1685

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX).

2017
Source : Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX).
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX). §

Sonnets en Bouts-Rimez §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 1-13

Je me souviens, Madame, que vous me témoignâtes il y a quelque temps, que vous seriez bien aise d’estre entierement instruite de ce qui regarde l’Origine des Tombeaux, & les Cérémonies des Sépultures. Je proposay aussi-tost cette matiére au Public, & Mr Rault de Roüen, dont le mérite vous est connu par plusieurs Ouvrages que vous avez veus de luy, l’a traitée si amplement & avec des recherches si curieuses, que l’on peut dire qu’il l’a épuisée. Ainsi je ne doute point qu’il n’ait répondu parfaitement à ce que vous avez pû attendre d’un pareil travail. Vous voudrez bien cependant, avant que de venir à cette lecture, jetter les yeux sur quelques Sonnets, dont les Bouts-rimez Latins qui ont eu cours depuis quelques Mois, ont fait estimer la bizarre nouveauté. Vous les trouverez remplis avec beaucoup de justesse. Ils m’ont esté envoyez de Dijon, où chacun, comme à l’envy, s’est fait un plaisir d’y travailler sur des sujets differens.

SONNETS
EN BOUTS-RIMEZ.

I.
L’Honnête Homme.

L’Honneste Homme est à tout, singulis, omnibus,
C’est toûjours à propos qu’il rit, ou qu’il se fâche,
Son cœur ferme & constant sur rien ne se relâche,
Il est de tous les rangs, de toutes les Tribus.
***
On ne le voit jamais téméraire ny lâche,
Il parle galamment, sans qu’il parle Phœbus,
Pour la belle dépense il serre le quibus,
Il jeûne aux Quatre-Temps, au Carnaval il mâche.
***
D’un compte captieux il sçait regler l’Item,
Et de tous les Mestiers connoist le tu autem,
Son couroux, s’il en a, ne va pas jusqu’à l’Ire,
***
Il sçait tracer un Camp, & conjuguer amo ;
Se sert bien d’une Epée, & charme avec sa Lyre,
Et s’escrime en tout temps armis & calamo.

II.
L’Honnête Femme.

L’Honneste Femme plaist en tous lieux omnibus,
Elle entend raillerie, & jamais ne se fâche,
Elle sçait s’occuper, comme il faut, sans relâche,
Et rendre exactement à chacun les tributs.
***
A marquer sa vertu jamais elle n’est lâche,
Parlant avec justice, évitant le Phœbus ;
Estimant le mérite, & non pas le quibus,
Sortant fort bien de tout, soit qu’on cause, ou qu’on mâche.
Aux plaisirs, quand il faut, elle fait tréve ; Item
Fidelle à son Epoux, c’est-là le tu autem,
Et par son humeur douce elle en arreste l’ire,
***
Jamais elle ne sçeut à d’autres dire amo ;
Elle danse, elle touche, & le Lut & la Lyre,
Et charme tout le Monde ore vel calamo.

III.
Contre ces bizarres Rimes.

Que dis-tu, cher Damon, de ces mots omnibus,
D’Amo, de Calamo ? tout ce Latin me fâche,
J’en suis si fort chagrin que je veux sans relâche
Leur déclarer la guerre, aussi bien qu’à tribus.
***
Contre tous cependant mon couroux ne se lâche,
En faveur de tes Vers je fais grace à Phœbus,
L’usage en Vers boufons autorise quibus,
Mais contre les premiers en vain mon frein se mâche.
***
Aux Plaideurs, aux Marchands je souffre dire Item,
Dans le Texte sacré j’honore tu autem,
Ce n’est pas sur tels mots qu’on décharge son ire.
Mais dans des Vers galands pour j’aime écrire amo,
S’il t’arrivoit, Damon, d’en profaner ta Lyre,
Je noircirois tes Vers crudeli calamo.

IV.

Qui diable en Vers François mit jamais omnibus ?
Est-il Homme sensé qui d’abord ne s’en fâche ?
Quel Autheur peut souffrir qu’ainsi l’on se relâche,
Et que pour mettre trois on écrive tribus ?
***
Te tairas-tu, Dépreaux, & seras-tu si lâche,
Que de ne pas vanger l’affront fait à Phœbus ?
Comment le voir dépair avec ce mot quibus ?
Pour moy, c’est un morceau qu’avec peine je mâche.
***
Qu’il est beau d’oüir dire à Calliope Item,
Et comme une Nonnette entonner tu autem ?
Pour colere, encor passe, on peut se se servir d’ire,
***
Mais parlant à Cloris, pour j’aime dire amo,
Muses, de ce Rimeur rompez, brisez la Lyre,
Et le chassez du Mont avec son calamo.

V.
A MADAME
LA MARQUISE D***

Tout est Poëte à Dijon depuis vostre omnibus,
En vain Minerve en gronde, & la raison se fâche,
Chacun veut à rimer travailler sans relâche,
Pour ajoûter au bout de quatre Vers tribus.
***
Moy-mesme je n’ay pû demeurer assez lâche,
Marquise, vous voyant donner dans le Phœbus,
Pour ne m’en pas mêler, mais la Rime quibus,
Est bien dure à passer à qui Moutarde mâche.
***
Peut-on s’accommoder du trop funeste Item,
Et de son Compagnon le dévot tu autem,
Qui du Parnasse entier devroient attirer l’ire ?
***
Que diable au bout d’un Vers françois veut dire amo ?
J’aime, & veux estre aimé, si vous le voulez lire,
Je ne l’écriray point latino calamo.

VI.
SUR UN POËTE SATYRIQUE
& libertin.

O Toy, de qui la Plume odieuse omnibus,
Par des traits imposteurs noircit ceux qu’elle fâche,
Les Vers, le Jeu, l’Amour t’occupent sans relâche,
Et tes jours libertins sont consacrez tribus.
***
Laisse toy consumer, ame infidelle & lâche,
Aux rayons devorans de l’Eternel Phœbus ;
Rachete tes pechez à force de quibus ;
Que par ton prompt secours le Pauvre affamé mâche
***
Pénetré de douleur, soûpire, pleure ; Item.
Par un Confiteor ou par un Tu autem,
De ton Maistre offensé tâche à desarmer l’ire.
***
Dis-luy d’un cœur sincére en l’adorant amo,
David a célébré ses regrets par sa Lire,
Rens les tiens immortels humili calamo.

De l’Origine de la Sepulture, des Tombeaux, et du temps que l’on a brûlé les Corps §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 14-82

DE L’ORIGINE
DE LA
SEPULTURE,
DES TOMBEAUX,
Et du temps que l’on a brûlé
les Corps.

Comme la Vie est le premier principe des Hommes ; de mesme la Mort est leur dernier terme. C’est d’où vient que le Droit de la Sepulture est si ancien, que peu apres la création du Monde, & la chûte de nôtre premier Pere, il a esté introduit & mis en usage. Dieu dit au premier Homme apres son peché qu’il étoit poudre, & qu’il retourneroit en poudre, parce qu’apres la mort les corps des Hommes doivent estre mis dans la Terre, comme dans le sein de leur commune Mere, d’où ils ont esté tirez en leur naissance.

Mais avant que de parler des Tombeaux, de la Sepulture, & de l’usage que les Anciens y ont observé, il est à propos de dire que l’origine en a presque commencé avec le Monde, & que les premiers Hommes ont ensévely les Corps des Défunts.

C’est un soin & une pieté qui s’est pratiquée comme par une Loy, que la Nature mesme avoit imposée. L’exemple en a passé chez la Posterité, & le soin des Funerailles a esté en suite religieusement étably & observé. Mais sur tout on doit dire qu’Adam & Noë ont esté les premiers qui ayent fait ouverture de la Terre pour y ensevelir les corps, n’y ayant eu personne qui ait en leurs deux temps précédé l’un ny l’autre.

Abel, comme rapporte Josephe liv. 1. Chapitre 3. de ses Antiquitez Judaïques, à l’âge de 129. ans fut la premiere Victime de la mort, & reçût un si mauvais traitement de Cain son frere, que ce Barbare apres luy avoir arraché la vie, en cacha le corps dans les haliers, pour ne luy pas donner la Sepulture, exerçant encore une nouvelle cruauté sur son Frere apres sa mort. Mais Eliphas Themanite dit, que Cain apres un meurtre si sanglant, devint vagabond & comme furieux, ayant toûjours devant les yeux l’image de son crime ; qu’il ne se retiroit que dans les Cavernes & les Forests comme une Beste, & que Dieu fulmina contre luy un decret, par lequel il fut ordonné qu’il perdroit la vie par le fer, & qu’il deviendroit la proye des Vautours & des Animaux sauvages, ainsi que les Septante ont interpreté le passage de Job sur ce sujet Chapitre 15. vers. 22. & comme Olimpiodore l’a expliqué. Voila les termes de ce decret ; Hominem impium decretum, ait, esse à Deo in manus ferri, & ordinatum in escas vulturum. Ce qui à la verité fut juge une punition rigoureuse, mais digne de l’impieté de ce Parricide.

Adam touché au vif de la mort d’Abel son fils, en fit chercher le corps, & apres plusieurs jours de deüil, de larmes & de soûpirs, prit le soin de l’inhumer avec beaucoup de pompe, & luy erigea un Monument qui devoit servir à luy-mesme, & à ses autres enfans. L’on tient communément que ce ne fut pas loin de Sion. Voila la premiere Sepulture & le premier Tombeau, auquel ce Pere affligé ajoûta encore une belle Epitaphe, conceuë en ces paroles. Quis tantus de hoc loco, tamque sonorus clamor ? Rogas Viator ? adhuc inauditum tibi parricidium, &c. Salien la rapporte en l’année du Monde 130.

La privation de la Sepulture avoit quelque chose d’horrible. Ce fut toutefois de cette mesme peine la plus barbare de toutes, que les Egyptiens traiterent les Hebreux sous Pharaon leur Roy ; car apres avoir miserablement porté le joug de sa tyrannie, & un long & rude esclavage, ils en jettoient les Corps dans les Champs sans les ensevelir, & ne permirent pas mesme de mettre de la poussiere dessus, ny de répandre des larmes apres leur mort ; mais Dieu vangea bien cette barbarie, selon que le remarque Philon Juif en la vie de Moyse.

La sainte Ecriture nous fait connoistre, aux Nombres Chapitre 16. vers. 34. que Dieu mesme a voulu quelquefois que les impies, en vangeance de leurs crimes, ayent esté privez de la Sepulture en diverses manieres, ou estant engloutis tout vifs dans les entrailles de la Terre, comme il est arrivé à Coré, Datham & Abiron, ou estant consumez du feu du Ciel, sans qu’il soit resté la moindre partie de leurs corps pour estre mise dans la Sepulture, comme le mesme Josephe & Philon le rapportent.

Ce fut là une effroyable vangeance, & un terrible Monument, quand cinq fameuses Villes furent entierement consumées du feu du Ciel avec tous leurs Habitans, à l’exception de Loth & de sa Famille, encore son Epouse par sa faute fut-elle changée en sa propre Image ; & quand Sodome & Gomorrhe du nombre de Pentapolis devinrent une vaste Mer de souphre & de bitume, pour punir les crimes de ceux qui les habitoient. Les Historiens en feront toûjours mention, & la posterité en parlera à jamais.

C’est de là aussi qu’est venu ce fameux Lac appellé Asphaltide, ou cette Mer morte, dont Josephe liv. 4. & 5. de la Guerre de Juifs, & Hegesippe liv. 14. Chapitre 18. recitent tant de merveilles ; & apres eux Aristote & Strabon, & plusieurs autres.

Mais revenons à Adam & à Noë, dont nous avons parlé cy-devant. Noë, ce grand Patriarche, averty de Dieu qu’il eust à bastir l’Arche, pour se garantir luy & sa famille des eaux du Déluge universel, semble avoir donné à tous les hommes qui devoient venir apres luy, une idée de la Sepulture & des Tombeaux ; car comme dit Orohoaita, le plus sçavant & le plus fameux de tous les Auteurs Syriens, liv. 1. du Paradis Terrestre, Partie 3. Chapitre 14. & la Bibliotheque des Peres, Chapitre 1. il convertit cette mesme Arche en un Tombeau, & par une pieté insigne envers les Vivans & les Morts, en s’y retirant, emporta avec soy les ossemens d’Adam, qui avoient esté tirez du Sepulchre d’Abel, & apres en estre sorty sain & sauf avec sa Famille, il en retira les mesmes ossemens d’Adam, qu’il avoit gardez comme un dépost, & les partagea entre ses Fils avec les Parties de la Terre ; & dans la division qu’il en fit, il donna à Sem qui estoit l’aisné, le Crane, & la Region pour habiter, qui depuis a esté dite la Judée.

On tient communement que le Mont. Calvaire est le lieu où le Crane d’Adam a esté ensevely par ce mesme Sem, & en suite le reste de ses autres ossemens, & que cette Montagne a pris son nom de cette Sepulture. C’est une ancienne Tradition, qui a duré chez les Syriens, dit le mesme Orohoaita, & qui y dure encore.

Mais il ne faut pas s’étonner, si ces choses sont passées sous silence dans les Livres de Moyse ; & que ne faisant mention que de la Création du Monde, de la Chûte du premier Homme, & de la Propagation du Genre Humain, il ne rapporte rien du premier Age du Monde. L’Auteur de la précédente opinion a receu comme par Tradition des plus anciens Syriens, ce qu’il en a écrit, & que les Juifs tiennent de luy.

Saint Epiphane sur la fin de son Livre, parle ouvertement de cette Division de tout le Monde entre les Fils de Noë, & assure que la Palestine, dans laquelle la Judée est comprise, estoit tombée au sort de Sem, quoy qu’il soit arrivé en suite que les descendans de Cham s’en soient emparez par violence. C’est enfin le sentiment de tous les Peres, que les os d’Adam ont esté portez apres le Deluge en la Palestine, où ils ont esté ensevelis. C’est ce que confirme Torniollus année 930. de ses Annales Saintes, & Salien en la mesme année.

Comme il n’y a pas à douter de la pieté de Noë envers les os d’Adam, selon que saint Basile sur Isaye Chapitre 5. & Theophylacte sur Jonas Chapitre 19. le remarquent, on doit dire aussi que le soin charitable de la Sepulture, des Funérailles, des Tombeaux, & du Ministere qui s’y observe, a pris son origine d’Adam, & postérieurement de Noë ; qu’il s’est étendu en suite à toute la Postérité, & qu’il a enfin obtenu la force d’une Loy inviolable.

La Tradition des anciens Juifs est d’une grande authorité, pour persuader que les ossemens d’Adam ont esté ensevelis en Hebron, comme saint Hierôme le répete plusieurs fois, & la plus grande partie des Peres le tiennent aussi, & sur tout dans le lieu du Calvaire, la Palestine, la Judée & Hebron estant presque la mesme chose ; tous lesquels Peres Malveda cite en son Livre du Paradis Terrestre, chapitre 54. & 55.

A l’égard de la Sepulture chez les Anciens Hebreux, ne rapporte t’on pas qu’Abraham par une révelation divine, entre ses Actions les plus considérables, avoit une grande venération pour ce dernier devoir que l’on rend aux Défunts ? Car quand il eut perdu Sara sa chere Epouse, n’acheta-t’il pas par quatre cens Sicles d’argent le Champ nommé Ephron, pour y porter le Corps de la Défunte ? Ce fut par là le premier qui dédia une chose profane à l’usage pieux & sacré de la Sepulture, comme le dit la Genese Chapitre 23.

Mais selon le sentiment de saint Chrysostome Homelie 23. ce qui est de plus considérable, ce grand Patriarche ne s’estoit rien acquis par aucun prix d’argent avant ce Champ & cette Sepulture, pour n’avoir rien devant les yeux ou dans l’esprit de plus present que le Tombeau ; & ce mesme Saint le loüe pour son extréme pieté d’avoir pris tant de soin de la Sepulture, tant pour luy que pour les siens.

Ce n’est pas encore assez pour Abraham d’avoir religieusement pourvû à la Sepulture de Sara, mais il s’est porté à la Pompe des Funérailles, qu’il voulut y estre observée, avec des larmes & des plaintes ; ce que Moïse exprime en la Genese Chapitre 23. par des termes dignes d’un si grand Personnage ; mesme apres avoir rendu les derniers devoirs aux Manes de son Epouse, il pria les Hethéens d’avoir le mesme soin de sa Sepulture, & de ne luy pas denier ce droit d’humanité, si-tost qu’il auroit rendu l’ame ; car le deüil & les plaintes ne désignent pas seulement les larmes & les soúpirs, que les vifs ressentimens de la douleur tirent du cœur & des yeux, mais tout ce qui peut regarder les Funerailles & leur Pompe.

Moyse remarque que les sentiment de douleur, & la magnificence de la Pompe funébre ne furent pas moindres en la mort de Jacob, aussi Patriarche, & petit fils d’Abraham, qu’ils avoient esté en la mort d’Abraham mesme ; & ce Jacob pere de Joseph, ne regretta pas moins la privation de la Sepulture de son Fils, que la mort pitoyable & funeste de ce mesme Fils, laquelle ses Freres avoient annoncé à leur Pere estre malheureusement arrivée, pour avoir esté devoré des Bestes sauvages ; tant le soin de la Sepulture estoit recommandable chez les anciens Hébreux. C’est ce que remarque Philon Juif. En effet, cet Auteur fait une peinture triste & lugubre de Jacob affligé pour la mort de ce Joseph. Les termes en arracheroient de la tendresse des cœurs les plus insensibles, & feroient couler les larmes des yeux des plus endurcis.

C’est de là aussi que ces Saints Patriarches, comme la sainte Ecriture l’enseigne, Genese Chapitre 35. prenoient soin d’élever des Pyramides sur les Sepulcres des leurs. Jacob, ce Saint Personnage, comme dit Brochard en la Description de la Terre Sainte, fit ériger sur le Sepulcre de Rachel son Epouse, une Pyramide d’un excellent Ouvrage, au pied de laquelle & tout autour il en fit placer douze autres un peu moindres, selon le nombre de ses Enfans, tant pour rendre ce Monument illustre à la posterité, que pour marquer l’esperance de la Résurrection & de la Vie immortelle, comme témoigne de Lyra parlant de ce Patriarche.

