1682

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7].

2016
Source : Mercure galant, juillet 1682 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

Lettre de la Lorraine Espagnolete §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 11-17.

 

Voulez-vous voir le Portrait de cet incomparable Monarque ? Vous l’allez trouver dans le Sonnet que m’a envoyé depuis peu de jours la Lorraine Espagnolete. L’estime que vous avez pour cette spirituelle Personne, vous a souvent obligée à m’en demander des nouvelles ; & je croirois ne vous en donner qu’imparfaitement, si je négligeois de vous faire voir sa Lettre. Je vous l’envoye, accompagnée des Sonnets dont elle parle. Ils sont sur des Bouts-rimez, les plus bizarres de tous ceux qui ont couru. Vous verrez dans cette Lettre les sentimens qu’elle a pour le Roy ; & comme ils vous sont communs, ce sera pour vous une agréable lecture.

LETTRE
DE LA LORRAINE
ESPAGNOLETE.

A Besançon le 1682.

Un Abbé de mes Amis, me fit voir l’autre jour des mots assez bizarres, disposez en façon de Bouts-rimez de Sonnet, qu’il me dit qui luy avoient esté envoyez de Paris ; & il me lût un Billet où l’on luy marquoit que l’Autheur s’estoit engagé à donner une Médaille d’or à celuy qui rempliroit le plus heureusement ces Rimes, sur le Jugement de Pâris. Le lendemain il m’apporta le Sonnet, que je vous envoye de sa façon sur ce sujet-là. Il me pria fort de ne le communiquer à personne ; mais j’ay crû que ce seroit aller contre les droits que vous vous estes acquis sur tous les Ouvrages du temps, si je vous dérobois la connoissance de celuy cy. Le premier des deux autres Sonnets qui l’accompagnent sur les mesmes Rimes, est à la gloire du Roy. Ce grand Prince mérite bien que son Eloge se rencontre dans toutes les Pieces d’esprit qui ont l’honneur de paroistre sous son Regne, L’on a tant de choses à dire à l’avantage du Roy, qu’il n’y a point de Rimes, pour extraordinaires qu’elles soient, ny de termes, pour éloignez qu’ils paroissent de pouvoir former aucun Discours, qui ne puissent concourir heureusement à faire l’Eloge du premier Monarque du monde. J’ay mieux aimé travailler sur ce grand Sujet, que de m’appliquer à celuy que l’on avoit proposé pour la Médaille. La satisfaction que l’on a de réüssir dans l’un, a je-ne-sçay-quoy qui flate beaucoup plus que la récompense que l’on promet pour l’autre. Une Fille doit ignorer la signification du mot de Paralaxe. Je me le suis fait expliquer. L’on m’a dit qu’il marquoit la diférence qu’il y a entre les Astres, pour leur élevation ; & que celuy qui faisoit le moins de paralaxe, estoit le plus élevé. C’est ce qui m’a donné lieu d’appliquer ce mot au Soleil, qui fait le corps de la Devise du Roy. Pour ce qui est du Sonnet satirique qui accompagne les deux autres, quoy qu’il paroisse assez naturel à ceux qui en sçavent l’histoire, l’Autheur n’a point voulu se faire connoistre. Je ne sçay si apres le temps qui s’est passé depuis mon retour de Madrid, vous connoistrez encor le caractere de

La Lorraine Espagnolete.

[Cinq Sonnets sur divers sujets] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 17-26.

SONNET
EN BOUTS-RIMEZ,
A la gloire du Roy.

Avoir joint à la France Annexe sur Annexe,
Ouvrir entre deux Mers un passage au Turbot,
Porter son nom plus haut que l’étoillé Convexe,
Rendre heureux ses Sujets jusqu’aux Portes-Sabot ;
***
Estre adoré par tout de l’un & l’autre Sexe,
Mieux manier un Dard, que l’Ouvrier son Rabot ;
Exercer un pouvoir, qui jamais ne nous vexe,
Bannir de ses Etats le destin de Nabot ;
***
C’est estre ce Soleil qui luit sans paralaxe,
Ce Roy qu’on louë en tout, que jamais on ne taxe,
Qui fait cueillir en paix l’Olive & le Verjus.
***
Héros, qui n’aimes point une gloire postiche,
Pendant que tes Voisins sont presque tous en friche,
L’Abondance est chez Toy, d’Ypres jusqu’à Fréjus.

SUR LE JUGEMENT
de Pâris.

D’un beau Corps la Raison n’est pas toûjours l’Annexe,
Les Belles ont souvent moins de sens qu’un Turbot ;
Trois Déesses sortant de leur Palais convexe,
S’empressent à baiser d’un Berger le Sabot.
***
Deux étalent d’abord tous les charmes du Sexe,
La sçavante Pallas son Compas, son Rabot ;
Et toutes trois en soin du Procés qui les vexe,
Pour Juge souverain choisissent ce Nabot.
***
De ces Astres brillans il prend la paralaxe,
Leurs plus secrets attraits il voit, il louë, il taxe ;
Les trois n’estoient pourtant que Jusvert & Verjus.
***
A la fin enchanté d’une Blonde postiche,
Il mit par son Arrest un grand Royaume en friche,
Et chassa ses Troyens de Phrygie à Fréjus1.

L’Abbé B.

SUR LE MARIAGE
d’un Vieillard avec une
jeune Coquette.

Coquette avec Vieillard, ô la plaisante Annexe !
L’une parle toûjours, l’autre est comme un Turbot.
La Coquette paroist un peu trop tost convexe ;
Ma foy, le pauvre Duppe en tient loin du Sabot.
***
Un Homme à cheveux gris se fier à ce Sexe ?
Cela mérite bien quelques coups de Rabot,
Et que ma Muse enfin se fatigue & se vexe,
Pour faire entrer icy la rime de Nabot.
***
La Lune sur son front fait, dit-on, paralaxe,
Et du sort d’Actéon le bruit commun le taxe ;
Le Satirique y met son Sel, & son Verjus.
***
Le pis est, qu’il faudra Garnitures, Postiche,
Coëffes, Jupes, Manteaux, voila mon Homme en friche ;
Il valloit mieux s’aller faire Hermite à Fréjus.

 

Tout ce qu’écrit la Lorraine Espagnolete a un tour si fin & si aisé, que vous n’estes pas la seule qui souhaitiez voir de ses Ouvrages. Si cette Lettre tombe entre ses mains, elle y aprendra les sentimens du Public.

Voicy deux autres Sonnets sur les mesmes Bouts-rimez d’Annexe. On a changé dans l’un & dans l’autre la rime de Taxe en celle de Saxe.

VENUS PARLE À PARIS
sur le Mont Ida.

De ce riche dépost me refuser l’Annexe,
C’est soûmettre au Harang la Solle & le Turbot,
C’est estre plus épais que n’est l’Homme à Sabot,
Qui confond aisément le Droit & le Convexe.
***
Oüy, Pâris, s’il s’agit de la beauté du Sexe,
Si ton choix à nos traits doit servir de Rabot,
Je l’emporte à coup sûr, & n’ay rien qui me vexe,
Que de te voir aimer, & n’aimer qu’en Nabot.
***
Prens donc un plus grand vol, viens voir sans paralaxe,
Ce qui brûle les Grecs, consumeroit la Saxe,
Et des cœurs dégoûtez seroit le seul Verjus.
***
Fais tant, qu’Helene enfin soit ton amour postiche,
Et qu’à son moindre attrait Oenone mise en friche
Laisse aller ses soûpirs, d’Ida jusqu’à Fréjus.

SUR LA PREFERENCE
que donna Paris à Vénus.

Au lieu du Principal, n’estimer que l’Annexe,
Faire choix de la Seche, & laisser le Turbot,
Hors de l’Art se servir du terme de Convexe,
A des Souliers bien faits préferer le Sabot ;
***
Fuir les honnestes Gens de tout âge & tout sexe,
Et n’avoir de plaisir qu’à pousser un Rabot ;
S’habiller comme au temps qu’on disoit moult & vexe,
Haïr la belle taille, admirer le Nabot ;
***
Affecter les grands mots, Zenit & Para laxe,
Trouver de la douceur au langage de Saxe,
Priser moins le bon Vin, que l’Aigre, ou le Verjus ;
***
Ainsi jugea Paris de la Beauté postiche ;
Mais on brûle Ilion, sa Campagne est en friche,
Et son Port moins connu que celuy de Fréjus.

Le Moineau, et l’Hirondelle. Fable §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 29-41.

 

L’Amour consulte peu la Raison, & on aime tous les jours par un aveugle panchant, sans examiner l’inégalité des conditions. Ceux qui se sentent capables de prendre des engagemens si dangereux, trouveront dans la Fable du Moineau une image des malheurs qu’ils en doivent craindre. Mr Philibert d’Antibe en est l’Autheur.

LE MOINEAU,
ET L’HIRONDELLE.
FABLE.

Aux douces ardeurs du Printemps,
 Que tout inspire la tendresse,
Un Moineau des premiers s’accommoda du temps,
 Et se pourveut d’une Maîtresse.
 Ses transports furent violens ;
Car outre que l’Amour naist avec cette espece,
Celuy-cy pour le Sexe estoit des plus boüillans,
 Et dans la fleur de sa jeunesse.
Qu’un Moineau, dira-t-on, par essence amoureux,
 Cherche à satisfaire ses feux,
 La chose n’est pas bien nouvelle.
D’accord ; mais qu’un Moineau, pour objet de ses vœux,
 Aille choisir une Hirondelle,
 Le fait est rare, & curieux.
***
 Prenons le fil de leur Histoire.
Cet Amant sur le toit d’une vieille Maison,
Examinant un Lieu propre à manger & boire,
Entendit les accens d’une douce Chanson,
 Faite sur l’illustre Victoire,
Qui tous les ans donne au Printemps la gloire
 De faire fuir l’Hyver & l’Aquilon.
Il se tourne, regarde, & si la voix l’enchante,
Il découvre un Objet dont les puissans attraits
 Font par leur force dominante,
 Ce qu’Amour feroit par ses traits.
N’attendez pas que comme font les Hommes,
Cet Oiseau se contraigne à cacher ce qu’il sent ;
Les Bestes autrement faites que nous ne sommes,
 Dans leurs amours n’ont rien que d’innocent.
  Aussi jamais elles n’en font mistere,
  Et dés qu’un bel Objet leur plaist,
Sans craindre en parlant de déplaire,
Elles vont découvrir la chose comme elle est.
 Le Moineau s’apperçoit qu’il aime,
 Il le sent, il le dit de mesme.
L’Hirondelle aussi simple & sincere que luy ;
Ah, dit elle, étoufez cette flâme naissante,
 Elle ne peut devenir plus puissante,
Sans qu’elle vous expose au plus cruel ennuy ;
Car enfin nostre espece est un peu diférente.
 Et que croiroit-on aujourd’huy ?
  Moineau brûle pour Hirondelle,
Diroient tous les Oiseaux, mesme jusques aux miens ;
  Encor est-ce un bonheur pour elle,
On n’a pû luy trouver d’Amant parmy les siens.
Hé quoy ? je souffrirois que par mon indulgence
Mon honneur fust en bute aux traits envenimez
 Qui partent de la médisance ?
Ah plutost… mais enfin, quand nos cœurs enflâmez
 D’une ardeur tendre & mutuelle,
 Seroient l’un pour l’autre formez,
 Et qu’à vos vœux on me vist moins rebelle,
 Vostre destin en seroit-il plus doux ?
  Mon cher Moineau, détrompez-vous.
 Tant que le Ciel par sa douce influence
 En ces beaux lieux m’offriroit des appas,
 Vous y pourriez joüir de ma présence ;
Mais si-tost que l’Hyver par ses rudes frimats
 En troubleroit la tempérance,
Il faudroit nous résoudre au chagrin de l’absence.
 J’irois chercher d’autres climats,
Et quoy que sur vos sens l’amour eust de puissance,
Vous voudriez me suivre, & ne le pourriez pas.
Un vent impétueux bien souvent nous emporte
 Au milieu mesme de la Mer.
En ces occasions, pour ne point s’allarmer,
 Vostre aîle n’est pas assez forte.
***
Je vois, dit le Moineau, vostre raisonnement,
 Il part d’un noble sentiment
Que la Nature à vos semblables donne ;
Il est pour vostre honneur, il est pour ma personne ;
Pour vous conserver l’un, je dois aimer la mort ;
Si l’autre vous déplaist, je dois haïr la vie,
 Voyez quel est mon triste sort,
 Si vous n’estes point attendrie.
 Mais soufrez qu’aprofondissant
 Ce qui peut causer vos alarmes,
Je détruise l’obstacle à vos yeux si puissant,
Qui condamne un amour pour moy si plein de charmes.
 Vous Hirondelle, & moy Moineau,
Nous sommes, dites-vous, de diférente espece,
 Et vous craignez que quelque Oiseau
 Ne nous accuse de foiblesse.
Ce seroit donc quelque Animal nouveau
 Qui critiqueroit ma tendresse ?
 Grive a brûlé pour Sansonnet,
 Linote pour Chardonneret,
 Rossignol aussi pour Fauvete.
 Et qui s’en est formalisé ?
 On eust traité d’ame mal faite,
Celuy qui d’entre nous s’en fust scandalisé.
***
 Pour le péril de la tempeste,
Ne croyez point qu’il ait rien qui m’arreste.
 J’iray hardiment m’engager
Au grand trajet qu’il faut faire sur l’onde
 Pour découvrir un nouveau monde.
 Peut-on vous suivre, & craindre le danger ?
Mais quand je trouverois ces peines trop cruelles,
 On m’a dépeint l’Amour aîlé.
Si j’estois las pour avoir trop volé,
 Le mien me prêteroit ses aîles.
 Soufrez donc les amoureux soins
 D’un cœur qui ne peut se défendre ;
 Il vous importuneroit moins,
S’il vous trouvoit moins belle, ou s’il estoit moins tendre.
***
L’Hirondelle est muette au discours de l’Amant,
 Qui flaté de son espérance,
Prend aussi-tost cet aimable silence
 Pour un secret consentement.
 Jugez alors quel fut son zele.
 Les empressemens amoureux
 Peuvent beaucoup sur une Belle,
 Et le titre d’Amant fidelle
 Est un secours avantageux
 Pour se rendre bientost heureux.
Celuy-cy, pour l’avoir, ose tout entreprendre ;
Mesmes lors que l’Hyver commence de répandre
Par quelque foible froid l’horreur de son retour,
L’Hirondelle estant preste à changer de sejour,
 En dépit d’elle il s’engage au voyage.
 Ils partent donc un beau matin tous deux.
Si-tost qu’ils sont en Mer, il s’éleve un orage,
 Le passage estoit dangereux
 Au milieu d’un air tenébreux ;
 Mais par la force du plumage,
 L’une se tire du naufrage,
 Et l’autre est le seul malheureux.
 Il perd d’abord la connoissance,
Ne bat plus que d’une aîle à la mercy du vent,
 Et puis tombant en défaillance,
Il est précipité dans l’humide Elément,
Tandis que l’Hirondelle avec pleine assurance
Acheve le trajet où périt son Amant.
***
Tu prétens, cher Damon, que la noble Uranie
Se laisse enfin toucher à tes empressemens ;
D’un vol audacieux, ton aîle trop hardie,
Te porte en teméraire à ces grands sentimens.
 Entens le Moineau qui te crie,
Du sort qui m’a perdu crains les évenemens.

