1683

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1683 [tome 14].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14]. §

Pour le Roy. Sonnet §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 3-4.

POUR LE ROY.
Sonnet.

Soûtenir sans orgueil l’éclat du Diadéme,
Voir couler dans son Sang l’auguste Sang des Dieux,
Unir à la Valeur une sagesse extréme,
Vaincre ses passions, surpasser ses Ayeux ;
***
Rendre soûmise aux Loix la Dignité supréme,
Protéger les Autels, attendre tout des Cieux,
Mépriser les Flateurs, se connoistre soy mesme,
Fixer par sa vertu le sort capricieux ;
***
Ménager les Vaincus, retenir sa victoire,
Renoncer à ses droits, donner tout à la gloire,
Et s’immortaliser par des Faits inoüis ;
***
Quel Modele avons-nous d’une si belle vie ?
Demandez à l’Europe, à l’Afrique, à l’Asie ;
L’Univers étonné, répondra, c’est LOUIS.

Ce Sonnet est de Mr le Baron des Coustures ; & les Vers qui suivent sont de Mr Diéreville du Pontlevesque.

Sur la prise de Courtray, & de Dixmude §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 5-6.

Sur la prise
DE COURTRAY,
et de Dixmude.

 Vous gagnez bien, fiers Ennemis,
 A résister au Grand LOUIS.
 Pour des Chasteaux, il prend des Villes.
Dans le mestier de Mars vous n’estes plus habiles.
Vous devez, pour joüir d’un paisible repos,
 Accorder tout à ce Héros.
Contre un si grand Vainqueur on tâche à se défendre,
 Mais à la fin il faut se rendre.
 Je vous ay bien dit que son Bras
 Vous feroit encor du fracas,
Quand son coup impréveu nous attira des larmes.
 Croyez-moy, mettez bas les armes,
 Ou bien craignez tout aujourd’huy
D’un Roy qui voit Thémis & Bellone pour luy.

Aux Nereydes, sur la mort de Monsieur le Grand Admiral §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 6-8.

Voicy d’autres Vers du mesme Autheur, sur la mort de Mr le Comte de Vermandois. Le Madrigal qui les suit, est de Mr Pellerin de Breto.

AUX NEREYDES,
Sur la mort de Monsieur le
Grand Admiral.

 Pleurez, pleurez, Nymphes des Eaux,
Une trop grande ardeur de vivre sur la Terre
 Vous a ravy vostre Héros.
Vous ne le verrez point triompher sur les Flots ;
Ce Héros destiné pour y faire la guerre,
En attendant qu’il pust y porter son Tonnerre,
 N’a jamais pû vivre en repos.
 Pour s’essayer dans son jeune âge,
Il est allé chercher autre-part les hazards ;
Contre l’Ibere altier exerçant son courage,
On l’a veu de Courtray renverser les Ramparts.
Ce noble coup d’essay l’a tout couvert de gloire ;
 Mais helas ! apres sa victoire,
Pour avoir trop couru sur les pas des Césars,
Il est mort au sortir des fatigues de Mars.

Sur le mesme sujet. Madrigal §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 8-9.

SUR LE MESME SUJET.
Madrigal.

Ne peignez plus la Mort pâle, lugubre, noire,
La traîtresse a chez elle un éclat sans pareil.
Depuis huit jours, helas ! pourrez-vous bien le croire,
Elle nous a ravy le cher Fils du Soleil.

[Extrait du Journal d’un Voyage fait aux Indes Orientales] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 12-35.

J’ay leû le Journal d’un Voyage fait aux Indes l’année derniere, sur le Navire l’Heureuse, appartenant à la Compagnie des Indes Orientales de France. Je ne vous parleray point des divers périls que ceux qui s’y estoient embarquez ont couru de faire naufrage, en traversant de si vastes Mers, & d’estre pris par les Corsaires Malabares, qui les attaquerent vers le Cap S. Jean, qui est entre Bassain & Daman. Je vous diray seulement qu’estant partis du Port-Loüis le 26. Mars 1682. ils arriverent le premier de Septembre devant l’Isle d’Omjoüan, où ils se rafraîchirent dix ou douze jours. Cette Isle, à ce qu’ils raportent, est fort pleine de Montagnes, mais la terre y paroist tres-bonne. Elle est cultivée par des Noirs, qui y plantent des Arbres de Coco, & des Cannes de Sucre, qui y croissent d’une beauté qui surpasse toutes celles que l’on voit ailleurs. Ils y sement quelque peu de Ris, du Mil, de petits Pois qu’on appelle des petits Pois de sept ans en terre, d’autres Légumes, & y élevent quantité de Vaches, Bœufs, Cabrits & Poules. On y voit un grand nombre d’Orangers, Citronniers, Bamaniers, Anances, & Pruniers, dont le fruit est gros, & à peu pres de la couleur de nos Prunes de Damas violet. Ce Fruit est remply de petits pépins, comme du Mil. Il y a un prix fait pour les Bœufs, Cabrits & Poules, quand on les paye en argent, sçavoir, les grands Bœufs, à deux Patagues ou deux Ecus ; les petits, une Patague ; les Cabrits, la moitié d’une Patague, auquel prix on donne aussi dix ou douze Poules ; mais quand on les achete en troc de Marchandises, comme Corail, Cornalines, Agates, & Toiles, on a bien meilleur marché. Cette Isle est possedée par des Arabes, qui y vivent sous l’autorité d’un d’entr’eux qu’ils traitent de Roy, & qui demeure à un grand Bourg peuplé de quatre ou cinq cens Familles de mesme Nation, à quatre ou cinq cens lieuës de la Rade dans les Terres. Assez pres de cette Rade, il y a un Village habité par des Arabes, & des Noirs, parmy lesquels est un Gouverneur de la Contrée aussi Arabe. On tient qu’il n’y a pas plus de sept ou huit cens Familles en toute l’Isle ; mais les Noirs y sont en bien plus grand nombre, quoy que Sujets des Arabes. Ces Arabes ont quelques Barques mal bâties, avec lesquelles ils navigent le long de la Coste de l’Oüest de Madagascar, où est leur principal commerce de Noirs, qu’ils achetent pour les mener vendre à Pata, à Moca, & autres lieux de la Mer Rouge. On demanda à l’un d’eux, qui estoit comme l’Agent du Gouverneur, s’il y avoit de beaux Ports à cette Coste de l’Oüest de Madagascar. Il répondit qu’oüy, & faisoit beaucoup d’état entr’autres, de la Baye de Mazelages. Il dit qu’il y avoit là aupres une tres-grande quantité de fort beau Bois, le plus droit qu’on puisse voir, tres-propre à faire des Masts, & à bastir des Navires, & qu’on ne pouvoit trouver un meilleur Païs pour l’abondance de toutes choses, Ris, Légumes, Bœufs, Cabrits, Moutons, Volailles, & Fruits de toutes especes.

Apres qu’on eut pris les Rafraîchissemens necessaires dans cette Isle, on continua la route de Surate, où l’on moüilla à une lieuë de la grande Rade le dernier d’Octobre. Voicy ce qu’on y apprit. Un Marchand, Chef du Comptoir, que la Compagnie avoit à Bantam en l’Isle de Java, arriva à Surate le 14. Novembre, sur un Vaisseau nommé le Retourne, appartenant à la Compagnie d’Angleterre, sur lequel il s’estoit embarqué à Batavia dés le 2. de Septembre. Il confirma la nouvelle qui estoit déja venuë de la prise de Bantam par les Hollandois, que le jeune Prince de Bantam, soûlevé contre son Pere, avoit appellez à son secours, ne croyant pas son Party assez fort pour luy résister. Comme depuis fort longtemps ils avoient envie de s’assurer le grand Commerce, qui se fait de toutes parts en ce Port-là, particulierement de Poivre, dont se fournissoient abondamment, non seulement les Compagnies Françoise, & Angloise, mais aussi plusieurs autres Nations tant de l’Europe que des Indes, ils ne laisserent pas échaper cette occasion de venir à bout de leurs desseins. Ainsi ils envoyerent au jeune Prince quatre ou 500 Hommes, commandez par le Sr S. Martin François, qui se saisirent de la Ville, & de la Forteresse, dans laquelle s’enferma ce Prince, avec les principaux de ceux qui avoient pris son party, & quelques Troupes Javanes, ce qui montoit à plus de quinze cens Personnes, en comptant les Femmes du Prince, & de tous ses Gens. On sceut que le Roy qui tenoit la Campagne, avec huit ou dix mille Hommes, causoit de grandes incommoditez dans la Place, où il ne pouvoit entrer aucuns vivres, non pas mesme de l’eau à boire, que ce qui leur pouvoit estre apporté de Batavia par Mer ; & qu’aussitost que les Hollandois avoient esté maistres de Bantam, ils avoient obligé tous les Officiers des Compagnies Françoise, Angloise, & Danoise, de se retirer à Batavia, en attendant des commoditez de passer ailleurs. Ce Marchand ajoûta qu’en la traverse de Batavia à Surate, il avoit rencontré un Vaisseau Hollandois party en May d’Europe, pour Batavia ; que sur ce Vaisseau estoit une bonne partie de l’Equipage d’un Navire Anglois, qui avoit péry entre le Cap de Bonne-Espérance, & la Baye de Saldeigne, que le Navire & tous les Effets estoient demeurez ; qu’il y avoit entre autres vingt-huit Caissons, dans chacun desquels étoient quatre mille Ecus, destinez pour Madrapatan à la Coste de Coromandel, & qu’il avoit eu nouvelle que les Anglois, qui s’estoient établis en une petite Isle de la Chine appellée Amoüy, en avoient esté chassez, avec perte de tous leurs Effets, par les Tartares, qui depuis quelque temps se sont rendus maistres de ce grand & puissant Royaume, apres avoir forcé cette fameuse Muraille qui fait la séparation entre la Tartarie & la Chine ; que les Anglois avoient aussi esté chassez d’un Comptoir qu’ils avoient à Jamby en l’Isle de Sumatra, avec une pareille perte de tous leurs Effets ; qu’un petit Navire appellé l’Eléphant, que des Particuliers Anglois de Surate avoient fretté pour envoyer à Bantam pour leur compte, estant arrivé en cette Place-là, dans le temps que les Hollandois s’en estoient saisis, n’avoient pû obtenir la permission d’y faire aucunes affaires, & qu’enfin ils avoient esté contraints d’en sortir pour aller à Batavia ; que Mr l’Evesque d’Argoly Cordelier, & quatre Religieux du mesme Ordre, habillez en Marchands, s’estoient embarquez sur ce Vaisseau pour Bantam, où ils espéroient trouver un Passage pour la Chine, qui est le lieu où ils vont en Mission ; que le Vaisseau s’estoit perdu au retour sur une petite Isle, entre Bantam & Batavia, où ce Prélat, les quatre Religieux, & tout l’Equipage, s’estoient retirez, apres s’estre sauvez du naufrage, & que le General leur avoit promis de les faire passer de là à Macao, sur un des Navires de la Compagnie de Hollande. On apprit encore par la mesme voye, que les Hollandois faisoient courir le bruit à Batavia, qu’ils y attendoient seize Navires d’Europe, avec trois ou quatre mille Hommes de guerre, pour renforcer les Garnisons de leurs Places, & l’Armée qu’ils ont sur pied contre le Roy de Bantam, qui continuë toûjours à faire la guerre, pour tâcher de recouvrer cette Place. Un autre petit Navire, party de Batavia deux mois apres celuy sur lequel avoit passé le Marchand dont je viens de vous parler, raporta au commencement de Janvier 1683. que les Hollandois estoient fort incommodez dans Bantam, que le Roy leur Ennemy qui tenoit la Campagne, tenoit aussi la Mer avec plusieurs Barques en guerre, qui en avoient pris dix ou douze que les Hollandois avoient armées à Bantam, pour faciliter le passage de leurs Vivres en cette Place, & tué tous ceux qu’ils y avoient rencontrez, en sorte qu’il n’y pouvoit plus rien entrer que ce que les Hollandois y apportoient sur leurs Navires de haut bord ; qu’ainsi ils soufroient beaucoup de miseres ; que le Roy s’estoit fortifié entre Bantam & Batavia, en un Poste avantageux, par le moyen duquel il empeschoit le passage aux Troupes que les Hollandois pourroient envoyer à Bantam, & qu’il y avoit peu d’apparence qu’ils pussent longtemps garder cette Place-là.

