1686

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2].
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Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2]. §

Le Poëte rebuté. Caprice §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 24-31

 

Le talent de sçavoir faire des Vers, est un talent qui a son merite, mais il est infructueux, & la pluspart de ceux qui s’en mêlent, ne sont pas trop bien avec la fortune. C’est ce qui a fait faire l’Ouvrage qui suit à un galant homme, qui n’a trouvé que de vains amusemens dans le commerce des Muses.

LE POËTE REBUTÉ.
CAPRICE.

J’abandonne le Parnasse,
Et pour ne vous point tromper,
Muses, je cede ma place
A qui voudra l’occuper ;
I’ay plus tiré de ma Veine
Que je n’avois esperé,
Et les eaux de l’Hypocrene
M’ont enfin desalteré.
***
 Vois-je dés que je frequente
Ce froid & maigre costeau,
Que son pasquerage augmente
L’embonpoint de mon Troupeau ?
Dans la langueur qui l’accable
Je le vois prest à perir,
Et nul aspect favorable
Ne s’offre à le secourir.
***
 Qu’ay-je à faire des conquestes
Des Heros & des Guerriers,
Si quand j’en chante les Festes,
Je seche aux pieds des Lauriers ?
Oüy, Muses, je le veux croire,
La gloire est vostre destin,
Mais qui ne vit que de gloire,
Peut fort bien mourir de faim.
***
 En vain j’ay fait mon possible
Pour mettre en credit ma voix,
Mon Creancier inflexible
La voudroit d’or & de poids ;
De mes plus douces paroles
Il prend le sens de travers,
Il veut de bonnes pistoles,
Et n’a que faire de Vers.
***
 Enfin dans vos champs steriles,
Muses, on a beau semer,
Ie voy que les plus habiles
Rarement les font germer.
Leur sort ne fait point d’envie,
Car la pluspart seurement,
Ne chantent toute leur vie
Que pour mourir pauvrement.
***
 Que pourrois-je donc pretendre,
Moy, dont les foibles concerts
Ont peine à se faire entendre
Aux Echos les plus ouverts ?
Aux doux sons de vostre Lire
Quand ma voix pourroit fournir,
Qui s’avisera de dire
Qu’il la faudroit soûtenir ?
***
 Lors qu’une ardeur indiscrete
M’a conduit au champ de Mars,
N’ay-je pas pris la trompete
Pour suivre nos étendars ?
Quand LOUIS par ses Conquestes
A tout pris, tout desolé,
En a-t-on fait quelques Festes
Dont je ne me sois mêlé ?
***
 Ay-je manqué ny de zele,
Ny de soins laborieux ?
Infatigable, & fidelle,
Que pouvois-je faire mieux ?
Par tout à perte d’haleine
J’ay secondé vos accords,
Et n’ay tiré de ma Veine
Que d’inutiles transports.
***
 Sonnets, Madrigaux, Devises,
Poëmes, Odes, Chansons,
Qu’à tant & tant de reprises
I’ay tourné de cent façons ;
Rimes riches & parfaites,
Que m’avez-vous épargné ?
A faire des allumettes
I’aurois bien autant gagné.
***
 Dans cette oisive habitude
Où je vay m’ensevelir,
I’auray loin de toute étude
Quelques Pavots a cueillir.
Dans ma paresse indolente
Quand je voudray sommeiller,
Nulle rime embarassante
Ne me viendra réveiller.
***
 Aprés mille & mille épreuves
De la dureté du sort,
Si j’en veux encor des preuves,
I’en auray jusqu’à la mort.
Les malheurs qui m’accompagnent
Ont cent incidens divers,
Par tout où les autres gagnent,
Si je m’embarque, je perds.
***
 Dans mon bel air de jeunesse
Je ne me plaignois de rien,
Mes affaires de tendresse
Alloient par tout assez bien :
Mais de ce plaisir volage
Peut-on joüir en repos ?
Amour a compté mon âge,
Et puis m’a tourné le dos.
***
 Dans la tendresse sincere
Que j’ay pour Amarillis,
Plus j’ay d’ardeur pour luy plaire,
Plus j’augmente son mépris.
Elle n’est point équitable.
Mais dois je m’en alarmer ?
Lors qu’on cesse d’estre aimable,
Pourquoy se mêler d’aimer ?
***
 C’est assez, il faut se rendre,
Et les destins conjurez,
Sur ce que j’en dois attendre
Se sont assez declarez.
Ils entraisnent, il faut suivre,
Et ce qui peut secourir,
C’est qu’un homme las de vivre
A moins de peine à mourir.

Détails de l’Académie des belles Lettres, etablie à Nismes §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 31-44

 

Je vous ay déja parlé de plusieurs Academies de belles Lettres, qui ont esté établies dans les principales Villes du Royaume. Voicy un détail de celle de Nismes. Je vous l’aurois envoyé plûtost, sans les Articles des Conversions qui occupant depuis prés d’un an la plus grande partie de mes Lettres, m’ont obligé d’en réserver beaucoup d’autres. L’établissement de cette Royale Academie a esté fait par Lettres Patentes de Sa Majesté du mois d’Aoust 1682. sous la protection de Mre Jaques Seguier, Evesque de Nismes. Voicy la Liste des Academiciens, selon le rang que le sort leur a donné.

François Annibal de Rochemore, President, Juge Mage, & Lieutenant General en la Senéchaussée & Siege Presidial de Nismes.

Joseph de la Baume, Conseiller du Roy en la Senéchaussée & Siege Presidial de Nismes.

Jean Saurin, Docteur & Avocat.

Claude de Roverié, Seigneur de Cabrieres.

Jean Menard, Prestre, Prieur d’Aubort. Il doit bien-tost donner au Public la Traduction Françoise des Lettres de Pierre de Blois.

Pierre Causse, Prestre, Chanoine, second Archidiacre en l’Eglise Cathedrale de Nismes, Vicaire General, & Official de Mr l’Evesque de Nismes.

Charles Restaurand, Docteur & Avocat.

Antoine Teissier, Docteur & Avocat. On a de luy une Traduction Françoise de l’Epistre de Saint Clement aux Corinthiens ; & de la premiere Lettre de Saint Chrysostome à Theodore ; les Eloges des Hommes Illustres, tirez de l’Histoire de Mr de Thou, avec des Notes de sa façon. Il a aussi fait imprimer à Paris quelques Homelies de Saint Chrysostome traduites en François ; & il donnera bien-tost au Public la Bibliotheque des Bibliotheques du Pere Labbe, augmentée.

Antoine Rouviere, Docteur & Avocat.

Claude Maltret, Docteur & Avocat.

Honoré de Trimond, Prestre, Conseiller Clerc en la Senéchaussée & Siege Presidial de Nismes.

Jean Pierre Chazel, Conseiller du Roy, & Lieutenant Principal en la Senéchaussée & Siege Presidial de Nismes.

François Graverol, Docteur & Avocat. C’est luy qui a publié depuis quelques années des Observations sur les Arrests du Parlement de Toulouse, recueïllis par le President la Roche-Flavin. Il fait imprimer actuellement à Toulouse un Recueil des Lettres que le Cardinal Sadolet avoit écrites au nom du Pape Leon X. avec quelques Notes de sa façon. Il est l’Auteur d’une Dissertation sur l’Inscription du Tombeau de Pons, Fils d’Ildefonse, de la Famille des Raymonds, Comtes de Toulouse, que l’on voit parmy les Recherches curieuses d’Antiquité, que Mr Spon publia en l’année 1683. Mr Graverol travaille encore à la Bibliotheque du Languedoc, laquelle contiendra en abregé la Vie des Sçavans de cette Province, qui ont écrit. L’Academie luy doit aussi la Devise qu’elle a prise à l’imitation de celle de l’Academie Françoise. C’est une Couronne de Palme, avec ces mots, Æmula Lauri.

Loüis de Trimond d’Ayglun, Prestre, Docteur en Theologie, Chanoine de l’Eglise Cathedrale de Nismes, Prieur de Quinson, & de Belcoüades. Il traduit les Eloges des Hommes de Lettres de l’Italien de Lorenzo Crasso.

Pierre Chazel, Procureur du Roy en la Senéchaussée, & Siege Presidial de Nismes. Jean-Antoine de Digoine, son predecesseur en cette Charge, & qui mourut en 1684. remplissoit dignement une place en la mesme Academie.

François de Faure Fondamente, à qui Mr Pelisson a dedié son Histoire de l’Academie Françoise.

Jules Cæsar de Fain, Marquis de Peraud, Maréchal de Camp aux Armées du Roy. Lors qu’on fit l’Etablissement de l’Academie, il en fut fait le Secretaire ; mais son absence est cause que cette Charge est presentement entre les mains de Mr de Saurin.

Henri Cassagnes, Conseiller du Roy Honoraire en la Senéchaussée & Siege Presidial de Nismes, & Tresorier du Domaine en la mesme Senéchaussée. Il donnera au Public dans peu de temps sa Traduction Françoise du Courtisan de Baltasar Castalioni. Feu l’Abbé Cassagnes, de l’Academie Françoise, estoit son frere.

Henry Guiran, Conseiller au Parlement d’Orange.

Ignace Demerés, Prestre, Chanoine en l’Eglise Cathedrale de Nismes.

Pierre Petit, Ecuyer, cy-devant Maréchal general des Logis de la Cavalerie Legere de France.

Les Academiciens Externes sont en petit nombre ; mais ils sont tous Gens de distinction & de merite.

Baltazar Phelypeaux, Marquis de Chasteauneuf, Conseiller du Roy en ses Conseils, Secretaire d’Estat, & Commandeur des Ordres de Sa Majesté.

David Brüeys, Docteur & Avocat de la Ville de Montpelier. Il a publié une belle Paraphrase en François de l’Art Poëtique d’Horace, une Réponse au Livre de Mr de Meaux, intitulé, Exposition de la Doctrine de l’Eglise Catholique ; & ayant ensuite quitté le party des Protestans, il fit imprimer l’Examen des Raisons qui ont donné lieu à la Separation des Pretendus Reformez, fait sans prevention sur le Concile de Trente, sur la Confession de Foy des Eglises Protestantes, & sur l’Ecriture Sainte.

Jean-Antoine de Charnes, Prestre, & Doyen de l’Eglise Collegiale Nostre-Dame de Villeneuve d’Avignon. Il a fait la Contre-critique de la Princesse de Cleves ; la Vie de Sainte Rose ; la derniere Traduction Françoise de la Vie de Lazarille de Tormes, & quelques autres Traductions de Livres Italiens.

Jacob Spon, Docteur aggregé au College des Medecins de Lyon, & à l’Academie des Ricovrati de Padoüe. Il a publié un Traité De Aris Deorum incognitorum, l’Histoire de Geneve ; son Voyage de Grece, en trois volumes ; les Recherches curieuses d’Antiquité ; la Recherche des Antiquitez & Curiositez de la Ville de Lyon. Aphorismi novi ex Hippocratis Operibus collecti, avec des Notes ; un Traité des Fiévres & des Fébrifuges, & un Livre intitulé, Miscellanea Eruditæ Antiquitatis, qui vient d’estre achevé, & qui contient une tres-grande quantité d’Inscriptions, de Bas Reliefs, & de Statuës antiques, qui n’avoient pas esté publiées. Tout cela se trouve à Lyon chez le Sr Amaulry Libraire. On verra bien-tost de luy des Vies nouvelles des Hommes Illustres de l’Antiquité, qui contiennent celles d’Homere, de Virgile, d’Annibal, de Scipion, d’Epaminondas ; de Corbulon, d’Hippocrate, de Gallien, de Denys, de Pisistrate, d’Epicure, & de quelques autres, qui n’ont pas été écrites par Plutarque.

Les Pêcheurs ou la Table d’Or, conte tiré de Diogène Laërce §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 45-53

 

Voicy un Conte nouveau de Mr de la Barre de Tours. Divers Ouvrages de mesme nature que je vous ay déja envoyez de luy, vous ont fait connoistre combien ce genre d’écrire luy est naturel.

