1682

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12].

2016
Source : Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

[Anagramme] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 1-2.

Je ne puis mieux commencer cette Seconde Partie de ma Lettre, que par une Anagramme littérale, qui a esté faite du Nom du Roy. Elle est de Mr l’Abbé Lauge, qui dans ces deux mots, Loüis le Grand, a trouvé Rang du Soleil. L’estime où cet Abbé s’est mis à la Cour, par ses Sermons & ses Lettres, vous est sans-doute connuë. Voicy des Vers qu’il a faits pour expliquer sa pensée.

Il fournit sans erreur sa brillante carriere,
Il employe à propos & chaleur & lumiere,
 Il n’est point sans luy de beaux jours,
 Rien ne se fait sans son concours,
 Il forme rosée & tonnerre,
 Tout est découvert à ses yeux,
 Depuis le plus haut point des Cieux,
 Jusques au plus bas de la Terre.
Chaque jour il renaist, on le voit chaque fois
 Briller comme un nouveau Miracle,
 Il est des Peuples & des Rois
 Le Spéctateur & le Spéctacle.

[Autre Anagramme] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 3.

Ce mesme Abbé a fait l’Anagramme de ces autres mots, Loüis le Grand, Roy de France & de Navarre. Les lettres transposées y font trouver, Fortune aviendra par regard de ce Soleil.

[Epistre en Vers] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 3-6.

Cette Anagramme qu’il a présentée à Sa Majesté, aussi bien que la premiere, luy a donné lieu de faire ces autres Vers. Ils vous plairont d’autant plus, qu’ils loüent ce grand Prince sur la qualité que vous admirez davantage en luy ; je veux dire sur ce zele ardent qu’il fait sans cesse éclater pour l’intérest de l’Eglise.

AU ROY.
LE JOUR DE S. LOUIS.
Epistre.

Heritier le plus grand du plus saint Roy du monde,
LOUIS de qui la main en miracles féconde
Tient de tour l’Univers l’impérieux timon ;
Héros de l’Evangile autant que de l’Histoire,
Dont le cœur plus Chrestien & plus grand que le Nom,
Unit dans ses devoirs la Grace avec la Gloire ;
Soleil, pour qui la terre a trop peu de contour,
Astre dont les regards dispensateurs du jour
Ont dessillé les yeux de l’aveugle Fortune,
Regardez en passant mon Etoile importune,
Dont l’obscure froideur n’influë en cet écrit
Qu’un desir impuissant d’avoir un peu d’esprit.
Si vous daignez, hélas, du haut de vostre Sphere,
Contempler le néant, source de ma misere,
Vous me ferez sortir de mon abysme affreux,
Assez spirituel, & mesme assez heureux,
Pour celebrer en vous, Prince puissant & juste.
Le cœur d’un Mécenas, & la main d’un Auguste.
Tantost j’admireray prés de vous les beaux Arts,
Couronnez des Lauriers d’Apollon & de Mars ;
Tantost vostre sagesse exempte de surprise,
Qui pourvoit de son Camp au besoin de l’Eglise,
Honore de ses dons & le Prestre & l’Autel,
Fait regner LE SAUVEUR, & LOUIS l’un par l’autre,
Et joint en vous, grand Roy, né pour estre immortel,
La gloire d’un César au zele d’un Apostre.

[Jacobins du Grand Convent de Paris] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 6-7, 9-10.

 

La naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui a donné tant de joye à tous les François, est assurément une récompense de ce zele, qui attire tous les jours de nouvelles Benedictions du Ciel sur le Roy. On continuë en plusieurs endroits à rendre graces à Dieu de cette Naissance ; & les Jacobins du grand Couvent de Paris, quoy qu'ils eussent chanté deux fois solemnellement le Te Deum, & allumé deux Feux diférens pendant les Réjoüissances publiques, en firent une particuliere le Dimanche 4. de ce mois. C'étoit un jour consacré à la grande Feste du Rosaire, dont Loüis XIII. Loüis le Grand, & Monseigneur le Dauphin, ont embrassé la devotion dés leur Berceau ; [...]

La Réjoüissance commença par la décharge de quantité de Boëtes, apres quoy une excellente Musique mêlée de Symphonie, chanta le Te Deum & l'Exaudiat aux Fanfares des Trompetes, & au bruit des Timbales. Un Feu d'artifice des plus beaux termina la Feste.

[Devises faites à Lyon] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 17-25.

Si tout le Royaume a esté en joye, Lyon n’a pas manqué de se distinguer. Il s’y est fait de grandes réjoüissances ; mais de voit-on moins attendre d’une Ville dont l’Archevesque & le Gouverneur sont si zélez pour le Roy ? Mr Gayot, Président & Trésorier genéral de France, Prevost des Marchands, & Messieurs Troillet, Benzon Baron de Riverie, Seigneur de Chatelus ; Huvet, Eleu en l’Election du Lyonnois, & Saladin, Seigneur de Fraine, Echevins, ayant choisi le 23. jour d’Aoust & les deux suivans, pour célébrer l’heureuse Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, il fut ordonné que tous les Quartiers de la Ville se mettroient en armes, & que des Feux seroient allumez par tout. On receut cet ordre avec grande joye. Ainsi apres que celuy de l’Hôtel de Ville, auquel Mr l’Archevesque mit le feu, eut esté entierement consumé, on en alluma dans tous les Quartiers ; & les fenestres de chaque Maison furent éclairées de tant de lumieres, qu’on auroit crû que le jour n’eust point finy. Ces Quartiers, Madame, qu’on appelle les Pennonages, sont au nombre de trente-six, dont chacun contient cinq ou six Ruës. Ils ont tous leur Capitaine, Lieutenant & Enseigne. Ces Officiers sous les armes, aussi bien que leurs Soldats, tous en bon ordre, firent faire chacun un Feu d’artifice dans leur quartier. Il fut tiré au bruit des salves de coups de Mousquet plusieurs fois réïtérées, & dans la plûpart on n’oublia pas les Boëtes. Chaque Feu estoit remply de Devises. Le dessein de celuy du Port du Temple estoit l’avanture d’Arion, peinte sur une Machine triangulaire, dont les faces avoient huit pieds de hauteur, sur quatre & demy de large, avec un Temple au Port de la Mer où cet Avanture se passa, pour faire allusion au nom du Quartier. Au costé droit, on lisoit ces Vers pour Monseigneur le Dauphin. Ils estoient écrits sous ces mots Latins,

Spes altera Regni.

 Celebres Chantres du Parnasse,
Qui trouvez le Dauphin si sensible à vos Airs,
Chantez en Arions sur mille tons divers,
Son esprit, sa vertu, son courage, sa grace,
Et le fruit dont le Ciel a déja couronné
  Son Hymen fortuné.

De l’autre costé sous les mêmes mots Latins, estoient ces autres Vers pour Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Le Ciel dans ce beau jour veut que nous soûtenions
 Nos transports ardens & sinceres
  Par de pareilles actions ;
 Retirez-vous, Chantres vulgaires,
Pour le Fils d’un Dauphin, il faut des Arions.

La Machine estoit posée sur une Colonne de 50. pieds de haut, pleine d'artifice, & de tout ce qu'il y a de plus combustible, afin que le feu la consumast toute, avant qu'elle tombast. Sur le haut de la Colonne estoit un Soleil, qui dardoit mille rayons. Ce Feu eut le succés qu'on en attendoit, aussi bien que ceux qui furent tirez au Change, & à la Doüane. Je vous en entretiendray à la fin de ma Lettre, en vous envoyant le Dessein gravé de l'un & de l'autre. Je ne vous dis point que ces Fontaines de Vin coulerent à l'Hôtel de Ville & en differens endroits. Ces marques de joye se sont données dans toutes les Villes. Les Communautez Religieuses firent à l'envy paroître la leur par l'illumination de leurs Clochers, & par quantité de Fusées volantes. Les Célestins, qui dés la nuit du 22. au 23. avoient illuminé leur Clocher, préparérent quelque chose de singulier pour le jour de S. Loüis, mais la pluye les obligea de remettre ce spectacle jusqu'au Dimanche 30. Aoust. Ce jour-là, après avoir fait tirer grand nombre de Boëtes, ils mirent le feu à une Machine, qu'ils avoient ornée de trois Devises, l'une pour le Roy, & les deux autres pour Monseigneur le Dauphin, & Monseigneur le Duc de Bourgogne.

La premiere estoit un Soleil en son Midy, avec ces mots,

Radios totum diffundit in orbem.

La seconde représentoit un Dauphin couronné, nageant dans une Mer calme, avec ces paroles,

Pacem, noniste procellas ominat.

La derniere faisoit paraître un Soleil naissant, & ces mots kuy servoient d'ame,

Laetitias populis jam pandit ab ortu.

Pendant que cette Machine bruloit, & que les Fusées s'élevoient en l'air, ces Religieux, tous un flambeau à la main, entrérent dans leur Eglise, où leur Provincial qui estoit alors chez eux, entonna solemnellement le Te Deum. Le Choeur poursuivit au son de l'Orgue touché par Mr Boussart, qui par sa délicatesse se fait admirer de tout le monde. Comme ce Convent est le long de la Riviere, il y eust deux Bateaux illuminez, qui croisoient incessamment, & d'où sortoit une infinité de feux, & de tres-belles Fusées. Cela dura depuis huit heures jusques à minuit.

[Carrousel, Feu d'artifice, & autres Festes] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 25-34, 37-46.

 

Quoy que l'on ait fait de magnifique à Lyon pendant ces réjoüissances, rien n'égale les deux grands Spectacles que les Jésuites donnerent. Ils ont deux Colleges dans cette celebre Ville ; & comme les Ecoliers qu'ils employérent, estoient la plus part de qualité, on n'épargna aucune dépense. Vous serez surprise quand je vous diray qu'on fait monter à dix mille écus, celle que ces Ecoliers ont faite. Ceux du grand Collége, appellé de la Trinité, voulurent montrer par un Carrousel, suivy d'un Feu d'artifice, que la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, établissoit le bonheur de la France. Ils choisirent le 5. de ce mois, jour de la Naissance de sa Majesté pour faire leur marche.

Leur Carrousel estoit divisé en cinq Quadrilles. Celle des François marchoit la premiere, ayant leur Chef à leur teste, vétu de Satin bleu, semé de Fleurs de Lys en broderie d'or & d'argent, avec une Veste de Moëre d'argent rebrodée d'or, & un grand Bouquet de plumes blanches & bleuës qui ombrageoient son Chapeau. [...] Ce Chef dont la Devise estoit un Soleil, [...], avoit devant luy le Maréchal de Camp general avec un Habit en broderie d'or & d'argent, sur un fond rouge cramoisy, portant à la main un Bâton de Commandement couvert de Fleurs de Lys d'or. Deux Trompetes, un Timbalier, & deux Aides de Camp le précédoient. [...]

La seconde estoit celle des Romains. Leur Chef vestu d'une Cote d'Armes en broderie d'or & d'argent, sur une fond de satin couleur de feu, avec un Casque ombragé de Plumes de mesme couleur & brillant de Diamans, montoit un tres-beau Cheval, dont le crin, la queuë, & tout le harnois estoient garnis d'une infinité de Rubans. Deux Trompetes, un Timbalier, quatre Officiers portant les Haches & les Aigles Romaines, & un Maréchal de Camp, marchoient devant luy. [...]

Les Turcs paroissoient en suite. Leur Chef vestu d'une Moëre d'argent rebrodée d'or, ayant dessous une Veste en broderie d'or & d'argent sur un fond de satin verd, avoit un Turban enrichy de Pierreries, & orné de Plumes vertes & blanches, & d'une Aigréte au milieu. Un Trompéte, & un Timbalier, le précédoient, & un Maréchal de Camp portoit le Sabre nud devant luy. [...]

Celle des Persans suivoit. Leur Chef, dont l'habit estoit couvert d'une broderie d'or & d'argent sur un fond de Satin rouge, portoit une Mante de toile d'argent rebrodée d'or, & noüée sur les épaules. [...] Il estoit précédé de deux Trompétes, d'un Timbalier, d'un Maréchal de Camp, & de quelques Officiers. [...]

Les Grecs fermoient cette marche. Deux Trompétes, deux Aides de Camp, & un Maréchal de Camp précédoient leur Chef, qui estoit vestu de toile d'argent, chamarrée d'or. [...]

Ces cinq Quadrilles firent l'admiration de toute la Ville, par la belle disposition de leur marche. Celles des Romains, des Turcs, des Persans & des Grecs, se rangérent en haye dans toutes les Places publiques, & firent connoître par leurs soûmissions, que l'Empire des François l'emporte sur tous les autres Empires. Au milieu des cinq Quadrilles, parut un Char, tiré par des Chevaux gris pommelé. [...] Un superbe Trône, avec le Dais, les Pantes & les Courtines de Moëre d'argent rebrodée d'or, estoit élevé sur le derriére. [...] Autour de ce Trône étoient la Paix, l'Abondance, la Victoire, la Force, la Religion, la Clemence, la Piété, & la Concorde ; les unes semant des Fleurs, & les autres charmant la foule des Spectateurs par d'agréables Concerts. L'Immortalité vestuë de couleur amarante, & couronnée d'Immortelles, conduisoit le Char. Chaque Quadrille avoit son Guidon chargé de la Devise du Chef.

Après qu'elles eurent fait leur marche dans tous les lieux, où l'on s'attendoit à les voir passer, elles se rendirent au Te Deum, qui fut chanté en Musique sur les six heures du soir. Cela estant fait, les fanfares des Trompetes, le son des Tambours, l'harmonie des Violons, & le bruit des Boëtes, avertirent tout le monde, qu'on estoit prest de faire joüer le Feu d'artifice. Le dessein étoit de l'Invention de Mr Blancher. [...]

Le lendemain qui estoit Dimanche, les Ecoliers du petit College appellé de Nôtre-Dame, qui devoient représenter le Triomphe de la France & de nos Rois, s'estant assemblez après l'Office, marchérent tous en procession, suivis de plusieurs rangs d'Ecclesiastiques. [...] La Procession s'estant renduë à Fourviere, on y chanta plusieurs Prieres en Musique, avec une tres-belle Symphonie. Cette Symphonie fut secondée d'un Concert de Flutes douces, de Hautbois, de Timbales, & de Trompetes, qui s'estant postez du costé, d'où cette Eglise celebre par ses Miracles & par la devotion des Peuples, domine sur la Ville, y portoient le son de ces divers Instrumens.

Le Lundy 7. du mois, jour destiné à la marche du Triomphe, on l'annonça le matin devant le College, au bruit des Trompetes & des Tambours de la Ville ; & les Quadrilles s'estant préparées, elles parurent dans l'ordre qui suit.

Un Roy d'Armes, vestu à la Romaine d'un brocard à fond bleu, chargé de Fleurs de Lys d'or, ouvroit cette marche. Il estoit précédé de deux Trompetes & d'un Timbalier, & tenoit une Banniere pendante. [...]

La France suivoit sur un Char de triomphe de huit pieds de haut, orné d'un Satin bleu à fleurs d'or, & peint au dedans de Dauphins, de Lauriers, de Palmes, & des Blazons de la France. [...] Le Dauphiné, & la Bourgogne, comme plus intéressées à prendre part au Bonheur commun, estoient les plus proches de ce Char. Deux Tambours qui les suivoient, batoient la Marche-Royale, & precedoient le Drapeau de la premiere Race de nos Rois. [...]

Entre la premiere & la seconde Race, à la teste de laquelle on voyoit Pepin, on fit passer un Char relevé de deux manieres, de petits Portiques ornez de Festons & de Rideaux flotans & remply d'excellens Maistres, qui par un Concert de Cromornes, Hautbois, Flutes-douces, & Timbales, donnoient beaucoup de plaisir aux Spectateurs. [...] Ensuite on voyoit le Char de l'Eglise Gallicane précedé de deux Trompetes & d'une Timbale. [...]

Hugues Capet, Défenseur de la Couronne, parut à la teste de la troisiéme Race, habillé à la Romaine, d'une Moëre couleur de feu, surmontée de plusieurs rangs de Dentelles d'or, bordée & garnie de Perles & de Diamans. [...] Philippe Auguste, marchant apres Robert, Henry I. Philippe I. Loüis le Gros, & Loüis le Jeune, fut le premier de ces Rois, que l'on vit vestu à la Françoise avec un Juste-au-Corps chamarré d'or & d'argent. La marche estoit interrompuë devant luy par deux Tambours & un Trompete. Elle fut fermée par un Char où estoit assis le Génie de la Bourgogne, qui représentoit le jeune Duc qui porte aujourd'huy son nom. [...] Les plus fameux Argonautes Jason, Thesée, Castor, & Pollux, & plusieurs autres, entouroient le Char, qui estoit tapissé de Damas rouge, & suivy des Rois & Ducs de Bourgogne, Grands Maistres de la Toison d'or, ayant à leur teste Philippe le Bon, Instituteur de cet Ordre. Un Drapeau qui en portoit le Collier les précedoit avec deux Trompetes & une Timbale. Hercule, Personnage Symbolique du Roy, conduisoit les Héros de la Toison, représentez tous par des Enfans, pour faire connoistre que la gloire de ces grands Hommes est effacée par celle de LOÜIS LE GRAND. Un Te Deum chanté en Musique, de la composition de Mr Belon, finit cette Feste. Il fut suivy des fanfares des Trompetes, du bruit des Tambours, & de la décharge des Boëtes que l'on avoit préparées.

[’Roussillon] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 46-49, 53-54.

