1684

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1684 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1]. §

[Prélude] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 1-9.

Nous entrons, Madame, dans la huitiéme année de nôtre commerce ; & si les cent quatorze Lettres, tant ordinaires qu’extraordinaires, que je vous ay déja adressées, n’ont pas autant d’agrément qu’elles auroient pû en recevoir d’une Plume plus polie, & plus délicate que la mienne, du moins il seroit bien difficile qu’un autre que moy fust aussi exact, à l’égard des soins qu’il faut avoir pour ramasser dans leurs véritables circonstances, toutes les Nouvelles qui les composent. L’avantage que ces Lettres ont de plaire à quantité de Nations diférentes chez qui elles passent, fait assez connoistre qu’on les trouve curieuses ; & comme l’empressement que l’on a eu de les voir, vous a obligée à consentir qu’elles devinssent publiques, il est aisé de juger qu’on ne s’engageroit pas à continuer les dépenses qu’il faut faire pour les mettre en état d’estre leuës de tout le monde, si elles n’estoient toûjours favorablement reçeuës. Je manque souvent de temps pour regler mon stile dans toute la netteté qui luy seroit necessaire, mais je n’en manque jamais pour m’instruire à fond de tout ce qui est essentiel aux grandes Nouvelles ; & si je puis estre quelquefois surpris par de faux Mémoires, ces sortes d’Articles ne regardant que des incidens particuliers, ne peuvent avoir assez de poids pour me faire soupçonner de n’estre pas veritable dans le détail des évenemens qui doivent appartenir à l’Histoire. Le Public en a paru jusqu’icy assez satisfait, & ce n’est pas un petit bonheur d’avoir pû m’accommoder à tant de gousts diférens, dans un si grand nombre de Volumes. J’ay lieu d’espérer le mesme succés pour tous ceux qui les suivront, puis que la grande pratique des affaires du monde pendant tant d’années, fait qu’on en a plus de connoissance, qu’on en démesle plus aisément la verité, & que pour s’en éclaircir, on trouve moyen d’établir en plus de lieux de seûres correspondances. Je puis mesme vous assurer que mes Lettres seront plus curieuses dans la suite qu’elles n’ont encore esté, & que vous trouverez dans toutes, à commencer par celle-cy, ce que vous n’avez point encore vû dans les autres, c’est à dire, que je répondray, mais sans invectives, à toutes les injures, & les calomnies des Nouvelles imprimées chez quelques Etrangers, & sur tout à celles qui paroissent sans que l’on nomme l’Autheur, ny la Ville où elles se debitent. Ce nom d’Autheur suprimé, est un stratagême pour les faire trouver plus veritables, & leur donner plus de cours. On a réüssy dans ce dessein ; elles en ont autant que les autres, & comme personne ne les contredit, elles peuvent surprendre les crédules, les mal-intentionnez, & les jaloux de la gloire de la France. Il semble que ces Politiques ayent place dans les Conseils d’Etat des Souverains, & l’on pourroit dire qu’il s’y traite moins d’affaires qu’ils n’en publient, puis qu’en deux jours diférens, ils donnent six feüilles volantes chaque semaine. Ce sont vingt quatre par mois ausquelles je répondray, & je commenceray par la réponse que je feray à celles de Janvier. Cet Article ne pouvant estre qu’à la gloire du Roy, & de la France, parce qu’il découvrira la Politique des Ennemis de sa grandeur, devroit faire le commencement de chacune de mes Lettres, où les actions de ce grand Prince luy ont toûjours composé un éloge par elles-mesmes, sans que je leur aye presté aucun ornement. Cependant il faut que je le réserve pour le dernier, la longueur de chaque Lettre me la faisant commencer avant que je puisse voir ces Imprimez, qui ne paroissent que de semaine en semaine.

[Devises] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 9-11.

La Réponse que vous trouverez à la fin de celle-cy, contiendra tout ce qui regarde la Déclaration de Guerre faite à la France par les Espagnols, tout ce qui s’est dit & fait à l’occasion de cette Guerre, & l’état au vray des Affaires de l’Europe pendant tout ce mois. En attendant ce qu’il me reste à sçavoir pour ce grand Article, je vay vous apprendre les Nouvelles dont on m’a fait part ; mais ce ne sera qu’apres vous avoir parlé de deux Devises faites pour le Roy, au jour des Etrennes. Elles sont de Mr Magnin, aussi-bien que les Madrigaux qui les expliquent.

La premiere est une Main qui donne l’Encens au Soleil, avec ces mots, De munere munus.

Qui ne sçait pas que le Monde
Ne reçoit uniquement
Que de cet Astre charmant,
Tous les biens dont il abonde ?
De cette Etrenne aujourd’huy
Il faut donc qu’il se contente,
Car l’Encens qu’on luy présente,
On ne le tient que de luy.

Le Soleil au Signe de la Balance, fait le corps de la seconde. Ces paroles luy servent d’ame, Sors respicit æqua merentes.

 Juste & reglé dans sa Carriere,
 Toûjours agissant, jamais las,
 C’est d’une équitable maniere
 Qu’il répand ses dons icy bas.
 Encore que chacun profite
 De sa lumiere également,
Sa vertu sur les corps agit diféremment ;
 Il en balance le mérite,
 Et ce mérite seulement
A la communiquer le dispose, & l’invite,

[Plusieurs Ouvrages en Vers sur la Naissance du Duc d’Anjou] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 26-33.

Voicy quelques Vers qu’on m’a envoyez sur la Naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou. Les premiers sont de Mr d’Ormy.

 France, tes vœux sont accomplis,
 Le Ciel par un nouveau prodige
 Fait d’une incomparable Tige
Naître un nouvel appuy de la gloire des Lys.
 Que sa naissance a d’éclat & de lustre !
 Qu’il est heureux ce bel Enfant !
Petit-Fils d’un Héros sans cesse triomphant,
 Fils d’un Pere éclatant, illustre,
Qui suit avec tant d’art le chemin des Héros,
Fils d’une féconde Victoire,
 Né dans un temps, où la Victoire
De son auguste Ayeul couronne les travaux.
Puis que dés le moment qu’il ouvre sa carriere,
Il voit de tous costez lumiere sur lumiere,
Que tout rend à l’envy son Berceau glorieux,
 Puisse l’Autheur des Destinées
 Combler d’heur ses tendres années,
 Afin qu’égal aux Demy-Dieux
 Dont il a reçeu la naissance,
Il puisse un jour si loin étendre sa puissance,
Qu’étonnant les Mortels par ses Faits inoüis,
Il se montre par tout Petit-Fils de LOUIS.

Le Sonnet qui suit sur cette mesme matiere, est de la Muse de l’Hostel S. Faron.

Les François n’osoient plus espérer de beaux jours,
Quand le Ciel leur ravit la plus grande des Reynes ;
Ils sembloient condamnez à d’eternelles gesnes,
Mais cette Reyne enfin leur preste son secours.
***
On croyoit que nos pleurs dûssent couler toûjours,
Lors qu’implorant du Ciel les bontez souveraines,
Elle obtient un Héros qui termine nos peines,
Et qui de nos sanglots vient arrester le cours.
***
D’un Epoux immortel Epouse devenuë,
Voulant que l’Alliance icy-bas soit connuë,
Elle en donne aux François un Gage tout récent ;
***
Et si nostre douleur est enfin terminée,
Si le plaisir renaist par un Prince naissant,
C’est qu’il est le doux Fruit de ce saint Hymenée.

Mr Diéreville, dont vous avez veu beaucoup de galans Ouvrages, a joint agréablement le badin au sérieux dans ce Madrigal.

A MADAME
LA DAUPHINE.

Cela ne va pas mal pour l’Empire des Lys.
 En seize mois faire deux Fils,
C’est estre en ce Mestier, ma foy, des plus habiles.
LOUIS, leur Grand Papa, prend quand il veut des Villes.
 Sur ses Ennemis les plus fiers,
On luy voit en tous lieux remporter la victoire ;
Sa valeur qui le rend le plus grand des Guerriers,
Ajoûte chaque jour quelque chose à sa gloire.
 Pour partager tant de Lauriers,
Donnez-luy tous les ans de nouveaux Héritiers.

Dans le temps de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, ce Quatrain parut.

 L’on voit maintenant sans mistere
 En quoy LOUIS n’estoit pas Grand ;
Il estoit Grand Héros, Grand Roy, Grand Conquérant,
 Mais LOUIS n’estoit pas Grand Pere.

La Naissance d’un nouveau Prince, a donné à Mr Cavelier de S. Jacques, l’idée d’y répondre par ces Vers.

 Monter au plus haut des Grandeurs
 Par un degré de Successeurs,
 C’est monter comme le vulgaire ;
Mais estre Grand Héros, Grand Roy, Grand Conquérant,
 Autre que luy ne l’a sçeu faire,
 C’est de soy que LOUIS est Grand ;
 Pour ne le pas nommer Grand Pere,
 J’aurois mieux aimé dire Ayeul,
 Cette Grandeur heréditaire
Ira selon mes vœux jusques au Trisayeul.

[Mariage de M. le Chavalier de Crillon] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 38-40.

L’autre Mariage qu’il faut que je vous apprenne, est celuy de Mr le Chevalier de Crillon avec Mademoiselle de Saporte. Mr le Marquis de Crillon, Aîné de cette Famille, Colonel & Brigadier de Cavalerie, n’ayant point d’Enfans depuis vingt-trois ans qu’il est marié, a veu avec joye le choix que Mr son Frere a fait de cette aimable Personne. Elle n’est pas moins à estimer par son esprit, que par sa naissance. Ces Vers qu’elle fit le premier jour de ce mois, pour Etrenne à Mr de Crillon son Mary, vous feront connoître les avantages qu’elle a de ce costé-là.

Tircis, le jour qui nous éclaire
 Aux dons fut toûjours destiné ;
Mais quel don pourray-je faire,
Puis que je vous ay tout donné ?
***
En vain je cherche par moy-mesme
A vous faire un Présent de prix.
Que peut-il rester quand on aime ?
J’avois un cœur, vous l’avez pris.
***
Vous le conserverez sans peine,
Ce cœur fera bien son devoir ;
Vous le donner en fait d’Etrenne,
C’est moins donner que recevoir.

[Remarques curieuses sur l’Histoire de la Pucelle d’Orléans] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 40-68.

Comme tout ce que je vous ay mandé touchant la Pucelle d’Orleans, a fait bruit dans vostre Province, vous serez sans-doute bien aise de montrer à vos Amis la Lettre qui suit. Elle est de Mr de Vienne-Plancy, à Mr Vignier de Richelieu son Parent. Il a entendu parler de la Pucelle au Pere Vignier de l’Oratoire, & ce qu’il écrit là-dessus est curieux.

A Fau Cleranton le 22. de
Decembre 1683.