LES PESCHEURS,
Ou la Table d’or, Conte tiré
de Diogene Laërce.

 La passion la plus traitresse,
Et qui plus finement se glisse dans un cœur,
 C’est l’amour propre : & ce tyran flateur
Est d’autant plus cruel qu’il est remply d’adresse :
 Il ne cherche que l’interest,
En aveugle, ignorant, suit la fausse apparence,
Est trompeur dans sa fin, menteur dans sa naissance,
Et jamais ne découvre un objet tel qu’il est.
Des autres passions c’est la source feconde,
Et plus d’un Philosophe écrit que ce tyran
Parmy les passions non seulement a rang,
Mesme qu’il n’est que luy de passions au monde.
Quoy, la Haine, l’Amour, la Peur, l’Ambition,
Et le reste, seront la mesme passion !
Pour en juger qu’on voye avec un soin extrême
Le but de chacune en soy-mesme :
Par exemple, d’Amour les traits nous semblent doux,
Nostre cœur satisfait un desir de vangeance,
 D’un Ennemy nous craignons la puissance,
Faisons-nous tout cela que par rapport à nous ?
***
Cherchons des gens exempts de pareille foiblesse,
 Mais où pouvoir en trouver icy-bas ?
  Il n’est plus de Sages de Grece,
Il n’est plus de Solons, de Thalés, de Bias,
 Ils sont tous morts ; & si ce n’est l’Histoire,
Je voy peu de Contrée où vivent tels Manans ;
Mais quand c’est pour puiser quelque exemple notoire
 Pour nos mœurs, ou pour nostre gloire,
Il faut chercher les Morts au defaut des Vivans.
***
 Un Autheur dit, que le long d’un rivage,
Peu loin d’une Cité qu’on appelloit Milet,
 Certains Pescheurs jetterent leur filet :
 Par cas fortuit c’estoit dans le passage
De quatre Voyageurs, qui cherissoient beaucoup
Les gros Poissons, & je les en revere,
Vieux Poisson, jeune chair faisant la bonne chere ;
Enfin nos Voyageurs marchanderent le coup.
 Eux & Pescheurs stipulerent ensemble,
L’argent par les derniers fut d’abord empoché.
A tout hazard, pour eux c’estoit fort bien pesché,
Et ce n’est pas toûjours faire un trop fou marché
Que de serrer l’argent. Lecteur, que vous en semble ?
 La Pesche dépendant du sort,
Le filet bien souvent de la Riviere sort
 Sans amener la moindre chose ;
Mais pour le coup les Pescheurs eurent tort,
Et vous verrez qu’en vain l’homme propose,
 Quand de luy Fortune dispose.
  Voyons. Ils sentirent d’abord
Beaucoup de pesanteur, ce qui faisoit la joye
 Des Voyageurs. Enfin voicy la proye,
 Quatre Merlans sur une table d’or,
Quelqu’un dit un trepied, mais soit trepied, soit table,
 Ce m’est tout un, puisqu’il est veritable
Que l’un ou l’autre estoit d’or, & d’or de ducat.
 Entre nos gens il survint un debat,
Les Pescheurs vouloient l’or ; à nos gens de Voyage
L’or aussi sembloit bon ; on dispute, on se bat.
Le fait (il faut tout dire) estoit tres-délicat ;
Les Pescheurs enflamez d’avarice & de rage,
Disoient aux Voyageurs. Les Merlans sont pour vous,
C’est là vostre Poisson, vous n’avez autre affaire
A chercher dans nos rets. Le trepied est à nous,
Disoient les Voyageurs. Payant vôtre salaire
Comme nous l’avons fait ; & l’or & le Poisson
Sont à nous justement ; vous pouviez ne rien prendre,
Le coup estant payé, nous perdions la façon,
 Nous ne pouvions nous en défendre.
 Mais pour finir tous incidens,
Si vous avez desir de manger des Merlans,
 (Quoy que ceux-cy soient nostre Pesche)
 Nous vous les cedons de bon cœur,
Mangez, rien ne vous en empesche.
Ils prirent ce discours pour un propos moqueur,
Et jurant que la table iroit devant l’Oracle,
Porterent sans remise aux Juges de Milet,
  Ce beau coup de filet.
  D’abord on le fit le spectacle
Des grands & des petits. A Delphe on le porta,
Où sans estre ambigu, l’Oracle declara
Que les Dieux destinoient ce present au plus sage.
  On n’attendit pas davantage
  A le presenter à Solon.
Solon n’en voulut point, à Bias il le donne ;
Bias qui se croyoit moins sage que personne,
 Se croit aussi peu digne de ce don,
  L’offre à Thalés, Thalés s’excuse,
Et le donne à quelqu’un encor qui le refuse :
  Enfin on le rend au premier,
  Qui fait comme a fait le dernier.
Il s’avisa pourtant d’une prudente adresse
  Que luy suggera sa sagesse.
Si c’est pour le plus sage il n’est point de milieu,
Dit-il, c’est à l’Oracle à qui mon cœur l’adresse ;
Est il rien icy bas de plus sage que Dieu ?
  Sans moraliser davantage,
Je voudrois qu’à quelqu’un on portast aujourd’huy
  La table d’or, comme au plus sage ;
  Quelqu’insensé qu’il fust, je gage
Qu’il ne manqueroit pas de la garder pour luy.

[Theses dédiées à Monsieur le Duc de Bourbon, avec l’Epistre adressée à ce Prince, & tout ce qui s’est passé à cette occasion] §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 54-62

 

Le 27. du mois passé, Mr du Tertre soûtint une These dédiée à Monsieur le Duc de Bourbon, & s’en acquitta avec beaucoup de succés. Mr l’Abbé le Pelletier, Cadet de Mr l’Abbé le Pelletier qui presidoit à cet Acte, tous deux Fils de Mr le Controlleur General, ouvrit la dispute par un Discours qu’il fit à l’honneur de ce jeune Prince. Il y fit entrer l’Eloge des Heros de l’Illustre Maison de Condé, & parla avec une netteté & une éloquence que tout le monde admira. On applaudit fort le Soûtenant. Ses Réponses furent justes, & il n’y eut point de difficulté qu’il ne resolust. Il est Fils de Mr du Tertre, l’un des plus celebres Chirurgiens de Paris, & qui a toûjours esté entierement attaché au service des Princes qui portent l’auguste Nom de Condé. L’Acte se fit dans les Ecoles de S. Thomas, les plus spacieuses de l’Université, & qui avoient esté choisies exprés à cause du grand nombre de personnes qu’on y avoit invitées. La Sale estoit ornée de riches Tapisseries, & éclairée de quantité de Lustres de cristal, dont les lumieres faisoient un tres-agreable effet. On avoit élevé sur la droite un Dais magnifique, sous lequel estoit la These, dans un Cadre d’un goust fort particulier. Il y avoit aussi une Estrade couverte d’un tres beau Tapis de Perse, & sur laquelle estoit un Fauteüil, preparé pour Monsieur le Duc de Bourbon. Mr le Nonce du Pape assista à cette Action, ainsi que plusieurs Prelats, & un nombre infiny de personnes des plus distinguées de Paris. Je vous envoye la Traduction de l’Epître qui estoit au bas des Theses, adressée à Monsieur le Duc de Bourbon.

MONSEIGNEUR,

Pendant que la Cour estoit encore occupée à celebrer par mille sortes de divertissemens la solemnité de vôtre auguste Mariage, la Philosophie auroit craint avec raison de passer pour une importune, si avec ce visage triste & serieux que vous luy connoissez, elle se fust avisée de venir alors se presenter devant vous, & de vous interrompre mal à propos au milieu des réjoüissances de Marly, de Chambor & de Fontainebleau. Elle a crû devoir garder plus de mesures avec un jeune Prince, dont elle a tant de sujet de se loüer, & qui dés ses premieres années n’a point eu de plus grand plaisir que de la cultiver & de luy plaire. Elle n’ignore pas neanmoins, MONSEIGNEUR, que vous estes d’une illustre Maison, où elle ne fut jamais regardée comme Etrangere, ny rebutée comme importune. Peut-estre mesme qu’elle pourroit se glorifier avec justice d’avoir aidé à former & à perfectionner en vous cet esprit excellent, qui a paru autrefois avec tant d’éclat dans les Ecoles, & qui se fait maintenant un si grand nombre d’admirateurs à la Cour.

Souffrez donc, s’il vous plaist, MONSEIGNEUR, qu’elle ose enfin paroistre devant vostre Altesse Serenissime. Vous luy trouverez un air bien different de celuy qu’elle avoit autrefois, lors que vous faisiez gloire d’estre son Disciple. Elle n’a garde, sans doute, de s’imaginer que vous ayez encore besoin de ses Enseignemens, Vous qui dans la personne du plus grand Roy du Monde, pouvez découvrir d’un coup d’œil, tout ce qu’une multitude onereuse de preceptes auroit peine à vous apprendre. C’est en Suppliante qu’elle se presente aujourd’huy devant Vous, heureuse de pouvoir executer ce qu’elle a de tout temps desiré avec tant d’ardeur, c’est à dire de se consacrer absolument à vostre Altesse Serenissime, & de luy offrir ses tres-humbles obeissances. Mais si celuy qui a maintenant l’honneur de luy servir d’Introducteur auprés de Vous, & de la faire parler, oze prendre la liberté de Vous parler un moment pour luy-mesme, il vous dira, MONSEIGNEUR, qu’il est Fils d’un Pere entierement devoüé à vostre illustre Maison, d’un Pere que Monseigneur le Prince vôtre Ayeul, & Monseigneur le Duc vôtre Pere, ont comblé de bienfaits, & qui se trouvant dans l’impuissance de répondre aux bontez dont ils l’honorent, a voulu au moins par cette Action publique, témoigner le mieux qu’il luy a esté possible, le profond respect & l’eternelle reconnoissance qui l’attachent à Vous, MONSEIGNEUR, & à vostre auguste Maison. Je suis,

MONSEIGNEUR,

De V. A. S.

Le tres-humble & tres-obeïssant Serviteur, P.L. DU TERTRE.

A Tircis. Vers libres §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 62-69

 

Messire Loüis de la Tremoille, Comte d’Olonne, Baron d’Aspremont, mourut icy le 5. de ce mois, à l’âge de soixante ans. Il y avoit fort long temps que les goutes qui le tourmentoient cruellement, ne le laissoient pas en pouvoir de quitter la chambre. Il estoit Fils de Messire Philippes de la Tremoille, Comte d’Olonne, Senéchalde Poitou, & avoit épousé Catherine Henriette d’Angennes de la Loupe, Sœur de Madame la Maréchale de la Ferté, dont il n’a point eu d’Enfans. Cette mort a rendu Mr le Marquis de Royan son Frere, Chef d’une branche Cadette de la Maison de la Tremoille.

Dame Marie Henriette Poncher, Femme de Mr Vallot Seigneur de Maignan, Conseiller au Grand Conseil, est morte environ dans le mesme temps.

L’Ouvrage qui suit merite bien que vous le lisiez. On ne m’en a point nommé l’Autheur. Je sçay seulement qu’un de ses Amis l’ayant prié de faire des Vers, pour justifier une inconstance dont l’accusoit sa Maistresse, il luy envoya ceux-cy pour s’en excuser.

A TIRSIS,
Vers libres.

