
De faire voir qu’il estoit invincible ;
Ce Monarque enseignant, par son prudent conseil,
Et par ces armes debonnaires,
A ces Conjurez teméraires,
Qu’on ne sçauroit arrester le Soleil.
Les pouvant accabler, il aima mieux la gloire,
De préferer la Paix à la Victoire.
O si le Ciel vouloit, que ne feroit-il pas,
Pour vanger des Titans les pressans attentats ?
Son ame brille en tout dans le degré supréme ;
Et pour comble de ses bienfaits,
Il doit un jour laisser à ses Sujets
Un Successeur aussi grand que Luy-mesme.
***
Loüons donc l’Anneau mille fois,
De nous avoir donné cette suite de Roys ;
Mais j’implore, Amour, ta vangeance ;
Tu fis l’Anneau le Signe de Constance,
D’ardeur, & de fidelité ;
Il est de ton autorité
De n’en donner qu’aux Constans l’avantage.
Il est de ton honneur d’en défendre l’usage
Aux Cœurs que tu vois partagez ;
Et tu souffres qu’Iris, Iris cette Volage,
En ose avoir les doigts chargez ?

Richebourg, Avocat au Parlement de Toulouse.

[Sentimens en Vers de M. du Rosier sur toutes les Questions du XIV. Extraordinaire] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 97-105.

SENTIMENS SUR
toutes les Questions du quatorziéme Extraordinaire.

Si un Homme ambitieux, délicat en sentimens, ayant peu de bien, & beaucoup d’amour, doit épouser une Maîtresse peu favorisée de la Fortune, & qui a comme luy de l’ambition & de la délicatesse.

Vous avez peu de bien, beaucoup d’ambition,
Un grande délicatesse,
Et du costé de la tendresse
Tourne vostre inclination.
N’épousez pas une Maistresse
Sujette comme vous à la mesme foiblesse,
Et de vostre condition ;
Ou bien à vos desirs l’amour trop favorable,
En vous rendant heureux, vous rendra miserable.

Si l’Amant que son peu de bien empêche d’épouser cette Maîtresse, peut aimer une autre Personne sans estre inconstant.

Quoy que de l’épouser vous deviez vous défendre,
Ne trahissez jamais vos feux.
Conservez pour la Belle un cœur fidelle & tendre,
Et vous vivrez toûjours heureux.
Qui vous oblige à l’inconstance,
Si l’on vous aime autant que vous aimez ?
Est-ce qu’on peut en conscience
Rompre des nœuds que l’Amour a formez ?
Il n’est rien de plus beau qu’une éternelle flâme,
Et ce n’est pas le Sacrement
Qui la conserve dans une ame,
Mais la constance d’un Amant.

Si les plaisirs du Corps sont plus sensibles que ceux de l’Esprit.

Pour moy, dont l’ame un peu grossiere
S’attache trop à la matiere,
Des plaisirs de l’Esprit je me sens peu touché ;
Mais suivant le panchant où m’entraîne mon âge,
On doit pardonner mon peché,
Si les plaisirs du Corps me touchent davantage.

Si le Mary doit estre plus grand Maistre que la Femme.

Qu’on vante, si l’on veut, le mérite des Femmes,
La beauté de leurs corps, la beauté de leurs ames ;
Et que l’on chante en Prose & Vers,
Que le beau Sexe doit gouverner l’Univers ;
Tant que l’on est Amant, j’approuve ce langage ;
Mais quand on est Epoux, on doit estre plus sage,
Puis que tout Homme par raison
Doit estre maistre en sa Maison.

Sur l’Origine de la Medecine.

Qu’Apollon Esculape, ou quelque autre Assassin,
Ait inventé la Medecine,
Il m’importe fort peu d’en sçavoir l’origine,
Me disoit un jour mon Voisin.
Tout-beau, luy dis-je, est-ce à dessein,
Ou parlez vous à l’avanture ?
Vous ne sçavez-pas que Mercure
Estoit autrefois Medecin.
Medecin, reprit-il soudain !
Ah, vous luy faites une injure.
Je sçay qu’en cent Climats divers
Il trafique de Prose & Vers ;
Mais jamais dans aucun Royaume
Mercure n’a vendu de Baume.

Sur l’Air du monde, & la veritable Politesse.

Estre galant, estre bienfait,
Avoir de la délicatesse,
Ne seroit-ce point en effet
L’Air du monde, & la Politesse,
Dont on souhaitte le Portrait ?
Mais pour n’en pas icy juger à l’avanture,
Il faut s’en remettre au Mercure.

Declaration d’Amour.

Depuis longtemps je joüois avec vous,
Je badinois comme on fait dans l’enfance,
Et tout cela sans vous mettre en couroux ;
Mais aujourd’huy je vois bien entre nous,
Qu’on va souvent plus loin que l’on ne pense.
L’auriez-vous crû ? Je vous aimois, Iris.
Sans en avoir aucune connoissance.
L’Amour estoit caché dans l’innocence,
Je ne goûtois que les Jeux & les Ris,
Je ne craignois ny rigueurs, ny mépris,
Et maintenant, Iris, je vous offence,
Si je vous aime, & si je vous le dis.
Mais à quoy bon ce rigoureux silence ?
De mon amour on sçait la violence,
Et mes soûpirs vous l’ont assez appris.

Sur l’Eloquence, ancienne, & moderne.

J’ay pour les Anciens beaucoup de déference,
Et je sçay que leur éloquence
Charme encor plus d’un vieux Docteur ;
Mais pour juger en leur faveur,
Et leur donner la préférence,
Je suis des Anciens tres-humble serviteur.
Nous ne sommes pas moins éloquens que nos Peres,
Sans nous assujetir à leurs regles severes.
C’est assez imiter les Grecs & les Latins ;
Si nous voulons estre semblables,
Soyons comme eux inimitables,
Et bravons comme eux les Destins,
Ne leur empruntons point ces foibles avantages,
Pour nous rendre fameux à la Posterité ;
Tirons de nos propres Ouvrages
La gloire & l’immortalité.

Réponse à la Question de la Solitaria del Monte Pinceno, proposée dans le XIV. Extraordinaire ; sçavoir. Lequel est le plus avantageux pour une Veuve de 25. à 26. ans, ou de se remarier, ou de demeurer dans le Veuvage, ou d’abandonner entierement le monde, en se retirant dans un Convent.

Demeurez avec nous, jeune & galante Veuve,
Sans vous mettre dans un Convent
De la Vertu, le plus souvent,
Le Cloistre n’est pas une preuve.
Examinez-vous sur ce point ;
Auriez-vous assez de courage
Pour quitter le monde à cet âge,
Et ne vous en repentir point ?
Je vous le dis encor, aimable Solitaire,
Et j’ay lieu de le présumer ;
Un Convent n’est pas vostre affaire,
N’allez pas vous y renfermer.
De vous remarier, la chose m’embarasse,
Vous sçavez ce que c’est, & pour moy nullement.
Ainsi j’aurois mauvaise grace
De vous parler du Sacrement.
Cependant à quoy bon un second Mariage ?
Estiez-vous bien ? contentez-vous ;
Estiez-vous mal ? devenez sage,
Demeurez dans vostre Veuvage,
Rien n’est au monde de plus doux.
Toûjours nouveaux Galans, liberté toute entiere,
Sans redouter ny Parens, ny Jaloux ;
Mais apres tout, vous seriez la premiere,
Qui jeune, veuve, & belle, ait vescu sans Epoux.

Du Rosier.

Origine de la Migraine d’Iris §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 106-114.

ORIGINE DE LA MIGRAINE D’IRIS.

Quand Jupiter accoucha de Pallas, il fut extrémement malade. Cette prétieuse production travailloit si fort son cerveau, que son immortalité eut bien de la peine à l’empescher de mourir. Junon servoit de sage Femme ; mais sa sagesse ne pouvoit trouver de remede aux douleurs de son Mary, qu’elle voyoit en travail d’enfant. Toutes les drogues que le Ciel & la Terre pûrent fournir, n’adoucissoient point son mal ; & jamais l’on n’a mieux crû sa Divinité vacante, que lors qu’on le vit perdre la parole. Il ne fut pas longtemps dans cet état, que sa teste se fendit par la moitié, pour laisser sortir cette Déesse, qui fut l’admiration de toute la Cour Celeste, assemblée pour un accouchement si extraordinaire. Jupiter mesme revenu de son évanoüissement, fut le premier Idolâtre de sa Fille, & sçachant qu’elle devoit estre la Déesse des Arts & des Sciences, & que toutes les délicates productions de l’esprit seroient de sa dépendance, il n’eut pas de peine à se consoler des tranchées qu’il avoit ressenties en la mettant au monde ; & afin de les oublier plus facilement, il voulut que le Ciel fist des réjoüissances publiques pour la naissance d’une Déesse si parfaite. Mais le Destin qui fait toûjours ses projets de loin, & qui ramasse tout ce qu’il croit pouvoir réüssir pour l’exécution de ses desseins dans la suite des temps, recüeillit toutes les douleurs que Juppiter avoit ressenties dans une boëte d’or, qu’il laissa tomber par mégarde dans la maison des Carites, le soir d’une grande feste qu’il ne sçavoit ce qu’il faisoit, à cause qu’il estoit yvre d’amour. Les Carites sont trois sœurs, qui à cause de leurs perfections se sont acquis le nom de Graces, dont le Destin estoit passionnément amoureux. Son cœur estoit partagé pour toutes trois, & chacune des trois n’avoit de cœur que pour luy. Elles n’estoient point jalouses les unes des autres, quoy qu’elles fussent également aimables & également aimées, parce qu’elles sçavoient que le Destin, qui est le maistre de tous les évenemens, avoit reglé les choses de cette maniere. Elles exécutoient tous ses ordres avec une joye incroyable, & vivoient dans une merveilleuse satisfaction d’esprit, lors que Mercure qui porte toûjours toute sorte de nouvelles, & qui se fait un plaisir de raconter celles qu’il croit les plus fâcheuses remontant un jour de la Terre au Ciel, passa devant la porte des Graces. Thalie (c’est ainsi que s’appelle la cadete) estoit pour lors sur une terrasse qui regne autour de la maison où elle se promenoit. Elle n’eut pas plûtost veu Mercure, qu’elle luy demanda des nouvelles du bas monde. Cettuy-cy tout échauffé demanda un coup à boire, pour se rafraîchir avant que de rien dire ; & ensuite il luy parla de la sorte. Ma foy, dit-il, Madame, le Destin se mocque de vous & de vos Sœurs. Il vous avoit juré à toutes trois une fidelité éternelle, & cependant il vous trahit. Il est si favorable à une Bergere que je viens de voir sur la terre, que le moindre trait de son visage efface toutes vos beautez. Elle gagne tous les cœurs, & l’on ne doute point qu’elle ne soit la maistresse du sien. C’estoit en dire assez pour mettre tout ce triolet en allarme. Celle-cy porte cette nouvelle à ses Sœurs. Toutes trois sans delay s’en vont trouver le Soleil, pour sçavoir de luy qui pouvoit estre cette Bergere dont parloit Mercure. Le Soleil leur avoüa de bonne foy qu’il n’avoit rien veu dans sa course qui fust comparable à la Bergere Iris, & que toutes les Beautez du Ciel luy devoient rendre hommage. À ce coup les trois Graces devinrent trois Furies. Leur rage s’alluma contre Iris, contre le Destin, & contre elles-mêmes, & si elles en avoient eu le pouvoir, elles auroient fait dans ce moment de toute la terre un cimetiere, afin de perdre l’aimable Rivale, qui leur enlevoit le cœur du Destin. Elles mirent tout leur esprit à chercher des moyens pour la punir, & aprés mille agitations differentes, voyant bien que par elles-mesmes elles ne luy pouvoient nuire, puis que les Graces ne sçauroient faire de mal à personne, Thalie par hazard visitant sa cassette, y rencontra la boëte que le Destin leur avoit laissée sans y penser, & se souvenant qu’il en avoit regretté la perte, par le seul motif qu’il y perdoit les moyens de se vanger de ses ennemis, elle crut qu’on y trouveroit tout ce qu’elles pouvoient souhaiter, pour tourmenter leur Rivale. En effet, le Destin en avoit assez dit pour faire connoistre ce qu’il avoit enfermé dans cette boëte ; & ces trois Sœurs résolurent de s’en servir pour leur vangeance. Aglaïa l’aînée en fit l’ouverture, & remplit sa bouche des mauvaises qualitez qu’elle y trouva. Thalie en prit dans sa main autant qu’il en falloit pour en infecter un bouquet de fleurs qu’elle avoit sur sa table ; & Euphrosine la troisiéme mit le reste dans un cornet de papier. La premiere vint boire à la tasse d’Iris, & y répandit ce qu’elle avoit dans sa bouche : La seconde luy donna son bouquet à sentir ; & la derniére vint souffler dans la glace de son miroir, ce qu’elle avoit dans son cornet. Ainsi l’aimable Iris fut prise par la bouche, par le nez, & par les yeux, & elle avala à long traits ce poison, qui luy fait à present tant de mal. O belle Iris ! les productions d’esprit ne se donnent point pour rien. Ces sentimens si délicats que vous avez sur toutes choses ; ce tour si agreable que vous donnez à tout ce que vous dites ; ces expressions si justes qui paroissant en tout ce qui vient de vous, ne doivent pas plus vous épargner que Jupiter, puis qu’il n’avoit pas plus d’esprit que vous dans la teste, quand il l’avoit chargée de Pallas, quoy qu’elle soit la Déesse des Sciences & de la Sagesse.

L.C.D.S.

Billets galans §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 115-121.

BILLETS GALANS.

I.

Il n’appartient qu’à vous de faire chez moy tous les effets que je ressens. Dans le plaisir de vous voir, la crainte qu’il ne finisse trop tost me donne de l’inquietude, & quand je suis privé d’un si grand bien, tous les maux de l’absence m’accablent. Que n’ay-je le pouvoir de vous ouvrir mon cœur, pour vous faire voir toutes ces veritez dans leur source ! Peut-estre ne refuseriez-vous pas à la pitié, ce que vous devez à la tendresse ; mais si vous estes sincere, suis-je aussi malheureux comme je me le crois, & ne puis-je me flater de la douceur d’avoir quelque part à vos bontez ? Cette assurance seroit d’un charmant secours dans une ame bien sensible. Il en est une que je n’ose vous demander. Elle doit pourtant vous couster peu, si vous estes pour moy dans de favorables dispositions. L’empressement d’estre instruite de la chose me répondra du succés. Mais de quelle indifference ne pourray-je point vous accuser, si vous ne marquez nulle envie d’en sçavoir davantage ? C’est ainsi qu’un cœur bien amoureux en éprouve un autre, dont il connoist mal les sentimens. Nostre premiere entreveuë décidera tout. Mais ne me seroit-il pas plus avantageux de demeurer dans l’incertitude, que de vouloir en sortir ? Quelque party que vous me fassiez, bon ou méchant, soyez seure de mon attachement jusqu’à la mort.

II.

J’envie à ce Billet le bonheur qu’il a d’estre entre vos mains, & de vous parler avec plus de liberté que moy. Il est vray que ce sont mes propres sentimens qu’il vous exprime ; mais quelle douceur n’est-ce point de s’expliquer soy-mesme avec ce qu’on aime, dans un agreable teste à teste ? Ah ! combien en avons-nous eu, dont le souvenir m’est cher & douloureux, & quelle difference d’un temps à un autre ! Je joüissois sans contrainte du plaisir de vous entretenir de la plus ardente passion du monde ; aujourd’huy il me reste l’unique bien de vous voir devant cent témoins, & de vous dire toute autre chose que ce que j’ay dans le cœur. Cette pensée m’assassine, & si la gesne peut estre chez vous de quelque merite, croyez que je souffre par là tout ce que l’on peut souffrir. Plût au Ciel que vous en jugeassiez par vous-mesme, & que nous pussions nous ressembler là-dessus, je ne desespererois pas d’une grace que je voudrois bien obtenir de vous. M’est-il permis de vous l’expliquer ? J’en fais toutes mes delices, & puis qu’elle ne vous doit coûter… ne vous deffendez pas de m’obliger à si peu de frais. C’est pour moy une faveur inestimable, & qui peut beaucoup, pour adoucir les chagrins dont je me plains. Je vous la demande au nom de ce que vous aimez le plus. Mais pourrois-je me croire heureux, si quelque autre considération que la mienne vous obligeoit à me l’accorder ? Cependant j’ose l’attendre, en vous priant de songer que je vous aime de toute la tendresse de mon cœur.

III.

Je vis agreablement dans l’esperance du bien que vous m’avez promis. Quelle joye n’en dois-je point attendre, si avant que de le posseder mon cœur y est si sensible ? J’y pense à tous les momens, & de ma vie je ne fus si impatient. Doit-on avoir moins d’ardeur pour tout ce qui vient de vous ? Je m’en sçay le meilleur gré du Monde, & si j’avois la moindre tiedeur là-dessus, je ne voudrois jamais me le pardonner. Hastez donc l’effet d’un desir si passionné, & soûtenez une parole qui fait une partie de mon bonheur. Vous me l’avez donnée. Pourriez-vous bien ne me la tenir pas ? Je vous en demande l’execution. En attendant, consolez mon impatience par un mot de vostre belle main. C’est une autre grace que vous ne devez pas me refuser, si vous estes aussi bonne pour moy, que je suis tendre pour vous. Usez en ma faveur du seul secours qui nous reste, contre le peu d’entretien particulier qui se rencontre de vous à moy. Tout est facile ; je ne dis pas quand on aime, mais quand on cherche à faire plaisir. Je vous conjure d’y songer. Deux momens vous suffiront pour cela. Ils ne vous déplairont point, si je ne vous suis pas tout-à-fait indifferent. En tenant un Billet prest pour la premiere occasion favorable, vous m’apprendrez quels sont les sentimens que vous avez pour la Personne du monde qui vous aime le plus ardemment.

Si le Mary doit estre plus grand Maistre que la Femme. Sonnet §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 122.

Si le Mary doit estre plus grand Maistre que la Femme.
SONNET.

Quand apres un doux Mariage
On ne cesse point d’estre Amant,
Quand on aime bien tendrement,
Quand on n’a point l’esprit volage ;
***
Quand avec plaisir on s’engage
Dans les liens du Sacrement ;
Quand on met ses soins seulement
À vouloir faire bon ménage ;
***
Enfin quand deux cœurs bien unis,
Trouvent des plaisirs infinis
A brûler d’une mesme flâme ;
***
Eh quoy faut-il le demander ?
Ce n’est ny l’Homme, ny la Femme,
C’est l’Amour qui doit commander.

Bardou, de Poitiers.

Réponse à quatre Questions du dernier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 123-125.

Réponse à quatre Questions du dernier Extraordinaire.

Sur les trois, quatre, six & septiéme Questions, 1. Des plaisir du corps & de l’esprit, 2. Si le Mary doit estre plus grand maistre que la Femme, 3. En quoy consiste l’air & la politesse, 4. Quelques Billets galans, avec declarations, je vay vous dire deux mots, Currente calamo, & pingui minerva. Par la noblesse de l’ame, je conclus que ses plaisirs sont plus parfaits que ceux du corps, qui nous sont communs avec les Bestes.

Ce mot de Maistre me blesse dans le mariage, où l’égalité doit estre. Pour le dire sincérement, le Mary doit avoir, & plus de prudence, & plus d’esprit que sa Femme.

Je fais consister la Politesse du monde dans la complaisance envers les Dames, dans la propreté sur sa personne, & dans celle de son équipage. À la Cour parler peu ; à la Ville, ny flateur ny opiniâtre, mais sincere.

Des Billets galans, il y en a de plusieurs sortes. Si vostre Maîtresse est avare, Mr de Bussy en a donné un original inimitable. Si vous agissez par amour, il faut à peu prés parler ainsi. Je n’ay, Madame, ny joye ny plaisir qu’auprés de vous. Si c’est belle amitié, dont il se faut défier un peu. Madame, luy dirois-je ; ma fortune, mes biens, tout est à vous ; neanmoins us que ad aras, fondant la veritable amitié sur la vertu qui a ses loix & ses bornes.

[Madrigaux sur les Enigmes de Septembre, qui estoient toutes deux sur la Beauté] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 125-131.

Les Enigmes du Mercure de Septembre, estoient toutes deux sur la Beauté. Ce Mot a donné lieu à ces Madrigaux.

I.

Quoy que je dise & que je fasse,
Philis est froide comme glace ;
Aussi Mercure tout de feu
Ne luy ressembloit que fort peu.
À quoy donc à Philis peut-on trouver semblable
Ce Dieu des Dieux le plus aimable ?
Aujourd’huy je le vois par tout plein de Beauté,
Sans-doute c’est de ce costé.

Daubaine.

II.

Ces Enigmes, Philis, me font demeurer court,
En vain sur elles je rafine.
Au diable si jamais mon esprit les devine.
Il est entesté de l’amour,
Et ses bonnes raisons entr’autres,
Sont qu’il ne connoist point de Beautez que les vostres.

Le mesme.

III.

Est-ce un prestige illustre ? est-ce une illusion
Qui jette tous mes sens dans la confusion ?
Mes yeux sont ébloüis de ce que j’envisage.
Parlons avec sincérité.
Il n’est bravoure, ny courage,
Qui ne le cede à la Beauté.

L. Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy.

IV.

Cette orgueilleuse qualité
Que le monde appelle Beauté,
Qui seule régente sans armes,
Et qui soûmet tout à ses charmes,
Tantost est une Aurore, & tantost une Nuit.
Selon l’Objet que l’on adore,
Et selon l’erreur qui séduit,
La Brune est une Nuit, & la Blonde une Aurore.

Le mesme.

V.

