1686

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13]. §

Epistre au Roy §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 1-11

Ce ne sera point, Madame, par une Action particuliere du Roy que je commenceray cette Lettre. Tout ce qu’il a fait de grand se trouve si heureusement ramassé dans une Epistre en Vers, faite par Mr de Senlecque, Prieur de Garnay, qu’il seroit bien difficile de pouvoir fournir d’ailleurs un Eloge de ce grand Monarque, qui eust les beautez qu’elle contient. Comme il ne faut que la lire pour les connoistre, je me contente de vous l’envoyer, & croirois vous faire tort, si je cherchois à vous prévenir sur le plaisir que vous donnera cette lecture.

EPISTRE
AU ROY.

Roy, digne d’estre éleu le seul Roy des Mortels,
Que du temps des Cesars on l’eust dresse d’Autels !
Qu’on eust mesme en toy seul trouvé de Dieux ensemble !
Tu deviens Iupiter quand tu veux que tout tremble,
On voit revivre en toy la vaillance de Mars ;
Tu sçais comme Apollon proteger les beaux Arts ;
Tu peux sur l’Ocean commander en Neptune ;
Tu n’es pas moins puissant que l’estoit la Fortune ;
Rome eust cru que Minerve eust parlé dans tes Loix,
Et qu’Hercule eust esté jaloux de tes Exploits.
Ton esprit fait revoir la Iustice d’Astrée,
Et ton coeur la bonté de Saturne & de Rhée ;
Et c’est cette Iustice, & c’est cette bonté,
Qui soûtiennent, grand Roy, ta rare probité.
Je dis rare. En effet, peu de Rois, comme Tite,
Font de la probité leur vertu favorite,
Et plus d’un Prince a crû qu’il ne luy manquoit rien,
Quand il ne luy manquoit que d’estre homme de bien.
Sur tout, ceux que Bellone aime à combler de gloire,
Accordent rarement Themis & la Victoire.
Achille n’eut pour droit que celuy de son bras,
Et la loy de Cesar fut de n’en avoir pas.
Mais toy dont l’Equité tempere La Vaillance,
Qui tiens en mesme temps le Foudre & la Balance,
Tu regles tes Exploits sur ce qui t’est permis ;
Tu deviens dans ton Camp Ministre de Themis ;
Tu veux qu’à ta raison ta valeur obeisse ;
Et ton Char de Triomphe est un Lis de Iustice
 Tu fais plus ; ta bonté t’empesche quelquefois
D’écouter ta Iustice, & d’user de tes droits.
Oüy, quelquefois, grand Roy, ta bonté t’a fait rendre
Des Villes que tes droits t’avoient forcé de prendre.
 Je sçay que devant Dole avec toy tes Guerriers
Ont parmy les glaçons moissonné des lauriers,
Et qu’aujourd’huy le Rhin écume encor de rage,
De n’avoir pû former d’obstacle à ton passage.
Je sçay que ta vaillance a bordé de tes Lis,
Et la Sambre, & la Meuse, & l’Escaut & la Lis ;
Que ton foudre est tombé sur des Villes ingrates,
Et qu’il a fait d’Alger un bucher de Pirates.
Mais sans cette bonté qui regnoit dans ton cœur,
Et qui vainquoit LOUIS dés qu’il estoit vainqueur,
La fierté du Lion aussi vaine que grande,
Eust bientost expiré sur les ramparts d’Ostende.
L’orgueilleux Amsterdam, qu’eust foudroyé ton bras,
Fust bientost devenu le tombeau des Estats.
Valencienne eust souffert tous les malheurs de Troye,
Elle estoit ta conqueste, elle eust esté ta proye.
Un Doge auroit en vain, aux yeux de tes Sujets,
Desavoüé son peuple, & mandié la Paix :
Ta Iustice à son crime eust égalé sa peine,
Et ta toute-puissance eust aneanty Genne.
Oüy, si tu n’estois bon, l’on eust vû ta valeur,
Voler jusqu’au Danube, & le glacer de peur,
Ebranler plus d’un Trosne au seul bruit de tes armes,
Et faire un nouveau fleuve & de sang & de larmes.
Enfin sans ta bonté Tripoli maintenant
Ne seroit qu’une cendre abandonnée au vent,
Et Thunis n’eust osé concevoir l’esperance
D’éteindre avec ses pleurs le feu de ta vangeance.
 Vous donc, Heros cruels, qui mesme vous vantez
De verser tout le sang de ceux que vous domptez ;
Vainqueurs, dont la furie a fatigué les Parques,
Suivez dans sa bonté le plus grand des Monarques.
Vous ne pourrez l’atteindre, encor moins le passer ;
Mais le suivre de loin, c’est beaucoup s’avancer.
 Et vous, Rois bienfaisans, bons Princes, mais timides,
Vous qui dans vos conseils n’osez marcher sans guides,
Songez que mon Heros est luy seul son Conseil ;
Il brille par luy-mesme autant que le Soleil,
Il sçait mesme ébloüir quiconque le regarde.
L’Aigle ne peut souffrir les rayons qu’il luy darde ;
Luy seul, quand il luy plaist, éleve dans les airs
Dequey former le foudre, & punir l’Univers.
Luy seul peut dissiper le plus épais nuage ;
Il est le Maistre enfin du calme & de l’orage.
 Mais je m’égare icy, moy qui n’ay medité,
Grand Roy, que quelques Vers sur ta seule bonté.
 C’est d’elle que tu sçais ce que sçavoit Auguste,
Que souvent la vangeance est basse, & mesme injuste ;
Qu’un Roy n’est plus un Roy dés qu’il est en couroux,
Et que le plus beau regne est toûjours le plus doux.
 Aussi le crime est-il l’objet seul de ta haine ;
Tu reprens sans aigreur, tu punis avec peine.
Nous ne te voyons point ferme avec dureté,
Prompt par impatience, & fier par vanité ;
Ton air est obligeant, mesme quand tu refuses,
Tu n’accuses jamais qu’aussitost tu n’excuses.
Quiconque enfin te voit, passe cent fois le jour
De l’amour au respect, du respect à l’amour,
Et quand on te verroit sans Sceptre & sans Couronne,
On trouveroit toûjours un Roy dans ta Personne.