Le troisiéme Fils du Mogol s’estant aussi soûlevé contre son Pere, s’est retiré aupres d’un Prince, nommé Samagy, Fils & Successeur de ce fameux Sivagy, qui a tant fait de Conquestes dans l’Indoustan. Cette révolte a obligé le Mogol de lever de puissantes Armées, tant par Mer que par Terre, pour faire la guerre à Samagy. L’Armée Navale consiste en cinq ou six Navires de haut bord, & environ cent Galliotes, sur lesquelles on tient qu’il y a douze à quatorze mille Hommes de guerre, sans y comprendre les Gens de Mer, & la Chiourne ; & celle de Terre, en trente ou trente-cinq mille Chevaux. Vers le 15. de Decembre dernier, il y avoit déja trois semaines que ces Galliotes estoient parties, sans qu’on en eust eu aucunes nouvelles. Le Mogol estoit à Aurengabate, Ville du Royaume de Guburate, tirant vers les Etats de Samagy, avec son Armée de Terre, qui n’avoit encore rien entrepris. On estoit persuadé que tout ce grand appareil se réduiroit à brûler quelques Villages, & à desoler les lieux qui devoient servir de passage aux Troupes. Samagy y avoit déja fait brûler tous les Fourrages. Le bruit s’estoit répandu que le Mogol avoit fait mourir ce Prince par Art magique, ainsi que la meilleure partie des Grands de sa propre Cour, qu’il soupçonnoit d’avoir des intelligences avec son Fils, mais il n’a point esté confirmé. On prétendoit qu’il s’estoit servy en cela de ses Moulas, ou Prestres de sa Loy, qu’il tient ordinairement aupres de luy au nombre de 160. ou 180. qui font leur Magie en brûlant du Poivre. On eut nouvelle à Surate le 4. Janvier, que la guerre du Mogol avec Samagy, continuant à causer de grands desordres, ils pilloient entierement les lieux par où ils passoient ; que Samagy ayant rencontré une Caravane de sept cens Bœufs, chargez de diverses Marchandises pour Surate, l’avoit enlevée, ce qui interrompoit fort le commerce ; que les Armées Navales de ces Princes s’estant rencontrées une fois, le Mogol avoit perdu six ou sept Galliotes, ou prises ou coulées à fond ; que l’Armée de ce dernier ayant moüillé devant l’Isle de Bombay, & plusieurs de cette Armée, & entr’autres les deux Genéraux estant descendus à terre, il estoit survenu du bruit entre eux ; que chacun prenant le party de son Genéral, il y avoit eu beaucoup de monde tué de part & d’autre ; & que les Anglois craignant que ce fust quelque stratagéme des deux Genéraux pour se saisir de leur Forteresse, les obligerent par quelques coups de Canon, à rentrer dans leurs Vaisseaux. Voila, Madame, toutes les Nouvelles que j’ay pû tirer du Journal de ce Voyage.

Sur l’Arc en Ciel §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 35-37.

Il m’estoit resté quelques Sonnets, sur les Mots qui ont esté proposez dans quelques-unes de mes Lettres. Je vous les envoye. Les deux premiers sont de Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mâcon. Apres les pensées que tous ces Mots ont fait naistre, on voudroit sçavoir ce qu’on pourroit dire sur la Nuit.

SUR L’ARC EN CIEL.

Foibles Spéculateurs des Causes naturelles,
Philosophes oisifs, raisonnez jour & nuit
Pour sçavoir si l’Iris a des couleurs réelles,
Ou si l’illusion de nos sens, nous seduit.
***
Je ne veux point entrer dans ces vaines querelles,
Ma paisible retraite en aime peu le bruit ;
Mais en vous contemplant, couleurs, vives, & belles,
Je vois dans mon Héros, l’Astre qui vous produit.
***
Le Soleil, dis-je alors, en roulant sur nos testes,
Tantost forme l’Iris, & tantost des Tempestes ;
C’est luy qui fait le trouble, & le repos des Airs.
***
Arbitre de la Paix, Arbitre de la Guerre,
Ainsi le grand LOUIS, par mille soins divers,
Met le trouble ou le calme, à son gré, sur la Terre.

Sur le Paon §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 37-39.

SUR LE PAON.

Quand l’Oiseau de Junon, fier de son beau plumage,
En étale au Soleil les ornemens divers,
Qu’il semble avecque luy, par cent Miroirs ouverts,
Disputer au brillant la gloire & l’avantage ;
***
Je dis en le voyant, dans ce grave équipage,
Tel est du vain orguëil, le sentiment pervers,
Ce qu’on a de meilleur, on le met de travers,
On en fait rarement un raisonnable usage.
***
Les moindres Souverains, d’un vain titre ébloüis,
Voudroient se mesurer avec le grand LOUIS ;
Mais qu’ils sont éloignez de ce degré supréme !
***
Car enfin s’entester d’un sentiment pareil,
N’est-ce pas comparer, par une audace extréme,
Le plumage du Paon, aux rayons du Soleil ?

Sur le Soleil §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 39-40.

SUR LE SOLEIL.

Repandre l’abondance, & la fertilité,
Visiter avec soin l’un & l’autre Hémisphére ;
Dans le cours glorieux d’une belle Carriere
Produire des trésors à nostre pauvreté ;
***
Soulager les Mortels dans leur necessité,
Estre de ses Sujets & le Prince, & le Pere,
N’est-ce pas imiter l’Astre qui nous éclaire ?
N’est-ce pas approcher de la Divinité ?
***
C’est ainsi que LOUIS par sa douce influence,
Cimente incessamment le bonheur de la France,
Et du bruit de son nom, remplit tout l’Univers.
***
Qu’il vive, ce grand Roy, dans une Paix profonde,
Et que donnant des Loix à cent Peuples divers,
Son Regne fortuné dure autant que le Monde.

[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 41-73.