L’heureux Berger Pâris laissant là son Troupeau,
Se promenoit un jour autour de son Hameau,
Lors que trois superbes Déesses
Parurent à ses yeux, luy firent cent carresses,
Seulement par la vanité
De t’attirer le prix de la Beauté.

Le jeune Agent flaté d’espoir.

VI.

J’aime beaucoup l’esprit, j’aime assez la jeunesse,
Qui dans le temps, sçait faire usage de tendresse.
Le bien me plaist aussi, n’estant point limité,
Mais sur tout je fais cas d’une rare Beauté.

Le Bon Amy de l’Architecte ressuscité.

VII.

Fort peu j’estime en verité
Les grands biens & l’esprit de la vieille Nérise.
Ces avantages je méprise.
Ils ne sçauroient tenter ma vanité,
Sans la Jeunesse & la Beauté.

Le Favory sans ombrage de l’Epouse triomphante.

VIII.

Dans les Enigmes du Mercure,
Où l’on a tracé la peinture
D’une ravissante Beauté,
De son pouvoir, de sa fierté,
J’ay bientost reconnu la charmante Caliste
Qui me tient enchaîné, me brûle à petit feu,
Se rit de mes douleurs, sçait les tourner en jeu,
Et feroit un Martyr de son Berger fleuriste,
Si deux beaux yeux estant maistres d’un cœur,
Des plus cruels tourmens n’appaisoient la rigueur.

Gyges, du Havre.

IX.

Mercure, vous estes suspect.
Je n’ay plus pour vous de respect.
Vous avez décrié la Beauté de Caliste,
En suite du Tabac, l’exposant en public.
Ne voit-on pas que c’est pour en faire trafic ?
Deviez-vous y mesler l’Amante du Fleuriste,
Qui de vos bons Amis n’estoit pas le dernier ?
Sans sa Bergere au moins, faites vostre mestier.

Le mesme.

X.

J’avouë, adorable Sylvie,
Qu’à ce coup je suis pris sans vert.
Quand je lirois toute ma vie,
Je la verrois plutost finie,
Que de trouver un mot, qui paroist trop couvert.
Oüy, les Enigmes du Mercure
Ont pour moy tant d’obscurité,
Que j’impute à temérité
D’en avoir tant de fois fait & refait lecture.
Mais peut-estre qu’en vous je trouveray le sens
Que pour toutes les deux je voudrois croire unique.
Voulez-vous donc que je m’explique
Sur leurs détours embarassans ?
Je vois vostre Beauté dans les Vers de Caliste,
Et je la trouve aussi chez le Berger Fleuriste.

Alcidor, du Havre.

Traité sur les Vendanges, et sur l’Origine du Vin §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 132-148.

TRAITÉ SUR LES VENDANGES, ET SUR L’ORIGINE DU VIN.

Les Anciens faisoient des réjoüissances publiques durant les Vendanges. Ils inventoient des Jeux & des Divertissemens. Ils faisoient faire des Comédies & des Tragédies sur ce Sujet, pour divertir le Peuple. On croit mesme que le nom de Tragédie est venu du Verbe Grec, qui signifie Vendanger. L’Empereur Heliogabale qui vivoit avec tant de mollesse & menoit une vie si débordée, fut l’Autheur de ces réjoüissances, qui furent ensuite la matiere des divertissemens de ses Successeurs, qui (comme Paul Diacre nous assure) alloient ordinairement à la Campagne, pour assister à ces Jeux & à ces Festes publiques qui ne finissoient qu’apres un mois. On ne vendangeoit jamais, au rapport de Pline l. 18. c. 31. qu’apres l’Equinoxe, & on se gouvernoit alors suivant les Loix qui avoient esté faites sur ce sujet. Elles défendoient de cueillir les Raisins secs, c’est-à-dire avant la pluye. Elles vouloient aussi qu’on ne les cueillist, qu’apres que le Soleil auroit dissipé la Rosée qui estoit tombée pendant la nuit. Pline a veu differer les Vendanges jusques aux Calendes de Janvier faute de Tonneaux. Les Grecs avoient des endroits pour mettre leur Vin qu’ils appelloient Laccos, d’où vient que Plutarque a donné le nom de Laccoplutos aux Descendans d’un Citoyen d’Athenes nommé Callias, qui trouva des Tresors immenses dans une Pareille Cave, située dans la Plaine de Marathon, ce qui l’enrichit extraordinairement. Aussi les Vendanges sont la principale cause de la richesse des Peuples, & elles portent l’abondance dans tous les Royaumes qui ont dequoy les faire ; c’est pourquoy les Hebreux leur donnent presque le mesme nom qu’ils donnent à l’or. Proclus dit que les Grecs à l’ouverture des Tonneaux faisoient de grandes réjoüissances & qu’ils y invitoient leurs Serviteurs & leurs Esclaves, ausquels ils donnoient eux-mesmes à boire. Plutarque ajoûte qu’ils avoient de coustume en beuvant de prier les Dieux de leur rendre la Medecine salutaire, tout de mesme que les Latins disoient ordinairement la premiere fois, qu’ils beuvoient du Vin nouveau, Vetus novum vinum bibo, veteri novo medeor. En Allemagne celuy qui boit dit auparavant, salut à moy, salut à vous, salut à ma Maistresse, salut à toute la Compagnie, salut à celuy qui ne me porte point envie & qui se réjoüit comme nous, &c. C’est ce qu’on appelle boire à l’Allemande. Les Payens dans leurs Sacrifices offroient à Jupiter du Vin nouveau le 24. du mois d’Avril, & le 20. du mois de Juillet. Pline l. 18. c. 29. & Ovide l. 4. Fast. en parlent. Arnobe l. 7. dit que les Anciens faisoient des Sacrifices au Dieu de la Medecine, le premier jour qu’ils goútoient leur Vin nouveau. Noé planta la Vigne, comme tout le Monde sçait, & but le premier de cette liqueur délicieuse qui luy fit donner le nom de Janus au rapport de Genebrard du mot Hebreu Jaün qui signifie du Vin. Ce Patriarche conformément à son nom, donna le repos à tout le genre humain. Le Neveu d’Abraham que les mœurs des Pentapolites n’avoient jamais pû corrompre, tomba dans le piege, que ses Filles luy dresserent, en luy faisant boire du Vin. S. Augustin neanmoins l. 22. cont. Faust. c. 44. tom. 6. excuse son inceste, parce qu’il estoit yvre. Holoferne ne but jamais tant de Vin que la nuit que Judith le tua dans son lit. Hellanius dit que les Egyptiens inventerent la maniere de planter les Vignes dans la Ville de Plinthine, d’où vient que Dion les appelle amateurs du Vin. Quelques Autheurs en attribuent l’invention aux Peuples d’Etolie qui appellerent leur premiere Vigne oina. C’est pour cela, que les Grecs appellent le Vin oinon. Theopompe natif de l’Isle de Chio, assure que le Vin noir tire son origine de sa Patrie, & que les principaux de cette Isle ont appris à cultiver les Vignes d’un certain Oenopion. Staphylus Fils de Bacchus, eut une Fille nommée Rhœo dont Apollon devint amoureux. Son Pere s’en estant apperçeu, la mit dans un coffre, & la jetta dans la Mer, mais elle fut toûjours dans ce Voyage sous la protection de la Divinité qui avoit esté la cause de son supplice, & elle vint heureusement surgir au Port de l’Isle de Negrepont, où elle accoucha d’un Fils qu’elle nomma Oenius, que son Pere Appollon maria avec Dorippe dans l’Isle de Delos, où il eut trois enfans, Oeno, Spermo, & Elaida, qui furent si favorisez de Bacchus, qu’il leur donna la permission de changer tout ce qu’ils toucheroient en Vin, Bled & Huile. Apollodorus in Theolog. écrit que les Athéniens ont esté les premiers Inventeurs du Vin, de l’Huile & de la maniere de cultiver la Terre. Aussi leur Roy Amphiction, selon le sentiment de Prochorus, apprit de Bacchus mesme à mesler l’Eau avec le Vin. Quelques Autheurs neanmoins pretendent que c’est Melampus, ce fameux Medecin des Filles de Prœtus, duquel Homere parle, Odyss. l. 15. Pline dit que ce fut Staphylus Fils de Silenus. Le Vin commença d’avoir cours en Italie, six cens ans apres la Fondation de la Ville, car les Sacrifices qui se faisoient du temps de Pline, gardoient l’ancienne Coûtume de ceux qui se faisoient du temps de Romulus avec du Lait & non point avec du Vin. La Loy de Numa qui défendoit de jetter du Vin sur le Bucher, nous fait encor connoistre qu’il estoit fort rare alors. Varron écrit que le Roy des Hetruriens, nommé Mezence, secourut les Latins contre les Rutulois en esperance de boire du Vin, qu’on luy avoit promis pour recompense. Halicar. l. 1. soûtient que Romulus défendit aux Femmes Romaines de boire du Vin, parce que l’yvrognerie estoit à son avis la source de tous les vices & de toutes les libertez criminelles, qui pouvoient causer du desordre dans la Monarchie qu’il vouloit établir, A. Gellius assure l. 10. c. 23. que cette Loy fut tres-étroitement observée long-temps apres que les Rois furent chassez de la Ville. Les Decemvirs ensuite l’insererent dans la Loy des douze Tables, qui declare expressement que si un Homme soupçonne sa Femme de boire du Vin, il en connoistra avec ses Parens pour ordonner une peine conforme a l’infraction de la Loy. Mais tous les Maris ne furent pas si severes sur ce Chapitre que le fut Metellus, qui ayant surpris sa Femme sur le fait, la tua sur le champ, & fut absous de ce crime par le premier Roy des Romains. Fabius dans ses Annales raconte qu’une Femme Romaine, pour avoir laissé par son Testament une Cassette où estoient les clefs d’une Cave, mourut de faim par ordre de ses Parens, d’où est venuë la loüable coutume, selon le sentiment de Caton, qui permet aux Parens & aux Amis de baiser les Femmes pour voir si elles sentent le Vin. Les Femmes de Marseille & de Milet suivirent l’exemple des Romaines, comme dit Char. Paschal. de virt. & vit. Philadelphe Roy des Egyptiens donna sa Fille en mariage au Roy de Syrie Antiochus, & luy fit envoyer de l’Eau du Nil, afin qu’elle s’en servist toute sa vie, & ne bust point de Vin. Zeleucus, le Legislateur des Locriens, leur avoit défendu de boire du Vin sans la permission du Medecin. Les Romains mesme n’en beuvoient point qu’apres avoir passé l’âge de trente ans. Dieu dans l’Ancien Testament. Levit. c. 10. c. 119. défendit à Aaron & à tous ceux qui entroient dans le Tabernacle, de boire du Vin, ny de toute liqueur qui pust enyvrer. Il fit la mesme défense à tous ceux qui devoient se consacrer à son service. Nous lisons au chap. 13. du Livre des Juges, que la Femme de Manuë estant sterile, reçeut du Ciel un moyen tres-efficace pour devenir feconde, car un Ange luy estant apparu, luy ordonna de ne boire point de Vin, parce qu’elle enfanteroit un Fils qui délivreroit les Israëlites de la Captivité des Philistins. Enfin elle accoucha de Samson qui ne devoit point boire de Vin, suivant le conseil que l’Ange avoit donné à son Pere. Saint Jean Baptiste prêchoit dans le Desert où il vécut long-temps sans boire du Vin. Il estoit anciennement défendu aux Prestres & à tous ceux qui servent à l’Autel, de boire du Vin ny d’aucune boisson qui fust capable de les enyvrer. On le peut voir in canon. decret. dist. 35. Un Concile tenu en Allemagne ordonnoit aux Prestres de ne boire que deux fois à leur repas, parce qu’ils se servoient dans ce païs-là de grands Hanaps qui dans deux coups mettoient leur homme par terre.

Lors que les Vins commencerent d’estre en vogue à Rome sous le Consulat de L. Opimius qui leur donna son nom, Pline l. 14. c. 4. dit qu’on en mit quantité dans des Caves pour les conserver. On en beuvoit mesme de son temps qui duroient depuis deux cens ans.

Ipse Capillato diffusum Consule potat. Juven.
Qui properant, nova musta bibant, mihi fundat avitum
Consulibus priscis condita testa merum. Ovid. 2. de art.

Homere estimoit fort le Vin Maronéen qui naissoit dans la Partie Maritime de la Thrace. César estant Dictateur, fit distribuer dans son Triomphe du Vin de Falerne & de Chio, aussi bien qu’apres la Conqueste des Espagnes ; mais dans le Repas qu’il fit durant son troisiéme Consulat, il y fit apporter pour la premiere fois du Vin Mamertin, de Chio, de Lesbos, & de Falerne ; car pour les autres, ils ne furent connus qu’environ l’an sept cens ans apres la Fondation de la Ville. Julie Fille d’Auguste ne se servit durant quatre-vingts deux ans que du Vin Pucin, qui naist pres du Golfe Adriatique. Elle en avoit fait faire une Feüillée, comme dit Pline l. 4. c. 1. dans la Basse court de son Palais, qui portoit tous les ans un Muid & demy de Vin si violent, qu’il fit dire à l’Ambassadeur des Africains Cineas, que sa Mere meritoit avec justice d’estre penduë en une si haute Potence. L’Empereur Auguste préferoit à tous les Vin celuy qui naissoit au dessus de la Place d’Appius, ou bien dans Sezza qui est une Ville pres de Tarracine, & qui s’appelloit alors Setia, & le Vin Setinum. Le Vin Cœcube qui naissoit dans les Marais qui sont autour de la Ville d’Amycles, estoit aussi fort renommé. Le Vin Falerne estoit ainsi appellé d’un Champ de mesme nom qui estoit remply de Collines tres-abondantes qui produisoient ce Vin. On appelloit Vinum calenum, celuy qui naissoit dans la Campagne de Varinola pres de Capouë. Le Vin Formian estoit ainsi appellé de la Ville de Formies qui n’étoit pas fort éloignée de Caïette. Quelques Auteurs ne la distinguent pas de Nole où l’on mit premierement en usage la Sonnerie des Cloches. Plutarque rapporte que Damasippus invita un jour Cicéron à manger chez luy avec ses Amis qu’il régala de tres-peu de Vin, mais il leur fit boire du Vin de Falerne qu’il gardoit depuis quarante ans. Il y a un grand Tonneau à Heidelberg, Capitale du Palatinat, qu’on appelle Foudre en Allemagne, où l’on garde du Vin depuis trois cens ans, si on en croit les Habitans de cette Ville.

La Selve, de Nismes.

[Sentimens en Vers de Mr Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy, sur les Questions du XV. Extraordinaire] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 148-154.

Mr Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy, a fait les Réponses que vous allez voir, aux Questions proposées dans le dernier Extraordinaire.

SI ON PEUT AIMER
sans le sçavoir.

L’Amour est une passion
Qui dans sa brusque impression
Nous attache à l’Objet qui nous charme & nous flate ;
Et sa façon d’agir est si fort délicate,
Qu’elle prévient souvent nostre refléxion,
Sans qu’un grain de bon sens ou de mémoire éclate.
***
Dans cette absence de raison
Qui déconcerte nostre idée,
De ce qui fait son doux poison,
Nostre ame reste possedée ;
Et comme en ce rencontre ou l’Amour seul agit,
Où l’Amant tout surpris à soy-mesme se cache,
Le cœur n’est pas toûjours d’accord avec l’esprit,
On peut aimer sans qu’on le sçache.

Si une Belle qui aime fortement, peut exécuter les desseins de vangeance qu’elle médite contre un Amant absent qui l’a oubliée, quand à son retour il apporte des raisons pour excuser sa conduite.

La rigueur en amour est une Politique
Dont il est dangereux d’user mal-à-propos ;
Qui dans un contre-temps veut la mettre en pratique,
En perdant son Amant, perd aussi son repos.
***
Vous donc qui meditez une haute vangeance,
Belle, qui vous choquez de l’oubly d’un Amant,
S’il excuse son inconstance,
Usez plutost vers luy d’une douce indulgence,
Que de pousser à bout vostre ressentiment.
Songez, songez, Belle affligée,
Que ses secrets remords vous ont déja vangée.

Si sans marquer peu d’estime pour une Personne qui nous a fait un Présent par amitié, on peut donner à une autre ce qu’elle nous a donné.

Lors que d’abord on se défait
D’un Présent que l’on nous a fait,
C’est un mépris sanglant qui le Donneur irrite,
Et qui témoigne à mon avis
Certaine espece de mépris
Qu’attire son peu de mérite.
***
De vray, ce prompt transport de don
Qui se fait à la chaude, & qui la bile anime,
Paroist indigne de pardon,
Et porte un préjugé de fort petite estime ;
Car qui n’estimeroit un présent odieux,
Qu’on oste si-tost de ses yeux ?
***
Mais apres que la Destinée
A veu rouler le cours de mainte & mainte année,
Sans que de changement on se soit apperçeu,
Dans la suite du temps qui nos heures mesure,
La chose changeant de nature,
Sans crainte on peut donner ce que l’on a reçeu.

Si un Amant ayant reçeu d’une Belle les plus fortes marques d’estime & d’amitié qu’elle pouvoit luy donner, peut sans attirer sa colere, luy témoigner qu’il doute de sa tendresse, pour en recevoir de nouvelles assurances.

Amant, voulez-vous estre sage ?
Si vous estes certain que Climene a pour vous
Estime, complaisance, amitié, panchant doux,
Pour augmenter ses feux en dépit des Jaloux,
D’un doute injurieux ne risquez point l’usage,
Ce procedé paroist violent & contraint :
Qui trop embrasse, mal étraint.

En quoy consiste la veritable Sagesse.

La crainte du Seigneur qui lance le Tonnerre,
Le genêreux mépris des choses de la Terre,
L’empire souverain de ses affections,
L’égalité d’esprit dans les afflictions,
L’usage moderé des choses périssables,
L’ardeur & le desir des Biens interminables,
Joints au discernement d’un Esprit éclairé,
De toute illusion fortement épuré ;
Toutes ces qualitez ensemble,
Font la Sagesse, ce me semble.

De la Medecine §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 155-266.

DE LA MEDECINE.

La Medecine est une espece de Philosophie que les Sages, apres Aristote, appellent avec quelque sorte de raison, la Sœur puisnée de la Physique ; parce que, comme dit ce Prince des Philosophes : ubi desinit Physicus, ibi incipit Medicus. Ces deux sciences ont un mesme objet, qui est le Corps naturel, mais elles le regardent diversement ; car la Physique le considere seulement, comme naturel ; c’est-à-dire, entant qu’il est capable de mouvement & de repos, à raison de ses principes constitutifs, qui sont la matiere & la forme, & elle en demeure-là ; au lieu que la Medecine considere le mesme Corps, non seulement comme naturel, pour en connoistre l’existence, l’essence, & les proprietez ; mais encor en tant qu’il est capable de recevoir la santé, ou de la causer, l’examinant dans les principes qui la conservent, ou qui la détruisent, & qui ne sont autres que les quatre premieres qualitez ; sçavoir, le froid, le chaud, le sec, & l’humide, qui en constituent le temperament, d’où resulte la santé, ou la maladie, D’ailleurs, de mesme que la Jurisprudence tire ses principes & ses conclusions de la Morale, & que la Theologie (hors ce qui regarde la Foy) les prend de la Metaphysique, ainsi la Medecine tire particulierement les siens de la Physique. Et c’est de là que les Professeurs de cette Science, luy donnent le milieu entre la Theologie & la Jurisprudence, disant que des trois sortes de biens qui regardent l’Homme, & qui sont les biens de l’Ame, les biens du Corps, & les biens de la Fortune ; la Theologie luy procure les premiers, la Medecine luy conserve les seconds, & la Jurisprudence luy fait acquerir les derniers.

La Medecine, generalement parlant, peut estre distinguée en deux especes differentes, l’une, qui s’appelle divine, miraculeuse, & surnaturelle, & l’autre qui est purement humaine & naturelle.

La premiere, ainsi appellée parce qu’elle procede d’un principe extraordinaire, & qu’elle vient immédiatement d’une puissance divine sans aucune aide de la Nature, se divise en trois manieres ; car il y en a une que l’on peut appeller Locale, l’autre Personnelle, & la troisiéme Hereditaire.

La Medecine Locale est celle qui paroist comme attachée à quelques lieux particuliers par preference aux autres ; comme l’experience nous le montre assez souvent au regard de certaines Eglises, Chapelles, & autres lieux de Devotion, que Dieu semble avoir specialement choisis pour y répandre d’une maniere extraordinaire les guerisons miraculeuses qu’il y opere tous les jours en faveur de ceux qui vont y reclamer son assistance. De ce nombre estoit autrefois cette fameuse Piscine probatique dont l’Evangeliste Saint Jean fait mention, & dans laquelle, dit cet Apostre par une admirable proprieté que Dieu avoit communiquée à ses eaux, le premier des Malades qui pouvoit y descendre & s’y laver, apres que l’Ange du Seigneur les avoit remuées, se trouvoit heureusement guery de toutes ses infirmitez.