Bien que vostre témoignage, Monsieur, n’ait pas besoin de confirmation, agréez pourtant une assurance de ma part en faveur de la verité, & trouvez bon que tout le monde sçache avec vous, que j’ay oüy parler de la Pucelle d’Orleans à vostre illustre Frere, dans les mesmes termes que vous en avez écrit à Mr de Grammont. J’estois à Paris quelques mois avant sa mort, & profitant de mon séjour en cette Ville, je luy rendois toutes les visites à quoy m’obligeoient la Parenté qui est entre nous, la haute estime que j’avois pour son rare merite, & la part que je prenois à l’indisposition qu’il souffroit. On estoit seûr de le trouver toûjours à S. Magloire, parce que cette indisposition ne luy permettoit pas de sortir de ce lieu. Vous sçavez qu’il l’avoit choisy pour sa résidence, à cause du bon air qu’on y respire, & du voisinage de Mr de Morangis son intime amy. Il s’attachoit alors par divertissement à la lecture des Voyages, & témoignoit en recevoir beaucoup du plaisir. Ce fut en me racontant celuy qu’il avoit fait en Lorraine, avec Mr de Ricey, qu’il tomba sur le chapitre de la Pucelle ; qu’il me parla du Manuscrit de Metz, sans pourtant me le montrer, parce qu’il l’avoit prété à un Pere de la Maison, qui l’avoit emporté à la campagne ; & qu’il m’assura d’avoir tenu le Contract de Mariage de Robert des Armoises avec cette Héroïne. Jugez, Monsieur, de ma surprise à ce discours ; elle fut d’autant plus grande, que j’avois oüy dire deux ou trois fois à un Gentilhomme de Normandie qui logeoit avec moy, qu’on voyoit à Roüen la Chaudiere où cette pauvre Fille avoit esté mise pour brûlée vive, comme on brûloit estre anciennement les Morts chez les Romains, avec cette merveille, que le feu n’avoit non plus fait d’impression sur son cœur, que sur celuy du brave Germanicus ; & il n’y avoit pas mesme long-temps que j’avois lû cette déplorable Histoire dans la Cour Sainte, & l’instruction du Procés, les Condamnations qui l’avoient suivy, & cette inhumaine Execution, dans les Recherches de la France par Pasquier. De sorte qu’ayant l’esprit gagné par ces préjugez, je demanday en riant à vostre illustre Frere, si le corps de la Pucelle avoit resisté au feu comme son cœur, ou s’il estoit sorty vivant de ses cendres, comme le Phênix. Il entendoit raillerie, & il me répondit que je luy demandasse plûtost, si Diane n’avoit point mis une Biche en sa place, comme elle fit en celle d’Iphigénie, pour la garantir d’une aussi cruelle mort, & que je ne m’éloignerois pas si fort de la verité. Ces paroles dissipérent ma surprise, en me faisant souvenir d’une circonstance qui est à la fin du Procès de nostre Héroïne, dans le dernier Autheur que j’ay nommé. L’avantage que je crûs tirer de ce Livre, m’ayant bientost fait témoigner la curiosité que j’avois de le revoir, vostre illustre Frere qui m’avoit reçû dans sa Bibliotéque, l’une des mieux conditionnées de Paris, me le mit aussi tost entre les mains. J’y cherchay l’endroit dont je me prétendois prevaloir contre luy, & j’en fis la lecture. En voicy les mots, p. 561. Elle fut de si grande recommandation entre nous apres sa mort, (Pasquier parle de la Pucelle morte en 1431. selon luy, & selon bien d’autres,) qu’en l’an 1440. le commun Peuple se fit accroire qu’elle vivoit encore, & qu’elle estoit échapée des mains des Anglois, qui en avoient fait brûler une autre en son lieu ; & parce qu’il en fut trouvé une dans la Gendarmerie en habit déguisé, le Parlement fut contraint de la faire venir, & de la représenter au Peuple sur la Pierre de Marbre au Palais, pour montrer que c’étoit une imposture. Ne voudriez-vous pas conclure de là, me dit aussi-tost apres vostre illustre Frere, que cette seconde Bellone, qui devoit ressembler à la premiere, puis qu’on la prenoit pour elle, fust l’Héroïne du Manuscrit de Metz ? Je luy répondis qu’il penétroit dans ma pensée, & que j’y voyois bien des apparences. Je vins à leur détail ; il eut la patience de m’écouter, puis il me répliqua, que si l’on avoit bien sçû distinguer à Paris l’une de ces Guerrieres d’avec l’autre, & considerer la seconde comme une Ombre seulement de la premiere, on auroit fait ce discernement avec beaucoup plus de facilité & d’assurance, aux lieux marquez dans le Manuscrit, comme estant bien plus proches du Païs de la Pucelle, pour ne devoir pas soupçonner qu’on y eust esté trompé ; que ses Freres d’ailleurs ne l’auroient pas reconnüe pour leur Sœur, si elle ne l’avoit pas esté ; & qu’enfin les temps ne s’accordoient pas assez bien pour favoriser ma conjecture, puis que la Pucelle avoit esté mariée dans l’année de l’Echevinage de Philippin Marlou en 1436. & que la seconde Guerriere n’avoit paru que quatre années apres en 1440. Il ajoûta ensuite à l’égard des autres vray-semblances que j’avois avancées contre son opinion, que si le Mary de la Pucelle ne l’avoit pas menée à la Cour, demander au Roy des récompenses dignes des services qu’elle luy avoit rendus, il se put faire qu’estant devenüe grosse aussitost apres son Mariage, & incommodée pendant tout le cours de sa grossesse, ce voyage eust esté remis apres ses Couches ; & qu’en donnant la vie à son Fruit, elle-même l’eust perdüe. Que si les quatre Commissaires que le Pape Caliste III. delégua en 1455. pour informer de sa vie, n’en divulguérent pas cet heureux évenement, qui ne vint que trop à leur connoissance apres l’audition de 112. Témoins, c’est que leur Commission n’estoit pas de montrer qu’elle eust échapé de la mort à Roüen, mais d’examiner si l’on avoit eu raison de l’y condamner comme Héretique, Relapse, Apostase, & Idolâtre. Que si le Chancelier de l’Université de Paris, qui fit son Apologie en 1456. & tous nos Historiens François n’avoient rien dit de cette surprenante avanture, c’est qu’ils ne l’avoient pas sçûë, ou ne l’avoient pas voulu croire. Que si la voix du Peuple, qui passe pour celle de Dieu & de la Verité, estoit devenüe muette sur une singularité si merveilleuse, c’est que le Peuple aimoit la nouveauté, & que deux siécles estoient plus que suffisans pour luy faire oublier des choses encore plus considerables que celle-là ; & qu’enfin si ce Mr des Armoises qui luy avoit confié les clefs de son trésor, ne sçavoit pas luy-mesme la descente de nostre incomparable Héroïne, il n’eust pas esté le premier qui eust ignoré ce qu’il devoit le mieux sçavoir ; & que son engagement dans les Troupes dés le bas âge, joint à une inclination naturelle beaucoup plus forte pour les Armes que pour les Lettres, luy avoit bien donné d’autres choses à faire, qu’à s’amuser à lire de vieux Contracts. Vostre illustre Frere passa au fonds de la difficulté apres ces répliques, & me remontra que la Pucelle ayant esté exposée le 24. de May sur un échafaut public, en consequence de l’avis envoyé à Roüen par l’Université de Paris, qui la jugeoit digne de mort, on l’avoit seulement admonestée, remise en prison, & condamnée à y passer le reste de sa vie ; ce qui donnoit un juste sujet de juger que la condamnation à estre brûlée toute vive, qui avoit esté rendüe contre elle à la fin du mesme mois de May, n’avoit eu pour but que de dompter par la crainte du plus terrible des suplices, l’invincible atachement qu’elle témoignoit avoir à estre habillée en Homme ; mais que l’execution qui avoit suivy cette Sentence, estoit tombée sur une autre Personne qu’elle, Personne de mesme sexe, digne de mort, & de mort cruelle, qu’on avoit adroitement substituée en sa place (comme le Peuple de ris l’avoit mesme deviné lors qu’il avoit pris la seconde Guerriere pour elle) & qu’on avoit brûlée toute vive, pour contenter l’animosité des Anglois, en même-temps qu’on épargnoit l’innocence de nôtre illustre Françoise ; & que si le cœur de cette Personne suposée avoit échapé des flâmes, comme on le disoit, ce n’estoit pas une marque de Sainteté, puis que celuy d’un Payen avoit bien eu le mesme avantage. Il ajoûta que ce procedé estoit d’autant plus digne de créance, que c’estoit un Evesque, & un Evesque de nôtre Nation, qu’on avoit rendu le maistre de la vie & de la mort de la Pucelle ; que cinq semaines entieres s’écoulérent entre sa derniere Sentence, & l’exécution, comme on le voyoit par la comparaison des Dates de Pasquier & de De-Serres, le premier mettant cette Condamnation au 30. de May, & l’autre cette Exécution au 6. de Juillet ; delay extraordinaire en Justice, mais sans doute alors nécessaire, pour trouver la Criminelle dont on avoit besoin, & pour disposer toutes choses à reüssir ; à quoy n’avoit pas peu contribué la Mître qu’on mit sur la teste de cette Malheureuse, en la conduisant au suplice, & le Tableau plein d’injures qu’on porta devant elle, puis que c’estoient autant de moyens d’occuper & de distraire les regards des Personnes de fin discernement, qui auroient pû découvrir cette sage feinte. Il me fit remarquer apres cela dans Pasquier, la teneur de certaines Lettres de Don, octroyées à Pierre, l’un des Freres de la Pucelle, par le Duc d’Orleans en 1443. qui portent, Oüye la supplication dudit Messire Pierre, contenant que pour acquitter la loyauté envers le Roy nostre Sire, & Monsieur le Duc d’Orleans, il se partit de son Païs pour venir à leur service en la Compagnie de Jeanne la Pucelle sa Sœur, avec laquelle, & jusqu’à son absentement, & depuis jusqu’à présent il a exposé son corps & ses biens audit service. Termes qui marquoient que la Pucelle n’avoit esté qu’absente, & qu’elle n’estoit pas morte ; ce que son Frere n’auroit pas manqué de dire & de faire exprimer dans ces Lettres, s’il avoit esté véritable, afin de s’attirer plus de mérite auprés de ce Prince. Il me témoigna enfin, qu’il ne doutoit point que le Roy mesme n’eust bien sçû qu’on n’avoit pas fait mourir cette innocente, puis qu’ayant esté prise en Guerre par les Bourguignons, qui la vendirent aux Anglois, il n’auroit pas manqué de vanger publiquement sur les premiers de ces Ennemis qui seroient tombez sous sa puissance, la mort qu’on auroit donnée contre le droit des Armes à cette Héroïne à qui il devoit la conservation de sa Couronne ; ce qui n’estant pas arrivé, à ce qu’on sçache, confirmoit l’opinion qu’elle n’avoit souffert qu’une prison de quelques années, d’où enfin s’estant échapée apres la mort du redoutable Duc de Bethfort Géneral des Anglois, avenüe à Roüen en Decembre 1435. il y avoit lieu de croire encore qu’elle avoit aidé, quoy que sans éclat, à chasser de Paris les Anglois, qui en sortirent au mois de Fevrier 1436. & qu’ayant entierement satisfait à sa Mission, & accomply toutes ses Prédictions, elle estoit retournée en son Païs, où elle parut au mois de May suivant, & où elle finit ses Avantures par son Mariage avec une Personne de qualité, comme on l’apprenoit du Manuscrit & du Contract. Il ajoûta encore, que si les voix Celestes qu’elle avoit acoutumé d’entendre, & qui l’avoient avertie de sa prise, ne luy avoient pas annoncé précisement qu’elle sortiroit de prison, elles luy en avoient assez dit pour luy en faire concevoir l’espérance, puis qu’elles luy avoient recommandé d’avoir bon cœur & de répondre hardiment, & que Dieu ne la laisseroit pas sans aide & sans consolation. Il cita ensuite l’Autheur dont il tenoit cette circonstance ; mais le nom m’en est échapé de la mémoire. Voila, Monsieur, les raisonnemens de vostre illustre Frere sur ce grand sujet, autant que j’ay pû m’en souvenir en lisant vostre Lettre, & en relisant le Pere Caussin, Pasquier, & De-Serres. Peut-estre y en ajoûta-t-il d’autres, que le temps a encore effacez de mon esprit. Mr de Morangis le vint voir sur la fin de ces éclaircissemens ; le Manuscrit avoit passé par ses mains, & il en sçavoit les particularitez. Il témoigna qu’il auroit souhaité que le Contract y eust passé aussi, & non seulement celuy de Robert des Armoises, mais encore celuy de son Fils, pour voir les termes & les dates de l’un & de l’autre. Il demanda ensuite si l’on ne pouvoit point disputer la validité du Manuscrit, sur ce qu’en faisant mention des Freres de la Pucelle, il donnoit la qualité de Chevalier au Cadet, & n’atribuoit que celle d’Ecuyer à l’Aîné. Sur quoy vostre illustre Frere luy répondit, que le Cadet accompagnant sa Sœur en Guerre, comme le portoient les Lettres de Don de 1443. s’estoit sans doute acquis un mérite singulier, d’où luy estoient venües la dignité & la qualité de Chevalier, lesquelles n’avoient pas esté accordées à son Aîné, pour ne s’estre pas signalé de la mesme maniere ; & cette réponse me parut fort plausible. Ils se dirent beaucoup d’autres choses sur ce Manuscrit, que je ne comprenois pas trop, parce qu’elles dépendoient des circonstances qui m’estoient inconnües ; & si je l’eusse vû, je ne doute point que je n’y eusse bien trouvé des Questions à proposer à nostre illustre Tenant. Par exemple, pourquoy cette Guerriere parloit par paraboles, disoit qu’elle n’avoit point de puissance avant la S. Jean-Baptiste, ne s’alla pas faire voir à Dompré, Domprin, on Dompremy sa terre natale, à Vaucouleur son voisinage, & à Neuf-Chastel où elle avoit demeuré cinq années, & se laissa mener à Cologne, par un jeune Comte d’Allemagne qui l’aimoit, & qui l’y retint tant qu’il plût à Dieu, on ne dit pas combien de temps. Car enfin, Monsieur, vous m’avoüerez qu’on peut bien soupçonner du mystere en tout cela, & un mystere peut-estre plus propre à affoiblir qu’à fortifier la preuve qu’elle estoit la veritable Pucelle. De plus, on me vient d’apprendre que du Haillan, qui a écrit avant Pasquier, & qui rapporte plus au long que luy le Procés de nostre Héroïne, dit qu’elle avoit fait vœu de Virginité, dés le temps qu’elle commença à oüir les voix Celestes, ce qui arriva en la quatorziéme année de sa vie ; & que pour cette raison elle refusa de se marier à un jeune Homme à qui ses Parens l’avoient promise, comme elle l’avoit confessé à ses Juges. Et voila, ce me semble, une assez grande atteinte à l’opinion de vostre illustre Frere. J’y défere pourtant beaucoup, & je me rendray toûjours à la vostre, ayant ajoûté à l’estime que j’ay toûjours eüe pour vous, celle que j’avois pour luy. Faites-moy la grace d’en estre persuadé, & de me croire, Monsieur, vostre, &c.

