1686

Mercure galant, avril 1686 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, avril 1686 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1686 [tome 5]. §

[Madrigal de Mademoiselle de Scudery] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 1-4

Je suis fort persuadé, Madame, que les bruits confus & mal éclaircis, qui ont pû courir dans les Provinces, sur l’Indisposition du Roy, vous ont causé des alarmes encore plus fortes que vous ne me les peignez. Il y a long-temps que je connois les sentimens de zele & d’attachement parfait que vous avez pour ce Grand Monarque, & il m’est aisé par là de m’imaginer la joye que vous ressentez de l’entier rétablissement d’une Santé si prétieuse à toute la France. Cette Indisposition, qui a répandu l’inquietude dans tout le Royaume, a donné lieu à ces Vers de Mademoiselle de Scudery. Elle pense juste, tout ce qu’elle fait est de bon goust, & vous sçavez que dans un seul Madrigal, elle a souvent mieux loüé le Roy, que les plus longs Eloges ne l’auroient pû faire.

SUR L’INDISPOSITION
DE SA MAJESTÉ.

Trop penible Vertu, Patience importune,
Portez vostre secours à quelque Ame commune,
C’est assez pour LOUIS de vos aimables Sœurs,
Eloignez vous de luy, mais avec les douleurs,
Cherchez les malheureux ; sa merveilleuse Histoire
N’a pas besoin de vous, ny de nouvelle Gloire.
Plus vous le rendez Grand par sa Tranquillité,
Plus nous sentons les maux dont il est tourmenté.
Vous charmez ses douleurs, divine Patience,
Mais toutes ses douleurs sont celles de la France,
Nous ne vivons qu’en luy ; si ce Roy genereux
Compte ses maux pour rien, quand l’Etat est heureux,
Ne sentons plus aussi les biens qu’il nous envoye,
Et tant qu’il souffrira renonçons à la joye.

Sur le Triomphe de l’Eglise §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 8-10

[...] Les avantages qu’en reçoit l’Eglise, ont fourny à Mr l’Abbé le Houx la matiere du Sonnet que vous allez lire.

SUR LE TRIOMPHE
DE L’EGLISE.

Grand Dieu, qu’à vostre Eglise ont livré de Combats,
Les perfides Auteurs d’une affreuse Heresie !
Contre elle tout l’Enfer avec rage & furie
A vomy les poisons de ses fiers Apostats.
***
Que de Divisions, que de noirs Attentats !
Que de maux répandus par les traits de l’Envie !
Que d’hommes ont perdu le Salut & la Vie !
Et que de Rois enfin ont craint pour leurs Etats !
***
Mais aujourd’huy, de Christ Epouse digne & sainte,
Oubliez vos douleurs, bannissez vostre crainte,
Vos troubles sont finis, vos combats, vos assauts.
***
Si sous les autres Rois vous futes militante,
Un repos éternel succede à vos travaux,
Sous l’Auguste LOUIS vous estes triomphante.

Parallèle de Louis le Grand & du Grand Constantin §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 10-12

 

Cet autre Sonnet est de Mr de la Porte.

PARALELLE
DE LOUIS LE GRAND
& du Grand Constantin.

LOUIS & Constantin, ont dompté l’Heresie.
Ce Roy dans ses Etats vient d’extirper l’Erreur,
Et passant de bien loin un si grand Empereur,
Voit l’Europe à son tour l’emporter sur l’Asie.
***
Constantin vit sa Cour de Sectaires saisie,
Dont la Cour de LOUIS fut toûjours la terreur,
Et ce Monstre abbatu qui luy fit tant d’horreur,
Fait de toute la France une Eglise choisie.
***
Du Calvinisme éteint le fameux souvenir,
Sera l’étonnement des Siecles à venir ;
Comme l’Arianisme est celuy de l’Histoire.
***
Miracle de nos jours ! Prodige qui surprend !
LOUIS de Constantin eust jadis fait la gloire :
Constantin aujourd’huy seroit LOUIS LE GRAND.

Lettre d’un nouveau Catholique sur le Pouvoir que le Roy a excercé dans l’Extinction du Schisme §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 12-57

 

Je vous ay parlé dans ma derniere Lettre d’un Ouvrage de Mr l’Abbé Huvet, aussi beau & aussi estimé, qu’il est utile, & je vous envoye aujourd’huy une Lettre entiere de ce mesme Abbé, aussi curieuse que pleine d’érudition. Elle fait voir le pouvoir des Rois à l’égard des choses qui appartiennent à la Religion, & donne lieu d’admirer de plus en plus le zele & la pieté de nostre Auguste Monarque. C’est sous le nom d’un nouveau Converty que cette Lettre est écrite.

LETTRE
D’UN NOUVEAU
CATHOLIQUE,
Sur le Pouvoir que le Roy a
exercé dans l’Extinction
du Schisme.

A Monsieur ***.

Vous desirez, Monsieur, que je satisface vostre curiosité sur ce qui se passe en France à l’égard de nos Freres Pretendus Reformez, & il faut que je vous dise d’abord comme le Docteur Gamaliel dans les Actes des Apostres, que cét ouvrage de la Reformation, où j’avois auparavant le malheur d’estre engagé, s’est dissipé si facilement, qu’on a pû connoistre qu’il n’estoit pas de Dieu, mais des hommes, c’est à dire un Ouvrage de Cabale, de Party, & de Politique humaine. On a eu beau crier dedans & dehors le Royaume à la violence, comme ont fait les Ignorans passionnez, & les Ennemis de l’Etat. Le Roy s’est acquis par l’execution de cette grande entreprise une Couronne immortelle de Gloire ; mais il faut considerer cét évenement si fameux, dans tout son jour, & dans toute son étenduë pour la gloire de Sa Majesté.

On peut envisager selon trois égards le pouvoir que le Roy y a exercé, ou dans son fond & en luy mesme, ou par rapport aux Fidelles & aux Ministres de l’Eglise, ou à l’égard des choses sacrées, & qui appartiennent à la Religion. Du costé de la puissance du Roy, il est certain qu’étant souveraine, il n’y en a point d’autre sur la Terre, non seulement au dessus, mais mesme à vosté, c’est à dire, qui luy soit superieure, ou égale hors celle de Dieu, dont elle dépend, puisque c’est le propre du Souverain Empire de n’avoir ny Superieur ny Egal sur la Terre, autrement il ne seroit pas Souverain. Du costé de ses Sujets, soit Fidelles, soit Ministres de l’Eglise, il n’est pas moins certain, qu’ils sont tous soûmis à cette souveraine Puissance, mesme les seconds en qualité de Ministres & de Pasteurs de l’Eglise. C’est la doctrine de Saint Paul, lors qu’il dit expressément, Que toute ame soit soûmise aux Puissances Souveraines. D’où vient, que Saint Chrysostome expliquant ce Passage dit ; Encore que ce soit un Apostre, un Evangeliste, un Prophete, & S. Bernard écrivant à un Archevesque de son temps ; Si toute ame est soûmise, la vostre l’est aussi, car qui peut vous excepter de la generalité ? En effet personne ne peut estre exempt de cette Puissance ; car outre que ce seroit à celuy qui pretendroit de l’estre, de prouver son Privilege, ce qui luy seroit impossible, il faudroit, ou que cette indépendance fust absoluë, & ce seroit ouvrir la porte au desordre & à la confusion, ou qu’elle ne fust pas absoluë, & par consequent qu’elle relevât de quelqu’autre Puissance, qui estant égale, ou superieure en ce point à celle du Roy, détruiroit, comme il a esté dit, sa Souveraineté. Quant aux choses sacrées, & qui appartiennent à la Religion, il est encore constant, qu’elles sont dans l’enceinte & du ressort de cette mesme Puissance. Saint Paul dit, que les Souverains sont Ministres de Dieu pour le bien, & pour vanger le mal indefiniment, ce qui enferme le bien & le mal, qui regarde la Religion, dont par consequent ils peuvent connoistre. Il dit autre part, qu’il faut prier pour eux, afin que nous passions la vie paisiblement, & tranquillement en toute pieté & honnesteté. Il faut donc qu’ils puissent connoistre de la Religion, dans la quelle consiste la veritable Pieté, & exercer leur pouvoir dans cette matiere.

Aussi les Empereurs Theodose & Honorius dans l’Epistre à Marcellin luy disent. L’unique fin que nous nous proposons, & par les travaux de la Guerre, & par les desseins de la Paix, c’est de maintenir le veritable Culte de Dieu parmy nos Peuples, & qu’ils l’embrassent avec devotion. Theodose dans l’Epître à l’Evesque Cyrille, met selon le mesme sens le devoir de Cesar à établir non seulement la paix, mais la pieté parmy ses Sujets, sans quoy les Etats ne peuvent estre veritablement heureux, puisque leur felicité consiste, selon S. Augustin, à aimer Dieu, & qu’ils en soient aimez, le reconnoissant pour leur veritable Roy. Plusieurs Papes ont appellé les Rois, Apostoliques, & ont dit qu’ils avoient sur ce sujet un Esprit Sacerdotal. La fausse Epitre attribuée au Pape Eleuthere appelle un Roy, Vicaire de Dieu dans la Religion. On trouve dans le Concile de Calcedoine plusieurs acclamations faites à l’Empereur en ces termes, à l’Empereur Pontife, au vray Prêtre. C’est pour cela que les noms d’Autheurs & Défenseurs de la Foy leur ont esté aussi donnez, comme celuy de Pasteurs des Pasteurs, & un Pape Leon dans un Chapitre inseré au Décret de Gratian appelle les Empereurs François de la seconde race, Pontifes. S. Remy parlant de Clovis l’appelle Evesque des Evesques, à l’occasion d’un Prêtre qu’il avoit fait par son ordre ; & Gregoire de Tours parlant aussi à un Roy de la Race de Clovis luy dit ; Si nous manquons, vous nous pouvez corriger ; mais si vous manquez, vous ne pouvez estre corrigé que par celuy, qui est la Justice mesme ; & il est à remarquer que les Evesques de France avoient de coûtume pour lors de rendre la Communion à ceux qu’ils en avoient retranchez, quand ils estoient assez heureux que d’estre admis à la Table, & à la presence des Rois. Les Conciles ne se tenoient dans le Royaume que par leur ordre, & mesme les Decrets portoient bien souvent cét ordre en particulier, & estoient ensuite generalement confirmez par leur Authorité Royale. Ainsi il n’appartient qu’aux Souverains, sur tout de cette Souveraineté singuliere à nos Roys, d’executer dans toute son étenduë, ce qui regarde la Religion, parce qu’eux seuls possedent le pouvoir necessaire à cette execution. D’où vient encore, que Justinien dans la Division du Droit, en Public, & en Privé ou particulier, fait deux especes du Public, dont l’une est le Public Divin, par lequel il commence son Code, au lieu que le Theodosien finissoit par là. Ulpien definit de mesme la Jurisprudence, non celle qui décide les differens entre les particuliers, mais celle qu’on appelle Legislatrice, la connoissance des choses Divines & Humaines, & le mesme Justinien dit, que l’authorité des Loix met le bon ordre & la bonne disposition dans les choses Divines & Humaines, & en bannit toute sorte de malice, & d’iniquité.

Il faut avoüer neanmoins que les fonctions du Ministere Sacré ne venant point de la puissance Souveraine, mais de Iesus Christ, qui en a donné le pouvoir à son Eglise, elles ne peuvent s’exercer par la voye du souverain Empire, quoy que le pouvoir que l’Eglise donne par l’ordination à ses Ministres, ne soit pas incompatible avec celuy de la Souveraineté en un mesme sujet, comme on voit dans la Personne du Pape, qui à l’égard des Peuples de ses Etats, peut exercer en même temps l’un & l’autre ; ce qu’il faut pourtant bien distinguer à l’égard des autres Etats & Royaumes, qui ne dépendent point de luy. Il faut aussi convenir que le Souverain ne peut changer ce que Dieu, Roy des Roys, & Maistre Souverain des Souverains, a estably luy mesme pour estre immuable, comme la nouvelle Alliance, ensuite de l’ancienne, contractée avec les hommes au prix de son Sang par Jesus-Christ son Fils, Mediateur de ce Pere Celeste auprés des hommes, laquelle alliance s’execute par la voye de la Predication, qui se fait de cette heureuse nouvelle, qu’on appelle Evangile, de la remission des pechez, d’une vie éternelle, & du Royaume des Cieux, soit par le Ministere de la parole, soit par d’autres signes visibles qu’on appelle Sacremens, & par une vie conforme à la Morale du Décalogue dans la pureté & la perfection où Jesus-Christ l’a portée ; mais aussi les Pasteurs de l’Eglise dans les fonctions qu’ils exercent à cét égard, n’ont au fond que le pur ministere de cette parole ou heureuse nouvelle, de quelque maniere, ou par quelques signes sensibles qu’ils la dispensent au Troupeau, c’est à dire la voye de Déclaration, Dispensation, & Manifestation de la part de Dieu, qui seul commande aux cœurs & aux esprits, & à qui toute la vertu & l’efficace de cette parole doit estre attribuée par Jesus-Christ son Fils, & ils n’ont par consequent que cette mesme voye pour juger les Rebelles à la parole, & pour leur annoncer qu’ils n’ont point de part à la societé des Saints, s’ils ne se corrigent. Ils exercent cette Censure Divine selon le langage de Tertullien, par l’imposition des peines Medicinales à ceux qui s’y veulent soûmettre, & par une espece de relegation, qui les prive du saint commerce de leurs Freres, & de la participation aux Assemblées, comme on pratiquoit anciennement, & aux Sacrifices, aussi-bien que de celle des Enfans, & des autres Seaux & gages de l’Alliance qui sont les Sacremens, & cette Censure est un jugement dans un sens, & lors qu’estant faite par l’Esprit de Dieu & de Iesus-Christ, elle se ratifie dans le Ciel ; jugement d’autant plus redoutable qu’il est un prejugé selon le mesme Pere, pour celuy de l’Eternité, si ces Rebelles persistent jusqu’à la fin dans le mépris & le violement de cette sainte Alliance. C’est ce qui fait dire à un grand Pape, que le Privilege accordé au premier des Apostres, d’estre Pierre fondamentale de l’Eglise aprés la celebre confession qu’il fit de Iesus-Christ comme Fils du Dieu vivant, est répandu par toute l’Eglise en quelque lieu qu’on y prononce des jugemens selon l’équité de saint Pierre, c’est à dire selon la justesse de son esprit, & la droiture de son cœur, charmez de la découverte de la Charité d’un Dieu, qui luy inspirerent cette Confession ; qu’ainsi, bien que Iesus-Christ parlât singulierement à S. Pierre pour estre la forme & le modelle des autres Ministres (en quoy les Papes sont singulierement ses Successeurs) le droit de Pierre Fondamentale passa à tous les autres, qui sont à cét égard ses Successeurs, lors qu’ils agissent par son Esprit, & que la mesme Charité les anime.

Mais enfin la force & l’efficace de tout ce Ministere exterieur, qui viennent uniquement de Dieu, aboutissent à l’interieur & au fond du cœur, & les Ministres de l’Eglise ne peuvent en cette qualité se faire obeir dans ces fonctions exterieures, y maintenir l’ordre étably, & en bannir le trouble & la confusion, par aucune sorte de contrainte, qu’autant que le Souverain leur a communiqué de son pouvoir, d’abord ou dans la suite, lors que la Societé des Fidelles s’est introduite & affermie dans les Etats, car selon un ancien Evesque d’Afrique, la Republique n’est pas dans l’Eglise, mais l’Eglise dans la Republique, ce qui fait dire à l’Historien Socrate, que depuis que l’Eglise fut receüe dans l’Empire par une autorité publique, dont on pourroit marquer l’Epoque par l’Edit de Constantin & de Licinius, tout ce qui regarde la Religion a fort dépendu des Empereurs. C’est ce qu’on peut aussi dire à proportion de tous les Royaumes, où l’Eglise est entrée, & où elle s’est trouvée établie, aprés qu’ils se sont formez de la décadence de l’Empire.

Vous voyez donc, Monsieur, aprés tout ce que je viens d’établir si solidement, de quelle étenduë est ce Pouvoir Souverain. Il enferme non seulement ce que les Ecclesiastiques appellent Jurisdiction, qui émane de luy, comme de sa source, & dont le Prince, en le communiquant, n’a pû se dépoüiller, non plus que de sa Souveraineté ; en sorte que nonobstant cette délegation speciale, il peut l’exercer toutes les fois qu’il voudra par soy-mesme, & dans toute sa plenitude. Il embrasse toutes les personnes, mesme les Ministres de l’Eglise, les lieux, les temps, les circonstances, & generalement tout ce qui regarde la Discipline & l’Oeconomie exterieure de cette mesme Eglise. Je dis plus ; outre qu’il l’autorise pour l’exercice de ses Fonctions exterieures, & luy donne le pouvoir de se faire obeir au dehors pour entretenir le bon ordre, & bannir la confusion, il maintient mesme la Foy, & la Profession exterieure qui s’en fait, & lors que la Societé veut s’assembler par ses Députez, pour terminer des Contestations par rapport à cette mesme Foy, & à la Discipline, elle ne le peut que par son autorité. Les Decrets ou Canons qu’elle fait dans ces Assemblées, ou Conciles, doivent estre autorisez par cette puissance, & ne passent que par elle en force & vigueur de Loix. C’est dans ce sens que Constantin prenoit le nom d’Evesque exterieur, & qu’il écrivoit aux Evesques assemblez à Tyr, qu’il luy appartenoit de juger, si on avoit bien ou mal jugé selon la Regle divine ; qu’Ozius dans Saint Athanase donnoit à l’Empereur tout l’empire sur la Terre, à l’exclusion des Evesques, auxquels les seules Fonctions sacrées, & de brûler l’Encens, faisant allusion à l’histoire d’Ozias, sont reservées, & c’est ce que les anciens Peres appelloient, tant à l’égard de la Foy, que de la Discipline, rapporter au jugement sacré, à qui les Grecs donnoient le nom d’Epichrese.