A Climene, à Daphné, vous contez la fleurete,
L’une & l’autre, Tirsis, soupçonnent vostre foy,
Il faut justifier vostre humeur trop coquette,
 Et vous me donnez cet employ.
***
Pour vous, m’avez-vous dit, il n’est rien plus facile,
 Vostre Muse à cela suffit.
Si pour y réüssir elle est assez habile,
 Quelle part auray-je au profit ?
***
 Vous voulez que je tende un piege
 A de trop credules appas.
Répondez-moy du moins de quelque privilege,
  Gratis je ne l’entreprens pas.
***
 Quand vous aurez trompé la Belle,
 Vous pourrez me tromper aussi,
Mes Vers auront eu beau vous servir auprés d’elle,
 Vous les payerez d’un grand-mercy.
***
Vostre legereté paroistra legitime,
 Voilà ce qu’ils auront produit.
 Pour moy, j’en auray tout le crime
 Quand vous en aurez tout le fruit.
***
Non, je ne puis souffrir vostre libertinage,
 Aimez, mais aimez comme il faut.
Par tout, comme il luy plaist, quand un cœur se partage,
 En amour c’est un grand defaut.
***
 Pour Daphné le vostre soûpire,
Mais à Climene aussi vous adressez des vœux.
 Cher Tirsis, vous avez beau dire,
De semblables soûpirs me semblens fort douteux.
***
Qui s’y fie est trompé ; quand vostre cœur se donne,
 De ce don vous estes jaloux.
 Comment peut il estre à personne
 S’il demeure toûjours à vous ?
***
 Pour la plus aimable Maistresse,
Comment garderoit-il quelque fidelité,
 Si ce qu’il montre de tendresse
 N’est qu’un effet de vanité ?
***
 D’un Coquet le vray caractere,
C’est de feindre en tous lieux qu’il se trouve charmé.
 Quelques soins qu’il prenne pour plaire,
 Il ne veut que paroistre aimé.
***
A dire des douceurs sa bouche est toûjours preste,
 Vous le voyez toûjours errant ;
Mais il compte pour rien la plus belle conqueste,
 Si l’on ne sçait qu’il est le Conquerant.
***
 Volage, il est souvent parjure,
 Ces deux noms se suivent de prés.
L’amour propre, à l’amour croit-il faire une injure
 Pour conserver ses interests ?
***
 Il n’est rien qu’il ne sacrifie
S’il croit se satisfaire au dedans, au dehors.
Tous crime par l’éclat chez luy se justifie,
 Jamais Coquet n’eut de remords.
***
Vous devez à ces traits, Tircis, vous reconnoistre,
Assez au naturel ils font vôtre Portrait.
Corrigez vostre cœur, le mal pourroit s’accroistre,
 Et quelque jour vous en auriez regret.
***
Consultez son panchant sur Daphné, sur Climene,
Que l’une ait vostre estime, & l’autre vostre amour.
En suivant ce conseil vous deviendrez sans peine
 Amant fidelle à vostre tour.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 86-87.

L'Air nouveau que je vous envoye, est d'un de nos plus habiles Maistres. Vous le connoistrez en le chantant.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Quand le Printemps dans les champs nous appelle, doit regarder la page 86.
Quand le Printemps dans les champs nous appelle
Pour respirer les doux Zephirs,
Ce n'est pas la saison nouvelle
Qui fait nos plus charmans plaisirs.
Pour les Amans le temps est toûjours beau ;
Si tu veux me croire, Lysette,
Prens ta Musette,
Je prendray mon Chalumeau,
Et tu verras qu'en Hyver, ma Brunette,
Nous pourrons dans le Hameau
Folastrer comme sous l'Ormeau.
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Sur le Mariage §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 87-98

 

Tant de Gens se plaignent du Mariage, que les Vers que vous allez lire, doivent estre d’un goust general. Je n’en connois point l’Autheur. Je sçay seulement qu’on les a fort estimez icy, & que plusieurs Connoisseurs se sont empressez pour en avoir des Copies.

SUR LE MARIAGE.

Non, je ne feray pas ce qu’on veut que je fasse,
Et deussent succeder cent maux à la menace,
Deussent tous mes parens me priver de leur bien,
Me marier, bons Dieux ! non, je n’en feray rien.
Mon repos m’est plus cher que tout leur heritage ;
On le perd au moment qu’on se met en ménage,
Je veux le conserver jusqu’à l’extrémité.
L’Epoux le moins à plaindre est un homme gâté.
Quoy, s’attacher toûjours à la mesme personne !
Ne la pouvoir quitter que la mort ne l’ordonne !
Estre forcé d’oüir un babil odieux !
S’entendre contredire à toute heure, en tous lieux !
Essuyer une humeur bizare & querelleuse !
Avoir à contenter une ame ambitieuse !
Ah, c’est trop de tourment pour pouvoir estre heureux,
Et trop d’abaissement pour un cœur genereux.
L’Hymen avec la joye a tant d’antipatie,
Qu’il n’a que deux beaux jours, l’Entrée & la Sortie ;
Si l’on en trouve plus, c’est par un cas fortuit,
Il en a cent mauvais, pour une bonne nuit.
Tircis dit que penser aux douceurs du Veuvage,
C’est le plus grand plaisir qu’en reçoit l’homme sage,
Que ce port de salut fait son affection,
Qu’il emprunte de là sa consolation,
Et que sans cet espoir il n’est point d’avantage
Qui le pust engager au joug du Mariage.
Mais helas ! quel plaisir d’attendre son bonheur
D’un coup, dont le trépas peut seul estre l’autheur ;
Et s’il differe trop, d’en pester dans son ame,
Et de mourir cent fois, de voir vivre une femme !
Je m’aime trop, Damon, pour vouloir m’exposer
A ces tristes desirs que l’Hymen sçait causer.
Bans, Articles, Contrat, n’ont jamais pû me plaire.
J’estime un bon Curé, je prise un bon Notaire ;
Mais qui peut approuver leurs Actes inhumains ?
On est perdu d’abord qu’on tombe entre leurs mains ;
Il n’est point sous les Cieux de telle piperie,
Pour un mot, ces gens-là vous brident pour la vie.
On n’a pas plûtost dit le malheureux Oüy,
Que tout ce qui charmoit, se trouve évanoüy.
L’amour comme l’éclair qui traverse la nuë,
Se passe en se perdant, dés que la chose est deuë ;
Et l’on ne peut unir, que l’on ne soit jaloux,
Les façons de l’Amant à celles de l’Epoux.
Point donc d’engagement d’une telle nature,
Le nom d’Epoux est fade, & de mauvais augure,
Son employ, c’est bien pis ; il cause de l’ennuy,
En moins de quatre jours, au plus zelé pour luy,
Et l’épreuve fait voir, que prenant une Femme
On s’érige en Forçat qui va tirer la rame.
Seigneur, preserve moy d’un estat si fâcheux.
Vive la liberté, c’est l’estat que je veux.
Estes-vous bien auprés d’Aminte, ou de Silvie ?
Vous les pouvez aimer s’il vous en prend envie ;
Et quand vous estes las de leur faire la cour,
Vous pouvez à Climene attacher vôtre amour.
Hors du cruel Hymen, on n’aime point par force ;
Sans congé de Justice, on rompt, on fait divorce ;
On gouverne son cœur selon son bon plaisir,
Les chemins sont ouverts, on n’a qu’à bien choisir.
Quand on est marié, cent sujets se presentent,
Ou l’ardeur diminuë, ou les froideurs augmentent ;
Le trop de liberté n’a qu’un facheux retour,
On se lasse aisément de se voir chaque jour ;
Rien alors de nouveau ; plus alors de mistere ;
Plus de douceur, sinon quelque douceur amere ;
On est comme abismé dans un gouffre profond,
Dont on ne peut trouver la rive ny le fond.
Veut-on toûjours s’aimer, & se faire caresse ?
Qu’on s’en tienne aux beaux noms d’Amant & de Maistresse.
Lorsque l’on fait l’amour, on veut toûjours se voir,
Son ardeur adoucit la peine & le devoir.
A-t-on quelque defaut, on fait tout son possible
Pour empescher du moins qu’il ne soit trop visible ;
Mais est-on marié, l’on ne se contraint plus,
Tous les soins qu’on a pris paroissent superflus ;
On devient negligé dés la premiere année.
Clindor estoit fort propre avant son Hymenée ;
Tous ses ajustemens ne faisoient pas un ply ;
C’estoit un aimable homme, un galant accomply ;
Il ne lavoit ses mains que d’Eau rose ou d’Eau d’Ange ;
Sa Perruque & ses Gands n’estoient que Fleur d’Orange ;
Il répandoit par tout la joye & les douceurs,
De la mesme façon que les bonnes odeurs.
Mais depuis son Hymen, que de Metamorphoses
Pervertissent en luy les plus aimables choses !
Ce Berger qui charmoit les sens & les esprits,
Sent maintenant le bouc, au lieu de l’ambre gris ;
Il n’a plus d’enjoüement, plus aucun soin de plaire ;
Il semble avoir toûjours en teste quelque affaire ;
A peine en quatre jours prononce-t-il un mot ;
Il ne fait que resver ; enfin il est tout sot.
 Qui recourt à l’Hymen, court grand risque de l’estre ;
En ce cas le Mary n’est pas toujours le Maistre ;
Son pouvoir ne sçauroit détourner ce malheur,
Si l’on ne m’en croit pas, il est certain, Seigneur,
Que je pourrois nommer tant la chose est publique,
Il est declaré sot par Arrest autentique.
Lisis l’est comme luy ; Licas l’est en secret,
Si je les nommois tous je n’aurois jamais fait.
Il faudroit remonter jusqu’au premier des hommes,
Et voir si le Serpent ne le trompa qu’en pommes.
Pour moy, qui ne veux point courir un tel danger,
Je fuis le Mariage, & n’y veux point songer.
Je sçay qu’on ne voit point sous ses loix, dans cet âge,
De Bergere, d’esprit si modeste & si sage,
Qui lasse avec le temps d’estre Femme de bien,
Ne donne quelque atteinte à ce rude lien ;
Je le sçay des Bergers de plus d’une contrée,
Et je l’ay mesme appris de Zelie & d’Astrée.
De si fâcheux avis m’ont jetté dans l’effroy,
Jamais on n’entendra parler d’Hymen pour moy.
Que dis-je, helas ! je sens qu’il faut que je m’y rende.
Le Ciel me met dans l’ame une frayeur plus grande ;
Il ne force personne à ce joug importun ;
Mais il damne celuy qui vit sur le commun.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 98-129

 