La Medecine Personnelle, est celle qui reside dans quelques Personnes particulieres : Comme par exemple, la vertu qui sortoit imperceptiblement du Sauveur du monde, par laquelle tous les Malades qui avoient le bonheur ou de le voir, ou de le toucher, se sentoient incontinent délivrez de tous leurs maux. Virtus de illo exibat, & sanabat omnes. Luc. 6. v. 19. Vertu que ce charitable Sauveur communiqua pareillement à ses Apostres pour la mesme fin, & qu’il a communiquée en suite & communique encor, comme il luy plaist, aux autres Saints de son Eglise. Dedit illis virtutem ut languores curarent, Luc. 9. v. 1. En un mot, c’est la vertu & la puissance dont parle Saint Paul dans la 1. Ep. aux Corinth. & qu’il appelle la grace de guerir les maladies, Gratiam sanitatum. Grace laquelle estant une singuliere faveur du Ciel, est tout d’un autre caractere que celle, ou que la fabuleuse Antiquité attribuë par flatterie ou autrement à certaines Personnes, qu’elle nous vante avoir esté favorisées du Ciel en ce point, & avoir reçeu des Dieux la vertu de guerir, ou par leur souffle, ou par leur attouchement, quelques maladies, sans y employer les remedes humains ; ou que la trop credule populace s’imagine résider dans quelques particuliers, sans aucun témoignage autentique de l’Eglise, ny sans aucun merite particulier de leur part ; puis que, selon le sentiment du Cardinal Caïetan in Summa. V. in cant. & du Docteur Navarre in Manual. cap. 11. toutes leurs pretenduës guerisons (s’il est vray qu’ils en operent quelques-unes) sont pour la pluspart, sinon pleines de fourberies & d’impostures, du moins fort sujettes à l’erreur & à la superstition, n’estant à vray dire autre chose que les effets trompeurs de la simplicité, & de l’ignorance des Hommes, ou les inventions damnables de la malice des Démons.

Du nombre de ces prétendus Medecins que la Gentilité a voulu faire passer pour miraculeux, on compte entr’autres les Psylles de Lybie, les Marses d’Italie, & les Ophiogenes de l’Hellespont, lesquels au raport de Plutarque, avoient la vertu naturelle de guerir les morsures & le venin des Serpens ; les premiers par leur haleine, les seconds par leur salive, & les derniers par leur toucher ; comme aussi les Tentyrites d’Egypte, qui guerissoient en quelqu’une de ces manieres, selon Strabon l. 17. les Blessures des Crocodiles. L’on y met encore Pyrrhus Roy des Epirotes, qui guerissoit le mal de Rate par l’attouchement de son pied droit, comme le veut le mesme Plutarque ; l’Empereur Vespasien, lequel au témoignage de Suetone, & de Tacite, rendoit l’usage des membres aux Manchots, & la veuë aux Aveugles, en touchant ceux-là du pied, & frottant ceux-cy de sa salive ; Adrien, qui comme le raporte Dion Cassius, faisoit sortir l’eau du ventre des Hydropiques, en disant seulement deux paroles ; & enfin Aurelien qui, si l’on en croit Vopiscus, ressuscitoit les Morts, en se couchant sur eux.

Parmy ceux que la populace s’imagine avoir reçeu du Ciel le don de guerir, il faut mettre premierement ceux qu’en Espagne on nomme Sauveurs, ou Enchanteurs, Saludadores, Ensolmadores, Santignadores, dont quelques-uns guerissent les Malades par le moyen de certaines Oraisons qu’ils recitent pour eux, & sur eux ; & les autres avec leur salive, ou en souflant sur eux, comme le raportent le P. Delrio Jesuite, l. disquisit. magic. c. 3. Et Mr du Laurent l. 1. de strumis c. 4. Secondement, ceux qui sont nez le Vendredy Saint, & que l’on s’imagine en Flandre avoir la puissance de guerir naturellement les fiévres tierces, cartes & autres maux. Troisiémement, les septiémes Garçons nez de legitime mariage, sans que la suite de sept ait esté interrompuë par la naissance d’aucune Fille, que plusieurs croyent en France avoir aussi le pouvoir de guerir les fiévres, & mesmes les Ecroüelles, apres avoir jeûné trois, ou neuf jours, avant que de toucher les Malades, comme l’assure Bungus en son Livre des Nombres. Quatriémement, les septiémes Filles, que d’autres s’imaginent avoir le privilege de guerir les mules aux talons, & de faciliter l’enfantement. Et enfin les Enfans posthumes, ausquels on attribuë la vertu de guerir les Loupes.

La Medecine héreditaire est certain privilege special & particulier de guerir quelques maladies, dont on croit que sont favorisées certaines Races & Familles, comme sont premierement ceux qui prétendent en Italie estre de la Race de Sainte Catherine Martyre, & porter à cause de cela empreinte sur quelque partie de leur corps la figure d’une Rouë, qu’ils disent avoir apportée du ventre de leur Mere, & dont ils croyent recevoir une vertu si puissante contre le feu, qu’ils le peuvent manier sans en recevoir aucune offence. Ils croyent aussi que cette figure leur communique encore le pouvoir de guerir les autres de toute sorte de Brulure par leur seul attouchement. Theophil. Raynald. Tract. de Stygmatismo sacro. sect. 2. c. 4. Secondement, ceux qui se disent Parens de saint Paul, & porter naturellement empreinte sur leur chair la Figure d’une Vipere, d’où ils veulent faire croire que non seulement ils ne sçauroient estre endommagez par ces sortes de Serpens, mais mesme qu’ils peuvent guerir tous ceux qui en ont reçeu quelque atteinte. Troisiémement, ceux qui se qualifient de la race de saint Martin, & pretendent pour cela guerir du Mal-Caduc. Quatriémement, ceux qui se vantent d’estre de celle de saint Hubert, & pretendent aussi guerir le mal pour lequel ce Saint est reclamé. Cinquiémement, ceux qui se croyent estre de celle de saint Roch., & pouvoir, à raison de cette parenté, demeurer aupres des Pestiferez, les gouverner, & mesme les guerir, sans que le mal contagieux fasse la moindre impression sur leurs personnes. Sixiémement, ceux qui sont de la Maison de Coutance dans le Vendomois, & qui prétendent guerir les Enfans de la maladie appellée le Carreau, en les touchant. Septiémement, les aînez de la Famille du Baron d’Aumont, Comte de Chasteaux-Roux, qu’on s’imagine guerir des Ecroüelles. Enfin il faut adjoûter à tous ces pretendus Medecins de race, les Rois de Hongrie, ausquels on attribuë la vertu de guerir la Jaunisse ; ceux d’Angleterre, issus en droite-ligne des Anciens Comtes d’Anjou, du Mal-Caduc ; & ceux d’Espagne, de chasser le Diable & délivrer les Possedez, si l’on en croit Charles Tapis, & apres luy Chassanée dans son Livre de la gloire du Monde. Mais à parler sainement de tous ces rares privileges, on peut dire que les fondemens n’en sont pas moins imaginaires, & les preuves incertaines ; que les effets en sont douteux, pour ne pas dire fabuleux & fort suspects de fausseté.

Mais on n’en sçauroit dire autant de celuy dont nos Augustes Monarques sont en possession depuis douze Siecles ; & qui est cette divine & admirable puissance qu’ils ont de guerir les Ecroüelles, sans y apporter autre artifice que l’attouchement de leurs mains sacrées, avec ces paroles qu’ils disent à chaque Malade en le touchant : Le Roy te touche, & Dieu te guerit. Car c’est une glorieuse prerogative qui leur est particuliere, & que le Ciel a attachée à leurs Royales Personnes, par preference à tous les autres Rois de la terre, quoy qu’en disent Polydore, Virgile, Guillaume Tokel, & Eduard Chamberlayne, Autheurs Anglois, en faveur des Rois de leur Nation. Voicy comment le dernier en parle dans son Etat present de l’Angleterre chap. 4. L’on peut mettre, dit-il, au nombre des prérogatives du Roy d’Angleterre, comme Roy, une que l’on peut appeller grande par excellence, ou plutost miraculeuse, premierement octroyée à ce bon & pieux Roy Edoüard le Confesseur ; c’est de guerir les Ecroüelles, ce mal obstiné, que l’on appelle, The Kings Evil ; c’est-à-dire le mal du Roy, &c. Car il est constant que ces trois Autheurs, quoy que peut-estre veritables par tout ailleurs, n’ont pas laissé cependant de se tromper en ce point ; puis que s’il est vray que saint Edoüard ait eu ce privilege, il ne s’en est servy qu’une seule fois, & à l’égard d’une seule Femme, comme l’Histoire de sa vie en fait foy ; sans qu’il paroisse en aucune sorte qu’il ait passé en la personne de ses Successeurs ; ce que le sçavant Matthieu Paris, qui a traité si au long de la vie & des actions des Successeurs immediats de ce saint Roy, n’auroit pas sans doute laissé en arriere, si c’eust esté une prerogative aussi constante que ces Ecrivains prétendent nous la faire croire. Et il est encor constant que l’un d’eux, qui est Tokel, ne peut pas estre excusé de mensonge ou du moins d’ignorance, lors qu’il a avancé dans son Livre intitulé, le Don de guérir, que les Rois de France ont reçeu de ceux d’Angleterre par une espece de provignement cette faculté de guerir les Ecroüelles, parce que, dit-il, le Royaume de France a esté autrefois presque tout subjugué par eux, puis qu’il est indubitable que nos Rois guerissoient de ce mal longtemps avant que les Anglois eussent gagné un pied de terre dans ce Royaume, comme il seroit aisé de le justifier, si la chose n’estoit pas aussi constante qu’elle l’est.

Cette grace donnée gratuitement à nos Rois, attachée à leurs personnes sacrées, & qui fait pour ainsi dire le caractere suréminent de leur Majesté tres-Chrêtienne ayant (comme le maintiennent Forcadet l. 5. de l’Empire & Philosophie des Gaulois, & apres luy le sieur du Laurent premier Medecin de Henry IV. dans son Traité des Ecroüelles) commencé en la personne du Grand Clovis, le premier de nos Rois qui ait embrassé le Christianisme, qui en fit ressentir les premiers effets à Lancinet, son Grand Escuyer, a passé ensuite comme un heritage celeste par un ordre non interrompu aux autres Rois ses Successeurs, qui en ont donné des preuves autentiques dans toutes sortes d’occasions, & en ont fait, & font encor l’application & l’usage quand il leur plaist. C’est une verité universellement reconnuë par l’experience journaliere, non seulement des François, mais encor des Etrangers, & des plus envieux mesme de la gloire de cette fleurissante Monarchie qui sont forcez de la publier malgré eux par les heureux avantages qu’en retirent un nombre infiny de gens de leur Nation qui se viennent présenter à nos Rois pour avoir l’honneur d’en estre touchez. Mais qui voudra voir des preuves encore plus convaincantes de cet admirable pouvoir, Lira Leonard Vair l. 1. c. 11. & l. 3. c. 5. Caldesius l. de dignit. Reg. Hispan. Delrio l. 1. disquis. magic. & plusieurs autres Autheurs étrangers ; & parmy ceux de nôtre France, Mr du Laurent dans le beau Traité qu’il en a fait intitulé, De mirabili strumas sanandi vi, solis Galliæ Regibus Christianissimis concessâ, & le sçavant Livre qu’en a fait Mr de Priezac, Conseiller d’Estat ordinaire, qui a pour titre, Vindiciæ Gallicæ adversus Alex. Patric. Archamanum Theologum,

Pour la Medecine naturelle, avant que d’en venir à sa division & à ses especes, il est bon de dire quelque chose de son origine sur la foy des plus anciens Autheurs qui en ont parlé, aucun desquels ne la fait monter plus haut que Clement Alexandrin, qui veut que cette science ait esté apportée au monde peu de temps apres le Deluge par un certain Misnas, ou Mesraim fils de Cham, & petit neveu de Noé, qu’il veut avoir esté le premier qui ait trouvé le moyen de remedier aux playes & aux blessures par les operations de la Chirurgie, qui est sans doute, comme l’a judicieusement remarqué saint Ambroise, la premiere sorte de Medecine qui ait esté en usage parmy les Hommes : car comme le principal exercice, & le premier effet de leur malice, dit excellemment ce grand Docteur, fut de se faire la guerre les uns aux autres, leur premier soin fut aussi de chercher les remedes propres à guerir les blesseures qu’ils y recevoient ; ce que l’un apprenant à l’autre, l’experience en fit naistre l’usage, & l’usage en établit un Art, qui devenant en suite particulier à certaines personnes, celles-cy se mirent à s’en servir comme Maistres à l’égard des autres. Diodore Sicilien en attribuë l’invention à Mercure, qui l’a enseignée aux Egyptiens ; ce que d’autres disent en faveur d’Apis, ou Osiris, fils de Jupiter & de Niobé & le premier Roy d’Egypte ; ou à l’avantage d’Aracus, fils d’Apollon ; ou à l’honneur d’Apollon mesme, appellé autrement Phebus, au rapport de Callimaque Cyréen, Autheur tres-ancien qui vivoit dés le temps du Roy Ptolomée surnommé le Philosophe, & qui dit que les Medecins ont appris de ce Dieu, le Secret admirable de prolonger la vie aux hommes : Ex Phœbo Medici didicerunt dilationes mortis. C’est aussi le sentiment d’Ovide, qui fait parler ainsi le mesme Apollon dans le premier de ses Metamorphoses.

Inventum Medicina meum est, opiferque per orbem
Dicor, &c.

Ce qui est encor confirmé par Suidas, qui ajoûte que le mesme Apollon, ou Phebus, en instruisit Apis, qui porta cette science de Grece en Egypte ; d’où vint qu’apres sa mort, il y fut adoré sous le nom de Phebus Egyptien.

Quelques autres’ veulent que l’invention de la Medecine soit deuë au Centaure Chiron, fils de Saturne & de Phillyre, particulierement celle qui regarde la connoissance des Simples. C’est la pensée de Jules Hygin dans ses Fables, c. 274. Chiron. dit cet Autheur, Centaurus, Saturni filias Artem Medicinam Chirurgicam ex herbis primus instituit. Lactance dit qu’Esculape fils d’Apollon & de Coronis, fut donné en son jeune âge par son Pere à ce Chiron pour en apprendre la Medecine, qui ne s’estendoit pas alors plus loin qu’à purger le ventre avec quelques Simples, à panser les playes, & à arracher les dents. Cela fait connoistre que cet Esculape n’est pas proprement l’inventeur de cet Art, comme l’ont pensé Virgile dans le 7. de son Eneïde, Tertullien dans son Apologetique c. 23. dont voicy les paroles : Iste est Æsculapius Medicinarum demonstrator ; & Arnobe, qui en parle ainsi dans son premier Livre contre les Gentils : Æsculapium Medicaminum repertorem, post pœnas & suplicia fulminis, custodem nuncupavistis, & præsidem sanitatis, valetudinis, & salutis ; mais bien ce Chiron, au moins parmy les Grecs, comme l’asseure Pindare contre Homere, qui dit que c’est Peon :

Est medicus prudens cunctis præstantior unus
Ille viris, cui Pœoniæ sit gentis origo. Odyss. l. 4.

Contre Eschyle, qui croit que c’est Promethée, & contre Pausanias l. 1. qui veut que ce soit Celanipus, fils d’Amithaon Argien.

Quoy qu’il en soit, il faut demeurer d’accord que si cet Esculape n’a pas esté le premier Inventeur de la Medecine, il en a du moins esté le plus excellent & le plus habile Maistre ; puis qu’il rendoit non seulement la santé aux Malades les plus desesperez, mais mesme la vie à ceux qui l’avoient perduë. Ce qu’il fit entr’autres à l’égard d’Hyppolite, fils de Thesée.

 

Mais une guerison si merveilleuse cousta bien cher au pauvre Esculape. Car on asseure que Jupiter, jaloux de voir operer à un Homme mortel des effets qui ne devoient dépendre que de la toute-puissance des Dieux ; & sollicité d’ailleurs par les plaintes de son Frere Pluton qui le pressoit sans cesse d’oster du nombre des vivans un Homme si extraordinaire, qui estoit capable de dépeupler un jour son Empire tenebreux, par les Sujets que luy enlevoit tous les jours l’industrie de son Art, en leur conservant & rendant ainsi la vie ; on asseure, dis-je, que Jupiter le frapa d’un coup de foudre, & le reduisit en cendres. C’est ce que Virgile raconte dans le septiéme de son Eneïde.

Cicéron au l. 3. de la Nature des Dieux, reconnoist plusieurs Esculapes, qu’il fait tous inventeurs de quelque partie de la Medecine ; le premier qu’il dit estre fils d’Apollon, adoré comme Dieu par les Arcadiens, & qu’il fait inventeur de l’Eprouvette, qui est un instrument de Chirurgie, du Bandage, & de la guerison des playes ; Le second, fils de Mercure, qui est celuy qu’il veut avoir esté foudroyé par Jupiter & enterré à Cynosures ; & le dernier, fils d’Arsippe, & d’Arsinoé, qu’il dit avoir trouvé la maniere de purger le ventre, & d’arracher les dents. Mais tous ces trois Esculapes se doivent reduire à un seul, qui est celuy dont nous avons parlé, lequel à l’instance d’Apollon son Pere, si nous en croyons les Poëtes, fut placé apres sa mort au nombre des Etoiles les plus remarquables du Pole Septentrional, sous le nom d’Anguitenens ; & reconnu ensuite comme Dieu par les Hommes, & adoré sous le titre du Prince de la Medecine. Le premier Temple qui fut basty à son honneur fut, dit-on, celuy d’Epidaure Ville du Peloponeze, où les Malades se faisoient porter, afin d’y apprendre en songe les remedes propres au recouvrement de leur santé.

Quelque gloire cependant que l’on attribüe à cet Esculape, soit pour avoir donné aux Hommes la connoissance de la Medecine, soit pour avoir si merveilleusement réüssy dans les Cures qu’il y a entreprises, il est pourtant vray que ses remedes, ny ceux des autres qui vinrent longtemps apres luy, ne s’étendoient pas à grande chose, soit que le bon regime, & la vie reglée des Hommes de ce temps-là, ne leur causassent que tres-peu de maladies ; soit, comme il est plus vray-semblable, que la Medecine n’estant encore qu’au Berceau, n’eust pas encor atteint de grands secrets : car il paroist que jusqu’au temps de la guerre de Troye les Medecins n’avoient pas grande experience en leur Art, en ce que les deux fils, ou petits fils d’Esculape, Machaon, & Podalyrie, qui servirent les Grecs en cette qualité pendant le Siege, ne trouvoient point à redire, qu’une Femme, qui avoit soin d’Eurypile, Capitaine Grec, dangereusement blessé, luy donnast à manger de la Farine & du Fromage meslez ensemble, & du Vin Pramnien à boire, comme le remarque Platon au troisiéme Dialogue de sa Republique, quoy que cette sorte de nourriture ne servist qu’à enflammer ses playes, & n’en pust aucunement appaiser la douleur. Cela se confirme encor par le raport de Seneque, qui dit que toute la Science de ces premiers Medecins, ne consistoit qu’en la connoissance de quelques Simples, de la vertu desquels ils se servoient tant pour arrester le sang des playes, que pour les fermer. Medicina quondam fuit scientia herbarum, quibus sisteretur fluens sanguis, vulnera coërent paulatim, &c. Ep. 95. ne sçachant encor, continuë cet Auteur, ce que c’étoit que donner des Potions ou des Lavemens, ouvrir la Veine, ordonner le Bain, procurer les Sueurs, ny faire prendre aux Malades tous les autres remedes qu’on a depuis inventez ; & l’on fut long-temps, particulierement dans l’Egypte, & dans la Grece, que chacun estoit obligé de porter dans Memphis, aux Temples de Vulcain & d’Isis, & dans l’Isle de Cô à celuy d’Esculape, le remede qui l’avoit guery de quelque maladie, dequoy les Prestres tenoient Registre pour l’enseigner ensuite aux Malades, qui se faisoient porter aux Places publiques, afin que chacun leur dist ce qu’il avoit experimenté ; sans qu’on fist presque pour lors autre profession de la Medecine ; ce qui dura jusqu’au temps d’Hypocrate, fils d’Heraclide, selon quelques-uns, ou d’Asclepius, selon d’autres, le plus fameux Medecin de l’Antiquité. On le fait issu d’Hercule du costé maternel, & du paternel, d’Esculape. Il nâquit en l’Isle de Cô, & commença d’estre en vogue dés le temps d’Artaxerxe Longue-main Roy de Perse, vers l’an du monde 3500.

Cet Hypocrate fut le premier qui reduisit en préceptes la science de la Medecine : car comme la coutume avoit esté jusqu’alors d’écrire, comme nous venons de dire, dans les Registres des Temples d’Apollon, & d’Esculape les Medecines qui avoient eu quelque bon succés, afin d’y avoir recours, & de s’en servir en cas pareil, ce sage Personnage prit le soin de recüeillir toutes ces differentes receptes, dont il composa ; plusieurs excellens Livres ; entre lesquels on fait mention particulierement de ceux-cy, sçavoir, d’un intitulé, Jusjurandum, ou le Jurement ; de ses Pronostics, ou présages pris de la disposition des Malades ; de ses Aphorismes ; & d’un admirable Traité, ou l’on tient qu’il a renfermé en soixante Livres, tout ce qui se peut dire de plus curieux & de plus sçavant sur la Medecine ; ce qui fait qu’avec raison on luy donne la gloire d’avoir mis au jour cette salutaire Science, qui avoit esté presque toute ensevelie dans les ténebres prés de six cens ans apres Esculape. Et l’on croit que c’est pour cela que le Roy Artaxerce luy faisant l’honneur de luy écrire, luy donnoit dans ses Lettres la qualité de neveu d’Apollon, & de fils d’Esculape. On dit qu’il estoit si habile dans la prévoyance des maladies à venir, qu’il predit la peste de l’Esclavonie long-temps avant qu’elle y arrivast ; & qu’y ayant envoyé quelques-uns de ses Disciples, tant pour en arrester le cours, que pour assister ceux qui en seroient frappez, ils y firent des guerisons surprenantes ; en reconnoissance dequoy toute la Grece ordonna qu’on luy rendist des honneurs comme à un Dieu qui avoit sauvé la Patrie. L’on ajoute, qu’ayant esté appellé par ceux d’Athenes, pour les délivrer du mesme fleau, il fit allumer un grand nombre de feux par toutes les ruës de cette grande Ville, & brûler des parfums dans toutes les Maisons, par lequel remede il arresta d’abord la violence du mal, & le chassa tout-à-fait ensuite. Les Atheniens ne furent pas ingrats d’un tel bien-fait ; car pour luy en marquer plus magnifiquement leur gratitude, ils établirent des jeux & des réjoüissances publiques en son honneur, luy firent present, entr’autres dons précieux, d’une Couronne d’or tres-riche, & luy dresserent une fort belle Statuë devant la Place du Senat, pour servir de monument eternel à sa gloire, & de souvenir perpétuel à la posterité de l’obligation qu’ils avoient à ce grand Homme, qu’ils appelloient leur Dieu tutelaire, & leur Liberateur. Et l’on dit mesme qu’aprés sa mort, ils chasserent tous les Medecins de leur Etat, estimant que la vray science de la Medecine estoit morte avec luy ; Ce qui n’arriva pourtant pas, parce que les Medecins instruits par ses preceptes, & par les Livres qu’il leur avoit laissez, se perfectionnerent toûjours de plus en plus dans la connoissance, & dans la pratique de cette Science, & se mirent en vogue dans le monde, particulierement certain Prodicus, Thracien de Nation, & Disciple du mesme Hypocrate, lequel, au rapport de Pline, mit en avant cette pratique de Medecine, que les Grecs appelloient Jatraleptice, qui consistoit à donner les Bains & les Etuves aux Malades.

