1684

Mercure galant, août 1684 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, août 1684 [tome 10].
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Mercure galant, août 1684 [tome 10]. §

[Prélude] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 1-2.

Il n’est pas besoin, Madame, que je vous apprenne les raisons qui m’obligent à remettre encore jusqu’au mois prochain, ce que je vous avois promis pour celuy-cy au commencement de ma Lettre de Juillet. Vous les pouvez aisément connoistre, sans que je m’explique ; mais si cet Article diféré recule pour quelque temps le plaisir que vous vous estiez promis de ce qu’il doit renfermer de glorieux pour le Roy, vous aurez au moins celuy de lire l’éloge de ce grand Monarque dans ce Sonnet de Mr Magnin. Il a esté fait à l’occasion de la Statuë que Mrs d’Arles luy ont envoyée.

[Sonnet] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 3-4.
Le Régne de LOUIS, le plus grand Roy du monde,
Semble avoir réüny les grands évenemens ;
Il brave les Saisons, dompte les Elémens,
Joint les Mers, à ses Loix soûmet la Terre & l’Onde.
***
Son Royaume paisible en mille Biens abonde,
Il donne à ses grandeurs d’eternels fondemens ;
Et Diane & Vénus quittant leurs Monumens,
Viennent pour admirer sa sagesse profonde.
***
L’une & l’autre s’empresse, & dispute aujourd’huy,
Pour se faire connoistre, & se donner à Luy ;
Et nos Neveux charmez, en lisant son Histoire,
***
Dans les Siecles futurs se diront tour-à-tour,
Les Hommes n’ayant rien pour répondre à sa gloire,
Les Dieux mirent leurs soins à luy faire la Cour.

Reflexion sur la Dispute des Sçavans §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 4-16.

Il est assez surprenant qu’un sujet qui a si peu de raport avec les loüanges de Sa Majesté, ait pû donner lieu de les étendre d’une maniere si agreable & si naturelle. Voicy d’autres Vers de Mr Magnin sur cette mesme Statuë. Vous les trouverez de ce caractere aisé qui fait connoistre qu’on est né pour la Poësie. Ils sont adressez à Mr de Vertron, de l’Académie Royale d’Arles.

REFLEXION
SUR LA DISPUTE
DES SCAVANS,
Pour sçavoir si la Statuë que la Ville d’Arles a eu l’honneur de donner au Roy, représente Diane ou Vénus.
VERS LIBRES.

 Diane est chaste, elle est modeste,
En bonne part on prend toûjours son nom.
 Vénus est sur un autre ton ;
Dés qu’on la nomme, on devine le reste,
 Et ce reste n’est pas fort bon.
***
Vénus donnoit azile aux Filles débauchées,
Diane prude aidoit aux Femmes accouchées ;
 Celle-cy cherchoit les Forests,
 Et la Chasse & la Solitude
 Estoient sa plus chere habitude ;
 Les Amans tendres & discrets
En estoient regardez d’un air severe & rude,
Charmante toutefois à donner de l’amour ;
Mais malheur à celuy qui s’avisoit d’en prendre,
 Car elle sçavoit se défendre,
Et nous ne lisons pas qu’elle en prist à son tour.
***
 Ne donner rien à la tendresse,
 Regarder indiféremment
 Les tristes langueurs d’un Amant
 Qui soûpire & se plaint sans cesse,
 Cela se voit tres-rarement.
Les grands cœurs n’ont ils pas leur petite foiblesse,
 Et peuvent-ils au secret mouvement
 Qui les sollicite & les presse,
 Résister eternellement ?
C’est ce que fit Diane, & le fit hautement ;
 L’on peut apres cela croire fort scûrement
 Que ce n’est pas pour rien qu’elle se fit Déesse.
***
Vénus pour s’établir à son tour dans les Cieux,
 S’y prit tout d’une autre manieres
 Et ces Hommes ambitieux
 Qui se sont avisez de fabriquer des Dieux,
 De bonne-foy ne s’y connoissoient guére.
***
Cette Vénus fameuse, avec un peu d’appas
 Dont elle fit méchant usage,
 Fit du bruit dans son voisinage,
 Et ce bruit ne luy nuisit pas.
Elle estoit fort coquete, elle en avoit la mine ;
 Avec des regards affétez,
 D’un Troupeau d’Amans enchantez
 Elle machinoit la ruine,
Et les Sots qu’ils estoient, adoroient la Machine.
***
 Coquete ainsi tambour batant,
Elle en contentoit un, elle en dupoit un autre.
C’estoit fort mal fait ; mais pourtant
Le stile de son temps n’a-t-il point l’air du nostre ?
Je n’examine point les choses de trop pres ;
Mais sans avoir des sentimens profanes,
On peut bien s’assurer qu’on ne verra jamais
 Moins de Vénus que de Dianes.
***
Avec un air si diférent,
Air si propre à les reconnoistre
Au moment qu’on les voit paroistre
D’où vient donc que l’on s’y méprend ?
***
D’où vient que sous LOUIS, le plus grand Roy du Monde,
 LOUIS, qui sur tous les Humains.
 Répand sans cesse, & comme à pleines mains,
 La sagesse dont il abonde ;
D’où vient que sous un Roy qui paroist estre né
 Pour faire naître les merveilles,
 Sur des difficultez pareilles,
Tout le monde se tient si longtemps obstiné,
Et qu’on ne conclut rien apres de longues veilles ?
***
 Pour les Dieux de l’Antiquité,
Je ne me suis jamais mêlé de leurs affaires.
 Qu’ils soient d’accord, qu’ils soient contraires,
 Je n’en suis point inquiété,
De bon cœur je les laisse en leurs demeures sombres ;
Tout l’éclat dont brilloit leur fausse majesté,
Aupres du Grand LOUIS ne feroit que des ombres.
 Encore un coup, qu’ils ne prétendent pas
Occuper de mes Vers les Rimes mesurées,
 A ce Monarque consacrées ;
Ce soin seul pour ma Muse a d’engageans appas.
***
 Toutefois puis que cette Histoire
 Me peut fournir dequoy chanter
 Quelques beaux endroits de sa gloire,
Elle peut bien un moment m’arrester.
***
Helas ! qu’il est de Gens d’Epée & de Soutane,
En faveur de Vénus tous prests à disputer !
 Mais l’apparence est pour Diane,
 Ils ne sçauroient le contester.
Elle suit du Soleil la pompeuse carriere,
Et peut-estre en jettant ses regards sur LOUIS,
Il parut si brillant de gloire & de lumiere,
 Que ses yeux furent ébloüis.
Enfin manquant sa route au dela du Tonnerre,
Elle a crû qu’Apollon habitoit sur la Terre ;
 Et l’on peut dire assurément,
 Que si l’avanture est étrange,
 Ce n’est pas malheureusement
 Que la Déesse a pris le change.
***
 Vénus n’est pas d’assez bon sens
 Pour s’égarer avec tant d’avantage,
Si quelque Avanturier luy donne de l’encens,
Inconstante qu’elle est, il l’arreste au passage ;
Diane erre, il est vray, mais son erreur est sage.
***
 On ne sçauroit mesme l’estre plutost,
 Puis qu’au moment que sa Mere Latone
Accoucha d’Apollon, elle fit ce qu’il faut
Pour la bien relever sans aide de personne ;
Elle fut Sage-Femme, & jamais ne cessa.
 C’estoit bien là sa destinée,
 Puis qu’on dit qu’elle commença
 Le lendemain qu’elle fut née.
***
Sage dés le Berceau, loin de nous étonner,
 Foibles aveugles que nous sommes,
 Disons qu’elle vient se donner
 Au plus sage de tous les Hommes.
***
 Plaide pour Vénus qui voudra,
A la Cour de LOUIS sa Cause est déplorée ;
 Chacun dit qu’elle l’y perdra,
Avec Diane à tort elle s’est mesurée.
***
O Toy qui tiens ton rang dans le sacré Vallon,
Genéreux Défonseur de la chaste Déesse ;
Le party de Diane est celuy d’Apollon,
De cette chere Sœur la Gloire t’intéresse ;
Si pour elle aujourd’huy ton grand zele s’empresse,
 Je crois que c’est avec raison.
***
 Arles, Ville fortunée,
 Dont l’heureuse destinée
Fut de garder ce Dépost si longtemps,
A l’honneur d’Apollon le Parnasse t’invite
 D’en faire valoir le mérite.
L’Illustre Saint Aignan soûtient tes sentimens,
Du contraire Party ce suffrage t’acquite ;
 Il est Juge, & tres-éclairé,
 Il a l’esprit, l’intelligence,
Il se connoist en Dieux, & dans cette Science
 Elevé presque dés l’enfance,
 Est-il quelque Seigneur en France
 Qui luy puisse estre comparé ?
Ce digne Protecteur avec toy déclaré,
Au Party de Diane attire tant de monde,
 Que, surquoy que Vénus se fonde,
 Je croy le sien desesperé.

[Quatrain] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 17.

Mr de Vertron, qui s’est fait voir en toutes rencontres le Défenseur du beau Sexe, a fait le Quatrain suivant en faveur de Diane, & des Dames d’Arles. Callistene à qui vous voyez qu’il adresse la parole, est celuy qui prend les intérests de Vénus dans le Livre que Mr Terrin a fait sur cette Dispute.

Silence, Callistene, & ne dispute plus.
 Tes sentimens sont trop profanes ;
Dans Arles c’est à tort que tu cherches Vénus,
 L’on n’y trouve que des Dianes.

[Madrigal] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 51-52.

Cette matiere me donne lieu d’ajoûter icy un Madrigal de Mr Diéreville, sur ce qui fut publié d’un Espagnol dans le temps de la Prise de Luxembourg.

AU ROY.

Lors que de Luxembourg on vous vit triompher,
Un Espagnol surpris d’un revers si terrible,
Dit qu’à vostre valeur rien n’estoit impossible,
Et que si vous vouliez, vous prendriez l’Enfer.
Grand Roy, si redouté sur la terre & sur l’onde,
 Apres mille Exploits glorieux,
 Pour le salut de tout le monde,
 Détruisez ces horribles Lieux.

[Devises] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 52-54.