Quelque aversion qu’on ait pour le Mariage, il n’y a personne qui puisse éviter un engagement quand l’Amour s’en mesle, mais peut-estre n’en a t’il jamais formé par une voye aussi extraordinaire que celle dont il s’est servy pour unir deux cœurs, que rien ensuite n’a pû diviser. L’Avanture qui a fait cette Union a des circonstances assez singulieres, pour meriter d’avoir place parmy les Nouvelles de ce mois. Un homme sans Marquisat, mais qui prend pourtant la qualité de Marquis, ayant entretenu plusieurs fois une jeune Demoiselle qui ne manque ny d’esprit ny de beauté, luy trouva tant de merite, que mettant tout son bon-heur dans l’avantage de s’en faire aimer, il resolut de n’épargner rien pour y réüssir. La conqueste estoit assez difficile à faire. Quoy qu’elle n’eust pas encore dix-huit ans, elle avoit assez entendu parler du peu de bonne foy qu’ont les hommes quand il s’agit de dire qu’ils aiment, pour estre persuadée que les douceurs sont pour eux des lieux communs, & qu’en protestant le plus violent amour ils ne sentent rien de tout ce qu’ils disent. Ainsi le Marquis eut beau employer les expressions les plus engageantes & les plus persuasives, elle voulut de longues épreuves, & ce ne fut qu’à force de soins, receus quelquefois avec assez de froideur, qu’il vint enfin à bout de luy faire croire qu’il avoit le cœur veritablement touché. Elle n’en fut pas plûtost convaincuë, qu’elle cessa de s’opposer au penchant qu’elle avoit d’abord senty pour luy. Il estoit bien fait de sa personne, & assez de qualitez estimables le rendoient digne des sentimens qu’il luy inspira. Ils furent sinceres, & d’autant plus tendres, qu’aprés avoir longtemps combatu, elle abandonna son cœur sans nulle reserve à ce que l’amour a de plus flateur. L’aveu qu’elle luy en fit, fut accompagné de toutes les asseurances qui pouvoient le satisfaire, & rien n’auroit approché de son bonheur si à force d’en joüir il ne s’en fust fait une habitude qui diminua beaucoup de son ordinaire empressement. Le bien qui luy estoit seur n’eut plus pour luy les mesmes appas, & en laissant languir son amour, il ouvrit les yeux sur le merite d’une jeune Blonde, Amie de la Belle, en qui jusque là il n’avoit rien trouvé de touchant. Il commença à luy parler plus souvent, & d’une maniere plus obligeante qu’il n’avoit accoûtumé, & la chose alla si loin, qu’aprés luy en avoir fait souvent la guerre en riant, la Belle luy en marqua un veritable chagrin. Il plaisanta sur sa jalousie, & non seulement il ne changea point de sentiment pour la belle Blonde, mais il luy rendit quelques visites, dont il fit mistere à sa Maistresse ; Jugez de son déplaisir quand elle en fut avertie. Elle luy en fit mille reproches, & la satisfaction qu’elle en receut ne répondant point à ce qu’elle avoit sujet d’attendre de son amour, elle ne vit qu’un party à prendre. Ce fut de rompre avec son Amie, & d’oster par là à son Amant les occasions de la chagriner. Elle prit un pretexte assez leger pour se broüiller avec elle, & l’ayant poussée fort vivement sans luy parler du Marquis, elle la pria de la laisser en repos, & de finir un commerce qui n’avoit pour elle aucun agrément. Le Marquis au lieu d’entrer dans ses interests avec autant de chaleur qu’elle se l’estoit promis, prit en quelque sorte le party de son Amie, & fit ce qu’il pût pendant quelques jours pour obtenir d’elle qu’elle consentist à la revoir. Tous ses efforts furent inutiles. Elle protesta qu’elle avoit rompu avec cette Amie, pour ne renoüer jamais, & dit au Marquis que s’il ne rompoit luy-mesme avec elle, il devoit se preparer à voir la plus forte haine succeder à son amour. La menace étonna peu le Marquis. Il continua de rendre des soins à la belle Blonde, qui pour se vanger de l’injuste & bizarre changement de son Amie, n’oublia rien de ce qu’elle crut capable de luy oster son Amant. Elle y réüssit par mille manieres tendres qu’elle affecta pour mieux l’engager, & qui l’obligerent de la preferer à sa premiere Maîtresse. On ne sçauroit exprimer le desespoir où fut cette aimable Fille, lors qu’elle se vit trompée malgré la précaution qu’elle avoit prise de n’abandonner son cœur à l’amour qu’aprés des épreuves qui luy répondoient pour le Marquis d’une fidelité eternelle. Elle luy parla, & ses efforts pour le ramener ayant esté sans effet, elle l’asseura d’un ton fier & emporté qu’il devoit tout craindre d’elle, & que puisqu’il la forçoit à étoufer son amour, il n’estoit aucuns moyens, quelque violens qu’ils fussent, qu’elle ne tentast avec plaisir pour le punir de sa perfidie. Le Marquis luy répondit froidement que puisque sa vie n’estoit pas en seureté avec elle, il fuiroit les lieux, où il croiroit pouvoir la trouver. En effet il cessa entierement de la voir, & ce mépris luy fut si sensible, qu’estant incapable de se posseder, elle n’écouta que son desespoir. Elle crut qu’un homme qui la trahissoit si lâchement estoit indigne de vivre, & s’estant munie de deux Pistolets de poche, elle alla un jour chez luy d’assez bon matin pour le surprendre avant qu’il fust hors du lit. Le Logis luy estant connu, elle monta dans sa Chambre sans avoir trouvé personne qui pust l’aller avertir qu’elle avoit à luy parler. Elle entra tout doucement, & entr’ouvrant un rideau, & voyant un homme qui dormoit la teste tournée de l’autre costé, elle resolut d’executer sa vangeance, sans s’exposer à recevoir de nouvelles marques de son mépris. Elle prit un de ses deux Pistolets & le tira, mais comme ce fut d’une main tremblante, le coup porta contre la muraille. Elle tenoit déja l’autre Pistolet, & se preparoit à le tirer, mais le Dormeur s’étant éveillé au bruit, & ayant haussé la teste, luy fit tomber ce Pistolet de la main, en luy montrant un visage qui n’estoit point celuy du Marquis. C’estoit un Cavalier qu’elle connoissoit, & que le Marquis avoit quelquefois amené chez-elle. Il estoit venu coucher avec luy cette nuit là, & le Marquis que quelque affaire avoit fait sortir de fort grand matin, l’avoit laissé maistre de sa Chambre. La Belle toute troublée s’enfuit promptement, aprés avoir fait un cry qui témoignoit sa surprise. Le Cavalier tout épouvanté du bruit qu’avoit fait le Pistolet, se tasta longtemps pour voir si le coup n’avoit point porté sur luy, & le Marquis estant de retour, il luy reprocha son inconstance qui avoit reduit la Belle à se vouloir vanger si cruellement. Le Marquis se contenta de se précautionner contre un desespoir si dangereux, & au lieu de le regarder comme l’effet d’un amour tres-violent qui luy devoit faire condamner son injustice, il continua d’estre assidu chez la belle Blonde, se moquant du Cavalier qui le vouloit faire rentrer en luy-mesme sur son infidelité. Cependant le Cavalier alla voir la Belle, pour la prier de ne le pas rendre responsable du crime de son Amy. Quoy qu’elle se fust sentie assez de courage pour vouloir oster la vie à un Amant qui l’avoit trompée avec tant de lâcheté, elle ne put retenir ses larmes, lors qu’entretenant le Cavalier, & entrant dans le détail de tous les sermens que le Marquis luy avoit faits pour la convaincre d’un parfait amour, elle luy exagera la bonne foy avec laquelle elle y avoit répondu, aprés avoir pris tous les soins possibles de ne laisser point engager son cœur qu’elle n’eust lieu de se croire aimée. Le Cavalier fut touché de la confidence qu’elle luy fit de ses sentimens les plus secrets, & il y vit tant d’honnesteté, & une maniere d’aimer si peu ordinaire, qu’en blamant la conduite du Marquis, il le plaignit de l’aveuglement qui le faisoit renoncer à estre le plus heureux de tous les Amans. Il s’étendit auprés de la Belle sur les suites qu’elle n’avoit point envisagées dans l’emportement qu’elle avoit eu, & luy fit comprendre que le Marquis ne meritant pas qu’elle se fist pour luy aucune affaire d’éclat, c’estoit par le seul mépris qu’elle devoit se vanger de sa perfidie. Le conseil estoit fort bon, mais pour s’en servir il falloit qu’elle s’arrachast du cœur les tendres impressions que l’amour y avoit gravées depuis longtemps, & ce n’estoit pas une chose aisée. Elle promit d’y faire tous ses efforts, & pria le Cavalier de la voir souvent, parce qu’il estoit le seul avec qui elle pust sentir quelque consolation à s’entretenir de son malheur, & qu’il pouvoit d’ailleurs la fortifier dans le dessein d’oublier un Infidelle, qui en usoit si indignement. Le Cavalier qui voyoit toûjours son cœur tout remply d’amour, parla plusieurs fois à son Amy, pour le rappeller vers cette aimable Personne, & n’ayant pû le persuader, il s’appliqua serieusement à la guerir d’une passion qui ne pouvoit luy causer que beaucoup d’inquietude & des peines inutiles. Il employa des raisons si fortes, & ses manieres pour ne luy laisser aucune esperance furent si honnestes & si pleines de douceur, qu’insensiblement il l’engagea à prendre pour luy la mesme estime qu’il avoit pour elle. Cette estime reciproque qui s’augmenta par le temps, alla plus loin qu’ils ne crurent, & ils s’aimerent effectivement sans s’estre apperceus qu’ils commençoient à s’aimer. Comme leur amour étoit un effet du vray merite qu’ils s’estoient connu en s’examinant l’un l’autre, ils ne se furent pas plûtost expliquez que chacun d’eux se trouva dans la disposition de ne démentir jamais les asseurances qu’ils se donnerent d’une eternelle tendresse. Le Marquis a qui son Amy ne parloit plus de la Belle, commença à se fascher des soins empressez qu’il luy rendoit. Il le pria de les moderer, & jugeant par le refus qu’il en fit qu’il y avoit de l’amour entr’eux, la jalousie commença à réveiller dans son cœur des sentimens qui n’y estoient qu’assoupis. La Belle luy parut avoir plus de merite, quand il la vit aimée par un autre ; & la mesme bizarrerie qui l’avoit obligé à la quitter, luy rendant pour elle ce qu’il avoit senty autrefois, il voulut rentrer dans ses premiers droits, & se conserver cette conqueste. Ainsi l’ayant rencontrée un jour à la promenade, il se resolut à l’aborder. Elle le receut d’un air dédaigneux, qui luy marquoit son entiere indifference, & quoy qu’il pust faire, il ne put estre écouté. Comme il meritoit ce traitement, il ne se rebuta point. Il l’attribua à un premier mouvement de fierté qu’elle ne soûtien droit pas, & la confiance qu’il avoit en son merite, luy fit croire qu’en luy écrivant un peu tendrement, pour la prier de souffrir qu’il allast chez elle se justifier de ce qui n’avoit que l’apparence d’un crime, il en obtiendroit aisément un teste à teste. Ce dessein luy plut ; il l’executa, & donna sa Lettre à une Amie qui avoit eu part à tout leur commerce. La Belle que le Cavalier avoit entierement guerie du Marquis, vit avec beaucoup d’indignation qu’il se fust encore hazardé à luy écrire, & elle estoit preste à luy renvoyer sa Lettre toute cachetée, lors qu’un moment de reflexion luy fit changer de dessein. Elle l’ouvrit, la lût toute entiere, soûrit plusieurs fois en la lisant, & témoigna à la Dame qui s’étoit chargée de l’apporter, qu’elle en estoit assez satisfaite. Elle refusa pourtant d’y faire réponse, sur ce qu’elle avoit besoin d’un peu de temps pour examiner son cœur avant que de faire une nouvelle démarche. Le Marquis instruit du calme où son Amie avoit trouvé son esprit, se tint asseuré de vaincre, puis qu’on ne faisoit que differer la réponse qu’il avoit fait demander. Il s’applaudissoit de ce triomphe, & sa vanité luy faisoit goûter d’avance le plaisir de voir le Cavalier sans Maîtresse, mais la chose tourna autrement qu’il ne le croyoit. La Belle envoya sa Lettre à sa Rivale, & luy manda que quoy qu’elles ne fussent plus amies, elle ne pouvoit souffrir que le Marquis voulust revenir à elle sans l’en avertir ; qu’elle pouvoit prendre ses mesures pour le retenir sur les lumieres qu’elle luy donnoit, & que cette marque de sa bonne foy luy devoit faire connoistre que s’il arrivoit que cette Conqueste luy échapast, elle n’auroit pas à l’en accuser. La belle Blonde ne put se taire avec le Marquis. Elle luy fit de cruels reproches, & ces reproches augmenterent la froideur qu’il commençoit à marquer pour elle. Ainsi ce fut tout de bon qu’ils se broüillerent, & dans la desunion où les mit cette querelle, la belle Blonde presta l’oreille sans peine à un Party fort avantageux qui se presenta en ce mesme temps. Elle songea que le Marquis ne s’estoit donné à elle que par une trahison ; elle le voyoit moins empressé, & jugeant de là que le mariage luy donneroit pour elle un entier dégoust, elle consentit à la proposition qui luy fut faite pour un homme de naissance qui avoit beaucoup de bien, & qu’elle épousa quinze jours aprés. Le Marquis le vit sans aucun chagrin. Il estoit bien aise d’estre delivré d’un engagement qui luy devenoit à charge, ou plûtost tout plein d’amour malgré luy pour sa premiere Maistresse, il se faisoit d’autant plus de gloire de venir à bout de sa fierté, que c’étoit une nouvelle conquête plus difficile à faire pour luy, que quand il l’avoit d’abord entreprise. Il s’y appliqua de tout son pouvoir, mais les soins qu’il prit furent inutiles ; la Belle ne voulut ny le revoir, ny recevoir de ses Lettres. Comme la crainte d’une nouvelle inconstance pouvoit la porter à ce refus, il luy fit dire qu’afin qu’elle n’eust point à douter de la sincerité de ses sentimens, il ne demandoit à estre receu chez elle, que pour dresser des Articles tels qu’elle voudroit, & pour l’épouser dés le lendemain. Elle répondit à tout cela de l’air le plus méprisant, & quoy qu’on luy pust offrir, elle demeura inexorable. Une resistance si peu attenduë desesperant le Marquis, fit de son amour une espece de fureur. Il chercha le Cavalier, luy dit tout ce qu’il put de desobligeant sur son heureuse fortune, & luy voyant conserver une froideur, qui sembloit braver son emportement, il mit enfin l’épée à la main, & le contraignit de se défendre. Le Cavalier recula long-temps sans faire autre chose que parer, mais le Marquis le poussant toûjours, il fut obligé de faire ferme, & ne songea plus à le ménager. Des Amis communs que le hazard amena, les separerent. Ce ne fut pourtant qu’aprés que le Marquis eut receut quelques blessures, qui luy firent garder le lit pendant plus de trois semaines. La chose ayant fait éclat, la Belle en voulut prévenir les suites par son mariage. Elle ostoit par là toute esperance au Marquis, & finissoit la querelle. Ainsi elle prouva sa tendresse au Cavalier en l’épousant peu de jours aprés cette Avanture. Quoy que mariez, ils ont toûjours l’un pour l’autre des égards d’Amans. On m’a dit que le Marquis se voyant guery de ses Blessures, s’étoit éloigné pour s’épargner le chagrin d’estre témoin des douceurs qu’ils goûtent dans une si tendre & si parfaite union.