De Vienne-Plancy.

Je vous parlay il y a un mois, de deux Médailles d’or, qui furent distribuées par Mr de Louvoys à l’Académie des beaux Arts, pour les Prix de Peinture & de Sculpture, lors qu’il y fut reçû Protecteur. Je vous en envoye le Revers gravé. La face droite représente le Roy, dont vous trouverez le Portrait dans plusieurs de mes Lettres. Je vous dis à l’égard de la mesme Académie, que Mr de Louvoys avoit résolu d’en faire augmenter les apointemens par le Roy, afin que tous les Etudians y pussent dessiner sans rien payer. Cela est déja exécuté. On voit par là, que tout ce que dit ce Ministre, doit estre tenu pour fait.

[Compliment fait à M. le Nonce] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 83-96.

Dans le mesme temps que je vous parle d’Oraisons Funébres, le hazard me fait tomber entre les mains le Compliment que Mr l’Abbé Faydet fit à Mr le Nonce le jour de Noël, en prêchant aux Prémontrez en présence de ce Prélat. Je vous l’envoye, fort persuadé que vous le lirez avec plaisir.

COMPLIMENT
A Mr LE NONCE.

Mais il faut avoüer qu’il y a encore aujourd’huy de grandes Ames, qui sont insensibles à tous les mouvemens de vanité ; qui bien loin de s’enorgueillir par les grandeurs dont ils sont environnez, en deviennent plus humbles & plus modestes ; qui à l’exemple de Moïse brillent sur la Montagne, & jettent des rayons de toutes parts, & ne sçavent pas que leur visage soit lumineux ; & quand on les en fait apercevoir, couvrent ces rayons & ce grand éclat de leur mérite, du voile de la Modestie qui l’étoufe. Elle est rare cette Vertu, dit S. Bernard ; mais enfin malgré la corruption de nostre siecle, il s’en trouve qui la pratiquent.

Et quand je dis cecy, Monseigneur, il n’y a personne dans cet Auditoire, qui ne voye que c’est de V. Ex. que je pretens parler. Jamais Homme ne fut si fort distingué par tous les genres de merite qui peuvent rendre une Personne illustre ; & neanmoins jamais Homme ne fut si modeste.

S. Gregoire de Nazianze distingue trois differentes especes de Grandeur parmy les Hommes, & dont chacune a ses partisans & ses adorateurs. Une qui est purement exterieure, qui vient de la fortune, & qui consiste dans la splendeur de la naissance, dans les grands biens, dans l’étendüe de l’empire & de l’autorité ; & c’est celle, dit-il, dont les anciens Romains Payens faisoient le plus de cas. En effet, nous voyons dans l’Evangile de ce jour, que parce qu’Auguste brilloit par ce genre de merite, il estoit adoré & obeï par tout l’Univers, au lieu que le Sauveur du Monde y estoit, ou inconnu, ou méprisé. Une autre, qui vient de l’esprit & de la science ; & c’est celle qui estoit estimée uniquement parmy les Grecs. On veut adorer S. Paul & S. Barnabé en Lycaonie, à cause de leur éloquence, & de leur sçavoir. On prépare des Victimes, pour les leur immoler ; & déja les Taureaux sont couronnez, pour leur estre offerts en sacrifice. Enfin il y a un troisiéme genre de grandeur & de merite, qui vient de la Pieté & de la Religion. C’est celle qui estoit la plus honorée parmy les Juifs. Prenez-y garde, dit S. Gregoire de Nazianze. Les Juifs laissent Tibere & Herode sur le Trône tous seuls, sans leur faire leur Cour ; & ils courent en foule dams le Desert, pour y voir de prés S. Jean, & y admirer un Homme qui ne beuvoit ny ne mangeoit. Ils n’envoyent point d’Ambassade à Rome ; mais ils en envoyent une celébre composée de Prétres & de Levites à S. Jean, Miserunt Judæi ab Jerosolymis Sacerdotes & Levitas ad eum. C’est que Jean brilloit plus à leurs yeux par sa Sainteté, que les Césars par leurs Victoires.

Or on peut dire tres-veritablement, Monseigneur, que ces trois sortes de Grandeurs sont reünies dans V.Ex. Vous êtes Grand par la grandeur de vostre Naissance. Vostre Maison est une des plus illustres de l’Italie. Dans le temps que Bologne estoit République, vos Ancestres l’ont gouvernée ; & vous comptez encore aujourd’huy parmy vos plus proches Parens, des Cardinaux dans Rome, & des Sénateurs dans Venise. Mais vostre Esprit est encore plus grand que vostre Naissance. Vostre parfaite intelligence dans les affaires, & vôtre profonde penétration dans tous les mysteres & les interests des Cours differentes, vous fit employer dés vostre plus tendre jeunesse, dans les Negotiations les plus importantes de l’Etat Ecclesiastique. Vos diverses Nonciatures, en Pologne, en Savoye, & en France, vous ont rendu celébre dans toute l’Europe ; & ce qui est la plus forte preuve de l’élevation de vostre Esprit, & de la sublimité de vostre grand Genie, c’est que vous avez sçû plaire, & gagner l’estime & la bienveillance du plus grand Roy du Monde, d’un Roy, Monseigneur, qui juge si bien du merite, parce qu’il en est luy-mesme tout remply. Vous l’avez admiré bien des fois, lors que vous avez eu le plaisir de l’aborder ; & vous avez souvent avoüé, que tout ce que la Renommée vous avoit appris de cet incomparable Monarque, estoit infiniment au-dessous de ce que vous en avez vû. Mais ce qui est aussi au-dessus de toute loüange, & le plus rare Eloge qu’on puisse faire des grands Talens de vostre esprit, c’est que ce grand Roy vous a loüé, & qu’il a témoigné publiquement, qu’il faisoit cas de vostre merite.

Magno se judice quisque tuetur. Mais les talens de l’Esprit sont effacez en vous par la Pieté. Vous avez des Vertus dignes de la Pourpre & de la Tiare ; & les Peuples du Diocese de Fano publient hautement, qu’ils n’ont jamais eu un Evesque plus acomply, plus charitable, & plus appliqué à ses devoirs. Mais ce que nous admirons icy le plus, Monseigneur, est que toutes ces grandes qualitez sont accompagnées en vous d’une modestie & d’une humilité profonde, en sorte qu’on peut vous appliquer tres-justement cet Eloge que S. Cyprien donne à un Evesque de son temps. Il est élevé par sa dignité, mais il l’est encore davantage par son humilité, Dignitate excelsus, humilitate submissus.

Ah ! je reconnois à cette divine Vertu, le grand Pape dont vous representez icy la Personne, & dont vous soutenez si noblement le Caractere. Ce grand Homme que la France revere, & qu’elle regarde comme un des plus saints Papes qui ayent jamais esté assis sur la Chaire de S. Pierre, n’employe pas les grands revenus de l’Eglise à nourrir le faste & la vanité de sa Maison, mais seulement à entretenir les Pauvres, & sur tout les Chrétiens de Hongrie, ruinez par les guerres des Infidelles.

Que Cesar ne se vante pas que ce soit la force de son bras, & la valeur de ses Alliez, qui a fait lever ce Siege si fameux de Vienne, & qui a mis en déroute le Tyran de l’Asie. C’est la pieté du Grand Prêtre Onias, dit l’Ecriture, qui a chassé Heliodore du Temple. C’est l’Ange de Dieu, qui a dissipé l’Armée de Sennacherib, & qui a frapé ses Soldats d’un esprit de vertige, & d’une terreur panique. A la verité Josué est venu au secours, & a combatu ; mais c’est Moïse qui a vaincu Amalec.

Nous apprenons, Monseigneur, par les Nouvelles publiques, que l’Allemagne va luy élever au milieu de Vienne une Statuë ; mais nous autres François, nous luy en éleverons une dans nos cœurs, & plus durable & plus glorieuse ; & la presence d’un si illustre Ministre, & d’un Ambassadeur si accomply, ne contribüera pas peu à nourrir en nous l’estime & la véneration que nous avons pour sa vertu.

[Explication d’une Inscription trouvée sur un Cercueil d’Etain] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 96-108.

Ce que vous venez de lire dans ce Compliment sur le Siege de Vienne, me fait souvenir que dans la seconde Partie de ma Lettre du mois d’Octobre, je vous parlay d’un Cercueil d’étain, que le St Kimpler Ingénieur découvrit en faisant une Contremine à la Porte du Château de cette Place. J’ajoûtay, qu’au lieu d’un Corps mort qu’il avoit crû y trouver, il avoit esté surpris de le voir remply d’anciennes Especes d’or & d’argent, & de pierreries, avec un Ecrit dans une Boëte d’étain à part, où ces mots estoient en vieux caracteres.