Mr Magnin a fait deux Devises sur la vangeance que le Roy a tirée des Génois. L’une a pour corps un Rhinoceros, qui met en fuite une Troupe d’Ours. Ces paroles qui luy servent d’ame, Tarda quidem ira, sed ingens, sont expliquées par ce Madrigal.

Quoy que fort & robuste, il est assez paisible,
Des moindres Animaux il souffre assez longtemps
 De petits mécontentemens ;
Mais s’il s’irrite enfin, son couroux est terrible.
 Apres avoir souffert de vous
 De longs & sensibles outrages,
Le Grand LOUIS, Génois, vous montre son couroux ;
Tremblez pour l’avenir, & devenez plus sages.

Le corps de l’autre Devise est une Ville, dont la Foudre abat les plus hautes Tours. Ces mots en sont l’ame, Opus præludia signant.

Quand par un mouvement aveugle & teméraire,
Mortels, vous offensez le Monarque des Cieux,
S’il vous donne du temps, s’il vous regarde faire,
 Souvent c’est pour vous punir mieux.
 Au moindre signe de colere
 Qui commence à fraper vos yeux,
 Hastez-vous de le satisfaire.
Cette refléxion, Génois, s’adresse à vous,
LOUIS LE GRAND est juste, il est bon, il est doux ;
 Mais c’est une terrible affaire,
 Que LOUIS LE GRAND en couroux.

[Sur l’Affaire de Gênes] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 54-56.

Voicy d’autres Vers dont l’Autheur m’est inconnu. Ils sont aussi sur le châtiment de Génes.

Par le funeste effet d’une aveugle insolence
Génes vient d’éprouver le pouvoir de la France.
 Cette superbe Nation
Reconnoist, mais trop tard, que la protection
Du Lion rugissant est pour elle inutile ;
Iamais impunément on n’offensa LOUIS,
On voit en moins de rien de cette forte Ville
Les somptueux Palais brûlez ou démolis ;
Du fer & de la flâme elle devient la proye,
Le desespoir y regne autant qu’il fit à Troye ;
Et le plus intrépide, effrayé de son sort,
Abandonne ses Biens pour éviter la mort.
Génes, aux pieds d’un Roy craint de toute la Terre,
Viens donc te prosterner, tu ne peux faire mieux,
Ce Monarque des Lys est le Dieu de la Guerre,
Et ce n’est qu’on priant qu’on desarme les Dieux.

[A Monsieur le Duc de Bourbon, après avoir terminé ses Etudes] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 56-58.

Vous avez sçeu avec quel succés Monsieur le Duc de Bourbon a fait ses Etudes. Ce jeune Prince est sorty du College depuis peu de temps, & c’est sur cette sortie que Mr Louchault a fait le Madrigal que je vous envoye.

A MONSIEUR
LE DUC DE BOURBON.

 Duc, dont l’esprit devance l’âge,
Minerve icy dans peu, sous le nom de Pallas,
 Changeant de stile & de langage,
 Va, pleine de nouveaux appas,
 Vous montrer un autre visage.
Alors une plus grande & noble passion
 Enflâmera vostre jeune courage ;
Et le Ciel répondant à vostre ambition,
A la gloire bientost vous doit faire un passage.
 Pour la valeur, elle est née avec vous ;
Les Bourbons, les Enguiens, sans un plus long usage,
 Par vaincre, dés les premiers coups
 Commencent leur apprentissage.

[Du rétablissement de Mr le marquis du Quesne]* §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 70-74.

Il s’en est fort peu fallu que Mr le Marquis du Quesne, Lieutenant General des Armées Navales du Roy, n’ait augmenté le nombre de tant de Morts. Son grand âge, & une grosse fievre, faisoient craindre pour sa vie. Cependant il s’est guéry par un Remede tres-particulier qu’il s’est ordonné luy-mesme, connoissant assez son tempérament pour en espérer un bon succés. Ce Remede a esté de prendre cinq ou six grands verres d’eau à la glace toutes les fois que le frisson le tenoit. La Medecine raisonnera là-dessus comme il luy plaira. Il est certain que les mesmes maux se guérissent quelquefois de diférentes manieres, selon les divers tempéramens des Malades. Les Eaux minérales en sont une preuve. On les fait prendre à plusieurs Personnes attaquées du mesme mal, & toutes n’en reçoivent pas le mesme soulagement. Cela vient peut-estre de ce que chacun n’est pas exact dans le régime de vivre qu’il faut observer en bûvant ces Eaux. Un Inconnu l’a peint assez naturellement à l’égard de celles de Bourbon, dans le Sonnet que vous allez lire.

Toûjours boire sans soif, faire mauvaise chere ;
Du Medecin Griffet demander le conseil,
Voir de mille Perclus le funeste appareil,
Et se voir avec eux compagnon de misere ;
***
Si-tost qu’on a dîné ne sçavoir plus que faire,
Eviter avec soin les rayons du Soleil,
Se garder du serain, résister au sommeil,
Et voir pour tout régale arriver l’Ordinaire ;
***
Quoy qu’on meure de faim, n’oser manger son sou,
Tendre docilement les pieds, les bras, le cou,
Dessous un Robinet aussi chaud que la braize ;
***
Ne manger aucun Fruit, ny Pasté, ny Iambon,
S’ennuyer tout le jour assis dans une Chaize,
Voila, mes chers Amis, les plaisirs de Bourbon.

Lettre de Rome contenant diverses nouvelles §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 83-110.

La Bravoure de Mr de Relingues, Capitaine du Vaisseau le Bon, qui avec ce seul Vaisseau a soûtenu le Combat contre les trente-six Galeres d’Espagne & de Génes, est quelque chose de si extraordinaire, que le bruit s’en est répandu par tout. Voicy l’Extrait d’une Lettre venuë de Rome sur cette grande Action. Elle est d’un François, qui écrit à son Amy plusieurs circonstances curieuses que l’on en publie en ce Païs-là. Je vous en fais part, sçachant que vous en prenez plus que personne à la gloire des vrais Braves.

A Rome ce 7. Aoust 1684.

Apres vous avoir parlé d’Affaires particulieres, je ne sçaurois m’empescher de parler des genérales, & de vous mander que le Courrier Mancini a rapporté icy les nouvelles d’un Combat entre un Vaisseau François, & toutes les Galeres d’Espagne & de Génes. Ce qu’il en a dit n’auroit pas esté crû en ce Païs, si l’on n’avoit sçeu qu’estant dans le mesme Vaisseau, il a esté témoin de tout ce qui s’y est passé. Comme vous en devez avoir appris le détail, je ne vous le manderay point ; mais peut-estre que la modestie du Capitaine l’aura fait passer par dessus beaucoup de particularitez que le Sieur Mancini, qui n’estoit que Spéctateur en qualité de Passager, a eu le loisir de remarquer ; & peut-estre aussi que ce Courrier est le seul qui ait eu le temps de le faire, parce que tous ceux qui estoient dans le Vaisseau, estoient trop en mouvement, pour s’appliquer à autre chose qu’au Combat. Voicy ce qu’il en a dit icy de particulier. Aussitost que le Pilote eut apperçû ce grand nombre de Galeres, il vint dire à Mr de Relingues, qui commandoit le Vaisseau, que c’estoit toute l’Armée d’Espagne, & qu’il faloit revirer. Il fut bien surpris de trouver Mr de Relingues d’un sentiment entiérement opposé, & de le voir plus animé au Combat, qu’alarmé d’un si grand nombre d’Ennemis. Il cria Vive le Roy, & dit à tous ceux qui estoient dans le Vaisseau, qu’il faloit vaincre ou mourir pour un si grand Prince. Ces paroles furent cent fois repétées, & chacun s’estant affermy dans la résolution de se bien défendre, on s’appresta au Combat. Les Galeres en firent autant de leur costé, & tinrent une espece de Conseil de guerre. On s’en apperçût par le manége qu’on reconnut que faisoient les Chaloupes, qui alloient & revenoient d’une Galere à l’autre, pour porter & rapporter les Avis. Elles se mirent en Croissant, & Mr de Relingues vint aussitost salüer d’une bordée sur chacune des pointes de ce Croissant. Le desordre fut si grand, & la perte si considérable sur les Galeres qui estoient à ces pointes, qu’il s’en éleva d’effroyables cris. La surprise d’un si mauvais traitement contribua sans-doute à ce bruit. En effet, on n’est pas peu étonné de se voir batu apres que l’on s’est tenu assuré de la victoire. Les Galeres avoient tout lieu de se la promettre, puis que parmy les trente-six il y avoit quatre Capitanes, sçavoir, celles de Naples, de Sicile, de Sardagne, & de Génes. Je passe tout ce que le Courrier a rapporté des manœuvres du Vaisseau pendant le Combat, & de la maniere dont il mit toutes ces Galeres en desordre. Il y en eut d’abord deux si endommagées, qu’elles se retirerent. Elles furent bientost suivies de six autres qui ne parurent pas en meilleur état. Enfin la nuit approchant, elles cacherent leur feu. Mr de Relingues en fit encore beaucoup ; mais les croyant retirées, il se retira aussi. Comme pendant le Combat il avoit laissé aller sa Chaloupe à la Mer, de peur que si les Ennemis s’en saisissoient, ils ne se vantassent d’un avantage aussi peu considérable qu’eust esté celuy de la prise de cette Chaloupe, il dit qu’il ne vouloit pas la perdre ; & quatre Hommes de son Vaisseau s’estant aussitost jettez dans la Mer, ils allerent la chercher à la nage, & la ramenerent. Il continua sa route vers Livourne, & les Ennemis ayant paru à la veuë de cette Ville le matin du jour suivant, le Gouverneur l’envoya prier d’entrer dans le Port, afin qu’estant à couvert sous le Canon de la Place, il pust éviter le Combat. Mr de Relingues le remercia de sa civilité, & ne laissa pas d’apareiller, tant il avoit d’impatience de se signaler encore. Elle luy fut inutile, & les Ennemis prirent une route diférente de celle que naturellement ils devoient tenir. Ce qu’il y a de surprenant, & qu’on aura peine à croire, quoy qu’il soit tres-veritable, c’est qu’il n’y a eu que quatre Hommes de blessez, & trois de tuez, dans le Vaisseau de Mr de Relingues ; & que si le vent n’eust point renvoyé la fumée à ses Canonniers, il auroit entièrement ruiné ce grand nombre de Galeres. On a sçeu depuis le Combat, que l’Admiral d’Espagne avoit eu beaucoup de peine à s’y résoudre ; & que lors qu’on luy représentoit qu’il avoit trente-six Galeres, & qu’il ne s’agissoit que de combatre un Vaisseau, il répondoit, qu’il n’avoit point d’ordre de risquer son Armée, & que ce Vaisseau estoit un Démon. Il entendoit sans-doute parler de la bravoure & de l’intrépidité des François ; mais il ne croyoit pas dire si vray qu’il disoit en cette occasion. Comme il est inoüy que jamais des Gens de guerre ayent reçû un affront pareil à celuy de voir trente-six Galeres, parmy lesquelles sont quatre Capitanes, batuës par un seul Vaisseau, & qui n’est pas mesme du premier rang, les Espagnols & les Génois ne manqueront pas d’employer toutes les couleurs que la subtilité de leur esprit leur pourra faire trouver pour déguiser leur honte aux yeux de toute l’Europe. Ce Vaisseau, qu’on peut doresnavant appeller la terreur des Mers, venoit, à ce que nous a dit le mesme Courrier, à Civitavecchia, pour escorter en France les Flûtes qui y chargent pour Sa Majesté. Nous avons veu icy la Statuë equestre du Roy qu’elles y doivent porter. Elle n’a pas fait plus de chemin pendant huit jours, qu’il y en a à Paris depuis la Porte S. Honoré jusques à la Place du Palais Royal. Elle est un peu panchée, parce que le Cheval commence à atteindre la pointe d’un Rocher, où l’on voit qu’il est parvenu malgré toute la difficulté qu’il y avoit d’y arriver. Le Chevalier Bernin a voulu faire connoistre par là, que ce Monarque avoit atteint le plus haut point de la gloire, malgré toutes les difficultez qui empeschent d’y monter ; ce qu’il a prétendu représenter par la peine qu’il y a de parvenir à la pointe de ce Rocher. Comme cet Homme tout merveilleux, & qui estoit ensemble fameux Architecte & fameux Sculpteur, pouvoit aussi passer pour bel Esprit, il n’a pas eu besoin d’une autre plume que de la sienne pour faire une Inscription Latine, qui accompagne ce grand Chef d’œuvre de Sculpture.