Eloge de la Beauté §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 41-60.

 

Je vous ay promis l’Eloge de la Beauté. Je vous l’envoye. On m’écrit qu’il est d’une Dame de Dijon. Il y a grande apparence que les agrémens de sa Personne soûtiennent avec beaucoup d’avantage le brillant de son esprit, & qu’elle connoist par elle-mesme les privileges de ce qu’elle a peint avec des couleurs si vives.

ELOGE
DE LA BEAUTÉ.

 

La Beauté, ce privilege & ce don singulier de la Nature, ce rayon visible & charmant de la Divinité, est sans-doute admirable. Elle s’attire l’amour & les respects de tout le monde. C’est une Souveraine qui se fait obeïr sans qu’elle use de contrainte. Les Roys mesmes font gloire de luy rendre hommage, de mettre leurs Sceptres entre ses mains, & leurs Couronnes à ses pieds. Elle nous séduit & nous trompe agréablement ; elle exerce sur nous une innocente tyrannie, & en nous ostant la raison, elle nous enchante.

On a quelquefois pris ses effets pour des sortileges, mais on a toûjours reconnu que ses enchantemens sont naturels, que par sa propre nature elle est du goust de tout ce qui a un cœur & des yeux, que pour plaire elle n’a besoin que d’estre regardée, & que tout son charme est dans ses agrémens.

Comme la veritable Beauté est une juste proportion de toutes les parties du corps, accompagnée d’une couleur vive & agréable, & qu’elle compose par ce moyen un Tout complet & achevé, elle ne peut manquer de plaire. La Beauté est une marque presque infaillible, & pour ainsi dire, l’Etendard de la Bonté ; & c’est une espece de prodige, lors que ce qui est beau n’est pas bon en mesme temps, lors que la beauté de l’ame & de l’esprit n’est pas jointe à celle du corps.

Aussi les premiers Roys n’ont esté tirez de la foule du Peuple pour estre les Arbitres & les Maistres de la Terre, que par un effet de leur beauté, & de leur bonne mine. On croyoit qu’estant les plus beaux, ils estoient aussi les meilleurs, & par conséquent les plus dignes de commander.

La Beauté est une recommandation muette, dont le silence est éloquent ; & ce que cette fameuse Phryné ne pût obtenir de ses Juges par l’éloquence de son Avocat, elle l’obtint par celle de sa beauté.

J’ay oüy dire qu’un des plus grands Philosophes de l’Antiquité, estant interrogé d’où venoit qu’on se plaisoit à voir une belle Personne, répondit que c’estoit la demande d’un Aveugle.

En effet, disons-le à la gloire de nostre Sexe. Les Hommes avoüent qu’ils se sentent troublez, & comme hors d’eux-mesmes, par un excés de plaisir, à la veuë de ces Divinitez mortelles. Disons plus. Qui est celuy qui peut tenir contre la priere, ou plutost le commandement d’une belle Femme ? Qui est celuy qui peut luy refuser quelque chose ? Combien de mauvaises Causes gagnées, combien de Graces injustes obtenuës, combien de bons Procés perdus par les sollicitations des Femmes qui ont de l’agrément ! Une belle Femme sçait dompter & assujettir les cœurs les plus farouches. Tout ce qui respire est charmé en la voyant, & chaque Homme en particulier se fait honneur d’estre son Esclave.

Si nostre Sexe ne ressent pas ordinairement les mesmes transports à la veuë d’un Homme de bonne mine, nous ne pouvons du moins nous empescher d’avoir pour luy de l’estime, & de l’admirer, tant le pouvoir de la beauté & de la bonne mine est grand.

De quelque maniere, & en quelque sens qu’on envisage la Beauté, elle est sans-doute un avantage fort considérable ; car si on estime tout ce qui est rare, & si on méprise en quelque sorte les plus belles choses quand elles sont communes, on ne peut manquer de faire beaucoup d’état de la Beauté, estant aussi rare qu’elle est, puis que pour une belle Personne il s’en trouve une infinité de laides. Le grand nombre de choses qui sont nécessaires pour l’achevement de la Beauté, la rend extrémement rare ; car non seulement il faut de la proportion & de la régularité dans les traits & dans toutes les parties, mais encore ce certain je-nesçay quoy, cet air doux & engageant, ces graces fines & cachées qui se font sentir sans qu’on puisse les bien exprimer ; en un mot cet agrément universel qui se répand, qui se fait remarquer dans toutes les actions & dans toutes les paroles, & qui est l’ame de la Beauté, de maniere que sans ce charme secret les plus grandes Beautez sont fades & insipides. Elle a encore cela de rare & de prétieux, que mesme dans l’arriere-saison elle conserve quelque reste d’agrément, & on a beau dire que sa durée est courte, & qu’elle cause souvent des chagrins & de la peine. Quoy que la Rose dure peu de jours, & qu’elle soit environnée d’épines, elle ne laisse pas d’estre par sa beauté la Reyne des Fleurs.

Mais quelques charmes qu’ait la Beauté, il n’est pourtant pas à souhaiter que tout soit également beau, car la beauté de la Nature consiste dans la varieté. Telle est la disposition de tout ce qui est icy-bas. Chaque chose reçoit du jour & de l’éclat de son contraire. La laideur & la médiocrité rehaussent la Beauté, & la rendent admirable. La présence continuelle d’une belle Personne, diminuë le plaisir qu’on a de la voir. Voyez quelque chose de laid & de diforme, les belles choses apres cela vous paroissent encore plus belles qu’auparavant. Un Printemps perpétuel n’accommoderoit pas toûjours. Celuy qui est précedé d’un Hyver fâcheux & rude, nous réjoüit extrémement, & le beau temps n’est jamais plus agréable qu’apres un orage. Enfin l’Autheur de la Nature est un grand Artisan, qui sçait admirablement le secret de donner à ses Ouvrages tout l’agrément nécessaire.

De tout temps la Beauté a esté l’objet des desirs de tout le monde raisonnable. Athénaïs, Fille d’un simple Philosophe, devint par sa beauté Reyne de l’Orient, en devenant l’Epouse de l’Empereur Theodose. Aléxandre, dont la seule passion dominante estoit d’acquérir de la gloire, ne laissa pas d’estre sensible aux charmes de Roxane, & de partager son cœur entre la gloire & elle. Caton, dont l’austere sagesse est si fort vantée, ne fit pas scrupule d’épouser la Fille d’un de ses Fermiers, parce qu’elle estoit belle ; & sans aller chercher si loin des exemples, nous en avons tous les jours devant les yeux qui marquent que les effets de la Beauté & de la bonne mine sont admirables.

Nous apprenons par les Relations des Voyageurs, que dans plusieurs Païs il y a des Personnes qui observent les corps des Enfans, & s’ils y remarquent quelque diformité notable, ils les font mourir. En fait de mariage, ils ne font état que de la Beauté, parce que c’est seulement par là qu’ils estiment leurs Enfans. Dans le Canada, celuy qui veut épouser une Fille, doit faire nécessairement des présens au Pere proportionnez à la beauté de la Fille. Au Tunquim, souvent les Roys épousent de simples Païsannes, quand elles sont avantageusement partagées des dons de la Nature, sans se mettre en peine de ceux de la Fortune.

Si nous en croyons les Poëtes, Pélops, Ganimede, & plusieurs autres, furent admis à la Table des Dieux, à cause de leur beauté ; & mesme le grand Jupiter s’abaissoit jusques à descendre en terre pour y voir ce qui estoit beau, ne dédaignant pas les Beautez mortelles, & ne faisant pas difficulté de prendre la forme qu’il croyoit la plus propre pour leur estre agréable.

Thesée, quoy que comblé de gloire par ses actions héroïques, crût qu’il manquoit quelque chose à son bonheur, tandis qu’il ne posseda pas la belle Helene, des charmes de laquelle son cœur estoit épris. Ce fut par cette raison qu’il s’assura sa possession avant mesme qu’elle fust en âge d’estre mariée, sans estre rebuté par les divers périls ausquels il s’exposoit ; & il sçeut si bon gré à son Amy Pirithoüs de l’avoir servy dans cet amour, qu’il luy rendit la pareille, en l’aidant à enlever Proserpine jusque dans les Enfers, sans craindre la difficulté d’une si périlleuse entreprise ; & à propos de la belle Helene, on raconte qu’un Poëte perdit la veuë, pour avoir eu l’audace d’en médire, & qu’il la recouvra dés le moment qu’il se fut retracté ; tant il est vray que la Beauté est une espece de Divinité qu’on n’offense pas impunément, & pour laquelle on ne peut avoir trop de venération. Et certainement la Beauté est une source d’agrémens qui ne tarit point, & qui communique une certaine grace à ce qui de soy n’en est pas susceptible ; de maniere que les choses les plus inutiles & les moins spirituelles ne laissent pas de plaire dans une belle bouche, estant aisé de persuader l’esprit quand les sens sont satisfaits.

Il le faut pourtant avoüer, quand la beauté du corps est soûtenuë par celle de l’esprit, elle est infiniment plus estimable, & elle brille beaucoup mieux, car ces deux beautez jointes ensemble se font honneur mutuellement, & forment un composé parfait ; au lieu qu’on peut dire qu’un beau Corps avec peu d’esprit, est comme un beau Vaisseau gouverné par un méchant Pilote.

La Beauté ne sçait pas seulement se faire aimer & estimer, elle sçait encore se faire craindre. On craint la haine & la colere d’une Belle, plus qu’on n’appréhende un Juge irrité ; & tel qui méprisoit autrefois Jupiter & son Foudre, trembloit à la veuë d’une Femme qui n’avoit pour toutes armes que de beaux traits.

Les Hommes, mesmes les moins polis, ont naturellement de la considération pour la Beauté. On pardonne volontiers à une Belle, ce qu’on ne pardonne pas à une Laide ; & l’Amant le moins capable de revenir, a de grands retours pour une belle & aimable Maîtresse.

On admire la Beauté par tout où elle est, & on n’en est pas moins touché quand elle habite sous le Chaume, que quand elle fait sa demeure sous des Lambris dorez. Les Anges mesmes, ces bienheureux Esprits détachez de la matiere, n’y furent pas insensibles dans la naissance du monde ; car ayant veu que les Filles des Hommes estoient belles, ils ne pûrent s’empescher de les admirer ; & à dire le vray, on ne doit pas douter que Dieu n’ait fait les belles choses pour faire éclater sa magnificence, & pour inspirer de l’admiration aux Hommes.

Enfin la Beauté a ce rare & singulier avantage de ne lasser jamais ses Spéctateurs, d’avoir toûjours les graces de la nouveauté, quand mesme on la voit presque à chaque moment, & d’estre comme le Soleil, qui paroissant tous les jours apres tant de Siecles, se fait toûjours regarder avec plaisir, & avec admiration.

These soûtenuë par M. l’Abbé de Lorraine §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 61-63.

 

Sur la fin de l’autre mois, Mr l’Abbé de Lorraine, Fils de Mr d’Armagnac, Grand Ecuyer de France, soûtint avec grand succés une These fort celebre au College du Plessis-Sorbonne. Mr du Hamel, Professeur de Philosophie, y présida. L’Assemblée fut tres-illustre. Monsieur le Duc de Bourbon, & tous les Princes de la Maison de Lorraine, s’y trouverent, ainsi que Mrs les Archevesques de Rheims & d’Auch, & un fort grand nombre d’autres Prélats & d’Abbez. Il y eut aussi plusieurs Ducs & Pairs, & tout le monde sortit également satisfait des fortes Réponses de ce jeune Prince. Il reçeut le Bonnet de Maistre és Arts de la main de Mr Cocquelin, Chanoine, & Chancelier de l’Eglise de Paris, qui fit un tres-beau Discours à sa loüange. On distribua dans l’Assemblée des Vers héroïques à l’avantage des Princes de la Maison de Lorraine, composez par Mr Hersant, Professeur de Rhétorique ; & une Ode faite par Mr Cordier, Précepteur d’un des Fils de Mr le Comte d’Armagnac.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 63.L'attribution de cet air à Lambert est possible grâce au XXVIe Livre d'airs de differents autheurs [...] (Paris, C. Ballard, 1683) et aux sources manuscrites F-Pn/ Res. Vm7. 583. et Res. Vma. ms. 958, ainsi que F-Pc/ Res. 584.

Un fort habile Homme a fait l’Air nouveau que je vous envoye. Vous en jugerez mieux que personne, quand vous en aurez parcouru les Notes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Je meurs des maux que vous me faites, doit regarder la page 63.
Je meurs des maux que vous me faites,
Hastez le secours que j'attens.
Helas, Cruelle que vous estes,
Bientost il ne sera plus temps.
images/1682-07_063.JPG

Sur l’heureux Accouchement de Madame de T §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 64-70.

SUR L’HEUREUX
ACCOUCHEMENT
DE MADAME DE T.

