1683

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1683 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7]. §

Au Roy, sur la Conversion des Herétiques §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 2-9.

Ces Conversions, dont on voit le nombre augmenter de jour en jour, sont l’effet du zele de Loüis le Grand, qui croit ne pouvoir rien faire de plus glorieux que de tâcher par toute sorte de voyes de rendre à l’Eglise ce qu’elle a perdu sous les Regnes précedens. L’avantage de détruire l’Herésie apres avoir triomphé de ses Ennemis, estoit réservé à cet auguste Monarque, & c’est ce qui a porté les Muses de Fontenay le Comte en Poitou, à luy adresser les Vers qui suivent.

AU ROY,
SUR LA CONVERSION
des Herétiques.

Grand Roy, lors que touché de nos justes souhaits,
Tu voulus bien songer à nous donner la Paix,
Et qu’arrestant ton cours au fort de la Victoire,
Tu pûs nous immoler ton panchant pour la Gloire,
Helas, que ce Traité cousta cher à ton cœur,
Et combien ta grande ame y trouva de rigueur !
Pouvant soûmettre tout par ta valeur extréme,
Tu bornas ton triomphe à te vaincre toy-mesme ;
Et cette heureuse Paix qui terminoit nos maux,
Sembloit te menacer d’un trop sombre repos ;
Car regler tes Etats, maintenir la Justice,
Elever la Vertu, faire punir le Vice,
Instituer des Loix qu’on respecte en tous lieux,
Faire tout par toy-mesme, & voir tout par tes yeux ;
Enfin ce grand fardeau de régir un Empire,
Où l’on n’avoit point veu de Monarque suffire,
N’est en Toy de tes soins qu’un noble amusement ;
Et quand le Hollandois, l’Espagnol, l’Allemand,
Pour mieux te résister, ne firent qu’une Armée,
Contre ces Ennemis ta valeur animée
Ne t’empescha jamais de regler tes Etats,
Et la Teste agissoit encor mieux que le Bras.
L’on gémissoit par tout sous la fureur des armes,
Nous seuls estions exempts de ces rudes alarmes ;
Tous ces fiers Ennemis assemblez contre nous,
Nous voyoient à regret dans un repos si doux ;
Tes Lauriers nous mettant à couvert du Tonnerre,
La France estoit en Paix au milieu de la Guerre.
Cette Guerre cessa, je plaignis ton grand cœur,
Je plaignis ta vertu, je plaignis ton ardeur.
Je crûs que pour tes jours mesme l’on devoit craindre.
Helas ! qu’en cet état j’estois moy-mesme à plaindre,
De borner la grandeur de ton vaste pouvoir
A ce que mon esprit en pouvoit concevoir,
Et que je sçavois peu jusqu’où se peut étendre
La vertu d’un Héros qui peut tout entreprendre !
La Paix à ta valeur n’a point donné de Loix,
Elle n’a point borné tes rapides Exploits,
Et l’on te voit encor dans une Guerre sainte
Remplir tes Ennemis d’épouvante & de crainte.
Tu combats l’Herésie, & brûlé d’un beau feu,
Tu poursuis vivement les intérests de Dieu
Tes Ayeux autrefois poussez d’un divin zele,
Alloient dela les Mers attaquer l’Infidelle ;
Mais tu combats, plus juste en tes vastes projets,
L’Infidelle chez toy dans tes propres Sujets.
Qui pourroit exprimer tes soins & ton adresse ?
On te voit employer la rigueur, la tendresse ;
Mais jamais la rigueur, sans un profond regret,
Tu frapes l’Herétique, & flates le Sujet.
Aussi chacun par tout se rend à tes manieres ;
On voit avec plaisir des Provinces entieres
Renoncer hautement à leurs vieilles erreurs ;
Tu fais plus mille fois que les Prédicateurs.
LOUIS, le plus auguste, & le plus grand des Princes,
Convertit aujourd’huy des Villes, des Provinces ;
Et ce que n’a point fait ny Livre, ny Sçavant,
LOUIS en vient à bout, si-tost qu’il l’entreprend.
Ces Faits chez nos Neveux ne seront point croyables,
Ils liront tes Exploits ainsi qu’on lit des Fables ;
Ils sont si merveilleux, que moymême, Grand Roy,
Qui les vois, qui les sçais, à peine je les croy.

[Cerémonie faite à Montpellier] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 10-15.

Je vous ay parlé dans quelqu'une de mes Lettres de la démolition du Temple de Montpellier. Le Parlement de Toulouse l'avoit ordonnée par son Arrest du 15. Novembre dernier, sur ce que les Ministres de ce Temple avoient reçeu Mademoiselle Paulet à leur Communion, contre les défenses des Déclarations de Sa Majesté, qui portent expressément qu’aucun Catholique, ny aucune autre Personne, ayant une fois abjuré la Religion des Prétendus Réformez, ne sera reçeuë par eux à la professer. C’est ce qui estoit arrivé en la personne de Mademoiselle Paulet, Fille de Mr Paulet, Conseiller au Présidial de Montpellier, qui estant née dans les erreurs de Calvin, les avoit quittées & reprises. Quoy que l'on eust abatu ce Temple il y a déja quelque temps, ceux de cette Religion n'avoient pas laissé de continuer leurs Procédures au Parlement de Toulouse, & par un second Arrest du 15. de May qui confirme le premier, il fut ordonné qu'on éleveroit une Croix sur un Piédestal, à la place où estoit le Temple, l'Exercice de la Religion Prétenduë Réformée demeurant interdit à jamais dans la Ville & Juridiction de Montpellier. La Cerémonie de la Benédiction de cette Croix fut faite le Jeudy 10. de Juin par une Procession genérale, la plus solemnelle qui eust esté veuë depuis fort longtemps en ce Païs-là. Non seulement toutes les Communautez Religieuses, tous les Chapitres, & tous les Corps de Justice & de Police y assisterent, mais encore tous les Prestres du Diocese, Mr l’Evesque de Montpellier qui avoit voulu benir luy-mesme la Croix, ayant convoqué son Synode ce jour-là, afin d’augmenter la pompe de cette Cerémonie. Il y eut un concours extraordinaire de Personnes de tout sexe, de tout âge, & de toutes conditions, & l’on remarqua que la plus grande partie des Chefs de tous les Corps, estoient nouveaux Convertis. La Procession partit de l'Eglise Cathédrale de S. Pierre, où tout le monde s'estoit assemblé ; & apres que l'on eut fait le tour de la Ville, on vint se ranger à la Place du Temple démoly, sous des Tentes qu'on y avoit fait dresser pour éviter l'ardeur du Soleil. Mr l'Evesque y estant arrivé, revestu de ses Habits Pontificaux, se mit à genoux, & aussitost la Musique fit entendre ce Motet, que ce Prélat avoit composé exprés, Ecce Crucem Domini, fugite partes adversæ, dum Crux erigitur, Hæresis confunditur, advolate, Fideles, ad Crucis triumphum.

[Abjuration de trente-deux Personnes] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 15-18.

Le Motet finy, Mr l'Evesque dit plusieurs Oraisons, & benit la Croix qu'il encensa ; apres quoy il s'assit sur un Fauteüil qu'on luy avoit préparé, pour recevoir l'Abjuration de trente-deux Personnes que la connoissance de la Verité faisoit renoncer à leurs erreurs. [...] On acheva la Procession par le tour Royal, & quand la Benédiction Episcopale eut esté donnée dans l'Eglise de S. Pierre, la Compagnie de Mrs les Penitens, qui sont toûjours pleins de zele, voulant témoigner la joye qu'elle avoit de voir triompher la Croix dans un Lieu, où l'Herésie avoit regné si longtemps avec tant d'empire, s'y rendit tout de nouveau, & y chanta un Motet particulier.

Lettre du Berger Fleuriste, à une de ses nouvelles Voisines, sur ce qu’il ne luy avoit point encore rendu visite §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 22-35.

Vous avez veu des Ouvrages si galans de l’Autheur de la Lettre que vous allez lire, que vous n’en pouvez attendre qu’un fort grand plaisir.

LETTRE
DU BERGER FLEURISTE,
A une de ses nouvelles Voisines,
Sur ce qu’il ne luy avoit point
encore rendu visite.

On m’a rapporté, charmante Mar-Ther. que vous demandiez ces jours passez comment il se pouvoit faire que je fusse civil & galant, & que depuis six mois que vous habitez sur la Frontiere des Ambarriens, je ne vous eusse point encore rendu de visite. J’avouë que ce procedé a lieu de vous surprendre ; mais en voicy la raison sans déguisement, & il me semble qu’elle est assez forte pour me justifier aupres de vous. Je ne dis rien de vos Parens, c’estoit à eux à me faire sçavoir leur arrivée, suivant la mode du Païs. Ils n’en ont pas voulu prendre la peine, leur exemple n’a pas reglé ma conduite ; c’est vous seule, aimable & jeune Bergere. Vous estes belle, à ce que tout le monde publie ;

Mais belle à peindre, & belle à tout charmer,
 Belle à faire des Infidelles,
Belle à ternir toutes les autres Belles,
 Belle à vous faire aimer
Des moins soûmis à l’amoureux Empire,
 Belle enfin plus qu’on ne peut dire.