Je ne sçaurois m’empescher de vous dire avant que de finir cette Lettre, que nous avons veu depuis peu de jours un Livre intitulé, Relation Historique de tout ce qui a esté fait devant Génes par l’Armée Navale de Sa Majesté, imprimé à Paris. Quoy que le détail en ait paru fort curieux, & remply de circonstances que l’on ignoroit, ce n’est pas tout ce qui a fait rechercher icy ce Livre, mais ce qu’on y a trouvé qui marquoit la justice du procedé du Roy. Il a plû dés les premieres lignes de la Préface, par lesquelles on est convaincu que la grandeur & la haute réputation que s’est acquis ce Monarque, sont les seules choses qui excitent l’Envie à noircir tout ce qu’il fait de plus beau. Ce que l’Autheur avance pour le prouver, est soûtenu de deux exemples anciens, qui conviennent tellement au sujet, qu’on ne sçauroit s’empescher de tomber d’accord d’une verité si bien établie. On voit au commencement du Livre la revolte des Génois contre Charles VI. leur repentir sous le Regne de Loüis XI. & le pardon que leur accorde Charles VIII. contre lequel ils se revoltent encore, apres quoy ils sont obligez d’implorer sa clémence la corde au col, de crainte d’estre punis comme Sujets rebelles, ce qui ne les empesche pas de retomber dans la revolte sous le Regne de François I. Tous ces traits d’Histoire, que l’on ne pourroit trouver sans lire celle de plusieurs Regnes diférens, sont renfermez en fort peu de pages, & font voir que les Génois se sont tant de fois revoltez contre la France sans aucune cause, qu’on n’y peut songer qu’avec indignation. On est surpris de voir apres cette peinture, que le Roy a la bonté de ne se point souvenir de toutes les offences faites à ses Prédecesseurs, & de ne point regarder les Génois comme des Sujets revoltez ; de maniere que s’ils n’avoient pas donné lieu tout de nouveau à Sa Majesté de se plaindre d’eux, ils auroient pû joüir d’un repos qui ne doit pas estre fait pour des Rebelles. La derniere de leurs revoltes ayant esté sous le Regne de François I. me fait souvenir de l’Histoire de ce Monarque faite par Mr de Varillas, que l’on a mandé icy que le Sr Barbin imprimoit. Si-tost qu’on en commencera le debit, je vous prie de m’en envoyer un Exemplaire par la plus commode occasion. On a icy grande impatience de la voir, parce qu’on assure que l’on y dépeint dans toute son étenduë la perfidie d’André Doria, lors qu’il se revolta, & fit revolter les Génois contre la France. Je reviens à la Relation dont je vous parlois tout-à-l’heure. On y a lû avec beaucoup de plaisir les raisons convaincantes qui font voir que l’on ne peut donner le nom de surprise à ce qui a esté executé devant Génes. Cet endroit a fait ouvrir les yeux, & connoistre qu’il ne s’y est rien passé que selon les Loix de la bonne Guerre. Il y en a cent autres qui excitent de la curiosité, & qu’on ne rencontre point dans tout ce qui a esté écrit sur ce sujet, comme ce qui s’est fait à l’occasion de l’entrepos des Sels de France à Savone, que les Génois & leurs Alliez avoient publié tout autrement. Quant au moüillage de l’Armée qui est dépeint dans une Taille douce, on s’est fait un plaisir d’y remarquer jusqu’au moindre Bâtiment. Mais c’est trop vous entretenir de ce que vous avez sans-doute vû. Je n’ay eu dessein en vous en parlant, que de vous apprendre les bons effets que cette Relation a produits, en détrompant le Public de beaucoup de choses. La Harangue que Mr de S. Olon fit aux Génois lors qu’il prit congé de cette République, & que l’on trouve à la fin de la mesme Relation, nous a fait connoistre la fausseté de ce qu’ils ont dit, en publiant que cet Envoyé les avoit menacez dans cette Harangue.

Il fait icy des chaleurs si excessives depuis que l’Eté a commencé, que depuis dix heures du matin jusqu’à cinq heures apresdîner, l’on ne peut quasi sortir. Le Lundy 10. du mois dernier, Sa Sainteté vint loger au Palais de Monte-Cavallo, qui est à peu-pres au milieu de Rome. Elle estoit portée dans une Chaise couverte, à deux Porteurs, & donnoit la Benédiction à tout le monde qui se rencontroit sur le chemin, & qui se jettoit à genoux pour la recevoir. Ses Chevaux-Legers, ses Officiers, & quantité de Princes Romains, Gentilshommes, & Cavaliers, luy faisoient Cortége à cheval. Le Cardinal Cibo, en qualité de Cardinal Patron, suivoit en Carrosse, & l’on menoit en parade quelques Chevaux de main de Sa Sainteté. Sa Litiere & son Carrosse estoient tout enrichis de broderie & de dorures.

Le Mercredy du mesme mois, sur les huit heures du matin, selon l’Horloge de France, il fit un orage & une pluye épouvantable, avec un Tonnerre furieux, qui dura jusqu’à midy. Le Foudre tomba en quatre endroits, dont l’un fut l’Eglise de la Trinité du Mont. C’est un Convent de Minimes, tous François, au nombre de cinquante six. Il passa par le Clocher, entra dans la Chambre d’un Religieux, brûla la moitié de son Capuce, rompit le Réveil-matin, fondit un morceau de Cuivre qui tenoit le batant, perça la Voûte de l’Eglise, entra dans une Chapelle, fit un trou à un des Piliers, rompit un coin de Corniche, & vint se perdre dans la Nef, où l’on disoit encore des Messes. Il y avoit cinq Personnes dans le Clocher, un Religieux, trois Artisans, & un petit Apprentif, qui cessoient de sonner, (car ce fut dans ce moment qu’il tomba.) Le Religieux eut l’estomach meurtry, un Artisan la cuisse brûlée d’un costé sans danger neantmoins, un autre la jouë grillée, le petit Garçon un Soulier brûlé, & l’entredeux des doigts du pied droit tout rosty, & l’autre Artisan n’eut que la peur. Quoy que le Religieux fust le plus dangereusement blessé, on en a présentement bonne espérance ; mais pour le petit Garçon, on croit qu’il en boitera, pourveu qu’il n’arrive rien de pis. Il tomba encore dans le Palais du Cardinal Carpegna, Grand Vicaire, sans blesser personne. Il passa dans plusieurs Chambres, brûla des Franges d’or de Tapisseries, sortit par le gros Mur, entra sur la Montée d’un Marchand Libraire, traversa la muraille de sa Chambre, rompit deux Tableaux, perça le Plancher, rentra par le gros Mur dans le Palais du Cardinal, & le perça une troisiéme fois pour se venir perdre dans la Boutique, sans faire d’autre dommage. Il y eut seulement un Marchand de Fromage, qui s’estant mis là aupres à couvert de la pluye, tomba de frayeur, & se cassa la teste. Pour les deux autres endroits, je n’en sçay pas le particulier.

Vous ne sçauriez croire combien le nombre des Nouvellistes est augmenté icy depuis le retardement des Courriers de France, parce qu’ils ne peuvent plus passer ny par l’Etat de Génes, ny par les Terres d’Espagne. Les Banquiers qui ont tres-peu d’Expéditions à faire, sont plus souvent dans la Place Navone que chez eux ; & il est à craindre que s’ils prennent goust à cette occupation, ils n’abandonnent doresnavant le gouvernement de leurs affaires domestiques, pour prendre celuy des Etats de tous les Souverains du monde. Vous ne croiriez peut-estre pas aussi la mauvaise chere qu’on fait dans les Auberges de Rome, depuis que ces Courriers sont retardez. Cela provient de ce qu’on n’y reçoit point de Lettres de Change, ce qui oblige les Maistres des Auberges d’y faire crédit ; & comme ceux à qui l’on fait cette grace, n’oseroient se plaindre, on ne laisse pas échaper cette occasion de leur servir beaucoup de choses, qu’on n’auroit osé leur présenter dans un autre temps. Mais ce qu’il y a de plus plaisant en tout cela, c’est que ceux qui manquent d’argent, n’oseroient plus aller chez un certain nombre de Dames, d’avec lesquelles il seroit mal-honneste de se retirer, sans en avoir payé la conversation.

