1682

Mercure Galant, novembre 1682 [tome 13].

2016
Source : Mercure galant, novembre 1682 [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

[Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 1-4.

 

Si je ne commence point aujourd’huy ma Lettre par un Eloge du Roy, je croy, Madame, que vous serez aisément persuadée que ce n’est point la matiere qui me manque. Je ne vous écris que tous les mois ; & ce que ce grand Monarque fait chaque jour, donne de nouveaux sujets de le loüer ; mais le moyen d’oser l’entreprendre, quand on a l’esprit remply du Sonnet que vous allez lire ? Il est de Mr Magnin, Conseiller au Bailliage & Siege Présidial de Mâcon.

SONNET
Sur ce qu’on ne peut loüer
dignement le Roy.

Pour chanter dignement le plus grand des Humains,
Cessez d’importuner les Filles de Mémoire.
Beaux & rares Esprits, tous vos efforts sont vains,
Vous n’arriverez point à ce degré de gloire.
***
Brûlez sur ses Autels l’Encens à pleines mains,
Assemblez tous les traits les plus beaux de l’Histoire,
Epuisez les trésors des Grecs & des Romains,
Mais avec ces secours ne chantez pas Victoire.
***
Vous n’éleverez point vos regards ébloüis
Jusques à la hauteur du Trône de LOUIS,
Le Soleil son simbole est moins inaccessible.
Tout élevé qu’il est, on le sçait mesurer ;
Mais pres de ce Héros c’est tenter l’impossible,
Il faut, sans oser plus, voir, se taire, admirer.

[Autre Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 4-5.

 

Mr Diérville du Pontlevesque, animé du mesme zele, a fait cet autre Sonnet.

Il me faudroit la voix de toutes les Neuf Sœurs,
Pour chanter de LOUIS la valeur sans seconde.
Une si belle Vie en prodiges féconde,
Epuise les esprits des plus fameux Autheurs.
***
Apres s’estre fait voir le plus grand des Vainqueurs,
Triomphant tour-à-tour sur la terre & sur l’onde,
Il fait changer la Guerre en une Paix profonde,
Dont le vaste Univers respire les douceurs.
***
Quel Siecle fut jamais plus heureux que le nostre ?
Du sang de ce Héros le Ciel en forme un autre
Dont le brillant éclat ébloüit en naissant.
***
Tremblez, fier Ottoman, craignez vos destinées ;
C’est luy que nous verrons dans ses belles années,
D’un seul de ses regards obscurcir le Croissant.

[Soleure] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 21-25, 28, 34, 36-38.

 

Mr de Gravel, Ambassadeur de France aupres des Cantons Suisses, ayant marqué autant de joye pour le nouveau bonheur du Roy, & d'habileté à bien conduire une Feste, qu'il marque depuis cinq ou six ans d'intelligence & de zele dans son Ambassade, j'ay crû vous devoir faire part de ce qui suit. [...] Si-tost qu'il sçeut la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, il en donna avis aux Magnifique Seigneurs des Cantons ; mais comme il fait son sejour ordinaire à Soleurre, il commença par celuy qui porte le nom de cette Ville. Le 29. Aoust, vers le soir, Soleurre fit tirer plusieurs volées de tout son Canon pour le prélude de la Feste. Le lendemain 30. à huit heures du matin, Leurs Excellences de Soleurre, députerent à Mr l'Ambassadeur deux des principaux Conseillers d'Etat, pour sçavoir de luy l'heure où il voudroit recevoir une Audience de cerémonie. Il leur répondit, qu'il estoit prest de se rendre à la Maison de Ville, si-tost qu'on l'avertiroit ; & sur cette réponse, Leurs Excellences luy députerent une seconde fois les Seigneurs Banneret & Boursier, & six autres du Conseil d'Etat, pour le venir prendre dans son Hostel, & pour l'accompagner dans la Maison de Ville, où il fut receu dans la Chambre des Audiences par Mr l'Avoyer Wagner, accompagné de tous les autres Seigneurs. [...]

Quelques temps apres, Mrs du Conseil Privé, l'Avouer en teste, précedez des Tambours & des Trompetes, vinrent prendre Mr de Gravel pour l'accompagner à l'Eglise Cathédrale. [...]

Mr l'Ambassadeur, & Mr l'Avoyer, ayant pris le chemin de la grande Eglise, accompagnez des Seigneurs du Conseil, & suivis d'un tres-grand nombre de Personnes considérables, trouverent les Ruës bordées d'Habitans de Soleurre sous les armes. [...]

Mr le Prevost, à la teste de Mrs les Chanoines, reçeut cet Ambassadeur à la Porte de l'Eglise. On chanta un Te Deum & une Messe solemnelle, où il y eut de tres-beaux Motets en Musique, de la composition de Mr Michel, Chantre à Soleurre. Apres que Mr l'Ambassadeur fut retourné à son Hostel, Mrs du Chapitre y allerent en Corps le complimenter par la bouche de Mr le Prevost. [...] Mr de Gravel pria tous ces Messieurs d'un grand Repas qu'il donnoit dans l'Hostel de Ville à Mrs du Grand & du Petit Conseil, & il demanda à Mr Gochart en particulier ses Vers & ses Devises pour les envoyer à la Cour, & félicita Mr Michel sur la beauté de sa Musique.

[Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 49-51.

 

Des deux Sonnets que j’adjoûte à cette Relation, Mr Vignier de Richelieu a fait le second sur des Boutsrimez qu’on luy donna sitost qu’on sçeut que Madame la Dauphine estoit accouchée d’un Prince.

SUR LA LUMIERE QUI
parut en l’air la nuit que Monseigneur
le Duc de Bourgogne vint au monde.
Sonnet.

Quand le Ciel veut donner un Héros à la Terre,
Souvent il le prédit par des Signes divers.
Alcide fut conçeu dans le bruit du Tonnerre,
Et le Juste1 nâquit au milieu des Eclairs.
***
Nostre auguste Monarque entrant dans l’Univers,
Y vint parmy les feux2 & le bruit de la Guerre ;
Et ce Thébain3 qui mit ses Tyrans dans les fers,
Apporta sur sa cuisse un brillant Cimeterre.
***
Quand Tullus4 vint au monde, un Prodige fameux
Présagea sa grandeur par les celestes feux
Dont sa teste en naissant parut environnée ;
***
Et si l’on voit au Ciel briller un feu nouveau
Au moment que ce Prince entre dans le Berceau,
Ce feu marque déja sa grande destinée.

[Autre Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 52-53.

HOROSCOPE
DE MONSEIGNEUR
le Duc de Bourgogne.

Tu seras plus aimé que l’on n’aima Titus,
Tes vertus prévaudront sur celles de Socrate ;
Tu convaincras l’Erreur comme fit Avitus,
Et seras plus heureux cent fois que Policrate.
***
Nul ne craindra chez toy le destin de Clitus,
Tu feras mieux des Vers que le Poëte Epicrate ;
Plus vaillant que César, Aléxandre, Aratus,
Ton sçavoir confondra l’éloquent Isocrate.
***
Dieu le Pere, le Fils, & Sanctus Spiritus,
Seront tes Conseillers jusqu’à ton Obitus ;
Tu les consulteras tous les jours à la Messe.
***
Peuples, Princes, & Roys, en dépit du Démon,
Venant pour admirer ta profonde Sagesse,
Prendront tes Jugemens pour ceux de Salomon.

Dialogue en langage Perigordin §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 53-63.

 

Chacun tâche d’épurer son stile, & d’élever ses pensées, en parlant du Roy & de la Maison Royale. Cependant il y a des manieres de loüer en langage du Païs, qui ne manquent pas de graces, & on trouve quelquefois autant d’agrément à ce stile naturel, qu’aux expressions les plus relevées. Voicy un Dialogue Périgordin, qui a donné beaucoup de plaisir à une fort grande Compagnie. Il fut recité dans la Tragédie que les Ecoliers du College des Jesuites de Périgueux représenterent dans le temps qu’on y celébra la Naissance du jeune Prince.

DIALOGUÉ
DE TREI BARGIÉ
Perigourdi,
Nomna Françey, Guillaumé & Frontou,
Sur là Coucha de Madamo lo Daufino,
d’un Fir que s’apello Monseigneur
lou Du de Bourgoüigno.

GUILLAUMÉ.

Vautrey, qué dizé-vou ? que dizey-tu, Frontou,
Del Efan deou Daufi qué Pey de lo Fransou,
Dissé hyer à mon Pay qu’ero naqu en Franso,
Qué sa May en layan agué grando souffranso ?
Granda chauza toujour donen peno d’avey.

FRONTOU.

Eou n’ey plo quaquaré d’aquo qué tu dizey ;
You crezy quaqu’ey vray, pey que di lou Rïaumé,
Tou tan gran qué peti, sey jauvissen, Guillaumé.
Sabey-tu coumo qué appellen quel Efan ?

GUILLAUMÉ.

You ley avay nomna Moussur… nou… ma pertan
You m’en souvené auro, aqu’ey Du de Bourgoüigno.

FRONTOU.

Aquo sero donqua un Gran-taillobezoüigno,
Sembaro son Gran-Pay, ou you serey trompa ;
De la Guerro ou la Pax sero Meytré achaba,
Auro quan sero gran, & Tambour, & Trompetta,
Et joussi sou sougiés siran toujour à Fêta.

GUILLAUMÉ.

You crezi coumo tu que coumo son Grand-Pay,
Quan cou siro monta dessur son Chavau bay,
Eou faro bien deo bru quan cou faro la guerro ;
Eou n’iauro de Moussur, ny de Rey sou Vezis,
Qu’eou nou bato toujour, si né son sou Amis.

FRONTOU.

You pregi Diœu, Efan, que nou zou pechan vey ré,
Guillaumé, mon amy, nou zou deven plo creiré ;
Y dizen que déija ey tan bravé & plazen,
De ma Frondo à nau cro l’y voudrioy fa prezen,
Mo Baleyto en son tra ly serio plo dounado.

GUILLAUMÉ.

Ma Baudufo5 ey tabé facho au tour & courdado,
E, ma Dessubré tou, so que yaimé lou may,
Ey mon bravé Fleijeou, que toûjour tamay vay,
Me ser per fa dansa la Filla deou Villagé,
Et las accoutuma à notre badinagé.

FRONTOU.

Li dario per mingea deou Perou Jargouneou,
La Pruna secouden, & de si Eyssarneou ;
Ma si di notro Vigno eau yavio de la Dousso,
Aubé deou Sauvignou madur, prendrioy la courso
Per lou vité pourta à daqueou bravé Efan.

GUILLAUMÉ.

You n’aubludario pa de notre grand Châtan,
De notre Camberou la meilleur Camberouna,
Un plé Sa de bon cor, touta fina & bouna,
De la Figea tabé de notre bon Figié,
Et d’aqui gro Proucé qué son di lou Vergié.

