1685

Mercure galant, avril 1685 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1685 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1685 [tome 4]. §

Sur la Naissance & le progrés de l’Herésie sous les régnes des sept derniers de nos Roy; & sur son déclin sous le régne de Loüis le Grand §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 15-17

Sa Majesté fait toûjours paroistre la plus forte ardeur pour détruire l’Herésie, & toûjours les Muses tirent de là son plus grand éloge. Vous le connoistrez par ce Sonnet Mr Terraudiere, premier Echevin de Niort.

SUR LA NAISSANCE & le progrés de l’Herésie, sous les régnes des sept derniers de nos Roys ; & sur son déclin sous le régne de Loüis le Grand.
SONNET.

Sous le grand Roy François ce Monstre prit naissance
Par de faux Apostats suscitez de l’Enfer ;
Son Fils Henry second s’en alloit l’étouffer,
S’il n’eust esté tué d’un fatal coup de Lance.
***
Apres sa mort on vit cette fatale Engeance
S’établir par le feu, s’élever par le fer ;
François, Charles, Henry la virent triompher,
Et répandre à leurs yeux tout le sang de la France.
***
Henry quatre endormit ce Serpent dangereux ;
Mais il se réveilla bien-tost plus furieux,
Et sous Loüis le Juste il fit bien du ravage.
***
Enfin le grand LOUIS, l’Hercule de nos jours,
Par des moyens prudens, par de sages détours,
Vient d’abatre cette Hydre, & l’Enfer en enrage.

Sur la Paix de Genes. Sonnet §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 18-19

Voicy un autre Sonnet sur la bonté que le Roy a euë d’accorder la Paix aux Génois. Il est de Mr de Grammont de Richelieu.

SUR LA PAIX DE GENES.
SONNET.

LOUIS n’a point d’égal, ny n’en aura jamais,
Il sçait se faire craindre, & sur Mer & sur Terre ;
Et quand ses Ennemis luy déclarent la guerre,
Il les force aussi-tost à demander la Paix.
***
Génes n’est plus superbe, elle apprend à ses frais
Le secret d’éviter l’effroyable tonnerre
Dont il sçait, quand il veut, briser comme du verre
Les Ramparts les plus forts, & les plus beaux Palais.
***
Cherche-t-elle la Paix, aussi-tost il la donne ;
Son Doge est-il soûmis, volontiers il pardonne ;
C’est ce que pour sa gloire il met au premier rang ;
***
Et ses Lauriers meslez aux branches de l’Olive,
Luy donnent une joye & plus douce & plus vive,
Que quand ils sont couverts de poussiere & de sang.

[Sonnet en bouts-rimés] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 20-22

Quoy que le Sonnet en Bouts rimez qui suit ces deux-cy, ne parle qu’en genéral de ce que le Roy a fait de grand, il mérite bien d’avoir place icy, par le tour heureux que luy a donné Mr Blanchard, Curé de Fissé aux Environs de Dijon.

Alexandre & César ont acquis moins de gloire
Par leurs Exploits fameux, que nostre auguste Roy ;
Sa maniere de vaincre, & de donner la Loy,
Jusque chez les Vaincus fait aimer sa Victoire.
***
Ses grandes Actions effacent leur Histoire ;
Une seule Campagne en pourroit faire foy.
Son Nom porte par tout ou l’amour ou l’effroy,
Et peut seul occuper les Filles de Mémoire.
***
Rome ne vit jamais Héros plus achevé ;
Son esprit est en tout égal, vaste, élevé,
Sa Fortune répond à son cœur intrépide.
***
L’on doit à ses vertus des honneurs immortels ;
L’Hydre aux abois fait voir qu’il est plus grand qu’Alcide,
Et cent Temples détruits luy valent cent Autels.

[Lettre en prose & en Vers, meslée de plusieurs ouvrages] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 22-48

Un Particulier ayant fait divers Ouvrages sur les dernieres Actions de cet auguste Monarque, les a ramassez comme en un Recueil dans cette Lettre qu’il m’a adressée.

LETTRE

Je me souviens, Monsieur que vous avez voulu me persuader que j’avois merité quelque approbation des bons Connoisseurs, lors que je dis il y a quelques années.

On fait mal ce qu’on fait, on ne fait qu’une affaire,
Mais LOUIS partagé dans cent emplois divers,
Se donnant tout à tout, fait voir à l’Univers,
Et qu’il fait ce qu’il faut, & qu’il sçait bien le faire.

Vous avez mesme prétendu que j’avois expliqué les sentimens de tout ce qu’il y a d’honnestes Gens au monde en disant,

Que tous les noms des Grands cedent au nom du Roy,
Les Cesars, les Cyrus, les Hectors, les Achilles,
Ont eu moins de merite & donné moins d’effroy,
Par cent Combats rendus, par cent prises de Villes.

Je vous serois bien obligé, si vous vouliez faire sçavoir au public, que je défie toute la Terre de me disputer la verité de ce que je vais dire.

SONNET
SUR LA GRANDEUR DU ROY.

LOUIS est grand en tout ; il régle les Finances,
Il réforme les Loix, il fait fleurir es Arts ;
Mille Vaisseaux flottans, mille orgueilleux Rampars
Partagent tous les jours ses soins, & ses dépenses ;
***
 Dans le particulier, dans les réjoüissances
Il est autant Heros, que dans le champ de Mars,
Fin dans le Cabinet, ferme dans les hazars,
Il fait plier sous soy les plus hautes Puissances ;
***
 Sa fortune répond par tout à sa valeur,
Par tout ses grands exploits répondent à son cœur,
Ainsi que l’ont fait voir cent conquestes de marque ;
***
 Enfin nos Ennemis connoissent comme moy,
Que si tout l’Univers ne vouloit qu’un Monarque
Tout l’Univers devroit n’avoir que luy pour Roy.

Je sens bien que ce que je dis là n’est rien de bon, mais il me semble que c’est l’explication sincere des pensées, qui doivent venir naturellement à tous les Sages qui sont sans passion, & qui ont du bon goust.

Ne croyez donc pas, Monsieur, que ce soit une pure conjecture, ou seulement un effet de l’attache des sentimens que j’ay pour le Roy qui m’a fait dire

Enfin nos Ennemis connoissent comme moy, &c.

Vous en jugerez par une petite avanture que je vais vous raconter telle qu’elle m’est arrivée en effet.

Je me trouvay sur la route de Mr l’Ambassadeur d’Espagne lors qu’il se retiroit de France à pas comptez, tant il marquoit d’envie de n’en point sortir. J’étois chez une Personne de qualité & de merite, à l’heure qu’il luy envoya un de ses Gentilshommes pour sçavoir si elle se trouveroit en état de recevoir sa visite. Comme je vis par la réponse, que Mr l’Ambassadeur alloit venir, je voulus luy faire place, mais la Personne chez qui j’estois me déclara, qu’elle vouloit absolument que j’eusse part à cette conversation, qui dura bien prés de quatre heures. Vous ne pouvez pas douter, Monsieur, qu’on ne parlast d’Affaires d’Etat avec un Ambassadeur, & que sa retraite, & la Guerre qui nous menaçoit alors, ne fournissent à l’entretien. Il nous dit cent choses, qui nous firent assez comprendre qu’il n’eust pas eu de peine d’avoüer nettement que le Roy estoit le plus grand & le plus puissant Prince du monde, s’il eust pu oublier qu’il avoit un Maistre, & se défaire des préjugez Espagnols.

On doit neanmoins cette justice à Mr l’Ambassadeur, que son bon sens & sa raison ne furent point obscurcis par ces entestemens, qui sont si ordinaires à ceux de sa Nation. Il fit l’Eloge de la France, des François, du Roy, & d’un air fort élevé, & qui marquoit beaucoup de sincerité dans ce qu’il disoit ; mais dans les loüanges qu’il donna à sa Majesté, il n’oublia ny ce qu’il estoit, ny ce qu’il devoit à son Prince. Pretendant faire une galanterie aux Dames, il dit qu’il vouloit leur faire voir quelque chose de fort beau. Il tira ensuite une riche Boëte, qui renfermoit, disoit-il, le Portrait de sa Maîtresse, qu’il emportoit de France, & c’estoit celuy du Roy, dont sa Majesté l’avoit honoré, & dont il se faisoit en effet un grand honneur. La Personne chez qui nous estions, qui est fort spirituelle, luy dit qu’il devoit bien conserver ce gage, & qu’il se feroit bien-tost en luy une metamorphose surprenante, parce qu’il estoit à croire que le Portrait de sa Majesté se changeroit en celuy de son Maistre. A ces paroles Mr l’Ambassadeur parut Espagnol, comme son devoir l’y obligeoit. L’entretien roula ensuite sur différentes matieres, & fut longue & curieuse.

Je vous avouë, Monsieur, que pendant tous les évenemens de la derniere Campagne, je me suis toûjours souvenu des entretiens de cét Ambassadeur. Il nous dit positivement qu’il y auroit du sang répandu ; qu’il seroit difficile d’arrester les desseins du Roy ; que ses Ennemis ne pouvoient rien esperer que de l’inconstance de la fortune ; & que l’Empire & l’Espagne ne cherchoient qu’à mettre leur honneur à couvert, en ne cedant pas sans avoir combattu. Voila la Prophetie accomplie, & nous en voyons la verité dans la disposition des choses qui se sont passées la derniere année.

SONNET
Sur l’état des Affaires aprés la derniere Campagne de France.

Alger encor fumant des Foudres de la Guerre,
Vient se jetter aux pieds de son noble Vainqueur ;
Et Gennes la superbe est tremblante de peur
Sous les éclats vengeurs de son bruyant tonnerre :
***
 Luxembourg voit tomber ses hauts Ramparts par terre,
Cap-de-Quiers attaqué se trouve sans vigueur ;
La Hollande en Partis ralentit son ardeur
N’ayant pû soûlever les Peuples d’Angleterre ;
***
 Le Danemark amy reçoit nos Etendars,
L’Empire se ménage & craint tous les hazars,
L’Espagne plaint ses Forts qu’on pille ou qu’on enleve ;
***
 Liége & Tréves soûmis sçavent faire leur Cour,
L’Europe attend la Paix en recevant la Tréve,
Tout cede au Grand LOUIS par force ou par amour.

Je vois dans cette peinture tout ce que l’Ambassadeur d’Espagne craignoit, & tout ce que sa politique luy faisoit prévoir avec chagrin. Avoüez aprés cela, Monsieur, que la fortune de LOUIS le Grand doit estre bien constante pour faire avec tant de bonheur des choses si admirables, puis que tant de Heros, & tant de sages Monarques n’ont pu s’empescher d’en estre abandonnez. Mais avoüez aussi à mesme temps que la prudence & le courage du Roy sont extraordinaires, puis qu’il semble avoir réduit la Fortune sous les régles, & s’estre fait une methode de réüssir en tout.

Ne peut-on pas compter entre ses bonnes fortunes la fecondité de la Maison Royale ? Ce Fils unique que le Ciel luy avoit laissé comme son premier don, plus il est grand, plus il nous faisoit craindre. Vous voulûtes bien, Monsieur, que mes pensées fussent celles de tous les honnestes Gens à la naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je voudrois à cette heure que vous les engageassiez à dire sur la naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou.

AU ROY.
SONNET.

Recevez un Héros qui naist de vostre Race,
Grand LOUIS, desormais le Ciel veut tous les ans
Enrichir vos Etats de semblables Présens,
Qui pourront mériter de remplir vostre place.
***
Nous verrons de nos jours l’Allemagne & la Thrace
Ployer sous les efforts du Pere & des Enfans ;
Par tout dignes de Vous, & par tout triomphans,
De tous nos Ennemis ils dompteront l’audace.
***
Formez-les seulement dans l’Art qui fait les Roys,
Ils en apprendront plus par vos rares Exploits,
Qu’en lisant ce qu’ont fait les Fameux de l’Histoire ;
***
Et comme ils vous verront toûjours au-dessus d’eux,
Chacun d’eux tâchera d’ateindre à vostre gloire ;
Mais nul n’y parviendra parmy tous vos Neveux.