[Bout-de-l’an de la Reyne fait à S. Denys] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 113-114, 116-117.

 

Le Lundy dernier jour du mois de Juillet, on fit le Service du Bout-de-l’an de la Reyne, dans l’Eglise de Saint Denys. Elle estoit toute tenduë de noir, avec deux Lez de Velours, & des Ecussons aux Armes de cette Princesse. [...]

 

Ce jour-là 31. le Service fut celébré par Mr le Cardinal de Bonzi, qui officia pontificalement. Il commença à dix heures & demie du matin, & ne finit qu’à une heure. Ce fut la Musique du Roy qui chanta la Messe. [...] Le mesme Lundy 31. Juillet, les Missionnaires de Versailles firent un Bout-de-l’an dans la Chapelle du Chasteau.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 119-148.

Il y a de la destinée dans l’Amour, & quelquefois les plus forts engagemens se font contre toute sorte d’aparence. L’Avanture dont je vay vous faire part en est une preuve. Un jeune Gentilhomme de Provence, ayant fait dessein de venir passer quelques années à Paris pour s’y perfectionner aux exercices propres à la Noblesse, & y prendre en mesme temps l’air de politesse qu’on n’acquiert presque jamais avec les Provinciaux, partit de Marseille, & s’estant rendu à Avignon, il s’y arréta trois ou quatre jours pour voir les raretez de la Ville. Il se disposoit à en partir, lors qu’on luy vint dire qu’un jeune Homme fort bien-fait cherchoit voiture, & compagnie pour Paris. Le plaisir d’avoir quelqu’un avec qui parler pendant la route, obligea le Cavalier d’aler chercher l’Inconnu. Il le trouva qui faisoit le prix d’une Litiére. Il s’offrit d’y prendre place & d’en payer la moitié ; & un je ne sçay quoy qui frape souvent d’abord, les ayant touchez également l’un pour l’autre dés cette premiere vûë, ils l’arréterent ensemble. Leur départ fut résolu pour le lendemain, & il se trouva entre eux un si grand raport d’humeur & d’esprit, qu’aprés quelques jours de marche, ils se jurerent la plus étroite amitié. Le Cavalier ne fit aucune façon de se déclarer à l’Inconnu. Il estoit d’une Maison qu’une ancienne Noblesse rendoit fort considérable. L’Inconnu demeura plus reservé, & cachant son nom par quelques raisons qui l’obligeoient au secret, il dit seulement au Cavalier, qu’il estoit Fils d’un Gentilhomme des environs d’Aix ; que son Pere qui estoit impérieux, avoit voulu le contraindre d’épouser une Demoiselle qui avoit beaucoup de bien, mais dont la laideur estoit des plus dégoûtantes ; que pour se mettre à couvert de la violence que l’on prétendoit luy faire, il avoit pris le party de fuïr ; qu’il s’en alloit à Paris, où il avoit une Tante qui ménageroit sa paix ; qu’elle estoit venuë depuis un an chez son Pere, sur l’esprit de qui elle pouvoit tout, & que tandis qu’elle s’employeroit pour l’adoucir, il profiteroit de l’avantage de passer un peu de temps dans la Capitale du Royaume. Le Cavalier répondit à l’Inconnu, qu’il ne pouvoit concevoir qu’estant fait comme il estoit, on eust voulu l’assortir à une laide Personne. En effet, si l’Inconnu avoit un défaut, c’étoit celuy de trop de beauté. Il avoit les traits réguliers & délicats, la bouche belle, les yeux grands & bien fendus, la taille fort dégagée, & une blancheur de teint, qui auroit pû disputer d’éclat avec celuy des plus belles Femmes. L’amitié s’augmentant de jour en iour entre l’un & l’autre, ils trouvoient tant de douceur à s’entretenir, qu’ils ne s’apercevoient point de la longueur du voyage, quoy qu’ils le fissent dans une Saison fort rude. C’étoient à toute heure de nouvelles protestations de s’aimer toûjours ; & chacun encherissant sur les souhaits de la plus forte union, le Cavalier demanda un jour à l’Inconnu, s’il n’avoit point une Sœur, ajoûtant qu’il regarderoit une alliance qui le rendroit son Beaufrere, comme le plus grand de tous les bonheurs. Cette proposition donna quelque temps à réver à l’Inconnu. Il en montra cependant beaucoup de joye, & la recevant d’une maniere agreable, il luy parla d’une Sœur qu’il ne trouveroit peut-estre pas indigne de sa recherche, & qui luy estoit d’autant plus chére, qu’étant nez Jumeaux, ils avoient tous deux les mesmes inclinations, & des traits si ressemblans, que dans leur enfance, avant que l’Habit marquast la diférence du Sexe, on les prenoit souvent l’un pour l’autre. Le Cavalier qui ne trouvoit rien de si beau que l’Inconnu, examina tous ses traits avec plus d’attention, & ayant appris que cette Sœur les avoit encore plus vifs & plus délicats, il s’en forma une idée toute charmante qui ne l’abandonna plus. Il apprit encore avec beaucoup de plaisir, que ses inclinations étoient toutes nobles, qu’elle aimoit la Chasse plus que toutes choses, qu’elle y avoit pris l’habitude de tirer, ce qu’elle faisoit avec une adresse merveilleuse ; & que si son Sexe luy avoit permis de porter l’Epée, elle s’en seroit servie avec honneur. Le Cavalier tout remply d’amour par cette peinture, pria l’Inconnu de vouloir bien le servir auprés de cette aimable Personne, ce qui luy seroit aisé s’il luy écrivoit en sa faveur, & faisoit agir l’amitié particuliere qui estoit entr’eux, en attendant qu’ils retournassent ensemble en Provence, où il l’accompagneroit sitôt que sa paix seroit faite avec son Pere. L’Inconnu soûrit d’un empressement si passionné, & dit au Cavalier, que s’il estoit vray qu’il fust amoureux sans avoir vû, il n’auroit pas longtemps à souffrir de l’impatience qui sembloit le tourmenter, puis que sa Sœur estoit à Paris, où sa Tante qui estoit Sœur de son Pere, l’avoit amenée avec elle de Provence, au dernier voyage qu’elle y avoit fait. Ce fut alors que le Cavalier ne se sentit plus de joye. Il embrassa l’Inconnu, luy faisant promettre qu’il le serviroit de tout son pouvoir. Il eut beau pourtant souhaiter la fin de son voyage. Comme il le faisoit dans le mois de Mars dernier, pendant le plus rigoureux Hyver que nous ayons eu depuis longtemps, le dégel survint, & les chemins furent tout à coup si peu pratiquables, que quoy que nos Voyageurs ne fussent qu’à une petite journée de Châlons, ils eurent beaucoup de peine à y arriver. Ce fut pour eux une necessité indispensable d’y faire quelque séjour. Le Cavalier passoit les jours entiers avec l’Inconnu, & luy parloit incessamment de sa Sœur. Un soir qu’ils s’étoient quitez (ce qu’ils faisoient assez rarement) le Cavalier retournant à son Auberge, lors que la nuit commençoit à s’approcher, entendit un bruit d’Epées au bout d’une Ruë deserte. Il jetta les yeux sur deux Cavaliers qui se batoient, & remarqua l’Inconnu qui poussoit fort vivement un Homme qui reculoit. Il courut à luy, & dans ce moment l’Ennemy de l’Inconnu tomba par terre, percé d’un grand coup d’Epée. Comme ils étoient Etrangers, & qu’on pouvoit les embarasser sur une affaire de cette nature, ils laisserent le soin de secourir le Blessé au premier qui passeroit, & se retirerent. Le Cavalier l’avoit envisagé un moment, & voyant un Homme fort laid, & de tres-méchante mine, il l’avoit pris pour quelque Voleur, qui rencontrant son Amy dans une Ruë écartée, avoit voulu profiter de l’occasion ; mais l’Inconnu luy apprit que c’étoit un Gentilhomme de son voisinage ; qu’il l’avoit malheureusement trouvé sur ses pas, & qu’ils avoient pris querelle sur un ancien diférent de Famille dont il luy avoit parlé. Il pouvoit mourir de sa blessure, & les Informations estant à craindre pour eux, quoy qu’il leur parust que l’action s’étoit passée sans témoin, ils jugerent à propos de s’éloigner. Ainsi ils prirent la poste dés le mesme soir, favorisez de la Lune, qui heureusement servoit à les éclairer. Vous pouvez juger avec quelle joye le Cavalier se résolut à partir malgré la dificulté des chemins rompus. Ils allerent loger ensemble à Paris, où ils arriverent sans qu’on les eust poursuivis. Le lendemain l’Inconnu sortit pour aller chercher sa Tante, mais ce ne fut pas sans que le Cavalier eust pris sa parole, qu’ils se reverroient le mesme jour, & qu’il viendroit luy apporter des nouvelles de cette charmante Sœur qu’il brûloit d’envie de voir. Ce fut neanmoins inutilement qu’il l’attendit. Il s’en passa mesme cinq ou six sans que l’Inconnu parust. Le Cavalier en estoit au desespoir, & ne sçachant qu’en penser, il ne se pardonnoit point de ne l’avoir pas suivy jusques au Logis de cette Tante. Il est vray que l’Inconnu l’avoit conjuré de n’en rien faire, & qu’il luy avoit caché son nom, aussibien que le Quartier où il sçavoit qu’elle demeuroit. Il avoit eu ses raisons pour luy en faire un mystere, & les avoit fait approuver à son Amy. Ils vivoient ensemble dans une si étroite liaison, que le Cavalier ne croyoit pas que la défiance luy fust permise. Aussi peut-on dire qu’il n’en avoit point de luy, mais il n’en recevoit aucunes nouvelles, & comme il n’avoit pû éviter une rencontre à Châlons, il craignoit qu’il n’en eust eu quelque-autre à Paris, & que l’évenement n’en eust pas esté heureux. Enfin aprés qu’il eut souffert au delà de tout ce qu’on en peut croire, on luy apporta un Billet de l’Inconnu, qui l’avertissoit de se tenir prest au lendemain, & qu’il ne manqueroit pas de le venir prendre pour la visite qu’il avoit dessein de faire. La Maîtresse de l’Auberge avoit reçû ce Billet, & le Messager s’en estant allé sans demander de réponse, le Cavalier ne comprenoit pas à quoy tout ce grand mystere devoit aboutir. Il ne laissa pas de se préparer au Rendez-vous. Le jour suivant il prit un Habit fort propre, & à peine eut-il dîné qu’il vit entrer l’Inconnu. La joye qu’il en eut ne l’empescha pas de luy faire des reproches. Il luy expliqua tout ce qu’il s’estoit imaginé de fâcheux, & il luy peignit si fortement les inquiétudes où il l’avoit mis, qu’il l’obligea d’avoüer qu’il avoit tort. L’Inconnu prit pour excuse les scrupules de sa Sœur, qui ne voulant point paroître devant un Amant trop prévenu, avoit resisté longtemps à la priére qu’il luy avoit faite de recevoir sa visite. Il ajoûta qu’effectivement il l’avoit trouvée un peu moins brillante qu’à son ordinaire ; que la connoissance qu’elle en avoit, l’ayant renduë incertaine sur la résolution de se laisser voir, il avoit mieux aimé le laisser dans quelque peine pendant trois ou quatre jours, que de luy donner le chagrin d’aprendre que l’on balançoit à consentir à ses espérances. Le Cavalier fut content de ces raisons, & ayant reçû les assurances des favorables dispositions de la Sœur, & de l’appuy que la Tante estoit résoluë de préter à son amour, il monta dans un Carrosse que l’Inconnu avoit amené. Il fut introduit chez cette Tante, avec laquelle il demeura seul, tandis que le Frere alla préparer la Sœur à faire un accueil obligeant à son Amy. La Tante estoit une Femme qui avoit beaucoup d’esprit, & qui connoissant la Maison du Cavalier, trouvoit le party avantageux pour sa Niéce. Ainsi elle n’eut aucune peine à luy promettre de prendre ses intérests en tout ce qu’elle pourroit, si leur premiere entrevûë ne détruisoit rien des sentimens où il l’assuroit qu’il estoit pour elle. Cette conversation dura plus d’une heure sans que l’Inconnu revinst. Le Cavalier le demanda trois ou quatre fois, & la Tante remarquant que l’impatience le faisoit souffrir, envoya dire à sa Niéce qu’elle se faisoit trop attendre. Elle parut un moment aprés ; & le Cavalier, quoy que preparé à beaucoup de ressemblance, fut surpris de celle qui frapa ses yeux. C’étoient tous les traits de l’Inconnu que l’Habit de Femme avoit adoucis. Il luy fit d’abord son compliment avec ce trouble ordinaire à ceux qui parlent la premiere fois à une Maistresse. La Belle luy répondit un peu moins déconcertée ; & ce qui augmenta fort la surprise de l’Amant, ce fut d’entendre le son de sa voix, qui estoit entiérement semblable à celuy de l’Inconnu. Il continua de le demander pour les voir l’un avec l’autre, & la Belle n’ayant pû se contraindre assez pour s’empécher d’éclater de rire, on ne pût se défendre plus long-temps d’avoüer au Cavalier qu’elle & l’Inconnu n’étoient qu’une même chose. Son Pere ayant voulu l’obliger à recevoir pour Mary l’Homme du monde le plus dégoûtant, elle s’étoit résoluë à fuïr ; & pour le faire avec plus de seûreté, elle avoit caché son Sexe sous un faux Habit. Le Gentilhomme qu’elle avoit blessé à Châlons, estoit cét Amant si laid, qui avoit cru devoir courir aprés elle. L’Habit d’Homme qu’elle avoit pris ne l’avoit point empesché de la reconnoistre. Il l’avoit suivie, & sçavoit l’Auberge où elle logeoit ; mais voyant toûjours le Cavalier avec elle, il avoit voulu attendre qu’il la trouvast seule ; cela s’estoit enfin rencontré. Vous pouvez juger quels reproches il luy fit de la voir ainsi travestie en Homme. Il avoit voulu user de force pour la ramener ; & la Belle qui sçavoit fort bien manier l’Epée, avoit repoussé la violence, de la maniere que je vous l’ay dit. Elle avoit écrit sur le chemin pour avertir sa Tante de son avanture, & pour la prier de la traiter de Garçon à son arrivée. Elle en avoit conservé l’Habit cinq ou six jours, tandis qu’on luy en faisoit un autre de Femme ; & sitôt que ce nouvel Habit avoit esté fait, elle avoit tenu parole au Cavalier, en le venant prendre pour le Rendez-vous qu’elle luy avoit promis. Une Suivante à qui son vray Sexe avoit esté découvert, l’avoit habillée pendant qu’il entretenoit la Tante. Je ne vous dis point ce qui se passa pendant le reste de cette journée. Il vous est facile de vous figurer quelles furent les refléxions du Cavalier sur ce long voyage fait avec une aimable Fille, qui avoit eu jusque-là l’adresse de l’abuser, qui s’estoit batuë contre un Amant qu’elle haïssoit, & qui changeoit d’une maniere si agreable pour luy le personnage d’Amy en celuy d’une Maistresse si digne de son amour. La Tante luy apprit qui elle estoit. Ils connoissoient la Famille l’un de l’autre, & le Cavalier convint, qu’en consultant toute sa raison, il n’auroit pû faire un meilleur choix que celuy que le hazard luy avoit fait faire. La Tante écrivit d’abord en Provence une partie de ce qui estoit arrivé. Le Pere marqua par sa réponse toute la colere imaginable de la fuite de sa Fille ; mais comme le temps raccommode tout, l’Amant blessé à Châlons se trouvant guéry, & luy ayant rendu sa parole, les choses furent ménagées avec tant d’adresse, que le Cavalier, dont on connoissoit le bien, la naissance & le mérite, obtint enfin ce qu’il demandoit. On consentit à son Mariage ; & la Tante ayant reçeu une Procuration du Pere, pour le signer suivant les Articles qu’on luy avoit envoyez, il fut celebré avec une joye inexprimable de l’Amante & de l’Amant. Ils sont partis depuis peu pour retourner en Provence, où tous leurs Amis leur sont venus faire compliment sur leur bonheur.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 148-149. L'attribution de cet air à Lambert est possible grâce au « XXVIIIe Livre d'airs de differents autheurs [...] » (Paris, C. Ballard, 1685), ainsi que par les sources manuscrites F-Pn/ Res. Vmd. ms. 302 et Res. Vma. ms. 958.