Chrysippe vint en suite, qui renversa toute la Theorie d’Hypocrate, & de Prodicus ; & apres celuy-cy, Erasistrate, petit-fils d’Aristote du costé de sa fille, qui changea aussi beaucoup de choses que Chrysippe avoit établies, quoy qu’il eust esté son Disciple. On dit qu’il reçeut cent Talens d’or, qui valent soixante mille écus du Roy Ptolomée, pour avoir rendu la santé au Roy Antiochus son pere.

Quelque temps apres Acron d’Agringente dressa en Sicile la Secte des Empiriques, ou Receptaires, ainsi appellez parce qu’ils s’arrestoient seulement à la vertu de leurs receptes, sans se mettre beaucoup en peine de regarder aux causes occultes, ny aux signes apparens des maladies, ny mesme au temperament de ceux qui en estoient attaquez, non plus qu’à la qualité des Medicamens qu’ils leur ordonnoient. C’est ce que dit Pline l. 29. c. 1. En quoy il n’est pas suivy de Suidas, qui fait cet Acron bien plus ancien, disant qu’il fleurissoit à Athenes dés le temps d’Empedocle, l’an 3500. qui fut beaucoup avant Hypocrate, & qu’il écrivit un Livre de la Medecine en Langue Dorique.

De cette Secte estoit Melampus, qui s’y rendit fort celebre. Il estoit natif d’Argos, & grand Astrologue. Ce qui le mit le plus en credit, ce fut d’avoir guery les quatre filles de Proethus Roy d’Argos, appellées, Iphianasse, Pisippe, Mera, & Euriale, qui entrerent en telle frenesie, qu’elles couroient toutes nuës par le Peloponeze, s’imaginant estre Vaches : Ce qu’on croyoit leur estre arrivé, pour s’estre preferées à Junon en beauté. Personne n’ayant pû trouver de remede à leur mal, Melampus se presenta au Roy, & luy promit de les en délivrer, moyennant la recompense qu’il luy demanda. Ce Prince la luy promit beaucoup plus grande qu’il n’eust osé l’esperer ; car il s’engagea, en cas qu’il en vinst à bout, de luy donner pour Femme celle qu’il voudroit choisir des quatre, & pour dot la troisiéme partie de son Royaume. Melampus fit si bien qu’il les rétablit en leur bon sens, appaisant d’un costé la Déesse à force de Prieres & de Sacrifices, & leur purgeant d’ailleurs le cerveau, selon Galien, avec de l’Hellebore noir, que l’on a depuis appellé de son nom, Melampodion. Elian dit, qu’il les guerit, en leur donnant du lait de Chevre ; & Ovide, en les faisant baigner dans la Fontaine Clytoire, à laquelle on donnoit entr’autres proprietez la vertu de rendre chaste, & de faire haïr le Vin. Proethus s’acquita de sa promesse envers Melampus, & luy fist épouser la premiere de ses filles. C’est assez parlé de l’origine & du progrés de la Medecine : ceux qui en voudront sçavoir davantage, n’ont qu’à lire Pline en plusieurs endroits de son Histoire Naturelle.

Quant à sa division, la plus generale que les Anciens en ayent faite, a esté de la distinguer en trois especes ; l’une qui regarde le regime de vivre, l’autre qui s’attache aux Medicamens, & la troisiéme qui consiste dans les operations de la main. Archytas, Prince de Tarente, & Philosophe Pytagoricien, en établissoit de cinq sortes ; Sçavoir, la Pharmaceutique, qui subvient aux maladies par le moyen des potions & des receptes ; la Chirurgique, qui medicamente les Playes par la Section, ou par l’Ustion ; la Dietetique, qui previent, ou qui chasse le mal par la seul diete, & l’usage reglé du boire & du manger ; la Nozopnomique, qui porte du soulagement aux Malades, par la promte & veritable connoissance des causes de leurs maladies ; & enfin l’Adjutrice, qui sçait l’Art d’appaiser la violence & les pointes de la douleur. Mais la plus ordinaire division que l’on fasse maintenant de la Medecine, est de la distinguer en deux especes principales, qui se divisent encor en plusieurs autres. Ces deux especes generiques de la Medecine, sont la Speculative & la Pratique.

La Medecine Speculative ou raisonnable, comme on l’appelle, est proprement celle qui s’arreste à la seule Theorie, sans mettre la main à l’œuvre. On dit qu’elle s’appuye principalement sur la Doctrine, sur l’Authorité, le Raisonnement, & l’Usage, qui sont comme ses quatre fondemens, & les quatre colomnes qui la soûtiennent. La Doctrine sur laquelle on veut que s’étende cette Science, comprend la Physiologie, la Pathologie, la Simeïotique, & la Crise.

La Physiologie, ou recherche des choses naturelles, est une espece de Science universelle qui renferme la connoissance des Corps Celestes, Elementaires, & Mixtes : Des premiers, pour en sçavoir les Influences ; des seconds, pour connoître en eux tout ce qui entre dans la constitution des Estres sublunaires ; & des derniers, pour distinguer le Mineral, le Vegetable, & l’Animal. Elle s’applique de plus à la connoissance des divers temperamens du Corps humain, de la diversité des sexes, & de la differente constitution des âges. Elle examine encor les changemens des Saisons, des Vents, des Païs, des Climats, &c. Et enfin elle comprend la connoissance de la Morale, afin d’apprendre par le moyen de cette science de la Nature, la difference, & les effets des Passions, qui sont les mouvemens de l’Ame, & qui contribuënt beaucoup à la santé, ou à la maladie.

La Pathologie s’étudie à connoistre les noms, la nature, & la diversité des maladies ; si elles sont simples, compliquées, organiques, communes, ou attachées à quelque partie ; ou bien si elles surviennent par compassion &c. Elle examine les causes, qui les devancent, celle qui les produisent, ou qui les accompagnent, avec leurs effets, qui sont leurs symptomes & autres accidens.

La Simeïotique, ou Simiotique, s’attache les signes, d’où elle tire ses conjectures, & forme ses jugemens. Ces signes sont de trois sortes ; car il y en a de memoratifs, qui font ressouvenir du passé ; de pronostics, qui regardent l’avenir, & qui font juger si la maladie sera longue, fascheuse, perilleuse ; & enfin de diagnostics, qui s’arrestent aux affections présentes.

La Crise marque le prompt changement d’une maladie à la santé, ou à la mort. Elle se fait pour l’ordinaire le 7. le 11. ou le 14. jour, desquels le septiéme est le plus considerable, comme estant, dit Hypocrate, le dispensateur de la maladie. C’est pourquoy il est appellé par les Medecins le Roy des jours Critiques, parce qu’il est le plus certain pronostic de la vie, ou de la mort des fiévreux.

Cette Medecine Speculatique, raisonnable, ou dogmatique, (car elle porte tous ces trois noms,) reconnoist pour Princes & pour Inventeurs Apollon, Esculape, & les autres dont nous avons parlé ; & pour Maîtres principaux (outre Hypocrate, le plus habile de tous,) Menecrate, Medecin de Syracuse, tres-fameux & des plus experts dans sa profession, mais au reste insupportable pour son arrogance, & pour la ridicule pré-occupation où il estoit de sa capacité : car Athénée dans le 7. Liv. de ses Dipnosoph. dit qu’il avoit la vanité de se faire appeller Jupiter, Sauveur & Restaurateur des Hommes, s’imaginant que par l’habileté de son Art, il estoit seul le Conservateur de leur vie. Il ne vouloit point d’autre recompense de ceux qu’il guerissoit, qu’une promesse par écrit, par laquelle ils s’obligeoient de luy obeïr comme ses Esclaves, & de l’accompagner par tout, ce que la plus part d’eux estoit assez simple de faire ; le suivant, les uns, vestus en Apollons, les autres en Hercules, ou en Esculapes ; luy marchant à leur teste vestu d’une Robe d’Ecarlate, la Couronne d’or en teste, le Sceptre à la main, & des Brodequins de Pourpre en Broderie aux pieds. Cet Autheur ajoûte, qu’il eut la hardiesse d’écrire un jour au Roy Philippe de Macedoine en ces termes : Tu regnes sur le Royaume de Macedoine, & moy sur celuy de la Medecine ; tu peux perdre ceux qui se portent bien, & moy je sauve ceux qui se portent mal ; tu as pour Satellites & pour Sujets ceux qui t’ont porté sur le Thrône ; & moy j’ay pour Esclaves & pour Gardes, ceux qui me doivent la santé & la vie. À quoy ce sage Prince, qui se mocquoit de la sotte vanité de cet insolent, ne répondit autre chose, sinon ces quatre paroles : Philippe desire à Menecrate une parfaite santé.

Outre ce Menecrate on fait encor mention de plusieurs autres celebres Medecins Dogmatiques, comme de Pythagore Samien, de Democrite Adderitain, de Diocles Caristien, de Praxagore, de Chrysippe, Philosophes Stoïciens, d’Heraclide de Pont, d’Apollonius de Chipre, & d’une infinité d’autres, parmy lesquels il ne faut pas oublier un celebre & ancien Medecin de nostre France, c’est Crinas de Marseille, à la liberalité duquel cette antique & fameuse Ville doit la premiere enceinte de ses murailles, cet officieux Citoyen luy ayant legué à cet effet par son Testament la somme de dix mille Sesterces, & encor pareille somme pour rédifier les murs de quelques autres Villes. Pline dit, qu’il estoit tres-bien versé dans la connoissance des maladies ausquelles il remedioit par l’observation du Cours des Astres, & des Ephemerides Celestes. Il fut en vogue premierement à Rome sous l’Empire de Neron, & ensuite dans les Gaules, où il introduisit le premier l’Etude & la Profession publique de Medecine dans les Ecoles de Marseille, selon la remarque du P. Guesnay dans son Livre intitulé, Annales Massilienses lib. 1. cap. 27.

Mais de tous ceux qui ont le plus excellé dans cette sorte de science depuis Hypocrate, les Siecles passez n’en reconnoissent point de plus illustre que Galien, Fils de Nycon fameux Architecte de Pergame en Asie. Il commença d’estre en vogue dés le temps de l’Empereur Trajan, & vescut selon Rhodigin. lib. 16. Antiq. Lect. cap. 40. jusqu’à l’âge de cent quarante ans. Son Pere, comme il l’atteste luy-mesme, l’avoit averty en songe apres sa mort d’étudier en Medecine, l’assurant, qu’il s’y rendroit des plus habiles, comme il fit ; car outre les admirables guerisons qu’il opera, il écrivit encor en Grec un tres-grand nombre de Livres sur cette Science, que quelques-uns font monter jusqu’à 150. & les autres jusqu’à 200. Volumes, sur lesquels il composa encor d’excellens Commentaires, mais il eut le déplaisir d’en voir dés sont vivant périr la meilleure partie qui fut brûlée à Rome avec le Temple de la Paix, par un accident du feu du Ciel, le foudre estant tombé sur ce superbe Edifice l’an de salut 193.

La Medecine Pratique est celle qui ne se contente pas de considerer les causes, les signes, & les effets des maladies, & de distinguer soigneusement les remedes specifiques de chacunes, mais qui met encor la main à l’œuvre, & qui travaille à la composition des Medicamens. Les Maistres en constituënt deux especes, qui sont l’Empirique, & la Methodique.

L’Empirique, ainsi appellée, parce qu’elle ne s’appuye que sur la seule experience, reconnoist deux principaux fondemens ; sçavoir l’Histoire, & l’Autopsie. La premiere luy fournit un amas de Secrets recueillis par tradition, & venus, comme on dit, de main en main : Et la derniere s’arreste aux cures, & aux experiences qui tombent sous les yeux.

La Methodique, n’a pour but que de remedier au mal qui presse sans faire grand choix des Remedes, ny une distinction fort exacte des maladies. On en fait Inventeur Themison, celebre Medecin de Grece, & Disciple d’Asclepiade, duquel Herodote & Corneille Celse, aussi bien que Pline, font une honorable mention, comme d’un des plus habiles de son temps. Ce qui n’a pourtant point empesché Juvenal de l’appeller dans ses Satyres le Meurtrier de ses Malades. Les Vers qui suivent renferment le sens de ceux de ce Poëte.

 Les Malades, que Themizon
Par sa science meurtriere
A dans l’Automnale saison
Envoyez dans le Cimetiere,
Sont en tel nombre, se dit-on,
Que si sa fureur n’est bornée,
Il peuplera dans une année
Tout le Royaume de Pluton.

Cette sorte de Medecine pratique methodique se partage en deux especes, dont l’une s’appelle Heigenie ; & l’autre Therapeutique. La premiere s’occupe à prevenir les maladies, à conserver & fortifier la santé, & à prescrire le regime de vie ; & c’est proprement ce qu’on appelle la Diete, dont on reconnoist pour un des principaux Maistres Asclepiade, Medecin de Prusse en Bythinie, qui fleurissoit dans la Grece vers l’an du monde 3920. selon Strabon ; car on dit de luy, que bannissant presque toute autre pratique de Medecine, il ne reconnoissoit que quatre choses principales & universelles, pour guerir, ou pour prevenir toutes sortes de maladies. La premiere de garder l’abstinence, & la sobrieté dans le boire & dans le manger, La seconde de se faire frotter le corps avec du linge blanc & chaud. La troisiéme de prendre souvent de l’exercice, & avec moderation ; & la quatriéme de marcher quelque peu tous les jours & faire quelque promenade à pied, ou à cheval. Au reste on dit qu’il n’apportoit point d’autre remede pour chasser les fiévres les plus ardentes, que de l’eau fraische ; d’où vient qu’il en fut appellé depuis le Medecin d’eau froide. Pline ajoûte, qu’il s’acquit grande réputation, tant pour avoir trouvé le secret de faire servir le Vin à la santé, que pour avoir remis en sa premiere convalescence un Homme que l’on portoit en terre comme mort ; & pour avoir mesme gagé contre les Dieux, & contre la Fortune, qu’il ne servoit jamais malade, à cause de l’exacte diete qu’il observoit ; & de fait il mourut subitement dans un âge fort avancé d’une chute du haut d’un escalier en bas.

Charmidas, ou Charmis de Marseille, Medecin tres-renommé, estoit de mesme opinion qu’Asclepiade. Pline rapporte qu’il défendoit les Bains chauds & les Etuves à ses Malades, & vouloit qu’ils se baignassent dans de l’eau froide. Nous avons veu fort souvent, dit cet Autheur, de vieux Senateurs & autres Personnages Consulaires, imbus de cette opinion, se baigner dans les Fleuves & les Estangs au milieu de l’Hyver, tous transis de froid, & cependant dire qu’ils se trouvoient bien soulagez par un remede si extraordinaire, & si contraire ce semble au bon sens, & à la raison.

La Therapeutique s’applique à la guerison des maladies, soit par une Methode generale, soit par une autre specifique, qui descend aux Remedes qui sont propres à chaque maladie. Cette Medecine Therapeutique se divise en deux parties, qui ont chacune leur office particulier, & dont l’une s’appelle Pharmacie, & l’autre Chirurgie.

La Pharmacie appartient proprement aux Apotiquaires, dont l’office est de connoistre clairement, de choisir à temps & à propos, de preparer avec soin, & de composer avec fidelité & beaucoup d’exactitude les medicamens. Cette pratique de Medecine est fort ancienne, soit qu’elle soit venuë d’Hercule Celtique, comme le veut Gilb. cogn. l. 3. Narrat. qui dit que, Hercules Celticus Pharmaca adinvenisse fertur, quibus venena, & serpentum morsus mederentur, & hinc Alexicacos dictus ; soit qu’elle ait esté premierement mise en vogue par le Centaure Chiron suivant l’opinion d’Hygin ; l’on peut dire qu’elle doit sa perfection au sçavant & renommé Dioscoride, natif d’Anazarbe Ville de Cilicie, & Medecin de Marc-Antoine & de Cleopatre, par l’excellent Livre qu’il a mis au jour ; où ce docte Personnage traite à fond de la nature, & des proprietez des Plantes, des Metaux, & de tout ce qui se peut tirer des Animaux ; & où l’on dit qu’il a remporté la palme sur tous ceux qui en avoient écrit avant luy. Mathiole un des habiles Medecins de son Siecle, a composé des Commentaires sur ce Livre avec autant de doctrine que d’eloquence.

Ceux d’entre les Anciens, qui se sont rendus les plus recommandables apres Dioscoride dans la Pharmacie, ont esté particulierement Antoine Muza, & Andromaque, ausquels on donne la gloire d’avoir inventé le Theriaque. Le premier estoit Medecin d’Auguste, & se mit en credit à Rome, & dans toute l’Italie, pour avoir heureusement rendu la santé à cet Empereur, qu’une perilleuse maladie avoit mis hors de toute esperance de guerison ; ce qui porta le Senat & le peuple Romain, qui prenoit grand interest à la conservation de ce Prince, d’élever une Statuë à celuy qui l’avoit guery, & de l’affranchir luy, & tous ceux de sa profession, de toutes impositions & charges publiques. Cet avantage par succession de temps multiplia de celle sorte les Medecins à Rome, que l’Empereur Antonin fut obligé par un Edit expres de limiter à certain nombre ceux d’entr’eux qui joüiroient de ces Privileges. On les leur continua jusqu’à l’Empereur Commode, qui les amplifia encor, ajoûtant en faveur de Galien son premier Medecin, qu’ils seroient gagez aux dépens du Public. Ce qui leur fut depuis confirmé, tant par Alexandre Severe, que par le Grand Constantin. Andromaque fut premier Medecin de Neron, Candiot de nation, & tres-habile dans sa profession. Galien l. 1. de la Theriaque, luy attribuë l’invention, ou plutost la parfaite confection de cet Antidote, qui a pour baze la chair de Viperes, & qui reçoit en sa composition plus de cent autres mixtes. C’est aussi le sentiment de Rhodigin, & d’Opmer, qui en parle ainsi en ses œuvres Cronographiques : Andromachus doctissimus Neronis medicus Theriaces compositionem invenit, quæ Galeni testimonio servavit plurimos Romanos Imperatores, aliosque complures principes viros, qui cam oportunè sumpserant. D’autres cependant en attribuënt l’invention à Muza ; l’un & l’autre y ont pû adjouter chacun quelque chose du leur, à ce que le Roy Mithridate leur en avoit appris : car c’est à luy que l’on doit la premiere invention de la Theriaque, qui s’appelle autrement, Mithridat, du nom de Grand Prince, qui en a fait la premiere composition.

La Chirurgie, ainsi nommée, ou à cause de l’operation de la main, ou en memoire de Chiron qui y a beaucoup excellé, est la derniere espece de la Medecine pratique, quoy que la premiere, & la plus ancienne d’origine, comme nous avons dit : On luy donne quatre sortes d’operations generales. La premiere consiste à réünir les parties dissoutes par le moyen des Ligatures, des Bandes, des Compresses, &c. La seconde à diviser celles qui sont unies, les couper & separer par la dissection, la Taille, & la Saignée. La troisiéme à enlever, oster, & arracher les corps étrangers, ou qui sont separez de leurs autres parties. Et la quatriéme, enfin à reprimer & guerir par les remedes Topiques, les Tumeurs contre nature.

Entre ceux qui ont eu jadis quelque vogue dans cette profession, on fait mention d’un certain Archagathe, fils de Lysanias du Peloponeze, que l’on dit estre le premier qui soit venu exercer la Chirurgie à Rome, l’an de sa fondation 533. où l’on luy donna le droit de Bourgeoisie, avec une maison qu’on luy acheta aux dépens du public. Pline dit, que les Romains qui n’avoient point encore veu de cette sorte de gens dans leur Ville, furent bien aises de l’y recevoir, & que d’abord ils luy donnerent le nom de Vulnerarius, ou guerisseur de playes ; mais qu’ensuite voyant qu’il ne falloit autre chose que d’inciser & de cauteriser, & qu’il employoit presque toujours le fer & le feu dans ses operations, ils luy donnerent celuy de Carnifex, & ne l’appelloient point autrement que le Bourreau de Rome ; qualité odieuse, qui passa ensuite à tous ceux de sa profession. Quelques-uns ajoûtent que le peuple Romain, le prit en tel excez de haine, qu’ils l’assommerent à coups de pierres dans le champ de Mars.

