1686

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1686 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1]. §

Avis §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. I-XXII.

AVIS.

Il y a long-temps que non seulement on ne trouve plus rien pour perfectionner les Arts, & les Sciences, mais encore pour faciliter aux hommes les moyens de s’instruire à peu de frais de tout ce qui arrive de jour en jour touchant ces Arts, & d’apprendre ce qui se passe dans toute la Terre parmy le Monde Politique & Galant. On estoit mesme persuadé qu’on ne pouvoit plus rien trouver de nouveau là dessus, & on le seroit encore, si quelques personnes distinguées dans leurs Provinces, & quelques Etrangers n’avoient fait connoistre le contraire, en demandant ce qu’on n’a crû leur devoir accorder qu’aprés avoir connu par leurs Lettres fort souvent reïterées, leur perseverance à souhaiter toûjours ce qu’ils avoient demandé. Ils ont prié que l’on donnast tous les mois une Liste des belles Estampes qui se gravent, & des Tableaux sur lesquels on les tire, avec les Noms des Graveurs, & du Marchand qui les débite, le prix des mesmes Estampes, & plusieurs autres choses qui concernent cét Article ; & enfin ce qu’on verra dans ce qu’on s’engage, sur la fin de cét Avis à donner tous les Mois sur ce sujet. Cependant on doit dire à l’avantage de ceux qui ont fait cette demande, que le Public en tirera une utilité plus grande qu’ils ne se sont peut-estre imaginez, & qui ne tombera pas seulement sur les Curieux d’Estampes, mais encore sur les Peintres, Sculpteurs, Graveurs, Architectes, Cizeleurs, Brodeurs, Menuisiers, Serruriers, Jardiniers, & generalement presque sur tous ceux qui professent quelque Art, ce qui augmentera de beaucoup le débit que les Imagers font de leurs Estampes. Ceux qui professent ces Arts ne doivent pas seuls se réjoüir de l’Avis qu’on leur donnera des Estampes nouvelles, puisque les personnes devotes, & les Religieux, & Religieuses, qui aiment les Ouvrages de Pieté, n’en doivent pas estre moins satisfaits, aussi-bien que les Curieux, qui preferent une Estampe correcte, tirée sur un beau Tableau qu’ils ne peuvent avoir, à un Tableau estropié, & mal peint. Ainsi cét Avis fera d’autant plus de plaisir, qu’on n’a point jusques icy affiché les Estampes, soit à cause de leur grand nombre, soit pour quelque autre raison. Les Estampes sont d’une utilité à laquelle on n’a peut-estre jamais assez fait de reflexion. Elles apprennent l’Histoire, & les actions qu’elles representent parlent aux yeux, de mesme que les pensées dans l’Impression. Ceux qui ne sçavent pas lire, & ceux qui ne veulent pas s’occuper à une longue lecture d’Histoires, voyent d’un coup d’œil par le moyen des Estampes, ce que l’Impression ne sçauroit representer, & qu’on ne pourroit faire entendre que par de fort longs discours ; & mesme ce ne seroit pas sans beaucoup de peine. Par les Estampes on a les Portraits des Grands Hommes, & elles en rendent la memoire eternelle. Rien ne sera plus avantageux aux Etats qui font graver ce qu’il y a de plus remarquable chez eux, que l’Avis qu’on en donnera, & par consequent rien ne sera plus glorieux à la France qui est aujourd’huy l’Etat le plus florissant de l’Univers. Ses merveilles penetrent par les Estampes jusque dans les Climats les plus reculez. On y voit ce que la France a de beau ; ses Festes, ses somptueux Edifices, ses Jardins delicieux, ses Conquestes, ses Modes, ses Paysages, les Portraits de ses grands Hommes, & tout ce que le Burin peut representer. Comme les Peuples de ces Pays éloignez voyagent rarement en ceux-cy, à moins que leurs Souverains n’en envoyent quelques-uns pour venir admirer le plus grand Roy qui ait jamais porté le Sceptre de France ; l’habitude qu’ont ces Peuples reculez à demeurer chez eux, fait que nostre Histoire & nos merveilles ny seroient point sceuës sans les Estampes, non seulement parce que ces Peuples sortent rarement de chez eux, mais encore parce que toutes les Langues de l’Europe leur sont inconnuës, & que dans leur Païs mesme, plusieurs ne sçavent pas lire la Langue qu’ils parlent. Ainsi il seroit bien difficile à ces peuples d’apprendre nostre Langue pour sçavoir nôtre Histoire ; mais comme chez toutes les Nations du Monde les yeux ont le mesme langage, & qu’on n’a qu’à les ouvrir pour voir également dans tous les Pays les objets qui sont presentez à la veuë, on peut dire que ce n’est que par les Estampes seules qu’on peut voir par toute la Terre ce que l’on veut representer. Elles parlent également par tout aux yeux, & tous les yeux voyent également ce qu’elles representent. Ainsi rien n’est plus agreable, rien n’est plus utile, & rien n’instruit en moins de temps, sans qu’il soit besoin d’aucune étude pour apprendre à voir ce qu’elles contiennent. Puisque les Estampes sont si utiles, & si desirées, on en donnera le premier jour de chaque mois un Catalogue au public de la maniere qu’il le souhaite, c’est à dire séparement du Mercure, afin qu’elles passent plus aisément, & avec plus de diligence dans les Provinces, & dans les Pays Etrangers. Ce n’est pas que cette matiere ne soit entierement du Mercure, & que ce qu’on y a dit quelquefois des Estampes faites sur les Tableaux du Roy, & sur les Ouvrages de Mr le Brun, aussi-bien que de celles qui ont esté gravées par Mr Vandermeulen n’ait donné lieu à l’empressement avec lequel on a demandé ce Catalogue. Ainsi quoy qu’il soit donné séparement pour la commodité du public qui le souhaite, il ne sera distribué qu’avec le Mercure, dont il ne doit estre regardé que comme une partie. Les Etrangers pourront aussi envoyer des Memoires de ce qui se grave chez eux, & on les traitera comme les François mesmes. On marquera le prix de chaque Estampe, les Noms des Graveurs, & de ceux qui débiteront lesdites Estampes ; & l’on fera sçavoir en faveur des Provinciaux, & des Etrangers, celles ausquelles on travaillera, afin qu’ils puissent mander qu’on les leur envoye aussi-tot qu’elles seront achevées & que ce leur soit un moyen facile pour les avoir plûtost, que s’ils ne les faisoient venir qu’aprés avoir sceu qu’elles sont faites. On recevra les Avis de ceux qui manderont leurs sentimens pour en faire de nouvelles qu’ils croiront se devoir débiter, & les Desseins de celles qu’ils seront persuadez qui se pourront vendre en leur Pays ; comme aussi de celles qui y auront esté gravées & qui s’y vendront. On fera un détail du Sujet de chaque Estampe historique, & l’on marquera en quoy les autres pourront estre utiles, & dans quelle veuë elles ont esté faites. On instruira du talent de chaque Graveur, & s’il travaille au Burin, ou à l’Eau-forte, en grand, ou en petit, comme Calot, & s’il fait du Paisage, des Portraits, ou de l’Histoire. Toutes ces choses seront cause que les Imagers feront travailler à un plus grand nombre d’Estampes nouvelles, parce qu’ils seront seurs que ces Estampes estant connuës ils en auront un plus grand débit. Ce Catalogue sera in douze, afin que ceux qui le voudront faire relier avec le Mercure, puissent satisfaire leur envie. Il ne coûtera que cinq sols, & l’on n’en commencera la distribution qu’au premier jour de May, afin que chacun soit averty d’envoyer ses Memoires, & qu’il ait du temps à s’y préparer. On mettra dans le premier, ce qui s’est gravé de plus curieux depuis quelques mois seulement, & l’on ne mettra dans les suivans que les Estampes qui auront paru dans le cours du mois. Comme ce premier Catalogue sera plus long que les autres, on prie ceux qui auront quelques Memoires à donner, de ne pas attendre à la fin d’Avril à les envoyer. Les Memoires qui seront donnez les premiers seront preferez aux autres, & on leur donnera un tour plus étendu, pour faire mieux connoistre les Estampes dont ils parleront. Le Libraire se chargera de faire tenir de ces Catalogues dans les Provinces, & d’en faire les Paquets, de mesme que des Mercures qu’il y envoye.

Le Tombeau du Calvinisme. Sonnet §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 18-20.

Les maux que l’Heresie a causez, ont esté sanglans. Vous en verrez la peinture dans les Vers qui suivent.

LE TOMBEAU
DU CALVINISME.
SONNET.