L’amour n’est point à couvert de la destinée, & les changemens qui arrivent tous les jours dans les liaisons les mieux établies, font assez connoistre que les mouvemens de nostre cœur ne sont pas fixez par le premier choix que nous faisons. Un certain je-ne-sçay-quoy qui nous entraîne en dépit de nous, nous détermine à estre inconstans ; & quand mille exemples ne serviroient pas à justifier ce que je dis, l’Avanture dont je vay vous faire part en seroit la preuve. Une Demoiselle fort bien faite, estimable par sa beauté, & plus encore par son esprit, qu’elle avoit vif & tres-penétrant, estant venuë depuis peu de mois prendre soin de quelques affaires, dans une petite Ville peu éloignée de Paris, y fut connuë en fort peu de temps de tout ce qu’elle y trouva de Personnes de naissance. Son Pere & sa Mere qui estoient de qualité, mais qui avoient peu de Bien, luy connoissant du talent pour venir à bout de mille chicanes qui leur estoient faites, & par lesquelles on tâchoit de renverser leurs prétentions, quoy que justement fondées, s’estoient reposez sur elle de la conservation de leurs intérests, & elle s’appliquoit à les maintenir avec tant d’éxactitude & de conduite, qu’elle eut bien-tost démeslé les difficultez qui empeschoient qu’on ne luy rendist justice. Son habileté fit bruit, & tout le monde marquant de l’empressement pour la servir aupres de ses Juges, un jeune Gentilhomme, maître de son Bien, & des plus riches de tout le Païs, n’épargna ny son crédit, ny ses soins, pour luy faire voir combien il prenoit de part à ses avantages. La Belle reçeut agreablement le secours qu’il luy donna ; & comme dans le besoin qu’elle avoit de luy, les visites assiduës luy estoient permises, insensiblement le Cavalier prit pour elle un attachement plus fort qu’il ne l’avoit crû. Il connut bien que ce qu’on luy donneroit en la mariant, n’approcheroit pas de ce qu’il pouvoit prétendre ; mais l’amour commençant à l’ébloüir, il considéra que les grands Biens qu’il avoit, luy attireroient beaucoup d’affaires, & dans cette veuë, il crut qu’il luy seroit plus avantageux d’avoir une Femme qui y mettroit ordre, que d’épouser une Fille, qui luy apportant une dote considérable, ne se mesleroit de rien, & n’auroit l’esprit porté qu’à faire de la dépense. La Belle qui s’apperçeut de la conqueste que son mérite luy avoit fait faire, la ménagea si adroitement, que le Cavalier fut enfin contraint de luy déclarer sa passion. Vous pouvez croire qu’il fut écouté avec plaisir. Elle luy marqua une estime pleine de reconnoissance, & en l’assurant que ses Parens ne luy seroient point contraires, elle eut pour luy des égards d’honnesteté & de complaisance, qui luy firent voir qu’il estoit aimé. Comme elle avoit de l’ambition, elle voulut s’assurer un rang, & se servit du pouvoir que sa passion luy donnoit sur son esprit, pour luy marquer qu’il y alloit de sa gloire de prendre une Charge avant que de l’épouser. Le Cavalier avoit ce dessein depuis quelque temps, & ainsi en luy promettant de la satisfaire, il ne faisoit que ce qu’il avoit déja résolu. Les affaires de la Belle s’estant terminées, de la maniere la plus avantageuse qu’elle eust pû le souhaiter, elle retourna à Paris, où son Amant la suivit deux jours apres. Son Pere & sa Mere, qu’elle avoit instruit de l’état des choses, luy firent un accuëil tres-obligeant, & pour estre moins en péril de le laisser échaper, ils luy offrirent un Apartement chez eux. L’offre estoit trop favorable à l’amour du Cavalier, pour n’estre pas acceptée. Il logea chez le Pere de la Belle, & ne songeant qu’à avancer les affaires, il prit son avis sur la Charge dont il avoit à traiter. Tandis qu’on travailloit à lever des difficultez assez legeres, qui empeschoient de conclure le Marché de cette Charge, l’amour fit paroître sa bizarrerie, par les sentimens qu’il inspira au Cavalier pour une Sœur de la Belle. Cette Cadete avoit dans les yeux un fort grand défaut, dont beaucoup de Gens ne se seroient pas accommodez, & ce défaut, tout grand qu’il estoit, ne put détourner le Cavalier du dessein qu’il prit de ne vivre que pour elle. Il est vray qu’à cela prés, il n’y avoit rien de si aimable. C’estoit un teint qui ébloüissoit, des traits réguliers dans tout son visage, des mains & des bras d’une beauté à charmer, une taille aisée & fine ; & ce qui estoit encore bien plus engageant, une humeur si douce & si agreable, que par cette seule qualité, elle eust esté digne du plus fort amour. Plus le Cavalier la vit, plus il la trouva charmante. Il luy contoit cent folies ; & l’enjoüement avec lequel elle y répondoit, estoit tout plein de feu & d’esprit. Rien ne devenoit suspect dans leurs conversations, parce qu’elles se faisoient sans aucun mistere, & que l’occasion qu’ils avoient de se parler à toute heure, les rendant fort familiers, ne laissoit rien voir qui fust recherché. En effet, il n’y avoit que des sentimens d’honnesteté du costé de cette aimable Cadete, qui ne doutant point que le Cavalier n’épousast sa Sœur, estoit incapable d’aller pour luy plus loin que l’estime. Il n’en estoit pas ainsi du Cavalier. Le panchant qui l’entraînoit vers la Belle, eut tant de force, qu’apres luy avoir dit plusieurs fois en badinant qu’il estoit charmé de ses manieres, il s’expliqua enfin sérieusement sur l’ardent amour qu’elle luy avoit donné. La Belle tournant la chose en plaisanterie, luy dit qu’il perdoit l’esprit ; & toutes les déclarations qu’il luy fit ensuite, luy attirant la mesme réponse, il luy demanda un jour, quel desagrément ou dans son humeur, ou dans sa personne, luy faisoit croire qu’il ne méritoit que ses mépris. La Belle que ce reproche surprit, se crut obligée de luy répondre d’un ton un peu sérieux, qu’il se faisoit tort aussibien qu’à elle, quand il l’accusoit de le mépriser, & que s’il luy eust marqué de l’estime avant que de s’engager avec sa Sœur, peut-estre ne luy eust-elle pas donné sujet de se plaindre du peu de reconnoissance qu’elle auroit eu de ses sentimens ; mais qu’en l’état où estoient les choses, elle ne devoit agir qu’avec les réserves qu’il trouvoit injustes. Cette réponse anima sa passion. Ce fut assez qu’il crut ne déplaire pas, pour l’engager à aimer avec plus de violence. Il abandonna son cœur à tout son panchant, & ne songea plus qu’à persuader la Belle de son veritable attachement. Comme elle estoit sage, elle voulut le guérir, en luy donnant moins d’occasions de l’entretenir de son amour ; mais plus elle avoit soin de les éviter, plus il les cherchoit. Cet empressement fut remarqué, & il se trahit bien-tost, & par son inquiétude, lors que pour le fuïr cette Cadette s’enfermoit exprés dans sa Chambre des apresdînées entieres, & par les regards tout pleins d’amour qu’il jettoit sur elle, quand il la voyoit devant des témoins. L’Aînée qui trouva quelque refroidissement dans les manieres du Cavalier, en soupçonna aussi-tost la cause. Elle prit garde qu’il n’avoit plus aupres de sa Sœur ces airs enjoüez & libres, qu’il avoit pris tant de fois. Elle les voyoit embarassez si tost que leurs yeux se rencontroient, & la contrainte qu’ils s’imposoient l’un & l’autre selon les diverses veuës, qui les obligeoient de s’observer, luy fut enfin une indice de la trahison qui luy estoit faite. Comme elle estoit extrémement fiere, elle s’en seroit volontiers vangée en la prévenant par son changement, mais elle avoit de l’ambition, & fort peu de Bien ; & en renonçant au Cavalier, il n’estoit pas seûr qu’elle eust aisément trouvé un autre Party qui l’eust consolée des avantages qu’elle auroit perdus. Ainsi elle résolut de dissimuler, & se contenta de soulager ses chagrins par quelques plaintes, qui déconcerterent le Cavalier. Le trouble qu’il fit paroistre, fut un aveu de son crime, & elle en tira des conséquences, qui luy firent examiner de plus pres tous les sujets qu’elle avoit de se défier de son amour. Leur Mariage ne devant se faire qu’apres les difficultez levées, touchant la Charge qu’il vouloit avoir, elle découvrit qu’il ne tenoit qu’à luy de les voir finies, & que les obstacles qu’il y faisoit naistre, ne pouvoient avoir aucun autre fondement que le dessein de gagner du temps. Remplie de tous ces soupçons, & voulant estre éclaircie de ce qu’elle appréhendoit, elle pria son Pere & sa Mere de vouloir presser les choses, leur faisant connoistre sans leur parler de sa Sœur, ce qu’il y avoit à craindre du retardement. L’obstination du Cavalier sur les prétenduës difficultez de la Charge, avoit déja commencé à leur devenir suspecte. Ils l’entretinrent en particulier, & luy dirent que comme ils l’avoient logé chez eux, on murmuroit dans tout le Quartier, de voir si longtemps diférer le Mariage dont on estoit convenu ; que pour empescher les fâcheux discours, il falloit songer à terminer cette affaire, & qu’il n’estoit point besoin pour cela d’attendre qu’il eust conclu son autre Traité. Le Cavalier ne balança point sur le party qu’il avoit à prendre. Il leur répondit qu’il se souvenoit de la parole qu’il avoit donnée, qu’il la tiendroit avec joye en tel temps qu’il leur plairoit ; qu’il avoit promis d’estre leur Gendre, & qu’il se feroit un tres-grand bonheur de le devenir ; mais que ce seroit en épousant leur Cadete, pour qui il sentoit la plus violente passion, qu’il trouvoit en elle tout ce qui pouvoit le satisfaire ; que l’humeur de son Aînée estoit si peu compatible avec la sienne, qu’elle ne pourroit que le rendre malheureux, & que s’ils luy refusoient ce qu’il demandoit avec les plus instantes prieres, il seroit contraint de se retirer. Il leur fit cette réponse avec tant de fermeté, & tout ce qu’ils purent dire pour le détourner de ce dessein eut si peu d’effet, que ne voulant pas risquer une si bonne fortune, ils se virent obligez de consentir à ce qu’il voulut. La seule condition qu’ils exigerent, fut que la chose se fist au plûtost & en secret, afin que l’Aînée fist moins éclater son ressentiment, quand elle apprendroit une injustice qui n’auroit plus de remede. Le transport qui l’obligea de se jetter à leurs pieds, pour leur rendre grace de ce qu’ils faisoient pour luy, leur fut une preuve de la violence avec laquelle il aimoit. Ils dirent à leur Aînée, que quelques raisons qu’ils eussent pû apporter, le Cavalier s’estoit si bien mis en teste de ne se point marier qu’il n’eust traité de la Charge, qu’il leur avoit esté impossible d’en rien obtenir. Elle comprit ce que vouloit dire un refus si obstiné, & il vous est aisé de juger qu’elle en fut piquée au dernier point. Cependant tout se concertoit secretement pour le Mariage du Cavalier, & de la Cadete, & il ne manquoit pour l’achever qu’une occasion d’en faire la cerémonie, sans que l’Aînée en pust rien sçavoir. Elle s’offrit favorable peu de jours apres. Une Dame dont elle estoit tendrement aimée, la pria de luy faire compagnie dans une partie de Promenade, qui l’engageoit à aller passer quelques jours à la Campagne. La Belle y alla, & eut assez de force d’esprit pour se mettre au dessus de ses chagrins, & y paroistre d’une humeur toute charmante. On luy dit qu’on voyoit bien que la joye d’un Mariage tout prest à se faire, donnoit aux Belles de grands sujets d’enjouëment ; & pour affoiblir la honte où elle craignoit d’estre exposée, elle répondit qu’on jugeoit mal d’elle ; qu’il falloit pour la toucher de certaines complaisances, & des tours d’esprit, qu’elle n’avoit point trouvé dans le Cavalier ; & que les choses n’avoient jusque-là traîné en longueur, que parce qu’elle vouloit l’engager à épouser sa Cadete. Un vieux Garçon, extrémement riche, & revétu d’une Charge encore plus considérable que celle dont le Cavalier traitoit, luy dit en riant, que quoy qu’il eust toûjours fuy le mariage, il voudroit avoir ces tours d’esprit qui luy plaisoient tant, afin de luy offrir ses services, & que pour les complaisances, il luy seroit aisé d’en répondre. La Belle luy repartit de mesme en riant, qu’elle avoit crû découvrir en luy ce qui estoit si fort de son goust, & qu’à tout prendre, ils seroient assez le fait l’un de l’autre. Sur ce pied-là, le vieil Officier luy dit des douceurs pendant deux jours, comme un Amant déclaré en dit à une Maistresse, & il gousta si bien son esprit, que malgré toutes les resolutions qu’il avoit prises de demeurer toûjours libre, il parla enfin de mariage. Vous ne doutez pas que la proposition ne fust bien reçeuë. La Belle trouvoit un rang qui contentoit son ambition ; elle se vangeoit d’un Amant perfide, & tout la satisfaisoit dans une rencontre si peu attenduë. La Dame à qui elle ouvrit son cœur, entra dans la confidence du vieil Officier, & luy fit promettre que puis qu’il s’estoit déclaré avec son Amie, il en iroit faire la demande dans les formes incontinent apres son retour. La Belle estant revenuë, conta à son Pere l’engagement où l’on s’estoit mis pour elle. Le Mariage de la Cadete estoit fait, & ce fut pour luy une joye sensible de voir finir plûtost qu’il ne l’avoit crû l’embarras de le cacher. Cette adroite Fille dissimulant son ressentiment, tâcha de se rendre toute aimable pour le Cavalier, afin de réveiller son amour, & de luy donner par là plus de regret de la perdre. Le lendemain, elle remarqua sans estre veuë, que le Cavalier s’estoit coulé dans la Chambre de sa Sœur, & que la Porte en avoit esté aussi-tost fermée. Elle regarda par la Serrure, & les vit tous deux dans des privautez, qui la convainquirent de ce qu’elle avoit toûjours soupçonné. Si elle eut de la douleur, elle eut de la joye en mesme temps, de ce que sa Sœur faisant des avances si indignes d’elle, mettoit le Cavalier hors d’état de la vouloir pour sa Femme. Cette pensée luy remplit l’esprit. Elle crut qu’il refuseroit de l’épouser apres les faveurs qu’il en avoit obtenuës, & qu’ainsi elle seroit vangée, & d’elle, & de luy, quand son Mariage avec l’Officier ne laisseroit plus aucun prétexte à son Pere de garder le Cavalier. Cet Officier tint parole. On avoit esté averty de sa visite, & le Cavalier qui la sçavoit, alla tout exprés souper en Ville, & ne revint que fort tard. L’Officier charmé de l’accueil qui luy fut fait, ne sortit point qu’on n’eust signé des Articles. La Belle, qui n’aspiroit qu’à joüir de sa vangeance, attendit à se coucher que le Cavalier fust revenu. Apres luy avoir fait quelques plaintes, de la maniere dont il en usoit pour elle depuis quelque temps, elle ajoûta qu’elle l’avoit trouvé si peu digne des sentimens favorables qu’elle luy avoit marqué d’abord, qu’elle venoit de s’engager à un autre, & qu’un Contract de Mariage signé, les séparoit pour jamais. Il se feignit vivement frapé de cette nouvelle. La Belle le crut touché d’un vray déplaisir, & pleine de son triomphe en le voyant ainsi accablé, elle le quita sans luy donner le temps de répondre. C’estoit ce qu’il avoit souhaité. Il se coucha fort tranquillement ; & le lendemain, comme il l’avoit concerté avec son Beaupere, & avec sa Femme, il alla chez un Amy dans un Quartier éloigné, où il demeura jusqu’à ce qu’on eust fait le Mariage. La Belle, qui imputa cette retraite à son desespoir, en sentit sa vanité agreablement flatée. Elle épousa l’Officier, & deux jours apres le Cavalier revint aupres de sa Femme. La nouvelle Mariée ne l’eust pas plûtost appris, qu’elle alla trouver son Pere, & luy fit connoistre le péril où sa Cadete estoit exposée, s’il gardoit chez luy le Cavalier. Son Pere luy dit, que puis qu’elle avoit tout sujet d’estre contente, il estoit persuadé qu’elle aimoit assez sa Sœur, pour prendre part à ses avantages ; & là-dessus il luy expliqua ce qui estoit arrivé. Le dépit qu’elle eut de s’estre promis une vangeance, qui ne tournoit qu’à sa honte, la mit dans un desordre d’esprit incroyable. Elle sortit brusquement, & depuis trois mois qu’elle est mariée, elle n’a point encore voulu voir sa Sœur.

[L’Avanture du Fauconnier] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 73-80.

Je vais vous apprendre une Avanture qui vous paroistra fort singuliere. Le Fauconnier d’un grand Prince, ayant laissé partir trois Faucons pour les essayer, il en revint quatre. Ce quatriéme avoit deux Grelots, dont l’un ne sonnoit point. On le rompit aussi-tost que l’on s’en fut aperçû, & l’on trouva dedans, un petit Sac de cuir dans lequel il y avoit un Talisman, qui parut avoir esté fait il y a plus de 400. ans. Il avoit esté attaché à cet Oyseau, afin qu’aucune Proye ne luy pust échaper. Le Faucon mourut si-tost qu’on luy eut osté ce Talisman. Ce que je vous dis est arrivé depuis peu de mois. Je vous envoye la Figure du Grelot, & celle du Cordon auquel il estoit attaché, avec l’écriture Arabe, & le Talisman qu’on trouva dans deux Papiers. J’ay fait graver tout, pour la satisfaction des Curieux. Voicy l’explication des Caracteres Arabes.

Au nom de Dieu, clément & miséricordieux. Dieu, ayez pitié de nostre Maistre Mahomet, & de sa Famille, & de ses Amis, & leur donnez le salut.