Ces sentimens qui furent conceus dans la joye qu’avoit toute la France en cette rencontre, se produisent fort tard, mais ils seront toûjours de saison, si vous voulez que ce soient des marques éternelles de mon respect envers ce Prince. J’ay aussi laissé passer le temps où ces Bouts rimez estoient à la mode. Cependant ce qu’ils m’ont fait dire ne vieillira jamais dans la memoire des Hommes, puis que LOUIS le Grand aura toûjours des admirateurs, qui tomberont d’accord avec moy de le verité de mes pensées.

Si jamais Conquérant marcha droit à la Gloire,
Si jamais Souverain mérita d’être Roy,
Si jamais Politique aux autres fit la loy,
Sur tous les Concurrens LOUIS a la Victoire.
***
Ses Faits feront passer pour Fable son Histoire,
A peine croira-t-on qu’ils soient dignes de foy ;
Les Siécles à venir en seront dans l’effroy,
Et tout retentira du bruit de sa Mémoire,
***
Lors qu’on voudra former un Héros achevé,
On en prendra les traits sur son air élevé,
Sur ses Combats divers, sur son cœur intrépide.
***
Autrefois on l’eût mis au rang des Immortels ;
Et comme ses hauts Faits effacent ceux d’Alcide,
Alcide à son Vainqueur eust cedé ses Autels.

Vous trouverez peut-estre quelque conformité entre ce Sonnet, & un autre que vous avez publié. Elle auroit esté plus grande si je ne l’avois jamais veu. Je ne sçay si l’autre a esté fait plûtost que le mien, mais je suis seur que le mien n’a point esté fait sur celuy-là. Ces Bouts rimez n’auront pas perdu tout-à-fait la grace de la nouveauté. Vous avez dit il n’y a pas long-temps, qu’ils estoient à la mode, & le sujet n’en est pas trop vieux.

SUR LA TRÉVE
que le Roy a faite.

On disoit autrefois, Non licet omnibus,
J’ose le dire encore, & qui voudra s’en fâche ;
LOUIS, de qui l’esprit travaille sans relâche,
Vient de faire luy seul quod non licet tribus.
***
Nul d’entr’eux ne sçauroit parer aux coups qu’il lâche,
Parmy les Souverains il paroist un Phœbus ;
Il commande la Tréve, & vous sçavez quibus ;
Tout ce qu’elle a de dur par avance il leur mâche.
***
Ils l’avalent enfin avec tous ses Item,
Dans un profond respect ils chantent Tu autem,
Ravis de prévenir les effets de son ire.
***
Si dans le temps présent ils n’ont pû dire amo,
Peut estre qu’au futur ils auront peine à lire
Ce qu’il leur fit signer currente calamo.

Il n’y a point de Rimes si bizarres & si Burlesques, qu’on ne puisse remplir de quelque chose de grand sur le sujet du Roy. Il me semble donc qu’on pourroit bien donner à celles-là encore un autre tour presque sur la mesme matiere.

SUR L’ENREGISTREMENT,
& la Publication de la Tréve.

LOUIS le Conquérant fait sçavoir omnibus,
Qu’il annonce une Tréve, & qui plaist, & qui fâche ;
Jamais de ses desseins en rien il ne relâche,
Le coup qui le desarme a fait la loy tribus.
***
Que s’il fuit les Combats, il ne fuit point en Lâche,
Dans le Mestier de Mars il n’est point E-Phœbus ;
Il a du cœur, des Gens, des Armes du quibus,
Et quand il faut donner, point la Cire il ne mâche.
***
Cependant il s’arreste, il se modére, item,
Sçachant bien comme il faut venir au Tu autem,
Pour le bonheur public il commande à son ire,
***
Conjuguons luy par cœur dans tous les temps amo ;
Et nos Neveux diront, lisant ce qu’on va lire,
Que ce qu’il fit du Fer, il l’a fait calamo.

Enfin, Monsieur, il y a tres-long-temps que j’ay fait une Devise pour le Roy, sur un dessein qui a esté suspendu. Si elle avoit esté publiée dés ce temps-là, elle pourroit passer à present pour une espece de Prophetie. Ce sera pour le moins une expression allegorique de ce que nous voyons. Le corps de la Devise, c’est un Soleil dans son Zodiaque ; l’Ame, ce sont ces paroles, Curro, sed tacito motu. Si je ne craignois de choquer les Maistres de l’Art, j’ajoûterois des Astronomes de toutes les Nations, qui observent le Soleil avec toutes les sortes d’Instrumens dont on use pour cela. Ils ne répondroient pas mal à l’application que tous les Politiques de la Terre donnent à penétrer la conduite du Roy. Voicy l’explication de ma Devise.

L’Univers attentif regarde ma carriere,
Les esprits appliquez à mesurer mon cours ;
Observent avec soin mes tours & mes détours :
Mais nul œil ne peut voir ma route toute entiere ;
***
 Mon éclat plus aux fiers fait baisser la paupiere ;
Mes differens aspects font les nuits & les jour,
Tout languiroit sans moy, tout attend mon secours,
Et je porte par tout mes biens & ma lumiere.
***
 Mille divers emplois partagent mes momens,
Je suis toûjours reglé dans tous mes mouvemens,
On connoist mon pouvoir sur la Terre & sur l’Onde.
***
 Je me haste ; je cours ; rien n’arreste mes pas,
J’acheveray bien-tost le tour entier du Monde,
Ma démarche est cachée & l’on sçait où je vas.

Il y a assez long-temps, Monsieur, que je vous entretiens pour me haster de vous dire que je suis vostre tres, &c.

F. F. D. C. R. G.

Dialogue des choses difficiles à croire. Dialogue second §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 48-68

L’Autheur du Dialogue que vous avez veu sur les choses difficiles à croire, m’en a envoyé un second, dont je vous fais part. Quoy qu’il soit une suite du premier, la matiere est differente, & cette diversité doit estre agreable aux Curieux, qui sont bien-aises d’apprendre beaucoup, & de s’épargner la peine des longues lectures.

DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGVE SECOND.
BELOROND. LAMBRET.

Belorond.

Vous me trouvez en lisant chez Aulu-Gelle une verité qui passeroit pour difficile à croire, si elle n’étoit mise icy en pratique aussi souvent qu’ailleurs ; c’est quand il dit, que l’on punit les petits Larrons, & qu’on porte honneur aux grands : Fures privatorum furtorum in nervo atque compedibus ætatem gerunt, fures publici in auro & in purpura.

Lambret.

Un autre a dit encore que les petits crimes sont punis, & que les grands sont portez en triomphe : Sacrilegia minuta puniuntur, magna in triumphis feruntur. Nous aurions bien des choses à dire sur cette matiere, si nous voulions nous ériger en Satyriques ; mais croyez-moy, parlons du larcin d’une autre maniere Ce n’est pas icy seulement qu’il y a beaucoup de Larrons, & que la plus-part sont comblez d’honneurs. Au Royaume de Tangeo il y a un païs appellé des Larrons, où l’on tient à si grand honneur d’avoir eu des Parens pendus pour des vols commis, qu’on s’y reproche comme une espece d’infamie, si l’on n’en a pointeu d’Executez en Justice pour une si belle cause. Chez les Lacedemoniens le larcin estoit permis, pourvû qu’on ne fust point surpris en le commettant. C’estoit afin d’accoutumer ces Peuples à chercher des artifices & des stratagêmes, dont ils se servoient souvent dans les guerres qu’ils avoient avec leurs ennemis. Un jeune Enfant Lacedemonien fut si fidele à executer cette Loy, qu’ayant dérobé un Renard, & l’ayant mis dans son sein pour le cacher aux yeux de ceux qui le cherchoient, il aima mieux se laisser ronger le ventre par cet animal, que de découvrir son larcin.

Belorond.

J’aurois de la peine à croire ce que vous venez de me dire, si je ne me souvenois d’avoir lû chez Cesar l. 6. de bello Gall. que les anciens Allemans permettoient à la Jeunesse de dérober, afin d’éviter l’oisiveté ; dans Arrien in Epict. l. 3. c. 7. qu’Epicure avoüoit bien que c’estoit une grande faute de se laisser surprendre en dérobant ; mais qu’il ne croyoit pas que hors de cette surprise il y eust du mal dans l’action ; & chez Suetone in Ner. art. 16. que les Romains avoient des Festes & des Jeux : Quadrigariorum lusus, qui leur permettoient de prendre tout ce qu’ils pouvoient. L’Empereur Neron fut le premier qui condamna cet injuste usage. Diodore nous apprend que les Egyptiens avoient un Prince des Larrons, à qui l’on s’adressoit, comme autrefois à Paris au Capitaine des Coupeurs de bourse, pour recouvrer ce qu’on avoit perdu, en donnant le quart du prix.

Lambret.

Vous avez apparemment aussi lû chez François Alvarez, qu’il y a un Officier de la Cour du Préte-Jan, qui n’a que cette qualité de Capitaine des Voleurs pour gages de son Office, dont les fonctions consistent à faire lever & accommoder les tentes du Roy.

Belorond.

Si l’estime que quelques Peuples ont euë pour le larcin paroist incroyable, la peine que d’autres Peuples faisoient souffrir aux Larrons, ne le paroistra pas moins, comme chez les Americains, au rapport d’Oviedo l. 5. hist. c. 3. & l. 17. c. 4. qui les empaloient vifs ; & chez ceux de Carinthie, qui estoient si animez contre les Voleurs, que sur le seul soupçon ils les pendoient, & puis faisoient le procés au Mort, se contentant d’ensevelir honorablement ceux contre lesquels ils n’avoient point trouvé de preuves suffisantes pour les condamner à la mort. C’est Mercator qui nous l’apprend dans son histoire l. 7. c. 13.

Lambret.

Ceux du Royaume de Lao n’estoient pas si severes dans les châtimens des Larrons, puis qu’ils les punissoient seulement en leur faisant couper sur le corps, selon la qualité du vol, une certaine portion de chair, avec cette clause, que si le Bourreau en coupoit trop, il estoit permis au voleur de dérober aprés impunement pour autant que pouvoit valoir ce qu’on luy avoit ôté de trop.

Belorond.

Ce que vous venez de dire me fait souvenir d’une coûtume de Moscovie, qui n’est pas moins déraisonnable, puis qu’elle veut qu’on donne la Question premierement à l’Accusateur, pour voir s’il persistera dans son accusation, & puis à l’Accusé, si la chose en question est demeurée douteuse. C’est Olearius qui le rapporte l. 3. Y a-t-il rien de plus impertinent, selon nous, que ces usages ? Et cependant ceux de Moscovie & de Lao s’imaginent que leurs Coûtumes sont aussi raisonnables qu’elles nous paroissent ridicules & extravagantes, tant il est vray que chacun abonde en son sens, & qu’on ne peut établir un fondement certain sur l’esprit ou plûtost sur les opinions des hommes. Avoüons de bonne foy que les Pyrrhoniens n’estoient pas les plus méchans Philosophes, quand ils n’assuroient rien que par leur, peut-estre, cela se peut faire. Si l’entestement, la présomption, l’obstination & l’amour propre ne s’estoient pas emparez de l’esprit de la plus-part des hommes, je ne doute point qu’on ne leur eust rendu plus de justice, aprés avoir pourtant employé la Circoncision dont parle un Pere de l’Eglise, c’est-à.dire, aprés avoir retranché de leurs opinions ce qui peut estre contraire aux Veritez certaines & infaillibles de nostre Religion.

Lambret.