La Genese Chapitre 50. ne nous remet-elle pas en memoire quelle Pompe funébre ce mesme Jacob reçût en Egypte apres y estre mort ? Son Corps fut honoré d’un superbe & magnifique appareil, & aussi éclatant que si c’eust esté celuy d’un Roy, & les mesmes honneurs furent pareillement rendus à Joseph son fils Intendant de l’Egypte, apres son trépas.

Saint Ambroise estime que la coustume de faire des Obseques est venuë des anciens Hebreux ; car Jacob fut regretté pendant 40. jours, & Moyse durant 30. Cette coustume s’est diversement introduite chez les Nations posterieures, comme la suite le fera remarquer.

Mais entendons ce que dit Ciceron sur le soin de la Sepulture. Ce soin, dit-il, marque l’espoir de l’Immortalité. Car pourquoy s’attacher si fort & si naturellement à la Sepulture, s’il ne s’ensuit la réünion du Corps avec son Ame, & que la mort ne soit un passage à une meilleure vie ? A quoy servent ces grands Monumens, ces Sepulcres magnifiques, ces Epitaphes, & ces autres préparatifs de Pompe funébre, si ce n’est une esperance de l’avenir ? Voila des termes qui ne sentent pas le Payen, mais un esprit éclairé des lumieres de la Foy.

Les anciens Hebreux avoient des Sepulchres particuliers aux Familles, & d’autres communs aux Estrangers, qu’ils appelloient Polyandria, comme voulant dire que ces Monumens estoient pour un grand nombre de Corps ensemble, ainsi que le mot le signifie, & c’estoit où les Personnes inconnuës estoient ensévelies.

Les Egyptiens rendoient un culte & une venération singuliere aux Corps des Défunts, comme aux organes de leurs Ames qu’ils croyoient, ainsy que dit Herodote Livre 1. immortelles. A ce sujet, ils prenoient un grand soin de les embaumer, & de les munir de quantité d’odeurs & d’aromats, pour leur donner beaucoup de suavité, & les garantir à mesme temps de la corruption. Ils employoient à ce soin jusques à 40. & 50. jours, & d’avantage s’il estoit necessaire, comme on le voit en la Genese, & dans Diodore le Sicilien Livre 1. Chapitre 2. Mais on trouve deux manieres de faire ces Embaumemens.

Cassien, Colloque 15. Chapitre 3. explique d’où peut venir que les Egyptiens prenoient un si grand soin d’embaumer les Corps, & de les mettre en des lieux élevez pour les conserver avec plus de seureté.

La nature de l’Egypte est telle, dit-il, que la plus grande partie de la Terre est inondée des eaux du Nil, qui se dégorge & couvre les Campagnes tous les ans, & pendant un assez long intervalle de temps, y laissant un limon & une vase pourrissante. Alors les Egyptiens sont contraints de mettre ces Corps ainsi embaumez & liez fortement de bandes, dans les lieux les plus hauts & loin de l’humidité. Ces lieux sont ordinairement les Montagnes, où ils les enfoüissent dans le fable, ou des Roches taillées, en sorte qu’ils y font des Cellules propres à ensevelir les Corps. Ils les mettent aussi en de hautes Pyramides, comme on faisoit principalement ceux des Rois & des Princes de l’Egypte, qui de leur vivant avoient pris soin de les faire bastir eux mesmes ; de là viennent ces grandes Pyramides de Memphis ou du grand Caire, & d’autres lieux voisins.

Les Deserts de l’Egypte ont encore plusieurs de ces Pyramides, dont par l’antiquité quelques unes sont enfoncées dans le fable, d’autres sont à demy rompuës, & d’autres sont encore en leur entier, & l’on y peut monter par le dehors, y ayant des Marches qui vont tout autour ; & sur le milieu l’on trouve des Voutes fort étenduës & spacieuses, où l’on peut entrer, & ce sont les lieux où les Corps des Rois & des Princes de l’Egypte ont esté ensevelis. On peut parvenir jusques au sommet par ces mesmes Marches ; mais la descente en est beaucoup plus difficile à cause de la hauteur, les yeux pouvant estre ébloüis ; c’est pourquoy on prend ordinairement des Guides. Mr Fermanel, Conseiller du Parlement de Roüen, ayant fait le Voyage de la Terre Sainte, en parle comme Témoin oculaire, en son Voyage du Levant, estant alors accompagné du Sieur Sçohouë Estranger.

On voit autour de ces Pyramides des Hieroglyphes gravez, dont les significations & les marques sont Mystérieuses. Le Pere Kirker en a fait un sçavant Recueil, & en a donné l’interprétation en cet Ouvrage curieux, durant qu’il estoit Bibliothecaire du Vatican.

On a mesme trouvé des Tresors & de grandes Richesses dans le fond de ces Pyramides ; & de là on présume que les Corps des Rois & des Princes, & leurs Tresors ont esté enlevez, depuis que le grand Caire & plusieurs autres Villes ont esté basties en Egypte, où on leur a dressé d’autres Monumens magnifiques pour les y conserver. Les pierres des Monumens sont tachetées de rouge & de blanc, car telle en est la nature, n’y ayant guere d’autre Marbre dans ce Pays.

La plus commune opinion des Auteurs qui ont écrit de ces Pyramides anciennes, est que dans l’Egypte, il y en a trois principales. La plus haute des trois, comme disent Pline, Strabon, Pomponius Mela, Démocrate, Ammian Marcellin, Osorius & autres, estoit construite de pierres apportées de l’Arabie, & c’estoit un prodige comment on avoit pou tirer des pierres d’une si immense étenduë & d’une si grande pesanteur, & les monter apres les avoir mises en ouvrage. On tiendroit pour une Fable, que trois cents soixante mille hommes y ayent travaillé vingt années pour l’achever. Sa base occupoit huit Arpens de terre. Les quatre Angles avoient chacun de leur costé huit cents quatre vingts trois pieds de longueur. La hauteur, à prendre de la base au sommet, estoit de 363 pieds. Les deux autres Pyramides sont moindres en toutes leurs parties.

On peut juger que les Egyptiens ont esté ceux qui ont excellé par dessus toutes les autres Nations en la magnificence & en la pompe de leurs Sepulcres & de leurs autres Monumens, comme disent Herodote Livre 3. Diodore Livre 1. Strabon Liv. 17. & Pline Livre 16. Chapitre 12. comme aussi en la dépense excessive, & au nombre des Artisans qu’ils y employoient. Leurs Tombeaux n’estoient pas seulement ornez de Pyramides, mais encore de Colosses, de Statuës, de Sphinx, de Colomnes, d’Obelisques, de Labyrinthes, & d’autres superbes ornemens. C’est ce que dit Martial au commencement de ses Epigrammes, en faisant comparaison avec un Ouvrage d’un des plus grands Empereurs Romains.

Barbara Pyramidum silcat miracula Memphis.

En voila encore une autre, qu’Amasis Roy d’Egypte avoit fait construire, de laquelle la merveille consistoit en sa figure & en sa grandeur ; mais c’estoit plûtost par vanité & par ostentation, qu’autrement. Ce Monument estoit fait en figure de Sphinx, & d’une si vaste largeur, que le circuit seulement de la teste, à prendre par le front, avoit cent deux pieds. Sa longueur estoit de cent quarante-trois ; & sa hauteur estoit depuis le nombril, jusqu’au sommet de la teste de 82. comme dit Pline Livre 36. Chapitre 12. Et ce qui est encore plus surprenant, & qui passe toute créance, l’Ouvrage estoit de Marbre, & d’une pierre seule & naturelle. Voila la Sepulture de ce Roy, dont parle Lucain Livre 9.

Non mihi Pyramidum Tumulis evulsus Amasis.

Ces mesmes Merveilles sont rapportées par Bellonius, en ses Observations singulieres Livre 2. sur les Ouvrages admirables de l’Antiquité, & par Pierius en ses Hieroglyphiques Livre 60. Platon mesme en son Phedon, infere l’immortalité de l’Ame par les Corps des Egyptiens, qui demeuroient incorruptibles apres tant de Siécles en leurs Tombeaux.

Il est icy à propos de parler des Corps qui se trouvoient, & se trouvent encore dans les Sepulcres de l’Egypte. On leur donne le nom de Mumies. Il y en a de deux sortes ; les uns sont embaumez par dedans, & les autres par dehors. On en trouve en des lieux taillez dans les Roches, rangez à coste l’un de l’autre, enveloppez de Linceuls rayez de diverses couleurs, & serrez de Bandes diversement rayées aussi. Ces Mumies qui sont embaumées par dehors, se conservent sans corruption en leurs linceuls, & en leurs bandes, à cause du Baume & des Aromats dont elles sont munies. Ces Corps sous leurs couvertures ont de petites Images de terre verte de differentes figures sur leur estomach, & mesme si extravagantes qu’on les prendroit pour des Idoles. Quelques-uns ont creu que c’estoit leurs Talismans. Les ongles des pieds & des mains sont peints de Vermillon. C’a esté de tout temps la coustume des Egyptiens de peindre ces parties de leurs Corps chez eux apres leur mort.

On trouve aussi de ces Mumies ensevelies sur les Montagnes dans le sable, où le Soleil venant à donner à plomb, en fait distiler une certaine liqueur ou graisse souveraine, qu’on appelle aussi Mumie, qui guerit diverses maladies communes, le Spasme, les Schirres, l’Artritide, le Tetanus ou contraction de Nerfs, Tartres. Voila l’effet de celles qui sont embaumées par dehors. Mais je ne trouve aucun Auteur ancien qui ait parlé de ces Mumies. Ce n’est pas cet Asphalte, Bitume ou Pétrole qui distile des Rochers, & qui passe mesme au travers ; quoy qu’ils puissent avoir quelques vertus excellentes.

Les Egyptiens ont une autre espece de Mumies, qui sont des Corps désechez. Ils les endurcissent tellement, qu’il n’y a point de Parchemin qui en approche en dureté, & mesme ils ne sont guere moins durs que l’Airain. Saint Augustin au discours 120. des divins Noms, Chapitre 12. parle de ces Cadavres ainsi endurcis, & on les appelle en la langue du pays Gabbares. C’est ainsi que les nomme Isidore, aussi en sa Glose, selon la langue de ces Regions. Mais ces Gabbares ne rendent aucune liqueur, ou graisse, comme les autres.

On remarque que les Egyptiens vuidoient les entrailles de ces derniers Corps ; & comme on n’y trouve aucune incision sur l’estomach ny au ventre, de là on a présumé qu’on les tiroit par le fondement, & la cervelle par les narines ; ou s’il y en avoit quelqu’une, elle estoit si bien cousuë, que l’on ne pouvoit s’en appercevoir. C’estoit de cette maniere qu’ils les embaumoient par le dedans ; estant pourtant ensevelis dans leurs linceuls de la maniere que les autres. Ces Corps n’estoient point sujets à la corruption, & c’estoient ceux qui estoient ordinairement dans les Pyramides.

Nous dirons en passant que les Egyptiens vendent rarement de ces Corps appellez Mumies ou Gabbares, parce que les Maîtres des Vaisseaux n’en veulent pas permettre le transport en Europe ; comme si ces corps enlevez de leur pays, présageoient sur Mer quelque sinistre accident, soit que leur imagination soit préoccupée de cette superstition, ou que quelquefois il s’en soit ensuivy quelque effet surprenant, comme Tempestes, Vents ou Orages, qui les ayent jettez dans cette erreur, ils en attribuent toûjours la cause à ces Corps tirez de leur Sepulture. Ce n’est pas qu’en effet la graisse ou l’huile que l’on tireroit de ces Corps, ne fust aussi souveraine que le Baume d’Egypte.

Les odeurs & les parfums dont on se servoit ordinairement chez les Egyptiens, estoient le Baume d’Egypte, n’y ayant que ce Royaume qui en produise. L’encens, la Myrrhe, & d’autres Aromats, qu’engendre l’Arabie, y estoient employez, aussi bien que ceux qui viennent de Corycie, de Sabée, de Cilicie & d’autres Regions du Levant ; & mesme du temps de Neron, on remarque que cet Empereur fit une dépense si prodigieuse aux Funérailles de Poppée son Epouse, pour ces odeurs & ces parfums Aromatiques, qu’à peine l’Arabie pourroit-elle suffire, & fournir en une année ce que sa prodigalité consuma en un jour. Le Corps de cette Impératrice ne fut pas brûlé, comme c’estoit la coustume de ces tems-là, ainsi que la suite le fera connoistre.

Les Juifs ont imité la méthode d’ensevelir les Corps comme les Egyptiens ; car ils les embaumoient, mais seulement par dehors, & les couvroient ou de linceuls, ou de drap de Pourpre, & les serroient aussi de bandes. C’est ce qui se remarque dans les Funérailles du Roy Asa, comme on le lit au Livre 2. du Paralipom. 10. n. 4. où la Pompe alla jusqu’à un grand excez. Ils les mettoient ensuite au Tombeau, selon que dit Sanchez sur le Livre des Roys Chap. 3. n. 12.

Cette coustume a esté mesme introduite en l’Eglise depuis ce temps-là, comme le remarque Tertullien en son Apologétique, où la profusion & les dépenses du Baume & des autres odeurs Aromatiques estoient si excessives & si indignes des Chrétiens, qu’il s’emporte contre ces excez par ces paroles. Si les Arabes se pleignent, dit-il, que ceux de Sabée sçachant que leurs Aromats seront employez plus curieusement à embaumer & à ensevelir les Chrétiens, qu’à parfumer leurs Autels.

Les mesmes odeurs ou de pareilles, se jettoient dans les Tombeaux ou dans les Buchers, comme ce discours le fera voir en son lieu. Mais revenons aux Sepulcres & aux Tombeaux.

L’Ecriture Sainte ne fait-elle pas mention des Monumens merveilleux, construits pour la Sepulture des Roys de Juda, & principalement de celuy que fit ériger Salomon pour David son Pere, sur les desseins que David mesme en avoit donnez ? Ce Sepulcre estant en grande vénération chez les Juifs, tomba en ruine sous l’Empereur Adrien, comme marque Dion en la vie de cet Empereur.

Josephe en ses Antiquitez Judaïques Livre 11. Chapitre dernier, témoigne que dans le Sepulcre de David, & dans celuy de Salomon, il y avoit eu de grandes richesses enfermées, ausquelles il estoit défendu de toucher. C’estoit en la Ville de Sion où ces Monumens estoient. Toutefois Hyrcan, grand Pontife, estant assiegé en la mesme Ville par Antiochus, pour la racheter du Siége, & pour éloigner l’Ennemi, fut contraint de faire foüir dans le Sepulcre de David, & d’en tirer trois mille Talens, dont une partie servit à détourner Antiochus de son entreprise, & l’autre fut employée à lever une Armée pour la défense de la mesme Ville. La nécessité obligea ce Pontife à faire foüiller dans la Sepulture des Roys contre la défense.

Mais long temps apres, le mesme Josephe rapporte, que le Roy Herodes avide d’or & d’argent, n’eut point de scrupule de violer la Sepulture de ce mesme Roy, en faisant ouvrir ce Monument.

D’abord il en tira de tres riches Ornemens qui y estoient enfermez ; mais il ajoûte qu’on ne pût parvenir jusques aux Cendres & aux Tresors de ce Roy, & qu’une flâme soudaine s’estant élevée du fond du Sepulcre, y consuma deux Satellites que ce Roy y avoit employez, pour chercher les Tresors qu’il en vouloit tirer, & que le Ciel punit ainsi l’avarice d’Herodes, qui fut obligé de faire remettre le Monument au mesme état qu’il estoit auparavant.

Ce n’estoit pas seulement avec les Corps des Roys, que l’on inhumoit des Tresors, & des choses prétieuses ; mais mesme avec ceux des Prophetes, comme Sozomene le fait voir au dernier Livre de son Histoire Ecclesiastique. Ce fut à ce dessein que les Chaldéens en la prise de Jérusalem défoüirent les Ossemens des Roys de Juda, des Princes, des Prophetes, & d’autres principaux de la Ville, pour en tirer les Tresors, & d’autres richesses, si elles y estoient cachées, comme le Prophete Jéremie l’avoit prédit beaucoup auparavant, pleurant sur les miséres de cette Ville, & comme le Prophete Baruch les a depuis déplorées amérement. C’est ce qui fut remarqué en la découverte du Corps de Zacharie aussi Prophete, qui arriva du temps du mesme Baruch : car on trouva à ses pieds un certain petit enfant Hebreu sorty de race Royale, ayant une Couronne d’or en sa teste, & des chaussures d’or à ses pieds, & le corps couvert d’un habit prétieux ; ce qui estoit la marque du grand soin & de la singuliere vénération que les Anciens avoient pour les Corps des illustres Défunts, de les accompagner de si riches ornemens.

On a aussi trouvé dans les mesmes Monumens ou Sepulcres, des Médailles tres-Antiques, qui d’un costé portoient la figure d’Empereurs, de Roys ou de Princes, & de l’autre des lettres Hieroglyphiques, des Trophées d’Armes, des Devises ou des Emblémes ; & c’est dont les Médallistes picquent la curiosité de ceux qui aiment les Antiquailles. Brassicamus à fait paroistre dans son Promptuaire ses recherches au contentement des Sçavans & des Curieux.

Plutarque aussi parlant de la ville de Péluse, présentement dite Damiete, Strabon Livre 15. & Ammiam Marcellin Livre 6. disent que les Roys des Macédoniens & des Perses avoient aussi coustume d’enfermer des Tresors dans leurs Tombeaux. Planudes en lisant des Inscriptions de Sepulcres, découvrit ingénieusement un Tresor caché dans un Monument antique, & cet Arabe subtil, qui ayant leu sur le front d’une grande Statuë, qui estoit au frontispice d’un Sepulcre a découvert, ces lignes : Aux Ides de May j’auray la teste d’or, sçeut pénétrer dans le sens de ces paroles ; car bien que l’on eust déja cassé la teste à cette Statuë aux Ides de May, on fût obligé de la rétablir en son entier, pour ne la pas défigurer, d’autant qu’on n’y avoit trouvé que du marbre ; mais luy plus intelligent alla foüir au premier jour des Ides de May, au lieu où l’ombre de cette teste donnoit, & y trouva autant d’or que l’ombre se pouvoit étendre sur la terre.