J’Eus pour Pere l’Orgueil, & pour Mere l’Erreur :
L’Astre sanglant de Mars éclaira ma naissance.
Avec l’Impieté, la Revolte sa Sœur
Prit le soin d’élever en secret mon enfance.
***
Sous un visage doux cachant un mauvais cœur,
Des rivages du Rhin je passay dans la France,
Où par le fer, le feu, le carnage & l’horreur
Je fis jusques aux Rois sentir ma violence.
***
Les plus braves d’entre eux m’attaquerent en vain ;
Trônes, Temples, Autels, tout plia sous ma main ;
Mes coups furent par tout plus crains que le Tonnerre :
***
Mais à la fin, Destins, il faut subir vos loix.
L’on ne pût m’ébranler en quarante ans de guerre :
Et la Paix de LOUIS m’a défait en trois mois.

Sur la Défaite de Heresie. Rondeau §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 20-22.

Jamais Triomphe ne pouvoit estre plus glorieux pour le Roy, que celuy qui le rend Vainqueur de l’Heresie. Il est tel, qu’à peine la Posterité le tiendra-t-elle croyable. C’est ce qui est marqué agreablement dans ce Rondeau.

SUR LA DEFAITE
de l’Heresie.
RONDEAU.

Que de l’Histoire, où du plus grand des Rois
L’on tracera les glorieux Exploits,
La verité sera peu vray-semblable !
L’âge à venir trouvera-t-il faisable
Ce que sous luy l’on voit faire aux François ?
***
Sans resistance, en moins de quatre mois,
Avoir réduit l’Heresie aux abois :
Cela paroist tenir plus de la Fable,
 Que de l’Histoire.
***
Monstre fatal aux derniers des Valois,
Monstre ennemy des Vertus & des Loix,
Aux saints Autels, à l’Estat formidable :
Le Petit-Fils de ce Prince admirable,
N’apprendra point, si tu fus autrefois,
 Que de l’Histoire.

Pour le Roy. Sonnet §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 22-24.

Voicy trois Sonnets qui ont esté adressez au Roy sur cette mesme matiere. Le premier est de Mr Boyer, le second de Mr le Clerc, tous deux de l’Academie Françoise, & le troisiéme de Mademoiselle de Rasilly.

POUR LE ROY.
SONNET.

De quels sacrez lauriers se va-t-il couronner
Ce grand Roy, qui laissant reposer sa vaillance,
Dans le sein de l’Eglise a soin de ramener
Ceux qu’avoient révoltez l’orgueil ou l’ignorance ?
***
Au Ciel, en dépit d’eux, il les veut entraisner,
Et de sa pieté la sainte impatience,
Contre ces malheureux qui veulent s’obstiner,
Ioint à son zele ardent une juste puissance.
***
Ainsi contre l’Enfant rebelle à son devoir,
Le Pere heureusement se sert de son pouvoir,
Douce severité ! salutaire contrainte !
***
Ainsi sur Paul, qu’aveugle un zele furieux,
Dieu tonne & le remplit de terreur & de crainte :
Mais le coup qui l’abat luy fait ouvrir les yeux.

[Autre sonnet pour le roi]* §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 24-26.

AUTRE.

Ton Nom victorieux volé de toutes parts,
Tes travaux ont esté plus loin que ceux d’Alcide ;
Ny montagnes, ny mers, ny digues, ny rampars,
N’ont pû les arrester dans leur course rapide.
***
L’Aigle n’a pu souffrir le feu de tes regards,
Tu domptas du Lion le courage intrepide ;
Et sur les flots salez & dans le Champ de Mars,
Tes Progrés ont fait voir que c’est Dieu qui te guide.
***
L’Heresie obstinée est le seul ennemy,
Que tu n’avois encor surmonté qu’à demy ;
Tu vas l’aneantir par une sainte guerre.
***
Acheve ce qu’en vain tenterent tes Ayeux :
Ta Valeur a cueilly des lauriers sur la Terre,
C’est à ta Pieté d’en cueillir dans les Cieux.

[Autre sonnet pour le roi]* §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 26-27.

AUTRE.

Il ne manquoit, grand Roy, pour combler vostre gloire,
Que l’interest du Ciel fist vostre passion,
Qu’on vous vist rétablir les saints Murs de Sion,
Et sur ses Ennemis remporter la victoire.
***
Ces succés ont remply dignement vostre Histoire,
Et les Autels dressez à la Religion
Sur le débris fameux de la Rébellion,
Du Schisme pour jamais effacent la memoire.
***
Ce Regne plus heureux que les Regnes passez,
Où l’on voit de l’Erreur les Temples renversez,
De vos Prédecesseurs a finy l’entreprise,
***
Ce coup si merveilleux a vangé tous ces Rois,
Et ce Monstre vaincu par vos derniers Exploits,
Vous fait voir doublement Fils Aisné de l’Eglise.

Sur la Conversion des Heretiques §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 27-29.

Mademoiselle de Scudery, qui a publié tant de fois la gloire du Roy, n’a pû se taire dans une occasion où elle entend parler tout le monde. Voicy la Partie qu’elle a tenuë dans ce concert de loüanges.

SUR LA CONVERSION
des Heretiques.

D’un zele sans pareil j’ay chanté mille fois
La gloire de LOUIS, & ses fameux Exploits,
I’ay loüé ses vertus, j’ay vanté son courage,
Et ma main sans trembler a tracé son Image ;
Mais cent Peuples rendus au Dieu de l’Univers,
Sont un trop grand sujet pour tous nos foibles Vers.
La Terre doit se taire : à de telles loüanges
Il faut la voix du Ciel, & le concert des Anges.

Rondeau §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 29-30.

Je n’ajoûteray plus qu’un Rondeau de Mr de Bernage, Secretaire du Roy, & un Madrigal de Mr Vignier, à ce qui regarde Sa Majesté sur cette matiere, reservant les Vers qui me restent pour le mois prochain.

RONDEAU.

GRAND Roy, qui par tant de Vertus,
Sur tous les Grands as le dessus,
Aussi-bien que sur tout autre homme ;
Car nul n’ose se mettre en comme,
Qui n’en soit aussi-tost exclus.
Aprés tant d’Ennemis vaincus,
Aprés tes Etats étendus,
C’est à bon titre qu’on te nomme GRAND.
***
Les Heretiques confondus,
Les Genois à tes pieds rendus,
Alger soumis ; ton nom dans Rome
Haut élevé : la Paix en somme,
Se peut-il rien faire de plus GRAND ?

Madrigal §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 30-31

MADRIGAL.

Aprés avoir dompté diverses Nations,
Aprés avoir dompté ses propres passions,
LOUIS s’est mis sans doute au comble de la gloire :
Mais qu’en moins de six mois il ait détruit l’Erreur,
Que sans verser de sang il ait eu ce bonheur,
C’est ce qui doit le plus briller dans son Histoire,
 Et qui se fera le moins croire.

Des Choses difficiles à croire. Dialogue septieme §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 34-78.

Je vous envoye un nouveau Dialogue des Choses difficiles à croire. Vous serez surprise du grand nombre des Divinations differentes dont les Anciens se sont servis.

DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGUE SEPTIEME.
BELOROND, PHILONTE.

Philonte.

La matiere qui fit le sujet de nostre dernier entretien, m’a excité à vous en proposer une autre pour celuy d’aujourd’huy, qui a beaucoup de rapport à celle-là. C’est sur les Divinations & les Devins, matiere que bien des gens, aussi-bien que du temps d’Horace, mettent au nombre des Choses difficiles à croire.

Somnia, terrores magicos, miracula, sagas,
Nocturnos lemures, portentaque Thessalarides.

Hor. lib. 2. Ep. 2.

Belorond.

Je suis fort aise que vous ayez eu le mesme dessein que moy. J’estois sur le point de vous proposer la mesme chose ; mais comme il y a trois sortes de Divinations, celle qui vient de Dieu qu’on appelle Prophetie, celle qui se tire des choses naturelles & qu’on appelle Présages ou conjectures ; & celle qui se fait par le moyen du Demon, je juge à propos que nous nous entretenions de ces deux dernieres ; car ce sont celles-là que l’on met ordinairement au nombre des Choses difficiles à croire.

Philonte.

Apparemment vous estes bien instruit sur cette matiere, puisque comme un tres-habile Devin vous avez penetré le dessein que j’avois de vous entretenir de ces deux sortes de Divinations. Commencez, je vous prie, à me dire ce que vous en pensez.

Belorond.

Avant que je vous explique mes sentimens là dessus, voulez-vous que je vous fasse ressouvenir en peu de mots des diverses sortes de Divinations ? Il est si vray que j’estois dans la resolution de vous parler de cette matiere, que j’avois apporté sur moy une espece de Dictionnaire, ou une Liste Alphabetique de toutes ces differentes Divinations, parce que j’estois assuré que ma memoire ne me seroit pas assez fidelle pour les retenir. Permettez donc que je vous en fasse la lecture avant que nous entrions en matiere.

Philonte.

Vous m’obligerez parce que je la crois necessaire.

Belorond.