Junon, jalouse de Vénus,
Voyant qu’on ne brûloit de l’Encens que pour elle,
En préfence des Dieux un jour luy fit querelle,
Sur ce qu’à ses Autels on ne recouroit plus.
Aux Femmes en travail elle estoit favorable,
 On se loüoit fort de ses soins ;
Mais trouvant cet employ bien moins considérable
Que celuy de Vénus (aussi l’estoit-il moins)
 Elle vouloit changer d’Office ;
Mais Vénus à bon droit fiere d’un exercice
 Dont elle s’acquitoit fort bien,
Répondit hautement qu’elle n’en feroit rien ;
 Qu’on sçavoit assez leur partage,
Qu’on avoit toûjours veu regler jusqu’à ce jour,
 Vénus, les plaisirs de l’Amour,
 Junon, les peines du Ménage.
***
 C’estoit en présence des Dieux,
 Dans-un Apartement des Cieux,
 Que toutes deux plaidoient leur Cause,
Quand Momus bientost las d’avoir la bouche close,
 Pour finir leur debat, proposa ce moyen ;
Que Mercure là-bas sur l’échange descende,
Et qu’en France sur tout il consulte & demande
 Si les Dames le voudront bien.
***
 Jupiter d’un signe de teste
 A ce dessein témoignant consentir,
 Mercure qui n’estoit pas beste,
Fut plutost de retour qu’on ne l’eut veu partir.
Sire, dit-il au Dieu qui lance le Tonnerre,
 J’ay parcouru toute la terre,
Et sur tout dans Paris il n’est point de Maison
Où je n’aye en secret consulté chaque Femme,
 Et je n’ay trouvé qu’une Dame
Qui sur ce grand échange ait entendu raison ;
Et quand j’ay dit ailleurs que la sage Junon
Veut régler à son tour les plaisirs de la vie,
 Toutes à la fois ont dit, non,
 Qu’elle nous soit plutost ravie.
Quoy, toûjours accoucher ! Elles n’entendoient pas,
 Et pour les tirer d’embarras,
 Vous ne voulez donc pas m’entendre,
Disois-je ? Junon sera tendre,
 Et lors Vénus sera Junon ;
Mais j’avois beau parler, toutes disoient, non, non.
 Quelques-unes des plus hardies
M’ont mesme protesté qu’en faveur de Vénus
 Elles sacrifieroient leurs vies,
Si ce n’estoit assez de tous leurs revenus ;
Et pour toutes raisons que l’on m’ait alléguées,
Vénus nous a toûjours fait vivre doucement,
Et Junon nous le fait acheter cherement.
Ainsi, vous les voyez, Sire, toutes liguées,
 Elles ne peuvent renoncer
 A Vénus leur meilleure Amie,
 C’est à vous, Sire, à prononcer.
 N’en soyez pas plus ennemie,
Dit Jupin à Junon, d’un Sexe si constant,
Qui fidelle à Vénus, vous invoque pourtant.
 Vénus sert à former des chaînes,
 D’où naissent en suite des peines
Qui vous rendent utile aux Belles tous les ans,
 Et vous attire leur encens.
Vous voyez que Vénus concourt à vostre gloire ;
 Elle sert à vostre bonheur,
Vous emportez par là sur elle la victoire,
 Elle vous cause de l’honneur
 En leur faisant perdre le leur.
***
Quand il eut dit ces mots, les Dieux se retirerent,
 Mais Mercure & Junon resterent.
 Ce fut de celle-cy la curiosité
 Par qui l’autre fut arresté.
 Demeurez icy, luy dit-elle,
 Dites-moy qui fut cette Belle
Qui seule consentit à me voir gouverner.
Une Dame qu’on voit à Junon si fidelle,
 Sur tout son Sexe est digne de régner.
 C’est Madame de Turm. …
Répondit Mercure aussi-tost,
Femme dont les vertus ne se trouvent ternies
 D’aucun vice, d’aucun defaut.
Bien, repliqua Junon, elle sera féconde
 Autant qu’autre Femme du monde,
Et je feray si bien, quand elle accouchera,
  Que la crainte sera
  Tout le mal qu’elle aura.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 71-121.

 

Ceux qui ont paru longtemps insensibles, prennent souvent les plus violentes passions, quand ils viennent une fois à estre touchez. Ce que je vay vous conter, en pourra servir de preuve. Un Marquis, encor plus considérable par son mérite & ses belles qualitez, que par son Bien & par sa naissance, quoy qu’il fust fort riche & de tres-bonne Maison, avoit vécu jusqu’à trente-cinq ans, sans aucun engagement qui eust cousté à son cœur la moindre des peines que cause l’amour. Il est vray que son panchant avoit toûjours esté pour la guerre, qu’on pouvoit nommer sa passion dominante. Il y avoit pris party dés ses premieres années, & la qualité de Brave qu’il s’estoit acquise par des actions assez éclatantes, jointe à celle de parfaitement honneste Homme que la voix publique luy donnoit, l’avoit mis dans une réputation qui le distinguoit de beaucoup d’autres. Il voyoit ce qu’il y avoit de plus beau monde dans tous les lieux où il se trouvoit. On le mettoit de toutes les Parties agreables, & ses manieres honnestes ne contribuoient pas peu à l’y faire souhaiter. Il estoit galant, disoit des douceurs aux Belles ; & de la maniere dont il leur parloit, les plus crédules avoient quelques lieu de se flater de l’espoir de sa conqueste ; mais ce jeu de son esprit n’engageoit son cœur dans aucune affaire. Il en demeuroit toûjours le maistre, & les defauts qu’il remarquoit aux plus accomplies, estant pour luy un préservatif contre l’amour, quelques complaisances qu’il leur fist paroistre, il se sentoit aussi libre en les quitant, que si jamais il ne les eust veuës. Apres tant d’expériences qui luy faisoient braver le beau Sexe, il vint à Paris pour quelques affaires, & s’estant un jour trouvé chez une Dame tres-spirituelle, il vit entrer une fort aimable Brune, dont la beauté parut le surprendre. Il prit plaisir à la regarder, & à la maniere dont la Dame la reçeut, il luy fut aisé de voir qu’elle en estoit fort aimée. Il jugea de là qu’elle devoit avoir du mérite, & ne cessa point de l’examiner. C’estoit une grande Fille tres-bien faite, d’une taille fine & dégagée, & dont tous les traits avoient je-ne sçay-quoy de mignon, qui luy donnoit un fort grand éclat. Ces avantages estoient cependant les moindres dont elle eust pû tirer vanité. La beauté de son visage n’approchoit point du brillant de son esprit. Elle l’avoit fin & délicat, l’humeur agreable, & sur toutes choses, une droiture d’ame & de raison, qui luy attiroit une estime genérale. Jamais personne n’avoit pris de si grands soins de veiller sur elle-mesme. Dés son plus bas âge, elle s’estoit fait une habitude de s’observer dans les autres, & tous les défauts qu’elle entendoit condamner, estoient autant de leçons qu’elle s’appliquoit utilement. Il s’estoit offert pour elle plusieurs Partis tres-avantageux, mais le Mariage luy faisoit peur, & lors qu’elle envisageoit de quelle importance estoit cet engagement, il n’y avoit aucun avantage qui pust l’obliger à s’y résoudre. Elle concevoit que pour vivre heureuse, il falloit aimer parfaitement un Mary, & l’estime seule estant le fondement de l’amour, la plûpart des Soûpirans qu’elle s’attiroit luy paroissoient si peu dignes de la sienne, qu’elle croyoit impossible que l’on pust forcer son cœur à se donner par devoir. Les Amans qu’elle n’avoit point voulu écouter, faisoient craindre aux autres un pareil refus ; & parce qu’elle aimoit mieux vivre en solitude, que de souffrir un nombre de Sots, dont les Coquetes grossissent leur Cour, on l’accusoit d’estre fiere ; mais cette fierté tournoit à sa gloire parmy les Esprits bien faits, & le mérite du peu de Personnes qu’elle aimoit à voir, justifioit son discernement. Comme l’esprit estoit pour elle un grand charme, elle avoit pris une liaison particuliere avec un Provincial qui demeuroit dans le voisinage d’une Maison de Campagne, où elle alloit passer tous les ans une partie de l’Eté. Il estoit connu pour l’Homme du monde le plus éclairé, & en mesme temps pour un ennemy déclaré du Mariage. Il le regardoit comme le plus grand de tous les maux ; & les peintures qu’il avoit faites plus d’une fois à la Belle, des suites fâcheuses qu’il en prétendoit inséparables, n’avoient peut-estre pas peu contribué à fortifier le dégoust qu’elle en marquoit. Sur ce pied là, quelque plaisir qu’il prist à la voir, elle n’appréhendoit point que ses galantes déclarations pussent jamais devenir une affaire sérieuse. Il les faisoit d’une maniere agreable qui l’engageoit à luy répondre avec enjouëment ; & comme leurs entreveuës estoient sans aucun mistere, il ne cherchoit point le teste à teste pour luy dire qu’il l’aimoit. Il s’en expliquoit devant tout le monde, & ne voyoit personne aupres d’elle, qu’il ne traitast de Rival. Si sa conversation estoit charmante, sa façon d’écrire ne l’estoit pas moins. La Belle avoit beaucoup de talent pour les jolies Lettres, & lors que l’Hyver la ramenoit à Paris, elle n’estoit pas fachée d’entretenir avec luy un commerce d’écriture. Voila, Madame, quel estoit le caractere de l’aimable Brune, qui par sa beauté surprit le Marquis, dont j’ay commencé de vous parler. Ils se connoissoient sans s’estre veus, parce qu’ils estoient voisins à la Campagne ; & quand la Dame, qui estoit Amie de tous les deux, les eut nommez l’un à l’autre, ils se regarderent avec une égale curiosité. On avoit peint la Belle au Marquis, comme une Personne qui ne manquoit pas d’esprit, mais qui par une orgueilleuse présomption, estoit ridicule jusqu’à se persuader qu’aucun mérite n’approchoit du sien. Il parla peu pour estre en état de mieux l’observer, & tout ce qu’il luy entendit dire luy parut si raisonnable, qu’il eut peine à croire que ce fust d’elle qu’on luy eust fait le Portrait. Insensiblement la Compagnie se trouva fort grande, & comme la plûpart des Cavaliers s’adresserent à la Belle, il eut le plaisir de voir avec quelle grace elle se tira d’affaires. Si elle prenoit un air sérieux avec certains Galans de profession qui ne debitent que des douceurs fades, elle entendoit raillerie avec tous ceux qui luy en contoient avec esprit ; & par la maniere dont elle traittoit les uns & les autres, on connoissoit aisément qu’elle sçavoit faire la diférence des Gens. Le Marquis, d’autant plus content de cette premiere veuë, qu’on l’avoit mal prévenu, alla chez elle quelques jours apres. On luy fit paroistre toute l’estime qui luy estoit deuë ; & la Belle, sensible au mérite plus que personne du monde, se fit une joye d’en recevoir quelques soins. Il sortit tres-satisfait des honnestetez qu’elle luy marqua, & sans trop s’examiner sur ce qu’il sentoit pour elle, il luy rendit dés l’abord de fort fréquentes visites. Il la vit toûjours la mesme, c’est à dire, toûjours d’une humeur égale, toûjours civile, toûjours dans des sentimens d’une belle ame ; & s’il luy trouva de la fierté, ce fut seulement de celle qui luy paroissoit à souhaiter dans toutes les Femmes, & qui l’auroit obligé d’aimer, s’il l’eust trouvée dans quelqu’une. Apres un mois d’assiduitez, la Belle luy dit enfin en riant, que son trop d’exactitude à la venir voir rendoit sa conduite irréguliere, qu’elle en devoit compte à un fort grand nombre de sotes Gens, qui observoient ses moindres démarches, & que s’il estoit véritablement de ses Amis, il tâcheroit de luy en donner des marques en prenant soin de sa réputation. Le Marquis, éperduëment amoureux, ne balança point à luy répondre, que le plaisir de la voir faisant son plus grand bonheur, ce seroit vouloir sa mort que luy demander qu’il y renonçast ; qu’il luy avoüoit que n’ayant jamais aimé personne, il avoit crû pouvoir luy rendre des soins sans que son cœur y prist part ; mais qu’elle avoit triomphé du plus insensible de tous les Hommes ; que cependant, quoy qu’il eust sujet de croire que sa recherche seroit agreable à ses Parens, c’estoit d’elle seule qu’il la vouloit obtenir, & qu’il ne leur parleroit qu’apres avoir eu son consentement. Cette déclaration fit rougir la Belle. Bien que le Marquis luy eust témoigné beaucoup d’estime, il estoit fier, fort ambitieux, & comme il avoit assez de Bien, pour pouvoir prétendre aux plus hauts Partis, elle n’avoit pû se figurer qu’il dust avoir des pensées pour elle. Toute autre eût esté ravie de le trouver dans ces sentimens ; elle en fut embarassée. L’aversion qu’elle avoit pour le Mariage, luy en fit voir aussi-tost les des-agrémens dans toute leur étenduë ; & ce grand mérite qui luy avoit fait souffrir avec joye les visites du Marquis, ne luy parut plus si éclatant, quand elle songea que souhaiter estre son Mary, c’estoit vouloir devenir son Maistre. Ce qui luy causoit le plus de peine, c’est que ses Parens n’ayant reçeu le Marquis que dans l’esperance qu’il s’engageroit, elle voyoit bien qu’ils luy seroient favorables, si-tost qu’ils découvriroient qu’il se seroit déclaré. Cependant elle ne pouvoit se dispenser de répondre. Comme il l’avoit assurée qu’il ne la vouloit devoir qu’à elle-mesme, elle luy dit que la maniere obligeante dont il agissoit, l’engageant à s’expliquer avec luy de bonne foy, elle croyoit ne luy devoir point cacher qu’aucune veuë de fortune ne la porteroit jamais à se marier, que l’on n’eust auparavant trouvé moyen de toucher son cœur ; que la conqueste n’en estant pas fort aisée, c’estoit à luy à résoudre s’il la vouloit entreprendre ; mais qu’elle l’avertissoit que cette conqueste ne suffiroit pas ; qu’il trouveroit ensuite à combatre une Ennemie redoutable ; que sa raison luy représentoit sans cesse qu’il n’y avoit point d’engagement éternel, qui ne fust suivy de beaucoup de peines, & que les peines l’alarmoient assez pour luy faire préferer à toutes choses l’heureuse douceur d’une vie tranquille. Le Marquis ne s’étonna point de cette réponse. Il la regarda comme faite avec esprit, & s’assûrant, & sur la grandeur de son amour, & sur l’avantage qu’on devoit trouver dans son alliance, il s’abandonna tout entier à son panchant. Jamais passion ne fut si forte. C’estoient des manieres si respectueuses, des soûmissions si engageantes, que la Belle en fut veritablement touchée. Aussi le Marquis l’ayant priée un jour de luy dire, s’il estoit assez heureux pour avoir fait quelque progrés dans son cœur, elle répondit que ce n’estoit pas son cœur qu’il devoit le plus apprehender ; que son mérite, & l’amour qu’il luy marquoit, avoient trop dequoy la rendre sensible, mais que sa raison ne cédoit pas si facilement ; que plus son respect, ses soins, & ses complaisances, avoient de charmes pour elle, plus cette raison luy mettoit devant les yeux la diférence qu’elle trouveroit d’un Mary à un Amant ; que ce changement qu’elle voyoit infaillible, la jettoit déja dans mille chagrins, & qu’elle trembloit à prendre un engagement qui diminuëroit en luy cette vive passion, dont il demandoit qu’elle luy tinst compte. Le Marquis au desespoir de ne la pouvoir persuader, se plaignoit à tous momens de l’injuste crainte qu’elle luy faisoit paroistre, & la voyant diférer toûjours à luy permettre de se déclarer à ses Parens, il s’imagina qu’un attachement secret en estoit la cause. Sans cela, il ne pouvoit se persuader qu’elle eust balancé à le rendre heureux. Il luy donnoit les plus fortes marques d’un amour sincere, & si son cœur n’eust point esté prévenu de quelque autre passion, il n’estoit pas vray-semblable que ses scrupules eussent duré si longtemps. Il eut pourtant beau chercher l’éclaircissement de ses soupçons. Il ne vit personne qui eust entendu parler d’aucune intrigue. Il avoit sceu d’elle-mesme qu’elle écrivoit quelquefois au Cavalier qu’elle voyoit en Province, mais le caractere de ce Cavalier luy estant connu, il ne luy faisoit aucune peine, & les obstacles qu’ils eussent d’ailleurs trouvez dans le dessein de leur union, si l’amour l’eust voulu faire, faisoient son repos de ce costé-là. Quelque assuré qu’il se tinst que leur liaison n’avoit rien de sérieux, il ne laissa pas de vouloir sçavoir surquoy rouloit leur commerce. Comme ses Présens luy avoient gagné la Suivante de la Mere, il la pria de luy faire voir une Lettre de la Belle, & la Suivante, qui ne souhaitoit rien tant que leur mariage, apres l’avoir assuré qu’il ne trouveroit que de l’esprit dans la Lettre sans aucune marque d’attachement, voulut l’en convaincre en luy promettant de le satisfaire. L’occasion s’en offrit peu de jours apres. Il y avoit plus d’un mois que le Cavalier avoit mandé à la Belle, que le dégoust qu’il avoit du monde luy donnoit l’envie de se faire Hermite, & que pour mener une vie heureuse, elle devoit venir partager les douceurs de la retraite ; mais qu’il craignoit qu’un Rival tres-dangereux, dont on luy avoit parlé ne la dégoûtast de l’Hermitage. La Belle fit réponse à cette Lettre, & l’ayant donnée à la Suivante pour l’envoyer à la Poste, la Suivante la mit aussi tost entre les mains du Marquis. Il y trouva ces paroles.