Gaudebis
Si inveneris, videbis, tacebis,
Sed
Orabis, pugnabis, ædificabis,
Non hodie
Nec cras, sed quia
(Universus equus)
(Turris erecta et armata)
(Diversa ordinata arma)
Subscriptio
Rolandt Hunn mog tosuit.

Cette Inscription paroissant énigmatique, a fait souhaiter qu’on l’expliquast. Mr Vignier de Richelieu, en a fait connoistre ses sentimens en ces termes.

Celuy qui a posé ce Cercueil, pouvoit dire avec raison, Gaudebis si inveneris. Tu te réjoüiras, si tu trouves. L’éclat des Pieces d’or, d’argent, & des pierreries, qui estoient dedans, est bien capable de produire cet effet. Videbis. Tu verras avec étonnement. Il n’est pas petit de rencontrer de grandes richesses, où l’on ne croit trouver que des cendres, ou les ossemens d’un Mort. Tacebis. Tu garderas le silence. Cela est assez ordinaire en de pareilles rencontres. Orabis. Tu prieras pour l’ame de ceux qui te mettent à ton aise. Tu remercîras la Divine Providence, qui t’a fait trouver une source de Biens, où l’on n’en porte point, & dans le temps que les Infidelles ravissent ceux de tes Compatriotes, brûlent, & saccagent tout ce qu’ils ont à la Campagne. Pugnabis. Tu combatras pour la défense de ta Patrie, & pour conserver ce qui t’est tombé entre les mains. Ædificabis. Tu feras faire des Bastimens. Tu feras bâtir quelque Chapelle en l’honneur de ton bon Ange, qui t’a si heureusement conduit ; ou quelque Hôpital, pour retirer ceux que les Ennemis du nom Chrestien ont tout-à-fait ruinez. Tu dois cette marque de reconnoissance à la Bonté souveraine, qui loin de t’avoir laissé perdre dans le bouleversement genéral de cette fameuse Ville, t’a retiré de la mort, ou de la captivité. Non hodie, nec cras. Tu ne feras pas toutes choses ny aujourd’huy, ny demain. Sed. Mais pourquoy ? Quia. Parce que tu as bien d’autres affaires plus pressées, & qu’il te faut achever auparavant. Equus universus. Le Cheval universel doit laisser sa queuë devant cette Ville. Peut-estre qu’il appelle ainsi le Grand Vizir, à cause des queuës de Cheval que l’on porte devant luy, & que l’on a trouvées dans sa Tente apres sa fuite, ou bien pour le grand nombre de Cavalerie de toutes les Parties de l’Empire Ottoman qui estoit devant Vienne. Turris erecta, & armata. Diversa arma ordinata. De plus, les Tours élevées & armées, & les diverses Armes mises en ordre pour la défense de la Place, ne te permettront pas de faire des Edifices, que ses Murs & ses Bastions ne soient relevez. Rolandt Huun Mog. posuit. Rolandt Huun de Mayence a posé cecy.

Ces mesmes Paroles énigmatiques ont esté paraphrasées en Vers de cette sorte, par Mr Dizeul, Doyen de Nostre Dame du Mur, de Morlaix en Bretagne. La Fable du Cerf & du Cheval, dont il parle, est tirée d’Horace. La Donation de l’Empire de Constantinople, qu’il touche en passant, est celle que fit André Paléologue, Heritier de Constantin XII. dernier Emperieur d’Orient.

Il est vray, cher Damon, l’évenement est beau,
De rencontrer de l’or dans le fond d’un Tombeau.
Sa Devise est obscure, & me semble un Oracle
Dont la Foy doit attendre un triomphant spéctacle.
Cet or pour les Chrestiens laisse au Turc un Cercueil,
Menace son Empire, & confond son orgueil.
Le Chrestien dans cet or, lors que le Ciel l’envoye,
Trouve1 d’heureux sujets d’espérance & de joye.
Son destin luy promet un Empire puissant,
Sur les vastes débris de celuy du Croissant.
Quand cet or, dit le Ciel, sera sous ta puissance,
Considere2 les temps, & garde le silence.
Dans ce jour3 & demain défens-toy des Combats,
Les plus justes desseins ne réüssiroient pas.
Ces deux jours passeront, ce sont Siecles funestes.
Le troisiéme venu, suy les Ordres Celestes,
Ecoute cette voix qui te dit4 de prier,
Et que le Ciel est las de t’entendre crier,
Qu’il est prest d’exaucer & tes vœux & tes larmes,
Et que tu vois le jour5 du bonheur de tes armes,
Jour, où rompant la Paix, sans garder nulle foy,
Un Tyran en tous lieux veut étendre sa Loy.
Ce Cheval6 indompté courant toute la terre,
Y répandoit l’ardeur du meurtre & de la guerre,
Lors que dans son transport une divine Main
Sçait arrester sa course, & luy donner un frein.
Autrefois le Cheval, au raport de la Fable,
Contre le Cerf paissant eut un destin semblable.
Cette Beste fatale à tant d’Etats divers,
Doit périr en ce jour par un fameux revers ;
Assez, & trop longtemps, les Tours7 des Dardanelles
Tiennent les vœux captifs des Nations Fidelles,
Il faut abatre enfin ces superbes Ramparts,
Les illustres Tombeaux des Sceptres des Césars.
C’est aux Lys que le Ciel en destine la gloire,
C’est aux Lys de vanger leur nom & leur mémoire.
Les derniers Empereurs leur en firent le don,
Le Ciel leur doit l’honneur de8 rebastir Sion.
La Loy de l’Ottoman leur en promet l’Empire ;
Le succés est certain, si la Paix y conspire.
Fasse le juste Ciel, que les Chrestiens unis,
Détruisent l’Alcoran sous l’Etendard des Lys ;
Que de LOUIS LE GRAND la gloire souveraine
Fasse régner la Foy de l’Eglise Romaine,
Et que selon nos vœux, nous ayons le bonheur
De ne voir qu’une Foy, qu’une Eglise, un Pasteur.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 108-109.

Je vous envoye un Air nouveau qui est assez de saison. Il y a peu de Personnes qui se souviennent d´avoir passé un plus rude Hyver.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Quel changement affreux paroist dans la Nature, doit regarder la page 109.
Quel changement affreux paroist dans la Nature !
L'Hyver par ses frimats fâne l'émail des Fleurs ;
Les Oyseaux dans les Bois, tout tremblans de froidure,
Ne font plus retentir que des chants de douleurs ;
Mais rien n'égale, helas ! le tourment que j'endure ;
Je ne puis y songer sans répandre des pleurs ;
Des monceaux de glaçons font mourir la verdure,
Où l'Amour me faisoit gouster mille douceurs.
images/1684-01_108.JPG

[Gratification de Mr l’Abbé de la Grange, Chanoine d’Aurillac]* §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 120.

Sa Majesté a aussi gratifié Mr l’Abbé de la Grange, Chanoine d’Aurillac, de la Prevosté de Monsalvy ; & Mr l’Abbé Gérard, du Prieuré de la Brousse. Ces deux Benéfices sont en Languedoc. Mr l’Abbé Gérard est celuy qui nous a donné la Philosophie des Gens de Cour.

[Histoire] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 121-150.

