1685

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1685 [tome 10].
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Mercure galant, octobre 1685 [tome 10]. §

[Inscriptions qui sont autour de cette Statuë] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 4-11

Le Roy est monté sur un Cheval, qui passe au jugement des plus sçavans dans toutes ses proportions & dans son action, celuy du Pontneuf, & celuy de la Place Royale. Quoy que ce ne soit qu’un Modelle, on connoît ce qu’il sera quand on l’aura mis en Bronze, comme Mr le Duc de Richelieu a dessein de l’y faire jetter ; mais ce qui ne s’est point encore vû qu’en cette Figure, c’est que de quelque costé qu’on la regarde, on reconnoist la grandeur & la Majesté de celuy qu’elle represente. C’est ce qui est tres-bien exprimé dans ce Sonnet écrit en lettres d’or, dans un des costez du Pieddestail.

Tel, LOUIS triomphant de l’Ibere hautain,
Chassoit de tous costez ses Troupes fugitives ;
Tel, la Meuse & le Rhin le virent sur leurs Rives
Terrasser le Batave, & dompter le Germain.
***
De son Image encor le regard plus qu’humain
Semble annoncer la guerre à ces Ames craintives,
Les traits en sont si fiers, les menaces si vives,
Qu’on croit la Foudre preste à partir de sa main.
***
De l’Aigle & du Lion l’audace reprimée,
A son joug maintenant seroit accoûtumée,
Il en eût vû son Char pompeusement traisné ;
***
Mais arrestant luy seul le cours de sa Victoire,
A ne les pas détruire il trouve plus de gloire,
Et d’un plus beau Laurier son Front est couronné.

L’Inscription qui est dans le costé opposé, est conceuë en ces termes. Vos Amies me pardonneront, si en cette occasion j’employe une Langue qui ne leur est pas connuë. Ce qui regarde la gloire du Roy ne se doit point affoiblir, & il n’y a guere d’Inscriptions qui eussent la force de l’Original, si elles estoient traduites.

LUDOVICO MAGNO

Ludovici Justi Filio, Ludovici
sancti abnepoti,
Regum maximo,
Quod
Hostibus terra marique debellatis,
Imperii fines longe-produxit :
Profligata hæresi,
Religionem ubique restituit :
Reip. Genuensi leges ; Piratis
Africæ pænas ;
Pacem armatæ europæ ;
Modum victoriæ suæ
Imposuit.
Filio, nuru, nepotibus ter felici.
Semper augusto,
Vere christianissimo.
Armandus Richelii dux,
Armandi Cardinalis heres,
Et ejus pro gloria principis
æmulator,
Fidei, obsequii, amoris perenne
monumentum
Venerabundus posuit.
Anno m. dc. lxxxv.

Les deux autres costez sont comme des Tables d’attente ; aussi-bien l’on croit n’avoir encore vû que la moitié des merveilles que fait esperer cet Auguste Conquerant. Il y a de plus une chose à remarquer dans cette Figure Equestre, qui est d’un poids excessif ; c’est que le Cheval n’est appuyé que sur les deux pieds de derriere, que ceux de devant sont en l’air, & que par une surprenante invention du Sculpteur, l’équilibre en est si juste, que d’un doigt seulement on le fait mouvoir. On ne peut voir ce bel Ouvrage, sans donner à Mr Gobert, qui en est l’Autheur, les Eloges qu’il merite. Aussi Mr le Duc de Richelieu ayant mené disner à Rüel quelques Personnes de qualité, on trouva ce Madrigal attaché à la Porte qui conduit à la Grotte, sur laquelle cette Figure est élevée.

 O vous, qu’un desir curieux
 Amene dans ces Lieux,
Qui délassoient Armand de ses profondes veilles ;
Apprenez en voyant de si rares merveilles,
Que si LOUIS LE GRAND charme vostre regard
 Par son admirable Figure,
 Un Chef-d’œuvre de la Nature,
Ne demandoit pas moins qu’un Chef-d’œuvre de l’Art.

Le Sonnet que l’on a écrit en lettres d’or, sur l’un des costez du Pied-destal, est de Mr le Clerc de l’Academie Françoise ; l’Inscription, du Pere Comire Jesuite, dont les Ouvrages sont si estimez, & ce Madrigal, de M. Vignier.

La Nimphe de Ruel, au Roy §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 11-12

Voicy d’autres Vers, qui ont esté faits par une Personne de qualité, qui a toute la délicatesse d’esprit que l’on peut avoir. Comme les premiers regardent Rüel, il y a sujet de leur donner place dans cet Article.

LA NIMPHE DE RUEL,
AU ROY.

Ton Esprit que rien ne limite,
Fait honneur à la Royauté,
Et tu ne vois que ton merite
Au dessus de ta Dignité.
***
Tes Exploits sont si glorieux
Qu’Armand auroit peine à les croire.
Son Ombre se plaint en ces lieux
Que la mort ait fermé ses yeux
Sans qu’il ait joüy de ta gloire.

La France, au Roy §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 12-13

LA FRANCE,
AU ROY.

A ta haute Valeur quel Heros peut atteindre ?
Ta Pieté fait voir de grandes actions,
Monarque tout parfait, tu n’as plus rien à craindre,
Ny de tes Ennemis, ny de tes passions.

[Statüe du Roy élévée à Caën, & ses Inscriptions, avec le détail de toutes les Ceremonies qui se sont faites en cette occasion] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 13-32

 

La Ville de Caën n'a pas voulu estre des dernieres à marquer son zele, en faisant élever une Statüe à sa Majesté. Cela s'est fait avec tout l'éclat & toutes les dèmonstrations de joye, qu'un Peuple qui aime son Prince, & qui est ardent pour sa gloire, est capable de montrer. Cette Statüe fut élevée le 5 de Septembre dans la grande Place de la Ville. On avoit choisy ce jour, qui estoit celuy de la Naissance du Roy, pour rendre cette Cérémonie plus auguste. Dés le poinct du jour les Trompettes, les Tambours, & les Hautsbois, & bien tost apres, le Carillon de toutes les Cloches, & le Canon du Château, anoncerent cette Feste qu'on attendoit avec tant d'impatience. L'ordre avoit esté donné que les ruës fussent nettes, & les Boutiques fermées, & l'on se rendit en foule dans l'Eglise des Cordeliers. Messieurs de l'Université qui voulurent se signaler, avoient élevé sur le Frontispice du premier Portail une Pyramide for haute, chargée de Devises & de Trophées, avec le Portrait du Roy environné d'Emblémes, qui exprimoient les principales Actions de Sa Majesté. Ils avoient orné le Chœur & la Nef des plus belles Tapisseries. Les Abbayes voisines qui sont en grand nombre, sont de leur Corps, ainsi que les principaux Magistrats, & les Religieux de la Ville. Tout fut convoqué, & la Messe du Saint Esprit, par laquelle on crût devoir commencer, fut précédée d'une Procession que le nombre & la gravité de tant de personnes Doctes, la diversité des Habits & des Ornemens, & l'ordre exactement observé, rendirent solemnelle & venerable. Mr l'Evesque de Bayeux, Chancelier de cette Illustre Compagnie, officia Pontificalement. Au milieu de la Messe Mr Maloüin Recteur, en son Habit de Ceremonie, prononça en Latin le Panegyrique du Roy, avec beaucoup de force & d'éloquence. On y avoit invité le Corps de Ville, un des plus considérables du Royaume, par la noble Prérogative, qu'on ne peut élire que des Gentilshommes, pour ses premiers Echevins. La Noblesse en grand nombre s'estoit renduë à cette Feste ; & il n'y avoit personne qui ne se fust paré pour l'honorer. Mr de Morangis, Intendant de la Generalité, traitta cette grande Compagnie, avec une magnificence & une politesse extraordinaire. Il a conçu le premier le dessein d'élever cette Statüe. Il l'a fait agréer à Sa Majesté, & voyant l'allegresse genérale, il déclara que tous les ans il vouloit solemniser ce jour. La Ville & l'Université s'y engagerent avec la mesme ardeur. Un Concert de Voix & d'Instrumens suivit [le repas que Mr de Morangis offrit aux gens de la Ville et à la noblesse]. On n'y chanta que des endroits choisis dans les Prologues des Opera à la gloire du Roy, & cette diversité de Loüanges, fit un agréable effet dans une Assemblée remplie d'admiration pour Sa Majesté. On partit de chez Mr l'Intendant sur les quatre heures, pour se rendre à l'Eglise des Jacobins, où tous les Corps estoient convoquez par l'ordre de Messieurs de Ville qui avoient eu soin qu'elle fut parée mangnifiquement. Le Pere Fejacq, Prieur de ce Monastere, fit en François l'Eloge du Roy, avec beaucoup de délicatesse & d'esprit. On avoit chanté auparavant un excellent Motet, composé de Passages de Pseaumes, & des Cantiques de la Sainte Ecriture, où l'on voit comme une Prophetie, & une peinture des grandes Victoires que le Roy a remportées, & des merveilles de son Regne ; de sorte que le Peuple charmé par cette Musique, & animé par l'éloquence de l'Orateur, se trouva comme transporté quand Mr l'Evesque entonna le Te Deum : & dans le mesme ravissement, il courut à la Place Royale où le Feu de joye estoit préparé. Mr l'Intendant avoit assisté à cette Ceremonie avec le Presidial. Mr de Segrais de l'Academie Françoise, premier Echevin, si connu par son merite & par ses Ouvrages, le vint prier avec l'Hôtel de Ville de se mettre à leur teste pour allumer ce Feu. On marcha vers la Place. Les Trompettes, les Tambours, l'Huissier de la Ville paré de sa Cotte d'Armes de velours, & ses Sergens ornez d'Echarpes de ses livrées, précedoient la marche. La Bourgeoisie estoit sous les Armes au tour de la Place, & laissoit un grand espace libre aux environs du Feu & de la Statüe. Cette Statüe qui est l'ouvrage d'un Sculpteur de Caën, est admirée des plus habiles. Elle est haute de huit pieds, élevée sur un Piedestal de douze. Quatre petites Figures y tiennent sur la Corniche les Armes, & la Devise du Roy meslées de differens Trophées. Les Inscriptions Latines & Françoises, sont gravées en Lettres d'or sur quatre grandes tables de Marbre noir, & sont dignes d'une Ville qui est en possession de donner à la France d'excellens Poëtes. On fit deux fois le tour de la Statüe avec des cris de Vive le Roy, dont toute la Ville retentissoit, & avec les mesmes acclamations, on alluma le Feu en la maniere accoutumée. Les Compagnies des Bourgeois firent trois décharges, & le Château fit répondre toute son Artillerie. Mrs de l'Hostel de Ville, avoient choisy la plus belle Maison de la Place, pour y recevoir les Dames. Madame l'Intendante s'y estoit déjà renduë avec toutes les Personnes de qualité. Une Salle ornée pour le Bal ; une magnifique Collation estoit servie dans l'autre, sur plusieurs Tables à l'entour des murailles, & les Buffets estoient dressez dans la troisiéme où l'on pouvoit choisir toutes sortes de liqueurs & de rafraichissemens. Il n'y avoit point de Dame qui ne fust invitée, & le bruit de la Feste avoit attiré de toutes parts, tout ce qu'il y a de belles & de jeunes personnes. La joye & la multitude faisoient quelque sorte de confusion ; mais il n'y eut point de desordre. En quittant les Tables, on fut appellé aux Fenestres par une quantité de Fusées volantes qui partirent du milieu de la Place. Ce n'estoit que le prélude d'un Feu d'artifice préparé par l'ordre de la Ville, qui jugea ne devoir rien épargner pour honorer par cette Feste un Roy à qui elle est redevable de son bonheur. Ce Feu occupa les Spectateurs pendant trois quarts d'heure, & eut tout le succés que l'on en pouvoit attendre. Dés qu'il fut finy, le Bal commença, & dura toute la nuit. La Maison de Mr de Segrais est dans la mesme Place, & l'Academie s'y assemble ordinairement. Ce qu'il y a en cette Ville-là de Personnes distinguées par leur Sçavoir, & par l'amour des belles Lettres, y vinrent voir le Feu, & y trouverent un Souper dont ils ne purent assez loüer l'abondance & la propreté. La Ville étoit toute éclairée.On avoit porté des lumieres jusques au haut des Clochers, & les Maisons paroissoient en feu. Celle de Mr de Morangis estoit éclairée dedans & dehors, & deux Fontaines de vin coulerent devant sa porte pendant toute la nuit. L’Illumination la plus agreable se fit autour de la Statuë. Le dessein en étoit ingenieux. Une Cloture de fer haute de huit pieds regne tout à l’entour, à six pieds de distance de la baze du Piédestal. Cette Cloture étoit chargée de Lampes, qui representoient des Lys, des Couronnes, les Chiffres & la Devise de Sa Majesté, & faisoient paroistre la Statuë comme en plein jour. Mais rien n’est comparable à la joye qui se répandit dans toute la Ville. Les ruës estoient remplies de Tables. On y avoit fait des Berceaux & des Cabinets de verdure qui estoient éclairez d’une infinité de lumieres. Chacun s’efforçoit de se réjoüir avec ses Amis & ses Voisins. Le jour en trouva beaucoup à table ; & ce que l’on ne croira qu’avec peine, la Discorde qui trouve toûjours quelque place dans ces Assemblées extraordinaires, fut entierement bannie de cette Feste. Malgré l’excés de la bonne-chere, & l’émulation à qui feroit voir plus de zele, de joye, & mesme d’emportement, il n’y eut pas la moindre dissention ny la moindre querelle. Tous ne sembloient animez que d’un mesme esprit. Le Roy seul les occupoit tous, & l’on ne parloit que de ses Victoires, de ses grandes Qualitez, & de boire à sa Santé, en luy souhaitant de longues & heureuses années.

