1685

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1685 [tome 7].
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Mercure galant, juillet 1685 [tome 7]. §

[Reception faite au Roy à Meudon, par Mr le Marquis de Louvois] §

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7], p. 44-49

 

Le Lundy 2. de ce mois, Sa Majesté fit l'honneur à M. de Louvois d'aller à sa Maison de Meudon avec Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monsieur & Madame, accompagnez de la plus grande partie des Princes & des Seigneurs de la Cour. Ce Ministre fut averty si peu de temps auparavant, de la grace que le Roy vouloit luy faire, qu'il n'en eut pas assez pour le recevoir d'une manière qui pust réponde à la grandeur de son zele. Aussi, Sa Majesté y eut-Elle égard ; & c'est ce qui luy fit dire qu'Elle ne vouloit qu'une Collation. M. de Louvois avoit fait preparer un grand nombre de Chaises pour se promener dans les Jardins, dont un grand nombre de forts beaux Jets d'eau fait un des principaux ornemens ; mais le temps ne s'estant pas trouvé commode pour laisser joüir du plaisir de la promenade, on alla voir les appartemens, où des Concerts admirables divertirent la Cour. On servit ensuite un Ambigu, mais si à propos qu'on en fut surpris. Ceux qui l'avoient preparé ayant eu beaucoup moins de tems qu'ils n'avoient crû, parce qu'on en avoit peu employé à la promenade, ne laisserent pas de se trouver prests, tant les ordres avoient esté bien donnez, & tant l'exécution en fut juste. On servit en mesme temps cinq tables, la premiere pour le Roy, la seconde pour les Princes, la troisiéme pour les Seigneurs, la quatriéme pour les Officiers, & la cinquiéme pour les Pages, & plusieurs autres personnes de la suite de la Cour. Tous les Gardes, les Suisses, & generalement tous les Valets, furent regalez. Cet Ambigu fut si beau, qu'il auroit esté difficile que l'on eust pû y rien ajoûter, soit pour le plaisir du goust, soit pour celuy de la veuë. La propreté, la galanterie & l'abondance y avoient part ; & il sembloit qu'on eust forcé la Nature à se haster de produire les fruits qu'elle donne en chaque saison, pour satisfaire au desir ardent qu'avoit M. de Louvois, de faire connoistre au Roy la joye qu'il ressentoit de l'honneur que luy faisoit ce Monarque. Il ne faut que faire reflexion sur la maniere dont il vient à bout d'executer les ordres de Sa Majesté dans les choses les plus difficiles, pour estre persuadé de ce qu'il a fait dans une occasion de cette nature.

Discours Académique. S’il faut toujours dire la Verité §

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7], p. 50-69

Je vous envoye un Discours, qui a esté prononcé depuis peu de temps à l’Academie de Turin par M. l’Abbé Deville. On l’a receu dans ce Corps avec de tres grands applaudissemens, & l’on n’a fait en cela que rendre justice à son merite. Quoy qu’il n’ait encore que vingt-six ans, il est Docteur de Sorbonne, & a passé dans sa Licence à la teste de cent autres. Il est Fils d’un des plus anciens Senateurs de Savoye, & il compte parmy ses Ancestres des Advocats Generaux dans le Senat & dans la Chambre des Comptes. Son Ayeul estoit Gentilhomme de la Chambre de son Altesse Royale, dont il est Sujet, & sa Famille s’est signalée dans l’Epée & dans la Robe. Il a de grands talens pour la Chaire ; & divers Sermons qu’il a preschez devant toute la Cour de Savoye, luy ont acquis une grande gloire. Quant au Discours que je vous envoye, le Directeur de l’Academie de Turin luy en donna le sujet, & le lendemain ce jeune Abbé le luy envoya tout composé. Vous pouvez juger des loüanges qu’il receut sur cette facilité d’écrire si nettement & si poliment en toutes sortes de matieres.

DISCOVRS
Academique.
S’il faut toûjours dire la Verité.

L’Eloquence Chrétienne dont je fais mon unique étude, ne me permet pas de traiter problematiquement une Maxime, qui est le Principe fondamental de la Religion du Sauveur du Monde. Sans doute, Messieurs, il faut toûjours dire la verité, & ma bouche n’anonceroit plus avec confiance la Parole du Seigneur, si ma plume avoit donné lieu de douter un moment de l’horreur sincere que j’ay pour le mensonge. Mais pour soûtenir dignement les interests de la verité, il faudroit estre doüé de cette Eloquence noble, grave & solide, dont ceux qui composent cette celebre Academie, ont donné tant de fois des marques publiques & éclatantes. Je crains, Messieurs, de détruire en voulant édifier ; de ruiner en voulant élever ; de nuire à cette verité que j’entreprens de defendre, parce que je sçay que l’on peut faire tort à la bonne cause en la defendant mal, que l’Orateur qui ne soûtient pas la dignité de son sujet, l’affoiblit ; & que souvent il ne suffit pas de proposer des maximes certaines, si on ne les établit avec cette netteté, cette force, cette solidité, cette justesse, cette éloquence que j’admire en vous, & que je n’ay pas. Du moins on sçaura que vous pouvez suppléer à ce que j’auray ômis, que la Verité a pû trouver en vous des Defenseurs plus dignes d’elle ; & que si j’ay soutenu foiblement ses interests, plusieurs illustres & doctes Academiciens peuvent les soutenir avec plus de lumieres, de force & de solidité.

La Verité est de tous les Etats. L’Orateur, le Courtisan, l’Amy fidelle, & le Chrestien, ne peuvent jamais s’en écarter. Il faut toujours dire vray, lors mesme qu’on se méle d’éloquence ; & je ne puis souffrir ces Orateurs peu judicieux, qui donnent les mesmes loüanges à tous ceux dont ils font le Panegyrique. Tous les Princes dont ils celebrent les vertus, ont la Prudence d’un Nestor, l’Adresse d’un Ulisse, la Valeur d’un Alexandre & d’un Cesar, la Bonté d’un Auguste & d’un Vespasien. Ils ont des lieux communs qui remplissent tous leurs Discours, & des hyperboles qui élevent sans mesure tous leurs Heros. J’ose dire que de tels Panegyristes meriteroient qu’on leur imposast des peines, puis qu’ils deshonorent la solide & veritable Eloquence, qui embellit le sujet, mais qui ne le transforme pas ; qui sçait conserver à chaque chose son caractere particulier ; qui ajoute le coloris, mais qui suppose la ressemblance des traits : & il seroit à souhaiter que les Princes les traitassent comme Alexandre le Macedonien traita Aristobule, dont il jetta le Livre consacré à celebrer ses victoires dans l’Hydaspe, le menaçant de l’y jetter luy mesme, parce qu’il luy avoit donné des loüanges outrées, & qui ne luy convenoient pas.

Le Courtisan mesme doit toujours dire la verité. Hé ! qu’il est aisé, Messieurs, de la dire, quand on a le bon-heur de vivre sous le gouvernement d’un Prince tel que le nostre, qui aime la verité, qui cherche à la connoître, & qui deteste la flaterie ! C’est ce poison mortel qui corrompt les plus grands Princes. Malheur à ceux-là, dit le Prophete Osée, qui ont réjoüy le Roy dans sa malice, c’est à dire qui ont applaudy à ses defauts !

L’Amy doit parler avec toute sorte de sincerité à son Amy. Ah Messieurs ! pourquoy faut-il que l’usage de la parfaite amitié, si connu parmy les Anciens, soit aboly parmy nous ? Le Christianisme condamne-t-il le plus honneste devoir de la vie Civile ? Non sans doute, puisque nous lisons que les premiers Fideles n’avoient qu’un cœur & qu’une ame. Credentium erat cor unum, & anima una. D’où vient donc que nous ne voyons plus des Atticus unis par les liens de la plus exacte vertu, qui se parlent cœur à cœur, & qui ne dissimulent jamais la verité ? Sans doute cette fausse sagesse par laquelle nous croyons nous élever au dessus de la fidelle cordialité de nos Peres, en dissimulant les defauts de nos Amis, ne vient que de la corruption de nostre cœur. L’homme méchant, dit le Sage, flatte son amy, & le fait marcher dans une voye fatale qui le conduit à la mort.

