1685

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1685 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9]. §

[Harangue faite au Roy, par Mr le Coadjuteur de Rouen] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 1-22

Il ne me sera pas difficile, Madame, de vous convaincre que je n’ay fait que rendre justice à M. le Coadjuteur de Roüen, quand je vous ay vanté la Harangue qu’il a faite au Roy, comme une des plus belles choses qu’on ait entenduës depuis long-temps. Je vous en envoye une Copie, qui justifiera ce que je vous en ay dit. L’Eloge de Sa Majesté vous plaist au commencement de toutes mes Lettres ; & vous l’aimerez d’autant plus en celle-cy, que vous le trouverez fait par un grand Prelat, dont l’Eloquence a charmé toute la Cour. Il fut assisté dans cette action de Mrs les Archevesques, Evesques, & autres Députez de l’Assemblée du Clergé ; & ce fut en prenant congé du Roy qu’il luy parla en ces termes au nom de tous ceux qui avoient composé cette Assemblée.

SIRE,

Le Clergé de France, qui ne s’approchoit autrefois de ses Souverains, que pour leur tracer de tristes images de la Religion opprimée & gemissante, vient aujourd’huy, la reconnoissance & la joye dans le cœur, faire paroître à Vostre Majesté, cette mesme Religion toute couverte de la gloire, qu’elle tient de vostre Pieté.

Elle a paru durant plus d’un siecle sur le panchant de sa ruine ; on l’a veuë déchirée par ses propres enfans, trahie par ceux qui devoient la soûtenir & la defendre, en proye à ses plus cruels ennemis. Enfin aprés une longue & funeste oppression, elle respira peu de temps avant vostre Naissance heureuse ; avec Vous elle commença de revivre, avec Vous elle monta sur le Trône. Nous contons les années de son accroissement par les années de vôtre Regne ; & c’est sous le plus florissant Empire du monde, que nous la voyons aujourd’huy plus florissante que jamais.

Si elle se souvient encore de ses troubles & de ses malheurs passez, ce n’est plus que pour mieux goûter le parfait bonheur dont vous la faites joüir. Elle est sans agitation & sans crainte à l’ombre de vôtre autorité ; elle est mesme, si j’ose ainsi dire, sans desirs, puisque vostre Zele ne luy laisse pas le temps d’en former, & que vôtre Bonté va si souvent au delà de ses souhaits.

Ce Zele ardent pour la Foy, cette Bonté paternelle dans tous les besoins de l’Eglise, Qualitez si rares dans les Princes, font, SIRE, le veritable sujet de nos Eloges.

Nous laissons à vos autres Sujets assez d’autres Vertus à admirer en Vous. Les uns vous representeront comme un Monarque Bienfaisant, Liberal, Magnifique, Fidelle dans ses promesses, Ferme & Infléxible contre toute sorte d’injustice, Droit & Equitable, jusques à prononcer contre ses propres interests, veritablement Maistre de ses Peuples, & plus Maistre encore de luy-mesme.

Les autres vous respecteront comme un Roy, toûjours Sage & toûjours Victorieux, dont les impénetrables desseins sont plûtost executez, que connus ; qui ne regne pas seulement sur ses Sujets par son Autorité Souveraine, mais sur son Conseil par la Superiorité de son Genie, mais sur les Cours de ses Voisins par la pénetration de son Esprit, & par la Sagesse dont il sçait instruire ses Ministres ; qui pouvant tout par luy-mesme, sçait se passer des plus grands Hommes, & sans eux resoudre, entreprendre, executer ; qui donne la Loy sur la Mer, aussi bien que sur la Terre ; qui lance quand il luy plaist la foudre jusque sur les bords de l’Afrique ; qui sçait à son gré humilier les Nations superbes, & réduire des Souverains à venir aux pieds de son Trône reconnoistre son pouvoir, & implorer sa clemence.

Vos Ennemis mesme, SIRE, ne peuvent s’empescher de loüer vos actions heroïques ; ils sont contrains d’avoüer, que rien n’est capable de vous resister, & le merite du Vainqueur adoucit en quelque sorte le malheur des Vaincus.

Ce n’est pas à nous, SIRE, à parler des progrés étonnans de vos Armes triomphantes ; nous ne devons pas confondre l’éclat d’une valeur qui n’est que l’objet de l’admiration des Hommes, avec ces Oeuvres saintes qui sont en estime devant Dieu. Le Clergé, SIRE, s’attachera sur tout à loüer en Vous cette Pieté, qui toûjours attentive aux interests de la Religion, n’obmet rien de ce qui peut estre necessaire pour la relever dans les lieux où elle est abattuë, pour l’étendre au delà des Mers, dans les lieux où elle est inconnuë, pour la faire triompher dans l’un & l’autre monde.

Mais que dis-je ! l’Eglise ne doit elle pas elle-mesme consacrer des Victoires, que Vous avez si heureusement fait servir à la Propagation de la Foy, & à l’extinction de l’Heresie ? Il semble que vous n’ayez combattu & triomphé que pour Dieu, & le fruit que vous tirez de la Paix, nous fait assez connoistre quel estoit le principal but de vos Victoires. C’est par ces Victoires que vous avez étably cette redoutable Puissance, qui tenant desormais vos Voisins en bride, oste aux Heretiques de vostre Royaume, & l’audace de se revolter, & l’espoir de se maintenir par de seditieux commerces avec les Ennemis de l’Etat.

Si c’eust esté la seule ambition qui vous eust armé, jusqu’où n’auriez-vous point étendu vôtre Empire ? Vous vous estes hasté de finir la Guerre, lorsque vous en pouviez tirer de plus grands avantages. Ne sçait-on pas que ce n’a esté que par l’empressement que vous aviez de donner tous vos soins au progrés de la Religion ? La Conversion de tant d’ames engagées dans l’erreur, vous a paru la plus belle de toutes les Conquêtes, & le triomphe le plus digne d’un Roy Tres-Chrétien.

Mais quelle que soit vôtre Puissance, elle avoit encore besoin du secours de vôtre Bonté ; C’est en gagnant le cœur des Heretiques, que vous domtez l’obstination de leur esprit ; c’est par vos bienfaits que vous combattez leur endurcissement, & ils ne seroient peut-estre jamais rentrez dans le Sein de l’Eglise par une autre voye, que par le chemin semé de fleurs que vous leur avez ouvert.

Aussi faut-il l’avoüer, SIRE. Quelque interest que nous ayons à l’extinction de l’Heresie, nôtre joye l’emporteroit peu sur nostre douleur, si pour surmonter cet Hydre, une fâcheuse necessité avoit forcé vostre Zele à recourir au fer & au feu, comme on a esté obligé de faire dans les Regnes précedens. Nous prendrions part à une Guerre qui seroit sainte, & nous en aurions quelque horreur, parce qu’elle seroit sanglante. Nous ferions des Vœux pour le succés de vos Armes sacrées ; mais nous ne verrions qu’avec tremblement, les terribles executions, dont le Dieu des vangeances vous feroit l’instrument redoutable. Enfin nous mêlerions nos voix aux acclamations publiques sur vos Victoires, & nous gemirions en secret sur un Triomphe, qui avec la défaite des Ennemis de l’Eglise, enveloperoit la perte de nos Freres.

Aujourd’huy donc que vous ne combattez l’orgueil de l’Heresie, que par la douceur & par la sagesse du Gouvernement ; que vos Loix soûtenuës de vos bienfaits sont vos seules armes ; & que les avantages que vous remportez ne sont dommageables qu’au Démon de la Revolte & du Schisme, nous n’avons que de pures actions de graces à rendre au Ciel, qui a inspiré à Vostre Majesté, ces doux & sages moyens de vaincre l’erreur, & de pouvoir en mêlant avec peu de severité, beaucoup de graces & de faveurs, ramener à l’Eglise ceux qui s’en trouvoient malheureusement separez.

Nous le confessons, SIRE, c’est à Vôtre Majesté seule, que nous devons bien-tost le rétablissement entier de la Foy de nos Peres : aussi ne falloit-il pas que l’Etat vous devant déja son salut & sa gloire, l’Eglise deust à un autre qu’à Vous, sa victoire & son triomphe : sans cela vostre Regne, que le Ciel a voulu qu’il fust un Regne de merveilles, auroit manqué de son plus bel ornement. On auroit bien dit un jour de Vôtre Majesté, ce que l’Ecriture dit de plusieurs grands Rois de Juda : Il a terrassé ses Ennemis, & relevé la Monarchie ; il a autorisé & reformé les Loix, il a fait regner la Justice ; mais on auroit ajoûté ce que le Saint Esprit reproche à ces Princes : Il n’a pas aboly les Sacrifices qui se faisoient sur la Montagne.

Que vôtre Nom, SIRE, sera éloigné de ce reproche ! Ce que vôtre Zele a déja fait, la Posterité le regardera toûjours comme la source de vos Prosperitez, & le comble de vostre Gloire.

Mais ce n’est pas au rétablissement des Temples & des Autels, que se borne vôtre Zele. Vous avez entrepris de faire revivre la Pieté & les bonnes mœurs ; & c’est à quoy Vostre Majesté travaille avec succés, autant par son exemple que par ses ordres. C’est un honneur maintenant de pratiquer la Vertu ; & si le vice n’est pas tout à-fait détruit, au moins est-il réduit à se cacher ; & les voiles dont il se couvre, épargnent aux gens de bien un fâcheux scandale, & sauvent les ames foibles du peril d’une contagion funeste.

Ne pensons plus à ces jours de ténebres, où la pluspart de ceux qui estoient encore dans le Sein de l’Eglise, sembloient n’y estre demeurez que pour l’outrager de plus prés ; où les blasphêmes & les railleries sacrileges de ce qu’il y a de plus saint, éclatoient avec audace. Ces Monstres d’infidelité ont disparu sous vôtre Regne heureux ; & si les Remontrances tant de fois réïterées sur ce sujet, ne nous donnoient connoissance de ce desordre, nous l’ignorerions à jamais.