L’usage des Romains fut aussi assez frequent d’accompagner les Corps de richesses en leurs Sepultures. Toutefois la Loy des XII. Tables le défendit ensuite, pour ne pas donner lieu à violer les Sepulcres des Morts, & pour reprimer l’avarice. Voila ce que porte cette Loy, neve aurum addito. Il n’y a pas d’autre raison que ces Tresors cachez donnoient occasion de rompre les Tombeaux, de violer la Sepulture, & de porter les Avares à cette infamie de foüiller jusque dans les lieux sacrez : ce qui a esté défendu de tout temps.

Philostrate en la vie d’Apollonius liv. 7. assure que cet argent qui avoit esté tiré de la Sepulture des Morts, ne devoit point entrer dans le commerce des Hommes, principalement celuy qui y avoit esté dérobé, ou qui estoit tiré des Tombeaux par avarice.

Le Roy Théodoric fit deux Ordonnances sur cette matiere, dont l’une enjoignoit l’information contre ceux qui avoient osé foüiller dans les Sepulchres & en violer le droit ; & l’autre qui commandoit de rapporter au bien commun & à l’utilité publique, les richesses qu’on auroit trouvées par hazard dans les Tombeaux.

L’Histoire de Padouë sur ses Antiquitez rapporte que l’on trouva dans le Tombeau d’Antenor, qui fut le Fondateur de cette Ville, plus de trente mille livres d’argent, qu’il y avoit fait mettre avant que de mourir.

Mais cette Inscription que Semiramis Reyne de Babylone, fit poser de son vivant sur son Sepulcre, trompa finement l’avarice du Roy Darius. Elle y avoit fait graver en grosses lettres ces Mots : Si cui Regum Babylonis fuerit pecuniæ penuria, aperto Sepulcro, sumito. Ce Monument demeura plusieurs Siécles en son entier, sans qu’aucun des Descendans ou Successeurs de cette Reyne y touchast, jusques au temps de Darius. Ce Roy aveuglé d’une avarice extréme, quoy qu’il fust le plus puissant, & le plus riche de tous les Roys du Monde, passant par là, & ayant leu cette Inscription, au lieu des immenses Richesses qu’il esperoit y trouver, n’y rencontra rien que ces autres paroles gravées au dedans qui luy reprochoient avec honte son avarice. Nisi pecuniæ esses inexplebilis, & turpis lucri cupidus, defunctorum Sepulcra non violasses. Quelle infamie pour un Roy ! & quelle tache qui ne pourra jamais s’effacer !

La magnificence des Sepulchres a paru tant aux Pyramides, dont nous avons parlé, qu’en la structure differente des uns & des autres. Mais voila d’où vient ce nom de Mausolée, qu’on donne aux plus beaux Sepulchres & aux Tombeaux les plus superbes, tant de l’Antiquité que des Modernes ; & mesme aux représentations qui se font dans les Temples, en la mort des Roys, des Reynes, ou des grands Heros.

Artemise Reyne de Carie, un des Royaumes de l’Asie majeure, voyant Mausolus son Epoux mort, touchée d’une vive douleur, fit ériger en son honneur & en sa memoire un Monument, qui du nom de ce Prince prit celuy de Mausolée. La structure de ce Tombeau fut d’un si excellent ouvrage qu’elle luy fit donner le nom de la sixiéme Merveille du Monde. La figure en estoit quarrée, & cet Ouvrage fut donné à quatre Maistres des plus habiles pour y travailler. La partie Orientale fut destinée à Scopas pour la graver ; celle du couchant à Leocare ; celle du Septentrion à Briasse ; & celle du Midy à Timothée. Ce grand Monument fut formé en Pyramide, comme la plus part l’estoient dans ce temps-là. Au sommet de ce grand Ouvrage, estoit la Statuë du Roy assis dans un Trône la Couronne en la teste. Le commencement & la Base estoient par Portiques & sans Marches. La seconde élévation suivoit la mesme forme, mais avec des Marches murées en dehors ; & la troisiéme avec des Marches en dedans pour monter au plus haut. Les Arcades du premier Etage estoient si larges, que d’un Pilliers à l’autre il y avoit 73. pieds. Elles estoient supportées de 36. Colomnes d’une pierre seule chacune.

La merveille de ce Monument consistoit en l’Architecture, en la grandeur, en la hauteur, & en la Sculpture. Comme c’étoit l’Ouvrage des plus sçavans Maistres, aussi n’y fut-il rien épargné pour la dépense. La grandeur des Statuës qui en faisoient l’ornement, surprenoit les yeux. Ce ne fut pas assez que toutes ces Merveilles pour en faire une, si Artemise, Epouse de Mausole, ne faisoit voir quelque chose de plus merveilleux. C’est elle qui apres avoir rendu les derniers devoirs à son Epoux avec toute la pompe imaginable, & ayant fait consumer son Corps dans le Bucher avec les Odeurs, les Parfums & les Aromats les plus prétieux, en recueillit les Cendres qu’elle enferma dans une Urne d’or en ce mesme Monument. Mais cette Reyne ne voulant pas luy survivre, s’enferma au mesme lieu, & le reste de ses jours ne vécut que de ces mesmes Cendres détrempées de ses larmes pour tout aliment. Ainsi elle mesme devint le Mausolée de son Epoux, en expirant dans ce Monument. Ce sont là des marques d’une tendresse & d’un amour inexpliquable.

Je puis dire qu’au sujet des sept Merveilles du monde, dont la premiere, qui est le Mausolée est du nombre, j’ay esté assez heureux pour les avoir entremeslées toutes dans un Distique Latin par leurs noms, avec celuy du Roy, pour Inscription sur le Louvre, avec d’autres qui ont esté leuës à Versailles, dans le temps que beaucoup de monde y travailloit. La curiosité du Public me les fait employer icy.

Hoc Lodoïci Ephesum, Memphim, Babylona, Colossum,
 Mausolea, Pharon, cum Jove, vincit opus.

Le Livre d’André Palladio, sur les magnifiques Sepultures, imprimé à Rome avec ses Figures, parle avantageusement du Mausolée de la Reyne Artemise, en faveur du Roy Mausolus son Epoux.

Varron & Pline rapportent les merveilles du Sepulcre de Porsenna, Roy d’Hetrurie, qui presentement est la Toscane. Il est prés la ville de Cluse. Ce Monument est de pierre ; fait en quarré, dont chaque costé a trois cens pieds de largeur. La Base est aussi quarrée. Le corps de l’Ouvrage s’éleve jusqu’à la moitié en Pyramide, & au dedans il y a un Labyrinthe. Sur ce Labyrinthe on voit une Plateforme qui soûtient cinq Pyramides, quatre aux Angles, & une au milieu. Elles ont en leur Base soixante & quinze pieds. Elles sont hautes de cent cinquante pieds, & tellement égales, qu’en leur sommet il y a un Chapiteau d’Airain qui les couvre toutes, & qui soûtient cinq autres pierres d’une hauteur prodigieuse. Du pied de ce Monument jusqu’au faiste, l’on compte cinq cens pieds. C’est où l’on tient que Porsenna estoit inhumé.

Les Empereurs, les Roys & les Princes, sur les modelles des Anciens, se sont fait ériger de grands & magnifiques Monumens pour leurs Sepultures, comme pour se rendre immortels par ces Ouvrages. On voit encore à Rome en la Vallée Martia, les vestiges du Sepulcre de l’Empereur Auguste, fort prés de l’Eglise S. Roch. Il estoit autrefois orné de Marbre blanc, de Porphyre, de grandes Colomnes, d’Obelisques, & d’excellentes Statuës, & avoit douze Portes & trois ceintures de Murailles. Il estoit de forme ronde, & de cent coudées de haut. Au sommet estoit la Statuë de cet Empereur faite d’Airain, tenant en sa main son Sceptre, & ayant une Couronne en la teste. Il l’avoit fait bastir non seulement pour luy, mais aussi pour les Empereurs qui luy devoient succeder. Le Sepulcre de l’Empereur Adrien estoit encore en la mesme Ville, & c’est où est maintenant le Château S. Ange, qui est joint par un Pont sur le Tybre.

Ce Monument dans son temps estoit embelly & diversifié de Marbres differens & exquis, de Statuës, de Chars de Triomphe, & d’autres Ornemens artificieusement travaillez, mais ils furent rüinez par l’Armée des Goths, du temps de Belisaire.

Le Pontife Boniface VIII. y fit faire le Château qui s’y voit presentement, & qui porte le nom de S. Ange ; car un Ange y parut dessus l’épée à la main, comme pour chasser la peste qui desoloit Rome, comme cela arriva, & depuis le nom de S. Ange luy est demeuré. Alexandre VI. le ceignit de fossez & de bastions, y fit construire une Gallerie couverte, & une autre découverte, qui va jusqu’au Palais de saint Pierre. Paul III. a depuis embelly ce mesme Château de divers Apartemens somptueux.

Il y a encore plusieurs autres Mausolées en la mesme Ville ; tel que celuy de Septimius Severus, que l’on apelloit Septizonium, à cause des sept Ceintures dont il estoit environné ; & celuy de Cestius, qui ne cédoit pas au précedent en beauté, & dont il reste encore des vestiges. Les Romains sont si jaloux de ces marques d’antiquité, que depuis un Cardinal se voulant servir des rüines d’un de ces illustres Monumens, il en fut empesché par l’autorité Pontificale.

Proche de ces magnifiques Sepulcres estoient des Obelisques d’une hauteur étonnante, & d’une seule pierre. Il y en avoit deux au Mausolée d’Auguste, de quarante-deux pieds. On tient mesme que les cendres de Jules Cesar étoient au sommet de celuy qui avoit soixante & douze pieds ; en la place desquelles Sixte V. a fait mettre de son temps une riche Croix. Il y avoit des Lettres & des Caracteres Egyptiens gravez autour.

On érigeoit aussi des Colomnes proche des Sepulcres en la mesme Ville. Celle qui fut bâtie en l’honneur de l’Empereur Trajan, comme dit le mesme Palladio, avoit cent vingt-huit pieds de hauteur ; & cet Empereur ne la vit pas, parce qu’ayant entrepris la Guerre contre les Parthes, il mourut au retour de cette expedition en la ville de Seuleucie en Syrie. Mais depuis ses cendres furent rapportées à Rome, & mises dans une Urne d’or au haut de cette Colomne. L’an 1588. Sixte V. fit mettre au lieu de cette Urne l’Image de S. Pierre, faite de Bronze doré & d’une grande stature. Autour de cette Colomne, les Guerres & les Victoires de Trajan étoient gravées en figures de Marbre, & principalement son entreprise contre les Daces.

Il y a des Villes entieres bâties & destinées à la Sepulture des Empereurs & des Roys, comme Seleucie par Constantin le Grand ; Antinoë par l’Empereur Adrien, quoy que son Sepulcre ait esté à Rome, où presentement est le Château Saint Ange, comme il est dit cy-devant ; Bucephalie par Alexandre le Grand ; Taphosyris par les Egyptiens, & plusieurs autres ; ce que témoigne Zuingerus.

Pour la matiére de ces Monumens, la Pierre, le Marbre, le Porphyre, & mesme le Verre y ont esté employez, comme on voit dans Strabon liv. 17. qui dit que Ptolomée érigea pour Alexandre le Grand, un Sepulcre entiérement de verre, où le corps. ne pouvoit rendre aucune mauvaise odeur, & étoit toûjours present aux yeux par la transparence de la matiére.

Plutarque raporte que le Sepulcre d’Anthée, ce Géant fameux qui combatit contre Hercule, & dont il fut vaincu, a soixante & dix coudées de long, & qu’il étoit tenu comme une chose Sacrée ; car si la moindre partie en étoit offencée, & n’étoit pas réparée au plûtost, une pluye continuelle tomboit en la mesme Region, & la desoloit.

Il en arrive presqu’autant à l’égard du Sepulcre du Poëte Stratus, qui se voit à Pompejopolis, ville de Syrie, comme fait mention Olaus Magnus, contre lequel si un Passant jette une pierre, elle rejaillit aussi-tost contre luy, plûtost par un prodige que par aucune raison naturelle. Ces exemples ne sont icy raportez que pour marquer la venération qu’on doit avoir pour les Tombeaux, & pour ceux qui y prennent leur repos.

Le Tombeau de Virgile, Prince des Poëtes Latins, étoit construit à la vuë de la ville de Naples, & étoit d’une grande éminence ; mais maintenant il est couvert d’arbrisseaux & de brossailles. On en voit encore les grands vestiges à l’entrée d’une caverne du Mont Pausitippus, comme on le remarque dans le livre des Monumens & des Eloges des Illustres Personnages, avec cette Inscription.

Qui cineres ? Tumuli hæc vestigia : conditur olim
Ille hoc, qui cecinit pascua, rura, duces.

Si les Payens se sont fait des Dieux, de leur nombre la pluspart étoient mortels. Lucien qui s’en raille, raporte dans le Dialogue qu’il intitule Philopater, que le Sepulcre de Jupiter leur Souverain étoit construit dans l’Isle de Créte, en une certaine Vallée où autrefois il avoit esté nourry, lors que Cybéle sa Mere le mit au Monde dans la Forest Dictée, où les Corybantes par leur bruit & le cliquetis de leurs Armes, empescherent que Saturne son Pere n’entendist les cris de l’Enfant, & qu’il n’en fust devoré.

Le mesme Autheur en son Dialogue, qui porte pour Tître le Deüil, aprend beaucoup de choses sur. la matiére de la Sepulture. On y voit entr’autres que les Grecs, tantost brûloient les corps, & tantost les inhumoient. Que les Perses les enterroient avec des meubles prétieux, & avec de grandes richesses, selon la qualité des personnes. Que les Indiens se servoient de Tombeaux & de Buchers, & qu’ils oignoient les corps de suif. Que les Scythes mangeoient souvent les corps de leurs Amis en de grands Banquets ; que les Egyptiens les embaumoient. Mais nous traiterons du tout separément.

Revenons du Prophane au Sacré. Au milieu de la Vallée de Josaphat, on trouve le Sepulcre d’Absalon, Fils de David. Il est coupé dans la Roche à la pointe du ciseau ; mais les Juifs l’ont tellement en horreur, qu’ils y jettent des pierres en passant, à cause du mauvais dessein qu’il avoit entrepris contre le Roy son Pere.

Prés de la ville de Jérusalem, on voit les Sépultures des Roys de Juda, pareillement taillées dans la Roche, & separées les unes des autres. Ce sont autant de Sepulcres en forme de cabinets, & dont les Portes ont cela de merveilleux, qu’elles sont de pierre, & tournent sur des pivots de pierre aussi, le tout n’étant que d’une seule piéce.

Les Sepultures des Juges d’Israël, ne sont pas éloignées des precédentes. Elles sont presque toutes en leur entier. La curiosité de les voir, porte les Voyageurs à se servir d’Arabes, qui pour peu d’argent donnent des connoissances du tout.

Le Sepulcre du Lazare est dans la Bethanie assez profond, ayant plusieurs marches pour y descendre. L’on tient que ce Monument étoit commun à sa Famille ; car il n’eust pas esté construit en si peu de temps aprés sa mort. C’est de ce lieu que la Sagesse Incarnée le tira pour le ressusciter, en luy disant, Lazare, exiforas.

Les Sepulcres où sont enterrez les Innocens qu’Herode fit massacrer, sont aussi taillez dans la Roche ; comme aussi celuy de sainte Paule vers Bethléem. C’est en son honneur que S. Hierôme a composé cette Epitaphe.

Aspicis anguslum præcisâ rupe Sepulcrum,
Hospitium Paulæ est cælestia regna tenentis,
Divitias linquens Bethlemiti conditur antro.

Le Tombeau du mesme S. Hierôme n’est pas éloigné de là, ainsi que ceux de plusieurs autres SS. Peres. L’on tient par une commune opinion que la Resurrection se doit faire de tous les Hommes en cette Vallée de Josaphat au dernier Jugement, & que comme il a esté possible à Dieu de diviser les Hommes en la Transfiguration de Babylone, il luy sera aussi facile de les rassembler tous en un moment, au mesme lieu, de toutes les Parties du Monde, pour y recevoir leur jugement.

Je réserve la suite de ce Traité pour le prochain Extraordinaire, afin de donner place aux autres Ouvrages qui m’ont esté envoyez. Les Réponses que vous allez lire aux dernieres Questions qu’on a proposées, sont de Mr Bouchet, ancien Curé de Nogent-le-Roy.

Sentimens sur les Questions du dernier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 82-88

SENTIMENS
SUR LES QUESTIONS
DU DERNIER EXTRAORDINAIRE.

Quelle fortune est la plus satisfaisante en Amour, celle d’un Amant dont les soins sont d’abord receus agreablement, & presque aussi-tost récompensez ; où le bonheur de celuy, qui apres avoir aimé quelque temps sans espérance, trouve enfin le cœur de sa Maistresse sensible ?

Un Amant de plein saut qui reçoit son salaire,
Et qui rencontre un cœur sensible à son amour,
A veritablement, & dés le premier jour,
Dequoy se contenter, dequoy se satisfaire.
***
Il n’est point au filet, on l’écoute d’abord,
On calcule ses pas, on compte ses services ;
Il est payé comptant de l’innocent transport
Qu’il marque envers l’objet de ses cheres délices.
 Là-dessus on l’estime heureux,
Parce qu’en cet état tout répond à ses vœux.
***
 Mais plus heureux dans ma pensée
 Est celuy qui n’y pensant pas,
Par celle dont son cœur adore les appas
 Voit sa flame récompensée,
Apres avoir long-temps vainement soûpiré,
Vainement attendu, vainement esperé.
***
Certes on sçait par la Science,
Quand on la consulte à loisir,
Comme aussi par l’expérience,
Qu’un plaisir qui surprend est un double plaisir.

Si l’entiere liberté de se voir, peut long-temps entretenir l’amour dans toute sa force.