FRONTOU.

Ha si ma May auzavo, à la Dam Acouchado,
Elle ly pourtario notro Poulo tuffado,
Un parey de Pouley, & dedi un Panié
Dougé Froumagey gras quello gardo au Granié.

FRANCEY. Il fort le
dernier.

Guillaumé, & tu Frontou, vautrey m’avé lo mino
De parla del Efan de lo Dame Daufino.
Hier mon Pay quan vengué qu’ero tar d’au Marcha,
Yer’ana achata dé Sau un ple Bissa,
Dissé qué di lou Bourg eou menaven grand-joyo,
Parso qu’à quel Efan que lou Ceou nous envoyo,
S’en faro cragnié un jour, & nou rendro conten,
Joussy ne parlaran jamay que de bon tem.
Mésenté, Diœu zou sa, poussa d’un gran courage,
Per quitta mou Moutou amay notre Villagé,
Per na en tey naqu aqueou tan brave Efan.
Mon joly Passerau que révé en voulan,
You ly voudrio pourta qu’auquaré may enquero,
Un Eychirpeou6 tout niau qu’ay fa de Nouzilliero.
A perpau d’Eychirpeou, disen que notre Rey,
Lou Gran-Pay del Efan, que Diœu donné bon sey,
Lou so tendré per tou, & que s’ey grando peno,
Eou pren tou so queou vaou, sey jamay perdré haleno.
Anen vité, parten, beleou di cauquey jour
Nou sirian sou Valey, au lio d’estre Pastour.

GUILLAUMÉ.

Effan, aquo-ey trop loin per poudey si conduiré ;
Disen queou yo d’aumen, lou que saben eycriré,
Bien cen legua deycy ; ma coumo bon Francey,
Gardan notrey Moutou lou maty & lou sey,
Souhaiten ly qu’un jou l’un lou peche bien veyré
A tou sou Ennemy en santa s’en fa creiré ;
N’aubliden subré tout son Gran-Pay, ny son Pay,
Ny may sa Grando-May, ny may sa bravo May,
Qu’y vivan tou conten en santa dy lo Franso,
Et nous autrey anen commensan notre Danso.

 

Frontou chanta ces Paroles en Périgordin, sur l’air, Ne serons-nous pas en repos, Amy, à cette Table ? & tous trois commencerent leur Dance par une Gavote.

 Qué chacun de nou sio bien gay
  En da questo Nayssenso ;
 Fazen tratou à qui miey may
  Per la rejauvissenso.
Ah plet à Diœu que ou fugué vray,
  Coumo yey l’esperanso,
Quaqueou Fir semblé son Gran-Pay,
  Per l’aunour de la Franso.

Rondeau en vieux Langage §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 76-80.

 

On vient de me donner un Rondeau, dont je vous fais part dans le mesme instant. Il est d’un Autheur qui a eu raison de le faire en vieux langage, par complaisance pour un vieux Parent. Ce Parent estoit un Homme d’un caractere aussi extraordinaire qu’on en puisse voir. L’antiquité luy plaisoit en toutes choses, jusques là qu’il ne s’aima jamais tant que lors qu’il se vit la barbe grise. Ses Habits, ses Meubles, tout sentoit le temps de François I. Il se mesloit de rimer, & les Poësies de Baïf estoient son modele. Sa Bibliotheque aussi singuliere que son esprit, estoit composée de tout ce qu’il avoit pû trouver de vieux Romanciers. Il avoit Marot & du Bartas, quoy qu’il les trouvast un peu modernes, sans oublier Ronsard, qu’il réveroit particulierement comme le Prince des Poetes François. Il avoit aussi les Oeuvres de Sarazin & de Voiture ; mais il ne les estimoit qu’à cause des Rondeaux & des Ballades qu’ils avoient meslez parmy leurs Ouvrages. Il traitoit les belles Lettres du dernier de bagatelles, propres seulement pour amuser les jeunes Esprits ; mais il admiroit les Lettres Gauloises que le mesme Autheur a écrites au Comte Guicheüs, au Chevalier de l’Isle invisible. Le bon Homme qui n’a point démenty cette belle inclination tant qu’il a vécu, l’a conservée encor en mourant, puis qu’il a legué par son Testament une somme considérable à l’Autheur du Rondeau que je vous envoye, à la charge qu’il en feroit un certain nombre en stile Gaulois, ou de Ballades. Si les Ballades estoient de son goust, il seroit blâmable, si estant son Légataire, il négligeoit d’accomplir ses dernieres volontez.

RONDEAU
en vieux Langage.

Le voudrois moult que ma mignarde Ocelle
Voulust s’ébatre és Behours, és Tournois ;
Ores voiroit comment je combatrois,
Ores voiroit qu’aussitost pour icelle
Maint Chevalier à la mort envoyrois.
***
Que n’avient-il que quelques Discourtois
Dire me vinst, Ocelle n’est pas belle,
Fust-il Roland, au Perceval Gaulois,
  Le voudrois moult.
***
Comme un Lyon contre luy guerrorois,
Pour l’envoyer dans la triste Nacelle,
Pourveu qu’apres, cette Dame cruelle
Me dist, je t’aime, ô Chevalier courtois ;
Oyant cela, d’abord je répondrois,
  Le voudrois moult.

La Nymphe de Bourdon, à Mme la Duchesse de Nevers §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 80-83.

 

Voicy d’autres Vers que vous trouverez fort agreables. Vous sçavez, Madame, que selon les Poëtes, chaque Fontaine a sa Nymphe. Vous serez peut estre bien aise d’en entendre parler une à une Personne aussi distinguée par son mérite que par sa naissance.

LA NYMPHE
DE BOURBON,
A Mme la Duchesse de Nevers.

Depuis que je fournis du secours aux Humains,
 Et que je verse à pleines mains
Sur leurs maux envieillis ma liqueur pure & saine,
 Mille Beautez dessus mes bords
Etalant à l’envy leurs plus riches trésors,
Ont souvent embelly mes Eaux & ma Fontaine.
 J’en ay veu souvent dans ces Lieux
 Faire tout le plaisir des yeux,
 Et de tous les endroits du monde
 J’ay veu venir & Brune & Blonde,
Avec un attirail de charmes prétieux ;
 Mais, ô Duchesse incomparable,
Dont l’air est si charmant, si modeste, & si doux,
Que tout ce que j’ay veu de rare & d’admirable,
  Est au dessous de vous !
La raison, la sagesse, & l’extréme prudence,
Toûjours dans vostre cœur sont en intelligence,
Tandis que les douceurs, les ris, & les appas,
De moment en moment naissent dessous vos pas.
 Aussi vous voyant sans pareille,
  Mon unique soucy,
 Depuis que vous estes icy,
 Est que soigneusement je veille
A vous donner des Eaux qui vous fassent du bien,
 Sans quoy je compteray pour rien
Tous mes autres succés dont on chante merveille ;
 Et si je réüssis à remplir ce devoir,
 J’en seray trop récompensée
Par un accroissement de ma gloire passée,
 Que tout l’Univers va sçavoir,
Et parce que j’auray toûjours dans la pensée
Le plaisir que je sens à présent de vous voir.

Madrigal à Lysete §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 84-86.

 

Le nom de Mademoiselle de Castille vous est connu par beaucoup de jolis Vers que je vous ay envoyez de sa façon dans plusieurs de mes Lettres. Elle revenoit il y a quelque temps d’Arnouvillé à Paris en fort bonne compagnie, & fut priée de donner un Inpromptu sur deux Papillons qui se poursuivoient dans la Campagne, en tournant l’un sur l’autre. Voicy le Madrigal qu’elle fit.

MADRIGAL
A LYSETE.

Voy ces deux Papillons se fuir & se poursuivre,
Et l’un sur l’autre en l’air faisant mille retours,
 Donner un doux exemple à suivre
 Dans leurs innocentes amours.
 C’est ainsi, charmante Lisete,
 Que dans une tendre amourete
 Il faut passer le printemps de ses jours.
A s’entrecaresser, Lysete, qu’ils se plaisent !
 Comme ils se baisent & rebaisent !

 

On ne s’est pas montré moins zelé en Picardie que dans les autres Provinces. Amiens donna l’exemple dés le Samedy 15. d’Aoust, & par les décharges du Canon de la Citadelle, les Feux, les Illuminations, & les Fontaines de Vin. Cette Ville fit connoistre l’attachement qu’elle a pour le Roy, & pour toute la Famille Royale, selon sa Devise qui porte,

Lilijs tenaci vimine jungor.

[Réjouissances à Laon]* §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 86-88.

 

La Ville de Laon a partagé ses Réjoüissances en trois jours. Le Public prit le premier jour pour marquer sa joye, par des décharges de l'Artillerie, par des Feux, & des Illuminations. Le second jour appartient au Corps de Ville, qui fit couler des Fontaines de Vin en plusieurs endroits, mit les Bourgeois sous les armes, & donna un grand Repas, & le divertissement d'un Feu d'artifice à Mr l'Evesque Duc de Laon, qui ce mesme jour avoit fait chanter le Te Deum, & y avoit assisté en Habits pontificaux. Le troisiéme jour fut celuy de ce Prélat. Il avoit fait mettre au milieu de la Court de l'Evesché, un Dauphin qui jettoit du Vin excellent. [...]

[Péronne] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 88.

 

Le Te Deum fut chanté en Musique à Péronne, dans l'Eglise Royale & Collégiale de S. Fursy, en présence des Corps de Justice, & de Ville, & des Officiers de l'Election & du Grenier à Sel. [...]

[Corbie] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 91-93.

 

La Ville de Corbie a marqué avec beaucoup d'éclat sa joye pour la mesme Naissance. Tous les ordres furent donnez par le Prieur de l'Abbaye, en qualité de Grand Vicaire de Mr le Chevalier de Savoye, qui en est Abbé & Comte de Corbie. Le jour de S. Loüis, qu'on avoit destiné pour solemniser la Naissance du jeune Prince, l'Eglise de l'Abbaye fut magnifiquement parée, & la Porte ornée de mille Devises. On chanta une grande Messe le matin, & l'apresdînée des Vespres, où se trouverent les Corps de Justice & de Ville, precédez de leurs Officiers & de leurs Massiers. Les Vespres furent suivies d'une Procession generale, & au retour on chanta le Te Deum ; apres quoy le Héraut d'Armes qui estoit placé sur les degrez de la Chaise Abbatiale, ayant crié Vive le Roy, Vive Monseigneur le Dauphin, Vive Monseigneur le Duc de Bourgogne, tout le Peuple répondit avec mille acclamations. [...]

Sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Ab Jove Principium §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 95-98.

 

Rien ne peut mieux suivre ces Réjoüissances, que les Vers que vous allez lire. Ils ont esté faits par Mr Rault de Roüen, dont vous estimez les Ouvrages.