Loüange à Dieu, le Seigneur de tout le Monde, clément, miséricordieux, & le Seigneur du jour du Jugement. Nous vous adorons, nous vous demandons le secours. Conduisez-nous au droit chemin de ceux à qui vous avez donné vostre grace, & non pas au chemin de ceux que vous avez maudits.

Il n’y a point de Dieu que Dieu ; graces au Dieu tout seul.

Il n’y a point de vertu, ny de force qu’en Dieu.

Dieu mettra un Cachet sur leurs yeux, sur leurs oreilles, sur leurs cœurs, avec des tenebres fort subtiles.

Plût à Dieu qu’il fasse oster leur lumiere, pour les faire tomber dans les tenebres, afin qu’ils ne voyent pas clair.

Si Dieu veut, qu’il leur oste la lumiere.

Le secours & la victoire est à Dieu. Il n’y a point de vertu, ny de force qu’en Dieu, le grand, & le tres-haut.

Cinq ou six petites Figures qui composent le Talisman, estoient au bas du premier Papier des lettres Arabes, telles que vous les voyez dans cette Planche. Il faut observer que les Mahométans ont la coûtume d’écrire, non pas seulement pour le secours & la victoire du Faucon, mais aussi pour chaque sorte d’Animaux ; sçavoir, pour les Chameaux, Chevaux, & Mulets ; pour des Hommes, des Femmes, des Garçons, des Filles, & des Enfans ; sur les Epées, & pour le bonheur ou le malheur du Prochain. Pour cet effet, on choisit un Verset de l’Alcoran, avec quelque Talisman selon le dessein qu’on a, & apres l’avoir écrit sur du papier, on le coud dans un petit morceau de linge ou de cuir, & on l’attache sur soy, le pendant au col, ou au bras. On l’appelle en Langue Arabe Flerz, c’est à dire, Refuge, ou Préservatif ; & en Langue Turque, Hamaily, qui veut dire, Porter sur soy. Cela leur coûte quatre ou cinq Ecus. Ceux qui écrivent ce Verset choisy de l’Alcoran, sont des Docteurs Mahométans, Magiciens, qui disent la bonne-avanture, & avec ces sortes de sacrileges, ils trompent ceux qui les croyent, par leur méchanceté & leurs fables. Ils sont dans des Boutiques comme des Marchands, & tout le monde court à eux. L’un demande quelque Talisman ou Ecriture pour son Faucon ; l’autre pour son Cheval, ou son Chameau ; la Femme, pour son Mary ; & le Mary, pour sa Femme & ses Enfans ; enfin, l’un pour l’amour, l’autre pour la haine.

Le Berger Fleuriste à la Nymphe des Bruyeres §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 115-123.

Le Berger Fleuriste vous est connu par tant de galans Ouvrages, que pour vous faire estimer celuy que vous allez lire, il me suffira de vous apprendre qu’il en est l’Autheur. C’est une Réponse qu’il fait à la Nymphe des Bruyeres, qui luy avoit mandé comme par reproche, que le cœur qu’il luy offroit n’estoit plus à luy, ou qu’il ne pouvoit y estre sans inconstance.

LE BERGER
FLEURISTE,
A la Nymphe des Bruyeres.

Avant que de me condamner,
Je croirois, belle Liliane,
Sans recourir à la chicane,
Que vous devriez un peu m’examiner.
 Vous sçavez mon humeur sincere,
 Elle mérite de vous plaire.
 De grace donc, au lieu de m’insulter,
  Trouvez bon d’écouter
 Un petit Discours sans mistere.
***
Autrefois, il est vray, Cloris avoit mon cœur,
 Elle en sentoit mesme l’ardeur,
 Elle en voyoit la flâme,
 Elle en remarquoit les soûpirs,
 Elle en expliquoit les desirs,
  Et sa belle Ame
Faisoit de tout cela ses innocens plaisirs.
***
 L’union me paroissoit douce ;
Mais quoy que pour Cloris elle eust aussi d’appas,
 Comme il n’est rien qui ne change icy-bas,
 Un secret mouvement la pousse
A quitter, malgré moy, nos Hameaux pour Paris.
Elle part, elle arrive, elle le voit, l’admire,
L’estime, l’aime, & pour tout dire,
 Il gagne le cœur de Cloris,
Et le gagne si bien, que ce seroit pour elle
 Une douleur mortelle,
Si quelque évenement qu’on ne pust détourner,
 L’obligeoit de l’abandonner.
***
 Mais c’est peu de cette victoire,
  Que remporte Paris ;
 Il efface de sa mémoire
Jusqu’aux Adorateurs qu’elle a le plus chéris.
 Je suis confondu dans ce nombre.
Cloris ne m’écrit plus, ne pense plus à moy ;
J’en seche, j’en languis, j’en deviens comme une Ombre,
Et je me vois enfin, & presque sans effroy,
 Aux Portes du Royaume sombre.
***
Par bonheur, la raison y vient à mon secours,
 Elle force ma résistance,
 Par une vive remontrance,
Et de mon desespoir change le triste cours.
Mon cœur en est touché, son devoir le ramene.
Il a quitté Cloris, il a rompu sa chaîne ;
 La devoit-il porter toûjours ?
***
 Si c’est assez que d’une année,
 Pour la constance d’une amour,
 Quand la constance est fortunée,
Et trop de douze mois, quand elle est sans retour,
Ma rupture ne peut qu’estre à tort condamnée.
***
Ainsi lors que vers vous je suis ma destinée,
 Point de reproche, s’il vous plaist,
 Sur une affaire terminée,
 Où vous n’avez point d’intérest.
 Mon cœur se donne tel qu’il est,
Sincere & franc, autant qu’on le peut estre ;
Croyant de bonnefoy garder jusqu’à la mort
Chaque nouvelle ardeur que l’amour y fait naistre,
Et qu’il y garderoit, s’il avoit l’heureux sort
 D’estre enflâmé pour une Belle
  Qui fust d’humeur fidelle.
***
 Je n’en jurerois pourtant-pas.
Peut-on dans l’avenir répondre de ses pas ?
 Ce cœur est François, suit la mode ;
 Prenez-le, s’il vous accommode.
***
 Vous allez dire qu’un Amant
 Ne parle point si franchement ;
 Que ce discours sent trop l’indiférence ;
Et qu’un mensonge adroit, galamment debité,
 En amour, a la préference
  Sur une rude verité.
***
 Si vous le dites, je le pense ;
Mais quoy, je ne sçaurois ny mentir, ny tromper.
 On trouve dans vos chaînes
 Beaucoup plus d’attraits que de peines,
 Je ne croy pas que j’en puisse échaper ;
 Cela pourtant arrivera peut-estre.
Et quand ? je n’en sçay rien ; qui le sçauroit connoistre ?
Le temps & le destin, se laissent-ils regler ?
 Leur conduite a le Ciel pour maistre,
 Cessez donc de vous en troubler.
On ne doit s’attacher dans le galant mistere
 D’un Berger & d’une Bergere,
Qu’à l’extréme plaisir dont on se sent charmé,
 Quand on aime, & qu’on est aimé.
Nous goútons déja l’un & l’autre,
 La moitié de cette douceur ;
Poussons l’ouvrage à bout, partagez mon ardeur ;
Vous faites mon desir, que je fasse le vostre ;
Ce mutuel accord, est le nœud du bonheur,
Et nous n’en croirons point de si fort que le nostre.

[Etats de la Province de Foix, tenus par M. le Marquis de Mirepoix] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 141-147.

Mr le Marquis de Mirepoix soûtient en toutes occasions la grandeur du Nom qu'il porte, par une magnificence qui semble attachée à ses actions, & à sa personne. Tout ce qu'il fait est grand ; mais il ne paroist jamais tant l'Aîné de l'Illustre Maison de Levy, que lors qu'il peut joindre les intérests de la Religion à ceux de l'Etat. Tout le monde connoist le succés extraordinaire avec lequel il s'y applique dans Pamiers, & dans tout le reste de la Province de Foix, dont il est Gouverneur. C’est dans cette Ville qu’il fit faire un Service tres-solemnel pour la Reyne, dés qu’il eut appris sa mort. Cet empressement n’a pas suffy à son zele, & il a voulu porter plus loin la reconnoissance qu’il doit aux bontez distinguées dont cette grande Princesse l’avoit toûjours honoré. Sa Majesté luy ayant envoyé la Commission pour tenir les Etats de la Province, il les a convoquez dans la Ville de Foix mesme. L'ouverture s'en fit le 8. de Novembre. On y délibera d’abord sur les Dons ordinaires, & on y reçeut tout d’une voix les intentions du Roy, telles qu’on les expliqua. Mr l’Abbé de Paylhez, qui est à la teste de cette Assemblée, en l’absence de Mr l’Evesque de Pamiers, y représenta avec beaucoup d’éloquence la perte que la France a faite par le deceds de son auguste & pieuse Reyne. Son Discours estoit tres-digne de luy. Aussi résolut-on, si-tost qu’il l’eut proposé, de faire connoistre par un Service pompeux l'extréme venération que l'on conservoit pour cette Princesse. Ce Service fut fait le Jeudy suivant onziéme du mesme mois, avec une magnificence qui est peu connüe dans les Provinces. Les Etats se rendirent en corps, & en grand deüil, dans le Chasteau de la Ville de Foix, où Mr de Mirepoix les attendoit. [...] Quatre Personnes des plus qualifiées des Etats, ayant de grands Manteaux longs, prirent le Poële, lors qu’ils sçeurent que le Clergé arrivoit en cerémonie. La Marche se fit dans l’ordre suivant.

Six-vingts Pauvres habillez de gris, alloient deux à deux, avec de grandes Torches à la main, & apres eux, les Penitens bleus en fort grand nombre, ayant aussi chacun un Flambeau. Les Ordres Religieux venoient en suite selon leur rang ; & le Clergé de l’Abbaye les suivoit. Deux Exempts des Gardes marchoient à la teste de toute la Maison de Mr de Mirepoix, qui estoit tout en grand deüil. Tous les Gardes estoient mesme habillez de noir sous leurs Casaques, & avoient de grands Crêpes au Chapeau. Ils portoient leurs Mousquetons renversez ; & les Tambours & les Trompetes faisoient un bruit lugubre, qui fut repris en divers endroits de la Messe.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 153-154.

Je vous envoye des Paroles d´un Amant, qu´un habile Maistre a mises en Air. Vous jugez bien, puis qu´elles sont d´un Amant, qu´il faut qu´elles soient plaintives.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Beau Jardin, beau Ruisseau, doit regarder la page 154.
Beau Jardin, beau Ruisseau, témoin de mon martyre,
Bois, où loin de Philis je viens verser des pleurs,
Engagez vos Zéphirs à plaindre mes malheurs ;
Ou si dans ces beaux Lieux ils ne veulent que rire,
Engagez-les du moins à dire
A Philis que je meurs.
images/1683-12_153.JPG

Caprice §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 155-160.

CAPRICE.