 On a beau faire, on a beau dire,
 Le Monde va toûjours son train ;
 Tel aujourd’huy pleure & soûpire,
 Qui sans doute rira demain.
 Nous endurons mille traverses
Par le flus & reflus des passions diverses
 Qui nous agitent chaque jour ;
Des choses d’icy-bas inconstante est la face ;
 La tempeste suit la bonace,
 La haine succede à l’amour,
***
Si la difficulté fait naistre des miracles,
Et des coups de Héros, qui charment les Esprits,
De la facilité de se voir sans obstacles,
L’indifférence vient, ou mesme le mépris.
***
Du moins un Amant dans sa tâche,
Avec ses soins & ses hélas,
Insensiblement se relâche,
Et ne fait plus voir qu’un Hilas.
***
 D’ailleurs, quand de la riche idée
D’un objet tout nouveau qui brille de beauté,
 L’ame se trouve possedée,
On tient rarement bon contre la nouveauté ;
 Et ce qui paroist fort étrange,
 C’est qu’il n’est rien qui soit bastant
 De fixer un cœur inconstant
 Qui se fait un plaisir du change.
***
 Je veux cependant qu’un Amant
S’applique à captiver la Beauté qu’il adore,
Qu’il nomme son Soleil, qu’il nomme son Aurore,
 Son Astre & son contentement.
***
 Toutefois encor qu’il s’efforce
De marquer son amour jusqu’à l’empressement,
 Je dis qu’il ne peut nullement
 Aimer toûjours d’égale force
 L’objet de son entestement,
 C’est une maxime averée,
Qu’un état violent n’est jamais de durée.

Si un honneste Homme est excusable, d’estre assez esclave de sa passion, pour aimer une Personne qui le pousse à faire une lâcheté.

Aimons jusqu’aux Autels en ce mortel séjour,
N’entreprenons jamais que des faits légitimes,
On trouve des raisons pour excuser l’amour,
Mais l’on n’en trouve point pour excuser des crimes.
***
Ainsi l’Homme est inexcusable,
Qui pour flater la passion
Qui fait son inclination,
Devient lâche, & se rend coupable.
***
La complaisance est juste, il est bon d’en avoir ;
 Mais qui veut vivre avéque bienséance,
  Doit borner cette complaisance
  Par les regles de son devoir.
***
 Ainsi dans cette conjoncture
 Que nous propose le Mercure,
 Qui travaille à nostre bonheur,
Il faut pour éviter tout reproche de vice,
 Que l’Amour le cede à l’honneur,
 Comme il le doit ceder à la Justice.

Un Homme en mourant a deux Amis auprés de luy ; il en fait retirer un, parce que sa présence l’afflige ; & il fait demeurer l’autre, parce que sa présence le console. On demande lequel il aime davantage.

Cet Homme vers la mort qui porte ses regards,
Et qui se voit bien-tost le butin de la Parque.
A pour ses deux Amis de genéreux égards,
Dont il donne à tous deux une sensible marque ;
Mais selon mon avis il a plus d’amitié
 Pour celuy dont il veut l’absence,
 Puis qu’il ménage sa pitié,
 En l’éloignant de sa présence.

Sentimens sur toutes les Questions proposees dans le dernier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 157-163

SENTIMENS
SUR TOUTES LES QUESTIONS
PROPOSEES DANS LE DERNIER
EXTRAORDINAIRE.

QUELLE FORTUNE EST la plus satisfaisante en Amour, celle d’un Amant dont les soins sont receus d’abord agreablement, & presque aussi tost recompensez ; où le bonheur de celuy qui apres avoir aimé quelque temps sans espérance, trouve enfin le cœur de sa Maistresse sensible.

 Lors que dans l’Amoureux Empire
 Sans espoir un Amant soûpire,
Et qu’enfin la Beauté qu’il aime tendrement
 Paroist sensible à son martyre,
 Pour ce tendre & fidelle Amant
 C’est sans doute un plaisir charmant.
 Cependant, ma chere Sylvie,
 Il ne flatte point mon envie ;
Un plaisir en Amour trop long-temps attendu
 N’a pour moy que de foibles charmes,
Je ne puis m’empêcher de songer qu’il m’est dû
Apres de longs ennuis, des soûpirs, & des larmes.
 Je commence à sentir pour vous
 Tout ce qu’Amour a de plus doux,
J’en ressens en un mot toute la violence ;
 Si vous voulez de bonne intelligence
 Me donner un plaisir divin,
C’est de m’en témoigner vostre reconnoissance
 Aujourd’huy plûtost que demain.

Si l’entiere liberté de se voir peut long-temps entretenir l’Amour dans toute sa force.

 Quand je voyois Philis à toute heurs du jour
 Pour luy parler de mon amour,
 Rien ne s’opposoit à ma flâme,
 Je la voyois facilement,
 Mais aussi sentois-je en mon ame
 Que c’estoit sans empressement,
 Et que l’amour que cette Belle
 Avoit sçû m’inspirer pour elle,
 Diminuoit sensiblement.
 Aujourd’huy c’est toute autre chose,
 Tout fait obstacle à mes plaisirs,
Et plus je reconnois qu’à mes vœux l’on s’oppose,
 Plus je sens croistre mes desirs.
Un Amant est basty d’une certaine sorte,
 Qu’il ne peut long-temps vivre en paix ;
 Le trouble a pour luy tant d’attraits,
 Qu’il rend sa passion plus forte.
 Il ne peut gouster la douceur
 D’un bien qu’il posséde sans peine ;
 Il faut qu’il soit traversé dans sa chaine,
 Pour qu’il en fasse son bonheur.
 Enfin je connois par moy-mesme,
Qu’un Amant dans set fers veut estre inquieté,
Et qu’il n’auroit jamais une constance extréme
 Parmy trop de tranquilité.

Si un honneste Homme est excusable, d’estre assez Esclave de sa passion pour continuer d’aimer une Personne qui le pousse à faire une lâcheté.

 J’aime Philis de tout mon cœur,
 Enfin autant qu’elle est aimable ;
 Mais malgrè toute mon ardeur,
Je ne croiray jamais que je fasse excusable,
Si pour tous ses appas je perdois mon honneur.
  Cette perte est indubitable
 En faisant une lâcheté,
 Et qui plus est, irréparable ;
 Ce n’est pas comme une Beauté.
 Je n’ay qu’un honneur en partage,
 Des Maistresses, vingt si je veux ;
 Ainsi, lors que Philis m’engage
 A le perdre pour ses beaux yeux,
 Je ne puis, je croy, faire mieux,
 Que de me titer d’esclavage.

Un Homme en mourant a deux Amis auprés de luy ; il en fait retirer un parce que sa présence l’afflige, & il fait demeurer l’autre, par ce que sa présence le console. On demande lequel il aime davantage.

Je suppose estre à l’agonie,
Car, Dieu-mercy, je me sens plein de vie ;
 Si j’estois dans un bon Repas,
 Ou-bien auprés de ma Sylvie,
Sans doute l’apétit ne me manqueroit pas ;
Enfin je ne croy point aller si-tost là-bas.
 Selon l’ordre de la Nature
Je franchirois trop vîte un si dangereux pas ;
Mais toutes ces raisons ne me font rien conclure.
 Il faut que je pose le cas
 Que la Parque me tend les bras,
 (O Ciel, quelle horrible figure !)
Et que deux bons Amis, Damon & Licidas,
Sont les tristes Témoins du tourment que j’endure.
 Dans une telle occasion
J’ay grand besoin de consolation,
 Et qui peut m’en donner, m’oblige ;
 C’est Damon ; Licidas m’afflige,
Lors que je n’ay déja que trop d’affliction
 Ainsi dans cet état funeste
Je le fais retirer, & l’autre seul me reste,
 L’en aimay-je mieux pour cela ?
 La Question est difficile ;
 Je ne le fais demeurer là,
 Que parce qu’il me semble utile.
Mon cœur pour Licidas s’intéresse plus fort,
Je sens une Amitié plus belle & plus constante ;
 Et lors que je veux qu’il s’absente,
C’est que du coup tout prest à me donner la mort
 Je crains trop qu’il ne se ressente.

Dierevilli.

Billet de Madame de P*** à Mr P*** §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 176-182

BILLET
DE MADAME DE P***
A Mr P***

Je vous demande en grace, Mr, de me dire ce que c’est que Mademoiselle de C*** Ma Niece en est si entestée, qu’elle nous en parle incessamment. Encore que je n’aye pas méchante opinion de son goust, j’aime mieux m’en rapporter à vous. J’espere que vous m’en ferez un Portrait fidelle ; & que l’interest que vous avez à luy attirer l’estime des Gens, ne vous empeschera point d’estre sincere. Je sçay qu’elle doit beaucoup à vos soins, ainsi vous ne serez point fâché de me faire un petit détail de ses bonnes qualitez.

REPONSE DE MrP***
à Madame de F***

Il faut vous dire, Madame, par quelle occasion je connus Mademoiselle de C*** & satisfaire en suite vostre curiosité. Mademoiselle de C*** passoit pour une Personne fort bien faite ; on ne pouvoit point luy contester cela. Bien des Gens trouvoient qu’elle avoit beaucoup d’esprit. Elle estoit libre, agréable & fort enjoüée. Elle avoit la voix fort belle ; elle écrivoit galamment, & faisoit des Vers avec un tres-grand naturel. Avec cela les Connoisseurs ne luy trouvoient rien de reglé, si bien qu’ils ne pouvoient qu’a peine donner leur approbation à des qualitez qui ébloüissoient les Personnes qui n’avoient point de goust, & qu’ils trouvoient fort imparfaites. Elle avoit une Amie assez éclairée, & de qui j’estois un peu connu, qui luy apprit les sentimens que les honnestes Gens avoient d’elle. Cette Amie luy fit comprendre qu’elle ne seroit jamais qu’une Personne fort médiocre, si elle ne s’attachoit à se perfectionner. Dans ce temps-là un Homme de son voisinage me mena chez elle. Cette mesme Amie s’y rencontra. Pendant une heure & demie de conversation, Mademoiselle C*** m’étala toutes ses belles qualitez. Je luy trouvay un esprit brillant & plein de feu, & je vous avouë que je fus touché d’un si beau naturel. Je luy dis avec ma franchise ordinaire, que c’estoit dommage qu’elle ne cultivast avec un peu d’art tous ces rares talens qu’elle avoit receus du Ciel. Elle me témoigna qu’elle connoissoit assez le besoin qu’elle avoit, que quelqu’un luy donnast de bonnes leçons, & qu’elle s’estimeroit heureuse de trouver un honneste Homme, qui fust assez charitable pour se charger de luy regler l’esprit & la voix. En suite ces deux Personnes luy firent naistre l’occasion de s’addresser à moy, & de me dire qu’elle avoit eu un tres grand desir de me connoître, & qu’elle souhaiteroit pouvoir meriter que je voulusse prendre quelque soin d’elle. Vous pouvez juger, Madame, que je ne manquay point de luy offrir mon service autant que j’en estois capable. Je luy promis qu’elle seroit tout autre chose, & qu’elle deviendroit la personne du mondé la plus dangereuse, si elle vouloit se donner quelque soin. Je croy que je luy ay tenu parole. Il y a un peu plus d’une année que nous fimes connoissance. Elle s’est si bien aidée de son côté, qu’on luy trouve une justesse dans l’esprit, dont on ne la croyoit pas capable. Vous ne sçauriez croire combien elle a d’agréement & de bon sens dans ses discours, & dans toutes ses manieres. Quand elle ne se feroit connoistre que par ce seul endroit, faite comme elle est, elle se feroit aimer par tout. Sa voix est devenuë fort touchante, & pour une Personne qui ne fait pas profession d’estre chanteuse, l’on ne sçauroit guere chanter plus proprement. Elle sçait autant de Musique qu’il luy en faut, pour sçavoir trouver la meilleure execution de toute sorte d’Airs ; & son plus grand art dans le chant, c’est de le sçavoir cacher.

Pour ce qui est de sa maniere d’écrire, vous en jugerez, Madame, par ce petit mot de réponse qu’elle fit il y a quelque temps à un Homme, avec qui elle est fort familiere. Vous remarquerez, s’il vous plaist, que cet Homme-là a une tres-forte inclination pour elle, qu’il est fort Amy de sa Mere, & qu’elle ne l’aime point.

Quelle necessité y avoit-il de m’écrire un Billet, pour m’apprendre que vous vous faites un plaisir de penser à moy ? Pensez à moy, Monsieur, tant qu’il vous plaira, je ne vous en empesche point ; mais dois-je estre exposée à lire un Billet de trois pages, où vous n’avez point autre chose à me dire ? Je ne crois pas vous avoir jamais obligé d’en user de la sorte avec moy. Cependant il faut que je vous réponde. Cela est-il juste ? Ne m’en ayez point toute l’obligation. Ma Mere me gronderoit, si je ne vous faisois point de réponse.

A Céphise. Stances §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 183-189

Les Vers qui suivent sont d’un galant Homme, qui ayant esté Prisonnier pendant quelques mois, se divertissoit à en faire dans le temps de sa disgrace.

A CEPHISE,
STANCES.

Que par tout on en devise,
Qu’on s’en fasse un Entretien,
Souffrez, charmante Cephise,
Que je vous offre mon Chien.
***
Quelque doux que soit un Maistre,
Ce Chien n’en sçauroit souffrir ;
Aussi quand je le vis naistre,
Je fis vœu de vous l’offrir.
***
Rare Beauté qu’on admire,
Avant qu’il vous soit donné,
Vous voudrez entendre dire,
De quels Parens il est né.
***
Trois Chiens d’un air tout aimable
Brûlérent des mesmes feux,
Et la Mere assez traitable
Les rendit tous trois heureux.
***
D’assurer quel fut le Pere,
Je surprendrois vostre foy ;
Daignez consulter la Mere,
Elle le sçait mieux que moy.
***
Cette Mere est descenduë
D’une assez bonne Maison,
Et sa Race est répanduë
Par tout dans cette Prison.
***
Vous pouvez bien la connoistre,
Elle est d’un poil blanc & noir,
Et mesme de la Fenestre
Souvent vous l’aurez pû voir.
***
Si j’avois de la mémoire,
Je pourrois vous repéter
Toute sa petite histoire,
Comme on me l’a sçû conter.
***
Dés sa plus tendre jeunesse
Vn Basset remply d’ardeur
Luy déclara sa tendresse,
Et fut son Adorateur.
***
Mais elle déja Coquette,
Apres l’avoir sçû charmer,
Se moqua de sa fleurette,
Et ne voulut point l’aimer.
***
Elle auroit pû vivre heureuse
En gardant sa liberté,
Mais une atteinte amoureuse
Troubla sa tranquilité.
***
Fier Amour, que tu disposes
Souverainement de nous,
Et que nous faisons de choses
Quand nous ressentons tes coups !
***
Un Epagneul teméraire,
Et des plus entreprenans,
Sçût si bien l’art de luy plaire,
Qu’il en remporta les Gans.
***
Comme il s’en rendit le maistre
Avecque facilité,
D’abord il luy fit paroistre
Beaucoup de legereté.
***
Une pente naturelle
Qu’il avoit au changement,
D’une Maistresse nouvelle
Le fit devenir l’Amant.
***
Elle, d’un air triste & blême,
Par des regrets superflus
Témoigna son deüil extrême
De ce qu’il ne l’aimoit plus.
***
Elle en estoit attendrie,
Elle n’aimoit que luy seul,
Et pensa perdre la vie,
De perdre son Epagneul.
***
Qu’une aimable résistance
Est nécessaire aux plaisirs,
Et que par la joüissance
On voit cesser de desirs !
***
Ouy, dans le siécle où nous sommes,
Dés qu’on finit leur tourment,
Les Chiens, semblables aux Hommes,
Changent plûtost que le vent.
***
Je ne fus jamais de mesme
Infidelle ny leger,
Et je ne sçay, lors que j’aime,
Ce que c’est que de changer.
***
Depuis ce trait de Volage
Que luy fit ce petit Chien,
Elle fut trois mois si sage,
Qu’on vit qu’elle n’aimoit rien.
***
Enfin elle fut séduite,
Et par des discours flateurs
Elle manqua de conduite,
Et prodigua ses faveurs.
***
Comme elle faisoit paroistre
Publiquement son ardeur,
On cessa de la connoistre
Pour une Chienne d’honneur.
***
Peut-estre qu’en son bas âge
Elle ne connoissoit pas.
Que d’un grand libertinage
Il faut éviter le pas.
***
On luy fit des remontrances
Dans cet abandonnement ;
De perdre les apparences
Qu’on doit garder en aimant.
***
On luy-dit qu’estant aimée,
Il falloit entretenir
L’éclat de sa renommée,
Et ne jamais le ternir ;
***
Que l’imprudente Jeunesse
Le plus souvent ne se perd
Qu’en faisant voir sa foiblesse
Un peu trop à découvert.
***
Depuis cet avis honneste
Qu’elle imprima dans son cœur,
La pauvre petite Beste
N’accorda plus de faveur.
***
A la fin d’elle nâquirent
Quatre Chiens quon admira ;
Les Curieux qui les virent
Inclinoient pour celuy-là.
***
Ainsi je vous le présente ;
Il est charmant, il est doux.
Que sa fortune est charmante,
S’il est caressé de vous !
***
De vous, l’oseray-je croire ;
Qui n’aimâtes jamais rien ?
Quel bonheur & quelle gloire !
Pourquoy ne suis-je pas Chien ?

L’Amour bizarre. Histoire véritable §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 189-216

Il y a déja quelque temps que l’on m’a mis entre les mains l’Histoire dont je vay vous faire part. Je la laisse dans les mesmes termes que je l’ay receuë.

L’AMOUR BIZARRE
HISTOIRE VERITABLE.