Cette grande réputation de beauté que vous avez, & qui d’abord a fait courir toute la Contrée pour vous voir, est justement la raison qui m’a empesché d’avoir cet honneur. Je n’ay pû penser à tant de charmes, sans redouter leur puissance ; & la crainte que j’ay euë pour mon cœur, s’est opposée à la satisfaction de mes yeux. Ce n’est pas que je sois fort amy du calme, mais je suis ennemy des grandes inquiétudes, & il est impossible que vostre veuë en cause de petites.

Quand mille attraits brillent dans une Belle,
Au plaisir de la voir on met tous ses plaisirs ;
 Et lors qu’il faut s’éloigner d’elle,
Cent mouvemens divers combatent nos desirs.
Plus on estoit heureux, plus la peine est cruelle.
 Le devoir, la raison, les sens,
  Se font dans ces momens
  Une guerre mortelle.
Les uns nous font partir, les autres demeurer,
 Leurs efforts troublent la cervelle.
  La fâcheuse querelle !
 Des deux costez on se sent déchirer.
Si j’allois voir l’éclat que la beauté vous donne,
J’aurois en vous quittant, à souffrir tous ces maux.
 Qui m’en consoleroit ? personne.
Il vaut donc mieux pour moy, demeurer en repos.

Si c’estoit là tout le danger & toute la peine, peut-estre encore en échaperois-je aussi bien que les autres, mais la suite auroit quelque chose de bien plus fâcheux que le commencement.

  Je connois mon cœur, il est tendre,
  Il ne pourroit pas se défendre,
 En vous voyant, d’adorer vos appas.
  Je n’ay rien qui vous puisse plaire,
J’aimerois seul, vous ne m’aimeriez pas ;
  Ce seroit une affaire
  Pire pour moy que le trépas.
  Je suis d’avis de n’en rien faire.
  Quelque panchant qui me porte à l’amour,
  Serviteur, s’il est sans retour.

Ce n’est pas qu’avec un peu d’esprit on ne trouve des expédiens à toutes choses ; & s’il est vray que vous soyez aussi bonne que vous estes belle, comme Tircis & Caliste m’en assurent, je vais vous en proposer un, dont il ne vous sera pas difficile de vous servir, pour peu que vous souhaitiez que j’aye l’honneur de vous voir. C’est de me donner une part à vostre amitié, avant que je reçoive cet honneur ; non pas une part telle qu’on l’accorde au prochain par devoir de Religion, ou au Voisin par force d’habitude, mais comme la mériteroit un Berger,

 Qui pour vous, de tout temps, auroit au fond de l’ame
 Une aussi noble & vive flâme
 Qu’on la doit ressentir pour la Divinité ;
 Car j’aimerois ainsi vostre rare beauté,
 Si le Destin, dés vostre enfance,
  M’en eust donné la connoissance.
Je le juge aux transports dont je suis agité,
 Au seul nom de vostre Personne.
 N’en doutez pas, la preuve est bonne.
Les premiers mouvemens marquent la verité.

Mais il faudra encore ajoûter à ce don de vostre prétieuse amitié, une ferme promesse de ne me la pas oster, quand vous m’aurez veu ; autrement ce seroit comme donner & retenir, ce qui n’est pas recevable en bonne justice. Vostre parole suffira pour me persuader de l’une & de l’autre grace, tant j’ay bonne opinion de vous.

 Apres cela, jeune Bergere,
J’iray d’un pas hardy m’exposer à vos traits,
Et voir de tous mes yeux ces merveilleux attraits
Que tout le monde en vous trouve, admire, & révere.
Dûssay je alors rencontrer mon cercueil,
Sur quelque Mer que je m’engage,
Aupres d’un si charmant écueil
Je ne craindray point le naufrage.

Vous demanderez peut-estre comme on pourroit faire pour concevoir de l’amitié en faveur d’une Personne qu’on n’a jamais veuë ; je vous réponds, que l’inclination, ou l’estime, peuvent produire cet effet ; mais comme ce sont des routes qui ne sont ouvertes qu’aux Dieux & aux Héros, je leur en laisse la gloire & le plaisir. Il peut y avoir un autre fondement à cette amitié ; & c’est de disposer par exemple vostre reconnoissance à devancer de quelques mois mes services & mes soins, & à estre dés aujourd’huy toute aussi grande pour moy, que si j’avois déja fait mille choses propres à vous obliger & à vous plaire ; car enfin mon intention a ce but, & tres-seûrement,

 Lors que j’auray commencé de vous voir,
  Il n’est point de devoir
  Que je ne tâche de vous rendre.
J’auray pour vous tout ce qu’on peut avoir
  De plus empressé, de plus tendre ;
 Une honneste assiduité,
 Une sincere complaisance,
 Beaucoup de sensibilité,
 Ardeur, discretion, constance,
 Plus mesme que je ne promets ;
 Et si je manquois à pas-une
Des qualitez qu’ont les Amis parfaits,
 Faites-moy perdre ma fortune,
Défendez-moy de vous revoir jamais.

Il ne s’agit donc que de prendre la volonté pour l’effet, & l’avenir pour le passé ; car comme on vous représente infiniment genéreuse, vous n’aurez pas plutost pensé que vous estes obligée à mon amitié, que vous m’accorderez la vostre. Consultez-vous donc là-dessus ; & si vous estes d’humeur à faire pour moy cet effort d’imagination & de cœur, ayez la bonté de m’en avertir, afin que je me rende aupres de vous. Mais préparez-vous en suite à mettre bas tout le sérieux & tout le froid, à quoy les premieres visites sont sujettes ; autrement je serois assez malheureux pour me persuader que vous auriez regret de vous estre engagée imprudemment à me traiter en Amy, & à me regarder comme vostre Serviteur.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 36.

J´attens de vous des remercîmens sur l´Air nouveau que je vous envoye. Il est de l´Illustre Mr Lambert ; son nom vous dit tout.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par L'aimable saison des Zéphirs, doit regarder la page 36.
L'Aimable saison des Zéphirs
Peut bien donner quelques plaisirs
Aux Amans infidelles ;
Mais pour les cœurs constans,
Tous les temps
Ont des douceurs nouvelles.
images/1683-07_036.JPG

Les Sept Pechez mortels. Stances Morales et Galantes §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 42-58.

LES
SEPT PECHEZ
MORTELS.
Stances Morales & Galantes.

A IRIS.

 Vous dont les passions sont si bien maîtrisées,
Vous dont la pieté mérite des Autels,
Et qui, sans rien sçavoir des sept Pechez mortels,
Pratiquez les vertus qui leur sont opposées ;
Sans-doute vous direz qu’il ne m’est pas permis,
 Selon les honnestes Maximes,
 De parler avec vous des crimes
 Que vous n’avez jamais commis.
Mais comme l’equité se voit par l’injustice,
Qu’on conçoit par la nuit ce que c’est que le jour,
Et qu’enfin par la haine on reconnoist l’amour,
Ainsi vous connoistrez la vertu par le vice.
 Bien que je sois certain d’ailleurs,
Que jamais le peché ne fut de vostre usage,
On peut entretenir les Muets du Langage,
 Et les Aveugles des Couleurs.

AVARICE.
1.

 Quoy ! tant de soin & de contrainte
Pour des Biens passagers dont on fait son bonheur,
 Qu’on n’amasse qu’avec sueur,
 Qu’on ne possede qu’avec crainte,
 Et qu’on ne perd qu’avec douleur !
 L’Avare, dans son humeur noire,
Ainsi que l’Hydropique, est toûjours alteré,
 Et d’un desir immoderé,
 Plus il boit, plus il voudroit boire.
 Cet Attrabilaire achevé
 Manque de Biens dans l’abondance,
 Il est pauvre dans l’opulence,
Pour les plus doux plaisirs son goust est dépravé,
Et dans la folle erreur qui sans cesse l’obsede,
Il ne joüit non-plus des trésors qu’il possede,
 Que de ceux dont il est privé.
Faisons de la vertu nos trésors les plus rares,
Employons-y nos jours jusqu’aux moindres instans ;
 Enfin, s’il nous faut estre avares,
 Il ne faut l’estre que du temps.
 Iris, je sçay que bien des Gens,
 Tâchant de vous trouver un vice,
 Vous accusent fort d’avarice.
Ils disent que c’est là le seul de vos vainqueurs,
Que vous estes avare enfin autant qu’une autre ;
Car bien que tous les jours on vous donne des cœurs,
 Vous ne donnez jamais le vostre.

ENVIE.
2.