Aëromancie, Ce sont toutes sortes de Divinations qui se font par le moyen de l’air, comme par les Spectres qui y paroissent, ou par les Tonnerres qui s’y font entendre, ou par les Oyseaux qu’on y voit voler. Je parleray dans la suite de ces differentes especes d’Aëromancie.

Alectriomancie, ou Alectreomancie, Cette Divination s’exerçoit par le moyen d’un Coq mangeant des grains de Bled posez sur les Lettres de l’Alphabet. Voicy la Ceremonie de cette Divination. On divisoit un certain lieu en parties égales, & à chacune de ces parties on écrivoit une Lettre de l’Alphabet ; ensuite aprés avoir mis un grain de Bled sur chaque Lettre, on faisoit entrer un Coq, & on prenoit garde aux Lettres dont il avoit premierement avalé les grains, puis on tiroit des conjectures. L’Empereur Valens s’estant servy de cette Divination pour sçavoir le nom de celuy qui luy devoit succeder, fit cruellement mourir ceux qui s’appelloient Thecdores, Theodoses, Theodates, Theodules, Theodistes, à cause que le Coq avoit mangé les grains qui estoient sur ces quatre Lettres Teod. Il eut neanmoins malgré ses cruelles précautions Theodose le Grand pour Successeur.

Alphitomancie, Elle se faisoit par l’orge, le froment, ou par la farine, dont on se servoit aux Sacrifices.

Alveromancie, C’estoit à peu prés la mesme espece que l’Alphitomancie. Elle servoit à découvrir les Larcins des Esclaves soupçonnez ; pour cela on les menoit aux Prêtres qui leur donnoit une crouste de pain enchantée, laquelle leur demeurant dans la gorge, estoit une marque qu’ils estoient coupables du Larcin dont on les soupçonnoit.

Amniomancie. C’est une Divination que les Sages Femmes ont introduite pour connoistre la fortune de l’Enfant, par la consideration de la membrane que les Grecs appellent Amnios, dont il est quelquefois revêtu. Cette Superstition a donné lieu au Proverbe qui est icy en usage, quand pour témoigner qu’un homme a du bon-heur, on dit qu’il est né coëffé.

Anagrammatisme, ou Metagrammatisme. Elle se fait en cherchant dans les Lettres d’un mot quelque chose qui doive arriver à celuy dont on fait l’Anagramme, comme nous avons fait voir dans l’Anagramme d’André Pujon.

Antropomance. Elle se fait par l’inspection des entrailles des Hommes immolez. Heliogabale & Julien l’Apostat, se servoient de cette Divination. Aprés la mort de celuy-cy on trouva dans des Caves, Puits, & autres lieux secrets du Palais d’Antioche, plusieurs Corps d’Hommes égorgez, à qui l’on avoit arraché les entrailles. Il avoit fait bastir dans la Ville de Carres un Temple dont l’entrée estoit connuë à luy seul & aux Ministres de sa cruauté, & c’étoit là qu’il faisoit ses Sacrifices de Corps humains pour en contempler les entrailles. Peu de temps aprés sa mort on trouva dans le Temple le Corps tout frais d’une Femme fenduë depuis la poitrine jusques au ventre, & penduë par les cheveux à une poutre.

Arcomancie. Elle se faisoit par la consideration des Nuées.

Arithmancie. Elle consistoit à examiner les Nombres. Les Grecs pretendoient que la Victoire estoit pour celuy dont le nom contenoit un plus grand nombre de Lettres, & qu’à cause de cette difference, Hector fut vaincu par Achilles. Quelques uns disent que Pithagore a esté l’inventeur de cette Divination.

Aruspicine. C’estoit une sorte de Divination, par laquelle on tiroit des conjectures des Bestes qu’on alloit immoler, en les maniant & en leur versant du Vin sur le front. Cette Divination en comprenoit d’autres dont nous parlerons dans leur rang.

Aspidomancie. C’est une Divination pratiquée aux Indes, & qui se lit dans les Relations de la Floride. Les Ceremonies en sont si extravagantes & si diverses, qu’il est inutile d’en faire le recit.

Astragalomancie. Elle se pratique par une espece de Sort, avec de petits Batons ou des Dez, ou des Tablettes écrites & jettées en l’air.

Astraveromancie. Elle est presque la mesme que l’Astragalomancie. Il en est parlé dans le Prophete Osée, lorsqu’il dit, Mon Peuple s’est enquis de moy avec signe, & son petit bâton luy a fait entendre.

Astrologie judiciaire. Elle pretend faire connoistre comme necessaires les évenemens futurs & contingens par l’inspection des Astres, & sur des principes variables.

Astronomie. Elle pretend sur des principes universels & invariables faire connoistre la révolution des Ans, le Cours des Astres, leurs Stations, Retrogradations, Aspects, Conjonctions, &c.

Augures. On prétendoit dans cette Divination apprendre les choses cachées & à venir, par le vol & les differens mouvemens des Oiseaux.

Axinomancie. Une Hache ou une Coignée, estoit l’instrument de cette Divination. On la fichoit dans un pieu rond, & en observant son branle ou mouvement, on jugeoit des Larcins ou autres crimes. On s’en servoit d’une autre maniere pour connoistre les choses futures, au rapport de Pline.

Botanomance. Pour pratiquer cette Divination, on se servoit des Herbes, particulierement de la Sauge, en écrivant sur leurs feüilles les demandes & les noms de ceux qui souhaitoient sçavoir l’avenir, puis on les exposoit aux vents, & on remarquoit celles qui n’avoient point esté remuées.

Capnomance. Cette Divination regarde les fumées des Sacrifices, leurs tours, replis, élevations, leurs mouvemens droits & obliques, & leurs odeurs. Ovide contre 1615. Stace au 10. l. de sa Thebaïde, & Theophilacte sur le quatorziéme Chapitre d’Osée, parlent de cette espece de Divination.

Catoptromancie. Cette Divination consistoit à faire voir ce qu’on consultoit à un petit Enfant dans un Miroir. Aporta, en sa Magie Naturelle, dit que François I. faisant la Guerre à Charles-Quint, un Magicien faisoit sçavoir aux Parisiens ce qui se passoit à Milan, en écrivant sur un Miroir ce qu’il vouloit qu’ils apprissent, & l’exposant à la Lune ; de sorte qu’on lisoit en cet Astre ce qui estoit écrit sur le Miroir.

Castronomancie. On exerce cette espece de Divination en prononçant certaines paroles entre les dents au dessus d’un verre plein d’eau, & avec un Cierge allumé.

Cephalacomancie. Pour pratiquer cette Divination, on mettoit la Teste d’un Asne rôtir sur les charbons ardens, en prononçant quelques paroles dessus. Si les mâchoires de cette tête se remuoient, & si les dents faisoient du bruit, on tenoit pour Autheur du malefice celuy qui en estoit soupçonné. Les Allemans pratiquoient souvent cette Divination, aussi-bien que les Juifs. C’est pourquoy Appion & Tacite reprochoient à ceux-cy qu’ils adoroient la Teste d’un Asne.

Ceromancie ou Ciromancie. Cette Divination consiste dans la consideration des differentes figures que fait la cire fonduë & jettée dans l’eau.

Chiromance, ou Chiromancie. (Mr de la Chambre dit le premier, & Mr d’Ablancour le second.) C’est une Divination par l’Inspection de la main. On la fonde sur ce que l’Ecriture nous a assurez, en parlant du Sage, que la longueur des jours est en sa droite, & en sa gauche richesses & honneurs. Eusebe dit que Dieu met des signes dans la main de tous les hommes, afin qu’ils puissent tous prévoir leurs œuvres. Nous parlerons dans la suite plus au long de cette matiere.

Deidomancie. Pour pratiquer cette Divination, on attachoit étroitement une Clef sur la premiere page de l’Evangile de Saint Jean, de telle sorte que l’anneau de cette Clef paroissoit en dehors. Puis on faisoit mettre sur cet anneau les doigts de ceux qui s’informoient de quelque chose, & aprés avoir prononcé quelques paroles, & exprimé le nom de celuy qui estoit soupçonné, s’il estoit innocent, la Clef demeuroit immobile, mais s’il estoit coupable, la clef se tournoit d’elle-mesme avec une telle violence, qu’elle rompoit la ficelle qui la tenoit attachée au Livre.

Cliromancie. C’est à peu prés la mesme chose que l’Astragalomancie.

Cosciromancie est ce qui s’appelle tourner le Sas. Elle étoit en usage chez les Anciens, & c’est ce qui a donné lieu au Proverbe Latin, Cribro divinare. Je me suis trouvé un jour dans une Maison où l’on pratiquoit cette sorte de Divination, pour sçavoir si une Servante avoit dérobé quelque Vaisselle d’Argent que l’on avoit perduë. Pour tourner le Sas on ficha des Ciseaux dans son Chassis, puis deux personnes le tenoient suspendu en l’air, en mettant chacun un Poulet sous chaque anneau des Ciseaux, & ensuite prononçoient quelques paroles badines, en y mêlant le nom de cette Servante, pretendant que si ce Sas tournoit, elle estoit coupable. Il tourna, & cependant la Servante se trouva tres-innocente de ce Vol. Jugez de ce qu’on doit penser de ces Divinations.