L’amour se plaist souvent à faire voir sa bizarrerie aussi bien que sa puissance. Dans la Capitale d’une des meilleures. Provinces du Royaume, demeuroit une jeune Veuve, belle, riche, noble, & mesme qui passoit pour fort spirituelle. Il n’est pas difficile de s’imaginer qu’avec toutes ces bonnes qualitez, elle ne manquoit pas d’Adorateurs. Elle avoit tous les jours chez elle ce qu’on appelle le beau Monde d’une Ville, & quoy qu’elle eust témoigné qu’elle n’avoit aucune inclination pour un second Mariage, on ne laissoit pas neanmoins de luy proposer toûjours quelque nouveau Party. La joye qu’elle avoit de se voir maîtresse d’elle-même, aprés avoir obeï à un Homme, qu’on dit qu’elle n’avoit épousé que pour obeïr à ses Parens, luy avoit fait prendre la resolution de demeurer Veuve le reste de ses jours. Elle ne pouvoit pourtant honnestement refuser les visites de ceux que son esprit & sa beauté luy attiroient, mais c’estoit à condition qu’on ne luy parleroit point d’amour, ce qu’on observoit fort mal ; car il estoit difficile de la voir sans l’aimer, & tous les Amans n’ont pas assez de retenuë pour ne se point déclarer. Le grand deüil estant passé, car il y avoit déja plus d’un an qu’elle avoit perdu son Mary, elle commença à vivre avec un peu plus de liberté qu’elle n’avoit fait depuis sa mort, & entra dans tous ces petits plaisirs innocens, qui font l’occupation de la vie. On luy proposoit tous les jours de nouvelles parties de divertissement, & comme l’on estoit alors dans la saison du Carnaval, on la sollicita plusieurs fois pour la mener aux Assemblées qui se faisoient chez les Principaux de la Ville, où aprés les Repas qu’ils se donnoient les uns aux autres, chacun à leur tour, on faisoit venir les Violons, & on passoit agréablement une partie de la nuit à danser. Comme elle croyoit qu’elle ne devoit pas encore prendre part à ces sortes de plaisirs, elle s’estoit toûjours défenduë d’y aller. Enfin un jour que c’estoit à un Frere qu’elle avoit à donner le regale, ses Amies la solliciterent si fortement, & son Frere luy fit si bien comprendre qu’elle ne blesseroit point son devoir, & que cela ne tireroit à aucune consequence, qu’elle luy promit de s’y trouver. L’Assemblée fut ce soir là nombreuse & magnifique. Je ne m’arresteray point à décrire la somptuosité du Festin, ny la propreté de la Salle où il se fit. Il suffit de sçavoir que les plus délicats sur cette matiere eurent assez dequoy se contenter. Aprés le repas on passa dans une autre Salle qu’on trouva richement meublée, & éclairée par une grande quantité de lumieres. Le Bal commença pour lors, & pendant que les uns dansoient, les autres s’entretenoient avec les Personnes qui leur plaisoient le plus. On sçait que c’est là que les Amans ont droit de se plaindre des peines que l’Amour leur fait souffrir, & que ceux qui n’ont aucune veritable passion pour le beau Sexe, ne laissent pas de vouloir paroistre amoureux ; Les Galants en conterent beaucoup, & les Belles furent obligées d’en écouter autant. Cependant il y avoit des Personnes qui souffroient effectivement, & la jeune Veuve avoit donné de l’amour à plusieurs qui s’empressoient à l’envy l’un de l’autre, de luy persuader la forte passion qu’ils sentoient pour elle. Elle les écoutoit tous indifferemment, & leur témoignoit que l’Amour n’auroit jamais aucun pouvoir sur son cœur ; mais il luy fit bientost connoistre qu’on ne le méprise guere impunément ; car un jeune Cavalier fort propre qui n’avoit point esté du repas, l’estant venu prendre pour danser, elle ressentit à son abord ce certain je ne sçay quoy qui ne se peut expliquer. Quand elle fut revenuë à sa place, ce mesme Cavalier vint se mettre à ses genoux, & avec un air engageant & des manieres honnestes & respectueuses, il luy jura plusieurs fois qu’il n’avoit jamais veu une plus belle Personne. Elle luy répondoit comme à tous les autres, quoy qu’elle commençast déja de le considerer d’une autre maniere. En effet, on remarqua qu’elle l’examinoit attentivement, qu’elle luy addressoit la parole plus souvent qu’aux autres sur tout ce qui se passoit dans la Salle, & mesme un Homme qui l’aimoit effectivement beaucoup, ne put s’empescher de luy en faire la guerre. Dans la conversation ce Cavalier luy dit, que puis qu’il avoit esté assez heureux de voir une aussi aimable Personne, il luy demandoit la permission d’aller chez elle luy rendre ce que tout le monde luy devoit, & l’asseurer que sa plus grande passion seroit d’estre capable de luy pouvoir rendre quelque service. Le Bal finy, la Compagnie se separa, & la Veuve sortit un peu émeuë, par la veuë de l’Inconnu, qui de son costé avoit paru avoir beaucoup de disposition à l’aimer. Deux jours aprés elle fut surprise de le voir venir chez elle. Ils eurent ensemble un entretien plus reglé, & apres avoir parlé de l’occasion de leur connoissance, elle s’informa s’il estoit de la Province, & par quel hazard il s’estoit trouvé à cette Assemblée. Il répondit à toutes ses demandes, & luy dit qu’il s’appelloit Lycidas, qu’il demeuroit ordinairement à une Terre qu’il avoit à la Campagne, que quelques affaires d’assez peu de conséquence l’avoient attiré à la Ville, mais qu’il s’en faisoit alors une fort grande d’y demeurer pour achever de faire connoissance avec une Personne, à laquelle il avoit reconnu tant d’esprit & tant de merite. Ces paroles flatoient agréablement Cloris, ainsi s’appelloit la Veuve qui s’estoit un peu laissée toucher par la bonne mine de Lycidas, & qui souhaitoit dans son cœur que ce fust un homme d’une condition proportionnée à la sienne, car elle commençoit déja de quiter la résolution qu’elle sembloit avoir prise de demeurer Veuve. Il fit sa visite un peu plus longue que ne le sont ordinairement les premieres, & revint la voir dés le lendemain. Ces deux visites, & la maniere dont on recevoit ce nouveau venu, allarmérent un peu les soupirans ordinaires. Il y en eut un entr’autres qu’on appelloit Alcidon, intime Amy du Frére de Cloris qui ne put s’empescher de luy témoigner qu’il s’appercevoit qu’elle avoit plus d’empressement de voir cét Homme, que tous ceux qui alloient chez elle. Comme il l’aimoit fortement, la jalousie luy faisoit penetrer jusques dans le cœur de sa Maistresse. Il luy avoit souvent déclaré sa passion, & avoit fait agir son Frere pour la porter à l’épouser ; mais comme elle luy avoit dit qu’elle n’avoit aucun dessein de se remarier, les choses en estoient demeurées là, & Alcidon qui ne s’estoit pû défaire de son amour, continuoit à la voir tous les jours assiduëment. Jusques alors Cloris n’avoit point trouvé ses visites incommodes ; car ne manquant pas d’esprit, il servoit chez elle à rendre les conversations plus agréables ; mais depuis qu’elle eut connu Lycidas, elle eust fort souhaité ne plus voir que luy. Ces deux Rivaux se trouvant tous les jours ensemble ; ne pouvoient s’empescher de se contredire sur tous les sujets dont on venoit à parler. Ils ne s’accordoient qu’en une seule chose, qui estoit de trouver Cloris la plus charmante Personne qu’on pust voir. Ces petites disputes la chagrinoient un peu, & comme elle en apprehendoit les suites, elle voulut un jour entretenir Alcidon en particulier. Elle l’asseura plus fortement que jamais, que sa recherche estoit inutile ; qu’elle avoit pris sa résolution ; qu’elle luy conseilloit de ne plus perdre tant de temps à venir chez elle ; & qu’un aussi honneste Homme que luy, pouvoit mieux l’employer auprés d’une autre, qui auroit peut-estre plus de disposition à reconnoistre l’honneur qu’il luy vouloit faire. Vous pouvez penser que ces raisons ne firent pas grande impression sur l’esprit d’un Homme aussi amoureux qu’Alcidon. Aussi eut-il toûjours le mesme empressement de la voir. Le discours qu’elle luy avoit tenu ne servit qu’à luy faire examiner davantage toutes ses actions, & il creut remarquer qu’elle avoit beaucoup plus d’inclination pour Lycidas, que pour tous ceux qui la recherchoient depuis long-temps. En effet, il ne se trompoit pas. Sa bonne mine avoit tellement touché le cœur de la Veuve, qu’elle luy avoit déja fait parler de Mariage, par une Amie qui facilitoit le commerce qu’ils avoient ensemble ; mais il luy avoit fait dire qu’il avoit alors des raisons qui l’empeschoient de devenir le plus heureux Homme du monde, en possedant celle qu’il aimoit plus que sa vie. Cela ne fit qu’augmenter l’Amour de la Veuve, & un jour qu’elle luy parla elle mesme sur cette matiere, croyant ne pouvoir estre entenduë de personne, Alcidon qui estoit dans l’Antichambre, & qui par quelques mots de leur conversation, devina à peu prés ce que c’estoit, entra brusquement dans le lieu où ils estoient, & reprocha à Cloris l’injustice qu’elle luy faisoit de luy préferer un nouveau venu, un Homme qu’elle ne connoissoit pas, dont elle ignoroit & les biens & la naissance, & il dit mesme quelques paroles un peu fascheuses à Lycidas, qui n’estant pas accoûtumé à rien souffrir, luy répondit aussi un peu aigrement. Ils alloient s’échauffer, & ils se feroient dit peut estre quelque chose de plus choquant, sans une Dame de consideration qui arriva assez à propos. Cette Dame ayant fait changer le discours, Alcidon sortit un peu aprés avec le ressentiment d’avoir appris que son Rival luy estoit préferé. Il se promena quelque temps autour de la Maison de Cloris, comme pour songer à ce qu’il avoit à faire, & lors qu’il vit sortir Lycidas, il courut droit à luy, & mettant l’épée à la main. Tu as eu, luy dit-il, trop de facilité à gagner le cœur de ta Maistresse, tu ne l’estimeras pas assez s’il ne t’en coûte quelques gouttes de sang, puis qu’il ne t’en a point coûté de larmes. Lycidas se vit obligé de se défendre, & on ne put les separer si tost, qu’Alcidon n’eust déja receu deux coups d’épée, dont l’on crut alors l’un qui estoit au costé assez dangereux, Lycidas prevoyant que ce combat luy alloit attirer de fâcheuses affaires, dans une Ville dont les principaux estoient tous proches parens d’Alcidon crut qu’il estoit à propos d’en sortir. Il monta à Cheval, aprés avoir écrit un Billet à Cloris dans lequel il s’excusoit de ce qui s’étoit passé, sur la necessité de se défendre contre un Homme qui estoit venu l’attaquer en furieux, & la prioit de se souvenir de luy, l’asseurant qu’il n’aimeroit jamais personne qu’elle. Il se retira à la Campagne chez un de ses Amis, par le moyen duquel il sceut tout ce qui se passoit à la Ville. Dés le lendemain il donna de ses nouvelles à sa Veuve, qui avoit passé une tres-méchante nuit ; car elle apprehendoit que l’affaire qui estoit arrivée éloignant d’elle son cher Amant, il ne vint à l’oublier, sa Lettre la remit un peu. Elle luy fit aussi-tost réponse, & luy apprit que les blessures d’Alcidon n’estoient pas mortelles, mais qu’il se tinst toûjours caché, parce qu’on faisoit des poursuites contre luy, & qu’encore que son affaire ne fust pas fort criminelle de s’estre défendu contre un Homme qui estoit venu l’attaquer ; neanmoins comme les parens de son Rival estoient ses Juges, ils luy auroient fait garder long-temps la Prison. Pendant leur commerce, lors qu’Alcidon estoit encore au lit, le Frere de Cloris, qui comme j’ay déja dit, estoit son intime Amy, alla la trouver, & aprés luy avoir reproché sa conduite, & le peu d’honneur qu’elle avoit de s’attacher à un Homme qu’elle ne connoissoit pas, il finit en luy disant qu’il ne la reverroit jamais, si elle ne luy promettoit d’oublier Lycidas, & d’épouser Alcidon si-tost qu’il seroit guery. Ces menaces l’allarmérent un peu ; mais comme elle croyoit estre Maistresse d’elle mesme, elle résolut d’écouter toûjours les mouvemens de son cœur. On travailloit cependant au procez de l’Amant absent, & elle apprehendoit plus de le perdre par ce moyen, que par aucun autre ; car le bruit couroit qu’on le banniroit à jamais de la Ville. La crainte qu’elle en eut, & les pressantes sollicitations de ses Amies qui la prioient de promettre d’épouser Alcidon, en luy disant que le temps pourroit apporter du changement à ses affaires, jointes à la passion qu’elle avoit de revoir ce qu’elle aimoit le plus au monde, fut cause qu’elle promit tout ce qu’on voulut, mais sans dessein de tenir parole, à condition qu’on feroit cesser toutes sortes de poursuites contre Lycidas, & qu’on le raccommoderoit avec Alcidon. Quand ce malheureux Amant eut appris ce qui avoit esté arresté, quoy qu’il eust des raisons secrettes, & qu’on apprendra dans la suite, de n’être pas tant allarmé de la voir la Femme d’un autre, il ne laissa pas de faire mille plaintes contre elle ; car il ignoroit ses veritables desseins, il l’accusa d’infidelité & d’inconstance, & quoy que peu aprés elle luy mandast que ce qu’elle en avoit fait, estoit afin de terminer le procez qu’il avoit avec Alcidon ; neanmoins il revint à la Ville avec un chagrin qu’il ne put s’empescher de témoigner à Cloris. Aprés s’estre déclaré l’un à l’autre la joye qu’ils avoient de se revoir, elle luy confirma de bouche que la parole qu’elle avoit donnée d’épouser Alcidon, ne luy devoit rien faire apprehender ; qu’il sçavoit ce qu’elle luy avoit proposé plusieurs fois ; qu’il ne tenoit qu’à luy qu’elle ne devinst sa Femme, & que leur Mariage osteroit à son Rival toute sorte d’espérance. Le mot de Mariage allarmoit Lycidas, & Cloris ne pouvoit comprendre pourquoy ; Car enfin, disoit-elle en elle-mesme lors qu’il l’eut quittée, s’il m’aime veritablement comme il me le veut persuader, & comme je n’ay pas de peine à le croire ; Qu’elle difficulté fait, il de m’épouser ? Quelle raison peut-il avoir ? Je risque bien davantage, moy qui ne connoist que sa Personne, & qui en fais choix contre l’avis & le consentement de tous mes proches. Il est vray que je suis maistresse de moy ; mais enfin s’il arrive que je découvre un jour que Lycidas est un Homme qui n’a ny biens ny naissance, avec toute la bonne mine que je luy trouve, quelle confusion auray-je de l’avoir préferé à une Personne dont toutes les qualitez me sont connuës ? Cependant Alcidon guery, la pressoit de s’acquitter de la parole qu’elle luy avoit donnée, & elle trouvoit un grand sujet d’embarras entre un Amant dont elle estoit aimée ; mais qu’elle n’aimoit point, qui la sollicitoit de l’épouser, & un autre qu’elle aimoit & dont elle estoit aimée, qui refusoit d’estre son Mary, sans luy en donner aucune bonne raison ; Enfin se trouvant persecutée par Alcidon, par ses Parens & par ses Amies, & voyant que Lycidas refusoit de faire ce quelle souhaitoit, elle prit résolution de prendre le party qu’elle auroit le moins souhaité, qui estoit d’épouser celuy qu’elle n’aimoit pas ; le Contract fut dressé, les Articles signez, les habits de Nopces faits, le jour pris pour la cérémonie. Lycidas se voyant alors si prés de perdre pour jamais celle qu’il aimoit avec tant de passion, se résolut à faire ce qu’il n’auroit jamais osé penser. Il alla trouver Cloris, & aprés luy avoir reproché l’empressement qu’elle avoit de se jetter entre les bras d’un autre, il luy dit que si elle estoit toûjours la mesme, il estoit dans le dessein de faire tout ce qu’elle voudroit. Ces paroles la comblérent de joye, & quoy que l’engagement qu’elle avoit avec Alcidon fust si considérable, elle ne fut pas un moment à balancer de le rompre, la difficulté estoit d’en trouver les moyens. Ils résolurent qu’elle feroit quelque temps la malade, & que cependant ils verroient quelles mesures ils auroient à prendre. Alcidon attribua ce retardement à une veritable indisposition. Il ne crut pas qu’en estant venus si avant, elle eust voulu se dédire. Il continua ses assiduitez auprés d’elle, mais comme elle s’en trouvoit embarrassée, parce que cela empeschoit Lycidas de venir la voir, elle prit le party de se retirer à la Campagne, sous prétexte d’aller prendre l’air. Lycidas alla la trouver accompagné d’une Amie de Cloris, & là ils s’épousérent sans aucune cerémonie. Alcidon en ayant appris la nouvelle, s’emporta beaucoup au commencement contr’eux. Il eut plusieurs fois la pensée de s’aller battre encore une fois contre Lycidas ; mais estant revenu de son premier emportement, ses Amis luy firent comprendre qu’il n’auroit jamais eu aucune satisfaction d’épouser une Femme qui avoit disposé de son cœur en faveur d’un autre. Sa colere diminua peu à peu, & comme il n’estoit pas témoin de leur prétendu bonheur, il luy fut plus facile de se consoler. Il en eut un plus grand sujet cinq ou six jours aprés, lors qu’il apprit que Cloris avoit fait arrester Lycidas prisonnier, qui l’ayant recherchée depuis tant de temps, & ayant toûjours passé pour un Homme, avoit esté enfin contrainte de luy avoüer que ce n’étoit qu’une fille qu’elle avoit épousée. Elle luy dit que dés la premiere fois qu’elle la vit à cette Assemblée, dont nous avons parlé ; elle devint éperduëment amoureuse de ses belles qualitez, sans songer où cette passion la devoit porter ; que la seule crainte qu’elle avoit euë de la voir la Femme d’un autre, l’avoit fait résoudre de se marier avec elle, pour se conserver l’amitié qu’elle luy portoit, & qu’un Mary luy auroit apparemment fait perdre. Cloris que ces raisons ne pouvoient satisfaire, la remit entre les mains de la Justice ; & on attend avec impatience ce qu’elle ordonnera pour un tel crime. Cependant elle s’est retirée dans un Convent, où selon toutes les apparences elle doit demeurer le reste de ses jours, aprés un accident pareil à celuy qui luy est arrivé.

Traduction de l’Ode d’Horace qui commence par Audivere, Lyce, Dii mea vota §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 216-218

TRADUCTION
DE L’ODE D’HORACE
Qui commence par
Audivere, Lyce, Dij mea vota.

 Enfin mes vœux sont exaucez,
 Je suis vangé de toy, Sylvie ;
Te voila vieille enfin tes beaux jours sont passez,
Et cependant tu ris, & tu fais la jolie.
***
 En vain d’une tremblante voix
Tu tentes Cupidon, qui fait la sourde oreille ;
 Il a de plus charmans emplois
 Auprés d’une jeune Merveille.
***
Ce petit Importun hait fort les vieilles Gens,
 Il a peur d’un visage pâle,
 Et ce petit Fripon détale
Dés qu’il voit tes cheveux, tes rides & tes dents.
***
Le Rouge dont tu peins tous les jours ton visage.
 Tes beaux Habits, tes Bijoux, tes brillans,
  Ne te rendront pas le bel âge ;
 Ils ne sçauroient rappeler ton Printemps.
***
Qu’est devenu ce teint & cet air de jeunesse,
Et Sylvie autrefois plus belle que le jour,
 Celle pour qui j’avois tant de tendresse,
Cette Sylvie enfin qui respiroit l’amour ?
***
L’Amour a retiré ses traits & son Flambeau,
 Et l’on verra sans trop attendre,
Ton visage autrefois si charmant & si beau
 Tout couvert de crasse & de cendre.