Mais le Chrestien qui fait profession d’estre Disciple de celuy qui est venu dans le monde pour détruire le mensonge, & pour rendre témoignage à la Verité, le Chrestien, dis-je, ne peut jamais parler contre sa conscience & trahir la verité ; car l’interest mesme de la Religion entiere ne pourroit authoriser le mensonge le plus leger ; & c’est sur ce principe que Saint Augustin établit admirablement la confiance que nous de vous avoir dans la fidelité de ceux qui nous ont annoncé l’Evangile. En effet, si le déguisement en matiere de Religion, que Saint Hierôme, aprés Origene, & plusieurs Peres Grecs, a confondu avec ce sage ménagement qui obligea les Apostres d’observer la Circoncision, de peur de scandaliser les Juifs, & pour ensevelir la Synagogue avec honneur ; si ce déguisement estoit permis, nous pourrions apprehender que quelques-uns d’entre les Disciples, emportez par le zele d’établir le Christianisme, n’eussent meslé des faussetez avantageuses à la Foy, pour faire recevoir plus facilement les veritez saintes qu’ils annonçoient. Mais la Morale Chrestienne n’a jamais permis d’établir la verité que par la verité mesme, suivant ce Principe de Saint Paul fondé sur le bon sens, & sur la droite raison, qu’il n’est jamais permis de faire du mal afin qu’il en arrive du bien. O Ciel ! pourquoy ceux qui ont écrit dans la suite des tems, n’ont-ils pas esté aussi fidelles ? Pourquoy faut-il que les sages Critiques rencontrent dans tous les siecles des Imposteurs zelez, qui ont remply le monde de fables & de visions, par lesquelles les Impies entreprennent de combattre aujourd’huy les veritez les mieux établies & les plus solides ?

Je ne pense pas qu’il soit necessaire de combattre avec Saint Augustin ces détours, ces restrictions mentales, ces équivoques, ces mensonges palliez, dont l’invention n’est pas nouvelle, quoy qu’ils ayent esté plus usitez dans nostre temps. Ceux qui connoissent les noms venerables d’honnesteté, de droiture, de probité, de fidelité, de sincerité, detestent sans peine ces duplicitez honteuses qui ruinent la societé & le commerce, & qui nous reduisent à nous défier de ceux-là mesmes qui n’ont pas renoncé à l’étude de la sagesse, & à l’amour de la vertu. Si quelquefois on pouvoit employer sans crime cet art de mentir avec adresse, l’Evesque Firmus, dont parle Saint Augustin, s’en seroit servy avantageusement dans une occasion où la charité paroissoit interessée. Un Empereur Payen luy commandoit de livrer un Homicide qui estoit caché dans sa maison, ou du moins de découvrir le lieu où le Coupable s’estoit retiré. Il ajoûta les tourmens aux menaces ; mais le saint Evesque ne voulant ny livrer le Criminel, ny déguiser la verité, ne répondit que ces deux mots, nec prodam, nec mentiar, ny je ne le découvriray, ny je ne mentiray. L’Empereur admirant bien plus l’amour que ce Prelat avoit pour la verité que l’étenduë de sa charité, accorda, & la liberté de l’Evesque Firmus, & la grace de l’Homicide.

Mais est-il donc necessaire de dire toûjours tout ce qu’on pense ? Non sans doute, mais il n’est jamais permis de dire ce qu’on ne pense pas. On peut quelquefois taire la verité, mais c’est toûjours un crime de parler contre la verité. L’Orateur n’est pas obligé de découvrir les endroits foibles de son Heros ; mais il ne peut jamais luy attribuer les vertus qui ne luy conviennent pas. Le Courtisan ne doit pas reprendre les vices de son Prince ; mais il ne peut jamais les loüer. L’Amy peut quelquefois ménager la foiblesse de son Amy, en ne l’avertissant qu’aprés que le feu de sa passion sera éteint ; mais il ne doit jamais avoir de la complaisance pour son desordre. Le Chrestien peut & doit souvent taire devant les Peuples, les grands misteres de la Religion, tels que sont ceux de la Grace & de la Prédestination, comme le Sauveur du monde ne disoit pas à ses Disciples plusieurs choses qu’ils ne pouvoient entendre pour lors ; mais il ne peut sans crime rien avancer qui détruise les Decrets eternels de la Misericorde à l’égard des Eleus, & de la Justice à l’égard des Enfans de colere & de perdition.

Concluons donc qu’il faut toûjours dire la verité. Elevons nos voix avec ces Peuples dont parle Esdras, & disons hautement avec eux, que la Verité est grande, & qu’elle doit regner sur tous les hommes. C’est à Vous, ô mon Dieu ! qui estes la Verité mesme, le Pere des lumieres, & celuy-là seul duquel nous devons attendre ce Don celeste, de nous donner la connoissance & l’amour de la Verité ; la connoissance pour ne pas nous tromper, & l’amour pour ne pas tromper les autres. Dissipez nos ténebres, éclairez nos esprits, remplissez-nous de vos connoissances, & rendez-nous dignes de voir & de contempler vostre Essence divine, qui est le Principe, la Source, l’Abîme des lumieres & de la Verité.

[Galanterie sur l’accouchement de Madame la Duchesse de Richelieu] §

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7], p. 71-75

La joye que vous me marquastes quand je vous appris le Mariage de Mademoiselle Dacigné, avec M. le Duc de Richelieu, me persuade que vous n’en aurez pas moins, quand vous sçaurez que cette Duchesse accoucha d’une Fille le 22. du mois passé. Jamais Enfant n’a fait voir tant de beauté & tant de blancheur dés le premier jour de sa naissance. C’est ce qui a donné lieu à ce Madrigal de M. Vignier, dont vous connoissez l’attachement pour les interests de M. le Duc & de Madame la Duchesse de Richelieu.

Chef-d’œuvre des chastes Amours
De nostre Duc & de nostre Duchesse,
  Que déja tu fais voir d’adresse,
D’avoir pour te montrer choisi de si beaux jours !
 Pour ta beauté qui paroist sans seconde,
 Il falloit un riche Berceau.
 Les Graces en venant au monde
 N’en trouverent pas un si beau.

Il a fait ces autres Vers pour M. le Duc & Madame la Duchesse de Richelieu.

Comme on trouve chez vous les Graces & l’Amour,
Vous ne sçauriez manquer d’estre content un jour,
Et de voir d’un beau Sang une race feconde.
Aux plus fameux Ouvriers pareil est vostre sort.
  Phidias ne fit pas d’abord
 Son Jupiter, la merveille du monde.

Madame Vignier qui avoit prédit par quelques Vers au commencement de la Grossesse de Madame la Duchesse de Richelieu, que ce qu’elle mettroit au monde, auroit les charmes du Pere & de la Mere, envoya ce Madrigal aussi-tost qu’elle eut appris son Accouchement.

 J’Avois bien dit qu’un couple si charmant
 Ne produiroit que des miracles,
 Jugez par ce commencement
 Si l’on doit croire mes Oracles.
Qui pourroit en douter voyant vostre beauté
 Qui paroist déja sans seconde,
 Et qui n’avouëra dans le monde
 Que j’ay dit une verité ?
 Quoy que vous soyez toute aimable,
Et qu’on vous aime plus qu’on n’a jamais aimé,
 Un Garçon seroit admirable ;
Mais attendons un an, le terme est supportable,
Et nous verrons duquel on sera plus charmé.

[Divers Airs et Sonnets]* §

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7], p. 75-81.

Voicy quatre Vers qui furent envoyez dans le mesme temps par Mademoiselle Dorville. L’Illustre M. de Bacilly en a fait un Air que vous trouverez icy noté.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Puis que vous ressemblez à qui vous donna l’estre, doit regarder la page 75.
Puis que vous ressemblez à qui vous donna l’estre,
 Vous serez de nos jours
 Toute la gloire & les amours,
Vous commencez déja ne faisant que de naistre.

M. de la Russaliere fit voir en cette rencontre, que les plus serieuses occupations, ne sont pas toûjours ennemies d’une Muse enjoüée. Il fit dire à cette aimable Enfant les Vers que vous allez lire, & on les attacha à ses Bandelettes la premiere fois qu’on la porta à Madame la Duchesse sa Mere.

 Pardon, Maman, pardon,
 Si je suis une Fille.
Vous m’avez faite trop gentille
Pour ne pas faire ensuite un fort joly Garçon.
***
 Quoy que je sçache bien
Qu’un Fils aura toute vostre tendresse,
 Je préfere, Maman Duchesse,
 Vostre contentement au mien.
***
J’ay bien trompé des Gens en paroissant au jour
Mais s’il faut qu’un Garçon y paroisse à son tour
 Il aura pour premier partage,
Le plaisir d’en tromper encore davantage.
***
Je commence à changer de peau presentement,
 Que ne me peut ce changement
 Que la Nature me fait faire,
Donner un autre Sexe ainsi qu’une autre peau !
 Le coup sans doute seroit beau,
 Et pour la Fille, & pour la Mere.

M. le Clerc de l’Academie Françoise, qui a un zele tres particulier pour M. le Duc de Richelieu, a fait le Sonnet qui suit, sur cette Naissance.

Il vient de vous naistre une Fille,
Duchesse, qui de son amour,
Embrasera toute la Cour,
Par son œil qui déja petille.
***
Un Fils digne de sa Famille,
Dans moins d’un an aura son tour,
Et surpassera quelque jour,
Tous les Heros dont elle brille.
***
 La Nature a fait sagement,
Ce Fils qui sera si charmant
Ne devoit pas paroistre encore ;
***
Et pour un plus grand appareil,
Il falloit qu’une jeune Aurore
Annonçast ce jeune Soleil.

Cét autre Sonnet fut presenté de la part des Muses de Richelieu. M. de Grammont en est l’Autheur.