Cromnyomancie. C’est une Superstition assez commune en Allemagne, quand les Filles veulent sçavoir entre plusieurs qui les recherchent en mariage, le nom de celuy qu’elles doivent épouser. Voicy comment elles la pratiquent. Elles portent la Veille de Noël des Oignons sur l’Autel, & écrivent dessus les noms de leurs Amans, se persuadant que l’Oignon qui germera le plûtost, portera le nom de celuy qu’elles auront pour Epoux.

Cristallomancie. C’est une Divination par le moyen de quelques Vaisseaux Cylindriques faits de Cristal, qu’on prétendoit répondre à ceux qui les consultoient.

Crythomance. Cette Divination est fondée sur les Gâteaux dont on se servoit dans les Sacrifices.

Cubomancie. C’est une espece de Divination par les Dez.

Dactylomancie. Cette Divination consistoit dans des Anneaux enchantez. L’Anneau de Giges qui le rendoit invisible, estoit apparemment de ce nombre.

Daphnomancie. C’est la Divination par le Laurier. S’il petilloit en brûlant, c’estoit bon signe, & au contraire, mauvais signe, s’il ne petilloit pas.

Demonomancie. C’est proprement les réponses des Demons, qu’on appelloit Oracles, qu’ils rendoient dans des Grotes, ou dans des Statuës, ou dans des Bois, ou par le moyen des Bestes, des Femmes & des Hommes.

Extipicine. C’est l’Inspection des membres de l’Hostie.

Fabanomancie. C’estoit plûtost une espece de Magie que Divination, pour chasser des Maisons les Fantosmes, en jettant les Féves avec de certaines ridicules Ceremonies.

Garosmancie. C’est une Divination qu’on pratiquoit avec une Phiole assez large, pleine d’eau, dans laquelle aprés quelques Conjurations on faisoit mirer un un petit Enfant, ou une Femme grosse, qui voyoit dans cette Phiole des figures semblables à ce qu’on souhaitoit sçavoir.

Gastromancie. C’est à peu prés la mesme chose que la Garosmancie.

Geomance. Elle se fait par le moyen de certaines figures, & de certains points formez sur la terre. C’est une sorte de Divination tres-superstitieuse, comme on peut voir chez Peucer, l. 9. c. 6.

Hepatoscopie. Divination par l’inspection du foye d’une Beste sacrifiée.

Hieroscopie. C’est l’observation des démarches des Bestes, qu’on alloit sacrifier.

Hydromancie. Divination par l’eau qui servoit à faire cuire les Victimes. Virgile en parle au quatriéme de l’Eneide. De l’Ancre remarque huit sortes d’Hydromancie dans son Traité de la Divination. La premiere se fait avec une Bague suspenduë dans l’eau par un fil, & frapant les costez du verre. La seconde, en jettant des pierres dans une eau dormante, & en observant les ronds qui se font autour de ces pierres. La troisiéme, en considerant la diverse agitation de la Mer. La quatriéme, en remarquant la couleur des eaux. La cinquiéme, en prononçant certains mots sur une Coupe pleine d’eau, & en observant si l’eau boüillante d’elle-mesme ne se répand point hors la Coupe. La sixiéme se pratique chez ceux de Fez en Afrique. Ils versent de l’eau dans un verre, mêlent une goute d’huile, & ensuite regardant dans ce verre, ils disent qu’ils y voyent des choses fort extraordinaires. La septiéme se pratique en Allemagne par les Femmes, au rapport de Clement Alexandrin, quand elles pretendent connoistre l’avenir en observant le bruit & les boüillons des Vagues. La huitiéme se fait en jettant dans l’eau des boulles, sur lesquelles on a écrit les noms de ceux qu’on soupçonne de quelque Larcin.

Icthyomancie. C’est quand on devine en considerant les entrailles des Poissons.

Ieduimancie. Ce nom vient d’un Animal appellé Jeduin, dont les os portez dans la bouche avec certaines ceremonies, faisoient deviner, au rapport des Juifs.

Keromance. C’est de mesme que la Ciromance.

Lampadomancie. Divination avec des Chandelles.

Lecanomancie. Divination par le moyen d’un Bassin plein d’eau, dans lequel on a jetté des Pierres precieuses, ou des lames d’Or & d’Argent, ou du plomb fondu. Nicetas parle de cette Divination l. 2. Annal. de Tacite ann. 20.

Libanomance. Divination par l’Encens. Si aprés l’avoir jetté dans le feu, il en estoit consumé, & réduit en une fumée d’agréable odeur, c’estoit bon signe, mais non, si le contraire arrivoit.

Lithomancie. Divination par les Pierres. Je croy que cette Superstition estoit en usage chez les Juifs, parce que Moyse leur défend, Levit. 20. de se servir de certaines Pierres devineresses.

Logarithmance. C’est une espece d’Arithmancie. On la pratique par le moyen des nombres convertis en mots, & des mots résolus en nombres.

Margaritonomancie. Divination par le moyen d’une Perle, qui estant mise sur le foyer auprés du feu, sous un pot, pendant qu’on prononce quelques paroles, bondit, à ce qu’on prétend, & perce le fond du pot en sautant, si on exprime le nom de celuy qui a fait le Larcin dont on veut sçavoir l’Autheur.

Meteorologie. Divination naturelle, qui consiste à connoistre quand il se doit lever des Tempestes, des Vents, &c.

Metoscopie, ou Metoposcopie, ou Metopomancie. Espece de Phisionomie qui se pratique en considerant le visage.

Molibdomancie. Divination par le Plomb fondu, en remarquant ses figures lors qu’il se fond.

Necromancie. Divination par le moyen des Esprits évoquez. On l’appelle encore l’Art de Grimoire, qu’on prétend avoir le pouvoir de rappeller du Tombeau les Ames des Défunts, pour sçavoir ce qu’on desire.

Necyomancie. Divination par le moyen des Os & des Nerfs des Trépassez, & des cordes de Pendus.

Oculinomancie. Cette Divination découvre le Larron en luy crevant ou tournant l’œil, aprés que les Ministres de cette Superstition ont fait des Ceremonies aussi impies qu’extraordinaires. De l’Ancre raconte deux Histoires terribles sur ce sujet dans son Traité de la Divination, où il a réduit avant moy dans cet ordre Alphabetique les differentes sortes de Divinations. Il en a pourtant oublié quelques-unes, que l’on trouvera icy aussi-bien que quelques particularitez assez curieuses.

Oënomance. Divination par le Vin.

Omancie. Divination par les Oeufs.

Omphalomancie. Divination du nombre des Enfans qu’une Femme doit avoir, en considerant les nœuds du nombril de l’Enfant qu’elle met au monde.

Oneiropolie. Divination par les Songes.

Onomancie. Espece d’Anagrammatisme.

Onychomancie. Divination par le moyen des ongles d’un Enfant oingt d’huile & de suye, & tourné vers le Soleil.

Ooscopie. C’est une espece d’Omancie.

Ornithomancie. Divination par le moyen des Oyseaux.

Ouconomancie. Divination par le Chant, le Vol, & la maniere de manger des Oyseaux.

Palomancie. Divination par de petits Bastons.

Parthenomancie. Divination chez les Anglois par le moyen d’une Agathe mise en poudre, & donnée à boire à une Fille, pour connoistre si elle est Vierge, au rapport de Guillaume de Paris, en sa derniere partie de l’Univers c. 22.

Petchimancie. Espece de Palomancie.

Pettimencie. Autre espece de Palomancie.

Phisionomie. Divination par la couleur & l’habitude des membres du Corps.

Pyromance. Divination par les flammes des Offrandes & des Victimes.

Rabdomancie. Divination par des Verges ou petits bâtons.

Rabalomancie. Espece de Palomancie.

Saliation. Divination par le remuëment ou tressaillement des yeux.

Salimancie. Divination par le Sel mis dans la main d’un Malade, pour sçavoir s’il mourra, ou non.

Sideromancie. Divination par des Pailles jettées sur un fer ardent.

Spondanomancie. Divination par les cendres des Sacrifices.

Sternomancie. Divination par les Demons dans le corps des Possedez.

Stichiomancie ou Stoichemancie. Divination qui se pratiquoit à l’ouverture du Livre d’Homere ou de Virgile, & en prenant garde au premier Vers qui se presentoit à la veuë, ce qu’on appelloit Sorts Virgilians ou Prænessins.

Sycomancie. Divination par les Herbes.

Tephramance. C’est la mesme que la Spondanomancie.

Teratoscopie. Divination par les Prodiges, les Apparitions & les Monstres,

Theomance. C’est la Demonomancie.

Thyoscopie. C’est l’Hieroscopie.