Franchement, je ne songeois point à passer ma vie avec vous, mais depuis que vous me proposez de la passer l’un & l’autre dans un Hermitage, me voila fort tentée de vous y suivre. Je conçois qu’il y a des Solitudes faites d’une certaine maniere, dont je me pourrois accommoder ; & comme vous dites, quand j’aurois une fois pris ce party-là, je me mettrois au dessus de toutes les bagatelles, qui à l’heure qu’il est peuvent me faire de la peine. Ne craignez point que vostre Rival mette obstacle à nos projets. Je commence à ne comprendre plus rien à toutes les plaintes qu’il me fait. Mon Dieu, que tous les Hommes sont fous, & qu’il faut qu’ils le soient bien, pour nous le paroistre mesme quand ils disent qu’ils nous aiment ! Fuyons dans nostre Hermitage. Venez-y avec vostre Philosophie naturelle ; j’y viendray avec celle que j’ay acquise, & je suis seûre que ce sera un Hermitage accomply. Adieu ; à ce bien heureux temps.

Quoy que cette Lettre luy parust du stile dont il avoit crû qu’elle seroit, il crut du mistere dans ces termes d’Hermitage, qu’ils devoient rendre accomply, en y venant l’un & l’autre. Plein d’inquiétude, il mit luy mesme la Lettre à la Poste sans en avoir rompu le cachet, & eut une impatience extraordinaire d’en voir la réponse, que la Suivante luy avoit encor promis de luy apporter. Il se passa plus de quinze jours sans qu’on la reçeust. Ce longtemps faisoit connoistre que le commerce estoit sans empressement, ce qui n’arrive jamais quand l’amour s’en mesle. Enfin le Cavalier écrivit, & il fut aisé à la Suivante d’avoir cette Lettre, parce que la Belle, qui n’en avoit jamais fait secret, la laissa sur la Table de sa Chambre, comme elle y laissoit ordinairement les autres. Voicy ce que le Marquis y lût.

Vous acceptez bien volontiers le party que je vous ay proposé. Le croiriez vous ? J’en ay quelque inquiétude. Il me semble que ce qui vous détermine à vous jetter dans mon Hermitage, c’est plus l’Hermitage que l’Hermite. Vous estes plus dégoustée du monde que vous n’avez de goust pour moy. Voila des sentimens bien délicats, direz-vous. Il est vray, & j’en suis fort fâché ; car si je porte tout cela dans ma Solitude, elle ne sera guére tranquille. A vous dire vray, je crains beaucoup qu’une petite Solitaire comme vous ne me gaste ma retraite, & que les Oiseaux, les Ruisseaux, les Arbres, & autres pareils agrémens d’Hermitage, n’ayent moins de pouvoir pour calmer mon esprit, que vos yeux pour le troubler ; & ce seroit bien pis, vrayement, que si j’estois dans le monde. On y trouve des distractions, des amusemens ; mais dans une Solitude, c’est une chose mortelle que d’aimer. On est là environné d’objets, qui entretiennent les douces & pernicieuses réveries. On a, tant qu’on veut, des Echos à qui on peut adresser la parole, & qui font envie de se plaindre. Ah ! je regagnerois bien bien viste le monde, pour reprendre la tranquilité. Il seroit plaisant de voir un Homme quiter son Hermitage, pour vivre plus en repos. Cependant si vous voulez, je ne laisseray pas de m’exposer à tous ces périls. Je n’aime point le monde, & je ne sçaurois luy faire un tour qui luy doive estre plus sensible, que de vous enlever à luy.

Ces mots estoient ajoûtez par apostille. A propos, on me fait icy la guerre d’une jolie Provençale. Declarez-vous, car si vous ne prenez party avec moy pour l’Hermitage, je ne répons pas de n’en point prendre avec elle.

Le Marquis trouva cette Réponse galante, & si les termes de Solitude & d’Hermite, luy furent suspects, il se rassura par l’apostille. Il écrivit sur les lieux, & on luy manda qu’une jeune Provençale y estant venuë chez une Parente, le Cavalier la voyoit assidûment. On écrivit la mesme chose à la Belle, & le discours estant un jour tombé là-dessus, le Marquis luy dit en plaisantant, qu’il sçavoit bien que le Cavalier n’estoit pas si Philosophe qu’on le vouloit croire ; qu’il aimoit la Provençale ; qu’il y avoit parole donnée entre eux ; qu’il la devoit suivre à son retour en Provence, & qu’avant qu’il fust deux mois on le verroit marié. La Belle se mit à rire, & soûtenant contre le Marquis, qu’il disoit des choses qui n’arriveroient jamais, elle ajoûta dans la mesme veuë de plaisanter, qu’elle s’engageoit à prononcer le grand mot, si-tost que le Cavalier luy auroit donné l’exemple. Le Marquis prit sa parole, comme voulant faire usage de tout, & continua l’assiduité qu’il avoit pour elle. La Provençale quitta sa Parente, & on sceut huit jours apres, que le Cavalier estoit party sans que ses Gens pûssent dire ce qu’il estoit devenu. Tous ses Amis en témoignoient de l’inquiétude, & comme on en parloit quelquefois dans la Maison de la Belle, le Marquis disoit toûjours qu’il estoit fort seûr que la Provençale l’avoit attiré. Il demandoit là-dessus de nouvelles assurances de la promesse qu’on luy avoit faite, & la Belle, tres-persuadée de ne rien risquer, s’engageoit toûjours plus fortement. Enfin, apres avoir passé six semaines sans entendre parler du Cavalier, elle en reçeut une Lettre par la Poste. Elle estoit conçeuë en ces termes, & datée d’une Ville de Provence.

Les choses ont bien changé. Tout inmariable que vous m’avez crû, je me suis mis dans le Sacrement, & je vous assûre qu’il y fait beaucoup meilleur que vous & moy ne l’avions pensé. Nous avons esté de grands herétiques. Ce n’est pas que je voulusse entierement condamner d’erreur les maximes que j’ay longtemps soûtenuës. A prendre la chose en general, le Mariage peut avoir ses peines, mais vivent les Gens d’esprit Il n’y a point de si fade mets qui ne devienne un friand ragoust, quand on sçait l’assaisonner. Ne m’en croyez pas sur ma parole Venez à l’expérience, & n’allez pas vous faire une fausse honte, d’estre contraire à vous-mesme en changeant de sentimens. Quand il s’agit de se détromper à son avantage, on ne sçauroit le faire trop tost. Personne n’a tant que vous les qualitez necessaires pour donner de l’agrément à ce qui semble en manquer, & à tout cela, il n’y a qu’un mot qui serve. Hastez-vous de le dire dans les formes, & vous me remercîrez de vous l’avoir conseillé.

La surprise de la Belle, alla au dela de tout ce qu’on pourroit dire. Rien n’eust pû luy faire croire que le Cavalier se fust marié, s’il ne luy en eust luy-mesme donné la nouvelle ; encor examina-t-elle fort longtemps cette Lettre, dans la pensée que le caractere estoit contrefait. Elle n’en voulut rien dire à personne ; mais le Cavasier ayant fait sçavoir la mesme chose à plusieurs de ses Amis, le bruit de son mariage se répandit aussi-tost parmy tous ceux qui le connoissoient, & le Marquis fut en droit de demander à la Belle le consentement qu’elle luy avoit toûjours refusé. Cette demande luy causa de l’embarras ; mais enfin, quelque aversion qu’elle eust pour l’engagement, son cœur se trouva si favorable au Marquis, qu’il luy fit tenir parole, & peut-estre fut-elle bien aise de l’avoir donnée, pour avoir prétexte de n’écouter plus les conseils de sa raison. Le Marquis alla sur l’heure s’expliquer au Pere, qui estant ravy de la proposition, satisfit bien-tost son impatience. Le Mariage se fit en huit jours, & on peut dire qu’il a produit dans la Belle, ce qui ne manque jamais d’arriver aux Personnes raisonnables, qui ont beaucoup de sagesse & de vertu. Cette haute estime qu’elle avoit pour le Marquis, est devenuë toute amour, & on n’en vit jamais un plus tendre. Aussi le Marquis, pour estre Mary, ne cesse-t-il point de vivre en Amant. Il a pour sa Femme une complaisance aveugle, & il s’étudie sans cesse à prevenir ses souhaits dans toutes les choses qu’il peut deviner. Un mois apres que le mariage eut esté fait, la Belle reçeut une autre Lettre du Cavalier, qui ne la surprit pas moins qu’avoit fait celle qui luy estoit venuë de Provence. Je n’y change rien ; en voicy les termes.

A mon retour d’un Voyage que j’ay fait je ne sçay où, j’apprens, Madame, que vous n’estes plus Mademoiselle. Si ce changement s’est fait en bien, je m’en réjoüis ; si c’est en mal, prenez patience. Pour moy, Dieu mercy, j’en ay esté quite pour la peur. Il faut vous dire comment. Le jour que je disparus (car c’est disparoistre qu’ignorer soy-mesme ce que l’on devient) je me promenois seul vers un petit Bois, au bord duquel j’allois ordinairement resver le soir. J’y eus à peine passé un quart-d’heure, que j’en vis sortir quatre Hommes masquez qui vinrent à moy. Naturellement je suis poltron, & sur tout avec des Masques. Je crûs qu’ils en vouloient à ma Bource. Je la tiray. Elle estoit un peu legere ; & pour supléer en quelque sorte à la petitesse du présent, je tâchay de le faire au moins de bonne grace. Ce n’estoit pas ce qu’ils demandoient. Ils me prirent par la main, & il falut entrer dans le Bois ; ce que je fis en tremblant, d’une maniere admirable. Là il y avoit un Carrosse à six Chevaux, qui m’attendoit dans la grande Route. Deux y prirent place aupres de moy, apres que l’on m’eut bandé les yeux ; & les deux autres nous suivirent à cheval. Je demandois à chaque moment à mes deux Gardes où ils me menoient, en quoy mon service leur estoit utile, & si le Voyage devoit estre long. A tout cela point d’autre réponse, sinon que je ne craignisse rien. Cette assurance donnée par des Gens masquez, ne m’empeschoit pas de craindre. On me promena toute la nuit, & au point-du-jour, on me mit entre les mains d’un grand Concierge à larges épaules, qui m’enferma dans une maniere de Pavillon assez bien meublé. L’Apartement bas qu’il m’y donna, n’avoit aucune autre veuë que celle d’un petit Jardin fort propre, où de temps en temps il me laissa prendre l’air. Comme le tout estoit assez fait en Hermitage, j’y eusse tres-volontiers mené une vie d’Anachorete, si je vous eusse euë aupres de moy pour vous consulter sur la méditation ; mais franchement, il m’ennuyoit fort de n’avoir que quelques Livres, & mon grand Concierge à qui parler. A cela pres, je n’avois pas sujet de me plaindre. On me traitoit bien, & quand je montrois de l’impatience, on m’assuroit que j’aurois bientost ma liberté. Apres six semaines passées en retraite, le grand Concierge me vint apporter une Liste de huit Personnes, à qui l’on vouloit que j’écrivisse. Vous estiez en teste. Il falloit dater mes Lettres d’une Ville de Provence, & vous aprendre aux uns & aux autres que je m’estois marié. A ce mot de mariage, la frayeur me prit. Je demanday s’il y avoit seûreté pour moy, & si, quand j’aurois fourny les Lettres, on ne m’obligeroit point à me marier effectivement, parce que s’il falloit donner ma teste, ou prendre une Femme en propre, on pouvoit sur l’heure me conduire à l’Echafaut. On me promit qu’on ne songeroit jamais à me faire violence, & cette promesse me rendit la vie. Je vous écrivis, & vous donnay des conseils bien éloignez de mes veritables sentimens ; mais que voulez-vous ? C’estoit sur tout ce que l’on m’avoit prescrit. J’écrivis aussi à mes Amis de la maniere qu’on le souhaitoit. On prit mes Lettres, & il se passa encore un mois, sans qu’on me parlast de me tirer de mon Hermitage. Je n’en suis sorty que depuis trois jours. On se servit pour cela des mesmes cerémonies que l’on avoit pratiquées pour m’y amener. Mesme Carrosse, mesmes Gens masquez, mesme promenade toute la nuit ; & enfin lors que le jour eut commencé à paroistre, on me laissa seul les yeux bandez, dans une Campagne. I’ostay mon Bandeau, & me reconnus à une lieuë de chez moy. Tous mes Amis, informez de mon retour, sont venus en haste me féliciter sur mon mariage, & en mesme temps j’ay appris le vostre. Si j’y ay contribué en vous écrivant ce qui n’estoit pas, quoy que le crime soit involontaire, résolvez la peine, je la subiray. J’aurois craint qu’on n’eust voulu me marier tout de bon, si je n’eusse feint ce qu’on m’obligeoit de feindre. Le pas estoit dangereux, & dans un naufrage, se sauve qui peut. Mon avanture est assez énigmatique. Donnez-m’en la clef si vous pouvez, & souvenez-vous sur toutes choses, que vous estant attachée au monde par de nouvelles racines, vous avez besoin de tout vostre esprit pour y vivre heureux.