Aprés que sur nous la tristesse
A bien exercé ses rigueurs,
Il est juste que l’allegresse,
Triomphe à son tour dans nos cœurs.
***
Un beau Garçon, je le confesse…
Mais tout beau, pourquoy tant d’ardeurs ?
Dieu sçait dispenser ses faveurs,
Avec une extréme sagesse.
***
 Une Fille qui de la Cour,
Sera la merveille & l’amour
Devoit asseurément y naistre.
***
 Mais pour le Heros qu’on attend,
Il ne doit point recevoir l’estre,
Qu’où le receut le grand Armand.
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Des choses difficiles à croire. Dilaogue quatriéme §

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7], p. 92-140

J’ay découvert qui estoit l’Autheur des Dialogues que vous trouvez depuis quatre mois dans toutes mes Lettres. Il est de Bourges, & s’appelle M. Bordelon. En voicy un cinquiéme, qui est une digne suite de ceux que vous avez déja veus de luy.

DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGUE QUATRIÉME.
BELOROND, LAMBRET.

Belorond.

Je n’ay pas oublié que vous m’avez promis de m’entretenir aujourd’huy des judicieux sentimens de ceux dont je vous rapportay les opinions sur le souverain Bien, la derniere fois que je vous vis.

Lambret.

Il est vray que je vous ay fait cette promesse ; mais la matiere est si grande, qu’il faudroit, ou n’en point parler, ou en parler dans toute l’étenduë qu’elle merite. Ainsi, je vous prie de me permettre d’estre vostre Diogenes Laërce, c’est à dire de vous rapporter chaque jour destiné pour nos Entretiens, un Abregé de la vie & des opinions d’un des anciens Philosophes, & autres grands Hommes qui se sont rendus recommandables dans les Sciences, ou dans la Politique, & mesme dans les Armes. Je suis assuré que vous aurez plus de plaisir, si je m’étens sur chacun d’eux autant que le tems me le permettra, que si je parlois de tous en general dans une seule conversation.

Belorond.

J’espere tirer de grands avantages de ce dessein ; & je vous prie instamment de le reduire en pratique.

Lambret.

Je commenceray avec beaucoup de plaisir, la premiere fois que nous nous verrons ; car vous voulez bien que l’Entretien d’aujourd’huy soit employé à une reflexion que m’ont fourny les opinions bizarres que vous me rapportastes sur le souverain Bien, dans nostre derniere conversation. Je me suis étonné comme d’une chose qui paroist tres-difficile à croire, que tant de grands Hommes estant convaincus, comme il n’en faut point douter, de l’Existence de quelque Divinité, & par consequent de ses eminentes perfections, ils n’en ayent pas fait le souverain Bien de tous les hommes ; puis qu’en concevant un Dieu, on conçoit ce qu’il y a de plus parfait, & en mesme temps ce qui seul peut remplir la capacité du cœur humain ; car l’étude de la Nature, & de tout ce qu’elle contient, qui avoit esté leur ordinaire occupation, ne devoit-elle pas avoir appris la fragilité de la Nature, & que par consequent ny les vangeances, ny les navigations heureuses, ny les amitiez, ny les Batailles gagnées, ny les loüanges receuës, ny les superbes Edifices, ny les voluptez, ny la bonne renommée, ny les Enfans, ny les belles Femmes, ny l’Eloquence, ny les Parens illustres, ny les biens temporels, ny les grands tresors, ne pouvoient faire le veritable bien de l’homme ; comme vous m’asseurastes que les Anacharsis, les Crates, les Simonides, les Architas, les Gorgias, les Chrysippes, les Epicures, les Antisthenes, les Sophocles, les Euripides, les Palemons, les Themistocles, les Aristides, & les Heraclides se l’estoient imaginé. N’avoient-ils pas experimenté eux-mesmes, ou veu experimenter par d’autres, que tout ce que ce monde promet, n’est que fourbe, tromperie ou vanité ? Que la où il promet la liberté, comme dans les grandeurs, on n’y trouve qu’embarras & esclavage ; que là où il promet la paix, comme dans les solitudes les plus retirées, on n’y trouve que des inquietudes ; que là où il promet de la joye, comme dans les voluptez, on n’y trouve que des amertumes ? Ne sçavoient-ils pas que les plus tendres amitiez finissent, que les honneurs sont des titres specieux que le temps efface, que les plaisirs ne sont que des amusemens accompagnez de chagrins, que les richesses sont enlevées par la violence des hommes, ou échappent par leur propre fragilité, que les grandeurs tombent d’elles-mesmes, & que la gloire & la reputation se perdent enfin dans les abysmes de l’oubly ? Ne sentoient-ils pas eux-mesmes, ou ne voyoient-ils pas sentir par les autres qu’il n’y a rien dans toutes les creatures qui puisse rendre l’homme heureux, parce qu’il n’y a rien qui puisse remplir la capacité de son cœur ; qu’elles sont trop petites en elles-mesmes, & trop foibles en leur pouvoir ; qu’il est vray que d’abord leur beauté donne dans les yeux, leurs loüanges flatent l’oreille, leur douceur contente le goust, leurs richesses accommodent le corps, mais que pas une ne satisfait pleinement l’esprit ; qu’elles peuvent bien occuper & embarrasser le cœur humain, mais qu’elles ne peuvent pas le satisfaire, parce que ce ne sont que des faux biens, des illusions & des ombres, ou plûtost des maux veritables, qui rendent l’homme plus méchant, & ne l’empeschent pas d’estre malheureux, comme remarque judicieusement un Autheur de nos jours ? Enfin, les refus que quelques-uns faisoient de la faveur des Princes, ne devoient-ils pas venir du mépris de leurs grandeurs, comme d’un effet de leurs reflexions qui leur devoient avoir appris que la fortune la plus éclatante, est non seulement vaine & fragile, mais onereuse, mais pleine d’amertumes & de chagrins, & que l’on soûpire sur le Thrône aussi-bien que dans les fers ? Voilà les pensées qu’ils pouvoient avoir touchant les choses du monde, puis qu’ils estoient capables d’en avoir de bien plus élevées, & de bien plus abstraites, comme j’espere vous le faire voir dans l’histoire de leurs vies, que je vous promets. Avoüez que ces grands Hommes estant capables de ces sentimens sur les choses humaines, & les ayant en effet, comme leurs Sentences judicieuses le témoignent, il y a lieu de s’étonner qu’ils ayent mis le souverain Bien de l’homme dans les choses d’icy-bas, sans songer à la possession & à l’amour du moins de quelque estre plus parfait, comme de leurs fausses Divinitez, s’ils ne connoissoient pas la veritable, puis qu’il est constant qu’ils reconnoissoient quelque Divinité. Car s’il est vray que nous avons une impression naturelle d’un Estre divin, selon Ciceron, Omnes duce naturâ eo vehimur ut Deos esse dicamus ; ou selon Aristote, Omnes homines de dijs existimationem habent ; & qu’il n’y a aucune Nation, si barbare qu’elle soit, qui ne croye quelques Dieux, selon Seneque, Nulla quippe gens usquam est adeo extra leges moresque projecta, ut non aliquos Deos credat ; nous ne devons pas refuser cette impression à tous ces grands Genies qui en estoient asseurément les plus capables, & qui l’avoient renduë plus profonde par leurs études & leurs meditations.

Belorond.

Vostre reflexion est extremement judicieuse. Je vous diray cependant que cette impression naturelle de la Divinité qu’Aristote, Ciceron & Seneque attribuent à tous les Hommes, me semble une chose difficile à croire, si nous voulons nous en rapporter à quelques Autheurs qui nous apprennent le contraire. En effet, Strabon dit, que quelques Peuples de la Zone Torride, ne reconnoissent aucuns Dieux, ex ijs qui Torridam habitant nonnulli sunt qui deos esse non credunt. Jean Leon nous en dit autant des Peuples qui habitent le Royaume de Borno en Afrique. Acosta va encore plus loin, quand il parle de quelques Indiens Occidentaux, qui n’avoient pas seulement le nom appellatif de Dieu. Champlain le confirme de quelques Peuples de la Nouvelle France, & les Lettres des Jesuites de l’an 1626. de quelques Peuples qui sont sur le Gange. Non seulement des Peuples Barbares sont dans ce déplorable état ; mais encore des Hommes tres éclairez en toute autre matiere, comme un Petrone qui s’imagine que les merveilles de la Nature, les Eclypses des Astres, les Tremblemens de Terre, le bruit des Tonnerres, & choses semblables sont les causes qui intimidant le vulgaire, l’ont persuadé de l’Existance d’un Dieu.

Primus in orbe deos fecit timor, ardua cœlo
Fulmina dum caderent.

Comme un Sextus qui rapporte cette impression dont vous me parlez, aux Visions prodigieuses que nous fournit nostre imagination pendant le Sommeil. D’autres ont voulu se figurer que l’opinion de l’Existence d’un Dieu, estoit un effet de la Politique des Legislateurs, pour retenir les Peuples, & les mener à leur fantaisie. C’est ce que Joseph Acosta semble confirmer, quand il nous represente les Mandarins qui gouvernent la Chine, & qui retiennent le Peuple dans la Religion du Pays, quoy qu’eux-mesmes ne croyent point d’autre Dieu que la Nature, point d’autre vie que celle-cy, point d’autre Enfer que la Prison, ny d’autre Paradis, que d’avoir un Office de Mandarin.