Thurifume. Divination par la fumée de l’Encens mis au feu.

Tiromancie. Espece de Critomancie.

Belorond.

 

Ce sont-la les Divinations que j’ay remarquées. Avoüez que la lecture que je viens de vous en faire vous a ennuyé ; pour moy je me repens d’avoir abusé si long-temps de vostre patience, & de vous avoir osté le temps de m’apprendre ce que vous sçavez sur cette matiere.

Philonte.

 

Vous m’avez fait plaisir ; vos Remarques m’ont si peu ennuyé, que je vous prie de me les prêter pour les lire moy-mesme, afin que je fasse quelques Reflexions dessus pour accompagner les vostres dont j’espere que vous me ferez part dans nostre premier Entretien ; car en voila assez pour aujourd’huy. [...]

[Divertissemens fait à Doüay] §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 104-106.

 

Une indisposition survenüe à Mr le Duc d'Elbeuf l'ayant arresté icy, Mr le Prince d'Elbeuf son Fils alla le mois passé prendre possession du Gouvernement de Picardie, & tenir en mesme temps les Etats d'Artois. Les Gouvernements des Villes voisines de Flandres le vinrent voir pendant son séjour. Mr le marquis de Pommereu Gouverneur de Doüay, qui s'acquita du mesme devoir, amena avec luy ses Violons & quelques Chanteurs, ce qui donna lieu à Mr du Meny, si connu par la réputation qu'il s'est acquise sur le Théâtre de l'Académie de Musique, de faire chanter le dernier Opéra de Fontainebleau. Il estoit venu avec Mr le Prince d'Elbeuf aux Etats d'Artois, à son retour de ceux de Bretagne, où je vous ay mandé qu'il estoit, & ce qu'il y fit. Il fut surpris des bonnes Voix des Chanteurs, que l'on avoit fait venir de vingt lieües aux environs ; & comme les Instrumens répondoient parfaitement à ces belles Voix, ce Spectacle attira tout ce qui y avoit de Personnes de qualité dans la Province. L'affluence y fut telle, que quoyque la Salle de Mr le Comte de Nancré, Gouverneur d'Arras, soit très vaste, & qu'on prist soin de n'y laisser entrer que des gens de marque, elle ne pût contenir tous ceux qui se présentèrent.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 115-116.

Parmy les Airs nouveaux qui se chantent, j’ay toûjours soin de choisir les plus estimez, dont je vous fais part. En voicy un qui ne vous déplaira pas.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Iris quand l’Amour est extréme, doit regarder la page 116.
Iris, quand l’Amour est extrême.
Nul objet étranger n’occupe nos desirs.
Ah ! quand il est permis de voir ce que l’on aime,
 Peut-on chercher d’autres plaisirs ?
images/1686-01_115.JPG

[Lettre Historique] §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 116-131.

 

On m'a donné une Lettre de Mr Vignier dont la lecture vous divertira. Quoy que les premières lignes par une matière galante, elle ne laisse pas de contenir fort historiques, & dignes de la curiosité du Public.

 

A MONSIEUR

L'ABBE DE RASILLY

 

Vous avez désiré, Monsieur, que je vous fasse sçavoir ce qui se passerait dans notre Voyage. Depuis qui vous eûmes quitté Tours, nous eûmes toûjours de belles journées à l'exception d'une seule.

 

Il s'éleva de grands Broüillards,

Mais estant dans de bons Carosses,

Nous étions tous aussi gaillards,

Que des Gens qui vont à des Noces.

 

On y fit des Impromtus, on y fit des Chansons, & vous n'aurez pas de peine à croire qu'ayant une aussi agréable matière que la grossesse de Madame la Duchesse de Richelieu, on ne s'épargna pas sur ce sujet. Mais, Monsieur, vous ne serez pas moins surpris que nous l'avons esté, de voir qu'en mesme temps que le Roy chasse l'Hérésie de son Royaume, & que plusieurs de ses Sujets qui en sont infectez, se retirent dans les Pays Etrangers, la Providence Divine permet que des Turcs viennent se faire Chrestiens, & remplir leurs places. C'est ce que nous avons veu à nostre dernière couchée qui fut à Châtres. Il arriva dans la mesme Hostellerie où nous estions deux Carosses, dans l'un desquels estoient deux Dames Turques, cinq petites Filles, & M. de Raban ; Et dans l'autre cinq petits Garçons Turcs, deux Mores, & un Turc qui s'est fait Chrestien, & qui leur servoit de Truchement. Cette caravane estoit conduite par M. de Raban, dont le mérite est connu dans le monde, & particulièrement dans la Maison de Soissons. Il suivit feu Mr le Comte de Soissons dans toutes ses Campagnes. A près la mort de ce Prince il s'attacha au Prince de Savoye son fils, & fit avec luy le Voyage d'Angleterre. Il l'a suivy à son retour en France, de là à Venise, & de Venise dans la Morée. Vous aves sceu, Monsieur, comme ce jeune Prince s'est extrêmement signalé dans toutes les prises de villes que l'Armée Venitiennes faites. Il ne voulut avoir aucun Commandement dans cette Armée, mais on peut dire pourtant qu'il en étoit l'Ame, & que tous les Officiers & les soldats le consideroient autant que le General. Vous aves oüy les Relations de la Prise de Coron, mais vous n'avez peut-être pas leu que la plus grande partie de la gloire de sa prise luy est deüe. Au second Assaut qu'on donna à cette Place, il fut un des premiers qui monterent au haut de la bréche, où l'on fit planter les Drapeaux blancs. [...] La Mine avoit ensevely sous ses ruines le Gouverneur de la ville, homme intrépide, ce qui fit le grand bonheur de Chrestiens, car sans cela ils ne s'en seroient peut-estre pas rendus Maistres. Ce fut dans cette furieuse attaque, où l'Armée Chrétienne passa au fil de l'Epée hommes, femmes & enfans, que la belle Ismi (c'est le nom de la femme de ce brave Gouverneur) suivie d'une Niece, fut assez heureuse pour se pouvoir jetter aux pieds du Prince de Savoye, qui les receut avec cette générosité si naturelle à ceux de cette illustre Maison. C'est icy, Monsieur, où j'aurois besoin de toute l'Eloquence de Messieurs de l'Académie Françoise pour vous faire le Portrait d'une beauté achevée. Je vous ay dit que nous faisions des Impromtus & des Chansons. La belle Ismi m'entretint dans cette humeur enjoüée, & tira de ma veine ces deux couplets sur un Air de l'Opéra, qui commence,

C'est l'Amour qui nous menace, &c.

 

Ismi, pour estre admirable,

Il ne te manque plus rien

Que le Nom incomparable

De Chestienne au lieu du tien.

Ah, que tu seras aimable,

Et qu'il te conviendra bien !

Ismi, pour estre admirable,

Il ne te manque plus rien.

 

Ton avanture est étrange,

Mais tu dois benir son sort,

Tu gagnes trop à ce change

Pour n'en estre pas d'accord.

Tu feras un petit Ange

Devant, comme après la mort.

Ton avanture est étrange,

Mais tu dois benir son sort.

 

Je ne puis aussi, Monsieur, m’empescher de vous faire remarquer que la continence de ce jeune Prince surpasse infiniment celle de Scipion, que l’Histoire Romaine exagere tant. La belle Personne qui fut presentée au Vainqueur de Carthage estoit accordée à un Prince qu’il fut bien-aise de gagner, en luy remettant sa Fiancée entre les mains. Il n’en estoit pas de mesme d’Ismi. Elle venoit de perdre son Mary, & nostre Heros luy donna le choix d’aller où elle voudroit, ou de le suivre en France. Elle accepta ce dernier party, & il la mit sous la conduite de Mr de Raban, avec sa Niepce, & une petite fille de sept ou huit ans, qui fut arrachée à la fureur d’un Esclavon, qui avoit le Cimeterre levé pour la fendre en deux. Je vous ay déja dit qu’il y avoit cinq petits Garçons dans le second Carosse, mais je ne vous ay pas dit que l’un d’eux estoit fils de Carabas, que le Grand Seigneur avoit fait General de la Mer. Cette belle Gouvernante avoit un Enfant qu’elle nourrissoit elle-même à la mamelle. L’air de la Mer, & la fatigue d’un si long Trajet l’ont fait mourir, & comme elle estoit dans son neufiéme mois de grossesse, elle accoucha d’une fille le matin que nous partîmes de Châtres. Madame Vignier tenoit la belle Ismi durant ses violentes tranchées, & l’on eut bien de la peine à la tirer de ses mains pour la faire monter en Carosse, afin de nous rendre à Paris. Elle parleroit mieux que moy de ses beautez, ayant eu le temps de les examiner. Elle avoüe qu’elle n’a jamais veu un Visage si regulier, si achevé dans tous ses traits, ny plus brillant par ses vives couleurs. Sur tout ses yeux & ses mains meriteroient un éloge particulier. Mr de Raban qui avoit une grande Troupe à conduire à Paris, fut contraint de la laisser entre les mains d’une Sage-Femme, de l’Hostesse du Singe à Châtres, & du Turc qui s’est fait Chrestien, & qui leur servoit d’Interprete. L’esprit d’Ismi n’est pas moins charmant que son Visage, à ce que m’a dit son fidelle Conducteur. Il estime fort sa vertu & son adresse, & me fit voir des Cravates qu’elle luy a faites durant le Voyage, & que j’admiray. Ce sont des Fleurs de toutes couleurs d’un petit Point si passé & si délié, qu’il semble qu’elles soient peintes sur la toile, qui est tres-fine. Il y doit aussi avoir de l’or, qui n’y estoit pas encore appliqué. Il a rapporté des choses fort curieuses qu’il a gagnées à la Bataille où les Turcs furent défaits, & dans Coron. Ce qu’il estime le plus est une Robe verte, qui estoit à un de la Famille de Mahomet, dont il faut estre pour porter le Vert. Cette Robe est du plus fin drap que l’on voye. Il y a un petit galon d’or fort propre. La doublure est d’un fort beau satin grisdelin. Il me fit voir aussi des chemises d’Ismi, qui ont des Fleurs de petit Point tout autour & sur les coutures, comme celles des Cravates. La Niepce d’Ismi est une Brune extremement agreable, & d’une taille fort jolie. Je fus hier plus d’une heure assis auprés d’elle, mais nostre Conversation ne fut que des yeux.