Parmy les operations de la Chirurgie ; il n’en faut pas oublier une, qui n’est pas des moindres. C’est l’Anatomie, operation vraiment scientifique & industrieuse, qui consiste principalement dans la dissection artificielle du corps humain, & dans le curieux examen de toutes les pieces qui le composent. Cette innocente boucherie n’a pas toûjours esté autant exempte de cruauté, qu’elle l’est presentement ; puisque s’il en faut croire Corneille Agrippa, elle s’exerçoit autrefois aussi bien sur les corps vivans, que sur les morts ; au lieu qu’elle ne se pratique plus, au moins pour le regard des Hommes, que sur les corps qui sont tout-à-fait privez de vie. On fait Autheurs de cette operation plus que barbare sur les corps vivans, Herophile, que Tertullien a raison d’appeller un Bourreau inhumain, plutost qu’un salutaire Medecin ; puis qu’il eut la cruauté de faire la dissection de six cens Hommes tous vivans, pour connoistre mieux la Nature, & la disposition des parties du corps humain, & estre ensuite plus utile à ceux qui l’appelleroient en leurs maladies : Berophilus ille Medicus, aut Lanius, qui sexcentos exsecuit, ut naturam unius scrutaretur, qui hominem fodit, ut nosset. Tertull. lib. de Anima. cap. 10. On attribuë cette mesme cruauté à Erasistrate, & depuis eux à Carpus, & Vesalus, & à quelques autres. On en fait aussi le reproche à certains Medecins de Paris, lesquels, au raport de Monstrelet, furent par la permission de Charles VII. prendre dans les prisons du Chastelet un Franc Archer de Meudon, condamné pour ses Larcins à estre pendu, & luy fendirent le ventre de son consentement, estant encor tout vivant, afin d’examiner ses entrailles, & remarquer en quel lieu & de quelle maniere se formoit la pierre, dont il estoit fort travaillé, prétendant par ce moyen trouver celuy de soulager un Seigneur de la Cour qui estoit affligé du mesme mal. Ce qu’ayant fait, & visité en son ventre ce qu’ils desiroient, ils luy remirent les entrailles, & refermerent si heureusement sa playe, qu’il en guerit, aussi bien que de la pierre, & obtint sa grace du Roy, avec une bonne somme d’argent. Voila le peu que nous avions à dire tant sur l’origine que sur les differentes especes de la Science de la Medecine, laquelle pour estre aussi necessaire & utile, que l’experience montre qu’elle l’est au Public, ne laisse pas de trouver encore quantité de Gens qui la mêprisent, & qui non contens de se passer de ses avis, & ne se point servir de ses receptes, de l’usage desquelles tant d’autres tirent de si grands secours pour la conservation & pour le recouvrement de leur santé, ont encor la temerité de la décrier comme pernicieuse, ou du moins inutile, & veulent comme telle la bannir & l’exclure tout-à-fait du commerce des Hommes.

Ces Ennemis de la Medecine, pour justifier en quelque façon, l’aversion peu raisonnable dont ils sont préoccupez contre cette salutaire Science, s’appuyent sur deux fondemens, qu’il est aisé de détruire. Le premier se prend du costé de l’autorité & du témoignage de quelques Anciens, & le second de quelques raisonnemens assez foibles, comme il paroîtra en exposant les uns & les autres.

Pour l’autorité, ils font parade entr’autres de celle du divin Platon, qui disoit, que c’estoit une tres-méchante provision pour un païs que les Jurisconsultes, & les Medecins, parce que les premiers dépoüillent des biens de fortune, & les seconds font perdre ceux du corps. 2°. De Nicoclés, qu’ils veulent avoir eu si mauvaise opinion de ceux de cette profession, qu’il avoit coûtume de dire d’eux avec une raillerie offensante, Que le pouvoir des Medecins estoit grand sur la terre, puis qu’ils y tuoient tant de monde impunément, & que quelqu’un luy disant qu’ils n’estoient point necessaires parmy les Hommes, il luy soûtint le contraire, alleguant pour raison que sans eux les Hommes multiplieroient trop, & que le monde ne seroit pas capable de les contenir. 3°. De Socrate, qui disoit que les Medecins estoient à son avis les plus heureuses gens du monde, en ce que le Soleil fait connoistre leurs bons succez, & que la terre couvre leurs fautes.

Pour les raisons qu’ils apportent pour condamner la Medecine ; ils disent 1. Que les Medecins sous la specieuse apparence de guerir les Hommes, avancent assez souvent le terme de leurs jours, se servant, comme dit Sidonius, d’autant plus hardiment du pernicieux moyen qu’ils ont de les envoyer promptement en l’autre monde, qu’ils n’en craignent point le chastiment ; & que par une prérogative funeste au reste des mortels, ils ont seuls le privilege de les tuër, non seulement avec impunité ; mais, ce qui est horrible, & qui leur est cependant commun avec des gens qu’on n’ose nommer, d’exiger mesme de la recompense du mal qu’ils leur auront fait, & se faire payer bien cher de la mort qu’ils leur auront peut-estre donnée, tirant eux seuls, malgré l’équité des Loix, du profit de l’homicide, lorsque tous les autres n’en peuvent attendre que des peines. Unus illis utque communis cum carnifice honos est, homines scilicet acceptâ mercede occidere : utque ex homicidio, unde supplicium cunctis lex statuet, nullique concessa impunitas, ÿ soli capiunt præmia. Cornel. Agrip. l. de vanit. scient. c. 83. Ce qui a donné, dit-on, occasion à un de leurs anciens Confreres de dire que la Medecine se jouë ainsi de la vie des Hommes, parce qu’elle a pour constellation dominante, l’Etoile de Mars, qui est un Planete malin & qui ne respirant que le meurtre & le carnage, l’inspire aussi à ceux qui participent le plus à ses influences, comme fait la Medecine & ses Sectateurs. Artem Medecinæ Marti ad scriptam esse non negamus, qui Planetarum omnium odiosissimus est, &c. Petr. Apponius Bononiensis Medic. conciliator dictus. Et c’est sans doute ce qui a porté un Satyrique moderne à dire, avec un peu trop d’emportement, que,

 Lors qu’il rencontre un Medecin
Courir chez un Malade en housse,
Il se figure un assassin,
Qui luy porte la mort en trousse.

2. L’on voit par experience, disent-ils, qu’il n’y a point de gens plutost malades, ny plus tard gueris, que ceux qui s’abandonnent à la conduite des Medecins. Ce qui a fait dire à l’Autheur du Livre de la Prudence, ou des bonnes regles de la Vie, que la pluspart des Hommes ruïnent leur santé, & abbregent leurs jours, en s’attachant trop fort aux regles de la Medecine ; parce que les remedes continuels dont ils se servent, ne les sauvent point d’un mal, qu’ils ne les livrent ensuite à un autre, les Ingrediens de la Medecine, estant comme des lessives, qui emportent les taches du linge, mais qui ne le peuvent nettoyer sans l’user.

3. Qu’il est un nombre infiny de Nations sur la terre, qui se portent bien, & qui vivent tres-long-temps sans le secours de la Medecine. Et que Pline dit qu’en effet jamais Rome n’avoit joüy d’une plus heureuse santé, que durant les six cens premieres années qu’elle avoit esté sans Medecins ; au lieu que depuis que quelques Grecs de cette profession se furent introduits dans cette Maistresse du Monde, de saine qu’elle estoit, elle devint comme le receptacle de toutes sortes de maladies. En sorte que les Romains abhorrant ces Medecins, comme les plus dangereux ennemis de leur vie, supplierent Caton le Censeur de les en délivrer, & de les bannir de toute l’Italie. Ce que ce sage & judicieux Magistrat fit fort volontiers, disant qu’ils chassoient les maux par de plus grands maux, & qu’il n’y avoit profession au monde si vuide de solidité, ny plus remplie d’incertitude que la leur : ajoûtant qu’étant instruits, comme ils sont, dans la connoissance des venins, aussi bien que des remedes, il leur estoit aisé, par differens motifs de haine, d’ambition ou d’avarice, de présenter à qui leur plairoit du poison au lieu de Medecine, & donner consequemment la mort à ceux à qui ils devoient conserver la vie. Témoin entre une infinité d’autres le Medecin de Pyrrhus, lequel, au rapport de Plutarque, s’estant addressé à Fabrice Lieutenant general des Armées Romaines, & pensant estre le bien venu de luy proposer par la plus noire de toutes les trahisons, que s’il vouloit favoriser son dessein, il avoit en main le moyen infaillible de délivrer Rome de son plus redoutable ennemy, en donnant le Boucon au Roy son Maistre, sous ombre de Medecine ; ce grand Capitaine detestant un acte si lasche, & ayant horreur d’une proposition si éloignée de la generosité d’un cœur Romain, fist arrester ce Perfide, & le renvoya à ce Prince pour en ordonner le chastiment.

4. Que la Medecine, au dire mesme de Galien, n’est qu’un Art de conjecture, casuel & arbitraire, qui se contrarie à toute heure dans la diversité des opinions de ses Supposts, qui ne s’accordent presque jamais ensemble, l’un reprouvant souvent ce que l’autre aura fait ; ou bien y adjoûtant, ou diminuant toûjours quelque chose selon son caprice : Ce qui fait, dit-on, que la pluspart des gens d’esprit font peu de cas de leurs Ordonnances ; & que les plus Sages des Empereurs, comme Tibere, Aurelien, Vespasien, Charlemagne, Maximilien, & autres, en ont esté si desabuséz, qu’ils n’ont jamais voulu se servir d’eux, ny de leurs receptes.

5. Que les constitutions des Souverains Pontifes, en interdisent tout-à-fait l’usage aux Ecclesiastiques, comme estant un Art non seulement trompeur, pernicieux, & sanguinaire, mais encore un exercice abject, servile, & tout-à-fait indigne de la grandeur & de la noblesse de leur Ministere ; estant vray que la Profession de Medecin, quelque rang qu’elle tienne à present dans le monde, n’estoit autrefois exercée que par des Esclaves, & par des gens de servile condition. Ce qui se justifie par le témoignage des saintes Lettres, qui nous apprennent dans le cinquantiéme chapitre de la Genese, que le Patriarche Jacob estant mort, son fils Joseph fit embaumer son Corps par ses Esclaves, qui luy servoient de Medecins, præcepit servis suis Medicis, ut aromatibus condirent Ratrem, suivant la coutume de ce temps-là : Et par le raport de Pline, qui dit en son Histoire, que les Romains eussent crû se ravaler, s’ils se fussent addonnez à la Medecine, la jugeant indigne de la Noblesse d’un Citoyen Romain ; voila pourquoy, ils vouloient qu’elle ne fust exercée chez eux que par des Esclaves Grecs ; & non point par des Gens de libres condition. Ce qui est encor confirmé par plusieurs autres témoignages, tant de Ciceron. in orat. pro Rege Dejotaro, que de Seneque, l. 3. de Benef. c. 24. Suetone in Caligul. c. 8. & autres.

6. Qu’enfin une bonne partie de ceux qui se meslent de cette profession, sont si peu versez dans l’intelligence de ce qui regarde leur Art, qu’ils ne connoissent que superficiellement les choses qu’ils devroient sçavoir le plus à fond, comme la nature & la qualité des Simples & des Drogues qu’ils ordonnent à leurs Malades dans leurs Récipez, de la composition desquels ils se rapportent à la suffisance des Apoticaires, qui n’en estant pas mieux instruits qu’eux, donnent fort souvent du qui pro quo, qui augmente le mal au lieu de le diminuer. Outre que les uns ny les autres ne sont guére plus sçavans, tant dans la connoissance des causes & de la malignité des maladies, sur lesquelles on les consulte, que dans le juste choix des remedes qu’ils doivent y apporter ; ce qui fait qu’ils les médicamentent presque toutes de la mesme sorte, les mesurant à une mesme aune, & n’ayant pour chacune autre sausse que cette pratique triviale, sçavoir, le Clystere, la Saignée, & enfin la Purgation, comme dit le Comique Moliere ; Clysterium donare, posteà seignare, en suite purgare. Lequel Autheur peut persuader au monde, qu’il est bon nombre de ces Medecins qui ne le sont que de nom, & que tout ce qui les distingue du commun, & leur donne la qualité de Maistres en la tres-salubre Faculté, ce sont les seules marques extérieures qu’ils en portent, fait une odieuse comparaison d’eux avec certaines Gens d’une profession infiniment au dessus de la leur, disant que tout de mesme que,

 Pour devenir Cabaretier,
Il ne faut ny sçavoir, ny Lettres de Maistrise,
 Et qu’on est Maistre du Mestier,
D’abord qu’on a Maison, & que l’Enseigne est mise ;
Ainsi pour s’ériger en Medecin tout fait,
Il ne faut qu’une Mule, une Barbe, un Bonnet.

Mais pour renverser toutes ces objections plus injurieuses que raisonnables, & pour répondre à toutes les autres que pourroient encor apporter les Adversaires de cette noble & salutaire Profession, il est fort aisé de faire voir le tort qu’ils ont de la décrier, en disant.

1° Que la Medecine est un Art sacré, ou pour mieux dire, une Science toute celeste, que le Grand Maistre de la Nature a par sa bonté infinie enseigné aux Hommes, afin de s’en servir pour la guerison de leurs maux, & la conservation de leur santé, comme le dit un excellent Poëte :

Artem alium Deus, & rerum natura repertrix,
Instituêre sacram ; quæ languida corpora morbo
Eriperet quovis, propriæ reditura saluti. Perisaulus. Faust.

C’est aussi le langage de l’Ecriture, qui nous enseigne que Dieu a creé les Médicamens, que l’Homme sage ne doit jamais mépriser : à Deo est enim omnis Medela. Elle fait de plus l’éloge des Medecins ; elle exalte leur Science ; elle leur donne crédit aupres des Roys ; elle nous oblige de nous en servir, & de les honorer pour le besoin que nous avons de leur assistance, honora Medicum propter necessitatem ; & mesme elle nous assure que les Malades trouveront non seulement du secours dans la vertu de leurs remedes, mais qu’ils seront encor soulagez par les prieres qu’ils feront pour eux à Dieu, qui ne manquera pas de benir & leurs soins, & leur conversation. Tout cela est formellement couché, & plus au long, dans le 33. ch. p. de l’Ecclesiastique.

2° La mesme Ecriture veut encor nous apprendre le respect que nous devons porter à la Medecine, comme à une Science tout-à-fait auguste & vrayement royale, lors qu’elle fait dire à ce Particulier, qu’on vouloit élire Roy & Prince du Peuple, pour luy faire refuser cette éminente Dignité : Non sum Medicus, nolite me constituere Principem populi, Is. 3. Je ne suis point Medecin, ne me faites point le Prince du Peuple, voulant dire qu’il n’avoit point de meilleure ny de plus forte raison pour autoriser le refus qu’il faisoit du supréme rang d’honneur qui luy estoit presenté, que le defaut où il estoit de la connoissance de la Medecine, & qu’il ne se sentoit ny assez fort, ny assez capable de commander aux autres, & de les gouverner en qualité de Chef & de Souverain, que parce qu’il n’estoit pas Medecin, & que pour monter dignement sur le Trône, il falloit y monter par l’exercice de l’auguste & de la noble Science de la Medecine.

En effet, dit le sçavant Secretaire du Roy Theodoric, y a-t-il dans tous les Arts où l’esprit humain se peut appliquer, rien de plus grand & de plus relevé, rien de plus utile & de plus prétieux que ce que fait la Medecine ? Inter utilissimas Artes, quas ad sustentandam humanæ fragilitatis indigentiam Divina tribuerunt consilia, nulla præstare videtur aliquid simile, quàm quod potest auxiliatrix Medicina. Cassiodor. var. l. 6. §. 19. Qu’y a-t-il de plus admirable & de plus étonnant que les merveilleux effets qu’elle produit ? C’est elle, dit ce grand Homme, qui sçait seule le secret de remettre dans une bonne constitution ce que le mal a desordonné dans nos corps. C’est elle qui rétablit nos forces quand nous les avons perduës. C’est elle qui nous conserve, ou qui nous rend la santé, qui nous doit estre plus prétieuse que tous les biens. C’est elle qui a le pouvoir de rappeller une ame des portes de la Mort, & de la faire rentrer dans un corps qu’elle estoit preste d’abandonner. C’est elle, qui d’un corps languissant, exténué, & à demy pourry, en fait un corps sain, plein d’embonpoint, & rétably dans sa premiere vigueur. C’est elle enfin qui sçait former & reproduire de nouveau un Homme d’un non-Homme, & remettre au nombre des vivans ceux qu’on ne comptoit plus que parmy les morts. Toutes ces merveilles que la Medecine opere tous les jours à nos yeux, peuvent elles estre opérées, demande Clement Aléxandrin, par une autre main que celle d’un Dieu, ou du moins par celle d’un Agent à qui cet Estre souverain a voulu communiquer une partie de sa toute-puissance ? Et n’est-ce pas avec justice que nous devons honorer ceux qui font profession d’une Science qui apporte tant de biens au monde, & ne meritent-ils pas bien que nous les regardions comme des petits Dieux sur la terre, & que nous disions avec Empédocle :

Et Medici in seclis, qui hominum terrestribus insunt :
Hinc existunt Dei ; sunt quorum maximi honores.

Clem. Alex. 4. Strom.

Nous devons rendre aux Medecins,
Comme à des Hommes tout divins,
Un honneur, un respect au dessus du vulgaire ;
Reconnoissant qu’en leur secours
Nous trouvons la santé, ce trésor salutaire,
Qui fait la beauté de nos jours.

C’est aussi le juste devoir que leur rendent beaucoup de Nations de la terre, & nommément tous les Peuples des Indes, qui les ont en telle venération, dit Strabon, qu’ils les regardent comme des Anges descendus du Ciel ; de sorte que non seulement ils ne leur refusent rien de tout ce qu’ils leur demandent, mais ils s’empressent encor à l’envy de leur faire le plus de bien, & de leur rendre le plus d’honneur qu’ils peuvent, chacun d’eux tenant pour une singuliere faveur & benediction de les loger & régaler en sa maison. Nemo rogatus illis non irrogat, nemo hospitio non libenter suscipit. Strabo. lib. 15.

3° De plus, tant-s’en-faut que la profession de Medecin soit vile, abjecte & méprisable, comme ses Ennemis le veulent persuader, il faut dire qu’elle est tout au contraire infiniment relevée, non seulement par toutes les raisons que nous venons d’apporter ; mais encor, ce qui passe toute estime, par l’honneur qu’elle a reçeu du Sauveur du monde, qui pour nous apprendre l’état que nous en devons faire à son exemple, l’a prisée jusqu’au point que de prendre luy-mesme & se donner le nom & la qualité de Medecin, quand il a dit, parlant de sa propre personne : non est opus valentibus Medicus, sed malè habentibus. Matth. 9. v. 12. Qualité qui a esté aussi reconnuë en luy par les Peres de l’Eglise, & particulierement par le grand Augustin, sous ces belles paroles si souvent repetées par la langue des Prédicateurs : Magnus è cœlo descendit Medicus, quia magnus in terra jacebat ægrotus. Mais ce divin Sauveur ne s’est pas contenté de faire cet honneur à la Medecine en prenant le titre de Medecin, il en a bien voulu encor exercer luy-mesme l’office, tant dans la guerison de l’Aveugle de Siloë, luy appliquant un Collyre, composé de sa salive & d’un peu de bouë sur les yeux, que dans celle de tous les autres Malades qu’il a guéris. Les Anges ont exercé aussi quelquefois le mesme office, comme l’Ange Raphaël à l’égard de Tobie ; Les Apostres pareillement, comme S. Paul envers son Disciple Thimothée ; S. Luc, qui est reconnu en cette qualité de toute l’Eglise, & que les Medecins mesmes reconnoissent pour leur Patron, & quantité d’autres Saints à leur exemple.

4° Quant à ce qu’on dit qu’il y a eu quantité de Princes & de Sages du monde, qui ont méprisé la Medecine, & fait peu de cas de ceux qui la professent ; on répond qu’il s’en est trouvé une infinité d’autres qui en ont fait une estime toute particuliere. Car pour ne parler que des Personnes du premier rang, ne compte-t-on pas un grand nombre de Monarques, qui n’ont point dédaigné de la couronner de leurs Diadémes ? & ne sçait-on pas entr’autres, que Hylus, fils de Mamertus, & Roy des Thesprotes, exerçoit la Pharmacie ? & que ce fut luy, comme dit Homere, qui refusa à Ulisse les drogues mortelles qu’il luy demandoit pour empoisonner ses fleches ? & qu’Achiabis Roy des Taphiens, suivoit la mesme profession, & qu’il ne fit point de difficulté de donner à ce sage Capitaine ce que l’autre luy avoit refusé, se confiant en la probité de ses mœurs ? Ne lisons-nous pas que Gygés & Sapor ont pratiqué la Medecine, l’un en son Royaume de Lydie, & l’autre en celuy des Medes ? Et les Empereurs Adrien, & Constantin IV. surnommé Pogonate, ou le Barbu, dans leurs Empires ? Que Sabith la maria à son Sceptre d’Arabie, Denis à celuy de Sicile, & Hermés à celuy d’Egypte ? Et enfin peut-on ignorer que le vaillant Mithridate en faisoit une bonne partie de ses occupations Royales, & qu’il ne s’estimoit pas moins pour estre Medecin, que pour estre Roy de plusieurs Provinces ?