[Cloche fonduë à Roüen, pour accompagner la Cloche nommée Georges d'Amboise] §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 162-167 L'article suivant contient un poème de M. Rault, sur cette cloche.

 

En vous parlant de Roüen, je me souviens d'un voyage que vous y fistes il y a quelques temps, & que vous eustes la curiosité d'aller voir la fameuse Cloche appellée Georges d'Amboise, qui fait une raretez de la Ville. Mrs du Chapitre de l'Eglise Cathédrale & Primatiale, la voulant accompagner d'une autre qui eust une grosseur remarquable, firent fondre cette nouvelle Cloche la Mardy 15 du dernier mois dans le Terrain du Collège de l'Albane. Ce fut entre neuf & dix heures du soir que cette fonte se fit. Elle de douze à treize mille. Aussi-tost qu'elle fut fixe, arrestée & seure, les principales Cloches de la mesme Cathédrale sonnèrent deux fois en carillon ; ce qui répandit pendant la nuit une grande joye par toute la Ville. Cet Ouvrage a très heureusement réüssi. Aussi a t'on fait liberalitez au Sieur Jean Aubert de Lysieux qui l'a entrepris, & qui est un des plus expérimentez Fondeurs de la Province. La nouvelle Cloche dont je vous parle est formée du métal de quatre autres moindres, outre celuy qui a esté ajoûté de la part du mesme Chapitre. Elle a dix-huit pieds & demy de tour, & son ton est sur Ré. Celles que l'on a brisées pour la faire, sont Guillaume d'Estouteville, Romaine, la Petite Marie, & Complies, qui étoient dans la Tour de Saint Romain, ou des onze Cloches, où celle-cy doit estre placée. Ces mots sont autour, près des Anses : Jean Aubert, Fondeur de la ville de Lysieux, & audessous on lit cette Inscription.

Audite populi, & attendite de longe. Isaiæ. 49.

I.Guillemus Cardinalis dEstouteville. 2. Romanus. 3. Maria minor. 4. Completoria : ex quatuor una, diviso quondam, nunc conjuncto metallo.

SEU

Sum fusa è quatuor non rite sonantibus una.

 

Le mesme Chapitre animé par l'heureux succès de cet Ouvrage, a dessein de faire jetter une autre Cloche au moule par le mesme Fondeur, pour accomplir une Octave par tous les tons de Musique. Celle de Georges d'Amboise commence par Ut, celle-cy par Ré, & les autres auront leurs tons particuliers & différens ; & par là ce sera le plus armonieux, le plus gros & le plus plein Carillon qui soit en Europe. Cette nouvelle Cloche sera bien tost en état de contribuer au son eclatant qui se fait entendre dans les Solemnitez extraordinaires, telles que celle de rendre grâces à Dieu de la Destruction de l'Hérésie, & pour lors on pourra compter au moins cent mille de métal en bransle ; de sorte que cette cathédrale, malgré le dommage qu'elle a souffert par le dernier Orage, peut encore se vanter d'avoir plusieurs choses considérables en son enceinte, comme son grand Vaisseau, ses hautes Tours, la richesse de ses Chapes, & la hauteur de la Pyramide, qui est de 395 pieds.

[Stances de Mr Rault sur la cloche fondue à Rouën]* §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 167-169L'article précédent relate la fonte de la cloche que célèbre ce poème.

Voicy des Stances de Mr Rault sur cette nouvelle Cloche.

D’un ton harmonieux, mais charmant à l’oreille,
 Je vay former de doux accords,
 Pour faire entendre la merveille,
De quatre Sœurs, dont l’Art n’a fait en moy qu’un Corps.
***
Leurs Timbres & le mien estant unis ensemble,
 Quoy que divers n’en feront qu’un ;
 Car le métal qui nous assemble
Par la fonte entre nous va le rendre commun.
***
Puisque je tiens mon sort d’un illustre Chapitre,
 Il faut m’attacher à ses Loix ;
 Et comme il est mon seul Arbitre,
N’y dois-je pas regler mon organe & ma voix ?
***
C’est donc & par son zele, & sa main liberale,
 Qu’on voit triompher ce bel Art,
 Et qu’à sa gloire sans égale,
Sa Metropole doit prendre beaucoup de part.
***
Mais encore une Sœur, qu’en peu de temps j’espere,
 Par sa voix & nos tons divers,
 En son Octave icy doit faire,
Le plus beau Carillon qui soit en l’Univers.
***
Ce sera quand l’Hymen, la Paix, ou l’Alliance,
 Rendront les Peuples réjoüis,
 Ou quand au bon-heur de la France,
La Victoire suivra par tout le grand LOUIS.

Rault de Roüen.

[Epigrammes sur le Nom & sur les Armes de Mr de Boucherat] §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 181-182

 

Je vous ay déja envoyé une Anagramme sur le nom de Mr le Chancelier. En voicy une seconde ; elle est de Mr de Salbray, Valet de Chambre de Sa Majesté.

Loüis de Boucherat.
Le beau chois du Roy.
 Illustre Chancelier de France,
Qui remplis dignement toute son esperance,
 Dans ce premier & grand Emply
Themis avec raison te cede sa Balance,
LOUIS de Boucherat est le beau choix du Roy.

 

Cette autre Epigramme a esté faite sur les Armes de Mr le Chancelier, qui porte d’azur, au Coq d’or.

 Des plus obscures nuits ses Chants percent l’horreur,
Et lors que le Soleil repose au sein de l’onde,
Aux plus fiers Animaux imprimant la terreur,
Ses veilles font sa gloire, & le salut du Monde.

[Mission faite à Alençon sur ordre du roi pour les nouveaux catholiques]* §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 200-203

 

[...] Les Jésuites ont fait [à Alençon] une Mission par l'ordre du Roy pour les nouveaux catholiques. Elle fut ouverte le second [jour] du mois passé par une Procession Générale, à laquelle assistèrent le Corps de Ville, Mrs du Presidial, dix de ses Pères en Surplis, les Capucins, & tout le Clergé. Au retour Mr Chesnard Curé d'Alençon, fit un excellent Discours sur les motifs de la pénitence, à laquelle cette Mission invita toute la Ville. Il chanta ensuite la Messe du S. Esprit, où les Pères de la Mission se trouvèrent. Depuis ce temps là, il y a eu chaque jours quatre Discours; l'un de grand matin pour les gens de travail & de service; un autre à dix heures sur les Points fondamentaux de nostre Religion; une Instruction familiere à une heure aprés midy, & le soir à cinq heures une Controverse suivie des Prieres ordinaires dans les Missions. Le jour des Roys, premier Dimanche de l'année, le Maire & les Echevins voulant honorer la Mission, présentèrent les pains bénits au nom de Sa Majesté & de la Ville. On les alla prendre à l'Hostel de Ville au son des Tambours & ils furent apportez par seizes Sergens d'armes avec leurs bandolières fleurdelysées. Les Trompetes les receurent à la porte de l'Eglise, & se mêlant au son des Cloches & des Orgues, attirèrent une infinité de monde à voir cette ancienne Cérémonie qu'on renouvelloit en faveur des nouveaux Catholiques, pour les accoûtumer à nos usages. [...]

[Cérémonies pour l'abjuration de deux Dames d'Arras]* §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 203-206

 

Le Dimanche 10 de ce mois, Dame Susanne de Vez [et Mademoiselle Saquier, fille du ministre Isaac Saquier firent] abjuration de l'Hérésie, dans une des plus considérables Paroisses d'Arras. Elle s'estoit mise depuis quelque temps entre les mains d'un Capucin tres-sçavant dans les Controverses, & elle en avoit receu tous les éclairissemens dont elle avoit besoin sur ses Doutes, aussi bien que Mademoiselle Saquier Fille d'Isaac Saquier Ministre fameux. Toutes choses étant disposée, Mr de Préfontaine Président en Chef du Conseil d'Artois, & Mr Bataille, Procureur Général au mesme Conseil, allèrent les prendre en Carosse, les conduisirent à l'Eglise. Toutes les personnes considérables de la Province s'y trouvèrent, & il y en eut beaucoup qui se firent un honneur de signer leur Profession de Foy; entre autre Madame de Montmorency, Madame la Marquise d'Arancy, & Madame la Comtesse de Mauve, de la Maison de Crequy. On chanta le Veni Creator, qui fut suivy d'un très éloquent Discours que le Père Capucin fit à ces deux Dames avant que de recevoir leur abjuration. Cela estant fait, elles prononcèrent leur Profession de foy avec une ferveur toute édifiante, & cette cérémonie finit par le Te Deum. [...]

[Conversions à Rosoy et à Metz.]* §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 207-209

 

Mr le Vasseur, Prieur d’Auchy, a receu depuis quelque temps la Profession de Foy de quatorze Religionnaires qui ont renoncé à leurs Erreurs. Une Niepce du fameux Mr Conrard, mort Secretaire de l’Accademie Françoise, estoit de ce nombre. La Ceremonie a esté faite à Rosoy prés de Soissons.

Mademoiselle Dorte, dont la fermeté pour la Religion Protestante paroissoit insurmontable, & qui mesme l’a fait connoistre par des actions trop hardies pour une personne de son Sexe, a fait aussi Abjuration à Metz entre les mains de Mr l’Evesque dans l’Eglise des Ursulines. Mademoiselle de Montigny abjura en mesme temps. Mr Duchat Conseiller au Parlement, & Mr Bancelin Capitaine & proche Parent d’un Ministre de Mets, se sont convertis dans la mesme Ville.