L’envie est un dépit qu’on ne peut modérer,
Un Tyran qui toûjours ou déteste, ou desire ;
 Il rit si-tost qu’il voit pleurer,
 Et pleure si-tost qu’il voit rire.
 Cet Antipode du bon sens,
 Chagrin de ses traits impuissans,
 Contre luy-mesme les relance ;
 Et d’abord qu’on subit ses Loix,
Déchirant son Autheur d’une vive soufrance,
Il imite ce Ver qui naissant dans le Bois,
Ronge le mesme Bois dont il prend sa naissance.
Du mérite d’autruy ce Bizarre est jaloux,
 Et la prospérité l’irrite.
Mais, Iris, si l’Envie attaque le mérite,
Peut-on la condamner de s’attaquer à vous,
Vous, qui par les vertus dont brille vostre vie,
 Et par vos éclatans appas,
 En donnant à tous de l’envie,
 Donnez ce que vous n’avez pas ?
Non, ce vice sur vous n’eut jamais de puissance ;
 Car que pourriez-vous envier ?
Seroit-ce la beauté, l’esprit, ou la naissance ?
N’avez-vous pas dequoy vous en glorifier ?
 Mais puis qu’on vous voit accomplie
De tout ce que la Terre a de plus glorieux,
A-moins que vous portiez vos souhaits jusqu’aux Cieux,
 Qu’est-ce qui peut vous faire envie ?

ORGUEIL.
3.

O Mortels orgueilleux, qui d’un culte frivole
N’adorez que du vent, qu’une pompeuse Idole,
 Dans les honneurs où vous courez,
Quand mesme cent Lauriers ombrageroient vos testes,
 Sans penser à ce que vous estes,
 Pensez à ce que vous serez.
 Lors que les Parques ennemies
Auront tranché le fil de vos superbes vies,
Et que de vos grandeurs vous serez dépoüillez,
 Quels changemens seront les vostres ?
Dans un Champ les épis d’un beau verd émaillez,
 Sont plus hauts les uns que les autres,
Mais ils sont tous égaux d’abord qu’ils sont taillez.
 Ouvrez le Tombeau d’Aléxandre,
 Helas ! dans son riche Cercueil,
Le feu qui le brûloit & d’envie, & d’orgueil,
 Est éteint sous un peu de cendre ;
Et luy, qui des Pais où son cœur l’entraînoit,
 Ne fit qu’un vaste Cimetiere,
Ayant à tant de Roys donné de la poussiere,
 Est devenu ce qu’il donnoit.
Mais vostre humilité qui surpasse toute autre,
 Fait, Iris, que jusqu’aujourd’huy,
Bien que vous connoissiez le mérite d’autruy,
 Vous ne connoissez point le vostre.
Ainsi de vos vertus ignorant les appas,
  Par le mépris que vous en faites,
  Tout le monde sçait qui vous estes,
  Vous-seule ne le sçavez pas.

GOURMANDISE.
4.

 Ce vice sensuel de goust & de saveur,
Par qui le premier Homme, helas, se vit coupable,
Dont Satan s’efforça de tenter le Sauveur,
Qui fit commettre à Loth un crime épouvantable,
Est la Porte par où, malgré tous nos efforts,
L’impureté nous livre une rude escarmouche.
 Et qui croiroit que par la bouche
On empoisonne l’ame, aussi-bien que le corps ?
Quelle honte à l’esprit, que la chair le maîtrise,
 Luy qui doit toûjours commander !
On ne peut l’affranchir de l’affront de céder,
 Qu’en gourmandant la Gourmandise.
 Mais peut-on se persuader
Que lors que vous gardez, belle Iris, l’abstinence,
 Vous inspiriez l’intempérance,
 Puis qu’on ne peut vous regarder
Sans une avidité qui n’a point de seconde ;
 Oüy, comme un Mets délicieux,
Tout le monde aujourd’huy vous mange avec les yeux,
 Car vous estes, Iris, du goust de tout le monde.

PARESSE.
5.

Tout ce que Dieu créa sur la terre & sur l’onde,
 Contre ce vice nous instruit.
 L’Astre du jour, l’œil de la nuit,
Sans prendre aucun repos, font tout le tour du monde,
Et ces brillantes fleurs dont le Ciel est paré,
 Nous preschent-contre la Paresse,
 Car d’un mouvement mesuré
Dans leur voûte d’azur elles roulent sans cesse.
Enfin ne voit-on pas que la Terre & la Mer
Par leurs productions marquent la diligence,
 Et que tout fuit la nonchalance,
 Jusqu’aux petits Hostes de l’air.
Fut-il jamais pour nous une honte semblable,
Que tous les Animaux nous fassent la leçon,
Et que l’Homme, à qui seul Dieu donna la raison,
 Soit souvent le moins raisonnable ?
Mais comme la Paresse agit avec lenteur,
Et ne peut rien finir sans une peine extréme,
Iris, si je traînois ce discours en longueur,
 Vous m’en accuseriez moy-mesme.

COLERE.
6.

Une haine naissante agit moderément,
 L’amour est foible en son entrée,
Et la crainte est petite en son commencement,
Mais la colere est grande aussi-tost qu’elle est née.
Le temps est inutile à son accroissement,
Elle a dans son Berceau la foudre & la tempeste,
Et ce Monstre de bile & de déchaînement
Porte comme un Serpent son poison à la teste.
 Prévenons donc l’occasion
 De cette ardente passion.
 Peut-estre avez-vous oüy dire
 Qu’autrefois un Prince d’Epire,
A qui l’on fit présent de Vases de cristal,
Prévoyant les effets de son couroux brutal,
Si quelqu’un de ses Gens les cassoit par mégarde,
 Prit ces Vases si délicats,
Les trouva merveilleux, en fit beaucoup de cas,
Et voulant se tenir contre luy-mesme en garde,
 Les mit en suite en mille éclats.
 C’est ainsi que nous devons faire
Pour détourner les feux de nos emportemens.
Mais pour vous, douce Iris, vous n’avez pas affaire
 De tous ces beaux enseignemens ;
Car vous n’avez jamais reconnu la Colere
 Que dans les yeux de vos Amans,
 Quand vous leur estes trop severe.

LUXURE.
7.

 Ce qui me reste encore à dire,
 Est obscur pour vous ; mais enfin,
 Belle Iris, vous le pourrez lire
Comme si vous lisiez du Grec, ou du Latin ;
Et puis que vous n’avez aucune connaissance
D’un vice dont l’horreur fait trembler nos Autels,
Ce n’est que pour finir les Sept Pechez mortels
 Que j’ajoûte encor cette Stance.
***
 Rien n’est sans fin, ou sans delais.
Avant que l’on prononce, on surçeoit les Procés,
Un pénible travail se suspend, ou s’acheve,
La haine a bien souvent des relâches secrets,
 La guerre a sa paix & sa tréve,
Mais la lubricité n’a ny tréve, ny paix.
Ce Tyran contre qui l’on ne voit point d’aziles,
 Ce Poison de la Chasteté,
 Cette Idole de volupté
Qui causa le Deluge, & fit bruler cinq Villes,
Si-tost qu’il est entré comme un Séditieux,
 Ou par l’oreille, ou par les yeux,
 Dans les ames les plus tranquilles,
 De ses fleches & de ses traits
Il allume un brazier qui ne s’éteint jamais.
Des autres passions quand on veut se défendre,
On peut les attaquer, & l’on peut les attendre ;
 Mais contre ce vice attrayant,
 Pour remporter quelque avantage,
 Sans le regarder au visage,
 Il faut le combatre en fuyant.
***
Voila de la Luxure une grossiere image ;
Je n’ose, chaste Iris, la finir davantage,
Pour ne me rendre pas pres de vous criminel ;
Car si devant vos yeux j’entreprenois de mettre
Avec des traits plus vifs ce vice sensuel,
En vous le peignant mieux, je craindrois de commettre
 Un huitiéme Peché mortel.

[Histoire veriable arrivé à Rheims] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 68-97.