Qu’est devenu cet autre Monstre produit par l’esprit de vangeance, toûjours alteré du sang des Hommes, mais plus encore de celuy de la Noblesse Françoise ? Nous n’avons qu’à le laisser dans l’oubly eternel, où depuis tant de temps vous l’avez ensevely. Vous l’avez étouffé, tout indomtable qu’il paroissoit. Vôtre Majesté a scû renverser les fausses maximes de l’honneur & de la honte ; & autant qu’une détestable erreur avoit mis de fausse gloire à se vanger, autant y auroit-il d’ignominie à ne vous pas obeïr. C’est ainsi que vostre volonté seule l’emporte sur la coûtume inveterée du mal, & sur le panchant criminel des hommes.

Le Clergé ne se dispose plus qu’à estre le Spectateur de la fin de toutes vos saintes Entreprises, aprés en avoir admiré de si heureux commencemens, il cesse d’user de Remontrances. S’il a encore quelques besoins, vous les connoissez, cela luy suffit. Il vient encore de ressentir en cette Assemblée, d’insignes effets de vôtre Protection Royale ; & persuadé que vous luy avez destiné une longue suite de graces dans d’autres temps, & avec les circonstances dont vous seul les sçavez si bien accompagner, il craindroit par ses demandes, ou de troubler l’ordre que vôtre Sagesse y a étably, ou peut estre de mettre des bornes où vôtre Zele n’en a point mis.

L’unique affaire qui nous occupe, c’est l’obligation de rendre à Vôtre Majesté de tres-humbles actions de graces. Aprés un si juste devoir, assûrez que nous sommes de vôtre puissante Protection, nous pouvons nous separer sans inquietude. Nous allons dans les Provinces de vostre Royaume, faire retentir les loüanges que l’Eglise doit à vostre Zele. Chaque Pasteur aura la joye de retrouver par vos soins, son Troupeau plus nombreux qu’il ne l’avoit laissé, & chacun de nous redoublera ses vœux pour obtenir du Ciel, qu’il redouble ses Benedictions en faveur d’un Prince qui se les attire par des actions si glorieuses & si utiles à la Religion.

[Elegie de Mr Cantenac] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 33-41

La Piece qui suit, renferme de nouveaux Eloges de Sa Majesté. Elle est de M. de Cantenac Theologal de Seez, qui témoigne se repentir de ne s’estre pas attaché toute sa vie à la Personne & au service du Roy, au lieu de s’attacher à celuy de quelques grands Seigneurs, comme il a fait autrefois.

ELEGIE.

Affligé de ma peine, & du bien qui me fuit,
Passant mes tristes jours, comme une longue nuit,
Je ne veux pas blâmer d’une voix importune
L’injuste cruauté d’une ingrate fortune.
Les Astres ny le sort ne font pas nos malheurs,
Chacun fait son Etoile, & cause ses douleurs.
L’Homme est Roy sur luy mesme, & fust il dans les chaines,
C’est son esprit qui fait ses plaisirs ou ses peines.
Qui regle sa conduite, & les évenements,
Tel qu’un Pilote expert, malgré l’Onde & les Vents,
Conduit heureusement sur la Mer irritée,
Le timon chancelant de sa Barque agitée.
On souffre peu de maux qu’on ne puisse éviter,
Et nous pouvons les fuir mieux que les supporter.
Je suis l’unique Ouvrier de ma fatale peine,
L’imprudence a rendu ma fortune inhumaine.
M’éloignant du Soleil, dont j’estois éclairé,
Par de fausses lueurs je me suis égaré.
Si j’avois consacré le cours de mes années,
Au Roy le plus puissant qu’ont fait les Destinées,
A ce Monarque Auguste, & Favori des Cieux,
Je vivrois fortuné, tranquille & glorieux.
Mais comme un bon Vaisseau qui tentant la fortune,
Sort de la grande route, & du sein de Neptune,
Et voguant au hazard sur un Fleuve inconnu,
S’ouvre au sable mouvant qui l’avoit retenu,
Par mon éloignement j’ay causé mon naufrage,
Prés de l’Astre du jour on ne voit point d’orage.
Tout le monde est heureux prés de Loüis le Grand,
Et ne se voit chargé que des biens qu’il répand.
Mais quel bonheur pour moy, si témoin de sa vie
J’avois veu sa vertu triompher de l’envie,
Porter, comme elle a fait, parmy tant de hazards
Son Empire & son Nom au dessus des Cesars !
Sa valeur redoutable a dompté dés l’enfance,
Et le Lyon d’Espagne, & l’Hydre de la France.
Est-il rien que son bras ne soumette aujourd’huy,
Si les Monstres alors n’estoient qu’un jeu pour luy ?
Le Batave insolent, & l’orgueilleux Ibere,
Ont gemy sous le poids de sa juste colere ;
Et l’Aigle accoutumée à pénetrer les Cieux,
Limite aux pieds des Lys son vol audacieux.
De cent Peuples armez en vain la Ligue est faite,
Unis dans leurs combats, unis dans leur défaite,
On les a veus tremblans, venir de toutes parts
Implorer sa clemence, & ceder leurs remparts.
Le perfide Ennemy du Ciel & de la Terre,
L’Africain subjugué tremble encor du tonnerre
De ce fracas terrible, & de ces feux nouveaux
Que ce nouveau Soleil faisoit sortir des eaux.
On ne compte ses jours que par quelque victoire,
Pour luy chaque moment est un pas à la gloire.
Et bien qu’à sa valeur cent Peuples soient soumis,
Il soumet plus de cœurs qu’il n’a fait d’ennemis.
Son grand Nom redouté du Sarmate & du More,
Se fait aimer & craindre aux Climats de l’Aurore ;
Et ces Rois que le Peuple adore comme Dieux,
Fondent à l’honorer leurs titres glorieux.
Si par tout sa valeur établit son Empire,
Sa grande pieté que l’Univers admire,
Du Dieu que nous servons redresse les Autels,
Et l’éleve luy-mesme au rang des Immortels.
Par des traits inoüis de sa rare prudence,
Le Monstre de l’Erreur est chassé de la France ;
Et Rome accoutumée aux Presens de nos Rois,
Prend de luy ses Enfans qui méprisoient ses lois.
Appuy de la vertu, comme ennemy du vice,
Il fait fleurir par tout les Arts & la Justice.
Mille Peuples conquis éprouvent sa douceur,
Il en paroist le Pere autant que le Vainqueur.
Monarque inimitable, Auguste & Magnanime,
Tout le monde vous aime autant qu’il vous estime ;
Et l’on ne vit jamais sortir d’un mesme cœur
De si grandes bontez avec tant de valeur.
Mais j’éprouve en ce point que la peine est extréme
D’aimer infiniment sans plaire à ce qu’on aime.
Pour plaire, il faut servir l’objet de son amour,
Et l’Amant inutile est indigne du jour.
Je voudrois pour tout bien vous servir & vous plaire,
Heureux est le mortel capable de le faire,
Sa gloire peut combattre un destin rigoureux,
Et qui sert bien son Roy, n’est jamais malheureux.

Lettre écrite de Versailles à Lyon §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 51-91

Il m’est tombé entre les mains une Lettre touchant le dernier de ces Tableaux ; & comme elle en décrit parfaitement toutes les parties, dont elle donne une veritable idée, j’ay crû devoir vous en faire part. Vous y trouverez quantité d’endroits remplis d’érudition. Elle est de M. Guillet de Saint Georges. Son merite vous est connu par quantité d’excellens Ouvrages qu’il a donnez au public.

LETTRE ECRITE
DE VERSAILLES A LYON.

Monsieur,

Pour continuer nostre commerce de Lettres, je vay vous entretenir du dernier Tableau que M. le Brun a fait pour le Roy. Quand je vous auray dit que le Crucifiement du Sauveur du monde en est le Sujet, vous vous ferez sans doute une plus digne & plus noble idée de l’Ouvrage, & vous concevrez que s’il offre aux yeux des habiles Gens une heureuse & sçavante pratique de l’Art de peindre, il donne aux Devots une ample matiere de méditation, & une excellente leçon des Vertus Chrétiennes.

Le Fils de Dieu attaché à la Croix, est disposé si avantageusement dans le milieu du Tableau, qu’on n’a pas de peine à le prendre pour le principal objet, & pour la Figure dominante. La Croix n’est pas tout à fait dressée ; mais comme les Bourreaux travaillent à la mettre dans son assiette, & qu’elle panche encore, le Corps du Sauveur suit cette disposition ; de sorte qu’il a les yeux tournez vers le Ciel, comme regardant le Thrône de Gloire où le Pere Eternel le doit bien-tost recevoir. Malgré la pasleur de son Visage que les tourmens ont extrémement attenué, on ne laisse pas d’y voir une Majesté éclattante, un air noble, & un Caractere de Divinité, qui impriment dans le cœur de ceux qui le regardent un sentiment de venération & d’amour : Mais à cét air majestueux & divin, il se mesle une forte expression d’une bonté infinie, & d’une charité extréme, & l’on est persuadé qu’en cét état de resignation, il s’immole luy mesme à son Pere, par un Sacrifice parfait, qui doit estre la consommation de tous les anciens Sacrifices. Dans le reste du Corps, les marques d’une douleur violente sont judicieusement ménagées. En quelques endroits la Chair est meurtrie de coups ; en quelques autres on voit que le Sang retiré fait place à une pasleur mortelle. Ainsi on ne sçauroit trop admirer le choix des teintes que le Pinceau a employées, pour une carnation si variée & si naturelle. Les Veines & les Muscles s’y distinguent avec toute l’exactitude où la perfection de l’Art peut atteindre, & cette naïve imitation du naturel qui regne par tout le Tableau, s’y trouve soûtenuë d’une judicieuse œconomie de la Lumiere & des Ombres ; tout cela estant si fort du partage de M. le Brun, que personne n’en disconvient.