Quoy que la Fable ait tant vanté
La Gréce, & son antiquité,
La France l’emporte sur elle.
Son Héros est dans les hazards
Plus grand que Jupiter, ou Mars,
Ne l’est dans sa gloire immortelle.
Malgré ses plus puissans Rivaux,
D’un souffle il renverse une Ville.
Hercule a fait douze Travaux,
LOUIS en a fait plus de mille.
Autrefois ce grand Apollon
Joüa-t’il mieux du Violon
Qu’à présent l’illustre le Peintre ;
Et chez le Troyen eut-il l’art
D’orner la Corniche & le Ceintre
Aussi richement que Mansart ?
Nous avons de belles Hélenes,
Trop, au gré de certains Marys.
Nous ne manquons point de Pâris,
Une en a souvent des douzaines ;
Mais nous avons pour la vertu,
Pour le courage, & pour l’adresse,
Dequoy l’emporter sur la Gréce,
Quelque Déesse qu’elle ait eu.
Une des nostres si charmante,
Qu’on ne peut la priser assez,
Auroit fait la leçon à trente
De ces Belles des temps passez ;
C’est Philis que je veux dépeindre ;
En graces elle vaut Vénus,
Et quand je dirois un peu plus,
Je n’aurois pas beaucoup à craindre.
Terpsicore, du Clavessin
N’avoit pas le toucher si fin
Que cette sçavante Merveille ;
Jamais jeu ne fut si poly,
J’en prendrois à témoin l’oreille
De l’incomparable Lully.
Minerve estoit bien moins parfaite
En ouvrage au petit Mestier ;
La Bource que Philis m’a faite,
Est un chef d’œuvre tout entier ;
Mais tout ce que je dis là d’elle,
N’est à mon sens que bagatelle,
Pres de son adresse à chasser.
C’est là qu’elle est des plus sçavantes,
Et qu’elle peut seule effacer
Diane & toutes ses Suivantes.
Cette Fille de Jupiter
L’auroit elle osé disputer
A nostre charmante Chasseuse,
Elle qui dedans ses Forests
Tiroit à l’affust de fort pres,
Comme une pauvre paresseuse ?
Mais Philis, le Fusil en main,
Pousse à cheval ou Liévre, ou Daim,
Par les Valons & les Montagnes,
Et plus viste que les Eclairs,
Prend plaisir à fendre les airs,
Quand elle est en pleines Campagnes.
D’autrefois aux jours de repos,
Sans jamais se lasser de Chasse,
Neptune la voit sur ses flots
Pleine d’ardeur parmy la glace.
L’Hyver qui charme les Canards,
Ravit aussi nostre Déesse,
Qui pour mirer un coup d’adresse,
Affronteroit mille hazards ;
Elle se rit de la froidure,
Et tant que l’Astre du jour dure,
Tomba-t-il neiges & grésil,
Il faut qu’elle acheve sa queste,
Et qu’elle abate chaque Beste
Qui se présente à son Fusil.
Témoin de ce noble Exercice,
Malgré Decembre, & son couroux,
Je veux, en luy rendant justice,
Dire icy le plus beau des coups.
A mes yeux elle vient d’abatre
D’un seul coup trois Canards de quatre
Qui folâtroient dans les Roseaux.
De soixante pas cette Belle
A si bien tiré ces Oyseaux,
Que je les tiens dans la Nacelle.
Du temps que les cœurs & les yeux,
Enchantez par l’Idolâtrie,
Reconnoissoient autant de Dieux
Que d’Illustres dans leur Patrie ;
Philis auroit du moins esté
La Déesse de la Cité,
On l’auroit peinte en ses Images
Parmy les Maistres du Néctar,
Molement assise en son Char
Tiré par des Canards sauvages.

[Attaque d’un Fort, par la jeune Noblesse de l’Académie de Bernardy] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 169-173.

Mr le Marquis de S. Simon, Doyen de l’Académie, estant revenu du Voyage qu’il avoit fait avec le Roy, aux divers Campemens de ses Troupes, les Gentilshommes de cette Académie commencerent à faire un Siége dans les formes. On fit les Lignes de circonvalation ; on ouvrit la Tranchée, qui fut soûtenuë par une Redoute qu’on fit à la teste. Les Assiégez ayant mis le feu à un Fourneau qu’ils avoient fait sous cette Redoute, elle fut perduë, & puis regagnée. Le Logement fut fait sur la Contrescarpe, & ruiné encore par le feu d’un Fourneau, & par une Sortie des Assiégez ; mais ce Poste fut repris un peu apres, & le Logement assuré. Le Fossé ayant esté percé, on attacha le Mineur à la Demy-lune. On y fit une Bréche raisonnable par un grand Fourneau ; & ce Poste apres avoir esté bien attaqué, & bien défendu, fut enfin emporté par les Assaillans qui se logerent dans la Demy-lune, ce qui fut cause que les Assiégez demanderent à capituler. Ils sortirent avec une composition raisonnable. Mrs les Marquis & Chevalier Degault, & de Vezellay, Mrs les Comtes de Lamberg, de S. Marsan, de Lhôpital, & Deuchin, Mrs les Marquis de Pierrecourt, de Maridor, de la Riviere, & de Chabane, & genéralement tous les autres Gentilshommes de l’Académie, firent connoistre dans cette occasion ce qu’on doit attendre de leur courage, lors qu’ils seront à la teste des Troupes de Sa Majesté. Le Nonce du Pape, les Ambassadeurs d’Espagne, & de Savoye, & plusieurs autres Ministres des Princes Etrangers, ont eu la curiosité d’aller voir plusieurs fois les Attaques de ce Fort, & ont bien compris, que la France ne manqueroit jamais de bons Officiers, puis qu’il y a tant de belles Ecoles, où l’on instruit de bonne-heure la jeune Noblesse dans l’Art Militaire.

[Réception de M. Daucour à l’Académie Françoise] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 173-188.

La place que Mr de Mézeray avoit laissée vacante dans l’Académie Françoise, a esté remplie par Mr Daucour. Le choix que Mr Colbert avoit fait de luy, pour le mettre aupres de Mr le Marquis de Blainville son Fils, dit plus à son avantage, que toutes les loüanges que je pourrois luy donner sur son esprit, & sur sa conduite. Il commença à paroistre dans le monde, par un Ouvrage qui luy acquit beaucoup de réputation, & qui a pour titre, Sentimens de Cleante, sur les Entretiens d’Eugene & d’Ariste. Depuis ce temps-là, ses occupations ne luy ont pas permis d’en faire beaucoup d’autres. Le Discours qu’il fit à l’Académie le Lundy 29. Novembre, jour de sa Réception, ne laissa douter personne, qu’il ne fust capable de réüssir dans tout ce qu’il entreprendroit d’écrire. Ce Discours, quoy que fort long, fut écouté avec une attention qui faisoit connoistre le plaisir qu’on en recevoit. Comme il y avoit déja plus de trois mois que la Compagnie l’avoit agreé, sans qu’il eust encore paru dans ses Assemblées, il s’en excusa, sur la douleur que luy avoit causé la mort de Mr Colbert, & prenant de là occasion de s’étendre sur les grandes qualitez de ce Ministre, il fit voir avec beaucoup de force, & de netteté, tous les avantages que la France avoit reçeus de l’infatigable vigilance, avec laquelle il s’estoit incessamment employé pour le service du Roy, & pour la gloire & la grandeur de l’Etat. Il exagéra ensuite, combien il estimoit l’honneur d’estre associé à une Assemblée d’Esprits choisis, qui travailloient à mettre nostre Langue dans sa derniere perfection ; & dit, Que comme apres la raison, qui est l’essence de l’Homme, rien ne luy estoit si propre, ny si utile que la parole, sans laquelle la raison mesme ne peut se faire connoistre, l’application que Messieurs de l’Académie donnoient à polir, & à perfectionner cette parole, estoit un des plus importans usages de la raison, & qui contribuoit davantage à la prospérité des Etats. Il prouva cela, en faisant voir, Que de toutes les Nations de la Terre, il n’y en avoit point eu de plus heureuses, ny de plus renommées, que celles qui avoient eu sur les autres l’avantage de bien parler ; que parmy les Grecs, ces fameuses Villes qui avoient surpassé toutes les autres en splendeur, les avoient aussi surpassées en éloquence ; & que parmy les Romains, l’heureux Siecle d’Auguste n’avoit pas moins esté le comble de l’éloquence Romaine, que le comble de la grandeur, & de la majesté Romaine. Il ajoûta, Qu’on ne devoit pas s’étonner de cette liaison du bien public avec l’éloquence, si l’on considéroit que c’estoit l’éloquence qui récompensoit le plus magnifiquement ceux qui travailloient pour le bien public ; rien n’estant comparable à la glorieuse immortalité qu’elle donne, & qu’elle seule est capable de donner ; Que tout ce qu’avoient fait les Arts durant les premieres Monarchies, estoit entierement détruit ; que l’Empire des Grecs, & des Latins, estoit aneanty depuis plusieurs siecles ; mais que l’Empire des Lettres Grecques & Latines, subsistoit encore aujourd’huy, & s’étendoit par toute la Terre ; Que la gloire que produit l’Art de parler n’estoit bornée ny par les temps, ny par les lieux ; qu’elle avoit toûjours esté le plus cher objet des plus grands Héros ; qu’Aléxandre & César en avoient esté tellement touchez, que tout ce qu’ils avoient fait de grand & de merveilleux, ils ne l’avoient fait que pour elle ; que l’un avoit pleuré publiquement sur le Tombeau d’Achille, en s’écriant, O que vous estes heureux d’avoir esté loüé par Homere ! & que l’autre avoit voulu estre luy-mesme son Historien. Apres avoir rapporté plusieurs autres avantages de l’Art de parler, dont Mrs de l’Académie font profession, il dit, en parlant du grand Cardinal de Richelieu ; Que le dessein d’établir une Compagnie, toute composée de Personnes illustres, ou en Poësie, ou en Histoire, ou en quelque autre genre d’éloquence, (ce qui la rendoit une des plus politiques, & des plus celebres Assemblées que le monde eust jamais veuës,) estoit une marque de la sublimité de ses lumieres, qui luy faisoient voir dans l’avenir que ses grands desseins pour la France, seroient un jour executez, & qu’il viendroit un temps héroïque, dont les merveilles ne trouveroient jamais assez d’Historiens, de Poëtes, & d’Orateurs ; que ce temps estoit venu ; que le dessein qu’avoit pris un illustre Chancelier, de loger l’Académie Françoise dans son Palais, qui estoit le premier Tribunal du Royaume, avoit esté un heureux présage qu’elle devoit approcher du Trône, & loger dans l’auguste Maison de nos Roys ; que c’estoit le comble de gloire pour elle, qu’elle pût appeller son Protecteur, celuy que toutes les bouches de la Renommée appelloient, le Vainqueur des Roys, le Maistre des Mers, l’admiration de toute la Terre. Il passa de là à l’Eloge de cet incomparable Monarque ; & apres avoir dépeint quelques-unes de ses merveilleuses Actions, avec des traits d’une éloquence tres-vive, voulant faire voir que jamais Potentat sur la Terre n’avoir donné tant d’éclat à la Majesté Royale, il dit, Qu’en quelque état que ce Prince fust, quoy qu’il fist ou qu’il ne fist pas, il paroissoit toûjours avec une grandeur infinie ; Que s’il parloit, c’estoit une parole effective qui sembloit produire les choses mesmes qu’elle signifioit, & que s’il ne parloit-pas, c’estoit um silence qui étonnoit, & dans lequel on sçavoit bien que se formoit le destin des Etats ; Que s’il faisoit la moindre démarche, son action donnoit le mouvement à toute l’Europe ; que s’il n’en faisoit aucune, son repos tenoit tout l’Univers en suspens ; & qu’enfin quoy que l’on pust regarder en luy, parole, silence, mouvement, repos, tout y estoit grandeur, gloire, puissance, autorité.

Mr Daucour ayant finy son Discours, en protestant à Messieurs de l’Académie, qu’il conserveroit toûjours pour la grace dont ils l’avoient honoré, une parfaite reconnoissance dans un cœur tout plein d’estime, de respect, & de soûmission pour leur Compagnie, Mr Doujat, qui en est présentement le Directeur, luy répondit à peu prés en ces termes.

MONSIEUR,

L’Académie Françoise aura toûjours des sentimens de venération & de reconnoissance, pour la mémoire du grand Ministre, dont la perte ne luy est pas moins sensible qu’à vous. Comme c’est un malheur qui nous est commun, il me seroit difficile de trouver des termes propres pour vous donner la consolation dont nous avons nous mesmes besoin. Nous avions fait un peu auparavant une autre perte considérable, en la Personne de Mr de Mezéray. La Compagnie se tenoit honorée de sa profonde érudition, & de la beauté de son esprit. Tout le monde sçait ce que luy doit nostre Histoire, & nous sommes témoins de la grande part qu’il a euë à nos Travaux ordinaires, par une continuelle application, & par une étude particuliere des Langues, qui peuvent servir à rendre la nostre plus parfaite. On trouvoit toûjours dequoy s’instruire dans sa conversation, & l’on voyoit aisément qu’il y avoit peu de choses dans l’étenduë des belles Lettres, qui eussent échapé à sa connoissance.