Devons-nous estre surpris de voir les hommes si bizarres dans leurs opinions & dans leurs coûtumes, puis que leur mere commune, je veux dire la Nature, l’est encore davantage dans ses productions. C’est dans la consideration de la bizarrerie qu’elle y fait paroître, que je puis vous rapporter beaucoup de choses qui paroistront incroyables à ceux qui ne mesurent la puissance de la Nature, que parce qu’ils ont vû ou entendu. En effet, un homme qui n’a pas perdu son clocher de veuë, peut-il se résoudre à croire qu’il y ait en Ethiopie un Lac, comme le rapporte Diodore de Sicile, Bibl. hist. l. 2. c. 5. dont les eaux troublent tellement l’esprit de ceux qui en boivent, qu’ils ne peuvent rien cacher de ce qu’ils sçavent ; en l’Amerique une Plante qui represente distinctement en sa fleur tous les instrumens de la Passion du Fils de Dieu, au rapport de Duval dans son Monde ; en la vallée Baaras, qui est au levant du Jourdain, une autre Plante qui paroist comme un flambeau allumé pendant la nuit ; en la Province des Pudifetanaux, Indes Orientales, un Arbre appellé l’Arbre de la Honte, dont les feüilles s’étendent ou se retirent selon qu’on s’en éloigne, ou que l’on s’en approche ? Enfin, pourra-t-il se persuader que le Boranetz qui se trouve au païs des Tartares Zavolhans, qui est fait en forme d’agneau dont il porte le nom en leur Langue, est une Plante attachée à sa racine qui mange toute l’herbe qui se trouve autour d’elle, & puis se seche quand il n’y en a plus ; & ne démentira-t-il pas Aristote, ce genie de la nature, quand il dit au l. 5. des Animaux, que le Fleuve Hypanis prés du Bosphore Cimmerien, porte en Esté de petites feüilles de la longueur d’un gros grain de raisin, d’où sortent des Oyseaux à quatre pieds appellez Ephemeres, qui vivent, & volent depuis le matin jusques à midy, puis sur le soir commencent à défaillir, & enfin meurent au Soleil couchant ? Je sçay bien qu’il se peut faire qu’il y ait des Auteurs tellement passionnez pour les choses extraordinaires, qu’ils nous rapportent quelquefois effrontément des fables qu’ils prétendent faire passer pour des veritez ; mais quand je fais réflexion qu’il se presente tous les jours à mes yeux des prodiges qui ne demanderoient pas moins d’admiration que le Boranetz, & les Ephemeres, si nous ne bornions nostre croyance par la sphere de nostre veuë, je ne puis me résoudre à donner un démenty à tant de grands hommes, qui aprés avoir étudié serieusement la Nature, ont bien voulu nous faire part de leurs connoissances & de leurs remarques, en nous apprenant ses prodigieuses merveilles.

Belorond.

Ce n’est pas seulement à cause que l’on ne voit pas les choses extraordinaires qui se lisent dans les Voyages & chez les Naturalistes que l’on ne veut pas les croire ; c’est encore parce que l’on ne comprend pas comment elles se peuvent faire. Pour moy, quand je ne puis penetrer les causes des merveilles de la Nature, je ne m’imagine pas pour cela, qu’elles ne soient pas en effet, mais je console mon ignorance & borne ma curiosité par un, Hæc Deus mirari voluit, scire noluit. Je me dis à moy-même, que Dieu veut que nous les admirions, & non pas que nous les connoissions, comme s’il avoit voulu humilier nostre esprit dans l’étude de la Nature aussi-bien que de la Religion, par une experience continuelle de son ignorance & de sa foiblesse.

Lambret.

Separons-nous, je vous prie, avec une si judicieuse réflexion. Elle ne servira pas peu à nous exciter à remarquer encore des choses plus merveilleuses que celles dont nous venons de parler, pour nous servir de matiere dans nostre premier Entretien.

Les Arbres choisis par les Dieux. Fable §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 68-74

Parmy les Fables nouvelles que le Sieur Blageart debite, & qui sont si estimées du Public, il y en a une qui porte pour titre, Les Arbres choisis par les Dieux. Mr de la Barre de Tours a mis en Vers cette même Fable. Je vous l’envoye. Vous serez sans doute bien aise de voir comment deux Autheurs, qui ont tous deux beaucoup de talent à bien conter, auront traité la mesme matiere.

LES ARBRES
CHOISIS PAR LES DIEUX.
FABLE.

 Tout ce qui reluit n’est pas or,
C’est une verité dont on tombe d’accord.
 Si vous voulez avec prudence,
 Juger d’un objet tel qu’il est,
Regardez s’il est bon, sans trop voir s’il vous plaist,
Et ne vous trompez pas à la simple apparence.
Considerez le vray, ne pensez point au beau,
 Au plaisant préferez l’utile,
 Les fruits aux fleurs, le fecond au sterile,
Le solide au brillant, l’Automne au Renouveau.
 Si ma Morale est veritable,
J’en croy le sens commun, j’en croy mesme la Fable.
***
 Un jour Jupin & tous les autres Dieux,
 Dans la grande Sale des Cieux,
 Tinrent le divin Consistoire.
 On y traita mille sujets divers,
Qui concernoient la Police & la gloire
 De ce vaste Univers.
Quand on parla des Arbres & des Plantes,
 Et de leurs Ames vegetantes,
 On fit, dans ce Conseil d’Etat,
De creux raisonnemens, car sur chaque mistere
Comme l’on peut juger, les Dieux en sçavent faire,
 Mais creux ou non, voicy le résultat.
Sçavoir, que chacun d’eux fist un choix volontaire
 De l’Arbre qui pourroit luy plaire,
 Pour ensuite le proteger,
 Et le garder de tout danger,
Comme du feu du Ciel, des Vents, & des Orages,
Des Eaux, des longs Hyvers, & des autres ravages.
Le Chesne sur ce pied fut choisi par Jupin,
 Cibelle aprés luy prit le Pin,
 Apollon le Dieu de la Lire
Pour certaines raisons, s’appliqua le Laurier,
 Hercule le haut Peuplier,
Dame Cypris qui fait que d’amour on soûpire
Prit avec son Enfant les Myrthes amoureux :
Enfin, à qui pis pis, & non à qui mieux mieux
 Chacun choisit à boulle-veuë.
Minerve dont au Ciel la sagesse est connuë,
 S’écria d’un air furieux
Non, je ne puis souffrir une telle béveuë
 Vostre Conseil a la berluë,
Et vostre choix est indigne des Dieux.
 Prendre des Plantes inutiles,
 Arbres sans rapport, infertiles,
 Et propres à jetter au feu.
Pins & Lauriers, Peupliers, Myrthes, Chesnes,
 Ne sont-ce pas des Plantes vaines ?
Pourquoy donc les choisir ? Arrestez-vous un peu
Ma fille, dit Jupin, sçachez nostre pensée.
Nostre protection sembloit intéressée
En la donnant aux Arbres portant fruits ;
 Nous ne voulons rien davantage
 Que l’écorce & que le feüillage ;
Il est des Dieux puissans de proteger gratis.
C’est pousser un peu loin vostre délicatesse,
Dit Minerve, je fais consister ma sagesse
 A faire un choix qu’approuve la raison :
J’ay choisi l’Olivier, j’en trouve le fruit bon,
Le feüillage m’en plaist.… Que Minerve est aimable !
 Interrompit Jupin en l’embrassant
Ouy, ma fille, c’est peu que d’aimer le plaisant
Joignons pour estre heureux l’utile à l’agréable.

Extrait d’une Lettre ecrite de Rochefort §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 76-86

Ma Lettre du mois de Mars vous a fait sçavoir la perte que l’on a faite de Madame la Princesse de Guemené. Je ne vous dis rien alors de ses grandes qualitez, comme si j’avois préveu que je devois recevoir l’éloge que vous allez lire. Il a esté fait par une Personne qui la connoissoit parfaitement, & c’est le moins que l’on doive à cette Illustre Défunte, que d’apprendre à tout le monde, ce que tout le monde dévroit tâcher d’imiter.

EXTRAIT
D’UNE LETTRE
ECRITE DE ROCHEFORT.

Madame la Princesse de Guemené est morte en son Chasteau de Rochefort le 14. de Mars âgée de 79. ans. Elle estoit issuë des anciens Souverains de Bretagne, & des Rois de Navarre ; mais quelque grande qu’elle fust par une si illustre naissance, elle l’estoit bien davantage par sa vertu & par son merite. Il s’est veu peu de Personnes de son Sexe & de son rang qui ayent possedé d’aussi grandes qualitez, & qui les ayent portées si loin. Elle sceut joindre ensemble dés sa plus tendre jeunesse, une beauté parfaite & une modestie surprenante, & joüir au milieu des troubles, & des embarras de la Cour, d’une quiétude, & d’une tranquillité d’esprit que la pluspart des Grands ne connoissent point, & recherchent encore moins. Elle fut grande sans orgueil, belle sans affection, majestueuse sans fierté, ferme dans les plus grands malheurs sans vanité, bonne sans foiblesse, & charitable envers les pauvres sans ostentation. Sa dévotion estoit tendre & solide. Dieu qui l’avoit attirée de bonne heure, luy avoit montré par quelle voye il vouloit qu’elle vinst à luy ; c’est pourquoy elle le cherchoit dans la simplicité du cœur, & elle l’adoroit en esprit & en verité, s’offrant continuellement à luy par le sacrifice qu’elle luy faisoit de tout ce qu’elle avoit de plus cher & de plus sensible au monde. On sçait assez de quelle maniere Dieu l’a éprouvée, & combien il luy a fait de graces, pour soûtenir un choc si terrible avec autant de genérosité qu’elle l’a fait. Aussi une vie si chrétienne & si sainte a-t’elle esté couronnée par une plus sainte mort. Comme elle l’avoit envisagée dés long-temps, & qu’elle en faisoit son étude dans ses fréquentes retraites à la Campagne dépuis plusieurs années, elle ne fut point effrayée de son approche. Au contraire, aprés s’estre humiliée profondement, & avoir reconnu devant le Seigneur son neant & sa bassesse, elle adoroit & baisoit la main de celuy qui la frappoit ; elle loüoit ses misericordes infinies ; elle consoloit ceux qui estoient touchez de la perte qu’ils alloient faire ; elle insultoit, pour ainsi dire, à la foiblesse des autres, qui n’écoutoient que leur douleur ; elle supportoit les siennes avec une patience invincible, & elle ne soûpiroit plus qu’aprés la Maison de Dieu, où sa foy luy faisoit voir une grandeur bien plus solide que celle dont elle avoit joüy icy bas. Pendant toute sa maladie qui a duré deux mois & demy, Dieu luy a conservé jusques au dernier soûpir ce jugement, cette présence, & cette vivacité d’esprit admirable, qu’on a reconnu en elle pendant toute sa vie. Il semble mesme que pour la récompenser de l’amour qu’elle avoit toûjours eu pour l’Ecriture Sainte, & principalement pour les Pseaumes, & pour le Saint Evangile, Dieu luy augmenta la memoire, & qu’il la luy rendit plus vive & plus presente qu’elle n’avoit jamais esté. Elle luy fournissoit sans peine les passages qui estoient les plus conformes à l’état où elle se trouvoit, & lors que sa foiblesse l’empeschoit de les prononcer, elle se les faisoit reciter par ceux qui avoient l’honneur de l’assister dans ces derniers momens. Elle leur avoüa qu’elle n’avoit jamais goûté de plaisir plus sensible que lors qu’elle avoit receu les Sacremens pendant sa maladie, & qu’elle se nourrissoit de la Parole de Dieu ; & ce fut aprés avoir achevé ces paroles, qu’elle adressoit au Crucifix, « mon Dieu que vous avez souffert pour moy, & que je souffre peu pour vous ! encore, mon Dieu, encore » ; ce fut, dis-je, aprés avoir prononcé cét Acte d’amour & de pénitence qu’elle tomba dans une foiblesse qui l’emporta une demi-heure aprés.

C’est ainsi qu’a vécu, & qu’est morte Anne de Rohan, Princesse de Guemené, fille unique de Pierre de Rohan, Prince de Guemené, & de Madeleine de Rieux Chasteauneuf, sa premiere Femme. Elle avoit épousé Loüis de Rohan son Cousin germain, Fils d’Hercule de Rohan, Duc de Montbazon, Pair & grand Veneur de France, & de Madeleine de Lenoncour sa premiere Femme, & ainsi elle porta par ce Mariage les grands biens de la branche aînée à la Cadette. Elle a eu pour Fils Charles de Rohan Duc de Montbazon, Pere de Mr le Prince de Guemené d’aujourd’huy, de Mr le Prince de Montauban, de Mesdemoiselles de Guemené, de Montbazon & de Montauban, & feu Mr de Rohan grand Veneur de France.