Vous aurez peut-estre entendu parler de ce qui est arrivé à Rheims depuis peu de temps. L’Avanture est remarquable, & accompagnée de circonstances qui la rendent singuliere. Je les ay apprises de Gens qui ont eu part à toute l’affaire. Voicy ce que c’est. Une Femme d’une assez heureuse physionomie, habillée de noir d’une maniere tres-simple, & ne portant que du Linge uny, choisit sa retraite à Rheims il y a deux ans ou environ. Elle y fut d’abord reçeuë chez un Homme d’une tres-abjecte Profession, qui luy donna une espece de Grenier pour tout logement. Elle luy fit croire qu’elle revenoit d’un Pelerinage de Nostre-Dame de Liesse. Pendant six semaines qu’elle y demeura, elle ne parla qu’à un Inconnu de peu d’apparence qui la vint chercher deux ou trois fois, & qu’elle disoit luy estre envoyé par ceux qui prenoient le soin de ses affaires. Sa vie estoit fort reglée. Elle ne sortoit que pour aller à l’Eglise, où elle se fit bien-tost remarquer, & par la ferveur de ses prieres, & par le long temps qu’elle y employoit. Il luy falloit peu de chose pour sa nourriture, & ce qu’elle avoit apporté d’argent pouvoit aisément fournir à ses besoins. Sa charité pour les Pauvres, jointe au zele ardent qui la faisoit assister à tout le Service de sa Paroisse, ayant attiré les yeux de quelques Devotes, l’une d’entr’elles qui la vit sortir un jour de chez son Hoste, luy demanda si elle logeoit dans cette Maison ; & l’honnesteté avec laquelle elle répondit à cette demande, & à quelques autres, luy faisant juger que c’estoit une Femme de naissance, elle luy offrit ses soins pour la mettre en lieu, où elle seroit avec plus de bienseance. La Dame accepta cette offre, & cinq ou six jours apres, on luy fit donner un Apartement chez une Veuve à Manches étroites, qui la laissa vivre comme elle voulut. Afin de n’incommoder personne dans cette Maison, elle souhaita quelqu’un pour la servir, & la Fille d’un Sergent s’estant présentée entre plusieurs autres, elle la choisit parce qu’elle estoit Devote. Un Ecclésiastique tres-pieux & tres-zelé, à qui la qualité de Directeur donnoit accés chez la Veuve, fit en peu de temps connoissance avec la Dame. Ils eurent ensemble quelques conversations particulieres, dans lesquelles il l’entendit toûjours soûpirer ; & ses manieres honnestes & insinuantes, l’ayant obligé plusieurs fois de l’assurer qu’il se feroit un plaisir sensible de luy pouvoir donner quelque consolation dans des malheurs qu’il croyoit qu’elle cachoit, & dont il n’osoit luy demander l’éclaircissement, elle luy dit enfin un jour qu’elle se sentoit forcée de luy avoüer, que ce luy seroit un fort grand soulagement de confier tout le secret de sa vie, à un Homme d’une probité aussi genéralement connuë que l’estoit la sienne, & qu’aussi-bien elle se trouvoit dans un état où il estoit necessaire qu’une Personne de mérite & de vertu, voulust bien répondre d’elle. La suite de ce Prélude fut, qu’elle estoit Marquise de Chastillon, Niêce de Mr l’Evesque de Geneve, de la Maison de Lusinge, illustre Famille d’Anissy ; qu’ayant de grands Biens, dont une partie luy estoit disputée par des Parens qui avoient fait durer quinze ans un Procés contre son Tuteur, son Mary, Homme tres-intelligent dans les affaires, estoit prest d’obtenir contre eux gain entier de Cause, lors qu’il avoit esté assassiné un soir à Paris ; qu’on ne doutoit point que ceux qui plaidoient contre elle n’eussent fait faire le coup, & qu’elle en estoit d’autant plus persuadée, qu’elle sçavoit de fort bonne part qu’ils avoient aussi dessein de la faire assassiner, parce qu’ils estoient ses Heritiers ; qu’elle s’estoit trouvée grosse de six semaines, & que ses Amis luy ayant tous conseillé d’abandonner une Maison de Campagne où elle avoit toûjours demeuré, & de se tenir cachée, elle avoit choisy la Ville de Rheims pour le lieu de sa retraite, sans qu’elle osast y paroistre en équipage de Veuve, de peur qu’un grand deüil ne la trahist. L’Ecclesiastique entra fortement dans ses intérests. Les larmes dont son recit fut accompagné, avoient fait sur luy une impression tres-favorable, & sa conduite, aussi vertueuse que modeste, estoit un si seûr garand de la verité de ses malheurs, qu’il se fit un vray honneur de ce qu’une Femme de son rang avoit bien voulu luy découvrir ce qu’il luy estoit important de cacher à tout le monde. Comme elle ne pouvoit plus dissimuler sa grossesse, il l’assura que sur ce qu’il en diroit, elle n’avoit rien à craindre de la médisance. En effet il publia aussi-tost par tout, qu’il sçavoit qui elle estoit ; que sa Maison, aussi-bien que celle de son Mary, estoit tres-illustre ; que sa grossesse ne devoit rien faire croire de contraire à sa vertu, & que par plusieurs raisons qu’il ne pouvoit expliquer, elle estoit contrainte de vivre ainsi retirée, sans se faire mieux connoistre. Chacun raisonna sur l’Avanture, mais sans former de soupçons qui fissent tort à la Dame, tant le témoignage de cet Ecclesiastique qui vivoit tres-saintement, estoit d’un grand poids en toutes choses. Il continua ses soins aupres d’elle, & entra si fort dans sa confidence, qu’elle n’eut plus rien de caché pour luy. C’estoit chez luy que toutes les Lettres qu’on luy écrivoit, estoient adressées. Elle les ouvroit en sa présence, & comme elle vouloit toûjours qu’il les lût, il apprenoit par cette lecture que son Procés alloit bien, & qu’on poursuivoit une Provision tres-considérable, pour la faire vivre selon sa naissance. La crainte qu’il eut que l’argent ne luy manquast, l’obligea souvent à la prier de se servir de sa Bource. Il avoit du Bien, & pouvoit la secourir sans s’incommoder, mais toutes ses offres furent longtemps inutiles. Elle luy disoit toûjours, que si quelque chose la faisoit soufrir dans la longueur extraordinaire de son Procés, c’estoit de ne pouvoir assister quantité de Misérables qu’elle connoissoit, mais que Dieu se contentoit du desir quand l’effet ne pouvoit suivre. Là-dessus l’Ecclesiastique ne manquoit jamais de la conjurer d’agir avec luy sans nulle réserve, & il le fit un jour avec tant d’instance, qu’elle consentit enfin qu’il luy avançast ce qu’on luy avoit mandé la derniere fois qu’on luy envoyeroit dans peu de jours. La somme estoit assez forte, & à peine la luy eut-il mise entre les mains, qu’elle en employa une partie à faire des charitez. Elle visita les Hôpitaux, soulagea plusieurs Familles qu’elle sceu estre en necessité, & fit dire un fort grand nombre de Messes dans tous les Convens. Des actions si chrestiennes luy acquirent une tres-grande réputation. Peu de temps apres, l’Ecclesiastique luy apporta une Lettre dans laquelle elle en trouva une autre de Change, de la moitié des la somme qu’il avoit bien voulu luy prester. Elle le pria de la recevoir, en attendant qu’on luy envoyast une seconde Lettre de Change qu’on luy promettoit dans peu. Il témoigna qu’il prenoit pour un outrage cet empressement de s’acquiter avec luy, & l’obligea de garder ce qu’elle vouloit luy rendre. Elle s’en servit à un usage, qui fit grand bruit dans toute la Ville. Cette Fille de Sergent qu’elle avoit prise aupres d’elle, témoignoit toûjours que si elle avoit un peu de fortune, elle ne prendroit jamais d’autre party que celuy de se faire Religieuse. La Dame luy demanda si elle estoit veritablement dans cette pensée, & sur sa réponse elle alla trouver une Supérieure de Convent avec qui elle avoit quelque habitude. Les conditions furent arrestées. La Dame paya comptant une partie du prix dont elles convinrent, & promit de payer l’autre dans le temps de la Profession. Une récompense de cette nature, faite à une Fille qui ne l’avoit servie que quatre ou cinq mois, fut d’un tel mérite aupres des Devots, qu’on les vit tous s’empresser à faire liaison avec la Dame, & plus encore à luy offrir chacun quelque somme, puis qu’elle faisoit un si bon usage de l’argent qu’on luy prestoit. Sur tout un autre Ecclesiastique, Amy du premier, qui l’avoit instruit de ses grands Biens & de sa naissance, l’engagea à disposer d’un petit Trésor qu’il amassoit depuis fort longtemps. Ce qui luy attira cette confiance, outre l’estime qu’on avoit pour sa verte, c’est que l’argent d’une seconde Lettre de Change qu’on luy envoya, fut employé à rendre de petites sommes, qu’elle acquita avec une libéralité admirable, c’est à dire, en forçant les Gens d’accepter presque le double de ce qu’elle avoit reçeu. Ces manieres genereuses ne laisserent plus douter qu’elle ne fust d’une aussi haute naissance que le disoit l’Ecclesiastique. Le Peuple alla mesme jusqu’à croire que c’estoit une Princesse qui se déguisoit, lors qu’estant accouchée d’un Fils, elle fit paroistre ce qu’il devoit estre un jour, par la magnificence de ses Langes. La joye qu’elle eut de ce Fils luy dura peu. Il ne vécut que deux mois, & elle n’épargna rien pour donner de la pompe à ses funérailles. Toute la Ville l’alla consoler sur cette mort, dont elle marqua beaucoup de douleur. Dans ce mesme temps elle se sentit attaquée de fiévre, & en eut quelques accés assez violens. Elle dit que rien ne l’attachant à la vie apres qu’elle avoit perdu son Fils, elle estoit tres-contente de mourir, & vouloit songer à faire son Testament. On fit venir un Notaire qui le dressa dans les formes. L’Ecclesiastique qui avoit sa confidence, & à qui elle laissa cinquante mille livres, en fut fait Executeur. Elle n’oublia aucun de ceux qui luy avoient presté quelque somme, & ce fut un grand sujet de chagrin pour les Avares qui ne luy avoient offert aucun secours, de n’y avoir point de part. Ses accés diminuerent, & la fievre la quita. Elle se souvint alors qu’elle n’avoit rien donné dans son Testament à son premier Hoste. Il avoit un Fils qui avoit étudié ; & pour reconnoistre les soins qu’on avoit eus d’elle dans cette Maison, elle pria l’Ecclesiastique de vouloir bien se défaire en sa faveur d’une Chapelle qu’il avoit, de quatre cens livres de revenu. Il le fit avec plaisir, croyant ne pouvoir jamais assez bien répondre aux extrémes obligations qu’il avoit à cette Dame. Si-tost qu’elle fut guérie, elle envoya pour Présent quatre Chandeliers, & un Saint d’argent à sa Paroisse, & fit faire en mesme temps pour deux mille livres de Vaisselle, que l’Orfévre luy livra, sans se mettre en peine du payement. Comme sa santé ne paroissoit pas encore entierement rétablie, on luy conseilla de prendre l’air, & un des Principaux de la Ville se priva pour elle d’une Maison de Plaisance, qui n’estoit éloignée de Rheims que d’une lieuë ; & qu’il luy laissa toute meublée. Elle acheta des Chevaux & un Carrosse, & alla souvent s’y promener. Cette dépense que sa qualité autorisoit, n’empéchoit point qu’elle ne prist toûjours soin des Pauvres, & qu’en toute occasion elle n’exerçast sa charité. Toutes les Lettres qu’elle recevoit, marquoient qu’elle devoit estre jugée au plûtost, que le gain de son Procés estoit infaillible, & qu’elle se verroit dans peu en possession de plus de trente mille livres de rente. Ces nouvelles estoient répanduës par l’Ecclesiastique, en qui chacun avoit beaucoup de croyance, & cela estoit cause que la plûpart des Bourgeois luy apportoient de l’argent en foule, dans l’espérance de le retirer avec un profit considérable. Elle reçeut de si fréquentes visites dans sa Maison de plaisance, qu’elle résolut d’y donner un grand Repas à tout ce qu’il y avoit de distingué dans la Ville ; & comme dans un Festin de cette importance, on a besoin de beaucoup de choses, elle emprunta de la Vaisselle d’argent à divers Particuliers, qui furent ravis de la luy prester. Malheureusement pour elle, un petit Homme mutin, à qui elle devoit quelque somme ; ne fut point des Conviez. Il prit cet oubly pour un outrage, & un jour avant celuy de la Feste, il alla luy dire qu’il avoit besoin de son argent. Elle venoit de donner une grosse somme à cet Inconnu qu’elle voyoit quelquefois, & qu’elle disoit estre son Solliciteur d’affaires. On le chercha où il avoit accoûtumé de loger ; il estoit déja party. Ce transport d’argent donna du soupçon. Le Creancier qui avoit commencé à faire du bruit, le redoubla, & ne voulant accepter aucune des Cautions qu’elle offrit de luy donner, & qui n’estoient que de Parens de ses Domestiques, il mit Garnison dans ses deux Maisons. L’Ecclésiastique estoit absent, & il n’y eut pas moyen de remedier à ce désordre. Chacun demanda ce qu’il avoit presté de Vaisselle. Une partie estoit déja enlevée, parce qu’elle en avoit emprunté beaucoup plus qu’il n’en falloit, & qu’apparemment elle n’avoit pas envie de la rendre. On luy demanda raison de cette Vaisselle. Elle répondit pour toute chose, qu’il falloit qu’on l’eust volée, & l’embarras où elle parut donnant de forts indices contre elle, tous ses Creanciers s’unirent, & demanderent à estre payez. Il se trouva que les sommes empruntées montoient à vingt-mille Ecus. On la garda chez elle pendant quatre jours, & enfin sur le refus qu’elle fit de donner des preuves de ce qu’elle estoit, elle fut menée en prison à la requeste de Mr le Procureur du Roy. Je ne vous puis dire ce qui se passa dans les Procédures, je sçay seulement qu’on découvrit qu’elle donnoit son argent à cet Inconnu qui la venoit voir, qu’il le faisoit tenir à Paris, & que de ce mesme argent on luy envoyoit les Lettres de Change qu’elle recevoit de temps en temps. Ses tours d’adresse ayant esté avérez, le Présidial donna Sentence le 12. du dernier mois, par laquelle elle fut condamnée au Foüet & à la Fleur-de-Lys, ce qui fut executé le mesme jour, au grand étonnement de toute la Ville, qui estoit fort prévenuë en faveur de cette Femme.