Lambret.

Cette impression naturelle de la Divinité, demande pour paroistre au dehors une raison parfaite dans celuy qui doit la faire voir, & c’est cette perfection qui manquoit à ces Peuples Barbares dont parlent Strabon, Jean Leon, Acosta, Champlain, & les Peres Jesuites, s’il est vray qu’ils ayent esté dans une ignorance si grossiere, ce que j’ay de la peine à croire. L’Ecriture Sainte me fournit ce raisonnement, quand elle nous apprend que c’est le fol, l’Homme sans raison, qui dit qu’il n’y a point Dieu ; Dixit insipiens in corde suo non est Deus. C’est encore la perfection de cette mesme raison qui manquoit à ces habiles Hommes, je veux dire que c’est à cause que cette raison estoit corrompuë par les voluptez, ou par la presomption, autre espece de folie. Ce sont des esprits superbes qui ne veulent pas croire ce qu’ils ne connoissent pas. Chose étonnante que l’Homme qui est si foible de sa nature, si sterile en son pouvoir, si limité dans ses connoissances, soit cependant assez aveugle, pour se persuader qu’il est capable de penetrer l’essence de toutes choses, & que poussé par cét aveuglement il pretend tout sçavoir ! L’experience a beau luy apprendre tous les jours par l’ignorance qu’il a de tant de choses qui sont dans la Nature, & ausquelles ses connoissances ne peuvent arriver, combien ses lumieres sont foibles, l’orgueil qui le domine, ne laisse pas de luy faire croire qu’il n’a qu’à vouloir pour connoistre ce qu’il desire, & que si d’un costé la masse de son corps luy est un grand obstacle à cette avidité qu’il a de tout sçavoir, d’un autre costé, il a un esprit qui par sa promptitude & sa subtilité peut l’élever au dessus de tous les obstacles que sa prison luy veut opposer. C’est à cause de ce raisonnement de l’orgueil, que l’Homme dans nostre Religion a tant de peine à captiver son esprit sous la Foy, & que ces sçavans Athées tâchent de ne pas croire qu’il y ait un Dieu. Leur presomption ne leur permet pas de faire reflexion, que ce Dieu sur l’Existence duquel ils voudroient bien s’aveugler, est un abîme où se perd la raison humaine, un Ocean où toute la Sagesse du monde est submergée, Sapientia eorum devorata est. En effet, quelle folie, de vouloir connoistre l’essence d’un Dieu ! Ces grands Hommes raisonnent-ils ? Ne doivent-ils pas estre persuadez, quand tout les convainc, qu’il est un Dieu, qu’il faut que ce Dieu soit un Estre incomprehensible, en mesme temps qu’il comprend tout ; invisible en mesme temps qu’il voit tout, inaccessible en mesme temps qu’il est dans tout. Encore une fois ne doivent-ils pas estre persuadez qu’il faut que ce Dieu soit un estre, grand sans quantité, bon sans qualité, infiny sans nombre, étendu sans mesure, & par consequent impénetrable aux raisonnemens humains ? Cependant il s’est trouvé dans le quatriéme Siecle de l’Eglise, un Heresiarque nommé Eunomius de Galatie, & non pas de Capadoce, comme l’a écrit Sozomene, qui se vantoit avec ses Sectateurs, de connoistre Dieu aussi bien que Dieu se connoissoit luy mesme ; tant il est vray que la presomption de l’Homme n’a point de limites. Mais si la presomption produit des Athées, il faut avoüer que la corruption que les voluptez engendrent dans l’esprit, n’est pas une des moindres causes de l’Atheïsme. Un esprit voluptueux ne croit pas volontiers l’Existence d’un Dieu, qu’on ne peut connoistre sans estre obligé de l’adorer & de l’aimer, & qu’on ne peut veritablement adorer & aimer, sans renoncer aux plaisirs & aux voluptez criminelles. Pour croire volontiers un Dieu, il faut souhaiter qu’il soit, & pour souhaiter qu’il soit, il faut en attendre des faveurs & des liberalitez, & c’est ce que les Hommes charnels sçavent bien qu’ils n’ont aucun sujet d’esperer.

Belorond.

Je croy avec vous que c’est l’ignorance ou la presomption, ou la corruption qui a introduit l’Atheïsme dans le monde, s’il est vray qu’il y ait de veritables Athées, & ce sont apparemment les mêmes causes qui ont produit l’Idolatrie, comme il est constant qu’il y en a eu, & qu’il y en a encore à present. Il n’y a aucune chose sur laquelle les Hommes devoient estre plus raisonnables, que sur l’obligation indispensable de reconnoistre une Divinité ; & cependant il n’y a aucun sujet sur lequel ils ayent fait voir plus d’extravagance que sur celuy-là. On ne le pourroit croire, si nous n’en avions des témoignages qu’on ne sçauroit démentir. L’occasion est trop favorable pour ne pas entrer dans le détail de ces extravagances. Je vais vous faire un recit abregé à la confusion de l’esprit humain, de toutes les choses (sans parler des Hommes) qui ont été les objets de son adoration. Je ne garderay point d’autre ordre que celuy que ma memoire me fournira. Ceux de la Province de Cardandan adorent le plus vieux de la Maison, au rapport de Marc Paul. Bouldeselle raconte en ses Voyages de l’an 1326. que ceux qui portoient la qualité de grand Cham du Cathay, prenoient garde le premier Jour de l’An, au sortir du lit, à ce qui leur venoit premierement à la rencontre, afin de le tenir pour leur Dieu toute l’année ; de sorte que si c’estoit un Rat ou un Chien, ils datoient leurs Expeditions de l’an du Rat ou du Chien. Gaguin dit dans sa Sarmatie, que des Lithuaniens adorent les plus grands Arbres de leurs Forests. Le Roy de Bellegat avoit pour son Dieu une dent de Guenon ; c’est Pigafetta qui nous apprend cette ridicule Divinité. Des Calicutois adorent le Diable, se persuadant qu’aprés la Création du monde, Dieu l’a laissé sous sa conduite. L’Histoire des Incas asseure que dans une Vallée du Perou on adoroit une Emeraude presque aussi grosse qu’un œuf d’Austruche. Les Tunquinois rendent leurs adorations aux Ames de ceux qui sont morts faute de nourriture, & leur offrent du Ris au premier des jours de chaque Lune. Une Secte de Persans n’admettoit point d’autre Dieu que les quatre Elemens. Olearius dit que les Tartares Ceremisses adorent tout ce qu’ils se sont representez la nuit en songe. Y a-t-il rien de pareil à l’extravagance des Egyptiens qui adoroient des Oignons, des Chats, & les plus abjectes Créatures ? C’est en se mocquant d’eux que Juvenal dit agréeablement, Sat. 15.

O fortunati quibus hæc nascuntur in hortis
Numina !

O qu’ils sont heureux, puis que les Dieux naissent, & sont produits dans leurs Jardins ! Les Lacédemoniens n’ont-ils pas esté assez fous pour élever des Autels à la Mort, quelque implacable qu’elle soit ; les Romains à la Crainte, à la Pasleur, à la Fiévre, & les Atheniens à l’Impudence ? Empedocles regardoit les Cieux comme autant de Dieux, les Pythagoriciens les Astres. Il y a des Tartares qui adorent la Lune. Des Africains de Lybie & de Numidie font des Sacrifices aux Planettes. Si nous en croyons Jean Leon, les Habitans des Isles fortunées, les Massagettes, & les Gentils de la coste des Malabares adorent le Soleil, comme si ces paroles, Soli Deo honor & gloria, se devoient interpreter en faveur de ce premier de tous les Astres ; ce qui me fait ressouvenir d’un Portugais, qui s’estant rendu agréable par ses services au Roy Henry III. luy demanda dans Lyon par grace singuliere, de ne contraindre personne dans tous ses Etats, d’adorer d’autre Divinité que celle du Soleil. Chez Diogénes, Platon reconnoit le Feu pour une Divinité. Les Perses chez Herodote adorent les Fleuves avec tant de devotion qu’ils n’osent seulement se servir de leurs Eaux, pour en laver leurs mains. Les Syriens alloient foüiller jusques dans la Mer pour y chercher les Poissons, & en faire leurs Dieux. Les Americains Septentrionaux de Cevola rendoient leurs adorations à l’Eau ; les Thessaliens aux Cicognes ; les Habitans du Mont Cassin aux Oyseaux Seleucides ; Les Assyriens aux Colombes ; les Habitans de l’Empire du grand’ Mogor aux Vaches ; ceux de Calicut aux Bœufs ; les Tartares que Joseph Barbaro appelle Moxij, à un Cheval remply de Paille ; les Gentils de Bengala & autres Indiens, à un Elephant blanc ; les Samogiciens aux Serpens, selon Sigismond de Herbestin en sa Moscovie. De bonne foy, si tous ces Gens là avoient eu un peu de raison, ne se seroient-ils pas mocquez d’eux-mesmes, en considerant leurs extravagances ? & n’avoient-ils pas sujet de dire comme un certain, Stulte verebor ipse cum faciam Deos ; ô fols que nous sommes d’adorer des Dieux qui ne le sont que parce que nous le voulons ! Enfin pour derniere preuve de l’extravagance de l’esprit humain sur ce sujet, il ne faut que se ressouvenir des adorations qu’on rendoit à l’infame Priape. Comme on ne peut pas pousser plus loin la folie, je ne pousseray pas aussi plus loin ce recit. Je me contenteray d’ajoûter, qu’on n’a pas seulement erré dans la qualité, mais encore dans le nombre, puis qu’il y a sur les Costes des Indes Orientales des Peuples qui font monter celuy de leurs Dieux jusqu’à trente millions, & que Tales asseuroit que tout cét Univers estoit remply d’une infinité de Dieux.