Les Juifs & les Samaritains porterent leur differend sur le Temple de Jerusalem & celuy de Garizaim, à Ptolomée, Roy d’Egypte, qui en jugea par la Loy de Moyse. Les mesmes Juifs n’eurent point de droit de rétablir ce Temple, que par Cyrus & les autres Rois de Perse, & l’on ne fait pas assez de reflexion sur ce que les Hebreux leurs Predecesseurs, ne crurent pas devoir sortir de l’Egypte, pour aller sacrifier à Dieu dans le Desert, sans la permission de Pharaon, & qu’il fallut une Mission extraordinaire pour les tirer de ce Royaume en la personne de Moyse, prouvée & autorisée par des Miracles & des Prodiges. Ezechias rompit les Idoles, & mesme le Serpent d’Airain élevé par Moyse. Luy & Iosias détruisirent les Lieux hauts. qui faisoient diversion pour le Culte qu’on devoit rendre à Dieu au Temple de Ierusalem. Le Roy des Ninivites ordonna un Ieûne public. Darius donna pouvoir à Daniel de rompre l’Idole, & condamna aux Lyons ses Ennemis, & Nabuchodonosor défendit dans ses Etats de blasphemer le vray Dieu. Saint Pierre & S. Iean, dans les Actes des Apostres, ne recusent point le Savedrin, lors qu’ils disent, Nous sommes jugez pour avoir donné la santé à un Malade, & quand ce Tribunal leur défend de prescher Iesus-Christ pour Messie, ils alleguent l’ordre de Dieu, en luy disant, Jugez vous-mesmes, si nous devons plûtost obeïr à Dieu qu’aux hommes. S. Paul gagna Sergius son Juge, qui estoit assis sur le Tribunal, pour juger entre luy & Elymas le Magicien. Le mesme Apostre accusé par Tertullus d’estre de la Secte des Nazaréens, subit le jugement de Felix. Il reclama ensuite celuy de Festus, Successeur de Felix, disant qu’il devoit estre jugé à ce Tribunal ; & lors qu’il apprehenda que le mesme Festus ne luy rendist pas justice, il appella à Cesar, qui eust eu effectivement le bonheur d’employer sa Puissance souveraine en faveur de la Religion Chrestienne, s’il eust absous S. Paul, & condamné les Iuifs. Iustin, Athenagore, Tertullien, adresserent des Apologies aux Empereurs pour la Religion Chrétienne, Les Peres d’Antioche s’adresserent à Aurelien, pour faire donner le Siege Episcopal à celuy qui avoit esté ordonné à la place de Paul de Samosate qu’ils avoient déposé. L’Evesque Archelaus défendit contre Manes, Chef des Manichéens, la cause de la Foy devant Marcellin, Juge Imperial, qui prit pour Assesseurs un Medecin, un Retheur, & un Grammairien Payens. S. Athanase défendit aussi cette mesme Foy à Laodicée contre Arius devant Probus, qui jugeoit, vice sacra, & qui prononça en faveur d’Athanase. Ce mesme Saint, & les Evesques Catholiques s’adresserent souvent pour cet effet à Constance & à Iovinien, Empereurs, quoy que contraires. Theodoric, Arien, jugea entre les Evesques de Rome dans un Schisme de cette Eglise. Eugene, Evesque d’Afrique, offrit aux Ariens de prendre pour Juge Hunneric, Roy des Vandales, & les Ariens refuserent ce party. Je pourrois citer une infinité d’autres exemples ; car enfin combien de Loix de l’Empereur Justinien, sans parler des autres, sur les personnes, les biens, & generalement tout ce qui regarde la Religion. Il regle les Ceremonies du Baptesme ; il ordonne qu’on prononcera le Canon de la Messe à haute voix ; qu’on n’ordonnera point d’Evêques qu’à l’âge de trente ans ; que l’Evesque ne pourra estre absent de son Diocese plus d’un an, & sans sa permission ; qu’on ne celebrera point les Mysteres Sacrez dans des Maisons particulieres ; en un mot, il commence, ainsi qu’il a esté dit, son Code par la Foy Catholique, & la premiere Loy est celle des Empereurs Valentinien, Gratien, & Theodose, qui ordonnent que tous les Peuples soûmis à leur Empire, suivront la Communion du Pontife Damase, & de Pierre, Evesque d’Alexandrie, Personnage d’une sainteté Apostolique. Combien aussi de Loix, & d’Ordonnances de nos Rois dans toutes les Races ! Combien de Capitulaires de Charlemagne, & de ses Successeurs !

Ainsi pour faire l’application de tout ce que j’ay étably au sujet du Pouvoir Souverain, à l’hypothese dont il s’agit, il est constant que les Pretendus Reformez n’avoient pû sans cette autorité s’ériger dans le Royaume en Corps & en Societé de Religion, & qu’ils n’y avoient pû de mesme subsister jusqu’à present. Cette Societé s’est mesme formée d’abord par une entreprise sur l’autorité Royale, & par une violente rupture de l’unité de la Societé Catholique, à laquelle le droit du Ministere de la Parole appartenoit originairement, par une succession non interrompuë de ses Ministres depuis ses Fondateurs Apostoliques, & dans laquelle l’Exercice de ce droit avoit esté conservé & maintenu par le Chef de l’Etat, premier Membre de cette Societé, & en qui reside tout le souverain Empire. La liberté, qui dans son origine avoit esté arrachée par la Societé Schismatique, a esté tolerée dans son progrés à la faveur des Edits, par une sage condescendance, & par une Chrestienne Politique, selon la necessité des temps ; mais aujourd’huy cette mesme Prudence Chrestienne secondée par son Clergé, & sur tout par deux Grands Hommes, (j’entens l’Illustre Archevesque du Siege de l’Empire, & le digne Directeur de Conscience du Roy) a inspiré heureusement Sa Majesté de retirer par la Suppression des Edits sa main, qui soûtenoit comme à regret ce Corps étranger dans l’usage de ses Fonctions, & par ce moyen il s’est détruit, & s’est dissous. Que devoit-on faire des parties éparses de ce Corps dissipé, qui sont tout autant de Fidelles, qui ne doivent ny ne peuvent demeurer sans Profession exterieure & publique de la Religion Chrestienne, qu’ils ont dans le cœur ? La Charité paternelle du Souverain ne l’obligeoit-elle pas à employer sa Puissance Royale, afin qu’ils vinssent se rejoindre au Corps legitime & naturel de l’Eglise Catholique ; & cette mesme Charité de la part de ses Sujets divisez, pour ne pas dire l’équité & le bon sens, ne les pressoit-elle pas vivement eux-mesmes de se réünir à leurs Parens, à leurs Amis, & à leurs Concitoyens, selon l’ordre civil, en un mot, à leurs Freres en Jesus-Christ, qui sont Enfans aussi-bien qu’eux du mesme Dieu qu’ils adorent par le mesme Jesus-Christ, qui esperent aux mesmes promesses, & au mesme heritage celeste, qui observent la mesme Loy, & vivent de la mesme Foy, & de la mesme Morale ? Refuser cette réünion, n’estoit-ce pas resister à l’ordre de Dieu, qui leur faisoit ce commandement par leur Souverain, & mesme à l’Esprit de Dieu, c’est à dire, à son Amour & à sa Charité qui les en sollicitoit ? & n’estoit-ce pas meriter par cette résistance l’indignation & la colere de la Puissance Royale, ordonnée de Dieu pour procurer ce bien, qu’ils refusoient, & pour vanger le mal qu’ils faisoient en le refusant ? Graces à Dieu, le nombre des Opiniâtres & des Refractaires est à cette heure si petit, qu’on peut aisément le compter, & il faut avoüer que c’est une des felicitez du Regne glorieux de ce Grand Monarque, que le doigt de Dieu ait tellement éclaté sur son autorité, qu’il ait laissé si peu à faire à l’Instruction & à la Persuasion.

Rien n’est si foible & si faux que le retranchement, dont ces Desobeïssans se couvrent, lors qu’ils disent, qu’on n’est point maistre de leurs consciences, qu’on ne leur peut ordonner de croire, mais seulement les y exhorter ; qu’on ne force point les esprits, & qu’on ne commande point la Religion ; qu’ainsi il faut obeïr plûtost à Dieu, qu’aux hommes, parce qu’ils sont asseurez d’estre dans la veritable Religion ; car il ne s’agit point de changer de Religion, c’est la mesme dans son fond & dans sa substance. Il ne s’agit point de la Regle de la Foy, puis qu’on ne la leur conteste pas, & qu’ils ne peuvent aussi la contester à l’Eglise Catholique, qui la possede de toute ancienneté, & qui leur ouvre son sein pour les recevoir à la Profession exterieure de cette Foy avec ses autres Enfans dans l’unité de l’Esprit & le lien de la Paix. Tous les autres sentimens, qui servoient de pretexte specieux, plûtost que de cause solide au Schisme, soit qu’ils ayent du rapport à la Regle fondamentale, soit qu’ils n’en ayent point, seront aisez aprés cela à éclaircir. On leur fera voir facilement, qu’on ne comprend pas sur toutes ces Questions l’Eglise Catholique, & qu’on luy a imposé à l’occasion de quelques Docteurs particuliers de sa Communion, puis qu’elle n’a changé ny de sentimens, ny de langage, qui se conservent dans les Livres publics, dont elle se sert pour rectifier ces Docteurs particuliers, & les ramener à la pureté de ses sentimens, au lieu que par un étrange renversement d’esprit les Docteurs de l’Erreur, qui ont produit le Schisme sous la belle apparence de Reforme, mais en effet par la haine qu’ils avoient conceuë contre les autres, se sont malheureusement jettez dans une extremité d’autant plus dangereuse, qu’ils ont commencé par la suppression de tous ces Monumens publics, où l’Eglise a toûjours conservé ses veritables idées, & ses veritables expressions, pour établir les leurs particulieres, & par cette conduite ils ont ouvert la porte à toutes sortes de Nouveautez, bien loin de retrancher celles qu’ils s’imaginent avoir esté introduites, & de la fermer pour l’avenir. On leur fera voir en un mot, que ce ne sont la pluspart que des Questions de nom, fondées sur des équivoques de leur part, ou de Discipline, qui ne meritoient pas une si funeste separation, puis que le fondement en Jesus-Christ est toûjours demeuré ferme parmy les Catholiques. Aussi dans la pluspart des Dioceses, & sur tout, en celuy de Paris, on n’a fait signer qu’un Formulaire general de Foy Catholique universelle, & Apostolique, sans entrer dans aucun détail qu’aprés s’estre réüny, ou si l’on est entré en quelque éclaircissement avec quelques-uns de nos Freres, ce n’a esté que pour satisfaire à ces faux Scrupules, & pour leur montrer qu’on ne leur demandoit que cette Profession generale & Orthodoxe. Quant au Passage des Actes des Apostres, Qu’il faut obeïr à Dieu plûtost qu’aux hommes, rien n’est si mal appliqué à la matiere presente par la lecture du Texte. Les Juifs défendoient aux Apostres de prescher Jesus-Christ pour Messie & pour Liberateur, qui au contraire leur avoit ordonné de la part de son Pere de le prescher par tout en cette qualité, & avoit confirmé cette Mission par le Miracle de sa Resurrection, & par tous ceux qui la suivirent, & qui furent la consommation de tous les autres qu’il avoit faits à leurs yeux, & en presence des Iuifs pendant sa Vie. Est-il question de renoncer icy à la Predication de ce Messie & Liberateur ? Ou plûtost n’est-il pas question de la ratifier par une réünion avec ceux qui le reconnoissent, & dont on s’estoit injustement separé ? C’est donc obeïr veritablement à Dieu & à Iesus Christ son Fils ; c’est le reconnoistre pour le Messie & pour le Liberateur, que d’accomplir cette réünion qui fait la plenitude de la Charité que le Pere & le Fils nous ordonnent d’avoir pour nos Freres, qui composent un Corps dont Iesus-Christ est le Chef. Je suis, Monsieur, vostre, &c.

[Nomination de Mrs de Bezons et de Harley en tant que conseillers d’Etat]* §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 61-63

 

Mrs de Bezons & de Harlay ont esté faits dans le même temps Conseillers d’Etat de Semestre. Le Pere de Mr de Bezons, fort intelligent dans les Affaires, estoit Conseiller d’Etat ordinaire, & de l’Academie Françoise. Il est mort depuis deux ans, aprés s’estre distingué dans tous les Emplois que pouvoit posseder un homme de son caractere. Mr de Bezons son Fils, qui vient d’estre receu Conseiller d’Etat, marche sur ses traces. Il avoit esté nommé quelque temps auparavant Intendant en Guyenne. Son esprit est generalement reconnu & estimé, & son merite l’a mis dans un poste, que son âge sembloit luy devoir encore faire attendre.

Mr du Harlay, Gendre de Mr le Chancelier, est digne par luy-mesme du rang où le Roy le vient d’élever. C’est un homme éloquent, qui s’est fait admirer toutes les fois qu’il a parlé en public, qui sçait parfaitement les Affaires du Bareau, & celles de l’Etat ; qui a déja esté honoré du caractere d’Ambassadeur & de Plenipotentiaire, & qui s’est fait aimer par tout où il a esté employé. Je vous en dirois davantage, si je ne craignois de choquer sa modestie.

La Vérité. Fable §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 63-72

 

La Fable qui suit a esté trouvée fort ingenieuse. Elle est d’un Gentilhomme de Marseille, dont je vous ay déja envoyé plusieurs Ouvrages galans, que vous avez leus avec plaisir. La Morale renfermée dans celuy-cy pourra estre utile à ceux qui voudront bien ne se point flater.

LA VERITÉ.
FABLE.

Du temps heureux de Saturne & de Rhée,
La Verité digne d’estre adorée,
 Faisoit icy-bas son sejour.
Les hommes s’empressoient à luy faire la Cour ;
 Mais dés que la Discorde affreuse
 Eut infecté tous les cœurs de son fiel,
Elle fut obligée à chercher dans le Ciel
 Avec la Paix devenuë odieuse,
  Une retraite plus heureuse.
Les grands honneurs qu’elle receut des Dieux,
Leur accueil obligeant, leur entretien aimable,
  Le Nectar delicieux
  Qu’elle beuvoit à leur table,
  Tout cela fut incapable
D’adoucir le chagrin de son bannissement.
 Cent fois le jour, de moment en moment
  La Terre qu’elle avoit laissée,
  Estoit presente à sa pensée.
Elle se souvenoit d’avoir veu les Mortels
Prosternez à ses pieds luy rendre des hommages,
 Couronner de fleurs ses Images,
Et prests à luy dresser de superbes Autels.
  Pour se défaire d’une idée
  Si puissante & pleine d’appas,
 En vain son cœur donna mille combats,
  Elle en estoit trop possedée,
Il fallut se résoudre à descendre icy-bas.
Depuis ce jour fatal qu’elle se vit reduite
  A suivre la Paix dans sa fuite,
  Plusieurs Siecles s’étoient passez.
Par le luxe orgueilleux, la Nature changée
Ne laissoit plus former que des vœux insensez.
 Jugez combien elle fut affligée.
  Un Palais riche & spacieux,
  Qui jusqu’au Ciel porte son dome
  S’offre à ses regards curieux.
  Là jadis un couvert de chaume
  Garantissoit des injures du temps
  Des Bergers simples & contens.
  La bure n’est plus en usage,
 Le Porte-faix n’oseroit s’en vêtir,
 Chacun aspire à la pourpre de Tyr,
Que chez luy le Marchand a mise en étalage.
Le champ qui produisoit une moisson de Blé,
  Est ceint d’un vaste Amphitheatre.
  A l’aspect du Peuple assemblé
  Deux Athletes y vont combattre.
Elle voit dans des Chars pompeusement traisnez
  Par des Chevaux en harnois magnifiques,
  Triompher de jeunes Phrinez,
Pour avoir asservy mille cœurs impudiques.
Lasse enfin de courir, de voir, de s’affliger,
Dans un Palais, où l’or sur le Porphyre brille,
  Elle demande à loger.
  Je suis cette mesme Fille
 Que vos Ayeux remplis de pieté
  Reveroient avec leur Famille,
  Comme une Divinité,
  Je m’appelle Verité.
A ce nom le Portier par ordre de son Maistre,
  Qui parut à la fenestre,
  Luy ferma la porte au nez,
En luy disant, partez, vous nous importunez.
  Sans murmurer la pauvreté
Obeït, & s’en va de Palais en Palais
  Mandier une retraite.
 Pareils complimens luy sont faits,
  A chaque porte on la traite
  De coureuse & d’indiscrete ;
 Elle devient le joüet des Laquais.
  Il suffit qu’elle se nomme
  Pour essuyer des refus ;
  Elle cherche l’homme en l’homme,
  Mais ses soins sont superflus,
  L’homme d’autrefois n’est plus.
  Cependant la nuit s’avance,
Elle ne sçait encore où se refugier ;
A quelques pas de là dans un autre Quartier,
 Elle découvre au pied d’une éminence
 Une maison de chetive apparence ;
Je ne dois craindre icy, dit-elle, aucun Portier,
 Ny des Laquais la detestable engeance,
  Entrons avec asseurance.
  La Veuve d’un Savetier,
Qui malgré soixante ans se piquoit de jeunesse,
  De ce lieu se dit la Maistresse.
  Sur le nom & la qualité
  De cette divine Beauté,
  Qui veut estre son Hostesse,
  De joye & d’amour transporté
 A cet honneur son cœur est si sensible,
Qu’elle en perd à l’instant le souvenir terrible
  De son extrême pauvreté,
  Elle court dans son voisinage
  Publier sa felicité.
Pour acheter des œufs, des herbes, du fromage,
  De la vinette & du pain,
  Avec plaisir elle engage
 Son pauvre petit Saint Crespin.
 Tout remuë en son voisinage,
Ses enfans empressez travaillent au repas.
A cet accueil pourtant honneste & favorable
  La Dame ne répondit pas,
 Elle apperceut en se mettant à table
Que nostre officieuse avoit les cheveux blancs.
 Il faut, luy dit elle, ma Mie,
 Que vous ayez grand nombre d’ans,
  Sur vos pieds mal affermie
  Vous marchez à pas chancelans.
 O Dieux ! vous n’avez point de dents.
Je vous laisse à penser quelle fut la colere
 Que ce discours franc, mais mocqueur,
  Deut allumer dans le cœur
  De cette nouvelle Mégere.
  Perdant respect & raison
Elle prend par le bras la Dame trop sincere,
  Luy dit pire que son nom,
  Et la met hors de la maison.
***
De cette ingenieuse Fable
 Voicy la moralité ;
Quoy que belle, la Verité
N’est pas toûjours agreable.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 72-73.