 

La Province de Roussillon a bien témoigné qu'elle estoit veritablement Françoise, & qu'avec nos Habillemens qu'elle a pris depuis un temps, elle avoit pris aussi le zele que nous avons pour nôtre Auguste Monarque. Dés que la nouvelle de l'Accouchement de Madame la Dauphine eut esté apportée par un Courrier extraordinaire à Mr le Comte de Chazeron, Lieutenant Général des Armées du Roy, & à Mr le President de Trobat, Intendant de la mesme Province ; ces deux Messieurs ne songerent qu'à donner des marques éclatantes de leur joye, & appliquerent tous leurs soins à préparer une Fête. [...] Le 29. d'Aoust, la Feste fut annoncée à Perpignan pour le lendemain, par une Cavalcade de plusieurs jeunes Gens de la Ville, qui chantoient des Airs dans tous les lieux publics, & estoient precédez de Timbales, de Trompetes, de Hautbois, & de douze Drapeaux du Regiment des Milices de la Province, après quoy marchoit un Drapeau Royal que Messieurs les Consuls avoient fait faire & qui estoit porté par la Jeunesse la plus qualifiée. Le 30., on se rendit dans la grande Eglise pour y remercier Dieu du Bonheur qu'il venoit d'envoyer. [...] Mr le Comte de Chazeron assista à une Messe solemnelle, accompagné de tous les Officiers de la Garnison. Le Conseil Souverain occupoit la droite du Choeur, & l'Université & les Consuls la gauche. Un Pere Jesuite fit un Eloge dont il s'aquitta tres dignement. Après midy, les Vespres précederent le Te Deum, qui fut chanté au bruit de tout le Canon de la Ville & de la Citadelle. Ensuite on fit une Procession des plus solemnelles. [...]

Le 31. fut celebré avec les mesmes réjoüissances. Toutes les Boutiques furent fermées, & le Peuple ne fit que dancer dans les Places publiques, où l'on avoit dressé de petits Theatres pour y placer des Joüeurs de toutes sortes d'Instrumens. Enfin le troisiéme jour Mrs l'Abbé de la Réalle fit une Feste magnifique à la Réalle, & tout finit par un tres-grand Feu d'artifice, qui représentoit un Athlas chargé du Monde, d'où sortoient trois Soleils, & par un grand Bal qui fut donné aux Dames à la Maison de Ville.

[Toulon] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 55-59.

 

Le Lundy 24. d'Aoust, les Tambours, Flutes & Hautbois, se mirent en marche dans la Ville de Toulon, pour y disposer le Peuple aux Réjoüissances que l'on avoit résolu de faire. Les quatre Sergens de Ville qui les précedoient avec les Echarpes & les couleurs des Capitaines Quarteniers, portoient sur une Halebarde une Epée d'argent attachée à une Echarpe bleuë avec les couleurs de la Ville. C'estoit le Prix que les Consuls avoient destiné pour la Joûte qui fut faite sur la Mer les deux jours suivans. Le lendemain jour de Saint Loüis, après la solemnité des Cerémonies de la Cathédrale, ausquelles assista Mr de Courcelles, Commandant pour Sa Majesté en l'absence de Mr le Duc de Vendosme, Gouverneur de la Ville, on donna les ordres necessaires, pour faire commencer la Joûte. Le Balcon de l'Hôtel de Ville, soûtenu par deux Termes d'une tres-belle sculpture, servit pour placer Mr & Madame de Courcelles avec plusieurs Dames de qualité qui estoient venuës pour ce Spectacle. A chaque costé de ce Balcon on avoit dressé un Amphitheatre pour placer les Violons & les Hautbois, qui avec les Trompetes devoient animer les Combatans. On les remarquoit sur une petite planche élevée au dessus de la Poupe des Bateaux destinez pour cette Joûte, & qui estoient peints aux Armes de Monseigneur le Dauphin & de la Ville, aussi bien que les Targues & les Lances dont ils se servirent dans le combat. Il dura jusqu'à l'entrée de la nuit, & alors Mr de Courcelles, accompagné des Consuls, se rendit à la Place d'armes où l'on avoit préparé le Feu. [...] Le lendemain on continua la Feste, & les Boutiques furent fermées pendant tout le jour. [...] On recommença la Joûte qui attira un nombre infiny de Spectateurs. Un des Combatans en renversa sept, & ayant fourny ses Courses avec toute la vigueur qu'on peut souhaiter dans un brave Athlete, il reçeut le Prix des mains du Premier Consul. La nuit, ce ne furent que Festins, que Dances, que Bals, & le jour parut avant qu'on eust finy les Plaisirs.

Chanson Provençale §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 59-60.

Je vous manday la derniere fois en vous parlant de Marseille, que pour une plus grande marque de joye, la Musique chanta une Chanson Provençale dans l’Eglise Major, apres que le Te Deum eut esté chanté. Je viens de la recevoir notée, & je vous l’envoye. Les Trompetes y tinrent leur partie.

CHANSON PROVENÇALE

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par You pren, doit regarder la page 61.
You ay mon Fifré, pren ton Tambourin,
 Anen jougua l’Aubado
  A l’Acouchado
  Qu’a fach lou Dauphin ;
Quand l’y seren, veissy coumo fau fairé,
 Parapatapan, parapatapan,
 Parapatapan, tiretto.
A quo poû pas manqua de réjoüy la Mayré,
 Parapatapan, tiretto.
A quo poû pas manqua de réjoüy l’Enfan.
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Stances irrégulieres §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 60-63.

Une fort aimable Fille, qui ne veut estre connuë du Public, que sous le nom de la Jeune Muse du Fauxbourg Saint Germain, a fait les Stances & le Madrigal qui suivent. Ils ont esté veûs de beaucoup de Connoisseurs, qui sont charmez du génie de cette Muse naissante. Quoy qu’elle soit dans un âge qui permet de dire qu’elle sort à peine de l’enfance, elle égale les plus habiles dans la connoissance de l’Histoire & de la Geographie. Ainsi elle est en état de soûtenir la reputation d’un Pere qui en a beaucoup.

Stances irregulieres.

 Un Prince charmant vient de naître,
 Qui fait le bonheur de ces Lieux.
Ses adorables traits font assez reconnoître
 Quels sont ses illustres Ayeux.
***
 Quel brillant éclat l’environne !
 Qu’il a de grace & de beauté !
 Le Ciel a joint en sa Personne
 La douceur à la majesté.
***
 Il charmera comme sa Mere,
De son Pere il aura la genérosité,
Ainsi que son Ayeul, une ame grande & fiere ;
Il luy sera semblable en valeur, en bonté
***
LOUIS a triomphé de la moitié du Monde,
Mille Peuples divers à ses Loix sont soûmis.
Apres avoir vaincu sur la terre & sur l’onde,
Aujourd’huy dans l’Europe il n’a plus d’Ennemis.
***
 Le Prince qui vient de paroître,
Ne trouvant rien à vaincre en ces heureux Climats,
De l’Empire Otoman un jour se rendra maistre
 Par mille genéreux Combats.
***
 Tandis que son auguste Pere,
 Digne Fils du plus grand des Roys,
 Dans l’un & dans l’autre Hémisphere
Fera tout retentir du bruit de ses Exploits ;
***
Il étendra les siens jusqu’au bout de l’Afrique.
 Qui pourroit arrester son rapide bonheur,
 Puis qu’il sçaura mettre en pratique
 Et la prudence, & la valeur ?
***
Que leur sort sera noble, & qu’ils auront de gloire !
Apres avoir bravé mille dangers divers,
Couronnant leur valeur, on verra la Victoire
Entre nos trois Héros partager l’Univers.

Madrigal §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 63-64.

A Mme LA DAUPHINE.
Madrigal.

Princesse, enfin le Ciel a remply tous nos vœux ;
Vous nous donnez un Fils dont l’heureuse Naissance
Vient pour éterniser le destin glorieux
 Dont joüit nostre auguste France.
 Ce Prince à peine voit le jour,
Qu’on le prend icy-bas pour le Dieu de l’Amour,
Tant aux yeux ébloüis il étale de charmes ;
Mais quand tout l’Orient, par l’effort de son Bras,
Sera contraint un jour de ployer sous ses armes,
Alors on le prendra pour le Dieu des Combats.

[Moulins] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 64-68.

 

La joye a esté tres-grande à Moulins, & toute la Ville en a donné d'éclatantes marques ; mais le zele de Mr de Bouville Intendant dans cette Generalité, lui fit prévenir les apprests qui se faisoient pour une Feste publique, & dés le Mardy 11. Aoust il envoya inviter la plus grande partie des Dames, les Officiers du Présidial, du Bureau des Finances, & du Corps de Ville, de mesme que la Noblesse du voisinage, & plusieurs Officiers des Compagnies de Cavalerie qui y sont en garnison. Toute cette Compagnie se rendit chez luy sur les huit heures du soir & trouva dans une grande Salle tres-bien éclairée, trois Tables qui furent servies avec autant de magnificence que de propreté. [...]

Le 25. toutes les Cloches de la Ville annoncerent dés le matin qu'on devoit chanter le Te Deum. Mr le Marquis de Levy Lieutenant General de la Province, y assista accompagné de Mr de Bouville, du Présidial & du Corps de Ville. Cet Intendant ne se contenta pas d'avoir marqué sa joye en particulier ; il voulut encor contribuër aux Réjoüissances publiques par un magnifique Repas qu'il donna le soir à Mr le Marquis de Levy, à Mr Dobeilh Maire, à Messieurs Gaumin, Belin, Villardin, & Cousin, Echevins, & à plus de quarante Personnes de qualité de la Province & des Troupes. [...] Il y eut en beaucoup d'endroits diverses Tables dressées, où l'on faisoit boire tous les Passans à la santé du Roy & du jeune Prince. Sur les neuf heures, Messieurs de Levy & de Bouville, accompagnez des Maires & Echevins, & d'un fort grand nombre de Gentilhommes, se rendirent à la Place où estoit dressé le Feu de joye, précedez des Tambours de la Ville & de six Trompetes. Après qu'il fut allumé, ils se retirerent à l'Hôtel de Ville, où aussi-tost deux Fontaines de Vin commencerent à couler. [...]

[Clermont en Picardie] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 72-73.

 

Clermont, petite Ville de Picardie, n'a pas oublié de marquer son zele. Les plaisirs y commencerent par une marche que firent les Habitans du Fauxbourg, ayant Mr Bonvillé pour Capitaine à leur teste. Ils marcherent en fort bon ordre, Tambour batant, jusques à la Ville, où ils furent reçeus par les Echevins, qui les prierent de partager le divertissement du Feu de joye. Mr de Reberque, Huissier du Cabinet du Roy, qui a eu l'honneur de servir Sa Majesté plusieurs années en qualité de Commissaire General des Vivres dans ses Armées, se distingua fort dans cette Feste. Il fit couler une Fontaine de Vin pendant tout le jour, traita splendidement Messieurs de Ville, & donna le soir le Bal aux Dames, avec une Magnifique Collation.

[Clermont en Auvergne] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 73-74.

 

Je ne vous dis rien des Réjoüissances publiques qui ont esté faites à Clermont en Auvergne. Vous pouvez juger de leur éclat par ce qu'a fait un Particulier. Le Mercredy 2. de Septembre, Mr Chery qui tient l'Académie de la Ville, donna le Spéctacle d'un Carrousel, où plusieurs Gentilhommes extrémement propres, & tres-bien montez, coururent la Bague, les Testes, & l'Oye. [...] Tout le monde fut fort satisfait de leur adresse ; & un Manege de Guerre fort juste termina ce Carrousel. Le soir on illumina toutes les Fenestres de l'Académie, & on fit joüer un Feu d'artifice au bruit des Trompetes, des Tambours, des Violons, des Hautbois, & d'une quantité de Mousquets, & de plusieurs grosses Boëtes. Un grand Repas succeda à ces divertissemens, & l'on ne parla dans toute la Ville, que de la galanterie de cette Feste.

[Charité sur Loire] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 74-75.

 

On s'est distingué à la Charité-sur-Loire, presque toutes les semaines, depuis la Naissance du jeune Prince, par des Illuminations & par des Feux, tantost dans un Quartier, tantost dans un autre. Celuy qui est le plus voisin du Rivage, s'aquita de ce devoir le Dimanche 27. du dernier mois, d'une maniere qui surprit agreablement toute la Ville. Une grande Fille représentant la Victoire, parut l'apresdînée dans un Char tres-propre. Elle estoit vestuë magnifiquement, ainsi que quatre Figures qui représentoient les quatre Parties du Monde, & suivoient le Char. Il estoit tiré par quatre Esclaves, & rouloit au bruit de six Tambours & de six Hautbois, dont l'habillement & la coifure avoient quelque chose de fort singulier. [...]

Lettre du Berger Fleuriste, à la Nymphe des Bruyeres §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 86-92.

Je vous envoye une Lettre qui porte sa recommandation par les Noms sous lesquels elle est écrite. Ils vous sont connus, & je n’ay rien plus à vous dire, pour vous préparer à une lecture agréable.

LETTRE
DU BERGER
FLEURISTE,
A la Nymphe des Bruyeres,
En luy envoyant une Discretion
qu’il luy devoit.

Apres avoir bien pensé, belle Nymphe, à ce que je devois vous donner pour demeurer quitte de la discretion que vous m’avez gagnée,

 J’ay rebuté tous les Rubans,
  L’Eventail & les Gans,
La Poudre, la Pommade, & la galante Mouche,
Les Parfums, les Bouquets, le Bal, & le Cadeau ;
Car enfin qu’a pour vous tout cela de nouveau ?
 Cependant la nouveauté touche,
 Et fait trouver un Présent beau.
***
 J’ay donc jugé que pour vous plaire,
Il ne vous faloit rien qui vous fust ordinaire ;
 Et resvant tout le long du jour
  A cette grande affaire,
J’ay conclu qu’il falloit vous donner de l’amour.

Hé bien, Madame, ce Présent n’est-il pas honneste ? Ne le recevrez-vous pas avec joye, & seriez-vous Personne à faire de la façon pour prendre ce qui vous est si bien deû ?

 L’amour que l’on donne est si doux,
 Que rien d’égal ne se sent dans la vie.
Vous en pouvez juger, tout se rend à vos coups.
 Aussi je m’en raporte à vous,
Qui faites ce Présent sans que l’on vous en prie.

Vous répondrez peut-estre, qu’à la verité il y a bien de la douceur à donner de l’amour, mais qu’il n’y en a guére à en recevoir. Et pourquoy, belle Nymphe ? Un Présent change-t-il de nature en changeant de main ; & s’il est Or pour celuy qui l’ofre, est-il feüille de Chesne pour celuy qui le prend ? Si cela estoit de la sorte,

 Il n’est point de cœur délicat
 Qui n’en évitast le commerce.
 Les Gens mesme d’humeur perverse
 Feroient gloire du Célibat.
 Mais, grace aux Dieux, il est tel qu’on le donne ;
Et quand il part d’une honneste Personne,
Il n’est pas comme un coup qu’on porte en un Combat,
 Qui tient toûjours de la rudesse
 Qui nous offense & qui nous blesse.
Ne nous touchant alors que de traits innocens,
 Loin de causer ny douleur ny tristesse,
Il comble de plaisir nos esprits & nos sens.

Celuy, Madame, que je veux vous donner, est de cette nature ; & quand vous l’aurez pris, vous ne le garderez pas, si vous y trouvez de la diférence. Il me semble qu’on ne peut pas mieux dire, & que vous seriez blâmable de refuser d’en faire l’épreuve.

 Agréez donc que je mette en vostre ame
Quelques-uns de ses traits, quelque peu de sa flâme,
Et vous persuadez que je n’y mettray rien
 Que la mienne ne sente bien.

En attendant que j’apprenne vos intentions là-dessus, ayez la bonté de recevoir les Pommes d’Appie que je vous envoye. Elles sont du fonds de Flore, & presque aussi bonnes qu’elles sont belles. Mais, de grace, Madame, ne vous avisez pas d’accepter les Fruits pour la Discretion, & de rejetter l’amour comme un don surabondant.

 L’amour vaut mieux que tous les fruits,
 A moins qu’il ne les ait produits ;
 Et si vostre humeur ne s’accorde
A prendre également & les fruits & l’amour,
Ces Pommes deviendront des Pommes de discorde,
J’en seray si jaloux, que j’en perdray le jour.

Ce ne seroit pourtant pas une consolation pour moy, si vous me les renvoyiez. Un double refus me causeroit une double peine. J’aime mieux que ces heureux Fruits vous demeurent & vous servent, parce qu’ils me serviront peut-estre aussy.

Leur rouge vous fera penser à mon ardeur,
  Leur jaune à ma langueur,
 Et leur éclat à la brillante joye
 A qui je serois tout en proye,
 Si j’avois comme eux le bonheur
 D’approcher vostre belle bouche.
 Que peu ce grand bonheur les touche !
 Il me toucheroit jusqu’au cœur.
 Jugez de nostre diférence,
 Soyez sensible à ce qu’il est pour vous ;
 Un signe de reconnoissance
 M’empeschera d’estre jaloux.

[Genes] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 92-97, 99, 102-105.

 

Mr de S. Olon, Résident de Genes, ayant apris dés le soir du Mercredy 12. d'Aoust par un Courrier qui alloit à Rome, que Madame la Dauphine estoit accouchée d'un Prince, reçeut le lendemain au matin les témoignages de joye de la Nation Françoise, par la bouche de Mr Aubert qui en est Consul ; [...]. Comme rien n'égale son zele pour Sa Majesté, dont il a l'honneur d'estre Gentilhomme ordinaire, il manda aussi tost des Ouvriers, & leur donna ordre de travailler aux Feux d'artifice, qui devoient accompagner la Feste qu'il vouloit faire. En mesme temps il fit demander au Sénat une Audience publique, qui luy fut accordée pour le Vendredy au soir 14. du mois. [...]