[Conversion de Mr du Faux Amperoux]* §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 209-212

 

J’ay aussi à vous apprendre la Conversion de Mr du Faux Amperoux. C’est un Gentilhomme de Bretagne, qui avoit esté destiné pour la Robe, & dont la fortune seroit beaucoup plus considerable qu’elle n’est, s’il avoit moins aimé les Lettres & sa Famille. Ces deux raisons l’ont obligé de ceder à ses Proches, des avantages qu’il pouvoit legitimement pretendre. L’amour qu’il a pour les Lettres n’a pas esté sans progrez, puisqu’il sçait l’Antiquité & l’Ecriture autant qu’aucun homme de son âge. Sur tout il possede parfaitement l’Histoire, la Geographie, l’Estat present de l’Europe, l’Interest des Princes, & les Affaires étrangeres. Il entend dix Langues, & parle & écrit la nostre avec une entiere pureté. Quoy qu’il fust fort persuadé de sa Religion, neantmoins comme il estoit extremément éloigné de se croire infaillible & incapable de se tromper, le soin de son salut, & la volonté du Roy l’obligerent de s’instruire à fonds des matieres de Controverse, ausquelles jusques alors il ne s’estoit pas entierement attaché. Aprés avoir fait un long Examen en lisant les Livres qui ont esté publiez de part & d’autre, n’ayant pû se satisfaire ny se determiner, il alla trouver Mr l’Evesque de Meaux pour qui la lecture de ses Ouvrages, & sa reputation luy avoient donné une haute estime, & les longues Conferences qu’il eut avec ce Sçavant Prelat dissiperent si bien tous ses Doutes, qu’il fut enfin convaincu que selon les promesses de l’Evangile, il doit y avoir eu toûjours une veritable Eglise, subsistante & visible, qui ne peut estre autre que l’Eglise Catholique. Ainsi il abjura entre ses mains à Versailles peu de jours aprés ces Conferences.

Lettre de Mr le Comte de Madillan de Lespare, sur ses Motifs de réünion à l’Eglise Romaine §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 214-231

 

Entre toutes ces Conversions, il n’y en a point eu de plus éclatante que celle de Mr le Comte de Madaillan de Lespare, aussi distingué par les vives lumieres de son esprit, que par les glorieux avantages qu’il tire de sa naissance Il a voulu s’éclaircir à fond des Veritez Catholiques, & il en a esté si pleinement convaincu, que ne se contentant pas de renoncer à l’Erreur, il a voulu que ce qui avoit servy à le détromper, contribuast à faire cesser l’aveuglement de ceux qui persistent dans l’Heresie de Calvin. Il a écrit les Motifs qui l’ont engagé à se réünir à l’Eglise Romaine, & ces raisons sont si fortes, & expliquées avec tant de netteté, qu’elles ont déja ramené plusieurs Personnes du mesme party. Je ne doute point que les plus opiniâtres n’en soient touchez, & qu’aprés les avoir leus, ils ne demeurent d’accord que l’Eglise Catholique est la seule Eglise, dans laquelle on peut faire son salut.

LETTRE
De Mr le Comte de Madaillan de Lespare, sur ses Motifs de réünion à l’Eglise Romaine.

A Paris ce 4. Fevrier 1686.

A MONSIEUR ***.

Je me trouve à l’heure qu’il est dans l’obligation de vous tenir la parole que je vous ay donnée, Monsieur, de vous mander les Motifs de ma Réünion à l’Eglise Romaine, si-tost que je l’aurois resolüe, puis qu’enfin je l’ay faite aprés une meure & longue déliberation, & aprés plusieurs Conferences avec un grand nombre des plus importans, & des plus habiles de cette Communion, parmy lesquels Monsieur l’Archevesque de Paris m’a enfin déterminé à y rentrer ; & j’ose me flater, qu’on me rend icy assez de justice, pour y estre persuadé que je ne l’ay fait par aucun motif, ou de crainte, ou d’esperance, & que si je n’avois crû le pouvoir faire en conscience, rien au monde n’auroit esté capable de m’y forcer, en me faisant oublier que Dieu seul doit, & peut me tenir lieu de toutes choses.

Je vous diray donc que comme l’Article de l’Adoration dans l’Eucharistie, m’avoit paru le fondement principal de nostre separation, à cause de l’Idolatrie que j’y croyois couverte sous le specieux titre d’Adoration, il m’a paru tout de mesme, que les difficultez sur ce point estant levées, cette separation deviendroit trop scandaleuse, & marqueroit un esprit opiniastre qu’on auroit raison de condamner, si elle continuoit davantage ; à quoy j’adjoûte, que ce seroit une espece de revolte contre nostre Souverain (à qui nous devons tout ce qui ne va point contre la conscience) que de differer nostre réünion par le seul motif de la gloire, ou plûtost de la vanité d’estre des derniers, lequel devient une des obeissance, & mesme une foiblesse en nous, si-tost que nous sommes persuadez que nous pouvons obeir sans pecher contre nostre conscience. Voicy le raisonnement sur lequel je me suis fondé pour lever mes scrupules sur le point de l’Eucharistie.

Comme les Pretendus Reformez iugent du sens des Ecritures par eux-mesmes, & non par aucune authorité (sans que je veuille decider rien la dessus) je pourrois leur demander pourquoy ils expliquent litterallement le passage de l’Ecriture qui dit que Jesus-Christ est Dieu, & qu’ils n’expliquent pas tout de mesme litterallement celuy qui dit, que le Pain est sa Chair, puis qu’il y a plus loin de l’Humanité de Jesus-Christ, à la Divinité, que de la substance du Pain à la substance de sa Chair, & qu’il est plus aisé de concevoir que du Pain soit sa Chair, que de concevoir que son Humanité soit Dieu, (quoy que tous deux inconcevables) de mesme qu’il n’est pas plus difficile de croire, que la Toute-Puissance de Dieu ait fait d’un morceau de Pain, sa propre Chair, sans que les especes disparoissent, que de croire que cette mesme Toute-Puissance ait fait que l’Humanité soit devenuë Dieu en Jesus-Christ, sans que les apparences de l’Humanité disparussent non plus, comme il est arrivé lors qu’il vivoit parmy les Hommes, & qu’ainsi il ne peut y avoir plus de contrarieté à conclure selon les Ecritures, que ce qui nous paroist du Pain, soit la Chair de Jesus-Christ, que de conclure que ce qui a paru Homme en Jesus-Christ fust Dieu.

De tout ce raisonnement, l’on peut inferer par une consequence necessaire, qu’il n’a point deu paroistre plus juste aux Apostres d’adorer la Divinité deJesus-Christ, sous la figure Humaine, qu’à nous d’adorer sa Chair comme vivifiante par le Saint Esprit, sous les signes qui nous la representent, puis qu’il n’y avoit point d’autre raison d’adorerJesus-Christlors qu’il estoit sur la Terre, que celle de son union avec la Divinité, & qu’ainsi en adorant sa Figure Humaine, ce n’estoit qu’adorer sa Divinité, unie à son Humanité par cét Esprit Saint.

D’où il s’ensuit que nostre adoration dans la Sainte Eucharistie, ce n’est qu’adorer Jesus-Christ sous ce qui paroist Pain, c’est à dire adorer le principe de nostre sanctification, qui est cét Esprit vivifiant, lequel s’unit & se donne à nous par la Foy dans ce Divin Mistere, & nous l’y rend uniquement, autant que necessairement adorable par cette mesme Foy, puis qu’enfin ce n’est ny le Pain au sens des P.R. ny la Chair dans le sens des Catholiques qui nous sanctifient, mais le seul Esprit par la Foy.

Ainsi les P.R. regardant, & recevant ce Pain par la Foy, comme representant réellement l’Esprit vivifiant de Dieu, je ne trouve aucune difficulté à luy rendre le mesme Culte que s’il y estoit au sens des Catholiques, (supposé qu’ils s’y trompassent) puisque les P.R. demeurent persuadez qu’il y est par la seule chose qui le rend adorable, qui est son Esprit vivifiant, & que là, il se donne à nous d’une façon toute particuliere, ce qu’il ne fait point ainsi dans tous les autres lieux du Monde, quoy qu’il ne laisse pas de les remplir par son Esprit, & par son immensité.

Je me sers du mesme raisonnement touchant le Sacrifice de la Messe, puis qu’à l’égard de Dieu (& selon l’explication que m’en ont donnée les plus celebres Docteurs de l’Eglise Romaine) c’est une Commemoration du vray Sacrifice du Corps de Jesus-Christ, qu’il a luy-mesme offert sur la Croix pour nostre Redemption, qu’à nostre égard c’est une application de ce Sacrifice propitiatoire pour la Remission de nos offences, & que dans ce Sacrifice Eucharistique, ou d’action de Graces, cét Esprit vivifiant est le mesme que dans le Saint Sacrement sous les signes & sous les especes qui nous y apparoissent.

Voilà, Monsieur, en peu de mots quels sont les Motifs de ma réünion. La simplicité avec laquelle je viens de m’en expliquer, vous parroistra sans doute moins proportionnée à la dignité de son sujet, qu’à l’ignorance des gens de ma Profession ; cependant vous ne devez pas en estre moins touché, car enfin la simplicité ne laisse pas d’avoir ses graces, sur tout dans la Religion, où vous sçavez que la Foy qui y est si essentielle, nous demande la simplicité de la Colombe. Je souhaite donc, que vous & tous ceux qui ont desiré comme vous, de sçavoir ce que je vous viens d’écrire, en soyez autant convaincus que je le suis, afin que persuadez que vous pouvez obeir au Roy sans pecher contre vos consciences, vous ne differiez pas davantage en les mettant en repos, & vous aussi, à luy donner comme moy, cette marque de vostre obeissance, & du desir que vous deuez avoir de luy plaire, dont vous ne devez ny ne pouvez legitimement vous dispenser, puisque vous le pouvez faire sans offenser Dieu, qui permet tout ce qui arrive dans le Monde (dont la connoissance des causes luy est reservée) & puis qu’enfin aprés luy, nous devons tout au Roy qu’il nous a donné, & sur tout à un aussi grand Roy que le nostre.

Mr le Comte de Madaillan a renfermé ces mesmes raisons dans les Vers qui suivent. Il vous feront voir que son genie est fort étendu, & qu’il le rend capable de tout.

SUR L’ADORATION dans l’Eucharistie, ou l’opinion de ceux qui la croyent une Idolatrie couverte, est absolument détruite.

Le Corps du Fils de Dieu dans son Humanité
N’estant qu’un Corps comme les nôtres,
Ne meriteroit pas sans sa Divinité,
Plus d’Adoration qu’en meritent les autres,
Et mesme, quoy qu’enfin, sous mille objets divers
 Sa Divinité soit tracée.
C’est par son Esprit seul qui remplit l’Univers,
Qu’elle remplit nos cœurs comme nôtre pensée,
Sur tout ce qu’il a fait, sur tout ce qu’il a dit,
Ce que nostre raison y trouve d’impossible,
 Sa Grace, par son saint Esprit,
 A nostre foy le rend comprehensible.
C’est par cét Esprit Saint que son Humanité,
Communique & s’unit à la Divinité ;
 Que d’une maniere ineffable
 Son Corps humain est adorable,
Et qu’il se donne à nous dans le Saint Sacrement ;
Du reste quant à nous, il n’importe comment
Pour l’y croire adorable, il soit dans ce Mystere,
S’il est vray qu’il y soit digne d’estre adoré,
Par la seule vertu de son Esprit Sacré,
Et si d’une façon toute particuliere
Nous croyons qu’il y soit, & qu’il s’y donne à nous,
 Sans raisonner sur la maniere
 Nous l’y devons adorer tous,
Et le prier ensuite, & les uns & les autres,
En élevant nos cœurs & nos esprits aux Cieux,
De se donner à nous de mesme qu’aux Apostres,
Et que nous puissions tous l’y recevoir comme eux.

[Vers de Mr Abbé Genest] §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 231-239

 

Je vous parlay il y a un mois, de quelques Conversions, qui n’estoient encore que commencées. Elles se sont faites depuis ce temps-là. Je ne puis pourtant vous bien asseurer, que celle de Mr de la Bastide soit de ce nombre. Mr l’Abbé Genest, dont le merite vous est connu, luy a adressé une Lettre en Vers, qui passe pour un Chef-d’œuvre. Quoy qu’elle soit admirable en tout ce qu’elle contient, je ne vous en envoyeray que ce qui regarde le Roy. Aprés beaucoup de fortes raisons, soûtenuës d’un tour de Vers aussi naturel que majestueux, par lesquelles il tâche de porter Mr de la Bastide à se soûmettre aux Veritez saintes qui sont enseignées dans l’Eglise Catholique, voicy de quelle maniere il luy parle.