Imitation du Dialogue d’Horace §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 97-99.

Comme la derniere Imitation que je vous ay envoyée de la 9. Ode du 3. Livre d’Horace vous a extrémement plû, je vous en envoye encore deux autres. C’est dans ces sortes d’Ouvrages, qui demandent peu de Vers, qu’on est bien aise de voir la diversité des génies, par le tour diférent dont chacun se sert.

IMITATION
DU DIALOGUE
D’HORACE,
Donec gratus eram tibi.
Par Mr Levallon du Havre.

TIRSIS.

Lors que je régnois dans ton cœur,
Qu’aux autres tu faisois la guerre,
Le sort des Maistres de la Terre
N’approchoit pas de mon bonheur.

IRIS.

Lors que d’une ardeur sans seconde
Tu me préferois à Cloris,
Le sort des plus Belles du monde
N’égaloit pas celuy d’Iris.

TIRSIS.

Oüy, Cloris me tient dans sa chaîne,
Elle fait mes maux & mes biens,
Et j’abandonnerois sans peine
Mes jours, pour conserver les siens.

IRIS.

Philene a mon ame ravie,
C’est luy seul qui me fait souffrir ;
Et pour sauver sa belle vie,
Je voudrois mille fois mourir.

TIRSIS.

Mais si ma renaissante flâme
Oublioit Cloris en ce jour,
Pour te rendre toute mon ame
Avec un eternel amour ?

IRIS.

Philene est plus beau que l’Aurore,
Tu n’as point d’ardeur, ny de foy ;
Je choisirois pourtant encore
De vivre & mourir avec toy.

Autre imitation du mesme Dialogue §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 100-102.

AUTRE IMITATION
DU MESME DIALOGUE,
Par Mr de Losme.

MIRTIL.

Quand je plaisois à tes yeux,
J’avois l’ame si ravie,
Que le sort des plus grands Dieux
Ne m’auroit point fait d’envie.

CLORIS.

Quand ton cœur plein de tendresse
Ne respiroit que ma Loy,
Estoit-il une Déesse
Aussi contente que moy ?

MIRTIL.

Une nouvelle Bergere
Est maîtresse de mon cœur.

CLORIS.

Un Berger tendre & sincere
Fait aujourd’huy mon bonheur.

MIRTIL.

Daphné qu’on trouve si belle,
M’est plus chere que mes yeux.
Ah ! si je mourois pour elle,
Que je mourrois glorieux !

CLORIS.

Tircis, ce Berger charmant,
Flate luy seul mon envie.
Ah ! pour un si cher Amant
Je perdrois cent fois la vie.

MIRTIL.

Mais de ma premiere ardeur
Si quelque nouvelle trace,
Chassant Daphné de mon cœur,
Te remettoit en sa place ?

CLORIS.

Bien que tu sois un volage,
Que Tircis garde sa foy,
De tout mon cœur je m’engage
A vivre & mourir pour toy.

Imitation de la 72. Epigramme du 8. Livre de Martial §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 102-103.

Ce qui suit est du mesme Mr de Losme.

IMITATION.
DE LA 72. EPIGRAMME
du 8. Livre de Martial.
AVIS AUX AUTHEURS.

Autheurs, qui ne cherchez qu’à plaire,
Sçavez-vous bien ce qu’il faut faire ?
Aimez, & qu’en tous vos Ecrits
L’amour anime vos esprits.
C’est le moyen d’estre agreables,
C’est l’amour qui vous rend aimables,
L’amour est l’ame des beaux Vers,
L’amour plaist à tout l’Univers,
Sans luy le délicat Tibulle
Auroit passé pour ridicule,
Sans luy Catulle si vanté
N’eut pas eu la moindre beauté.
Properce, & le charmant Ovide,
N’auroient qu’une veine insipide,
Si l’amour à tous leurs Ecrits
Ne donnoit le lustre, & le prix.
Vous donc, Nourissons du Permesse,
Qui cherchez la délicatesse,
Vous la trouverez dans l’amour,
C’est là qu’elle fait son sejour.
Pour moy qui tranche icy du Maistre,
Quoy que ne faisant que de naistre,
Et qui veux donner des avis,
Que je n’ay pas encor suivis,
Si j’atteins la belle Jeunesse,
Je m’abandonne à la tendresse ;
Heureux, si dans chaque sujet
L’amour peut-estre mon objet.

[Mort de M. Pageau] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 127-135.