[Mort de Madame la Marquise de Robias] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 86-93

 

La pieté qui accompagne ordinairement les personnes de vostre sexe, nous en fait voir un grand nombre, qui dans leurs derniers momens ont une parfaite soumission aux ordres de Dieu, & les reçoivent avec une résignation veritablement Chrestienne. Telle a esté Madame Dauphine de Sartre, femme de Mr le Marquis de Robias d'Estoublon, morte dans la ville d'Arles le 17. du mois passé. Elle estoit fille unique de Mr de Sartre Conseiller en la Cour des Aydes & Finances de Montpellier, & de Dame Brigide de Massauve, & n'avoit pas moins hérité de leurs vertus, que de leurs grands biens. Elle estoit doüée d'un esprit si relevé & si propre aux connoissances sublimes, qu'elles n'ignoroit rien de tout ce qui peut établir l'estime d'une personne sçavante. Elle sçavoit jusqu'aux parties les plus difficiles des Mathematiques, telles que l'Algebre, la Philosophie ancienne & moderne, & tout ce qu'il faut croire de plus raisonnable de l'une & de l'autre. Elle s'estoit même acquis les principes de la Medecine ; mais quelque avantage qu'elle receust de ces differentes connoissances, son plus fort attachement estoit la Morale, & sur tout, la Chrestienne qu'elle prenoit pour regle de toutes ses actions. On a peu vû de femmes avoir une intelligence & une penetration plus rafinée, une netteté d'esprit & d'expression plus forte, soit à écrire, soit à parler, ny un talent plus singulier à s'attirer également l'estime, l'admiration & le respect de tous ceux qui l'approchoient. Elle avoit le jugement exquis, & l'on pouvoir s'en tenir à ce qu'elle décidoit sur toutes sortes d'Ouvrages. On peut juger de la force de son genie & de sa memoire, par l'extrême facilité qu'elle avoit à mettre fidellement sur le papier les Sermons les plus relevez qu'elle entendoit, sans alterer ny le sens ny les paroles, ny obmettre quelque texte que ce fust dans sa juste citation. Elle sçavoit parfaitement la Musique, & composoit tres-facilement. Sa methode à chanter estoit admirable, aussi-bien que son talent pour les Instrumens, tels que le Clavessin, le Lut, & le Theorbe. Dans le temps où la plus heureuse constitution sembloit la flater d’une longue vie, sa santé fut attaquée, & elle tomba insensiblement dans une maladie, qui ayant duré sept ou huit mois, luy a donné lieu de faire admirer dans un grand accablement de maux, tous les sentimens d’une Ame heroïque & prédestinée. L’extrême moderation avec laquelle elle a supporté ce coup, a fait d’autant plus paroistre la fermeté de son ame, qu’il sembloit alors qu’elle ne dust songer qu’à la joye, à cause du Mariage de Mr le Marquis d’Estoublon son fils, Gentilhomme aussi bien fait que spirituel, avec Mademoiselle Eugenie de Mirabeau de Marseille, dont le merite répond à l’esprit & à la naissance. Lors qu’elle vit qu’il n’y avoit plus aucune esperance de guérison, elle fit quantité de Legs pieux, & répandit ses bienfaits jusque sur le moindre de ses Domestiques. L’inclination particuliere qu’elle avoit toûjours euë pour les Carmelites, l’engagea à leur laisser son Cœur avec une somme tres considerable, pour estre employée à la construction de leur Eglise Enfin estant preste de mourir, elle fit des remontrances si Chrestiennes, si fortes & si touchantes au genéral & au particulier de sa Famille, qu’on peut dire que jamais personne n’a quitté le Monde avec plus de fermeté & de courage, ny donné de plus apparens témoignages du bonheur que Dieu préparoit à sa vertu. Toute la Ville a pris part à l’affliction de Mr le Marquis de Robias son Mary. Il est d’un merite genéralement reconnu, & Secretaire perpetuel de l’Academie Royale d’Arles.

A Damon. Sur ce qu’Iris luy avoit ordonné en mourant d’aimer Celimene §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 93-99

On croit quelquefois rire de la Mort quand elle est fort proche. C’est ce qui est arrivé à une jeune Personne, qui n’ayant qu’un peu de Fievre, dit en badinant à un galant Homme qui luy rendoit des soins assidus, que quand elle seroit morte, elle vouloit qu’il donnast son cœur à une de ses Amies, qu’elle luy nomma. Sa Fievre ayant augmenté, elle mourut peu de jours aprés. Un jeune Gentilhomme que les affaires n’empêchent point de songer de temps en temps à faire sa Cour aux Muses, a fait là-dessus les Vers que je vous envoye.

A DAMON.
Sur ce qu’Iris luy avoit ordonné en mourant d’aimer Celimene.

Il est donc vray, Damon, vous aimez Celimene,
Vostre Iris en mourant fit naistre cette ardeur,
Lors que par Testament, pour serrer cette chaîne,
 Elle luy laissa vostre cœur.
***
Je sçay qu’il estoit de sa gloire
De placer en bon lieu vos vœux ;
Mais honorez-vous sa mémoire ?
Vous sentez-vous bien amoureux ?
***
Plus vous serez sensible à cette Amour nouvelle
 Dont pour vous Iris a fait choix,
 Et plus vous montrerez de zéle
 A remplir ses dernieres loix.
***
Non, non, ne craignez rien, on n’en sçauroit médire,
 Aimez en toute seureté ;
Iris avant sa mort voulut bien y souscrire.
Si vous tournez vos vœux vers un autre costé,
 C’est la marque de son Empire,
 Non de vostre legereté.
***
 Malgré ce changement d’hommage
 Vostre cœur ne s’est point mépris ;
Mais croyez-moy, Damon, pour n’estre point volage,
Dans Celimene il faut que vous aimiez Iris.
***
 Lors qu’à vostre jeune Maistresse
 Vous rendrez des soins à l’écart,
Plein d’Iris, conduisez si bien vostre tendresse,
 Qu’elle en ait la meilleure part.
***
 L’Affaire est assez délicate,
Gardez de vous tromper, gardez de la trahir.
Pour un nouvel Objet quand vostre amour éclate,
 Ne faites-vous rien qu’obeïr ?
***
On sçait qu’à prendre feu vostre ame est assez prompte,
 Qu’un bel œil peut beaucoup sur vous.
Celimene fait voir cent charmes des plus doux,
Ne l’aimeriez-vous point tout-à-fait pour son compte ?
***
Les Vivans, ce dit-on, font oublier les Morts.
 Ces derniers n’ont rien que de sombre.
Me trompay-je, Damon ? je croy qu’un joly Corps
 Vous accommode mieux qu’une Ombre ?
***
 Voulez-vous y penser souvent ?
Dans Celimene, Iris doit estre regardée.
Ce raport est aisé ; mais ce n’est qu’une idée,
 Et l’amour veut plus que du vent.
***
 Comme d’une viande legere
 Le vostre assez mal se nourrit,
Pour le mieux soûtenir, il faut que la matiere
 Accoure au secours de l’esprit.
***
Luy seul ne rendroit pas une flame constante ;
Et quand celuy d’Iris est remonté là-haut,
 Vne belle & jeune Vivante
 Est beaucoup mieux ce qu’il vous faut.
***
Cependant voulez-vous m’en croire,
Prendre le party le meilleur ?
Qu’Iris ait toute la mémoire,
Et Celimene tout le cœur.
***
Vous y trouverez vostre affaire,
Et ce partage fait ainsi
A toutes deux vous laissant satisfaire,
Vous vous satisferez aussi.

A Mr le Marquis de B §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 100-102

J’ajoûte un Sonnet, que vous ne serez pas fâchée de voir. Il est de Mr l’Abbé du Claux, connu dans le Dauphiné, par beaucoup d’endroits qui le distinguent. Il le fit sur ce qu’un jeune Marquis, aussi galant que bienfait, avoit servy de Cocher à deux des plus aimables Personnes de cette Province, dont l’une a touché son cœur.

A Mr LE MARQUIS DE B.

Les Chevaux du Soleil sçavoient bien leur leçon ;
Attelez dés long-temps au Char de la Lumiere,
Ils ne quitoient jamais leur chemin ordinaire.
Et quel fut cependant le sort de Phaëton ?
***
Prenez donc garde à vous, trop hardy Celadon ;
Ceux que vous conduisez ignorant leur carriere,
Quand le cœur vous dira de regarder derriere,
N’allez pas succomber à la demangeaison.
***
Le péril en est grand ; vous avez plus à faire
Que n’avoit autrefois ce Cocher teméraire,
Dont par tout l’imprudence alluma tant de feux.
***
Son employ demandoit moins de soin, moins de peine,
Car pour son coup d’essay, ce beau Fils de Climene
Ne menoit qu’un Soleil, & vous en menez deux.

[Réponse] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 102-104

Ce Sonnet a donné lieu à cette Réponse, qui est de l’Autheur des Stances qui le précédent.

 Sur l’exemple de Phaëton
 N’intimidez point Celadon,
 Son entreprise est diférente ;
En conduisant un Char, il conduit une Amante,
 Mais l’Amour est sur le Timon.
***
 Ce petit Dieu tient une Resne ;
L’Amant peut-il manquer alors de reüssir ?
 Il doit mener le Char sans peine,
 La Belle suit avec plaisir.
***
 Tel Cocher n’est point teméraire.
Pourquoy de Phaëton craindroit-il le destin ?
Qu’il tourne à droit, à gauche, il sçait ce qu’il peut faire,
 L’Amour applanit son chemin.

Je vous dis dans ma Lettre du dernier mois, que Mr le Marquis de Chastillon, premier Gentilhomme de la Chambre de Monsieur, avoit épousé Mademoiselle de Broüilly, seconde Fille de Messire Antoine de Broüilly, Marquis de Piennes, Gouverneur de la Ville & Citadelle de Pignerol, Chevalier des Ordres du Roy, second Fils de Messire Charles de Broüilly, Marquis de Piennes, Comte de Lanoy, Seigneur de Mesvillers, & de Dame Renée de Rochefort de la Croisette. Ce Mariage se fit dans l’une des Chapelles du Palais Royal, en presence de Monsieur, de Monsieur le Duc de Chartres, & de Mademoiselle.

De la Génération §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 111-127

Comme vous avez dans vostre Province quantité d’Amis Sçavans, je ne doute point que vous ne soyez bien-aise de leur faire voir ce qu’un Particulier a écrit contre une Maxime assez genéralement receuë en Philosophie. Comme ce Traité est court, il peut trouver place dans cette Lettre.

DE LA GENERATION.

C’est un principe tiré d’Aristote, qu’il n’y a point de genération sans corruption, & que la corruption d’une chose est la genération d’une autre. Depuis que ce Philosophe a dit cela, personne que je sçache ne s’est avisé d’observer ce qui se passe dans les genérations. On ne s’abaisse point à regarder comment une graine germe dans la Terre ; cela est trop bas. On se fait honneur de lire Aristote & tous les Physiciens qui l’ont suivy, mais on trouve abjet de contempler les effets de la Nature en elle mesme, & de tâcher de découvrir les voyes qu’elle tient pour engendrer une Plante d’une autre Plante.

Pour moy, sans aller chercher autre chose que les graines par lesquelles il est visible que toutes choses s’engendrent, je vay faire voir qu’une veritable genération prise dans sa vraye signification ne vient point de corruption, mais qu’elle est une continuelle production.

Cette seule proposition découvre tout d’un coup ma pensée. Pour luy donner encore plus de jour, il ne faut pas simplement lire Aristote ; mais il faut semelire des graines, les voir germer, lever, & pousser leurs tiges, épanoüir leurs feüilles, éclorre leurs fleurs, voir tomber les feüilles de ces fleurs, & sur les tiges demeurer des bourses dans lesquelles sont enfermées les graines, qui dans leurs temps se ressemeront comme les premieres, dont tout l’effet de ces Plantes que je viens de décrire s’est ensuivy.