SUR LA NAISSANCE
de Monseigneur
LE DUC DE BOURGOGNE
Ab Jove Principium.

France, cet heureux jour, qui doit marquer ta joye,
Est celuy du bonheur qu’un Astre heureux i’envoye,
Quand ce Prince qui naist, si longtemps souhaité,
Te comble d’allégresse, & de felicité.
Ce n’estoit pas assez au plus grand Roy du Monde,
Que sa valeur parût sur la terre & sur l’onde,
Qu’il fist trembler l’Europe au seul bruit de ses Faits,
Qu’au plus fort de la Guerre il fist naître la Paix,
Qu’il vist son Peuple heureux, & ses Provinces calmes,
Qu’il cultivast ses Lys à l’ombre de ses Palmes,
Pour assurer son Trône il falloit un appuy,
Et le Prince naissant le devient aujourd’huy.
Il fera voir un jour par cent fameux prodiges,
Qu’il suit de ses Ayeux les éclatans vestiges.
Iupiter le promet, le Ciel l’a destiné,
Puis qu’en son jour heureux ce Royal Prince est né.
Cet Astre tout a feu, si propice aux Monarques,
De sa gloire à venir fit briller mille marques,
Quand pour la découvrir aux yeux de l’Univers,
D’une nouvelle flâme il penétra les airs.
De ce Prince en ce point il marquoit la Carriere,
Et luy vint préparer un Trône de lumiere.
Tout l’Univers surpris de la voir éclater,
Par mille rayons d’or reconnut Iupiter.

Sur la mesme Naissance §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 98-99.

 

Ce qui suit est encor de Mr Rault.

SUR LA MESME
Naissance.

Principe jam nato jactet se Gallia ; nam se
Hic Patre Delphino, Regéque jactat avo.
***
Que la France en tous Lieux celebre la Naissance
De ce Prince qui sort du Sang des Demy-Dieux ;
Ne doit-il pas un jour égaler en puissance,
Et le Dauphin son Pere, & nos Roys ses Ayeux ?

[Traduction d’une Epigramme de Martial] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], P. 99-101.

 

Voicy des Vers d’une autre nature. C’est une Traduction de la troisiéme Epigramme du premier Livre de Martial, qui commence par Nullus in urbe fuit, &c.

 Quand de concert avec ta Femme
 Tu permettois aux Damoiseaux
 De donner Régals & Cadeaux,
 Et de voir en secret la Dame,
Iamais Logis ne fut moins peuplé que le tien ;
Mais depuis que cessant d’estre Mary commode,
Au moins faisant semblant de changer de méthode,
D’un Ialoux surveillant tu portes le maintien,
Ta Maison de Galants est sans cesse occupée.
L’on y voit à l’envy Gens de Robe & d’Epée,
A ta Femme chacun aujourd’huy fait la Cour ;
 Elle qui ne voyoit personne,
Ne sçauroit plus suffire aux Galants tout le jour.
 Ma foy, l’invention est bonne.

[Cérémonie faite en l'Abbaye de S. Mesmin proche Orleans] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 115-122.

 

Si les Cerémonies du Mariage ont des charmes pour quelques-uns, il en est d'autres qui en ont beaucoup plus pour les Ames devotes. Telle est celle qui s'est faite proche Orleans dans l'Abbaye de S. Mesmin, de l'Ordre de S. Bernard, pour la Translation des Reliques des Saints Martyrs Fauste & Libérat, & des Saintes Illuminée & Victoire, Vierges & Martyres, que Messire Nicolas Gédoin, Abbé Commandataire de cette Abbaye, avoit obtenuës à Rome. L'Eglise estoit ornée des plus belles Tapisseries du Païs, les Corniches chargées de Bouquets & de Chandeliers, & le Grand Autel paré de Châsses d'ébeine, avec leur bronze doré, de Cassoletes d'argent, de Chandeliers en grand nombre, de Bouquets, de Pantes, avec les Rideaux relevez en broderie, de Tapis de Turquie, & de plusieurs autres Ornemens convenables à la Feste. Quoy que cette Eglise soit fort spacieuse, elle ne pût contenir que la moindre partie de ceux qui estoient accourus de toutes parts. La Procession en sortit sur les dix heures pour aller à la Paroisse prendre les Reliques qu'on y avoit mises en dépost. Les Paroisses qui dépendent de l'Abbaye, marchoient les premieres avec leurs Bannieres & leurs Croix, & estoient suivies de la Simphonie, composée de Violons avec leurs Basses, & de toutes sortes d'autres Instrumens. Les Religieux de l'Abbaye paroissoient en suite revestus de Chapes. Le Diacre & le Sousdiacre qui devoient servir à la grande Messe, alloient l'un apres l'autre en Dalmatiques, l'un portant la Mître, & l'autre la Crosse. Mr l'Abbé marchoit le dernier, ayant à ses deux costez les Prieurs des Abbayes des Feüillans de Celles & de S. Mélinin. Mr Larcher, Abbé Commandataire de S. Vicerte d'Orleans, Homme d'un fort grand mérite, & Mr de Boisfranc Abbé de Coulon, Diocese de Chartres, Fils de Mr de Boisfranc Sur-Intendant de la Maison de Monsieur, fermoient cette marche. Apres les Encensemens faits, & les Antiennes chantées dans la Paroisse, la Procession revint dans le mesme ordre. Deux Diacres revestus de tres-riches Dalmatiques, portoient les Reliques, autour desquelles les Gens de Livrées de Mrs les Abbez furent placez à droite & à gauche avec des Flambeaux de cire blanche, & deux autres soûtenoient un Daiz magnifique. Lors qu'on fut rentré dans l'Eglise de l'Abbaye, Mrs les Abbez de S. Vicerte & de Coulon se placerent sur des Fauteüils du côté de l'Evangile; & les Religieux & autres Ecclesiastiques, remplirent les Chaires du Choeur. Mr l'Abbé de S. Mesmin celébra la Messe ; & dans les endroits où le Choeur se reposoit, la Simphonie se faisoit entendre. Les Vespres furent chantées avec la mesme solemnité, & on termina la Cerémonie par de nouvelles actions de grace que les Religieux Feüillans rendirent à Dieu de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Quoy qu'ils eussent déjà marqué leur joye le jour de la Feste de S. Bernard, ils prirent avec plaisir une occasion si favorable de la faire encor paroître en chantant le Te Deum & l'Exaudiat. [...]

[Aqs] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 123-133.

 

Vous allez trouver une Feste d'une autre nature, & assez particuliere, dans les Réjoüissances qui se sont faites dans la Ville d'Aqs pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Mr le Marquis de Poyanne, Gouverneur d'Aqs, a bien répondu dans cette heureuse occasion de la Naissance du nouveau Prince, à ce que demandoient de luy son zele pour le Roy, sa naissance, & la fidélité que son illustre Maison a toûjours euë pour le service de nos Monarques. Elle a esté si grande, & accompagnée de si grands effets que trois Rois consécutifs, Henri IV. Loüis XIII. & Loüis IV. ont honoré du Coller de l'Ordre, trois de Mrs de Poyanne de Pere en Fils, le Bis-Ayeul, & le Pere de Mr le Gouverneur d'Aqs; ce qui est un honneur qui ne se touve que dans quatre Familles du Royaume. Le 30. d'Aoust, Mr le Marquis de Poyanne, suivy de toutes les Compagnies de la Ville, assista au Te Deum qui fut chanté solemnellement dans l'Eglise Cathédrale. Le soir, les Habitans sous les armes, ayant à leur teste Mr de Saint Pée, Lieutenant de Roy de la Place, allerent prendre au Chasteau Mr le Gouverneur ; & en suite marcherent vers le lieu où l'on avoit préparé le Feu qui fut allumé au bruit des Tambours, des Trompetes, & de toute l'Artillerie. Pédant toute la nuit, la Ville fut aussi éclairée qu'en plein jour. Mr le Marquis de Poyanne fit mettre des Feux surtous les Créneaux du Chasteau, qui paroissoit couronné de Lumieres; & toutes les Fenestres qui regardent la Riviere, avoient des Illuminations qui faisoient un fort bel effet. Sur la Porte de l'Hostel de Ville, il y eut un Emblème assez ingénieux & assez particulier. C'estoit un tableau où l'on voyoit tous les Dieux assis dans leurs Trônes, à la reserve de Mars, qui paroissoit en avoir esté chassé par LOÜIS LE GRAND. Mercure mettoit d'une main une Couronne d'Olivier sur la teste d'un jeune Enfant, & de l'autre luy montroit la place de Mars vuide, avec ces mots, Te manet. Le 31. Mr le Gouverneur fit dresser des Tables dans la Place de Poyanne, y fit couler une Fontaine de Vin pendant tout le jour, & donna au Public le Jeu des Pots cassez. Ce Jeu qui n'est guére connu en France, & qui est pourtant un des plus anciens qui s'y pratiquent, se fait en cette maniere. On a bâty sur les bords de l'Adour, qui baigne les Murailles d'Aqs, une espece de Tour de bois à deux étages, qu'on appelle le Châtelet. Sur l'étage le plus élevé, il y a deux Hommes armez d'une Cuirasse, d'un Casque, & d'une Rondache de Fer, qui sont comme les Tenans du Combat. Sur la Riviere il y a sept Hommes dans un Bateau, revétus de Camisoles blanches, ayans des Bonnets à leurs testes tout chargez de Rubans bleus, & leurs bras noüez avec des Rubans de mesme couleur. Ils partent d'environ mille pas de la Tour, en dançant dans leur Bateau au son des Violons & des Fifres, jusqu'à ce qu'estant à deux cens pas du Chastelet, ils se mettent en état d'attaquer & de se défendre. Ils prennent de grands Pavois pour soûtenir l'effort des Cruches, & de toutes sortes de Potteries que ceux d'enhaut leur jettent ; & ils poussent contre leurs Ennemis des Boules de terre cuite. Il est assez plaisant d'entendre le bruit des Cruches qui tombent sur les Pavois, & des Boulets qui donnent contre les Casques & les Cuirasses ; & de voir quelquefois ces mesmes Boulets casser de la Potterie dans les airs. Cependant les Combatans sont animez par les Instrumens qui joüent sur le bord de la Riviere, & par la veuë des Spéctateurs, qui remplissent d'ordinaire plus de deux cens Bateaux, qui font une espece de petite Armée Navale. S'il y a quelques blessez, les playes ne sont jamais dangereuses; & apres le Combat, qui dure prés d'une heure, les Ennemis se réconcilient dans un bon Repas; mais avant que l'Attaque commence, ceux d'enhaut tirent pour signal quatre petites Pieces de Campagne, qui sont lacees pour cet effet au premier étage de la Tour; & le jour que Mr le Gouverneur donna ce plaisir au Public, ceux du Bateau répondirent par la Mousqueterie de toute la Ville, qu'on avoit mise dans d'autres Bateaux. Jamais il n'y eut plus de Spéctateurs que ce jour-là ; jamais plus de vigueur dans les Combatans ; jamais un plus agréable mêlange d'Instrumens & de Voix. Ce Jeu fut suivy d'un magnifique Repas que Mr le Gouverneur donna aux Dames, qui furent servies à table, chacune par un Gentilhomme ; apres quoy on commença le Bal, qui dura jusqu'au jour. Parmy tant de Dames, & bien faites & fort parées, qui y attiroient les regards de tout le monde, Mademoiselle de Poyanne, Soeur de Mr le Gouverneur, se distingua, & par sa beauté & par son air, & par la maniere dont elle fit les honneurs du Bal. Ces divertissemens ont duré quatre jours, toûjours avec le mesme éclat & la mesme magnificence.