Lors que l’Académie Françoise preposa pour sujet du dernier Prix de Vers, les grandes Choses que le Roy a faites en faveur de la Religion Catholique, le Berger du Village de Mont-Jallon y travailla, & n’eut pas le temps de mettre la derniere main ses Vers, parce que des affaires importantes attirérent tous ses soins ailleurs. Neanmoins comme il se fait un plaisir de donner des loüanges à son Prince, dés qu’il a eu un peu plus de loisir, il a mis la Piéce en l’état où je vous l’envoye.

Aux Poetes qui ont remporté le dernier Prix de Vers de l’Académie Françoise §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 219-226

AUX POETES
QUI ONT REMPORTÉ LE DERNIER
PRIX DE VERS
DE L’ACADEMIE FRANÇOISE.

Nourrissons des Neuf-Sœurs, tout couverts de la gloire
Qu’à jamais vous aquiert vostre illustre Victoire,
Permettez que ma voix se mesle à ces Concerts
Dont par vous aujourd’huy retentissent les airs.
LOUIS, plein du beau feu qu’une Foy vive inspire,
Terrasse l’Herésie en ce fameux Empire.
En effet, de ce Roy les Foudres élancez
Font voir en plusieurs Lieux des Temples renversez ;
Et ces Foudres tournant vers tous les Herétiques,
Causent, pour leur salut, leurs disgraces publiques.
Lors que LOUIS les livre au Destin malheureux,
Il les chériroit moins, s’il faisoit moins contre eux.
Ce favorable Autheur de leur douleur commune,
Qui ne leur permet point d’encenser la Fortune,
D’ailleurs leur tend les bras, au moment qu’il leur nuit.
Par son ordre on confére, on dispute, on instruit ;
Et ceux de qui les yeux s’ouvrent à la lumiere,
Reçoivent ses faveurs en plus d’une maniere.
Il leur donne des Biens, & leur bonheur est tel,
Qu’ils ont outre ces Biens part au Bien Eternel.
Sur les Bords de la Seine ainsi LOUIS s’applique
A dissiper l’Erreur, à domter l’Herétique.
Mais de peur que cette Hydre & ce Monstre odieux,
Que l’Erreur quelque jour ne renaisse en ces Lieux,
Son zéle écarte encor ces nouvelles Cabales
Dont les Livres adroits sont de charmans Dédalles,
Qui pour mieux décevoir ont par tout des douceurs,
Et qui cachent toûjours du venin sous des fleurs.
Enfin de ce grand Roy la main toute-puissante
Fait que dans nos Climats la Croix est triomphante,
Et qu’il n’est plus permis aux naissantes Erreurs
D’habiter parmy nous, d’y forger nos malheurs.
Comme si l’Achéron eust déchaîné sur terre
Ses Filles pour porter le Flambeau de la Guerre,
Les Sectes des Errans semoient jadis l’effroy,
La France en pâlissoit ; mais, grace à nostre Roy,
On ne craint plus les maux qu’ont enduré nos Peres.
Verra-t-on la Discorde, aux cheveux de Vipéres.
S’unir à l’Herésie, en emprunter la voix ?
Tout est calme, & l’on met l’Herésie aux abois.
LOUIS, comme un Soleil, dont l’aimable influence
Procure un calme saint à la Nef de la France,
Dissipe de l’Erreur la nuit & les Broüillards,
Et répand la lumiere où tombent ses regards.
Nous, qui sommes témoins de ces hautes merveilles,
N’avons rien de plus doux pour charmer nos oreilles.
Mais dans nos entretiens tairons-nous que LOUIS,
Depuis le temps heureux qu’il gouverne les Lys,
Redresse en nous les mœurs, non moins que la Doctrine ?
Comme Fils de l’Eglise, avec elle il fulmine
Par de severes Loix contre le Libertin,
Le Brigand, le Jureur, l’Athée, & l’Assassin.
Le Roy parle ; à l’instant des cœurs chargez de crimes
Deviennent pour le Ciel d’innocentes Victimes.
La voix de ce Monarque arreste tous les coups
Qu’un Dieu vangeur peut-estre auroit lancez sur nous.
Sans peine on obeït à LOUIS, à l’Eglise ;
La Vertu dans ce Roy sur le Trône est assise.
Mortels, qui loin de nous habitez l’Univers,
Et qui loüez ce Prince en langages divers,
Sans rien dire de trop, qui de vous ne peut dire :
Ce Roy ne borne point son zéle en son Empire,
Sous des Cieux Etrangers il n’en montre pas moins ?
Peuples, bien mieux que nous vous en estes témoins.
Par son ordre en tout temps de l’un à l’autre Pole,
Mille Atlétes sacrez, armez de leur parole,
Vont combatre pour CHRIST, & domter les Enfers.
La hauteur des Rochers, ny la vague des Mers,
Ne sont point un obstacle à l’ardeur de leur zéle.
Donner la vie à l’ame, éclairer l’Infidelle,
Et le soustraire au joug de l’Ange ténébreux,
C’est par tout ce qui sert de matiere à leurs feux,
Ainsi donc dans la France, & hors de son enceinte,
LOUIS fait triompher la Croix, cette Arche sainte.
Tout rit à ce Héros, lors que plusieurs Mortels
N’ont d’Encens que pour Dieu, que pour Dieu des Autels.
Jadis un de nos Roys, au péril de sa teste,
De la Sainte Contrée entreprit la Conqueste.
Une nombreuse Armée en ce lieu le suivit,
Le Nil en la voyant se troubla dans son Lit.
Le Sultan fut vaincu ; mais ce Roy plein de gloire
Ne pût que peu de temps survivre à sa Victoire.
On vit se relever le Sultan abatu ;
Sans prendre des Chrétiens les mœurs ny la vertu.
Il estoit reservé par la Bonté divine,
Aux Barbares Païs, où nostre Roy domine,
De subir saintement le joug du Roy des Roys,
D’arborer sur leurs Bords l’Etendart de la Croix,
Et d’y voir qu’un Héros que tout craint sur la terre,
Mesme contre l’Enfer fait faire encor la guerre.

Prière pour le Roy §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 226

PRIERE POUR LE ROY.

 Seigneur, sans cesse sur LOUIS
 A pleines mains verse tes graces ;
 Tu sçais qu’en l’Empire des Lys
Aux aveugles Errans il découvre tes traces.
 Fais que cet Astre radieux
N’achéve de long-temps son illustre Carriere,
Puis qu’en la fournissant, ses rayons de lumiere
Eclairent les Mortels, & leur montrent les Cieux.

Anagramme. Sonnet §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 226-229

Voicy une Anagramme faite par Mr l’Abbé Galaix, de S. Pierre-le-Monstier en Nivernois, dans le temps qu’on assiégeoit Luxembourg. Le Sonnet qui l’explique est aussi de luy. Il a changé la lettre x qui est dans ce mot, Luxembourg, en ces deux lettres c s, qui font la mesme prononciation.

ANAGRAMME.
LOUIS DE BOURBON, SURNOMMÉ LE GRAND, ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE.
TONNERA D’ABORD, REDUIRA, FERA RENDRE LUCSEMBOURG EN UN MOIS.
SONNET.

Que d’un Hyver fâcheux les plus rigoureux jours
Arrestent les Torrens, & blanchissent la Plaine,
Ou que des doux Zéphirs on ressente l’haleine,
Les Lauriers du Printemps te couronnent toûjours.
***
En quelque endroit, LOUIS, que le Destin te mene,
De tes fameux Exploits rien n’arreste le cours ;
Et le Dieu des Combats volant à ton secours,
Te rend dans tous les temps la Victoire certaine.
***
Tu moissonnes si-tost que ta main a semé,
Tu triomphes si-tost que ton Bras s’est armé,
Et l’Oracle en ces mots vient de se faire entendre.
***
Par des Foudres d’airain LOUIS dicte ses Loix ;
Bien-tost iltonnera d’abord, ilfera rendre,
Etreduiradans peuLucsembourg en un mois.

Portrait §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 229-231

PORTRAIT.

 Croyez, sans craindre de faire
 Un Jugement teméraire,
Que je ne vous diray que des choses de fait.
  Pour donc de mon Portrait
 Commencer l’image agreable,
  J’ay beaucoup d’enjoûment,
Et dans ce que je fais je mesle un agrément
  Qui me rend fort aimable.
***
J’ay l’esprit vif, brillant, joly,
Qui cependant n’ôte rien du solide ;
 J’ay le langage si poly,
Que je passe déja pour modelle & pour guide ;
M’estant fort appliquée à lire les Romans,
J’ay tiré par bonheur de ces bonnes lectures
 L’Art d’inventer à tous momens
 Mille Contes, mille Avantures.
***
Je cherche à m’en faire conter ;
Mais toute ma galanterie
Ne va qu’à la badinerie,
Mon dessein n’est que d’écouter.
Ainsi mon humeur est coquette,
Et ma conduite ne l’est pas ;
 En aimant la fleurette,
J’en sçais éviter l’embarras.
***
 Chez moy le fard n’est point d’usage,
  Car, grace au Ciel,
 L’éclat de mon visage
 Est un Vermeillon naturel.
J’ay le front gros, qui porte en guise de Moutonne
 Des cheveux blonds frisez sans art,
 Mon nez n’est ny long, ny camard,
Mes yeux sont assez vifs pour n’épargner personne,
Et seroient beaux s’ils estoient moins petits ;
 J’ay la bouche fort belle
Lors que je ne ris pas, fort grande quand je ris,
 Et je ris, par malheur pour elle,
 D’un rien, & d’une bagatelle.
***
J’ay le teint vif, délicat, éclatant,
La gorge bien garnie, & la main potelée,
Ma taille est fort petite, & j’en suis consolée,
Elle est sine, & le reste est assez ragoustant.
***
Ceux qui liront ces Vers, seront ravis peut-estre
 De pouvoir aisément connoistre
 Si je ne leur impose rien ;
 Qu’ils s’informent, je le veux bien,
 Si j’ay ce prétendu mérite ;
Et pour marquer que j’aime ce party,
Qu’ils apprennent mon nom ; pour estre un peu petite,
On m’a donné celuy deRat-Genty.

Reponse à la Quatrieme Question du XXVIII. Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 232-236

REPONSE
A LA QUATRIÉME QUESTION
DU XXVIII. EXTRAORDINAIRE.

Un Homme en mourant a deux amis auprés de luy. Il en fait retirer un, parce que sa présence l’afflige ; & fait demeurer l’autre, parce que sa présence le console. On demande lequel il aime davantage.

Il faut ou tost ou tard, sur la terre & sur l’onde,
Eprouver ce que peut & l’Amour & la Mort,
 Ces deux puissans Maistres du Monde,
Dont le Régne par tout est également fort.
***
L’Amour avoit uny le gendreux Sylvandre
 Avec Lycidas & Damon ;
 Mais d’une si forte union,
Qu’il ne s’en trouve plus de mesme & de si tendre.
Tous deux vivoient en luy, comme Sylvandre en eux,
Leurs cœurs n’estoient touchez que d’une mesme envie,
 Ils menoient une mesme vie ;
Enfin l’Amour jamais n’a fait de plus beaux nœuds.
***
Mais cet épouvantail de toute la Nature,
La Mort, ce Trouble-Feste, & qui cherchant pasture,
Comme il luy plaist veut entrer en tous lieux ;
 Exterminant Jeunes & Vieux ;
 Cette celébre Larronnesse,
 Ce Monstre par tout devorant,
Qu’aux jours d’aucun Mortel la pitié n’intéresse,
Prend au collet Sylvandre, & le voile mourant.
***
Damon & Lycidas luy font bien voir leur zéle,
Comme son mal leur cause une douleur mortelle,
 Que de soins pour luy chacun rend !
Que de compassion pour cet Amy souffrant !
***
Retirez-vous, Damon, je suis dans ma soufrance,
 Affligé de vostre présence.
Dit le pauvre Malade, & vous me desolez
Avec tous vos soûpirs, vos plaintes & vos larmes,
 Qui sont pour moy de foibles armes.
Demeurez, Lycidas, car vous me consolez,
Luy dit ce cher Mourant, je vay perdre la vie,
De bien plus de malheurs que de bonheur suivie,
Puis que c’est par la mort qu’on les peut éviter,
Je veux donc bien mourir, pour ne rien redouter ;
 Inspirez-en-moy le courage,
 Cher Amy, ne me quitez pas.
 On peut demander en ce cas
 Lequel il aime davantage
 De Lycidas ou de Damon ;
 Je réponds à la Question.
***
 Sylvandre a beaucoup de tendresse
 Pour celuy qu’il fait retirer,
 Et qu’il ne peut voir soûpirer.
 Il est bien vray, mais la sagesse
 Qu’un Moribond peut desirer
 En celuy qu’il fait demeurer,
 Montre en mesme temps qu’il estime
Cet Amy plus que l’autre, & qu’il sçait la maxime,
Que si pour faire entrer au Monde nostre corps
 Il est besoin de Sage Femme,
 Il faut pour en sortir dehors
 Un plus sage Homme pour nostre ame.
***
 Si donc l’Amour est bien plus grand,
Hondé sur la vertu que sur toute autre chose,
 Disons qu’en Sylvandre mourant,
 Son amitié que l’on propose,
 Pour le consolant Lycidas
 Est plus grande qu’elle n’est pas
 Pour Damon, Amy le plus tendre ;
C’est-là mon sentiment que l’on pourroit défendre.

Gyges, du Havre.

Plaisirs d’un Amant. Sonnet §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 236-237

PLAISIRS D’UN AMANT.
SONNET.

Se broüiller quelquefois avec l’Objet qu’on aime,
Et se raccommoder dans le mesme moment,
Feindre de temps en temps un soudain changement,
Et dans le fonds du cœur estre toûjours le mesme.
***
Emprunter de Bacchus la puissance supréme,
Paroistre aux yeux de tous un infidelle Amant,
Affecter au dehors un autre engagement,
Et garder au dedans une tendresse extréme.
***
Passer des jours entiers sans visiter Cloris,
Luy celer le beau feu dont on se sent épris,
La regarder souvent avec indiférence,
***
S’appliquer tout entier à tromper les Jaloux,
Instruire par autruy Cloris de sa soufrance,
Ce sont-la de l’amour les plaisirs les plus doux.

Pour le Roy. Sonnet §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 237-238

POUR LE ROY.
SONNET.

Chérir la Paix, les Arts, la Justice & la Gloire,
Estre Pere du Peuple, estre Arbitre, estre Roy,
A tous ses Ennemis sçavoir donner la loy,
Et sur ses passions remporter la victoire.
***
Grand Prince, ce sont-là les traits de ton Histoire,
Ces merveilles un jour surpasseront la foy,
Au seul Nom de LOUIS l’Aigle tremble d’effroy,
Et l’on voit le Lion en craindre la mémoire.
***
Tu sçais récompenser le mérite achevé,
Abatre le Duel & le Schisme élevé ;
L’Herésie à tes yeux n’a plus l’air intrépide.
***
Ce Culte qu’on rendoit à de faux Immortels,
Au redoutable Mars à l’invincible Alcide,
Est rendu par tes soins au Dieu de nos Autels.

L’Anonimi

Sur ce qu’on avoit promis promis pour Prix le Portrait du Roy à celuy qui rempliroit le mieux ces Bouts-rimez §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 239-240

SUR CE QU’ON AVOIT
promis pour Prix le Portrait du Roy à celuy qui rempliroit le mieux ces Bouts-rimez.

Non, je n’entreprens point de rimer pour la gloire,
Gagne qui le pourra le Portraït de mon Roy.
D’un Héros qui soûmet l’Univers à sa loy
Il faut une autre voix pour chanter la Victoire.
***
Nos Neveux étonnez d’une si belle Histoire,
A ses Faits inoüis n’ajoûteront point foy,
Le seul bruit de son Nom fait tout trembler d’effroy,
Et des Héros passez efface la mémoire.
***
Je n’en ferois jamais un Eloge achevé,
Je l’éleverois moins qu’il ne s’est élevé.
Qui peut assez vanter ce Héros intrépide ?
***
Que quelque autre le mette au rang des Immortels ;
Tandis qu’il le fera plus brave qu’un Alcide,
Je vais à ma Philis élever des Autels.

Epitaphe d’un Perroquet §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 240-241

EPITAPHE D’UN PERROQUET.

Cy gist un fort beau Perroquet,
D’une gravité sans seconde ;
Il n’avoit point ce sot caquet
Qui ne fait qu’étourdir le monde.
Il parloit agréablement,
On prenoit plaisir à l’entendre ;
Et ce qu’on ne sçauroit comprendre,
C’est qu’il retenoit aisément
Tout ce qu’on luy vouloit apprendre,
Il ne luy faloit qu’un moment.
Il n’estoit point de tours d’adresse
Qu’on ne luy vist faire sans cesse ;
Souvent ce beau petit Mignon
Entroit en conversation,
Et parloit de tout à merveille ;
Mais dés qu’il voyoit la Bouteille,
Il ne vouloit plus tant jaser.
Tost, tost, disoit-il, que j’en gouste.
On ne pouvoit le refuser,
Et le Drôle à tremper la crouste
Prenoit plaisir à s’amuser.
Quand il en avoit dans le casque,
Il reprenoit son ton plus haut ;
Il jouoit du Tambour de Basque,
Et s’en acquitoit comme il faut.
Aux Belles il contoit fleurette,
Et leur disoit la Chansonnette
Sans prendre jamais un ton faux.
S’il entendoit la Symphonie,
Il soûtenoit bien sa Partie
Avec les Instrumens d’accord.
Mais ce n’est point là, quoy qu’on die,
Les plus beaux endroits de son sort.
Philis le chérissoit si fort,
Que je n’aurois point d’autre envie
Que de me voir apres sa mort
Ce qu’il estoit pendant sa vie.

Diereville.

Songe d’Ariste à Philemon §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 242-254

SONGE D’ARISTE.
A PHILEMON.
Sur le Projet de la Médaille de
BEL ESPRIT.