Avant que d’expliquer comment se fait la genération, il faut que je demande à ceux qui me pourront contredire si lors que l’on seme une Feve, & qu’elle leve de terre, qu’elle estend ses branches, qu’elle produit ses fleurs, & enfin ses gousses, & ses Feves qui serviront à avoir de pareilles Plantes l’année d’aprés (Spes altera gentis,) il faut, dis-je, que je leur demande s’ils trouvent qu’il y ait de la corruption dans tout cela, ou en quelqu’une de ces parties, & en quel temps. Si Aristote a trouvé là de la corruption, qu’on me dise, s’il y a moyen, quelle corruption on apperçoit quand une branche s’allonge, quand elle grossit, quand une feüille devient plus large & plus grande. La même chose se doit dire des fleurs & des graines survenantes aux fleurs. Que si on n’y en apperçoit pas, comme visiblement il n’y en a point, n’y ayant rien de si incorrompu que ce qui est actuellement vivant & bien composé en toutes ses parties, pourquoy dire que la genération se fait par la corruption ? On voit bien de la genération, puis que des fleurs s’engendrent, & sur une Plante comme je le viens de dépeindre, & sur un Arbre qui fleurit aussi bien que les Plantes, & on ne voit pas seulement l’ombre ou l’apparence de la moindre corruption, au contraire tout se perfectionne en se grossissant, en s’agrandissant, en s’estalant, & en s’éparpillant.

Je croy qu’on ne pourra me dire autre chose, sinon que ce n’est pas là le temps & l’endroit de cette corruption qui est principe de genération. Alors je demande en quel temps & en quel endroit de la Plante arrive cette corruption. Si on me dit, comme on le dit ordinairement, que c’est lors que l’on met la graine en terre, & qu’elle germe, pourveu que je fasse voir que mesme en ce temps-là, & en cette partie de la Plante ; (car la graine est une partie de la Plante, bien qu’elle en soit alors détachée,) elle est de mesme nature que la Plante, & qu’il n’arrive rien autre chose à la graine semée en terre, que ce qui arrive en toutes les parties de la Plante quand elle est en son entier, je croy qu’on ne pourra pas me contester que ce que j’ay avancé ne soit veritable. Puis que le germe qui sort de la graine n’est autre chose que la branche qui sort de son tronc, la feüille qui sort de la branche, & les fleurs des feüilles, ou des boutons entre les feüilles, il est plus clair que le jour qu’il n’y a point de corruption à tout cela ; donc il n’y en a point du tout non plus dans la genération de la Plante, qui n’est qu’une continuation de production de mesme nature que la croissance & l’épanoüissement de la Plante.

Pour en venir au détail, il faut qu’on m’avouë qu’aprés qu’une Féve a esté quelque temps dans terre, l’on en voit sortir deux demy Féves, car la Féve qui estoit contenuë dans une pellicule, comme un œuf dans sa coquille, la rompt, & l’abandonne à la corruption & à la pourriture. C’est là qu’il en faut reconnoistre comme je fais. Elle est encore plus sensible aux fruits qui ont des noyaux, comme la Noix, l’Abricot, la Pesche. Il est visible que la coquille de la Noix se pourrit quand la Noix germe ; ainsi du noyau de l’Abricot, & de la Pesche, & la coquille de cette Noix & les noyaux de cét Abricot, & de cette Pesche se pourrissent & se corrompent effectivement. Aussi ne s’en engendre-il rien que de la terre noire, qui peut-estre est fort propre à la nourriture des Plantes futures.

Ces deux moitiez de Féve, bien loin de se corrompre, reverdissent, & deviennent comme les deux premieres feüilles de la Plante qui doit naistre, c’est à dire qui se va développer & agrandir à la faveur de l’humidité & de la chaleur de la terre. Cette petite partie appellée le germe, que l’on peut encore mieux voir avec des Microscopes, est déja une Plante, & fait en elle-mesme ce qu’elle auroit peut-estre pû faire sur la Plante d’où elle a esté tirée. Je puis montrer par un exemple, que cela arrive à quelques graines d’Arbres, qui commencent à devenir Arbres, c’est à dire à avoir racine, tige & feüilles sur leur Arbre mesme, car cela arrive à la graine des Sicomores, & d’autres Arbres encore.

On m’a déja, je croy, accordé qu’il n’y a point de corruption sur une Plante quand ses feüilles deviennent plus grandes, & qu’elles s’estendent, & je fais comprendre par la simple veuë, qu’il n’arrive rien à la graine que ce qui arrive à ces feüilles ; donc on ne peut pas dire qu’il y ait de la corruption à la poussée d’une tige qui sort de la boette de sa graine ; car qu’on y prenne bien garde, toutes les graines sont enfermées dans des boettes qui ne servent à rien du tout qu’à les conserver jusques au temps de leur plantage, & les amandes que l’on casse font bien voir que leur noyau ou coquille ne sert de rien pour les faire germer.

Ce que j’ay dit de la corruption & de la pourriture de la pellicule de la Féve, & de la coquille de la Noix, peut faire connoistre tres-clairement ce que c’est veritablement que corruption & pourriture. La coquille de Noix pourrit, & il ne s’en produit rien. Si le germe de la Noix pourrissoit de mesme, il ne naistroit point de Noyer. Quand on seme des graines, quand on plante des Noix, du Gland, des Chastaignes, il n’en leve quelquefois pas la moitié. D’où vient cela ? C’est que la graine la Noix, le Pepin estant maleficié, corrompu, pourry, il ne peut produire ce qu’il auroit produit s’il eust esté bien conditionné & dans son entier.

L’idée de la Corruption n’est donc pas si difficile à avoir, il n’y a qu’à considerer que dés qu’une graine est brizée, que dés qu’elle est dessechée outre mesure, que dés qu’elle est excessivement remplie ou engloutie d’humidité, elle ne peut plus faire ses fonctions, & pousser selon sa vertu & sa force naturelle une nouvelle Plante. Ainsi dans une Horloge, dérangez le moins du monde plusieurs ou une seule de ses roües, vous ruinez tout le mouvement, ou du moins vous le pervertissez, & l’Horloge au lieu de marquer sept heures en marquera dix, au lieu de sonner quatre heures, elle en sonnera douze. Voila un leger, & tres-foible exemple de ce qui arrive en la nature, la corruption n’est autre chose qu’un desordre, qu’un dérangement, qu’une dissipation. Que tout soit dans l’ordre, que tout soit bien arrangé, que tout soit bien ramassé & assemblé, il ne manquera jamais d’y avoir une bonne production, c’est à dire une veritable genération.

On s’est donc bien trompé en suivant Aristote, & tant d’autres qui l’en ont cru sur sa parole, quand on a dit que la corruption estoit cause de genération ; car je pense avoir fait voir, à n’en pouvoir jamais douter, que la corruption de pourriture est l’ennemie capitale de toute genération, & que nous ne verrions que perir les choses dans le monde, si elles se corrompoient.

[A propos du Recueil d'Airs d'Honoré d'Ambruis]* §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 127-133

 

Vous ne me demanderez plus pourquoi Mr d'Ambruis aprés s'estre acquis tant de réputation par ses beaux Airs, a négligé d'en faire part au Public. Il vient d'en donner un Recueil avec leurs ornemens dans la mesure, & les seconds couplets en diminution, mesurez aussi sur la Basse continuë, & tres-propres pour ceux qui veulent se perfectionner dans l'Art de bien chanter, ou toucher sur la partie pour l'accompagnement de la voix seule. Il a cru devoir cette satisfaction au Public, qui le pressoit depuis fort longtemps de faire imprimer quelques-uns des Airs qui couroient dans le monde fort imparfaits, & sans leurs Basses naturelles. Ce Recueil en contient beaucoup qui ont mérité une estime genérale. Mr d'Ambruis y en a joint d'autres qui n'ont point encore paru, & il les a accompagnez de leurs seconds couplets en diminution, mesurez pareillement sur la Basse continuë. Il a mis à la fin un Dialogue pour une Haute-contre, un Dessus, & une Basse continuë. On pourra chanter la Basse-contre quand on voudra, & en cas on pourra aussi chanter le Dessus en Taille. Ceux qui souhaiteront se perfectionner dans l'Art du Chant, trouveront de la satisfaction dans ce Livre, & si l'on veut consulter ce celebre Maistre, on découvrira des facilitez qui ne peuvent s'exprimer sur le papier. Il s'est servy en quelques endroits de marques particulieres au lieu de Notes, pour les Ports de voix, Cadences épuisées, Cadences en l'air, doubles Cadences, flatemens, accens ou plaintes. Il promet dans peu un autre Livre d'Airs à trois parties chantantes, & d'autres Ouvrages. Il a dédié celuy-cy à l'Illustre Mr Lambert, Maistre de Musique de Chambre du Roy. Il en fait l'éloge, & avouë que c'est dans la méditation de ses Ouvrages, qu'il a puisé les connoissances qui l'ont fait travailler si heureusement. Il est assez rare qu'un habile Homme veüille ceder à un autre de mesme profession, & c'est ce qui fera estimer Mr d'Ambruis, autant que ses beaux Airs, & ce qui luy a peut-estre attiré ce Sonnet.

Mettre dans un beau jour les plus foibles pensées,
Réparer par des tons les defauts d'un Autheur,
Toucher d'une Chanson le moins sensible coeur,
Et redonner la vie à des choses passées.
***
Avec un tour galant, des manieres aisées
Peindre les passions, en inspirer l'ardeur,
Faire d'un beau sujet éclater la grandeur,
Et sçavoir ménager les choses opposées.
***
Travailler sans relache ; estre toûjours nouveau,
C'est montrer ce que l'Art a de rare & de beau,
Et ce que jusqu'icy peu de Gens ont sçeu faire :
***
Mais joindre à ces talens un esprit bien tourné,
Pour plaire également en plus d'un caractère
Ce n'est qu'au seul d'Ambruis que le Ciel l'a donné.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 133-134.

Après tout ce que je viens de vous dire de Mr d'AmbruisI, je croy que ce sera vous faire plaisir que de vous donner un Air de sa façon. En voicy un que vous trouverez tres-digne de ce grand Maistre. Les paroles sont de saison, puis qu'on les a faites sur le retour du Printemps.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par L'Hyver ne cache plus les Fleurs ny les Gazons, doit regarder la page 134.
L'Hyver ne cache plus les Fleurs ny les Gazons,
Du tendre Rossignol on entend les chansons,
Et le feüillage renouvelles
Tout est charmé d'un si beau temps,
Et moy seul je me plains d'une saison si belle ;
Son retour ne rend point mon Iris moins cruelle.
Helas ! puis-je goûter la douceur du Printemps ?
images/1685-04_133.JPG

Plaintes d'un Amant §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 134-137

 

Voicy d'autres paroles que vous trouverez fort agréables, & tres-propres à estre chantées. Elles sont de Mademoiselle Castille.

PLAINTES D'UN AMANT

Languissant & réveur aux bords d'une Fontaine,
Helas ! dis-je cent fois songeant à Céliméne,
  Ces petits flots d'argent
  Vont d'un cours diligent
R'embellir l'émail de la Plaine.
  Ces Ruisseaux
Ont repris leur doux murmure ;
  Ces Costeaux
Une nouvelle Verdure ;
  Ces Ormeaux
Redonnent leurs frais ombrages ;
  Ces Oyseaux
Font retentir ces Bocages
 De mille chans nouveaux.
  Ce Gazon,
  Ce Valon
  Refleurit,
  Tout rit
  Dans nostre Village,
Tout fait l'amour, tout s'engage.
Tircis ce galant Berger
Qui ne fait que songer
A réjouir Iris son aimable Bergere,
 Va méditant pour elle tout le jour
Cent petits Airs nouveaux sur sa Flûte legere
  Et sa bergere à son tour
  Ne songe sans cesse
  Qu'à soulager son amour
  D'un peu de tendresse.
Enfin dans nos Hameaux, dans nos Bois, nos Champs
 Tout se prépare aux plaisirs innocens
  Que ramene
  Le Printemps.
 L'on y verra plus d'inhumaine
 Que mon ingrate Céliméne,
 Qui ne promet à mes feux trop constans
 Qu'une éternelle peine.

[Autres vers de Mademoiselle de Castille] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 137-138

Ces autres Vers sont de la mesme Mademoiselle Castille.

Tu croyois, me dis-tu, le Printemps de retour
 Sur la foy d’un beau jour,
Et déja ton Troupeau paissoit dans la Prairie,
Un froid nouveau luy fait garder la Bergerie.
 Cloris cent fois m’a joüé mesme tour
Cent fois j’ay cru son cœur sensible à mon amour,
Et tout ce qu’elle fait, pure galanterie.
Tantost elle me chasse, & tantost me retient
L’Amour en soit loüé, point de plainte importune,
L’Amour & le temps vont comme il plaist à la Lune,
Tircis fay comme moy, prens le temps comme il vient.