[Réjoüissances faites à Bourges pour la Naissance du Duc de Berry] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 11-49

Il faut vous parler des Réjoüissances faites à Bourges pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Berry. Toute la Province, qui se souvenoit des avantages qu’elle avoit eus autrefois sous la protection de ses anciens Ducs, n’en eut pas plûtost reçeu la nouvelle, qu’elle en marqua une joye qui ne se peut exprimer. Les Berruyers ou Bituriges, anciens Peuples qui ont habité cette Province, ont long-temps tenu l’Empire des Gaules, & ce furent eux qui résisterent le plus à Cesar. Il ne laissa pas de prendre Bourges l’an 702. de Rome. Depuis ce temps-là le Berry demeura sujet aux Romains, & il le fut ensuite aux François. Il faisoit alors partie du Royaume d’Aquitaine. Sur la fin de la seconde Race de nos Rois cette Province eut des Seigneurs particuliers, qui prirent le titre de Comtes de Bourges. Le dernier, nommé Geoffroy, vivoit sous Hugues Capet. Il laissa un Fils appellé Herpin, qui voulant faire le Voyage d’Outre-Mer, vendit Bourges au Roy Philippe. Ainsi ce Comté fut uny à la Couronne jusqu’en 1360. que le Roy Jean l’érigea en Duché & Pairie pour Jean de France, son Fils, Frere de Charles V. à la charge qu’il retourneroit à la Couronne, s’il mouroit sans Enfans mâles. Ce fut le premier Duc de Berry, & il le fut pendant cinquante-six ans, n’estant mort qu’en 1416, aprés Charles & Jean de Berry, ses Fils, qui moururent sans Lignée. Un autre Jean de France, Fils du Roy Charles VI. porta le titre de Duc de Berry, & ce mesme Roy donna le Berry en Apanage à son cinquiéme Fils Charles, qui devint ensuite Roy de France, & fut le septiéme de ce nom. En 1464. Le Roy Loüis XI. Fils de Charles VII. donna ce Duché à Charles son Frere, qui mourut sans Enfans. En 1472. le Roy Loüis XII. laissa le Berry pour usufruit à la Bienheureuse Jeanne de France, sa Femme, aprés la dissolution de leur mariage. Elle prit le Titre de Duchesse de Berry, & fonda à Bourges le Monastere des Filles de l’Annonciade, où elle se fit Religieuse, & y mourut en 1504. François I. donna ce mesme Duché pour Apanage en 1517. à sa Sœur Marguerite d’Orleans ou de Valois, alors Duchesse d’Alençon, & puis Reine de Navarre ; & en 1575. le Roy Henry III. le laissa à son Frere François, Duc d’Alençon, qui mourut en 1584. sans avoir esté marié. Le Roy Henry IV. estant parvenu à la Couronne, donna ce Duché à la Reine Loüise, veuve du Roy Henry III. Elle mourut en 1601. & depuis ce temps il a toûjours esté uny au Domaine.