[Chauny] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 133-134.

 

On en a veu beaucoup à Chauny, où Mr Vaillant Maire de la Ville, a remply tres-dignement les fonctions de sa Charge, par les divers ordres qu'il y donna pour la Feste. On la publia par le son des Cloches & des Tambours, qui de concert avec les Canons & les Boëtes, formerent une harmonie que l'on entendit de loin. [...]

Sonnet sur une Haye d’Epines §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 136-139.

 

Voicy un Sonnet que j’ay reçeu sur le sujet de la Haye d’Epines que je proposay il y a quelques mois dans une de mes Lettres. Je n’ay pû vous l’envoyer plutost, à cause d’un grand nombre d’Articles ausquels il m’a falu donner place.

SONNET
Sur une Haye d’Epines.

Trop injuste Chasseur, où vous emportez-vous ?
Je garantis mon Champ, mes Moutons, & mes Pailles ;
Si j’ay dans mon Enclos des Perdrix, & des Cailles,
Je tâche de les mettre à l’abry de vos coups.
***
Et vous, d’un Fer tranchant vous y faites des trous,
Vous renversez ainsi d’innocentes Murailles,
Et venez devorer jusque dans mes entrailles
Ce que je sauve bien de la fureur des Loups.
***
Mes branches, il est vray, sont étroitement jointes ;
Mais aux seuls Ravisseurs je présente mes pointes,
Lors que pour mes Voisins je n’ay que des bouquets.
***
Portez, portez ailleurs vos pas, & vostre Chasse,
Et laissez à mon Maistre une petite place
A garder sa Maison, ses Vergers, ses Guérets.

 

Quoy que rien ne paroisse plus stérile que les Epines, il faut demeurer d’accord que ce Sonnet ne manque pas de beautez. Cela fait voir qu’il n’y a point de matieres épineuses pour les Personnes d’esprit. Ceux qui ont du talent pour la Poësie, peuvent le faire paroître sur un Torrent. C’est le sujet qu’on leur propose pour travailler.

Les Arbres choisis par les Dieux. Fable §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 155-162.

 

Voicy une Fable nouvelle. Elle est de Mr du Ruisseau. Vous n’avez point encore oüy parler de cet Autheur, mais son esprit vous le fera bientost connoistre.

LES ARBRES
CHOISIS
PAR LES DIEUX.
FABLE.

Les Arbres autrefois des Hommes se plaignirent.
Ce fut à Jupiter ; & voicy ce qu’ils dirent.
Grand Dieu, les Humains sont jaloux
Des bontez que le Ciel veut bien avoir pour nous ;
 Ils ne sçauroient voir sans envie,
Qu’en des Siecles divers nous roulions nostre vie,
Et que chez eux à cinquante ans
 Les uns soient morts, & les autres mourans.
 Croyant par là que la Nature
 Leur fait une fort grande injure,
 Ils prétendent pour s’en vanger,
Qu’ils peuvent nous détruire, abatre, sacager.
Soufrirez-vous que nostre destinée
Dépende de leur volonté ?
Parmy nous le Tonnerre est bien moins redouté,
 Que n’est aujourd’huy la Cognée.
***
 Par le Stix ils n’ont pas raison,
Répond Jupin, touché de la Comparaison.
Sur les Loix du Destin oser trouver à mordre !
Allons ; que sur le champ le Messager des Cieux
 Assemble tous les Dieux.
Je veux les consulter sur un si grand desordre.
 A peine la Commission
 Au Dieu Mercure fui donnée,
Que par les Carrefours une Cloche sonnée,
De Iupiter aux Dieux apprit l’intention.
 Ils vinrent tous, & l’Assemblée
Fut aussitost dans les formes reglée.
***
Jupin toussa, cracha, puis exposa le Cas,
Prononça son discours sans galimatias,
 Et le finit en disant sa pensée.
 On la trouva bonne & tres-bien sensée.
  Quel Dieu pourroit estre imprudent,
Jusqu’à contrarier l’avis du Président ?
Il fut donc résolu, pour terminer l’affaire,
  Que chaque Dieu prendroit
Sous sa protection tel Arbre qu’il voudroit ;
 Et comme son Dieu tutelaire,
  Iamais ne soufriroit
 Qu’aucun Mortel luy portast préjudice.
 Cela passant tout d’une voix,
Il ne s’agissoit plus que d’en venir au choix.
Iupiter, qui jamais ne fait rien par caprice,
 Apres avoir un peu resvé,
 Dit qu’il protégeroit le Chesne.
 Le tour de Vénus arrivé,
Elle choisit le Mirthe, & juraque sa haine
Estoit hoc à quiconque, au plus beau de ses jours,
N’en feroit pas ses plus cheres amours.
Le sçavant Apollon menaça d’ignorance
Celuy qui n’auroit pas un respect tout entier
  Pour le Laurier,
Dont il dit qu’il vouloit veiller à la défense.
Dame Cibelle dit qu’elle prenoit le Pin,
Et que qui l’aimeroit, auroit des jours sans fin.
Moy, sur le Peuplier je veux avoir la veuë,
Dit le fameux Hercule ; & si quelque Mortel
Ose estre à son égard tant-soit-peu criminel,
Je l’assomme d’abord d’un seul coup de Massuë.
***
Minerve en rang ; Pourquoy, dit-elle à Iupiter,
Ne veut-on protéger que des Arbres stérile ?
Les Fruitiers, dit Iupin, sont beaucoup plus utiles ;
Mais, ma Fille, est-ce-là ce qui doit nous tenter ?
Lors qu’un Dieu bienfaisant accorde quelque grace,
Et veut des Oprimez estre le Protecteur,
 Il n’envisage que l’honneur.
Dans nos cœurs l’intérest ne doit point prendre place.
Cela, répond Minerve, est parfaitement beau,
Et ne pouvoit sortir que de vostre cerveau.
Cependant quelques Loix qu’icy l’on nous prescrive,
Cherchant à contenter la gloire & l’appétit,
Je choisis l’Olivier à cause de l’Olive.
 A son choix chacun aplaudit,
Chacun soûtient qu’on doit mesler le profitable,
 Autant qu’on peut, à l’honorable ;
Et payé de raisons, Jupin luy-mesme dit,
 Ah, combien ma Fille a d’esprit !
Oüy, Messieurs, comme vous je commence de croire,
Qu’en tout ce que l’on fait, il faut avec la gloire
 Tâcher de joindre le profit.

[Mort de M. de Voyer de Paulmy, Evesque et Seigneur de Rhodez] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 170-171.

[...] L’amour des Sciences, & les belles connoissances qu’il joignoit à ses grandes qualitez, luy acquirent pendant qu’il vivoit l’amitié des beaux Esprits & des Gens de Lettres. Ainsi on ne doit pas s’étonner si apres sa mort, plusieurs à l’envy voulurent éterniser sa mémoire par leurs Ouvrages, & par plusieurs Epitaphes dont les Livres de ce temps-là sont remplis. En voicy une qui contient toute sa vie en deux Vers Latins C’est si peu de chose, que vos Amies voudront bien leur faire grace.

Dux, Legatus, Eques fudit, sociavit, adauxit,
Hostes, Hispanos, titulos, vi, fœdere, famâ.

[Berlin] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 178-179, 181-188.

 

Les Réjoüissances qui ont esté faites pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, ont continué jusqu'au dernier mois, & Mr le Comte de Rebenac en a fait une Feste publique a Berlin les 6. & 7. Octobre. Il attendoit pour cela le retour de Monsieur l'Electeur & de Madame l'Electrice de Brandebourg, qui vouloient honorer cette Feste de leurs présences. Leurs Altesses Electorales, accompagnées de Messieurs leurs Enfans, des Princes & Princesses, des Dames ; & des Gentilhommes de leur Cour, des Ministres Etrangers, & de tout ce qu'il y avoit de Personnes considérables dans la Ville, se rendirent dans la Maison destinées à les recevoir, avec un concours incroyable de Gens de qualité de l'un & de l'autre Sexe, non seulement de la Province, mais aussi des environs. [...]

 

La Compagnie estant entrée sur le midy, on servit cinq Tables de trente Couverts chacune. La premiere fut remplies de leurs Altesses Electorales, des Princes & Princesses, des Ministres Etrangers, & des Officiers Généraux. Les autres le furent des Dames de la Cour & de la Ville, des Officiers, & de ce qui s'y trouva de plus considérable. Ce fut une magnificence achevée, soit pour l'abondance des Mets, soit pour la délicatesse. Pendant ce Repas, un grand nombre de Hautbois, de Violons, & de Flûtes douces, formerent un agreable Concert, qui fut tres-souvent interrompu par le bruit des Trompetes, des Timbales, & d'une infinité de coups de Canon, qui furent tirez lors que l'on bût les Santez de la Maison Royale de France, & celles de la Maison Electorale de Brandebourg. Apres le Dîné, la Compagnie se rendit dans une grande Salle, où l'on dança un Balet dont elle fut extrémement satisfaite. On acheva la Journée en Dances, & en autres divertissemens, pendant lesquels on apporta du Sorbet, & des Liqueurs de toutes les sortes. Le jour commençoit à peine à finir, qu'il en parut un nouveau, formé d'une Illumination qui se fit dans toute la Ruë. Des Lustres chargez de Bougies sortoient des Fenestres. Toutes les Pyramides, les Colomnes, les Fontaines, & la Façade entiere, parurent en feu par plus de six mille Lampes qu'on y avoit attachées. Quantité de Fleurs de Lys, de Dauphins, de Pyramides, & autres Figures illuminées, bordoient les Fenestres. Les Corniches estoient couvertes de Feux, & enfin des deux costez de la Rüe on ne voyoit rien qui ne brillast de Lumiere. Cependant on servit le mesme nombre de Tables au Soupé, qui ne ceda en rien à la propreté & à la magnificence du premier Repas. On commença en suite le Bal, qui dura bien avant dans la nuit, & chacun se sépara fort content. Le lendemain on fut occupé à se masquer, dans le dessein qu'on prit de faire un Wirtschaff. Le soir venu, tous ceux qui y devoient faire quelque Personnage, s'assemblerent chez Mr le Prince & Madame la Princesse Electorale qui avoient bien voulu en estre, & qui précedez des Hautbois & des Violons, passerent dans l'Apartement de Madame l'Electrice, où Monsieur l'Electeur se trouva, apres avoir paru devant eux dans une grande Salle bien éclairée, où l'on pouvoit remarquer la richesse & la galanterie des Habits. Toute la Mascarade se rendit au mesme Lieu où elle s'estoit trouvée le jour précédent ; accompagnée de quantité de Flambeaux, & éclairée d'une Illumination encor plus grande qu'on ne l'avoit déjà faite. Quelques temps apres qu'elle fut entrée dans un Apartement tout éclatant de Lumieres ; on la pria de vouloir passer dans une grand Salle, où estoit une Table en demy-cercle de quatre-vingts Couverts. Elle n'estoit que pour les Personnes masquées. En mesme temps d'autres Tables furent servies pour ceux qui n'estoient point du Wirtschaff. La profusion & le choix des Viandes, tout fut admirable. Mille nouveaux sujets de plaisirs qui furent suivis du Bal, ayant terminé la Feste, la Compagnie se retira, en témoignant qu'elle estoit fort satisfaite du desir que son Hoste avoit eu de luy plaire, & des soins qu'il avoit pris pour y réüssir.