[Anagramme et devises] §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 146-149.

 

Je ne sçaurois finir cet Article, sans ajoûter que Mr le Chancelier continuë de rendre la Justice avec toute la bonté & toute l’exactitude possible. Il a fait beaucoup de choses pour le soulagement des Parties, & voulant leur épargner les frais des voyages à Versailles, il tient le Sceau à Paris une fois chaque semaine. Voicy une Anagramme faite sur son Nom par Mr Chopin Chanoine de Gournay. Elle ne pouvoit estre plus heureuse ny plus juste.

Louys de Boucherat.
Est la Bouche du Roy.

 

J’ajoûte trois Devises sur le choix que le Roy a fait de luy, pour l’élever à la Dignité de Chancelier. La premiere est de Mr Magnin, & est faite particulierement sur ce que Mr de Boucherat succede à feu Mr le Tellier. Elle a pour corps un Cadran Solaire, élevé sur un Pilier, au prés duquel on voit un autre Cadran de marbre brisé par terre, le Soleil paroissant dans les Cieux. Ces mots en sont l’ame.

 Sub hoc altera regula recti.
Le temps a consumé de ce marbre fidelle
Ces traits où le Soleil exprima si long-temps
Les retours reguliers de sa course immortelle.
Cet autre va servir aux mesmes mouvemens.
Cet Astre également le regle & le mesure.
 Le moyen qu’il ne serve pas
 A nous bien conduire icy-bas ?
Sous les mesmes rayons c’est la mesme droiture.

 

Les deux autres sont de Mr de Vertron de l’Academie Royale d’Arles. L’une a pour corps deux masses d’or en sautoir, avec ce mot, Et onus & honos.

On voit en luy le poids joint à la dignité.

Et l’autre a pour Corps un Cadran au Soleil qui marque les heures, avec ces paroles. Regitur ut regat.

Il se regle sur luy pour bien regler les autres.

A Monsieur le Chancelier §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 149-151.

 

Les Vers qui suivent ont esté adressez à Mr Boucherat, par Mr Salbray, Valet de Chambre de Sa Majesté.

A MONSIEUR
LE CHANCELIER.

Ce n’est pas un Present que le Roy vous a fait,
 Il s’est acquitté d’une debte.
Témis comme la France est enfin satisfaite,
Que vostre grand merite ait produit son effet.
 Illustre Chancelier du plus grand des Monarques,
Son estime & son choix sont d’assez bonnes marques
Du plus glorieux sort qui nous puisse arriver.
 Dans ce haut rang d’honneur puissent les Destinées
A beaucoup de santé joindre un siecle d’années,
Le Roy vivant encor pour vous y conserver.

Aux Nouveaux Convertis. Ode §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 179-191.

 

Le nombre de ceux qui se convertissent augmente de jour en jour, & il va fournir encore un long Article à ma Lettre. Il doit d’autant plus vous plaire, que tous les faits que je vous rapporte, sont faits veritables, & qu’on ne sçauroit douter que les Conversions dont je vous parle, ne soient sinceres, puis qu’elles ne se font qu’aprés des Disputes, à la fin desquelles les Calvinistes les plus obstinez avoüent qu’ils sont convaincus de leurs Erreurs. Comme la Poësie insinuë la verité d’une maniere agreable, il seroit à souhaiter qu’ils voulussent lire attentivement les Vers suivans. Ils serviroient à leur faire voir qu’il est dangereux de consulter sa raison sur des Mysteres, où l’on n’a besoin que du secours de la Foy.

AUX NOUVAUX
CONVERTIS.
ODE.

  Enfin, de vos ames rebelles,
 La Grace a desillé les yeux ;
 Et rejoints au corps des Fidelles,
 Vous rentrez au chemin des Cieux.
Benissez le Seigneur, benissez sa clemence,
 Et de vostre bonheur immense,
 Goustez les solides appas :
Mais n’oubliez jamais qu’aux routes ineffables
 De ses veritez adorables,
C’est à la seule Foy de conduire vos pas.
***
  En vain la Raison temeraire
 S’efforce de les concevoir,
 Plus luit le flambeau qui l’éclaire,
 Plus il l’empesche de les voir.
Ainsi quand au matin le bel Astre du monde
 Répand sa lumiere feconde
 Sur les bords du moite élement,
De rayons éclatans plus sa teste est parée,
 Au sortir de l’onde azurée,
Plus il cache à nos yeux les feux du firmament.
***
  Pleine de l’orgueil que luy donne
 Son avantage sur les sens,
 Sans reserve elle s’abandonne
 Où ses efforts sont impuissans ;
C’est par cet attentat que toutes les chimeres
 Qui deshonorent nos mysteres,
 Ont pris naissance dans son sein,
Et c’est du fond obscur de ses vaines pensées,
 Que de tant d’Erreurs insensées,
Par tout s’est répandu le ténebreux essein.
***
  Ce fut elle dont l’arrogance,
 Plûtost que de s’humilier,
 Nia que la divine Essence,
 Avec l’Homme pust s’allier ;
Que pour souffrir la mort, l’Auteur de la Nature
 Ait jamais d’une Creature,
 Habité le sein maternel ;
Et que ce Fils aimable en qui nostre ame espere,
 L’image & la splendeur du Pere,
Comme luy, soit immense, immuable, eternel.
***
  C’est avec cette audace injuste
 Quelle attaque encore en ce jour,
 Des Mysteres le plus auguste ;
 Et le chef-d’œuvre de l’amour,
Toujours injurieuse à la Toute-puissance,
 Elle s’oppose à la presence
 D’un mesme corps en divers lieux,
Et ne peut consentir qu’en son Corps veritable,
 Le Sauveur se donne à sa Table,
Pendant que dans le Ciel il regne glorieux.
***
  Le cœur percé, les yeux en larmes
 D’avoir si longuement erré,
 Venez au festin plein de charmes
 Que le Seigneur a preparé.
Luy-mesme il bannira vos doutes & vos craintes,
 Et rendant vos ames plus saintes,
 Il vous accordera sa paix ;
 Il vous affranchira de toutes vos foiblesses,
 Et vous comblera d’allegresses
Que vos cœurs, loin de luy, ne connurent jamais.
***
  Du Seigneur, la simple figure
 Vous a-t-elle purifiez ?
 Une si foible nourriture
 Vous a-t-elle fortifiez ?
D’une mortelle erreur dés l’enfance receuë,
 Vostre ame enyvrée & deceuë,
 Pût croire y trouver des appas,
Elle pût imposer à son desir avide,
 Mais non pas plus saine ou moins vuide,
Sertir de ce trompeur & frivole repas.
***
 Tel, quand d’une fiévre enflamée
 Les sens sont émus & troublez,
 Et que la force est consumée
 Par de longs accés redoublez,
Le Malade affoibly, qu’une aspre faim tourmente,
 Des mets qu’un Songe luy presente,
 Devore le fantôme vain,
Et malgré le plaisir de son cœur qui sommeille,
Se trouve, dés qu’il se réveille,
Pressé des mesmes maux, & de la mesme faim.
***
  Là le Seigneur se fait connoistre
 Aux Disciples qui l’ont aimé,
 Et qui, de rejoindre leur Maistre,
 Se sentent le cœur enflammé.
C’est dans ce doux Banquet, où nostre ame ravie
 Reprend une nouvelle vie,
 Et met fin à tous ses regrets,
Que du divin Sauveur la tendresse ineffable,
 Parmy les douceurs de sa Table,
Au sein de ses amis épanche ses secrets.
***
  Il leur découvre de son ame,
 Tous les sentimens amoureux,
 Et quel est l’excés de sa flame
 Pour le cher * Objet de ses vœux ;
Non content, leur dit-il, de luy laisser pour gage,
 Ou ma figure, ou mon image,
 Vain artifice de l’amour,
J’ay scû, pour satisfaire à mon ardeur extrême,
 Dans ses mains me laisser Moy-mesme,
Avant que de monter au celeste sejour.
1
***
  Mais quelle lumiere brillante
 S’épand dans le vague des airs,
 Et quelle est la douceur charmante
 De ces melodieux concerts !
Autour du Redempteur je voy les Chœurs des Anges,
 Qui font retentir ses loüanges
 Par les plus sacrez de leurs chants ;
De sa fidelle Epouse ils celebrent la gloire,
 Et cette éclatante victoire,
Qui dans son heureux sein ramene ses enfans.
***
 Enfin le Dragon de l’abisme,
Disent-ils, est remis aux fers,
L’Erreur confuse de son crime,
Retombe au plus creux des Enfers ;
De tes Temples, Seigneur, les Ministres fidelles,
 De cent couronnes immortelles,
 Ont ceint leur front victorieux :
Beny soit à jamais le grand Dieu des Armées,
 Qu’à jamais nos voix enflamées
Remplissent de sa gloire & la Terre & les Cieux.
***
  Des Fils de ton Epouse aimable,
 Le plus grand & le plus soûmis,
 Dont la valeur incomparable
 A dompté tous ses ennemis ;
Ce Roy qu’aux autres Rois tu donnes pour modelle,
 Et que d’une main paternelle,
 Tu combles d’honneurs immortels,
Avec tant de chaleur & tant de vigilance
 N’employa jamais sa puissance
Qu’à ramener les Tiens aux pieds de tes Autels.
***
  De ce Monarque magnanime,
 Beny les glorieux projets,
 Et ce tendre amour qui l’anime
 Pour le bonheur de ses Sujets.
Voy tes nouveaux Enfans, couvre les de ton aisle,
 Conserve & réchauffe le zele
 De leur naissante pieté,
Et fay que parmy nous, suivant ut saintes traces,
 Un jour ils occupent les places,
Qu’accorde à leur retour ton immense Bonté.