Tous les Airs nouveaux que je vous envoye depuis quelque temps, sont choisis par un fort habile Maistre. Ainsi je ne doute point que vous ne soyez aussi satisfaite de celuy-cy, que vous l'avez esté de la plupart de ceux qui me sont venus par la mesme voye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par La Saison du Printemps est de celle de l'Amour, doit regarder la page 73.
La Saison des Zephirs est de celle de l'Amour,
Le Printemps de retour
Ramene les plaisirs, les jeux, les chansonnettes,
Et l'on entend déjà dans ce charmant sejour
Les Bergers d'alentour
Chanter sur leurs tendres Musettes,
La Saison des Zephirs est de celle de l'Amour.
images/1686-04_072.JPG

[Ce qui s’est passé à la Cour des Aydes le jour de l’enregistrement des Lettres de M. le Chancelier, avec une partie du Discours de M. de Tessé] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 73-111

 

Je vous ay promis de vous faire part de ce qui s’est passé à la Cour des Aydes, lors qu’on y presenta les Lettres de Mr le Chancelier, pour y estre enregistrées. Je ne manquay pas de m’y trouver le jour d’une Action si celebre. Ce fut le 20. du mois passé. Comme pour ces sortes d’Actions qui sont d’un fort grand éclat, on choisit toûjours quelque personne distinguée dans le Barreau, pour faire l’Eloge de ceux que le Roy éleve à cette premiere Dignité de la Robe, Mr de Tessé, fameux Avocat du Parlement, fut chargé de requerir l’enregistrement des Lettres de Mr de Boucherat. Il est Fils du Doyen des Conseillers du Presidial de la Fléche, & proche Parent du docte Mr Ménage. Il y a long-temps que l’on n’a fait un Discours public qui ait esté plus generalement applaudy, que celuy qu’il prononça. Chacun fut charmé de son éloquence, & tant de personnes s’attacherent aussi-bien que moy à retenir les endroits qui fraperent le plus vivement, qu’il y en a quelques-uns que je croy pouvoir vous rapporter presque dans les mesmes termes qu’il a employez. Tel est l’Eloge du Roy, qui luy attira mille loüanges de tous ceux qui l’entendirent.

Mr de Tessé dit d’abord, que comme il n’y avoit rien dans le Monde qui representast mieux la grandeur de Dieu, que la souveraine Majesté des Rois, il n’y avoit rien aussi qui approchast davantage de cette souveraine Majesté, que la haute élevation d’un Chancelier de France ; qu’on le voyoit assis au pied du Trône, annonçant aux Peuples les volontez suprêmes d’un grand Roy, dépositaire de ses plus secretes pensées, dispensateur de ses Graces, tenant en ses mains la destinée de ses Sujets, & décidant souverainement de leur fortune. Il demanda par un beau trait d’Eloquence, qui estoit celuy qui sous un Prince comme le nostre, pouvoit soûtenir dignement un si haut degré de gloire, & ayant fait voir que cet avantage n’appartenoit qu’à cet homme juste dont parle le Philosophe, à cet homme tout divin, à qui il ne manquoit aucune de toutes les Vertus Morales & Politiques, qui estoit toûjours élevé au dessus des passions de l’homme, toûjours égal dans les differens caprices de la Fortune, & qui n’avoit pour objet que l’interest seul de la Patrie, il sembla craindre que ce ne fust-là cette belle & noble Idée, que la Sagesse Payenne avoit conceuë tant de fois, sans l’avoir produite au jour par aucun exemple, & le beau fruit d’une profonde speculation dont cette vaine Sagesse n’avoit jamais goûté la douceur qu’en vœux inutiles & en desirs sans effets. Il ne marqua cette crainte, que pour dire ensuite avec plus de force, que si les Sages de l’Antiquité n’avoient pas esté capables d’une si pure Vertu, c’est que le Ciel avoit reservé ce bonheur à la France, pour honorer le Regne de Louis le Grand, ce Prince tout merveilleux que Dieu avoit formé pour estre le modelle des plus grands hommes ; que nous venions d’en perdre un qu’on pouvoit nommer veritablement juste, & qui tiroit toute sa perfection de ce divin modelle, & que la France, cette Terre si cherie aujourd’huy du Ciel, par une fecondité toute merveilleuse, avoit reparé aussi-tost en la personne de Mr de Boucherat une perte, qui en d’autres temps, & en tous les autres Climats du Monde, auroit esté irreparable. Il ajoûta, que s’il n’avoit à faire l’Eloge que d’une Vertu à demy-heroïque, il suivroit l’exemple des grands Maistres de l’Eloquence, & qu’il chercheroit dans les Actions des Morts & des Ancestres des Lauriers pour couronner celles de Mr le Chancelier ; qu’il feroit valoir les grands services que feu Mr de Boucherat son Pere avoit rendus à l’Etat & à la Religion sous le Regne de plusieurs Rois, tantost en Conseiller d’Etat ordinaire, tantost en Doyen des Maistres des Comptes de Paris, & tantost en Intendant de cette victorieuse Armée Navale, qui avoit eu l’avantage d’affoiblir l’Heresie jusque dans les Ports de la Rochelle ; qu’il parleroit de cette fameuse Digue dont il avoit esté l’Inspecteur & l’Ordonnateur, de ce formidable Ouvrage qui avoit dompté la Mer, arresté la fureur des Anglois ; vaincu les forces confederées des Rebelles, & servy de fondement au Triomphe glorieux que nous voyons aujourd’huy ; qu’il s’étendroit sur l’illustre Maison des Dormans, sur celles des Molé, des Hannequins, & des Lomenie, des Fourcy, des Barillons, & des Harlay, & que remontant plus haut dans le Siecle passé, il feroit paroistre deux celebres Abbez de Citeaux, Nicolas & Charles Boucherat ; l’un défendant courageusement dans le Concile de Trente les interests de l’Eglise, la juste autorité des Papes, & la Majesté de nostre Empire ; l’autre assistant aux Etats Generaux de la France, President aux Etats de Bourgogne, & tenant cinq Chapitres Generaux de son Ordre ; mais qu’il publioit les loüanges immortelles d’un Genie tout extraordinaire, qui non content de voir fleurir en luy toute la Vertu, toute la fortune de ses Peres, avoit voulu comme un Aigle par un vol plus haut, s’élever infiniment au dessus d’eux, tournant incessamment ses regards vers ce grand Soleil, qui fait en ce Siecle la destinée de l’Univers ; qu’il loüoit un Sujet fidelle inviolablement attaché à la Personne de son Prince, au culte des Autels, à la Police de l’Etat, à la felicité des Peuples ; un grand Magistrat, qui n’avoit jamais eu d’autre passion dans le cœur que la regle de son devoir, & qui sans le secours ny de la fortune ny de la protection, montant de Dignité en Dignité, estoit enfin parvenu à force de Vertus, au degré suprême de la Magistrature, & qu’il vouloit faire voir dans un exemple éclatant, que sous le Regne de Louis le Grand la plus haute recompense estoit toûjours le prix de la plus haute Vertu. Il entra de là dans le détail des qualitez naturelles de Mr le Chancelier, de son Education, de ses Etudes, & de ses Emplois pendant la Minorité du Roy. Il fit connoistre qu’à peine avoit-il esté trois ans Conseiller au Parlement de Paris, qu’on le vit Maistre des Requestes, Intendant dans l’Isle de France, Conseiller d’Etat, & l’Arbitre souverain de ce fameux differend qui divisoit alors la Province du Languedoc entre le Parlement & les Etats. Il dit qu’il y avoit des Sagesses avancées qui n’étoient sujettes ny aux Loix de l’âge, ny à l’ordre des temps, & qu’on troubloit quelquefois cet ordre & ces Loix pour élever certains prodiges d’esprit aux Emplois & aux Dignitez ; mais qu’on n’avoit jamais veu tirer, pour ainsi dire, du Novitiat de la Magistrature, un jeune Magistrat pour le faire Juge des Juges, & pour l’envoyer apprendre aux Sages de l’Areoge à se juger eux-mesmes. Aprés avoir marqué vivement, quoy qu’en peu de mots, dans quel trouble la division qui s’estoit mise il y a prés de quarante ans entre le Parlement de Toulouse, & l’Assemblée des Etats de Languedoc, avoit jetté ces deux Puissances, jalouses d’un point d’honneur, & attachées à des interests particuliers, sans que les Personnes du premier ordre, qui avoient voulu les accommoder, eussent pû y réüssir, il fit paroistre Mr de Boucherat revestu de l’autorité Royale, & assis au milieu des Anciens d’Israël, les écoutant, leur parlant, décidant, & ce qui est presque sans exemple, reconciliant sur le champ le victorieux avec le vaincu. Il representa avec combien d’application il avoit remply tous les devoirs d’Intendant de l’Armée qui fut envoyée en Guienne contre les Rebelles dans ces temps aveugles & tenebreux, ou sous une fausse apparence de bien public & de zele pour le service du Roy, la pluspart des bons Sujets s’estoient égarez parmy les mauvais ; où la France estoit en desordre & le devoir confondu, & ou enfin la fidelité n’avoit presque plus rien que le nom. Il parla ensuite de ce qu’il avoit fait en qualité d’Intendant de Justice, dans le Languedoc, dans l’Isle de France, dans la Champagne, & dans toutes les autres Provinces qui avoient esté confiées à ses soins. Il y fit voir le Peuple soulagé, la licence reprimée, les abus reformez, les malversations punies, l’ordre retably, & la felicité répanduë par tout. Il s’estendit sur l’ardeur avec laquelle il avoit couru dans la haute Guyenne, dans le Comté de Foix, & dans les Sevenes, au secours des Catholiques contre les Pretendus Reformez. L’Heresie, dit-il, qui graces au Ciel & à la pieté de nostre grand Monarque, est presque entierement détruite aujourd’huy, troubloit alors le repos de nos Freres dans toute l’etenduë de ces Provinces. Ce cruel Monstre avoit rompu les chaisnes qui luy avoient esté données par les Edits de nos Roys. Il commençoit déja à paroître en campagne, il formoit des desseins & des entreprises dans les Villes, & l’on estoit sur le point de voir renaistre ces temps à jamais déplorables, de carnage & de meurtre, qui ont coûté tant de sang à nos Peres. Mr de Boucherat marche, il court, il vole, il porte avec luy cét Art admirable qui charme les Serpens & les Dragons. A peine a-t’il parlé, & fait retentir de tous costez le nom du Roy, qu’on voit la tranquillité renduë au Peuple de Dieu, en attendant qu’un bras plus puissant que le sien, vienne comme un autre Moyse, le delivrer pour toûjours de la servitude.

Mr de Tessé passa de là aux Emplois qu’a eus Mr de Boucherat depuis la Majorité du Roy. Voicy à peu prés les termes dont il se servit. Aprés l’avoir consideré comme une de ces Rivieres qui ayant arrosé plusieurs Plaines, roulé ses flots avec majesté pendant un long cours, & laissé par tout les fertiles impressions de sa fecondité, porte enfin ses eaux & ses richesses dans une profonde Mer ; admirons le maintenant dans les Conseils du plus grand, du plus sage, du plus parfait de tous les Rois, & le contemplons auprés de ce Monarque comme l’on fait cette Etoile plus brillante que les autres qui commence & qui finit les jours, sans cesse attachée au cours du Soleil, & qui par sa qualité bienfaisante semble ne recevoir de ce bel Astre une plus grande étenduë de lumiere, que pour en répandre davantage sur la surface de la terre. Que dis-je, le contempler auprés de ce Monarque ! Eh de qui peut-on contempler les Vertus auprés de ce Prince Incomparable.

Il prit là-dessus occasion de faire l’Eloge du Roy, & il le fit avec une force d’éloquence que tout le monde admira. C’est icy, poursuit-il, c’est icy où je ne connois plus mon sujet. Surpris, étonné, éblouy de tant de lumieres, de tant de grandeurs, de tant de miracles qui viennent à la fois fraper mes yeux, de quelque costé que je les tourne, ou sur la Personne, ou sur les actions de ce grand Prince, je ne sçay plus si je parle, ou si je tombe dans le silence. Mon imagination emeuë de tant de beautez, de tant de merveilles, ne voyent plus rien que des objets qui le ravissent & qui l’enlevent. Ouy, Messieurs, je ne crains point de le dire. Je voy dans ce Prince reluire tout ce qui peut le plus vivement, le plus sensiblement representer sur la terre l’Image de la Divinité. L’Estat qui est aujourd’huy son ouvrage, m’offre de toutes parts une face nouvelle, comme si elle sortoit du cahos. Ce n’est plus ce Theatre de duels, de rapines, de Finances ruinées de Loix muettes ou impuissantes, de troubles, d’impieté, ny de mélange de Religions. Je ne trouve par tout que l’ordre, l’union, la Justice, l’abondance, le repos, & parmy tant de douceurs je n’entens plus retentir de tous costez que des cris de joye dans toutes nos Eglises triomphantes de l’Heresie. Je voy au dehors nos Frontieres si reculées, qu’à peine peut-on connoistre où elles ont esté autrefois. Je vois au dedans tant de magnificence, que si celle des Cieux publie sans cesse les loüanges de son Autheur, celle de la France necessera jamais de publier aussi les loüanges du plus puissant Monarque de la Terre. Si je contemple ses Victoires & ses Conquestes, quelle moisson de Lauriers ! Tantost je le vois semblable au Dieu des Batailles, tantost semblable au Dieu de la Paix, tantost à celuy des vangeances, & toûjours semblable au Dieu de la Gloire. Si je porte ma veuë sur la vaste étenduë des Mers, je vois l’esprit de ce Prince plus vaste, & plus profond que la Mer mesme, regnant par tout sur les eaux ; d’une main joindre à la France toutes les Parties du Monde par les liens d’un heureux Commerce, pendant que d’une autre main il force les plus fieres Puissances de ce terrible Element, à venir à ses pieds luy faire hommage, & respecter son doigt imprimé sur nos Rivages. D’un autre costé je vois l’Ocean se précipiter dans la Mediterranée, par une voye inconnuë à tous les Siecles ; les Rochers & les Deserts transformez en Villes, en Ports, en Edifices somptueux, les Montagnes applantes, les Precipices comblez, les Rivieres détournées ; enfin vous diriez que la Terre, la Mer, l’Art, la Nature, que tout l’Univers obeit à sa voix, tant elle est semblable à celle du tres-haut. Ciel, vous n’en estes point jaloux. Ce Prince est vostre plus bel Ouvrage ; il est le Protecteur de vos Autels, la terreur de vos Ennemis. C’est vous qui nous l’avez donné, & vous nous l’avez donné si grand & si puissant, qu’il semble que vous ayez enfermé dans sa Personne cette ame universelle qui anime le Monde. Voilà, Messieurs, le Prince qui forme aujourd’huy, ou qui perfectionne les plus grands Hommes de ce Siecle. Voilà le Prince qui par son exemple enseigne aux Rois à bien regner, qui apprend aux grands Ministres l’Art de gouverner les Estats, & aux plus grands Magistrats de la Terre celuy de rendre la Justice ; & voilà le divin modelle qui a formé la perfection de Mr le Chancelier dans cette haute region de l’Etat & du Ministere, où les Sujets du premier ordre ressemblent à ces premieres Intelligences du Ciel qui roulent sans cesse sur nos Testes. C’est là, n’en doutons point, c’est dans le Conseil Royal des Finances, où ce grand Homme s’est remply de tant de rares connoissances, de tant d’excellentes qualitez qui le distinguent, & qui l’elevent si haut au dessus de tous les autres Magistrats. C’est dans cette source si vive & si pure qu’il a puisé ces grands principes de Justice ; cette abondance de raisons & de lumieres qui le rendent digne de nos admirations. Esprit haut, Genie sublime, s’il m’estoit permis de vous suivre, si je pouvois percer avec vous ces nuages sacrez qui environnent le Trône du plus grand des Rois, entrer dans le sanctuaire de ses Secrets & de ses Misteres, contempler auprés de vous les admirables ressorts qui font mouvoir avec tant de gloire la plus belle Monarchie de l’Univers. Que nous verrions de Sagesse ! que de Trésors, que de Grandeurs, que de Vertus ! Mais, Messieurs, je le perds de veuë dans cette haute region, & je ne puis plus vous le representer que comme dans une perspective tres-éloignée, sans cesse appliqué à l’étude, à l’admiration des vertus de ce grand Roy, n’ayant point d’autre objet devant les yeux, dans le cœur, dans l’ame que cette Teste si auguste, brûlant de zele pour son service, d’amour pour sa Personne, de passion pour la durée de son glorieux Regne, & ne respirant que le salut & la felicité de ses Peuples. Si nous jugeons du progrez de cette heureuse étude, comme les Philosophes jugent des Secrets de la Nature par les effets, nous voyons sensiblement l’esprit de ce grand Monarque regner par tout dans la conduite, dans les actions de Mr le Chancelier. Nous trouvons dans ses paroles cét esprit de douceur & de majesté, qui nous fait aussi-tost connoistre qu’il est la bouche du Roy ; dans ses bien-faits, cette maniere obligeante, plus agreable & plus charmante mille fois que le bien mesme ; dans le discernement des Personnes & des choses, cét œil vif & perçant, cette prudence admirable dont parle l’Ecriture ; dans les obstacles & dans les difficultez, cette grandeur d’ame qui surmonte tout, cette pieté solide qui ne s’attache qu’à la droite verité, cette pureté de raison qui luy fait juger de toutes choses par le principe & par la nature des choses mesmes. Regardez-le au milieu de cette foule de monde, d’affaires, de devoirs qui l’environnent, & qui accableroient tout autre que luy, vous le trouvez toûjours present, toûjours exact, toûjours ponctuel, toûjours infatigable, facile pour écouter les malheureux, tendre pour les secourir, ferme dans ses resolutions, droit dans ses conseils, solide dans ses jugemens, humain, affable, religieux. Enfin vous trouvez en luy tant de traits, tant de rayons de l’esprit du Monarque qui l’anime, que vous reconnoissez par tout sans peine le Maistre dans le Disciple ; & c’est de luy qu’il faut que la France vous dise aujourd’huy par ma bouche ce que Rome a tant vanté du fameux Confident d’Auguste, que tout autre que luy n’auroit jamais pû soûtenir l’éclat d’une vertu si vive & si agissante.