[Morlaix] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 188, 194.

 

Le Jeudy 17. de Septembre, on fit joüer à Morlaix, Ville partagée en deux Eveschez, un tres-beau Feu d'artifice. [...]

 

Une Compagnie de Mousquetaires fit les décharges pendant le Feu, qui fut allumé au bruit des Tambours, des Violons, & des Trompetes Marines. [...]

[Cherbourg] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 195-197.

 

Le Mardy 8. du dernier mois, le bruit du Canon & de la Mousqueterie, commença les Réjoüissances à Cherbourg. Le Peuple y fut régalé par deux Fontaines de Vin qui coulerent dans la Place publique ; & toute la Noblesse du Païs s'estant renduë aupres de Mr de Fontenay, Gouverneur de cette Place, il la traita magnifiquement. Le soir, la mesme Noblesse l'ayant accompagné sur le principal Bastion de la Ville, qui est celuy de Matignon, on y alluma un grand Feu au bruit du Canon, des Trompetes, Tambours, & Hautbois. Ce Feu fut suivy de deux superbes Collations, l'une pour les Dames, & l'autre pour la Noblesse, les Officiers, & les plus considérables Bourgeois, qui bûrent la Santé du Roy & de la Maison Royale, aux décharges du Canon, & des acclamations genérales. Les Habitans passerent la nuit à visiter tous les Feux avec un Concert de Violons, de Hautbois, & d'autres Instrumens, qui firent faire des Dances par tout.

[Voyage de M. le Duc de Noailles en Languedoc, avec tout ce qui s'est passé aux Etats de cette Province] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 207-210, 213-214, 227-229.

 

On a tenu les Etats en Languedoc, & j'en ay eu des Nouvelles, dont je vay vous faire part. L'Article doit vous plaire d'autant plus que vous aimez fort qu'un grand Seigneur réponde par un vray mérite aux avantages de sa naissance ; & que lors qu'il trouve les occasions de se distinguer, il soit magnifique & soûtienne avec éclat les grands Emplois, dont son Souverain l'a jugé digne. Vous trouverez tout cela dans ce que j'ay à vous raconter de Mr le Duc de Noailles, Commandant pour le Roy en Languedoc. Comme Sa Majesté luy a depuis peu fait l'honneur de l'élever à la Dignité que je vous marque. Il n'avoit point encor esté en cette Province. Je ne vous diray rien de ce qui s'est passé dans son Voyage, depuis Paris jusques en Languedoc. Il fit ce chemin avec beaucoup de diligence, pour satisfaire plus promptement aux ordres du Roy. Il dîna le 14. Octobre à Bourg chez Mr l'Evesque de Viriers, Doyen des Evesques de Languedoc. Il fut nommé à cet Evesché pendant la Régence de Marie de Medicis. Ce Prélat est magnifique, & fait fort bien les honneurs de sa Maison. De Bourg, Mr de Noailles alla au Pont Saint Esprit. C'est l'entrée du Languedoc. Il fut receu au delà du Pont avec le Daiz, & harangué par les Consuls, qui luy presenterent les Clefs de la Ville. Il se rendit en suite à l'Eglise, où apres que le Curé l'eut complimenté, on chanta le Te Deum. Dés qu'il fut finy, ce Duc alla dans la Maison qui luy avoit esté preparée. [...]

 

Le 16. Mr de Noailles dîna à Lunel, où Mr le Marquis de Castries, Gouverneur de Montpelier, le vint voir. Il s'en retourna peu de temps apres, pour s'aller mettre à la teste de la Cavalerie, qui devoit venir au devant de luy. Il entra dans la Ville de Montpelier, au bruit de la Mousqueterie des Milices, & du Canon de la Citadelle. Les Consuls luy présenterent le Daiz à la Porte, & le conduisirent dans l'Eglise Cathédrale, où Mr l'Evesque de Montpelier le harangua. On chanta les Prieres ordinaires. [...]

 

Le 29. les Etats se rassemblerent, & accorderent tout d'une voix, & avec beaucoup de soûmission & de zele, le Don gratuit de deux millions quatre cens mille livres qui avoient esté demandez. Ils députerent aussi-tost apres vers Mr le Duc de Noailles, Mr l'Archevesque de Toulouse, Mr l'Evesque de S. Papoul, & Mrs les Barons de Villeneuve & de Rebé, pour luy porter leur Déliberations; & le mesme jour Mr de Noailles dépescha un Gentilhomme au Roy pour luy en donner la nouvelle.

Ce n'est point une exagération de dire qu'on a esté charmé de la beauté des Harangues de ce Duc, & de l'air noble dont il les a prononcées. Il a toûjours tenu deux Tables deux fois chaque jour ; & quelquefois mesme le nombre de ces Tables a augmenté. La propreté, la délicatesse, & l'abondance, ont également esté admirées dans tous les Repas. Sa Musique s'est tous les jours fait entendre à la Messe & au Salut, où il a toûjours assisté ; de maniere que sa pieté a servy d'un grand exemple, & a fort édifié. [...]

[Réception de l'Abbesse de Montivillier] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 232-235.

 

Le Roy récompense non seulement la vertu qu'il voit briller à ses yeux, mais encor celle des Personnes de mérite, dont la profession ne leur permet pas de demeurer à la Cour. Ainsi la vertu & la pieté de Madame Magdelaine-Laurence de Cadob de Sepville, luy ont fait mériter le choix de ce grand Monarque pour l'Abbaye de Montivilier, vacante par la mort de Madame de Bellefond. Tante de Mr le Maréchal de Bellefond, & soeur de l'illustre Madame de Bellefond, Abbesse dés Religieuses Benedictines de Roüen si genéralement admirées pour son esprit & sa vertu. Ce Maréchal, qui est Cousin germain de cette nouvelle Abbesse, & qui ayant demandé au Roy l'Abbaye pour elle, avoit aisément persuadé par la piété exemplaire dont il donna tous les jours de si nobles marques, qu'il la demandoit pour une Personne que ses grandes qualitez en rendoient tres-digne, estant arrivé à Montivilier le Lundy 9. de ce mois avec toute sa Famille, Madame de Sepville ne voulut point diférer la Cerémonie de sa Prise de possession. Elle fut faite par Mr l'Official de cette Exemption en présence des plus considérables & des plus illustres du Païs. Il fit un tres-beau Discours dans le Chapitre sur les mérites & sur les vertus de la Défunte, & de la nouvelle Abesse. En suite il fit faire la lecture des Bulles de la derniere; & tous les Auditeurs s'estant retirez, à l'exception des Religieuses, il prit la voix de chacune. Elles donnerent toutes leur consentement avec plaisir pour Madame de Sepville, qu'il plaça dans la Chaire Abbatiale; apres quoy, il la conduisit du Chapitre dans l'Eglise de S. Sauveur, & dans la Chapelle de l'Abbaye, où lors que le Te Deum eut esté chanté, elle prit possession par le toucher des Autels. [...]

Chanson §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 242-243.L'attribution à M. Daubaine est due à l'article du Mercure

Voicy une Chanson dont les paroles ne vous sont pas inconnuës. Je vous les envoyay au commencement de l’Hyver dernier, notées par un habile Maistre. Elles ont paru si belles au fameux Mr Dambrüis, qu’il les a mises aussi en Air depuis peu de jours. Comme il est difficile de mieux réüssir que luy pour les choses dont il se mesle, je croy que vous me serez obligée du soin que je prens de vous faire part de son Ouvrage.

CHANSON.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par On peut encor dans la Prairie, doit regarder la page 243.
On peut encor dans la Prairie
Mener quelquefois son Troupeau,
Et cependant la volage Sylvie
 Ne veut plus sortir du Hameau ;
 Le froid n’est pas ce qui l’arreste,
 Je ne l’ay que trop reconnu.
A suivre mon Rival on la voit toûjours preste,
C’est pour moy seulement que l’Hyver est venu.
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[Dieppe] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 244-248.

 

Le Jeudy dixiéme du mesme mois, Mr de la Boissiere, Major de Dieppe, reçeut l'ordre de la Feste, en l'absence de Mr de Tierceville-Mahaut, Commandant de la Place, qui présidoit alors à un Synode de Mrs de la Religion Prétenduë Réformée, qui se tenoit aupres de Roüen. Il avoit esté choisy pour cet Employ par Sa Majesté, qui estant informée du mérite de tous ses Sujets, sçait que Mr de Tierceville joint la capacité d'un Homme de Lettres avec la valeur d'un Homme d'Epée. La Harangue qu'il fit à ce Synode, & qui paroist bien estre de la mesme main qu'une infinité de jolies choses qui ont couru de luy, est une marque de la maniere dont il s'acquita de sa Commission. Le Samedy au matin, tous les Vaisseaux qui estoient au Port de Dieppe, ayant arboré leurs Etendards & leurs Flâmes, & les Capitaines ayant fait la reveuë de leurs Equipages, tout fut prest à exécuter les ordres qu'on avoit reçeus de faire joüer le Canon & la Mousqueterie, dés qu'on auroit entendu la premiere décharge du Chasteau & du Pollet, & d'allumer des Feux pendant trois nuits au haut des Mats des Navires. A midy, toutes les Boutiques de la Ville furent fermées, & les Tambours des douze Compagnies des Bourgeois publierent qu'on se mettoit le lendemain sous les armes. Le soir, Mr de Boissiere ayant fait tirer cinq coups de Canon du Chasteau, où il régaloit ses Amis, les Vaisseaux luy répondirent, & en mesme temps on ne vit que Lumieres sur la Mer. Le lendemain, les douze Compagnies se trouverent sous les armes, & menerent à l'Eglise de S. Remy Mr le Major, accompagné des Corps de Justice & de Ville, & de Mrs Coquet, de Joux, & le Pautre, Capitaines au Regiment de Champagne, de la Garnison du Chasteau. Le Te Deum fut chanté en Musique. En suite on alla à l'Hostel de Ville, où Mr le Major mit le feu à trois Buchers dressez dans la Place. [...]