Vous pouvez juger, Monsieur, par le choix que l’Académie Françoise a fait de vous, pour remplir la place d’un Homme de ce mérite, quelle estime elle fait de vostre Personne. Elle a consideré vos talens, qui malgré le soin que vous avez pris de les cacher, ne peuvent estre inconnus qu’à ceux, qui n’ont aucune connoissance du monde. Comme elle a beaucoup de satisfaction de vous voir entrer dans ses exercices, elle espere que par vostre assiduité vous répondrez à son attente, & que vous contribuërez beaucoup par les lumieres de vostre esprit, à la perfection des Ouvrages qu’elle a voulu entreprendre. Elle espere mesme que vous joindrez vos nobles efforts à ceux de ces grands & beaux Génies, qui tâchent de se prévaloir des incomparables Actions de nostre auguste Protecteur, pour relever par leur Prose, ou par leurs Vers, la gloire de nostre Nation, & la beauté de nostre Langue.

[Madrigal]* §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 188-190.

En vous parlant de la derniere distribution des Prix de l’Académie, j’oubliay à vous envoyer ce Madrigal de Mr Diéreville à Mr de Santeüil, Chanoine de S. Victor. Vous vous souvenez, Madame, que la Traduction de son Ode Latine, faite par Mr de la Monnoye, y remporta celuy de Poësie.

Tandis qu’en mille Lieux on n’entend dans l’Eglise
Que retentir le Chant de tes Hymnes sacrez,
Et que toute la Terre en marquant sa surprise,
Dit, qu’il faut que le Ciel te les ait inspirez ;
Que ta gloire, SANTEUIL, paroist digne d’envie,
 Estant comblé de tant d’honneurs,
 Lors qu’on voit que l’Académie
 Couronne encor tes Protécteurs !

[Description de tout ce qui s'est passé à la Pompe Funébre de M. le Comte de Vermandois] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 190-208.

Ma derniere Lettre vous apprit la mort de M le Comte de Vermandois ; il faut aujourd'huy vous apprendre quelle a esté la Pompe funébre de son Inhumation. Sa Majesté ayant choisy l'Eglise Cathédrale de Nostre-Dame d'Arras pour le lieu de la Sepulture de ce Prince, Elle le fit sçavoir à Mr l'Evesque & au Chapitre de cette Ville-là, par ses Lettres de Cachet, & leur ordonna de luy rendre des honneurs conformes à une Personne de son rang. L'on fit aussi-tost sonner toutes les grosses Cloches de la grande Eglise : & le lendemain 26. de Novembre, Mr le Marquis de Montchevreüil son Gouverneur, ayant donné avis qu'entre onze heures & midy son Corps seroit amené, Mr Guitonneau, ancien Chanoine de la Cathedrale, & Maistre de la Fabrique, qui pour l’intelligence singuliere qu’il a des Cerémonies Ecclésiastiques, & des appareils Funébres, avoit esté choisy par le Chapitre pour dresser celuy-cy, employa tant d’Ouvriers, & concerta si bien toutes choses, qu’à onze heures les trois grands Portails, le Chœur & la Nef de l’Eglise, furent tendus d’une double tenture de Deüil, chargée de Bandes de Velours noir ; outre la Chapelle où le Corps du Prince devoit estre mis en dépost, & dont la draperie qui en bannissoit tout le jour, formoit un Ciel à l’Impérial. [...]

[...] Pendant ce temps toute l'Infanterie se mit sous les armes ; & Mr le Chevalier de Montchevreüil, à teste de trois Bataillons du Régiment du Roy, vint occuper le Cloistre de Nostre-Dame, les Piques & les Drapeaux ornez de longs Crêpes volans, les Tambours drapez de noir & batant lugubrement, & les Armes traînantes. Un Bataillon de Navarre alla en mesme temps border à double haye les Rües depuis le Cloistre jusqu'à la Porte de Meaulens, par où devoit entrer le Corps. Le Clergé des dix Paroisses, & les Religieux de tous les Convents de la Ville, avec leurs Croix, allérent en bel ordre jusqu’à cette Porte, pour le recevoir, luy jetter de l’Eau benîte, & le conduire jusques à la Porte de la Cité. Le Guet de la grande Tour de la Cathédrale ayant averty par un signal que le Corps approchoit de la Ville, Mr l'Evesque avec une Etole & une Chape de Brocard d'or à ramage noir, & la Mitre en teste, accompagné de ses Archidiacres, du Chantre & du Soûchantre, revestus de semblables Ornemens, & de seize Officiers, & précedé de tous les Chanoines ayant leurs hermines, & de tous les Chapelains & Musiciens, se rendit à cette Porte, où le Corps arriva sur les onze heures, au son de toutes les Cloches, & au bruit de toute l'Artillerie de la Ville, de la Cité & de la Citadelle, suivy de toute la Cavalerie l'épée à la main. Mr le Marquis de Montchevreüil la précedoit, avec Mr l’Abbé Fleury Précepteur du Prince défunt, & ses Gentilshommes ; & apres eux venoient tout l’Etat Major, & une foule de Gens de qualité, & d’Officiers d’Armée. Dés que le Carrosse qui portoit le Corps fut arrivé à la Porte de la Cité, les Hautbois de l'Armée commencérent un Concert lugubre, qui convenoit merveilleusement à la Cerémonie funébre qu'on alloit faire. Ce Concert dura jusqu'à ce que la draperie de Deüil qui environnoit le Carrosse estant décousüe, l'on eust descendu le Corps, & qu'on eust mis sur le Brancard à bras que l'on avoit préparé. Douze des plus anciens chanoines le receurent, & le couvrirent d'un riche Poële de Velours noir, barré d'une large Croix de Drap d'or, & orné de quatre Ecussons, dont les quatre coins furent portez par quatre autres Chanoines des plus venérables. Mr l'Evesque ayant fait les Aspersions & les Priéres ordinaires, le Corps fut conduit dans la Cathédrale, au chant de tous les Musiciens, & au son des Hautbois qui concertoient avec eux. On le posa au milieu du Chœur sur une Estrade couverte de Deüil, et sous un grand Daiz de Velours noir, à costé de vingt-quatre grands Chandeliers d’argent, outre quatre autres de sept pieds de hauteur, qui estoient au quatre coins, chargez de quatre gros Flambeaux, & environnez de vingt quatre Enfans vestus de Robes noires, & tenant chacun un Flambeau de six livres. Apres les Chants, les Aspersions, les Encensemens, & un De profundis en Musique composée de Voix & d'Instrumens, le Corps fut levé par les douze Chanoines, & posé avec la mesme cerémonie dans la Chapelle de Deüil qu'on luy avoit préparée ; où apres de nouvelles Priéres, il fut laissé en dépost jusques au jour de l'Enterrement. [...] Le 28. du mesme mois ayant esté choisy pour le jour des Funérailles, on éleva au milieu du Chœur une haute & vaste Chapelle ardente. [...] Sur les trois heures & demie, tout le Clergé de la Cathédrale partit du Chœur où il s'estoit assemblé, & s'en alla dans un tres-bel ordre à la Chapelle de Deüil où reposoit le Corps, & d'où apres les Priéres & Cerémonies accoûtumées, on le transporta au Chœur sous la Chapelle ardente, & sur une vaste Estrade de trois dégrez, & toute drapée de noir. [...] On chanta les Vespres, les Matines à neuf Leçons, & les Laudes. [...] Ce Service commença à quatre heures, & finit à sept.

Le Lendemain, dés cinq heures du matin, on sonna toutes les grosses Cloches de la Cathédrale, presque sans intermission, jusques à une heure apres midy. Sur les dix heures, Mr le Marquis de Montchevreuil accompagné des principaux Officiers de la Maison de Mr le Comte de Vermandois, Mr le Gouverneur & l'Etat Major, le Consul, les Echevins de la Ville & de la Cité, la Gouvernance, & tous les Corps de la Ville, s'estant placez dans le Chœur, aux lieux qu'on leur avoit préparez ; Mr l'Evesque revestu d'un riche Ornement, & assisté de dix-huit Officiers revestus de mesme, celébra la Messe pontificalement. Elle fut chantée en Musique, de la composition de Mr Doré Maistre de celle de la Cathédrale, si connu par les beaux Ouvrages qu'il a donnez au Public. Les Voix estoient accompagnées de divers Instrumens, à quoy répondoit par intervales un Concert de Hautbois en tons tristes & lugubres. Tout le Clergé alla à l'Offrande, un Cierge à la main. La Messe finie, les Hautbois joüérent un Air entiérement lugubre, de la composition de Mr Lully. Apres quoy, Mr l'Evesque accompagné de ses Officiers, vint au haut de la Chapelle ardente faire les Priéres, les Aspersions & les Encensemens ; [...]

[Réponse à la Critique de la Relation du Siège de Vienne] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 268-305.

Je n’ay jamais rien dit contre la verité, du moins quand elle m’a esté tout-à-fait connuë ; & si je me suis quelquefois trompé, on ne peut me reprocher comme à beaucoup d’autres, que j’aye exposé des Faits qui ne fussent pas dans la vray-semblance. On a pû le connoistre dans la Relation particuliere que je vous ay envoyée du Siege de Vienne. Si j’avois eu à douter de la verité des circonstances qu’elle contient, j’ay présentement sujet d’en penser mille choses avantageuses, puis qu’on a tâché de la déchirer, & que l’on n’écrit jamais que contre les choses, qui faisant bruit dans le monde, ont la réputation d’estre approuvées. Il ne falloit plus que cette Critique, pour faire connoître que cette Relation méritoit l’applaudissement qu’elle a reçeu du Public des interessé. On a esté sensible aux veritez que j’ay dites, parce qu’elles ont fait voir trop clairement les calomnies publiées dans les Nouvelles étrangeres, & c’est pour cela qu’on a plûtost attaqué toutes les choses qui regardent cette Relation, que le fonds & la suite de l’Ouvrage, dont on n’a rien dit que confusément sans s’attacher à aucun endroit particulier, si ce n’est à quelques prétenduës contradictions. On a batu du Païs dans dix pages que contient cette Critique, pour détruire tout un Volume. Ce n’est pas que ces dix pages ne soient tellement remplies de choses, ausquelles on ne peut donner d’autre nom que celuy d’injures ; que si on les ostoit toutes, on ne trouveroit presque plus rien qui pust servir de réponse à la Relation qu’on a voulu critiquer, & contre laquelle on n’allégue rien qui détruise aucun Fait. Il paroist mesme, que l’Autheur n’a lû, ny ce qu’il attaque, ny ce qu’il défend. Il dit d’abord, que la Relation imprimée sous le nom de l’Autheur du Mercure Galant, porte pour titre, Relation Veritable. Ce mot de Veritable, ne se trouvera que dans sa Critique. On n’a pas voulu mettre un titre spécieux, qui donnast lieu de la rechercher. Cela n’est bon qu’à ceux qui se défient de leurs Ouvrages, & l’on a voulu que la verité fist plûtost souhaiter de voir cette Relation, que le titre de Veritable, qu’il répete dix fois dans les dix pages de sa Critique, comme si je l’avois mis, quoy que je ne m’en sois pas mesme servy dans le titre. Je ne dis rien des injures qui sont dans les premieres de ces dix pages. Les invectives tiennent lieu de raisons à ceux qui en manquent, & l’on ne doit jamais y répondre, si l’on ne veut se rendre aussi méprisable, que ceux en qui l’on blâme un caractere si bas. Je laisse donc les injures, pour répondre à quelques Articles.