Mr de Tessé fit connoistre ensuite que depuis vingt-cinq ans il ne s’estoit presenté aucune Affaire importante dans le Royaume, où le Roy n’eust honoré Mr le Chancelier de sa confiance. Il fit voir la gloire qu’il s’estoit acquise dans ces differens Emplois, & le bien que la France avoit receu de sa vigilance & de son zele. Il parla de cette funeste Constellation qui avoit paru au milieu de nos Victoires, de cette Peste engendrée des noires vapeurs de l’Amour, de l’Ambition, de l’Avarice, de l’Impieté, pendant le cours de laquelle nous ne voyions plus dans l’enceinte de nos murailles que morts précipitées, mais toutes cruelles & toutes extraordinaires, lors qu’un venin chaud brûloit l’un, qu’un poison froid glaçoit l’autre, que le Frere estoit étouffé par le Frere, le Pere par l’Enfant, le Mary par la Femme, & que la Nature estoit éteinte par la Nature mesme, & il n’en parla que pour faire voir avec quelle force, avec quelle penetration Mr le Chancelier animé de cet Esprit de sagesse que le Roy luy avoit communiqué, & auquel nul Ennemy ne peut resister, estoit allé jusqu’au fonds des abismes du cœur humain jusqu’au fonds des entrailles de la terre, chercher & combatre ce Demon domestique dont il avoit heureusement triomphé. Aprés cela il fit un fort beau Portrait de la modestie de ce grand Homme, & ayant dit qu’on ne le trouvoit jamais dans le repos, qu’un Employ suivoit immediatement l’autre, tantost pour le Public, tantost pour le Particulier, & qu’il estoit toûjours semblable à cette favorable Divinité des Anciens, par tout l’azile des miserables, par tout le fleau des Injustes, par tout la ressource des opprimez, en un mot, par tout l’Image des Vertus de son Prince, il ajoûta, pour finir ce grand Tableau, qu’une vertu aussi pure & aussi éprouvée que la sienne, luy avoit fait meriter à juste titre la place éminente qu’il remplissoit, & qui ne connoist rien au dessus d’elle que le Trône des Rois ; qu’il y avoit eu des temps malheureux, où les plus hautes Dignitez de la France avoient esté comme en proye aux passions, aux caprices, aux cabales, aux hazards, & souvent le prix d’une honteuse servitude, plûtost que la recompense de la Vertu, mais que nous vivions sous un Prince, dont le Trône plus brillant mille fois par l’éclat de sa Personne, que par celuy de sa Couronne, n’estoit ouvert qu’aux hommes du premier Ordre, à ces Genies extraordinaires, qui libres de passions, consommez par une longue suite de travaux, dévoüez au salut de son Etat, & formez sur ses exemples, estoient plûtost des Anges que des hommes.

A M. L’Evesque de Lavaur §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 112-121

 

Je remets encore jusqu’au mois prochain à vous parler de l’Oraison Funebre prononcée dans l’Eglise de l’Hostel Royal des Invalides, par Mr l’Abbé Fléchier, nommé à l’Evesché de Lavaur, le jour que Mr le Contrôleur General y fit faire un Service pour feu Mr le Tellier, Chancelier de France. Quoy qu’on ait pû vous en dire, on ne vous en peut avoir trop dit. Ce Panegyrique passe pour un Ouvrage achevé, & je me tiens seur que vous en croirez sans peine le témoignage qu’en rend cette Lettre. Elle est de Mr l’Abbé Faydit, dont la réputation vous est connuë.

A M. L’EVESQUE
DE LAVAUR.

Madame de Mayerchroon, Ambassadrice de Dannemarch, & Mademoiselle du Tillet, Niece de Mr Daurat, sont enchantées de vostre Eloquence, Monseigneur, & m’ont prié de vous en faire leurs complimens. Je m’en suis chargé avec d’autant plus de plaisir, que je cherchois l’occasion de vous faire les miens sur la nouvelle Dignité dont venez d’estre revestu, & que vous allez honorer par vostre merite. Je vous les aurois faits plûtost, si j’avois sceu précisément en quel endroit de Bretagne vous faisiez la guerre à l’Heresie. La gloire de vos Armes ne m’a pas esté inconnuë, mais le champ de Bataille l’estoit. Je n’ay point esté surpris de vos Victoires, sçachant que l’épée de la Parole de Dieu entre vos mains, est telle que le Prophete dépeint celle d’un grand Conquerant d’Asie, fort polie & bien limée d’une part pour briller, & fort aiguë & tranchante de l’autre pour blesser les méchans, Ut splendeat limatus est, acutus est ut vulneret. Le moyen de vous resister, puis qu’on dit que vous sçavez encore mieux confondre les Heretiques que loüer les Heros ? Vous nous en fistes un charmant de Mr le Tellier.

Je me trouvay prés d’un Aveugle, qui est fort éclairé d’esprit ; c’est Mr l’Abbé Deffiat. Il remercia Dieu tout haut, aprés vous avoir entendu, de ce qu’il luy avoit osté les yeux, & non les oreilles, préferant, disoit-il, la lumiere de vos Discours à celle du Soleil, & aimant mieux estre en estat d’entendre les uns, que de voir l’autre. Un de mes Amis qui a fort voyagé, m’assuroit dernierement qu’il avoit veu à la Meque un Turc qui s’estoit crevé les yeux aprés avoir veu le Tombeau de Mahomet, de peur de les soüiller par la veuë d’autres objets. Je vous répons, Monseigneur, que je boucheray desormais mes oreilles pour ne plus entendre d’autres Orateurs. Vous estes le fleau de ceux qui parlent en public. Le moyen qu’on nous écoute aprés vous avoir entendu !

Vidi quanta sub nocte jaceret Nostra dies.

 

En sortant des Invalides, je fus tenté de faire ce que le Pere Joubert Cordelier m’a dit qu’il avoit fait aprés avoir oüy le Sermon de l’Ambition, du Pere Bourdalouë qui est un de ses Chefs-d’œuvre. Il brûla tous les siens, & en fit un sacrifice à ce grand Predicateur. J’ay failly à vous en faire un des miens.

Je n’ay point de regret, Monseigneur, de n’estre point né au temps des Demosthenes & des Cicerons. Je trouve en vous tout ce qu’ils avoient de grand & d’elevé, & je sçay bon gré à nostre amy Mr l’Abbé de la Chambre qui dit, qu’il ne faut plus que les Orateurs jurent par les Manes de ceux qui sont morts dans la Bataille de Marathon, mais bien par les illustres Morts dont vous avez fait les Oraisons Funebres. J’ay du chagrin seulement de n’avoir pas vécu du temps de nos Peres, que ces bonnes gens admiroient des Discours fort insipides. J’aurois valu quelque chose en ce temps là ; mais par malheur pour moy vous avez mis nostre Siecle dans un autre goust. Ce que je vais vous dire l’est de bien du monde.

J’ay une petite Maison de Campagne, où pour tout ornement j’ay fait peindre les sept plus grands Personnages qui ayent jamais esté chacun en leur genre, & que je regarde comme les sept miracles du Monde ; Monsieur le Prince pour la Guerre ; Mr Descartes pour la Physique ; Mr Arnauld pour la Science de la Religion & la Polemique ; Mr de Corneille pour la Tragedie ; Mr de Lully pour la Musique ; Mr le Brun pour la Peinture ; & vous, Monseigneur, pour l’Eloquence. Le Roy est au dessus de tous vous autres, qui répand ses rayons pour vous éclairer & vous échauffer au travail.

Hæc sunt ætatis septem Miracula nostræ,
Lullius, Arnaldus, Condæus, Cartesiusque
Et tragico Princeps Cornelius ille cothurno,
Et Brunnus pictor, dicendique arte Magister
Flexierus. Lodoix tamen hos super eminet omnes.

 

Il y a en bas un petit homme qui vous admire & qui vous regarde tous avec des Lunetes de longue veuë. C’est vostre tres-humble & tres-obeïssant Serviteur,

Faydit.

28. Mars 1686.

A Madame la Marquise Danguitar. A S. Simon §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 127-136

 

On a fort parle icy d’une Avanture, qui n’a pû se terminer que par un Arrest du Parlement. Je me préparois à vous la conter dans mon stile simple, quand il m’est tombé entre les mains une Lettre de Mr Vignier, où je l’ay trouvée écrite en Vers avec beaucoup d’agrément. Je vous l’envoye, estant asseuré que vous la lirez avec plaisir.

A MADAME LA MARQUISE
DANGUITAR.
A S. SIMON.

A Paris, ce 28. Mars 1686.

Je connois, Madame, qu’une faute en fait commettre cent, & qu’aprés avoir manqué plusieurs fois à son devoir, on ne sçait plus comment y rentrer. Il me falloit pour cela un Arrest de la Cour aussi agreable que celuy qui a esté rendu à la grande Tournelle Samedy dernier 23. Mars.

 Un Galant à bonne Fortune,
Qui peut-estre jamais n’en avoit en pas une,
 Un de ces vains extravagans,
 Qui font les beaux, les Intrigans,
Qui ne trouvent jamais de Personnes Cruelles
Et qui, si l’on en croit leur sotte vanité,
Ont eu mille faveurs des Dames les plus belles,
Fut n’aguere puny de sa temerité.
 Dans le milieu d’une débauche
 Ce beau Galant s’estoit vanté
Que dans toute sa Ruë à droit, ainsi qu’à gauche
 Il n’estoit aucune Beauté
 Dont il n’eût esté bien traité.
 Le beau Sexe outragé s’assemble,
 On s’anime, on confere ensemble ;
Jugez ce qui fut dit, quels Arrests on donna
 Et combien l’on se déchaisna.
Aprés beaucoup de bruit, cette Troupe nombreuse
Se rendit aux Avis d’une Sage Boiteuse ;
Car il est à noter qu’où la chose arriva,
Cinquante entre deux cens marchent cahin caha ;
Cette Boiteuse dit, que pour vanger l’outrage
Il falloit se saisir de ce lasche Imposteur,
 Et que sur son honneur
Elle leur promet toit de le rendre plus sage.
Pour en venir à bout on fit tous les apprests ;
Le Galant visitoit souvent une Voisine,
 Qui malgré son humeur badine
 N’estoit pas dans ses interests.
C’est là qu’on le surprit, fort éloigné de croire
Qu’il seroit le sujet d’une plaisante Histoire.
On le prend au colet & dans le mesme instant
 On le lie, on le deshabille,
Chacun avec grand soin l’époussette, l’étrille,
 On le meine Tambour battant,
Chaque coup est suivy d’une nouvelle injure,
Puis on le laisse seul pleurer son avanture.
 Aprés s’estre si bien vangé,
Le Sexe ayant pour Chef cette Boiteuse habile,
Alla se plaindre en Corps au Juge de la Ville,
De ce faux Détracteur qui l’avoit outragé.
Nostre pauvre Etrillé plein de honte & de rage,
 Ne perdit pas courage,
Et pour avoir raison d’un si vilain affront,
  Quoy que moins prompt,
 Il vint aussi faire sa plainte.
 Le Juge, homme judicieux,
 Ne se fit pas peu de contrainte
 Pour conserver son serieux.
 Avez-vous preuve convaincante,
 Luy dit-il d’un air assez doux,
Ou quelques bons Témoins de l’injure outrageante
 Dont vous venez vous plaindre à Nous ?
Pour preuve & pour Témoins de sa méchante affaire
Nostre homme n’auroit pû montrer que son Derriere,
 Mais il falloit pour rendre un Jugement
 Un plus grand éclaircissement ;
 Cependant comme la Justice
Veut quelquefois qu’on use d’artifice,
 Le Juge le questionna
 Sur la cruauté de ces Dames,
  Puis il le condamna
A reparer l’honneur de ces honnestes Femmes.
 A ce rigoureux Jugement,
 Penetré de douleur extrême
Il appelle à la Cour contre le Juge mesme ;
 Qui ne s’en fascha nullement,
 Non plus que la Boiteuse.
 Cette bonne Solliciteuse
 N’oublia pas de faire son Paquet
 Pour se presenter au Parquet,
 Avec cinq autres bonnes langues
 Qui firent de belles Harangues,
On plaida Samedy la Cause au Parlement,
Où l’Appellant inconsiderément
 Voulut de sa Presence
 Honorer l’Audience.
 Chacun sur luy jettoit les yeux,
Et Moliere jamais ne fit de Comedies
 Où l’on se soit diverty mieux.
 On mit hors de Cour les Parties,
Condamnant le Battu de payer les Dépens
 Au prudent Juge d’Orleans.

 

Avoüez, Madame, que vous me quitteriez tous les Mois pour une pareille Lettre. Encore qu’elle ne sois pas trop du temps où nous sommes, je n’ay pû m’empescher de vous faire part de cette Historiette. C’est assez qu’elle aille vers vous pour ne pas manquer de Commentaires & de reflexions. Je suis avec beaucoup de respect, Vostre, &c.

[Fruits extraordinaires d'une Mission faite à Privas] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 136-137, 144-146

 

Il s'est fait à Privas une Mission qui a produit de grands fruits. Privas est une Ville dans le Vivarets qui a soûtenu l'Hérésie jusqu'à la Rébellion, en sote qu'on fut obligé de l'assiéger pour la réduire à l'obéïssance. On en bannit tous les Religionnaires, ce qui fut cause qu'il y resta peu de monde. Il y a présentement environ quinze cens habitans, dont huit cens ne se sont convertis que depuis le mois de septembre dernier. C'est seulement depuis ce temps là qu'ils ont esté receus dans la Ville. [...]

 

[Un dimanche, seules les jeunes filles furent invitées à communier.] Elles se trouvèrent à l'Eglise, à l'heure marquée, au nombre de deux cens, & et le Crucifix fut mis entre les mains de celle qui avoit demandé de le porter. On entonna les Litanies. Elles continuèrent à les chanter, sortant de l'Eglise deux à deux, & marchèrent ainsi fort dévotement, suivies de Mr le Curé, & de quelques Ecclésiastiques, qui chantoient des Motets en Fauxbourdon.

Après eux marchoient quantité d'hommes & de Femmes, dont la foule fit connoistre que cette Cérémonie ne les choquoit pas. A leur retour elles se placèrent dans l'endroit qu'on leur avoit préparé. M. le Curé commençait la Messe, pendant laquelle un des Missionnaires produisoit à haute voix des Actes de Foy, d'Esperance, de Charité, de regret & d'humilité, alternativement avec un Ecclésiastique, qui chantoit en plein-chant quelques paroles de l'hymne Pange Lingua. [...]

[Vers presentez au Roy par M. le Comte de Madaillan] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 162-167

Je vous ay appris celle de Mr le Comte de Madaillan. Voicy des Vers qu’il a presentez à Sa Majesté depuis ce temps-là. Ils en ont esté fort bien receus, & on les a lûs à la Cour avec applaudissement.

AU ROY.