Le Fils de Dieu est attaché à la Croix avec quatre Cloux, en sorte qu’il y a un Cloud particulier pour chaque pied ; ce qui s’accorde à l’opinion du plus grand nombre des Peres anciens ; & mesme parmy les Modernes, le sçavant & pieux Cardinal Tolet, a dit qu’en cela le vray semblable s’accorde avec le vray, & que comme il y eut quatre Soldats qui attacherent le Sauveur à la Croix, il est plausible que chacun d’eux affecta d’y mettre un Clou, afin que tous quatre fissent également l’office d’Executeurs. Mais cette conjecture répond positivement aux experiences de quelques Curieux, qui ayant mis sur une piece de bois les pieds d’un Cadavre posez l’un sur l’autre, ont vainement essayé de les y attacher avec un seul clou, parce que les nerfs dont ces parties sont remplies, & la situation des talons empeschent que le clou ne fasse solidement son effet. Mais comme le Corps du Sauveur ne pouvoit pas se tenir suspendu à la Croix par le seul secours des quatre Cloux, on entrevoit icy parmy les plis de la Drapperie mise sur ses Flancs, un cordage qui le lie à la Croix, & qui en asseure la suspension. On luy voit encore sur la Teste la Couronne d’Epines que Pilate y a fait mettre, comme pour authoriser le Titre de Roy qu’il luy a donné.

Ces expressions des souffrances du Seigneur, semblent en avoir imprimé de pareilles dans le Cœur & sur le Visage de la Vierge, de Saint Jean, de la Madeleine, de Marthe, de Marie Femme de Cleophas, de Salomé, de Jeanne Femme de Cutzas Intendant d’Herode, & de ces autres Saintes Femmes de Galilée, qui avoient suivy le Sauveur, & qui se frapant la poitrine l’avoient pleuré pendant le portement de la Croix.

Toutes ces Figures qui marquent une extrème desolation, sont à la main droite du Tableau. On voit qu’attentives au mouvement de la Croix que l’on dresse, elles jettent leurs regards sur celuy qui y est attaché ; mais on juge bien qu’elles le suivent moins des yeux que de la pensée. On diroit que leur cœur est à la Croix, & que les Playes du Sauveur sont devenuës les leurs propres. C’est là que les differentes expressions de l’amour divin paroissent dans toute leur force. C’est là que regne une affliction generale ; mais elle y regne sous des caracteres particuliers.

On voit donc la Vierge qui considerant les tourmens de son Fils, paroist touchée de toute la douleur dont une Mere est capable ; mais par une expression sensible, on voit au travers de cette douleur une constance surnaturelle, & digne de la Mere de Dieu. Elle se laisse tomber sur les genoux, comme voulant faire en cét état un Acte d’adoration, & un Sacrifice ; selon la pensée de plusieurs Peres de l’Eglise, qui asseurent qu’au moment de l’élevation de la Croix, la Vierge se reglant sur l’Oblation que son Fils faisoit alors de soy-mesme, elle l’offroit aussi au Pere Eternel, comme pour luy remettre le Dépost Sacré qu’elle en avoit receu.

Proche de là, on voit Saint Jean qui est debout, avec un visage d’autant plus troublé, qu’il voit à la fois le Sauveur & la Vierge, dans des tourmens qui luy demandent également un prompt secours. Incertain de quel costé il doit aller, ou plûtost voulant courir à tous deux ; on remarque que d’une main il soûtient la Vierge, & tend l’autre vers son Fils. On diroit qu’il fremit à chaque effort des Bourreaux qui travaillent à planter la Croix ; & à ces marques d’une agitation interieure, on est persuadé que les Playes d’un Maistre si adorable, & si tendrement aimé, ont jetté des traits divins dans l’ame de son Favory, & que ce bien-heureux Apostre se veut transformer en luy, expirer avec luy, & courir à cette Sainte union, qui fait la felicité & la recompense de l’amour reciproque.

La Madeleine, penetrée de douleur, a le visage en feu, les cheveux épars, & les mains jointes, & serrées par l’effort des doigts entrelacez les uns dans les autres, avec cette violence qui est l’effet & la marque d’un transport extraordinaire. Ses souffrances sont si vives, & ses affections si pures, qu’elle trouve de la gloire, & du merite à les faire éclatter pour l’édification universelle. Ainsi comme ce sont de ces thresors qui ne doivent point estre cachez, elle ne veut point mettre de bornes à sa douleur, ny donner de voile à son amour. Mais, Monsieur, en vous décrivant son transport, je ne vous puis taire celuy d’un homme tres-intelligent en Peinture, qui observant la Figure de cette Madeleine avant que le Tableau eust esté enlevé de Paris, dit à une Compagnie nombreuse de Curieux qui estudioient la mesme Figure, Vous la voyez qui pleure, vous autres, & c’est tout ce que vous y remarquez ; mais moy, je l’entends qui se plaint.

On voit ces autres Saintes Femmes de Galilée diversement outrées d’affliction, & differemment possedées de l’Esprit de Dieu ; selon que ce zele divin s’exprime par une sainte langueur, par les marques extérieures d’une aspiration fervente, ou d’une palpitation de cœur, ou bien enfin par d’autres mouvemens, ordinaires aux Personnes animées de l’amour celeste. Leur émotion ne peut estre moindre quand on suppose qu’elle vient du cruel spectacle de la Croix, que six Bourreaux tâchent de dresser. On connoist évidemment que pour y attacher le Sauveur avec plus de facilité, elle a d’abord esté couchée sur une petite terrasse qui se forme entre plusieurs inégalitez dont le terrain du Calvaire est couppé ; & même on voit un Tréteau qui aservy à la soûtenir quand on a commencé à la lever. La terrasse est escarpée, & son escarpe regne sur le trou où l’on veut affermir la Croix, qui, comme j’ay dit, panche encore ; mais la terrasse par sa disposition donne de grands avantages pour la mettre en son assiette. Les six hommes qui s’y employent à l’envy, ont tous le visage de Gens de travail, la taille renforcée, les bras nerveux, & le corps dans une attitude differente, mais toûjours naturelle & proportionnée à leurs efforts differens. De ces six, il y en a deux postez sur la terrasse, & quatre en bas pour mieux balancer le mouvement de la Croix, & luy donner un contrepoids necessaire, chacun selon la situation où il se trouve. Deux des quatre qui sont en bas, tirent chacun un cordage qui va répondre à chaque extrémité des deux branches de la Croix pour les soûlever de part & d’autre, avec une égale force. On juge de la vigueur & des efforts de ces deux hommes par l’extension de leurs Muscles, qui sont marquez & ressentis avec beaucoup d’art. Le troisiéme panché en avant, & courbé sur ses genoux, soûtient de son dos le derriere de la Croix, & semble aussi la soûlever, & mesme la pousser avec mesure, tandis que le quatriéme la pressant du corps, des bras, & des mains, fait agir sa vigueur & son adresse pour se concerter avec ses Compagnons. Mais des deux qui sont postez sur la terrasse, il y en a un qui tient la Croix encore plus étroitement embrassée, pour estre ainsi maistre de tout le mouvement qu’elle reçoit, & regler en particulier l’effet des cordages qui agissent du costé opposé. Le dernier est un Soldat Romain, qui est armé de sa cuirasse. Il tient une Echelle dressée de telle sorte que l’échelon le plus haut soûtient la Croix au dessous des branches pour la hausser plus ou moins, selon qu’il faudra seconder à propos les efforts de ses Compagnons. La circonspection du Soldat paroist dans ses yeux qui sont attentifs à tout ce travail ; ce qui convient assez à un homme qu’on suppose avoir esté long-temps le cruel Ministre des supplices ordonnez aux Criminels, puis qu’en ce temps là les Romains donnoient souvent aux Soldats, & mesme aux Tribuns des Legions la commission d’executer à mort, de leurs propres mains, les Personnes destinées au supplice.

La Croix n’est pas icy representée sous la Figure des Croix ordinaires, qui ont quatre extrémitez distinctes ; car en celle-cy le tronc vient se terminer dans le milieu des deux branches, sans former un sommet au dessus de cette Traverse. Ainsi elle est semblable à nostre Lettre capitale T, ou à la Lettre Grecque Tau ; ce qui est conforme à l’opinion de plusieurs Peres de l’Eglise, & à la tradition de la pluspart des Chrétiens Orientaux. Celle-cy a deux fois la hauteur d’un homme, comme il est aisé de juger par les proportions des Figures du Tableau. Parmy les Anciens, les Croix estoient faites sur des longueurs fort differentes. Ainsi Aman, Favory d’Assuerus, en prépara une pour le Supplice de Mardochée qui estoit longue de cinquante coudées ; ce qui contient presque treize de nos toises, & suppose prés de quinze fois la hauteur d’un homme. Au contraire les sept Enfans de Saul furent attachez chacun à une Croix si peu élevée, que les Bestes sauvages auroient pû atteindre à leurs pieds, & les manger pendant la nuit, sans la vigilance de la pieuse Respha. La longueur de celle du Sauveur, telle qu’on la voit icy representée, se rapporte à la tradition generale, qui tient que la Vierge estant debout au pied de la Croix portoit sa bouche jusques aux pieds de son Fils, & qu’elle les baisoit tendrement en les moüillant de ses larmes. L’Eglise Orientale estoit particulierement dans cette opinion, comme on le peut remarquer dans un Poëme Dramatique, attribué par quelques-uns à Saint Athanase, & par quelques autres à S. Gregoire de Nazianze.