5° Si l’on dit que les Romains furent si longtemps sans introduire l’usage de la Medecine dans leur Ville ; qui doute que ce ne fust, ou par ignorance, parce qu’ils n’en connoissoient pas l’utilité ; ou bien parce que vivant fort sobrement, & ne s’estant point encor plongez dans les débauches où leur trop grande prosperité les fit s’abandonner peu à peu, & n’ayant à cause de la vie reglée qu’ils menoient, presque point, ou tres-peu de maladies, ils n’avoient par conséquent aucun besoin des secours de la Medecine pour la conservation ou pour la reparation de leur santé, comme ils eurent depuis qu’ils se furent relâchez de leur premier train de vie ; & si par un emportement de haine contre quelques Particuliers de cette Profession, qui en abusoient peut-estre à leur égard, ils chasserent les Medecins hors de leurs Etats ? Il est constant, comme l’Histoire nous l’apprend, qu’ils ne furent pas longtemps sans les y rappeller, voyant bien qu’il ne leur estoit pas avantageux, ny mesme possible, de se passer de leur assistance ; de laquelle aussi se trouverent-ils si bien dans la suite, que pour les attirer de toutes parts à Rome, ils leur donnerent tous les privileges dont nous avons parlé.

6° Quant à l’ignorance qu’on leur impute, en disant qu’il y a bien des maladies qui leur sont inconnuës, & ausquelles tous les remedes qu’ils peuvent inventer n’apportent aucun soulagement, & qu’il meurt une infinité de Personnes entre leurs mains, & que cependant ils ne laissent pas de se faire payer, tous morts ou incurables qu’ils les laissent, aussi-bien que s’ils les avoient effectivement guéris ; il faut répondre pour ce dernier point qui regarde le salaire qu’on prétend qu’ils exigent injustement ; que lors qu’un Medecin a pris tout le soin qu’il devoit d’un Malade, apres toute la connoissance qu’il a pû avoir de la nature de son mal, suivant la méthode & les regles de son Art, si ce Malade vient à mourir, ce n’est point par la faute du Medecin, & sa mort ne doit estre imputée en aucune sorte, ny au defaut de sa connoissance, ny à l’inefficacité de ses remedes, mais à la volonté du Seigneur, qui n’a point voulu que sa vie ait duré plus long-temps ; ou à la malignité du mal, qui ne se pouvoit humainement guérir. Et il n’est point déraisonnable que luy, apres avoir choisy une Vacation, apres avoir beaucoup dépensé aux Etudes, afin de s’y rendre capable, & s’estre enfin acquité de son devoir envers le Malade autant que la necessité, la raison, & la conscience l’y obligeoient ; il n’est point, dis-je, injuste, ny malhonneste, qu’il demande à estre récompensé de son travail, puis que selon la Loy divine & humaine, toute peine requiert salaire, & que le Proverbe dit,

Merces omnigeno debetur certa labori.

D’ailleurs, on ne sçait que trop qu’il est de certaines maladies où tous les remedes humains ne servent de rien, parce qu’il s’y trouve quelquefois des touches de la main de Dieu, qui rendent inutiles les soins des plus habiles Medecins ; comme celles dont parle Hypocrate, & dans lesquelles ce Prince de la Medecine reconnoist je-ne-sçay quoy de divin, comme par exemple la Lepre, que les anciens Allemans mettoient en ce rang, disant que ceux qui estoient entachez de cette vilaine maladie avoient peché contre le Soleil ; le Mal d’Hercule, ou le haut Mal, dont Zenolote parle ainsy : Herculis morbus, quem & sacrum, & comitialem apellant, ex eorum est morborum numero, quibus nullâ Medicorum ope succurri potest ; & ces autres dont parle si excellemment Ovide.

Non est in Medico semper relevetur ut ager ;
Interdum doctâ plus valet arte malum.
Cernis, ut è molli, &c.

7° Enfin pour répondre à ce qu’on allegue, que les Constitutions des Papes défendent l’étude, & encor plus étroitement l’usage de la Medecine aux Ecclesiastiques ; il faut dire que la défense qu’on leur en fait, n’est point fondée sur ce qu’on prétend qu’elle déroge à leur ministere, mais sur ce que l’on a craint que s’y adonnant avec trop d’attache, ils ne s’appliquassent moins à leurs autres fonctions. D’ailleurs, comme il n’est point de défense si generale qui ne soufre quelquefois son exception, il est certain qu’en plusieurs rencontres, & pour de bonnes raisons, l’interdiction de la Medecine a esté ou suspenduë ou levée tout-à-fait en faveur de quelques Ecclesiastiques, comme il paroist entr’autres par un Arrest du Grand Conseil donné en 1603. en faveur d’un certain Prestre d’Auxerre, contre les Medecins & Chirurgiens de la mesme Ville, par lequel il fut autorisé & maintenu à faire & continuer la fonction de plusieurs opérations de Medecine, (la saignée, la dissection, & l’ustion exceptées,) que ceux de cette Faculté luy vouloient faire entierement interdire. C’est ce que rapporte le Sieur Botterey Avocat au Grand Conseil, dans les Commentaires Latins qu’il a faits sur l’Histoire de son temps, L. 10. au Titre qui porte : Senatusconsultum Prætorianum quo Sacerdoti Medicinam incruentè profiteri permissum.

Il paroist encor que les Souverains Pontifes n’ont pas entendu rendre cette interdiction si rigoureuse & si absoluë, puis qu’ils n’ont pas fait de difficulté d’y déroger eux-mesmes, comme il se justifie tant par l’exemple de Jean XXI. 189e Pape, lequel, au raport du Sieur du Chesne dans son Histoire de la Vie des Papes, s’est non seulement appliqué à l’étude de la Medecine, & en à fait profession, mais qui en a de plus composé plusieurs doctes Livres, entr’autres des Commentaires sur les Oeuvres d’Isaac Medecin, un Trésor de Remedes pour guérir les maladies du Corps humain des Canons de Medecine, & un Traité de la Goute ; que par celuy de Clement V. qui ne reconnoissoit point tant de disproportion entre le Sacerdoce & la Medecine, puis qu’il donna à son Medecin l’Archevesché de Mayence, pour reconnoissance de ce qu’il l’avoit tiré d’une perilleuse maladie, luy disant, au témoignage de Mr de Sponde in continuat. Annal. Baron. An. 308. lors qu’il le revestit de cette éminente Dignité ; qu’il estoit bien juste que celuy qui estoit si bon Medecin des corps, ne fust aussi des ames ; & qu’il esperoit de sa vigilance, que s’il avoit si heureusement réüssy dans la guérison des uns, il réüssiroit encor mieux dans la conduite des autres.

Enfin si l’Antiquité prophane estoit capable de servir de preuve & d’autorité sur cette matiere, on pourroit adjouter, qu’autrefois tous les Prestres d’Egypte estoient Medecins, s’il en faut croire Homere & Platon, qui dit mesme que les estant allé voir, il en fut guéry d’une fâcheuse maladie, s’estant apres quelques remedes qu’ils luy firent prendre, lavé dans la Mer par leurs avis ; à quoy Herodote adjoûte, qu’ils ne guérissoient chacun que d’un seul genre de maladie, ne croyant pas possible qu’un seul Medecin pust suffire à tous universellement, ny sçavoir toutes sortes de remedes.

Germain, de Caën.

[Madrigaux sur les Enigmes du mois d’Octobre, dont les Mots estoient les Yeux & le Pain de Sucre] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 266-276.

Voicy ce que j’ay reçeu de Madrigaux sur les deux Enigmes du mois d’Octobre, dont les Mots estoient les Yeux, & le Pain de Sucre.

I.

Aimables assassins, doux & cruels Vainqueurs,
Que la Nature a faits pour captiver les cœurs,
Qui donnez la mort & la vie ;
Vous dont les éclats prétieux
Font tous les charmes de Sylvie,
Chers Jumeaux, qu’estes-vous, si vous n’estes ses Yeux ?

Rault, de Roüen.

II.

A Dieu le Chocolat, adieu la Marmelade ;
Si le goust en semble trop fade,
Mercure qui peut tout, a bien d’autres douceurs.
Il en a de toutes nouvelles
Pour les Galans & pour les Belles,
Dont il peut confire les cœurs.
Ce Dieu qui fut sujet au lucre,
Est devenu si libéral,
Qu’en quelque lieu que l’on fasse Régal,
Il y veut prodiguer le Sucre.

Le mesme.

III.

Mercure, il faut estre sans Yeux,
Pour ignorer le sens de l’Enigme premiere.
Si le Pain de Sucre est le mot de la derniere,
J’ay deviné toutes les deux.

De la Chaussée le jeune, d’Abbeville.

IV.

En secret je brûlois pour l’aimable Climene,
Ma bouche avoit bien sçeu dissimuler ma peine,
Et cacher de mon cœur les soûpirs amoureux ;
Mille petits momens adoucissoient ma chaîne,
Et me rendoient assez heureux.
Pourquoy l’avez-vous dit, mes Yeux,
Qu’en secret je brûlois pour l’aimable Climene ?

De Clelban, de Normandie.

V.

Pour expliquer en Vers les Enigmes du Mois,
En vain en me rongeant les doigts,
Je me renverse la cervelle.
J’y resve d’une étrange sorte,
J’en ay la teste toute en feu ;
Peut-on rien voir qui s’accorde si peu,
Qu’un Pain de Sucre, & les Yeux d’une Belle ?

F. Fourmy, de Baugé en Normandie.

VI.

Fanchon en nous cachant ses feux,
Prétend passer pour une Prude.
Elle fait tout avec étude,
Mais l’Amour parle par ses Yeux.

L’Albaniste de Roüen.

VII.

Pour rendre à deviner une Enigme impossible,
En vain tu consultes les Dieux ;
Galant Mercure avec tes Yeux
Ton Sucre n’est pas invisible.

De Baq.

VIII.

Mercure en cette Enigme est bien ingénieux,
Il en cache le sens sous une fine toile.
On le voit toutefois au travers de ce voile,
Qui de l’y découvrir n’empesche pas nos Yeux.

Fr. I. Augustin de Cambray.

IX.

Pour deviner le Mot de l’Enigme premiere,
Entendez vous, Philis, le langage des Yeux ?
Vous pourriez réüssir mieux
Dans le sens de la derniere,
Car le Sucre est pour vous un mets délicieux.

L’Amant de l’aimable Manon de la Ruë des Teinturiers d’Abbeville.

X.

Cette Enigme me plaist, je la trouve admirable,
Jamais on ne vit rien de mieux ;
Et ce qui dans le Mot est le plus agreable,
C’est que d’abord il saute aux Yeux.

Daubaine.

XI.

Au trafic du Tabac Mercure peu content
De n’avoir fait sur nous qu’un tres-modique lucre,
On m’a dit que ce Dieu prétend,
Pour se récupérer, vendre aux Dames du Sucre.

Le mesme.

XII.

Que Mercure est délicieux !
Il est doux comme Sucre, & nous prend par les Yeux.

XIII.

Vostre Enigme est belle, Mercure,
Mais un defaut de la Nature
M’empesche de nommer les Yeux ;
Car s’ils estoient toûjours semblables,
Je dirois qu’il est veritable
Que vous entendez parler d’eux.

Le Jay, Avocat à Poitiers.

XIV.

Si tantost en cherchant le sens mystérieux
De l’Enigme du Mois j’ay senty quelque peine ;
Pour l’adoucir, belle Climene,
Un Pain de Sucre entier vaut moins que vos beaux Yeux.

K.R. de Morlaix.

XV.

Pourquoy chercher dans cette Enigme obscure
Le secret du Galant Mercure,
Où vous perdez des momens prétieux ?
Ah ! découvrez plutost un important mystere ;
Il est facile de le faire,
Iris, il est peint dans vos Yeux.

Le Berger infortuné d’Abbeville.

XVI.

Pour estre heureux en amourettes,
Tircis, ne fais pas fond sur de belles fleurettes,
C’est trop peu pour de jeunes cœurs.
Ce Sexe délicat aime les friandises,
Et tes discours sont des sottises,
Si le Sucre n’est point de toutes tes douceurs.

Le mesme.

XVII.

Mercure est dans tous ses mysteres
Sçavant, secret, industrieux ;
Mais pour connoistre ces deux Freres,
Je n’ay qu’à bien ouvrir les Yeux.

L. Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy.

XVIII.

Mercure, je connois l’Enigme trait pour trait,
Les Yeux d’Iris m’ont dit que c’estoit leur Portrait.

Le Silence mesme, de la Croix au Lin.

XIX.

Mercure va souvent chez vous,
On me l’a dit, belle Sylvie ;
Mais sur ma foy je n’en suis pas jaloux,
Non, son bonheur ne me fait point d’envie ;
Il aura comme moy peu de contentement,
S’il vous fait les Yeux doux en Sucre seulement.

Daubaine.

XX.

Cher Mercure, soyez sincere ;
Quelqu’un peut-il expliquer mieux
De vos Enigmes la premiere,
Que moy qui dis, ce sont les Yeux ?

La charmante Iris de Tournay.

XXI.

Si mes Yeux m’ont tray, charmante Célimene,
S’ils vous ont découvert le secret de mon cœur,
C’est qu’ils trouvoient trop de rigueur
Dans cet ordre cruel qui me tient à la gesne ;
Car, dites-moy, comment adorer vos appas,
Sans oser découvrir l’excés de mon martire ?
Si ma bouche n’en parle pas,
Cependant mon cœur en soûpire,
Et vous voyez mes yeux peu sages, peu discrets,
Qui vous ont malgré moy declaré ces secrets,
Que je n’ose plus contredire.

Alcidor, du Havre.

XXII.

Deux Freres, ayant sans se voir
Mesme Logis, mesme pouvoir,
Traîtres de leur Hoste, & sans Langues,
Faisant de tres-vives Harangues,
Si ce ne sont pas les deux Yeux,
Mercure, instruisez-nous en mieux.

L’ancien Curé & Doyen d’Encre à Amiens.

XXIII.

Depuis longtemps je te connoy,
Mercure, à d’autres je te prie.
Quand on a des Yeux comme moy,
Dessous le Sucre on voit ta tromperie.

Le Poëte nouveau-né.

[Ouverture du Secret de l’Ecriture & de la Langue Universelle, inventée par Monsieur de Vienne-Plancy] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 276-330.

Je sçay, Madame, que vous attendez avec grande impatience l’ouverture du Secret de l’Ecriture & de la Langue universelle que Mr de Vienne-Plancy a inventées. Voicy ce qu’il m’a fait la grace de m’en écrire.

A FAU-CLERANTON
le 15. Decembre 1681.

Avoüez, Monsieur, que c’est un des grands fleaux de l’Empire des Lettres, que le nombre effroyable d’Autheurs qui ne font que copier, ce que d’autres ont écrit, & que si l’on retranchoit des Livres les repetitions qu’on y trouve, il n’y a point de si grandes Bibliotheques qui ne fussent reduites à l’étenduë d’un mediocre Cabinet. Quel bon heur, & quelle épargne de temps ce seroit pour les Studieux ! Mais quoy, un homme conçoit une idée nouvelle, ou qu’il croit l’estre ; il l’expliqueroit aisément dans une page, dans une feüille, ou dans un cahier de papier ; & au lieu de cela, il en fait un gros Volume, parce que cherchant aussi-tost dans les Autheurs Anciens & dans les Modernes tout ce qui regarde sa pensée, & tout ce qui en approche, il l’extrait & le veut rapporter avec elle, ou pour la grossir, ou pour luy donner du lustre. Quelle necessité ! quelle manie ! quelle vanité ! Cet abus neanmoins a esté excusable en quelque façon par le passé, d’autant que les feüilles volantes sont sujettes à estre bien-tost perduës, que les Livres durent davantage, & qu’il ne s’y en imprimoit point où il fust libre à toutes sortes de personnes de mettre ce qui leur entroit de remarquable dans l’esprit, chacun travaillant pour soy ; mais présentement, Monsieur, que vous avez conçeu le noble dessein d’estre utile à tout le monde, & de publier par vos Mercures, toutes les découvertes qu’on voudra vous confier, soit qu’elles regardent les Arts, soit les Sciences, soit la Galanterie, il n’y a plus d’excuse pour l’abus dont j’ay parlé, & tous ceux qui s’aviseront desormais de composer de grands Volumes, où il ne leur appartiendra qu’un petit nombre de pages, meriteront d’estre censurez par les Critiques, traitez comme la Corneille d’Esope, & exclus pour jamais des Biblioteques. Prévenu de ce raisonnement qui me paroist assez juste, j’ay mis en lumiere par vostre entremise le Secret de Triteme & de Ventura, sur le déguisement du Sens parfait, dont un autre n’auroit pas manqué de faire un grand Livre, en rapportant toutes les manieres d’écrire en Chiffres qui se trouvent chez tous les Autheurs, comme moins fines, moins ingenieuses, & moins divertissantes que celle-là ; & je vais encore divulguer par vostre moyen le Secret de l’Ecriture Universelle, & de la Langue qui en resulte, dont j’ay proposé les avantages dans vostre quatorziéme Extraordinaire, sans entreprendre comme un autre auroit encore fait, d’en composer deux ou trois Tomes, en y meslant ce qu’on a déja dit des Ecritures & des Langues particulieres, ou imaginé d’approchant de ces generales ; & en y repetant dans toute leur étenduë mille instructions, qui n’ont que trop souvent esté expliquées & rebatuës.

Pour commencer donc l’ouverture de mon Secret, sur lequel se vois que nos beaux Esprits sont demeurez muets, puis qu’il ne s’y en trouve rien dans vostre quinziéme Extraordinaire ; vous sçaurez, Monsieur, que les Caracteres de l’Ecriture que je juge tres-propre à estre renduë universelle, Caracteres que j’ay dit n’estre difficiles à figurer, à reconnoistre, ny à retenir, sont ces caracteres dont le nombre se peut pousser sans confusion & sans peine, si loin que l’on veut ; dont l’usage est si commun parmy nous, que nous les employons dans nos comptes, à la datte de toutes nos Lettres, & dans toutes les pages de nos Livres ; & qui ont cours parmy tant de Nations, qu’on peut dire que leur connoissance est déja universelle. Lors que j’en conceus la premiere idée, & que j’en fis confidence à mon Amy, il s’étonna aussi bien que moy, que personne n’eust encore pensé à un moyen si familier d’exprimer toutes sortes d’Ecritures ; & nous jugeames l’un & l’autre, qu’il en estoit de ce Secret, comme de certaines choses qu’on cherche, qu’on ne void pas, & qui ne laissent pas, pour ainsi dire, de crever les yeux. Vous connoissez bien, Monsieur, que j’entends parler des Chiffres Arabiques. Et en effet ne sont-ils pas aisez à figurer, veu la simplicité de leurs traits, & veu leur petit nombre qui ne va originairement que jusqu’à dix ? Ne sont ils pas aisez à reconnoître, par la diversité de ces mesmes traits, & par la médiocrité de ce mesme nombre ? & le rang exact & reglé qu’elles gardent dans leurs mélanges ou combinaisons ne les rend-il pas si faciles à démeler & à retenir, qu’on trouve toûjours en un moment celuy qu’on cherche ; & qu’on ne peut, sans estre étourdy, prendre l’un pour l’autre ? Je viens de dire que la connoissance en estoit déja comme universelle ; & il n’y a pas lieu d’en douter. Les Arabes à qui nous en devons l’invention, ont esté les Maistres du Monde, pendant cinq cens ans qu’ils ont dominé depuis les Indes jusqu’en Espagne ; leur langue se parle encore aujourd’huy dans la plus grande partie de la Terre ; & toutes les Nations ont eu commerce avec eux pour la Medecine, pour l’Astrologie, & pour les autres Sciences ; & l’y ont encore pour l’Encens, pour le Baume & pour d’autres prétieuses marchandises. Ainsi leurs Chiffres ont esté reçeus par tous les Peuples qui ont reconnu leur domination, ou qui ont sçeu leur langue, ou qui ont frequenté leurs Ports, ou chez qui ils ont frequenté eux-mesmes ; & tout le monde a pris plaisir à les mettre en usage & en vogue, pour les facilitez qu’on y a trouvées, & que j’ay déduites. Rien donc n’est plus general que cette sorte de Chiffres, & c’est une grande avance pour l’Ecriture universelle. On compte soixante mille Caracteres dans celle de la Chine, au raport des Peres Gonzales de Mandore, & Alvarez Semedo, & soixante & quatorze mille suivant le Pere Grueber ; & toutes les Relations que nous avons de ce païs-là, conviennent que la formation de ces Caracteres, leur démeslement, leur connoissance, & leur souvenir, sont si penibles, que la vie ordinaire est presques trop courte pour un Art si long. Si cette Nation n’estoit pas la plus fiere de la terre, elle quitteroit sans doute ces caracteres embarassans, pour se servit des Chiffres Arabiques ; comme elle a veritablement beaucoup d’esprit & d’adresse naturelle, quelques heures luy suffiroient pour s’en instruire & pour apprendre à les former ; & elle s’épargneroit par là de grandes pertes de temps & de longues peines. Mais elle ne donne qu’un œil aux Occidentaux, & s’en attribuë deux. Il y a peu d’apparence qu’elle se soûmette jamais à cette innovation, quelque utilité qu’elle en pust retirer. Les Esprits vains ne veulent rien devoir à personne ; & tout ce qui est étranger trouve peu d’accés à la Chine, si ce n’est par force, comme les Tartares. L’humeur dont je suis est opposée à la Chinoise ; & je veux bien avoüer que comme les caracteres de ces Peuples ont donné occasion à la recherche que j’ay faite, d’autres caracteres plus propres que les leurs à exprimer toutes choses avec facilité, avec ordre, avec distinction, leur langue aussi m’a guidé dans l’employ de ces caracteres, pour en former mon Ecriture. Nos Relations marquent que cette langue a peu de paroles. Semedo dit 326. & Gruber 400. que les noms en sont indéclinables ; que les verbes ne se mettent qu’à l’infinitif & que toute sa force consiste dans la diversité des tons de la voix, de ses inflections, de ses aspirations, de ses accens, & de ses autres changemens, par le moyen dequoy elle prononce une mesme parole de plusieurs façons, dont chacune a une signification differente. Ainsi ya signifie Dieu, étonnement, Oyson, excellent ou muet, suivant la maniere dont il est prononcé. Ciu’ signifie de mesme Monsieur, pied d’escabelle, pourceau, ou cuisine ; & ne signifie rien s’il est prononcé simplement, comme nous le prononcerions. J’ay donc imité cette Langue dans la conduite de mon Ecriture. Je ne me sers que de peu de mots, ou pour mieux dire, de peu de nombre, bien que j’aye le champ libre pour en employer sans confusion tant qu’il me plaist. J’en rends tous les noms indéclinables ; je n’y mets les verbes qu’à l’infinitif ; & je fais consister toute sa force dans de certains signes, que je joints à ces nombres, par où je leur donne aussi diverses sortes de significations, avec celles qui leur sont necessaires pour une parfaite construction. La suite expliquera clairement ce que je dis icy en abregé ; & vous ne desaprouverez pas Mr s’il vous plaist qu’avant que d’en venir là, je donne quelques principes de Grammaire, mais de Grammaire Universelle, tels que je juge devoir estre ceux d’une Ecriture & d’une Langue qui seroient propres au commerce de toutes les Nations.