La Belle fit voir cette Lettre à son Mary, & ne douta point que l’enlevement du Cavalier ne se fust fait par son ordre, mais elle eut beau l’assurer que ce moyen employé pour l’acquérir, redoubloit en elle l’obligation de l’aimer uniquement ; il nia toûjours qu’il eust part à l’Avanture, & quoy qu’elle fasse pour arracher son secret, il le nie encor toutes les fois qu’elle luy en parle.

[Nom & divers Ouvrages de celuy qui a gagné le Prix proposé par M. le Duc de S. Aignan] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 121-131.

 

Vous avez trouvé dans ma Lettre du dernier Mois, le Sonnet victorieux, sur les Bouts-rimez de Jupiter & de Pharmacopole. Le Prix avoit esté proposé par Mr le Duc de S. Aignan ; & si tost que l’Autheur de ce Sonnet s’est présenté, on luy a remis la Médaille d’or entre les mains. Elle estoit tres-belle & tres-bien frapée, & représentoit le Roy d’un costé, & la Reyne de l’autre. Rien n’est plus digne d’un grand Seigneur, ny ne donne tant d’émulation qu’un Prix proposé de cette sorte. On est assuré de l’obtenir sans retardement, quand on est assez heureux pour le mériter, & l’on y acquiert d’autant plus de gloire, qu’on le remporte sur un tres-grand nombre de Personnes. Celuy qui a gagné la Médaille donnée par ce Duc, s’appelle Mr de Baraton. Il est de Paris, & originaire du Berry. Sa Famille est une des plus considérables de cette Province, & a pris autrefois alliance avec les Maisons de Surgeres, de Mornay, de Hennequin, &c. C’est tout ce que je vous en diray, ne parlant jamais de Genéalogies, qu’aux occasions de mort, ou de mariage. Quoy que Mr Baraton ne se pique point de faire des Vers, les Muses l’inspirent quand il veut se divertir, & il n’y a point de stile plus naturel que le sien. Jugez-en, Madame, par ces trois Sonnets, qui sont de sa façon, aussi sur des Bouts rimez.

SUR LA MATRONE
d’Ephese.

Defiez-vous toûjours de Femme & de Guenuche,
Sur tout de fausse Prude ; Un Valet de Tambour,
Un Ridicule, un Fat, un gros Topinambour,
Tout se trouve à son goust, c’est estomac d’Autruche.
***
De ses pleurs une Veuve eust remply mainte Cruche,
Tout Ephese en parloit à chaque Carrefour ;
Mesme dans un Tombeau presqu’aussi noir qu’un Four,
Elle alla s’enfermer, plus seche que Merluche.
***
Là survient par hazard un Drille, un Ostrogot ;
D’abord elle s’en coiffe, & pres de ce Magot,
Plus foible est sa vertu, que Toile d’Araignée.
***
Le Rustre en fait d’amour merveilleux Artisan,
Sape son desespoir, y porte la Coignée,
Et l’Epoux déterré sauve le Païsan.

A DAMON.

Vous voila, nostre Amy, réduit au Lait de Vache.
Qu’est devenu ce teint plus fleury qu’un Oeillet ?
Aurez-vous pour l’Amour encor la mesme attache,
Et pour vous convertir faut-il Monsieur Feüillet ?
***
Jadis de maint Epoux j’ay grossy le Panache ;
J’aimois autant que vous un Corps jeune & doüillet,
Un Visage mignon peu chargé de ganache,
Et beuvois à la glace en Mars comme en Juillet.
***
Qu’en est-il arrivé ? j’ay souffert le Martire,
Et sage à mes despens, sans craindre la Satire,
Je préfere à l’Amour, Bacchus & le Jambon.
***
Iris est une folle, Aminte une friponne ;
Et telle qui paroist douce, aimable, & pouponne,
A l’ame fort souvent plus noire qu’un charbon.

LA VIE AGREABLE.

Voir dancer des Bergers au son du Flageolet,
Regler ses actions selon le Décalogue,
Entendre dans un Bois chanter le Roytelet,
Et pour sa chere Iris composer une Eglogue ;
***
Ne fréquenter jamais Palais, ny Chastelet,
De la seule Vertu faire son Pedagogue,
N’aller plus se morfondre, en gardent le Mulet,
Chez un Grand plein d’orgueil, & plus beste qu’un Dogue ;
***
Avoir l’intérieur de vices écuré,
Suivre, sans s’écarter, la foy de son Curé,
Soûmettre à la Raison les passions re-belles ;
***
Laisser aux Curieux voir l’Inde & l’Hellespont,
Hanter ceux dont l’humeur à la nostre répond,
C’est dequoy vivre heureux ; j’en sçay quelques nouvelles.

 

J’adjoûte un quatriéme Sonnet dont Mr le Président de Silvecane de Lyon est l’Autheur.

SUR LES DIFERENTES
occupations de la Vie.

Tout est Fable icy-bas jusques à Jupiter ;
La drogue & les grands mots de ce Pharmacopole,
Ne sont pas moins trompeurs que l’air de ce Frater,
Ou de cette Laïs qui fait Dame Nicole.
***
Le simple Frere Lay veut faire le Pater,
Chacun dans son Mestier piroüete & caracole ;
Et le plus ignorant ose bien disputer
Au Pilote fameux le droit de la Boussole.
***
Un pitoyable Autheur croit se rendre immortel,
Il donne au plus habile un insolent Cartel,
Un Plaideur entesté se trompe en son affaire.
***
Tout le monde se flate en Prose, comme en Vers,
La fourbe, ou la grimace, occupent l’Univers,
Le seul LOUIS LE GRAND a sçeu l’art de bien faire.

[Avanture Galante] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 140-152.

 

Il n’y a rien d’inventé dans l’Avanture qui suit. Elle est écrite par une Personne de qualité, à qui elle est arrivée, dans toutes les circonstances que l’on y marque. Peut-estre le Bois, les Oiseaux de mauvais augure, & les Animaux farouches, ne sont pas des mots qu’il faille prendre à la lettre. Il est des lieux où l’on court de plus grands périls que dans les Forests les plus obscures, & toutes les Bestes qui nous déchirent, ne sont pas armées de griffes.

AVANTURE
GALANTE.

Sur les bords de la Seine est un Bois écarté,
Où l’horreur regne seule avec l’obscurité.
Ses Chesnes & ses Pins, dont les cimes chenuës
Paroissent s’élever jusqu’au dessus des nuës,
Sont chargez de Corbeaux & de Hibous affreux,
Et de pareils Oiseaux d’augure malheureux,
Dont les funestes cris, comme autant de menaces,
Ne présagent jamais que maux & que disgraces.
Tout ce Bois a dessous ces Arbres élevez,
Grand nombre d’Animaux qui paroissent privez,
Et qui, bien loin de fuir, semblent faire la presse
A s’approcher de vous, & vous faire caresse ;
Mais encor qu’à l’abord ils se montrent si doux,
Ils sont pires cent fois que les Ours & les Loups,
Et leur cruelle faim qui sans cesse s’irrite,
Flate, pour devorer plus aisément en suite.
 Mon chagrin dans ce Bois m’ayant un jour mené,
J’entendis mille cris dont je fus étonné,
Et je vis aussitost deux Nymphes éplorées,
Qui de ces Animaux tristement entourées,
Ne pouvoient s’exempter du funeste destin
De leur servir bientost de proye & de butin.
L’une qui paroissoit estre la plus âgée,
Estoit d’un Voile noir presque toute ombragée ;
La plus jeune sans Voile, & les cheveux tressez,
Des Déesses auroit les appas effacez.
Meû de compassion, je cours avec vîtesse,
Afin de les tirer du péril qui les presse,
Et fus assez heureux, quel que fust le danger,
Pour détourner leur perte, & pour les dégager.

 

Quelle fut leur joye, de se voir si promptement retirées des griffes de ces devorantes Bestes ! Que ne me dirent point la Mere & la Fille (car je sçeus d’elles que l’une estoit Veuve, & Mere de l’autre) pour me remercier de l’assistance que je leur avois donnée ! Mais sur tout la Fille accompagna de tant de charmes les remercîmens qu’elle me fit, que ne pouvant tenir un moment contr’eux, je me laissay tout d’un coup engager dans ses liens.

Ainsi par un revers qu’on auroit peine à croire,
 Vainqueur de Monstres furieux,
Je me vis terrassé de l’éclat de ses yeux,
Et trouvay ma défaite en ma propre victoire.

 

Depuis ce temps, l’image de cette Belle ne s’effaça point de mon esprit, & je songeois à chercher l’occasion d’aller chez elle pour luy déclarer ma passion, lors qu’un jour je fus surpris de la voir entrer dans ma Chambre en compagnie de sa Mere & d’une de ses Sœurs. La Mere, qui ne croyoit pas pouvoir me témoigner assez sa reconnoissance du peu que j’avois fait pour elle & pour sa Fille, l’avoit encore amenée pour m’en rendre graces, & avoit voulu que son Aînée les accompagnast, afin de joindre ses remercîmens aux leurs. O Dieu, la charmante Personne que cette Aînée ! J’avois crû jusque-là que rien ne pouvoit égaler la premiere ; mais d’abord que je vis l’autre, elle me fit balancer entre sa Sœur & elle, & partagea tellement mon cœur, que je fus plusieurs mois sans pouvoir décider celle que j’en devois rendre l’unique Maîtresse. Puis-je exprimer la peine que me causa cette incertitude pendant ce temps ?

On ne peut éprouver de plus cruel martire
Que celuy que ressent un cœur
 Que balancent dans son ardeur
Deux égales Beautez dont le charme l’attire.
Il ne sçait qui des deux choisir pour son Vainqueur,
 Et ce doute qui le déchire,
 Luy fait souffrir plus de douleur,
 Que s’il languissoit sous l’empire,
Et dans les fers d’une seule Beauté,
 Dont son feu seroit rebuté.
Tantost j’estois d’avis de chérir la Cadete,
 Tantost l’Aînée estoit mon choix ;
Je changeois de pensée en un instant cent fois,
Chacune tour-à-tour me sembloit plus parfaite.
 Rien n’égaloit mon embarras,
 Et ces deux Sœurs pleines d’apas,
Sembloient, pour disputer l’honneur de ma défaite,
Avoir fait de mon cœur le champ de leurs combats.

 

Enfin estant un jour avec elles à une Maison de Campagne, où elles m’avoient permis d’aller prendre l’air, nous fismes une Partie de Chasse, & l’ayant exécutée, nous ne fusmes pas longtemps sans faire partir un Liévre ; mais comme nous le courions, mon malheur, ou plutost mon bonheur voulut, que mon Cheval tomba d’un faux pas qu’il fit. Sa chûte fut cause que je me blessay à la jambe, en sorte que je fus obligé de me faire remener à cette Maison. La Cadete, qui estoit plus avancée, suivit la Chasse ; mais l’autre plus charitable, revint avec moy, & ne voulut point m’abandonner.

 Tant de bonté dans cette Belle
Détermina mon ame en sa faveur,
 Et sans plus partager mon cœur,
Je résolus déslors de n’aimer jamais qu’elle.
La Cadete revint de la Chasse le soir,
Fiere d’un Liévre pris qu’elle nous faisoit voir.
Le travail avoit mis un rouge à son visage,
Qui de tous ses attraits relevoit l’avantage,
Et jamais à mes yeux sa beauté jusqu’alors
N’avoit fait élater de si brillans trésors ;
Mais mon ame en son choix trop bien déterminée,
Demeura toûjours ferme au party de l’Aînée,
Et des deux Sœurs enfin, l’une depuis ce jour
A toute mon estime, & l’autre mon amour.

Sonnet §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 158-161.

 

Vous voyez par là, Madame, que le Roy s’attache toûjours avec un extréme soin, à ce qui regarde la Religion. Elle cause quelques diférens dans le Bearn, & aussi-tost ce zelé Monarque donne ses ordres pour les terminer. Si les Calvinistes ne trouvent pas que ses Ordonnances leur soient favorables, il ne fait rien contre la foy des Traitez. Il veut seulement les voir rentrer en eux-mesmes, & les obliger, s’il peut, à connoistre leurs erreurs. Le grand nombre d’Abjurations dont on entend tous les jours parler, fait assez voir que Dieu benit ses desseins. Il luy reservoit la gloire de détruire l’Heresie ; & c’est là-dessus qu’a esté fait le Sonnet qui suit. Le Tonnerre tombé à Chauny sur la Maison d’un Ministre, en a fourny la pensée.