Voicy les Inscriptions qui sont gravées sur le Piédestal.

Sur la premiere face on lit ce Madrigal, qui est de Mr de Segrais.

 A Cette Auguste Majesté,
 A cette heroïque fierté,
 Reconnoissez, races futures,
 LOUIS Roy, Juste & Conquerant.
L’Histoire vous dira par quelles avantures
 Il merita le Nom de Grand.

Sur la seconde face à la droite du Roy, est ce Distique composé par une personne de qualité, qui cache son nom.

Magnus Cæsareæ1 LODOIX jure Imperat Urbi ; *
Fortunâ, factis, pectere Cæsar adest.

Sur la troisiéme face à la gauche du Roy, on lit cette Epigramme de Mr de la Motte, Lieutenant General à Caën.

Civis opus, patriusque lapis stat Regia magni
 Principis effigies, publica cura fuit.
Sic memori saxo, LODOIX, tua credimus ora ;
 Duretut æternùm conditus Urbis amor.

Sur la quatriéme face est cette Inscription à l’antique, faite par Mr du Tot Ferrare, Conseiller au Parlement de Roüen, un des premiers Hommes de ce Siecle en ce genre d’écrire.

LUDOVICO

Triumphatis hostibus, aucto imperio
pacato orbe, vectigalibus remissis,
pio, felici, semper augusto.

REGIS MAXIMI.

Devota meritis, secura victoriis,
æternæ fidei monumentum
unô corde, multiplici nomine,
Civitas Cadomensis
posuit 1685.

[Harangue faite au Roy par Mr le Recteur de l’Université] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 32-43

Le 2. de Septembre, Mr Berthe, Recteur de l’Université, alla à Versailles, accompagné des Procureurs des Quatre Nations, des Doyens des Facultez, & de tous les autres Officiers qui representent ce Corps. Ils se revétirent de leurs Habits de Ceremonie dans l’un des Appartemens du Chasteau, où Mr Colbert de Croissy vint les prendre pour les mener à l’Audience du Roy. Mr Berthe presenta à Sa Majesté une These en maniere de Tableau avec une Bordure, & luy fit cette Harangue.

 

Sire,

Au milieu des justes empressemens que toute la Terre témoigne pour Vous rendre des honneurs, que jamais aucun Prince n’a meritez ny receus que Vous, l’Université vient de la maniere la plus solemnelle rendre à Vostre Majesté les soûmissions qui luy sont deuës ; & par un hommage aussi juste que nouveau, authoriser dans tous les Siecles à venir, le Jugement universel du nostre ; que comme ce monde n’eut jamais un si digne & si grand Maistre que Vous, jamais aussi l’Eglise n’eut un si zelé & si puissant Protecteur. En effet, SIRE, où trouvera-t-on un Regne semblable au vostre ? Vostre Majesté nous montre en son auguste Personne le Prince & le Heros parfait, que l’idée n’avoit encore sceu peindre. Tout vous cede sans resistance, tout vous réüssit sans disgrace, tout vous obeït sans repugnance. Vous avez la destinée des Hommes dans vos mains, toutes les Nations à vos pieds ; vostre gloire croist toûjours, quoy que l’on pense toûjours qu’elle ne puisse plus croistre, & on Vous voit tout à la fois dans l’extrémité de toutes les Vertus, au comble de toute sorte de vraye Grandeur, & par vostre moderation au dessus de Vous-mesme. Tout cela pourtant, SIRE, est peu de chose pour Vostre Majesté, si l’Eglise n’en recüeille les fruits. Vous ne comptez pour rien, que Republiques, Princes, Rois, Empereurs, soient obligez de suivre le Char de vostre Triomphe, s’il n’est suivy en mesme temps de la foule innombrable de ceux que Vous gagnez tous les jours au Sauveur du monde. Vostre bras ne trouvant plus dequoy s’occuper sur la Terre, va par d’innocens moyens arracher aux puissances de l’Enfer vos Sujets qu’elles tyrannisent ; & met enfin au tombeau cette indomptable Heresie, qui estoit née sous le Regne des Rois vos Prédecesseurs. C’est ce qui fait dire avec justice, qu’on ne sçauroit plus presentement trouver que sur les Autels, un encens assez digne de brûler sur vostre Thrône, aprés que vostre Religion a consacré à Dieu le monde que vostre valeur s’estoit soûmis. Mais c’est moins par les paroles que par les actions, SIRE, que nous cherchons à signaler nostre zele pour la gloire de Vostre Majesté. LOUIS LE GRAND est à la teste de tous nos discours ; il consacre sans cesse & nos bouches & nos plumes ; il occupe continuellement nos reflexions & nos études. La premiere Leçon que nous donnons dans nos Ecoles à la Jeunesse de son Empire, c’est de luy apprendre la fidelité inviolable qu’elle doit au meilleur & au plus grand Prince qui fut jamais ; & si aujourd’huy nous vous offrons, SIRE, ces mesmes armes de lumieres, avec lesquelles nos Peres ont défendu les saintes Libertez de vostre Eglise, & la supréme indépendance de vostre Couronne, c’est moins pour protester au Christianisme ce qu’il ne peut ignorer, que nous conservons toûjours leurs fermes & religieux sentimens, que pour marquer à toute la Terre que nos cœurs vous sont encore plus dévoüez comme au plus parfait des hommes, que nos personnes ne vous sont soûmises comme au plus puissant des Rois. Nous ne dirons rien, SIRE, à Vostre Majesté, de ce que nous avons esté, & de ce que nous sommes ; trop contens de vous estre fidelles, & trop glorieusement recompensez de nostre fidelité si elle vous est agreable, & si vous daignez nous regarder, puisque semblable encore en cela au Soleil, qui par un de ses rayons rendoit à cette fameuse Image de l’antiquité le mouvement & la vie, vous nous ferez revivre par un seul de vos regards.

Sa Majesté parut estre fort contente du Discours de Mr Berthe, & luy fit l’honneur de luy donner des marques de son estime & de son affection, tant pour le Corps que pour sa Personne particuliere. Au sortir de l’Audience du Roy, l’Université alla à l’Appartement de Monseigneur le Dauphin, de Madame la Dauphine, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Monseigneur le Duc d’Anjou, de Monsieur & de Madame. Mr Berthe les harangua tous d’une maniere, qui luy attira l’applaudissement de toute la Cour. Mr l’Archevesque de Paris accompagna l’Université dans toutes ces Audiences. Jamais on ne l’a veu marquer plus de zele qu’il en fit paroistre en cette occasion, pour l’honneur de cette Compagnie, qui quoy que fort illustre par elle-mesme, ne laissa pas de remarquer je ne sçay quelle estime extraordinaire répanduë par tout pour elle, qu’elle ne pouvoit attribuer qu’à la presence de ce grand Prelat. Il presida le jour que l’on soûtint cette These. Ce fut le Jeudy vingtiéme du mesme mois. C’estoit une Mineure ordinaire dédiée au Roy. L’Université, qui vouloit témoigner à sa Majesté son attachement constant & inviolable à l’ancienne & perpetuelle Doctrine qu’elle a toûjours professée touchant la Puissance Ecclesiastique, conformément aux Libertez de l’Eglise Gallicane, ne se contenta pas d’autoriser par sa presence une action si singuliere ; mais elle voulut encore, afin que l’on fust plus asseuré qu’elle parloit par la bouche de son Recteur, que Mr Berthe répondist, non comme un particulier, & avec quelques marques de soûmission, mais en Chef & en Maistre. Il faisoit connoître sa Dignité par la fourrure dont il estoit revestu. Cet Acte se fit avec grand éclat, & il s’y trouva un tres-grand nombre de Personnes illustres de tous les Ordres, pour y rendre en quelque maniere toute la France presente.

Sur la Gloire que le Roy s’est acquise en se condamnant dans sa propre cause §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 43-53

Vous m’avez demandé la Piece de Vers qui a remporté le Prix cette année par le jugement de l’Academie Françoise, je vous l’envoye. Vous vous souviendrez que je vous manday la derniere fois, qu’elle est de Mr d’Alibert de Saint Romain.

SUR LA GLOIRE que le Roy s’est acquise en se condamnant dans sa propre cause.

Maitresse des Heros, qui dans les nobles ames
Allumes nuit & jour de genereuses flâmes,
Qui sçais aux Conquerans de tes charmes épris
Des horreurs de la mort inspirer le mépris,
Déesse, de LOUIS compagne inseparable,
GLOIRE, quel bruit te trouble, & quel chagrin t’accable ?
La tréve (à ce seul nom tu trembles, tu fremis)
T’anonce un long repos à l’Europe promis.
Le plus vaillant des Rois en des saisons moins calmes
T’eust fourny des moissons de lauriers & de palmes,
Dans ses eaux le Batave en vain se fust caché,
Jusqu’au fond de ses eaux la foudre l’eust cherché.
De Luxembourg en feu l’épouvantable image
Menaçoit le Germain d’un semblable ravage,
A l’aspect du Croissant l’Aigle hors de combat
Eust bien moins du Soleil pû soûtenir l’éclat,
Et le Lion hurlant dans sa rage derniere
Au pié des fleurs de Lys eust mordu la poussiere.
Quel bras à ton Athlete, ô GLOIRE, eust resisté ?
Sage, puissant, & brave il auroit tout domté.
Pleine de cet espoir, à chanter ses trofées
Tu preparois déja nos plus sçavans Orfées,
Et voilà tout à coup que bornant ses progrés,
Sa clemence a changé ton espoir en regrets,
L’amour de la victoire en vain le sollicite.
 Tel pouvant terrasser & le Parthe & le Seithe,
Content de sa grandeur le second des Cesars
Sur l’autel de Janus aprés mille hazars
Aima mieux enchaîner le demon de la guerre,
Que le fer à la main vaincre toute la Terre.
 Guidé du mesme esprit, sans répandre de sang,
LOUIS de toutes parts fait respecter son rang,
Severe aux vicieux, doux aux bons, toûjours juste,
Sur les bords de la Seine il represente Auguste.
C’est là que dans le cours d’un regne fortuné
Rassurant l’Univers qu’il avoit étonné,
GLOIRE, tu le verras, de nouvelles lumieres
Rehausser les rayons de ses vertus premieres,
Seule tu l’attirois aux compagnes de Mars,
Tu le retrouveras dans le champ des beaux arts.
Tous les jours ce grand Roy, des autres Rois l’exemple,
S’ouvre un nouveau chemin au faiste de ton Temple,
L’Heresie à ses pieds pleine d’un juste effroy,
Mesme aux bords du Leman voit triompher la foy,
L’Equité par ses soins voit la fraude proscrite,
La Fortune est d’accord avecque le merite,
Tout découvre en LOUIS un Prince plus qu’humain,
Et l’Auguste François surpasse le Romain.
 Lors que cent Legions sous ses drapeaux rangées
Soumettoient à son joug les Villes assiegées,
Que gros de mille feux ses menaçans vaisseaux
Répandoient la terreur dans l’empire des eaux,
Tant de travaux guerriers à tout autre impossibles
L’ont-ils interrompu dans ses travaux paisibles ?
Le Louvre n’a-t-il pas, s’élevant jusqu’aux Cieux,
De miracles nouveaux toûjours frappé nos yeux ?
Et jamais a-t-on vû dans le bruit des Batailles
La pompe & l’industrie abandonner Versailles ?
 Quelle source en tresors si feconde aujourd’huy,
Quel merveilleux Pactole icy coule pour luy ?
Est-ce donc qu’à son gré maistre de la Fortune
Il recüeille luy seul l’abondance commune,
Tandis que de leur Prince esclaves trop abjets
Sous le faix des Tributs gemissent les Sujets ?
Ah ! bien loin d’exiger par un trop dur empire
Un secours odieux dont son Estat soupire,
Juste à tous, seulement injuste contre soy,
Il renonce au secours que luy preste la loy.
 Entre les dons exquis & d’un ordre suprême
Dont le Ciel favorable orna le Diadême,
Il en est un fameux des peuples reveré,
Sous le nom de Domaine aux seuls Rois consacré.
Une loy redoutable en tout temps reconnuë
Au reste des mortels en ferme l’avenuë ;
Auguste de ce droit tempera la vigueur,
Plus que son privilege il écouta son cœur,
On sçait de sa bonté la genereuse marque,
Et Rome au Citoyen vit ceder le Monarque ;
Dans le doute sous luy le Fisc eut toûjours tort.
 Roy de ses passions, par un plus digne effort,
LOUIS, quoy que Themis en sa faveur decide,
Pour mieux se condamner à sa cause preside,
De Pere au nom de Prince unissant le devoir
Sa douceur est la loy qui regle son pouvoir.
Il croit, sur ses sujets remportant l’avantage,
S’il n’a sa propre voix n’avoir pas un suffrage,
Son amour les soutient, & par un nouveau sort
Le parti du plus foible alors est le plus fort.
En vain à ce grand Roy l’interest plein d’adresse
Etale les appas d’une immense richesse,
GLOIRE, sans balancer dans le choix un moment,
Il trouve en tes appas un objet plus charmant.
Pour comble de tes vœux que faut-il davantage ?
Reconnois à ce trait le Heros de nostre âge,
Sans demander encor des exploits à son bras
Cet exploit de son cœur ne te suffit-il pas ?
Certes d’un si haut fait la grandeur publiée
Est plus que l’œil en pleurs Genes humiliée,
Plus que des flots du Rhin l’obstacle surmonté,
Et plus qu’Alger du choc encore épouvanté.