Les choses qu'on avoit fait préparer estant prestes, Mr & Madame de S. Olon se rendirent le Vendredy 21. à l'Eglise de l'Annonciade, accompagnez de tous les François qui estoient à Genes. On y chanta une grande Messe dans la Chapelle de Saint Loüis, qui fut parée ce jour là extraordinairement. Le Portrait du Roy y estoit sous un magnifique Dais. Il y eut deux Choeurs de Musique & d'Instrumens. Le Sr Federico qui en estoit Chef, se fit admirer. La cerémonie finit par le bruit de deux cens Boëtes, & de tous les Canons des Vaisseaux François qui se rencontrerent dans le Port. Mr de S. Olon traita au retour Mr Aubert, & douze des principaux de la Nation, avec beaucoup de magnificence. Le soir tout son Palais fut illuminé d'un nombre infiny de Flambeaux de cire blanche, & sur les neuf heures, on entendit une Symphonie fort agreable de Violons, de Hautbois & de Trompetes. Ce fut un signal pour mettre le Feu à trois Machines, élevées dans une petite Place sur laquelle donne le Palais de Mr le Résident. Ce Spéctacle ayant attiré de tous costez une foule incroyable de Curieux, il donna ordre que l'on fist entrer tous ceux qui avoient façon d'honnestes Gens. On leur servit une superbe Collation, où les Liqueurs qui plaisent tant aux Italiens ne manquerent pas ; [...].

La Machine qu'on préparoit pour le Dimanche 23. n'ayant pû estre élevée dans la Place du Palais de Mr le Résident, parce qu'elle est trop petite, il choisit celle de Campetto, où est la Maison Consulaire. Ainsi ce troisiéme jour, on y vit paroistre dés le matin une Victoire sur un Char de Triomphe tiré par des Chevaux, qui sembloient estre entraînez dans la Mer, le tout d'un tres-beau dessein. Cela faisoit une juste allusion au nom de Victoire que porte Madame la Dauphine. [...]

Mr de S. Olon avoit fait illuminer la Maison Consulaire aussi bien que son Palais ; & dés qu'il fut arrivé, divers Instrumens donnerent le signal du Feu. On le mit d'abord à deux petites Machines qu'on avoit dressées au bout de deux Ruës, qui aboutissent à la grande Place de Campetto. Elles eurent tant de succés qu'on espera tout du Char. Aussi l'effet en fut merveilleux. [...] La Nation Françoise ne s'oublia pas pendant ces trois jours, tous les Particuliers ayant illuminé leurs Fenestres, & fait des Feux devant leurs Maisons. Le soir du 24. elle fit chanter le Te Deum à l'Annonciade en présence de Mr le Résident ; ce qui fut suivy de la décharge de plus de cent Boëtes, & de trois Feux d'artifice. Le lendemain, Feste de S. Loüis, toute la Nation conduite par son Consul, ayant esté prendre Mr & Madame de Saint Olon dans leur Palais, les accompagnerent en la mesme Eglise de l'Annonciade, où ils entendirent la grande Messe, qui fut celebrée solemnellement dans la Chapelle dédiée à ce Grand Saint. La Musique y fut tres-belle, & le Sr Dominico Paganelli en reçeut beaucoup de gloire. On entendit quantité de Boëtes, qui terminérent la Ceremonie, & le soir Mr Aubert voulant signaler son zele en particulier, donna le Spéctacle d'un Feu d'artifice qu'il avoit fait élever au milieu de la Place Campetto. C'estoit un Théatre sur lequel on voyoit une Figure qui représentoit la France Victorieuse. [...]

Toutes les Fenestres de la Maison estoient éclairées d'une infinité de Flambeaux de Cire blanche, & les Trompetes ayant donné le Signal, on fit joüer le Feu d'artifice, qui fut precédé de quantité de Fusées volantes. [...]

[Devises faites à Livourne] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 99-101.

La Machine qu’on préparoit pour le Dimanche 23. n’ayant pû estre élevée dans la Place du Palais de Mr le Résident, parce qu’elle est trop petite, il choisit celle de Campetto, où est la Maison Consulaire. Ainsi ce troisiéme jour, on y vit paroistre dés le matin une Victoire sur un Char de Triomphe tiré par des Chevaux, qui sembloient estre entraînez dans la Mer, le tout d’un tres-beau dessein. Cela faisoit une juste allusion au nom de Victoire que porte Madame la Dauphine. Cette Figure estoit ornée de Fleurs-de-Lys d’or, aussi bien que le Theatre sur lequel estoit ce Char de Triomphe. Un peu au dessous de la Victoire, on lisoit cette Inscription au devant du Char,

Regio victoriæ filio
Triumphus
Effertur.
Exultat Gallica gens,
Tot
digna coronis,
Quot
aucta Regibus,
Victori suo
Semper triumphaturo
Jugiter plausura.

D’un costé du Char on lisoit ces Vers Italiens,

Invitto nominossi il Franco Impero ;
Per coronarsi d’una eterna gloria,
Accolse nel suo grembo la Vittoria.
Miratelo pur hor quanto è piu fiero,
Se al nuovo Ré vuol acquistar un regno,
Basta vi dire che hà la Vittoria à segno,

On lisoit ceux-cy de l’autre costé du Char,

Non paventò le tre nemiche Schiere
Gallico Scettro, anzi le oppresse, è vinse,
E consua destra la Vittoria Strinse.
Scorran hora à suoi danni armi guerriere,
Non temerà il furor del mundo tutto
Se di Vittoria tien pretioso frutto.

Ces six Vers estoient écrits derriere le Char,

 Accourez tous heureux François,
Applaudissez au plus puissant des Rois.
 Le grand LOUIS comblé de gloire,
 Vient de remplir tous vos souhaits ;
 Il a sçeu mesme dans la Paix
 Faire triompher la VICTOIRE.

En voicy encor quatre Italiens, qui estoient au dessous de ces derniers,

Vittoria, dé triomphi alta Regina,
Non fia contro di te Guerrier che s’armi,
Se altuo gelme real Francia s’inchina,
Ecco Marte in amor, Cupido in armi.

[Livourne] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 106.

 

La Feste fut commencée à Livourne le Vendredy 21. Aoust, par un Te Deum que l'on chanta solemnellement dans l'Eglise des Peres Observantins, où est la Chapelle de Saint Loüis de la Nation Françoise. Il y eut deux Choeurs de Musique, & une excellente Simphonie. [...]

[Venise] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 109-112, 115-116.

 

Les Festes que Mr Amelot, Ambassadeur de France à Venise, a faites pendant trois jours, ont esté fort éclatantes. Elles commencérent le Dimanche 30. Aoust, par un Te Deum qu'il fit chanter dans l'Eglise appellée La Madonna del Horto, après que l'Abbé de cette Eglise eut celebré la Messe Pontificalement. La Musique estoit composée de tout ce qu'il y a de plus excellent à Venise pour les Instrumens & pour les Voix. Trois salves de deux cens Boëtes accompagnérent la Cerémonie, qui attira un concours de monde extraordinaire. [...] Mr le Duc de la Rocheguyon, Mr le Marquis de Liancourt, & quelques autres Gentilhommes François qui se trouverent alors à Venise, dînerent chez Mr l'Ambassadeur. Son Palais fut ouvert à tout le monde depuis quatre heures après midy, jusqu'à onze heures du soir, & il n'y venoit personne à qui l'on ne présentast des Confitures seches, & des Eaux glacées de toutes sortes. La plûpart estoient masquez suivant la coûtume, & ce fut de cette sorte que Mr le Duc de Mantouë y vint, aussi bien que les Ambassadeurs de l'Empereur & du Roy d'Espagne. Les Violons, les Hautbois & les Trompetes, se faisoient entendre de tous costez, & il y avoit de petits Concerts particuliers en divers Apartemens. [...] Toutes les Avenuës du Palais furent éclairées chaque soir par une tres grande quantité de ces Lumieres ardentes qu'on employe dans le Païs en de pareilles occasions, & par de grands Feux qu'on avoit faits sur les Ponts du Canal. [...]

Cette Illumination fit un effet merveilleux, éclairant la Mer de telle sorte, que toutes les Gondoles de Venise, qu'elle attira, particulierement les deux derniers jours, devinrent un autre Spectacle encor plus nouveau que celuy de la Machine. Une salve de deux cens Boëtes préceda le Feu, qui fut terminé par une Girandole d'une infinité de Fusées volantes. Les Trompetes se faisant entendre du mesme lieu où il fut tiré, répondoient à d'autres qui estoient dans le Jardin ; & lors qu'elles cessoient de sonner, les Hautbois divertissoient agreablement les Spectateurs. [...]

Demande aux Dieux §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 116-119.

Je ne puis poursuivre cette matiere, sans vous dire que les Destins ont esté consultez sur la Naissance du Prince qui donna lieu à toutes ces Festes. Je vous envoye la Demande & la Réponse. L’une & l’autre est d’un Autheur qui n’a voulu se faire connoistre que sous le nom de l’Inconnu de la Ruë S. Jean de Latran.

DEMANDE
AUX DIEUX.

Adorables Destins, dont les Arrests suprémes
Etendent leur pouvoir jusques aux Diadémes,
Arbitres souverains des choses d’icy-bas,
Qui l’estes de la vie ainsi que du trépas,
Peut-on sçavoir à quoy vostre vouloir destine
Celuy que nous devons à la Bonté Divine,
Ce Prince descendu de tant d’augustes Roys,
L’appuy de la Couronne, & l’espoir des François ?
 Le Pere des Moissons quittant nostre Hémisphere,
Communiquoit ailleurs sa chaleur necessaire,
Quand un Soleil nouveau perçant l’obscurité,
Remplit nos cœurs de joye, & nos yeux de clarté.
Destins qui sçavez tout, vous pouvez nous apprendre
Les grandes actions que l’on en doit attendre.

REPONSE.

Apprenez aujourd’huy que ce Prince naissant
Doit faire trembler l’Aigle, & pâlir le Croissant ;
Que ses hauts Faits gravez au Temple de Mémoire,
Malgré les Ennemis de sa prospérité,
 L’offriront tout brillant de gloire
Au plus long souvenir de la Postérité,

[Quatrain] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 119.

Mr l’Archidiacre de Gémont, quoy qu’il ne soit pas François, estant né à Chambéry, a fait voir par ce Quatrain qu’il entroit dans les sentimens de toute la France.

 Que LOUIS a grande raison,
 De se loüer de la Victoire !
Elle songea jadis à soûtenir sa gloire,
Elle songe à présent à soûtenir son Nom.

[Madrigal] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 120.

Vous trouverez dans le Madrigal qui suit, la mesme allusion du Nom de Victoire que porte Madame la Dauphine. Il est de Mr de Plessac d’Evreux.

La France à sa Victoire ajoûtant un souhait,
Ne demandoit plus rien pour augmenter sa gloire,
Qu’un Prince qui fust né d’un Dauphin si parfait,
Afin d’en conserver à jamais la mémoire.
 Le Ciel favorable à ses vœux,
A fait naître du sein de la mesme Victoire
Le Petit-Fils d’un Mars, pour estre au rang des Dieux.

Le Rossignol. Fable §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 128-132.

La Fable qui suit ne doit pas déplaire à vostre beau Sexe. La moralité en est tout-à-fait à son avantage.

LE ROSSIGNOL,
FABLE.

Dans ce Climat heureux, où l’Hyver le plus rude
Ne fit jamais ressentir ses glaçons ;
 Où sans aucune inquiétude,
 Dans la plus vaste Solitude,
 En tout temps, en toutes saisons,
Les Oyseaux à l’envy poussent mille Chansons ;
Dans ce Lieu tout charmant, où l’enjoüé Zéphire
 Fait son ordinaire sejour,
 Et se donnant tout entier à l’amour,
Conte aux plus belles Fleurs son aimable martyre ;
Enfin dans cet endroit choisy de l’Univers,
 Où sur les Monts, & dans les Plaines,
On voit les Orangers aussi hauts que les Chesnes,
 Toûjours fleuris, & toûjours verds,
 Vn Rossignol au plus beau de son âge,
  Fit si bien retentir les airs,
  Que dans peu tout le Voisinage
Se rendit au doux bruit de ses divins Concerts.
Dans ce moment fatal une jeune Hirondelle,
Jusqu’alors insensible aux plus tendres amours,
  Surprise d’une voix si belle,
 De son vol arresta le cours,
Pour luy jurer une amour eternelle ;
Mais le trouvant plus insensible qu’elle,
 Elle mourut en peu de jours.
 Le triste sort de cette Amante
Avoit par tout semé la crainte & la terreur,
 Lors qu’une Linote charmante
Tentant mesme fortune, eut un pareil malheur.
 Apres ces deux Conquestes faites,
Ne voyant rien dans l’air digne de l’engager,
 Ce fier Oyseau croit pouvoir sans danger
Porter ses hauts desseins au dessus des Planetes.
 Il veut pour la derniere fois,
Perché sur un Peuplier tout revestu de Lierre,
Regarder ce Valon le plus beau de la Terre,
 Et rendu fameux par sa voix.
 Mais que voit-il ? une Vipere,
 Monstre par ses chants attiré,
 Ou bien que le Ciel en colere
 Avoit caché sous la Fougere,
 Pour vanger ce Couple expiré,
 Ou pour punir son dessein teméraire.
 Dans ce péril que doit-il devenir ?
Il peut au mesme instant de ce Lieu se bannir,
 Ou bien se cacher, & se taire.
Sa fierté l’en empesche, il redouble ses chants,
Et prétend adoucir cet Animal sauvage
 Plein de venin, & plein de rage,
 Par la douceur de ses accens.
Il descend de cet Arbre à sa premiere veuë,
Il fait à chaque branche un ramage nouveau,
Il se présente enfin ; mais loin d’en estre émeuë,
 La Vipere le prend, le tuë,
 Et ne fait de luy qu’un morceau.
***
 Il ne faut pas que l’on s’étonne,
Si quelquefois l’Amour fait sentir son courroux ;
 Ce Dieu n’obeït à personne,
 Et se fait obeïr à tous.
***
 Si-tost qu’un Berger que l’on aime,
Méprise de l’Amour les doux engagemens,
 Il se rend l’Artisan luy-mesme
 De ses plus rigoureux tourmens.
***
La Femme que souvent sa gloire rend cruelle,
Peut causer des soûpirs, & ne pas soûpirer ;
 Mais l’Homme fier pour une Belle,
 Est une Beste à devorer.

[Villeneuve la Crémane] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 171-173.

 

En vous parlant il y a un mois des Festes de Montpellier, je vous manday que Madame la Marquise de Castres, qui en l'absence de Mr le Marquis de Castres son Fils, qui en est le Gouverneur, avoit donné ses ordres pour les Réjoüissances publiques, estoit alors à Villeneuve la Crémane. Elle y assista au Te Deum, accompagnée d'un fort grand nombre de Personnes qualifiées, que Mr le Marquis de Villeneuve son Gendre avoit invitées à cette Feste. Ce Te Deum fut suivy du bruit d'une infinité de Boëtes, & d'une décharge de Mousqueterie. Plus de cinq cens Hommes sous les armes, tous tres proprement vestus, se rendirent à l'entrée du Chasteau, où le Vin leur fut prodigué en abondance. Il y eut un magnifique Soupé, apres lequel on alla se promener dans le Parc. Au bout d'une grande Allée qui regarde le Chasteau, estoit un grand Feu de joye que Mr le Marquis de Villeneuve, & plusieurs Gentilhommes, allumerent, chacun avec un Flambeau de cire blanche. Les Trompetes, Tambours, Violons, Hautbois, & Fifres, faisoient une agreable harmonie, pendant qu'on renouveloit à plusieurs reprises la décharge des Boëtes & des Mousquets. Chacun s'estant rendu de là sur une Terrasse, on fit joüer le Feu d'artifice, basty sur un grand Rondeau dans le milieu de la mesme Allée, ayant de tres-beaux Parterres à droite & à gauche. [...]

[Bourges] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 174-176.

 

Vous jugerez de ce qui s'est fait à Bourges, par le détail des Réjoüissances d'un seul Quartier. Mr Guillot, Echevin de celuy de S. Sulpice, en fit armer tous les Habitans le matin du 6. de Septembre. L'apresdînée, toutes les Cloches des quatre Paroisses de ce Quartier ayant sonné fort longtemps, on orna toutes les Places de belles Tapisseries, sur lesquelles les Armes du Roy, de la Reyne, & de toute la Maison Royale, furent mises entourées de Fleurs & de Lauriers, & au dessous, celles de Mr le Prince de Soubise, Gouverneur de la Province. On mena six Pieces de Canon à la Place de S. Pierre, & deux devant la Maison de Mr l'Intendant. Il y eut un grand Feu de joye à la Place du Poids du Roy, & un autre d'artifice où couloit une Fontaine de Vin. Cet Echevin donna sur les six heures du soir un magnifique Soupé au Corps de Ville ; & à huit heures, les Habitans du Quartier, au nombre de six cens, commandez par Mr Poucet leur Lieutenant, le vinrent prendre chez luy, apres avoir esté faire leur décharge au Logis de Mr l'Intendant. Mr Guillot se mit à leur teste avec les Officiers de Ville, & alla allumer le Feu de joye. Il y avoit deux Amphitheatres dans la Place. Sur l'un estoit un Choeur de Musique, qui chanta l'Exaudiat, & quelques Motets ; & sur l'autre, un Concert de Violons. Toute la nuit se passa en joye.

[Troyes] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 179-180.

 

Le mesme Dimanche seiziéme d'Aoust, le Te Deum fut chanté solemnellement à Troyes, en présence de Mr le Marquis de Chapelaines, Grand-Bailly de Troyes, de son Lieutenant, des Officiers de l'Election, & du Corps de Ville. Tous les Corps Ecclesiastiques y assisterent, mesme le Chapitre de l'Eglise Royale & Collégiale de S. Etienne, qui ne s'estoit point trouvé depuis cinquante ans avec celuy de la Cathédrale. [...] je ne vous dis rien de particulier des témoignages que toute la Ville donna de sa joye. Rien n'y manqua de ce qui pouvoit la faire éclater.

[Metz] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 180-181.