Comme la disposition des quatre faces du bois de la Croix à servy de fondement & de regle aux premiers Architectes Chrétiens pour la structure de nos Eglises, M. le Brun a soûtenu cette idée ; car on voit icy fort distinctement, que la Croix va estre située de telle sorte, que le Sauveur aura à dos la Ville de Hierusalem qui est à nostre égard dans la partie Orientale de l’Horizon. Ainsi il fera face vers l’Occident, & portera la main droite vers le Septentrion, & la gauche vers le Midy. Nos Eglises sont orientées de la sorte, & c’est ainsi que chaque jour le Peuple Catholique appellé au Service divin, rend la chose sensible dans nos Temples ; car en regardant l’Autel, on tourne le visage vers l’Orient, pour concevoir pieusement qu’on a le Sauveur en face,

Un peu au dessous des Figures de ces Femmes de Galilée, qui comme nous avons dit, marquent un ravissement celeste, & une suspension des sens, on voit d’autres Figures du mesme costé, & sur la premiere Ligne du Tableau, qui font paroistre une activité fort opposée à cette sainte langueur, & qui par là forment cét agreable contraste dont la Peinture emprunte une partie de ses beautez. Ce sont les quatre Soldats qu’on suppose avoir attaché le Sauveur à la Croix, & divisé entr’eux une partie de ses Vestemens, selon le témoignage de l’Evangile. On les voit qui jettent au sort avec des Dez, pour sçavoir à qui demeurera la Tunique, dont ils n’ont pas voulu faire quatre portions, parce qu’ayant veu qu’elle est d’un seul tissu & sans coûture, ils n’ont pû se resoudre à la couper. Elle est étenduë à terre, & quelques-uns ont les genoux dessus. Ces quatre Joüeurs sont donc figurez avec cét air inquiet & empressé que donne l’avidité du gain. De la maniere dont ils s’observent l’un l’autre, on leur trouve un grand panchant à disputer le coup de Dé. L’action d’un cinquiéme Soldat qui les regarde, en s’appuyant sur une Hache d’armes, marque une curiosité & une application aussi forte que s’il estoit effectivement interessé dans le gain & dans la perte.

A quelque distance de ces Soldats, & proche le pied de la Croix, on voit le Vase plein de Vinaigre, qui leur servit quelque temps aprés à imbiber l’éponge qu’ils mirent au bout d’un bâton d’Hysope, pour la presenter à la bouche du Fils de Dieu.

Les deux Croix où les Larrons viennent d’estre attachez, sont aux deux costez du Sauveur vers les deux bouts du Tableau, celle du bon Larron à la droite, & l’autre à la gauche. Mais de cette derniere, on ne voit que l’extrémité d’une branche avec une partie de la main du Criminel ; ce qui est fait avec dessein, & la situation de ces deux Croix marque la sage reflexion de M. le Brun, qui sans oublier aucune des circonstances de son Sujet, ne laisse pas de le débarrasser avec beaucoup de jugement, faisant en sorte que l’action principale y soit dominante, & que les Figures le moins propres à émouvoir l’ame, y tiennent le moindre rang, & n’y soient veuës qu’en passant.

Aprés vous avoir fait un détail de ce qui occupe dans le Tableau toute la partie de main droite, voicy tout ce qui remplit le costé opposé. Une Compagnie de Gens de Guerre, commandée pour asseurer l’execution de la Sentence de mort, vient occuper au pied de la Croix le poste qu’elle doit tenir. A la teste de la marche, on voit paroistre à Cheval un Officier qui porte l’Etendard arboré ordinairement dans les petits Corps de la Milice Romaine ; car les Aigles & l’Etendard principal appellé Labarum, supposoient necessairement la presence des Empereurs, des Consuls, des Chefs de Legions, ou des Officiers du premier rang ; mais il ne s’agit icy que de la marche d’un simple Centenier. L’Officier qui porte l’Etendard, est monté sur un Cheval qui paroist inquiet, ardent, & qui semble vouloir éviter trois Femmes qui sont à costé de luy. Dans ce mouvement il porte à faux un des pieds de devant sur un terrain inégal & glissant, proche d’une jeune Fille qui est assise à terre, & qui toute effrayée de le voir broncher, se leve pour se mettre en seureté. Derriere l’Etendard paroist un Officier Romain qui est aussi à Cheval. Il tient à la main le Titre qui doit estre appliqué à la Croix, & qui est écrit en Caracteres Hebraïques, Grecs & Latins Pour mieux marquer l’autorité de cét Officier, quelques Soldats qui sont à ses costez ont soin d’écarter la foule. Ainsi on voit cette Milice postée differemment, soit sur un terrain élevé, ou dans un fond qui ne permet de voir que la tête des Soldats, & la pointe de leurs Piques & de leurs Javelots ; ce qui se remarque agreablement dans les détours que forment les chemins creux representez dans le Tableau.

Auprés de la Fille qui paroist effrayée du Cheval, il y a une Femme assise à terre. Elle tient sur elle deux jeunes Enfans d’un teint délicat & vermeil, d’un embonpoint agreable, d’un air fleury, & d’une beauté animée. La foule & l’horreur du Spectacle, ne sont pas capables de distraire l’esprit du plus jeune, qui porte une pomme à sa bouche avec beaucoup d’avidité, & qui sans autre soin que de la manger, marque l’indolence des plus tendres années. Mais celuy qui est plus âgé se tournant à demy vers la Croix, y regarde avec frayeur l’acharnement des Bourreaux impitoyables, & se jette en fremissant sur sa Mere, qui est frapée d’une pareille terreur. Une autre Femme, debout sur le mesme Plan, se détourne de la marche des Soldats pour n’y pas exposer un Enfant qui est encore dans les Langes, & qu’elle tient endormy entre ses bras. Ce profond assoupissement fait un agreable contraste avec la vivacité des deux enfans precedens. Il est vray que la Mere est assez agitée pour luy. Elle marque sur le visage autant d’effroy qu’en a fait paroistre celle qui tient ses deux Enfans ; mais asseurément cette forte agitation ne se doit pas entierement attribuer à l’horreur du spectacle. Il y entre quelque autre mystere, & M. le Brun ne fait rien sans un motif emprunté de l’Histoire. Selon luy, ces deux Meres, allarmées de la prediction que le Sauveur vient de leur faire pendant le portement de la Croix, s’imaginent déja voir la destruction de Hierusalem dont il les a menacées, & appliquent à leurs Enfans cette formidable Prophetie, conceuë en ces termes. Filles de Hierusalem, ne pleurez point sur moy ; mais pleurez sur vous, & sur vos Enfans.

Le terrain bizarre de la Montagne cache presque toute la Ville de Hierusalem, Ainsi on ne découvre que le sommet du Palais de David, du Temple de Salomon, & de la Tour Antonia. Les Murailles qui regardent le Calvaire, ont leurs Creneaux occupez par un grand nombre de Curieux, qui veulent voir le Crucifiement. Il y en a plusieurs autres qui pressez de la mesme curiosité montent sur des Arbres dispersez en differens endroits pour l’embellissement du Tableau. Une Tour quarrée, élevée auprés de la porte qui répond au Calvaire, est à moitié cachée par une éminence, dont le sommet est fort applany ; ce qui forme une terrasse tres commode pour voir le spectacle. Aussi quelques Personnes d’un rang distingué y ont déja pris leur place ; mais pour en chasser les Gens de neant, quelques Soldats y sont postez, & mesme une de leurs Sentinelles tient à la main une demy Pique, & en presente la pointe en avant, pour arrester une longue file de Curieux, qui veulent monter sur le Terre-plain par un chemin étroit & escarpé ; ce qui est une industrie particuliere de M. le Brun, tant pour laisser à nostre œil une espece de repos sur une Pelouze agreable qui embellit le Terre-plain, que pour éviter l’informe & confus amas d’une infinité de petites Figures, qui auroient amusé nos yeux par des minuties, & fait negliger l’action principale du sujet.

L’horizon & le lointain du Tableau sont diversifiez par des Colines, & des Plaines également agreables, & par une lumiere douce qui flatte & délasse la veuë ; mais l’air qui regne sur le Calvaire est agité de plusieurs nuages qui se choquent, & roulent avec violence les uns sur les autres pour donner commencement aux prodiges qui parurent à la mort de l’Autheur de la Nature ; car la Nature elle-mesme envelopée dans un fait si étonnant, agit alors contre le cours de ses Causes ordinaires. La Terre trembla, les Pierres se fendirent, & le Soleil s’éclipsa par un pur miracle, puis que la Lune estant alors dans son opposition, ne pouvoit éclipser le Soleil, ny couvrir la Terre de tenebres. Ainsi le choc de ces Nuages, & l’alteration de l’air qui precederent ces merveilles, & qui mesme en furent une preparation, montrent que M. le Brun ne laisse rien échapper de tout ce qui est essenciel au sujet qu’il traite.

En finissant icy ces Remarques, je m’apperçoy bien, Monsieur, que mes expressions ne répondent pas dignement à celles du Tableau, & qu’il y faudroit les efforts de tant de plumes celebres, qui nous ont décrit les Ouvrages de cét excellent Peintre ; mais faute d’ornemens, je vay recourir à une grande authorité pour mettre ce Crucifiement dans l’éclat qu’il merite. Je vous diray donc que le Roy l’ayant receu avec autant de satisfaction qu’il en a déja témoigné pour les Tableaux de la magnifique Galerie de Versailles, & generalement pour tout ce que M. le Brun a mis au jour, Sa Majesté n’a pas dédaigné de faire remarquer Elle mesme, aux Personnes du premier rang, les differentes beautez de ce Chef d’œuvre. Voila, sans doute, un témoignage d’un grand poids, & qui ne peut estre soupçonné de flatterie. Je suis vostre, &c.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 107.