Cette Ode est de Mr Perrault de l’Academie Françoise, & fait voir le zele & la pieté de son Autheur.

[Sur le livre Saint Paulin Evesque de Nole]* §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 191-192.

[...] Cette mesme pieté paroist dans un Poëme de six Chants, qu’il a donné depuis peu au Public sous le Titre de Saint Paulin Evesque de Nole. Il a fait connoistre en le publiant que les Ornemens de la Poësie ne sont pas incompatibles avec des Sujets de Devotion. L’Action de Saint Paulin, qu’il a euë pour son principal objet, est soûtenuë d’un tour de Vers si aisé. & les Descriptions qu’il y a mêlées sont si naturelles & si vives, qu’on peut dire que l’Esprit est satisfait en mesme temps que le cœur se sent touché. Cet Ouvrage a eu l’approbation des Connoisseurs les plus delicats, & tout le monde convient qu’il est du nombre de ceux en qui l’on ne sçait ce que l’on doit le plus admirer, ou la beauté de la forme, ou la dignité de la matiere.

[Lettre qui a servy à la Conversion de plusieurs Calvinistes] §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 192-208.

 

Voicy une Lettre qui est de saison, quoy qu’il y ait déja quelque temps qu’elle est écrite. On asseure qu’elle a contribué à plusieurs Conversions, & je n’ay pas de peine à le croire. Les raisons que l’Autheur employe sont assez persuasives pour ne laisser rien à repliquer. C’est ainsi que le Roy est cause du salut des ames, puisque chacun y travaille à son exemple. On peut voir par cette Lettre, que les armes qui font rendre les Religionnaires, sont tirées de la seule force de la Verité, qui fournit des argumens invincibles contre leurs erreurs.

A MONSIEUR
DE LA GATELINIERE.

MONSIEUR,

Il y a des coups de hazard qui sont heureux, & je croy tel celuy qui me procura l’honneur de vous voir ces derniers jours en un lieu où nous ne songions ny vous ny moy à lier ensemble aucun entretien. I’en ay remercié la Providence, devant qui les rencontres qui nous paroissent fortuites sont prémeditées, & j’espere que la nostre aura quelque rapport avec celle de ce grand Officier de Candace, qui trouva l’Apostre Saint Philippes dans son chemin. Cet Officier avoit comme vous, Monsieur, la Bible entre les mains. Il fondoit sa Foy sur les Ecritures, mais il ne pouvoit en entendre le vray sens. Il s’adressa donc à l’Eglise en la personne de Saint Philippes, qui luy expliqua le Sacrifice du Fils de Dieu sur la Croix. I’eus l’honneur de vous entretenir à peu prés du mesme Mystere ; car celuy de l’Eucharistie est un Memorial de celuy de la Croix, & nous parlasmes beaucoup de ce Mystere adorable. Je me souviens que nous entrasmes en matiere par l’Ecriture sainte, qui fonde uniquement la Foy selon nous. Je pris la liberté de vous remontrer que vous combattiez ce principe de l’Eucharistie, puisque vous y appelliez figure ce que le Sauveur du monde y appelle Corps. Ainsi, ajoûtay-je, le Fils de Dieu asseure ce que vous niez. Il dit Cecy est mon Corps, & vous dites que ce ne l’est pas. Vous ne fondez donc pas vostre Foy sur sa Parole. Aprés avoir eu la bonté de m’écouter, vous me répondites que le Fils de Dieu avoit dit ailleurs. Je suis une Vigne, & que pourtant ny vous ny moy ne croyons pas qu’il soit une Vigne. Là-dessus je vous priay de distinguer les occasions. Dans celle où N. Seigneur se disoit une Vigne, il n’établissoit pas un Sacrement, ny par consequent un Article de Foy, ainsi il pouvoit user de Paraboles ; mais en instituant l’Eucharistie, le Sauveur du monde formoit un Article de Foy essenciel, & il établissoit un Sacrement ; par consequent il y parloit à la lettre, comme il y a parlé quand il a institué le Baptesme. Tout de mesme donc que quand il a dit, Baptisez au Nom du Pere, & du Fils, & du Saint Esprit, il nous a fait un Article de Foy litteral d’une Trinité réelle, de mesme quand il a dit, Cecy est mon Corps, & faites cecy en memoire de moy, il nous a expressément proposé la realité de son Corps, sous les apparences du Pain. Vous n’oubliastes pas dans cet endroit celuy des Capharnaïtes, & voicy ce que j’eus l’avantage de vous repliquer. Je dis donc, Monsieur, que le Fils de Dieu avoit confirmé sa Presence corporelle, quand il remontra à ses Auditeurs, Que sa Chair ne profite de rien, & que c’est l’esprit qui vivifie. Je vous fis remarquer, que nostre Seigneur en separant ces deux choses, témoignoit que l’on pouvoit recevoir l’une sans l’autre, & par consequent que sa Chair prise sans son Esprit, c’est à dire sans sa Grace, faisoit ce que nous appellons une Communion indigne ; d’où il resulte que le Sauveur du Monde établissoit réellement & localement sa Chair dans l’Eucharistie ; autrement, continuay-je, ce qu’il dit ensuite du scandale de ses Auditeurs, seroit un pur galimatias, dont le Fils de Dieu n’est pas capable. Quoy, dit-il, cela vous scandalise ? Et que sera-ce donc quand vous verrez le Fils de l’Homme remonter où il estoit auparavant ? De bonne foy, Monsieur, quels rapports à cette Parole avec celles qui la precedent ? Estoit-il question icy de l’Ascension du Fils de Dieu ? Non ; mais il estoit question d’instruire des Peuples qui s’effrayoient de manger réellement le Sauveur du Monde, & il leur dit : Si vous estes scandalisez de me manger pendant que je suis sur la Terre, que sera-ce donc quand vous me mangerez encore aprés que je seray monté au Ciel ? Je vous défie, avec tout le respect que je vous dois, de tirer une autre consequence de ces Paroles, à moins de leur donner la torture, & de faire tomber le Fils de Dieu dans des disparates indignes de luy. Cette reflexion vous surprit, & là-dessus vous me témoignastes par modestie que vous n’estiez pas d’une profession à Controverse. J’eus l’honneur de vous répondre, Monsieur, que la verité estoit de toutes les professions chez les Chrétiens. Vous me repliquastes que vous la chercheriez, & que pour cela vous aviez beaucoup de Livres. Je pris la liberté de vous dire, que le meilleur de tous les Livres estoit le cœur ; qu’il falloit à Livre ouvert y recevoir la verité, la demander à Dieu, qui ne la refuse jamais à ceux qui la cherchent avec bonté & simplicité de cœur. J’opinay bien du vostre dans cette rencontre, où vous me parlastes avec beaucoup de probité. Vous y loüastes la mienne, & ce que j’ajoûtay vous en parut plein. Ce fut quand je vous exposay la Communion des Apostres, & que je vous prouvay qu’elle eust esté illusoire s’ils n’avoient communié que par la Foy ; car enfin, la Foy est un argument des choses qui ne paroissent point, & tout paroissoit aux Apostres, d’un costé le Corps du Sauveur, de l’autre du Pain tout pur selon vous. Où pouvoient-ils donc exercer leur foy selon nous ? Ils l’exerçoient en croyant le Corps du Sauveur du Monde, comme nous le croyons placé sous les apparences du Pain. Quoy que cette raison demeurast sans une seule replique, je la confirmay par ces paroles de S. Paul, qui attribuent les mauvaises Communions, à ce qu’on n’y discerne pas le Corps du Seigneur. Nous tombasmes d’accord que ce discernement se faisoit par la Foy, & j’en tiray cette consequence ; donc la Foy suppose la presence réelle du Fils de Dieu dans la Cene, comme mon œil suppose les couleurs dans les objets ; car enfin, si la Foy discerne le Corps du Fils de Dieu dans la Cene, il y est donc, puis qu’on ne discerne pas des choses qui ne sont point, & nous finismes nostre Conversation par des marques d’une mutuelle estime. I’en ay pour vous, Monsieur, une tres-particuliere, & je souhaite que mon Entretien ait avec vous le mesme succés qu’il a eu dans Chasteaudun, avec une Veuve de vostre Religion, qui a professé la nostre. Il n’est pas honteux à un homme d’estre touché par les raisonnemens qui touchent certaines Femmes. Vous sçavez que les ames n’ont point de sexe, & que ce n’est pas la difference des corps, mais des cœurs & des esprits, qui nous fait valoir auprés de Dieu. Il a répandu son Esprit autrefois sur Anne, sur Holda, & sur Debora, qui prophetiserent à l’exclusion des Hommes, & dernierement encore Madame de la Ferté acheva ce que plusieurs Ecclesiastiques & moy n’avions pû finir avec Madame Maillot, qu’elle a envoyée à Chartres pour se convertir. Vous connoissez sans doute Madame de la Ferté, qui a des Freres chez Monsieur le Prince & chez Madame la Princesse de Brunsvvic, qui tiennent les premieres Charges, comme vous avez des Proches qui tiennent les premiers rangs dans la Maison du Roy ; & Mr de la Ferté a l’honneur d’appartenir à Madame la Mareschale de Castelnau, comme vous appartenez à Mr le Marquis de Dangeau, dont les lumieres vous garantissent l’exemple. Suivez-le, je vous en conjure, sous le Regne de LOUIS le Grand, qui a le cœur d’un Pere, & la teste d’un Roy. Son cœur est aussi grand que son nom, & sa teste fait honneur à sa Couronne. Fiez vous-en à ses connoissances, qui l’empeschent de se tromper, & à sa probité, qui l’empesche de tromper les autres. Je ne vous trompe point moy-mesme, quand je vous asseure que je suis avec un respect tendre & sincere, vôtre, &c.