 

Elle a esté grande à Metz, & ses Habitans l'ont d'autant plus ressentie, qu'ils ne doutent point que Monseigneur le Duc de Bourgogne n'ait esté conçeu dans leur Ville, lorsqu'au retour de Strasbourg la Cour y passa dans les premiers jours du mois de Novembre. Trois décharges de tout le Canon, & la Mousqueterie des Cadets de la Citadelle, y precéderent les ordres du Roy. On choisit le 15. d'Aoust, jour de l'Assomption de la Vierge, pour chanter le Te Deum, qui fut entonné par Mr de la Feüillade, Evesque de Metz, au retour de la Procession genérale qu'on fait de jour-là dans toute la France. Mr le Roy, Commandant de la Place, y assista, accompagné des Officiers de la Garnison, & de tous les Corps. Le soir de ce mesme jour, Mr de la Grillonniere, Maistre Echevin, donna ses ordres pour un grand Feu d'artifice, & pour plusieurs autres Feux qu'on alluma dans toutes les Ruës à diférentes reprises. [...]

[Avignon, & Célestins] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 182-185, 187-188.

 

La Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, n'a pas seulement fait éclater la joye dans toutes les Villes du Royaume. Celles qui ne sont point sous l'heureuse Domination de son Monarque, ont aussi marqué la leur, avec un zele qui n'a pas paru moins ardent que celuy de ses Sujets. La Ville d'Avignon s'est particulierement distinguée. Les Feux d'artifice, les Illuminations, les décharges de l'Artillerie, le son des Cloches, les Te Deum, les Processions, & géneralement tout ce qui peut témoigner qu'on est tres-sensible à un grand Bonheur, a paru dans cette Ville-là, & les Peuples, les Consuls, l'Archevesque, & le Vice-Legat, n'ont rien oublié pour se signaler. On ne doit pas s'étonner après cela si les Celestins qui sont dans la mesme Ville d'Avignon, ont donné les démonstrations de joye que je vais vous dire, puis qu'ils auroient dû en faire paroître beaucoup, pour suivre l'exemple qu'ils ont receu, quand même ils n'auroient pas esté fondez par Charles VI. Roy de France, & qu'ils n'auroient pas Loüis Duc d'Orleans son Frere pour l'un de leurs principaux Fondateurs. [...] Ces Peres qui ont le Corps du Pape Clement VII. dans leur superbe Eglise, commencerent leurs Réjoüissances, suivant les ordres du Pere Nicolas Malet leur Supérieur, par une Fontaine d'un excellent Vin, qui coula pendant dix-huit heures. [...]

On avoit mis à la Place la plus honorable de la magnifique Chapelle de Saint Pierre de Luxembourg, où se fit la Ceremonie, le Portrait du Roy sous un riche Dais, pour montrer que ce Monarque est le Fondateur & le Protecteur de ce Monastere, basty en Terre Papale. A l'entrée de la nuit le Vice-Legat, accompagné des Consuls & de toute la Noblesse du Païs & de la Ville, se rendit à l'Eglise de ces Peres, & en suite dans cette Chapelle. On y chanta le Te Deum & l'Exaudiat en Musique. Il y avoit grand nombre de toute sorte d'Instrumens, & la Symphonie fut trouvée fort bonne. Les Actions de graces finies, on entendit une décharge de toutes les Boëtes de la Ville, qu'on avoit placées dans le Jardin de ce Monastere. Ce bruit fit connoître qu'on se préparoit à faire joüer le Feu d'artifice, qui eut un fort grand succés. La Peinture, & la Sculpture, en estoient fort agréables. Au couronnement de la Machine, on voyoit deux Dauphins qui soûtenoient un Soleil, & qui recevant de luy leurs forces & leurs lumieres, sembloient vouloir s'élever jusqu'à cet Astre. On lisoit ces paroles, Erigit se Delphinus in Astra. Pendant que l'Artifice charmoit les yeux, un Concert de toutes sortes d'Instrumens, occupoit agréablement les oreilles.

[Geneve] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 190-193.

 

Mr du Pré, Résident pour le Roy à Géneve, ayant receu le Lundy 17. Aoust, la nouvelle de l'heureux Accouchement de Madame la Dauphine, la porta au Magistrat qui estoit assemblé, & l'invita en mesme temps à en venir celébrer la Feste le Mercredy 19. [...] Le jour choisy estant arrivé, tout le Magistrat se rendit en Corps à son Hostel, où il les receut de la maniére du monde la plus remplie d'agrément. Le Repas fut propre, & d'une magnificence à laquelle il eust esté dificile de rien ajoûter. Un excellent Concert de Musique ne contribua pas peu aux plaisirs de cette Feste, dans les intervales que le Canon qu'on faisoit joüer presque incessamment pour les Santez du Roy, de la Reyne & de toute la Maison Royale, cessoit de se faire entendre. [...]

Mr du Pré continua la Feste le jour suivant pour ceux de la Nation Françoise qui sont dans la Ville & aux environs, & en invita les Principaux de l'un & de l'autre Sexe, à un Régale, où rien ne manqua de toutes les choses qui pouvoient contribuer à le rendre somptueux. A ce Repas succeda le Bal. La Salle où il fut donné, estoit tres-bien éclairée ; & les Dames & les Cavaliers qui estoient en fort grand nombre, ne s'y firent pas moins remarquer par la propreté de leur parure que par la justesse de leurs dances.

Arion, Fable §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 199-209.

Tout le monde sçait qu’Arion fut sauvé par un Dauphin, qui le porta sur son dos jusques au Rivage ; mais on ne sçait par que ce Dauphin estoit une Nymphe métamorphosée. Vous l’apprendrez en lisant la Fable que je vous envoye.

ARION,
FABLE.

Un Chantre renommé, dont la voix douce & belle
 Avoit charmé tout le Païs Latin,
 Navigeoit chargé de Butin,
 Pour chercher fortune nouvelle.
La Mer estoit paisible, & l’air calme & serain
 Luy promettoit un fort heureux voyage ;
 Mais l’argent dont il estoit plein,
 Fut cause qu’il pensa faire un triste naufrage.
 Etrange caprice du Sort !
L’exemple en est fréquent dans le siecle où nous sommes ;
 L’argent qui doit faire vivre les Hommes,
 Est souvent cause de leur mort.
***
Nostre Arion ne fut qu’à deux doigts de l’orage.
A peine le Vaisseau fut-il en pleine Mer,
Que cinq ou six Soldats, Gens nez pour le pillage,
 L’abordent d’un air rude & fier,
 Et luy demandent sans ressource
  Ou la vie, ou la Bource.
 On peut s’imaginer comment
Le Malheureux reçeut un pareil compliment.
 Pour luy ce fut un coup de foudre ;
 Il avoit peine à se résoudre
De se priver d’un Bien qu’il aimoit cherement ;
L’or a certains attraits qui prennent tout le monde,
On s’expose pour luy sur la terre & sur l’onde ;
 Enfin rien n’est plus engageant
 Qu’une bonne somme d’argent.
***
Comme en inventions l’esprit toûjours abonde
 Dans les plus fâcheux accidens,
Ils n’auront pas ma Bource, ou je veux qu’on me tonde,
 Dit-il parlant entre ses dents ;
Et si leur cœur n’est plus dur qu’une Roche,
Je puis les attendrir, & de mes Ennemis
 J’en feray mes meilleurs Amis.
 En mesme temps il tire de sa poche
  Un certain Instrument
 Qu’il touchoit délicatement ;
Et joignant une voix dont la douceur enchante,
  Il jouë un Air
 D’une maniere extrémement touchante.
Mais tout cela ne sert qu’à le faire berner ;
 Il est traité de Fou mélancolique.
 Aussi c’estoit mal-à-propos
Qu’il prétendoit par là gagner des Matelots ;
Il devoit entonner une Chanson Bacchique,
  Cette Musique
 Eust eu plus d’agrément pour eux
 Que son Air tendre & langoureux.
***
 Tandis qu’ainsi cette Canaille
 Du Chantre fiérement se raille,
 Et le menace du tombeau ;
 De Dauphins une belle Troupe,
 Qu’un Concert si doux & si beau
 Avoit fait sortir hors de l’eau,
S’assemble avec plaisir tout autour de la Poupe.
 On vit ces nobles Animaux,
 Par une dance assez bizarre,
 Sauter au son de sa Guitarre,
 Et se joüer parmy les flots.
Arion étonné d’un si rare spéctacle,
 Voyant bien qu’à moins d’un miracle,
 Il ne pourroit se dérober
A la fureur de cette Troupe impie,
Qui vouloit luy ravir la Bource avec la vie,
Dans la Mer résolut de se laisser tomber,
 Espérant, loin de succomber,
 Que quelque Dauphin charitable
 Sur lequel il pourroit nager,
 Le tireroit hors de danger.
Sa perte sans cela luy semble inévitable.
 En mesme temps d’un saut léger
Il s’élance dans l’onde ; alors, chose admirable,
A peine paroist-il sur la face des Eaux,
 Qu’un Dauphin le prend sur son dos,
 Et passe, tout fier de sa Charge,
 Un bras de Mer profond & large,
 Tandis que les autres Dauphins,
 Par des sauts légers & badins,
 Comme voulant luy rendre hommage,
Le menent en triomphe au plus prochain Rivage.
***
 Dans les raisonnemens divers
 Qu’a fait faire cette Avanture,
 On prétend que le Dieu des Mers,
Fâché que d’Arion la vie honneste & pure
 Eust une si funeste fin,
 Avoit envoyé ce Dauphin
 Pour empescher la violence
Dont vouloient contre luy se servir ces Voleurs,
Que les Dieux de tout temps ont esté Protecteurs
 De la vertu, de l’innocence,
 Et qu’en invoquant leur clemence,
On se met à couvert de beaucoup de malheurs ;
 Mais ils ne sçavent pas l’histoire,
  Voicy tout le secret.
Arion pour un Chantre estoit assez bien fait,
 Et comme il n’aimoit point à boire,
 (Chose fort rare à tout Musicien)
 Pour peu qu’il voulut chez les Belles
 Pousser l’amoureux entretien,
 Il estoit fort bien traité d’elles,
 Et lors qu’on l’entendoit chanter,
 Point de cœur qui pust résister,
 Sa voix avoit de certains charmes,
 Je-ne-sçay-quoy de si touchant,
 Qu’allant au cœur, un doux panchant
Obligeoit la plus fiere à luy rendre les armes.
***
Une Nymphe Marine, en s’égayant sur l’eau,
  Le vit sur le Rivage
 Prest à monter dans le Vaisseau.
La Belle dont le cœur mal-aisément s’engage,
  Ne l’aima point pour lors ;
Mais ayant entendu les ravissans accords
 De sa voix & de sa Guitarre,
Tout d’un coup elle cede aux amoureux transports
Qui la font soûpirer pour un Homme si rare ;
 Ny sa fierté, ny sa rigueur,
 Ne pûrent jamais la défendre
Des charmes trop puissans de cet heureux Vainqueur.
 Ainsi pour la voir & l’entendre
 Avecque plus de liberté,
Elle prit d’un Dauphin la taille & la figure,
Et sans se souvenir de sa Divinité,
 Arriva dans cette posture
Fort à propos pour luy, car le pauvre Garçon,
 Malgré sa beauté, sa jeunesse,
Auroit esté donner une aubade à Pluton.
La Nymphe eust bien voulu, dans son air de Déesse.
 Aller avec empressement
 Secourir le nouvel Amant,
 Et dans un brillant équipage
 Demander son cœur pour hommage ;
Mais un pareil éclat n’estoit pas de saison,
Et le Dieu son Mary qui ne trouvoit pas bon
 Que sa Femme eust des amouretes,
 Eust fait le Diable à la Maison ;
 Et puis les langues indiscretes
 N’eussent pas manqué de jaser,
 On l’eust mise au rang des Coquetes ;
 Mais elle eut beau se déguiser,
Un tel déguisement ne servit à la Belle
Qu’à rendre l’action beaucoup plus criminelle.
***
 Voila comme il est dangereux
D’écouter un Objet dont la voix a des charmes.
Vous, qui d’un tendre amour voulez fuir les allarmes,
Evitez, jeunes Gens, ces Concerts amoureux
Où la voix parle moins que le cœur & les yeux.
 Quelque fier qu’on puisse estre,
On ne peut résister à ce fatal poison.
Il attaque aussitost le cœur & la raison,
Et la blessure, helas, ne commence à paroistre
Que lors qu’elle ne peut recevoir guérison.

Cette Fable est de Mr Bardou de Poitiers. Il est d’une Ville où l’on a fait beaucoup de Réjoüissances.La suite se trouve dans l'article suivant

Lettre à Madame la marquise de *** §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 208-211, 214, 215-217, 219-224, 226-227.

Cette Fable Le début se trouve dans l'article précédent est de Mr Bardou de Poitiers. Il est d'une Ville où l'on a fait beaucoup de Réjoüissances. Je ne puis vous les apprendre d'une maniere plus agreable, qu'en vous faisant part de ce qu'il en a écrit à une Veuve de qualité, qui fait son sejour à la Campagne.

 

A MADAME LA MARQUISE DE ***

A Poitiers ce 23. Aoust.

 

Avoüez, Madame, que quoy que dans un temps où vous estes peu disposée à la joye, vous n'avez pû apprendre qu'avec une extréme plaisir l'heureuse Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je ne doute pas mesme que je ne vous en donne beaucoup, en vous mandant de quelle maniere on l'a celébrée icy. Vous reconnoistrez en tout ce que je vous diray le zele de Mr de Baville-Lamoignon, qui remplit si bien la Charge d'Intendant par l'application qu'il a au service du Roy, & au bien des Peuples, & qui fait mesme plus qu'un Intendant, puis qu'il a déjà ramené à l'Eglise plus de quinze cens Personnes. Le Dimanche 16. de ce mois, jour marqué par Mr l'Evesque pour chanter le Te Deum, Mr le Lieutenant General alla au devant de Mr l'Intendant. Ils monterent au Palais, où s'estoient assemblez Messieurs du Présidial, & de là allerent en Robes rouges à la Cathédrale, où Mr l'Evesque en Habits pontificaux entonna le Te Deum. Il fut chanté en Musique au bruit de tout le Canon. Au sortir de là, Mr l'Evesque donna à dîner à quantité de Personnes, & Mr l'Intendant fit une fort grande Feste. Le petit Peuple, attiré par deux Fontaines de Vin qui coulerent tout le jour devant son Hostel, la commença. Vous pouvez juger comment. Ce fut une vraye Bacchanale. La plûpart de ceux qui s'estoient assemblez pour salüer la santé du Roy, bûrent avec excés, & courant les Ruës, celébrerent par les plus grotesques Dances la Naissance du jeune Prince. [...] [Suit la description d'illuminations dans le jardin de M. de Baville-Lamoignon]

Enfin ces Feux s'éteignirent, mais les plaisirs ne cesserent pas. Toutes les Personnes de qualité qui s'estoient séparées dans les divers endroits du Logis, furent reçeuës au son des Hautbois & des Violons, dans une Salle ornée de plusieurs riches Lustres, & éclairée d'un grand nombre de Bougies. Ce fut là que l'on imita ces Peuples, qui dançoient au lever du Soleil.

 

C'estoient des Superstitieux,

Qui mettant le Soleil au nombre de leurs Dieux,

Se croyoient obligez d'honorer sa Naissance

Par les Ris, les Jeux, & la Dance.

Le jeune Duc si souhaité

[...]

 

Vous sçavez, Madame, si nos Poitevines sont jolies, & vous avez admiré plus d'une fois les dispositions naturelles qu'elles ont à bien dancer. Ainsi sans vous parler de celles que leur beauté & leur adresse fit distinguer, je vous diray seulement que Mademoiselle de Messignac, avec laquelle Mr l'Intendant commença le Bal, parut dans cette Assemblée avec beaucoup d'avantage. C'est une Demoiselle des plus qualifiées de la Province, Cousine germaine de Madame l'Intendante, & dont l'esprit & l'air engageant gagne tous les coeurs ; mais ce qu'on admira particulierement, ce fut la grace avec laquelle dancerent le petit Comte, Fils de Mr de Baville, & la jeune Mademoiselle de l'Isle. Quoy que dans un âge fort tendre, leurs manieres n'ont rien d'Enfant. Ils ont tous les deux de la beauté, de l'esprit, & un naturel heureux. [...] Le Bal fut interrompu par un Service de tout ce qu'on peut s'imaginer de somptueux, soit pour les Confitures seches, soit pour les plus rares Fruits, soit pour la profusion de toutes sortes de rafraîchissemens. Apres la Collation, on continua la Dance, qui dura longtemps, & chacun sortit charmé des manieres de Mr de Baville. [...]

Le jour des Réjoüissances de toute la Ville, Madame de Navailles, Fille du Maréchal de ce nom, Abbesse de Sainte Croix de Poitiers, ayant fait chanter solemnellement le Te Deum par toutes ses Religieuses, donna des marques de sa joye, en allumant elle-mesme un grand Feu, au bruit de beaucoup d'acclamations publiques.

Les Jesuites de la mesme Ville, qui ont l'honneur d'avoir le Roy pour Fondateur de leur College, l'un des plus beaux qu'ils ayent en France, ont fait une Feste particuliere. Elle commença le jour de S. Loüis par une Messe solemnelle que Mr l'Evesque de Poitiers celébra pontificalement dans leur Eglise. On avoit choisy tout ce qu'il y a de belles Voix dans les cinq Chapitres de la Ville, pour composer les Choeurs de Musique qui chanterent le Te Deum apres la Messe. L'Eglise estoit magnifiquement parée ; & parmy les Flambeaux qu'on y avoit allumez par tout, on voyoit les Armes de Bourgogne dans plus de cinquante Guidons, Enseignes, ou Etendards qu'on avoit suspendus de tous costez. Les Vespres furent aussi chantées en Musique, & à l'entrée de la nuit tout le College parut illuminé, par une infinité de feux qu'on voyoit de plusieurs lieux des environs, & qui durerent la plus grande partie de la nuit. Tandis que les Trompetes & les Hautbois, placez dans les endroits les plus élevez de ce College, se faisoient entendre dans tous les Quartiers de la Ville, on se rendit de tous les costez dans la Court. Les quatre Corps de Logis qui la renferment, estoient éclairez par un nombre prodigieux de Flambeaux, disposez de telle sorte, qu'ils formoient plusieurs Figures diférentes. Ce Spéctacle, avec le Concert des Instrumens, donna beaucoup de plaisir pendant deux nuits qu'il dura.