Je ne doute point que vous ne soyez contente de l'Air nouveau que je vous envoye. Il a esté estimé par des gens d'un fort bon goust.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Vous aimez, jeune Iris, mes tendres Chansonnettes, doit regarder la page 107.
Vous aimez, jeune Iris, mes tendres Chansonnettes,
Vous les écoutez chaque jour.
Que n'avez vous un peu d'amour
Pour le Berger qui les a faites ?
images/1685-09_107.JPG

[Epistre chagrine de Me Deshoulieres] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 108-118

Voicy un Ouvrage de l’Illustre Madame des Houlieres. Son nom vous répond de sa beauté.

EPITRE CHAGRINE
A MADEMOISELLE D.L.C.

He bien, quel noir chagrin vous occupe aujourd’huy ?
M’est venu demander avec un fier sourire
 Un jeune Seigneur, qu’on peut dire
Aussi beau que l’Amour, aussi traistre que luy.
 Vous gardez un profond silence,
 (A t-il repris jurant à demy bas)
 Est-ce que vous ne daignez pas
De ce que vous pensez me faire confidence,
Je n’en suis pas peut-estre assez digne. A ces mots,
Pour-joindre un autre Fat, il m’a tourné le dos.
***
 Quel discours pouvois-je luy faire,
 Moy qui dans ce mesme moment
Repassois dans ma teste avec étonnement
De la nouvelle Cour la conduite ordinaire ?
 M’auroit-il jamais pardonné
 La peinture vive & sincere
De cent vices ausquels il s’est abandonné ?
Non, contre moy le dépit, la colere,
 Le chagrin, tout auroit agy.
Mais quoy que mes discours eussent pû luy déplaire,
 Son front n’en auroit point rougy.
***
Je sçay de ses pareils jusqu’où l’audace monte.
A tout ce qui leur plaist osent-ils s’emporter,
 Loin d’en avoir la moindre honte,
 Eux-mesmes vont en plaisanter.
***
De leurs déreglemens Historiens fidelles,
Avec un front d’airain ils feront mille fois
Un odieux détail des plus affreux endroits.
On diroit à les voir traiter de bagatelles,
 Les horreurs les plus criminelles,
Que ce n’est point pour eux que sont faites les Loix,
 Tant ils ont de mépris pour elles.
***
Avec gens sans merite & du rang le plus bas
 Ils font volontiers connoissance.
Mais aussi quels égards & quelle déference
 Veut-on qu’on ait pour eux ? helas !
 Ils font oublier leur naissance
 Quand ils ne s’en souviennent pas.
***
 Daignent-ils nous rendre visite,
 Le plus ombrageux des Epoux
 N’en sçauroit devenir jaloux.
 Ce n’est point pour nostre merite.
 Leurs yeux n’en trouvent point en nous.
Ce n’est que pour parler de leur gain, de leur perte,
Se dire que d’un vin qui les charmera tous,
On a fait une heureuse & sure découverte,
 Se montrer quelques Billets doux,
 Se dandiner dans une chaise,
 Faire tous leurs trocqs à leur aise,
 Et se donner des rendez-vous.
***
Si par un pur hazard quelqu’un d’entre eux s’avise,
D’avoir des sentimens tendres, respectueux,
 Tout le reste s’en formalise.
Il n’est pour l’arracher à ce panchant heureux,
Affront qu’on ne luy fasse, horreurs qu’on ne luy dise,
Et l’on fait tant qu’enfin il n’ose estre amoureux.
***
 Causer une heure avec des Femmes,
Leur presenter la main, parler de leurs attraits.
Entre les jeunes gens sont des crimes infames
Qu’ils ne se pardonnent jamais.
***
Où sont ces cœurs galans ? Où sont ces ames fieres ?
 Les Nemours, les Montmorancis,
 Les Bellegardes, les Bussys,
 Les Guises & les Bassompieres ?
 S’il reste encor quelques soucis
Lors que de l’Acheron on a traversé l’Onde,
Quelle indignation leur donnent les récits
 De ce qui se passe en ce monde !
***
 Que n’y peuvent-ils revenir.
 Par leurs bons exemples peut-estre
On verroit la tendresse & le respect renaistre
Que la débauche a sçeu bannir.
***
 Mais des Destins impitoyables
 Les Arrests sont irrevocables,
Qui passe l’Acheron ne le repasse plus.
 Rien ne ramenera l’usage
 D’estre galant, fidelle, sage,
Les jeunes gens pour jamais sont perdus.
***
A bien considerer les choses,
On a tort de se plaindre d’eux.
De leurs déreglemens honteux
Nous sommes les uniques causes.
***
 Pourquoy leur permettre d’avoir
 Ces impertinens caracteres ?
Que ne les tenons-nous comme faisoient nos Meres,
 Dans le respect, dans le devoir !
 Avoient-elles plus de pouvoir,
Plus de beauté que nous, plus d’esprit, plus d’adresse ?
Ah ! pouvons-nous penser au temps de leur jeunesse,
 Et sans honte, & sans desespoir !
***
 Dans plus d’un Réduit agreable
 On voyoit venir tour à tour
 Tout ce qu’une superbe Cour
 Avoit de galant & d’aimable.
 L’esprit, le respect & l’amour
Y répandoient sur tout un charme inexplicable.
Les innocens plaisirs par qui le plus long jour
 Plus viste qu’un moment s’écoule,
Tous les soirs s’y trouvoient en foule,
 Et les transports, & les desirs
 Sans le secours de l’esperance,
 A ce qu’on dit, prenoient naissance
 Au milieu de tous ces plaisirs.
***
Cet heureux temps n’est plus, un autre a pris sa place.
 Les jeunes gens portent l’audace
 Jusques à la brutalité.
Quand ils ne nous font pas une incivilité,
Il semble qu’ils nous fassent grace.
***
Mais, me répondra t on que voulez-vous qu’on fasse ?
 Si ce desordre n’est souffert,
 Regardez quel sort nous menace ;
 Nos maisons seront un desert.
Il est vray ; mais sçachez que lors qu’on les en chasse,
 Ce n’est que du bruit que l’on perd.
***
Est-ce un si grand malheur de voir sa chambre vuide
 De médisans, de jeunes fous,
D’insipides railleurs, qui n’ont rien de solide
 Que le mépris qu’ils ont pour nous ?
***
 Oüy, par nos indignes manieres
 Ils ont droit de nous mépriser.
Si nous estions plus sages & plus fieres
 On les verroit en mieux user.
Mais inutilement on traite ces matieres,
 On y perd sa peine & son temps.
Aux dépens de sa gloire on cherche des Amans.
***
Qu’importe que leurs cœurs soient sans delicatesse,
 Sans ardeur, sans sincerité.
On les quitte de soins & de fidelité,
 De respect & de politesse.
On ne leur donne pas le temps de souhaiter
Ce qu’au moins par des pleurs, des soins, des complaisances
 On devroit leur faire acheter.
On les gaste, on leur fait de honteuses avances
 Qui ne font que les dégouter.
***
Vous, aimable Daphné, que l’aveugle fortune
Condamne à vivre dans des lieux
Où l’on ne connoit point cette foule importune
 Qui suit icy nos demy-Dieux.
Ne vous plaignez jamais de vostre destinée.
 Il vaut mieux mille & mille fois
 Avec vos Rochers & vos Bois,
 S’entretenir toute l’année,
 Que de passer une heure ou deux
 Avec un tas d’Etourdis, de Cocquettes.
Des Ours & des Serpens de vos sombres retraites,
 Le commerce est moins dangereux.

[Relation de Mr Chassebras de Cramailles, contenant son Voyage depuis Venise jusques à Rome, & ses Remarques sur les Villes, Lieux & Chemins considerables, avec les Devotions de Nostre-Dame de Lorette, & de Saint François d'Assise] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 119

 

Je vous ay déjà donné plusieurs Relations de M. de Chassebras de Cramailles, & entre autres celle de dix ou douze Opera, qui furent representez à Venise en son seul Carnaval, du temps que ce curieux Voyageur y estoit. [...]

[Relation de tout ce qui s'est passé au Louvre le jour de la Feste de S. Loüis] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 209-212, 214-237

 

Je ne pus vous apprendre la derniere fois ce qui se passa au Louvre le jour de la Feste de S. Loüis, parce que le mois estoit déjà trop avancé. Les Carmes du grand Convent y allerent ce jour là en Procession, comme ils y vont tous les ans, pour rendre graces à Dieu du recouvrement de la santé du Roy, qui estant attaqué à Calais d'une Fiévre pourprée, eut recours aux intercessions de Saint Roch, qu'on implore en de pareilles occasions. Les Carmes de la Place Maubert firent porter les Reliques de ce Saint à Dunquerque, & sa Majesté se sentant guerie, voulut à son retour à Paris, imiter la Reyne sa Mere, & rendre les Pains Benits, à la Chapelle de Saint Roch erigée en l'Eglise des Carmes, ou plûtost ce Prince voulut par cette action reconnoistre le merite d'un si grand Saint. Messieurs les Prevosts des Marchands & Echevins de Paris, firent aussi voeu d'aller tous les ans le jour de Saint Loüis à l'Eglise des Carmes, & d'accompagner les Reliques que ces Peres portent à la Chapelle du Louvre, où l'on chante une grande Messe, & où à l'exemple du Roy, le Pain Beni est rendu par des Personnes du premier rang. [...]