Voicy un Air nouveau, qui a icy une grande vogue. Vous n´en serez pas surprise, quand je vous auray appris qu´il est du fameux Mr Lambert.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Le Rossignol que l'on admire, doit regarder la page 149.
Le Rossignol que l'on admire,
Et dont on vante tant la voix,
Se tairoit pour vous laisser dire,
Si vous alliez chanter au Bois.
Iris, allez-y quelque jour ;
Et puis qu'il en coûte la vie
A ceux que vostre voix a penetrez d'amour,
Qu'il meure au moins de jalousie.
images/1684-08_148.JPG

A Monsieur le Chevalier de Tourville §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 171-174.

Il pria Mr du Sault de porter la Lettre. Voicy ce qu’elle contenoit.

A MONSIEUR
LE CHEVALIER
DE TOURVILLE
Lieutenant Genéral des Armées Navales du Tres-Excellent & Tres-Puissant Empereur de France ; Dieu perpétuë son Regne & sa prospérité. Ainsi soit-il.

Moy Agi-Hussen, Tres-Excellent & Tres-Puissant Chef & Gouverneur du Royaume d’Alger ; Dieu perpétuë son Regne & sa Posterité. Ainsi soit-il. Ayant appris par le Sieur du Sault, Gouverneur du Bastion de France, de la dépendance de ce Royaume, venu en cette Ville pour ses affaires, que vostre Empereur vous avoit donné le commandement de ses Armées en ces Mers, mesme que vous deviez paroistre en cette Rade, je députay hyer vers Vostre Excellence deux Capitaines de Vaisseaux, pour vous témoigner ma joye d’un si juste choix, & vous demander la continuation de l’amitié qui est entre nous depuis si longtemps. Ils sont revenus si contens de l’accueil que vous leur avez fait, que je vous en remercie. Ils m’ont aussi fait connoistre que vous aviez le pouvoir de traiter de Paix sur la Guerre que nous avons avec la France. En ce cas je vous prie de me faire sçavoir par le mesme Sieur du Sault, qui vous rendra la Présente, les intentions de vostre Empereur sur cette conciliation, afin que cette mesme amitié entre nous puisse opérer celle que nous avions cy-devant avec vostre Empereur, au contentement réciproque des Sujets des deux Royaumes. Fait à nostre Ville d’Alger le 21. de Rabitager, l’an 1095. qui est le 6.

Au Général de l’Armée de France §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 177-182.

AU
GENERAL DE L’ARMÉE
de France, Monsieur le Chevalier de Tourville, qui est l’exemple des Grands, & le soûtien de la gloire des Seigneurs de la Religion des Chrestiens ; Que vostre prospérité soit augmentée.

Nous vous donnons avis avec toute sorte d’amitié, que l’agreable Lettre que vous nous avez écrite, est heureusement arrivée vers nous, qui sommes vos Amis. Nous l’avons leuë d’un bout à l’autre, & nous en avons parfaitement compris la teneur, par laquelle vous nous donnez à connoistre les moyens de finir la Guerre qui est entre nous, de la changer en bonne union & amitié, & de mettre en repos & en paix l’un & l’autre Party. Surquoy je vous diray, comme à mon bon Amy, que si Vostre Excellence souhaite une fois la Paix, nous la voulons, & la desirons dix fois davantage. Vous n’avez qu’à demander au Gentilhomme du Bastion, de quelle maniere j’ay employé tous mes soins & toute mon étude pour cette affaire ; il vous dira ce qui en est, & comme tout s’est passé, afin que vous n’en doutiez nullement.