Le Triomphe de Vénus §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 149-162

Vous vous souvenez de la Dispute qui s’est élevée entre les Sçavans touchant la Statuë de la Ville d’Arles, pour sçavoir si elle representoit Venus, ou Diane. La décision de Sa Majesté qui s’est déclarée pour la premiere, ayant terminé ce differend, Mr Magnin de l’Academie Royale d’Arles, a fait là-dessus le galant Ouvrage que je vous envoye.

LE TRIOMPHE
DE VENUS.

Sur le bord de l’Arar, ma Muse solitaire,
 Cher espoir de mes derniers jours
M’offroit de quelques Vers le sterile secours,
 Et révoit à son ordinaire,
 Quand les Jeux, les Ris, les Amours
Vinrent troubler en foule, avecque leurs Tambours
 Leurs chants, leur Haut-bois, leur Musette,
 Le silence de ma Retraite.
***
Le Dieu qui fait aimer, l’air gay, le teint vermeil,
 M’aborde, s’avance à leur teste,
 Et me dit, sors de ce sommeil,
Qui, si loin des plaisirs, & t’endort, & t’arreste.
Venus triomphe enfin, je t’invite à la feste ;
A la Cour de LOUIS, on en fait l’appareil,
 Et tout en est jusqu’au Soleil.
***
Diane a beau faire la fiere,
Elle n’a plus de Courtisans,
Et ses plus zelez Partisans
Ont abandonné la carriere.
***
 Sur un sujet si glorieux
Nous avons raisonné, mais foibles que nous sommes,
Dis je alors, n’est-ce pas au plus parfait des Hommes
A dire son avis sur l’interêt des Dieux ?
LOUIS a prononcé, c’est à luy de résoudre,
Il est dans un degré si haut chez les Humains,
Que quand mesme ces Dieux luy préteroient la foudre,
A peine croiroit on qu’elle eust changé de mains.
***
Aprés que ce Heros a vuidé la querelle
 Il ne faut plus disputer,
 Venus le doit emporter,
Les Muses desormais vivront bien avec elle.
Prés de LOUIS le Grand, elles sont en faveur,
Les Graces pour Venus ont un zele fidelle ;
 Ensemble de ce vainqueur
 Chantant la gloire immortelle
 Elles se feront honneur
 De n’avoir qu’un mesme cœur.
***
Les Graces me répondirent,
Il ne tiendra point à nous
Les Jeux, les Ris repartirent,
Que peut-on faire sans vous,
Filles de Venus discrettes ?
Tout ce que goustent de doux
Les amours les plus parfaites,
N’est-ce pas vous qui le faites ?
Que peut-on faire sans vous,
Filles de Venus discrettes ?
***
Entrez dans le Palais du plus grand Roy du monde,
Admirez sa sagesse, & tranquile & profonde,
 Entrez, Mere des Amours,
 Vous triomphez, & Diane
 Qui vous traitoit de Prophane,
 N’eut jamais de si beaux jours.
***
 A ces cris d’allegresse
 Les Muses à leur tour
 Vinrent fendre la presse,
 Et pour faire leur cour
 Meslons nos voix, dirent-elles,
 A la gloire du Heros,
 Dont les grandeurs immortelles,
Nous donnent en ce jour un si noble repos.
***
Le party plut d’abord, les Graces l’accepterent,
Et sans perdre de temps en recits superflus,
 Voicy comme elles chanterent
 Le Triomphe de Venus.

LES GRACES.

Venus a l’air touchant, & d’elle on peut apprendre
A mesler aux Lauriers les Myrthes amoureux.
Venus ne gaste rien au destin des heureux,
En est on moins Heros, pour avoir le cœur tendre ?

LES MUSES.

Quand on donne des loix aux plus grands des Humains,
 Toûjours vainqueur, & toûjours équitable,
 Et que de mille Souverains
 On tient le sort entre ses mains,
Pour avoir l’ame fiere, en est-on moins aimable ?

LES GRACES.

Dans un degré de gloire, ou rien ne peut atteindre,
Il faut sçavoir décendre, il faut sçavoir charmer
 Il est beau de se faire craindre
 Il est doux de se faire aimer.

LES MUSES.

Si Venus maintenant d’une Pomme est ornée,
 De l’air dont elle la tient
 On voit qu’elle se souvient
 Du Heros qui l’a donnée.

LES GRACES.

Celle qu’elle receut de ce Berger volage
Qui causa d’Ilion le funeste ravage
 Estoit-elle de ce prix ?
 LOUIS a le rare avantage
 De ne pouvoir estre surpris ;
Il joint par un heureux, & charmant assemblage
A la fierté d’Hector les charmes de Paris.

LES MUSES.

Son régne si plein de merveilles
Est la gloire de l’Univers.

LES GRACES.

Il est l’entretien de vos veilles
Il est le charme de vos Vers.

LES MUSES.

Certes sa faveur souveraine
Nous tient lieu de tout aujourd’huy.

LES GRACES.

Il est Auguste, il est Mœcene,
Vous n’avez affaire qu’à luy.

LES MUSES.

Qui peut nous troubler ? de la guerre
On a fermé les Etendars

LES GRACES.

Flore peut reduire en parterre
Tout le terrain du Champ de Mars.

LES MUSES.

Plus de Canons, plus de Carcasses,
Ne troublent l’accord de nos voix.

LES GRACES.

Il faut laisser rire les Graces,
LOUIS les remet dans leurs droits.

LES MUSES.

Diane n’est point abaissée ;
Que cede-t’elle icy du sien ?

LES GRACES.

Elle est la premiere placée,
Venus ne luy dérobe rien.

LES MUSES.

Sous le Heros qui les assemble
Qu’elles auront de jours heureux !

LES GRACES.

Puissent elles toûjours ensemble
L’accompagner dans tous ses vœux.

LES MUSES.

Puissent elles d’intelligence
Le charmer dans ses petits Fils.

LES GRACES.

Puissent-elles toûjours en France
Faire la culture des Lis.

LES MUSES.

Venez, heureuses Destinées
Venez seconder ses desirs.

LES GRACES.

Ne veillez que sur ses années,
Ne ménagez que ses plaisirs.

LES MUSES.

Fieres Beautez, Venus vous presse
De vous enflamer en ce jour.

LES GRACES.

Que tout se rende à la tendresse ;
Que faire d’un cœur sans amour ?

LES MUSES.

Sans amour seroit-il possible
D’avoir des plaisirs accomplis ?

LES GRACES.

Qu’Amarilis soit insensible,
C’est tant pis pour Amarilis.

LES MUSES.

Venus triomphe, tout le monde
Doit estre soumis à ses loix.

LES GRACES.

Elle enflame la terre & l’onde,
Peut-on avoir de plus grands droits ?
***
 Merveille du siecle où nous sommes,
Dit l’Amour, si Venus voit rétablir ses droits,
  N’est-ce pas par la voix
 Du plus parfait des Hommes,
 Et du plus grand des Rois ?
***
Son triomphe est finy, sa gloire est accomplie
Sa place estoit marquée, & le sera toûjours,
 Pouvoit-elle estre mieux remplie
 Que par la Mere des Amours ?
***
Allez à vostre tour, allez prendre vos places
Dans ce Palais auguste, il ne vous manque rien
 Et pour finir vostre entretien
Apprenez à tous ceux qui plaignoient vos disgraces,
 Que les Muses, & les Graces
 Ne furent jamais si bien.
***
 Allez par toute la terre
 Assembler vos Favoris,
 Le bruit affreux de la guerre
 Ne troublera plus vos cris.
***
 Signalons nostre allegresse,
 Regnons dans ce Siecle heureux,
 C’est l’amour qui nous en presse,
 Dirent les Ris, & les Jeux.
Allons faire éclater sur la Terre & sur l’Onde,
 Allons, & ne tardons plus,
 Au nom du Maistre du monde
 Le triomphe de Venus.
***
 A ces mots ils disparurent,
Sur leurs pas les Zephirs de la Plaine coururent
 Et restant seul je dis en soûpirant,
 Trop heureux qui vous peut suivre
 Dans cét air si triomphant ;
 Mais plus heureux qui peut vivre
 Auprés de LOUIS le Grand !

Le Coq d’Inde déplumé. Fable §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 182-187

L’Envie est un grand defaut, & il n’y a rien de plus dangereux que de l’écouter. La Fable qui suit nous le fait assez connoistre.

LE COQ D’INDE
DÉPLUMÉ.
FABLE.

 Un jour les Oyseaux de nos Bois
Disputérent entr’eux de la plus belle voix.
 Il s’agissoit d’acquerir de l’estime ;
On détermina l’Air que l’on devoit chanter.
 C’estoit un Air grand & sublime,
On vint de toutes parts à dessein d’écouter,
 Et pour juger de cette Affaire.
Un Chardonnet d’abord y parut sur les rangs,
 Mais sa voix estoit si vulgaire,
 Que nonobstant ses Partisans,
 Elle n’eut pas le don de plaire.
Vn Rossignol survient, mais un des plus sçavans,
 Et d’une voix aussi douce que forte ;
Ses tons semblent si beaux, si justes, si touchans,
 Que de cent Piques il l’emporte,
Et mesme de l’aveu des autres Prétendans
 Chacun luy donne la victoire.
Il est vray qu’un Corbeau voulut ternir sa gloire ;
 Mais malgré ses croassemens,
 On rendit justice au mérite.
Luy, par une prudente & modeste conduite,
Aussi-tost se cacha, de peur des Complimens.
 La Dispute estoit donc finie,
Lors qu’un vieux Poulet d’Inde, émû de jalousie,
 Osa bien la recommencer.
 Quelques Poulettes ses Voisines,
Sans esprit, sans bon goust, inquiettes, chagrines,
 A cela le vinrent pousser.
A disputer le Prix fortement il s’engage ;
 Ce Chantre du dernier étage,
Qui n’avoit jamais dit que pi, pi, pia, pia,
Du Vainqueur hardiment condamna le ramage ;
Le Rossignol le sceut, & peu s’en soucia.
 A son aise il luy laissa dire
 Tout ce qu’il avoit sur le cœur.
Le Coq d’Inde, au lieu de luy nuire,
 Ne luy fit qu’un fort grand honneur.
 Cet Oyseau né pour la Cuisine
Ne pouvoit, disoit il, souffrir ces roulemens,
Ces fredons redoublez, & ces faux agrémens
 Qui ne se font que par routine.
Il aimoit dans le Chant cette simplicité
 Qui n’a rien qui soit affecté.
 Ses plaintes par tout retentissent ;
A ses raisons d’abord les Oysons applaudissent.
On fait donc assembler les Oyseaux d’alentour,
 Pour juger de la Voix charmante.
Il vint des Epreviers, avec quelque Vautour,
 Gens sujets à la paraquante.
 Mesme on invita des Coucous,
 Des Chauvesouris, des Hibous,
 Pour rendre la Troupe nombreuse.
En leur présence enfin le Coq d’Inde chanta,
Et sa voix leur parut si rude & si piteuse,
 Qu’en un moment chacun d’éux s’écarta.
Cependant nostre Chantre estoit tout hors d’haleine,
Lors qu’un grand Eprevier de couroux s’enflama,
 Sauta sur luy, le dépluma,
 Pour luy faire payer la peine.
***
Ainsi l’on voit de sottes Gens,
Entestez de leur propre estime,
Qui, soit en Prose, soit en Rime,
Veulent qu’on rie à leurs dépens.

Sur la Mort du Roy d’Angleterre §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 213-216

Tant de Personnes m’ont témoigné avoir leu avec plaisir les Nouvelles d’Angleterre, qui font des Articles importans dans mes deux dernieres Lettres, que je puis croire que vous me parlez sincerement quand vous m’asseurez que vous en estes contente. L’Histoire des malheurs du Roy, dont je vous ay fait un abregé, pouvoit se trouver séparément en plusieurs Volumes, mais peut-estre toutes les Relations qui ont couru ne vous auroient pas fourny le triste Journal de ce qui s’estoit passé dans le peu de temps qu’a duré sa maladie, si je n’avois eu le soin d’en ramasser les plus remarquables circonstances. Elle a commencé par une attaque d’Apopléxie, contre laquelle l’Art des Medecins a esté sans force. Il semble que comme sa vie avoit esté extraordinaire, il falloit aussi que sa mort le fust. Je vous envoye un Sonnet qui a esté fait sur cette pensée.