 Si ce n’est point trop entreprendre,
Que d’oser par ces Vers quelque compte vous rendre
Des raisons qui m’ont fait le plus d’impression,
Pour me faire embrasser vostre Religion ;
 Pour commencer à vous le dire,
Voicy par où l’on a commencé de m’instruire ;
C’est par me faire entrer dans la reflexion
 De la longue succession
Qu’on voit de tous les temps dans l’Eglise Romaine,
(Succession qui m’a toûjours fait de la peine)
Ensuite j’ay voulu, pour ne m’y tromper point,
Continuer ainsi toûjours de point en point
 A m’instruire de vos Mysteres,
Avec des Gens versez en pareilles Matieres,
Qui voulant achever par ma réünion
L’Ouvrage desiré de leur Instruction,
M’ont fait voir clairement, quoy qu’on fasse, ou qu’on dise,
Qu’il n’est point de Salut hors de la Sainte Eglise.
Aprés ils m’ont parlé de la necessité
 De se soûmettre à son autorité,
Comme pour le Salut d’un point fort necessaire,
Et puis ils m’ont prouvé que dans le Sacrement
 Jesus-Christ est réellement,
Mais que sans raisonner à fonds sur la maniere,
Il faut en l’adorant s’y soûmettre & se taire.
Jusque là, SIRE, ils m’ont assez bien éclaircy,
J’ay goûté leurs raisons, mon ame en est contente,
Mais ce qui m’embarasse & ce qui me tourmente,
 C’est qu’ils m’ont fait connoistre aussi,
Que quelque réüny qu’on puisse estre à l’Eglise,
La maniere fust-elle entierement soûmise,
Sans Grace l’on n’y fait que d’inutiles Vœux.
 Et mesme sans Grace efficace
 L’on n’y peut jamais, quoy qu’on fasse,
 Ny bien vivre, ny vivre heureux.
Ainsi malgré tant de raisons certaines,
Elles demeureront inutiles & vaines,
Puis que je n’y vivray jamais que malheureux,
Sans consolation, comme sans esperance,
Si vous, dont les bontez font le bonheur de tous,
 Ne me donnez au moins quelque asseurance
De recevoir un jour quelques graces de Vous.
 Mais celle que mon cœur desire
Avec le plus d’ardeur & d’empressement, SIRE,
 De vostre Auguste Majesté,
C’est qu’Elle veüille bien agréer mes services,
Et les vœux que je fais pour sa prosperité,
En luy voüant un cœur plein de fidelité,
Comme le plus parfait de tous les Sacrifices.

[Idille Dramatique chanté aux Apartemens de Versailles] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 170-187

 

Il y a quelques années que je vous fis une exacte & entiere description de tous les Appartemens de Versailles, & de ce que l’on appelle tenir Apartement. La Musique est du nombre des divertissemens que l’on y prend les jours qu’on le tient. Non seulement les plus beaux Airs de Mr de Lully y sont chantez, mais encore ceux des Maistres de Musique qui ont quelque distinction, & dont les Ouvrages ont fait bruit. Cela fait qu’ils s’empressent tous à travailler, & qu’ils cherchent de belles paroles, parce que lors qu’ils sont assez heureux pour en avoir, ils sont seurs que leur Musique paroistra beaucoup davantage. C’est ce qui arriva dernierement au Sieur Marets, qui ayant mis en Musique l’Idille que je vous envoye, le fit chanter aux Apartemens en presence de toute la Cour. Il y arriva une chose extraordinaire, & qui fait connoistre son grand succés. Madame la Dauphine en fut si contente, qu’elle le fit recommencer sur l’heure. Tous ceux qui l’avoient déja oüy, l’entendirent une seconde fois, & témoignerent y prendre un nouveau plaisir. Il fut encore chanté le jour d’Appartement suivant. Je vous ay souvent parlé des Ouvrages de Prose & de Vers, & de differens caracteres, de l’Auteur des paroles, c’est tout ce que je vous en diray aujourd’huy. J’espere vous envoyer le mois prochain quelques endroits notez de l’Idille.

IDILLE
DRAMATIQUE
SCENE I.
La France, la Paix, le Repos,
les Plaisirs, Chœur.

La France.

Venez, aimable Paix,
Venez, Repos tranquille,
La France pour jamais
Doit estre vostre azile.

Le Repos.

Allons, aimable Paix.

La Paix.

Allons, Repos tranquille.

Le Repos & la Paix ensemble.

La France pour jamais
 Doit estre nostre azile.

Chœur.

Venez, aimable Paix, &c.

La Paix & le Repos.

Arrestons dans ces lieux les Jeux & les Plaisirs,
De nos plus doux bienfaits comblons tous les desirs,
  Faisons que tout repose,
 Et ne souffrons d’autres soûpirs
  Que ceux que l’Amour cause.
Entrée des Plaisirs & des Jeux, qui se mêlent avec les Bergers qui dansent.
Trois Plaisirs chantent.
Dans ce beau sejour
Les craintes seroient vaines ;
Les Plaisirs tour à tour
En bannissent les peines,
On n’y porte d’autres chaisnes,
Que les chaisnes de l’Amour.

Une Bergere.

On ne vois dans ce Boccage
Que les Jeux les plus charmans.
C’est icy que l’on s’engage,
Sans connoistre les tourmens.
On ne craindra plus les peines
Dans un si charmant sejour,
On n’y porte d’autres chaisnes
Que les chaisnes de l’Amour.

Entrée.

Les Bergeres s’en vont avec les Plaisirs.
 Les Bergers restent seuls.

SCENE II.
Tirsis, Iris, Lisandre.

Tirsis.

 Suivons nos jeunes Bergeres,
Les Jeux & les Plaisirs s’attachent à leurs pas,
 Les Bergers ne se plaisent gueres
 Où les Bergeres ne sont pas.

Lisandre.

 Allez, Bergers, dans ce Boccage,
Vous qui vivez contens dans l’Empire amoureux,
 Les Ris, les Jeux, le Badinage
 Sont faits pour les Amans heureux.
Je voy danser Tirsis, il court à ma Bergere,
 Elle me fuit, elle l’attend ;
 Quand on voit un Rival content,
 Tous les plaisirs ne touchent guere.

Iris.

Ne plaist on plus dés que l’on aime ?
 J’avois sceu le charmer
 Avant que de sçavoir aimer,
 Son amour estoit extrême
 Avant qu’il fist naistre le mien ;
Et quand je l’aime plus qu’il ne m’aimoit luy-mesme,
  Il ne me dit plus rien.
 Ne plaist-on plus dés que l’on aime ?

Lisandre.

Je vous entens, vous soûpirez,
Depuis quand estes-vous si tendre ?

Iris.

 Depuis que vous ignorez
Que vous sçavez vous faire entendre.

Lisandre.

 Tirsis n’est pas avec vous,
Vous croyez luy parler sans doute.

Iris.

Depuis que Lisandre est jaloux
Je luy parle sans qu’il m’écoute.

Lisandre.

Mon cœur toujours de bonne foy
Ne sçauroit s’attacher qu’au vostre,
Et vous, quand vous parlez à moy,
 Vous songez à quelque autre.

Iris.

Vous affectez un vain couroux
Pour me faire une querelle ;
Vous voulez estre cru jaloux,
 Pour estre cru fidelle.

Lisandre.

Si vous craignez toujours que je puisse changer
 L’objet d’un amour extrême,
Iris, connoissez-moy, connoissez-vous vous-mesme,
 Vous ne craindrez plus ce danger.
  Ensemble.
 Aimons-nous d’une ardeur mutuelle.
 Aimons-nous pour nous aimer toujours ;
 Qu’une flâme toujours nouvelle
Rallume à tous momens nos premieres amours.
 Aimons-nous d’une ardeur mutuelle,
 Aimons-nous pour nous aimer toujours.

Le Chœur repete ces deux derniers Vers.
PASSECAILLE.

Qu’un Berger dans ce charmant Bocage
  Est heureux
 Dés qu’il est amoureux !
 Son amour n’est jamais volage,
 Et jamais la Beauté qui l’engage
Ne trahit en l’aimant ses desirs ny ses feux.
 Qu’un Berger dans ce charmant bocage
  Est heureux
  Dés qu’il est amoureux !
***
 Un jeune Amant tendre & fidelle.
 Toujours constant dans son amour,
 Ne trouve point de cœur rebelle,
Qui malgré ses rigueurs ne cede quelque jour.
***
Ne vous rebutez pas dans vos tendres desirs,
 Amans, vos frayeurs sont vaines ;
  Ce n’est qu’avec des peines
  Qu’on achete les plaisirs.

SCENE III.
La France, la Paix, la Victoire,
Chœur.

La France.

Quels Tambours, quelles Trompettes ?

La Paix & la France.

Quelles clameurs mal à propos
Interrompent nos Musettes,
Et menacent nostre repos ?

La Paix a la France.

Quoy, jusque dans ton sein craindray-je la Victoire ?

Le Repos.

La barbare en tous lieux m’attaque & me détruit,
 Je suis d’accord avec la Gloire,
 Et la Victoire me poursuit.

La Paix & le Repos ensemble.

Je suis d’accord avec la Gloire,
Et la Victoire me poursuit.

La France.

 Victoire toujours agissante,
La Paix & le Repos regnent dans mes Etats,
Les Plaisirs & les Jeux suivent icy leurs pas,
Ne viens pas me priver de leur douceur charmante,
 La Gloire en est contente.
 Et la Victoire ne l’est pas.

La Victoire.

 Non, je ne puis souffrir tes Festes,
Et tu reçois trop bien la Paix & le Repos.
  La bonté du Heros
  Limite ses Conquestes,
  S’il n’eust jamais donné la Paix,
 Ta gloire alloit plus loin que tes souhaits

La France.

Tout rit, tout chante,
Dans ces lieux pleins d’appas,
La Gloire en est contente,
Et la Victoire ne l’est pas.

La Victoire.

 Quelle terreur, quelle épouvante
 A jamais trouble tes Etats
 Dans le temps mesme des combats ?
Du Heros que je sers la valeur triomphante
 Te laissoit entre les bras
D’un paisible repos & d’une Paix constante.
 Quelle terreur, quelle épouvante
 A jamais troublé tes Etats
 Dans le temps même des combats ?

La France.

Du Heros que tu sers la douceur est charmante,
Iusqu’à ses ennemis, il veut que tout ressente
Le tranquille repos qui regne en ses Etats.
 La Gloire en est contente,
 Et la Victoire ne l’est pas.

La Victoire.

Le Maistre de cet Empire
Devoit l’estre de l’Univers.
Dans les plaisirs divers
Que le repos inspire,
Laisse chanter & rire
Ceux dont il brise les fers ;
Mais toy, connois ce que tu perds.
Le Maistre de cet Empire
Devoit l’estre de l’Univers.

La France, la Paix & le Repos.

Du Heros triomphant la sagesse profonde
Cherche moins son bonheur que le bonheur du Monde.

La Victoire.

Il faut donc ceder au Repos,
 La Paix m’arreste,
Je ne vay qu’avec le Heros,
Je n’interromps plus vostre Feste,
 La Paix m’arreste.

Grand Chœur.

Benissons le Vainqueur, qu’il triomphe à jamais,
Il unit le Repos, la Victoire & la Paix.

Une Bergere.

Bergers, qui vous plaignez de vos peines secretes,
Bergers, qui murmurez du sort de vos Rivaux,
  Quittez vos Houlettes,
Confiez à vos chiens le soin de vos Troupeaux,
 La Paix accorde les Trompettes
  Au son de nos Musettes,
  Reprenez vos chalumeaux ;
  De petites Chansonnettes
 Soulagent souvent de grands maux.

Une autre Bergere.

Nous ne craindrons plus que la Gloire
Nous vienne enlever nos Amans,
La Paix a finy nos tourmens,
Elle desarme la Victoire ;
 Les Bergers à leur tour
Vont faire triompher l’Amour.

Le Grand Chœur.

Benissons le Vainqueur, qu’il triomphe à jamais,
Il unit le Repos, la Victoire & la Paix.

[Mariage du Marquis de Dangeau]* §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 187-199

 

Sur la fin du dernier mois, Mr le Marquis de Dangeau Chevalier d’honneur de Madame la Dauphine, épousa Madame la Comtesse de Levestein, Fille d’honneur de cette Princesse. Comme elle estoit Chanoinesse, on la traitoit de Madame, quoy que Fille, & il suffit qu’elle possedast cette qualité pour faire connoistre les avantages qu’elle a du costé de sa Naissance. Elle est Fille de Federic Charles, Comte de Levestein, qui épousa en 1651. Anne-Marie, Fille d’Egon Comte de Furstemberg, & d’Anne-Marie, Princesse née de Hohen Zolern. Elle a l’air doux, l’ame grande & genereuse, & les manieres honnestes. Je ne vous dis rien de sa beauté, le bruit qu’elle fait vous en doit avoir instruite. Elle a esté fiancée dans le grand Cabinet de Madame la Dauphine, & mariée le lendemain dans la Chapelle du Château de Versailles, par Mr l’Abbé Fléchier, nommé à l’Evesché de Lavaur, Aumônier ordinaire de Madame la Dauphine. La Naissance de Mr le Marquis de Dangeau est soûtenuë de beaucoup d’esprit, de merite & de conduite à la Cour, & dans tous les Emplois qu’il a eus. Il s’est toûjours fait quantité d’Amis, & a merité l’estime du Roy, ce qui seul fait son Eloge. Il est de la Maison de Courcillon, distinguée par une Noblesse tres-ancienne, dont l’origine remonte jusques au temps de Hugues Capet. On trouve dans l’Histoire des anciens Comtes d’Anjou, qu’ils avoient au nombre de leurs principaux Vassaux les Seigneurs de Courcillon. Cette Terre qui est située dans la Province du Maine a esté portée par le Mariage de leur Branche aisnée dans la Maison des Comtes de Sancerre. Guillaume Sire de Courcillon est mentionné dans des Chartes de Geoffroy surnommé Plantegent Comte d’Anjou, du Maine, & de Touraine, qui mourut l’an 1151. Guillaume Sire de Courcillon son petit Fils, augmenta la Fondation de l’Abbaye de la Clarté-Dieu, & comme il sceut joindre la pieté à la valeur, on le trouve qualifié Chevalier dans des titres de l’an 1250. Un ancien Registre de la Chambre des Comptes de Paris, contient plusieurs Traitez faits en 1277. 1282. & 1288. par Monseigneur Guillaume, Sire de Courcillon Chevalier, & par Monseigneur Geoffroy de Courcillon son Fils aussi Chevalier, avec Robert Comte de Dreux, Prince de la Maison Royale, & avec Beatrix, Comtesse de Chateaudun sa Femme. Brisegaut de Courcillon Frere puisné de Guillaume & de Geoffroy, Sires de Courcillon Chevaliers, ayant eu par son partage la Seigneurie de Montleans en Dunois l’an 1363. forma une Branche que le merite & les actions militaires de ceux qui en sont issus, ont élevez a des Emplois & à des Charges, dont la Justice de nos Roys a crû devoir honorer leurs grands services. Tous ces avantages leur ont donné dans tous les temps une suite de nobles Alliances avec les principales Maisons du Royaume. Guillaume de Courcillon Chevalier, Seigneur de Montleans, épousa en 1390. Jeanne de Chartres sortie de la Maison des Vidames de cette Ville-là. Guillaume de Courcillon son Fils, Conseiller & Chambellan du Roy Charles VII. Bailly de Chartres & de Dauphiné, maria en 1466. Geoffroy de Courcillon son Fils aisné, avec Marie de Cugnac, Sœur d’Antoine de Cugnac Seigneur de Dampierre, premier Maistre-d’Hostel de Loüis XII. & Grand Maître des Eaux & Forests de France, Ayeul de François de Cugnac, Seigneur de Dampierre, fait Chevalier du S. Esprit par Henry IV. en 1595. Ce Geoffroy de Courcillon épousa en secondes Noces l’an 1472. Marie Cholet, Dame de la Seigneurie de Dangeau, Fille & unique heritiere de Messire Jean Cholet, Chevalier Seigneur de la Choletieres & de Dangeau, Grand Maistre de l’Artillerie de France sous le Regne de Loüis XI. Je ne parle point de plusieurs autres Alliances avec les Maisons de Chabot-Jarnac, dont Mr le Duc de Rohan est le Chef ; de Salazar, renommée par plusieurs grands Capitaines ; de Chameroles dont est venu le Grand Amiral de Coligny, & du Plessis de Liancourt, honorée de la Dignité de Duc & Pair de France. J’ajoûteray seulement que Mr le Marquis de Dangeau est petit Fils d’Anne de Mornay, dont le nom est aussi noble qu’il est celebre dans l’Histoire du dernier Siecle. Elle estoit Fille de Philippes de Mornay Seigneur du Plessis Marly, & Gouverneur de Saumur ; grand’ Tante de René du Bec, Marquis de Vardes, Capitaine des Cent Suisses de la Garde, & Commandeur des Ordres de Sa Majesté, Beau-pere de Mr le Duc de Rohan, & petite Fille de Françoise du Bec, dont le Pere Charles du Bec Vice-Amiral de France, avoit épousé Magdelaine de Beauvilliers, grand’ Tante de Mr le Duc de S. Aignan. Elle avoit pour ses Oncles, Pierre de Mornay Baron de Buhi, Maréchal General des Camps & Armées du Roy, Chevalier de ses Ordres, & Lieutenant General au Gouvernement de l’Isle de France, & Philippe du Bec Archevesque & Duc de Rheims, premier Pair de France, & Commandeur des Ordres du Roy. Cette Dame épousa en secondes Noces Jacques Nompar de Caumont, Duc de la Force, Pair & Maréchal de France. L’attachement fidelle & zelé que Mr le Marquis de Dangeau a toûjours eu pour la Personne du Roy, luy a fait acquerir successivement pour recompense les Charges de Colonel du Regiment du Roy, de Gouverneur de la Province de Touraine, de l’un des Seigneurs choisis pour estre toûjours auprés de la Personne de Monseigneur le Dauphin, & l’agrément de Sa Majesté pour celle de Chevalier d’honneur de Madame la Dauphine.