Lambret.

Ces extravagances m’étonnent, je l’avouë ; mais je suis encore plus surpris de ce qu’il y en a eu, qui ont osé rendre leurs Dieux favorables à leurs crimes, ou les honorer par des infamies, ou leur donner des qualitez odieuses, & cela, à la veuë de l’Univers avec autant d’impunité que de hardiesse. Voyez, je vous prie, chez Pline un Pompée qui fit bâtir un Temple à Minerve, sur le Portail duquel il fit graver qu’il avoit pris, rompu, & tué deux millions & cent quatre-vingt trois mille Hommes, pillé ou submergé 846. Navires, desolé 1538. Villes & Bourgades, comme s’il eust voulu honorer cette Déesse, en luy faisant le recit de toutes ses cruautez. Lisez chez Plutarque, comme chez les Romains le jour de la Feste des Supercales, les plus nobles, & beaucoup de Magistrats couroient tout nuds par la Ville ainsi que des insensez, frappant avec des courroyes les Personnes qu’ils trouvoient en leur chemin, avec cette sotte superstition, que quantité de Femmes de la plus haute condition venoient au devant d’eux, leur presentant à dessein les mains, comme les Enfans font icy à leurs Maistres dans les Colléges, pour recevoir des coups de foüet, persuadées que cela avoit une grande vertu pour faire accoucher plus aisément celles qui estoient enceintes, & pour faire concevoir celles qui estoient steriles. Les Paphlagoniens en Asie, disoient au rapport de Davisi, que Dieu estoit détenu prisonnier en Hyver, mais qu’au Printemps on le délioit, si bien qu’il commençoit à se mouvoir. Quelle impertinence ! Nous lisons que dans la Ville de Lynde en l’Isle de Rhodes, on celébroit les Sacrifices d’Hercule en maudissant & détestant. Quelle pieté ! Aux Indes Orientales il y a des Matrones notables qui s’abandonnent aux premiers venus, dans de certaines Pagodes ou Chapelles au profit des Idoles qu’on y adore, sans parler de celles qui se prostituoient en l’honneur de Venus. Quelle pureté de Religion ! Y a-t-il rien encore de plus effronté, que de prier une Divinité de donner moyen de tromper, & en mesme temps de paroistre juste & saint, comme on lit chez Horace.

 Pulchra Laverna,
Da mihi fallere, da justum, sanctumque videri.

Mais c’est assez pour faire rougir, pour ainsi dire, l’esprit humain, en luy representant les extravagances, & les folies dont il a esté capable. Disons que ce qui est le plus conforme à sa foiblesse, c’est de croire l’Existence d’un Dieu, sans en vouloir penétrer la nature, & sans prolonger davantage nostre conversation, qui est beaucoup plus longue que les précedentes, retirons-nous avec ce beau Passage de Tacite, en nous servant pourtant de la Circoncision, dont nous avons parlé autrefois. Sanctius ac reverentius videtur de Existentiâ Dei credere quam scire.

[Reception faite au Roy par Mr le Marquis de Seignelay, dans sa Maison de Sceaux] §

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7], p. 263-316

Le Roy ayant resolu d'aller souper à Sceaux, dans la Maison qui appartient à M. le Marquis de Seignelay, Sa Majesté l'en avertit quelques jours auparavant, afin qu'il eust et temps de se preparer à la recevoir avec toute la Maison Royale. Ce Marquis donna aussi-tost les ordres qu'il crut necessaires pour répondre à l'honneur qu'il devoit recevoir, & n'oublia rien de tout ce qu'il s'imagina devoir estre agreable à sa Majesté. Le jour fut choisy ; mais le temps s'etant tourné à la pluye, il y eut à craindre qu'il ne changeast pas si tost, & le Roy eut la bonté de marquer un autre jour. Ce fut le Lundy 16 de ce mois. M. le Marquis de Seignelay prit de si grands soins d'empescher la foule, qu'il n'entra dans le Chasteau que des personnes distinguées, & des Officiers de la Maison Royale. Ce qui l'engagea à se servir de cette précaution, fut non seulement afin que le Roy ne fust point incommodé de la presse qui suit ordinairement ces sortes de divertissemens, mais encore afin qu'il ne vist point de personnes inconnuës, qui font deux choses qui gesnent, & qui sont cause qu'on ne joüit qu'imparfaitement des plaisirs ausquels on s'est préparé. Ainsi l'on peut dire que Sa Majesté goûta en entrant dans Seaux, fut celuy de ne s'y trouver qu'avec sa Cour ordinaire, & d'estre assuré que les divertissemens qu'on luy avoit preparez, seroient pour Elle des plaisirs tranquilles. Le Roy arriva à Seaux environ sur les six heures & demie du soir accompagné de Monseigneur le Dauphin, de Madame la Dauphine, de Monsieur, de Madame, de Monsieur le Duc, de Madame la Duchesse, de Monsieur le Duc de Bourbon, de Mademoiselle de Bourbon, de Monsieur le Duc du Maine, de Mademoiselle de Nantes, de plusieurs Ducs & Pairs, Mareschaux de France, & des plus qualifiez Seigneurs de la Cour. Quelques personnes estoient arrivées avant le Roy, au nombre desquelles estoient M. le Cardinal de Bonzi, & le Nonce du Pape. Sa Majesté fut recuë à la descente de son Carosse, par M. le Marquis de Seignelay, M. le Coadjuteur de Roüen, M. les Ducs de Chevreuse & de Beauvilliers, Mrs les Marquis de Maulevrier & de Blainville, & M. le Bailly Colbert. Mesdames les Duchesses de Chevreuse, de Villeroy, de Beauvilliers & de Mortemar ; Mesdames les Marquises de Seignelay, de Croissy, de Beuvron, de Medavy, & Madame la Comtesse de Saint Geran, vinrent recevoir Madame la Dauphine & Madame. Le Roy les salüa, avec cet air tout engageant qui luy est ordinaire. Il entra ensuite par la porte du milieu dans l'Apartement bas du Chasteau, où il vit une enfilade de huit ou neuf pieces fort proprement meublées ; mais avec plus de bon goust que de richesse, ou plûtost avec une modeste magnificence, s'il est permis de parler ainsi. Au sortir de cet Apartement, on trouva diverses Chaises tirées par des hommes, pour se promener dans les Jardins. Il y a long-temps qu'on se sert de ces sortes de Chaises à Versailles, & c'est de là que l'usage en est venu. Elles ne sont que pour une personne ; mais il y en avoit une à Seaux d'une invention singuliere & toute nouvelle. Elle estoit à quatre places, & quatre parassols y estoient attachez. Rien n'est si commode & si doux que ces Chaises, parce qu'elles sont conduites par des hommes qui ne marchent point devant, mais qui sont de chaque costé de la Chaise. Madame la Dauphine, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, & Madame de Maintenon, comme Dame d'Atour de Madame la Dauphine, prirent place dans cette Chaise ; & plusieurs Princesses, Duchesses, & d'autres Dames qualifiées, se servirent des autres. Il y en eut quelques-unes qui se firent un plaisir de marcher, & qui suivirent en cela l'exemple de Madame.

Monseigneur le Dauphin, Monsieur, Monsieur le Duc, Monsieur le Duc de Bourbon, Monsieur le Duc du Maine, & tous les Princes & Seigneurs de la Cour, accompagnerent le Roy à pied, & M. de Seignelay fut toûjours auprés de Sa Majesté, pour luy montrer ce qu'il y avoit à voir, & pour l'éclaircir de ce qu'Elle auroit pû souhaiter d'apprendre touchant les choses qu'Elle voyoit. Il faut remarquer que le Roy estoit au premier rang de toute la Cour, & qu'il n'y avoit du monde qu'à costé & derriere ce Prince ; de sorte que rien ne luy dérobant la veüe des lieux où il se promenoit, il joüissoit sans obstacle de l'air que la confusion empesche ordinairement de respirer dans ces sortes de divertissemens.