L’adresse est quelquefois utile en amour, & ce qu’elle a valu depuis peu à un Cavalier distingué par sa naissance, fait voir qu’il est des occasions où il fait bon l’employer. Il voyoit avec assez d’assiduité une fort jolie Personne. Ses soins luy marquoient sa passion, mais il n’osoit s’expliquer ouvertement, dans la crainte qu’il avoit que sa déclaration ne fust mal reçûë. Il en vouloit au cœur de la Belle, & ses manieres pleines de fierté & d’indifférence, luy avoient fait remarquer que cette conqueste n’estoit pas aisée à faire. Sa beauté qui estoit des plus touchantes, luy attiroit force Soûpirans, & elle en aimoit le nombre ; parce qu’il luy paroissoit qu’ayant à choisir, elle trouveroit plus aisément un party selon son goust. Le Cavalier qui voyoit tous ses Rivaux aussi reculez que luy, ne s’alarmoit point de leurs visites. Il attendoit que le temps décidât de son amour, & continüoit à voir la Belle, dans l’espérance de se rendre digne d’estre préferé. Les choses estoient dans ces termes, lors qu’il se vit traversé par un Rival qui luy parut dangereux. C’estoit un Gentilhomme façon de Marquis, entiérement remply de luy-mesme, & à qui le bruit de quelques bonnes fortunes avoit fait prendre une vanité, qui luy faisoit croire qu’il n’avoit qu’à se montrer pour inspirer de l’amour. Il estoit bien fait de sa personne, disoit les choses assez agreablement, & avoit ces airs évaporez qui font réüssir aupres de certaines Femmes. Comme il se vantoit beaucoup, il n’estoit pas crû dans tout ce qu’il supposoit de galantes Avantures ; & l’on démesloit sans peine, que dans la plûpart il s’attribüoit des avantages qu’il n’avoit point eus. On avoit raison de ne l’en point croire. Il estoit de ces Protestans universels, qui sans nul dessein de se faire aimer, cherchent seulement à faire dire qu’ils ne sont pas mal avec les Personnes qui les soufrent. Il ne vouloit que l’éclat ; & le plaisir d’estre heureux secretement, le flatoit bien moins que l’apparence de l’estre. Cependant de quelque précaution qu’on se pût servir, pour empêcher qu’il ne profitât de ses assiduitez, elles estoient toûjours dangereuses, puis qu’il en tiroit dequoy faire croire qu’on ne le haïssoit pas, & qu’il croyoit avoir triomphé, quand sa vanité estoit satisfaite. Le fracas que la Belle faisoit dans le monde, fit qu’il la regarda comme une Personne digne d’estre mise au nombre de ses prétendües conquestes. Il trouva moyen de s’introduire chez elle, & y fut reçû avec assez d’agrément. Divers avis furent aussitost donnez au Pere, sur le péril où il alloit exposer la réputation de sa Fille, en soufrant les visites du Marquis. On luy fit connoistre qu’il n’estoit point Homme à songer au Sacrement ; qu’il ne s’attachoit aux Belles, qu’autant qu’il faloit pour tirer quelque avantage des complaisances qu’elles luy marquoient ; & que ses soins n’ayant jamais abouty à rien, en quelque lieu qu’il les eust rendus, on n’en devoit atendre que le déplaisir d’estre meslé dans des contes dont il n’estoit pas plaisant de fournir l’occasion. Il écouta ces raisons, mais il n’en fut pas persuadé. Le nom de Marquis, que ce nouveau Soûpirant prenoit à bon ou à mauvais titre, flatoit son ambition. Il trouvoit d’ailleurs le party avantageux du costé du bien ; & ainsi il crut que son cœur n’estant échapé à tant de Belles, que parce qu’elles ne s’estoient pas ménagées avec assez de conduite, leur peu de succés seroit pour sa Fille un sujet de gloire, si elle pouvoit l’assujettir. La Belle entra dans ces mesmes sentimens. L’assurance qu’elle prit sur sa fierté, qui la mettoit à couvert de toute foiblesse, luy persuada qu’au moins si elle manquoit à réüssir, les soins qu’elle auroit de s’observer, l’empescheroient de faire aucun pas qui luy portast préjudice. Le Marquis la vit pendant trois mois ; & dans tout ce temps, quoy que ses airs libres & ses manieres du monde luy plûssent assez, elle se tint si bien sur ses gardes, que ne pouvant donner aucune couleur aux choses dont il se fust fait un plaisir de se vanter, il n’eut rien à dire d’elle. Il luy écrivit plusieurs fois, pour l’engager à répondre, & elle n’en voulut recevoir aucun Billet. Point de teste à teste, ne fust-ce que d’un moment. De temps en temps, il s’aprochoit d’elle devant ses Rivaux, pour luy parler à l’oreille, & il n’estoit jamais écouté, qu’il ne dist tout haut ce qu’il vouloit qu’elle sçust. Il pria souvent qu’on luy permist de venir passer quelque apres-soupé dans la Maison de la Belle ; & comme on auroit pû l’en voir sortir tard (ce qui semble estre la marque d’un Amant favorisé) il demanda inutilement ce privilege. Desesperé de n’avancer pas, & n’estant point assez amoureux pour venir au Mariage, il estoit prest d’abandonner la partie, quand le Cavalier soufrant impatiemment qu’il le troublast dans sa passion, s’avisa enfin pour le chasser, de l’ébloüir par où il estoit sensible, en fournissant à sa vanité l’occasion qu’il cherchoit depuis longtemps de remplir son caractere, & que la Belle ne luy avoit point laissé trouver. Ce qu’il entreprit dans ce dessein, devoit exposer cette charmante Personne à devenir l’entretien de toute la Ville ; mais comme elle estoit d’une fort grande sagesse, il crut que les bruits qu’il alloit faire courir, feroient peu d’impression contre sa vertu ; qu’ils donneroient sujet au Marquis de s’oublier ; qu’aussi plein de son merite qu’il paroissoit l’estre, il n’auroit pas la force de faire desavoüer des choses qui le feroient croire heureux ; que la maniere dont il s’en expliqueroit à son avantage, porteroit la Belle à une entiere rupture ; & que prenant bien son temps dans le dépit qu’elle auroit, il viendroit à bout de la faire consentir à l’épouser. Ainsi si le Cavalier donnoit quelque foible atteinte à sa réputation, cette petite diminution de gloire devant estre utile à son espérance, il trouvoit lieu de s’en consoler. La chose eut le succés qu’il en attendoit. Voicy de quelle maniere il exécuta ce qu’il avoit médité. Il fit imprimer secretement un grand nombre de Billets, qu’on afficha la nuit au coin de toutes les Rües. Ces Billets, qui se distinguoient par une bordure qu’on ne voyoit point aux autres, avoient encore pour les Curieux le spécieux titre de VINGT LOUIS D’OR A GAGNER. Il faisoient sçavoir, que si depuis une telle Rüe jusques à une autre (c’estoient celles de la Belle & du Marquis) quelqu’un avoit trouvé un Porte-Lettre de Cheveux, dans lequel estoient quantité de Billets de Femme, avec un Portrait en Mignature, sans boëte, & une Promesse de dix mille écus, faite au profit du Marquis par la Belle, & payable, si elle ne consentoit pas à l’épouser, dés qu’il auroit acheté une telle Charge chez le Roy, qui estoit d’un prix tres-considérable ; il eust à porter le tout chez un tel Notaire, qui luy payeroit aussi-tost les vingt Loüis. Ces Billets ayant esté trouvez le matin, & la Belle & le Marquis estant deux Personnes tres-connuës, le bruit s’en répandit en fort peu de temps par toute la Ville. On dit au Marquis ce qui estoit arrivé. Il fut d’abord étourdy d’une pareille avanture, & pour s’en instruire mieux, il envoya aussi-tost un de ses Laquais, qui luy apporta une des Affiches. Il la lût deux ou trois fois, rêva quelque temps, & prit son party. Quoy qu’il connust qu’on luy faisoit piéce, on peut dire qu’il en eut plus de joye que de chagrin. Il n’avoit vû si long-temps la Belle, que dans le dessein de faire parler de l’atachement qu’elle luy soufroit. Il trouvoit dans les Billets tout l’avantage qu’il s’estoit promis, & il n’avoit qu’à ne pas desavoüer les choses, pour estre heureux de la maniere qu’il se contentoit de l’estre. Quelques-uns de ses Amis le vinrent voir, & soit qu’ils crûssent la chose, soit qu’ils cherchassent à le railler sur sa vanité, ils luy dirent en riant, que quelque mérite qu’il eût, on ne s’estoit pas persuadé qu’il fust aussi-bien avec la Belle, que les Billets le faisoient paroistre. Il répondit en affectant beaucoup de colere, qu’on luy faisoit la piéce la plus sanglante qui pût être faite à un Homme de qualité ; qu’aimant la Belle avec la derniere passion, il se tenoit outragé plus sensiblement en sa personne, qu’il n’eust pû l’être en luy-mesme ; mais qu’il avoit au moins la douceur d’estre seûr de s’en vanger, & qu’il le feroit avec tant d’éclat, qu’on seroit content de sa conduite ; qu’il ne s’étoit plaint qu’à un seul Amy, du malheur qu’il avoit eu de perdre les Lettres & le Portrait ; qu’il faloit que cet Amy eust abusé de sa confiance, & qu’il s’en feroit faire raison, à quelque prix que ce fust. Ils luy parlérent de la Promesse des dix mille écus, & il dit sur cet article, que n’ayant aucune inclination pour une Charge à la Cour, parce qu’il aimoit la vie aisée, il n’avoit pû engager la Belle à luy promettre de l’épouser, que lors qu’il auroit traité de celle qu’on avoit marquée dans les Billets ; que son amour estoit assez fort pour le porter à la satisfaire, mais que craignant l’inconstance ordinaire à celles qui ont quantité d’Amans, il avoit voulu avoir cette sorte d’assurance, pour l’empescher de changer de sentimens ; qu’il n’avoit aucun dessein d’exiger d’elle les dix mille écus ; qu’il n’avoit pas même examiné si lors qu’elle estoit sous la tutelle de son Pere, le Bien de sa Mere qui luy estoit échû par sa mort, pouvoit répondre de cette Promesse, & qu’il l’avoit prise seulement afin que si elle refusoit de l’épouser, quand il auroit acheté la Charge, il pust faire voir qu’elle luy auroit manqué de parole. Il ne manqua pas de faire le mesme conte à tous ceux qu’il rencontra ; & l’emportement qu’il faisoit paroistre en faisant semblant de se plaindre d’un Amy perfide, fit croire à beaucoup que la perte du Porte-Lettre estoit véritable. Comme l’envie donne occasion à la médisance, celles qui estoient jalouses du mérite de la Belle, publiérent qu’elle avoit esté réservée en apparence avec le Marquis, parce que le commerce de Lettres qu’ils avoient ensemble, leur tenoit lieu d’entretiens particuliers ; que qui donnoit son Portrait, se déclaroit sensible à l’amour, & qu’un présent de cette nature devoit toûjours estre précedé par de fortes marques de tendresse. Jugez dans quel chagrin fut la Belle, quand elle apprit les bruits desavantageux qui couroient contre sa gloire. Son Pere au desespoir de cette avanture, & plus encore de la maniere dont on luy dit que le Marquis s’expliquoit sur les Billets affichez, le voyant venir chez luy quelques jours apres, luy demanda ce qu’il devoit croire de tous les discours qu’on luy imputoit. Sa réponse fut, que la Personne qui l’avoit trahy, payeroit chérement sa mauvaise foy, & que pour luy il estoit plus malheureux que coupable, de s’estre confié à un Amy éprouvé depuis longtemps, & qui ayant parlé avec imprudence, avoit donné lieu à l’éclat qui s’estoit fait. Le Pere inféra de là que le Marquis demeuroit d’accord des Lettres & du Portrait. Il fit aussi-tost venir sa Fille, & les explications qu’ils demandérent tous deux au Marquis, firent un Procés qui ne fut pas aisé à vuider. Il avoüoit & desavoüoit en mesme temps les choses qu’il avoit dites ; & enfin le Pere ennuyé de voir qu’il estoit si peu d’accord avec luy-même, luy dit qu’il n’estoit pas question d’examiner ce qui estoit cause que les Billets avoient esté affichez ; qu’il suffisoit qu’il aimast sa Fille, & qu’il pouvoit réparer en l’épousant, le tort qu’ils faisoient à sa réputation. Il répliqua sans s’embarasser, qu’il tiendroit exactement tout ce qu’il avoit promis ; que pour se résoudre à l’épouser, la Belle vouloit qu’il eust une Charge ; que l’argent dont il avoit besoin pour cela, n’étoit pas encore prest, & que si-tost qu’il l’auroit payé, il viendroit sçavoir quels sentimens elle auroit encore pour luy. Rien n’est égal à l’emportement que la Belle fit paroistre sur ces faussetez. Elle voulut l’obliger à dire comment ils estoient entrez ensemble dans un détail si particulier, puis qu’il estoit tres-certain qu’elle ne luy avoit permis aucun entretien particulier. Il commença à soûrire, & se tira d’affaire, en luy répondant que son respect pour les Belles l’obligeoit toûjours à convenir de ce qu’elles soutenoient ; & que si c’estoit luy faire plaisir, que de publier par tout qu’elle ne luy avoit jamais parlé ny de Mariage ny de Charge, il le feroit sans aucune peine. Ces paroles prononcées d’un air nonchalant & froid, finirent cette visite, & depuis ce temps il n’en rendit plus. Une rupture si prompte, qu’un attachement de plusieurs mois n’avoit pas laissé prévoir, donna matiere aux raisonnemens. Ceux qui jugeoient en Gens des-intéressez, de la vertu de la Belle, & qui connoissoient combien le Marquis estoit sujet à faire valoir les apparences qui luy estoient favorables, ne doutérent point que pour faire croire qu’il estoit aimé, il ne se fust fait afficher luy-même. Les autres, qui estoient en plus grand nombre, envieux du mérite de la Belle, dirent que si la plaisanterie estoit outrée, il faloit du moins pour l’avoir fait naître, qu’il y eust eu quelque intelligence bien particuliere entre l’un & l’autre. Ces bruits mal plaisans pour ceux qui avoient regardé la Belle avec des pensées de Mariage, eurent bien-tost écarté tout ce qu’elle avoit de Protestans. Le Cavalier fut le seul qui la vit toûjours avec un égal empressement ; & cette aimable Personne luy sçeut si bon gré, & de sa perséverance malgré l’avanture qui épouvantoit les autres, & de la maniere vive dont il entroit dans ses intérests, que la déclaration qu’il luy fit ensuite, en fut receüe comme il l’avoit esperé. Son Pere craignant que les médisances, quoy qu’injustes, que l’on faisoit d’elle, n’empêchassent qu’on ne songeast à la rechercher, fut tres-content du party. Le Mariage se fit en fort peu de jours ; & le Cavalier pour la gloire de sa Femme ne crut plus devoir cacher par quel artifice il s’estoit défait de son Rival. Le Marquis fut tourné en ridicule, & l’on ne put assez admirer les contes impertinens que sa vanité luy avoit fait faire, au moindre jour qui s’estoit offert de faire entendre qu’on n’avoit pû résister à son prétendu mérite.

[Régales donnez par le Roy] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 150-152, 159-162.

 

S’il est d’une grande ame de chercher toûjours à s’élever, il n’est pas moins beau, quand on se voit dans le plus haut rang, de s’abaisser pour se rendre communicable. On se fait craindre par l’un ; on se fait aimer par l’autre, & les deux ensemble font mériter le titre de Grand. Il ne faut pas s’étonner si on l’a donné au Roy, & s’il est l’amour, comme la terreur du monde. Quand il veut se rendre redoutable, on n’en peut suporter la majesté ; & lors qu’il juge à propos de descendre de sa grandeur, il le fait avec un agrément qui enchante tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher dans ces temps-là. Ce que je vous dis parut dans le Soupé que Sa Majesté donna le jour des Roys. On dressa quatre Tables pour les Dames, dans son grand Apartement de Versailles, et une autre pour les Princes & Seigneurs, appellée la Table des Princes. [...]