Le milieu de cette Lettre estoit remply de divers Articles, qui regardoient le Traité de Paix. Je ne les mets point icy, parce que la fin de ce Discours vous éclaircira de tout. Le reste de la Lettre estoit conçeu en ces termes.

Cependant, mon cher Amy, quelque soin & diligence ; quelque peine & exactitude que vous observiez à l’égard de cette Paix, je sçay que vostre parole est écoutée favorablement chez vostre Empereur, & mesme que ce que vous dites ne manque pas d’avoir son effet, de quelque maniere que la chose réüssisse, apres avoir fait toutes vos diligences. Vostre Excellence n’a point de prétextes ny d’excuses à chercher, ny de discours des uns & des autres à craindre, parce que toutes ces affaires ont esté remises à vostre disposition, & vostre Empereur donnera son consentement à tout ce que vous ferez. Ce que nous venons de dire a esté reçeu de toute la victorieuse Milice, & de nos Enfans, qui sont à présent dans Alger. Ils y ont consenty, & ont donné leur parole. Pour ce qui est de nos autres Enfans qui sont dehors au Camp victorieux, nous leur avons écrit pour leur faire sçavoir en quel état sont les affaires de cette Paix, afin qu’ils soient informez & participans de ce qui se passe. Nous en aurons, s’il plaist à Dieu, réponse dans cinq ou six jours, & il est tres-assuré que nostre union & amitié sera plus grande & plus stable qu’elle n’a jamais esté. Le salut de Paix vous soit donné. Ecrit au commencement du mois Guimazilevel, l’an 1095. qui est le 18. Avril 1684.

[À propos du traité de paix d’Alger et du voyage de l’ambassadeur du dey d’Alger]* §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. de l’extrait 192-193, 209-210, 212-213, 252-253.

 

 

Le 26. Mr le Marquis d’Amfreville vint à terre avec d’autres Officiers. Ils allérent aussi visiter le Dey, qui les reçeut tres obligeamment, & leur fit rendre tous les honneurs qu’ils en pouvoient espérer. Apres leur avoir fait des Présens de jeunes Lions, d’Echarpes, & de quelques autres Ouvrages du Païs, tissus d’or & de soye, il les convia à dîner, & leur dit, qu’afin qu’ils fussent régalez à leur maniere, il avoit prié Mr du Sault d’avoir soin du Repas, & de le donner chez luy. [...] Les Trompetes se firent entendre pendant tout le Repas. Le Peuple accourut à ce bruit, & donna de nouvelles marques de la joye qu’il ressentoit du Traité conclu. [...]

 

[L’Ambassadeur du Dey d’Alger s’embarqua pour la France après la signature du Traité. Les membres de sa suite et lui-même] remarquérent dans tous les François, des manieres curieuses, mais accompagnées de beaucoup de civilité. Les Dames s’empressérent à la voir, & leur donnérent plusieurs fois les Violons. [...]

 

[L’Ambassadeur arriva à Paris] le vingt-neuvième de Juin ; & le quatrième de Juillet il fut conduit à l’Audience du Roy à Versailles par Mr Bonneüil, Introducteur des Ambassadeurs, qui l’avoit esté prendre à Paris à l’Hôtel des Ambassadeurs, avec les Carrosses de Sa Majesté, & de madame la Dauphine. [...]

Il a dit de l’Opéra, Qu’il n’y avoit rien de semblable au Monde, & que l’Empereur de France surpassoit tous les souverains jusques dans les Jeux. La Comédie Françoise luy a paru trop spirituelle & trop sérieuse, pour estre un Jeu, & il a dit de l’Italienne, Que quoy que ce ne fust que la Petite-Fille de l’Opéra, elle charmoit d’une maniere toute diférente, & qu’Arlequin estoit tout esprit. Cet Acteur, inimitable en son genre, l’ayant esté voir, il luy dit, apres luy avoir fait beaucoup d’honnestetez, ainsi qu’à sa Femme & à ses Filles, que suivant ce qu’il avoit veu, & qu’on luy avoit expliqué, il avoit connu qu’il joüoit beaucoup de Gens, & que comme il croyoit avoir en luy plus d’endroits qu’un autre pour estre joüé, il le prioit de l’épargner apres son depart.

[Compliments de l’Ambassadeur à Mr le comte de Toulouse et réponse]* §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 215-218.

La bonté genéreuse, ô tres-digne & tres-noble Amiral, avec laquelle le plus grand & le plus redoutable de tous les Princes de la Loy des Chrestiens, ton Excellent & Auguste Pere, vient de me recevoir ; & en moy toute l’illustre & victorieuse République des Algériens, me comble d’une joye, que je ne puis m’empescher de te témoigner. Cette joye est fondée sur l’heureux échange que nous faisons de la crainte continuelle de ses armes, avec le desir ardent de les voir desormais prospérer sur tous ses Ennemis. Elle est encore augmentée par l’espérance que nous donne ta jeunesse admirable, d’estre un jour fidelle imitateur des grandes Actions du grand & magnanime Empereur qui t’a donné la vie, lors que l’âge aura fait croistre les semences de vertu qu’il a transmises en Toy, & formé ce grand Arbre de valeur qui doit couvrir un jour toute la vaste étenduë des deux Mers. Nostre joye cependant ne peut estre accomplie, tant qu’il y aura de nos Compatriotes qui gémiront dans tes Galeres sous le poids de leurs fers. Il faut donc, ô tres-digne & tres-noble Amiral, que tu nous accordes ta protection aupres de ton Excellent & Auguste Pere, & que tu nous aides à en obtenir leur liberté. Nous sommes assurez qu’il te l’accordera, & qu’il ne pourra refuser une chose si juste & si digne de sa genérosité, à un Prince si aimable & si remply de toute sorte de perfections.

Mr le Comte de Toulouse répondit, Que tant qu’ils auroient les sentimens qu’ils de voient avoir, & qu’ils seroient dans les bonnes graces du Roy, il tâcheroit de leur rendre tous les bons offices qui seroient en son pouvoir. Cette Réponse fut faite avec un air dont la majesté accompagnoit la bonne grace ; & ce Prince estant fort jeune, & parfaitement beau, les Algériens, & tous ceux qui le virent, furent remplis d’admiration, & luy donnérent mille loüanges.

[Discours de l’Ambassadeur d’Alger au Roy]* §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 218-224.

Quelque temps apres, toute la Cour s’estant renduë dans le grand Apartement du Roy, l’Ambassadeur y fut conduit par le grand Escalier, qui mene à l’Apartement qu’occupe Madame la Dauphine. Il traversa la Salle des Gardes, & le petit Apartement de Sa Majesté, & en suite la Galerie & le Sallon qui est au bout. A peine fut-il entré dans la Galerie, qu’on luy en voulut faire remarquer les beautez & les richesses. Il répondit, Qu’il alloit voir le plus grand Roy du Monde, & que c’estoit assez pour ce jour-là. Le Roy le reçeut dans son Trône. Il fit à Sa Majesté le Discours suivant en Langue Turque, & il fut interpreté par Mr de la Croix Fils, Secretaire-Interprete du Roy.

Tres-haut, Tres-Excellent, Tres-Puissant, Tres-Magnanime, et Tres-Invincible Prince, LOUIS quatorzieme, Empereur des François ; Dieu perpetue ton regne et ta prospérité.

Je viens aux pieds de ton sublime Trône Impérial, pour t’exprimer la joye de nostre République, & du Dey mon Maistre, d’avoir conclu la Paix avec tes Lieutenans, & le desir ardent qu’ils ont, qu’il plaise à ta Haute Majesté d’y mettre le Sceau de ton dernier consentement.

La force de tes Armes tres-puissantes, & l’éclat de ton Sabre toûjours victorieux, leur a fait connoistre quelle a esté la faute de Baba-Assan d’avoir déclaré la Guerre à tes Sujets ; & je suis député pour t’en venir demander pardon, & te protester que nous n’aurons à l’avenir d’autre intention, que de mériter par nostre conduite l’amitié du plus grand Empereur qui soit, & qui ait jamais esté dans la Loy de Jesus, & le seul que nous redoutions.

Nous pourrions appréhender que l’excés détestable commis en la personne de ton Consul ne fust un obstacle à la Paix, si ton esprit, dont les lumieres semblables à celles du Soleil, penétrant toutes choses, ne connoissoit parfaitement dequoy est capable une Populace émuë & en fureur, qui au milieu de ses Concitoyens écrasez par tes Bombes, où se trouvent des Peres, des Freres, & des Enfans, se voit enlever ses Esclaves, le plus beau de ses Biens ; à qui, pour comble de malheur, on refuse en échange la liberté de ses Compatriotes, qu’elle avoit esperée. Quelques motifs que puisse avoir eu cette violence, je viens te prier de détourner pour jamais tes yeux sacrez de dessus une Action que tous les Gens de bien parmy nous ont détestée, & principalement les Puissances, à qui il ne seroit pas raisonnable de l’imputer.

Nous espérons, ô grand Empereur, aussi puissant que Gemschid, aussi riche que Caroun, aussi magnifique que Salomon, & aussi genéreux qu’Akemtay, cette grace de tes bontez.

Et mesme dans la haute opinion que nous avons de ta genérosité incomparable, nous n’avons garde de douter que tu ne rendes libres tous ceux de nos Freres qui se trouveront arrestez dans tes fers, comme nous remettons en pleine liberté tous ceux de tes Sujets qui sont entre nos mains, & mesme tous ceux qui ont esté honorez de l’ombre de ton Nom, afin que la joye de cette heureuse Paix soit égale & universelle.

Et en cela, que demandonsnous, sinon d’ouvrir un plus grand nombre de bouches à ta loüange ; & que dans le temps que les tiens rendus à leur Patrie te beniront prosternez à tes pieds, les nostres se répandant dans les vastes Païs de l’Afrique, aillent y publier ta magnificence, & semer dans les cœurs de leurs Enfans une profonde venération pour tes vertus incomparables ?