Le lendemain, les Ecoliers, selon l'ordre qu'on leur avoit donné, se rendirent d'assez bonne heure au College avec un grand nombre de Tambours & de Trompetes, & sept parties de Hautbois. On les divisa par Compagnies, dont les plus qualifiez estoient à la teste, chaque Troupe ayant ses Officiers & ses Enseignes particulieres, sans parler des Guidons, & des Etendards, qu'on avoit fait faire en grand nombre. Dans cet ordre ils sortirent deux à deux du College, & allerent à l'Eglise Cathédrale de S. Pierre, où apres avoir fait compliment à Mr l'Evesque & au Chapitre, ils laisserent un Guidon extrémement riche, chargé des Armes du jeune Prince, comme un Monument eternel du Voeu qu'ils faisoient pour sa conservation. Ils firent la mesme cerémonie dans les autres Eglises Collégiales de S. Hilaire, de Sainte Radegonde, & de Nostre-Dame la Grande, d'où ils se rendirent à Saint Loüis, qui est l'Eglise des Jesuites. Sur les six heures du soir, apres avoir esté salüer Mr l'Intendant, ils allerent au Marché-Vieux. C'est une fort grande Place au milieu de la Ville, où tout ce qu'il y avoit de Personnes considérables à Poitiers se trouverent. Mr l'Evesque voulut luy-mesme estre témoin de cette action. Toutes les Compagnies occuperent le milieu de cette Place, où l'on avoit dressé d'un costé un Theatre de vingts pieds en quarré, & de l'autre un Bucher de quarante pieds de haut. Des quatre extrémitez du Theatre s'élevoient quatre grandes Pyramides, dont les entredeux estoient fermez d'une Balustrade jaspée, qui soûtenoit une Frise, où l'on voyoit quantité d'Inscriptions. [...]

Les Compagnies s'estant rangées dans la Place, le Canon qu'on avoit mis à costé du Theatre, donna par une décharge generale le signal pour le Feu, qui fut allumé par les Chefs de chaque Troupe au son des Tambours, des Trompetes, & des Hautbois. En mesme temps on fit joüer le Feu d'artifice, dont l'effet fut admirable.[...]

[Réjouissances à Poitiers.]* §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 209-219.

Je ne puis vous les apprendre d’une maniere plus agreable, qu’en vous faisant part de ce qu’il en a écrit à une Veuve de qualité, qui fait son sejour à la Campagne.

A MADAME
LA MARQUISE DE ***
A Poitiers ce 23. Aoust.

Avoüez, Madame, que quoy que dans un temps où vous estes peu disposée à la joye, vous n’avez pû apprendre qu’avec une extréme plaisir l’heureuse Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je ne doute pas mesme que je ne vous en donne beaucoup, en vous mandant de quelle maniere on l’a celébrée icy. Vous reconnoistrez en tout ce que je vous diray le zele de Mr de Baville-Lamoignon, qui remplit si bien la Charge d’Intendant par l’application qu’il a au service du Roy, & au bien des Peuples, & qui fait mesme plus qu’un Intendant, puis qu’il a déja ramené à l’Eglise plus de quinze cens Personnes. Le Dimanche 16. de ce mois, jour marqué par Mr l’Evesque pour chanter le Te Deum, Mr le Lieutenant General alla au devant de Mr l’Intendant. Ils monterent au Palais, où s’estoient assemblez Messieurs du Présidial, & de là allerent en Robes rouges à la Cathédrale, eu Mr l’Evesque en Habits pontificaux entonna le Te Deum. Il fut chanté en Musique au bruit de tout le Canon. Au sortir de là, Mr l’Evesque donna à dîner à quantité de Personnes, & Mr l’Intendant fit une fort grande Feste. Le petit Peuple, attiré par deux Fontaines de Vin qui coulerent tout le jour devant son Hostel, la commença. Vous pouvez juger comment. Ce fut une vraye Bacchanale. La plûpart de ceux qui s’estoient assemblez pour salüer la santé du Roy, bûrent avec excés, & courant les Ruës, celébrerent par les plus grotesques Dances la Naissance du jeune Prince. Lors que le jour commença à finir, on alluma dans toutes les Courts des Lanternes qui estoient attachées aux Murailles de deux pieds en deux pieds, & à doubles rangs. Elles estoient peintes de diférentes couleurs, & ornées des Armes de France, de Baviere, & de Bourgogne. La Maison de Mr l’Intendant a en veuë une Montagne, qui est environ deux mille pas au dela des Murailles de la Ville. Entre la Maison & cette Montagne, sont en terrasse une Court, un Jardin, un Bois planté en Allées, & en suite un Pré. Dans ce Pré estoit une Baterie de douze Pieces de Canon. Les Allées du Jardin estoient éclairées de plusieurs Flambeaux, & de petits Chandeliers pendus à chaque Arbre, & dans le milieu du petit Bois on vit grand nombre de Chandeliers à six branches ; mais ce qui fit le plus bel effet, ce furent quinze grands Buchers disposez en triangle sur la Montagne, qui parut toute en feu lors qu’on les eut allumez. Pendant que ces Feux brûloient, une infinité de Fusées volantes que l’œil avoit peine à suivre, s’élançoient de toutes parts. Il y eut en suite un Feu d’artifice dans le Jardin, avec un nombre prodigieux d’autres Fusées volantes, de Serpenteaux, & de Pots à feu. Tout cela joint à la quantité des Lumieres, qui éclairoient les Courts, le Jardin, le Bois, & enfin la Maison entiere, faisoit un fort bel effet.

 Mais ce qui nous plût davantage,
 Tous les Echos du voisinage,
Réveillez par le bruit des Feux, & du Canon,
Et des Peuples zélez imitant le langage,
Repétoient tour-à-tour le Nom, l’illustre Nom
 De LOUIS & de Lamoignon.

Le croiriez-vous, Madame ? Quelques-uns s’imaginerent que le Ciel se mettoit de la partie ; & les coups de Canon qu’on tiroit assez proche de la Riviere, portez dans les nuages par les Echos, donnerent l’alarme à ceux qui appréhendoient le Tonnerre. Enfin ces Feux s’éteignirent, mais les plaisirs ne cesserent pas. Toutes les Personnes de qualité qui s’estoient s’éparées dans les divers endroits du Logis, furent receuës au son des Hautbois & des Violons, dans une Salle ornée de plusieurs riches Lustres, & éclairée d’un grand nombre de Bougies. Ce fut là que l’on imita ces Peuples, qui dançoient au lever du Soleil.

 C’estoient des Superstitieux,
Qui mettant le Soleil au nombre de leurs Dieux,
Se croyoient obligez d’honorer sa Naissance
 Par les Ris, les Jeux, & la Dance,
 Le jeune Duc si souhaité,
 Ce nouveau Soleil de la France,
 N’est pas une Divinité ;
Mais puis que foible encor, & dans l’obscurité,
Avecque tant d’éclat il commence à paroître,
A l’Univers un jour se faisant mieux connoître,
Et suivant le chemin qu’ont tenu ses Ayeux,
Nous le verrons briller au rang des Demy-Dieux.

Vous sçavez, Madame, si nos Poitevines sont jolies, & vous avez admiré plus d’une fois les dispositions naturelles qu’elles ont à bien dancer. Ainsi sans vous parler de celles que leur beauté & leur adresse fit distinguer, je vous diray seulement que Mademoiselle de Messignac, avec laquelle Mr l’Intendant commença le Bal, parut dans cette Assemblée avec beaucoup d’avantage C’est une Demoiselle des plus qualifiées de la Province, Cousine germaine de Madame l’Intendante, & dont l’esprit & l’air engageant gagne tous les cœurs ; mais ce qu’on admira particulierement, ce fut la grace avec laquelle dancerent le petit Comte, Fils de Mr de Baville, & la jeune Mademoiselle de l’Isle. Quoy que dans un âge fort tendre, leurs manieres n’ont rien d’Enfant. Ils ont tous deux de la beauté, de l’esprit, & un naturel heureux. Madame l’Intendante ne dança point, à cause de sa grossesse, mais elle fit les honneurs de chez elle avec des manieres si pleines de douceur & d’honnesteté, qu’elle s’attira les regards de tout le monde. Le Bal fut interrompu par un Service de tout ce qu’on peut s’imaginer de somptueux, soit pour les Confitures seches, soit pour les plus rares Fruits, soit pour la profusion de toutes sortes de rafraîchissemens. Apres la Collation, on continua la Dance, qui dura longtemps, & chacun sortit charmé des manieres de Mr de Baville. Il faut le dire, Madame ; c’est un digne Fils de feu Mr le Premier Président de Lamoignon. S’il n’a pas encor toute son expérience, il a tout son feu, & toute son activité dans le manîment des Affaires, & dans le ménagement des intérests de Dieu & du Roy, ausquels il travaille avec un zele infatigable dans les Conversions du Poitou. Une si noble occupation le dérobe souvent aux Dames, qui recevroient bien plus agreablement ses visites que les Religionnaires & leurs Ministres ne les reçoivent, & qui se sont plaintes plusieurs fois de son insensibilité pour elles, comme si

 Un cœur bien fait dont la Gloire est maîtresse,
 Qui pour l’Etat travaille, agit sans cesse,
 Et que LOUIS occupe nuit & jour,
Avoit beaucoup de temps à donner à l’amour.
Il est vray, nous voyons au Temple de Mémoire
Des Héros que l’Amour a conduits à la Gloire ;
Baville n’est pas moins heureux,
Il trouve pour aimer des momens favorables ;
 Mais parmy tant d’Objets aimables
 Qui peuvent mériter ses vœux,
Une agreable Brune a toute sa tendresse,
 C’est son Epouse, elle a de la noblesse
  De l’embonpoint, de la jeunesse,
 Il ne sçauroit s’adresser mieux.

Et moy, Madame, je ne puis rien faire qui flate davantage ma vanité, que de me dire avec beaucoup de respect, vostre &c.

[Vendosme] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 227-229.

 

On a donné à Vendosme pendant huit jours, des marques de joye extraordinaires. Mr de Rémilly, Bailly de la Ville, apres avoir assisté au Te Deum en Robe & en Bonnet avec les autres Officiers, se mit à la teste des Habitans, qui s'estoient divisez en Compagnies. Il leur servit de Colonel, & ne parut pas moins fier, avec la demy Pique à la main, & un Tour de Plumes à son Chapeau, qu'il avoit paru un moment auparavant en Habit de Magistrat. Outre le Colonel, il y avoit des Capitaines des Quartiers ayant chacun leurs Livrées. On fit les décharges & les mouvemens avec autant de justesse que si ces Troupes Bourgeoises eussent fait plusieurs Campagnes. Les Capitaines des Quartiers, dont Mr le Lieutenant General estoit du nombre, s'estant retirez dans leurs Maisons, on posa pour le reste de la nuit des Corps de Garde à leurs Portes, avec des Tables magnifiquement servies. Les officiers qui en faisoient les honneurs, arrestoient les Passans, & le Corps de Garde faisoit des décharges toutes les fois qu'on bûvoit quelqu'une des santez Royales. Le lendemain, les Dames jalouses que les Hommes fussent seuls à celébrer cette Feste, se mirent de la partie. Elles parurent vestuës en Amazones avec des Habits superbes, ayant Madame de Rémilly à leur teste, & s'estant renduës toutes à cheval à la grande Place de la Ville, elles y firent une espece de Carrousel, que vous jugez bien qui fut tres-galant. [...]

[Nogent en Champagne] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 230-231.

 

Les Capucins de Nogent sur Seine, petite Ville de Champagne, s'y sont distinguez par un Te Deum en Musique, qu'ils firent chanter dans leur Eglise le Dimanche 13. de l'autre mois. Leur Autel estoit paré d'une façon toute singuliere pour la propreté. C'estoit un nombre de lumieres presque infiny, ce qui luy donnoit un fort grand éclat. Plusieurs coups furent tirez pendant la cerémonie, mais la pluye continuelle fit remettre le Feu d'artifice au lendemain. [...]

[Lettre de Nogent le Roy] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 233-238.

La Lettre qui suit vous instruira des Réjoüissances de Nogent le Roy. Elle est de Mr Bouchet, qui en est l’ancien Curé.

A MONSIEUR DE C.…
A Nogent le Roy ce 24. Aoust.

Je vous rends compte, Monsieur, comme vous le souhaitez, de ce qui s’est fait icy pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Mr le Marquis de Cœuvres, Gouverneur de l’Isle de France, nous ayant informé des intentions de Sa Majesté, nous chantâmes solemnellement le Te Deum dans nostre Eglise le Samedy 15. de ce mois avec les plus belles & plus délicates Voix de Paris. Pendant ce temps, on tira du Chasteau vingt-deux coups de Canon ; & toute nostre Jeunesse sous les armes, qui composoit un gros Bataillon d’Infanterie, sit sa décharge à diférentes reprises dans le Carfour de la Ville. En suite, Tambour batant, Enseignes déployées, Méches allumées, au son des Fifres & des Flûtes-douces, qui joüoient de cadence avec les Tambours, on alla en bel ordre dans l’Hipodrome du Chasteau, qui est un lieu fort spatieux & fort régulier, élevé en Terrasse propre à courir la Bague, & à faire le Manége. Là, proche d’un superbe Perron à double rampant, qui fait la face & l’entrée du Chasteau, le petit Mr le Marquis de Belsuns, Neveu de Madame la Comtesse de Nogent, accompagné de Mr Graffart, Bailly de ce Comté, alluma le Feu que l’on avoit préparé. On se servit de ce temps pour faire l’Exercice du Drapeau, de la Pique, & du Mousquet, dont nos Bourgeois s’acquiterent avec beaucoup de grace & d’adresse. Apres cela, du haut d’une seconde Terrasse, qui domine toutes les Vallées, & dont la veuë est tres-agreable, on tira plusieurs coups de Canon, dont les embrazures estoient pratiquées dans des toufes de Buis, de Rosiers, & de Cyprés, qui comme de petits Murs d’appuy, servent à border un magnifique Parterre, qui aboutit à une belle Galerie toute peinte ; & comme en ce beau jour la joye estoit universelle, elle se répandit aussi sur le Clergé. Le jeune Curé de la Ville, & moy, nous mîmes des premiers le feu aux Canons. Ce sont de grosses Pieces de Baterie qui ont esté prises autrefois sur l’Empereur Charles-Quint, & qui sont marquées à ses Armes. Les principaux Officiers du Chasteau, & quelques considérables Bourgeois, firent la mesme chose apres nous, & mirent le feu aux autres Pieces d’Artillerie. Cela fait, toute nostre brave Infanterie fit paroistre encor sa joye par de nouvelles décharges. Le soir on fit des Feux par toute la Ville. Ce ne furent que Festins ; & comme on y bût à rouge bord, on fit force Chansons inpromptu, dont le refrain estoit,

Tirons, chantons, rions, bûvons à toute outrance,
De nostre nouveau Duc celébrons la Naissance.

Les uns disoient,

 Bûvons, bûvons à cette fois
 A l’honneur du Prince François,
 Enluminons bien nostre trogne
Du plus excellent Vin que porte la Bourgogne.
Un Prince de ce Nom vient de naître à la Cour,
Il est des bons François l’espérance & l’amour.

Quelques-uns firent cette Priere à Dieu.

 Vous qui filez nos Destinées
Par la suite des jours, des mois & des années,
 Arbitre souverain des temps,
Faites que cet Enfant, du plus grand des Monarques
 Imite les Faits éclatans,
 Et que les inhumaines Parques
Luy donnant de longs jours, rendent nos vœux content.

Il y en eut d’autres qui apostropherent ainsi les Cieux.

Globes qui roulez sur nos testes
Avec tant de tranquillité,
Dont l’invisible activité
Fait les beaux jours & les tempestes,
Vous dont le pouvoir est si grand,
Versez sur ce Royal Enfant
Vos plus benignes influences,
Et faites que d’aucun malheur
Les fatales expériences
Ne troublent jamais son grand cœur.

Vous voulez bien, Monsieur, que je fasse icy parler les Bourgeois de nostre Ville dans l’épanchement de joye où ils sont, & que le langage du Parnasse, qui est succint & sententieux, soit l’Interprete de leurs sentimens. Ie suis vostre, &c.

[Chasteauthierry] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 238-241.

 

La Nouvelle de l'Accouchement de Madame la Dauphine fut sçeuë à Chasteauthierry dés le Dimanche 9. d'Aoust, par l'Ecuyer de cette Princesse qui passoit par là, pour en aller donner avis à la Cour de Baviere. Les Echevins la firent sçavoir aussitost au Peuple par le carrillon de toutes les Cloches de la Ville qui sonnerent tout le reste de ce jour. Le lendemain on fit une Procession genérale, à laquelle ils assisterent avec Messieurs du Présidial, tous les Officiers de Justice, & toutes les Communautez Religieuses. Il y eut ordre à toutes la Bourgeoisie, & à tous les Corps de Mestier, de se mettre sous les armes, & de fermer les Boutiques pendant trois jours; ce qui fut executé avec une joye extraordinaire. Les Compagnies, ou Cinquantaines, s'estant renduës dans la place de la Ville, où l'on alluma le Feu que les Echevins avoient fait faire, marquerent leur joye par trois décharges de toute la Mousqueterie. Le Mardy 11. du mesme mois, ces Compagnies s'estant rassemblées, firent marcher à leurs teste un Char de Triomphe, dans lequel estoit un Enfant couronné, & environné de Lauriers. Ceux qui composoient ces Troupes, firent leurs salves, passant deux à deux devant ce Char. Le Mercredy on dressa des Tables dans toutes les Ruës. Tous les Capitaines régalerent les Bourgeois & Corps de Mestier ; & comme on donna le Bal le soir, ainsi que l'on avoit fait les jours précedens, on ne vit que Masques qui s'arrestoient à toutes les Tables. Il n'y eut aucune Femme un peu distinguée, qui ne s'atroupast pour composer des galantes Marches, dans lesquelles elles estoient accompagnées de Violons, & des Tambours de la Ville.