Prière pour le Roy §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 54.

PRIERE
POUR LE ROY.

Que pour le bien de son Empire
 LOUIS, à qui le Ciel inspire
 Tant d’heroïques actions,
Long-temps entre les Rois tienne le rang suprême,
 Toûjours Vainqueur des Nations,
 Jamais vaincu que par soy-mesme.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 54.

L'Air nouveau que vous trouverez icy, est digne de suivre ceux que je vous ay envoyez depuis quelque temps.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Sur les tendres Ormeaux le Rossignol fidelle [doit regarder la page 55.]
Sur les tendres Ormeaux, le Rossignol fidelle
Se plaint d'amour, dont il ressent les coups.
Ah que ce mal doit estre doux,
Puisque sa plainte est si douce & si belle !
images/1685-10_054b.JPG

[Prix de l'Arquebuze] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 55-69, 72-75

 

Vous sçavez, Madame, que le Roy donnant sa protection aux Exercices qui ont quelque chose de martial, accorde de temps en temps des permissions de tirer des Prix entre les Compagnies de l'Arquebuze du Royaume, & aux Chevaliers des Villes, de s'assembler en celle qui a receu le Bouquet par le suffrage des Bandes. Comme il y a une Association ancienne entre les Provinces de Brie, Champagne, & Soissonnois pour cet Exercice, la Ville de Sezanne, limitrophe des deux premieres, eut l'honneur du Bouquet en la Ville d'Epernay au mois de juin 1685. & le rendit au commencement du mois passé, en vertu de Lettres Patentes, & aprés que Sa Majesté se fut expliquée sur la concurrence de ceux de Vitry, au rapport de Mr le Maréchal Duc de Vivonne, Gouverneur des mesmes Provinces de Bri & de Champagne, & de Mr de Croissy, Secretaire d'Estat du Département. Les Mandemens imprimez ayant esté envoyez à toutes les Villes associées, qui ont de semblables Compagnies d'Arquebuziers, la pluspart se rendirent à Sezanne, le Samedy premier de Septembre. Les Chevaliers de la Ville en deux bandes, l'une à cheval, & l'autre de pied, leurs Officiers à leur teste avec les Guidon [sic] & Enseigne [sic] ; Trompettes, Tambours, Fifres, Violons & Hautbois, tous fort lestes & en bon ordre, allerent au devant, à mesure que le Guet qu'on avoit mis sur la Tour, donnoit le Signal, & en huit heures de temps on receut jusqu'à vingt-huit Compagnies des Villes mandées, sçavoir, de Reims, Chalons, Meaux, Provins, Chasteauthierry, Coulomiers, Crespy, Noyon, la Ferté-Milon, Nogent sur Seine, Epernay, Villenoce, Montmirail, Barbonne, Vertus, Arcies, &c. avec les Presens ordinaires de Vins excellens, Jambons de Mayence, & de Venaison. Le lendemain au matin, les Compagnies s'assemblerent en l'Eglise des Cordeliers, qui est fort spacieuse ; & aprés que l'on eut tiré la Marche au sort, elles furent conduites en Procession par la Ville, & dans les endroits principaux du dehors, ayant Mr le Marquis de Pleurs, Bailly, Capitaine & Gouverneur à leur teste, suivy du Corps de Ville. Elles marcherent au bruit des mesmes Instrumens de toutes les Bandes, qui faisoient une symphonie agreable par intervalles, & sans interruption du Chant, avec plusieurs décharges de Mousqueteries. La Procession estant faite, la Messe fut solemnellement celebrée par Mr Collot, Aumonier de la Compagnie de Sezanne, avec l'Orgue, & quelques Motets chantez par de belles Voix accompagnées d'Instrumens. Mr le Marquis de Pleurs alla à l'Offrande, & aprés luy les Cornetes & les Enseignes avec leurs Guidons & leurs Drapeaux. Aprés le disner, toutes les Compagnies passerent en reveuë, & on exposa les Prix, qui estoient d'environ seize mille livres d'argenterie de toutes pieces, comme Bassins, grosses Eguieres, & autres d'une Orphevrerie exquise. Le soir Mr de Villiers, Capitaine de la Compagnie de la Ville, regala la pluspart des Officiers des Bandes avec Mr de Pleurs, les Magistrats & Officiers de Ville ; ce qu'il continua tous les jours avec une propreté & une profusion extraordinaire. Ce soupé fut suivy d'un grand Bal, où toutes les Dames, tant de la Ville que des environs, se trouverent fort parées. On servit ensuite une magnifique Collation dans vingt quatre grands Bassins, avec toutes sortes de liqueurs & de rafraichissemens.

Le Lundy 3. de ce mois, on se rendit à la Bute. C’est un Pavillon d’une Architecture fort délicate & moderne, nouvellement basty exprés pour le Prix. Dans la grande Salle estoient les Armes du Roy, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Monseigneur le Duc d’Anjou, avec des Devises. Sous celle du Roy, on lisoit ces mots Latins, Media de Pace triumphi ; avec ce Sonnet, dans lequel Sa Majesté parle aux Chevaliers.

SONNET.

Icy du Champ de Mars, on va droit à la Gloire ;
Un rayon de la mienne y conduira vos pas,
Inspirera vos cœurs, animera vos bras,
Et placera vos noms, prés du mien, dans l’Histoire.
***
Là pour eterniser vostre illustre memoire,
Déja le Dieu Mercure a convié Pallas ;
Elle tient le Burin, le Cizeau, le Compas,
Preste de couronner de ses mains la Victoire.
***
Tout ce qu’eurent jadis de plus majestueux
Olympie & Corinthe, en leurs superbes Jeux
La Paix l’assemble icy, mieux qu’aux bords du Meandre.
***
Un peu d’orgueil sied bien, dessous mes justes Lois ;
Et si quelqu’un estoit de l’humeur d’Alexandre,
Pour disputer les Prix, il trouvera des Rois.

Pour l’intelligence de ce dernier Vers, on doit sçavoir que chaque Compagnie de Chevaliers a son Roy. Au dessous des Armes de Monseigneur le Dauphin, on lisoit, Lauros innectit olivæ.

La Paix a ses Lauriers, aussi-bien que la Guerre ;
Ils naissent sans culture en ces heureux Climats,
Et sans craindre les Vents, les Soleils, les Frimats,
On diroit que Sezanne est leur natale Terre.
***
L’Adresse & la Valeur viennent de toutes parts,
Jusqu’au sein de la Paix, rechercher le Dieu Mars,
Couché sur un faisceau de Lauriers & de Palmes.
***
Chevaliers, vous dit-il, LOUIS a ses raisons,
Et comme il fait luy seul les temps troubles ou calmes,
Il veut que l’on en cüeille en toutes les Saisons.

Au dessous des Armes de Monseigneur le Duc de Bourgogne, Crescens ad fulmina.

Ce formidable nom, fatal à tant d’Empires,
Que deux Siecles entiers n’ont pu faire oublier,
N’apprehende aujourd’huy reproches ny satires,
Et renaissant en moy n’a rien encor de fier.
***
On m’instruit doucement à manier la foudre
Auprés de mon Ayeul, le plus grand des Humains,
Pour n’avoir pas de peine un jour à m’y resoudre,
J’y touche de bonne heure, & m’en jouë en ses mains.
***
Si pour remplir bien-tost mes grandes destinées,
Dans les premiers efforts de mes belles années,
Je voulois regagner la fameuse Toison.
***
Lorsque j’auray dressé mes redoutables Flotes,
Chevaliers, voulez-vous estre mes Argonautes ?
Je vous promets déja d’estre vostre Jason.

Au dessous des Armes de Monseigneur le Duc d’Anjou, Discat fortuna renasci.

En Cadet de bonne Maison,
L’on m’impose, en naissant un nom,
Qui designe déja mes hautes avantures ;
 Il marque, afin de m’aguerrir
 Deux Royaumes à conquerir :
Voilà mon Appanage, & mes Grandeurs futures.
***
 Voulez-vous pas, beaux Chevaliers,
 Estre de mes Avanturiers ?
Dans trois lustres au plus on s’y peut bien attendre,
Tenez-vous en haleine, exercez-vous toujours
Quand le Destin voudra haster ces heureux jours,
Je seray bien-tost prest, & je viendray vous prendre.

 

[...] Tous les Prix estant tirez le Samedy au soir 8. du mois, on délibera sur le Bouquet, & presque tous les Suffrages l'accorderent à la Compagnie de Reims qui l'avoit demandé avec instance, pour le reünir au particulier qui luy avoit esté adjugé à Vitry, selon l'intention de Sa Majesté dans sa Lettre de Cachet. Ainsi, la délivrance s'en fit le lendemain, dans la grande ruë devant l'Hostel de Reims au bruit de la Mousqueterie, & au son d'un grand nombre de Hautbois, Trompettes, & autres Instrumens de toutes sortes ; aprés quoy cette Compagnie donna une magnifique Collation, servie somptueusement, à une foule extraordinaire d'Officiers & Chevaliers, & à toutes les Dames. Elle partit sur le soir, & à son départ, le Prix fut porté publiquement au milieu de la Troupe qui estoit à un cheval & en tres bel ordre. Les Officiers estoient en Caleche. Ils furent conduits par ceux de la Ville jusqu'au déhors du Faux-bourg, où une galante Collation les attendoit pour se dire adieu. Ce Bouquet est une Statuë d'argent massif cizelé, de prés de deux pieds de hauteur, sur un Piedestal d'ebeine. Elle represente une Paix ou une Pallais avec un Guidon d'argent mis en couleur, & embelly de plusieurs Devises & Inscriptions. On peut ajoûter à l'avantage des Chevaliers de la Compagnie de Reims, que dans cette occasion ils ont épuisé tous les moyens ingenieux dont on se peut servir pour faire éclater la profusion en Festins, Bals, Collations, & Feux d'artifices, qui les ont distinguez des autres Villes, avec un applaudissement general.