Toy que la Probité peut choisir pour modelle,
Amy tendre, sincere, ardent, sage fidelle,
Esprit rare & charmant né pour les grands emplois,
Et que souvent ton Prince honora de son choix,
Fais de ces dons du Ciel un salutaire usage,
Que sa grace en ton cœur acheve son Ouvrage.
Répons aux justes vœux, au zele d’un grand Roy,
Instruit par la Sagesse, animé par la Foy ;
D’un Roy victorieux dont l’active prudence
Concerte ses Projets avec la Providence,
Et sçait que le pouvoir n’est remis en ses mains
Que pour le consacrer au salut des Humains.
Tant d’Ennemis vaincus faisoient peu pour sa gloire,
Il trouve en ses Sujets sa plus belle victoire.
A ceux qui sans songer à leur aveuglement,
Dans le sein de l’Erreur dormoient negligemment,
Ce Roy fait éprouver l’heureuse violence,
Qui de ce froid sommeil tire leur nonchalance.
A ceux qui s’égaroient sans vouloir s’égarer,
Il offre le Flambeau qui doit les éclairer.
A ces cœurs endurcis que le secours irrite,
Qu’une erreur obstinée entraine & précipite,
Il montre sa puissance, & d’un pieux effort
Malgré leur desespoir les pousse dans le port.
 Qu’ils ne se plaignent point que des ordres severes
Revoquent les Edits accordez à leurs Peres.
Si le malheur du temps a pû les établir,
Un temps plus favorable a dû les abolir.
Pour le repos public ces Loix furent dictées,
Pour le bonheur public elles sont retractées.
Quand la France livrée à son emportement,
Dans ses sanglantes mains tenoit l’acier fumant,
Et d’une aveugle ardeur contre elle-mesme armée,
Exerçoit sur son sein sa rage envenimée,
Les Temples de l’Erreur se purent élever,
Ce n’estoit qu’à ce prix qu’on la pouvoit sauver ;
Mais la mesme pitié qu’on eut alors pour elle,
De ses malheurs passez la memoire cruelle,
En détruisant l’Erreur, doit faire prévenir
Ceux qui pourroient encor menacer l’avenir,
Arracher ce levain des fureurs parricides
Qu’enfantent les Esprits de Nouveautez avides,
Dont les coups inhumains sont d’autant plus mortels
Que leur acharnement croit servir les Autels.
 Venez tous ; achevez l’union desirée,
Qui d’un commun bonheur nous promet la durée,
Et par qui cet Estat si craint & si puissant
Doit estre pour jamais tranquille & florissant.
Si c’est un Sang François qui coule dans vos veines,
Si pour les Loix du Ciel, si pour les Loix humaines,
Si pour vostre Pays, pour vous, pour vos Neveux,
Vostre esprit peut jamais former d’utiles vœux,
Qu’au pied des vrais Autels vostre retour sincere
Presente de vos cœurs l’hommage volontaire ;
Qu’un tendre amour succede à vôtre injuste effroy,
LOUIS agit pour vous plus en Pere qu’un Roy.
Forcé dans ses rigueurs, contraint dans ses menaces,
Sa main est bien plus propre à répandre des graces.
Réünis avec nous dans une aimable paix,
Venez nous disputer l’honneur de ses bienfaits.
Bien-tost de ce grand Roy la bonté genereuse
Ne fera de l’Estat qu’une Famille heureuse,
Et nous va tous combler de ces biens precieux,
Qu’à son auguste Regne ont reservé les Cieux.

[Actions de grâces rendues à Dieu, à Corbie] §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 240-243

 

La destruction de l'Hérésie est un si grand sujet de joye pour l'Eglise, qu'on a commencé dans plusieurs Villes du Royaume à rendre des grâces solemnelles à Dieu pour l'entière Conversion des Protestans de ces mesmes Villes. En attendant que j'aye receu les Memoires que l'on m'en promet, je vous diray que Le Dimanche 17 de ce mois, on fit pour cela une Cérémonie éclatante dans l'Abbaye Royale de Saint Pierre de Corbie. Le jour precedent l'on descendit avec beaucoup de solmnité [sic] la Chasse de l'Abbé Paschase, qui a tant écrit contre les Hérétiques, & on la posa entre plusieurs Cierges toûjours allumez sur une Table richement parée au milieu du Choeur, pour estre portée à la Procession Générale, qui fut annoncée pour le lendemain par toutes les Cloches du gros clocher quoy qu'elle l'eust déjà ésté deux jours auparavant au son des Tambours par ordre des Mrs de Ville, afin que les ruës se trouvassent nettes & tendues de Tapisseries. Ce jour là un tres-habile Predicateur fit un excellent Discours sur le sujet de cette Ceremonie, & aprés les Vespres la Procession sortit de l'Eglise. Quatre Diacres en Tuniques porterent la Chasse, & le grand Prieur de l'Abbaye porta le Saint Sacrement sous un magnifique Dais, dont les bâtons furent soûtenus par quatre Echevins. Il estoit accompagné d'un Diacre & d'un Sous-Diacre, & quatre Chantres estoient au milieu du Choeur. Mrs de Ville y assisterent en Corps, & l'on y vit toute la jeunesse sous les Armes. Les Tambours la precedoient, & les Violons marcherent avec les Chantres. A chaque Reposoir où l'on s'arresta, il y eut plusieurs décharges de coups de Mousquet. Le Te Deum fut chanté solemnellment [sic] au retour de la Procession, pendant laquelle toutes les Cloches sonnèrent.

[Te Deum chanté à Amiens]* §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 258-259

 

Je reçois avis tout présentement, que le Dimanche troisième jour de ce mois, Mr l'Evesque d'Amiens fit chanter le Te Deum dans sa Cathédrale, pour rendre grâce à Dieu de l'entière Conversion des Religionnaires de son Dioscèse. [...]

Madrigaux §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 261-263

 

Je vous envoye un Madrigal, que Mr Vignier a fait pour une Dame de la Religion Pretenduë Reformée, qui songeant à s’échaper du Royaume, luy demanda une Fuite de nostre Seigneur en Egypte, d’aprés le Poussin. Il accompagna ce present des Vers qui suivent.

Voicy les Fugitifs que vous me demandez,
 Leur fuite n’est pas un mistere
Qui puisse autoriser ce que vous voulez faire,
Ny vous faire esperer ce que vous attendez.
De sortir du Royaume, Iris, perdez l’envie,
Tous trois fuyoient la Mort, & vous fuiriez la Vie.

 

J’ay sceu que la Dame ne parle plus de se retirer, & que donnant tous ses soins à se faire instruire, elle se sert de ce Madrigal, pour engager ceux qu’elle voit encore dans l’aveuglement où elle estoit, à imiter son exemple. Les Conversions ont donné lieu à cet autre Madrigal, qu’on a tourné d’une maniere galante.

La France sous LOUIS, prend des faces nouvelles,
 Plus de Schisme, plus de Calvin ;
 Il n’est plus d’Heretique enfin,
Mais il est bien encor, Iris, des Infidelles.

Réponse écrit à un écrit intitulé, Lettre Pastorale aux Protestants de France, tombez par la force des tourmens §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 264-284

 

Il a paru un Ecrit plein de calomnies, contre la conduite que l’on a tenuë en France pour ramener les Protestans à l’Eglise. Vous serez bien aise de voir la Réponse qu’on y a faire. Elle fait connoistre avec combien d’injustice on veut noircir la plus éclatante & la plus sainte action qu’on ait jamais entreprise.

REPONSE A UN ECRIT
INTITULÉ,
Lettre Pastorale aux Protestans de France, tombez par la force des tourmens.

Il ne faut que voir le titre de cette Lettre, pour juger de quel esprit estoit animé celuy qui l’a écrite, & quelle idée il a voulu donner de ce qui s’est passé en France à l’égard des Protestans. Qui ne croiroit en lisant cette expression outrée de tombez par la force des tourmens, qu’on n’a employé pour leur conversion que le fer & le feu, que les bourreaux & les gehennes. On ne nie pas que le Roy n’ait jugé à propos de se servir de son authorité pour faire réüssir ce pieux dessein, & qu’il n’ait crû pouvoir faire aujourd’huy ce qu’ont fait autrefois les Empereurs Chrestiens dans un cas pareil, afin de retirer ses Sujets de la funeste securité dans laquelle le malheur de leur naissance & la force de l’habitude les retenoit depuis si long-temps ; mais ce n’a esté qu’à l’extrémité qu’il s’y est resolu, & l’Eglise se seroit contentée d’employer pour cela la force des raisons, si aprés plusieurs exhortations vainement reïterées, on n’avoit reconnu que la seule persuasion ne seroit pas capable d’arracher des erreurs si enracinées. Il falloit, ou renoncer à la pensée de faire cesser le Schisme en France & laisser perpetuellement subsister des levains de discorde dans l’Etat, ou se resoudre de joindre les menaces aux exhortations, afin que la crainte disposast les esprits à recevoir l’instruction. Saint Augustin approuva la severité de l’ancienne Eglise contre les Donatistes, quand elle vit les heureux succés qu’elle avoit produits. La conduite qu’on a tenuë en France à l’égard des Protestans, se justifie par des succés beaucoup plus surprenans ; outre qu’on doit avoüer à la loüange de nostre grand Monarque, que jamais personne avant luy n’a sceu si bien l’art de temperer la severité par la douceur ; car s’il a esté obligé quelquefois de parler en Maistre, on l’a veu toûjours agir en Pere ; s’il a quelquefois levé le bras, sa bonté le luy a quasi toûjours retenu, & il n’a jamais frappé qu’à regret. Au fond, ce que l’Autheur de la Lettre Pastorale appelle en style de Declamateur des cruautez & des barbaries inoüies, n’a esté autre chose qu’un logement de Gens de Guerre à l’ordinaire, qui à la verité a fait souffrir les gens dans leurs biens, mais jamais dans leurs personnes. Les Officiers des Troupes entrant dans l’esprit du Maistre, n’ont eu d’autre application que celle de defendre & d’empescher les violences ; & si malgré leurs précautions il s’en est commis quelqu’une, ou elle n’a pas esté sceuë, ou elle a esté punie sur le champ.

Une marque de cette verité, c’est que cet Autheur seditieux, qui sçait si bien peindre les choses, qui leur donne de si fortes couleurs quand il luy plaist, & qui va jusqu’à outrer mesme les exagerations, ne marque aucun exemple de ces barbaries inoüies, & que toutes ces cruautez horribles des Dragons se reduisent selon luy-mesme, à avoir empesché leurs Hostes de dormir. Mais il a beau faire, il a beau ternir la gloire du plus grand évenement que Dieu ait jamais accordé à aucun Prince de la Terre ; malgré luy, malgré tous les efforts du Demon, il ne moura jamais dans la memoire des Hommes, & l’on ne pourra s’empescher d’y reconnoistre le doigt de Dieu, si l’on considere avec quelle rapidité tant de Villes, tant de Provinces ont esté ramenées à l’obeïssance de l’Eglise, sans qu’il en ait coûté une seule goute de sang. Aussi l’Autheur de la Lettre, étonné de cet évenement miraculeux, qu’il appelle une défection generale, & une chute qui en fait tomber mille à droit, & mille à gauche, avouë qu’il ne peut s’empescher d’en fremir. Il a raison, sans doute, mais ce devroit estre d’un saint fremissement, qui l’obligeant de donner gloire à Dieu, luy fist employer ses grands talens à exalter les merveilles de la Providence, à faire admirer les choses magnifiques que Dieu a voulu faire en nos jours, & à restituer à l’Eglise les droits & les prérogatives qu’il s’efforce de luy oster.