Le Barreau a perdu beaucoup dans le mesme temps en perdant Mr Pageau, celébre Avocat. La mort nous l’a enlevé dans un âge, qui estoit encore peu avancé. Je ne puis vous le faire mieux connoistre, que par la peinture qui a esté faite de luy dans un Manuscrit qui a couru depuis quelques années, & qui a pour Titre, Portraits des Avocats. Voicy en quels termes on en parle. Mr Pageau a une éloquence naturelle, qui plaist d’autant plus qu’il y a moins d’art, une facilité d’esprit merveilleuse pour tourner bien un Fait, & une heureuse abondance de paroles & de raisons, dont la douceur & la force charment & enlevent l’Auditeur. Son discours est net, fluïde, & insinuant. Il emprunte peu d’ornemens des Autheurs anciens ; tout paroist de son fond ; & s’il se sert quelquefois des pensées des autres, il sçait si bien se les approprier, qu’on ne les reconnoist plus. Il évite avec soin ces façons de parler fastueuses & empoulées, ces ornemens recherchez, dont quelques-uns tâchent d’ébloüir les Ignorans. C’est de là que des Gens de mauvais goust ; & qui n’aiment que les excès, & les emportemens d’une imagination déreglée, ont pris sujet de dire que ses Plaidoyers n’avoient pas assez de sel, & rampoient quelquefois ; mais je croy que c’est faute de connoistre les veritables beautez d’une Piece d’éloquence. S’il paroist vuide & rampant, c’est qu’il est égal dans son stile, modeste dans ses figures, juste dans ses pensées, évitant également la bassesse des uns, & le faux brillant des autres. Ainsi il doit estre regardé comme un Fleuve tranquille, qui se renferme dans le lit qu’il s’est formé, & qui roulant doucement ses eaux, porte la fécondité dans les Campagnes voisines, & réjoüit les Habitans qui sont sur ses bords. Il s’insinuë dans les esprits par la douceur de son stile, les charme par la netteté de son raisonnement, & divertit les Juges en les enseignant. Toûjours égal à luy-mesme, il se renferme dans les bornes de la droite raison ; il s’éleve sans emportement, & s’abbaisse sans rien perdre de sa dignité. Cette grande uniformité de stile n’empesche pas qu’il ne soit pathétique. Il sçait émouvoir les passions à propos, & se rend maistre des affections, d’autant plus que son artifice est caché, & qu’on est moins préparé à s’en défendre. On peut ajoûter à cela une prononciation agreable, un geste libre, naturel, engageant, qui prévient les Auditeurs en sa faveur, avant qu’il ait ouvert la bouche pour parler. S’il a les qualitez propres pour le Barreau, il a encore celles qui sont necessaires pour la societé civile. Il est honneste, obligeant, facile, enjoüé au milieu de ses plus grandes affaires, galant avec les Femmes, agreable avec ses Amis. Il aime la joye & le plaisir, y donnant tout le temps qu’il peut dérober à ses occupations, & y contribuant plus qu’aucun autre. Il est tel enfin, qu’on peut l’imiter & dans sa vie privée, & dans ses actions publiques ; plus heureux, & plus grand peut-estre par ses vertus domestiques, que par la gloire qu’il s’est acquise dans le Barreau. Voila de grandes loüanges, mais qui ne sont point au dessus du merite, que tout le monde reconnoissoit en Mr Pageau. On peut dire encore de luy qu’il estoit ennemy de la Satire, & que la veuë d’aucun intérest ne l’a jamais fait engager mal-à-propos ses Parties à soûtenir un Procés. Mr le Premier Président luy a rendu un témoignage fort glorieux, qui est, qu’il l’avoit souvent éprouvé, & qu’il n’avoit jamais rien cité dont il n’eust les Pieces. Il est mort d’un abcés, qui l’a fait languir quelque temps.

Je vous envoye une Fable toute allégorique, c’est à dire qu’elle a un entier rapport à une avanture veritable, & que les Oiseaux qui y paroissent, ont leur caractere naturel, & celuy des Personnes qu’ils représentent. C’est un Ouvrage de Mr Richebourg, Avocat au Parlement de Toulouse, dont vous en avez déja veu quelques-uns que vous avez fort estimez. Il est surprenant qu’un Homme qui depuis vingt ans, donne tous ses soins & toute son application aux affaires du Barreau, ait conservé le tour facile de Vers que vous trouverez dans cette Piece.

Le Cygne mourant. Fable §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 136-148.

LE CYGNE
MOURANT.
FABLE.

Si la Mere d’Amour met à son Char des Cygnes,
 Ce n’est pas tant pour leur blancheur,
Que parce que, sçachant le secret de leur cœur,
Par leur tendresse elle les en voit dignes ;
Rien n’est égal aux feux de ces Oyseaux,
 Ce sont des Brûlots sur les eaux.
Que s’ils chantent mourans, mieux qu’à leur ordinaire ;
S’ils poussent ces doux cris de leur cœur enflâmé,
C’est qu’ils font, en perdant l’Objet qu’ils ont aimé,
 Leur dernier effort pour luy plaire.
***
 Un grand Cygne doux & galant,
Voulant s’aparier, cherchoit une Femelle ;
 Il en vit une jeune & belle,
Qui de se faire aimer avoit l’heureux talent ;
 Saisy d’abord d’un amour violent,
 Il fend les eaux, & court vers elle.
 Elle luy fit un accueil gracieux ;
 Autant qu’il pût lire en ses yeux,
 Il luy voyoit un esprit assez souple,
Et, sans aller plus loin, il eust trouvé son Couple,
  Et fait créver les Envieux.
 Mais par malheur quelques maudites Oyes,
Pour rompre ces beaux nœuds, chercherent mille voyes ;
Elles luy vouloient mal, parce que cet Amant,
Méprisoit leur cancan, & leurs sotes risées.
 Cette Belle assez prudemment,
D’ailleurs se défioit de ces Vieilles rusées,
Ayant connu qu’aux champs, ce que touche leur bec,
 Ne croist jamais, & devient sec.
Ces Friponnes alors prenant leur avantage,
Pour donner bonne issuë à leur complot malin,
Firent qu’une jeune Oye, à peu pres de mesme âge,
 Sa grande Amie, & de mesme plumage,
Qu’on ne soupçonnoit pas d’avoir tant de venin,
 Prit intérest à rompre la partie.
 Cette jeune Oye instruite, & pervertie,
 En caquetant, l’aborda donc un jour,
 Qu’elle estoit fort incommodée.
(C’est en ce temps qu’on a moins de goust pour l’amour.)
Vrayment, dit-elle, il fait beau voir une Accordée
 Languir ainsi, pendant que les plaisirs
 Vont couronner ses amoureux-desirs.
Moy ? je ne le suis pas, dit la Belle, interdite.
 Hé bien donc je te félicite
D’avoir fait un Galant, & trouvé ton égal ;
Il est honneste, & ne chante pas mal ;
Mais on dit que sa voix a quelque chose d’aigre ;
Et puis, si tu sçavois, helas, il est si maigre,
  Que les os luy percent la peau.
  Il n’est pas de nostre volée.
 Je te le dis, (& n’en sois point troublée)
  Il est grand, mais il n’est pas beau.
Je t’aime, tu le sçais ; tout le monde s’étonne
 Qu’une Beauté si jeune, & si mignonne,
Borne tous ses appas à de si foibles feux ;
Les Cygnes de Vénus te croiroient dignes d’eux.
Ne te repais donc pas de sa flâme importune ;
Espere plus de ta bonne fortune,
Tu ne peux trouver moins, & tu peux trouver mieux.
***
  Enfin cette Amie infidelle,
L’accompagnant par tout, luy fit cent faux raports ;
 De vingt Galans luy contant les transports,
 Elle juroit, que tous mouroient pour elle,
 Et que plusieurs en estoient déja morts.
Cette Simple la crût. Voicy le plus grand signe
  De sa froideur pour son Amant ;
Trois fois elle évita l’entretien de ce Cygne,
Qui luy venoit parler de son tourment.
Comme jamais Oyseau n’eut une ame si tendre,
Il ne pût, sans mourir, suporter ce mépris.
Ce Cygne sentant donc que son cœur s’alloit fendre,
Pour mieux chanter sa mort, recueillit ses esprits ;
Les Echos l’entendoient répondant à ses cris,
  L’Ingrate le pût bien entendre.
Adieu Prez, cria-t-il, adieu charmant sejour,
 Adieu Ruisseaux, adieu claire Fontaine,
Vous estiez autrefois témoins de mon amour,
 Soyez témoins de ma derniere peine.
D’autres, pour se vanger d’une ingrate Beauté,
 Auroient brûlé d’une flâme nouvelle ;
 Mais je laisse à cette Cruelle
 La honte de sa dureté,
Et j’emporte, en mourant, l’honneur d’estre fidelle.
Amour, injuste Amour, si tu sçavois régner,
 Quand tu mets ton feu dans une ame,
 Soufrirois-tu qu’on l’osast dédaigner,
Et qu’on ne brulast pas d’une pareille flâme ?
J’ay beau me plaindre, helas ! tu te plais, Inhumain,
A joüir de mes maux, quand je te rens les armes.
 Hé bien, soûle-toy de mes larmes ;
 Mais puis que l’on te prie en vain,
 Roy de nos Eaux, Dieu de la Seine,
  C’est à vous seul que j’ay recours ;
Bien loin dans l’Océan vous distinguez son cours ;
Du renom de ses flots toute la Terre est pleine.
Si les Fleuves voisins trembloient tout étonnez,
Y voyant pulluler des Dauphins couronnez,
 De sa grandeur ils craignoient le présage.
Elle a rendu jaloux la Tamise, & le Tage.
  Combien ce Siecle est-il heureux,
  Où vos soins, vos bienfaits insignes,
Ont daigné transformer ses Grénoüilles en Cygnes,
Qui poussent librement leurs soûpirs amoureux !
Vous donc, qui pour combler vos faveurs immortelles,
Avez fait des Edits pour nostre seûreté ;
Vous qui donnez des prix à la fécondité,
Etablissez des Loix pour punir les Cruelles.
Faites que mon trépas soit le dernier effet
 D’une vangeance illégitime ;
 Que ma mort soit le dernier crime
 Qu’en amour la Discorde ait fait.
Mânes, que dans les lieux de repos, ou de crainte,
 Pluton retient sous son pouvoir,
  Si sur le Fleuve noir
L’on voit nostre candeur, écoutez-y ma plainte.
Que mon Ombre y déplore une si dure Loy ;
Lors que cette Crédule y sera pres de moy,
  Qu’en reproches ma voix éclate ;
  Mais non, qu’elle vive, l’Ingrate ;
 Je n’auray plus un sort si rigoureux,
J’y chanteray pour lors parmy les Bienheureux.
  Mais helas ! mon ame se flate,
Où trouver du repos quand on est amoureux ?
 Que nous sert-il, Vénus, Mere des Charmes,
De traîner avec vous les Jeux, & les Amours,
 Si vous nous laissez sans secours,
 Troublez d’amoureuses alarmes ?
Recevez mon esprit, considérez mes pleurs ;
 Et toy Cruelle, adieu, je meurs.
***
Vénus, du Ciel vit ce triste spéctacle,
  Elle eut pitié de cet Amant,
  Et sans diférer un moment,
  Elle prononça cet Oracle.
Malheur à ces Oyseaux qui troublent nostre Cour,
Se meslant de broüiller dans l’Empire d’Amour.
Ces Friponnes verront bientost finir leur joye,
Les Cygnes chanteront en toutes les saisons,
 Lors que des Loups elles seront la proye ;
La crédule Beauté, pour avoir crû cette Oye,
Ne trouvera jamais d’Amans, que des Oysons ;
 Et toy, qui meurs d’une mort avancée,
  Pour estre trop fidelle Amant,
Tu vivras. O Mercure, allez incessamment ;
 Touchez ce Mort de vostre Caducée,
Je veux que cet Oyseau vive eternellement.
***
 Le bruit court, aimable Sylvie,
 Qu’un de vos Amans perd la vie,
Et que c’est un effet de vostre cruauté.
Si vous avez l’humeur trop inhumaine,
 Et la mesme crédulité,
 Appréhendez la mesme peine.