 

Cette Lettre ne sçauroit estre que d’un tres-grand poids pour tous ceux, qui sans se laisser préoccuper, examineront de bonne foy le raisonnement dont l’Autheur se sert pour combattre la fausse Doctrine des Calvinistes ; mais si les uns contribuent aux Conversions en écrivant, les autres à qui leur rang donne le pouvoir d’agir, ont des succés tres-avantageux des soins qu’ils prennent à détruire l’Heresie.

[Explications des énigmes précédentes] §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 277.

 

Le vray mot de la premiere Enigme du dernier mois, estoit le Four, & il a esté trouvé par Mr Fournier, Prestre & Promoteur du Chapitre d’Amiens, & par Mesdemoiselles Marion Bariban, & Catho du Boquet de Chartres.

Ceux qui ont expliqué la seconde Enigme sur les Manchetes qui en estoit le vray sens.

Enigme §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 280-281.

La premiere des deux Enigmes nouvelles que je vous envoye, est du Berger Fidelle du quartier Saint Eustache.

ENIGME.

Entre les Animaux je tiens le premier rang,
Il n’est point de Climat où l’on ne me connoisse,
Souvent dans ma fureur, je suce jusqu’au sang,
Et plus je fais de mal, & plus on me carresse.
***
Je parle mieux qu’un Geay, mieux que luy je babille,
Nul Singe ne ressemble à l’homme tant que moy ;
On me trouvé par tout ; aux Champs comme à la Ville,
Et mesme quelquefois entre les bras d’un Roy.

Autre Enigme §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 282.

AUTRE ENIGME.

 On voit en l’air une Maison
 Qui peut passer pour Labirinte,
 Ou ceux qui cheminent sans crainte
 Sont arrestez en trahison ;
Un lieu de gesne & de contrainte,
Où leur pauvre vie est esteinte
 Par un Monstre plein de poison.
 Sa malice est ingenieuse,
 Et de Vulcain la main fameuse
 Dresse des pieges moins subtils.
 Son Art de bâtir est extrême,
 Et sa matiere & ses outils
 Se rencontrent tous en luy-mesme.

[Alcibiade tragédie] §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 282-283.

 

On a joüé la nouvelle Tragedie d’Alcibiade dont je vous parlay le mois passé, & elle a eu le succés que je vous ay marqué qu’on en esperoit. Alcibiade y conserve le Caractere qu’il a dans l’Histoire, & l’Acteur qui le represente, soutient ce Personnage avec un tel agrément, & d’une maniere si naturelle, qu’on peut dire que c’est la premiere fois que la Comedie a esté joüée comme il la joüe. La Piece est remplie de Vers aisez & de fort bon goust, & tout le monde en voir la Representation avec beaucoup de plaisir.

[Sur l’opéra Roland]* §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 284.

 

Mr du Meny, dont je vous ay parlé au commencement de cette Lettre, est rentré à l’Academie de Musique, & a joüé dans l’Opera de Roland. Celuy d’Armide s’avance fort, & l’on travaille avec grand empressement à tout ce qui en regarde le Spectacle. Ainsi l’on espere qu’on en donnera quelques Representations à Paris sur la fin du Carnaval.

[Entretiens sur la pluralité des Mondes] §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 284-288.

 

Vous vous fachez il y a long-temps de ce que l’Autheur des Dialogues des Morts vous a mise en goust pour ses Ouvrages, & que vous ne voyez plus rien de luy. Cessez de vous plaindre. Il fait imprimer un Livre nouveau, qui quoy qu’il soit de Philosophie, est tourné si galamment que la matiere n’a rien de sauvage. Ainsi non seulement vous le trouverez fort agreable, vous qui estes née pour toutes les belles Connoissances ; mais je puis vous asseurer que vos Amies entreront sans peine dans tout son raisonnement. L’approbation qu’il a déja euë dans quelques lectures particulieres, fait connoistre que s’il l’a fait attendre longtemps, c’est parce qu’il n’a rien voulu hasarder qui ne répondist en quelque sorte à la reputation que ses Dialogues luy ont acquise. Ce Livre est Intitulé, Entretiens sur la pluralité des Mondes. Le dessein en est extremément singulier. La Phisique y est amenée à la portée de toutes les Dames, sans exception, quand mesme elles n’en auroient jamais entendu parler. Elle y est soûtenuë de toutes les reflexions morales que le sujet peut produire ; elle y est ornée de traits d’Histoire, & égayée par tous les agrémens, mesme de galanterie, qui peuvent naistre dans la conversation d’un homme & d’une homme d’esprit. Enfin, c’est de la Philosophie déguisée, qui avec la verité qu’elle doit toûjours avoir à des graces qu’elle n’a pas ordinairement. Le but de l’Auteur est de vous donner une idée generale & fort claire de l’arrangement & de la construction de tout ce grand Univers. Il vous le fait voir d’une maniere assez differenté de celle dont la pluspart des gens le voyent ; mais en mesme temps il vous donne un spectacle tres-pompeux & tres-magnifique, & qui merite bien que tout ce qu’il y a de gens d’esprit s’arrestent à le considerer. J’auray soin de vous envoyer cet Ouvrage, dés que la Veuve Blageart aura achevé de l’imprimer. Elle espere en commencer le debit dans quinze jours.

[Balet de la Jeunesse]* §

Mercure galant, janvier 1686 [tome 1], p. 290-291.

 

Le Balet de la Jeunesse a esté dancé cette semaine à la Cour, pour la premiere fois, mais n’en estant pas encore assez bien instruit pour vous en pouvoir parler à fond, je remets jusqu’au mois prochain à vous en apprendre les particularitez. Je suis, Madame, Vostre, &c.