Aprés qu'on eut traversé de belles Allées palissadées, on arriva à un Pavillon nommé le Pavillon de l'Aurore, parce que l'Aurore en se levant est plûtost remarquée de ce lieu-là que d'aucun autre, & qu'il semble qu'elle ne paroisse tous les matins pour l'éclairer. Ce Pavillon peut estre encore appellé Pavillon de l'Aurore, à cause qu'on y voit cette Déesse peinte de la main de M. le Brun ; ce qui suffit pour faire juger des beautez du dedans. Ce Pavillon a douze ouvertures, en comptant celle de la porte ; & comme ce Salon est élevé, on monte pour y entrer par deux Escaliers oposez l'un à l'autre. Il y a dedans deux enfoncemens qui se regardent, & qui renferment chacun trois croisées. Le tour de l'un de ces deux enfoncemens estoit remply de toutes sortes d'eaux glacées, de confitures seches, & de fruits aussi beaux qu'ils estoient rares pour la saison. Il y avoit dans l'autre enfoncement ce que la France a de plus habiles Maistres pour les Instrumens, & dequoy faire entendre une simphonie douce & proportionnée à l'étendüe de ce lieu. Le Roy, Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monsieur, Madame, les Princes, Princesses, Duchesses & Dames qualifiées, entrerent seules dans ce Salon, ce lieu n'estant pas assez spacieux pour contenir tous les Seigneurs qui accompagnoient Sa Majesté ; mais tous les Courtisans eurent l'avantage de faire leur Cour, en se promenant dans le Jardin autour des fenestres de Salon, d'où ils estoient veus de tous ceux qui estoient dedans, & qui en remplissoient les fenestres, goûtant à la fois quatre differens plaisirs, puis qu'ils respiroient un air frais & agreable, aprés avoir essuyé la chaleur & la poussiere du chemin ; qu'ils joüissoient d'une tres-belle veuë qui offroit des Bois, des Plaines & des Costeaux, & qui en de certains endroits s'étendoit jusqu'à Paris ; qu'ils entendoient une simphonie tres-douce, & qu'ils se rafraichissoient en même tems avec les fruits & les eaux glacées. Toutes les Augustes Personnes qui remplissoient ce Salon, s'y trouverent si commodément, qu'elles y demeurerent pendant plus d'une heure, apres quoy l'on en descendit pour continuer la promenade. On vit une belle piece d'eau qui est à costé du Chasteau, & l'on se rendit ensuite dans la Sale appellée des Maronniers, où sont cinq Fontaines tres-agreables, sçavoir quatre tirant vers les Angles, & une dans le milieu. On alla de là dans un petit Bois fait en labirinthe, & tout remply de Fontaines, puis dans l'allée d'eau. Le long de chaque costé de cette Allée, on voit regner quantité de Bustes sur des Scabellons & des Jets d'eau qui s'élèvent aussi haut que le Treillage. Chaque Jet d'eau paroist entre deux Bustes, & chaque Buste entre deux Jets d'eau. Il y a une rigole le long du bas de chaque costé de l'Allée, pour recevoir l'eau qui tombe d'un si grand nombre de Jets, & aux quatre coins de cette Allée sont quatre grandes coquilles qui reçoivent aussi l'eau. Derriere les Bustes & les Jets d'eau, s'élevent de grands Treillages qui forment des murailles de verdure. Au sortir d'un lieu si beau, & où l'on respire une fraicheur qui enchante, on alla voir le Pavillon appellé des quatre Vents. C'est un lieu charmant pour la beauté de la veuë : on revint ensuite le long du Mail, puis en descendant un peu, on se tendit auprés d'une pièce d'eau qui contient environ six arpens. Le Lieu fut trouvé si agréable, que le Roy voulu s'y reposer, afin d'y demeurer plus longtemps. Sa Majesté choisit pour s'asseoir, un endroit qui regarde en face une Cascade, qui est à l'autre bout de cette piece d'eau. Elle est sur le panchant d'une coste, & comme les eaux en sont vives, on peut asseurer que tout y est naturel. Elle forme trois Allées d'eau, & elle est ornée de plusieurs Vases de Bronze, qui sont entre les Bassins d'où sortent les Jets. Pendant que le Roy & la Maison Royale furent assis vis à vis de cette Cascade, plusieurs Gondoles dorées & vitrées, garnies de Damas de diverses couleurs, & conduites par des Rameurs vétus de blanc, & fort proprement mis, avec des Rubans de couleur, firent divers tours sur la piece d'eau, & passerent plusieurs fois devant le Roy, afin de l'inviter à entrer dedans, s'il eust eu envie de se promener sur l'eau ; mais ce Prince infatigable aimant mieux prendre à pied le plaisir de la promenade vint voir de prés de la Cascade, qu'il avoit examinée de loin pendant une demy heure. Il demeura encore quelque temps à la considerer, puis il monta à pied jusqu'au haut, & Madame la Dauphine, & les Dames le suivirent dans leurs Chaises. On entendit au haut de la Cascade, l'agréable bruit de plusieurs Haut-bois qui se mesloit à celuy des eaux. Ils estoient cachez derriere la Palissade, & marcherent long-temps sans estre veus, de maniere qu'il sembloit que cette mélodie invisible estoit en l'air, & que ceux qui la formoient se faisoient un plaisir de suivre le Roy. On eut le mesme divertissement en plusieurs endroits du Jardin, où les Flutes douces & les Haut-bois estoient cachez dans des Bosquets. Il ne restoit plus qu'une piece d'eau à voir. Le Roy voulut encore y aller aprés avoir veu la Cascade, & lors qu'on retourna au Chasteau, le Ciel commença à s'obscurcir, comme si le jour n'eust voulu finir, que lors que ce Prince n'avoit plus besoin de sa clarté, & que la nuit n'eust consenty à paroistre, que dans le temps que son obscurité estoit nécessaire pour donner plus de plaisir à sa Majesté, en faisant briller davantage les lieux qu'on avoit illuminez pour la recevoir. Quoy qu'il n'y eust aucunes lumieres attachées aux Murailles du dehors du Chasteau, ce que l'on appelle Illuminations, il ne laissa pas de paroistre fort brillant, lors que la Cour eut tourné ses pas de ce costé là. Toutes les Fenestres en estoient ouvertes, & un grand nombre de Lustres en éclairoit les Appartemens aussi bien qu'une Galerie haute & une Galerie basse par lesquelles on y entre, & dont les ouvertures ne sont point fermées, ce qui faisoit paroistre les Lustres, les Bras dorez, & les Tableaux, dont ces deux Galeries estoient remplies. Le Roy traversa une partie de cette Galerie pour se rendre à l'Orangerie, où un Concert estoit préparé. Il entra par le bout opposé à l'endroit où estoient ceux qui devoient faire ce Concert. Ainsi, ce Prince les vit tous d'abord en face. On avoit pris sept Toises de profondeur pour les Places. Elles estoient séparées du costé de l'Orangerie par de grands Pilastres de Marbre, qui portoient une Façade où cinq Lustres estoient attachez. Le mesme ordre suivoit jusques au fond où paroissoient deux manieres d'Escaliers de chaque costé, qui rampoient suivant la pente d'un Amphithéatre qui estoit dans le fond, & qui paroissoit conduire à une Galerie, qui estoit aussi dans le fond au dessus de l'amphithéatre. Tout ce fond estoit eclairé par beaucoup de petits Lustres, & toutes les faces des Pilastres étoient ornées de quantité de Plaques portant plusieurs Bougies. Tout le reste de l'Orangerie estoit paré d'une tres-belle Tapisserie, representant toutes les Chasses des douze Mois de l'Année, & de deux rangs de Lustres qui régnoient depuis un bout jusqu'à l'autre. Je vous envoye les Vers qui y furent chantez, ils sont de M. Racine Trésorier de France, de l'Académie Françoise. Il est connu par un si grande nombre de beaux Ouvrages, que son nom fait son Eloge.

IDYLLE
SUR LA PAIX.