Ce sera là le fondement d’une eternelle Paix, que nous conserverons de nostre part par une observation exacte & religieuse de toutes les conditions sur lesquelles elle a esté établie, ne doutant point que par l’obeïssance parfaite que tu te fais rendre, tes Sujets ne prennent le mesme soin de la conserver.

Veüille le Createur tout-puissant & miséricordieux, y donner la benédiction, & maintenir une union perpétuelle entre le Tres-Haut, Tres-Excellent, Tres-Puissant, Tres-Magnanime, & Tres-Invincible Empereur des François, & les illustres & magnifiques Pacha, Dey, Divan, & victorieuses Milices de la République des Algériens.

Par son tres-humble Serviteur, souhaitant la prospérité de Sa Majesté, Hagdi Jafer Aga, Ambassadeur d’Alger.

[Remerciement de l’Université de Paris]* §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 272-279.

Ce Contract porte que l’Université s’oblige pour toûjours de faire une Feste à l’honneur de Sa Majesté, & que le 15. de May de chaque année à commencer par la prochaine 1685. il sera prononcé par le Recteur un Panégyrique à la gloire de ce triomphant Monarque, en tel lieu public que l’Université trouvera commode ; & que pour rendre cette Action plus celebre & entiérement conforme à l’intention de Mess. les Prevost des Marchands & Echevins, Mess. de l’Université les en feront avertir trois jours auparavant en leur Bureau à l’Hostel de Ville, & y convieront les Magistrats des Compagnies de Paris. De leur part Mess. les Prevost des Marchands & Echevins s’obligent d’assister à cette Action, & de faire payer tous les ans à Mess. de l’Université une somme dont les uns & les autres sont convenus. Aprés le Contract signé, Mr Tavernier fit à Mr de Pommereu le Remerciement qui suit.

MONSIEUR,

L’Université de Paris est si penetrée de l’honneur que vous luy faites de jetter les yeux sur elle pour l’exécution du grand dessein que vous avez formé, qu’elle ne peut diférer un moment à vous en témoigner sa reconnoissance. Autant que ce dessein est élevé, autant est honorable à nostre Corps le jugement avantageux que vous avez fait de luy, en luy confiant le soin d’en soûtenir l’éclat. Qu’y a-t’il de plus magnifique que les Actions toutes extraordinaires deLoüis le Grand ; mais en mesme temps qu’y a-t’il de plus dificile que d’en concevoir le prix, & d’en exprimer l’excellence ? Vous avez fait voir que la force de vostre Génie estoit capable de l’un & de l’autre, en consacrant à la gloire de Sa Majesté ces Eloges éternels dont vous estes l’Inventeur, & desquels on peut dire ce mot d’un Poëte qui vivoit sous Auguste.

--------- Nullis opus ante sacratum Numinibus.

Rien n’estoit capable de répondre aux Actions surprenantes de nostre incomparable Monarque, qu’en donnant des loüanges sans fin à des vertus qui n’ont point de bornes. Tous les discours que l’on pourroit prononcer en un jour, en un mois, en un an, seroient toûjours fort défectueux, parce qu’ils ne pourroient renfermer tout le brillant de ces qualitez plus qu’héroïques, qui font le caractere du Roy, & qui le distinguent de tous les autres Monarques. Il n’y a qu’une éternité de loüanges qui puisse en estre le digne prix, & la juste récompense. C’est, Monsieur, le fruit de vos méditations, & l’effet de vostre zele. C’est à vous à faire agir doresnavant le nostre de telle sorte que nous répondions à toutes vos espérances ; que nous secondions vos grands & justes desseins ; que nous ne deshonorions la noblesse de nostre auguste Sujet, ny par la bassesse de nos conceptions, ny par la foiblesse de nos expressions ; & qu’enfin nous remplissions les esprits des Sujets de Sa Majesté, de toute l’admiration, du respect, & de la venération qu’ils doivent avoir pour Elle. Si nous chancelons quelquefois sous le poids d’une entreprise si dificile, vous aurez la bonté de nous soûtenir. Il est impossible que nous y succombions, tant que vous voudrez bien nous aider de vos conseils, & de vos lumieres.

[Devises] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 279-290.

Peu de jours aprés, Mr le Recteur, tout remply de joye d’un Traité si glorieux, crut que pour en faire part à la Jeunesse qui est sous la conduite de l’Université, il faloit faire cesser les Leçons par tous les Colleges ; ce qu’il fit le Mardy premier jour d’Aoust par un Mandement Latin qui fut affiché par tout, & qui contenoit les causes de cette réjoüissance extraordinaire. Depuis, il en a fait une Inscription, accompagnée de plusieurs Devises, qui feront connoistre à toute la Posterité, le zele que la Ville de Paris, & son Université, ont de rendre les Actions du Roy immortelles, & combien un dessein si grand est glorieux à l’une & à l’autre de ces Compagnies. De ces Devises, il y en a qui regardent Sa Majesté, d’autres la Ville, quelques-unes l’Université, & d’autres toutes les deux ensemble ; mais il n’y en a aucune qui n’ait raport au Contract dont je viens de vous parler.

Pour le Roy.

Un Soleil qui commence à paroistre sur l’Horison, & qui est toûjours à son Levant, avec ces mots, Semper erit novus.

L’Etoile Polaire qui ne se couche jamais. Non ullos obitus habet. Ces deux Devises font voir que par l’exécution du Traité, les Sujets du Roy le verront renaistre tous les ans sans que jamais ils puissent le perdre de vûë.

Une Fontaine d’où il coule sans cesse de l’eau sans qu’elle tarisse. In omne volabilis ævum. Aprés que l’on aura fait l’Eloge du Roy pendant plusieurs Siécles, ce Monarque fournira encore de matiere pour ceux qui suivront.

Deux Roüets de Tireurs d’or qui allongent un fil de Vermeil doré, de sorte que l’or, quoy que d’un volume plus petit, égale pourtant toute l’étenduë de l’argent. Ducetis, & usque sufficiet. La Ville & l’Université tireront du Roy toute la matiere de leurs Eloges. Il fournira à tout, & égalera la durée de tous les Siécles.

Pour la Ville.

Des Fleurs de Lys sans nombre qu’elle porte en chef, on en a choisy quatre qui servent de Pôle au Vaisseau qui fait le corps de ses Armes, autour desquelles on lit, Æternum ista regent, pour faire voir que la Ville n’aura point d’autres regles de ses mouvemens que la volonté du Roy, & des Princes qui porteront son Sceptre dans la suite de tous les temps. Sur la Poupe de ce Vaisseau est assise une Nymphe, que les Armes qu’elle porte, & les paroles écrites sur son Livre, font connoistre pour l’Université, laquelle estant soûtenuë par la Ville, fera résonner en tous lieux & en tous temps, les qualitez merveilleuses de nostre Monarque. Canet hæc, feret ista canentem.

Pour l’Université.

Un Essain d’Abeilles travaillant avec toute l’aplication possible à faire son miel, qui est le symbole de l’Eloquence, Nectareum parant tributum.

Un Mufle de Lion vomissant des flâmes, qui est le Hyérogliphique de cette Eloquence mâle & vigoureuse, qui tonne & qui foudroye, telle qu’estoit celle de Pericles, de Demostene, & de Ciceron, dont un Poëte a dit, Et toto Cicerone tonat. Au dessus paroist un Eclair qui fend une nuée, avec ce mot, Fulminatori, & au dessous de tout, Sunt & sua fulmina Linguæ, pour faire entendre que cette Eloquence vive & animée, est l’Art unique qui puisse bien égaler les Entre-prises foudroyantes de Sa Majesté.

Pour la Ville, & l’Université ensemble.

Un Essain d’Abeilles qui ne s’écartent jamais de leur Roy, paroist à leur teste. Non sic Parthi, non Medus Hidaspes observant. On se sert de ce demy-Vers de Virgile pour exprimer l’attachement inviolable de la Ville, & de l’Université, au plus grand Roy de la Terre, comme les Perses & les Indiens étoient autrefois si attachez à leurs Souverains, qu’on les appelloit par excellence, Amateurs de leurs Roys.

La Constellation nommée le Navire d’Argo, qui marque la Ville à cause du Vaisseau qu’elle porte dans ses Armes ; & la Constellation de la Lyre celeste, qui représente l’Université à cause de ses fonctions, de chanter les loüanges des grands Hommes, & le Soleil au dessus des deux, Cum Sole perennant ; ce qui enseigne que le meilleur moyen d’immortaliser son nom, c’est de travailler pour la gloire d’un Prince, qui est marqué par le Soleil, & dont la gloire n’aura pas moins de durée que le Monde.

La Seine, au milieu de laquelle une Image du Soleil enfermée dans un Cristal, telle qu’on la portoit devant les Rois de Perse, est élevée sur une Pique, & deux petits Foyers d’argent, l’un sur un de ses bords, & l’autre sur l’autre, d’où s’éleve la fumée des parfums que l’on y brûle, Ripâ æternos adolebit honores utraque, ce qui s’entend de la Ville & de l’Université, qui rendront chacune de son côté des honneurs éternels au Roy.

Un Chesne, & un Lierre qui s’attache à toutes ses branches. Tali virescent fœdere pulchrius. La Ville & l’Université s’acquiérent une réputation toute nouvelle par l’heureuse intelligence qui les fait agir de concert pour la gloire de Sa Majesté.

Pour M r de Pommereu.

Un Fil qu’une Main arrondit & allonge autour d’un Fuseau. Æterno aurea stamina fuso. Le Fil marque la vie que les Parques filent, selon les Poëtes. La Main qui étend ce Fil doit s’expliquer de Mr de Pommereu, qui a trouvé le moyen de porter la gloire du Roy jusqu’à la fin des Siécles.

[Discours de M. le Président Brissonnet au Roy] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 296-300.