[Argentan] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 251, 253-254.

 

Mr le Comte de Grancé, Gouverneur d'Argentan, y fit faire les Réjoüissances publiques le Dimanche 23. d'Aoust. Toute la Bourgeoisie sous les armes alla le prendre au Chasteau, où s'estoit rendu tout le Corps de la Justice, & quantité de Noblesse, & le conduisit en l'Eglise de S. Germain. Le Te Deum y fut solemnellement chanté en Musique, avec diférens Motets. [...]

 

La Feste fut continuée le lendemain au Chasteau, où Mr le Gouverneur, en présence des Dames & de toutes les Personnes distinguées, fit faire la Curée d'un gros Cerf qu'il avoit pris. C'estoit un plaisir de voir cent des meilleurs Chiens qu'il y ait en France, dont sa Meute est composée, démembrer & manger ce Cerf au son de vingt Cors de Chasse.

[Falaise] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 254-258.

 

A Falaise, qui est à sept lieuës de Caën, Mr de Morangis, Intendant de la Genéralité d'Alençon, accompagné de tous les Officiers de Justice, & Mr de Querville-Vicomte, à la teste de plus de deux mille Habitans sous les armes, allerent à l'Eglise de la Trinité, où s'estoient rendus tous les Prestres des Paroisses de la Ville, avec toutes les Communautez Religieuses. Cette Eglise estoit tendüe depuis le haut jusqu'au bas, des plus riches Tapisseries, & ornée de la plus belle Argenterie de Madame la Marquise de Putange, qui se distingua fort dans cette rencontre par les témoignages de la joye & de son zele. On avoit mis sur de grands Cartouches les Portraits du Roy, & de la Famille Royale, au devant & en plusieurs endroits de l'Eglise. Si-tost qu'on eu commencé le Te Deum, on entendit le bruit du Canon & des Boëtes du Chasteau ; & Mr le Chevalier de Corde, Lieutenant de Roy, qui donnoit les ordres necessaires à la Milice, luy fit faire dix ou douze fois des décharges qui furent tres-bien exécutées ; apres quoy les Marchands de la Foire, qui commence le 16. d'Aoust, & qui se tient dans un Fauxbourg de la Ville appellé Guibray, prierent Mrs de Ville de soufrir qu'ils fissent éclater leur joye avec eux. On fit faire un Echafaut tres-élevé dans le milieu de la Foire, avec un autre au-dessus, sur lequel estoit une fort belle Figure, qui représentoit la Victoire, soûtenuë par deux Dauphins, & ayant pour Piédestal un Soleil dont les rayons estoient auatnt de Fusées diférentes, ce qui produisit un tres-bel effet. Il y avoit un autre Theatre, où les Fontaines de Vin coulerent pendant quatre heures. Plusieurs Chariots remplis de Joüeurs de diférens Instrumens , tout couverts de Fleurs & de Feüillées, marchoient avant la Milice. Un autre fermoit la marche, & dans ce dernier estoit un Bacchus sur un Tonneau, tenant des Bouteilles dont il versoit sans cesse à tous les Passans, & portant un Etendard de Satin garny de Frange d'or, où l'on avoit peint les Armes du jeune Prince. [...]

[Caen] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 260-263, 265-266.

 

Mr de Meliand, Intendant de Caën, estoit à la Campagne à deux lieuës de la Ville, lors qu'il reçeut la Nouvelle de l'heureux Accouchement de Madame la Dauphine. Aussitost il marqua sa joye par des Repas magnifiques qu'il donna à tout ce qu'il pût assembler de Personnes considérables. Il voulut mesme que sa Maison fust ouverte aux Païsans du Lieu. Ils y vinrent en foule, & il les fit dancer dans un grand Bois, Hommes, Femmes, & Filles. Cette Dance champêtre ne laissoit pas d'estre agreable. Mr l'Intendant faisoit fournir du Vin en abondance aux Danceurs, afin que les forces ne leur manquassent pas ; & Madame l'Intendante distribuoit aux jolies Païsannes des Présens qui leur convenoient, comme des Noeuds de Rubans, & des Miroirs. Ce ne fut la que le Prélude des Réjoüissances de Caën. Mr de Meliand y retourna, & assista le 27. d'Aoust au Te Deum qui fut chanté solemnellement dans l'Eglise de S. Pierre. On alluma en suite un grand Feu de joye, au bruit de tout le Canon, & de la Mousqueterie de quatre à cinq mille Bourgeois, que leurs Capitaines avoient fait mettre sous les armes. [...]

 

Mr l'Evesque de Bayeux ayant mandé qu'on chantast le Te Deum dans toutes les Paroisses, les Réjoüissances se renouvelerent. Chaque Paroisse fit les siennes en particulier, où elle mettoit ses Bourgeois sous les armes, & inventoit des Illuminations pour son Clocher. [...]

[Alençon] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 268-271.

 

Alençon a fait éclater sa joye, comme une Ville qui prend un intérest particulier à la fécondité de la Maison Royale, puis qu'elle a l'honneur d'estre l'Apannage du quatriéme Fils de France, lors qu'il y en a un. Mr de Matignon, Lieutenant General de la Province de Normandie, faisoit son sejour à son Chasteau de Lonray, qui est à une lieuë d'Alençon, lors qu'il apprit que Monseigneur le Duc de Bourgogne estoit né. Aussitost il envoya ses ordres à la Ville. Trois jours apres, les Habitans s'estant mis sous les armes, allerent au devant de luy jusqu'à un quart de lieuë, & le conduisirent à l'Eglise de Nostre Dame, où il entendit le Te Deum, qui fut chanté solemnellement. En suite il alluma le Feu de joye avec Mr de Tiville-Boullemer, Lieutenant General du Bailliage d'Alençon, Maire de la Ville, & Mr de la Normanderie, Vicomte & Premier Echevin ; apres quoy il se rendit chez Mr de Tiville, qui avoit fait préparer une Collation magnifique pour Mesdames de Matignon & de Thorigny, suivies d'un grand nombre d'autres Dames des plus considérables du Païs. Le soir, Mr de Matignon mena à son Chasteau de Lonray toute cette grande Compagnie. La plûpart de la Noblesse des environs s'y trouva. Le Régale fut superbe. La Santé du jeune Prince y fut büe au bruit de vingt-quatre Pieces de Canon qui sont sur le lieu. Un grand Bal suivit le Repas, mais on le quitta pour voir un Feu d'artifice qui avoit esté composé par des Ingénieurs que Mr de Matignon avoit fait venir exprés de Paris. [...]

[Padoue] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 272-273.

 

J'adjoûte à ces Réjoüissances ce qu'on m'en écrit de particulier de Padoue. Le Pere Maistre Loüis de Molinot, Cordelier du Grand Convent de Bourg en Bresse, étably Confesseur des François par Mr le Comte d'Avaux dans le Convent de S. Antoine à Padouë, ayant appris l'heureuse Nouvelle de l'Accouchement de Madame la Dauphine, fit chanter dans la mesme Eglise une grande Messe, avec un Te Deum, à quatre Orgues, & quatre Choeurs de Musique. On fit trois décharges d'un tres grand nombre de Boëtes au bruit des Tambours & des Trompetes. [...]

[Reception faite à M. et à Madame de Montauban à Nogent-le-Roy] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 289-293.

 

Quoy qu’on eust déja celébré dans la Ville d’Arles la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne par des Feux d’artifice, des Illuminations, & des Fontaines de Vin, on y a fait encor pour ce grand Sujet une Feste bien singuliere. Ceux qui composent l’Académie Royale que Sa Majesté y a établie, y firent sur la fin du mois passé une Assemblée publique. Mr de Grignan Archevesque, Mr le Coadjuteur son Frere, Mrs du Chapitre, & Mrs les Consuls Gouverneurs de la Ville, y assisterent, avec un grand nombre de Personnes de qualité. Mr de Sabatier, Directeur, fit l’ouverture de cette Assemblée. Mr d’Ubaye de Vacheres, recita un Panégyrique du Roy ; & tous les autres Académiciens montrerent divers Ouvrages en Vers & en Prose sur l’heureuse Naissance du jeune Prince. On y remarqua beaucoup d’esprit & de politesse. Ces belles Productions furent deux fois interrompuës par des Concerts de Musique, où l’on chanta les Loüanges de Leurs Majestez, de Monseigneur le Dauphin, de Madame la Dauphine, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne. L’Assemblée finit par un Discours que fit encor le Directeur. Toute la Compagnie passa deux heures avec beaucoup de plaisir à écouter tant de belles choses, & l’on demeura d’accord que s’il y avoit eu dans le Royaume des Festes plus magnifiques, il n’y en avoit point eu de plus agreables. J’en attens un Mémoire plus ample, avec les Discours qui ont esté prononcez dans cette docte Assemblée. Vous sçavez qu’elle se tient dans l’Hôtel de Ville. En vous apprenant dans l’une de mes Lettres les noms de tous ceux qui la composent, je vous ay parlé des talens de chacun, & des Ouvrages par lesquels ils se sont rendus illustres dans l’Empire des belles Lettres.

[Œuvres de Messieurs de Corneille] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 293-300.

 

Le Sr de Luyne, Libraire au Palais, a fait une nouvelle Edition des Oeuvres de Mrs de Corneille, beaucoup plus correcte que les précedentes. Elles sont divisées en neuf Volumes, qui contiennent soixante & deux Pieces de Theatre. Il y en a trente-deux de Mr de Corneille l’aîné. Ne vous imaginez pas, Madame, que ceux qui auront ces neuf Volumes, ayent seulement des Pieces de Theatre, puis qu’elles sont accompagnées de Traitez dont la lecture ne peut estre que fort utile. Ce fameux Autheur rend raison dans le premier des Innovations qu’il a faites en l’Ortographe, pour faciliter aux Etrangers la prononciation de nostre Langue. On trouve dans le mesme Volume, un Discours de l’Utilité & des Parties des Poëmes Dramatiques, & l’Examen de huit Pieces de Theatre, qui dans leur temps ont eu des succés fort avantageux. Ce sont Mélite, Clitandre, la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, la Place Royale, Médée, & l’Illusion.