 

Comme l’on estoit encore dans le silence qu’autorise le commencement d’un Repas, & que chacun avoit de la peine à commencer le premier à prendre un air libre devant le Roy, Sa Majesté qui prévoit à tout, & dont les manieres sont toutes engageantes, avoit donné ordre qu’on surprendroit l’Assemblée par la lecture d’un Livre capable de réveiller les plus sérieux. Cette lecture fut faite au milieu de la Salle. Monsieur le Duc envoya aussitost demander au Roy permission de faire quelque galanterie enjoüée, qui pust divertir cette illustre Compagnie. Il l’obtint, & envoya chercher en mesme temps des Flûtes, des Hautbois, mesme des Tambours, & tout ce qu’on pût ramasser d’Instrumens dans le moment. Il entra en suite dans la Chambre où estoient les quatre Tables de Dames, accompagné de tous ceux qui composoient la Table des Princes & des Seigneurs. Ils se tenoient tous avec des Servietes qu’ils laissoient pendre en maniere de Festons. L’un d’entr’eux, ayant une Couronne de lumieres, estoit porté au milieu par Mr le Duc de la Ferté. Ils chanterent tous des Paroles faites par feu Moliere pour un Balet du Roy, dans lequel on voyoit un Homme qui croyoit qu’on le rajeunissoit par enchantement. Ces Paroles sont,

Qu’il est joly, genty, poly !
Qu’il va faire mourir de Belles !

Je n’acheve pas le Couplet, parce qu’il n’y a rien qui soit si connu. Ce divertissement plût beaucoup, & la surprise qu’il causa aux Dames, en augmenta l’agrément.

[Ballade de M. de la Fontaine] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 165-171.

Si vous voulez voir agreablement décrite la facilité qu’il a de prendre des Places, & d’ajoûter, quand il veut, Conqueste à Conqueste, lisez la Ballade que je vous envoye. Vous la trouverez irréguliere, en ce que chaque Strophe n’est pas sur les mesmes rimes ; mais ce defaut, peu considérable dans un Ouvrage de cette nature, aussi délicatement tourné que celuy-cy, ne vous empeschera pas d’y découvrir de grandes beautez. Cette Ballade est du fameux Mr de la Fontaine, choisy par Messieurs de l’Académie Françoise pour remplir la place que la mort de Mr Colbert a laissée vacante dans leur Compagnie. Comme il y a quelque surséance à sa reception, il prie le Roy d’avoir la bonté de la lever. C’est ce que vous remarquerez dans l’Envoy qui n’est fait que pour cela.

AU ROY.
BALLADE.

Roy vrayment Roy, cela dit toutes choses,
Domptez encor quelques Rampars Flamans,
Et puis la Paix jointe au retour des Roses,
Repeuplera l’Univers d’agrémens.
Vous forcez tout, mesme les Elémens,
Tant vous sçavez à propos entreprendre.
Mars chaque jour s’en revenoit attendre
A son Foyer, les Zéphirs paresseux ;
LOUIS luy fait d’autres Leçons apprendre,
L’évenement n’en peut estre qu’heureux.
***
Entre vos mains tout devient imprénable ;
Attaquez-vous, tout cede en peu de temps.
Il faut dix ans aux Héros de la Fable,
A vous dix jours, quelquefois des instans.
Le moindre bruit de vos Faits éclatans,
Perce l’Olimpe, & fait qu’il vous admire.
En vain l’Ibere ose former des vœux,
C’est à vous seul de borner vostre Empire,
L’évenement n’en peut estre qu’heureux.
***
Tel que l’on voit Jupiter dans Homere
Tirer à luy tout le reste des Dieux ;
Tel balançant l’Europe toute entiere,
Vous lutez seul contre cent Envieux.
Je les compare à ces Ambitieux,
Qui Monts sur Monts déclarerent la guerre
Aux Immortels ; Jupin croulant la Terre,
Les abîma sous des Rochers affreux.
Ainsi que luy prenez vostre Tonnerre,
L’évenement n’en peut estre qu’heureux.
***
Vous n’estes pas seulement estimable
Par ce grand Art qui fait les Conquérans ;
Terrible aux uns, aux autres tout aimable,
Des Scipions vous remplissez les rangs.
Auguste, & Jule, en vertus diférens,
Vous feront place entr’eux deux dans l’Histoire.
Vos premiers pas courant à la Victoire,
Ont tout soûmis, & ce cœur genéreux
Dans les derniers affecte une autre gloire.
L’évenement n’en peut estre qu’heureux.

ENVOY.

Ce doux penser, depuis un mois ou deux,
Console un peu mes Muses inquietes.
Quelques Esprits ont blâmé certains Jeux,
Certains Recits qui ne sont que sornettes.
Si je défere aux Leçons qu’ils m’ont faites,
Que veut-on plus ? Soyez moins rigoureux,
Plus indulgent, plus favorable qu’eux ;
Prince, en un mot, soyez ce que vous estes,
L’évenement n’en peut estre qu’heureux.

[Ballade de Mme des Houlieres] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 171-176.

A cette Ballade irréguliere, j’en ajoûte une autre, dans laquelle on a observé toutes les régles. Quand je voudrois vous cacher qu’elle est de l’illustre Madame des Houlieres, la finesse des pensées, & le tour des Vers, vous feroient connoistre que nous luy devons cette agreable & spirituelle galanterie. Tout ce qu’elle fait porte un caractere singulier, qui la rend inimitable.

BALLADE
de Madame
DES HOULIERES.

A Caution tous Amans sont sujets,
Cette maxime en ma teste est écrite.
Point n’ay de foy pour leurs tourmens secrets,
Point aupres d’eux n’ay besoin d’Eau benîte.
Dans cœur humain probité plus n’habite ;
Trop bien encor a-t-on les mesmes dits,
Qu’avant qu’Astuce au monde fust venuë ;
Mais pour d’effets, la mode en est perduë,
On n’aime plus comme on aimoit jadis.
***
Riches Atours, Tables, nombreux Valets,
Font aujourd’huy les trois quarts du mérite.
Si des Amans soûmis, constans, discrets,
Il est encor, la Troupe en est petite ;
Amour d’un mois est amour décrépite ;
Amans grossiers sont les plus applaudis ;
Soûpirs & pleurs feroient passer pour Gruë,
Faveur est dite aussitost qu’obtenuë,
On n’aime plus comme on aimoit jadis.
***
Jeunes Beautez en vain tendent filets ;
Les Jouvenceaux, cette engeance maudite,
Font bande à part ; pres des plus doux Objets,
D’estre indolent chacun se félicite.
Nul en amour ne daigne estre hypocrite ;
Ou si parfois un de ces Etourdis
A quelque soin s’abaisse & s’habituë,
Don de mercy, seul, il n’a pas en veuë,
On n’aime plus comme on aimoit jadis.
***
Tous jeunes cœurs se trouvent ainsi faits,
Telle denrée aux Folles se debite,
Cœurs de Barbons sont un peu moins coquets ;
Quand il fut vieux, le Diable fut Hermite ;
Mais rien chez eux à tendresse n’invite ;
Par maints Hyvers, desirs sont refroidis ;
Par maux fréquens, humeur devient bouruë.
Quand une fois on a teste chenuë,
On n’aime plus comme on aimoit jadis.

ENVOY.

Fils de Vénus, songe à tes intérests,
Je voy changer l’Encens en Camouflets,
Tout est perdu, si ce train continüe ;
Ramene-nous le Siecle d’Amadis ;
Il est honteux qu’en Cour d’attraits pourveüe,
Où politesse au comble est parvenüe.
On n’aime plus comme on aimoit jadis.

Réponse de Mr le Duc de S. Aignan, à Madame des Houlieres §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 176-181.

Voicy la Réponse que Mr le Duc de S. Aignan a faite à cette Ballade. Elle est sur les mesmes rimes.

Reponse de Mr
LE DUC DE S. AIGNAN,
A Madame des Houlieres.

A Caution tous ne sont pas sujets,
Autre maxime en ma teste est écrite ;
Et pour parler de mes tourmens secrets,
Jamais de Cour ne connus l’Eau benîte.
Si dans les cœurs probité plus n’habite,
Dans le mien sont mesmes faits, mesmes dits,
Qu’avant qu’Astuce au monde fust venüe,
D’Amans loyaux si la mode est perdüe,
J’aime toûjours comme on aimoit jadis.
***
Nul riche atour, nul nombre de Valets,
Ne contribüe à mon peu de mérite,
Toûjours me tiens au rang des plus discrets ;
Tant-mieux pour moy, si la Troupe est petite ;
Si dans l’amour nouvelle ou décrépite,
Les plus grossiers sont toûjours applaudis.
Dússay-je en tout me voir passer pour Grüe,
Faveur se cache aussitost qu’obtenüe,
J’aime toûjours comme on aimoit, adis.
***
Jeunes Beautez qui nous tendez filets,
Chassez bien loin cette engeance maudite
De Jouvenceaux ; quand pres de beaux Objets
D’estre indolent chacun se félicite,
Je sers l’Amour sans faire l’hypocrite,
Et mieux le sers qu’un de ces Etourdis ;
Mais si pour vous aux soins je m’habitüe,
Don de mercy-je veux avoir en veüe,
J’aime toujours comme on aimoit jadis.
***
Quand jeunes cœurs se trouvent ainsi faits,
Meilleurs Présens aux Dames je debite.
Certains Barbons ont droit d’estre Coquets,
Le Diable eut tort quand il se fit Hermite.
Si ma personne à tendresse n’invite,
Mes sens au moins point ne sont refroidis,
Par aucuns maux mon humeur n’est bourrüe,
Et quand plus fort aurois teste chenüe,
J’aime toujours comme on aimoit jadis.

ENVOY.

Fils de Vénus, si pour tes intérests
Je prens l’Encens, & romps les Camouflets,
Accorde-nous que ce train continüe.
Nous reverrons le Siecle d’Amadis ;
Et si parfois Dame d’attraits pourveüe,
A m’enflâmer se trouve parvenüe,
J’aime toujours comme on aimoit jadis.

Réponse de Madame des Houlieres à Mr le Duc de S. Aignan §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 181-184.

Cette Réponse en a attiré une autre que j’ajoûte icy. Elle est encore de Madame des Houlieres.

Reponse de Me
DES HOULLIERES,
A Mr le Duc de S. Aignan.

Duc plus vaillant que ces fiers Paladins,
Qui de Géans cinquestoient les Armures ;
Duc plus galant que n’estoient Grénadins,
Point contre vous ne sont mes Ecritures.
Grand tort aurois de blasonner vos feux.
Et qui ne sçait, beau Sire, je vous prie,
Qu’en fait d’amour & de Chevalerie
Onques ne fut plus véritable Preux ?
***
Vous pourfendez vous seul quatre Assassins,
Vous reparez les torts & les injures ;
Feriez encor plus d’amoureux larcins
Que Jouvenceaux à blondes chevelures.
Ce que jadis fit le beau Tenébreux,
Aupres de vous n’est que badinerie ;
D’encombriers vous sortez sans furie,
Onques ne fut plus véritable Preux.
***
Jamais l’Aurore aux doigts incarnadins,
Aux jours brillans ne change nuits obscures,
Que cault amour, & Mars aux airs mutins
Vous n’invoquiez pour avoir Avantures.
Vous bravez tout ; malgré les ans nombreux
Qui volontiers empeschent qu’on ne rie,
Avez d’un Fils augmenté vostre Hoirie.
Onques ne fut plus véritable Preux.

ENVOY.