[Serénade donnée à Madame de Thiange] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 152-160.

Je manquerois à la promesse que je vous ay faite de vous parler de tout ce qui mérite d'estre sçeu, si je ne vous disois rien d'une Serénade qui fut donnée à Madame de Thiange, le 9. de ce mois sur les dix heures du soir. Elle fut chantée à un Dessus & à une Basse, & ne surprit pas moins par sa nouveauté, que par la beauté de sa simphonie. Le nom de Mr Laurenzani, qui la donnoit, y attira une grande quantité de Personnes de toutes Nations, qui s'en retournerent avec l'admiration que l'on a toûjours pour les Ouvrages de ce merveilleux Romain. Madame de Thiange n'eut pas moins de plaisir que celles qui en reçeurent le plus. Elle aime la Musique, comme elle fait toutes les belles choses, & elle s'y connoist parfaitement. Ainsi, les beautez, ny les défauts, ne luy échapent jamais. Cette Serénade la toucha extrémement, aussi-bien que Mesdemoiselles de la Rochefoucaut, qui estoient alors avec elle. Vous sçavez, Madame, que ces Illustres Personnes ont toutes les qualitez qui peuvent rendre une grande naissance recommandable. Mr l'Abbé de Marsillac leur Frere estoit de la compagnie. Son mérite vous est connu. Vous n’ignorez pas qu’il n’y a personne au dessus de luy pour tout ce qui regarde l’esprit, & qu’avec une grande solidité, il a tous les agrémens qu’on peut souhaiter. Il joint à cela une probité si scrupuleuse, qu’on peut dire sans le flater, que c’est un des plus parfaitement honnestes Hommes du Royaume. Les Paroles sur lesquelles Mr Laurenzani avoit composé la Musique, estoient de cette incomparable Romaine Donna Anna Carouso, dont je vous ay si souvent entretenuë. Cette Dame, apres s'estre fait admirer de tous ceux qui l'ont connüe en France, est retournée en Italie, où j'apprens qu'on l'a reçeuë avec la mesme joye qu'on reçoit d'ordinaire les biens dont on a esté privé longtemps, & qu'on desire toûjours avec passion. Ces paroles sont agreables, pleines de bon sens, & marquent beaucoup de délicatesse d'esprit ; mais j'entens dire qu'elle a fait d'autres Ouvrages, qui luy ont acquis une estime generale dans les plus celébres Académies d'Italie. Vous jugerez de ce qu'elle est capable de faire, par les Vers qui furent chantez d'elle dans la Sérenade dont je vous parle. Les voicy.

SERENATA.
Cantata a Soprano & Basso.

TIRSI, SILVIO.

TIR. Quanto é dolce il languire
 Per due vaghe pupille !
 Son care le faville,
 E' soave il morire.
 Ah, che dentro il mio seno
 Ebbro di sue dolcezze il cor vien meno
 Aventurosa sorte ?
SIL. Misero, tu deliri in preda à morte.
TIR. E qual strano desio,
 Con sollecite cure,
 Ti muove à presagir le mie sventure ?
SIL. Fuggi, fuggi, infelice,
 Del faretrato Nume
 Il barbaro costume ;
 Son finte le gioie,
 Veraci gl'affanni.
TIR. Troppo in vero t'inganni,
 Solo chi segue amor, speri gioire,
 Che dentro l'impero
 Del picciolo Arciero
 Non alberga dolor, non v'é martire,
 Solo chi segue amor, speri gioire.
SIL. Ah che ben io m'aveggio,
 Che dal letargo oppresso
 De' tuoi sensi rubelli,
 Frenetico d'amor cosi favelli !
TIR. Graditi contenti
SIL. Spietati tormenti
TIR. Mi stilla Nel cuore
SIL. Ti stilla Nel cuore
à 2. Il Nume Bambin.
SIL. Paventa il rigore
TIR. Non temo il rigore
à 2. Di fiero destin.
SIL. Carico di catene
 Oggetto a mille pene,
 Vive sempre chi segue il Dio di Gnido ;
 Nulla giova esser fido,
 Nulla giova adorar fermo é costante,
 Poi che sol per penar nasce un Amante.
 Nauffrangante, e quasi assorto,
 Fra procelle disperate
 Il tuo cuor languendo stá.
 Vieni, vieni al dolce porto,
 Fuggi l'onde dispietate,
 Torna, torna in libertá.
TIR. Ah, che pur troppo é vero !
 Ben giusto é il tuo pensiero.
 Degl'amorosi affetti
 Scuoto il giogo tiranno,
 E scorgo che i diletti
 Altro non son che mascherato inganno.
à 2. Sú sú donque agoder la libertá ;
  Sciolgasi,
  Frangasi
 Il crudo laccio diservitú.
SIL. Non ti lusinghi
TIR. Non mi lusinga Più
à 2. Il fallace balen d'una beltá.
 Sú sú donque a goder la libertá.

Sonnet sur l’Arc-en-Ciel §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 167-169.

Mr Vignier de Richelieu a fait deux Sonnets sur l’Arc-en-Ciel, qui estoit le Mot que l’on avoit proposé la derniere fois pour cette sorte d’Ouvrage. Je vous les envoye. Un Paon étalant sa queuë, pourroit donner lieu à d’agreables pensées. On seroit bien aise de voir des Sonnets sur ce sujet.

SONNET
SUR L’ARC-EN CIEL.

Quand Dieu noya le Monde, ingrat à ses biens-faits,
Sa Bonté toûjours preste envers la Creature,
Luy donna l’Arc-en-Ciel, pour signe de la Paix,
Qu’il vouloit accorder à toute la Nature.
***
LOUIS, qui des Mortels, fait mieux voir sa figure,
Ce Monarque brillant de tant d’illustres Faits,
Bien loin de conserver dans son cœur une injure,
Se rend le Protecteur de ceux qu’il a défaits.
***
De cet Arc merveilleux s’apliquant la Nuance,
Le Bleu, montre sa Foy ; le Verd, son Espérance ;
Le Feu, la Charité qui regne dans son Cœur.
***
Princes, vous le sçavez par vostre expérience,
Que de vos Ennemis il est toûjours vainqueur,
Quand les Lys arborez font voir son alliance.