Le second Volume renferme un Discours de la Tragédie, & des moyens de la traiter, selon le vray-semblable, ou le nécessaire, avec l’Examen du Cid, d’Horace, de Cinna, de Polieucte, de Pompée, du Menteur, de la Suite du Menteur, & de Théodore.

Il y a dans le troisiéme un Discours des trois Unitez, de l’action, du jour, & du lieu, avec l’Examen de Rodogune, d’Héraclius, d’Andromede, de Dom Sanche d’Arragon, de Nicomede, de Pertharite, d’Oedipe, & de la Toison d’or.

On voit à la teste du quatriéme Volume, des Préfaces pleines d’érudition sur Sertorius, Sophonisbe, Othon, Agésilas, & Attila. La derniere est une Réponse à des Invectives qu’on avoit publiées en ce temps-là contre la Comédie. Tite & Berénice, Pulchérie & Suréna, sont dans ce mesme Volume.

On peut juger par le nombre de Pieces de Theatre que Mr de Corneille l’aîné a fait, & par le succés extraordinaire qu’elles ont eu, qu’il entend parfaitement la Poëtique ; & comme ceux qui ont la pratique d’une chose, en donnent des regles beaucoup plus certaines que les autres qui en raisonnent sans expérience, on ne peut douter que ce qu’il en a écrit ne soit plus juste que tout ce que nous en avons. L’Examen qu’il a fait de la plûpart de ses Pieces, n’est pas pour se donner des loüanges. Il fait luy-mesme la Critique des endroits qu’il croit condamnables, ce qui donne une parfaite intelligence du Poëme Dramatique, parce qu’en mesme temps qu’on en voit les regles, on voit des Ouvrages de Theatre, & ce qu’ils ont de beau & de défectueux, par l’Examen que l’on en peut lire. Je ne vous dis rien de la grandeur des sentimens dont ces Pieces sont remplies. On les admire tous les jours, & sur tout cette Politique admirable qui a si souvent fait dire à Mr le Maréchal de Gramont, que les Ouvrages de Mr de Corneille méritoient d’estre conservez dans le Cabinet des Roys.

Les cinq derniers Volumes de cette nouvelle Edition, contiennent trente Pieces du Frere de ce grand Autheur, connu depuis si longtemps sous le nom de Mr de Corneille le Jeune. Les succés de D. Bertran, du Feint Astrologue, du Géolier de Soy-mesme, & du Baron d’Asbicrac, pour le Comique ; De Timocrate, de la Mort de Commode, de Camma, de Stilicon, d’Ariane, & du Comte d’Essex, pour le Tragique, & de Circé & de l’Inconnu, pour le Spéctacle, & pour le Galant, me donneroient lieu de vous en vanter les diférentes beautez, si par le pouvoir que l’amitié luy donne sur moy, il ne me forçoit pas à me taire sur les choses qui le touchent.

[Ouverture, & Harangue du Parlement] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 300-302.

 

Comme depuis six années je vous ay fait un ample détail, des Cerémonies que l'on observe à l'ouverture du Parlement, & que je vous ay mesme parlé de l'origine de plusieurs choses qui les regardent, je ne vous entretiendray aujourd'huy que des Harangues, qu'on fait au Palais, parce que les Cerémonies sont toûjours les mesmes, & que les sujets des Harangues changent fort souvent. La premiere ouverture du Parlement se fait toûjours le lendemain de la Saint Martin, & l'on chante ce jour-là une Messe solemnelle dans la grande Salle du Palais, où ce grand & auguste Corps se trouve en Robes rouges. C'est toûjours un Evesque qui dit cette celebre Messe, & ce sont Messieurs du Parlement qui l'invitent. [...]

[L’Amour de la Vérité de Mr de Camus.]* §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 321.

 

Mr le Camus Premier Président de la mesme Cour des Aydes, dont je vous ay entretenuë plusieurs fois, fit paroistre le mesme jour la beauté de son Génie, par un Discours qu’il fit sur l’Amour de la Verité.

Chanson §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 334-335.

Voicy une seconde Chanson. Les Paroles ont esté faites par un Amant réduit au desespoir, & qui veut mourir d’une maniere assez extraordinaire. L’Air est d’un habile Maistre.

CHANSON.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Vous ne voulez donc plus me voir, doit regarder la page 335.
 Vous ne voulez donc plus me voir,
Ingrate ? C’en est fait, je suis au desespoir,
 Je vais me noyer, ou me pendre.
 Ah ! j’ay déja trop attendu.
Mais c’est un triste sort que celuy d’un Pendu,
Pour un Amant, des Amans le plus tendre.
Il vaut mieux me noyer, c’est un plus doux destin,
 Je puis me noyer dans le Vin.
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[Divertissemens de Chambord, Fontaineblau & Versailles […]] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 343-356.

 

Mr le Comte de Brione, qui fait la Charge de Grand Ecuyer aupres de Monseigneur le Dauphin, se distingua aussi beaucoup dans cette Chasse. Il est plein de feu, & d’adresse, & l’on ne sçauroit dire trop de choses à son avantage touchant ses exercices. Les autres Divertissemens de Fontainebleau ont esté des Cavalcades, où les Dames ont paru en Amazones, la Comédie Françoise, & Italienne, meslée de Musique, le Bal, & les Media noche. Rien n’estoit plus somptueux que ces Repas, dont toutes les Dames estoient. Les Controlleurs de la Maison de Sa Majesté servoient sur Table. C’est un usage, quand la dépense des Repas excede le fonds ordinaire, & qu’ils sont sur l’Etat de la Maison, comme extraordinaires.

Tous ces Divertissemens ont esté suivis d’un autre, dont la Cour n’a eu le plaisir que quelques-jours avant son départ de Fontainebleau. Le Roy passant dans l’Antichambre de Madame de Thiange pour aller au Billard, apperçeut un Théatre dont la Toile se leva dés qu’il eut paru. On y représenta une Sérenade en forme d’Opéra, meslée de Musique Françoise, & de Comédie & de Musique Italienne. Diane parut d’abord seule dans son Jardin, appuyée contre un Oranger, affligée du prompt départ du Roy, & jalouse de ce qu’il quitoit Fontainebleau, pour aller à Versailles goûter les plaisirs qu’il y faisoit préparer pour sa Cour. Apres qu’elle eut fait entendre ses plaintes, les Nymphes, & les Dieux des Eaux & des Bois de Fontainebleau, accoururent pour sçavoir le sujet de son affliction, & voir s’ils ne pourroient point y donner remede. La Déesse leur fit connoistre la cause de sa douleur. Les Divinitez entrerent dans ses sentimens, & l’assurerent qu’elles partageoient sa peine ; mais elles luy dirent aussi qu’il valoit mieux y chercher du soulagement, que de s’en laisser ainsi accabler. Diane en tomba d’accord ; & ses Nymphes avec les Dieux Champestres, proposerent d’inventer quelques divertissemens qui pussent arrester le Roy, & offrirent de faire tout ce qui se pourroit imaginer dans un dessein, où les sentimens qu’elles avoient pour ce grand Monarque, leur faisoit prendre le mesme interest qu’elle y prenoit ; mais la Déesse leur répondit qu’elle ne pouvoit se persuader que les Divinitez de ce Païs-là, qui faisoient leur ordinaire sejour dans de si sauvages Lieux, pussent fournir dequoy faire une Feste qui plust au Roy, dont le goust estoit si fin & si délicat. Elle consentit pourtant que l’on en fist une épreuve. En mesme temps, ces Divinitez commencerent des Concerts de Voix, & d’Instrumens, pour luy faire voir par cet essay, ce qu’elles pourroient faire par quelque chose que l’on eust premédité. Ces Concerts estant finis, Apollon & l’Amour attirez par les charmes de cette Musique, vinrent pour sçavoir qui la donnoit. Ils se rencontrerent l’un & l’autre sans se reconnoistre d’abord, & apres quelque conversation avec Diane, ils entrerent de part dans les Divertissemens que l’on vouloir préparer pour ce Monarque, & proposerent sur le champ plusieurs sujets d’Opéra ; mais ne jugeant pas que des Impromptu fussent capables de satisfaire le goust d’un Prince, qui a un discernement si juste pour toutes choses, & d’estre comparez à ceux qu’il ordonne luy-mesme, Apollon proposa un Opéra du Chevalier du Soleil son Frere, qu’une Muse, qui l’avoit compose pour Vénise, luy avoit donné à examiner. C’estoit la Guerre que ce Frere eut contre les Geans qui vouloient s’opposer à ses Conquestes & particulierement pour l’amour de la Princesse Claridiane, où les Geans ne doutant point que le Chevalier n’eust pour luy tout le Ciel, à cause de son Frere le Soleil, eurent recours à un fameux Magicien, pour attirer toutes les Puissances Infernales dans leur party.

Dans le Prologue qu’Apollon fit chanter par Diane, par les Nymphes, & par les Divinitez Champestres, un Magicien évoqua les Furies & les Ombres de l’Enfer, qui conjurerent avec luy la perte de l’Ennemy des Geans. Les Heures du point du jour les surprirent. Il se fit avec elles une longue dispute, & le tout ensemble fit voir le dessein de l’Opéra ; mais la nuit estant trop avancée pour le pouvoir repetter, ils convinrent tous ensemble apres cet essay, qu’il n’y avoit rien qui pust égaler les divertissemens que le Roy ordonne, & demeurerent d’accord qu’ils feroient mieux d’aller à Versailles prendre leur part de ces Festes, que d’avoir la présomption de croire que toutes celles qu’on luy pourroit préparer, fussent capables de le divertir.

Quelques Comédiens Italiens furent meslez dans ce divertissement, & ils executerent tres-bien les Scenes dont on leur avoit donné le sujet, & la plûpart des pensées. La Musique Françoise avoit esté faite par Mr de la Lande, qui montre à joüer du Clavessin à Mademoiselle de Nantes. Mr Genest, dont la réputation est établie à bon titre, avoit fait les Vers François. Mr Laurenzani estoit Autheur de la Musique Italienne. Il n’a plus besoin de loüanges, puis qu’il n’y a que les Envieux du vray mérite qui puissent se déclarer contre luy. Il a fait depuis peu quatre Motets qui ont extrémement réüssy. Le Roy en a redemandé un. Tout ce divertissement avoit esté préparé sans qu’on en sçeust rien. Il s’estoit trouvè prest en cinq ou six jours, & des Gens d’un tres-bon goust s’en estoient meslez. Pendant que le Roy estoit à Fontainebleau, il a fait du bien à quantité de Personnes, mais ce n’est que son ordinaire. Sa Majesté a mis en Regimens plusieurs Compagnies qu’on avoit levées, & qui estoient séparées dans des Quartiers. Elle a nommé pour les commander, Mr le Marquis de Florensac, Mr le Marquis d’Eudicour, Mr le Comte de Talard, & Mr le Marquis de Varennes.