 

Le jour de la S. Loüis, la Procession dont je viens de vous parler, se rendit au Louvre dans l'ordre suivant. Les Timbales & les Trompettes estoient précedées du Bâton de la Confrairie de Saint Roch, aux costez duquel on voyoit de grandes Torches, où les Armes de la Ville estoient attachées. Les Pains Benits suivoient avec les plus magnifiques ornemens dont on a coûtume de les enrichir. Ils estoient accompagnez de douze Gardes de Mr de BullionI, & portez par douze Personnes de ses Livrées, suivies de plusieurs autres pour les relayer. Aprés les quatre Pains Benits marchoient l'Aumônier, le Maitre d'Hostel, & plusieurs Domestiques du mesme Mr de Bullion. Toutes les Reliques de l'Eglise des Carmes paroissoient ensuite. Au milieu, estoient celles de Saint Roch, portées toutes par des Bourgeois vétus de noir, hors celle de la Sainte Epine, que des Religieux portoient. Elle estoit environnée d'un tres-grand nombre de Torches, & de Flambeaux aux Armes de la Ville, & de toute la Communauté des Carmes, composée de cent Religieux. Messieurs les Prevosts, Echevins & Officiers de Ville marchoient aprés eux, accompagnez de cinquante Archers ; il y en avoit aussi plusieurs qui précedoient la Procession, & d'autres qui l'attendoient au Louvre. Mr de Riants, Ancien Procureur du Roy au Chastelet, & Aumônier d'honneur, & perpetuel de cette Confrairie suivoit Messieurs de Ville, & précedoit les Confreres de Saint Roch. La Procession estant arrivée au Louvre, Mr de Bullion s'y rendit, & fut placé dans un lieu de distinction, où il y avoit une Chaise pour luy. Les Trompettes & les Timbales précederent les Pains qu'on devoit benir, lors qu'on les porta devant l'Autel pour cette Cerémonie. Ils furent suivis de l'Aumônier, du Maistre d'Hostel, & du reste des Domestiques. M. le Marquis de Bullion alla ensuite à l'Offrande avec un Cierge chargé d'Ecus d'or, outre lesquels il en donna encore autant à l'oeuvre de la Confrairie de Saint Roch.

Cette Procession ne fut pas si-tost sortie de la Chapelle du Louvre, qu’on y commença une autre action de pieté. Messieurs de l’Academie Françoise y font celébrer tous les ans ce mesme jour, une Messe solemnelle, & l’on fait aussi le Panégyrique de Saint Loüis. Comme le Prédicateur est choisi par le Corps de l’Academie, & que la juste & avantageuse opinion qu’on a de son choix, attire une nombreuse Assemblée à ce Sermon, vous ne devez pas douter que ce Sçavant Corps ne jette toûjours les yeux sur de celébres Prédicateurs. Mr l’Abbé Cappeau avoit été choisi cette année. Il fit admirer son éloquence, son bon goust, & la délicatesse de son esprit, & mesla dans son Discours plusieurs peintures tres-vives des Vertus de Saint Loüis, & de son zele pour la Conversion des Herétiques dans son Royaume, conformes au Régne heureux de Loüis le Grand. Aussi l’Eloge de ce Monarque y entra-t’il naturellement. Il appliqua à la mort de Saint Loüis, ces paroles de Saint Ambroise à la mort du Grand Theodose. Conteror corde, & voicy dans quels termes il les expliqua.

 

Mon Cœur est saisi & presque consumé de douleur, quia ereptus est vir qualem vix possumus invenire, par la perte d’un Empereur que plusieurs Siecles pourront à peine reparer. Tu Solus tamen, Domine, es invocandus, vous estes pourtant l’unique objet de nos vœux, Seigneur, disoit ce grand Docteur de l’Eglise, Tu rogandus, vous estes le seul à qui nous adressons nos Prieres, Ut eum in Filiis representes, afin que vous le fassiez revivre dans la personne de ses Enfans.

Disons, Messieurs, disons aprés avoir receu du Ciel ce que Saint Ambroise luy demandoit, c’est à dire un Prince Religieux, zelé pour les interests de Dieu, fidelle observateur de sa Loy, aussi opposé à ses Ennemis, que favorable à son Eglise ; vous estes, mon Dieu, l’unique objet de nos Vœux, de nos Prieres, & en mesme temps de nostre consolation & de nostre joye ; les quatre Siecles écoulez depuis la mort de Saint Loüis, ayant fait de tous les Roys qui luy ont succedé comme autant de nobles essays, pour reproduire ce Grand Monarque dans la Personne de celuy qui regne aujourd’huy.

Sa charité, sa justice, son zele, sa moderation, ne sont-ce pas des vertus qui luy sont propres ? Et bien loin d’imposer à la verité sur un sujet si public & si éclatant, pourroit-on seulement l’exposer comme elle est, si l’amour & la fidelité de ses Sujets, si l’estime & la crainte des Etrangers n’en relevoient la gloire ? Je n’entre-ray dans aucun détail de la charité & de la justice d’un Prince qui veille à la conservation de ses Sujets avec tant d’application, que ses soins surpassent toûjours leurs besoins ; d’un Prince dont l’entier desinteressement fait souhaiter qu’il voulust estre souvent le Juge de sa propre cause. Comme il est le Modele des autres Roys, les François ont porté l’exemple de leur fidelité & de leurs respects aux autres Nations, non seulement en leur apprenant ce qu’elles doivent à leurs Souverains ; mais en leur faisant connoistre ce qu’elles ont à craindre de la puissance, ou à esperer de la protection, d’un Etat gouverné par le plus grand Roy, défendu par les plus fideles Sujets du monde.

S’il estoit necessaire de faire parler les Etrangers, pour donner des témoignages qui ne soient suspects ny d’exageration ny de flaterie, il faudroit comme un autre Apostre, avoir le don des Langues, pour les rapporter en autant de differens idiômes qu’il y a eu de Roys, d’Empereurs, & de Republiques, qui ont envoyé leurs Ambassadeurs, & de Souverains mesmes qui sont venus, attirez par ses vertus, gagnez par sa clemence, étonnez par ses exploits, intimidez par ses menaces, ou forcez par ses chastimens, rendre hommage à sa puissance, & touchez par sa moderation, ou édifiez par son zele, avoüant à leur retour que LOUIS LE GRAND est tout ce qu’on dit, qu’il merite tout ce qu’il a, qu’il devoit estre tout ce qu’il est, & que ne voulant jamais que ce qu’il doit, il peut toûjours tout ce qu’il veut, 2 Potens in terrâ erit semen ejus, sa posterité sera puissante sur la Terre. La souveraineté qui se perpetuë sur son Thrône sera toûjours aussi chere aux yeux de Dieu, & aussi éclatante aux yeux des hommes, que l’Astre qu’il a pris pour le symbole de ses vertus. Thronus ejus sicut Sol in conspectu meo, heureux presage que nous pouvons regarder comme une promesse, en estant asseurez par un garant qui nous en répond dans le Ciel en la personne d’un Saint Roy, & par l’intercession d’un Saint Protecteur, & testis in cœlo fidelis.

Nous en avons aussi une asseurance sensible, & nous voyons cette feconde & glorieuse posterité, promettre aux siecles à venir, l’affermissement & l’immortalité de sa puissance, & comme si la benediction du Ciel estoit en nos mains, un Heros capable de gouverner aussi bien que de conquerir le monde, donnant des bornes à ses desseins, sans en donner à ses Victoires, au contraire en les ménageant dans le temps, s’en preparant plusieurs immortelles, applique ses lumieres & ses vertus à nous former des Monarques dans son auguste Famille, leur apprenant à faire sentir à ses Sujets & aux Etrangers le profond respect qu’il a pour l’Eglise, & son unique étude à faire regner le Sauveur du monde, par un saint & legitime usage de sa puissance en Roy tres-Chrétien, Potens, potens in terrâ erit semen ejus, sa posterité sera puissante sur la terre.

Ensuite il adressa le Discours à Messieurs de l’Academie Françoise.

Je vous laisse, Messieurs, leur dit-il, le glorieux employ de loüer un gouvernement dont nous avons déja veu, & dont nous esperons encore de si grands progrez. Estant les Sçavans du Royaume les plus honorez, & les plus dignes de l’honneur qu’on vous y défere, choisis avec connoissance, traitez avec distinction, écoutez avec respect, parlant avec justesse, decidant des doutes & des beautez de nostre Langue, avec une souveraineté que vous meritez, oserois-je en vostre presence entreprendre un Eloge, qui ne semble devoir regarder que vous, par la premiere place que vous occupez dans l’Empire des belles Lettres ? Que vostre destinée est heureuse, Messieurs, de pouvoir faire un mesme Corps des actions de LOUIS LE GRAND, & de vos paroles, d’estre en droit par l’histoire de sa vie, d’instruire tous les autres Roys de la terre ; de forcer l’Envie, la Mort & l’Oubly ; d’orner le Temple de la gloire ; d’arrester, pour ainsi dire la rapidité des temps, de faire revenir à jamais, & de rendre toûjours present celuy où nous sommes ; de confondre la Fable ; de remplir l’Histoire ; de servir la Religion, & l’Etat, en consacrant la memoire de LOUIS LE GRAND, par des termes dont la force enleve les esprits & les cœurs des Peuples, pour leur faire croire à l’avenir ce que nous voyons aujourd’huy, & ce qu’on ne pourroit jamais croire, si la maniere de les rapporter n’y contribuoit, c’est à dire, si la noblesse de vos expressions ne répondoit au comble de sa grandeur.

Il y eut une excellente Musique pendant la Messe. Elle estoit de Mr Oudot, qui receut de grands applaudissemens. L’Académie s’estant assemblée l’apresdînée, & ayant laissé la liberté d’entrer dans le lieu où elle tient ses Conferences, fit publiquement la distribution des Prix d’Eloquence & de Poësie. Mr l’Abbé de Dangeau, qui en est presentement Directeur, déclara que la Piece d’Eloquence que l’Académie avoit préferée à toutes les autres, estoit de Mr Brunel de Roüen. Elle fut leuë par Mr l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de la mesme Compagnie, & on la trouva d’un stile noble & naturel, d’une juste distribution, pleine de pensées nouvelles, & d’un feu d’imagination toûjours reglé par le jugement. Je ne vous diray rien de l’Autheur, sinon qu’il est encore jeune, & qu’on peut connoistre l’estime qu’il s’est acquise par la joye genérale qu’on a dans Roüen, de le voir prest à entrer dans une Charge importante, où le Public a besoin d’un fort honneste Homme. On leut ensuite la Piece de Vers qu’on avoit trouvée digne du Prix. Personne alors n’en connut l’Autheur ; mais on a sceu depuis ce temps-là qu’elle est de Mr d’Alibert, Seigneur de Saint Romain le Haut en Bourgogne.