SUR LA MORT
DU ROY D’ANGLETERRE.

Qui ne sçait de ce Roy l’étonnante misere !
Ses malheurs purent-ils abatre son grand cœur ?
un Trône qui fumoit encor du sang d’un Pere
Pour y monter si-tost luy faisoit trop d’horreur.
 Le desir de vanger une teste si chere
A l’Univers entier exprima sa douleur.
Qu’il y satisfit bien quand le Ciel moins contraire
Enfin dans ses Etats le ramena vainqueur !
 Mais helas ! il n’est plus ; l’impitoyable Parque
Vient de trancher le fil des jours de ce Monarque.
C’auroit esté trop peu cependant pour le sort
 Qui d’abord le soûmit aux fureurs de l’envie,
D’avoir par de grands traits voulu marquer sa vie
S’il n’eust fait remarquer le genre de sa mort.

[Noms de ceux qui doivent estre du Carousel de Monseigneur le Dauphin] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 246-256

 

Je vous envoye seulement les noms de ceux qui doivent composer le Carousel de Monseigneur le Dauphin. J'aurois satisfait plûtost vostre curiosité sur cét article, mais entre un si grand nombre de Personnes distinguées, il est difficile de fixer un choix. Les maladies, & divers autres accidens y peuvent d'ailleurs apporter du changement, & je ne vous répons pas qu'il n'y en arrive point jusqu'au jour de ce Carousel, qui est remis au commencement de Juin. Mr le Duc de S. Aignan qui entend parfaitement bien ces sortes de Divertissemens guerriers, & qui ordinairement en est l'Inventeur, a donné le sujet de celuy-cy. Il l'a tiré des Guerres Civiles de Grenade, & en a reglé beaucoup de choses, comme il avoit fait à la grande Feste de Versailles qui avoit pour tître, Le Palais d'Alcine, ou Les Plaisirs de l'Isle enchantée. Elles estoit entiérement de son invention, & dura trois jours, avec diférens Spectacles. Il y aura huit Quadrilles dans le Carousel qui va paroistre. Elles seront divisées en deux Partys. Voicy les noms des Officiers Genéraux.

M. le Duc de Saint Aignan Maréchal de Camp Genéral.

Il sera suivy de quatre Pages, & de quatre Estafiers, & aura deux Trompettes & un Timbalier.

Les Maréchaux de Camp sont

M. le Duc de Gramont.

M. le Duc d'Uzés.

M. le Marquis de Tilladet.

M. le Marquis de Dangeau.

Ils auront chacun trois Pages & trois Estafiers.

Monseigneur le Dauphin sera à la teste de la premiere Quadrille de son Party, qui representera les Abencerrages. Ses couleurs seront Or & Noir, il aura quatre Escuyers qui sont :

M. du Mont.

M. de la Neuville.

M. du Gast.

M. de Casau.

Il sera suivy de vingt Pages, & de vingt Estafiers, & il aura huit Trompettes & deux Timbaliers.

Vous allez lire les noms des jeunes Seigneurs qui seront de son Party. Souvenez-vous, s'il vous plaist, Madame, que je mets ces noms sans marquer les rangs que la naissance doit donner à chacun d'eux.

M. le Marquis de Crequy.
M. le Marquis de Nangis.
M. le Comte de Brione.
M. le Duc de la Tremoüille.
M. le Grand-Prieur.
M. de Mailly.
M. de la Roche-Guyon.
M. le Prince d'Elbeuf.
M. le Duc de Vendosme.
M. le Comte de Fiesque.

LES ALMORANDY,
Dont les Couleurs seront Argent & Couleur de Feu.

M. le Chevalier Colbert.
M. de Coedelette.
M. de Plumartin.
M. de Bussolle.
M. de Mirepoix.
M. de Roussy.
M. de Thiange.
M. de Castres.
M. de la Fayette.
M. de Palavicin.

LES ALABASES,
Dont les Couleurs seront Grisdelin, & Argent.

M. de Hautesort.
M. de le Chastre.
M. le Chevalier de Broïlle.
M. le Marquis d'Antin.
M. le Marquis de Tresnel.
M. de Villacerf.
M. le Marquis de Livry.
M. de Médavid.
M. de Liftenay.
M. de Brassac.

LES GAZULES,
Qui auront pour Couleurs le Violet & l'Argent.

M. le Prince de Furstemberg.
M. le Prince Camille.
M. de Chamarante.
M. le Marquis de Bellefonds.
M. de Neste.
M. de Conismark.
M. de Rohan.
M. le Duc de Roquelante.
M. le Prince de Tingry.
M. de Rochefort.

Ils auront tous chacun deux Pages, & deux Estafiers.

Monsieur le Duc de Bourbon commandera le Party contraire. Ses Ecuyers seront

M. de la Nouë

M. de la Vergne.

Il aura dix Pages, & dix Estafiers, six Trompetes, & deux Timballiers.

LES VANEGUES,
Qui auront pour Couleurs l'or & l'Argent.

M. de Querouël.
M. le Marquis de Soyecourt.
M. de Villequier.
M. Milly Bouligneux.
M. le Comte d'Ostel.
M. le Comte Danau.
M. de Carpéigne.
M. de Nogaret.
M. de Villars.
M. le Comte de Gondrin.

LES ZEGRI,
Qui porteront Verd & or.

M. de Blanzac.
M. de Valentinois.
M. le Duc de la Ferté.
M. le Marquis d'Alincourt.
M. le Chevalier de Sully.
M. de Sainte Frique.
M. d'Artagnan.
M. de Vervins.
M. le Prince de Harcourt.
M. de Liancourt.

LES MASSES,
Qui auront pour Couleurs Feüille-morte & Argent.

M. de Vaubecourt.
M. de Surville.
M. de Mursé.
M. de Quelus.
M. de Molac.
M. de Froulé.
M. de Moüy.
M. de Baisemaux.
M. de Bournonville.
M. d'Ancenis-Charost.

LES GOMELES,
Dont les couleurs seront Cramoisy & Argent.

M. de Cossé.
M. de Vieuxbourg.
M. de Montchevreüil.
M. de Ferdinand.
M. de Bouligneux.
M. le Chevalier de Soyecourt.
M. de Vibraye.
M. de Novion.
M. le Duc d'Atris.
M. de Chemerault.

Ils auront tous chacun deux Pages, & deux Ecuyers, de mesme que ceux du premier Party.

[Histoire] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 256-272

On m’a conté une chose fort particuliere, arrivée icy sur la fin du Carnaval. C’est la saison des Déguisemens, & par conséquent des Avantures. Un Cavalier d’une Province éloignée, estant venu à Paris pour y acquerir l’air de liberté & de politesse qui distingue ceux qui ont veu le monde, prit habitude chez une Dame tres spirituelle, qui cultiva cette connoissance avec tout le soin qu’elle devoit. Elle avoit deux Filles, toutes deux bien faites, & la fortune ne luy ayant pas esté favorable, il estoit de l’intérest de l’une & de l’autre que sa politique ménageast ceux que des visites un peu assiduës pouvoient engager à prendre feu. Le Cavalier estoit riche, & cette seule raison eust porté la Dame à tous les égards qu’elle avoit pour luy, quand mesme il n’auroit esté considérable par aucun merite. Il n’eut pendant quelque temps que des complaisances genérales que l’honnesteté oblige d’avoir pour toutes les Dames. On le recevoit agréablement, & les deux Sœurs à l’envy luy faisoient paroistre toute l’estime que la bien séance leur pouvoit permettre, sans qu’aucun empressement particulier pour l’une ou pour l’autre marquast le choix de son cœur, mais enfin il s’attacha à l’Aînée, & l’égalité d’humeur qu’il luy trouva fut pour luy un si grand charme, qu’il mit tous ses soins à s’en faire aimer. Vous jugez bien qu’il n’eut pas de peine à y réüssir. La Belle estoit dans des dispositions qui avoient en quelque sorte prévenu ses vœux, & la Mere authorisant la correspondance que le Cavalier luy demandoit, il eut le plaisir de se voir aimé dés qu’il se fut déclaré Amant. On eust bien voulu qu’il eust arresté le Mariage, mais il estoit dangereux de l’en presser, & on jugea à propos d’attendre que sa passion mieux affermie l’eust mis en état de ne point examiner le peu d’avantage qu’il devoit tirer de cette alliance. Cependant ce ne furent plus que des Parties de plaisir. Le Cavalier voulant divertir sa belle Maistresse, la menoit souvent à la Comédie ou à l’Opera, & cherchoit d’ailleurs tout ce qui pouvoit contribuer à luy donner de la joye. Le temps de la Foire estant venu, ils y allérent plusieurs fois ensemble, & il luy faisoit toûjours quelque Present. La Mere avoit part à ses liberalitez, & comme il aidoit à entretenir le Jeu chez elle, ses visites assiduës luy estoient utiles de bien des manieres. La fin du Carnaval approchoit, & la Belle ayant un jour témoigné qu’elle avoit envie de courir le Bal, le Cavalier songea aussitost à la satisfaire. Il alla chercher des habits fort riches, les fit porter chez la Dame, & chacun choisit ce qu’il voulut. Les deux Filles s’habillerent en Hommes à la Françoise avec des écharpes magnifiques, & les autres ornemens qui pouvoient servir à leur donner de l’éclat, & la Mere & le Cavalier se déguisérent en Arméniens. La galanterie estoit jointe à la propreté, & cette petite Troupe meritoit bien qu’on la regardast. Le Cavalier qui aimoit le jeu, ayant accoûtumé de porter beaucoup d’argent, la Belle vouloit qu’il laissast sa bourse. La Mere dit là dessus, que puis qu’on croyoit qu’il n’y eust pas seureté entiere à se trouver le soir dans les Ruës, elle aimoit mieux rompre la Partie, que de s’exposer à une mauvaise rencontre. Le Cavalier ne manqua pas de répondre, qu’elle estoit si peu à craindre, par le bon ordre que les Magistrats y avoient mis, que quand il auroit mille pistoles, il iroit luy seul par tout Paris, aussi seurement que s’il estoit escorté de tous les Archers du Guet. En mesme temps il donna à la Belle un Diamant qui estoit de prix, pour tenir son Masque, & ils montérent tous en Carrosse, pour aller dans le Fauxbourg Saint Germain, où ils apprirent qu’il y avoit une tres-belle Assemblée. L’affluence des Masques leur permit à peine d’y entrer ; mais enfin le Cavalier s’estant fait jour dans la foule, ils arrivérent jusqu’à la Salle du Bal. Les Lustres dont elle estoit éclairée, relevoient merveilleusement la beauté de leurs Habits. Toute l’Assemblée les remarqua, & cela fut cause qu’on les fit d’abord dancer. Ils s’en aquitérent avec une grace qui leur attira de grandes honnestetez du Maistre de la Maison. Il leur fit donner des siéges, & le Cavalier prit place auprés de la Belle. Tandis que l’Amour leur fournissoit le sujet d’un entretien agréable, la Mere & la Sœur n’estoient occupées qu’à regarder ; & s’ennuyant d’estre toûjours dans le mesme endroit, elles se firent un divertissement d’aller dans toute la Salle noüer conversation avec les Masques qu’elles y trouvérent. On envoyoit sans cesse entrer de nouveaux, & la confusion y devint si grande, qu’on fut enfin obligé de faire cesser les Violons. Les deux Amans se leverent, & aprés avoir cherché inutilement la Mere & la Sœur, ils descendirent en bas, croyant les y rencontrer. Ils n’y furent pas plûtost qu’ils les apperceurent. Le Cavalier prit la Mere par la main, & fit passer les deux Sœurs devant. On ne songea qu’à se hâter de sortir, & ils montérent tous quatre en Carrosse, sans se dire rien. Le Cocher, qui en partant du Logis avoit eu ordre de les mener à un second Bal, en prit le chemin. A peine avoit il fait deux cens pas, que le Cavalier osta son masque, pour demander à la Mere si elle s’estoit un peu divertie. Cette Mere prétendüe fut fort surprise d’entendre une voix qu’elle ne connoissoit point. Elle cria au Cocher qu’il arrestast ; & le Cavalier & sa Maistresse ne furent pas moins étonnez que les deux autres, d’une méprise qui les mettoit tous dans un pareil embarras. Le hazard avoit voulu qu’un Homme distingué dans la Robe, s’estoit déguisé avec sa Femme, sa Sœur, & sa Fille, de la mesme sorte que le Cavalier & les trois Femmes dont il s’estoit fait le Conducteur, c’est à dire, deux en Arméniens, & deux en habits à la Françoise. Ils s’estoient perdus parmy la foule des Masques, & dans la confusion la Femme & la Fille de l’Homme de Robe, avoient pris le Cavalier & la Belle pour les deux Personnes qu’elles cherchoient. Il fut question de retourner à ce premier Bal, pour tirer de peine ceux qu’on y avoit laissez ; & l’on prenoit déja cette route, lors que dix Hommes masquez approchérent du Carrosse. Ils forcérent le Cocher à quiter le siége, & l’un d’eux s’y estant mis, conduisit le Cavalier & les trois Dames assez loin dans le Fauxbourg. Le Carrosse s’estant enfin arresté, ceux qui l’escortoient leur dirent qu’il y alloit de leur vie s’ils faisoient du bruit, & qu’on n’en vouloit qu’à leurs Habits. La résistance auroit esté inutile. Ainsi le meilleur Party qu’ils virent à prendre, fut de descendre fort paisiblement, & d’entrer dans une Maison de peu d’apparence, qui leur fut ouverte. Là ces Masques un peu trop officieux prirent la peine de les décharger de tout l’équipage qui avoit servy à les déguiser, & les revétirent à peu de frais, & seulement pour les garantir du froid. Outre les habits, la Belle laissa son Diamant, le Cavalier sa bourse, & une fort belle Montre, & les deux Dames, ce qu’elles avoient qui valoit la peine d’estre gardé. Aprés les avoir ainsi dépoüillez, ces Voleurs leur demandérent où ils vouloient qu’on les remenast. Le Cavalier & la Dame se nommérent, & on les remit chez eux. L’Homme de Robe ayant retrouvé sa Femme, se persuada que le Cavalier n’avoit imité son déguisement que pour faire réüssir le vol qui venoit d’estre commis, & ne doutant point qu’il n’eust esté d’intelligence avec les Voleurs, il commença contre luy des procédures qui apparemment auront de la suite. De l’autre costé le Cavalier touché de sa perte, se mit dans l’esprit que la Mere de la Belle n’avoit témoigné vouloir rompre la partie quand on luy avoit proposé de laisser sa bourse, que pour l’obliger à la porter, & s’imaginant qu’elle s’estoit cachée à dessein parmy les Masques pour l’engager à sortir sans elle, il la crut complice de son avanture. Ainsi son chagrin ayant étouffé l’amour, il fait contr’elle les mesmes poursuites que fait contre luy l’Homme de Robe. L’acharnement est grand à plaider de part & d’autre. Voila, Madame, ce que porte mon Memoire. On m’asseure qu’il est vray dans toutes ses circonstances.