[Mortagne-au-Perche]* §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 241-244.

 

La joye a esté aussi fort éclatante à Mortagne, Capitale de la Province du Perche. Le Dimanche 6. de l'autre mois, Mr le Vicomte Juge des Habitans, s'estant mis à la teste de huit ou neuf cens des Principaux, les conduisit dans la grande Place publique, où les autres Officiers l'attendoient avec un nombre considérable de Gentilhommes, & les Corps de Ville & de la Justice. Ils y firent leur décharge apres qu'on eut allumé le Feu, & ce grand bruit de Mousqueterie réïteré plusieurs fois, dura plus de deux heures. Le Peuple pendant ce temps se rafraîchissoit à des Fontaines de Vin, qui en versoient de tous costez dans la Place. Le Corps de Ville traita magnifiquement tous les Officiers de la Justice. On donna la Comédie aux Dames, & en suite un grand Bal dans une des Places publiques, où l'on dança jusqu'au jour. Le Lundy toutes les Boutiques furent fermées. Le Chapitre de l'Eglise Collégiale de Toussaint, apres avoir chanté le Te Deum, fit faire un Feu devant son Eglise. Les Capucins & les autres Monasteres en firent autant ; & le soir toutes les Fenestres des Maisons furent remplies de Lumieres. Il y eut encor grand Bal dans la mesme Place, où l'on avoit dancé le jour précedent. Le Mardy, jour de la Nativité de la Vierge, tous les Bourgeois souperent devant leurs Portes, & l'on n'entendit par tout que coups de Mousquetade & bruits de Petards. Mr le Vicomte fit faire un grand Feu sur le haut des Ruines du vieux Chasteau de la Ville. Tous les Habitans s'y trouverent sous les armes, & en allerent en suite allumer un autre qu'ils avoient fait préparer. Pendant ce temps, le Curé de la Paroisse fit chanter un Te Deum en Musique, apres lequel Mr le Vicomte donna le Bal à toutes les Dames dans une grande Place qui est au pied du Chasteau. La meilleure partie de la nuit y fut passée à dancer ; & le Mercredy les Bourgeois continuerent leurs Réjoüissances. Le Jeudy chaque Corps des Officiers de la Ville fit un grand Festin le soir dans toutes les Places Publiques.

[Senlis]* §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 244-245.

 

La Ville de Senlis s'estoit distinguée le mois précedent par les mesmes Festes. La Jeunesse s'y mit sous les armes le Dimanche 9 Aoust, & marcha par toute la Ville dans l'ordre d'une vraye Milice, faisant des décharges continuelles. Il y eut un magnifique Repas à l'Hostel de Ville, où tout le monde bût à la santé du Roy, & à celle du jeune Prince. A ce Repas succeda le Bal que les Echevins donnerent. Les Feux, les Festins, les Dances, tout continua jusqu'au Mardy 11. Le Lundy, toute la Jeunesse, dans le mesme ordre que le premier jour, alla à l'Abbaye de Nostre-Dame de la Victoire, à demy-lieuë de Senlis, pour rendre graces à Dieu, & avoir l'honneur en mesme temps de voir Mr de la Roche-sur-Yon. Ce Prince estoit à la Chasse. Cette Milice se rendit de là au Chasteau du Plessis-Choiseüil, aussi à demy-lieuë de Senlis, où Mr le Marquis de S. Simon la reçeut avec beaucoup d'applaudissement. Chacun fit sa décharge en passant devant ce zelé Gouverneur ; apres quoy on revint à Senlis Tambour batant. [...]

[Soissons]* §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 246-249, 251-259.

 

La mesme Feste fut commencée à Soissons le Dimanche 16. Aoust par une Procession genérale que les soins de Mr du Tour Grand-Vicaire, & ceux de Messieurs les Chanoines, rendirent fort magnifique. [...] Je vous ay déjà appris par cette Lettre, que celuy qui remplit la Charge de Maire, est Mr Chantereau le Febvre, Trésorier de France. [...] Au retour du Te Deum, il mena les Echevins chez luy. [...] En suite on alla à l'Hostel de Ville, qui paroissoit tout en feu par le nombre infiny de Lanternes qu'on y avoit disposées de toutes parts. Madame l'Intendante y estoit, accompagnée de toutes les Dames de Soissons. Mr le Maire la complimenta en arrivant, & luy présenta les Confitures de la Ville, qu'elle distribua aussitost aux Dames qui estoient avec elle. On fit voler dans les airs une infinité de Fusées, pendant que tout retentissoit du bruit des Violons, des Hautbois, & des Trompetes. Le lendemain Lundy, les Boutiques furent fermées par Ordonnance de Police, & tout le jour se passa en Jeux & en Dances. [...]

Le Mercredy, ce fut une Feste toute nouvelle, que firent les Arquebusiers. Mr Bonnet, Commissaire Provincial des Guerres, leur Capitaine, & Mr Vuilleaume Capitaine-Lieutenant, allerent à la teste de cette Compagnie, qui est composée d'hommes fort bien faits & fort adroits, inviter Mr l'Intendant, & Mr le Maire, à une Messe qu'ils faisoient dire. Ces Messieurs y assisterent. L'apresdînée, les Arquebusiers se rendirent dans leur Jardin, qui est sans contestation un des plus beaux de la Province. Ses murailles sont baignées d'un costé par la rivière d'Aisne, & comme elles ne sont qu'à hauteur d'appuy, on découvre en se promenant cette Rivière qui se divise en deux bras dans une fort agrebale Prairie, & on voit tout le Païsage terminé par deux Montagnes, qui s'approchant insensiblement, forment à une lieuë & demie de là, une gorge admirablement belle. Une situation si heureuse a esté encore secondée par les soins des Arquebusiers, qui ont pris plaisir à entretenir ce Jardin de Gazons, d'Allées de Tilleuls, de Boulingrins, de Jets d'eau, & de tout ce qui pouvoit l'embellir. Ce fut dans ce Lieu qu'ils tirerent le Prix. Ils défererent le coup du Roy à Mr de Bouttigny ; & apres que beaucoup de Personnes eurent fait voir leur adresse à cet Exercice, on le quitta pour passer dans la Salle, où estoit une Table à quatre-vingts Couverts. Mr Vuilleaume, qui donna ce Repas, l'assaisonna de tous les plaisirs imaginables. Les Tambours, les Fifres, & les Hautbois, ne cessoient de joüer, que pour laisser entendre une Musique composée de Theorbes, de Clavessins, & de Voix ; & pendant tout ce temps-là, on voyoit par les Fenestres de la Salle les trois Terrasses du Jardin illuminées, & les Feux qu'avoient allumez les Peres Feüillans, dont le Jardin touche à celuy de l'Arquebuse ; de sorte que tout cela composoit la plus agreable décoration qu'on se puisse figurer. Madame l'Intendante, qui estoit priée le soir d'aller au Jardin, y estant arrivée sur les neuf heures, on alla conduire à un Pavillon, où elle ne fut pas plutost, que tout l'air parut en feu. Mille Fusées qui partoient d'un Feu d'artifice placé sur la plus haute des Terrasses, s'élancerent dans les nuës. Mr Bonner présenta à Madame l'Intendante, au nom de toute la Compagnie des Arquebusiers, plusieurs Bassins de Confitures & de rafraîchissemens; & la nuit estoit fort avancée, lors qu'on sortit de ce Jardin enchanté. On croyoit toutes les réjoüissances finies à Soissons ; mais on sçeut que Mr Gaigne Trésorier de France, préparoit un grand Régale pour le Dimanche suivant. Il a eu quatre fois de suite l'honneur de loger Monseigneur & Madame la Dauphine dans les Passages de la Cour à Soissons. Ainsi la joye de ce Prince & de cette Princesse, devoit le toucher plus particulierement que les autres. Il le marqua bien par la magnificence extraordinaire d'un Soupé, où il avoit prié les premiers Officiers de tous les Corps de la Ville. Ce qu'il y eut dans ce Repas de plus remarquable pour l'invention, ce fut une Machine placée au milieu de la Table, éamp; remplie des plus beaux Fruits de la saison, d'où sortoit de temps en temps un Jet d'eau de Fleur d'Orange, si haut & si fort, qu'il eteignoit presque les Bougies qui estoient dans un Lustre de cristal, dont la Salle estoit éclairée. Un Feu d'artifice que Mr Gaigne fit tirer dans son Jardin, succeda au Soupé, & ce divertissement fut encore suivy d'un grand Bal. Apres tout cela, Mr Gaigne pria les dames de monter dans une Chambre, où elles devoient trouver une Colation. Cette chambre est à l'Italienne, suivant les Desseins du fameux Mr Girardon. Les Platfonds en ont esté peints de la main de Mr Bourdon, si connu parmy les Peintres; & les Meubles en sont si riches, que quand Madame la Dauphine y coucha, les Officiers y laisserent le Lit, que cette Princesse trouva fort superbe, & fort bien entretenu. Mais ce que Mr et Me Gaigne vouloient fair remarquer à la Compagnie, c'est que Monseigneur et Madame la Dauphine coucherent dans cette Chambre la nuit du 12. au 13. de Novembre 1681. & que Monseigneur le Duc de Bourgogne estant né la nuit du 6. au 7. d'Aoust 1682. ils pouvoient se flater avec beaucoup d'apparence, que ce Prince y avoit esté conçeu, d'autant plus qu'on sçait que les Enfants mâles avancent de quelques jours leur venuë au monde. Tout ce Recit des Réjoüissances de Soissons seroit imparfait, si je ne vous parlois pas de celles qu'a faites Madame Armande-Henriette de Lorraine-d'Harcourt, Abbesse de Nostre-Dame. Cette Princesse, dont la pieté est égale à sa haute naissance, a crû que des dépenses éclatantes ne seroient pas si proportionnées à son état, que des prieres & des aumônes. Dés qu'elle sçeut la Naissance de nostre nouveau Prince, elle fit chanter solemnellement un Te Deum dans son Monastere, & envoya de grandes charitez, des Tonneaux de Vin, beaucoup de Pain & de Viande, & des sommes d'argent considérables, à l'Hôpital General, aux Prisons, à l'Hôtel-Dieu, & à bien d'autres Lieux, jusqu'où la joye publique ne seroit point parvenuë sans cette illustre Abbesse.

Pour Madame la Dauphine, Marie-Anne-Victoire. Sonnet §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 259-261.

Je vous envoye deux nouveaux Sonnets sur la Naissance du jeune Prince. Le premier nous fait entendre qu’il assemblera dans sa personne les diverses qualitez de quatre Fils de France qui ont esté Ducs de Bourgogne, Philippe le Hardy, Jean sans peur, Philippe le Bon, & Charles le Belliqueux.

POUR MADAME
LA DAUPHINE,
MARIE-ANNE-VICTOIRE.
Sonnet.

Peintres, de qui la main ne conduit le Pinceau
Que pour peindre LOUIS, la Merveille du Monde,
Peignez-nous, il le veut, un Alcide nouveau,
Dont le bruit remplira bientost la terre & l’onde.
***
Et vous, qui mesurez le celeste Flambeau,
Et pesez les momens d’une nuît si féconde,
De ce Héros naissant admirant le Berceau,
Jugez que sa valeur n’aura point de seconde.
***
Sans vous plus fatiguer à consulter vos Loix,
Apprenez qu’il descend du plus grand de nos Roys.
D’un Dauphin élevé de la main de la Gloire ;
***
Qu’il est Duc de Bourgogne, & du Sang de Bourbon,
Qu’il sera Belliqueux, Hardy, Sans peur, & Bon,
Puis qu’on l’a veu partir du sein de la Victoire.

M.B.

Sonnet irrégulier §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 261-262.

SONNET IRREGULIER.

Tous les Loüis sont bons, quand ils sont faits en France,
Et qu’ils portent sur eux les Armes d’un Grand Roy ;
Nous sommes trop heureux de vivre sous leur Loy,
Le seul nom de Loüis nous met en assurance.
***
Les Loüis sont si beaux, que la grandeur d’Espagne
Donne jusqu’à son Sang pour faire des Loüis ;
Et depuis quelques jours nos yeux sont ébloüis,
D’en voir un fait du Sang de France & d’Allemagne.
***
Allumons donc par tout, mais sur tout dans le cœur,
De grands Feux, pour marquer la gloire & le bonheur
De ceux qui vont compter de beaux Loüis en France.
***
Honorons ce beau Nom, c’est un présent du Ciel ;
Qu’il soit dans nostre esprit, & dans nostre finance,
Nous serons assurez d’un repos eternel.

De Vaessuor.

[Etablissement d’une Académie de beaux Esprits faits à Nismes […]] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 262-267.

Il temps de vous parler de l’Etablissement que le Roy a fait au mois d’Aoust dernier, d’une Académie à Nismes. Ce sont les Conférences particulieres touchant les belles Lettres, qu’on faisoit en cette Ville-là chez Mr de Faure-Fondamente depuis plusieurs années, qui ont donné lieu de penser à ce nouvel Etablissement. C’est une Compagnie qui a Mr l’Evesque de Nismes pour son Protecteur. Elle est composée de vingt-six Personnes choisies. Au temps où on l’a formée, Mr de Faure estoit à Paris, comme il y est encore à présent à la poursuite d’un Procés. C’est à ce Procés que la Ville de Nismes doit l’avantage d’avoir ce nouvel ornement, qui luy donne une tres-grande distinction dans la Province. Mr de Faure, comme Deputé de cette Assemblée de Gens de Lettres, a sçeu si bien faire goûter à la Cour l’Etablissement de cette nouvelle Académie, qu’il l’a obtenu de la maniere la plus glorieuse pour luy, comme la plus favorable pour tous ceux qui la composent, Sa Majesté leur ayant accordé les mesmes marques honorables de sa bien-veillance, & les mesmes Privileges dont joüissent Messieurs de l’Académie Françoise. Mr le Duc de Noailles, Commandant en la Province de Languedoc, a fait paroître son amour pour les belles Lettres, & son crédit à la Cour, en surmontant toutes les difficultez qui se sont présentées dans le cours de cette Affaire.

L’ouverture de l’Académie de Nismes a esté faite le Vendredy 18. de Septembre, chez Mr le Marquis de Peraud, qui en est le Secretaire. Mr de la Baume Directeur, y fit un fort beau Discours sur le sujet de ce nouvel Etablissement ; & comme c’estoit le jour où la Ville de Nismes celébroit la Feste de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, l’Académie orna la Porte du Lieu de son Assemblée, d’un Arc de Triomphe, où au plus haut on voyoit un grand Soleil. Ces sept Devises estoient au dessous. Elles sont de la façon de Mr Graverol, qui se distingue également par la profondeur de son sçavoir, & par la beauté de son esprit.

Un jeune Prince, couvert d’un Manteau Royal, & dans les Langes,

Alius Gallis jam partus Achilles.

Une Pyramide fleur delisée & à trois angles, soûtenuë par deux Dauphins,

Immota manebunt Borboniæ jam fata domus.

Le Signe du Lion au Zodiaque, par allusion à la Naissance du jeune Prince sous la constellation du Lion,

Iam victor evans tali sub sydere natus.

Un Feu de joye sur la Terre, & une Comete au Ciel,

Cunctis permixti partibus ignes.

Deux Cornes d’abondance, avec deux testes au dessus, & un Soleil au milieu,

Toto surgit gens aurea mundo.

Un grand Lys couronné, de la tige duquel sortoient deux petits Lys l’un sur l’autre,

Nec Salomon in omni gloria sua.

Un Palmier, où un Cœur est gravé,

Crescet, crescetis amores.

Pour faire entendre que l’amour que cette Académie a pour ce jeune Prince, croistra en mesme temps que luy.

Mr le Marquis de Chasteauneuf, Ministre & Secretaire d’Etat, est du nombre de ces Académiciens. Leur Compagnie a pris pour Devise une Couronne ce Palme, avec ce mot, Æmula lauri. Vous voyez, Madame, que tout se distingue tour à tour, ou par les Armes, ou par les belles Lettres, sous le Regne glorieux de Loüis le Grand. J’auray bien-tost à vous dire des choses plus particulieres sur ce sujet. Ainsi je passe à d’autres Articles.

Attaque du Fort de l'Académie de Bernardy, présentement de Mesmont §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 267-268, 271.

Attaque du Fort de l'Académie de Bernardy, présentement de Mesmont.

 

Je vous parle tous les ans du Fort assiegé par les Académistes de feu Mr Bernardy. Voicy ce qu'en a écrit une Personne de qualité, qui a esté témoin cette année des Attaques de ce Fort.

 

LETTRE DE Mr L. M. DE G.

A Mr LE M. DE. B.

 

Je vous suis bien obligé, Monsieur, de m'avoir préferé à tout ce que vous avez icy d'Amis, pour les Commissions qui regardent l'éducation de Monsieur vostre Fils. [...]

Ces Attaques ont duré tout le mois de Septembre, & une partie de celuy-cy ; & quand je n'aurois pas eu des raisons particulieres de les aller voir, pour vous en parler en suite, je n'aurois pas laissé d'avoir une curiosité que je trouve genérale dans Paris. Vous auriez eu beaucoup de plaisir de voir plus de soixante jeunes Gens de qualité marcher en bon ordre, au bruit des Tambours, & au son des Hautbois. Ils estoient suivis d'un pareil nombre de leurs Domestiques, armez d'une maniere peu diférente. [...]