Ces deux Pieces ayant esté leuës, Mr l’Abbé de Dangeau exhorta Mrs de l’Académie à lire quelque chose d’eux selon la coûtume. Mr le Clerc commença par un petit ouvrage de Vers qui fut extrémement applaudy. Il contenoit la Punition d’Antiochus. Mr l’Abbé de Lavau leut aprés cela l’Explication en Vers de quelques Devises que feu Mr Douvrier a faites sur les dernieres Campagnes du Roy. Le tour de ses Vers estoit si juste, qu’ils donnoient encore de la beauté aux Devises. On eut ensuite le plaisir d’entendre une fort galante Epistre d’Amour de Mr de la Fontaine, aprés quoy Mr l’Abbé Tallemant le jeune, leut un Chant d’un excellent Poëme, que Mr Perrault a fait de la vie de S. Paulin. Cette lecture fut interrompuë en beaucoup d’endroits par les applaudissemens de l’Assemblée, qui admira les descriptions riantes & naturelles dont tout ce Poëme est remply.

[Ce qui s'est passé dans la Ville de Luxembourg, le jour de S. Loüis] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 237-239

 

Le mesme jour les Habitans de Luxembourg, qui l'année derniere avoient celebré avec beaucoup de solemnité le jour de S. Loüis, parce que c'est celuy de la Feste du Roy, s'engagerent à la celebrer tous les ans avec une magnificence digne de leur zele. L'Assemblée du Clergé, & de tous les Corps, se fit dans l'Eglise des Recolets François, que le Roy y a établis. On alla ensuite en Procession dans la Ville. Le Saint sacrement porté par Mr l'Abbé de Munster, & suivy de Mr le Marquis de Lambert Gouverneur de la Place, accompagné de tous les Officiers de la Garnison, & de beaucoup de Noblesse des environs. Les Voix & les Instrumens n'y furent pas oubliez, non plus que tout ce qui pouvoit donner de l'éclat à cette Feste. Le Panegyrique de Saint Loüis fut prononcé par le Pere Olivier Juvernay, Gardien des Recolets de Luxembourg. Ce Discours fut trouvé digne de la reputation que ce Pere s'est acquise à Paris, & luy attira mille loüanges. Il y eut le soir des Illuminations par toute la Ville, & plusieurs décharges de la Mousqueterie & l'Artillerie ; tous les Habitans ayant voulu marquer à l'envy qu'ils ont le coeur veritablement François.

Prix remporté par le Pere Morgues Jesuite §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 240-244

Mr de Vertron, de l’Academie Royale d’Arles, dont je vous ay parlé plusieurs fois, ayant fait un Livre intitulé, Paralelle de Loüis le Grand, avec les Princes qui ont esté surnommez Grands, a proposé le Portrait de Sa Majesté, pour Prix du plus beau Sonnet qui seroit fait sur cette mesme matiere. Mr le Duc de Saint Aignan & Mr le Duc de Nevers, qui ont esté nommez Juges, ont donné le prix à un inconnu, qu’on a sceu depuis estre le Pere Morgues Jesuite. Il passe pour un habile Orateur, & un grand Mathematicien, & a fait imprimer depuis quelques mois un Livre tres-estimé touchant les Regles de la Poësie Françoise. Voicy son Sonnet.

Grands par un ample amas de glorieux exploits,
Grands par tant de bienfaits, Grands par tant de sagesse,
Grands par une puissance assujetie aux Loix,
Grands par mille revers soûtenus sans foiblesse.
***
Vertron, ces grands Heros ont rampé quelquefois,
Tu trouves à chacun quelque endroit qui l’abaisse,
Il n’est qu’un seul Mortel Grand par tous ces endroits,
Devant LOUIS LE GRAND, tout le reste est bassesse.
***
Tu leur ostes pourtant moins que tu ne leur rends,
Comparez à LOUIS ils se trouvent plus grands,
Ceder ne peut icy tirer à consequence.
***
Leurs titres de Grandeur n’en seront pas plus vains,
On peut estre audessous du Heros de la France,
Et beaucoup audessus du reste des Humains.

Madame de Saliez Viguiere d’Alby, dont je vous ay envoyé plusieurs Ouvrages, a fait le Sonnet suivant. Il a passé pour le meilleur, aprés celuy du Pere Morgues.

Grand Roy, qu’on est heureux de vivre sous vos Loix !
Vos superbes Vaisseaux destinez aux conquestes,
Courent toutes les mers sans peril, sans tempestes,
Tout respecte, tout craint l’Empereur des François.
***
En faveur des Chrétiens vos foudres toûjours prestes.
Ont sceu briser leurs fers déja plus d’une fois,
Nous voyons par vos soins l’Heresie aux abois,
Un Hercule a suffi pour cette Hydre à cent testes.
***
Que de travaux si saints, si grands, si glorieux
Ouvrent à vostre gloire un beau champ dans les Cieux,
Et que c’est dignement porter le Diadesme !
***
La Grandeur devant Dieu, n’est qu’un point, qu’un neant,
Plus juste, plus pieux que pas un Conquerant,
Vous paroissez, Grand Roy, Grand aux yeux de Dieu mesme.

[Discours faut au Roy, par Mr le Févre d’Ormesson] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 244-252

Vous sçavez, Madame, qu’on fait tous les ans deux nouveaux Echevins à Paris, & qu’ils sont élûs par Messieurs de Ville. Je vous ay déja mandé plusieurs fois, de quelle maniere se fait cette élection. Ainsi c’est un détail où vous me dispenserez d’entrer aujourd’huy. Si vous voulez vous en rafraischir la memoire, vous pouvez jetter les yeux sur les Lettres dans lesquelles je vous en ay parlé les autres années. Je vous diray seulement que le premier des deux Echevins qui ont esté élûs celle-cy, est Mr Geoffroy, dont le Pere & le grand-Pere ont joüy de la mesme Dignité ; & le second, Mr Gayot. Mr le Févre d’Ormesson, Maistre des Requestes, & Neveu de Mr le President de Fourcy Prevost des Marchands, les conduisit à Versailles le 19. du mois passé ; il presenta le Scrutin au Roy, & fit à Sa Majesté le Discours qui suit.

SIRE,

Vostre bonne Ville de Paris, en Vous presentant ses nouveaux Magistrats, trouve toûjours de nouvelles actions de graces à Vous rendre. Elle a senty pendant l’Hyver les effets de vôtre Bonté & de vostre Prévoyance paternelle. Ces bleds transportez par les ordres de V.M. des Parties de l’Europe les plus éloignées, ont rendu l’abondance à vostre Peuple, dans un temps où l’avarice du Marchand auroit pû se prévaloir de la necessité publique.

Paris voit encore les marques de vostre Liberalité, dans l’embellissement de ses ramparts, où tant de bras que l’indigence invitoit au crime, sont utilement occupez. V.M. par une contrainte salutaire, fait servir la partie la plus inutile & la plus basse de ses Sujets à l’ornement de la plus grande Ville du Monde, & aneantit par ce travail la paresse & la mendicité ; succés que nous n’aurions jamais osé esperer, si nous ne vivions sous un Regne où les choses autrefois estimées les plus impossibles, deviennent aisées dés qu’il plaist à V.M. de les vouloir.

Que ne dirois-je point sur ces nouvelles marques de vostre magnificence Royale, si je n’estois lié par le sang avec le premier de vos Magistrats, à qui V.M. a confié la Direction de ses Ouvrages publics ? Les justes Eloges que l’on donne à vos grands Desseins, répandent toûjours quelque éclat sur ceux qui les executent ; mais cependant, SIRE, dequoy puis-je mieux vous parler au nom de vostre Ville Capitale, que des graces que vous versez continuellement sur elle ? Oseroit-elle vous faire souvenir de ces Victoires pleines de prodiges, que vous avez remportées sur toute l’Europe soulevée contre vostre gloire ? Entreprendroit-elle de Vous feliciter sur le prompt succés avec lequel Vous rappellez au sein de l’Eglise tant de Peuples égarez ? Vous exprimeroit-elle les hautes idées qu’elle a de cette Puissance invincible, laquelle aprés tant d’exploits heroïques, vient encore de forcer la plus superbe Ville de l’Italie, à mettre à vos pieds les marques de sa Puissance souveraine, & à recevoir la Loy que V.M. a voulu luy imposer ? Vous representeroit-elle les Costes de l’Afrique en feu, les aziles des Pirates reduits en cendre, les Barbares dépoüillez d’une infinité d’Esclaves qu’ils retenoient depuis si long-temps dans leurs fers.

Non, SIRE, ce sont des évenemens trop grands & trop illustres pour n’estre touchez qu’en passant ; & quand Paris voudroit entreprendre de les publier, comment pourrois-je répondre à son zele, moy qui ne puis trouver d’expressions pour vous marquer, SIRE, la reconnoissance infinie dont je suis pénetré, quand je pense à la grace que j’ay receuë de V.M. grace que je tacheray de meriter dans tous les momens de ma vie, par une application infatigable à vous continuer les services de mes Peres, dans la Charge dont V.M. m’a honoré, me considerant desormais comme un Sujet qui Vous doit, SIRE, tout ce qu’il est, & qui ne peut rien estre que par les Bontez de Vostre Majesté.