Sur le mesme sujet §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 169-171.

SUR LE MESME SUJET.

L’Iris, dont on ne peut imiter la Nüance,
Qui se fait admirer dans son immensité,
N’est plus à nostre égard un Signe de vengeance,
C’est un Signe d’amour, & de benignité.
***
Environnant le Ciel avec magnificence,
Son tour est éclatant, & plein de majesté ;
Dieu l’étend de sa Main pour montrer l’Alliance
Qu’il veut entretenir avec l’Humanité.
***
Il l’appella son Arc, comme un illustre Ouvrage,
Qui sçait de sa Beauté représenter l’image,
Et qui sera son Trône au jour du Jugement.
***
Il le forma sans Fleche afin de nous instruire,
Qu’il veut épouvanter les Mortels seulement,
Mais que sa Charité ne veut pas les détruire.

[Mort de M. de Mezéray] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 176-177.

Vous apprendrez avec déplaisir la mort d’un de nos Illustres. Mr de Mezéray, Historiographe de France, & Secretaire perpétuel de l’Académie Françoise, apres avoir eu longtemps une santé fort douteuse, a laissé enfin une Place vacante dans cette celébre Compagnie. Il estoit d’un âge fort avancé ; mais quoy qu’indisposé depuis plusieurs années, il ne l’estoit pas plus qu’à l’ordinaire le jour qu’il mourut. Il entretint le matin plusieurs de ses Amis qui estoient venus le voir, & leur dit qu’il espéroit les aller remercier dans peu. L’apresdînée, la Goute luy remonta, & il ne vécut plus que trois ou quatre heures. La perte qu’on fait en luy est d’autant plus grande, qu’il avoit entrepris de revoir les trois Volumes infolio de l’Histoire de France qu’il a donnez au Public. Il n’avoit encore achevé que le premier. Son Abregé de la mesme Histoire, est entre les mains de tout le monde, & dit plus que je ne pourrois dire de son esprit.

A Mademoiselle de Scudery, sur l’Audience que le Roy luy a donnée §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 198-202.

Apres que le Roy eut donné à Mademoiselle de Scudéry, la Pension dont je vous parlay il y a deux mois, elle alla luy en faire ses remercîmens. Sa Majesté l’écouta, & l’entretint avec cet air affable qui luy est si ordinaire, & qu’Elle accorde si bien avec sa grandeur. C’est ce qu’on appelle Audience, & surquoy les Vers que vous allez lire ont esté faits. Ils sont de Madame de Plabuisson, qui ayant une estime tres-particuliere pour cette Illustre Sapho de nostre Siecle, luy en a voulu donner des marques par ce galant & ingénieux Ouvrage.

A MADEMOISELLE
DE SCUDERY,
Sur l’Audience que le Roy
luy a donnée.

Le Dieu, de qui l’éclat embellit tout le monde,
Un jour estant sorty du vaste sein de l’onde,
  Brillant de mille feux,
Abandonne son Char, & descend au Parnasse.
Muses, leur dit le Dieu, déguisez-moy de grace,
Ostez-moy ces rayons, brunissez mes cheveux,
Je veux tromper Sapho, cette admirable Fille.
Une Muse aussitost, & l’ajuste, & l’habille ;
Mais cet air tout divin, ces graces, ces apas,
Quoy que bien déguisé, ne le quitterent pas.
Alors dans un Palais, brillant & magnifique,
Apollon en secret, d’un air doux & charmant,
  Mais pourtant héroïque,
De l’illustre Sapho reçeut le compliment.
Quelle fut de son cœur l’agreable surprise !
Le plus puissant des Dieux, pour la voir, se déguise ;
Il pût tromper ses yeux, mais jamais son esprit
  Ne s’y méprit ;
D’un plaisir inconnu le charme inexplicable,
La fit se récrier, Mortels audacieux,
Malheur à vos apas ; quand on a veu les Dieux,
  On ne trouve plus rien d’aimable.

[Voyage du Roy] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 230, 232-233, 255-259.

Pendant le sejour de Leurs Majestez à Besançon, toutes les Ruës furent illuminées, de mesme que le jour de leur arrivée, & l'on connut aisément que toutes ces démonstrations extraordinaires de joye estoient des effets de l'amour, dont les cœurs des Habitans estoient penétrez pour le Roy. [...]

On celébra une Messe solemnelle pour Sa Majesté apres son départ, dans l'Eglise de l'Hôpital du S. Esprit, où la Noblesse, & tous les Corps de Ville, furent invitez. L'ouverture s'en fit par un Exaudiat en Musique, & un Discours à la loüange de ce Prince, prononcé par un Prestre de la Maison, Docteur de Paris. Mr Beuque, Commandeur de l'Hôpital, fit l'Office ; & quoy qu'il y eust grande Simphonie, le Corps de Musique de l'Eglise Métropolitaine ne laissa de se distinguer. Le Commandeur que je viens de vous nommer, voulut donner par-là une marque publique de sa gratitude, pour l’Aumône que le Roy avoir faite à l’Hôpital le jour qu’il partit de Besançon. [...]

Le 4. Monseigneur le Dauphin se rendit dés le matin au Camp [où étaient cantonnés les Régiments de l'Armée du Roi], & donna les ordres necessaires pour l'attaque d'un Fort, qui estoit sur une hauteur voisine. Ce Prince fit ensuite l'honneur à Mr le Duc de Villeroy, d'aller dîner chez luy. Une Grange fort spatieuse luy servoit de Logement. Elle estoit ouverte par le milieu, & l’on voyoit plusieurs Pieces à droit & à gauche. La Chambre de parade de ce Duc estoit parquetée, & il y avoit un grand Lit d’Ange fort magnifique, avec quantité de Tableaux de prix. On joüa dans cette Chambre avant qu’on se mist à table. A costé, il y en avoit une petite, dans laquelle Mr le Duc de Villeroy couchoit. Vis-à-vis de la grande Chambre, estoit la Salle où l’on devoit manger. On avoit dressé la Table sur une tres-grande Estrade, avec un Dais au dessus qui la couvroit toute. Le Buffet estoit sous une Feuïllée, placée dans l’enfoncement. Tout ce qui faisoit l’ornement de ce Buffet, estoit de Vermeil doré, & l’on ne servit à table aucune Vaisselle blanche. Ceux qui mangerent avec Monseigneur le Dauphin, furent Mr le Comte de Vermandois, Mr le Duc du Maine, Mr le Maréchal Duc de Vivonne, Mr de Sainte Maure, Mr le Marquis d’Effiat, & plusieurs autres. Mr le Duc de Villeroy vouloit servir Monseigneur le Dauphin ; mais ce Prince luy commanda si absolument de se mettre à table, qu’il ne put se défendre d’obeïr. On bût d’abord de tres-excellent Vin de Champagne ; on passa ensuite au Vin de Moselle, avec lequel plusieurs Santez furent beuës. Les Violons se firent entendre au commencement de ce Repas ; les Hautbois des Dragons joüerent ensuite ; les Tambours prirent leur place peu de temps apres, & l'on commença la Santé du Roy debout & découvert.

[Sonnet]* §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 284-286.

Je ne puis finir sans vous faire part d’une Devise que Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mâcon, a faite sur ce Voyage. Elle a pour corps, le Soleil au Signe du Lion dardant ses rayons sur une Troupe de Lions assemblez dans une Plaine, & pour ame ces paroles, Tanto sub sydere fortes. Il l’a expliquée par ce Sonnet.

Dans les arides Champs de l’Afrique brûlante,
Les Lions, au sortir de leurs Antres affreux,
Reçoivent du Soleil cette influence ardente,
Qui les rend si vaillans, si forts, si genéreux.
***
De leur noble couroux l’ardeur impatiente
Redouble chaque jour sous cet aspect heureux ;
Aux plus fiers Animaux ils donnent l’épouvante,
Tout tremble, tout frémit, rien ne tient devant eux.
***
Ainsi lors que LOUIS visite ses Armées,
A la voix du Héros les Troupes animées,
D’un air grand & vainqueur suivent ses Etendarts ;
***
Et l’ame d’un transport de courage occupée,
Le Soldat honoré d’un seul de ses regards,
Ne voit plus que Victoire au bout de son Epée.

[Magrigal à M.le Marquis du Quesne] §

Mercure galant, juillet 1683 [tome 7], p. 355-356

C’est ce qui a donné occasion de faire ce Madrigal à Mr de S. Autheur du Sonnet, que je vous ay déja envoyé sur le Mariage de Mr le Marquis du Quesne, le Fils.

A MONSIEUR
LE MARQUIS
DU QUESNE.

Quoy, malgré les efforts d’un Barbare indompté,
Délivrer nos François d’un cruel esclavage,
 Et par l’effet d’un grand courage
Leur faire dans Alger trouver la liberté ;
 C’est ce qu’on auroit peine à croire,
Si l’on ne sçavoit pas, que toûjours la Victoire
 Accompagne dans vos Exploits
Les Armes du plus juste & du plus grand des Rois.