Je ne me souviens point Philemon, d’avoir fait de Songe plus agréable, que celuy que je fis l’année derniere à .… Maison de Plaisance de Mr le Duc de .… éloignée de Paris de cinq lieuës. Le recit en a paru si nouveau & si singulier, que je me suis trouvé engagé d’en faire plusieurs Copies, pour satisfaire les Dames sçavantes que vous connoissez.

La Saison ne pouvoit estre alors plus agréable pour passer quelque temps à la Campagne, ny le lieu où je me trouvois plus délicieux pour en joüir. La Maison de ce Duc est bastie sur une éminence. Il y a des Jardins, des Bois, des Plaines & des Colines, & cette sorte de décoration ne peut estre plus belle, parce qu’elle ne peut estre plus diversifiée. Elle presente tantost toutes ces choses ensemble à la veuë, & tantost en particulier, & avec tant de plaisir, que la veuë mesme en demeure quelquefois confuse, ne sçachant de quelle maniere elle doit se divertir le plus. Entre les beautez de cette Maison, on compte de tres-grandes décentes d’escalier, ornées de balustres, qui se détachant majestueusement de ce Bâtiment superbe, par un double rang, décendent par une grande longueur de chemin, presque jusqu’au bord de la Seine, qui en serpentant doucement, s’écoule dans la Plaine, & par une fuite assez lente, & par plusieurs détours va agréablement chercher son lit. Comme il y a plusieurs terrasses les unes sur les autres, les veuës y sont si belles & si étenduës, que plusieurs fois elles sont au delà de la portée de la veuë même & les dernieres semblent toûjours estre plus agreables & plus charmantes que les premieres. C’est dans ce sejour enchanté que j’ay fait le Songe dont vous allez lire le recit.

Je m’imaginay entendre plusieurs Sçavans qui disputoient ensemble sur la connoissance des veritables beautez de la Tragedie. On disoit que ce n’estoit pas assez que la Tragédie se servist des avantures les plus touchantes, & les plus terribles que l’Histoire peut fournir, pour exciter dans le cœur les mouvemens qu’elle prétend, afin de guerir l’esprit des vaines frayeurs, qui sont capables de le troubler, & des sottes compassions qui le peuvent amolir. Il faut encore, disoit on, que le Poëte mette en usage ces grands objets de terreur & de pitié, comme les deux plus puissans ressorts qu’ait l’Art, pour produire le plaisir que peut donner la Tragedie, & ce plaisir qui est proprement celuy de l’esprit, consiste dans l’agitation de l’ame émeuë par les passions. La Tragédie ne devient agréable au Spectateur, que parce qu’il devient luy-mesme sensible à tout ce qu’on luy représente ; qu’il entre dans tous les differens sentimens des Acteurs ; qu’il s’interesse dans leurs avantures ; qu’il craint & qu’il espére ; qu’il s’afflige, & qu’il se réjoüit avec eux. Le Theatre est froid & languissant dés qu’il cesse de produire ces mouvemens dans l’ame des Spectateurs ; mais comme de toutes les passions la crainte & la pitié sont celles qui font de plus grandes impressions sur le cœur de l’Homme, par la disposition naturelle qu’il a à s’épouvanter & à s’attendrir, Aristote les a choisies entre les autres pour toucher davantage les esprits, par ces sentimens tendres qu’elles causent quand le cœur s’en laisse penétrer. En effet, dés que l’ame est ébranlée par des mouvemens si naturels & si humains, toutes les impressions qu’elle ressent luy deviennent agréables. Son trouble luy plaist, & ce qu’elle ressent d’émotion, est pour elle une espéce de charme qui la jette dans une douce & profonde réverie, & qui la fait entrer insensiblement dans tous les intérests qui joüent sur le Theatre. C’est alors que le cœur s’abandonne à tous les objets qu’on luy propose, que toutes les Images le frappent, qu’il épouse tous les sentimens de tous ceux qui-parlent, & qu’il devient susceptible de toutes les passions qu’on luy montre, parce qu’il est émeu, & c’est dans cette émotion que consiste tout le plaisir qu’on est capable de recevoir en voyant représenter une Tragédie ; car l’esprit de l’Homme se plaist aux mouvemens differens que luy causent les differens objets, & les diverses passions qu’on luy expose. C’est par cét Art admirable que L’Oedipe de Sophocle (dont Aristote parle toûjours comme du modelle le plus achevé de la Tragedie) faisoit de si grands effets sur le Peuple d’Athénes lors qu’on le représentoit, & ce n’est pas sans raison que.… Ces régles & ces remarques sont fort justes, interrompit quelqu’un de la Compagnie, & l’exemple d’Oedipe est tout à fait beau ; mais tout le Monde ne peut pas porter la gloire de la composition aussi haut que les illustres Corneilles & Racine. Il est quantité de jeunes Autheurs & de Plumes naissantes, qui n’aspirent pas à la gloire de Virgile ny d’Horace ; mais cependant chacun d’eux a son talent different, & son merite particulier, & quoy que plusieurs Personnes n’ayent pas l’esprit tout à fait sublime, ny du premier ordre, ils ne laissent pas de prétendre aux honneurs du Parnasse à proportion de ce qu’on les estime. On dit à ce sujet que quelques Académies d’Italie ont étably un Ordre, qui est une certaine marque d’honneur qu’on appelle Médaille de Bel Esprit. Elle est d’or. Il y a d’un costé le Portrait du Prince, & de l’autre la Devise de l’Académie de la Ville. On la donne, ou l’on permet d’en acheter à ceux, qui de temps en temps ont fait part au Public de quelques Ouvrages en Vers ou en Prose ; les Dames mesme n’en sont point excluës. On porte cette Médaille avec un Cordon bleu passé en Baudrier entre le Juste-au-corps & la Veste, & ceux qui ont moins de vanité la portent seulement attachée à une boutonniere du Juste-au-corps, & les Dames à l’endroit où elles mettent ordinairement la Croix de Diamants. On la reçoit des mains du Protecteur de l’Académie, avec les Lettres Patentes qui donnent permission de la porter publiquement.

Cette Médaille a de grands priviléges d’honneur. Elle sert de passe-port pour l’entrée libre dans toutes les Maisons des Princes aux cerémonies, & aux festes publiques. On doit remarquer qu’il faut que les ajustemens des habits soient d’une telle propreté ou régularité, qu’ils ne fassent point de tort aux Chevaliers du Mont Parnasse ; car nous sommes dans un Siecle où les Sçavans qui paroissent indigens, n’ont pas un accez fort facile dans la Maison des Princes.

Cette marque d’honneur n’est point heréditaire, & ne peut servir qu’à celuy qui a merité de la porter pendant sa vie. Par la suite des temps, on peut avoir place dans l’Académie, & l’on est choisi sans qu’il soit nécessaire de briguer, ny de s’expliquer sur ce dessein. On ne connoist la pluspart des Autheurs que de nom & par leurs Ouvrages, & leur visage est souvent inconnu ; mais cette glorieuse marque de distinction les fait reconnoistre de tout le monde, envier de quelques-uns, & estimer des autres. Cela sert d’émulation à plusieurs pour meriter cette récompense de merite. Il seroit à souhaiter, reprit un autre, que cette glorieuse Institution passast jusqu’en France. On ne prétendroit pas tourner la chose en artifice, pour usurper le droit que plusieurs Personnes ont de porter des marques de leur qualité, & les Médailles de Bel Esprit seroient formées de telle maniere, qu’elles seroient aisément reconnuës de tout le Monde pour ce qu’on prétendroit seulement qu’elles signifiassent.

Chacun parut approuver ce dessein, & délibera de la maniere de dresser un élegant Placet pour présenter au Roy.

Une Etoile brillante, qui porta sa lumiere sur mes yeux, m’éveilla dans ce moment, & depuis j’ay conté mon Songe à bien des Gens qui ne desesperent pas de la réüssite du projet, pourveu que les beaux Esprits qui sont en faveur, y prennent part. En effet, Philemon, l’expérience fait voir que les choses qui flattent l’amour propre & la vanité, s’introduisent aisément.

C. D. S.

Lettre du Berger Fleuriste à la belle curieuse des Ambars, sur la Pierre Philosophale §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 279-302

LETTRE
DU BERGER FLEURISTE
A LA BELLE CURIEUSE
DES AMBARS,
Sur la Pierre Philosophale.

Quoy, Madame, vous m’ordonnez de vous apprendre ce que je pense de la Pierre Philosophale ; & c’est sans raillerie que vous vous adressez à moy sur un sujet de cette nature ? En verité je vous trouve admirable de toutes manieres. S’il s’agissoit de vous entretenir de fleurs, ou de vous conter fleurettes, peut-estre m’en acquitterois-je assez bien ; mais comment ferois-je pour vous parler de la multiplication des grains d’Or ou d’Argent, moy qui n’ay jamais vû arriver que de la diminution au bien que mes Parens m’avoient laissé ; & quel commerce peut avoir la science des Parterres & des Galanteries, avec celle des Mines & des Métaux ? Est-ce à cause que l’Or est le Fils du Soleil, comme les Fleurs en sont les Filles, ou que vous croyez qu’un Galant est obligé d’estre universel, & doit discourir de toutes choses ? Il y a trop loin de la surface au fonds, & de la Bagatelle au Secret le plus important du monde. Néanmoins vous commandez ; & il est de mon devoir d’obeïr. Je vais donc satisfaire à vos ordres ; mais je ne réponds pas que ces grands Prometteurs de Monts d’Or, qui ne donnent que de la fumée, soient d’humeur à avoüer les veritez que vous allez lire.

Il y eut anciennement en Egypte un fameux Monarque appellé Hermes, ou Mercure, & surnommé Trismegiste, ou trois fois Grand, à cause qu’il estoit grand Philosophe, grand Pontife, & grand Roy. Les Chercheurs de Pierre Philosophale se sont avisez de publier que c’est le premier Autheur de leur Art ; & pour ne pas laisser cette allegation sans preuve, ils content qu’il eut soin d’en faire graver le Secret sur une Emeraude, qu’on trouva plusieurs siecles aprés sa mort, dans une fosse obscure où il estoit inhumé, à la maniere de son Païs ; que c’est de cette Emeraude qu’ils ont tiré la copie de cet important Secret qu’on voit dans leurs Livres ; & que de ce grand Homme leur est venu le nom qu’ils ont pris de Philosophes Hermetiques.

J’ay lû ce Secret dans l’Hortulain, ou le Jardinier, l’un de ces Philosophes, & il est en beaucoup d’autres ; mais on a beau le lire, on n’en devient pas plus sçavant. Il n’y a que les circonstances d’un fait qui soient apables de nous en instruire, & on n’en voit là aucune. Ce ne sont que des termes genéraux, ausquels on peut donner cent sortes d’explications. Jamais Oracle ne fut si ambigu. Il n’est donc pas à présumer qu’on ait jamais pris la peine de graver sur une Pierre prétieuse, des paroles si vaines, & si inutiles à l’instruction des Hommes ; ny qu’elles soient jamais sorties de la bouche d’un aussi grand Genie que Trismegiste. Elles sont de l’invention de quelque Resveur oisif, pour en amuser d’autres, & pour leur faire perdre encore plus de temps qu’à luy. Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut, dit-il, & ce qui est en haut comme ce qui est en bas. Comme toutes choses sont venues d’un par l’entremise d’un ; ainsi toutes choses sont nées de cette seule chose. Le Soleil en est le pere ; la Lune, la mere ; la Terre, la nourrice ; & le vent l’a porté dans son ventre. Le reste est du mesme stile.

Jugez, Madame, du profit qu’on peut tirer de cette lecture ; & comment on pourroit faire pour changer là dessus les moindres Métaux en Or ou en Argent, suivant l’instruction de ces Philosophes.

L’Ecriture de l’Emeraude est donc un Conte pareil à celuy qu’ils font de la Toison d’Or, qu’ils soûtiennent n’avoir esté autre chose que le mesme Secret écrit sur une peau de Mouton.

Quant au nom d’Hermetiques qu’ils prennent, & qu’ils donnent à leur Philosophie, il ne vient non plus de Trismegiste que de Pharaon. Il leur a esté imposé à cause que la pluspart d’eux travaillent sur le Mercure ; qu’ils disent que les Sages trouvent dans le Mercure tout ce qu’ils cherchent ; & qu’ils ne preschent autre chose que leur Eau séche qui ne moüille point les mains ; c’est à dire, leur Eau Mercurielle ; Mercure en Latin estant la mesme chose qu’Hermes en Grec ou en Egyptien, & que Vif-Argent en François.

Laissant donc à part ces chimeres fondamentales des Hermetiques, je vais vous expliquer sincerement ce que je juge de leur vision flateuse ; de son origine ; & de la maniere dont ils en ont écrit.

Il est naturel de croire avec facilité les choses qu’on desire avec ardeur. Quelques Curieux se mirent autrefois dans l’esprit, que la vertu de se multiplier estoit une vertu commune aux trois Regnes de la Nature ; & qu’elle appartenoit aussi-bien aux Mineraux, qu’aux Animaux & qu’aux Vegetaux ; & mesme que comme elle estoit plus grande dans ces derniers que dans les Animaux, les Poissons peut estre exceptez, elle l’estoit aussi davantage dans les Mineraux que dans les Vegetaux. Ils observoient ensuite que la multiplication des Vegetaux se faisoit de cette maniere ; qu’un grain de Froment, par exemple, estant semé dans une terre feconde, changeoit une partie de cette terre en sa propre substance, je veux dire, en d’autres grains de froment ; en sorte qu’un seul grain produisoit quelquefois jusqu’à vingt Epis, qui portoient chacun soixante grains, ce qui en faisoit douze cens. Puis ils penserent qu’un grain d’Or étant mis dans une matiere métallique, comme dans du Vif-Argent, dans du Plomb, ou dans quelque autre Métal, il pourroit aussi changer une partie de cette matiere en sa propre substance, c’est à dire, en d’autres grains d’Or, avec une multiplication encore plus grande, que celle du grain de Froment. Sur cette imagination ils chercherent dans les Mines & dans les Torrens, de petits morceaux d’Or pur, comme les plus propres à leur dessein, & les ayant fait fondre, ils les jetterent dans du Vif-Argent échauffé, ou dans du plomb fondu, se persuadant que la grande chaleur dont l’un & l’autre Métal estoient animez, produiroit en peu de momens, ce qui n’arrive qu’en beaucoup de mois dans les Vegetaux ; mais ayant reconnu que quelque espace de temps qu’ils laissassent en fusion le grain d’Or dans la matiere métallique, il ne faisoit pas plus d’impression sur elle, qu’une goutte de vin, ou plûtost, qu’une goutte d’huile en fait sur l’eau où elle est mise, ils jugerent alors que la vertu multiplicative des Métaux estoit captive ou endormie dans la dureté de leurs corps, & qu’il falloit trouver un moyen de les ouvrir à fonds pour l’éveiller & pour la faire agir, & là dessus ils eurent recours à tout ce qu’ils s’imaginerent de plus propre pour produire cet effet sur l’Or & sur l’Argent, qu’ils appellent Métaux parfaits, afin de les multiplier ensuite dans les autres, qu’ils nomment Imparfaits.

Si quelqu’un d’eux réüssit dans la recherche de ce moyen, c’est une question bien douteuse. Quoy qu’il en soit, chacun s’est vanté de l’avoir trouvé, & en a écrit comme d’une chose seure ; & ces moyens que chacun a inventez selon l’inspiration de sa raison, font la source & le sujet de tous les Livres des Hermetiques.

Mais comme tous ces Philosophes, depuis le premier jusqu’au dernier, craignirent que s’ils expliquoient trop clairement ces Moyens ou Methodes, ils ne fussent reconnus pour des Fanfarons & pour des Imposteurs, par ceux qui les mettroient en pratique, ils les ont debitez de trois manieres également differentes. L’une, c’est de les avoir rapportez sans circonstances, & en des termes si generaux, qu’on n’en peut recevoir aucune instruction, ainsi qu’a fait leur faux Trismegiste. L’autre, c’est de les avoir expliquez avec des paroles si obscures & si équivoques, qu’on n’est jamais assuré d’avoir penetré leur pensée ; ainsi qu’a fait la Tourbe des Philosophes ; & le dernier, c’est de les avoir accompagnez de tant de répetitions & de tant de particularitez, qu’il est impossible de ne pas manquer à quelqu’une dans l’execution, ainsi qu’a fait Remond-Lulle.

C’est neanmoins par ces trois artifices que leur réputation se maintient. Ils l’acquierent par quelques trompeuses apparences, par quelques tours de main & de souplesse, ou par quelques faux témoignages de gens apostez, dont ils prirent pour duppes les personnes de leur temps, & ils la conservent par la folle créance qu’ont celles du nostre, que le mauvais succès de leurs épreuves vient de leur peu d’intelligence, ou de leur peu d’exactitude, & non pas de ces indignes Maistres dont ils suivent les enseignemens.

L’Esprit de Mensonge annonce quelquefois la verité malgré luy, par une force celeste ; & c’est sans doute par ce mouvement & par cette force, que quelques-uns de ces Hermetiques ont assuré que le Secret de leur Pierre est un Don de Dieu qu’il distribue à qui il luy plaist. Ce qui nous apprend en mesme temps qu’on n’en doit pas attendre la connoissance de la lecture de leurs Livres ; & que c’est temps perdu que de s’y amuser, parce qu’ils ne sont pleins que de leurs imaginations, & n’ont rien de réel & de veritable.

Si quelqu’un d’eux avoit receu ce don de Dieu, il n’en auroit pas abusé ; il en auroit fait part aux autres Hommes d’une maniere obligeante, je veux dire, claire & nette, & n’auroit pas eu la malice de le cacher sous tant d’embarras & d’obscuritez, que sa pratique causast la ruine de mille & mille Familles, comme il est arrivé. La nature du bien est de se communiquer ; & l’on est trop heureux & trop glorieux d’avoir esté le premier Inventeur d’un Secret, pour ne s’en pas faire honneur. Il en auroit du moins usé comme celuy qui a trouvé l’Invention du Fer blanc, lequel aprés en avoir fait toute sa vie, a laissé à sa posterité son Secret avec le soin d’en faire ; ce qui s’execute encore aujourd’huy à l’avantage de toute la Terre.