[Nouvelles Cloches benites en l'Eglise de S. Estienne du Mont, & tenües par les six Docteurs Regens de la Faculté de Droit de l'Université de Paris] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 256-257

 

On a fait quatre nouvelles Cloches pour l'Eglise de Saint Estienne du Mont à Paris ; & elles ont esté benites depuis peu de temps par M. Gardeau Curé de cette Paroisse. Elles eurent pour Parains les six Docteurs Regens de la Faculté de Droit de l'Université de Paris, qui sont Mrs Doujat, Hallé, de Loy, Baudin, Cugnet & Mongin. Ils nommerent la premiere Estienne, à cause que cette Eglise est dédiée à Saint Estienne, & les trois autr[e]s furent nommées Jean, Pierre, & Michel, du nom des trois anciens de ces six Docteurs.

[Etats de Bretagne] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 257-265

 

Je ne vous ay point parlé des Etats de Bretagne, qui se sont tenus depuis peu. Tout s'est passé à l'ordinaire, c'est à dire, à la satisfaction du Roy & de la Province. Vous sçavez que pendant qu'ils durent, chacun s'efforce à l'envy de faire paroître sa magnificence. Mr le Duc de Chaunes a toûjours tenu deux Tables, qui ont esté servies avec beaucoup d'abondance & de propreté. La mesme chose a esté de toutes les autres Tables, & sur tout de celle de Mr l'Evesque de Saint Malo. Il y avoit fort souvent jusqu'à cinquante Personnes. Mr de Chaunes voulut un jour regaler toutes les Dames, & il leur donna un souper tres magnifique. Le Sieur Duméry dont la voix s'est fait long-temps admirer à l'Opera, a fait differens Concerts qui ont esté extrémement applaudis, & les Etats luy ont fait une gratification digne de leur liberalité, & de la generosité de Mr le Duc de Chaunes. Aprés qu'ils furent finis à Dinan, Mr l'Evesque de Saint Malo traita à Saint Malo Mr Fieubet, premier Commissaire du Roy pour la Province. Ce Prelat & Mr de Guemadeu allerent au devant de luy avec toute leur maison qui est fort nombreuse. En arrivant sur la Gréve à la portée du Canon, la Ville le salüa de cinquante volées de son Artillerie, & tout le Peuple accourut en foule en criant Vive le Roy. La garnison de la Ville estoit sous les armes, & il fut conduit à l'Evesché, où tous les Corps le complimenterent. On luy servit ensuite un magnifique dîner en Poisson, ce qui le surprit d'autant plus que ce jour là le temps estoit fort mal propre pour la pesche. Les Tambours & les Violons ne cesserent point de joüer pendant le repas. Au sortir de Table, on trouva six Carrosses à six Chevaux que l'on avoit préparez, & dans lesquels l'on fit une promenade sur la Gréve. On entra ensuite dans plusieurs petits Bâteaux, qui allerent joindre un grand Vaisseau. Mr de Fieubet y fut receu avec les Tambours, les Trompettes, & les Violons, & l'on y servit une tres superbe Collation. On prodigua les Liqueurs ; les Matelots ne manquerent point de vin, & il y eut une infinité de coups de Canon tirez, qui n'effrayerent point les Dames. Lors qu'on retourna dans la Ville, on trouva encore la Garnison sous les armes. Le Gouverneur fit la civilité à Mr de Fieubet de luy demander l'ordre. Aprés le soupé qui fut somptueux ; il y eut Comedie & Musique ; puis on passa dans une grande Sale qui avoit esté préparé pour le Bal, & qui estoit magnifiquement ornée, & enrichie de plusieurs Tableaux de grand prix. On servit pendant le Bal une tres-galante Collation, avec quantité de liqueurs rafraichissantes, & l'on se separa qu'aprés avoir fait media noche. Ce dernier régale fut donné sans que personne s'y fust attendu. Le lendemain les Tambours, les Violons & les Haut Bois se trouverent au lever de Mr le Commissaire du Roy. Mr de S. Malo alla ensuite le prendre pour le mener à la Messe, où cét Evesque luy fit tous les honneurs qu'il pouvoit luy faire. Il y eut Musique pendant la Messe, & l'on disna au sortir de là, parce que Mr de Fieubert estoit pressé de partir. A l'issue du disner Messieurs de Ville prirent congé de luy, & en receurent mille honnestetez. On tira encore cinquante ou soixante volées de Canon lors qu'il sortit de Saint Malo, d'où Mr l'Evesque le conduisit jusqu'à Chasteau-neuf. Vous voyez, Madame, qu'on ne peut rien ajoûter à l'éclat de magnificence & de grandeur, avec lequel ce Prelat vient à bout de ce qu'il entreprend. La belle voix du Sieur Dumény ne donna pas moins de plaisir dans ces divertissemens qu'elle avoit fait aux Etats.

Depart de Mr Giradin pour Const[antinople] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 265-267

L’Ambassadeur de France à Constantinople, estant Consul de toutes les Nations de l’Europe, il est necessaire d’y envoyer un Homme qui ait de l’intelligence, & beaucoup de fermeté. Ainsi le Roy les oblige toutes, lors qu’il jette les yeux sur un Homme capable de bien remplir cét employ, & c’est pour cela que Sa Majesté a choisi Mr Girardin, qui non seulement a toutes les qualitez necessaires pour cette Ambassade ; mais encore qui possede parfaitement la Langue Turque, & toutes les manieres du Pays, où il a fait deux Voyages, comme je croy vous l’avoir déja mandé. Il est party depuis quelques jours, & il se doit embarquer à Toulon. Cependant Madame de Guilleragues, qui a pris soin des Affaires, depuis la mort de Mr de Guilleragues son Mary, s’en est tres-bien acquitée. Elle a fait observer tout ce qu’il avoit demandé pour les Chrétiens au nom du Roy, & que le Grand Visir luy avoit promis, & s’est distinguée par des actions de vigueur, contre ceux qui ont voulu entreprendre sur son authorité.

[Affaires d'Allemagne.]II §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 275-276, 283-284]

 

[...] Il s'eleva en mesme temps un Broüillard si épais, que les Ennemis ne pouvoient voir l'Armée, ny l'Armée les Ennemis, quoy qu'on entendist de part & d'autre le bruit des Tambours & des Trompettes. [...]

 

 

[...] Aprés la Bataille, Monsieur le Prince de Conty envoya Mr de la Chapelle Secretaire de ses Commandemens, porter cent cinquante Ducats aux Cavaliers de l'Escadron dans lequel il avoit combattu, & dix en particulier au Cavalier qui s'estoit trouvé à son costé. Cette liberalité fut receuë avec des marques de joye & d'admiration, qui durent tout le reste du jour, & au bruit des Trompettes & des Timbales. [...]

[Mort du Pere Raimond de Rostagny]* §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 304-305

Le P. Raimond de Rostagny dont je vous apprens la mort, estoit Oncle de Mr de Rostagny, Medecin de S.A.R. Madame de Guise, qui a donné depuis peu au Public un Livre intitulé, La Fille de Calvin démasquée. Il l’appelle ainsi, à cause que l’on y voit l’explication mise par Beze dans les Livres de la Religion Prétenduë Reformée, pour en estre l’emblême. On y voit aussi plusieurs Lettres à des Personnes considerables de cette mesme Religion, ou qui en ont esté. Ce Livre se vend chez le Sieur Barbin, & l’Autheur y traite les Controverses en Vers, d’une maniere instructive, ce que Personne n’a fait avant luy, la matiere ne s’accommodant pas aisément à la Poësie.

Comedies représentées à Rouen §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 323-326

On me mande de Roüen un petit Prodige dont je dois vous faire part. Mademoiselle de Villiers, Femme d’un des Comediens de Sa Majesté, à l’exemple de Mademoiselle Raisin sa Mere, qui avoit formé une Troupe de petits Comediens, appellez la Troupe de Monseigneur le Dauphin, y en a étably une autre, à laquelle le Roy a permis de joindre le titre de Comediens de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Elle a choisy pour la composer, huit Enfans avec un Garçon & une Fille qu’elle a ; & les a si bien concertez ensemble, qu’ils ont surpris & charmé toute la Ville, dans deux Représentations que cette petite Troupe a déja données d’Ariane, sur le Theatre des Comediens de Monseigneur le Dauphin, qui sont toûjours à Roüen. La Fille de Mademoiselle de Villiers, qui est la plus vieille de la Troupe, quoy qu’elle n’ait encore que dix ans, a fait des merveilles dans le Role d’Ariane, qui est tout remply de passion. Son Frere qui n’en a que huit, s’est fait admirer en joüant Thesée. Et la petite Phedre, âgée de sept ans, a esté extremément applaudie. On peut dire que cet établissement est avantageux au Public, puisque ce sont des Eleves que l’on forme pour son plaisir, comme il s’en fait dans toutes les autres Professions. La pluspart des bons Comediens, tant Serieux que Comiques, comme Mrs Baron, Raisin, & autres qui sont dans la Troupe de Sa Majesté, ont esté élevez de cette sorte, & on les a tirez de celle de Monseigneur le Dauphin, pour les faire venir à Paris, où vous sçavez qu’ils se sont rendus parfaits.

[Musique aux Theatins] §

Mercure galant, septembre 1685 [tome 9], p. 328-329

 

Mercredy dernier 26. de ce mois, il y eut aux Theatins un Salut en Musique, avec des Prieres pour les Morts. La mesme chose se doit faire tous les Mercredis dans la même Eglise. La Musique est du fameux Mr Lorenzani, Maistre de la Musique de la Reine. L'habileté qu'il a dans cet Art, est connüe de tout le monde. Cet Article demande plus d'étendüe, & je le reserve pour le mois prochain.Cet article du Mercure d'octobre 1685 contient la suite.