[Reception faite par M. le Vicelegat d'Avignon à M. le Comte de Castelamene] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 204-205, 210

 

Je croy, Madame que vous avez seu il y a déjà quelque temps, que Mr le Comte de Castelmene a esté nommé pour aller à Rome en qualité d'Ambassadeur d'Obédience à sa Sainteté de la part du Roy d'Angleterre. C'est un homme d'un fort grand Genie, & qui entend & parle sept sortes de Langues. Mr Cency Vice-Légat d'Avignon, ayant seu qu'il estoit party de Paris, dépêcha son Secrétaire jusqu'à Pont-Saint-Esprit, pour luy faire compliment de sa part, & luy offrir tout ce qui pouvoit dépendre de luy dans son Gouvernement ; & sur l'avis qu'il receut que Mr l'Ambassadeur arriveroit à Avignon le soir du Dimanche 24 de Mars. [L'arrivée en ville de l'ambassadeur fut saluée, à la lueur de flambeaux par un long cortège constitué par tous les corps de la ville, ainsi que par des batteries d'infanterie. Il fut accueilli à la table du vice-légat d'Avignon qui] estoit de vingt quatre Couverts, & il y eut six services, chacun de neuf grands Bassins, de douze Plats moyens, & de douze autres hors d'oeuvre.

 

La magnificence, la propreté & la délicatesse Françoise aussi bien que l'Italienne, parurent à ce Repas & à ceux qui suivirent, par l'abondance des viandes les plus exquises, [&] par une excellente Symphonie [...]

[Relation generale de tout ce qui s’est passé touchant la Satuë que M. de la Feuillade a fait élever à la Gloire du Roy] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 215-309

 

Quelques Recits particuliers qui ayent paru, & quoy que les Nouvelles publiques ayent pû nous apprendre touchant la Statuë érigée à la gloire du Roy par Mr le Mareschal Duc de la Feüillade, il restera toûjours assez dequoy faire d’amples Relations pour ceux qui voudront mettre dans leur jour toutes les circonstances d’une si belle matiere. Il s’agit de plus que d’une Feste, ou si vous voulez, d’un jour entier d’allegresse publique. Il faut remonter plus haut, & vous parler presque de tous les Siecles, avant que de venir à cette grande journée, qui doit estre glorieuse à la France, sensible à tous ses Peuples, utile à tous les Monarques qu’une noble & loüable émulation excitera à marcher sur les traces du Roy, & qui immortalisera le nom de Mr de la Feüillade, & l’ardeur d’un zele aussi grand que nouveau pour la gloire de Sa Majesté. Les Statuës & les Arcs de Triomphe estoient autrefois dédiez aux Empereurs & aux grands Conquerans, par le Senat, par le Peuple Romain, & quelquefois mesme par un Particulier, lors qu’il avoit receu de grands bien faits de quelque Empereur, ou lors qu’il en avoit esté honoré d’une bienveillance singuliere. Ce furent les motifs qui engagerent Mr le Cardinal de Richelieu à faire élever la Statuë Equestre de Louis XIII. que l’on voit à la Place-Royale. Je ne parle point de celle de Henry le Grand, élevée sur le Pontneuf, parce que c’estoit un Present du Duc de Florence à la Reyne Marie de Medicis. Quelques beautez qu’ayent ces Monumens, ils n’approchent ny de la grandeur, ny de la magnificence du superbe Ouvrage qui vient de faire l’étonnement de tout Paris, & l’on peut dire que Mr le Duc de la Feüillade, en le faisant élever, a donné à tout l’Univers un pompeux Spectacle des Vertus qui ont rendu nostre Auguste Prince non seulement le plus grand des Rois, mais encore le plus grand de tous les hommes. Ce Monarque estoit dans tous les cœurs ; mais il n’estoit point encore dans les Places publiques avec un éclat qui approchast de sa grandeur ; & si les Statuës des Princes, dont les vertus sont à imiter, doivent estre élevées pour servir d’exemple à la posterité, quel Monarque, quel Heros, & quel Sage sur la Terre a plus merité cet honneur, que celuy à qui mille vertus Morales & Politiques ont fait donner le surnom de Grand. Aristote met les Eloges qu’on prononce en public à la gloire des grands Hommes, & les Statuës qu’on leur dresse, au rang des choses qui exhortent, & qui honorent ensemble. C’estoit le dessein des Atheniens lors qu’ils firent mettre en public des Inscriptions à l’honneur des Guerriers qui avoient battu leurs Ennemis, & que l’Orateur Eschines rapporte toutes entieres. Elles marquent qu’on leur rendoit cet honneur, afin d’exciter la posterité à imiter leur vertu. De pareils Monumens d’honneur engagent les Peuples à un amour plus tendre, & à une obeïssance plus prompte, en leur proposant continuellement l’image des vertus du Prince. Comme ces Statuës ont encore pour motif d’honorer la Vertu, de si pompeuses & de si éclatantes marques du plus haut merite font esperer à ceux qui cherchent les mêmes voyes pour les obtenir, qu’ils pourront s’en rendre dignes. Le but des Heros en faisant de grandes Actions, doit toûjours estre de meriter de semblables Monumens, afin qu’aprés leur mort ils ne perissent point dans la memoire des hommes, & que durant leur vie le bruit de leur vertu les rendant presens en tous lieux, ils soient par là en état d’égaler la durée de tous les Siecles par la perpetuité de leurs loüanges. Ces magnifiques Representations du Prince sont des motifs continuels à ses Sujets de l’aimer & de luy obeïr avec une ardeur inviolable. On les éleve, afin que les Peuples touchez de ses vertus, augmentent, s’il se peut, leur amour & leur obeïssance envers luy, & que le Prince touché de leur zele, consacre encore plus volontiers ses soins & les precieux momens de sa vie au bonheur de ceux qui luy sont soûmis, & que dans la mutuelle correspondance de la veneration du Peuple envers le Prince, & de la tendresse du Prince envers le Peuple, l’Etat soit heureux & florissant. Seneque dit que rien ne releve tant le cœur, que les Portraits des grands Hommes, & que ce sont autant d’aiguillons pressans qui nous piquent, & qui nous portent à les imiter. En voyant ces Statuës, on se represente aussi-tost que ceux qu’elles nous font voir, n’ont pû les meriter que par de grandes Actions. Cesar soupiroit à la veuë de la Statuë d’Alexandre, & se sentoit excité à marcher sur ses traces. Scipion disoit que la veuë des Images de ses Ancestres ne luy avoit laissé prendre aucun repos, jusqu’à ce qu’il eust fait des Actions dignes de leur nom. Ces Statuës nous montrent tout ensemble & les traits du visage des Heros qui en ont esté dignes, & l’estime generale qu’on a euë pour leur merite. C’est en quoy consiste la plus glorieuse recompense de la Vertu, de pouvoir servir d’exemple & de guide à la posterité, & d’aiguillon aux grands Hommes. Quand l’absence nous les ravit, nous sentons du soulagement à contempler leurs Portraits, & à les avoir sans cesse devant les yeux. Chacun y aura celuy du Roy, comme on y avoit autrefois celuy d’Alexandre, pour se rendre la fortune favorable. On ne peut trop élever de Statuës en France à la gloire d’un si grand Prince, puis que chaque Particulier devroit, s’il luy estoit possible, en avoir une chez soy. Si ce Monarque a tant fait pour la gloire de l’Etat, M. de la Feüillade à fait au delà de tout ce qu’un Sujet peut faire pour la rendre immortelle, & il n’appartient qu’à un Prince comme le Roy de faire d’aussi puissans, & d’aussi zelez Sujets. Le grand avantage qu’il y a à esperer pour les Peuples du respect que leur imprime la majesté de ces Statuës & de ces Eloges legitimes, est cause que la Religion chrestienne qui condamne severement toutes les actions d’orgueil, ne s’oppose point à ces hommages publics que l’on rend à la vertu des Souverains, parce que Dieu veut que les Roys soient honorez. Les Statuës mesme parmy les Princes Chrestiens servoient d’azile aux coupables qui les embrassoient, & ceux qui abatirent celles de l’Empereur Theodose, furent punis tres-severement. Il n’y a rien de plus glorieux dans ces Monumens publics que les Inscriptions qui font connoître le sujet que l’on a eu de les élever, & qui conservent le nom de celuy à qui on les a élevez. C’est ce qui a fait dire à Pline, qu’aussi-tost qu’on a commencé à dresser des Statuës, on a commencé aussi à y mettre des Inscriptions qui contiennent les Eloges de ceux qu’elles representent. On peut conclure de là que ces Statuës immortalisent celuy pour qui elles sont dressées ; qu’elles nous apprennent ses actions en peu de paroles ; qu’elles les laissent à la posterité ; qu’elles excitent à les imiter dans tous les Siecles ; & qu’elles sont utiles non seulement à l’Etat, mais à l’Univers par le rapport des Etrangers, des Livres, des Métaux, & du Burin qui les font passer, pour ainsi dire, jusque chez les Nations les plus reculées. Il ne faut pas s’estonner aprés celà si Ciceron a dit qu’un semblable Monument est pour l’éternité, & que c’est un Autel dedié à la Vertu. Sans ces beaux Ouvrages de Sculpture, la Grece n’auroit pas esté si renommée, & la magnificence de Rome seroit presque ensevelie. Il y en avoit à Rome dans le Champ de Mars, & je ne sçaurois mieux vous marquer l’estime qu’on en faisoit, qu’en vous disant qu’Auguste ordonna des Soldats pour les garder. Ainsi l’on peut dire que Mr de la Feüillade a fait un beau Present à la France, en donnant un si pompeux ornement à la Ville de Paris, & que par dessus tous les effets avantageux que produisent les Statuës des grands Hommes, il a fait connoistre par là l’état florissant où le Roy a mis les beaux Arts dans le Royaume. Si la Sculpture n’estoit pas au nombre des Arts liberaux, plus capable d’ennoblir que d’abaisser ceux qui y travaillent, puisque chacun sçait qu’on ne degenere point en y travaillant, un aussi bel Ouvrage que celuy que Mr des Jardins vient d’achever, devroit ennoblir tout l’Art de la Sculpture, non seulement à cause de sa beauté, mais à cause du Prince qu’il represente. Que la posterité l’admire, & que nos Neveux s’entretiennent en le regardant, des exploits miraculeux du grand Monarque dont nous voyons la Statuë, que Mr le Duc de la Feüillade a fait élever avec des soins incroyables, & une dépense digne d’un zele aussi ardent que le sien. Cét ouvrage qui pour sa grandeur & pour sa magnificence surpasse tous ceux de cette nature dont l’antiquité se vante, surprend d’abord les yeux par une Statuë de Bronze de treize pieds de hauteur, où le Roy est representé de bout avec ses habits Royaux. Un Cerbere paroist sous ses pieds. Il marque la triple Alliance, & fait voir en mesme temps que Sa Majesté en a glorieusement triomphé. La Victoire a un pied sur un Globe, d’où elle s’éleve, l’autre pied en l’air. Elle a les aisles ouvertes pour prendre son essor, & en passant elle couronne le Roy. Tout ce Groupe qui est composé du Roy revestu de ses habits Royaux, de ce Cerbere, de la Victoire avec l’attitude que je viens de vous marquer, du Globe, d’une Massue d’Hercule, d’une peau de Lyon, & d’un Casque, le tout dans leurs proportions, & pesant plus de trente milliers, est fait d’un seul jet, ce qui contribuë beaucoup davantage à sa beauté, que cette grande quantité de matiere de trente milliers. Comme les restes de l’Antiquité, & les Histoires ne nous marquent point qu’il se soit jamais fait aucun Ouvrage de fonte aussi grand que ce Groupe, la France sera eternellement redevable à Mr de la Feüillade de luy en avoir fait produire un dont l’Antiquité, toute superbe qu’elle est, ne se peut vanter, & il a le glorieux avantage d’avoir fait faire une chose sans égale pour un Monarque qui n’a point, & qui n’a jamais eu de pareil. Le Piedestal sur lequel le Roy est elevé, est de Marbre blanc veiné. Sa hauteur est de vingt deux pieds. Il est orné d’Architecture avec des Corps avancez en bas, aux quatre coins desquels sont quatre Captifs ou Esclaves de Bronze. Ces Esclaves ont onze pieds de proportion chacun, & sont accompagnez de grand nombre de Trophées aussi de Bronze. Je ne vous décris point leurs differentes attitudes, non plus que ce que contiennent les bas reliefs qui remplissent les faces & les costez du Corps du piedestal, & qui sont de Bronze, & ont six pieds de long sur quatre de haut. Je ne vous parle point non plus de plusieurs ronds de bronze ornez de Festons qui contiennent divers sujets, ny des ornemens de tout l’Ouvrage. Mr l’Abbé Regnier Desmarais, Secretaire de l’Academie Françoise, qui en a fait un Livre, est descendu dans le détail le plus exact de toutes ces choses, & il écrit d’une maniere si juste, & qui represente si bien ce qu’il cherche à faire entendre, qu’on n’y peut rien ajoûter. Ainsi je me contenteray de vous dire que la Place où l’on voit cét Ouvrage, aujourd’huy le plus merveilleux de l’Univers, est de quarante toises ; que Mr le Duc de la Feüillade en a donné plus de la moitié, ayant fait abattre pour l’agrandir la plus grande partie de son Hostel, & que la Ville de Paris a fourny plus de quatre cens mille francs pour le reste, sous les ordres de Mr le President de Fourcy, Prevost des Marchands.

Il faut vous parler des Inscriptions, qui ont esté faites par Mr l’Abbé Regnier Desmarais. Il y a quatre grands Ronds de Bronze entre les Corps avancez, & au dessous des Esclaves. Ceux des deux Faces contiennent la dedicace de l’Ouvrage en Latin & en François, & ceux des costez sont deux Bas reliefs, avec des Inscriptions qui expliquent ce que l’on y voit representé. Quatre autres Bas reliefs de Bronze remplissent les Faces & les costez du corps du Piedestal, & ont aussi des Inscriptions. Voicy celle qui est en François, & qui explique le sujet de tout l’Ouvrage.

A LOUIS LE GRAND,
LE PERE ET LE CONDUCTEUR
DES ARMÉES,
TOUJOURS HEUREUX,

Aprés avoir vaincu ses Ennemis, protegé ses Alliez, ajoûté de tres-puissans Peuples à son Empire, assuré les Frontieres par des Places imprenables, joint l’Ocean à la Mediterranée, chassé les Pirates de toutes les Mers, reformé les Loix, détruit l’Heresie, porté par le bruit de son nom les Nations les plus barbares à le venir reverer des extremitez de la Terre, & reglé parfaitement toutes choses au dedans & au dehors par la grandeur de son Courage & de son Genie,

François, Vicomte d’Aubusson, Duc de la Feüillade, Pair & Mareschal de France, Gouverneur du Dauphiné, & Colonel des Gardes Françoises.

Pour perpetuelle memoire à la Posterité.

Au pied de la Statuë du Roy sont ces mots.

VIRO IMMORTALI.

Ces deux Vers serviront d’Inscription pour cette Statuë.

Tali se ore ferens, Orbi & sibi, jura modumque
Dat Ludoix, famamque affectat vincere factis.

Ils font voir que cette Statuë a l’air & les traits du Roy, & que ce Monarque y paroist avec cette mesme Majesté qu’il a, lors que dans le plus haut éclat de sa gloire il triomphe de luy mesme en imposant des Loix à la Terre, & qu’il surpasse par la grandeur de ses Actions tout ce que la Renommée en publie.

Je vous ay marqué que ces deux Vers serviront d’Inscription, parce que n’ayant pû estre mis au corps du Piedestal, on les doit mettre sur le devant de la Grille qui enferme l’espace où la Statuë est placée, ce qui n’est point encore fait.

Voicy les Inscriptions des six Bas-reliefs du Piedestal, sur les sujets que chaque Bas-relief contient.

La Préseance de la France reconnuë par l’Espagne 1662.

Iudocilis quondam potiori cedere Gallo,
Ponit Iber tumidos fastus, & cedere discit.

Ce qui marque que l’Espagne a voulu en vain s’égaler à la France, & que le Roy l’a forcée à reconnoistre qu’elle luy devoit ceder.

Le Passage du Rhin 1672.

Granicum Macedo, Rhenum secat agmine Gallus :
Quisquis facta voles conferre, & flumina confer.

On connoist par ces deux Vers que les Grecs ont passé le Granique, & que les François ont passé le Rhin ; mais que l’on sçaura combien l’entreprise des derniers est plus glorieuse que celle des autres, lors qu’on examinera la rapidité du Rhin, & la largeur de ses eaux en les comparant aux eaux du Granique.

La derniere Conqueste de la Franche-Comté 1674.

Sequanlcam Cæsar gemino vix vincere Gentem
Mense valet, Lodoix ter quintâ luce subegit.

Ces autres Vers font voir que Cesar & le Roy ont fait de grandes Conquestes, mais qu’il a fallu deux mois à Cesar pour prendre ce que le Roy a conquis en quinze jours.

La Paix de Nimegue 1678.

Augustus, toto jam nullis hostibus Orbe,
Pacem agit ; armato Lodoix pacem imperat Orbi.

Cette Inscription nous fait entendre qu’Auguste donna la Paix quand il n’eut plus d’Ennemis, & que le Roy l’imposa à l’Univers quand toute l’Europe estoit en armes.

Les Duels abolis.

Impia, quæ licuit Regum componere nulli
Prælia, voce tuâ, Lodoix, composta quiescunt.