ABREGÉ D’UNE GRAMMAIRE UNIVERSELLE.

PREMIERE PARTIE.

Les lettres qui sont les fondemens de toutes sortes de Grammaires, & les sons les plus simples de la voix humaine, s’expriment par la Parole, ou par l’Ecriture, & forment les sillabes ; les sillabes composent les mots, & les mots font le discours ; & comme les mots peuvent estre diférens en leur prononciation, & en leur signification, & estre figurez par des caracteres divers en leur structure & en leur situation, de là naist la diversité des Langues & celle des Ecritures.

On divise les lettres en voyelles & en consones ; & la pluspart des Nations expriment differemment les unes & les autres. On ne peut mieux appeller les voyelles que nous les appellons ; à l’exemple des Latins, lors que nous les nommons simplement a, e, i, o, u. Ce qui est beaucoup mieux que de les appeller Alpha, Epsilon, Iota, &c. comme font les Grecs, puis que nous imitons en cela la Nature qui rejette le superflu, & qu’une impression sans mélange est toûjours plus forte, plus juste, plus claire, & enfin plus propre à retenir.

Si les voyelles se peuvent prononcer toutes seules, il n’en est pas de mesme des consones ; elles demandent compagnie ; mais il seroit à souhaiter pour les raisons que je viens de dire, que nostre Langue leur en donnast moins qu’elle ne fait, & sur tout aux consones f, l, m, n, r, s, h, z, ausquelles nostre prononciation joint quatre ou cinq autres lettres, comme les Hebreux & les Grecs, d’une maniere tout-à-fait sur-abondante. Je sçay bien qu’on peut répondre que nous apprenons par là à prononcer doublement les six premieres de ces consones, & comme si elles estoient à la fin d’une sillabe, & au commencement d’une autre ; en disant par exemple ef, fe, el, le, em, me, &c. mais il suffiroit qu’elles se prononçassent de la seconde maniere, & qu’on dist seulement fe, he, le, me, ne, &c. avec l’e feminin ou François que les Hebreux nomment sceva ou scheva, sinon avec l’é masle ou Latin, comme nous disons , , , &c. supposé qu’on trouve trop foible l’union de l’e feminin. Et c’est aussi de l’une ou de l’autre maniere, dont je juge qu’il faut appeller & écrire l’Alphabet de la Grammaire Universelle, pour les raisons que j’ay dites dans l’article precedent.

La simplicité de la prononciation des lettres, nous est encore suggerée par la simplicité des caracteres dont on les figure. Chaque lettre a le sien, soit voyelle, soit consone, excepté parmy les Hebreux, où l’on donne l’exclusion aux voyelles, en ne les marquant que par des points, mais le nombre des caracteres n’est pas égal parmy les Nations, elles l’augmentent autant qu’il leur plaist, & cela arrive par des unions de lettres que chacun fait à sa fantaisie : ainsi la nôtre associe c, & s, dans son caractere x ; e, & t, dans son caractere &. Les Grecs joignant aussi p, & s, dans un mesme ; les Hebreux t & s, s & c, & l’une & l’autre langue c & h, p & h ; derniere union que nous pouvons exprimer par nostre f ; ces unions sont utiles, & il seroit à souhaitter que Messieurs de l’Académie augmentassent les nostres pour marquer diversement les prononciations differentes des mesmes lettres, telles que sont celles des deux l, dans ces mots fille, famille, grille, &c. & dans ceux-cy mille, ville, tranquille, &c. & autres semblables. Il est donc permis à la Grammaire Universelle d’alonger son Alphabet par des associations de lettres, puis que cette augmentation peut ôter les équivoques de la prononciation, & abrege d’ailleurs l’écriture.

L’abus de prononcer d’une façon, & d’écrire d’une autre, est si grand, qu’on juge bien qu’il doit estre extrémement retranché de cette Grammaire ; & Messieurs de l’Académie ne manqueront pas de reformer nostre ortographe qui nous fait écrire faim, parfum, affection, dixiéme, raison, sentiment, fer, assigner, fol, Paon, &c. tandis que nostre Langue nous fait prononcer fain, parfun, affecsion, diziéme, raizon, santimant, fair, assiner, fou, Pan, &c. L’Ecriture & la prononciation se devant accorder comme deux cordes à l’unisson, puis qu’elles n’aboutissent qu’à une mesme fin, qui est l’harmonieuse intelligence ; & il y a longtemps que les Etrangers, qui sont curieux d’apprendre nostre Langue, attendent de nos Maistres cette grace, ou pour mieux dire, cette justice.

Ce seroit renfermer la Grammaire Universelle dans des bornes tres-étroites, que d’en réduire tous les mots à ceux d’une seule sillabe, & de ne leur donner que deux terminaisons diférentes de consones, outre celles des voyelles ; deux singularitez remarquables de la Langue de la Chine. La Nature se plaist dans la varieté, & cette Grammaire doit imiter la Nature. Ainsi elle doit avoir des mots de diverses mesures, & de toutes sortes de terminaisons, & éviter pourtant toutes les prononciations rudes & épineuses, afin que sa facilité & sa douceur servent d’attraits pour s’en instruire.

Je ne serois pas d’avis qu’on prononçast ces mots à la façon de nos Voisins du costé du Rhin, qui changent presque de ton à chaque sillabe. Il faut laisser à l’Opéra la Musique & tout ce qui en approche. Si c’est un ordre naturel d’écrire comme on parle, on doit aussi parler comme on écrit ; & ne voit-on pas qu’on écrit droit, uniment, sur une mesme ligne ? Il faut donc parler sur un mesme ton, sauf à le changer pour la grace, deux ou trois fois dans un long discours, à l’exemple de nos Prédicateurs.

La plûpart des Ecritures sont composées de lignes droites, de courbes, & de circulaires, que forment au moins vingt-quatre caracteres diférens, qu’on lie l’un à l’autre par de petits traits. Sur quoy je dis que ces traits ne sont en aucune façon necessaires, puis que nos Livres imprimez s’en passent bien, & n’en sont pas moins lisibles ; qu’en vain l’on employe vingt-quatre caracteres, si neuf peuvent suffire, & que les lignes droites estant beaucoup plus aisées à tracer que les autres, il seroit à souhaiter que pour avoir plutost appris à écrire, on ne se servist que de ces lignes pour former sans traits de liaison ce petit nombre de caracteres. Je m’étonne que les Arabes qui ont toûjours esté si fins & si subtils en toutes choses, n’ayent pas employé ces simples & faciles figures pour marquer leurs Chiffres, au lieu de celles qu’ils nous ont données, dont la forme n’est pas si aisée à imiter. Le trait droit 1. qu’ils ont choisi pour leur premier. Chiffre, devoit bien, ce me semble, les conduire à cette idée. Ce trait avoit gardé son rang, comme la source des autres ; & le quarré auroit demeuré pour la derniere, comme leur fin ou leur but. Mais quel moyen de reformer ce qui a cours par toute la Terre ? On y travailleroit en vain. Il faut donc qu’à cet égard la Grammaire Universelle se tienne à ce qui est fait, & se soûmette à la peine de former pour son Ecriture les Caracteres Arabiques, tels qu’ils sont, & que les voicy, 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 0.

SECONDE PARTIE.

Les mots vont, pour ainsi dire, jusqu’à l’infiny ; neantmoins il n’y en a que de neuf sortes, qu’on nomme vulgairement les parties de l’Oraison ou du Discours. Quatre ne changent jamais de terminaison ; on sçait que ce sont, la conjonction, la préposition, l’interjection, & l’adverbe ; & les cinq autres en changent, qu’on appelle l’article, le nom, le pronom, le participe, & le verbe. Quoy que la Langue Hébraïque & la Latine ne mettent pas l’article parmy les parties du Discours, la Latine ne laisse pas de s’en servir pour marquer le genre des noms ; & l’Hébraïque ; pour exprimer la variation de leurs cas. Mais la Langue Françoise, & ses voisines l’Italienne & l’Espagnole, qui l’employent à l’un & à l’autre usage, le placent entre les parties que j’ay nommées ; & la Langue Grecque oste mesme l’interjection de leur nombre, pour l’y mettre, & n’en compter que huit, comme l’Hébraïque. La Grammaire Universelle qui se doit accommoder à toutes les Langues, s’attribuëra toutes ces parties, & mettra l’article en usage avec celles qui s’en servent, sans en embarasser pourtant celles qui ne s’en servent pas.

Le nom, le pronom, & le participe, varient ou changent leurs terminaisons par trois sortes de moyens, qu’on appelle nombre, genre, & cas ; & déduire ces changemens par ordre, c’est ce qu’on nomme décliner. Le verbe varie aussi par l’un de ces moyens, c’est par le nombre, & encore par d’autres qui se diront bientost.

Le nom est ainsi commun au nom & au verbe, & est singulier, ou pluriel. Toutefois les Grecs qui sont délicats, ne veulent pas que deux passent pour plusieurs ; & comptent trois nombres, tant dans leurs verbes que dans leurs noms. Le singulier qui ne parle que d’un, le duel qui parle de deux, & le pluriel qui parle de trois & au dela. On trouve aussi un duel dans la Langue Hébraïque, mais ce n’est que pour les noms des parties que la Nature a faites doubles, comme pour les yeux, pour les oreilles, pour les bras, &c. La Grammaire Universelle n’entrera point en contestation sur la Question si deux font un tiers party entre un & plusieurs, mais elle confondra en un le duel & le pluriel, & en fera un nombre commun, afin d’abreger, puis que leur distinction est peu considérable ; & suivant l’usage de toutes les Langues, elle terminera le pluriel diféremment du singulier.

Le genre est naturellement masculin, feminin, ou neutre, puis que toutes choses sont masle, comme Homme, Lion, &c. ou femelle, comme Femme, Lionne, &c. ou ne sont ny masle ny femelle, comme Ciel, Terre, Trône, Couronne, Ville, Village, &c. Neantmoins quelques Langues comme la nostre & ses voisines, n’ont que deux genres ; le masculin, qui se marque par l’article définy le, ou par l’article indéfiny un ; & le feminin, qui s’exprime par les articles la, ou une. Ainsi nous disons le Royaume & la Royauté, un Trône & une Couronne, de mesme que nous disons le Lion & une Lionne, bien que Royaume & Trône ne soient non plus masles, que Royauté & Couronne femelles. La Grammaire Universelle qui doit toûjours suivre l’ordre le plus naturel, puis que la Nature est sa regle, employera les trois genres, & assignera le masculin à tout ce qui est masle, & à tous les noms qui le représentent, comme à ceux de Roy, de Seigneur, de Pere, &c. & mesme aux Esprits, comme à Dieu, aux Anges, aux Chérubins, aux Dominations, aux Puissances, &c. Elle attribuëra le feminin à tout ce qui est femelle, & à tous les noms qui luy conviennent, comme à ceux de Revue, de Dame, de Mere, &c. & mettra au neutre tout ce qui n’est masle, femelle, ny esprit, par nature, ny par raport ; mais le genre neutre sera encor genre commun, ou pour le mieux nommer, genre libre, c’est à dire, masculin ou feminin, au choix du Parleur & de l’Ecrivain & à celuy de l’Interprete, afin que chaque Nation puisse garder son propre usage, & trouve que tout y quadre, sans contrevenir aux regles de cette Grammaire. Par cette raison, tous les noms équivoques qui représentent tout ce qui est masle, femelle, esprit, & tout ce qui ne l’est pas, comme les estres, les creatures, & autres noms semblables, seront de ce genre libre.

Le cas est ce qui fait la principale variation des noms dans les Langues qui n’employent point l’article à le marquer. Il est de six sortes, & l’on tire le nombre des diférentes manieres dont le verbe peut influer sur le nom. On sçait qu’ils sont appellez nominatif, genitif, datif, accusatif, vocatif, & ablatif. Neanmoins la plûpart des Langues ne les expriment pas tous diversement ; l’Hébraïque & la Françoise n’ont que quatre articles pour les distinguer ; & la Langue Latine mesme qui varie pour cela, la terminaison de ses noms finit souvent le datif comme le genitif, l’ablatif comme le datif, & presque toûjours le vocatif comme le nominatif. La Langue Greque retranche absolument l’ablatif, & en use presque dans tout le reste de mesme que de la Latine. Mais la Grammaire Universelle doit exprimer diversement tous ces cas, puis que leur employ est diférend ; & pour satisfaire les Grecs, l’ablatif sera un second genitif pour luy. Neantmoins pour abreger, elle pourroit rendre commun le vocatif avec le nominatif, comme le cas le plus facile à connoistre à la seule prononciation, & dans l’Ecriture à l’impératif qui l’accompagne presque toûjours, & par conséquent le moins necessaire à distinguer.

Le nom est de deux sortes. Le substantif, qui rend un sens intelligible, estant employé avec en verbe ; & l’adjectif, qui a besoin d’estre joint ou adjoint au substantif, ou sous-entendu avec luy, pour produire un semblable effet.

Le substantif est absolu ou relatif. L’absolu qu’on nomme aussi primitif, est ou esprit, comme Dieu, Ange, &c. ou masle ou femelle, comme Homme, Femme, Lion, Lionne, &c. ou matiere naturelle, comme Ciel, Terre, pierre, &c. ou matiere artificielle, comme Trône, Couronne, Ville, Village, &c. ou forme accidentelle, comme grandeur, generosité, sagesse, &c. Le substantif relatif dérive du verbe, ou n’en dérive pas, & est toûjours antécedent ou subséquent. L’antécedent qui dérive du verbe, est comme Createur ; & le subséquent, comme Creature. L’antécedent qui n’en dérive pas, est comme Reyne, Pere, Mere, &c. & le subséquent comme Sujet, Sujette, Fils, Fille, &c. L’antécedent qui dérive du verbe, a son subséquent direct ou indirect. Le direct est comme Creature à l’égard du Createur ; & l’indirect est comme Donataire à l’égard de Donateur.

Je croy qu’on dispensera volontiers la, Grammaire Universelle de rapporter tous les noms particuliers des Hommes, & ceux de leurs Villes, de leurs Villages, & de leurs autres habitations ; outre que ce détail est inutile, il ne se trouve en aucun Dictionnaire, & il en faudroit plus de cent comme celuy de la Chine pour y fournir. Il suffira donc qu’elle rapporte les principaux de chaque Nation. Quant aux noms des nombres, elle les exprimera aisément, quoy qu’ils aillent presque à l’infiny, parce qu’ils sont tous composez les uns des autres, les dix premiers exceptez.

L’adjectif se divise diversement comme le substantif. Il y a l’adjectif du nom, & celuy du verbe. Le premier vient de la personne ou de la chose. Celuy qui vient de la personne est comme Royal, paternel, maternel, &c. Celuy qui vient de la chose est comme celeste, terrestre, leger, &c. L’adjectif qui vient du verbe est comme adorable, faisable, redoutable, qui signifient ce qui est digne d’estre adoré ; ce qui est possible à faire, & ce qu’on doit redouter. Trois degrez de comparaison suivent encore la nature de l’adjectif, comme quand on dit par exemple, en parlant de nostre auguste Monarque, il est aussi grand qu’Alexandre, il est plus grand qu’Aléxandre, c’est le plus grand des Roys. Ces trois degrez de comparaison font donner à l’adjectif les noms de positif, de comparatif, & de superlatif. Le premier marque l’égalité, en bien ou en mal ; le second éleve ou abaisse ; & le troisiéme porte la comparaison au plus haut point de loüange ou de blâme. Dans nostre Langue & dans ses voisines, la diférence de ces degrez ne change point les adjectifs, on ne fait que leur joindre quelques adverbes ; mais il n’en est pas de mesme de la Latine, ses expressions du comparatif & du superlatif, sont plus courts que les nostres, & son exemple est à suivre à cet égard ; neantmoins pour fournir à l’abondance & à la facilité, la Grammaire Universelle doit aussi donner le moyen d’exprimer ces deux degrez de comparaison à nostre maniere. Au reste, les divisions que je viens de rapporter, tant des substantifs que des adjectifs, sont trop justes & trop claires pour n’estre pas agreées d’elle.

Les pronoms sont des especes d’adjectifs qui se mettent en la place des noms devant les verbes, & qui en marquent les personnes ; & comme il y a trois sortes de personnes, qu’on appelle simplement la premiere personne, la seconde, & la troisiéme, il y a trois sortes de pronoms, je ou moy, tu ou toy, & il, elle, ou luy, celuy-cy, celuy-là, &c. La Grammaire Universelle doit mettre les pronoms au genre libre, afin qu’on les puisse accorder en genre avec tous les estres ausquels on les joindra ; ce privilege ne pouvant aboutir qu’à la perfection des expressions, & à une plus parfaite intelligence.

Les participes sont des adjectifs qui dérivent des verbes, comme ceux que j’ay déja rapportez ; mais ceux-là ne désignent point de temps, & ceux-cy en marquent, comme on le connoist par les exemples aymant, aymé, qui aymera, où l’on trouve le temps present, le passé & l’avenir. À la verité ils ne tiennent pas tant de la nature & de la simplicité des adjectifs dans nostre langue que dans les autres ; mais quand l’usage general ne prévaudroit pas, la briéveté & la commodité de leurs expressions le devroit emporter sur nous. Les adjectifs sont de tout genre en toutes sortes de langues ; il en sera donc de mesme des participes.

J’ay dit que le verbe estoit susceptible de changement, par le nombre. Il l’est encore par les personnes, dont il exprime les actions ou les passions ; par les temps, ausquels ces actions & ces passions se font, ont esté faites ou se feront ; & par les meuds, modes ou moyens, qui sont les manieres dont elles arrivent. Déduire ces changemens par ordre, c’est ce qu’on appelle conjuguer.

La langue Hebraïque a dans ses verbes, deux nombres, trois personnes & trois temps, de mesme que toutes les autres langues ; mais elle commence à conjuguer par la troisiéme personne, & par le temps passé, au lieu que les autres commencent par la premiere personne & par le temps present. De plus elle n’a que trois modes, l’indicatif, l’imperatif & l’infinitif, au lieu que les autres ont encore l’optatif & le subjonctif. Neantmoins elle enferme dans les trois ce que les autres étendent dans les cinq ; & ce qui luy est encore bien particulier, c’est que ses verbes sont susceptibles de genres, comme ses noms. De sorte que l’on apprend souvent de quel genre est le nom, par sa jonction & par son accord avec le verbe. La Grammaire Universelle devant suivre l’usage le plus general, pour avoir moins de peine à se faire recevoir des Nations, commencera à conjuguer comme la langue Greque, la Latine, la Françoise & ses voisines, par la premiere personne & par le temps present ; & employera les cinq modes avec toutes les differences de temps, qui sont marquées plus amplement par la langue Greque & par la nôtre, que par la Latine. Mais comme elle doit suivre aussi la construction la plus exacte & la plus parfaite, elle donnera des genres aux verbes, comme la langue Hebraïque.

Le verbe est de plusieurs sortes aussi bien que le nom ; il est substantif, comme estre ou exister ; actif comme aymer, & passif comme estre aymé. Les langues en ont d’autres encore, mais ce sont plutost des effets de leur caprice, que de la necessité ; ils se peuvent tous reduire sous ces trois chefs. La Grammaire Universelle pourroit pourtant leur en ajoûter une quatriéme sorte assez à propos ; c’est ceux ausquels on joint volontairement un pronom personnel pour la construction, comme se regarder, s’estimer, s’élever, &c. qui ont aprés cela de certains temps communs avec le verbe actif, & d’autres communs avec le passif. Et la raison est qu’elle abbregeroit par ce moyen les repétitions importunes des pronoms, comme je me regarde, tu te regarde, nous nous regardons, je me suis regardé, vous estes regardez, &c. Ces repétitions ne pouvant estre que desagreables dans une Ecriture Universelle, où tout se doit exprimer par les voyes les plus courtes, pourveu qu’elles soient les plus claires. Et ce verbe se pourroit appeller verbe meslé, à cause des deux conjuguaisons actif & passif, dont il tiendroit.

Voila en gros ce que je pense de la nature de tout ce qui se décline, & de tout ce qui se conjugue. Je l’ay rapporté à cause des deux moyens d’écriture & de langue universelles que j’ay conceus. Tout cela peut estre utile à l’un d’eux ; mais à l’égard de l’autre qui est le plus court, il n’y aura à décliner que l’article, & à conjuguer que le verbe substantif pour toutes les variations des verbes & des noms ; ce qui est d’une merveilleuse abréviation.

DERNIERE PARTIE.