Cet Autheur ne se contente pas de peindre des plus noires couleurs la plus grande, la plus éclatante, & la plus loüable de toutes les actions, son esprit inquiet & malin ne peut souffrir que ceux qu’il appelle Tombez, joüissent de la tranquillité que leur conversion leur a procurée ; il tasche par toutes sortes de moyens d’alarmer leur conscience, d’ébranler leur fidelité, & de les porter à la des obeïssance & à la revolte. C’est icy qu’oubliant qu’il est né le Sujet de nostre auguste Prince, il déploye tous les traits de son éloquence, & se sert de tout ce que l’art a accoûtumé de mettre en pratique pour émouvoir les esprits. Il leur peint d’un costé la grandeur & l’énormité de leur faute, & leur fait voir de l’autre les Enfers ouverts prests à les engloutir, s’ils ne se relevent promptement de leur chute, & tout cela, avec des figures si vives, & un ton si menaçant, qu’il n’y a point d’ame qu’il ne fust capable de jetter dans le dernier desespoir.

Heureusement il ne s’adresse qu’à ceux qui sont tombez par la force des tourmens, & il declare qu’il n’entend point parler à ces lâches Chrestiens, qui vont d’eux-mesmes porter leurs noms, parce, dit-il, qu’il n’y a plus pour eux de sacrifice, mais une attente terrible des Jugemens de Dieu, sans se souvenir que cette délicatesse qu’il affecte en cette occasion, n’a jamais esté en usage dans sa Communion, où l’on a toûjours receu indifferemment toutes sortes de Relaps ; mais pour donner plus de poids à sa Lettre, il ne falloit pas qu’il s’en tinst là. Consolons-nous donc, puisqu’il veut bien se restraindre aux seuls Tombez par la force des tourmens, car sur ce pied-là sa Lettre ne nous fera pas un fort grand mal.

Au reste, quand cet Autheur fait une comparaison des Chrestiens qui tomboient par foiblesse au temps de la persecution, avec nos nouveaux Convertis, il se met à la place de ces saints Peres dont il emprunte les expressions & les reparties qu’ils faisoient aux foibles, & il nous fait l’honneur de nous mettre à celle des Payens de ce temps-là. Comme il a bien préveu qu’une réünion à l’Eglise Romaine, considerée sur le pied d’une Societé Chrestienne, ne paroistroit pas un assez grand crime, & ne donneroit pas assez de lieu à ses declamations & à ses reproches, il a bien fallu qu’il en fist une Societé Payenne. C’est pour cela qu’il compare par tout la faute des pretendus Tombez à celle de ces mauvais Chrestiens qui alloient anciennement offrir de l’encens aux Idoles, qu’il la qualifie d’apostasie, de blasphéme, & qu’il appelle les Pasteurs qui ont changé des Demons volages. C’est pour cela encore qu’il avertit les Tombez, que sa Lettre est le troisiéme chant du Coq ; que comme leur crime est semblable à celuy de Saint Pierre, il faut qu’ils imitent ce Saint Apostre, en sortant promptement de la maison de Caïphe ; & qu’aprés avoir renié Jesus-Christ publiquement, ils devoient le confesser aussi publiquement.

En verité, on est surpris qu’un homme noury dans le sein du Christianisme, puisse porter la fureur de la calomnie jusqu’à ce point-là, que d’appeller ceux qui se réünissent à l’Eglise Romaine, des Apostats, des Blasphemateurs & des Demons qui renient Jesus-Christ. La seule proposition fait horreur, & l’on ne croit pas devoir s’arrester à combattre une opinion aussi damnable & aussi visiblement fausse. On se contentera donc pour la consolation de ceux qu’il appelle Tombez, de faire voir par l’aveu mesme d’un des plus illustres du Party, que cette opinion luy est particuliere, & ne fut jamais celle des autres Protestans. Voicy ce qu’il dit parlant de la croyance de l’Eglise Romaine. Elle adore le mesme Jesus-Christ que nous adorons ; elle confesse l’unité de sa Personne & la verité de ses deux Natures, le croyant Dieu eternel de mesme substance que le Pere & le Saint Esprit, & Homme fait en temps de la chair de la bien-heureuse Vierge, semblable à nous en toutes choses, hormis le peché, vrayement Emmanuel comme nous l’avoient promis les anciens Oracles. Elle reconnoist la verité, l’utilité & la necessité de ses souffrances, & presche comme nous que son Sang a expié les crimes du Genre-humain, & que le salut de l’Univers est le prix de sa mort. Elle le croit assis dans les Cieux à la dextre de Dieu son Pere ; elle l’attend au dernier jour pour juger le Monde, & espere de sa grace la bien-heureuse immortalité. Elle donne à ses Enfans le Baptême qu’il nous a institué. Elle les repaist de l’Eucharistie. Elle leur recommande la pieté envers luy, & la charité envers les hommes, &c. Certes, ajoûte-t-il, nous ne pouvons ny ne voulons nier que l’Eglise Romaine ne croye encore aujourd’huy toutes ces saintes veritez. Qu’on juge aprés cela si c’est renier Jesus-Christ, que de se joindre à une Societé qui enseigne toutes les choses que nous venons de rapporter.

Mais nous esperons que les pretendus Tombez, à qui s’adresse nostre Autheur, seront bien-tost eux-mesmes les Défenseurs de nôtre sainte Religion ; & qu’au lieu de se faire les illusions qu’il craint, ils s’appercevront de toutes celles qu’on leur a faites autrefois ; que leur Réünion sera non seulement exterieure, mais interieure & sincere, & qu’au lieu de songer à amasser des richesses pour les transporter dans des Terres Etrangeres, ils ne songeront plus qu’à se faire un thresor de bonnes œuvres, pour meriter un jour les glorieuses récompenses, que Dieu promet à ceux qui l’auront servy fidellement.

A l’égard des Pasteurs qui ont abandonné ce titre usurpé, pour devenir de simples Brebis du Seigneur, on les exhorte d’en reprendre l’esprit, & de pardonner à cet Autheur envenimé tous les traits qu’il a poussez contre leur honneur & leur reputation, afin que cet exemple de moderation serve à le corriger & à le faire entrer en luy-mesme ; & pour nous, nous prierons ce grand Sauveur, qui a racheté son Eglise par son Sang, d’en estre luy-mesme le Défenseur & le Bouclier, & d’inspirer si bien cet Autheur, qu’il ne songe plus desormais à l’outrager, mais plûtost que rentrant dans sa Communion, il reconnoisse à tous ses divins caracteres, qu’elle est veritablement l’Epouse de Jesus-Christ, à qui seule appartiennent ces precieuses Promesses qu’il a faites d’estre avec Elle jusqu’à la fin des Siecles.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 283-284.

Je vous envoye un second Air, que les Connoisseurs estiment fort.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Les charmes d’un repas, doit regarder la page 283.
Les charmes d’un repas
Ne sont pas bornez à manger & boire,
 Si l’on m’en veut croire
Nous y meslerons toûjours d’autres appas,
Le goust seul en auroit il la gloire ?
 Non, non, il faut bien que les yeux
  Soient regalez à table
  De quelque Objet aimable,
  Le repas en vaudra mieux.
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[Divertissements donnés à Fontainebleau]* §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 292-296

 

Plusieurs divertissemens ayant esté ordonnez pour occuper la Cour, pendant le séjour que Sa Majesté devoit faire à Fontainebleau sur la fin de l’Esté dernier, on y dança le Balet intitulé le Temple de la Paix. C’estoit le premier que l’on avoit destiné pour y paroistre. Quoy qu’il n’eust pas esté preparé sur le pied des Opera, dont le Roy regale la Cour tous les Hyvers, comme on ne sçauroit rien faire en France qui n’ait du grand, quand mesme on a resolu de ne donner que de simples Mascarades, ce Balet parut si beau, & l’on trouva que Mr de Lully avoit si bien réüssi en tout ce qui estoit de luy dans cét Ouvrage, que non seulement il n’y eut point d’autre Divertissement à Fontainebleau, mais que ce mesme Balet fut encore dancé plusieurs fois à Versailles au commencement de cét Hyver ; de forte qu’on n’y a commencé les Representations du Balet de la Jeunesse que le 28. de Janvier ; quoy qu’on y eust travaillé dans le dessein de le dancer à Fontainebleau. Tous les Airs de ce Balet sont de Mr de la Lande, l’un des quatre Maîtres de Musique de la Chapelle du Roy, où l’on a souvent chanté des Ouvrages de sa composition qui ont reçû de grands applaudissemens ; il en a fait aussi beaucoup qui ont diverty dans le particulier, n’estant point faits pour des spectacles. Le Balet de la Jeunesse est le premier qu’ait fait Mr de la Lande, & peut estre que c’est le premier début des Ouvrages de cette nature qui ait esté d’un aussi bon goust. Ce Balet ayant esté executé par la Musique du Roy, & Mr de Beauchamp en ayant fait les Entrées, ne pouvoit manquer de plaire ; & ce qui faisoit encore une agreable varieté dans ce spectacle, c’est qu’il estoit fait de maniere que l’on y pouvoit toûjours mesler une Comedie en trois Actes. Ainsi on y en a meslé deux nouvelle pendant le cours de ce Divertissement. Elles estoient de l’Autheur des Vers du Balet, ausquels Mr Quinaut n’a point travaillé. Il estoit alors occupé par ordre du Roy à achever l’Opera d’Armide qui avoit esté commandé d’abord pour Versailles. Comme il n’a pû y estre representé, à cause de l’autre Divertissement qu’on a commencé plus tard que l’on ne croyoit, il a paru à Paris dans les derniers jours du Carnaval sur le Theatre Royal de Musique, avec le succés qui suit tous ces grands Spectacles. Monseigneur le Dauphin honora de sa presence la premiere Representation qui en fut faite. Les paroles en sont trouvées tres dignes de leur Autheur, ce qui est tout dire puis qu’il excelle dans les Ouvrages de cette nature. Chacun est charmé de la Simphonie & de la Musique. Ce qu’il y a de Spectacle a paru grand & nouveau, & sur tout le Theatre qui se brise ; Il est de l’Invention de Mr Bertin Dessinateur du Cabinet du Roy. On s’est fort recrié sur la beauté de toutes les parties qui composent le cinquiéme Acte de cét Opera.

[Divertissemens du Carnaval] §

Mercure galant, février 1686 (première partie) [tome 2], p. 312-314

 

J’ay peu de choses à vous dire des Divertissemens du Carnaval. Je vous ay déja parlé de ceux de la Cour, où le Temple de la Paix a esté representé tous les Lundis jusqu’au 28. de Janvier, qu’on y a dancé le Balet de la Jeunesse tous les autres Lundis jusques au Caresme. Les autres Divertissemens de chaque semaine ont esté de trois manieres. Il y a eu Comedie Françoise & Italienne, entre lesquelles on a tenu les Appartemens. Monseigneur le Dauphin, & Monsieur, ont esté en plusieurs Bals, si bien deguisez, que fort souvent on ne les a pas reconnus. Enfin on peut dire que cette longue suite de plaisirs en a formé un continuel. Il sembloit que l’indisposition du Roy y dust mettre obstacle ; mais comme elle a esté sans aucun danger, ce Prince s’est fait une joye de voir sa Cour toute occupée à se divertir dans le temps qu’il travailloit. Ainsi il s’est toûjours également appliqué au soin des affaires de son Etat, & tous les Conseils se sont tenus comme de coûtume. La grossesse de Madame la Dauphine a esté cause que cette Princesse s’est privée de beaucoup de plaisirs.

Les Divertissemens de Paris, outre l’Opera d’Armide, ont esté Alcibiade, dont les Representations continuent encore, & l’Homme à bonne Fortune, qui est un Portrait fort naturel, & tres bien touché des Personnes de ce caractere. Il y a eu quantité de Bals, & l’on s’est tres-agreablement diverty en plusieurs Maisons particulieres.