SONNET.

Le Ciel souscrit aux Loix du plus grand des Monarques,
Et s’accorde avec luy pour détruire Calvin ;
Le conseil en est pris, c’est un Arrest divin,
Dont le Foudre à nos yeux vient de donner des marques.
***
Tout meurt, tout est sujet à l’Empire des Parques ;
Herétique, il est temps, tu vas trouver ta fin ;
Mais n’en murmure pas, cette fatale Main
Renverse également les Trônes & les Barques.
***
LOUIS a commencé de te jetter à bas ;
Le Ciel, pour t’achever, favorise son Bras,
Ce Bras victorieux sur la terre & sur l’onde.
***
Dy-moy, qu’attendois-tu que des coups inoüis,
Quand mon Prince entreprend ce que le Ciel seconde,
Ou que le Ciel combat secondé de LOUIS ?

L’Hermite de Sinceny sur Chauny.

[Service solemnel fait par Messieurs de S. Germain des Prez, pour M. le Duc de Verneüil] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 169-170, 172, 183-184.

 

Les Religieux de l'Abbaye de S. Germain des Prez, dont Mr le Duc de Verneüil avoit esté Abbé pendant plus de quarante ans, luy ont fait faire un Service solemnel, avec le plus de magnificence qu'il leur a esté possible. Madame la Duchesse de Verneüil sa Veuve, les ayant fait avertir que ce Prince leur avoit laissé son Coeur, deux d'entr'eux, accompagnez de l'un de ses Aumôniers & de son Premier Valet de Chambre, se rendirent à Pontoise le Samedy 4. de ce mois, pour y recevoir ce Coeur. Il estoit en dépost dans le Convent des Religieuses Carmelites, où son Corps est enterré. [...]

Ce Coeur fut gardé dans la Sacristie de S. Germain des Prez jusques pour la cerémonie du Service. [...]

Apres que les Archevesques, Evesques, Ducs & Pairs, Chevaliers des Ordres du Roy, Conseillers d'Etat, & autres Personnes de qualité, eurent pris leurs places, l'Office fut commencé avec tout l'ordre que l'on pouvoit souhaiter. Le Pere Dom Benoist Brachet General, officia, assisté de deux Diacres, de quatre Chantres, & de tous ceux qui ont accoûtumé de servir aux plus grandes Solemnitez. La Messe estant finie, la Communauté sortit du Choeur, & passant par les deux costez du grand Autel, elle se rangea autour de la Chapelle ardente, où les quatre Chantres ayant entonné le Libera, elle le continua jusqu'à la fin ; & le Pere General, accompagné de tous ses Officiers, fit les Aspersions & les Encensemens ordinaires. Ce fut par là que se termina la Cerémonie.

[…]

Quoy que nostre Langue n’ait ny la force ny la grace du Latin dans ces Epitaphes, j’ay crû devoir vous les envoyer pour vos Amies, parce qu’elles expriment assez bien les principaux emplois de feu Mr le Duc de Verneüil. Quatre Pieces d’architecture remplissoient l’espace qui séparoit les quatre Figures. Chacune avoit deux Enfans panchez sur le costé, la teste posée sur une main, & tenant un Brandon de l’autre. Une espece de Fronton les appuyoit, surmonté par une Teste de Mort, qui portoit une Urne d’argent chargée d’une Lampe à cinq lumieres. Les Enfans, & cette Teste de Mort, estoient a demy couverts d’un Crêpe doré. Le grand Autel surprenoit par sa beauté & par sa richesse. Outre la Table qui luy sert de devant, & qui est toute de vermeil doré, d’une tres-rare & tres-ancienne Orfévrerie, & enrichie de plusieurs Figures en relief, & d’un grand nombre de Pierreries, les Gradins estoient garnis de dix-huit Chandeliers d’argent, & au milieu, une Croix aussi d’argent, d’une hauteur & d’une grosseur extraordinaire.

Le Loup, et les deux Chiens. Fable §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 184-188.

 

Voicy une nouvelle Fable de Mr Daubaine. Celles que vous avez déja veuës de luy, vous répondent du plaisir que vous aurez à lire cette derniere.

LE LOUP,
ET LES DEUX CHIENS.
FABLE.

Tyrcis couché dessus l’herbete,
Sans prendre soin de son Troupeau,
S’occupoit du plaisir de cajoller Lysete.
 Il ne parloit que de Musete,
 De Flageolet, de Chalumeau,
 Et de nouvelle Chansonnete.
De sa part la Bergere écoutoit la fleurete,
 Ce petit jeu luy sembloit beau ;
Bref ils avoient tous deux de l’amour dans la teste,
Et voulant l’un de l’autre achever la conqueste,
Ne songeoient à rien moins qu’à garder leurs Moutons.
 Un Loup, mais Loup des plus gloutons,
 Rodoit autour de la Fougere.
Brifaut pour le Berger, Miraut pour la Bergere,
Y commandoient alors, & pendant quelque temps
 Firent tous deux garde fidelle ;
 Mais comme entre deux Concurrens
 Souvent il arrive querelle,
 Au grand plaisir de nostre Loup,
Ceux-cy, nous dit Esope, à la fin se battirent.
Tandis qu’à belles dents tous deux ils se déchirent,
Le Loup qui croyoit estre assuré de son coup,
Donne sur les Brébis, enleve la plus belle.
A cet Objet nos Chiens font viste entr’eux la paix,
 Et l’un de l’autre satisfaits,
 Vont où leur devoir les appelle.
 Ils fondent sur le Ravisseur,
Et l’attaquent tous deux avec tant de vigueur,
Qu’ils luy font dés l’abord abandonner sa proye ;
Mais ce qui doit icy le plus causer de joye,
C’est que ce Loup croyant avoir bien operé,
Fut luy-mesme à la fin étranglé, devoré.
***
Un Prince ambitieux d’agrandir son Empire,
 Voit la guerre entre les Voisins.
Donnons dessus, dit-il, étendons nos confins,
 Il y fait bon. Cela peut bien se dire,
 L’exécuter, c’est autre cas.
 Cependant il vient à grand pas.
 Que trouve-t-il ? tout en intelligence ;
Ses Voisins Ennemis ont fait entre eux la paix,
 Et par le Traité d’alliance,
De leurs guerres, luy seul doit payer tous les frais.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 231-232.

Les Paroles de la seconde Chanson que je vous envoye, sont de Mr de Messange. Elles ont esté mises en Air par Mr Deleval.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par J'avois résolu de changer, doit regarder la page 231.
J'avois résolu de changer,
Et de n'aimer dans ces Boccages
Que la verdure & les ombrages,
Au lieu d'un volage Berger ;
Mais le voyant sous la feüille nouvelle,
Je sentis l'autre jour le foible de mon cœur,
Et j'aime encor cet infidelle,
Malgré tous mes sermens, & malgré sa rigueur.
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[Paroles à mettre en Air] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 232-236.

Les Vers qui suivent, semblent avoir esté faits pour estre notez. Ils sont de Mademoiselle de Castille, dont l’heureux génie vous est connu. Cette spirituelle Personne mérite bien qu’on travaille sur ce qu’elle fait.

VERS À METTRE EN AIR.

Sans l’Amour & le Vin,
Quels plaisirs dans la vie !
 Le chagrin,
 Ou l’envie,
De leur mortel venin,
Nous l’ont bientost ravie.
Sans l’Amour & le Vin,
Quel plaisir dans la vie !

AUTRES.

Que Bacchus a d’apas !
Que l’Amour a de charmes !
Non, sans leurs douces armes,
L’Homme ne résisteroit pas
A tant de mortelles alarmes,
Qui le menacent du trépas.
***
Allez, braves Soldats,
Aux Assauts, aux Combats,
Vous couronner de gloire ;
Allez, celebres Avocats,
Nuit & jour, de fatras
Charger vostre mémoire.
 Que de tracas !
 Que d’embaras,
 Qui sous la Tombe noire
 Vous menent à grands pas !
***
Allez, vous n’estes que des fats,
Et toute vostre belle Histoire,
Sur ma parole, ne vaut pas
Cloris chantant dans un Repas.
 Les plaisirs d’icy-bas
 Sont d’aimer & de boire ;
 Aimons donc, & buvons,
 Tandis que nous vivons.

 

Ces Vers sont tournez d’une maniere agreable, qui les rend fort propres à estre chantez dans un Repas. Ce ne sont pas les seuls que Mademoiselle de Castille ait faits pour les plaisirs de la Table. Voicy un Inpromptu de sa façon, qui fit admirer la beauté de son esprit à une fort grande Compagnie, avec laquelle elle estoit allée passer quelques jours à Harnouville, chez Mr de Machaut Conseiller en la Seconde des Requestes, & Frere de feu Mr le Commandeur de Machaut. Harnouville est un Village qui luy appartient, entre S. Denys & Gonesse.

INPROMPTU.

O Que dans les Champs d’Harnouville
La vie est charmante & tranquille !
 Souvent le Seigneur du Chasteau
Y donne le Cadeau.
 Heureux l’Amy qu’il y régale !
Le Lait, l’Oeuf frais, le Pain & l’Eau,
Sont d’un goust qu’ailleurs rien n’égale.
 Parmy le Gibier qu’à Monceau
 Champagne sur la Table étale,
 Que diray-je du Pigeonneau ?
 Le meilleur Perdreau,
 Au prix de luy, vaut moins qu’un Etourneau.
Un Marquis au goust fin, un vray Sardanapale,
Dés qu’il le voit, s’écrie, ô le friand morceau !
 A la seule odeur qu’il exhale,
Un Mort de quatre jours sortiroit du Tombeau.

[Présent du Roy fait à une Dame Romaine] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 236-240.

 

Je vous entretins il y a quatre ou cinq mois d'une Dame Romaine, nommée Donna Anna Carousi, qui avoit chanté devant le Roy chez Madame la Dauphine. Sa réputation s'est bien augmentée depuis ce temps-là. On a remarqué en elle tout ce qui fait estimer celles de son Sexe, & plus on l'a veuë, plus on luy a trouvé de mérite. Aussi cette admirable Personne, dont la Maison est des plus anciennes & des plus nobles de Sicile, & de celles qui occupent encore aujourd'huy les principales Charges par droit heréditaire, a-t-elle esté élevée par une Mere qui fut le charme de son temps, & qu'avoit nourrie une Princesse, qui estoit aussi la merveille de son siecle. C'estoit Donna Margarita d'Austria, Princesse de Boutere. Le Roy, qui se fait un grand plaisir de ne laisser échapper aucune occasion de reconnoistre le vray mérite, a voulu donner des marques de la connoissance qu'il a de celuy de Donna Anna CarousiVoir cet article qui parle d'Anna Caruso., en luy envoyant ces jours passez un Présent considérable. Il les mit entre les mains de Mr le Maréchal de Bellefond, à qui on doit l'avantage d'avoir en France une Personne si rare. Ce Présent est un Bracelet de gros Diamans. On n'admire pas en Donna Anna Carousi une Belle & grande Voix seulement, avec un art merveilleux pour la conduire, une science profonde dans la Musique, & une maniere particuliere de l'accompagner du Clavessin, & de cette LyrePour la lire italienne, voir Marin Mersenne, L'Harmonie universelle, livre 4, p. 204-207, 215-216 si harmonieuse, dont je vous parlay la premiere fois, mais mille autres qualitez encor qui rendroient un Homme considérable. Elle sçait les Langues, & beaucoup de belles choses dont elles facilitent la connoissance, & qui sont ordinairement négligées par le beau Sexe.

[Académie de Province, faite sur le modelle de l’Académie Galante] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 240-251.

 

On vient de me donner une Lettre qui vous apprendra que l’Académie Galante, dont vous me mandez que la lecture vous a si bien divertie, a donné lieu à une Académie de Province, qui s’est établie sur son modelle. Si la chose n’est pas vraye, elle est du moins plaisamment contée. On a tiré de ce Livre une des Questions dont on a demande la décision dans le dernier Extraordinaire, & c’est pour se dispenser d’y répondre, qu’on a écrit cette Lettre.

A MADAME
LA MARQUISE DE M.