[Rome] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 276-282.

 

Peut-estre, Madame, la Naissance des Césars n'a-t-elle pas esté autrefois celebrée à Rome avec plus de joye, que le vient d'estre celle de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Dés que Mr le Duc d'Estrées, Ambassadeur de France, eut reçeu cette nouvelle, il alla l'apprendre à Sa Sainteté, suivy d'un Cortége de plus de cent Carrosses. Vous sçavez, Madame, que quand le nombre des Princes du sang de France s'augmente, le nombre des Protecteurs du Saint Siege s'augmente aussi. Aussi le Pape ne pouvoit manquer d'avoir beaucoup de joye, en voyant le Bonheur de Rome, & celuy de toute la Nation Françoise, si bien établis en mesme temps. En suite Mr le Duc d'Estrées fit part de la mesme nouvelle, à Mr le Cardinal Cibo, Premier Ministre du Pape, à la Reyne Christine de Suede, & aux Cardinaux. Depuis le 23. d'Aoust jusqu'au 25. Mr l'Ambassadeur fit faire tous les jours de magnifiques Illuminations au Palais de Farnese où il loge, & mesme dans toutes les Maisons voisines, où il avoit envoyé des Flambeaux ; mais le 25. fut un jour remarquable, par la Chapelle qui se tint à l'Eglise de S. Loüis, dont on celebroit la Feste. Quoy qu'on eut eu que quatre jours pour s'y préparer, cette difficulté fut vaincuë par les soins extraordinaires de Mr le Cardinal d'Estrées, secondé de Mr l'Abbé d'Hervault Auditeur de Rote, de Mr l'Abbé Benedetti Agent de Sa Majesté, & du Sieur Fabry François Architecte de l'Eglise de S. Louis. Aussi on ne vit jmais à Rome d'Eglise mieux préparée, soit par sa richesse, soit par le dessein des Tapisseries & des autres ornemens. Une Tenture de Velours rouge cramoisy, chamarré de galons d'or, embelly de plusieurs diférentes broderies & d'étoffes tres-riches, regnoit autour de l'Eglise. La Corniche estoit chargee de Vales d'argent remplis de Fleurs, & on avoit placé au dessus du grand autel un Dais de Brocard d'argent, tout relevé de Fleurs d'or. Ce que je ne puis vous décrire, c'est la simétrie & l'art avec lequel toutes ces choses estoient disposées. Mr de Bachis Evesque de Sinigaglia, celébra la Messe. Le Sieur Melani y fit entendre une Musique excellente, & des Symphonies admirables. Le Te Deum y fut chanté au bruit des Boëtes, des Trompetes, & des Tambours. A cette Feste succederent un grand Repas, que Mr le Duc d'Estrées donna aux Prélats & aux Princes de la Faction de France ; & une distribution d'argent que Mr le Cardinal son Frere fit faire à plus de trois mille pauvres. D'autre costé, les Cardinaux & les Seigneurs attachez à la Couronne, imiterent ces Réjoüissances. Mr l'Abbé Scarlatti Agent de S. A. E. de Baviere, & le R. P. Clement Agent des Cordeliers de France, marquerent bien leur zele par la beauté des Illuminations qu'ils firent. Celle de Mr de la Chausse, Agent de feu Mr le Cardinal de Retz, mérite qu'on vous la décrive en particulier. Le devant de son logis estoit éclarié de plus de mille Lumieres. On voyoit au second Appartement, à la Fenestre du milieu, une Couronne brillante, illuminée de deux cent petites lampes qu'on y avoit suspenduës. Au dessus estoit un grand Soleil, dont les rayons estoient chargez de deux cent cinquante Lampes, semblables à celles de la Couronne; & immédiatement sous le Soleil, on avoit posé trois Fleurs de Lys, deux en chef entre les Fenestres, & et une en pointe au milieu du Balcon. A la droite estoit un Dauphin; à la gauche un Lion; & au dessous les Armes de Mr l'Ambassadeur. Toutes les lampes estoient de fer blanc & canelées, ce qui faisoit un effet d'autant plus agreable, que les Lumieres estant proches les unes des autres, la réflexion les augmentoit de beaucoup. Cette illumination dura trois jours, aussi bien qu'une Table ouverte, que Mr de la Chausse tint chez luy, & qu'il fit accompagner de Violons, de Tambours, de Fifres, & de Trompetes.

[Ratisbonne] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 282-290.

 

Mr Verjus, Comte de Crecy, Plénipotentiaire de France à la Diéte de Ratisbonne, attendoit avec impatience depuis quelques semaines, la nouvelle de l'Accouchement de Madame la Dauphine, lorqu'enfin il la reçeut le 13. du mois d'Aoust, par un Courrier, à qui il donna une fort grosse Chaîne d'or, qui fut la premiere chose qui tomba sous sa main. Il fit part aussitost d'une si heureuse nouvelle au Ministre de Bavière, dont le Maistre y prend un intérest particulier, puis qu'il est Oncle de Monseigneur le duc de Bourgogne. En suite Mr le comte de Crecy envoya ses Gentilhommes annoncer la mesme chose à Mr l'Evesque d'Eychstat, principal Commissaire de l'Empereur, & la plûpart des Ministres de la Diéte. Il passa deux jours à recevoir les visites & les complimens que luy firent tant de Personnes considérables, par leur mérite & par leur employ ; & le 13. du mois il les invita tous en cérémonie à une Messe & à un Te Deum, qu'il faisoit chanter le lendemain dans l'Eglise de l'Abbaye des Ecossois où il loge. Le 6. à la pointe du jour, on donna le premier signal de la Feste, par une décharge du Canon de la Ville de Ratisbonne, que les Magistrats avoient le jour précédent envoyé de leur Arsenal à Mr le Comte de Crecy. Cela attira d'autant plus la curiosité de tout le monde, qu'on sçait que cette Ville, s'est toûjours défenduë de fournir de l'Artillerie pour des Festes de cette nature. La Messe fut celebrée solemnellement avec une fort bonne Musique, à laquelle répondoient au dehors les décharges du Canon. Le Directeur de l'Empire, quoy que fort indisposé, ne laissa pas d'assister à cette Messe, aussi bien que les Ministres de Mr l'Electeur de Cologne, de Mr l'Electeur de Brandebourg, de Mr l'Electeur Palatin, du Roy de Suéde, du Roy de Dannemark, de Munster, de Hesse-Cassel, & d'Anhalt, & les Députez de la Ville de Ratisbonne, qui tous se trouverent à la cerémonie, tant Catholiques que Protestans. Apres ces actions de graces renduës à Dieu, Mr le Comte de Crecy songea à des divertissemens publics, ausquels il destina le jour de la Feste de S. Loüis, qui n'estoit éloigné que de neuf jours, mais ses soins, son habileté, & le bon ordre qu'il mit à tout, & la grande dépense qu'il fit, supléerent au peu de temps qu'il avoit. Le 25. estant donc arrivé, il fit chanter dans l'Abbaye des Ecossois une Messe aussi solemnelle que la premiere ; & au retour il donna un Repas tres-superbe & tres-propre à plus de cent Personnes, qui estoient les Ministres de la Diéte, les Magistrats de Ratisbonne, les plus considérables de la Noblesse de Baviere & d'Autriche, & toutes les Dames de la Ville. Le soir on alla dans une Isle qui est au milieu du Danube, & que Mr le Comte de Crecy avoit choisie pour y faire tirer ses Feux d'artifice. Il y avoit fait bâtir une Salle qui enfermoit plus de 1500. pieds d'espace. Elle estoit magnifiquement tapissée & éclairée d'un nombre infiny de Bougies, & retentissoit du bruit des Hautbois & des Violons, qui divertirent toute l'illustre Compagnie qui y fut reçeuë, en attendant les Spéctacles qui devoient paroître. Au bout de quelque temps, on fut étonné de voir tous les Flambeaux s'éteindre, mais la perte de leur lumiere fut réparée par celle qui arrivoit dans une grande Machine qu'on voyoit floter sur le Danube, & qui estoit annoncée de loin par des Tambours & des Timbales. Cette Machine s'arresta vis-à-vis le Feu d'artifice qu'on avoit dressé dans l'Isle, & alors on distingua clairement quatre Dauphins, qui soûtenoient un Arc de Triomphe orné d'une infinité de Devises à la loüange du Roy & de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Sur le haut de l'Architecture estoit un Globe terrestre, où le nom du Roy se lisoit de toutes parts en caractéres de feu, & ce Globe portoit une Renommée, qui ayant la Trompete à la main, sembloit prendre son vol pour aller dans toutes les Parties de la Terre, publier les actions de LOUIS LE GRAND. Le Feu d'artifice de l'Isle représentoit la France. Elle tenoit une Corne d'abondance d'une main, & de l'autre des Couronnes de Laurier & d'Olivier. Il sortit de ces deux Bâtimens une infinité de feux, dont les uns alloient se perdre dans les airs, & les autres se rouloient longtemps sur les eaux de la Riviere sans s'y éteindre. Cependant on entendoit de tous costez l'agreable mélange du son des Tambours, des Hautbois, & des Trompetes. Apres que les Feux eurent joüé, on dança dans la Salle. On y avoit disposé des Loges & des Offices de feüillées, remplis de Liqueurs & de Rafraîchissemens, dont on fit une profusion magnifique. Le lendemain, Mr le Comte de Crécy commanda qu'on distribuast des aumônes aux Pauvres, & envoya des Présens aux Religieux, & de l'argent, avec plusieurs Tonneaux d'excellente Biere aux Soldats de la Garnison. Mais il voulut enfin que tout le Peuple pust prendre part à la réjoüissance, & le 30. il fit élever dans une grande Place un Echafaut tout couvert d'Arbres, qui se joignans par le haut, formoient un Berceau. On joüoit de la Musete, du Chalumeau, & du Hautbois, sur ce Theatre champêtre, & plus bas couloient de grandes Fontaines d'un tres-bon Vin, qui excitoit les Allemands à bien boire la Santé du Roy, de toute la Maison Royale, & de Mr le Comte de Crécy.

[Rochefort] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 290-291.

 

Le Te Deum fut suivy à Rochefort de trois Salves de toute l'Infanterie qui garde le Port. L'Amiral tira en suite tout son Canon ; & six-vingts Pieces qui sont sur le Quay, la plûpart de trente-six, luy répondirent. Madame L'Intendante, accompagnée de Messieurs les Intendans de Rochefort, de Limoges, de Montauban, & de la Noblesse de trois ou quatre Provinces, s'estant renduë dans la grande Place des Capucins, alluma un Feu que l'on avoit préparé avec une infinité d'Artifices. Il estoit à cinq étages, & occupa agreablement tous les spectateurs pendant trois heures. Plusieurs Tables servies avec propreté & avec abondance, ne contribuerent pas peu à la joye de cette grande Assemblée. Il y eut grand Bal le soir ; [...].

[Brie-Comte-Robert] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 293.

 

Le 24. d'Aoust, apres beaucoup de réjoüissances faites à Brie-Comte-Robert par les ordres de Mr Porta son Gouverneur, on eut le spéctacle d'un tres-grand Feu d'artifice tiré dans la Place, au bruit de l'Artillerie du Chasteau, tous les Habitans estant sous les armes. Il fit distribuer du Vin au Peuple pendant tout le jour ; & le soir il donna le Bal aux Dames, & une superbe Collation.

[Montbazon] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 294-295.

 

Les Officiers du Duché de Montbazon en Touraine, appartenant à Mr le Prince de Guémené, firent assembler tous les Habitans de la Ville, & de toutes les Paroisses qui en dépendent, pour le Te Deum qui fut chanté dans la Chapelle du Château. On fit diverses décharges, tant du Canon que de la Mousqueterie, tous les Habitans s'estant armez pour rendre plus éclatante la cerémonie du Feu.

[Clervaux] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 297-298.

 

Les Religieux de l'Abbaye Royale de Clervaux s'estant assemblez le 23. Aoust au nombre de plus de six-vingts dans leur grande Eglise, exposerent devant le Maistre-Autel les Chefs de S. Bernard, premier Abbé de cette Abbaye, de S. Malachie, de S. Marc Evangeliste, de S. Barnabé, & de S. Vincent Martyr, le Reliquaire du Grand Constantin, & une infinité d'autres Reliques tres-rares de leur Trésor, qu'ils porterent en suite processionnellement à leur ancien Monastere, où ils chanterent la Messe. Lors qu'elle fut dite, ils retournerent en leur Abbaye dans le mesme ordre qu'ils estoient partis ; & rentrant dans leur Eglise, le Prieur en l'absence de l'Abbé, entonna le Te Deum, que l'Orgue & le Choeur continuerent. Toute la Noblesse du voisinage, & quantité d'Ecclesiastiques, assisterent à cette Procession. [...]

[Sens] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 298-300.

 

Le Dimanche 11. de ce mois, la Ville de Sens, qui passe pour une des plus anciennes du Royaume, & dont la fidelité au service de nos Roys a toûjours esté connuë, donna le spéctacle d'un Feu d'artifice qui eut grand succés. La décoration du Theatre sur lequel il fut placé, représentoit le magnifique Chasteau de Versailles. On y vit un Ange descendre du Ciel, portant dans sa main droite le Prince nouveau né, & tenant de l'autre une Banderole, avec cette Inscription, Jam nova progenies coelo demittitur alto.

Dans le moment que l'Ange parut, une Figure majestueuse qui représentoit le Génie de la France, reçeut ce riche Présent ; & les quatre Vertus s'intéressant pour l'éducation du jeune Prince, vinrent luy offrir leurs soins, tandis que la Renommée se mit en état d'aller publier à toute la Terre la joye de la France. Elle tenoit sa Trompete d'une main, & de l'autre une Banderole, sur laquelle on lisoit ce Vers en lettres d'or, Pacatumque reget Patrÿs virtutibus orbem.

Dans le temps qu'elle déployoit ses aîles pour partir, les fanfares des Trompetes, mêlées d'autres Instrumens, firent retentir les airs de toutes parts. Ce fut le signal pour faire joüer tous les Artifices. Le Theatre estoit éclairé admirablement, & il y eut dans toute la Place une Illumination des plus surprenantes.

[Comté de la Tour-d'Opin] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 300-302.

 

Comme le Comté de la Tour-d'Opin en Dauphiné, a eu la gloire d'estre le Lieu des Plaisirs des Princes Dauphins, on s'est empressé à y donner des marques de joye pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. C'est un des plus agreables lieux de France, à neuf lieuës de Lyon, sur le grand chemin de Chambéry. Les princes Dauphins y demeuroient dans les plus belles saisons de l'année, & ils avoient étably un tres-beau Bailiage pour tout le Viennois. Toute la Ville s'estant mise sous les armes le Mardy 22. de Septembre, alla prendre Madame la Comtesse de Mury, qui en est la Dame, & l'accompagna en l'Eglise Paroissiale, où le Te Deum fut chanté sur les deux heures, au bruit du Canon & de la Mousqueterie. [...]

[Estaing] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 303-304.

 

La Ville d'Estaing, Païs de Roüargues, s'est fort distinguée par les soins de Mr le Comte d'Estaing. Les Prestres du lieu, & ceux du Comté, au nombre de plus de soixante, chanterent le Te Deum, en présence de toute la Noblesse, que ce Comte traita magnifiquement, ainsi que toute le Clergé. Les Violons, les Hautbois, & toute la Symphonie du Païs, ne cesserent point de se faire entendre. Il y eut des Illuminations à toutes les Fenestres du Chasteau & de la Ville, & des Fontaines de Vin coulerent un jour & une nuit.

[Balade de Madame des Houlieres, à M. de Poincty] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 309-312.

Vous venez de voir dans cette Seconde Partie de ma Lettre une Relation de Mr de Poincti, touchant ce qui s’est passé devant Alger. Cette Relation estoit adressée à Mademoiselle des Houlieres. C’est une Fille qui a beaucoup d’esprit, & de bon goust, & qui écrit aussi bien en Prose que Madame sa Mere écrit en Vers. C’est beaucoup dire ; mais des Personnes tres-éclairées en parlent de cette maniere, & on peut les croire sur leur parole. Si sa modestie ne s’opposoit pas au dessein de ses Amis, qui voudroient bien donner des Copies de ses Ouvrages, ils serviroient d’un grand ornement à mes Lettres. Madame des Houlieres a régalé de cette Balade celuy qui avoit envoyé la Relation d’Alger à Mademoiselle sa Fille.

A Mr DE POINCTY,
Commandant dans une des
Galiotes du Roy, nommée
la Cruelle.
BALADE.

Preux Chevalier, sage, & de bon alloy,
Déja sçavions par Dame Renommée,
A qui tes Faits donnent assez d’employ.
Que dans ta Nef, loin d’estre clos & coy,
Quand sur Alger tomboit Bombe enflâmée,
Le fin premier affrontant le danger
Sur la Cruelle as bien fait telle rage,
Que pesle-mesle, Africain, Etranger,
Mosquée & Tours gisent sur le Rivage.
***
Dans ton recit, gaye & fiere, je voy
Nostre Jeunesse à vaincre accoûtumée,
Aller au feu Pourtant, comme je croy,
A telle Feste on n’est pas sans effroy,
Belle elle estoit, & tu l’as bien chommée.
Du Quesne habile en l’Art de naviger,
Sage en Conseils, fameux par son courage,
Dit que par toy chez le More léger,
Mosquée & Tours gisent sur le Rivage.
***
De cette Gent sans honneur & sans foy,
Par cet Exploit l’audace est reprimée ;
Pour la réduire à suivre nostre Loy,
Besoin sera d’Apostres comme toy,
Telle œuvre veut qu’on presche à main armée.
On te verra sans-doute ravager
Dans autre année autre infidelle Plage,
Dont on dira, comme on le dit d’Alger,
Mosquée & Tours gisent sur le Rivage.