[Fondation perpetuelle d'une Feste à Issoudun, pour la Naissance du Roy] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 75-78, 80-83

 

J'ay présentement à vous parler des Habitans d'Issoudun, Capitale du bas Berry. Ils ont toûjours esté si fideles à leurs Princes, qu'ils en ont esté recompensez par de tres-beaux Privileges. Le Roy persuadé de cette verité, & touché de compassion pour eux, lors que passant dans la Province en 1651. il vit leur Ville presque reduite en cendres, confirma ces Privileges, & a eu la bonté depuis ce temps là de dire plusieurs fois qu'il se souviendroit de leurs services. En effet Sa Majesté a bien fait paroistre qu'Elle les distinguoit entre tous ses autres Sujets de la mesme Province, puis qu'ils ont esté les seuls exempts de Garnisons, & qu'Elle a hautement déclaré qu'Elle ne vouloit pas qu'ils en eussent durant son Regne. Aussi voulant en marquer leur reconnoissance, & l'ardent desir qu'ils ont d'attirer sur sa Personne Sacrée & sur toute la Maison Royale, les Benedictions du Ciel, ils ont fait une Fondation perpetuelle de Prieres Publiques tous les ans au cinquiéme de Septembre, jour de l'heureuse Naissance du Roy, & l'ont commencée cette année par un Service solennel qui fut fait ce jour là dans leur Eglise Collegiale. Ils l'avoient parée magnifiquement, & ornée de plusieurs Devises & d'Inscriptions à la loüange du Roy. La Messe fut chantée à trois Choeurs de Musique aussi bien que Vespres, & l'on fit une Procession Generale, où Mr l'Evesque & Comte d'Agde, les Magistrats & autres Corps d'Officiers assisterent. [...]

 

Aprés la Procession, toute la Bourgeoisie s'estant mise sous les armes, on alluma le Feu de joye au bruit du Canon & de la Mousqueterie, au son des Tambours & des Trompettes, & aux acclamations de Vive le Roy. [...]

 

Cette Ceremonie qui dura jusques au soir, estant terminée, les Particuliers firent des Illuminations à toutes les fenestres de leurs maisons, & des Feux devant leurs portes, & passerent la plus grande partie de la nuit à donner dans les ruës toutes sortes de marques d'une allegresse parfaite. La mesme chose doit se faire tous les ans au mesme jour, suivant la resolution qui en a esté prise dans leur Assemblée Generale. Le lendemain 6. du mois, les Habitans Catholiques d'Issoudun recommencerent la rejoüissance par la Démolition qui se fit du Temple de ceux de la Religion Pretenduë Reformée, ainsi qu'il avoit esté jugé par Sentence du Baillage de la mesme Ville, sur les contraventions par eux faites aux Edits & Déclarations de Sa Majesté.

Des Choses difficiles à croire. Dialogue sixiéme §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 83-128

Voicy le Dialogue nouveau de Mr Bordelon, que je devois vous donner dés l’autre mois.

DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGUE SIXIÉME.
BELOROND, PHILONTE.

Philonte.

Je sors d’un Festin, où la joye a esté troublée par une cause si vaine, qu’elle me seroit tres-difficile à croire, si je n’en avois esté le témoin. Pendant que tout le monde ne respiroit qu’un honneste plaisir, & que les esprits des Conviez, échauffez pour ainsi dire, par la bonne chere, commençoient à se proposer les uns aux autres quelques petites difficultées sur des matieres fort curieuses, un Maistre d’Hostel faisant une de ses fonctions, a mal-heureusement pour nous, renversé la Saliere sur la table. Son Maistre a regardé ce petit accident comme une chose d’un si mauvais presage, que non seulement il s’est emporté contre luy, & l’a mal-traité de paroles en nostre presence ; mais encore il luy a esté impossible, quelques efforts qu’il ait faits pour dompter son chagrin, de nous faire aussi bonne mine pendant le reste du Repas qu’il nous l’avoit fait au commencement.

Belorond.

Ce n’est pas d’aujourd’huy que cette Superstition regne dans le monde. Les anciens Payens en ont esté les premiers autheurs. Ils croyoient que le Sel estoit sacré & divin. Sacras facitis mensas salinorum appositu, dit Arnobe. C’est pourquoy si on oublioit de mettre la Saliere sur la table, si on la renversoit, ou si on s’endormoit avant que de l’avoir serrée, c’estoit selon eux un tres-mauvais augure. Des Hebreux mesme disent chez Lyranus, que la Femme de Loth fut changée en une Statuë de Sel, parce qu’elle n’avoit pas mis de Sel sur la table, lorsque son Mary traita les Anges, à cause de la haine qu’elle portoit aux Etrangers.

Philonte.

Je ne vois aucune raison qui ait pû les engager dans cette Superstition, sinon que le Sel estant le symbole de l’Immortalité, à cause qu’il empêche la corruption, ils se persuadoient peut-estre, que l’Immortalité estant renversée, s’il m’est permis de parler de la sorte, la Mort, ou quelque autre funeste accident s’approchoit.

Belorond.

Il faudroit avoir étudié long-temps les folies, ou plûtost les foiblesses de l’esprit humain, pour sçavoir les causes qui ont produit toutes les Superstitions ausquelles il se laisse emporter. Entre plusieurs que vous avez pû remarquer aussi-bien que moy, je me souviens particulierement d’une qui est aussi extravagante que ridicule. Bien des Gens s’imaginent que les petites tâches qui se forment sur les ongles sont des marques de quelque Peché qu’on a commis, qui est grand ou petit selon la grandeur ou la petitesse de ces tâches. C’est une Superstition que nous tenons encore des Payens qui croyoient que le Mensonge estoit toûjours suivy de quelque peine, comme d’une dent gâtée, d’un ongle marqué, de cheveux perdus, & autres choses pareilles. Ovide n’ignoroit pas cet abus quand il disoit, Eleg. 3. l. 3. amor.

Esse Deos credam ne ? Fidem jurata fefellit,
 Et facies illi quæ fuit ante, manet.
Quam longos habuit nondum perjura capillos,
Tam longos, postquam numina laesit, habet.

Theocrite dit encore sur ce sujet dans l’Idylle 9. Prens bien garde de ne pas faire naistre une esleveure sur le bout de ta langue. C’est à dire, prens bien garde de ne pas mentir ; & dans l’Idylle 10. Vous estes si beau, qu’en vous loüant, je ne feray point naistre de mensonges sur le bout de mon nez. Voilà, ce me semble, une superstition qui vaut bien celle dont vous avez esté aujour-d’huy si surpris ; mais puis qu’insensiblement nous sommes tombez sur le sujet des Superstitions, dites-moy, je vous prie, en trouvez-vous de plus generale que celle qui consiste dans l’Interpretation des Songes ? J’ay veu des femmes consulter à leur lever Artemidore sur l’explication des Songes, & ce que vous aurez de la peine à croire, le consulter plûtost que leur Miroir sur la disposition de leur visage.

Philonte.

L’Interpretation des Songes n’est pas toûjours superstitieuse, puis qu’il y en a qui viennent de Dieu, comme l’Ecriture nous l’apprend dans les Nombres 12, quand elle dit, S’il se trouve quelque Prophete chez vous, je luy parleray dans son sommeil par quelque Songe que je luy envoyeray. Si quis fuerit inter vos Propheta Domini, apparebo, & per somnium ad illum loquar. Dieu même nous instruit quelquefois par les Songes, de ce qui doit arriver. Quando homines dormiunt in lectulo, tunc aperit aures vivorum, & erudiens instruit eos disciplina. Job. 33. Les Songes interpretez par Joseph & par Daniel, prouvent encore que cette Interpretation n’est pas toûjours criminelle. Ajoûtez que celle dont on se sert pour connoistre le temperament est si naturelle, qu’on s’en peut servir quelquefois sans craindre la qualité de Superstitieux.

Belorond.

Il est vray qu’on peut tirer quelque connoissance du temperament par les choses, ce n’est pas là ce que j’appelle Superstition : mais il est vray aussi qu’il ne faut pas faire grand fond sur cette connoissance, parce qu’il arrive quelquefois tant de choses differentes pendant la journée & si opposées au temperament de celuy qui en a l’esprit remply, qu’on n’en peut tirer aucune connoissance assurée. Un pituiteux par exemple qui ne devroit songer que poissons, eaux, déluges, ne songera cependant que des combats & des carnages, parce que le jour qui precede la nuit dans laquelle il resve, il aura esté present à quelque querelle, ou meurtre, ou combat. Il est vray encore qu’il y a des Songes que Dieu nous envoye ; mais comme ils sont tres-rares ; je ne laisseray pas de soûtenir en les exceptant que l’Interpretation ordinaire des Songes doit estre regardée comme une chose tres-difficile à croire, par ceux qui ne sçauroient pas les amusemens ridicules, dont l’esprit humain est capable ; car de croire que tous les Songes sont envoyez de Dieu, c’est une erreur condamnée par l’Ecriture en plusieurs endroits : Non inveniatur in te qui observet somnia. Deuter. chap. 18. Faites en sorte qu’il ne se trouve personne chez vous qui observe les Songes. Elle condamne à la mort dans le 13. chapitre du même Deuteronome ces Prophetes qui se servoient de la Devination des Songes pour tromper le Peuple, sur ce que leurs Prédictions reüssissoient quelquefois ; & elle met dans le 2. Livre des Paralipomenes c. 33. entre les Impietez de Manassez, celle de s’estre arresté aux Songes ; enfin elle nous assure dans l’Ecclesiastique c. 34. que c’est comme s’amuser à vouloir embrasser son ombre ou à suivre le vent, que de perdre le temps à considerer un Songe. Ajoûtez que si tous les Songes venoient du Ciel, l’homme seul en auroit ; nous voyons cependant que beaucoup d’animaux songent comme nous. Il est donc constant qu’il y a des Songes qui ne sont pas envoyez de Dieu, & par consequent dont l’interpretation est vaine & superstitieuse. En effet ne doit-on pas se mocquer d’un art qui n’a point de regles certaines ? Ne voyons-nous pas que les plus grands Maîtres en celuy d’interpreter les Songes, au lieu d’avoir des regles certaines, se servent de moyens tout-à fait differens & qui se détruisent les uns les autres ? car les uns pretendent les expliquer par analogie, c’est à dire, par le rapport qui se remarque entre la chose songée & ce qui doit arriver ; les autres comme Aristandre & Artemidore veulent les interpreter en prenant un sens opposé à ce qu’ils semblent nous dire d’abord ; comme si l’on songe la mort, ils disent que c’est une marque de vie, si l’on songe des richesses que c’est signe de pauvreté. De plus il me semble que si Dieu vouloit nous instruire de l’avenir par nos Songes, il ne nous les envoyeroit pas si obscurs & si peu intelligibles. Nous nous mocquerions, disoit autrefois Ciceron en parlant sur cette matiere, si des Carthaginois ou des Espagnols parloient dans nôtre Senat sans Interprete. Ne rendons-nous pas les Dieux, poursuit-il, aussi ridicules quand nous voulons qu’ils parlent à nous avec ces obscuritez, dont nos Songes sont ordinairement envelopez ?

Philonte.