Que puissiez-vous, Chevalier valeureux,
En tout Combat, en Butin amoureux,
Ne vous douloir jamais de tromperie ;
Et qu’à l’envy chez nos derniers Neveux,
Lisant vos Faits, hautement on s’écrie,
Onques ne fut plus véritable Preux.

[Réjoüissances faites à Angers pour la Naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 184-191.

 

La Ville d’Angers a marqué par des Rejoüissances extraordinaires, combien elle se sent honorée de la confiance que Sa Majesté continüe de luy témoigner, par le Titre de Duc d’Anjou, qu’il luy a plû donner au second Prince dont Madame la Dauphine est accouchée. Les Préparatifs nécessaires pour la magnificence de cette Feste ayant esté faits, on choisit le jour des Roys pour cette Cerémonie. Mr Charlot Maire en fit donner le Signal aux Habitans, dés le matin, par une décharge d’Artillerie. Toutes les Cloches de la Ville furent sonnées depuis midy jusques à une heure. Un Détachement de quinze cens Bourgeois tous fort lestes, commandez par Mr de Neuville-Poisson, un des Capitaines, & cy-devant Maire, vint se poster en armes sur la Place publique, au-devant de l’Hôtel de Ville, dans lequel la demeure des Maires a esté établie depuis quelques mois, pendant que Mr d’Autichamp qui commande pour le Roy dans la Ville & Chasteau d’Angers, les Officiers du Présidial en Robe rouge (Privilége qui leur a esté accordé par nos Roys pour leur extréme fidélité) & toutes les autres Compagnies de Justice, & de Finance, avec les Communautez de la Ville, se rendirent à l’Eglise Cathédrale, où le Te Deum fut chanté par une excellente Musique, en présence de Mr l’Evesque d’Angers. Apres cela les Compagnies vinrent au milieu d’une double Haye de la Milice rangée des deux costez des Rües, depuis la Cathédrale jusqu’à la Place publique, où Mr d’Autichamp, Mr Gohin Président du Présidial, & Mr Charlot Maire (ces deux derniers à la teste de leurs Compagnies) allumérent le feu au bruit des Canons, des Tambours, des Trompettes, & des acclamations publiques. La Soldatesque vint ensuite faire ses Décharges à diverses reprises. On avoit dressé dans cette Place un grand Arc de Triomphe à trois faces, orné d'Obélisques, de Festons, & d'Armoiries, accompagnées d'un meslange de Lettres lumineuses qui formoient des Chiffres & des Devises. Au-dessus s'élevoient deux Rochers, d'où découlèrent des Ruisseaux de Vin blanc & rouge pendant toute la Cerémonie. Cette Machine finissoit par une Figure de la Renommée preste à publier la grandeur de ce nouveau Prince dans toutes les parties du Monde, dont les Ducs d'Anjou ses Prédecesseurs se sont vûs les Maistres, & qu'ils ont remplies de la gloire de leurs Actions, & de la terreur de leurs Armes & du Nom Angevin. La nuit ne fut pas plûtost venüe, que la Ville parut en feu de toutes parts, tant par les grandes Illuminations, que par le nombre des Feux que les Habitans allumérent dans toutes les Rües. Le Canon de la Ville ayant recommencé à tirer, on répondit dans le Chasteau par une Salve de Mousqueterie. Le Peuple accourut de tous costez à la Place publique. Les Fanfares des Trompettes se meslérent au bruit des Tambours & des Fiffres, & toutes les Figures de l’Arc de Triomphe éclatérent en feux d’artifice de tant de sortes, & répandirent une si vive lumiere, qu’il sembloit qu’on eust voulu prolonger le jour qui avoit paru trop court à la joye publique. Ces réjoüissances furent suivies d’un magnifique Régale que donna Mr le Maire à plusieurs Personnes considérables. Le lendemain, le Te Deum fut chanté dans toutes les Eglises de la Ville.

[Autres Réjoüissances sur cette Naissance] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 195-198.

 

On a fait aussi de grandes Réjoüissances pour la Naissance de ce jeune Prince, dans la Ville de Chasteauneuf en Thimerais. Mr le Marquis de Cœuvres, Gouverneur de l'Isle de France en avoit donné les ordres. Les Officiers du Bailliage assistérent au Te Deum, qui fut chanté solemnellement dans l’Eglise Paroissiale, & le soir on alluma des Feux dans les Places publiques & dans tous les Quartiers, au son des Tambours & des Trompettes, & au bruit des acclamations de tout le Peuple. Le reste de la nuit se passa en Festins & en Divertissemens.

Mademoiselle de Martinot, Petite-Fille de la Nourrice de Henry IV. apres avoir fait éclater son zéle à l’occasion de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, a continué d’en donner des marques, par une Messe solemnelle qu’elle a fait chanter à Asniéres, où elle réside, pour celle de Monseigneur le Duc d’Anjou. Les Peres Missionnaires Jacobins du Convent de S. Maximin & de la Sainte Baume, y assistérent, & ensuite on fit une Procession Genérale à la Croix de la Mission, plantée dans une vaste Campagne, où le Te Deum fut chanté. Mademoiselle de Martinot donna un magnifique Dîné, & le soir fit faire un tres grand Feu devant son Logis.

[Devise sur cette naissance] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 198-200.

Je finis cet Article par une Devise que Mr de Billy, Officier à Brisac, a fait sur cette mesme Naissance. Elle a pour corps un Miroir commun, qui exposé au Soleil, outre l’image de ce brillant Astre, représente encore deux autres Soleils aux deux costez, pareils au premier. Ces paroles en font l’ame, Ex splendore pares. Vous en trouverez l’explication dans ce Sonnet du mesme Mr de Billy.

A Monseigneur
LE DAUPHIN.

Dauphin, brillant Soleil, Image de LOUIS,
Que dans le cours heureux de ta vaste carriere,
D’un Prodige éclatant nos yeux sont ébloüis,
Quand un second SOLEIL nous naist de ta lumiere !
***
Des beautez du premier les Peuples réjoüis,
L’ont à l’envy chanté d’une docte maniere ;
Mais que tout de nouveau L’ASTRE que tu produis,
Va fournir au Parnasse une auguste matiere !
***
Oüy, lors qu’on y verra trois Soleils à la fois
Briller du pur éclat du SOLEIL des François,
Voicy ce qu’y diront les Filles de Mémoire.
***
Si d’un MONDE, LOUIS doit estre le SOLEIL,
Ah, pour ces trois SOLEILS si remplis de sa gloire,
Que de MONDES il faut à ce Roy sans pareil !

Élection d’un procurateur §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 201-202, 204-214.

 

ELECTION D’UN PROCURATEUR.

La Dignité de Procurateur de S. Marc, dont on honore ceux qui ont rendu des services considerables à la Republique, est une des premieres de Venise, & qui ne finit que par la mort. La principale fonction de ceux qui en sont revêtus, est la Garde du Tresor & des Richesses de S. Marc, le soin & la protection des Pauvres, des Veuves & des Orphelins, & generalement tout ce qui regarde les Legs pieux. [...]

 

La nuit du 5. au 6. Septembre dernier, le Procurateur Loüis Delfino, un des neuf anciens estant decedé, le Conseil s’assembla dés l’apres-dînée, & élût en sa place Jerôme Gradenigo, Gentilhomme des plus qualifiez, & qui a passé dans les plus grandes Charges de l’Etat. Sa Famille est une des plus anciennes de Venise, & qui tient rang dans la premiere Classe de la Noblesse. Il y a eu quatre Doges de son Nom ; Pierre Gradenigo, dans le neuviéme siécle ; un autre Pierre Gradenigo, dans l'onziéme ; Barthélemy & Jean Gradenigo, tous deux dans le quatorziéme. Les Armes de sa Maison sont parlantes, de gueules, à un Degré d'argent mis en Bande.

Aussi-tost qu’on luy eut aporté la nouvelle de son Election, il fit ouvrir les Portes de son Palais, donna la liberté à chacun de le venir congratuler, & fit une Feste publique qui dura trois jours. Toutes les Chambres étoient parées extraordinairement. Il y avoit dans chacune un Clavecin & des Violons pour le Bal, & dans une des principales on avoit mis sur une grande Table des Bassins de Vermeil doré, pleins de Jeux de Cartes, pour les Gentildonnes qui viendroient joüer. Plusieurs Cameriers alloient de Chambre en Chambre, verser des Liqueurs & des Rafraîchissemens aux Dames, tandis qu'on en présentoit aux Hommes dans une autre Chambre séparée. Les Boëtes que l’on tiroit continuellement, s’entendoient de tous les endroits de la Ville. Les Trompettes & les Tambours portoient la joye dans tout le Quartier, & les Hautbois & les Flageolets amassoient le menu Peuple, que l’on régaloit de Pains & de Bouteilles de Vin. Lors que la nuit approchoit, on illuminoit le Palais. On faisoit joüer des Feux d’artifice. On lâchoit des volées de Fusées et de Petards, et on allumoit des Feux et des Lumieres dans les Rües voisines, & sur les bords des Canaux des environs. Les Masques alloient par la Ville durant les trois jours, de mesme que dans le Carnaval, & se rendoient en foule le soir dans cet Hôtel. De temps en temps on faisoit des largesses au Peuple ; & en plus de vingt endroits diférens de la Ville, les Parens du nouveau Procurateur firent des feux de joye, & donnérent à boire à tous les Passans, qui témoignoient leur allegresse par des acclamations continuelles de Viva, Viva l’Eccellenza, sia benedetta.

Ces trois jours s’estant écoulez de cette sorte, il choisit le 28. du mesme mois pour faire son Entrée publique. Pour cela il se rendit le matin à S. Salvator, une des belles Eglises de cette Ville, administrée par des Chanoines Réguliers de l’Ordre de S. Augustin, où apres avoir entendu une haute Messe en Musique, il passa par la Mercerie, fit sa Priere dans l’Eglise de S. Marc, monta dans la Chambre du Collége, y prit sa Séance, fit ses Complimens, & ayant ensuite prété le Serment entre les mains du Doge, il alla prendre possession de sa nouvelle Dignité, & s’en retourna dans sa Gondole au bruit des Boëtes & des Canons. Il estoit vétu dans cette Cerémonie d’une Veste de Pourpre, à Manches Ducales. Plus de trois cens Gentilshommes Venitiens l’accompagnoient dans le mesme Habit ; & le plus proche de ses Parens marchant le dernier, faisoit les Honneurs. Trois ou quatre cens tant d’Ecclesiastiques que Gens d’Epée, & autres Seculiers, estoient du Cortége, & alloient devant deux à deux. Plusieurs Esclavons marchoient les premiers, les uns avec des Fiffres, des Trompettes & des Tambours ; & les autres faisant ranger le monde & la foule des Masques qui avoient encore la liberté d’aller par la Ville ce jour-là, & qui montoient jusques dans le College pour entendre les Harangues. Le soir il y eut Festin & Bal dans le Palais de Son Excellence, comme dans les trois premiers jours, avec les mesmes largesses.