On veut que la Gazete imprimée à Vienne en Italien, & dont j’ay cité beaucoup d’endroits, soit une Gazete suposée, & que j’aye esté surpris en y ajoûtant foy. Il ne faut pas une grande subtilité, ny une grande penétration d’esprit, pour faire de pareilles Critiques ; il suffit de nier des Faits, & de ne rien alléguer pour les détruire ; mais il faut que ceux qui en usent de la sorte, soient bien persuadez du peu de lumiere des Lecteurs. Pour moy, qui leur rends plus de justice, & qui ne crois pas qu’ils puissent estre si facilement trompez, je ne me mets pas en peine de détruire cet endroit qui ne peut rien détruire dans leur esprit. On nie un Fait, sans en donner de raisons. Que puis-je répondre lors qu’on ne m’allégue rien ? Cependant, il est constant que la Gazete qui sert en beaucoup d’endroits de fondement à ma Relation, est venuë de Vienne. Je l’ay euë en Original, c’est à dire, l’Imprimé mesme, & non une Copie écrite à la main, & je la tiens de Mr Bachelier, demeurant Ruë S. Denys. Ce sont Personnes dont la probité, & le nom sont également connus à Paris. Ils l’ont reçeuë de Vienne, où chacun sçait qu’ils ne manquent pas de correspondans ; & je ne puis croire que j’aye merité des injures, pour avoir parlé comme ont fait ceux qui ont esté témoins de ce qu’ils ont dit. Il est vray que la sincérité des Allemans, n’a pas plû aux Espagnols dont les manieres sont exagérantes ; mais j’ay crû me devoir plûtost raporter à ceux qui ont souffert, & qui ont combatu, qu’à ceux qui composoient dans leur Cabinet des Relations prématurées, pour imposer à toute la Terre, & embarasser tellement la verité qu’elle ne pust estre reconnuë. Ils prétendoient que le grand nombre de Turcs qu’ils faisoient tüer dans leurs Relations, & les calomnies dont ils noircissoient ceux de qui ils ont évité de recevoir du Secours, devoient leur tenir lieu de celuy qu’ils n’ont pas donné. Je ne doute point que l’Autheur de la Critique, qui ne peut soufrir les veritez dont ma Relation est remplie, ne soit de ce party. La preuve en est évidente. Il se cache ; c’est la maniere d’agir de ceux qui doutent du succés de leur entreprise. Ils en sont quites pour ne se pas faire connoistre, quand ils sont vaincus. Le Libraire mesme, qu’on sçait estre celuy qui a fait imprimer la Relation de Besançon, n’ayant ny Permission, ny Privilege, n’a osé mettre son nom à cette Critique. Il a seulement cherché à construire le titre d’une maniere, qui pust faire croire qu’elle se vend à Lyon, chez le Sr Amaulry, quoy que le nom du Sr Amaulry n’y soit employé, que parce qu’il vend la Relation que je vous ay envoyée. En effet, y a-t-il quelque apparence qu’il voulust debiter un Ouvrage fait pour la détruire, sur tout lors que le profit en seroit moindre, tel que celuy de cette Critique, qui ne contient que dix pages ?

Ensuite cet Espagnol (car il le doit estre d’inclination, ou de naissance) me reproche d’avoir dit que la Polique des Espagnols, est de taire toûjours à leurs Peuples la perte qu’ils font, & qu’on ne sçait pas encore en Espagne que les François soient maistres d’Arras. Il ne me condamne que parce que Balzac a dit cela avant moy ; mais il ne prend pas garde qu’il me justifie en faisant cette remarque, puis qu’il fait connoistre par là, que ce n’est pas d’aujourd’huy que l’on sçait quelle est la Politique des Espagnols sur le Fait dont il s’agit. Mais, dit ce Critique, si cette pensée estoit suportable dans le temps que Balzac écrivoit, parce qu’il y avoit peu d’années que cette Ville avoit esté assiégée, & prise par les François, à present cette figure est poussée trop loin, & perd tout l’agrément que Balzac luy avoit donné. Je prétens tout au contraire, que cet agrément redouble aujourd’huy. Ce n’estoit pas une chose extraordinaire, qu’on eust pû cacher la prise d’une Ville peu de temps apres sa réduction ; mais il est bien plus merveilleux, que les Espagnols ayent l’adresse de la cacher encore apres un fort grand nombre d’années. Je veux toutefois que le temps l’ait fait connoistre. Puis qu’on ne blâme ce que j’ay dit, qu’à cause de la longueur du temps qu’il y a que cette Ville est prise ; l’Autheur du Libelle, ne nie pas la Politique Espagnole à cet égard ; & puis que c’est tout ce que j’ay voulu montrer en cet endroit, je suis venu à bout de mon dessein. Quand j’ay parlé d’Arras, j’avois des exemples plus ressens, & je ne voulois pas dire que durant les dernieres guerres, on avoit pendu un Homme à Naples, pour avoir publié la prise d’une Ville Espagnole.

Le Censeur me blâme en suite, d’avoir fait faire quinze lieuës d’Allemagne en un jour à l’Armée qui se retira dans Vienne, sans avoir eu égard à tout l’Attirail qui suit une Armée, au Bagage, au Canon, & au reste. Cela paroist assez spétieux ; mais j’ay seulement parlé comme François, sans marquer lieuës d’Allemagne. D’ailleurs il n’estoit plus question d’Armée en ordre. On se mettoit peu en peine du Bagage & du Canon ; en un mot on fuyoit, & la peur donne des aisles. On sçait d’où les Troupes partirent, on sçait quand elles arriverent à Vienne, c’est un Fait marqué par tout, & genéralement tenu pour constant. Ainsi je ne me mettray pas en peine de répondre à une objection si peu juste.

On fait apres cela un tres-grand dénombrement des Forces Ottomanes, pour me blâmer d’avoir dit que le Grand Vizir n’avoit que quarante mille hommes d’Infanterie devant Vienne. Je l’ay dit, je le soûtiens, & je le croy ; & quand l’Armée des Turcs auroit esté composée de cinq cens mille hommes, il n’estoit pas impossible qu’ayant un si grand trajet à faire, elle n’en eût que quarante mille de pied. D’aussi longues Marches ruinent l’Infanterie ; & le Grand Vizir devoit se tenir fort heureux d’en avoir encore autant, lors qu’il arriva devant Vienne. Quand on a beaucoup de Cavalerie, on ne manque pas de Gens de pied, & il n’est pas extraordinaire de voir des Cavaliers Turcs mettre pied à terre, pour avancer les Travaux d’un Siege.

Comme on ne cherche qu’à me critiquer, quand je parle pour les Allemans, on se déclare contre eux ; & quand je parle contre eux, on se déclare contre moy. C’est une marque que ma Rélation donne peu de matiére à la Critique, puis qu’on s’attache à des choses, qui n’étant point du Fait, n’en peuvent rendre le fonds ny véritable ny faux. J’ay loüé le Comte de Staremberg d’une belle Action, qu’on m’a assuré qu’il avoit faite à la Bataille de Senef, on ne veut pas qu’il s’y soit trouvé ; j’y consens, mais il est certain que son Régiment y estoit. On voit par là, que j’ay cherché toutes les occasions qui m’ont pû fournir dequoy loüer les Commandans de l’Empereur ; & puis que j’ay voulu élever ce qu’ils ont fait même contre la France, on doit estre convaincu que mon dessein n’a pas esté d’abaisser ce qu’ils ont fait contre l’Ennemy commun de la Chrétienté.

On m’impute à crime d’avoir parlé de la Maladie du Comte de Staremberg, comme si c’en estoit un à ce Comte d’avoir esté malade. Sa maladie est un Fait constant, & c’est un malheur que chacun éviteroit, s’il le pouvoit faire. Peut-estre que le Comte de Staremberg n’a pas paru plus grand Capitaine, estant en pleine santé, que je l’ay fait voir dans sa maladie. J’ay marqué qu’il s’est fait faire dans son Lit le raport de tout ce qui s’est passé, qu’il a fait agir son esprit & son experience, & qu’il a donné tous les ordres necessaires à la seûreté de la Place. Un vray Capitaine défend moins les Villes du bras que de la teste, puis qu’il n’a pas plus de force qu’un simple Soldat. L’expérience & la conduite, font les Genéraux ; & la vigueur, les Soldats. Personne n’ignore que des Genéraux, quoy que malades, ont gagné des Batailles, lors qu’ils ont esté portez au milieu de leurs Armées, & que leur mal leur laissoit encore assez de relâche pour donner des ordres. Toutes ces choses font voir que si le Comte de Staremberg avoit à se plaindre de quelqu’un de ceux qui ont écrit touchant le Siége de Vienne, ses plaintes tomberoient bien moins sur moy, que sur celuy qui le veut défendre en m’attaquant.

Je ne voy pas que la contrariété dont on m’accuse soit juste, lors qu’on me reprend d’avoir dit dans un endroit de ma Rélation, que Vienne estoit fourny de Vivres pour six mois ; & dans un autre, qu’un Bœuf y estoit fort cher quelques heures avant la Levée du Siége. Il n’y a rien dans cet Article qui ne soit d’usage. Quoy qu’il y ait beaucoup de Vivres dans une Place assiégée, la prudence veut qu’on les ménage, parce qu’on ne sçait pas combien de temps on en peut avoir besoin.

On employe une subtilité assez nouvelle, pour m’accuser encore d’avoir en deux endroits parlé diféremment de la même chose ; & l’on pourroit donner dans ce piége, si l’on n’y faisoit pas réflexion. Voicy l’adresse dont on s’est servy. Au lieu que naturellement on raporte les choses dont on veut parler, dans l’ordre qu’elles ont esté dites, mon Censeur cite la derniere en premier lieu ; & apres avoir parlé de ce que j’ay dit dans la page 128. il me le fait dire d’une autre maniere dans la page 75. S’il n’avoit point fait de transposition, on auroit vû que j’ay dit une chose dans la page 75. dont je me suis dédit dans la page 128. Je ne l’ay point ôtée du premier endroit où j’en ay parlé, parce qu’il n’est pas aisé de retrancher ce qui est déja imprimé ; mais j’ay fait ce qui se pratique ordinairement par ceux qui écrivent de bonne foy ; j’ay rectifié cet endroit dans la suite. Toutes les choses dont un Autheur s’aperçoit, lors qu’il les met à dessein, & qu’il en donne avis, ne peuvent passer pour des Contrariétez. Je ne sçay pas si l’Inconnu qui se cache en m’attaquant, a prétendu m’imputer comme une faute, de m’estre dédit ; mais je m’en fais une gloire. Je montre par là, que je n’ay épargné ny soins ny recherches, pour découvrir la vérité ; & que l’ayant trouvée, je ne me suis point fait une honte de me dédire de ce que j’avois mis quelques pages auparavant.

Apres vous avoir parlé d’une transposition faite exprés pour m’accuser de contrariété, il faut vous dire dequoy il s’agissoit, & vous faire voir que l’Autheur de la Relation de Besançon, que l’on veut défendre en m’attaquant, a fait la faute dont on m’accuse. Il est question de sçavoir si les Turcs ont laissé dans leur Camp de l’or, de l’argent, des pierreries, & genéralement tout ce qui peut mériter le nom de précieux. Il dit dans la page 79. Que les Turcs ont laissé quantité de Richesses, en or, en argent, & en pierreries, le Grand Vizir estant sorty de son Camp, sans rien enlever de ses Meubles. Et dans la page 81. il dit, Qu’il y avoit trois jours qu’il avoit commencé à renvoyer ses meilleurs & plus riches Equipages, avec ses Femmes, & le gros Canon ; qu’à son exemple les Bassas & Agas de l’Armée avoient renvoyé tout ce qu’ils avoient de plus précieux ; & que si toutes ces choses estoient restées, on auroit profité de plus de trente millions. Ce sont les propres termes des deux endroits de la Relation de Besançon, qui se contredisent. Il n’y a point de raisonnement à faire là-dessus, il suffit de lire ; ainsi je n’en diray rien.

Il faut que l’Autheur de la Critique ne trouve guéres d’endroits à reprendre dans ce que je vous ay écrit du Siége, puis qu’il s’attache à une faute qui ne peut estre que d’impression. J’ay fait, dit-il, descendre le Roy de Pologne aux Jacobins, je luy ay fait entonner le Te Deum, & je l’ay fait poursuivre par les Augustins. Il est vray que ce sont ces derniers qui l’on chanté dans la Chapelle de Nostre-Dame de Lorette, où le Roy de Pologne se rendit. Mais ce n’est pas là dequoy il s’agit ; c’est de sçavoir si ce Monarque alla en l’Eglise S. Estienne, comme dit l’Auteur de la Relation de Besançon, dans la page 55. Je soutiens toûjours qu’il n’y a point esté. C’est un Fait de notoriété publique, dont tout le monde convient. Il n’en faut pas davantage, pour marquer que l’Autheur de cette Relation, qu’on suppose avoir esté dans Vienne pendant le Siége, n’y estoit point, puis que voulant faire une Relation, & estant dans la Ville, il auroit esté au Te Deum, ou du moins auroit sceu en quel Lieu le Roy de Pologne auroit esté le faire chanter. Un Roy conquérant, & suivy d’un Peuple qu’il vient de délivrer, & qui ne l’a jamais vû, marche avec assez de bruit dans une Ville où tout est en joye, pour ne pas dérober la connoissance des Lieux où il va.