Nous lisons dans des Autheurs dignes de foy tant d’Histoires de Songes, dont les interpretations se sont verifiées, qu’il semble que ceux qui s’y addonnent le font avec quelque raison. Sylla, que les Romains appelloient le plus heureux des hommes, songea que son destin l’appelloit. Vocari se jam à fato. Il le dit le lendemain à ses Amis, fit son Testament, eut le soir la fiévre, & mourut la nuit suivante âgé de 60. ans. C’est comme le rapporte Appian, L. de Bello Civili. Un Conseiller du Parlement de Dijon nommé Carré, oüit en dormant qu’ont luy disoit des mots Grecs qu’il n’entendoit point, & qui luy furent interpretez ainsi, Retire toy, tu ne sens pas ton malheur, & comme la Maison qu’il habitoit menaçoit de ruine, il la quitta fort à propos, puis qu’elle tomba aussi-tost aprés. Un nommé André Pujon estant à Rion songea qu’il faisoit l’anagramme de son nom, où il trouvoit pendu à Rion ; ce qui eut son effet quelques jours aprés. Cardan dit dans l’Histoire de sa propre vie, qu’il avoit esté averty en songe de mettre dans sa bouche une Emeraude qu’il portoit penduë au col, s’il vouloit perdre la memoire de la mort de son Fils, ce qui reüssit selon cét avis. Nous lisons dans Gregoire de Tours que le Roy Gontran estant allé à la Chasse s’endormit sur le bord d’une fontaine qui faisoit un petit ruisseau. Son Escuyer vid sortir de sa bouche une petite Beste blanche, qui courant çà & la, témoignoit vouloir passer le ruisseau. Pour luy faciliter le passage qu’elle sembloit chercher, il mit son épée en travers sur ce ruisseau, elle passa aussi-tost pardessus, & entra dans le creux d’une Montagne prochaine, puis revint, repassa le ruisseau, & entra dans la bouche du Roy. Cependant arrive la Meute de Chiens qui réveilla Gontran, lequel fit aussi-tost le recit d’un Songe qu’il venoit de faire. Il me sembloit, dit-il, que je passois une riviere sur un Pont de fer, & que j’entrois dans une Caverne, où estoit un grand Tresor. L’Escuyer voyant que ce Songe convenoit bien à ce qu’il avoit veu, en fit aussi le recit. Le Roy l’ayant entendu, fit foüir dans le lieu où estoit entré ce petit animal. On y trouva un grand Trésor que le Roy employa en œuvres pieuses, & principalement à l’achapt d’une Chasse pour Saint Marcel lez-Châlons. Ce creux s’appelle encore aujourd’huy la Motte du Tresor. Jugez aprés ces Histoires & plusieurs autres que je pourrois vous rapporter, si ceux qui ajoûtent foy aux Songes ne pretendent pas avoir sujet de s’appliquer à cét amusement.

Belorond.

Trois raisons détruisent le pretexte que donnent ces Histoires aux Interpretations ordinaires des Songes. La premiere, c’est que les Autheurs qui les rapportent ne le font que comme des bruits communs qui couroient du temps qu’ils faisoient leurs Histoires, & qu’ils ne pretendent pas pour cela garantir comme des choses veritables. La seconde, c’est que la pluspart de ces Songeurs, ou plûtost de ces réveurs, ont fait leurs Songes estant éveillez, comme peut estre vostre Conseiller, & Cardan. En effet quelle apparence y a-t’il que ce Conseiller ne sçachant point de Grec se seroit si facilement souvenu des mots que son imagination luy avoit dictez en cette langue pendant qu’il dormoit ; & comment Cardan a-t’il la hardiesse de dire que cette Emeraude luy fit oublier la mort de son fils, puis qu’il s’en ressouvenoit encore assez pour nous donner l’Histoire de sa réverie étudiée ? Il estoit habile-homme, je l’avouë, mais il pretend dans ses Oeuvres nous faire ajoûter foy à tant de choses difficiles à croire pour leur peu de vray-semblance, que je ne puis encore m’empescher de douter de celle-cy. La troisiéme raison qui détruit l’authorité de ces Histoires, c’est que quand mesme l’Interpretation de quelque Songe se seroit trouvée veritable, il ne faut pas pour cela tirer une consequence en faveur de celles qui se font tous les jours ; car enfin il est difficile que de tant de Songes differens qu’un homme fait dans sa vie, il n’y en ait quelqu’un qui se raporte à ce qui arrive dans la suite. De même, par exemple, que d’une infinité de Fléches tirées même par un homme qui auroit les yeux bandez, il seroit impossible que quelqu’une ne touchast le but ; aussi il y a des complexions, comme celles des mélancholiques, des hommes adonnez au vin, & des furieux, qui troublent l’imagination de tant de vapeurs & de fumées si confuses, qu’il n’est pas possible que par rencontre elles ne forment quelquefois une idée de ce qui doit arriver. Cependant comme on n’observe ordinairement de tous les Songes que ceux qui ont eu quelque chose de merveilleux dans l’évenement, on attribuë facilement à Dieu, ce qui n’est veritablement que l’effet du hazard. Enfin, si les Songes ne venoient que de Dieu, que luy avoient fait les Peuples de Libye, que Solin nomme Atlantes, qui n’ont jamais eu de Songes pendant leur sommeil, non plus qu’un Cleonde Daulie, & un Trasymede, au rapport de Plutarque ?

Philonte.

Ces gens-la estoient bien differens des Sabins, qui, comme nous apprend le Proverbe Latin, songeoient tout ce qu’ils vouloient, Sabini quod volunt somniant.

Belorond.

Ceux-cy sont aussi bien differens des Canadois, qui veulent tout ce qu’ils ont songé ; car quelques Relations que nous avons d’eux, asseurent que s’ils ont songé en dormant qu’on leur fait un Present, ils font tous leurs efforts le lendemain pour l’avoir. S’ils ont songé le meurtre d’un Homme, ils tâchent de l’executer le plus promptement qu’ils peuvent, voulant absolument rendre réel pendant le jour, ce que leur imagination leur a representé pendant la nuit. Mais si ceux-cy ont tant d’empressement pour rendre leurs Songes veritables, d’autres n’en ont pas eu moins, pour éviter, mesme avec cruauté, les dangers qu’ils pretendoient que leur fantaisie leur avoit fait voir dans leurs Songes. Les Histoires sont pleines d’exemples sur ce sujet. Un Cambise fait mourir son Frere pour avoir eu un Songe, dont l’interpretation sembloit promettre l’Empire à ce Frere. Un Astiage veut faire tuer son petit Fils Cyrus, pour le mesme sujet. Un Avare ayant resvé qu’il avoit fait une dépense excessive, se pendit à son réveil, tant il estoit desesperé. Un Portugais ayant songé que sa Femme commettoit un Adultere, la poignarda cruellement le matin, toute innocente qu’elle étoit. Henry III. un de nos Rois, fit tuer des Lions qu’il nourissoit, parce qu’il avoit songé qu’ils le déchiroient. Mais le temps se passe, & il nous en reste peu pour nostre Conversation ; c’est pourquoy employez, je vous prie, ce qui nous en reste, pour m’apprendre un Abregé de la vie de quelques-uns de ces Philosophes anciens, comme vous me l’avez promis.

Philonte.

Je commenceray par Epicure l’execution de ma promesse. Epicure nâquit à Athenes en la troisiéme année de la 109. Olympiade, & la 412. de Rome. Il s’adonna à la Philosophie dés l’âge de douze ans, & ce fut la lecture des Oeuvres de Démocrite, qui l’engagea à quitter l’étude de la Grammaire pour s’y appliquer. Le principal point de sa Morale, & celuy qui luy attire des Ennemis, c’est qu’il faisoit consister le souverain bien dans la volupté. Ce seul nom de volupté, qui est odieux aux gens de bien, donna occasion à ses Envieux de le traiter d’Infame & de Pourceau ; mais ceux qui se sont appliquez sans préoccupation à connoistre le veritable sentiment de ce Philosophe sur ce grand point de Morale, avoüent que la volupté dont il parloit, n’estoit autre chose qu’une volupté tranquille & inseparable de la vertu. Saint Jerôme ne l’auroit pas proposé aux Chrestiens de son temps, comme il a fait, pour leur faire honte de leurs débauches, s’il l’eust regardé comme un Philosophe voluptueux, dans le sens que le prenoient ses Ennemis. Sa maniere de vivre & ses sentimens détruisent facilement les accusations de ses Envieux. En effet, on voit par ses Lettres, que ses meilleurs repas se faisoient avec un peu de fromage joint au pain & à l’eau. Permettez-moy, je vous prie, de vous rapporter quelques-unes de ses Sentences, & vous verrez si l’on avoit sujet de l’accuser de sensualité.

Le Sage ne doit jamais rechercher d’amour une Femme dont les Loix luy défendent la joüissance.

Il faut exposer sa vie hardiment, parce que la mort n’est pas une chose mauvaise.

La santé doit estre tenuë indifferente. Et c’est cette raison qui l’engageoit au souhait de bien faire, qu’il mettoit au commencement de ses Lettres, au lieu de celuy de se bien porter, selon la coûtume.

Les douleurs sont preferables à la volupté, & celle-cy ne doit pas toûjours estre embrassée.

Il vaut mieux estre malheureux & raisonnable, qu’heureux & sans raison.

La bonne fortune se trouve rarement avec la sagesse.

Si vous voulez vivre heureux & avec plaisir, faites que vostre felicité soit accompagnée de prudence, d’honnesteté & de justice ; ces trois vertus sont inseparables de la vraye & solide volupté.

Prenez plûtost garde avec qui vous mangez & beuvez, qu’à ce que vous mangez & beuvez.

Les tourmens n’empeschent pas la felicité du Sage, quoy que la douleur luy puisse tirer quelques soûpirs.

Les plus solides plaisirs consistent en la memoire du bien passé, parce que tout ce qu’on se promet de l’avenir est incertain ; & ce qui est present ne se possede jamais sans crainte, pouvant estre facilement alteré.

De bonne foy, sont ce-là les sentimens d’un voluptueux sensuel & infame ? Ne sont-ce pas plûtost les opinions d’un Homme qui ne songe à rien moins qu’à satisfaire ses sens ? Voilà la veritable doctrine d’Epicure, & il l’a soûtenuë en vivant & en mourant. Il est vray que Ciceron luy reproche, que sa vie ne répondoit pas à ses sentimens, & que s’il tenoit des discours judicieux & honnêtes, c’estoit pour faire avaler plus agreablement le poison de la volupté ; mais c’est un reproche qu’on a fait aussi à Platon & à Zenon, comme remarque fort bien Seneque, L. de Vita beata c. 18. & qu’on fait tous les jours aux plus honnestes gens, lors qu’on n’a rien de plus pressant à dire contre eux. Il mourut âgé de 72 ans, d’une retention d’urine causée par la pierre, avec des douleurs incroyables, qui durerent pendant quatorze jours, sans qu’il donnast aucune marque d’impatience. Seneque admire les discours qu’il tenoit pendant ses maux, pour avoir esté prononcez, selon luy, dans le propre sejour de la volupté. Hæc vox in ipsa officina voluptatis est audita. Deux raisons sont cause de la mauvaise reputation d’Epicure ; la premiere, parce qu’il parloit tres-mal de Platon, d’Aristote, & des plus Sçavans ; la seconde, c’est la vie scandaleuse de ses faux Disciples, qui s’adonnoient à toutes sortes de voluptez, sous le pretexte du Souverain Bien d’Epicure. Ciceron, Quintilien, Athenée, & Sextus l’ont accusé d’ignorance ; mais ses œuvres & le témoignage de Diogene-Laërce, qui assûre qu’il a écrit plus qu’aucun Philosophe, détruisent cette accusation. Quelque sçavant qu’il ait esté, il est pourtant tombé dans de tres-grandes erreurs touchant la Physique & la Morale. Entre plusieurs je vay vous en rapporter quelques-unes. Le Soleil & les Astres, selon luy, n’étoient pas plus grands, ou peu s’en faut, qu’ils le paroissoient aux yeux. Il s’imaginoit une infinité de Mondes subsistants tout à la fois dans un espace infiny, & avec de certains intervales appellez Intermondes. Il admettoit les Ames corporelles & perissables. Il a non seulement déclamé contre les Dieux de son temps, mais il n’en a crû aucun, comme remarquent Ciceron, L. 1. de Nat. Deor. & Sextus Empiricus. Ce qui a persuadé qu’il ne croyoit point de Dieu (quoy qu’il en ait parlé quelquefois en le nommant Animal immortel & bien-heureux) c’est qu’il le represente sourd & aveugle sur tout ce qui nous regarde, & veut détruire sa Providence, les soins ne s’accordant pas, dit-il, avec un estat parfaitement heureux, non plus que la Colere & la Misericorde, qui sont des Passions d’une nature infirme, & qu’on ne peut attribuer à Dieu sans luy faire tort ; & avec cette Maxime & plusieurs autres aussi impies, il se mocquoit de toutes sortes de Religions. Voilà tout ce que j’avois à vous dire de ce Philosophe.

Idille §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 135-138

L’Idille qui suit, est de Mr de Messange, & a esté envoyé avec un Bouquet. Les Vers en sont si heureusement tournez, que je puis vous asseurer que vous les lirez avec plaisir.

IDILLE.