 

A Quoy songez-vous, Madame, de me demander mon sentiment sur la Question de l’Académie Galante ? Je suis à vous de temps immémorial. Il n’y a personne qui se souvienne de m’avoir veu, sans m’avoir veu vostre Amant. Je ne sçay que sur le raport d’autruy, qu’il y ait au monde d’autres Femmes que vous qui puissent donner de l’amour ; & vous voulez que je vous dise si je crois qu’on puisse aimer en plusieurs lieux dans le mesme temps ! Toute ma vie vous répond sur cela. Je ne vous en diray rien. Je vous remercie seulement de m’avoir envoyé l’Académie Galante. C’est un joly Livre, & fort réjoüissant ; mais je vous prie de m’en envoyer encore du moins une demy-douzaine, car il faut que vous sçachiez le succés qu’a eu cet Ouvrage dans la petite Ville où mes affaires m’arrestent présentement. Je l’ay presté, & il a couru par tout ; mais le croiriez-vous ? Il a pris à mes Provinciaux une étrange démangeaison de faire aussi une Académie Galante sur le modelle de celle-là. Je croy qu’ils en deviendront fous. On a choisy des Hommes les plus polis, & des Filles les plus prétieuses de la Ville, pour représenter les Personnages de l’Académie, & je vous assure que les Gens d’icy ne manquent point d’esprit, & qu’ils ont mesme quelquefois des airs du monde assez passables. Celuy à qui on a donné le personnage du Chevalier de Pontignan, est le Plaisant de la Ville ; car, comme dit fort bien Scarron, chaque petite Ville a son Plaisant. Le Lieutenant Genéral est le Marquis d’Ormilly, parce que c’est un Homme assez sérieux. Pour l’Albagna & le Tréval, ils ont esté difficiles à trouver. Il n’y a point d’Italien dans la Ville, ny mesme d’Homme qui ait esté en Italie, horsmis un qui entreprit le voyage l’année passée, & qui revint des Alpes, de peur d’estre dévalisé par les Bandits. On luy a pourtant donné le rôle d’Albagna, à condition qu’il continuëra son voyage. Il ne s’est pas trouvé un seul Sçavant pour faire Tréval, & on a pensé aller offrir ce rôle à un Curé de la Ville, qui est Docteur de Sorbonne ; mais enfin on s’est résolu de le donner à un jeune Homme qui a de l’esprit, & qui a promis qu’il étudiëroit, & qu’il apprendroit à faire des Vers. Les personnages de Mademoiselle d’Ormilly, & de Mademoiselle de Mirac, ont esté aisez à distribuer ; mais celuy de Mademoiselle de Turé leur a donné bien de la peine. Où trouver une Fille qui ne parle guére ? Ils sont venus bien sérieusement me prier d’écrire à Paris, pour m’informer s’il estoit vray que cette Mademoiselle de Turé parlast si peu. A la fin on a pris la plus petite Causeuse qui soit dans la Ville, quoy qu’elle le soit pourtant encore bien raisonnablement ; & une des plus grandes peines qu’ait l’Académie, c’est de faire taire Mademoiselle de Turé, qui à chaque moment dément son caractere. La premiere fois qu’ils s’assemblerent, ce fut un charivary fort plaisant. Je leur conseillay d’apprendre par cœur les Conversations de l’Académie Galante, & de les reciter comme s’ils eussent joüé une Comédie ; car en effet, elles sont fines, spirituelles, aisées, & représentent bien celles du monde poly ; mais ils me répondirent qu’il y en avoit pour trop peu de temps, & que leur Académie finiroit trop tost. Ils ont pris les Statuts de la vraye Académie, & leur goust a esté fort bon en cela. Rien n’est plus joliment imaginé que ces Statuts, & c’est un des plus agreables morceaux que j’aye veus dans aucun Livre de cette nature ; mais où les Académiciens ont esté fort embarassez, ç’a esté à conter leurs Histoires. Ils n’ont pas eu des sentimens si fins, ny si délicats que ceux qu’avoit Ormilly aupres de son Agnés, & il ne leur est pas arrivé des avantures aussi plaisantes que d’avoir trois amours comme ceux de Pontignan, & d’estre tantost métamorphosez, tantost emmaillotez comme luy, ou de voir des évanoüissemens comme celuy que vit Albagna, & de donner comme luy des rendez-vous à leurs Rivaux. Tout cela ne se fait point à .… & en verité je doute fort qu’il se soit fait mesme à Paris. Des choses si plaisantes ne sont pas du dernier vray-semblable, & il semble aussi que l’Antheur dans sa Préface ne se soucie pas qu’on y adjoûte beaucoup de foy. Quoy qu’il en soit, il est seûr que mes Académiciens, avec toute la liberté de mentir qu’on leur accorda par necessité, n’imaginerent rien de si bon. Ce qui me paroist de plus réjoüissant, c’est qu’il y a des Meres qui commencent à trouver mauvais que leurs Filles ayent hors de leur présence des conversations avec tant d’Hommes. Le soir, quand ces pauvres Demoiselles rentrent chez elles, ces Meres leur disent d’un ton aigre, Vous revenez donc de l’Académie ? Voila une belle folie que vous avez inventée. De nostre temps on ne parloit point de ces Académies-là. Je leur ay dit qu’elles n’avoient qu’à répondre à leurs Meres qu’elles les mariassent, & que selon les Reglemens mesmes de l’Académie, elles seroient obligées à en sortir. Pardonnez-moy, Madame, tout ce petit détail, & toutes ces bagatelles que je vous écris. Vous me mandez que la veritable Académie vous a tant plû, que je croy qu’en sa faveur vous ne trouverez pas mauvais que je vous aye entretenuë de l’Académie de Province.

Epitaphe de Mr de Pille, Gouverneur de Marseille §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 259-263.

 

Mr de Pilles, Gouverneur de la Ville de Marseille, y est mort depuis un mois, âgé de plus de quatre-vingts ans. C’estoit un Homme d’un fort grand mérite. Tous les Gentilshommes de ce Païs-là avoient tant d’estime pour sa vertu, qu’ils le prenoient pour Arbitre de leurs plus grands diférens. Il a eu la gloire de contribuer plus qu’aucun autre à pacifier les troubles de la Province. La douceur estoit son caractere particulier. Lors qu’il fut mort, on luy fit une Chapelle ardente dans l’Eglise de la Major, où un Pere de l’Oratoire prononça l’Oraison funebre. En suite on porta le Corps par toute la Ville. Le Convoy estoit composé de toute la Noblesse de Marseille, & des environs. Tous les Ordres Séculiers & Réguliers le précedoient, avec quelques Troupes reglées, & d’autres faites d’Habitans armez. Ces Troupes firent trois décharges, de mesme que toutes les Galeres & tous les Vaisseaux qui se trouverent au Port, lors qu’on reposa le Corps dans la Galere de Mr de Piles, Fils du Défunt, qui est à présent Gouverneur de la Ville. Cela estant fait, tout le monde se retira, à l’exception de ses plus Proches, qui accompagnerent le Corps au Chasteau d’If, une lieuë dans la Mer, où il fut inhumé avec beaucoup de cerémonie, comme il l’avoit ordonné par son Testament. C’est ce qui a donné occasion à ces Vers.

EPITAPHE
DE Mr DE PILLE,
Gouverneur de Marseille.

Nochers, qui sillonnez les Mers,
 Ne craignez plus aucun orage ;
Sur l’Empire des Eaux, il n’est plus de naufrage,
Parcourez hardiment tout ce vaste Univers.
 Cy gist au milieu de cette Isle,
 Le Corps de l’illustre de Pille,
 Qui par un sort des plus heureux,
 Apres avoir pendant la guerre
 Dissipé longtemps de la terre
 Les broüillards les plus tenébreux,
Va par un doux regard, comme un Astre paisible,
Calmer le couroux dangereux
D’un Elément bien plus terrible.

[Feste de Nostre-Dame du Mont Carmel celebrée à Lille] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 265-268.

 

La Feste de Nostre-Dame du Mont-Carmel fut celebrée solemnellement le Jeudy seiziéme de ce mois, dans l'Eglise des Peres Carmes de Lille, par les soins de Messire François de Breucq, Seigneur de la Rabliere, Maréchal de Camp és Armées du Roy, Mestre de Camp d'un Régiment de Cavalerie, Commandant pour Sa Majesté dans Lille, & Grand Prieur des Ordres Militaires de Nostre-Dame du Mont-Carmel & de Saint Lazare. Il n'a épargné aucune dépense pour rendre la Feste plus magnifique. Les premieres Vespres furent chantées avec grande pompe dés le Mercredy 15. du mois. Le lendemain il y eut grande Messe & Sermon ; apres quoy Mr le Grand Prieur suivy des Chevaliers, qui composoient un Cortege de douze à treize Carrosses, alla prier Mr le Maréchal de Humieres de venir dîner chez luy avec les Chevaliers. Il y vint accompagné des Gouverneurs de Valenciennes & de Bouchain, & de plusieurs autres Officiers de marque. Le Festin fut somptueux. Apres le Dîner, toute la Compagnie alla entendre les secondes Vespres, qui furent chantées avec la mesme solemnité, tant pour la Musique, que pour la décharge des Boëtes qui se fit toûjours à la fin de chaque Office. Le soir on jetta sur l'Esplanade, où est la Maison des Carmes, une infinité de Fusées volantes, de Serpenteaux, & d'autres Feux d'artifice. [...]

[Histoire de Cramoisy] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 270-279.

 

De tous les entestemens, celuy de la Mode est le plus commun aux Femmes. Elles la suivent avec un soin extraordinaire ; & quand il en a paru quelqu’une, l’empressement de s’y conformer est la seule chose qui les occupe. Ce qu’a fait une Bourgeoise depuis que l’Eté a commencé, peut justifier ce que je dis. Si-tost qu’elle eut remarqué que les Dames s’habilloient de Tafetas cramoisy, elle crût qu’il y alloit de sa gloire d’en estre aussi habillée, & fit pendant plusieurs jours de grandes carresses à son Mary, pour en obtenir dequoy se mettre à la mode. Le Mary, qui ne connoissoit pour mode que le plaisir d’épargner, se moqua du cramoisy. Il dit à sa Femme que la couleur ne faisoit rien aux Habits, que l’année d’auparavant il luy en avoit donné un d’Eté qui étoit encor tout neuf, & qu’il prétendoit qu’elle l’usast, avant qu’elle en eust un autre. La Bourgeoise eut beau prier. Le Mary fut infléxible, & quelque amour qu’elle luy marquast, il aima mieux renoncer à ses carresses, que les acheter par le présent qu’elle vouloit qu’il luy fist. Cependant l’envie de sa Femme ne se passa point. Elle eut toûjours le Cramoisy à la teste, & plus la tentation estoit violente, moins elle pouvoit s’imaginer par où se mettre en état de la satisfaire. Soit par vertu, soit par manque de beauté, elle n’avoit point d’Amant, ce qui dans les Modes est d’une grande ressource. La voye d’emprunt luy estoit d’ailleurs fermée, parce qu’on sçavoit que son Mary ne la laissoit pas en pouvoir de rendre. Ainsy elle commençoit à desesperer de venir à bout de son dessein. Enfin apres avoir inutilement rêvé à mille moyens, elle en trouva un qu’elle résolut de mettre en pratique. Estant sortie un matin sur les huit heures, elle demeura en Ville jusques à midy, & dit au retour à son Mary, que le hazard avoit fait pour elle ce qu’il luy avoit toûjours refusé, qu’elle venoit d’acheter l’Habit qu’elle souhaitoit, qu’elle avoit déja porté le Tafetas au Tailleur, & qu’une Bourse trouvée à l’Eglise sous ses pieds, luy avoit fourny dequoy le payer Le Mary gronda de ce qu’elle employoit si mal à propos cet argent trouvé. L’Habit à la mode ne luy plaisoit pas ; mais comme il ne luy en coustoit rien, du moins à ce qu’il croyoit, il la laissa faire à sa fantaisie. On apporta l’Habit à la Femme, & jamais elle n’avoit esté si contente d’elle, que quand elle se vit en gros Rouge. Trois ou quatre jours apres, le Mary fut averty qu’un de ses meilleurs Amis, à qui il estoit obligé de sa fortune, venoit à Paris pour quelque temps. La réconnoissance l’engageoit à le loger. Il luy destina sa plus belle Chambre, qu’il voulut faire meubler un peu proprement. Entr’autres Meubles qu’il reservoit pour l’occasion, il avoit donné en garde à sa Femme une Housse de Tafetas cramoisy (car de tout temps on s’est servy de cette couleur pour faire des Lits) il voulut la faire tendre. Comme cette Housse voyoit le jour rarement, sa Femme luy dit que ce seroit grand dommage de l’exposer à estre gastée, qu’elle devoit seulement servir de parade dans une Chambre où l’on ne coucheroit point, & que son Amy n’estoit pas Homme à se soucier des Meubles, pourveu que d’ailleurs on le régalast comme on devoit. Ses remontrances furent inutiles auprés du Mary. Il voulut estre le Maistre, & luy fit ouvrir le Coffre, où reposoit cette chere Housse. Apres qu’on l’en eut tirée, il envoya chez un Tapissier voisin, qui vint pour la tendre. Il dit d’abord en la déployant, que l’un des Rideaux manquoit. Le Mary le demanda à sa Femme, & l’embarras où il la mit en le demandant, luy fit aisément connoistre qu’elle l’avoit métamorphosé en Habit. Il querella, s’emporta, & fut enfin obligé d’en faire acheter un autre. La Bourse trouvée si à propos, luy frapant alors l’esprit plus fortement qu’elle n’avoit fait d’abord, il admira sa crédulité, & plein du chagrin d’avoir en dépit de luy donné à sa Femme les airs de la Mode, il alla chez le Tailleur, qu’il accusa d’estre complice du Vol. Cela ne servit qu’à faire éclater la chose. Elle fut sçeuë aussitost dans tout le quartier, & l’on en fit de fort plaisans contes. Ce qu’il y a présentement de particulier, c’est que la Femme n’osant plus porter l’Habit, par les railleries que l’on en fait, le Mary la persecute pour l’obliger à le mettre. Il la veut punir par là ; & les contestations qui naissent entr’eux de ce diférent, ajoûtent de jour en jour de nouvelles Scenes à la Comedie.

Sur les differentes occupations des Hommes §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 299-301.

 

Le Sonnet qui suit a eu tant d’Aprobateurs, que j’ay crû devoir vous en faire part. L’Autheur n’a voulu se faire connoistre que par ces Lettres, qui marquent son nom, F.F.D.L.I.

SUR LES DIFERENTES
occupations des Hommes.

Un Homme de neant s’égale à Jupiter,
Un mauvais Maréchal se rend Pharmacopole ;
Tel fait le Medecin, qui n’est pas bon Frater,
Souvent une Coquete a l’air de Sœur Nicole.
***
Ce grand Prédicateur n’entend pas son Pater,
Ce hardy Fanfaron au Combat caracole,
Cet ignorant Sçavant n’aime qu’à disputer,
C. Matelot d’un jour prétend à la Boussole.
***
Un Faiseur de Rébus croit se rendre immortel,
Un Poltron reconnu donne à tous le Cartel,
On fait mal ce qu’on fait, on ne fait qu’une affaire ;
***
Mais LOUIS partagé dans cent Emplois di-vers,
Se donnant tout à tout, fait voir à l’Univers,
Et qu’il fait ce qu’il faut, & qu’il sçait bien le faire.

Sur la Fierté de Madam. De V. dont l’Amant est Capitaine d’Infanterie §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 301-303.

 

Voicy d’autres Bouts rimez que vous trouverez fort heureusement remplis.

SUR LA FIERTÉ DE
Madem. de V. dont l’Amant
est Capitaine d’Infanterie.