Je ne me contredis point, comme mon Censeur le prétend mal à propos, lors que j’ay dit que tout ce qui s’est passé au Siége de Vienne, est tiré d’une Gazete, &c.… apres avoir dit dans ma Préface, que ma Relation a esté composée sur de bons Mémoires. Il faut regarder deux choses dans cette Relation ; l’une, ce qui s’est passé pendant le Siége ; & l’autre, ce qui s’est fait à la Retraite des Turcs. La plûpart des Mémoires qui regardent le Siége, me viennent de ceux qui estoient dans la Ville, & qui ont combatu ; & comme ils n’ont voulu parler que des choses dont ils ont eux-mêmes esté Acteurs, la Gazete de Vienne m’a beaucoup servi pour la Levée du Siége. Ainsi j’ay eu lieu d’avancer ce que j’ay dit, & de croire que j’ay travaillé sur de bons Mémoires.

Tout ce que je trouve de plus raisonnable dans la Critique, est l’endroit où l’on dit, que dans les Relations qui ont esté faites, l’exagération est loüable, puis qu’elle est employée à la gloire du Christianisme, & à la honte de ses plus cruels Persécuteurs ; que c’est un excés de zéle, qui fait grossir les especes, & qui a élevé jusques aux Cieux des Trophées à la Religion. Voila ce qu’il me faloit dire d’abord ; & il n’estoit point question d’employer du papier, pour détruire en dix lignes, ce que l’on a crû prouver en dix pages. On veut me montrer par là, qu’un Chrétien ne devoit pas dire la verité. Mais si l’on élevoit autant ce que j’ay mis dans ma Relation à l’avantage des Chrétiens, que l’on abaisse le reste, on verroit que pour avoir épargné leur sang, je n’ay rien diminué de leur gloire ; & que puis qu’ils ont fait lever le Siége de Vienne, & pris en suite quelques Places, tous les avantages des Vainqueurs leur sont demeurez. J’ay tâché de donner de l’éclat à leurs actions, mais avec vray-semblance, & sans exagération, de peur que la verité se découvrant tost ou tard, on n’eût de la peine à la croire, à cause des choses peu vray-semblables dont on l’auroit veuë envelopée.

Quand toutes ces fautes qu’on m’a suposées, seroient véritables, elles sont en si petit nombre, qu’à moins d’y prendre un intérest tres-particulier, on ne s’en pourroit apperce-voir dans une Rélation qui seule contient un Volume. On veut critiquer, & l’on n’attaque rien ; car je ne croy pas que quelques prétenduës contradictions puissent faire passer tout un Livre pour faux. Il est aisé de juger que l’Autheur de la Relation de Besançon a voulu faire trouver des defauts dans un Ouvrage qui détruit le sien. On connoist par sa Réponse un peu trop précipitée, qu’il n’est pas dans Vienne. Il peut écrire tant qu’il luy plaira, il n’aura de moy aucune réplique, lors qu’il continuëra de se cacher. Si je répons aujourd’huy, il ne doit pas croire qu’aucun mouvement d’aigreur ou de chagrin me l’ait fait faire. Je me serois tû, s’il n’avoit falu que repousser des injures ; mais j’ay crû devoir quelques éclaircissemens à ceux, qui entraînez par les sentimens, ou par les raisons politiques des Personnes interessées, pourroient un jour douter de la vérité de ma Relation.

[Service fait pour la Reyne aux Carmélites de la Ruë du Bouloir] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 314-316.

Je ne finirois point, si je voulois vous parler de tous les honneurs que l'on a rendus à la mémoire de la Reyne ; mais je ne dois pas oublier que les Carmélites de la Ruë du Bouloir ayant fait faire un Service solemnel pour cette Princesse le 20. de ce mois, la Messe y fut celébrée pontificalement par Mr l'Evesque d'Auxerre, & l'Oraison Funébre prononcée par Mr l'Abbé des Alleurs, Aumônier de Madame la Dauphine. Il répondit à l’attente qu’on avoit de luy, & opposa à toutes les Actions de grandeur du Roy, des Actions de pieté de la Reyne. Un grand nombre de Prélats, & de Personnes de qualité, formoient l’Assemblée, & les Religieuses de ce Convent n’oublierent rien dans cette Cerémonie, doublement triste pour elles, de ce qui pouvoit marquer leur douleur & leur juste reconnoissance. La Musique, qui fut fort touchante, estoit de la composition de Mr Charpentier. Vingt-quatre Pauvres qu’elles avoient revestus, allerent à l’Offertoire, chacun un Cierge à la main. Dés le temps de la mort de cette grande Princesse, elles avoient fait tendre toute leur Eglise de deüil, avec trois Bandes de Velours chargées d’Ecussons, qui demeureront toute l’année. Tous les jours, à l'issüe de leurs Vespres, leur Cloche avoit annoncé les Prieres publiques qu'elles faisoient pour cette illustre Défunte ; [...]

[Mort de Madame d’Urfé] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 317-319.

J’oubliay de vous apprendre il y a un mois, que Madame la Marquise d’Urfé estoit morte icy le 5. de Novembre. Elle s’appelloit Marguerite d’Alegre, & avoit épousé Messire Emanüel de Lascaris, Marquis d’Urfé Comte de Sommerive, Maréchal des Camps & Armées du Roy, & de son nom le dix-septiéme Bailly de Forests. Je vous ay parlé de ces deux Maisons en plusieurs de mes Lettres. Cette Dame a laissé pour Enfans Mr l’Evesque de Limoges ; Mr l’Abbé d’Urfé, Doyen de Nostre-Dame du Puy ; le Pere d’Urfé Visiteur de l’Oratoire ; Mr l’Abbé de S. Just d’Urfé ; & Mr le Comte d’Urfé, Enseigne des Gardes du Corps, qui par la retraite de ses quatre Freres aînez, & par la mort de Mr le Marquis d’Urfé, Colonel de Cavalerie, qui mourut le 14. Septembre de l’année derniere, se voit aujourd’huy l’unique espérance de cette illustre Maison, dans laquelle ces derniers du nom d’Urfé, ont joint la Devotion aux Armes, & aux belles Lettres. Il y a aussi trois Filles, dont l’une est Veuve de Mr le Marquis de Langeac de la Rochefoucaut, & les deux autres, Religieuses de Sainte Claire de Montbrison en Forests.

[Impression de la Comédie d’Arlequin Procureur] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 321-326.

Avant que Moliere travaillât pour le Théatre, tout le fruit qu’on retiroit des Comédies Françoises, estoit de se divertir une apres-dînée. Cet excellent Autheur joüa les défauts des Hommes, & cela fit changer de manieres à bien des Gens, & sur tout à la Jeunesse de qualité. Il attaqua ensuite les mœurs, ce qui en remit beaucoup d’autres dans le droit chemin ; mais jamais ses Piéces n’ont esté si profitables, que lors qu’il a joüé les Professions. Depuis sa mort, on a fait quelques Comédies, dont le succés a esté tres-grand ; mais elles sont en fort petit nombre, & de celles-là aucune n’a esté plus utile que celle d’Arlequin Procureur, dans laquelle les Comédiens Italiens ont fait voir les divers tours de souplesse des méchans Procureurs ; parce qu’en faisant réflexion sur toutes les friponneries qui s’y trouvent dépeintes d’une maniere tres-naturelle, on peut chercher des moyens pour s’empêcher de tomber dans ces malheurs. Quiconque y peut reüssir évite souvent sa ruine, & celle de sa Famille, sans compter les peines qu’il s’épargne. Je me souviens d’avoir vû dans cette Piéce un Procureur, qui ne pouvant légitimement occuper que pour une seule personne, ne laisse pas d’occuper pour neuf. La réflexion que j’ay faite sur cet Incident, a esté cause que j’ay découvert depuis huit jours, qu’un Procureur qui occupoit pour moy dans une Affaire, occupoit aussi pour ma Partie, sous le nom d’un autre Procureur. Ce sont des services qu’ils se rendent tous les jours les uns aux autres, & ausquels on ne s’aviseroit jamais de prendre garde, si l’on n’avoit vû cela dans la Comédie d’Arlequin Procureur. On y trouve cent tours de cette nature, si bien touchez, que rien ne paroît plus vray-semblable. Comme les Comédiens ne peuvent jouër cette Piéce aussi souvent que les Particuliers qui en veulent profiter le souhaiteroient, & que d’ailleurs on ne la jouë point dans les Provinces, le Public a demandé avec ardeur qu’on l’imprimât, & enfin elle a esté mise sous la Presse. Le Sr Blageart Libraire, Court neuve du Palais, commence à la débiter. C’est un trésor qui mérite qu’on le garde ; & quiconque est sur le point d’avoir un Procés, doit la lire & la relire avec soin, afin de perdre l’envie de plaider, ou du moins afin de prévoir aux friponneries qu’on luy peut faire. L’Autheur n’ayant pû les faire entrer toutes dans la Comédie, on en trouvera encore d’autres dans la Préface. Je ne vous dis rien pour justifier les Procureurs de bonne foy, & leur Profession. Je vous écrivis amplement là-dessus, lors que je vous manday le succés de cette Piéce. Le defaut est de l’Homme ; il est personnel, & non de la Profession. Les armes défendent l’Etat & les Loix, & cependant on s’en sert pour commettre des assassinats.

[Mort de M. Boileau] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 328-329.

Mr Boileau, Sr de Puimorin, qui a esté Intendant & Controlleur Genéral de l’Argenterie, Menus-Plaisirs, & Affaires de la Chambre de Sa Majesté, est mort aussi dans le mesme temps. C’estoit un Homme d’une societé agréable, aimé de toutes les Personnes d’esprit & de qualité, & Frere de l’illustre Mr Despréaux, qui nous a donné autant de Chef-d’œuvres, que nous avons d’Ouvrages de luy.

[Réjoüissances faites pour la Naissance de Monseigneur le Duc d'Anjou] §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 350-352.

Le Roy assista [...] au Te Deum, qui fut chanté par la Musique de la Chapelle & ce Prince donna dequoy délivrer tous ceux qui estoient pour debtes dans les Prisons de Versailles. Le soir, il y eut des Feux de joye dans toutes les Ruës, & le jeudy 23. de ce mois, ayant esté choisy pour rendre graces à Dieu de cette Naissance dans l'Eglise Nostre-Dame de Paris, le Canon de l'Arsenal, de la Bastille, & de la Gréve, se fit entendre le matin, aussi-bien que les Horloges publiques, qui carillonnerent pendant tout le jour. Le Te Deum fut chanté en présence de Mr le Chancelier, avec toute les cerémonies accoûtumées, & le soir on fit des Feux de joye ordinaires dans ces sortes d'occasions. Ces Feux furent précedez d'un Feu d'artifice qui estoit dressé devant l'Hôtel de Ville.

Sur la Naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 353.

SUR LA NAISSANCE
de Monseigneur
LE DUC D’ANJOU.

Tous les vœux de LOUIS ont une heureuse suite,
Ses Loix de ses Etats ont banny les Düels,
Ses Peuples comme aux coups le suivent aux Autels,
La gloire, & le bonheur couronnent sa conduite.
 S’il souhaite de voir ses Lis,
 D’un brillant Fleuron enbellis,
Dans neuf mois on le voit éclore ;
Il en souhaite un autre, on en voit un second.
D’autres succés nous montreront
Ce qu’il peut souhaiter encore.

Sur le mesme Sujet. Au Roy §

Mercure galant, décembre 1683 [tome 14], p. 354.

SUR LE MESME SUJET.
AU ROY.

 Et vous vous limitez, Héros toújours heureux ?
 Les succés les plus difficiles
 Semblent s’attacher à vos vœux,
 Dans un mois vous prenez vingt Villes,
 Deux ans vous donnent deux Neveux.
Vos plus hardis Projets vous deviennent utiles.
L’effort des Ennemis tourne toûjours contre eux.
Et vous vous limitez, Héros toûjours heureux ?