Doux ornemens de ces sauvages lieux,
Où je méne en langueur une mourante vie,
Leger amusement d’un exil ennuyeux,
Allez, aimables Fleurs, allez trouver Silvie,
Vous la reconnoistrez à l’éclat de ses yeux.
 L’Astre du jour en a moins qu’eux
 Lors qu’il vient dorer ce Bocage.
 Elle a l’air agreable & doux,
 Le teint à peu prés comme vous :
 Vous vous verrez sur son visage ;
Les Roses & les Lys y brillent en tout temps.
Prés d’elle vous pourrez sans crainte vous produire,
 Vous y trouverez le Printemps ;
Lors qu’il quitte nos Bois, c’est là qu’il se retire.
***
Allez donc, hastez-vous, c’est trop vous retenir,
 Et si par hazard cette Belle
 Vouloit sçavoir qui vous a fait venir,
 Sans la fâcher faites la souvenir
 D’un malheureux qui meurt pour elle.
Vous estes les témoins des ennuis de mon cœur ;
Peignez-luy mes tourmens ; & faites luy connoistre
 Que mes larmes vous ont fait naître.
Par vostre air languissant marquez-luy ma langueur ;
Mourez sur ce beau sein, dont l’éclat vous efface,
 Pendant que moins heureux que vous,
 Je demande pour toute grace,
De pouvoir seulement mourir à ses genoux.

Relation de tout ce qui s’est passé à la Réception de Madame la Duchesse de Richelieu, à Richelieu §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 138-167, 175-176, 178, 185-187

Les Habitans de la Ville de Richelieu, avoient trop d’impatience de voir leur nouvelle Duchesse, pour ne luy faire pas une Entrée qui répondist à leur zele. Sur l’avis qu’on eut qu’elle estoit arrivée à Tours le 27. du mois passé, la Noblesse dans un Corps, une partie de la Ville dans un autre, & vingt ou trente Gardes avec leurs Bandolieres, allerent le lendemain au devant d’elle à l’Isle-Bouchard, dans un équipage tres-propre, & ils l’accompagnerent tous en fort bon ordre jusqu’à Richelieu. En passant pardevant le Convent des Minimes de Champigny, elle fut complimentée par le Pere de la Baziniere leur Correcteur, qui luy presenta des Bassins remplis de toutes sortes de fruits. Il faut vous dire les Apprests que l’on avoit faits à Richelieu pour la recevoir. On avoit bordé la Demie-lune de la Porte de Paris, de Mousquetaires fort lestes, qui formoient une espece d’Avant-garde en maniere de Croissant. Au bout du Pont, Mr de Reveillon, Seneschal & Maire perpetuel de la Ville, à la teste des autres Officiers, paroissoit appuyé sur la Barriere, & sur les deux costez du Pont-dormant, les Avocats & les Procureurs s’estoient tous rangez selon leur rang jusque sous le Pavillon de la grande Porte. Les quatre Echevins de la Ville tenoient un superbe Dais, pour le presenter à Madame la Duchesse de Richelieu, afin de la conduire à la grande Eglise. Au bout de la premiere Place, qui n’a pas moins d’étenduë que la Place Royale, & dont les Pavillons sont presque aussi magnifiques, à l’entrée de la grande ruë, on avoit élevé un Arc de triomphe, composé d’une grande Porte dans le milieu, & de deux plus petites aux costez, sur le frontispice desquelles on avoit posé trois Tableaux, garnis de festons de verdure & de fleurs, ainsi que toute l’Architecture. Comme le dessein de cette agreable Feste rouloit entierement sur la joye que toute la Ville avoit de l’heureux Accouchement de Madame la Duchesse de Richelieu, on avoit representé dans le Tableau du milieu, l’Honneur & la Fecondité, qui soûtenoient trois Chevrons brisez, & qui les appuyoient sur un Cube, qui est le Hyerogliphe de la Fermeté, pour marquer l’affermissement de l’ancienne Maison de Richelieu, par l’heureuse fecondité de son Illustre Duchesse. L’Honneur estoit figuré par un Heros couvert d’un Manteau de pourpre, appuyé sur une demie pique, & environné de laurier ; & la Fecondité par une jeune Femme avec un Manteau fourré d’hermines, & bordé de Fleurs de lis, dont on sçait que sont composées les Armes de Madame la Duchesse de Richelieu.

Cette Figure avoit d’autres embellissemens qui convenoient au sujet, & qui faisoient d’autant plus connoître le zele des Habitans, que tout y marquoit l’esperance qui les flate, de voir bientost naître un Fils de cet heureux Mariage. Sur le Cube au dessous des Armes de Richelieu, soûtenuës comme je l’ay déja dit, par l’Honneur & par la fecondité, on lisoit cette Devise Latine.

His fulta manebunt.

Au revers du Tableau, dans un Manteau Ducal couronné d’une Couronne Ducale, & soûtenu par deux Armes, on avoit écrit ces Vers, qui expliquoient la Devise.

Jusques icy la France a toûjours veu l’Honneur
De nos fameux Armands soûtenir la grandeur ;
Mais de peur qu’à la fin leur beau Nom ne perisse,
Le Destin veut encor que la Fecondité
 Par le moyen d’une jeune Beauté.
 A cet honneur heureusement s’unisse,
Afin de leur donner une Posterité
Qui florisse toûjours, & jamais ne finisse.

Les deux autres Tableaux marquoient les temps de la conception & de la naissance de la petite Mademoiselle de Richelieu, qui sont les mois de Septembre & de Juin. Dans l’un, on avoit representé d’un costé l’Equinoxe de l’Automne, par une Femme tenant des Balances, qui avoient dans leurs Bassins, au lieu de poids, deux Globes à demy éclairez par le Soleil ; & de l’autre costé on avoit écrit cette Devise, Consultò non forte. Tout avec poids, rien par hazard.

Elle estoit expliquée en Vers Latins au revers de ce Tableau. Dans le troisiéme, on avoit peint d’un costé le Solstice d’Esté, & on l’avoit figuré par un Homme couronné d’Epics de Bled, ayant le Zodiaque avec le Signe de la Balance sur la teste, & tenant le Globe de la Terre, dont les deux tiers estoient éclairez par le Soleil. De l’autre costé on lisoit cette Devise. Optatæ spes maxima prolis.

Quand on me voit, la moisson est bien proche.

On l’avoit encore expliquée par deux Vers Latins, sur ce que la naissance d’une Fille fait attendre un Fils de Madame la Duchesse de Richelieu.

Au milieu de la mesme ruë, on avoit dressé un Piédestal de huit à neuf pieds de hauteur, qui renfermoit un tonneau de Vin, d’où sortoit une Fontaine à deux tuyaux ; & sur ce Piédestal sur quatre grosses boules, un Obelisque de vingt-quatre à vingt-cinq pieds d’élevation, le tout feint de marbre. Le Piédestal estoit quarré, & des deux costez de la ruë Traversaine, on avoit peint dans chaque façade les Fleuves de Mable & de la Veude, qui par les trous de leurs Urnes versoient le Vin qui estoit renfermé dans le Piédestal. Dans les deux autres faces, dont l’une regardoit la Porte de Paris, & l’autre celle du Chateau, il y avoit des Inscriptions en Vers, dans l’une desquelles la Veude, qui n’est pas si voisine de Richelieu, que le Mable qui en arrose les murs, luy parloit de cette sorte.

Ne soyez pas surpris, ô Mable trop heureux,
De me voir accourir dans ces aimables lieux
 Pour joindre mon Urne à la vôtre.
 Est-ce aller contre son devoir
 Que d’abandonner tout, pour voir
Une Duchesse Illustre, & telle que la nostre ?
Loin de me rebuter, tendez moy vostre main,
Et pour mieux recevoir un Objet si divin,
 Unissons-nous, meslons nos ondes,
Et souffrons que Bacchus nous change mesme en vin,
 Nous en aurons un plus noble destin,
 Et nos vertus en seront plus fecondes.

La réponse que luy faisoit le Mable, estoit conceuë en ces termes.

 Dans nostre publique allegresse
J’approuveray toûjours les curieux transports
 Qui t’ont fait sortir de tes bords
Pour venir admirer nostre Illustre Duchesse.
Ton dessein me ravit, poursuis, il t’est permis,
L’esprit qui te l’inspire est trop de nos Amis,
Et pour te rebuter ton offre est trop honneste.
 Acheve, & que rien ne t’arreste,
 Le Ciel tient pour ses Ennemis
 Les Ennemis de cette Feste.

Au haut de cet Obelisque, on voyoit éclater un Soleil, qui est l’Hierogliphe de nostre Auguste Monarque, que la Ville de Richelieu, pour mille raisons, & generales & particulieres, n’avoit garde d’oublier dans une occasion publique comme celle-là. Ce Soleil estoit posé au dessus d’une Medaille du Roy, le Globe du Ciel entre deux, & celuy de la Terre au dessous de la Medaille de ce Prince, avec cette Devise, Hic Cælo, Iste Solo. Elle estoit expliquée par ces quatre Vers.

Tout ce vaste Univers ne charmeroit personne
 Sans l’Astre qui fait les beaux jours,
 Et sans LOUIS qui nous les donne,
Nos Festes languiroient, ou n’auroient point de cours.

Cette Devise & ces Vers estoient repetez dans l’Angle opposé, excepté qu’au lieu de ces mots, Hic Cælo, Iste Solo, on y avoit mis ceux-cy, Dignus uterque præest. Les deux autres faces faisoient paroistre dans un Ciel fort serein quantité d’Etoiles éclatantes qui entouroient un Dauphin celeste, avec ces mots, Sic Regia posteritas, & ces autres Vers, qui en donnoient l’explication.

La France à l’avenir ne craint plus les desastres,
Ce Royaume jamais n’eut un destin pareil,
 Son Roy brille comme un Soleil,
 Et ses Enfans comme des Astres.

Au dessous de la Médaille du Roy, on avoit representé deux ou trois rayons, qui venoient du corps du Soleil, qui servoit de Devise à ce grand Prince, & qui dissipoient un gros nuage, avec ces mots pour Mr le Duc de Richelieu, Post nubila sudum. Ils estoient expliquez par les Vers qui suivent.

Dés qu’Armand paroistra dans ce sejour charmant
 Avec nostre Illustre Duchesse,
 Il ne luy faudra qu’un moment
Pour dissiper chez nous quatorze ans de tristesse.

Il y avoit ce mesme nombre d’années que Richelieu n’avoit possedé ce Duc. Dans l’Angle opposé, on avoit peint pour Madame la Duchesse, un Alcion au milieu de la Mer, avec cette Devise, Tempora tuta notat, expliquée par ces Vers.

 Nous ne craignons point la tempeste,
On va joüir d’un temps & fort calme & fort doux ;
 L’Alcion a paru chez nous,
L’allegresse y revient, & l’orage s’arreste.

A la troisiéme face, on avoit peint un Phenix, pour marquer l’esperance que l’on a qu’il naistra bien-tost un Garçon de Madame la Duchesse, avec ces paroles, Digna ex prole resurgit.

Armand dans sa Posterité
Qui sera fameuse en l’Histoire,
Y va vivre une éternité
Tout couvert d’honneur & de gloire.

Dans la face opposée à cette derniere, on avoit peint pour Devise à Mademoiselle de Richelieu, une Aurore naissante, avec ces mots, Nuntio magna.

 Chacun en moy trouve déja des charmes,
Mais avec tous les dons que j’ay receus des Cieux,
Un Frere va venir qui fera par ses armes,
Plus de progrés encor que n’en feront mes yeux.

Au dessous de toutes ces Devises, dans une des faces de cet Obelisque, on avoit representé en bas relief un Bacchus, que les Anciens appelloient Liber, pour nous figurer la Franchise, dont les Habitans de cette petite Ville, qui peut passer pour le Bijou de la France, joüissent sous les auspices heureux de Loüis le Grand. Ces Vers estoient au dessous.

 Pour le repos tout le monde soûpire,
 De nos travaux il est le but charmant.
Graces au GRAND LOUIS, on l’a sous son Empire,
Et Richelieu sur tout en joüit pleinement ;
Mais bien loin que jamais cette Ville consente
 A s’oublier dans sa felicité,
Au service du Prince elle est ferme & constante,
Et connoistra toûjours qu’elle n’est florissante
 Que par sa liberalité.

Dans l’Angle opposé, on avoit aussi representé en bas relief une jeune Nymphe couronnée de fleurs, en posture de Danceuse, tenant une Lyre, avec un air extremément guay, pour nous figurer l’allegresse publique, avec ces Vers.

En quelque endroit que ma Duchesse
Fasse briller ses doux appas,
On verra toûjours l’Allegresse
Préceder ou suivre ses pas.