Ne soyons donc pas si credules, que de nous persuader que tant de Livres que nous avons de la Pierre Philosophale, soient autant d’Enigmes & d’Emblêmes de ce grand Secret. Borel dans sa Bibliotheque Chimique en rapporte deux ou trois mille, imprimez ou manuscrits. Y a-t-il lieu de croire que tant d’Auteurs ayent sceu l’art de faire de l’Or ? Ils en écrivent neanmoins les uns comme les autres ; & l’on ne peut distinguer celuy qui ment le plus, de celuy qui ment le moins, que par la grosseur de leurs Volumes. S’il est veritable qu’un Secret cesse de l’estre, dés que trois personnes en ont la connoissance, il y auroit long-temps que celuy cy seroit divulgué par toute la Terre, si dans ce prodigieux nombre d’Ecrivains, il y en avoit seulement eu trois ou quatre qui l’eussent sceu. Il seroit veritablement aujourd’huy, comme disent la pluspart de ces beaux Messieurs, L’Ouvrage des Femmes, & le Jeu des Enfans ; & quand bien même l’execution en seroit difficile, il faudroit qu’elle le fust beaucoup, si elle n’épargnoit pas aux Espagnols les Voyages des Indes.

Le moyen donc de n’estre pas trompez, c’est de prendre tous ces Livres pour des Romans qui nous flatent du costé de l’Avarice, comme les Romans ordinaires nous chatoüillent du côté de l’Amour. Sans cet attrait du bien, il n’y auroit point de Livres plus au rebut que ceux-là, tant ils sont ridicules dans leurs expressions & dans leurs mysteres. Mon Fils, disent-ils à un Pape, ou à un Empereur, Au nom de la sainte & indivisible Trinité. Enfumez les trois Rois, c’est à dire, nostre Soulphre, nostre Sel, & nostre Mercure. Belle explication qui éclaircit admirablement bien le Texte : Dans un Palais à double muraille, c’est à dire, dans une Phiole ou dans un Fourneau. Beau rapport de l’un à l’autre. Ils déguisent ainsi leurs obscuritez par d’autres, & les choses les moins mysterieuses par de vains mysteres. Quelles extravagances ?

Il auroit esté bien plus à propos & plus à souhaiter, que tous ces Auteurs eussent fait des déclarations intelligibles, exactes & sinceres, des Méthodes qu’ils ont inutilement observées pour parvenir à la multiplication des Métaux parfaits, que de s’en faire à croire, & que de nous abuser. Du moins sçauroit-on les routes qu’il faut éviter ; on en tenteroit de nouvelles ; & les Curieux ne tomberoient pas aujourd’huy dans les fautes que mille autres ont déja faites. Mais il n’y a que de la vanité & de la mauvaise foy parmy les Hommes, ny rien à esperer dans cet Art, à moins que d’estre éclairé par le Pere des lumieres & par le Maistre des Secrets, je veux dire, par le Seigneur.

Si donc, Madame, quelques-uns de vos Amis aspirent à faire cette Pierre, qui n’est pas Pierre, qu’ils s’adressent à Dieu pour en obtenir la connoissance ; qu’ils observent la Nature pour en sçavoir les voyes ; & sur tout, qu’ils prennent garde que leur dépense en cet Ouvrage n’aille pas plus loin par année, que les Aumônes que chacun d’eux est obligé de distribuer, suivant sa condition, aux Pauvres de sa Paroisse. C’est-là la regle des Sages dans une entreprise où l’on ne travaille qu’à l’aveugle ; où il est incertain que Dieu nous fasse la grace de nous laisser réüssir ; & où tant de Curieux se sont abismez, faute de garder de mesure. Par cette conduite les plus Riches peuvent faire plusieurs épreuves à la fois, & les moins Riches se contenter d’une ou de deux.

La pluspart des Hermetiques disent qu’une Once d’Or pur suffit pour la matiere. On en peut sacrifier quatre ou cinq fois autant pour les frais, & c’est plus que la façon ne demande. Je sçay bien que si l’on consulte ces Misérables qui meurent de faim, & qui se vantent pourtant d’avoir le Secret de s’enrichir, & d’enrichir les autres, on fera bien d’autres dépenses, mais il ne faut non plus croire ces ignorans Fanfarons, dont le malheureux état dément si clairement les paroles, que les Romans des Hermetiques, dont les vains mysteres ne cachent que des Fables.

Il y a quelques années qu’un de mes Amis acheta d’un artiste Etranger un Manuscrit Latin de ces Messieurs, qui venoit de Dannemarch, & mesme du Laboratoire du fameux Tico-Brahé, à ce qu’on disoit. Tico-Brahé, Madame, estoit un Prince de ce pays là, qui vivoit en l’autre siecle, & qui ne fut gueres moins attaché à la Chimie, qu’à l’Astrologie, où il excella. Il y avoit dans ce Manuscrit beaucoup de Secrets assez curieux, & un entre autres intitulé, Le Grain Métallique qui croist au centuple. Une partie de ce secret estoit écrite en chiffres, & estoit demeurée inconnuë à l’Artiste. Mon Amy me pria de la déchiffrer, si je pouvois ; je m’en donnay la peine, & j’en vins à bout ; mais temps perdu. Nous connumes que ce Secret ressembloit aux Montres de Geneve & aux Armes de Forest, dont les plus mauvaises sont d’ordinaire les plus embellies. Ce n’estoit qu’un mensonge revétu de mysteres, pour mieux duper les innocens. Ainsi les Hommes se plaisent à exercer leurs malices sur leurs semblables ; & s’il est vray de dire qu’un des grands articles de la Sagesse, soit de ne croire personne, c’est principalement à l’égard de ceux qui nous promettent de nous faire acquerir de grandes richesses en peu de temps par des voyes justes.

Voilà, Madame, ce que je pense de ce Sujet. Si pourtant vous en avez d’autres sentimens ; & que quelqu’un de vos Amis, veüille travailler sur les Memoires du mien, qui est mort, qui passoit pour Sçavant dans l’Art, & qui m’a laissé un écrit de sa main, intitulé, Le grand Oeuvre, où tout est expliqué sans déguisement, sans équivoque, & avec toutes les circonstances necessaires, je vous l’envoyeray volontiers, n’ayant rien de réservé pour une Personne comme vous, dont les aimables qualitez meritent si bien l’estime, l’affection, & les services de tout le monde, & principalement ceux, Madame, du Berger Fleuriste.

La Corneille déplumée. Fable §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 303-306

LA CORNEILLE
DÉPLUMÉE.
FABLE.

Une Corneille ambitieuse,
Et qui mesloit à son ambition
 Un autre dangereux poison,
 Car elle estoit fort amoureuse
D’un jeune Paon qu’elle trouvoit fort beau,
 Mais qui par un malheur pour elle,
 Ne la trouvoit point du tout belle.
 Cet accident n’est pas nouveau ;
  L’Amour est un petit Barbare,
 Qui par caprice unit, sépare,
 Et de deux cœurs blesse, dit-on,
L’un d’une Fléche d’or, l’autre d’une de plomb.
Nostre pauvre Corneille estoit donc bien à plaindre,
D’avoir pour la grandeur un sot entestement.
 Et de pouvoir justement craindre
 D’aimer fort inutilement.
Un seul de ces deux maux feroit tourner la teste ;
 Aussi la malheureuse Beste,
Pour vouloir s’agrandir, & pour vouloir aimer,
 Sentoit des maux qu’on ne peut exprimer ;
 Et comme d’estre seul soulage,
 Elle prit son vol un beau jour
 Dans un sombre & petit Boccage,
 Pour mieux resver à son amour.
Là, pleine de soucy, chagrine, désolée,
Elle fit de chaque Arbre un de ses Confidens,
 Luy découvrit ses feux ardens ;
 Mais apres quelques tours d’allée.
Plusieurs plumes de Paon luy frapérent les yeux ;
 Ce fut pour elle un trésor précieux.
 Elle croit pouvoir satisfaire
 Son ambition, son amour.
 Bénissant donc cet heureux jour.
Et méprisant son habit ordinaire,
 Elle amasse soigneusement
Ces plumes, & s’en fait un riche ajustement.
Apres qu’elle se fut de la forte parée,
 Et quelque temps considerée,
Elle va se fourrer parmy les autres Paons.
C’estoit un grand plaisir de voir sa contenance.
 Tous rirent bien, comme je pense,
Sur son plumage noir voyant tous ces brillans ;
Mais enfin chacun d’eux, piqué de l’insolence,
 Se jetta sur son pauvre corps,
 Que malgré tous ses vains efforts
 L’on accommoda d’importance.
 On luy reprit tout l’ornement,
 Mais on le fit violemment ;
Et je suis bien trompé si jamais la Corneille
 S’avise de fourbe pareille.
***
Il est plusieurs Corneilles aujourd’huy,
 Qui se parent du bien d’autruy.
Cette Dame en beauté qu’on croit une merveille,
 Pour qui tant de Sots font des vœux,
 Reprenez-luy ses faux cheveux,
Son blanc, son vermillon, n’est plus qu’une Corneille.
Cet Homme en son éclat plus orgueilleux qu’un Paon,
 Et dont le revenu d’un an
 Feroit d’un autre la richesse,
 Reprenez-luy ce qu’il a pris
 Par violence ou par adresse ;
 N’est plus qu’un Gueux dans le mépris.
Ce Rimeur affamé de loüange & de gloire,
 Et qui, si l’on vouloit le croire,
 Est le mieux fait des beaux Esprits,
 Qu’on examine ses Ecrits,
 De luy tout ce qu’on pourra dire,
 Est qu’il a bien apris à lire.

Problème amoureux à décider §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 307-310

PROBLEME AMOUREUX
DECIDÉ.

Loin de vous je languis & je resve toûjours ;
 Je suis bien par tout où vous estes,
Auprés de vous, Iris, de mes plus tristes jours
 Je fais mes plaisirs & mes festes ;
Vostre taille, vostre air, le son de vostre voix,
 Ont je-ne-sçay-quoy qui m’enchante ;
Je sens naistre en mon cœur d’abord que je vous vois,
 Une tendresse languissante
 Qui me réduit presque aux abois.
 Ah ! pour peu que cela s’augmente,
 Vous aimeray-je ? Je le crois.
***
 Je-sçais qu’un Homme de mon âge,
 Qui prétend de toucher un cœur,
 Rarement de ce badinage
 Se peut tirer avec honneur.
 Vous me verrez tendre & fidelle,
Languissant, abatu, malheureux comme un Chien,
 Et cependant, jeune Rebelle,
 M’aimerez-vous ? Je n’en crois rien.
***
 Hélas ! au fort de ma tendresse
Je verray mille Amans de vos appas épris,
 Goguenarder sur ma vieillesse,
 Et railler de mes cheveux gris.
 Peut-estre encor, pour croistre mon supplice,
 Leur ferez-vous un sacrifice
Des soins de mon amour, cruelle ? Et toutefois
 Malgré cette extréme injustice,
 Vous aimeray-je ? Je le crois.
***
 Apres mille dures épreuves,
 Mille soûpirs, mille langueurs,
Enfin vous connoistrez par tant & tant de preuves,
 Que vous causez tous mes malheurs,
 Et que c’est pour vous que je meurs.
Tandis que ma douleur & fidelle & cachée
 Fera mon plus cher entretien,
Sensible à la pitié, de tant de maux touchée,
 M’aimerez-vous ? Je n’en crois rien.
***
Quand on aime beaucoup une Beauté severe,
Le plus dur des tourmens c’est de voir un Rival
 Ecouté d’une autre maniere ;
 Qui peut voir cela sans colere,
 Sans estre jaloux, aime mal.
Lors que je vous verray, pour augmenter ma peine,
 Au préjudice de mes droits,
De quelque jeune Amant faire un indigne choix,
 Injuste, insensible, inhumaine,
 Vous aimeray-je ? je le crois.
***
 S’il arrivoit, pour me vanger
 De ce choix cruel & peu sage,
 Que cet Amant foible & leger
De son cœur à quelque autre allast faire un hommage,
Cet amour inconstant, si diférent du mien ;
Feroit il faire au vostre un retour équitable ;
Et me voyant fidelle autant que misérable,
 M’aimerez-vous ? Je n’en crois rien.
***
Mais de mon triste sort pourquoy faire un Probléme ?
 En vain j’en serois alarmé.
Vostre cœur est injuste, & le mien est charmé ;
Iris, c’est bien assez pour decider vous-mesme,
 Et conclurre que je vous aime
 Sans espérance d’estre aimé.

Devise sur la statue de Diane trouvée en la ville d’Arles […] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 311-312

DEVISE SUR LA STATUE
de Diane trouvée en la Ville d’Arles, qui depuis plusieurs siécles y estoit cachée, & qui à esté présentée au Roy.

Cette Devise a pour corps la Lune, qui apres l’Eclipse qu’elle souffre par l’interposition de la Terre diamétralement opposée entre elle & le Soleil, se tire de l’ombre & reçoit la lumiere de ce mesme Astre. Ces paroles luy servent d’ame, Alienâ luce coruscat. Elles sont expliquées par ces Vers.

Pourquoy ne vanter pas cette illustre Diane,
Cet Oracle fameux, ce Chef d’œuvre de l’Art,
Puis que les beaux Esprits y prennent tant de part,
 Et n’y trouvent rien de profane ?
Pendant un long silence, & sans gloire, & sans bruit,
La terre luy servoit d’une profonde nuit,
Quoy que l’Astre du jour fist toûjours sa carriere ;
 Mais par un bonheur sans pareil,
 Si-tost qu’elle voit la lumiere,
 Elle prend son éclat de celuy du Soleil.

Rault.

Sentimens d’une Belle qui se repent de n’avoir pas conservé une Conqueste qu’elle avoit faite §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 312-313

SENTIMENS D’UNE BELLE qui se repent de n’avoir pas conservé une Conqueste qu’elle avoit faite.
MADRIGAL.

 Lors que Tircis bruloit d’amour,
 Que je le voyois chaque jour
Avec empressement chercher l’Art de me plaire,
 Et qu’il me paroissoit sincere ;
Que par mille sermens, mais sermens superflus,
 Il me juroit d’estre fidelle & tendre,
 Et que ses yeux m’en disoient encor plus,
Il avoit beau parler, je ne daignois l’entendre :
Et par un changement que je ne puis comprendre,
Si-tost que mes mépris l’ont forcé de changer.
 L’Amour, pour le vanger,
 M’a fait connoistre que je l’aime,
 Et je me veux un mal extréme,
 D’avoir pû voir son cœur se dégager.
Je m’en repens, Amour, cesse de m’outrager,
 Soulage un si cruel martire ;
 Et si jamais dans ton Empire
 Je puis charmer quelque Berger,
Je te promets. Amour, de le bien ménager.

Diereville.

[Traduction de deux Epigrammes] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 314

TRADUCTION
De la 61e Epigramme du 3e Livre,
Qui commence par
Esse nihil dicis, &c.

Tircis, tu dis que c’est un rien
Dont ton cœur me fait la demande,
Si c’est un rien, Tircis, hé-bien,
Je ne refuse rien à qui me le demande.

AUTRE,
De la 24e du quatriéme Livre,
Qui commence par
Omnes quas habuit, &c.

 Toutes les Dames que Sylvie
 Honore de son amitié,
 N’ont pas long sejour dans la vie,
Hélas ! si de mes maux le Ciel avoit pitié,
N’inspireroit-il pas à ma sotte Moitié
 Le desir d’estre son Amie ?

Quelle fortune est la plus satisfaisante en Amour […] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1685 (tome XXIX), p. 315-318

QUELLE FORTUNE EST la plus satisfaisante en Amour, celle d’un Amant dont les soins sont receus d’abord agreablement, & presque aussi tost recompensez ; où le bonheur de celuy, qui apres avoir aimé quelque temps sans espérance, trouve enfin le cœur de sa Maistresse sensible.

 Quand on obtient facilement
 Une jeune Beauté qu’on aime,
 L’amour d’abord fust-il extréme,
Dans la suite l’on est satisfait rarement ;
 Mais plus, avant la recompense,
 Un Amant voit de résistance,
Et plus il a de peine à pouvoir obtenir
 L’Objet qui cause son martire,
Plus le plaisir est grand quand il peut parvenir
A la possession de celle qu’il desire.
***
Oronte & Licidas prouveront mieux que moy
 Cette Verité que j’avance.
Le premier dés l’abord vit recevoir sa foy
 Avec prompte reconnoissance,
Et la jeune Cloris qu’il voulut rechercher
 Fut bien-tost mise en sa puissance ;
 On la vit enfin s’attacher
 A cet Amant dont le mérite
Estoit accompagné d’une sage conduite.
Leur Hymen s’accomplit ; & le moment fatal
 Qui devoit causer leur divorce,
Se couvrant à leurs yeux d’une subtile amorce,
Voulut faire son coup dés le jour Nuptial.
***
Cloris dans le Festin vit paroistre Nicandre
 Qui la regardoit d’un œil tendre,
Elle devint sensible, & répondant des yeux
  A son muet langage,
 Elle devint bientost volage,
Et ne fit que chercher le moment précieux
  Afin de pouvoir entendre
  Une déclaration
  Que fit l’amoureux Nicandre
  De sa folle passion.
***
Elle oublia bien-tost cette foy conjugale
Qu’elle devoit garder mesme malgré la mort,
Et d’une ame inconstante, infidelle, inégale,
Elle fit éprouver un effroyable sort
 A son Epoux le pauvre Oronte,
Qui ne la trouva plus qu’un objet de sa honte.
La haine & la rigueur, l’opprobre & le mépris,
 Furent dorénavant les Prix
 Dont il vit que cette Infidelle
Voulut récompenser son amour & son zéle.
***
 Mais au contraire Licidas
Que l’on vit mille fois invoquer le trépas,
 Ne pouvant rendre Iris sensible
Aux tendres mouvemens qui partoient de son cœur,
 Employant tout le soin possible
Afin de luy causer une pareille ardeur,
Apres avoir souffert, pleuré, prié sans cesse
 Ce cher objet de sa tendresse,
 Arriva ce jour bienheureux
 Qu’il vit récompenser ses vœux.
 Depuis ce temps leur amour mutuelle
Paroist aux yeux de tous devoir estre éternelle.
***
Ainsi donc je conclus de ce raisonnement,
Que d’un amour trop prompt il naist d’étranges suites ;
Où quand il n’est formé qu’apres plusieurs poursuites,
Rarement on n’en voit qu’un bon évenement ;
Et qu’enfin pour avoir toûjours l’ame contente,
La derniere Fortune est plus satisfaisante.