ENVOY.

Peuples d’Alger franchement, dites-moy,
De Charles-Quint que mit en desarroy
Vostre valeur aussi-bien que l’orage,
Ou de LOUIS qui sçait vous corriger,
Quel est plus grand, plus vaillant, & plus sage ?
Bien mieux que nous vous en pouvez juger,
Mosquée & Tours gisent sur le Rivage.

[Sonnet sur Alger] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 313-314.

Voicy un Sonnet qu’on fit sur les Bouts-rimez de Pan, dans le temps que les Vaisseaux partoient pour Alger. Il est de Mr Gasquer, Vignier de Lorgues en Provence.

SUR LA GUERRE
d’Alger.

Renoncez, Africains, à la fierté du Pan,
On vous fera sauter ainsi que la Guenuche ;
Et malgré vos efforts soûtenus de Satan,
On va vous enlever le Tulban, & la Pluche.
***
Pour éviter ces maux, viste, fuyez en Fan,
Dans peu nous pillerons les fruits de vostre Ruche ;
Rendez à nos Marchands toutes leurs Peaux d’E-lan,
Leurs Navires, Vaisseaux, & leurs Plumes d’Autruche.
***
Aux armes de LOUIS tout fléchit, & dit hoc ;
Apprenez qu’avec luy l’on ne fait point de troc,
Et qu’aux Audacieux il fait niche sur niche.
***
Vous aurez beau pester, jurer, & dire par,
Il abatra vos Murs, mettra vos Champs en friche ;
Ainsi n’alléguez plus, ny si, ny mais, ny car.

[Abbaye Royale de S. Pierre de Lyon] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 314-315.

 

En vous parlant des Réjoüissances de Lyon, j'ay oublié de vous dire que Madame de Chaunes, Abbesse de l'Abbaye Royale de S. Pierre, s'estoit particulierement distinguée. Elle prévint les ordres de Mr l'Archevesque, en faisant chanter le Te Deum dans son Eglise Paroissiale, dés le jour mesme qu'elle apprit qu'il estoit né un nouveau Prince à la France. [...]

[Frontignan] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 317-318, 322-324.

 

Elle a esté grande à Frontignan. Les Trompetes, les Tambours, & les Hautbois, l'y commencerent de fort grand matin le Dimanche 4. de ce mois, & continuerent de se faire entendre le reste du jour, aussi-bien que les décharges des Habitans, qui se mirent sous les armes. [...] A midy on fit une décharge de soixante Boëtes, & de la Mousqueterie ; & en mesme temps on ouvrit trois Fontaines de Vin, qui coulerent jusqu'à minuit en divers endroits de la Place. [...]

Sur les trois heures, on vit paroistre à la Place une Compagnie de Filles habillées en Amazones, avec un Drapeau de Tafetas blanc, où estoit peint un Amour qui desarmoit un Hercule. [...]

Une autre Compagnie de jeunes Hommes suivoit avec un Drapeau de Tafetas bleu, où estoit un Amour emmailloté, tenant un Arc d'une main, & de l'autre plusieurs Fléches d'or. [...]

Ces deux Compagnies que précedoient des Hautbois, des Tambours & des Trompetes, furent salüées par une décharge des Mousquetaires. Elles leur rendirent le salut, & se mettant à leur teste, marcherent par toute la Ville. [...]

[Pezenas] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 324-326.

 

Mr Daguesseau Intendant en Languedoc, a esté témoin de ce qui s'est fait à Pezenas. Il fut surpris de l'ardeur avec laquelle tous les Habitans se portoient à la dépense. L'invention des Feux d'artifices qu'on fit en beaucoup d'endroits, outre celuy que les Consuls de la Ville avoient fait dresser, n'estoit pas moins une preuve de leur esprit qu'elle l'estoit de leur zele. Mr le Chastelain, comme Chef de Justice, donna les ordres pour toute la Feste ; & on ne se contenta pas de les suivre, on alla encor plus loin. Mr Pugeol, Secretaire pour le Roy aux Etats, & Agent de la Province, qui dans toutes les occasions qui regardent la Maison Royale, est des premiers à marquer son zele, se distingua dans celle-cy par une Illumination des plus éclatantes qu'il fit dans sa Maison, dont la face est fort grande sur la petite Place de la Ville. L'entablement & les cordons qui regnent autour de cett face estoient remplis de plus de deux milles lampes. A la place des Croisées de menuiserie, qu'il avoit fait oster aux Fenestres qui sont en grand nombre, il y avoit des Chassis sur lesquels on voyait briller quantités d'Emblèmes & de Devises par les lumières qui estoient derriere. Entre ces Croisées on avoit dressé des Pyramides, dont le piédestal étoit enrichy d'Oripeau, & au milieu de ce piédestal, estoient encore des Devises disposées dans un bel ordre, éamp; fort agreablement illuminées. Au milieu de la petite place sur laquelle regarde cette maison, Mr Pugeol avoit fait faire un Feu d'artifice ; & pour accompagner cette Feste, il donna le Bal aux Dames, & une magnifique Collation. [...]

[Sarlat] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 329-330.

 

La Compagnie des Penitens Bleus de la Ville de Sarlat, fit une Procession solemnelle le jour de Saint Jerôme leur Patron, & en suite fit chanter un Te Deum en Musique avec Symphonie, pour rendre graces à Dieu de la Naissance du jeune Prince. La Cerémonie finit par le Voeu de faire une semblable Procession tous les ans, & de construire une Chapelle, où l'on fera des prieres particulieres pour la prospérité de la Famille Royale.

[Cadix] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 330-331.

 

Cette mesme Feste a esté solemnisée à Cadix avec de grandes marques de joye par Mr Cathalan, Consul de la Nation Françoise en ce lieu là, & en Andalousie, & Commissaire General des Armées Navales de Sa Majesté. Il fit orner magnifiquement la Chapelle de Saint Loüis qu'il a fait bâtir pour les François. On y celébra une grande Messe, qui fut chantée en Musique, & en suite le Te Deum, aux fanfares des Trompetes & au bruit des coups de Canon & des Pierriers. Sur les deux heures apres midy, il fit ouvrir une Fontaine de Vin devant sa Maison au bruit des mesmes Trompetes. Cette libéralité attira un nombre infiny de Peuples, auquel pour luy donner encor plus de lieu de prendre part aux Réjoüissances, il fit jetter une somme considérable par ses Fenestres. [...]

[Copenhague] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 336-339.

 

La nouvelle de [l]a Naissance [du duc de Bourgogne] ayant esté portée par un Exprés à Mr de Martangis Ambassadeur de Sa Majesté à Copenhague, il en fit part aussi-tost au Roy & à la Reyne de Dannemark, qui la reçeurent avec beaucoup de témoignages de joye. Le Dimanche 6. du dernier mois, il fit prendre à tout son Train une Livrée plus riche & plus magnifique que les precédentes, & assista à une grande Messe, qu'il fit chanter en Musique dans sa Chapelle ainsi que le Te Deum. Il avoit fait préparer un Feu d'artifice pour le soir, & aux quatre coins estoient autant de Fontaines, qui commencerent dés l'apresdînée à jetter de diférens Vins. Ce Régale fut tres-bien reçeu du Peuple. Te Deum de Martangis avoit eu dessein d'y ajoûter quatre cens Médailles d'argent, mais l'Ouvrier ayant demandé trop de temps, il falut se contenter de faire largesse de Pieces d'Argent, qui ont cours en ce Païs-là. Il [M. de Martangis] donna le soir un magnifique Repas à toute la Cour, & à tous les Ambassadeurs & Ministres qui estoient en Dannemark. Les Santez Royales y furent buës à plusieurs reprises, au bruit de l'Artillerie rangée devant son Palais. Il paroissoit tout en feu par l'Illumination du dedans & du dehors, & pendant tout le Soupé on ne discontinua point de tirer des Fusées volantes, dont il y en avoit d'une grosseur, & d'un artifice difficile à concevoir. Les effets en furent tres-agreables. Lors qu'on fut sorty de table, on fit joüer le Feu d'artifice au son des Trompetes, Timbales, Hautbois, Violons & Flustes douces. La Machine estoit un Temple de la Renommée, orné de Fleurs de Lys, de Devises, de Chifres, & de Dauphins. La Feste se termina par un Bal qui dura jusques à quatre heures du matin, & où quantité de Gens de qualité qui s'en estoient dérobez, revinrent en Masque, & furent régalez ainsi que les autres d'une magnifique Collation.

[Ornement d’un arbre généalogique par Donjat.]* §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 339-340.

Je croy vous avoir déja fait remarquer que Madame la Dauphine descend de Henry le Grand, au mesme degré que Monseigneur le Dauphin. Vous trouverez leur Genealogie dans cette Planche à laquelle Mr Doujat, de l’Académie Françoise, & Doyen des Professeurs en Droit, a donné d’agreables ornemens. Chaque Branche de cet Arbre Genealogique a un Vers Latin qui dit beaucoup en peu de paroles. Mr Doujat est un Homme dont tout le monde connoît l’érudition, & à qui les belles Lettres sont obligées depuis peu de plusieurs Suplémens qu’il a ramassez de divers Autheurs, & qui servent à remplir les Lacunes de Titelive. Ces Suplemens avoient échapé à la recherche de Freinshemius.

[Périgueux] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 342-344.

 

Les Réjoüissances de Périgueux commencerent par un Panégyrique du Roy, qui fut prononcé dans la Cathédrale par le Pere Voisin Jesuite. Son Texte estoit pris du Livre de la Sapience; Rois des Peuples, aimez la Sagesse, afin de regner éternellement. Ce Texte qui s'appliquoit si naturellement à nostre grand Monarque, fut fort soûtenu dans tout le discours. En suite Mr l'Evesque commença le Te Deum, qui fut chanté avec toute la solemnité possible. Le soir, une vingtaine des plus considérables Bourgeois, firent porter des Tables, des Mets, & des Liqueurs en abondance, sur la Terrasse du Taillefer, où ils se régalerent au son des Tambours, des Trompetes & des Violons, & inviterent tous les Passans à prendre part à leur joye. Quelques Officiers des deux Compagnies du Regiment de Servon, qui sont en quartier à Périgueux, allerent les joindre, & ils furent encor suivis d'un grand nombre de Personnes de l'un & de l'autre Sexe, qui passerent la nuit à dancer sur la Terrasse. Les Jesuites avancerent la Tragédie qu'ils ont coûtume de faire joüer tous les ans à la fin de leurs Classes, & ils changerent le sujet du Ballet & des Entre-Actes, qu'ils tournerent fort spirituellement sur la Naissance du jeune Prince. Les Festes de Périgueux durerent quatre jours, mais le quatriéme jour fut le plus remarquable, par le grand nombre de Bourgeois qui se mirent sous les armes, & de Dances & de Repas publics qu'on vit par toute la Ville. Messieurs les Magistrats, precédez des Trompetes & des Tambours, & accompagnez de quantité de Gens à cheval, alloient dans tous les Quartiers faire paroistre leur joye & donner ordre à tout. [...]

[Villers-Canivet] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 345-347

 

Madame de Souvré, Abbesse de Villers-Canivet, proche Falaise, fit assembler sa Communauté dans son Eglise magnifiquement parée. Il est impossible de se rien imaginer de plus éclatant. Outre les Lustres de cristal & les Lumieres dont le bas estoit remply, on en voyoit briller jusques à la Voûte. Les Tapisseries & les Ornemens répondoient à la solemnité de la Feste, & on lisoit de tous costez des Inscriptions & des Devises sur l'heureux état de la France. Cette illustre Abbesse dont je vous ay déjà parlé plusieurs fois, voulant marquer sa joye avec plus d'éclat, fit mettre tous ses Vassaux sous les armes. Il s'y trouva plus de six cens ; & les salves des Mousquets, le bruit des Boëtes, & le carrillon des Cloches, apprirent aux Lieux voisins ce qu'on faisoit à Villers. [...]

[Fécamp] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 347-349.

 

Mr de la Touche Belleviere, Gouverneur pour le Roy des Ville, Ports, & Havre de Fécamp, y ayant envoyé ses ordres, la grosse Cloche de l'Abbaye se fit entendre presque dans tous les Bourgs & Villages de ce Gouvernement ; ce qui obligea plus de quatre mille Personnes à venir joindre leurs prieres à celles que l'on y fit pour la conservation de toute la Maison Royale. Les Peres Benedictins, & les Capucins, s'assemblerent avec les Curez & Prestres des dix Paroisses de ce Lieu, dans l'Eglise de l'Abbaye ; & à l'issue de Vespres, on fit une Procession solemnelle. Mr de Bourdemare y officia pontificalement, Mr le Grand Prieur estant malade. Le Te Deum fut chanté au retour par la Musique de l'Abbaye, que l'on trouva excellente. Mr le Senéchal, & toute la Justice, y assista en Habit de cerémonie, ainsi que les Officiers de l'Admirauté & du Grenier à Sel. Tous les Bourgeois estoient sous les armes. Le Te Deum finy, Mr le Major & Mr Godefroy, allumerent le Feu de joye au bruit des Canons, de la Mousqueterie, & des cris de Vive le Roy. Ce Feu estoit dans la Place du Fort devant la Portail de l'Abbaye. Le soir il y eut des Illuminations & des Feux dans toutes les Ruës, & l'on n'entendit de tous costez que le son des Violons, des Hautbois, des Tambours, des Trompetes, & de toutes sortes d'Instrumens. Vous aurez peut-estre esté surprise d'apprendre que la Cerémonie s'est faite dans l'Eglise de l'Abbaye, & que toutes les Paroisses s'y sont renduës ; mais c'est un Privilege de la celébre Abbaye de Fécamp, & la Ville ne reconnoist point d'autre Evesque. [...]

[Stuttgart] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 352-354.

 

Mr de Bourgeauville, Envoyé Extraordinaire de Sa Majesté vers les Princes d'Allemagne, a fait une grande Feste à Stutgard, Païs de Wirtemberg, pour la Naissance de nostre nouveau Prince. Il donna un magnifique Soupé à trois Princes & à cinq Princesses, qui se trouverent alors à Stutgard, sçavoir, deux Princes de Vvirtemberg, la Duchesse Doüairiere, le Prince & la Princesse d'Oëttingen, deux Princesses d'Anspac, & une autre d'Oëttingen, trois des plus belles Personnes de l'Allemagne. Il invita tout ce qu'il y avoit de plus considérable de l'un & de l'autre Sexe dans le mesme Lieu, pour leur faire compagnie ; & quoy qu'il eust pris fort peu de temps pour se préparer, l'abondance fut jointe à la propreté, & à la délicatesse des Mets. Quatre grandes Tables furent servies dans un Lieu tres-éclairé, & on but les Santez Royales au bruit des Trompetes, Violons, Timbales, & de toute l'Artillerie de la Ville. [...]

[Wirtschafft] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 354-355, 358-361.

 

Cet Envoyé ayant rendu la Lettre du Roy à Mr le Duc de Wurtemberg à son retour des Bains de Denac, ce Prince luy donna un Repas tres-somptueux le jour de son Audience. Il fut suivy d'un autre aussi magnifique le lendemain, & on y fit Partie pour le soir d'une de ces Mascarades que les Allemans appellent Vvirtschafft. [...]

Toutes les Dames & les Cavaliers de la Cour estoient déguisez diféremment. Mr l'Envoyé couvroit sa galanterie sous un Habit de Chauvesouris, & le hazard des Ballets luy fut si favorable, que Madame la Duchesse de Vvirtemberg luy écheut pour Dame. Mr le Comte de Balderen paru en Habit de Païsan Suaube, & soûtint si bien son personnage, que ceux du Païs se seroient trompez. Mr le Prince Maxe cessa d'estre Boulanger, pour se faire aussi Païsan Suaube ; & comme il dance fort juste, il imitoit admirablement les Dances rustiques des hauts Allemands.

Toute cette illustre Troupe s'estant partagée deux à deux, prit le chemin de la grande Salle, où le Soupé fut servy en Ambigu sur une grande Table en Croix. La Musique fut mêlée à la conversation, & le plaisir de la Dance suivit celuy de la bonne Chere. Les Princesses charmerent par leur grand air, & par la justesse de leurs pas ; & Madame la Comtesse de Vvolffting se fit remarquer avec beaucoup d'avantage.

On se délassa le lendemain au soir par une Représentation des Marionetes ; & le jour suivant on fit une nouvelle Mascarade dans les formes. Les Billets marquerent à chacun son habillement & sa Dame, & l'on fit des Préparatifs extraordinaires pour bien soûtenir ce que l'on représentoit. Madame la Duchesse de Vvirtemberg avoit un Habit de Bohémienne, le plus superbe, le plus galant, & le mieux entendu qui se puisse voir. Madame la Princesse d'Oëttingen estoit vestuë en Cléopatre, avec une Aigrete magnifique sur sa teste. Les trois Princesses d'Anspac & d'Oëttingen estoient coifées de Fleurs, dont le brillant de leur teint sembloit effacer l'éclat. Mr le Duc de Vvirtemberg s'estoit fait faire un Habit tout garny de Dentelles, & de Broderies d'argent; & celuy de Mr le Prince Maxe estoit aussi tres-superbe, quoy que d'une autre maniere. Mr de Bourgeauville, & Mr le Comte de Balderen, estoient habillez magnifiquement en Turcs; & toutes les autres Personnes de qualité n'avoient épargné aucune depense. On dança longtemps, & jamais Vvirtschafft ne donna plus de plaisir.

[Avis] §

Mercure galant, octobre 1682 (seconde partie) [tome 12], p. 370.

Avis pour placer les Figures.

L’air qui commence par You pren, doit regarder la page 61.

Le Plan d’Alger doit regarder la page 170.

La Genéalogie doit regarder la page 339.