Dans les deux autres Angles, on voyoit de petits Faunes & de petits Satyres joüans de la Fluste & du Tambour de Basque, dançans & gambadans à leur son. Cette Inscription Latine estoit écrite en gros caracteres au bas de l’obelisque.

S.P.Q. Rich.

Hanc Pyramidem ad honorem & gloriam fausti Ducissæ suæ in hanc urbem ingressus erexerunt sub Prætore integerrimo Philippo Querard Domino de Réveillon, anno salutis m. dc. lxxxv.

Au bout de cette grande ruë, à l’entrée de la seconde Place, on voyoit suspenduës en l’air les Armes de la Maison de Richelieu, faites d’Illuminations, avec ces deux Vers au dessous écrits en lettres de feu.

Sous ces Chevrons fameux
Nous vivons tous heureux.

Enfin au milieu de cette Place on avoit dressé un Feu d’artifice dont voicy le Plan. Le Theatre estoit disposé en Arc de Triomphe. Il y avoit trois portiques sur chacune de ses faces. Elles avoient dix-huit pieds chacune, & elles estoient toutes ornées de Festons de Verdure. Le Corps de la Machine occupoit douze pieds en quarré, & representoit en Illumination le pompeux Palais de Richelieu, suivant les veuës de ses quatre faces. Celle de devant qui faisoit voir au travers de son Dome & de sa Terrasse une maniere de Colomne Trajane illuminée, semée de chiffres & des Armes de Mr le Duc & de Madame la Duchesse de Richelieu, & qui surpassoit la hauteur du Chasteau de deux ou trois pieds, faisoit voir dans le collier de son Chapiteau cette inscription en feu : Heroum fœcunditati ; Du milieu du ceintre du grand Portique de chaque face du Theatre, pendoit un Quadre doré dans lequel estoient representées en illumination des Emblêmes, qui avoient du rapport à quatre Devises écrites en lettres de feu sur chacune des quatres faces du Theatre. La premiere sur l’aisle droite du costé de l’Eglise representoit un Soleil de Feu chargé dans son fond des Armes de Mr le Duc de Richelieu, avec ces mots illuminez, Regali lumine splendet. Elle faisoit allusion à celle du Roy, & signifioit que les vertus de ce Duc sont toutes Royales. La seconde sur l’aisle gauche representoit les Armes de Madame la Duchesse de Richelieu, qui sont des Fleurs de Lys & des Hermines avec ces paroles ; Gemino candore nitescit. La troisiéme faisoit voir les chiffres de l’un & de l’autre, avec deux Cœurs dans l’entrelas des Chiffres, qui estoient accompagnez de ce Vers.

Plus nos Cœurs sont serrez, plus leurs liens nous plaisent.

La quatriéme estoit composée d’un Soleil lançant ses Rayons sur deux Miroirs ardens opposez l’un à l’autre, avec un Amour qui allumoit son flambeau au point d’activité des deux miroirs. Cét autre Vers estoit l’ame de cette Devise.

Ainsi l’Amour s’allume dans nos Cœurs.

Tout le Theatre estoit balustré de lances & de Pots à Feu, de Petards & de Saucissons, avec cinq grands partemens de Fuzées, un à chaque coin du Theatre, & le cinquiéme au milieu. Avant que d’allumer le Feu, on avoit preparé une douzaine de grosses Fuzées chargées d’artifice, pour estre le signal aux Fauconneaux & à la Milice de tirer, comme aussi d’allumer dans cét instant tout le Theatre par les Girandoles des quatre coins & par les Lances à Feu, & de faire joüer tout le reste de l’Artifice dans son ordre. [...]

 

Enfin elle arriva à l'Eglise, où le Clergé l'attendoit sur les marches, devant le magnifique Portail de ce beau Temple. Il avoit à sa teste le Superieur de Messieurs de la Mission, qui la harangua en luy presentant l'Encens & l'Eau Benite. Ensuite il la conduisit au Choeur, & l'on y chanta le Te Deum & le Benedictus au son de toutes les Cloches, ausquelles douze Fauconneaux, autant de Coulevrines, & toute la Mousqueterie répondirent. [...]

 

[Après cette cérémonie, la duchesse gagna le château,] où elle fut receuë splendidement par Mr & Madame de Sacilly. La douce Harmonie des Violons & des Hautbois succeda aux bruits Guerriers de l'Artillerie, des Tambours & des Trompettes, dont les Echos qui y sont admirables, avoient long-temps retenty de tous costez. [...] [La journée s'acheva par un feu d'artifice et des illuminations dans toute la ville.]

 

[...] [Le lendemain] Mr le Duc & Madame la Duchesse de Richelieu, Madame la Comtesse d'Acigné, Mademoiselle sa Fille, Mrs les Abbez d'Acigné & de Sacilly, & plusieurs autres personnes considerables qui les suivirent, allerent visiter les Religieuses de la Compagnie de Nostre-Dame. Ces Dames les surprirent agreablement quand aprés qu'ils eurent visité toute la Maison, elles les firent entrer dans une Salle où il y avoit un Theatre tout dressé. Il n'y furent pas plûtost placez que l'on tira un Rideau qui le cachoit, & les Pensionnaires commencerent une des Tragedies de l'Illustre Mr de Corneille, que ces Dames leur avoient fait apprendre secretement. Si la surprise fut grande, les applaudissemens que l'on donna aux Acteurs furent encore plus grands. [...]

[Mort de Mr l’Abbé Siri, Historiographe du Roy]* §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 243-245

Cette mort a esté suivie de celle de Mr l’Abbé Siri, Historiographe du Roy. Il avoit esté de la confidence de feu Mr le Cardinal Mazarin, & employé par luy en beaucoup d’Affaires, aussi-bien que Mr l’Abbé Ondedei, qui est mort Evesque de Frejus. Il possedoit l’Abbaye de Valmagne, qu’il resigna il y a quelques années à Mr le Cardinal de Bonzi, avec l’agrément du Roy, s’en estant conservé le revenu. Il avoit une grande connoissance des Affaires generales de l’Europe ; aussi venoit-il peu d’Etrangers de marque en France, qui ne luy rendissent visite ; ce qui estoit cause qu’on en voyoit souvent sa maison remplie, aussi-bien que d’Ambassadeurs & d’Envoyez. Il est mort âgé de 77. ans, aprés avoir donné au Public plusieurs Volumes de l’Histoire de ce Siecle, qu’il a composez en Italien.

[Entrée de l’Ambassadeur de Pologne à fontainebleau, & ses Audiances] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 266-269

Mr le Comte de Wielopolski Grand Chancelier & Ambassadeur Extraordinaire de Pologne, estant arrivé à Paris, il y a environ un mois, y est demeuré incognito, jusqu’à ce que tout ait esté préparé pour son Entrée publique. Il la fit le 17. de ce mois à Fontainebleau, s’estant rendu à Moret, où Mr le Maréchal Duc de Duras, & Mr de Bonneüil Introducteur des Ambassadeurs, allerent le prendre avec les Carrosses du Roy, de Madame la Dauphine, de Monsieur, de Madame, & ceux des Princes & Princesses du Sang. Il arriva sur les cinq heures aprés midy par la Heroniere, accompagné de vingt-quatre Estafiers, de douze Pages à cheval, de deux Trompettes, de deux Gardes vétus à la Polonoise, avec des Haches, qui marchoient à la portiere du Carosse, de trente à quarante Gentilshommes, tous vétus à la Françoise, & de trois de ses Carosses qui estoient fort magnifiques. Il passa devant la Cascade du grand Canal, fit le tour du Parterre du Tibre, & fut conduit à l’Apartement qui luy avoit esté préparé. Il y fut complimenté au nom du Roy par Mr le Duc de Saint Aignan, premier Gentilhomme de la Chambre en année ; au nom de Madame la Dauphine par Mr le Maréchal de Belfonds son premier Ecuyer ; au nom de Monsieur par Mr le Marquis de Chastillon premier Gentilhomme de sa Chambre ; & au nom de Madame par Mr de Grave Maistre de la Garderobe de Monsieur.

[Continuation des Prieres, selon l'usage d'Italie, faites aux Theatins] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 272-274Premier article traitant de la musique chez les Théatins de Paris.

Les Theatins continuent tous les Mercredis leurs Prieres pour les Morts, selon leur usage en Italie. Elles commencent par un De profondis que ces Peres chantent ; ensuite on chante un Pseaume, ou un Motet qui convient à cette pieuse Institution. Un predicateur monte aprés en Chaire, & fait une petite Exhortation d'un peu plus d'un quart-d'heure. Elle est suivie d'un autre Motet, aprés quoy l'on donne la Benediction du S. Sacrement. Il y a de grandes Indulgences accordées par le S. Siege, à ceux & à celles qui y assistent. Les Predicateurs sont tous gens choisis ; & celuy qui fait la Musique, & qui a pris ce qu'il y a de plus excellens Musiciens dans Paris, est ce fameaux Romain Mr Laurenzani, qui estoit Maistre de la Musique de la feuë Reine. Il avoit esté dans les premieres & plus fameuses Chapelles d'Italie, & seroit dans la principale de Rome, si son affection pour la France, & plus encore un attachement particulier pour le Roy, dont cet excellent homme a connu d'abord les qualitez merveilleuses, ne luy avoient fait negliger tout ce qui pouvoit l'éloigner de ce grand Prince, quelque avantage qui pust luy en revenir. Le grand monde qui se trouve à ces Prieres, marque mieux que toutes sortes d'Eloges, combien on est satisfait de cette Musique.

[Abjuration de Mademoiselle Bernard de Rouën]* §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 274-275

Je ne doute point que vous n’appreniez avec beaucoup de plaisir, que Mademoiselle Bernard de Roüen, pour qui les galants Ouvrages qui ont paru d’elle vous ont donné tant d’estime, a fait Abjuration depuis huit jours. Comme elle a infiniment de l’esprit, il est aisé de juger qu’elle n’a renoncé aux erreurs où sa naissance l’avoit engagée, qu’aprés une serieuse & longue recherche de la verité.

[Tout ce qui s'est passé depuis deux mois touchant les affaires de la Religion Pretenduë Reformée] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 292-295

[Dans ce long article, sont relatées les circonstances conduisant à l'abjuration des Protestants de Saint-Jean d'Angely. La première partie fait état des tractations passées entre les membres de la communauté protestante et les autorités ecclésiastiques de l'évêché de Saintes (p. 274-292).]

 

[...] [Pour rendre cette action plus solemnelle, on fit une procession.] Mr Mathias Bar, Curé Vicaire perpetuel de la Paroisse, avec quelques autres Ecclesiastiques, estoit précédé de la Croix & de la Baniere. Le Pere Prieur de l'Abbaye & toute sa Communauté marchoient ensuite, ayant M. l'Evesque à leur teste en habits Pontificaux. Mrs les Magistrats les suivoient vêtus de leurs Robes de Palais, avec un tres-grand concours de peuple. Pendant la Procession, on continua de chanter le Veni Creator que quatre Chantres de l'Abbaye avoient entonné au pied du grand Autel, & on le finit à la porte du Palais. Le Ministre & les autres Religionnaires, y attendoient M. l'Evesque, qui leur témoigna sa joye de les voir dans de si heureuses dispositions, & leur demanda si c'estoit de bon coeur qu'ils se resolvoient à abjurer l'Heresie dans laquelle ils avoient si long-temps perservéré. Alors le Ministre & tous les autres répondirent qu'ils faisoient cette Action sans nulle contrainte, & d'autant plus volontiers qu'on les avoit convaincus de l'erreur où ils vivoient. Cela estant fait, M. l'Evesque les fit tous mettre à genoux, & aprés qu'ils eurent abjuré par la bouche du Ministre à haute & intelligible voix, ils furent conduits avec le corps de la Procession au mesme ordre qu'on estoit venu les prendre, en chantant les Pseaumes, In exitu Israël ; Super flumina Babilonis, & Miserere mei Deus. La Procession s'arresta à la grande porte de l'Eglise, & M. l'Evêque de Saintes leur ayant fait une Exhortation tres-touchante, leur donna à tous l'Absolution de leur heresie, aprés quoy ils furent introduits dans l'Eglise par ce Prelat, qui entonna le Te Deum. On chanta les autres Prieres en action de graces [...].