Un plein repos favorise vos vœux.
Peuples, chantez la Paix qui nous rend tous heureux.
***
Un plein repos favorise nos vœux.
Chantons, chantons la Paix qui nous rend tous heureux.
***
Charmante paix, délices de la Terre.
Fille du Ciel, & mere des Plaisirs,
Tu reviens combler nos desirs,
Tu bannis la Terreur, & les tristes Soûpirs
Malheureux enfans de la Guerre.
***
Un plein repos favorise nos voeux.
Chantons, chantons la Paix qui nous rend tous heureux.
***
Tu rends le Fils à sa tremblante Mere.
Par toy la jeune Epouse espere
D'estre long-temps unie à son Epoux aimé.
De ton retour le Laboureur charmé
Ne craint plus desormais, qu'une main étrangere
Moissonne avant le temps le champ qu'il a semé.
***
Tu pares nos Jardins d'une grace nouvelle.
Tu rends le jour plus pur, & la terre plus belle.
***
Un plein repos favorise nos vœux.
Chantons, chantons la Paix qui nous rend tous heureux.
***
Mais quelle main puissante & secourable
A rappellé du Ciel cette Paix adorable ?
***
Quel Dieu sensible aux vœux de l'Univers
A replongé la Discorde aux Enfers ?
***
Déjà grondoient les horribles tonneres
Par qui sont brisez les rempars.
Déjà marchoit devant les étendars
Bellone les cheveux épars,
Et se flattoit d'éterniser les guerres
Que sa fureur souffloit de toutes parts.
***
Divine Paix, appren-nous par quels charmes
Un calme si profond succede à tant d'allarmes ?
***
Un Heros, des mortels l'amour & le plaisir,
Un Roy victorieux vous a fait ce loisir.
***
Un Heros, des mortels l'amour & le plaisir,
Un roy victorieux nous a fait ce loisir.
***
Ses Ennemis offensez de sa gloire
Vaincus cent fois, & cent fois supplians,
En leur fureur de nouveau s'oublians
Ont osé dans ses bras irriter la Victoire.
***
Qu'ont-ils gagné ces Esprits orgueilleux
Qui menassoient d'armer la terre entiere ?
Ils ont veu de nouveau resserrer leur frontiere.
Ils ont veu ce2 Roc sourcilleux
De leur orgueil l'esperance derniere,
De nos champ fortunez devenir la barriere.
***
Un Heros, des mortels l'amour & le plaisir,
Un roy victorieux nous a fait ce loisir.
***
Son bras est craint du couchant à l'Aurore.
La foudre quand il veut tombe aux Climats gelez,
Et sur les bords par le soleil brûlez.
De son couroux vangeur sur le rivage More
La terre fume encore.
***
Malheureux les Ennemis
De ce Prince redoutable !
Heureux les Peuples soûmis
A son empire équitable !
***
Chantons, Bergers, & nous réjoüissons.
Qu'il soit le sujet de nos festes.
Le calme dont nous joüissons
N'est plus sujet aux tempestes.
Chantons, Berges, & nous réjoüissons
Qu'il soit le sujet de nos festes.
Le bonheur dont nous joüissons
Le flate autant que toutes ses conquestes.
***
De ces lieux l'éclat & les attraits,
Ces fleurs odorantes,
Ces eaux bondissantes,
Ces ombrages frais,
Sont des dons de ses mains bienfaisantes.
De ces Lieux l'éclat & les attraits,
Sont des fruits de ses biens-faits.
***
Il veut bien quelquefois visiter nos bocages.
Nos Jardins ne luy déplaisent pas.
Arbres épais, redoublez vos ombrages.
Fleurs, naissez sous ses pas.
***
O Ciel ! ô saintes Destinées !
Qui prenez soin de ses jours florissans,
Retranchez de nos ans
Pour ajoûter à ses années.
***
Qu'il regne ce Heros, qu'il triomphe toûjours.
Qu'avec luy soit toûjours la Paix ou la victoire.
Que le cours de ses ans dure autant que le cours
De la Seine & de la Loire.
Qu'il regne ce Heros, qu'il triomphe toûjours.
Qu'il vive autant que sa gloire.

Ces vers avoient esté mis en Musique par M. de Lully. Il n'a jamais mieux réüissi qu'en cette occasion. Les grands Airs estoient si bien meslez avec les Airs Champestres, que chacun y trouvoit dequoy se satisfaire selon son goust. Cet Idille fut chanté par les plus belles voix de l'Opéra.

Ce Concert finy, le Roy sortit par la grande Porte qui est au milieu de l'Orangerie, & vit à main droite un grand nombre d'Orangers qui formoient des Allées fort éclairées par un grand nombre de Lumieres, qui estoient derriere les Caisses. Aprés avoir marché environ trente pas dans l'une de ces Allées, Sa Majesté découvrit d'un seul coup d'oeil toute la Feuillée, la Table, & l'Illumination qui estoient dans le Boulingrain. Le Bassin qui est au milieu de ce Boulingrain, & à qui l'on peut donner le nom de canal à cause de sa grandeur, a trente-quatre pieds & demy de large sur quarante-huit de long, en y comprenant les pleins Ceintres, qui sont aux deux bouts du bassin sur la longueur.

La Table estoit de quatre pieds trois pouces de large & régnoit tout autour du Canal suivant son plan ; mais il n'y avoit de couverts qu'aux deux endroits qui étoient sous les Feüillées, & qui occupoient les bouts du Canal jusques aux Angles, & les deux parties des flancs ou costez estoient en Amphitheatre à trois gradins descendans du costé de l'eau, ce qui donnoit lieu à tous ceux qui estoient à Table, de voir tous les riches & galans ornemens dont ces deux costez estoient remplis. Le Roy estoit à Table sous le milieu d'une Feüillée qui estoit à l'un des bouts du Canal, & Monseigneur le Dauphin estoit sous le milieu de la Feüillée qui luy estoit opposé, de maniere qu'ils avoient quarante-huit pieds d'eau entr'eux, & trente-quatre & demy de large, & deux costez de Table de quarante-huit pieds chacun, garnis d'un cordon de Corbeilles, & de Vazes de Porcelaines remplis de Fleurs, entre des Girandoles, & d'autres machines d'Orfévreries. L'Invention en estoit nouvelle. Elles portoient jusqu'à vingt-cinq Bougies chacune ; il y en avoit d'autres moins élevées. Ces machines de lumieres estoient toutes differentes, & les Figures Allegoriques quelles representoient avoient du rapport au Roy. Les deux autres Gradins jusqu'à la Tablette du Bassin, étoient tous garnis de mesme. Il est difficile de bien concevoir le plaisir qu'avoient ceux qui estoient à Table. Il n'y avoit personne au devant qui les incommodast en les regardant manger. Ils ne voyoient que l'eau, des Fleurs, de brillants Buffets, & l'Illumination des Berceaux, & toutes ces choses refléchissant dans l'eau, la faisoient briller, & y paroissoient flotantes.

La Feüillée qui estoit à chaque bout du Canal, & qui couvroit les deux endroits de la Table où l'on mangea, estoit de dix-huit pieds de haut, & toute par Arcades, & formoit une maniere de Vestibule. Ces deux Feüillées estoient si artistement posées, que les Corniches & les autres parties de l'Architecture s'y distinguoient parfaitement bien.

L'endroit où estoit le Roy, formoit un milieu dont le plafond estoit ceintré. Les Plafonds des deux Aisles estoient plats, tous les Portiques estoient en Arcades, ornées des Armes & des Chiffres de Sa Majesté dans le milieu. Plusieurs Lustres & des Festons de Fleurs pendoient aussi au milieu des mesmes Arcades, & des Festons de Fleurs, ornoient celle du milieu de laquelle mangeoit le Roy. Toutes ces Corniches estoient bordées de cent cinquante Girandoles portant chacune six Bougies, & entre chaque Girandole, il y avoit une Corniche d'argent emplie de Fleurs. On avoit mis des Rideaux de Damas blanc à toutes les Arcades, afin qu'on ne fust pas surpris par la pluye, & ces Rideaux estoient renoüez à chacun des Pilastres ; de sorte que si le mauvais temps fust survenu, on se seroit trouvé enfermé sous ces Feüllées, comme dans des Tentes, & l'on n'y auroit souffert aucune incommodité. Il y avoit deux Buffets de parade vis à vis les flancs de la Table ; ils estoient appuyez chacun contre une grande Arcade de Berceaux du Boulingrain, & ces Arcardes formoient un couronnement à chaque Buffet. Ils estoient de vingt pieds de face, & avoient trois Gradins. Chaque Gradin estoit de Glaces de Miroir, & ces Glaces en faisant refléchir l'Orfévrerie qui remplissoit les Buffets, sembloient les multiplier. Elle estoit composée de plusieurs pieces curieuses de Vermeil doré, d'argent & d'or, entre lesquelles il y avoit un grand nombre de Girandoles qui portoient plusieurs Bougies, & dont les lumieres multipliées dans les Glaces, faisoient doublement briller l'Orfévrerie, puis qu'elles donnoient aussi de l'éclat aux pieces qu'elles en representoient. Les costez de ces deux Buffets estoient ornez de plusieurs Orangers. Tout le Berceau qui faisoit le pourtour du Boulingrain estoit illuminé depuis la Corniche jusqu'au bas, & il y avoit une lumiere à chaque Maille du Treillage. Tous les Ceintres des Portiques & des Pillastres du Treillage estoient aussi ornez de lumieres, & il y avoit une Girandole de Cristal au dessus de chaque Pillastre. Les Domes qui sont dans les Angles, & qui s'élevent au dessus des Berceaux éstoient entierement illuminez, & il y avoit dans les fonds de ces Berceaux quantité de Lumieres qui formoient des Soleils, & des Chiffres du Roy avec des couronnes.

Il y eut cinq Services de tout ce qu'il y avoit de plus rare pour la Saison, à l'égard des Viandes & des Fruits. Ceux qui eurent l'honneur de manger à la Table de Sa Majesté furent,

Madame la Dauphine.

Monsieur.

Madame la Duchesse.

Mademoiselle de Nantes.