[Devotions du Roy & de toute la Maison Royale pendant la Semaine Sainte] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 273-274, 277

 

Le Roy qui remplit avec tant d'application & d'exactitude tous les devoirs d'un grand Monarque, s'est ataché pendant toute la derniere semaine de Caresme avec autant de zéle que de pieté à tous ceux d'un veritable Chrétien. Non seulement il s'est trouvé à tous les Offices que prescrit l'Eglise dans un temps si saint, mais il a fait encore toutes les choses qui les rendent beaucoup plus longs & plus fatigans pour luy que pour les particuliers, comme celles de faire la Cene, & de toucher les Malades. [...]

 

Le mesme jour le Roy, Monseigneur le Dauphin, & Madame la Dauphine, entendirent la Grand'Messe chantée par la Musique de Sa Majesté, & assistérent à la Procession du Saint-Sacrement. [...]

[Changement arrivé dans la Troupe des Comédiens Italiens] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 288-295

 

La Comédie estant plus à la mode qu’elle n’a jamais esté, & faisant depuis quelque temps plusieurs fois chaque semaine le divertissement de la Cour, & tous les jours celuy du Public depuis la jonction des Troupes Françoises, je croy que je dois vous en parler comme d’un plaisir recherché de tout le monde, & que l’on voit genéralement aimé. Je vous diray donc que ce divertissement qui a cessé selon la coûtume pendant la quinzaine de Pasques, va recommencer, mais avec des changemens considerables du costé des Acteurs. Il n’y a pas lieu d’en estre surpris. Les Comédiens qui occupoient l’Hostel de Bourgogne, ceux qui joüoient au Palais Royal, & sous le nom de la Troupe de Moliere, & celle qui representoit au Marais, ne composant à present qu’une seule Troupe qu’on appelle de Guenegaut, à cause qu’elle a son Théatre au bout de la Ruë qui porte ce nom : ces trois Troupes, dis-je, formant un Corps tres-nombreux, & tous les grands Corps estant sujets à de fréquens changemens, il est difficile qu’il n’en arrive souvent à celuy dont je vous parle. La mort a emporté des Acteurs qui avoient fait bruit dans le monde. Il y en a d’autres qui sont sortis de la Troupe avec les accommodemens qui leur ont esté proposez, & Mr Hubert a demandé à se retirer. Il estoit l’Original de plusieurs Roles qu’il representoit dans les Pieces de Moliere, & comme il estoit entré dans le sens de ce fameux Autheur par qui il avoit esté instruit, il y réüssissoit parfaitement. Jamais Acteur n’a porté si loin les Roles d’Homme en Femme. Celuy qu’il representoit dans les Femmes Sçavantes, Madame Jourdain dans le Bourgeois Gentilhomme, & Madame Jobin dans la Devineresse, luy ont attiré l’applaudissement de tout Paris. Il s’est fait aussi admirer dans le Role du Vicomte de l’Inconnu, ainsi que dans ceux de Medecins & de Marquis Ridicules. Il est fort avantageux d’avoir excellé dans les choses pour lesquelles on s’est senty du Talent. C’est ce que Mr Poisson a fait avec une grande distinction. Aussi cét Acteur surprit fort ses Camarades lors qu’il leur déclara qu’il vouloit quitter la Comédie. Ils le prierent avec de grandes instances d’abandonner ce dessein, mais il les a pressez si fortement pendant plusieurs jours de luy permettre de se retirer, qu’ils ont esté enfin obligez d’y consentir. Il y a vingt-cinq ans que le Roy ayant pris plaisir à le voir joüer dans une Troupe de Campagne, le mit à l’Hostel de Bourgogne. Son grand naturel ne le fit pas seulement réussir comme Acteur, mais mesme comme Autheur ; & le recit que le Baron de la Crasse fait de la Cour, parut extrémement bien touché. Il a fait plusieurs Pieces de Théatre, & l’on peut dire que c’est la nature qui parle dans toutes. Lors qu’il a quitté la Comédie, ses Camarades luy ont donné des marques de leur estime & de leur regret. Il y a eu encore d’autres changemens dans cette Troupe, mais comme ils sont trop éclatans pour estre ignorez, je n’ay rien à vous en dire. Il y est entré des Acteurs nouveaux & des Actrices nouvelles, qui ont tous esté choisis parmy ce qu’il y a de meilleur entre les Comédiens qui joüent à la Campagne.

[Nouveaux Acteurs dans la Troupe des Comédiens Italiens] §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 295

Les Italiens qui ont déja paru ce Caresme avec un Acteur nouveau, vont encore fortifier leur Troupe de deux autres qui leur viennent d’Italie. C’est un Amant, & un Polichinelle. S’ils plaisent autant que Pasquarel, leur Sale se trouvera trop petite pour les Assemblées qu’ils attireront. J’ay cru pouvoir m’étendre autant que j’ay fait sur ce qui regarde des Troupes dont les premieres Personnes de la Terre veulent bien prendre la peine de se mêler.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 296.

Le second Air que je vous envoye est du mesme Mr d'Ambruis, dont je vous ay parlé amplement dans un des articles de ma Lettre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par En vain tu peins nos Champs des plus vives couleurs, doit regarder la page 296.
En vain tu peins nos Champs des plus vives couleurs
Printemps je ne voy point tes Gazons ny tes Fleurs,
Je ne suis point touché d'une Saison si belle,
Iris me permet de la voir
De sa seule beauté mon coeur sent le pouvoir,
Et ne n'ay des yeux que pour elle.
images/1685-04_296a.JPG

Placet de trois Demoiselles pour le Terme de Pasques §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 296-299

Les belles Personnes ont des privileges naturels qui les font venir à bout de tout ce qu’elles souhaitent. Vous le connoistrez par la réponse qui a esté faite à ce Placet.

PLACET
DE TROIS DEMOISELLES
Pour le terme de Pasques,
A MONSIEUR M.…
Conseiller au Parlement.

Quoy que Juge & Partie,
Nous vous supplions humblement
De vouloir faire une sortie
De vostre bas Appartement.
***
Le temps qui coule & qui va viste,
Fait chercher en cette Saison,
Quand on n’a pas en propre un giste,
A s’asseurer d’une Maison.
***
La Personne qui nous engage
A rimer toutes trois si bien,
Y trouvera son avantage,
Et vostre Hostesse aussi le sien.
***
De plus encore tout le monde
Admirera vostre équité,
Et vostre generosité
Charmera la Brune & la Blonde.
***
 Déve, du Tillet, & d’Orville,
Feroit voir en tous lieux vostre peu d’interest,
 Et qu’il n’est point de Juge en Ville
Qui rendist contre luy, comme vous un Arrest.
***
Vous serez l’entretien des Belles,
Et le plaisir sera bien doux,
Pour un Magistrat comme vous,
D’estre loüé dans les Ruelles.
***
Dans vostre Chambre mesmement
Jeunes & vieux vous feront feste,
D’avoir souscrit si galamment
Aux fins de nostre humble Requeste.

Réponse de Monsieur M… au Placet des trois Demoiselles §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 299-301

REPONSE DE MONSIEUR M.…
au Placet des trois Demoiselles.

Il ne falloit point m’engager,
Par d’autre interest que le vôtre,
Le plaisir de vous obliger,
L’emporte chez moy sur tout autre.
***
Quand j’aurois fait un grand serment,
De ne me laisser point corrompre,
Vostre Placet est si charmant
Qu’il pourroit me le faire rompre.
***
Mais il faut pourtant avoüer,
Qu’en vous rendant un bon office,
C’est bien moins pour me voir loüer,
Que par un acte de Justice.
***
Je n’ay pas la demangeaison,
De prendre contre vous les Armes,
Vous avez pour vous la raison
Outre la force de vos charmes.
***
Ce n’est pas me faire un grand tort,
Que d’estre si prompt à me rendre ;
Quand on a pris le cœur d’abord,
Tout le reste est facile à prendre.
***
Disposez-vous donc vistement,
A joüir de vostre conqueste ;
Jamais avec plus d’agrément
Je n’enterinay de Requeste.

[Nouvelle traduction de Lucrèce]* §

Mercure galant, avril 1685 [tome 4], p. 322-324

On a commencé à débiter chez le Sieur Thomas Guillain sur le Quay des Augustins, une nouvelle traduction de Lucrece qu’on estime fort. Elle est de Mr le Baron des Coûtures, & par la maniere dont il est entré dans le vray sens de l’Autheur, on connoist qu’il s’est appliqué à ce travail avec tout le soin que demandoit une pareille entreprise. Il nous l’a donné accompagné d’une fort belle Préface, dans laquelle il nous a fait voir quel a esté l’esprit de Lucrece, lors que dans l’Ouvrage qu’il nous a laissé, il a joint à la démonstration des choses naturelles, ce que la Morale a de plus beaux traits. Cette nouvelle traduction est divisée en deux Tomes, avec des Remarques sur les endroits les plus difficiles. Je suis, Madame vostre, &c.

 

A Paris ce 30. Avril 1685