A l’Autheur du Mercure Galant §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 308-316

Je ne puis mieux vous apprendre ce qui s’est passé en Dauphiné, à l’égard des Pretendus Reformez de cette Province, qu’en vous faisant part d’une Lettre qui m’a esté adressée. En voicy la Copie.

A L’AUTHEUR
du Mercure Galant.
A Grenoble, le 6. Octobre 1685.

Vous loüez incessamment nostre Auguste Monarque, parce qu’incessamment la matiere vous y convie ; mais avoüez, Monsieur, que parmy tout ce qu’il fait, qui merite des Eloges, ses soins & sa vigilance pour étouffer l’Heresie dans son Royaume, sont des sujets admirables pour les luy attirer. Il fait comme ces Fils aisnez, qui travaillent continuellement à reparer les ruines de leur maison, à remettre dans leur Famille les biens dispersez, à rappeller les Freres égarez, & à soûtenir l’éclat de leur race. Comme il est le Fils Aisné de l’Eglise, on voit bien qu’en cette qualité il s’applique à redonner à cette bonne Mere les Enfans qu’elle avoit perdus, à les remettre en estat de recevoir d’elle ses caresses & ses benedictions, & à leur inspirer l’obeissance & le respect que les veritables Chrestiens luy doivent. On ne trouve plus de rebelles ny d’obstinez ; toutes les Provinces retentissent du bruit des Conversions frequentes. Ce n’est plus cette France qui se déchiroit elle-mesme ; ce ne sont plus des Citoyens acharnez à se perdre ou à se corrompre ; il n’y a plus ny interest, ny politique, ny ménagement ; les violences & les contraintes n’ont plus de lieu ; ce n’est qu’avec des sentimens de pieté & de connoissance que les Pretendus Reformez courent à la Religion de leurs Peres. Ils ne se rendent qu’aprés avoir esté instruits ; ils écoutent la grace, & enfin tout se fait si doucement & si agreablement, que l’on n’entend parler, ny de promesses, ny de bienfaits, ny de recompenses, pour des changemens aussi justes que jusqu’icy ils ont paru difficiles. Je me suis volontiers chargé de vous apprendre que c’est de cette maniere que ceux de la Religion Pretenduë Reformée de Dauphiné ont fait leurs Conversions, & mesme presque par tout en Corps de Communauté. Ceux du Bailliage de Briançon ont commencé. Monsieur le Bret nostre Intendant, qui s’est trouvé sur les lieux, a admiré ce zele, & l’a écrit avec étonnement. En effet, qui n’en auroit de voir les Vallées de Pragella, de Queyras & de Cesanne, où à peine on pouvoit trouver trois ou quatre Maisons Catholiques, l’estre toutes aujourd’huy ; d’y voir triompher la veritable Religion, aprés qu’elle en a esté bannie pendant un Siecle ? Quinze mille personnes y ont fait leur Abjuration en moins de huit jours. Le Bailliage d’Ambrun a suivy un si bel Exemple. La Ville de Dye, où l’Heresie avoit toûjours le plus triomphé, ne voit plus dans son enceinte aucun Religionnaire, bien qu’il y en eust huit mille. Les Villes de Gap & de Montelimart se sont renduës en Corps de Communauté. Le Bourg de Menei en Triéves, où depuis six vingt ans il n’y a eu aucun Catholique, en est aujourd’huy remply. Misoen, la Grave, le Mont Delans, dans le Pays d’Oysans, sont revenus de mesme. Tout estoit plein d’Heretiques. La Mure, qui est encore un grand Bourg, & dont les Habitans estoient à moitié de la Religion Pretenduë Reformée, n’en a plus aucun, & tout cela s’est fait dans le mois de Septembre. La Ville de Romans n’en a plus gueres. Quel Prodige ! Mais il n’est jamais d’obstacles pour les Victoires deLoüis le Grand. Ses Conquestes pour le Patrimoine de l’Eglise, sont aussi promptes que celles qu’il a faites pour le sien. Je ne vous dis rien encore de Grenoble, où quantité de gens de merite, de qualité & d’esprit, se font instruire. Ainsi bien-tost j’espere vous faire part des grandes & fameuses Conversions qui s’y preparent. Déja le second de ce mois, Noble Jacques Dyse Seigneur de Saleon, de Chasteauneuf & de Mazam, Conseiller au Parlement de Grenoble, a fait Abjuration. Je suis, Monsieur, vostre, &c.

ALLARD, ancien President en l’Election de Grenoble.

[Controverse de M. Alexis du Buc Theatin]* §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 320-324

Le Pere Alexis du Buc Theatin, qui depuis plusieurs années a fait un si grand nombre de Conversions, en a fait encore beaucoup depuis quinze jours. Voicy par quelles paroles il finit sa Controverse le Dimanche 21. de ce mois, en s’adressant aux Pretendus Reformez.

Enfans de la Terre ; Nouveaux venus, qui avez presché jusqu’a present des Nouveautez scandaleuses & des Dogmes inconnus à toute l’ancienne Eglise ; qui n’avez debité que des songes & des calomnies, il est temps de sonner la retraite, de changer de langage, & de vous réunir au Corps de J. C. dont vous vous estes separez avec tant d’injustice. Toutes choses vous invitent à cette réünion, le silence de l’Ecriture & des Peres sur vos Articles ; la mauvaise foy de vos Ministres qui vous trompent & vous séduisent depuis plus d’un Siecle ; l’exemple de vos Freres qui rentrent en foule dans l’Eglise ; vostre propre Salut qui est impossible dans le Schisme où vous vivez. Ajoûtez à tous ces Motifs les Souhaits du plus grand Monarque de la Terre, à qui vous devez tout accorder, puis qu’il ne s’agit que de vous attirer à la profession de la verité. Dieu l’a suscité en nos jours pour détruire l’Heresie dans le sein de ses Etats, & pour y faire fleurir la seule veritable Religion Catholique, Apostolique & Romaine, qui a esté l’unique Religion de tous les Roys ses Augustes Predecesseurs. C’est à ses pieds que ce Monstre furieux dont les mouvemens ont esté si violens & si pernicieux à cette Monarchie, va estre abbatu. Le Ciel luy a reservé cette gloire, & dans peu par sa Puissance, cette Eglise qui se dit Reformée, qui a esté pendant douze cens ans invisible dans l’Univers, sera heureusement invisible en France. Que la pensée d’une Action si glorieuse, ô grand Roy ! remplisse vostre cœur de joye. Dieu qui a pris plaisir à vous revêtir de sa force pour une si grande entreprise, sera le Protecteur de vostre Personne Sacrée d’une maniere toute particuliere. Il vous comblera de ses faveurs, il étendra les limites de vostre Royaume, en vous assujettissant par des Conquestes glorieuses ces Nations Infideles qui troublent le repos de ses enfans. Il affermira Vostre Sceptre par le nombre de vos Descendans ; il élevera Vostre Authorité par dessus celle des plus grands Monarques du Monde : Enfin tous les Ennemis de la Verité seront dans l’humiliation & dans la douleur, & le Peuple fidele & obeïssant joüira d’un bon-heur qui sera suivy des Benedictions du Ciel.

[Devise du fils de Mr Mazuier]* §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 342-344

Quelque difficile que soit la Conversion des Heretiques, nous en voyons aujourd’huy la France presque entierement purgée. Ce miracle est dû au zele, à la pieté, & aux soins du Roy, & il suffit que ce grand Monarque vive pour achever un si surprenant Ouvrage. C’est ce qui a esté parfaitement bien representé par une Devise, dont le Corps est un Soleil arresté par l’ordre de Josué, combattant contre les Amalecites, Ennemis du Peuple de Dieu, avec ces mots.

Stantem victoria certa sequetur.

La pensée en est heureuse, & les quatre Vers suivans l’expriment d’une maniere également noble & naturelle.

Contre les Ennemis envieux de sa gloire,
Du Soleil autrefois le Ciel fixa le cours ;
 Nous sommes seurs de la victoire,
Si d’un autre Soleil il prolonge les jours.

L’Autheur de cette Devise est un jeune Homme de qualité, de dix-sept ans, d’un esprit rare, & d’une application extraordinaire ; c’est le Fils aisné de Mr le Mazuier, Procureur General au Parlement de Toulouse, dont le zele pour les interests du Roy & de la Religion est assez connu. Il a soûtenu avec applaudissement une de ces Theses universelles, que si peu de personnes entreprennent de soûtenir.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 350-351.

L'esperance de se revoir libres, est la seule chose qui console les Amans qui aiment des insensibles. C'est ce que vous trouverez exprimé dans les paroles du second Air que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Quel chagrin, Iris, d'estre tendre, [doit regarder la page 351.]
Quel chagrin, Iris, d'estre tendre
Lors qu'on trouve un Objet qui ne veut pas se rendre.
Ce que vos yeux ont de beauté
M'est devenu cent fois funeste ;
Mais le seul espoir qui me reste,
C'est qu'à la fin mon cœur va vivre en liberté.
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[Divertissemens de Fontainebleau] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 352-353

 

La cour est toûjours à Fontainebleau, où elle doit passer une partie du mois de Novembre. Les Chasses, les Promenades, le Jeu, les Bals, la Musique, & les Comedies Françoises & Italiennes, y servent de divertissement. Le Roy s'y trouve peu, & fait son unique attachement des affaires de son Etat. On y a dancé un Balet intitulé, Le Temple de la Paix. Le Sujet & les Vers sont de Mr Quinaut, & la Musique de Mr de Lully. Ce Balet a esté trouvé admirable, tant pour l'invention & les Vers ; que pour l'execution. On en a déjà donné plusieurs Representations, & elles continueront tant que la Cour sera à Fontainebleau.

[Comédies] §

Mercure galant, octobre 1685 [tome 10], p. 353-356

 

Quant aux Amours de Venus & d'Adonis, qu'on a representez à Paris, je vous avouë, puisque vous le sçavez, que j'ay fait cette Tragedie avant que d'avoir commencé à travailler aux Lettres que je vous écris tous les mois. C'estoit dans un temps où le langage du coeur doit estre naturel à tous les hommes. Ainsi, l'on ne doit pas s'étonner si cette piece a esté trouvée si tendre. Elle eut alors un fort grand succés, quoy que ses machines ne fussent accompagnées, ny de dances, ny de voix. Cependant comme on a accoustumé d'en voir à toutes les pieces où il y a du spectacle, & qu'elles paroissent nuës sans cet agrément, on y a mis des intermedes, dont la Musique a esté faite par Mr Charpentier, qui depuis beaucoup d'années travaille avec succés à ces sortes de choses. On y a aussi meslé une Plainte, qui a charmé tous ceux qui l'ont entenduë, & qui se connoissent en Musique. Les Comediens de leur costé s'estant parfaitement bien acquittez de leurs Roles, & en ayant receu des applaudissemens, en ont fait donner à la Piece ; qui après six Representations dans une seule semaine, faisoit esperer un assez heureux succés, si elle n'eust point esté interrompuë par le depart des Acteurs, qui furent mandez à Fontainebleau pour le divertissement de la Cour. L'accueil favorable qu'on a fait à cette Piece, a engagé les Comediens a remettre sur le Theatre Le Mariage de Bacchus, que je fis deux ans apres les Amours de Venus & d'Adonis. Il s'y trouve une chose qui ne s'est encore veuë que dans Amphitrion, c'est à dire, du Comique meslé parmy le grand Serieux. Je ne diray rien pour le défendre, il suffit de réüssir pour estre justifié. Le Heros de cette Piece n'est rien moins que ce que beaucoup de personnes pensent, Bachus estant marqué dans la Fable comme un grand Conquerant, qui devoit estre toûjours beau, toûjours jeune, & toûjours vainqueur. Il y a quelques Machines qui servent d'embellissement à cet Ouvrage, où l'on voit le débarquement de Bacchus dans l'Isle de Naxe, avec toute sa suite ; mais son principal ornement consiste dans le grand nombre d'Agrémens, qui estant tous tirez du fond du sujet, ne sont pas seulement dans les Entractes, mais encore en beaucoup d'endroits du corps de la Piece. Lors qu'elle parut d'abord sur le Theatre du Marais, la Musique en avoit esté faite par le fameux Mr Moliere, qui travailloit autrefois pour les divertissemens de Sa Majesté. Mais comme il a falu se restraindre au nombre de voix perscrit, on a fait faire de nouveaux Airs par Mr Laloüette, Eleve de Mr de Lully ; & qui ayant toutes ses manieres, doit avoir travaillé selon le goust du Public.