Rien ne marque mieux, que le Roy d’une seule parole a plus fait pour abolir les Duels, que tous les Rois ses Predecesseurs n’avoient fait avec la force.

L’Heresie détruite 1685.

Hic laudum cumulus ; Lodoico vindice victrix
Relligio, & pulsus male partis sedibus Error.

On peut dire avec raison comme l’expriment ces Vers, que la destruction de l’Heresie met le comble à la gloire de Sa Majesté.

Je ne mets point icy les Inscriptions des Bas-reliefs des Colomnes, parce que cet Ouvrage n’estant pas achevé, le grand nombre des Actions du Roy peut en faire changer quelques-uns. Je vous diray seulement qu’au dessus des quatre Groupes de Colomnes ausquels ils sont attachez, il y a quatre grands Fanaux de Bronze doré d’or moulu, qui doivent éclairer la Place toute la nuit, par le moyen des feux dont Mr le Duc de la Feüillade a fondé l’entretien pour toûjours. On voit par là que ce Duc n’a rien épargné de ce qu’il a crû capable de servir en quelque maniere à éterniser la gloire du Roy.

Aprés vous avoir parlé du sujet de la grande Feste dont tout Paris fut témoin le 28. de Mars dernier, il faut vous faire la description de cette memorable Journée, qui ne fera pas moins vivre dans l’Histoire Mr le Duc de la Feüillade, que les Actions de valeur & d’intrepidité qui luy ont fait meriter de remplir tant d’endroits de l’Histoire de Loüis le Grand. Il eut soin que les Ornemens de la Place fussent proportionnez à la grandeur & à l’éclat de la Feste. Le lieu destiné pour Monseigneur le Dauphin, Monsieur, Madame, & tous les Princes & Princesses qui le devoient accompagner, estoit d’une magnificence extraordinaire. C’estoit une espece de Galerie ouverte à hauteur d’appuy par le devant, & le long d’un des costez. Cette Galerie estoit toute entourée depuis l’appuy jusqu’au bas de plusieurs Pieces de Tapisseries brodées d’or, que l’on peut dire avoir été faites pour la Feste, puis qu’elles n’ont jamais paru que ce jour là. Cette Galerie estoit couverte & ornée en dedans d’un Plat-fonds d’une tres-riche étoffe. Sa situation estoit avantageuse, parce que d’un costé on découvroit toute la Place, & que de l’autre on voyoit & dedans & dehors tant que la veuë se pouvoit étendre. Vis à vis de cét endroit, au bas duquel les Troupes & Mrs de Ville devoient passer, il y avoit un échaffaut remply de Violons, de Timbales, de Trompettes, & de plusieurs autres Instrumens. Toute la Place estoit environnée d’Echaffauts & de Balcons, dont le devant estoit orné de Tapis si magnifiques, que les moindres qui s’y faisoient remarquer estoient de Velours plein. Il y en avoit d’une richesse surprenante, & tout remplis d’Ecussons de la Maison d’Aubusson, d’une broderie or & argent fort relevée. Tous ces Echaffauts furent occupez par le plus beau Monde de Paris. On y entroit par diverses portes, & sans peine, tant Mr le Duc de la Feüillade avoit donné de bons ordres pour empescher la confusion, presque inseparable des grandes Fêtes. L’Academie Françoise, & l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture y avoient été invitées. Ceux qui étoient sur les Echaffauts qui avoient des issuës dans l’Hôtel de la Feüillade, pouvoient aller prendre des rafraichissemens en plusieurs lieux où il y avoit des Collations preparées. Les Echaffauts étant remplis, la Place vuide, les entrées bien gardées, & les avenuës couvertes d’une foule incroyable de Peuple, Monseigneur le Dauphin arriva sur les trois heures aprés midy, & se plaça avec Monsieur & Madame dans le lieu que je vous ay dépeint, & qui luy estoit destiné. Jamais on n’a veu ensemble une plus nombreuse & plus auguste Compagnie, puisque l’on voyoit sur une ligne Monseigneur, Monsieur, Madame, Monsieur le Duc de Chartres, Mademoiselle, Mademoiselle d’Orleans, Madame la grand’ Duchesse, Madame de Guise, Monsieur le Duc, Madame la Duchesse, Monsieur le Duc de Bourbon, Madame la Duchesse de Bourbon, Mademoiselle de Bourbon, Mademoiselle d’Anguien, Monsieur le Duc de Vandosme, Monsieur le Grand Prieur, Monsieur le Comte de Soissons, & Madame la Comtesse de Soissons, avec un grand nombre de Princesses, de Duchesses, & de Personnes de la premiere qualité. Lors que Monseigneur entra, il receut de la part de Mr le Duc de la Feüillade une Bourse remplie de Medailles d’or. Il en prit une pour luy, & une pour Madame la Dauphine, & distribua les autres aux Princes & Princesses. Outre ces Medailles d’or, Mr de la Feüillade en porta encore le lendemain à Monseigneur le Duc de Bourgogne, & à Monseigneur le Duc d’Anjou, & en envoya à Monsieur le Prince à Chantilly, à Monsieur le Prince de Conty, & aux autres Princes & Princesses du Sang, qui ne purent se trouver à cette Feste. On a fait un Coin particulier pour Sa Majesté. Il est une fois plus grand, & l’on ne frappera qu’une Medaille pour le Roy, afin que ce Monarque en ait une qui soit unique dans le Monde. Mr de la Feüillade fait encore frapper une grande quantité de Medailles d’or pour les envoyer à tout ce qu’il y a de Potentats ou de Princes, non seulement en Europe, mais sur la Terre. Il en fait aussi fraper un fort grand nombre d’argent & de cuivre pour le peuple. J’en ay fait graver une que je vous envoye.

Pendant que Monseigneur distribuoit ces Medailles, les Violons & les autres Instrumens se faisoient entendre alternativement, & quelquefois tous ensemble. Mr l’Abbé Regnier presenta ensuite à Monseigneur le Dauphin, & aux Princes & Princesses qui l’accompagnoient, des Livres, où la description de la Figure du Roy, & de tout l’Ouvrage, estoit contenuë ; & dans le mesme temps, des Suisses de Mr de la Feüillade portoient de ces mesmes Livres aux Personnes distinguées, qui estoient placées en divers endroits. Il faut presentement vous parler de l’ordre qui fut gardé dans la Marche.

Dix-huit cens hommes du Regiment des Gardes, le Lieutenant Colonel, tous les Capitaines, Officiers, Sergens, Tambours, Hautsbois & Fifres, avec quarante Trompettes s’estant rendus à la Place Dauphine à dix heures du matin, on détacha cent hommes pour la Garde de Monseigneur le Dauphin à l’Hostel de la Feüillade, autant pour l’Opera, où devoit aller ce Prince, & l’on en dispersa trois cens à tous les bouts & Carrefours des Ruës qui aboutissoient dans celles par lesquelles on devoit passer pour aller à la Place des Victoires. C’est ainsi que s’appelle le lieu où l’on a élevé la Statuë du Roy. Ils alloient incessamment d’un Corps de garde à l’autre pour faire passer les Carosses & les Gens de pied, & les empescher de prendre des postes qui pûssent causer quelque embarras. Comme Monseigneur devoit arriver par le Quay du Louvre, & qu’il estoit facile de l’appercevoir de dessus le Pont-neuf, on avoit placé des Tambours de distance en distance depuis la Place Dauphine jusqu’à la Maison de Ville, qui devoient battre à son arrivée, ce qui estoit le signal pour faire tirer le Canon. Ce Prince ayant paru sur le Quay à deux heures & demie, les Tambours en avertirent la Ville, le Canon tira, & la Marche commença dans l’ordre qui suit. Le Major à cheval estoit à la teste, suivy des quatre Aydes, & des quatre sous-Aydes Major. Aprés luy marchoient cinquante Sergens. Ils formoient cinq rangs, dont chacun estoit de dix, & ils precedoient trente Trompettes, qui faisoient aussi trois rangs. Mr le Duc de la Feüillade, qui s’étoit rendu en Carosse à la Place Dauphine sur les deux heures aprés midy, paroissoit à cheval aprés les Trompettes, au milieu d’un grand espace que l’on avoit soin de laisser vuide. Vingt hommes de Livrées vestus de neuf, marchoient devant luy, & deux de ses Gentilshommes alloient de chaque costé, ayant à l’arçon de la selle de grandes Bourses de velours remplies d’argent, qu’ils jettoient au Peuple pendant toute cette Marche. Ce Duc estoit suivy du Lieutenant Colonel, aprés lequel quatorze Capitaines à pied avec la Pique à la main, marchoient en deux rangs. Ils precedoient six Sergens, qui estoient suivis de vingt-six Divisions de cinquante Soldats chacune, marchant dix de front. Il y en avoit dix de Mousquetaires, six de Piquiers, & ensuite dix autres de Mousquetaires. Trois Officiers estoient à la teste de chaque Division de Mousquets, & cinq Enseignes portoient leurs Drapeaux à la teste de chaque Division de Piques. Les Tambours & les Hautbois marchoient entre ces Divisions, sçavoir vingt Tambours entre la seconde & la troisiéme de Mousquets ; huit Hautbois entre la cinquiéme & la sixiéme ; vingt autres Tambours entre la septiéme & la huitiéme ; huit Hautboits à la teste des Piquiers ; vingt Tambours entre la troisiéme & quatriéme Division de Piques ; huit Hautbois à la teste de la seconde manche des Mousquets ; vingt Tambours entre la troisiéme & la quatriéme Division de cette seconde manche ; huit Hautbois entre la cinquiéme & la sixiéme ; vingt Tambours entre la septiéme & la huitiéme. Quatorze Capitaines en deux rangs marchoient à la queüe des Troupes, précedez par douze Trompettes, & suivis de cinquante Sergens, qui faisoient cinq rangs, comme les premiers. On alla par le Pont-neuf dans la rue de l’Arbre-sec ; on détourna à la Croix du Tiroir le long de la ruë Saint Honoré, & l’on entra par celle de Richelieu dans la ruë neuve des Petits champs. Toutes les fenestres estoient remplies de beau Monde, & ornées de magnifiques tapis. Rien ne troubla l’ordre de la Marche, par le soin qu’eurent trente Mousquetaires, qui alloient cinquante pas devant, de faire ranger tous ceux qui bordoient les ruës. Ils s’arresterent à l’entrée de la Place sans y entrer. Lors que l’on fut dans la ruë neuve des Petits-champs à la veuë de la Statuë de Sa Majesté, Mr le Duc de la Feüillade, qui avoit toûjours esté à cheval, fort superbement monté, mit pied à terre à trois cens pas de la Place, & marcha la Pique à la main. Il la mit sur l’épaule en y entrant, passa devant Monseigneur, & laissant la Statuë à gauche, il la salüa de la Pique en passant devant. Tous les Capitaines, Officiers, & Drapeaux la salüerent de mesme. Le Major avec les Aydes & sous-Aydes Major ayant passé à cheval devant la Statuë, tous chapeau bas, les Aydes & sous-Aydes allerent mettre pied à terre, & il n’y eut que le Major qui demeura à cheval. Un Ayde Major à la teste de cinquante Sergens qui avoient commencé la Marche, fit le demy tour de la Statuë, & lors qu’il fut prés des bornes qui separent la ruë, de la Place, il leur fit faire un quart de conversion à droit, marchant le long des maisons de la Ville. Ils allerent se poster en bordant la haye, & faisant un quart de conversion par rang le long du petit ruisseau que forme le Pavé, & qu’ils laisserent un pied derriere eux, en occupant à distance égale tout l’espace qui est depuis le Fanal du coin de la ruë d’Aubusson, jusqu’au Fanal qui est prés de la ruë des Fossez-Montmartre. Les trente Trompettes qui suivoient les Sergens, aprés avoir fait comme eux le demy tour de la Figure, firent une demie conversion, passerent entre le rang des Sergens & des Troupes, en sonnant toûjours, & allerent se poster en face de la Statuë, le dos tourné contre l’Hostel de Mr le Duc de la Feüillade. Ce Duc avec tous les Capitaines, fit le tour entier de la Statuë, auprés de laquelle il alla se poster à droit, tenant toûjours la Pique à la main, & faisant face comme la Statuë. Le Lieutenant Colonel se posta à trois pas derriere luy, le premier Capitaine à deux pas derriere le Lieutenant Colonel, & tous les Capitaines l’un derriere l’autre environnant la Statuë, & à un pas de la Balustrade de fer. Les six Sergens qui estoient à la teste des Troupes, menerent les Soldats hors de la Place, & leur firent occuper le Carrefour, la court, & la ruë des Petits Peres, où un Ayde Major les posta de sorte qu’ils ne pûssent blesser personne en tirant. Les Officiers qui étoient à la teste des Divisions, au lieu de sortir avec leurs Soldats, qu’ils menerent seulement prés des bornes qui font la separation de la ruë, firent un quart de conversion à droit, & se mettant à la file, ils allerent former un rang devant celuy des Sergens qui estoient déja postez, n’occupant que le mesme front que les Sergens, & faisant face à la Statuë. Les Hautbois accompagnerent les Troupes jusqu’à leur sortie de la Place, & faisant ensuite une demie conversion à gauche, ils allerent se poster derriere la Statuë, à laquelle ils firent face à trois pas de la balustrade de fer. A mesure que les Tambours arrivoient prés des bornes, ils se separoient des Troupes, & le Tambour Major les postoit dans la ruë le long des bornes. Ils firent aussi face à la Statuë, & occuperent l’espace qui est entre les deux Fanaux qui sont derriere. Les premiers Piquiers ayant passé devant la Statuë, le Drapeau blanc & quatre Sergens se détacherent, & allerent se poster devant & aux pieds de la Statuë, à trois pas devant la balustrade. Les autres Enseignes menerent leurs Divisions derriere la Statuë, jusques auprés des bornes, aprés quoy les quatorze premiers firent un quart de conversion à droit, & passant à la file entre les rangs des Sergens & celuy des Officiers avec le Drapeau haut, ils allerent se poster dans le rang des Officiers. Ils en laissoient deux entre chaque Drapeau, & prenoient garde que la droite & la gauche du rang fussent fermées par deux Officiers à Pique. Les quinze derniers Enseignes estant prés des bornes, firent un quart de conversion à gauche, & marchant à la file le long du ruisseau de la ruë, ils le laisserent deux pas derriere eux, & se posterent depuis le Fanal qui est au coin de la ruë de la Feüillade, jusqu’à celuy qui est prés du coin des Petits Peres. Un Ayde Major se mit à la teste des Piquiers, aprés que les premiers Enseignes les eurent quittez, & les mena au sortir de la place dans la ruë du Mail par le coin des Petits Peres. A mesure qu’il arrivoit des Tambours & des Hautbois auprés des bornes, ils se separoient des Troupes, & alloient joindre leurs Camarades, les Tambours hors de la Place le long des bornes, & les Hautbois derriere la Statuë prés de la balustrade de fer. Les Officiers qui étoient à la teste des Divisions de la seconde manche de Mousquets, salüerent la Statuë, & lors qu’ils en eurent fait le tour dans le mesme ordre, un Ayde Major se mit à la teste des Mousquetaires, & les mena par la Ruë d’Aubusson à l’entrée de la grande Ruë des Petits-Champs, où il les posta le long des murailles. Les Officiers des derniers de cette seconde manche passerent derriere les Enseignes derniers postez, & allerent se mettre dans le mesme rang des Drapeaux, sçavoir deux à la droite du premier Drapeau prés la ruë de la Feüillade, ces Officiers se plaçant de suite, & toûjours deux entre chaque Drapeau. Les quatorze Capitaines qui suivoient les Troupes ne firent que le demy tour de la Statuë, & allerent se placer aprés les premiers Capitaines postez tout autour de la Statuë. Les Trompettes de la queuë passerent aussi devant la Statuë, tournerent à droit, & se joignirent à leurs Camarades. Les cinquante Sergens qui fermoient la Marche allerent former un rang derriere les Officiers, entre les deux Fanaux qui sont du côté de Petits Peres. Voila dans que ordre le Regiment se posta. Ainsi il ne resta dans la Place que Mr le Colonel, le Lieutenant Colonel, les Capitaines & le Drapeau Colonel, qui entourant la balustrade, tandis que les autres Officiers étoient postez autour de la Place au pied des Balcons, faisoient un rond, & laissoient la plus grande partie de la Place libre pour la Ceremonie & la Marche de Mrs de Ville. Les Hautbois, Trompetes, Tambours & Fiffres, bordoient en dehors l’ouverture de la Place entre les deux Fanaux qui sont derriere la Statuë. Tout estant dans l’ordre que je viens de vous marquer, le Major fit un signal qui fit taire les Tambours & les Trompettes ; & à ce bruit tout guerrier succeda une Simphonie tres-agreable de Violons, Hautbois, Trompettes & Timbales de la Chambre, pour divertir Monseigneur le Dauphin, jusqu’à ce que la Ville fust arrivée.