Je voudrois pouvoir décrire la maniere dont les Marchands de la Mercerie avoient ajusté leurs Boutiques, le jour de l’Entrée dont je vous parle. Ce sont de ces choses qui parlent aux yeux, & qui ne se peuvent bien comprendre que par ceux qui les ont veües. Ce n’estoient que monceaux de Brocards & de Broderies. Les Dentelles d’Or & d’Argent, les Nœuds, les Rubans, & les Garnitures, estoient disposées en Amphithéatres, en Piramides, en Festons, en Bouquets de Fleurs, & en toutes sortes de figures. On avoit métamorphosé les Boutiques des Libraires en Cabinets de Curieux, remplis de Tableaux, de riches Tapis, d’Estampes, de Globes, de Spheres, d’Astrolabes, de Mignatures, de Coquilles, & de raretez pareilles. Les Tourneurs en Yvoire avoient mis en montre dans de grands Bocals de verre, quantité de gentillesses & d’Ouvrages fins & délicats. Il sembloit que les Faiseurs de Bracelets, de Boucles & de Pendans d’oreilles, fussent au milieu d’un Palais enchanté, où l’on foule aux pieds les Perles & les Pierreries. Les Boutiques de Lingers paroissoient des Manufactures de Points. Il y en eut un entre autres, qui avoit mis en parade un grand Cartouche des Armes du nouveau Procurateur, & au-dessous ces paroles, Dignitas parta labore. Le tout n’estoit que de Passemens & de Dentelles ; & afin que le Soleil, le vent, ou la pluye, n’aportassent aucun préjudice à ce pompeux Etalage, ils avoient couvert toutes les Rües en Berceaux, avec des Arcs de Triomphe à l’entrée & à la sortie.

A Monsieur le Duc de S. Aignan. Ballade §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 313-316.

Il me tombe entre les mains une Ballade que celles que j’ay déja employées dans cette Lettre, ont fait revivre. Elle est de Mr le Marquis de Montplaisir, dont le bel esprit & la valeur ont acquis une si grande approbation, & fut faite dans le temps qu’arriva l’affaire dans laquelle Mr le Duc de S. Aignan ayant esté attaqué par quatre Hommes, fut assez heureux pour en tuer trois, & pour mettre en fuite le quatriéme. Mr le Marquis de Montplaisir n’eut pas plutost appris cet évenement, qui est des plus singuliers, qu’il luy envoya un Mousqueton qui tiroit sept coups. Ce Présent fut accompagné de ces Vers. Ils expliquent ce que Madame des Houlieres a touché légerement dans sa Réponse.

A Monsieur
LE DUC DE S. AIGNAN.
Ballade.

Parmy les Bois, & la gaye verdure,
Où va cherchant souvent mainte Avanture.
Ainsi que vous, tout gentil Chevalier
Lors que seulet vous alliez vous ébatre,
Quatre Assassins venant vous défier,
Vous avez fait, dit-on, le Diable à quatre.
***
En coucher deux roides morts sur la dure,
Abatre l’un d’une grande blessure,
Et mettre encore en fuite le dernier,
Quoy que blessé, comme un Démon se batre,
Damp Chevalier, on ne le peut nier,
C’est assez bien faire le Diable à quatre.
***
Les Demy-Dieux, si fiers de leur nature,
N’eussent pas fait telle déconfiture,
S’il eust falu tel péril essuyer.
Celuy qui sçeut tant de Monstres abatre,
N’eust pas osé contre deux s’essayer ;
Et vous, Seigneur, faites le Diable à quatre.

[Service fait pour la Reyne par Messieurs de l’Academie Françoise] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 324-325.

 

Messieurs de l’Académie Françoise ont fait faire un Service pour la Reyne, dans la Chapelle du Château du Louvre. Elle estoit toute tenduë de Deüil, depuis le haut jusques au bas. Le reste de l’Appareil lugubre faisoit paroistre la simplicité qu’on est obligé d’avoir dans une Maison Royale, où des Sujets ne doivent songer qu’à faire éclater leur zéle. La Messe fut celébrée par Mr l’Abbé de Lavau, Garde de la Bibliothéque du Cabinet du Roy, & Directeur de l’Académie. La Musique estoit de la composition de Mr Oudot.

[Amadis, opera] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 326-328.

 

Sa Majesté ayant ordonné à Mr Quinaut Auditeur des Comptes, de travailler à un Opéra, qui devoit estre représenté à Versailles pendant tout ce Carnaval, & dont Elle avoit choisy Elle-mesme le Sujet, dés le commencement de l’Eté dernier, cet illustre Autheur avoit déja fort avancé ce travail, lors que la Reyne mourut. La régularité que ce Prince observe en toutes choses, l’empêchant de voir aucun Spectacle pendant l’année de son Deüil, il a consenty que Mr de Lully donnast cet Opéra au Public. Il a paru depuis quinze jours sous le titre d’Amadis. Je ne vous dis rien de la Musique. Vous connoissez le rare talent de l’incomparable Mr de Lully, & je puis vous assurer qu’il est toûjours luy-mesme dans tout ce qu’il fait. Les Décorations ont esté inventées par Mr Berrin, & faites sur ses Desseins, aussi-bien que les Habits. Jamais on n’a rien vû de plus magnifique, de mieux entendu, ny de plus convenable au Sujet. Les Vols, dont la nouveauté & la beauté ont surpris, sont du mesme Mr Berrin, qu’on peut dire estre un Génie universel.

[Comédies nouvelles] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 328-329.

 

La Troupe Françoise a représenté trois Piéces nouvelles, Marie Stuard, de Mr Boursault ; le Docteur Extravagant, de Mr de Beauregard ; & Penelope, de l’Auteur de Zelonide. Vous vous souvenez, Madame, du bruit que fit Zelonide il y a deux ans. Penelope est un Ouvrage, qui a comme ce premier, de grandes beautez. Les Vers en sont travaillez avec un soin fort exact, & répondent noblement à la force des pensées.

Il paroist depuis peu un Livre intitulé, L’Espion du Grand Seigneur. C’est la Traduction d’un Tome de plusieurs Lettres Arabes, qu’un Ministre de la Porte a écrites depuis l’année 1638. jusqu’en l’année 1682. On le vend en Italien & en François. L’Italien est de Mr Marana, Gentilhomme Génois, de qui on a vû autrefois l’Histoire des dernieres Guerres de Gennes & de Savoye, avec la Conspiration d’un Noble de la République, appellé della Torre.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 329-330.

Vous trouverez le vray Mot des deux Enigmes du dernier Mois, dans l´Air nouveau que je vous envoye. Les Paroles sont de Gygés du Havre.

AIR NOUVEAU.

Servant d´Explication aux deux Enigmes du mois de Decembre 1683.

Je fuis l'Amour & les Procés ;Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Je fuis l'Amour & les Procés, doit regarder la page 330.
Pour en avoir un bon succés,
On devient trop mélancolique.
J'aime mieux chanter la Musique,
Et bien entonner, ut, re, Mi.
Avec un Amy pacifique,
Le Vin me sert à leur faire la nique,
Et le voila ce bon Amy.

La sillabe Mi, est le vray Mot de l´une & de l´autre. Plusieurs ont expliqué la premiere sur la seule lettre I, & d´autres ont expliqué la seconde sur la seule lettre M.

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[Arlequin Procureur] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 335-336.

Je viens d’apprendre que Mr de Louvoys a nommé Mr l’Abbé de Lanion, pour présider à l’Académie des Sciences ; & Mr Reinsant, pour avoir soin des Médailles de Sa Majesté. L’un & l’autre Employ demande des Personnes d’une érudition consommée.

Je n’ay point douté que vous ne prissiez beaucoup de plaisir à la lecture de la Comédie d’Arlequin Procureur ; mais je ne croyois pas que vous dûssiez avoir si tost celuy de la voir représenter. Si vos Comédiens de Province l’ont fait paroistre avec agrément, jugez de celuy qu’elle a dans la bouche de l’inimitable Arlequin. Elle n’est pas moins heureuse dans la Boutique du Libraire, qu’elle l’a esté sur le Théatre. Cela fait connoistre de quelle utilité il estoit pour les Plaideurs de leur découvrir les tromperies dont ils ont à se garder.

[Jugement de Platon sur les Dialogues des Morts] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 336-338.

Les Dialogues des Morts ont eu la destinée des bons Livres. Ils ont trouvé des Censeurs, & j’en ay veu depuis quelques mois, trois diférentes Critiques. Ceux qui les ont faites, s’estant déchaînez contre l’Autheur, comme s’il estoit fort condamnable d’avoir fait un Livre qui a plû à tout le monde, il y a grande apparence qu’ils n’ont pû obtenir la permission de rendre public leur emportement. Enfin on m’en a fait voir une quatriéme, qui n’attaquant que l’Ouvrage, a esté creüe digne de paroistre au jour. Le Sr Blageart Libraire doit commencer à la débiter le huitiéme du mois prochain, sous le titre de Jugement de Pluton sur les Dialogues des Morts. Elle est d’un Homme qui nous a déja donné plusieurs Ouvrages avec beaucoup de succés, & qui a pris soin de ramasser tout ce qui s’est dit au desavantage des Dialogues. Il l’a fait d’une maniere galante & spirituelle, qui laisse voir qu’il n’en a pas moins d’estime pour l’Autheur ; & qu’en rapportant toutes les Critiques qu’on a faites, il n’est pas persuadé qu’elles soient capables de diminuer la gloire qu’il s’est acquise. Je vous envoyeray ce Jugement rendu par Pluton aux Morts qui se plaignent, si-tost qu’il sera en vente. Je suis assuré que vous le lirez avec plaisir, vous qui admirez les Dialogues.

[Mariage de Mademoiselle] §

Mercure galant, janvier 1684 [tome 1], p. 341-345.

Je ne puis finir sans vous parler de ce que les Nouvelles publiques vous auront déja appris. Vous sçavez sans doute, que le 27. de ce mois Mr le Marquis Ferrero demanda au Roy Mademoiselle en Mariage pour Monsieur le Duc de Savoye son Maître ; mais vous ne sçavez peut-estre pas ce qui a suivy cette Demande. C’est ce qui n’est encore connu que de fort peu de Personnes. Le Roy ayant esté quelque temps en conférence dans son Cabinet avec Monsieur, y fit appeller Mademoiselle, & luy dit, que Monsieur le Duc de Savoye la demandoit en Mariage ; mais qu’avant que de la promettre, il vouloit avoir son consentement ; & que Monsieur qui estoit un bon Pere, ne vouloit point aussi s’engager, qu’il ne sçût auparavant si elle y consentoit. Sa Majesté ajoûta, que quoy que ce Mariage ne la fist pas Reyne, elle n’en seroit pas moins heureuse ; que la Cour de Savoye estoit une Cour où rien ne manquoit ; qu’elle en trouveroit les manieres si Françoises, qu’elle ne s’appercevroit presque pas qu’elle eust quitté la France ; que s’il luy fust resté une Fille, elle n’auroit pas eu un autre Party, & que Monsieur le Duc de Savoye n’étoit pas seulement un grand Prince, mais un honneste Homme. Mademoiselle fit une profonde revérence au Roy, & luy répondit, qu’elle n’avoit point d’autre volonté que la sienne, & celle de Monsieur. Elle laissa couler quelques larmes. Mais qui n’en verseroit pas, en songeant à quitter un si grand Roy, & dont les manieres sont si engageantes ? Comme la Cour de Savoye est tres-galante, j’auray beaucoup d’agreables choses à vous mander sur ce Mariage, qui a déja donné lieu aux Vers que vous allez lire.

ETRENNES
Envoyees par un Ramonneur
A MADEMOISELLE.

Connoissez-vous, jeune Princesse,
Quel est ce petit Ramonneur ?
C’est l’Amour qui se fait honneur
De rendre hommage à Vostre Altesse.
Il prend cet habit emprunté
Avec sa Curiosité,
De peur de se faire connoistre.
Jettez les yeux sur ses Bijoux,
Et vous y trouverez peut-estre
Quelque chose digne de vous.
 Il vient du fonds de la Savoye,
Parmy la neige & les frimats,
Car l’Hyver ne l’étonne pas
Lorsque c’est vers vous qu’on l’envoye.
Il vient vous présenter un cœur
Dont il s’est rendu le vainqueur ;
Et tout fier de cette victoire,
En échange, ce Dieu malin
Ose se promettre la gloire
D’emporter le vostre à Turin.