Le mesme jour on élût pour Echevins Mess. Rousseau, Quartenier de la Ville, & Chupin Notaire, en la place de Mess. le Brun & Gamarre. Le lendemain ils allerent à Versailles, où ils préterent serment entre les mains de Sa Majesté. Mr le Président Brissonnet, Premier Scrutateur, porta la parole. Voicy a peu prés le sujet de son Discours. Il plût tellement, que l’on en a retenu toutes les pensées. Il dit, Que les nouveaux Magistrats qu’il avoit l’honneur de présenter au Roy, venoient luy rendre par sa bouche leurs profondes soûmissions, & suplier Sa Majesté de vouloir confirmer de son authorité les suffrages qui les avoient élûs ; Que l’avantage le plus grand & le plus noble qu’ils trouveroient dans la fonction de leurs Charges, seroit de pouvoir faire paroistre plus de fidelité pour son service, & plus d’ardeur pour Sa gloire ; Que l’embellissement & l’agrandissement de Paris devoient estre aussy une de leurs plus assiduës occupations, pour contribuer de leur part à la felicité publique ; Que c’estoit un Privilege des Empereurs Romains qui avoient étendu les limites de l’Empire, de pouvoir agrandir l’enclos des Murailles de Rome ; Que sur ce pied-là, on ne pouvoit porter assez loin celles de la Ville de Paris, qui est aujourd’huy ce que Rome estoit autrefois ; Que de quelque costé que l’on regardast la France, on en voyoit les Limites reculez par Sa Majesté ; Que la Flandre le Brabant, le Hainaut, le Luxembourg, le Pau, la Franche-Comté, le Mont-ferrat, le Roussillon, estoient les nouvelles Frontieres qu’Elle avoit données à la Monarchie ; & que si ses Conquestes n’avoient pas embrassé toute l’Europe, du moins il n’y avoit point de Peuples, à qui Elle n’eust imposé un tribut de soûmission & de respect ; Que c’estoient-là les effets de sa valeur, de sa sagesse, & de son application infatigable au bien de l’Etat ; Que tous les François le reconnoissoient & le publioient avec transport, & qu’ils n’avoient plus rien à souhaiter, sinon que Dieu leur conservast long-temps ce bonheur en conservant long-temps la Personne sacrée de Sa Majesté ; & que Sa Majesté eust autant de sujet d’estre contente de leur fidelité, & de leurs obéïssances, qu’ils en avoient d’admirer les merveilles de son Regne, & de se tenir heureux de luy obéïr.

Ce Discours fut extrémement applaudy, & Mr le Président Brissonnet le prononça d’un maniere fort noble.

[Plusieurs particularitez de ce qui s’est passé à Paris, à Versailles touchant la Statuë d’Arles] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 313-324.

Ces jours passez Mr de Vertron, de l’Académie Royale d’Arles, se rendit à l’Académie Françoise, à laquelle Mr le Duc de Saint Aignan Protecteur de celle d’Arles, & l’un des Quarante de l’Académie Françoise, avoit écrit pour la prier de permettre que Mr de Vertron fist un Discours de la part de ses Confreres. Il fut receu à la premiere Porte par un des Académiciens, & reconduit de la mesme sorte. Il leur fit un présent d’une Estampe de la Statuë que Mrs d’Arles ont envoyée à Sa Majesté, & leur donna en mesme temps deux Livres, sur la Dispute qu’a causé cette Statuë entre les Sçavans, les uns soûtenant que c’est une Diane, & les autres une Vénus. L’un de ces Livres est du P. d’Augieres Jesuite, qui a écrit en faveur de Diane ; & l’autre, qui a esté composé le premier, est de Mr Terrin Conseiller au Présidial d’Arles. Ce dernier prend le party de Vénus. Mr de Vertron fit un beau Discours en présentant le Tableau de l’Estampe, & pria ces Mrs de vouloir bien se donner la peine de juger du diférent qui avoit fait écrire tant de Sçavans. Comme la Statuë qui le causoit avoit esté presentée au Roy, il ne luy fut pas difficile de faire un Eloge de ce Prince. Je ne vous dis point que ce fut avec succés ; de moindres Orateurs que luy, en auroient toûjours sur une si belle & si féconde matiere. Mr l’Abbé de Lavau Directeur de l’Académie, luy répondit, Qu’elle recevoit avec plaisir les marques de consideration & d’amitié que luy donnoit l’Académie d’Arles ; Qu’elle feroit mettre le Tableau dont elle luy faisoit présent, auprés de l’Obelisque qu’elle avoit eu la bonté de luy envoyer il y a déja quelques années ; Qu’elle n’oublîroit pas à faire mention dans ses Registres de l’honneur qu’elle en recevoit, & qu’au surplus on feroit réponse à Mr le Duc de S. Aignan. On fit ensuite l’honneur à Mr de Vertron de l’admettre à la distribution des Jettons, qui se donnent à chaque Séance. On aprit presque aussi-tost aprés cette députation, que ce qui avoit causé tant de contestation parmy les Sçavans, avoit esté décidé. Voicy comment. Aussitost que cette Statuë fut arrivée à Paris, Mr le Brun & les plus fameux Peintres & Sculpteurs, la virent, & crurent tous que cette Statuë n’avoit point esté faite pour une Diane. On me fit part de leur sentiment, & c’est par cette raison plûtost que par mes lumieres, que vous m’avez toûjours vû pancher de ce costé. Cependant j’ay toûjours raporté fidellement ce que les uns & les autres en ont dit. Je croy même que plusieurs ne se sont pas fait un scrupule de parler contre leur propre pensée, pour dire de jolies choses. Diane en fournissoit le sujet, parce que c’estoit prendre le party d’une Divinité chaste contre une Coquette, & qu’on se plaisoit à dire qu’elle estoit Sœur du Soleil ; ce qui donnoit lieu à plusieurs agreables pensées. Cette Statuë qui n’avoit point encor de nom, ayant esté mise entre les mains de Mr Girardon, fameux Sculpteur, pour la restaurer, il en fit un petit Modelle en Cire, & en luy remettant des bras, il trouva l’attitude dans laquelle elle estoit si naturelle pour une Vénus, qu’il luy en donna le symbole, en luy faisant tenir une Pomme. Il porta ce Modelle au Roy, & dit à Sa Majesté, que toutes les Statuës, Médailles, Bas-Reliefs, & Agathes, qui avoient representé Diane, ne luy avoient jamais embarassê les jambes de draperie, ny laissé tout le corps découvert, & que la Statuë dont il s’agissoit estoit découverte jusqu’aux hanches, & avoit beaucoup de draperie autour des jambes ; ce qui ne convenoit guere à une Chasseresse. Le Roy qui avoit déja souvent oüy agiter la mesme cause, & qui sçavoit toutes les raisons que l’on avoit apportées de part & d’autre, dit que la Statuë luy paroissoit bien restaurée, & qu’il croyoit que c’estoit une Vénus. L’on peut dire que ce jugement est juste, puis qu’outre les lumieres naturelles de ce Monarque, il ne l’a prononcé qu’aprés avoir eu tous les éclaircissemens qu’on pouvoit donner sur ce sujet. Cette Statuë d’Arles nous donne lieu d’admirer les Statuës modernes que nous avons en France ; & sans la venération qu’on a pour l’antiquité, je dirois que parmy ces modernes, nous en avons de beaucoup plus belles que cette Vénus ; & ce qu’il y a de plus surprenant, c’est qu’il semble que ces miracles se soient faits afin qu’il ne manquast rien au Regne du Roy. Il n’y a que vingt ans qu’on n’avoit pas encore fait de Figures de Marbre en France. Le Roy en commençant à régner par luy-mesme, commença aussi à faire fleurir les Arts. Mr Girardon fit l’Apollon de la Grotte, qui est la premiere Figure qui ait esté faite pour Versailles ; & tout d’une voix ce premier Ouvrage a passé pour un chef d’œuvre. Les autres Sculpteurs travaillerent ensuite, & depuis quelques années on en a fait vingt-quatre sur les desseins de Mr le Brun. Parmy ces Figures, l’on admire l’Hyver de Mr Girardon, la Diane de Mr des Jardins, la Vénus de feu Mr de Mercy, l’Air de Mr le Hongre, & le Satyre de Mr Bistere. Toutes les autres ont aussi leurs beautez, & font juger dequoy la France est capable. Mr de Louvoys fait copier pour le Roy tout ce qu’il y a de belles Figures antiques. Ainsi les Ouvrages les plus précieux qui soient au Monde, tant anciens que modernes, se verront dans Versailles, où les Statuës semblent naistre comme les Plantes, & y forment des Allées qui épuisent l’admiration des plus habiles Curieux.

[Messieurs de l’Académie Françoise, M. l’Abbé Denise] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 324-326.

 

A propos de l’Académie Françoise dont je viens de vous parler, Mr l’Abbé Denyse prescha le jour de Saint Loüis au Louvre, devant les Illustres qui la composent. [...] La Musique de la Messe qui fut chantée au Louvre ce mesme jour, plût aussi extrémement. Elle estoit de la composition de Mr Oudot, qui la conduisit. Son mérite vous est connu, & je vous en ay déja parlé plusieurs fois. C’est luy qui tous les ans fait la Musique au Louvre le jour de cette Feste.

[Sur Le Grand Vizir] §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 326-328.

Le Livre nouveau qui vous a tant divertie, & qui a pour Titre, Le Grand Vizir Cara Mustapha, conduit les Avantures de ce premier Ministre de la Porte jusqu’à sa mort. L’Auteur l’a écrite de la maniere que le bruit a couru par tout qu’elle est arrivée, & que toutes les Gazetes l’ont publié quelque temps aprés. Cependant on en a reçeu de nouvelles particularitez dans une Lettre de Constantinople du 29. Juin dernier, qui quoy qu’elles s’accordent dans l’essentiel à ce qu’en a dit l’Auteur de ce Livre, nous instruisent plus historiquement de tout ce qui s’est passé touchant cette mort. Voicy en quoy ces particularitez consistent.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1684 [tome 10], p. 349-350.

Je vous envoye un second Air, qui est d´un de nos Illustres en Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Il n'est point de jour, doit regarder la page 350.
Il n'est point de jour
Que l'Amour
Ne donne des alarmes
A plus d'un cœur
Dont il est le vainqueur ;
Mais sans vos charmes,
Iris, je connois bien
Qu'il n'auroit pû vaincre le mien.
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