Le Roy ayant à donner l’agrément de la Charge de Premier Chirurgien de la Reyne, a crû la devoir faire remplir par l’un de ses Chirurgiens de Quartier, parce qu’ils sont tres-habiles, & que Mr Daquin Premier Medecin de Sa Majesté, a soin qu’il n’y en ait point d’autres. Mr Gervais a esté choisy pour cela, il s’est rendu fameux par quantité d’éclatantes Cures.

La Cour ayant passé la Feste de tous les Saints à Fontainebleau, Sa Majesté qui fait plus d’actions de pieté qu’elle n’en laisse voir, fit ses devotions, & toucha un grand nombre de Malades ; & l’apresdînée Elle entendit le Sermon de Mr l’Abbé Flechier, Aumônier ordinaire de Madame la Dauphine. Cet illustre Abbé prescha sur l’Evangile du jour ; & fit voir que de quelque qualité qu’on fust, quelque employ qu’on exerçast, & en quelque lieu que l’on demeurast, on pouvoit également faire son salut par tout, & mesme à la Cour, puis que plus il y avoit de difficultez à surmonter, plus il y avoit de mérite ; que les passions nous attaquoient par tout, & que par tout on pouvoit s’étudier à les vaincre. Comme ce raisonnement est tres-sensible, & que les esprits les moins penétrans y entrent sans peine, rien ne sçauroit estre plus utile qu’un Sermon de cette nature. Mr l’Abbé Flechier le finit en s’adressant au Roy. Il fit voir à ce Monarque, que ne pouvant plus rien ajoûter à la gloire, dont la Guerre & la Paix l’avoient couvert, il ne luy restoit qu’à bien travailler à son salut. On sçait que ce Prince s’y applique avec un zele d’autant plus sincere, qu’il tâche de le cacher ; mais il est difficile que les actions des Roys soient long-temps ignorées. Ainsi quand Mr l’Abbé Flechier parloit à ce Monarque de songer sérieusement à son salut, il estoit bien informé qu’il le faisoit ; mais en luy parlant ainsi avec la sainte hardiesse que donne la Chaire de Verité, il faisoit entendre à tous les Courtisans, qu’ils devoient en tout suivre l’exemple qu’ils recevoient de leur Maistre, & faire des retraites au milieu de la Cour, afin de penser au peu de stabilité des choses du monde. Sa Majesté dit tout haut au sortir de ce Sermon, que Mr l’Abbé Flechier avoit fait connoistre de solides veritez. Il faut avoüer, Madame, que ses Prédications sont bien Chrestiennes. Il presche noblement, il ne flate point, ses expressions sont justes, & tout ce qu’il dit est du grand goust.

La Cour apres avoir joüy d’un beau temps à Fontainebleau, est retournée à Versailles. On a eu soin de le rendre logeable pour l’Hyver, & de mettre de doubles Chassis dans tout ce vaste Chasteau. On l’a eu aussi de rendre la Ville nette & de l’éclairer. L’accablement des Affaires de l’Etat n’a point empesché le Roy de donner ses ordres pour la commodité de sa Cour. Il a fait plus. Il a pourveu à ses Plaisirs, & les a reglez pour chaque jour. On y jouë trois fois la semaine dans le grand Appartement de Sa Majesté.

[Lettre à Madame la Marquise de Maintenon] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 356-358.

 

J’avois commencé la description de ces brillantes Soirées, & je desesperois d’en bien faire la peinture, lors qu’il m’est tombé entre les mains des Vers de Mr le Duc de Saint Aignan sur ce sujet. J’en ay esté tellement frapé, que je n’ay pas crû que ma Prose pust avoir aupres de ces Vers, d’autre agrément que celuy de la matiere. Ainsi je reserve pour le mois prochain, la description que j’avois résolu d’en donner à ma maniere. Comme Mr de S. Aignan envoya ses Vers à Madame de Maintenon, aussi-tost qu’il les eut faits, je ne doute point que vous ne soyez bien aise de voir la Lettre dont il les accompagna.

A MADAME
LA MARQUISE
DE MAINTENON.

Madame,

Quoy que vous soyez fort genéreuse, je ne laisse pas d’avoir lieu de craindre que vous n’approuviez pas la liberté que je prens aujourd’huy ; & je n’ay pas moins de sujet d’appréhender la délicatesse de vostre esprit pour ce que j’ose vous envoyer. Ainsi vous voyez, MADAME, que j’ay besoin de vostre indulgence en plus d’une maniere. Je n’ay pû me résoudre à donner au Roy les Vers que je viens de faire sur ce que je vis hyer avec admiration. Je ne crains pourtant pas, Madame, qu’ils puissent faire tort à ma gloire, puis que leur but est celle de Sa Majesté. Ménagez, s’il vous plaist, la premiere en faveur de l’autre ; & soyez persuadée que j’en trouveray toûjours beaucoup à vous témoigner en toutes occasions que je suis avec une parfaite estime & un veritable respect,

MADAME,

Vostre tres-humble & tres-obeissant Serviteur, Le Duc de S. Aignan.

Sur la Beauté des Apartemens du Roy à Versailles […] §

Mercure galant, novembre 1682 [tome 13], p. 359-368.

SUR LA BEAUTÉ DES
Apartemens du Roy à Versailles,
& sur les Divertissemens
que Sa Majesté y donne
à toute sa Cour.

Nous sçavions que LOUIS s’estoit couvert de gloire
Par mille grands Exploits d’éternelle mémoire,
Et que par ses vertus cet invincible Roy
Estoit du monde entier & l’amour, & l’effroy,
Qu’il fuyoit le repos, qu’il forçoit des Murailles,
Que sur Terre & sur Mer il gagnoit des Batailles,
Que rien ne s’opposoit à l’effort de son Bras,
Que l’Hyver, ny les Eaux, ne le retardoient pas,
Que pour nostre bonheur ce Monarque indomptable.
Par tant de Véritez faisoit taire la Fable,
Et que les Demy-Dieux qu’on vantoit autrefois,
En commandant à tous, auroient reçeu ses Loix.
***
Nous estions convaincus qu’avec tant de puissance
Rien n’estoit impossible à sa magnificence ;
Mais nous ne sçavions pas que ce Prince charmant
Pust porter ses desseins jusqu’à l’Enchantement,
Ny que dans son Palais on vist tant de merveilles,
Que jamais l’Univers n’en a veu de pareilles.
***
Versailles, dont l’Europe admire la grandeur,
Etale de LOUIS la pompe, & la splendeur ;
Mille feux allumez qui par tout refléchissent,
Par cent rares Objets nous charment, nous ravissent ;
Mais quoy qui se présente à nos yeux ébloüis,
On les verroit sans cesse attachez sur LOUIS,
(Quoy qu’en ce beau Palais tout paroisse & tout brille,)
S’il n’avoit pres de Luy sa Royale Famille,
En qui tout est auguste, & sur qui nous voyons
De sa gloire supréme éclater les rayons.
***
Là les plus belles Voix sçavent mettre en pratique
Ce que de plus touchant peut offrir la Musique,
Pendant qu’un doux Concert de divers Instrumens
Fait qu’on ne peut passer de plus heureux momens.
Là cent fieres Beautez dessus l’or & la soye,
Voyant tout à leurs pieds, sont aux siens avec joye,
Et malgré leur sagesse, aupres de ce Vainqueur,
Pensent faire beaucoup de défendre leur cœur.
***
Par la refléxion d’un grand nombre de glaces,
Qui font voir ces Beautez en diférentes places,
Le feu des Diamans dont se pare la Cour,
Au milieu de la nuit, fait naître un nouveau jour,
Tous les yeux sont surpris de tant de belles choses.
Que d’agreables traits, que de Lys, que de Roses !
Mais toûjours par l’éclat, autant que par le Sang,
La Famille Royale y tient le premier rang.
***
On voit un peu plus loin, superbement parées,
Pour diférens Joüeurs, vingt Tables préparées,
Où la seule Fortune a toûjours décidé,
Sans qu’on ait lieu de craindre ou la Carte, ou le Dé.
Des Survenans fâcheux n’y font point de tumulte,
Le respect nous y tient à couvert de l’insulte ;
Le plus intéressé, par un nouveau secret,
Y regarde sa perte avec moins de regret ;
Sans murmure & sans bruit, il pense à la retraite,
Et le Champ du Combat honorant sa défaite,
Il laisse le Vainqueur doublement satisfait,
Mais plus charmé du Lieu, que du gain qu’il a fait.
***
Une magnificence à nulle autre pareille,
Peut lors charmer le goust, apres l’œil, & l’oreille ;
Et cent Mets délicats, par leur profusion,
Font remarquer de l’ordre en leur confusion ;
L’Or, l’Argent, & l’Azur, le Jaspe, & le Porphire,
Font voir mille beautez que tout le monde admire.
***
Là ce Roy tout charmant nous montre une bonté
Qui fait un doux mélange avec Sa Majesté ;
On observe par tout, au moment qu’il s’avance,
Qu’un timide respect impose le silence,
Et chacun toutefois marque à son action,
Encor moins de respect, que d’admiration ;
Et dit, en conformant ses sentimens aux nostres,
Qu’obéir à LOUIS, c’est commander aux autres.
Puis regardant le Trône à mon Roy destiné,
De Meubles prétieux par tout environné,
Je dis dans le plaisir dont mon ame est saisie,
Nous le verrons assis sur celuy de l’Asie ;
Et je croy, sans flater ce Prince que je sers,
Qu’il ne tiendroit qu’à Luy de régir l’Univers ;
Mais il veut sur ce point que l’on soit plus modeste,
On peut facilement s’imaginer le reste.
Toute la Terre alloit luy donner un Tribut,
Mais se vaincre soy-mesme est son unique but.
***
Enfin dans ces beaux Lieux où sa Cour se rassemble,
On voit tant de richesse, & de beautez ensemble,
Qu’on trouveroit moins rare, & moins délicieux,
Ce que la Fable a dit du Palais de ses Dieux.
***
De chanter ses Grandeurs ma Muse n’est point lasse ;
Mais comment dire tout dans un petit espace,
Puis qu’on les croit à peine, & que leur souvenir
Surprendra comme nous les Siecles à venir ?

 

Ces Vers tout heroïques & remplis de grandes & brillantes pensées, sont du nombre de ces Pieces qui demandent beaucoup de temps à les faire. Cependant ce Duc y en a si peu employé, qu’il semble que son zele pour le Roy luy ait dicté ce qu’il a écrit. Il croit que se seront les derniers qu’on verra de luy ; mais dans l’admiration qu’il a pour son Prince, comme il trouvera toûjours de nouveaux sujets de le loüer, il sera bien difficile qu’ayant un si beau talent, il ne continue à s’en servir pour le plus grand Monarque du Monde.