Je vous ay marqué tous les mouvemens que le Regiment des Gardes fit dés dix heures du matin avant que de commencer sa Marche. Mr le Prevost des Marchands se rendit à la mesme heure à l’Hostel de Ville avec Mr les Echevins, Procureur du Roy, Greffier, Receveur, les Conseillers de Ville, les Quarteniers, & trente deux notables Bourgeois de Paris, Officiers & Marchands, mandez par les Quarteniers suivant l’ordre de Mr de Fourcy & des Echevins. Avant qu’on sortist de l’Hostel de Ville, Mr le Prevost des Marchands regla, que les Notables marcheroient sans s’arrester à leur qualité, chacun suivant l’ordre de la reception de leurs Quarteniers, mais aprés les Conseillers de Ville & les Quarteniers. On se rendit en suite chez Mr le Duc de Crequi, Gouverneur de Paris, qui receut la Ville à l’entrée de sa Salle, & fit entrer dans sa Galerie Mrs les Prevost des Marchands Echevins, Procureur du Roy &, & Greffier. Toute la Ville estoit en Habit de Ceremonie. Les Conseillers de Ville, les Quarteniers & les Notables se reposerent dans la Salle qui joint cette Galerie, jusqu’à ce que l’on vit paroistre dans le Cours le Carrosse de Monseigneur le Dauphin, dont on devoit estre averty par un Garde qui en avoit l’ordre. Si tost que ce Garde se fut acquité de sa Commission, Mr le Gouverneur monta à Cheval avec Mr le Prevost des Marchands, & l’on se mit en marche, Mr le Gouverneur estant à la droite precedé de ses Gardes à pied, & de ses Gentilshommes à Cheval, & de trois cens Archers de Ville, leur Colonel, & leurs Officiers en teste. On trouva le Pont-neuf garny de deux hayes de Soldats des Gardes, à qui Mr le Duc de la Feüillade avoit donné ordre de demeurer jusqu’à la fin de la Ceremonie, & qui ne souffroient personne que sur les Parapets. Toutes les ruës en estoient aussi bordées jusqu’à la Place des Victoires, & cet-Garde estoit redoublée aux avenuës des ruës pour empescher la confusion.

Les Gardes de la Ville étant arrivez à la Place au nombre de trois cens tous à Cheval, & marchant quatre à quatre, allerent prendre leurs postes derriere les rangs que formoient les Officiers. Mr le Duc de Crequi ayant devant luy ses Gardes à pied, & Mrs de Ville deux à deux, bien montez, & dans l’ordre que je viens de vous marquer, firent le tour de la Statuë, passant entre les Capitaines qui environnoient la balustrade, & le rang des Officiers & Drapeaux. Ce premier tour fait, Mr le Gouverneur & Mr le Prevost des Marchands s’arresterent devant la Statuë, & aprés s’être découverts & avoir fait une profonde inclination, ils firent faire une Chamade par leurs Tambours & trompettes, & sur un signal que fit le Major du Regiment des Gardes, les autres Tambours, Trompettes, Fifres, Hautbois & Musettes répondirent aussi-tost. Les Mousquetaires postez tout au tour hors de la Place, firent une décharge qui fut suivie de quantité de cris de Vive le Roy Ensuite sur un second signal du Major, tout le bruit cessa à la reserve des Violons & Hautbois qui continuerent de joüer, tandis que la Ville fit encore le tour de la Statuë, devant laquelle Mr le Gouverneur & Mr le Prevost des Marchands s’arresterent de nouveau avec les mesmes inclinations. Ils firent faire une seconde Chamade, à laquelle on répondit comme la premiere fois, & elle fut reïterée une troisiéme. Cette derniere Chamade ayant été faite, les Gardes de la Ville qui estoient à Cheval derriere les rangs des Officiers & Sergens, marcherent en quatre files, & sortirent de la Place par où ils estoient entrez. La Ville les suivit dans l’ordre qu’elle avoit tenu pendant la Marche. Les trente Trompettes qui avoient paru d’abord sortirent en trois rangs trente pas aprés la Ville, ayant esté mis en marche par un Ayde-Major, tandis qu’un autre Ayde-Major formoit les cinquante premiers Sergens, postez dix de front. Il les mit devant les trente Trompettes, faisant le tour de la Place. Quand les Trompettes furent à costé de Mr le Colonel, il fit à droit, & alla prendre sa marche derriere eux, suivy du Lieutenant Colonel, & de tous les Capitaines, marchant six de front. Les Drapeaux suivirent les Capitaines, & aprés eux marcherent les Officiers dans ce mesme ordre de six de front ; ils furent suivis des douze Trompettes de la queue. Ensuite les cinquante derniers Sergens rangez dix de front ; le Major, les quatre Aydes, & les quatre sous-Aydes Major à Cheval, fermerent la Marche. Les Hautbois & les Musettes se partagerent en trois, dix aprés le second rang des Capitaines, dix à la teste des Drapeaux, & dix aprés le troisiéme rang d’Officiers. Mr le Colonel fit dans cét ordre le tour de la Statuë, qu’il salüa pour la seconde fois de la pique, & sortit de la Place par la ruë d’Aubusson comme il y estoit entré, en repassant devant Monseigneur.

Cette Ceremonie estant finie, Monseigneur le Dauphin qui avoit resolu de voir l’Illumination qui devoit être le soir autour de la Statuë du Roy, & d’aller à l’Hôtel de Ville, où Mr le Duc de la Feüillade avoit envoyé une Compagnie des Gardes, & au devant duquel la Ville avoit fait preparer un Feu d’Artifice, alla prendre le Divertissement de l’Opera, en attendant que la nuit fust venuë. Ce Prince fut à peine sorty, que malgré les efforts que l’on fit pour tenir la Place vuide jusqu’à son retour ; le Peuple que pressoit un violent desir de voir la Statuë qui avoit fait si long-temps le sujet de son entretien, s’avança de tous costez pour la considerer à loisir, & ce ne fut pas sans peine qu’il se retira de cette Place, lors qu’il fallut la laisser libre pour Monseigneur le Dauphin. Ce Prince s’y rendit sur les dix heures du soir, & traversa la ruë S. Honoré, celle de Richelieu, & tout le chemin qui conduit à l’Hostel de la Feüillade, au travers d’une double haye de Soldats des Gardes. Toutes ces ruës estoient non seulement brillantes par les lumieres qui les couvrant de toutes parts faisoient comme une voûte de feu, mais encore par celles dont toutes les fenestres estoient remplies. Monseigneur fut receu au bruit des Hautbois à la Place des Victoires, & il la trouva toute éclatante, & la Figure encore davantage, parce qu’elle estoit éclairée par plus de deux mille Lampes qui répandoient un grand jour sans qu’on les vist. Ces Lampes estoient attachées en dedans sur la grille de fer qui environne la Figure du Roy, & sur tous les ornemens qui l’embellissent ; les Fanaux faisoient aussi remarquer leurs lumieres. Le Carosse de Monseigneur le Dauphin suivy de plusieurs autres, fit deux fois le tour de cette grille, & aprés que ce Prince eut admiré de prés la Figure du Roy qu’il n’avoit veuë que de loin l’apresdinée, il sortit par la ruë des Petits-Champs que l’on voyoit toute illuminée, & sur tout la Maison de Mr Chuppin Notaire & Echevin en Charge, où toutes les fenestres se faisoient distinguer par un grand nombre de Flambeaux de Cire blanche qui estoient en saillie. Du bas de ces Fenestres s’éleverent quantité de Fusées volantes lors que Monseigneur passa. Toutes les ruës estoient remplies de Peuple, & les Maisons, de lumieres jusqu’à l’Hostel de Ville. Ainsi l’on ne voyoit que des Feux, & l’on n’entendoit par tout que des acclamations & des cris de joye. Monseigneur fut receu à la porte de l’Hostel de Ville à la descente de son Carosse par Mr le Gouverneur de Paris, & par Mr le Prevost des Marchands. Ils monterent à ses costez, Mr le Duc de Crequi à la droite, & Mr le President de Fourcy à la gauche, suivis de Mrs les Echevins, & des Officiers du Bureau de la Ville. L’Escalier estoit éclairé des deux costez depuis le bas jusqu’en haut, par un grand nombre de Flambeaux de Cire blanche, & la Salle estoit remplie de Lustres. Il y avoit aussi quantité de Trompettes & de Hautbois, & divers autres Instrumens. On avoit servy une magnifique Collation dans la Salle qui joignoit celle où Monseigneur le Dauphin entra pour voir le Feu. L’ordre fut donné pour le tirer par Mr le Gouverneur, & par Mr le Prevost des Marchands, aussi-tost que Monseigneur fut arrivé. Il representoit la Victoire posée sur des Trophées, & tenant des Palmes & des Lauriers. Il y avoit pour Inscription aux quatre faces.

LUDOVICO MAGNO
Victori perpetuo.

 

Ces quatre faces estoient ornées de Devises. Celles de la premiere regardoient la Paix ; celles de la seconde l’Heresie ; celles de la troisiéme les Victoires du Roy sur les Corsaires d’Afrique ; & celles de la quatriéme, les Soûmissions rendües à Sa Majesté par des Peuples qui l’avoient offencé. Comme il estoit plus de onze heures lors qu’on eut achevé de tirer le Feu, Monseigneur sortit aussi-tost aprés pour s’en retourner à Versailles, & fut reconduit de la maniere qu’il avoit esté receu. Il estoit accompagné de presque tous les Princes & Princesses qui avoient veu avec luy la Ceremonie de la Place des Victoires. Dés qu’il fut party on se mit à table dans la grand’Salle, & l’on but plusieurs fois la Santé du Roy. Il y avoit à cette Table Mr le Gouverneur, Mr le Prevost des Marchands, Mrs les Echevins, Procureur du Roy, Greffiers, Receveurs, les Conseillers de Ville, les Quarteniers, & les trente-deux Notables mandez. La joye continuoit dans tous les Quartiers de Paris, & les Fontaines de la Ville qui sont au nombre de vingt, avoient jetté du vin toute la journée, aussi bien que deux Fontaines artificielles qui étoient au milieu du Pont-neuf, & la Samaritaine, dont le carillon sembloit s’accorder pendant la Marche avec le son des Instrumens.

Monseigneur le Dauphin trouva encore en s’en retournant tous les lieux où il passa, remplis de Peuple & de joye, & il fut conduit avec des cris d’allegresse jusques auprés du Palais des Thuilleries. Comme le calme se fait mieux connoistre aprés un grand bruit, il commençoit à le remarquer, lors qu’en approchant de la Porte de la Conference, il vit en l’air un grand nombre de Fusées volantes, sans sçavoir d’où elles estoient parties. Il crut que c’estoit un reste des réjoüissances de la Ville, mais l’air en ayant encore paru chargé un moment aprés, on commença à s’appercevoir qu’elles venoient d’une autre cause. Dans le temps que l’on s’attachoit à la rechercher, celles qui parurent pour la troisiéme fois, semblerent sortir de l’eau. On pouvoit le croire, puisqu’à l’autre bord de la Riviere il y en avoit des partemens de cinquante, de trois toises en trois toises, ce qui formoit comme une ligne de feu, qui en fournissoit sans cesse à l’air & à la Riviere, en sorte que lors que les feux d’un partement estoient tombez dans l’eau, & paroissoient y brûler, ceux du partement qui le suivoit paroissoient dans l’Air, ce qui continua jusqu’au Pont de Seve, tant que Monseigneur pût voir la Riviere. On devina aisément par la maniere dont ce Spectacle estoit ordonné, & par la profusion d’Artifice, que Mr le Duc de la Feüillade donnoit encore ce Divertissement, & vouloit couronner par là une journée qui luy estoit si glorieuse, & dans laquelle il avoit fait voir jusqu’où peut aller le zele d’un Sujet pour son Prince.

Les Augustins Deschaussez se crurent obligez le même jour de prendre part à la joye publique, & ils y furent portez avec d’autant plus d’ardeur, que cette Statuë devant immortaliser les Victoires de Sa Majesté, elle se trouvoit heureusement élevée devant leur Eglise, dont Loüis XIII. mit la premiere pierre en personne, sous le titre de Nostre-Dame des Victoires, pour d’éternelles Actions de graces de la Prise de la Rochelle ; ce qui peut donner sujet de dire que les Victoires du Fils sont réünies avec celles du Pere. Dans cette veuë, aprés s’estre aquittez de leur devoir par des Prieres solemnelles pour nostre Auguste Monarque, ils travaillerent à faire éclater leur joye par trois décharges de cinquante Boëtes chacune ; la premiere à l’arrivée de Monseigneur dans la Place, la seconde aprés les trois Décharges du Regiment des Gardes, & la troisiéme à dix heures du soir, lors que Monseigneur vint faire le tour de la Figure. Il semble que ces Religieux soient destinez pour conserver les Monumens de la Pieté Royale, aussi-bien que de la Reconnoissance de nos derniers Rois pour les heureux succés de leurs Armes, puis qu’ils ont encore à Roüen une Eglise dédiée à Nostre-Dame des Victoires, dont la feuë Reyne se declara Fondatrice en 1672. lors qu’elle se trouva Regente ; cette pieuse Princesse ayant ordonné par une Lettre de Cachet au Maire & aux Echevins de la Ville, d’y mettre en son nom la premiere pierre, en reconnoissance des Conquestes du Roy dans sa premiere Campagne de Hollande.

La Dame inconnue, aux Illustres Dames du Carousel. Madrigal §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 328-333

 

Je ne puis vous dire en quel jour du mois prochain se fera la magnifique & galante Feste, où les trente Dames, dont je vous envoyay les noms la derniere fois, doivent paroistre à cheval. On prépare toutes choses pour cela. Comme il n’y a rien de plus agreable, ny qui fournisse plus de galanteries, que les divertissemens où les Dames sont mêlées, vous ne devez point douter que celuy-cy ne donne lieu à beaucoup de Gens d’écrire de jolies choses. Les deux Madrigaux que vous allez lire en sont déja un commencement. Ils ont esté envoyez à Mr le Duc de S. Aignan, Mareschal de Camp General dans ce nouveau Carrousel, & donnez au Concierge de son Hostel par deux inconnus, qui n’ont point voulu dire de quelle part ils les apportoient. Ils avoient pour Titre.

LA DAME INCONNUE,
Aux Illustres Dames
du Carrousel.
MADRIGAL.

 Beautez qu’on ne peut trop aimer,
 Pour vos vertus, vostre adresse & vos charmes,
 Et qui pouvez tout enflâmer,
Sans avoir nul besoin du secours de vos armes.
Je vous fais un souhait d’un zele sans égal,
Ayant pour vostre gloire une ardeur assez forte,
Que chaque Epoux un jour, si la chaleur l’emporte,
 Vous mene aux coups de mesme sorte
 Que feroit vostre General.

AUTRE.

Le Duc qui vous conduit est tout fait pour les Dames,
Il est discret, civil, adroit & vigoureux,
Mais comme nostre Sexe est toûjours dangereux,
Il doit craindre vos yeux plus qu’il ne craint les lames.
S’il peut les éviter, que je le tiens heureux !

RÉPONSE
DU MARESCHAL DE CAMP GENERAL,
A la Dame inconnuë.

 Me connoissez-vous bien, Madame,
 Lors que vous raisonnez ainsi ?
 Vous voulez donc sçavoir icy
 Si je peux craindre ou mépriser la lame ?
Peut-estre à mon honneur ce point est éclaircy.
 A cela prés je n’ay rien qui m’enflâme ;
Pour les plus beaux objets mon cœur est endurcy,
Et de peur de me voir réduit à sa mercy,
Je me sers contre luy du secours de mon Ame,
Je voy donc cent Beautez briller de toutes parts
Sans vouloir sur aucune arrester mes regards,
Puis qu’avec la raison, qui veut qu’on les évite,
Je dois cette justice à mon peu de merite.

ARTABAN.

Je vous envoyeray la Relation de cette Feste, à laquelle je travaille, ainsi que j’ay fait aux deux que vous avez veuës du dernier Carrousel. J’espere en parler d’une maniere qui divertira ceux qui la liront.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 349.

Je vous envoye un second Printemps, qui a plû icy aux delicats en Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le Printemps se passe, doit regarder la page 349.
Le Printemps se passe, Silvie,
Et nous ne parlons point d'amour.
Goûtons dans ce charmant sejour,
Les plus doux plaisirs de la vie.
Un jour, dans l'hyver de nos ans,
Nous regreterons le Printemps.
images/1686-04_349a.JPG

[Tomes nouveaux de l’Aristote moderne, par M. Gilot] §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 349-351

 

Il y a quelque temps que je vous parlay d’une nouvelle traduction de l’Arioste. Les deux premiers Tomes qu’on en donna au Public eurent l’approbation de toutes les personnes de bon goust, & ce fut avec justice, puis qu’il seroit malaisé d’écrire d’une maniere plus naturelle ny d’un style plus coulant. Aussi la Dame qui a travaillé à cette Traduction, est elle d’un merite distingué. Ses expressions sont nobles, & l’on peut dire qu’elles rendent témoignage de sa Naissance. Son Pere estoit Portugais, & de l’Illustre Maison des Gomes de Vasconcelles. Ces noms ne sont pas inconnus ceux qui sçavent l’Histoire ; mais comme c’est le sort des Filles de changer de nom en se mariant, on la connoist davantage par celuy de Gillot. Je fais ce petit détail afin que l’on ait plus de plaisir à lire la suite de son Arioste, dont les deux dernieres Parties se débitent depuis peu de jours, chez la Veuve Blageart.

[Sur le livre L’Histoire des Troubles de Hongrie]* §

Mercure galant, avril 1686 [tome 5], p. 351-352

 

Vous estiez fachée que l’Histoire des Troubles de Hongrie finist en l’année 1683. Vous allez estre contente, puisque je vous apprens que l’Autheur en a fait une quatriéme Partie, qui contient le Siege de Bude, la Prise de Neuhausel, & tout ce qui s’est passé entre l’Armée des Imperiaux, & les Troupes Ottomanes jusqu’à la fin de l’année 1685. Cette quatriéme Partie se débitera au commencement du mois prochain chez le Sr de Luynes au Palais à la Justice, & chez la Veuve Blageart Court-Neuve du Palais, au Dauphin. Je suis, Madame, vôtre, &c.