Je connois, belle Iris, un Brave à Codebec,
Qui vous chérit autant qu’un Enfant sa Poupée,
Et qui dit que vos yeux & vostre divin bec
Font plus mourir de Gens que ne fait son Epée.
***
Ses propos amoureux estant pour vous du Grec,
Il fait incessamment quelque Prosopopée
Sur vos airs de fierté, qui le rendent si sec,
Qu’on le prendroit souvent pour l’Ombre de Pompée.
***
Ayez compassion de ce Fils de Pall-as,
Dont les tendres soûpirs & les fréquens helas
Amolliroient le cœur du plus cruel Py-rate.
***
Vous pouvez le sauver des griffes de Cloton,
Sans luy faire avaler Julep ny Mithri-date,
En devenant pour luy plus douce qu’un Mouton.

[Sujets proposez pour des Sonnets] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 303-306.

 

Quoy que la mode autorise les Bouts-rimez, il est des Gens fort spirituels qui s’en dégoûtent. Ils disent que l’esprit est trop gesné, & qu’apres beaucoup de peine, on voit toûjours qu’il n’auroit point eu de telles pensées, s’il n’y avoit point eu de telles rimes. Ils ajoûtent que s’il faut se faire quelque jeu pour se divertir, il vaudroit encore mieux choisir des matieres difficiles & extraordinaires, que des rimes bizarres, & hors de la belle Poësie. Ainsy ils voudroient, pour donner lieu à quelque chose de beau & d’élevé, qu’on proposast des sujets, où l’esprit n’eust jamais rien fait, qu’il n’eust jamais représentez ; & ils prétendent qu’il y auroit beaucoup de plaisir à voir ce que les veritables Poëtes pourroient dire là-dessus, en suivant leur adresse & leur pente, & choisissant les plus belles rimes. Je me sers des termes employez dans le Billet qui me donne cet avis. On y propose une haye d’épines, entre-autres sujets pour un Sonnet, avec liberté entiere de remplir par de beaux Vers, l’idée qu’elle offre, ou qu’on peut luy appliquer. Si ceux qui ont travaillé avec tant d’ardeur sur les Bouts-rimez veulent s’attacher à cette matiere, ce ne sera pas une petite satisfaction, de voir les diférentes pensées qu’elle produira. Plus elle semble sterile, plus l’effort d’esprit s’y fera paroistre.

[Entrée de Ballet dansée par M. le Prince Dietrichstein] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 306-308.

 

Le Dimanche 19. de ce mois, on vit sur le Théatre Royal de l’Opéra, une chose qui surprit agréablement toute l’Assemblée. Le jeune Prince de Dietrichstein, Fils aîné du Prince de ce nom, Grand Maistre de Sa Majesté l’Impératrice regnante, y dansa seul une Entrée de Balet, avec une grace merveilleuse. Il parut sur ce Théatre magnifiquement masqué selon la coûtume, & remplit la place d’un des principaux Maistres qu’employe Mr de Lully. Monsieur y vint pour le voir, avec un concours de monde incroyable. Ce jeune Seigneur qui n’a pris leçon que depuis un an, dansa cette Entrée d’une maniere si juste, qu’il fut admiré de tout le monde. Il est fort bien fait, extrémement beau, & réüssit parfaitement dans ses exercices. Il a beaucoup de feu dans l’esprit, & son mérite ne contribuë pas moins que sa qualité, à le faire souhaiter par tout. Si l’on a veu quelques Etrangers faire en d’autres temps la même entreprise, il est du moins le premier de la Cour de l’Empereur, qui se soit assez répondu de soy pour oser paroistre devant une si grande Assemblée. Aparemment il le fera encor d’autres fois. Ceux qui voudront l’imiter ne le feront pas sans peine.

[Mariage de M. de Motteville avec Mademoiselle Lambert de Thorigny] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 310-311.

 

Mr de Motteville, Conseiller au Parlement de Paris, & reçeu à la Charge de Premier Président de la Chambre des Comptes de Roüen, a épousé depuis peu de jours Mademoiselle Lambert de Thorigny, Fille de Mr de Thorigny, Président de la Chambre des Comptes de Paris, & de feuë Dame Marie de Laubespine. Elle est génereuse, libérale, a l'esprit fort enjoüé, sçait la Musique, & joüe parfaitement du Clavessin. La cerémonie du Mariage se fit à S. Gervais, par le Curé de cette Paroisse.

[Actions de pieté de M. de Novion, Evesque d'Evreux] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 336-340.

 

Mr de Novion, Evesque d'Evreux, donne de continuelles marques de zele, de vigilance, & de charité, qui le mettent dans une estime extraordinaire parmy tous ceux de son Diocese. [...] Si-tost qu'il fut de retour, il alla à Louviers pour la clôture d'une Mission faite par son ordre. Jugez combien toute la Ville fut édifiée de luy en voir faire la cerémonie. Le Dimanche 12. de ce mois, il fit celle de la Translation d'une Relique de S. Gaude second Evesque d'Evreux. La solemnité en fut tres-grande. Cette Relique ayant esté portée le jour précedent par un Chanoine de la Cathédrale à la Paroisse de S. Léger, la Procession s'y rendit le lendemain sur les huit heures. Mr l'Evesque d'Evreux marchoit en Habits Pontificaux, précedé du Chapitre en Chapes, des Chapelains, Curez de la Ville, de tous les Religieux, Cordeliers, Jacobins, & Capucins, aussi en Chapes, des Enfans bleus de la Charité, & de tous les Corps des Mestiers, portant chacun un Flambeau. Tous les Officiers du Présidial & du Bailliage suivoient en Corps, & apres eux, un nombre infiny de Gens de toutes conditions. La Procession estant arrivée à S. Léger, on y chanta une Antienne en l'honneur du Saint. En suite on prit le grand tour de la Ville, pour aller à Nostre-Dame, où l'on retourna dans le mesme ordre qu'on estoit party, deux Chanoines portant la Châsse qui enfermoit la Relique. Mr l'Evesque officia pontificalement, & la Messe fut chantée par la Musique. L'apresdînée, Mr Vaillant, Docteur de Sorbonne, Theologal du Chapitre, & l'un des Grands Vicaires de Mr d'Evreux, fit le Panégyrique du Saint, avec l'applaudissement de tous ceux qui l'entendirent. Le Mardy 14. il y eut Feste solemnelle pour la Conférence, où ce Prélat fit entendre toute la cerémonie. [...]

[Opéra de Persée representé à Versailles devant le Roy] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 354-358.

 

L’Opéra de Persée a esté représenté à Versailles, en présence de Leurs Majestez. Ce qui s’est passé en cette occasion tient du prodige, & fait voir que le plaisir qu’on prend à servir le Roy, va jusqu’à venir à bout de l’impossible. Ce Prince avoit dit que quand il voudroit voir cet Opéra, il en feroit avertir quelques jours auparavant, afin qu’on eust le temps de s’y préparer, & de dresser un Théatre dans le fond de la Court du Chasteau, qui estoit le lieu destiné pour ce Spéctacle. Cependant le temps s’estant mis tout d’un coup au beau, & Sa Majesté voulant que Madame la Dauphine eust part à ce Divertissement avant qu’elle accouchast, on n’avertit de se tenir prest que vingt-quatre heures avant la Représentation. Ainsi on ne pût travailler au Théatre que le jour mesme. Il se trouva fort avancé sur le midy ; mais le Vent ayant changé, la pluye qui tomba tout le matin fit assez connoistre qu’il en tomberoit le reste du jour. Le Roy estoit prest de remettre l’Opéra à un autre temps, lors qu’on luy promit qu’il y auroit pour le soir mesme un autre Théatre dressé dans le Manége ; & en effet à huit heures & demie du soir, le lieu où l’on travailloit encor des Chevaux à midy sonné, parut avec un brillant inconcevable. Théatre, Orquestre, Haut-dais, rien n’y manquoit. Un tres grand nombre d’Orangers d’une grosseur extraordinaire, tres-difficiles à remüer, & encor plus à faire monter sur le Théatre, s’y trouverent placez. Tout le fond estoit une Feuïllée composée de veritables branches de verdure coupées dans la Forest Il y avoit dans ce fonds, & parmy ces Orangers, quantité de Figures, de Faunes, & de Divinitez, & & un fort grand nombre de Girandoles. Je n’entreprens point de vous en faire la description. Elle me seroit plus difficile que l’exécution mesme ne l’a esté. Beaucoup de Personnes qui sçavoient de quelle maniere ce lieu estoit quelques heures auparavant, eurent peine à croire ce qu’elles voyoient. Si le Roy est si bien servy pour les choses qui ne regardent que ses divertissemens, avec quelle ardeur ne cherche t’on point à remplir ses volontez, lors qu’il s’agit de quelque affaire importante ? C’est ce qui fait qu’on voit des Villes fortifiées, sortir de terre en fort peu de jours. Tous ceux qui ont de l’employ dans l’Opéra de Persée, s’en acquiterent si bien, qu’on en remarqua toutes les beautez. Le Sieur Pecour dança d’une maniere qui luy attira beaucoup de loüanges. Le lieu se trouva propre pour les Voix, & l’étenduë de celle de Mademoiselle de Rochois, charma les plus difficiles de la Cour. La Simphonie parut admirable, & le Roy dit à Mr de Lully, qu’il n’avoit point vû de Piece dont la Musique fust plus également belle par tout, que celle de cet Opéra.

[Andromede, Tragédie en Machines] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 358-360.

 

Les Comédiens François ont commencé depuis quelques jours les Représentations d’Andromede, Tragédie en Machines, de Mr de Corneille l’aîné. Elle fut faite pour le divertissement du Roy, dans les premieres années de sa Minorité. La Reyne Mere qui n’entreprenoit rien que de grand, y fit travailler dans la grande Salle du Petit-Bourbon, où se représentoient les Balets du Roy, lors qu’ils estoient accompagnez de Machines. Le Théatre estoit beau, élevé & profond, & l’on y a vû plusieurs grands Balets, où Sa Majesté dançoit, dignes de l’éclat & de la grandeur de la Cour de France. Le Sieur Torelly, pour lors Machiniste du Roy, trauvailla aux Machines d’Andromede. Elles parurent si belles, aussi-bien que les Décorations, qu’elles furent gravées en Tailles douces. Les grands applaudissemens que reçeut cette belle Tragédie, porterent les Comédiens du Marais à la remettre sur pied, apres qu’on eut abatu le Petit-Bourbon. Ils réüssirent dans cette dépense, qu’ils ont faite trois ou quatre fois, & elle vient d’estre renouvellée par la grande Troupe avec beaucoup de succés. Comme on renchérit toûjours sur ce qui a esté fait, on a représenté le Cheval Pégase, par un véritable Cheval, ce qui n’avoit jamais esté veu en France. Il jouë admirablement son rôle, & fait en l’air tous les mouvemens qu’il pourroit faire sur terre. Je sçay que l’on voit souvent des Chevaux vivans dans les Opéra d’Italie ; mais si nous voulons croire ceux qui les ont veus, ils y paroissent liez d’une maniere, qui ne leur laissant aucune action, produit un effet peu agreable à la vuë. Le Sujet de cette Piece estant le mesme que celuy de l’Opéra de Persée, on voit la diversité des génies dans les diférentes manieres de le traiter.

[Zélonide, Tragédie] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 360-361.

 

Le bruit qu’à fait Zélonide lors qu’elle a paru sur le Théatre, vous a obligée plusieurs fois à me demander si elle estoit imprimée. Elle l’est enfin depuis quelques jours, & je vous l’envoye. Vous y trouverez une maniere d’Epistre dédicatoire aussi nouvelle que pleine d’esprit, puis que c’est Zélonide qui parle elle-mesme à Madame la Duchesse de Nevers, à qui cette Piece est dediée.

[Opinion de plusieurs Autheurs sur la conjonction de Saturne, Jupiter, & Mars […]] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 361-362.

 

Comme on doit voir le 22. Septembre prochain la conjonction extraordinaire des trois Planetes supérieures, Saturne, Jupiter, & Mars, ce qu’on n’a point vû depuis plusieurs siecles, Mr Crochat avertit qu’il met sous la presse un Traité tres-curieux, dans lequel il donnera les opinions des plus celebres Autheurs, qui ayent écrit sur cette conjonction, sans oublier la sienne, avec ses supputations sur ce sujet. Son Livre paroistra le mois prochain. Ceux qui le voudront avoir, le trouveront chez le Sieur Thomas Amaury, Libraire à Lyon.

[Le Napolitain] §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 362-364.

 

On acheve d’imprimer un autre Livre, intitulé Le Napolitain. C’est une Histoire qui renferme plusieurs Lettres aussi passionnées que les Lettres Portugaises. On aura peine à le croire, puis qu’on est persuadé que tout ce qui marque la plus violente passion, est dans ces dernieres. Cependant j’oserois vous assurer que celles qui sont dans l’Histoire du Napolitain, ne luy cedent point. Toute la diférence qu’il y a, c’est que Mademoiselle d’Ossanove qui les a écrites, a pû les écrire, & les envoyer, sans que les Personnes les plus scrupuleuses puissent blâmer sa conduite. Toutes sortes de raisons, l’honneur, le devoir, la volonté de son Pere, secondoient en elle une puissante inclination. Aussi jamais les sentimens du cœur n’ont-ils esté si bien exprimez. Ces Lettres sont raportées pour justifier cette spirituelle Personne, qu’on a attaquée apres sa mort. Si le Sieur Blageart, qui doit debiter ce Livre, continuë à nous en donner de pareils, & à celuy là, & à ceux qu’il a imprimez depuis peu, on peut s’assurer que tout ce qu’il donnera sera digne d’estre lû. On voit bien qu’il choisit ses Manuscrits sur le jugement de Personnes éclairées, & qui ont le goust des bonnes choses.

[Naissance à la Cour de Suéde.]* §

Mercure galant, juillet 1682 [tome 7], p. 364-365.

 

Il y a grande joye à la Cour de Suéde pour la naissance d’un Prince, dont la Reyne a accouché le 27. du dernier Mois. Il a esté Baptisé, & nommé Charles, On est toûjours icy dans l’attente de l’accouchement de Madame la Dauphine. Toute la France fait des Vœux sur sa grossesse, & dit par la bouche de Mr Richebourg de Crusy,

 Qu’il vienne ce Royal Enfant,
 A qui nous destinons des Temples.
S’il veut du Monde entier estre un jour triomphant,
 Il ne manquera pas d’exemples.

Je suis, Madame, vostre, &c.

A Paris ce 31. Juillet 1682.