Chaque langue arrange differemment les parties du discours & fait son élegance de cette diversité qu’elle appelle son stile ; mais l’élegance de la langue universelle ne doit consister que dans sa netteté & dans sa clarté ; & pour y venir, elle doit suivre ce qui est le plus naturel. La langue Hebraïque, la nostre, & nos voisines, approchent le plus de cette perfection. Elles mettent le nominatif devant le verbe ; & ce qui régit avant ce qui est régy. Au commencement Dieu créa le Ciel & la Terre, dit l’Hebreu dans son Stile, qui est le nostre, & celuy de la Nature, puis que la cause y est placée devant l’effet. La langue Latine renverse cette construction de diverses façons & sacrifie d’ordinaire l’ordre du bon sens à la cadence des paroles. Ce n’est pas que la Françoise ne mette quelquefois le nominatif aprés le verbe, & toûjours le pronom devant, quoy qu’il en soit régy ; puis que nous disons, les Braves qu’estime le Roy, Dieu nous ayme, &c. Mais ces constructions ne sont pas à imiter dans la langue universelle, il faut dire que le Roy estime, & Dieu ayme nous ; bien que cette derniere construction soit Allemande dans nostre usage, il suffit qu’elle soit plus naturelle que la précedente.

C’est encore une regle à garder, que l’adjectif ne soit pas éloigné du substantif auquel il se rapporte, puis que sa nature est d’estre adjoint, comme son nom le marque. On laissera neantmoins la liberté de le placer devant ou aprés, suivant l’usage de chaque langue, veû le peu de consequence de sa situation, à moins qu’il n’y ait un verbe entre-d’eux ; parce qu’alors il doit estre aprés, comme en ces mots, le Roy est grand, la Reyne est vertueuse, &c.

Les adverbes seront aussi toûjours mis proches des verbes, & les propositions avant eux & avant les noms, puis que c’est la nature des uns & des autres.

Enfin il faudra éviter tous les renversemens de constructions & toutes les transpositions, comme autant de desordres, & ne chercher que la simplicité.

Quant au regime de cette Grammaire, il doit comme l’arrangement, estre conforme aux regles naturelles, & n’en avoir que de generales, afin que son stile soit égal par tout, & que la diversité n’empesche pas l’intelligence. Ainsi le regime du nom adjectif avec le substantif sera tel que dans les autres langues, où ils s’accordent en tout ; & il en sera de mesme du regime du nominatif avec le verbe, sans avoir égard au 30a Troki des Grecs, ny à cette façon de parler de nostre langue, une infinité d’animaux courrent. Les deux substantifs qui signifient une mesme chose, & qui sont mis sans conjonction ou avec conjonction, s’accorderont encore de la mesme sorte ; & l’on dira le Roy Louis, la Reyne Therese, & le Roy & la Reyne, &c. Mais s’ils signifient des choses diverses, & qu’ils se rencontrent sans conjonction, le second dans l’ordre de la construction naturelle sera mis au genitif, & l’on dira le Royaume & France, la Ville de Paris, &c. sans avoir égard à l’urbs Roma des Latins. S’ils sont mis au nominatif singulier & avec conjonction, & qu’ils regissent un verbe aprés eux, il faut faire prendre le pluriel au verbe, & à l’adjectif qui les suivra ; & l’on dira le Roy & la Reyne se promenent, sont admirables, &c. Et parce qu’entre les personnes, la premiere passe pour la plus noble & la seconde aprés elle, le verbe s’accordera toûjours au pluriel avec la plus noble, & l’on dira moy & toy joüons, toy & luy joüez, &c.

Les marques des degrez de comparaison dont on use dans nostre langue, & dans ses voisines, s’exprimeront par des conjonctions qui se mettront entre l’adjectif & le substantif, & qui les accorderont du moins en cas ; mais lors qu’on se servira des adjectifs variez à la maniere des Latins, on employera le substantif à l’ablatif ou au datif aprés le comparatif, & au genitif aprés le superlatif.

Les prépositions qui se mettent devant les noms ou devant les pronoms, en excluront toûjours l’article & le porteront avec elles ; & l’on reputera par ce moyen ces noms & ces pronoms en quel cas on voudra, chacun selon l’usage de sa langue, ce qui fera éviter la contrainte du regime. Pour les prépositions qui se placent devant les verbes, elles suivront la nature des modes ; celles de souhait se mettront avec l’optatif, & celles de supposition avec le subjonctif.

Le verbe substantif régira le nom au genitif, l’actif le régira à l’accusatif, & le passif le régira avec une préposition, ce que feront aussi les verbes mêlez ; & ceux qui marquent le mouvement local, le repos & la mesure des lieux ou des temps. Les verbes qui auront deux régimes, l’un direct, & l’autre indirect, comme montrer le chemin aux Soldats, estre condamné par le Juge à la mort, &c. régiront le direct qui doit estre toûjours le premier dans l’ordre de la construction naturelle, de la maniere que je viens de dire, & mettront le second ou l’indirect au datif.

Lors que deux verbes seront ensemble sans conjonction, le dernier sera mis à l’infinitif suivant le grand usage ; & quand la particule que se trouvera entre-d’eux, comme il arrive souvent dans nostre langue & dans ses voisines, la Grammaire Universelle qui doit pourvoir à tout, donnera le moyen de l’exprimer, sans rien changer à la phrase.

Enfin on suivra en toutes choses la construction la plus naturelle & la plus simple, dans l’expression & dans l’explication ; & la pratique suppléra avec le principe, au deffaut des autres regles qu’il seroit trop long de rapporter icy toutes. Voila les principales, & les fondemens les plus exacts & les plus plausibles, ce me semble, de la Grammaire Universelle.

Je dois aprés cela venir au détail de l’Ecriture & de la langue qui en resulte ; & expliquer en premier lieu, l’employ des Chifres Arabiques pour l’expression de toutes choses, avec une parfaite construction ; mais comme vos Livres, Monsieur, sont des Parterres embellis de toutes sortes de fleurs, il ne seroit pas juste de n’accorder qu’à une seule, la place qui est destinée à plusieurs. Agréez donc que je remette à vostre Extraordinaire du 15. d’Avril prochain, la suite de mes Eclaircissemens, & continuez-moy la grace de me croire vostre tres, &c.

De Vienne-Plancy.

Si on peut aimer sans le sçavoir §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 331-332.

SI ON PEUT AIMER
sans le sçavoir.

S’il est vray que l’Amour par de funestes charmes
Cause tant de langueurs, de soûpirs, & de larmes,
Exerce sur les cœurs un absolu pouvoir,
Peut-on aimer sans le sçavoir ?
Ouy, mais me direz-vous, combien voit-on de Belles,
Dont les tendres regards & les douceurs mortelles
Blessent si délicatement,
Qu’on croit n’estre qu’Amy, lors qu’on devient Amant ?
Non, l’amour dans un cœur fait toûjours du ravage,
On a beau résister, il met tout au pillage,
Il nous ravit la liberté,
Le repos, la tranquilité,
Et d’un Indiférent les biens, doux & paisibles,
Pour nous flater d’un foible espoir ;
Et ces pertes sont trop sensibles,
Pour ne pas s’en appercevoir.

Bardou, de Poitiers.

[Réponse de la Belle Guillot du Quartier de S. Hilaire de Poitiers] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 332-333.

Si une Belle qui aime fortement, peut exécuter les desseins de vangeance qu’elle médite contre un Amant absent qui l’a oubliée, quand à son retour il apporte des raisons, quoy que méchantes, pour exécuter sa conduite.

Un cœur tendre n’est point capable
De se vanger d’une infidélité ;
C’est en vain qu’on voudroit paroistre redoutable,
Quand on a de l’amour, on n’a plus de fierté.
Une funeste expérience
M’apprend qu’on ne sçauroit maltraiter un Berger,
Quand une fois il peut nous engager ;
J’aimois Tircis dans sa constance,
Je l’aime encor, quoy que léger.

La Belle Guillot, du Quartier de S. Hilaire de Poitiers.

[Réponse de M. Girardot de Moulins, à la Question, En quoy consiste la veritable Sagesse] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 333.

En quoy consiste la veritable Sagesse.

Celuy-là qui croit dans le monde
Trouver la Sagesse profonde,
Se trompe fort assurément.
C’est bien plus haut qu’elle réside,
Et je tiens qu’elle ne préside
Que dans le Ciel uniquement :
Mais quant à l’humaine Sagesse
Dont souvent fait grande largesse
Celuy qui la possede moins,
Je croy que son degré supréme
Consiste à mettre tous nos soins
A nous bien connoistre nous-mesme.

Girardot, de Moulins.

[Explication du Billet Enigmatique] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 334-335.

Je vous envoye la Veüe du grand Cloistre du Monastere de l’Escurial, & viens à l’Explication du Billet Enigmatique employé dans le dernier Extraordinaire. Je vous marquay sur la fin de ma Lettre du Mois d’Octobre, qu’au lieu de ces mots, Depuis fort longtemps on n’a point veu ce qu’on voit aujourd’huy, il falloit lire, ce qu’on doit voir aujourd’huy. C’estoit en quelque façon vous en dire le secret, puis que je vous faisois remarquer qu’une sillabe oubliée estoit importante. Cependant il n’a esté trouvé de personne. En voicy la Clef. Prenez la sixiéme sillabe qui est On, & continuez de cette sorte à prendre jusqu’à la fin toutes les sixiémes sillabes, vous trouverez que toutes ces sillabes jointes ensemble, font le sens qui suit. On doit vous enlever ce soir, si vous sortez. Prenez vos mesures pour éviter ce malheur. Il seroit aisé avec un peu d’application, d’écrire une Lettre dont le sens seroit parfait, & qui en formeroit un autre caché par les sillabes que la Personne à qui on l’adresseroit, seroit avertie de retenir. Il me reste encor plusieurs manieres de Chifres, dont je n’employe aujourd’huy aucun, par la crainte qu’on n’y prenne pas toûjours plaisir.

[Madrigaux sur les Enigmes de Novembre, dont le Mot estoit La Palatine] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 335-351.

Les Enigmes de Novembre estoient toutes deux sur la Palatine. Je vous fais part des diférentes Explications que j’en ay reçeües.

I.

De l’An passé la piquante froidure
Exigeoit bien une double fourrure ;
Mais cet Hyver estant moins rigoureux,
Un dévroit suffire au lieu de deux.

C. Hutuge, d’Orleans, demeurant à Mets.

II.

Mercure a beau se déguiser,
Et faire nouvelle figure ;
Il a beau si souvent se métamorphoser,
Mercure en est-il moins Mercure ?
***
Non, non, quoy qu’il se serve & du temps & du lieu,
Pour changer de forme & de mine,
On reconnoist toûjours ce Dieu,
Fust-il mesme caché sous une Palatine.

Rault, de Roüen.

III.

Ces deux Enigmes jumelles,
Qui sont également belles,
Vont avoir un grand renom ;
Elles sont justes & fines,
Et les nommer Palatines,
C’est les nommer par leur nom.

IV.

Mercure, ton Enigme obscure autant que fine,
Ne m’échapera pas, je l’ose parier ;
La raison est, que je suis l’Ecuyer
D’une Princesse Palatine.

De Saint Victor.

V.

Qui pour les Enigmes fines
Que vous nous donnez à tous,
Vous rendroit des Palatines,
Mercure, qu’en diriez-vous ?

Mademoiselle Seigneur, de Pontoise.

VI.

Camille me disoit, je ne sçay par quel sort,
Moy, qui sans vanité, quelque Enigme qu’on fasse,
Me trouve assez de feu pour l’expliquer d’abord,
Je me trouve icy courte, & suis toute de glace.
***
C’est la saison, luy dis-je, on ne sent que trop bien
Que jusqu’à nostre esprit souvent elle domine ;
Mais voyez si le cœur ne vous dictera rien,
Quand vous aurez dessus mis une Palatine ?

Droüart de Roconval, de la Porte S. Antoine.

VII.

Vous moquez-vous, Galant Mercure,
De nous donner tout-à-la-fois
Deux Palatines dans un mois,
Pendant un Hyver sans froidure ?

Le Mauvileu de Chauven.

VIII.

Vous voulez donc que je devine
Les Enigmes du Mois ? Je n’en fais pas refus ;
Mais il faut souffrir, ma Voisine,
Que pour mettre le doigt dessus,
Je touche à vostre Palatine.

Daubaine.

IX.

  Lors que la Cour
  Fut à Strasbourg,
Mercure y fut aussy ; chercha ce que la Ville
Pouvoit avoir de curieux,
Et ne prit pas une peine inutile ;
Mais comme en peu de temps il court divers lieux,
Il fut aussi, dit-on, dans les Villes voisines,
D’où le Drôle apporta de belles Palatines.

Le mesme.

X.

Parbleu, mon cher galant Mercure,
Assez plaisante est l’avanture ;
Lors que pour ta Maîtresse en cet An tout nouveau
Je t’envoye une Palatine,
Comme quelque chose de beau,
Tu m’en rends une bien plus fine.

Girault le jeune, Parisien.

XI.

Je ne sçay pas si je suis fine
Dans les secrets de deviner ;
Mais je croy que la Palatine
Est ce qu’avez voulu donner
Ce Mois dernier, Galant Mercure ;
Au moins on ne peut mieux en faire la peinture,
Pour nous le faire soupçonner.

Mad. de Bart-Briou.

XII.

Vous me dérobez mille appas,
Palatine superbe & vaine ;
Mais vous ne m’empescherez pas
De voir la bouche de Climene.

De Clelban, de Normandie.

XIII.

En vain Mercure fait le fin,
Nos Bergeres sont aussi fines ;
Il vient de chez le Palatin,
Et veut cacher deux Palatines.

L’un des tendres Bergers de Cotentin.

XIV.
RONDEAU.

Renard est pris, ou Marthe Zibeline,
Peau de Lapin, de Castor, ou d’Hermine,
Pour ranimer la chaleur d’un beau sein,
Et conserver la blancheur de son tein ;
Ainsi leur nom se change en Palatine.
***
Blondin croiroit avec sa bonne mine
Porter plus loin sa prunelle mutine ;
Mais par cet art on voit que le plus fin
  Renard est pris.
***
Dans l’une & l’autre Enigme où l’on raffine,
Pour découvrir au vray leur origine ;
Si quelqu’un dit les Etuves du Rhin,
Tout autre Mot que Palatine enfin,
En cet endroit pour Marthe, ou pour Foïne,
  Renard est pris.

L’Amant favorisé sans espérance.

XV.

Mercure, ta Muse fertile
Auroit pû suprimer quelque Enigme ce Mois ;
Deux Palatines à la fois,
Dans un Hyver si doux, sont un meuble inutile.

F. Fourmy, de Baugé en Anjou.

XVI.

C’est donc tout de bon que Mercure,
Maintenant Marchand de Fourure,
De retour des Païs où regnent les frimats,
A rapporté de ces Climats
Bonne provision de Marthes Zibelines.
Il en expose en vente icy deux par ces Vers,
Afin qu’en la saison des plus rudes Hyvers
Le Sexe soit fourny de riches Palatines.

De Sombres Larmes, à Châlons en Champagne.

XVII.

Qui l’osera d’oresnavant
Se dire plus que moy de mode ?
Il me manquoit un agrément,
Celuy de tous le plus commode.
Mercure toûjours bon, toûjours officieux,
Ce Mois le présente à mes yeux.
C’est un couple de Palatines
Des plus belles & des plus fines.

La Fauvete, de Morlaix.

XVIII.

Vos deux Enigmes, à mon sens,
Cachent le mesme Mot qu’aisément on devine ;
Et pour peu qu’on les examine,
On voit que vous donnez chaque chose en son temps,
Et qu’on trouve chez vous, comme chez les Marchands,
De deux sortes de Palatines.

L’Inconnu, de Compiegne.

XIX.

Mercure en vain ne veut pas qu’on devine
Qu’il cherche à s’opposer à la rigueur du froid ;
Car qui ne le reconnoistroit,
Avec sa double Palatine ?

Les Chevaliers de l’Ordre de Liesse, de Lile.

XX.

Vous aimez trop, charmante Brune,
À mettre obstacle à ma fortune.
Vous favorisez mon malheur ;
Mais quoy que vous fassiez la fine,
Croyez-vous que vos yeux ayant percé mon cœur,
Les miens ne puissent pas percer la Palatine ?

L’Amant malheureux de l’aimable Yvernel de S. Leu Taverny.

XXI.

Ce que vous cachez dans vos Vers,
Puissiez-vous le cacher pendant tous les Hyvers
Aux Belles, & sur tout à ma jeune Voisine,
Qui de peur qu’un œil amoureux
Finement ne se rende heureux,
Ne se montre jamais sans une Palatine.

F. Brac, de Laigle en Normandie.

XXII.

D’où vient, charmante Leonor,
Que vous paroissez si chagrine ?
Est-ce faute de Loüis d’or
Pour avoir une Palatine ?
Si c’est là le sujet de vostre déplaisir,
Il ne tiendra qu’à vous de vous voir satisfaite,
Puis que ma joye est entiere & parfaite,
Quand j’accomplis vostre desir.
J’en ay deux d’un Présent que m’a fait le Mercure,
Qui sera plus propre pour vous.
Voyez au sentiment de tous,
Si l’on en peut trouver de plus belle fourure ?

Floridor, de la petite Paroisse du Havre.

XXIII.

I’ay du plaisir de voir Fanchon
Qui se désole & qui s’obstine
À se faire une Palatine
D’une vieille Peau de Cochon.

Sans Soucy, d’Abbeville.

XXIV.

Encor que vous ayez un air tout plein d’appas,
Qui fait que chacun vous admire,
Dans cet ajustement qu’il vous plaist nous décrire,
Nous ne vous imiterons pas.
Mercure, en conscience, aurions-nous bonne mine,
Pendant un Hyver si doux,
De nous charger comme vous
D’une double Palatine ?

La Jeune Iris, de Tonnerre.

XXV.

Mercure tous les Mois apporte pour les Belles
Quelques marchandises nouvelles ;
Pour elles le Galant se met de tout mestier.
Tantost il est Charron, tantost il est Fleuriste ;
L’autre jour il estoit Droguiste,
Il est aujourd’huy Pelletier.
Mais admirez combien sa politique est fine ;
L’Eté son Eventail modéroit la chaleur,
Maintenant que l’Hyver fait sentir sa rigueur,
Il expose la Palatine.

XXVI.

Mercure, l’on connoist aisément à ta mine,
Que tu caches deux sens dessous la Palatine.

La plus belle Récluse des Plaines S. Severe.

XXVII.

Belles, que l’Eventail tout le long de l’Eté
Entretient dans l’oisiveté,
Cesserez-vous l’Hyver de paroistre badines ?
Non, lisez le Mercure, il vous apprend ce Mois
A remüer avec vos doigts
Les queuës de vos Palatines.

L’Albaniste de Roüen.

XXVIII.

Mercure est tout spirituel,
Son génie est un versel ;
Mais sa prévoyance divine
Me paroist plaisante en ce point,
Que l’on peut sous la Palatine
Cacher souvent ce qu’on n’a point.

Le Chevalier de la Cour du Bois S. Pere.

XXIX.

L’amour vous cause du tourment,
Je le connois, Mercure, à vostre mine.
Vous pestez contre l’ornement.
Qui dérobe à vos yeux une gorge divine ;
  Attendez le beau temps,
Et vos desirs seront contens.
Jamais on n’a veu Palatine
Régner encor dans le Printemps.

Le Mary Charmant.

XX.

Annette l’autre jour me vint entretenir
Sur les Enigmes du Mercure,
Disant que la premiere estoit la plus obscure.
Du sens qu’elle y donna je ne pus convenir,
Et luy dis. ce n’est pas ce que tu t’imagines ;
L’une & l’autre est la mesme, & sont deux Palatines ;
Tu t’en sers tous les jours pendant cette saison.
Alors elle s’écrie, ah vous avez raison.

Gyges, du Havre.

Reponse aux Larmes de Daphnis, sur la mort de sa Femme, qui ont paru dans le dernier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 357-358.

REPONSE AUX LARMES
de Daphnis, sur la mort de sa Femme, qui ont paru dans le dernier Extraordinaire.

Pourquoy répandre tant de larmes ?
Pourquoy tant de soins superflus,
Et pourquoy te flater d’un bonheur qui n’est plus ?
Les Manes des Mortels reprennent-ils leurs charmes ?
Quand on est une fois dans la nuit du Tombeau,
Quand la Loy du Destin dispose de nos vies,
Et que les Parques ennemies
Dérobent à nos yeux ce qu’on voit de plus beau,
Qu’elles le livrent aux Furies,
Tyrsis, on se plaint vainement
De la rigueur des Destinées ;
Elles qui peuvent tout sur nos courtes années,
En jugent souverainement.
À nos plus justes vœux elles sont insensibles,
Elles laissent couler nos pleurs,
Et nos plus cruelles douleurs
Ne peuvent les rendre fléxibles.
Bannis donc un chagrin qui pourroit t’accabler,
Tes douceurs par le temps doivent estre appaisées.
Maintenant ta Sylvie est aux Champs Elisées,
Elle y gouste un repos qu’on ne doit point troubler.
Songe qu’un jour tu la dois suivre.
Si les Destins jaloux ont avancé sa mort,
Que te sert de former des vœux contre ton sort ?
Cher Tyrcis, meurt-on pour revivre ?

L’Abbé de S. Marc, d’Aix en Provence.

[Annonce du prochain Extraordinaire]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1681 (tome XVI), p. 360.

Il me reste un tres-beau Discours de M. de la Fevrerie, qui fait voir en quoy consiste l’Honnesteté & la veritable Sagesse. Je vous le réserve pour l’Extraordinaire du 13. d’Avril, ainsi que d’autres Ouvrages sur les Questions déja proposées, qui n’ont pû avoir place en celuy-cy. Il y en a quelques-unes sur lesquelles personne n’a encor écrit. On les peut toûjours regarder comme nouvelles, & les Décisions qu’on en recevra seront employées, comme matieres qui portent leur privilege. Je suis, Madame, vostre, &c.

A Paris ce 15. Janvier 1682.