Madame la Duchesse d'Arpajon.

Madame la Mareschale de Rochefort.

Madame de Maintenon.

Madame la Princesse d'Harcourt.

Madame la Duchesse d'Uzés.

Mademoiselle d'Uzés.

Madame la Duchesse de Villeroy.

Madame la Princesse de Montauban.

Madame la Duchesse de Sully.

Madame la Duchesse de Rocquelaure.

Madame la Marquise de Thianges.

Madame la Comtesse de Gramont.

Madame de Grancey.

Madame la Marquise de Medavy.

Mademoiselle d'Arpajon.

Les six Filles d'honneur de Madame la Dauphine.

 

Le Roy fut servy par M. le Marquis de Seignelay, Madame la Dauphine par M. le Bailly Colbert, & Monsieur, par M. le Marquis de Blainville.

Voicy les noms des personnes qui remplirent les places de la Table qui fut servie pour Monseigneur le Dauphin.

Madame.

Madame la Princesse de Conty.

Mademoiselle de Bourbon.

Madame la Duchesse de Vantadour.

Madame de Duras Fort.

Madame la Princesse de Lillebonne.

Mesdemoiselles de Lillebonne.

Madame la Duchesse de Gramont.

Madame la Duchesse de Foix.

Madame la Princesse de Tingry.

Madame la Mareschalle de Humieres.

Mademoiselle de Humieres.

Madame la Duchesse de la Ferté.

Madame la Comtesse de Roye.

Mademoiselle de Roussy.

Madame de Coasquin.

Madame la Marquise de Beringuen.

Madame la Marquise de Maré.

Madame la Comtesse de Bury.

Madame la Marquise de la Fare.

Les quatre Filles d'honneur de Madame.

Monseigneur le Dauphin fut servy par M. le Marquis de Maulevrier, qui servit aussi Madame. Quelques Dames dont les noms me sont échapez, eurent encore place à ces deux Tables. Les Trompettes & les Timbales, les Violons, les Flutes douces, & les Hauts-bois, se firent entendre alternativement pendant le repas. Je vous envoye une Figure gravée. Elles est veuë d'un des costez des Buffets, & fait voir la Feüillée entiere, de maniere qu'il n'y manque qu'un des costez du Boulingrain, un des Buffets, & les deux Gradins qui estoient sur le bord de l'eau de l'un des flancs de la Table. S'il eust esté possible que la graveure eust fait voir le tout, il ne manqueroit rien à cette Planche. Dans le temps que le Roy se mit à Table, on servit dans le Chasteau deux Tables de vingt à trente Couverts, chacune pour les Personnes distinguées de la Cour, qui voulurent y prendre place. Il y en avoit encore plusieurs autres le long du dessous des berceaux du Boulingrain, & quantité de Buffets où l'on ne refusoit pas à boire à tous ceux qui en souhaitoient, non plus que des Plats de la desserte du Roy, qui furent presque tous donnez à ceux qui en demanderent. Il y avoit aussi des Tables le long des Murailles des Courts du Chasteau où mangerent les Valets. Sa Majesté en se levant de Table se tourna vers M. le Marquis de Seignelay, & luy marqua avec cet air tout engageant, & qui luy est si naturel, la satisfaction qu'Elle avait de la maniere dont Elle avoit esté receuë. Ce Prince fit ensuite le tour du Boulingrain. Il examina les Buffets, les Berceaux & la Feüillée, puis estant sorty du Jardin pour monter en Carosse, il trouva les mesmes Personnes qui l'avoient receu à son arrivée, & les salua avec le mesme air de bonté qu'il avoit fait en entrant : aprés quoy il monta en Carosse, & trouva les Cours, la Porte & l'avenuë du Chasteau, bordées de grosses lumieres. On peut dire que M. de Seignelay n'a rien oublié pour recevoir un si grand Monarque, & que M. Berrin a parfaitement bien répondu à l'intention de ce Marquis.

Au Roy, Fable énigmatique §

Mercure galant, juillet 1685 [tome 7], p. 325-333

Au lieu d’Enigmes nouvelles, je vous envoye une Fable Enigmatique de M.B.D. de Toulouse. On en demande l’explication.

AU ROY,
FABLE ENIGMATIQUE.

Digne Heros pour qui plus d’une main sçavante,
 S’exerce au langage des Dieux,
 Fameux LOUIS, daigne jetter les yeux
Sur les Vers qu’à mon nom Mercure te presente.
 Je sçay bien que les Envieux
Vont condamner en moy le desir de te plaire,
Ils diront que je suis un jeune Témeraire,
 Que j’ay l’esprit ambitieux.
Il est vray, je l’avouë, ils ont lieu de le croire,
Ton Nom plus noblement devroit estre chanté ;
Mais GRAND ROY, le desir de celébrer ta gloire,
Est une belle excuse à ma témerité.
***
Ptolomée un de nos Ayeux,
  Voyoit, dit-on, promener les Planettes,
 On dit aussi qu’il comptoit onze Cieux,
 Sans le secours de nos longues Lunettes.
 J’y souscris donc, & son vieux sentiment,
 Va me servir de fondement.
Pour donner à ma Fable un peu de vray samblance,
A son opinion j’ajoûte seulement,
  Que chaque Ciel comme le Firmament,
 Devoit avoir en si belle occurre
Des Etoiles au moins pour servir d’ornement,
 Et là-dessus voicy ce que j’avance.
Venus avoit un Ciel d’une grande splendeur,
Ses Etoiles vivoient en bonne intelligence,
 Qui fut pourtant fatale à son bonheur :
 Car se donnant une pleine licence,
Elle osa du Soleil attaquer la grandeur,
 Elle osa braver sa puissance.
 Le Soleil fait tout sagement ;
 Bien qu’il fust sensible à l’offence,
 Il differa le châtiment,
 Dans l’espoir que dans sa naissance
On viendroit étouffer tout son ressentiment.
 Loin d’agir aussi prudemment,
La superbe Venus ne met rien en usage,
Ne se donne aucun soin ; de ce retardement
 Tire peut-estre un bon présage,
Et sans doute a son sens pour détourner l’orage,
Le secours de la Lune estoit un grand secours.
 Elle se trompoit l’orgueilleuse,
Il est vray que la Lune est assez lumineuse,
Mais contre le Soleil c’est un foible recours :
Il peut, quand il luy plaist de former un nuage,
Porter dans tous les Cieux la crainte & le ravage.
Voyant donc que Venus avoit tout méprisé,
C’est, dit-il, trop tarder à punir l’insolence,
Songeons, puis qu’il le faut, songeons à la vangeance.
Bref pour le châtiment tout estoit disposé,
Quand du Ciel de Venus une Etoile exilée,
 Plaintive autant que desolée,
 Dans son malheureux accident,
 Vint du Soleil reclamer la justice.
 Pere du jour, dit-elle en l’abordant,
 Vous seul pouvez me rendre un bon office,
 J’ose implorer vostre puissant secours,
 De ma disgrace interrompez le cours,
 Empeschez que je ne perisse.
 Le Soleil la receut fort bien,
Je me charge, dit-il, du soin de vostre affaire,
 Vivez icy, ne craignez rien,
Vous pouvez prés de moy joüir de ma lumiere,
Je parleray pour vous & Venus quelque jour
 Pourroit bien sentir à son tour,
 Les traits de ma juste colere :
 Je devrois traiter rudement
 Cette Planette témeraire,
Et cependant je veux avant le châtiment.
Tenter par la douceur un accommodement.
Ce qu’il fit, & Venus au lieu d’y satisfaire,
 Marqua toûjours une extréme fierté,
 Dequoy le Soleil irrité,
Ah ! c’en est trop, dit-il, ce procedé m’offence,
Venus ignore encor ce que peut ma vangeance,
Pour punir son orgueil marquons un peu de fiel,
Assemblons des rayons pour embraser son Ciel,
Il avoit commencé de le réduire en cendre,
 Quand sur le bruit de cét embrament,
 Saturne avec zele vint prendre,
 Le soin d’un accommodement.
Le Soleil volontiers entendit sa priere,
Je suspens, luy dit-il, l’effet de ma colere ;
 Mais je veux faire à Venus une Loy ;
Quand elle aura besoin de lumiere étrangere,
 Je veux qu’elle ait recours à moy,
 Je luy presteray ma lumiere.
 Je veux aussi que ses Astres errans,
Qui jadis à la Lune offroient leur assistance,
 Soient privez de leur influence,
 La source de nos differens.
 Je veux enfin que l’Etoile outragée,
 Soit à mon gré dédommagée ;
Que la fiere Venus par des soumissions
 Dans mon Palais vienne me rendre hommage,
 Et d’une conduite peu sage,
Qu’elle y vienne former des réparations.
 Le Soleil pouvoit tout prescrire,
 Il estoit juste, & de son ire
 Venus apprehendoit les traits,
Aux conseils de Saturne elle n’eut rien à dire,
 Il fallut s’y laisser conduire,
Il fallut du Soleil remplir tous les souhaits,
Pour gouster la douceur d’une tranquille Paix.