Messieurs de Bourges ayant esté avertis par une Lettre de Cachet, qu’il avoit plû au Roy de faire un Duc de Berry, Mr le Large, Maire, Mrs Delard, Ragueau, Cœurdoux & Dudanjon, Echevins, & Mr Sauger, Procureur des Affaires communes, se rendirent à l’Hostel de Ville, pour déliberer des marques publiques qu’ils donneroient de leur joye, & afin d’avoir le temps de rendre la chose plus éclatante, ils remirent au 17. du mois passé la Feste qu’ils resolurent de faire. Ainsi ils ordonnerent que ce jour-là il seroit dressé un Feu de joye & d’artifice au milieu de la Place du Marché & qu’à l’avenir cette Place seroit appellée la Place Ducale, jusqu’à ce que le Roy leur eust permis d’en faire construire une nouvelle en l’honneur de leur nouveau Duc ; que les Artisans fermeroient leurs Boutiques, & les orneroient de feüillages au dehors ; qu’à tous les Carfours & bouts des ruës, il y auroit des Arcs de Triomphe de Laurier, & d’autre verdure, où seroient les Armes du jeune Duc de Berry, avec des Fontaines de Vin qui couleroient tout le jour ; qu’à toutes les portes cocheres on dresseroit des tables garnies de pastez, jambons, & autres viandes, avec plusieurs bouteilles de Vin, pour y arrester tous les Passans ; qu’il y auroit des Illuminations à toutes les fenestres au dehors des Maisons, & un Concert de Musique & autres Instrumens en la grande Place publique de S. Pierre le Puellier à l’issuë du Feu de joye, avec des tables remplies de toutes sortes de rafraichissemens ; qu’en memoire des sept Ducs de Berry on deliureroit sept Prisonniers detenus pour dettes, & qu’on traiteroit tous les Pauvres de l’Hospital general. Cette Ordonnance ayant esté publiée, les Habitans se disposerent avec tout le zele imaginable à solemniser cette grande Feste. Il y eut par tout des Arcs de Triomphe, ornez de festons, d’Ecussons, & de Peintures, On apporta des Forests de bois dont on embellit les ruës. On coupa des Vergers entiers chargez de fruits d’Hyver, & Mr le Large, Maire de la Ville, n’épargnant rien pour se distinguer, fit abatre la muraille de sa court, afin de faire faire un Arc de Triomphe de verdure, chargé des Armes de toute la Maison Royale, avec quantité de Piramides illuminées de Globes & de Lampes, toutes ajustées aux Armes du Duc de Berry. Il n’y avoit rien de plus beau que les Boutiques. Elles estoient ornées de fleurs, de feüillages, & de cartouches, & aux fenestres estoient des Fleurs de Lys, des Lanternes historiées, des antiques, & enfin toutes les dépoüilles des Cabinets les plus curieux. On voyoit le Buste du Roy, avec ce Vers au dessous,

Vive diu, Biturix, sub tanto Principe felix.

Tout estoit remply d’Emblêmes, & de Devises. En voicy quelques-unes.

Un Lis dans un lieu où il y a des Moutons qui paissent, & ces mots pour ame, Nascitur unus ovili,

L’Etoile du jour, Lumen de lumine.

La Rosée qui tombe dans un Pacage où des Moutons paissent, In tenerâ pecori gratissimus herbâ.

Un Feu qui dans les commencemens n’est presque rien, mais qui s’allume ensuite avec violence, & embrase tout, Vivet, & ex minimo maximus erit.

Une Fusée volante qui creve en l’air, & se répand en Etoiles, Hinc lumen & ardor,

Un jeune Pin, Summa petet.

L’Hostel de Ville se trouva orné d’une infinité de Lampes illuminées. Il y avoit six Portiques de feüillages, où estoient des Hercules qui representoient les Ducs de Berry. On voyoit le jeune Duc dans un grand Tableau de quinze pieds de hauteur, & large de dix à douze. Les quatre Compagnies de la Ville, composées de gens fort lestes, ayant passé en reveuë avec leurs Officiers à leur teste, allerent se ranger en bataille, sçavoir les deux premieres, Bourbonnoux & Auron devant l’entrée principale de l’Eglise Patriarchale de Saint Estienne, & celles de S. Sulpice & de Saint Privé, dans la Place du Cloistre de la mesme Eglise devant le Palais Archiepiscopal. Les choses estant disposées de cette sorte, & les Magistrats en Robe Consulaire, les premiers Magistrats, & tout le Presidial en tres-bel ordre, s’estant rendus dans l’Eglise avec Mr l’Intendant à leur teste, on commença à chanter le Te Deum au bruit des Tambours, des Trompetes, & des Cloches. Il fut suivy d’un fort beau Motet, & la Simphonie & la Musique se firent également admirer dans l’un & dans l’autre. Lors qu’on eut finy le Te Deum, auquel Mr l’Archevesque de Bourges assista, la décharge du Canon & de toute la Mousqueterie se fit entendre. Sur les huit heures du soir, Mr l’Intendant, accompagné du Maire & des Echevins, alla allumer le Feu que l’on avoit préparé dans la Place Ducale, & alors tout retentit de cris de Vive le Roy, & Monseigneur le Duc de Berry, & d’une nouvelle décharge du Canon & de la Mousqueterie. Il y eut aprés cela un tres-beau Feu d’artifice, d’où il sortit un tres-grand nombre de Fusées volantes & de Serpenteaux, accompagnez de Petards. Mr l’Archevesque, qui fait tout avec grandeur, finit cette Feste par une Illumination surprenante. Son Bastiment neuf estoit éclairé d’un nombre infiny de Lampes qu’on avoit rangées sur les Balcons, & sur les Saillies, auprés de quelques Piramides qui paroissoient toutes enflâmées. Une Statuë qui representoit Madame la Dauphine tenant un Enfant entre ses bras, estoit élevée dans la Place de l’Archevesché, avec ces deux Vers de Virgile écrits sur le piedestal.

Et nova progenies cœlo demittitur alto,
Clara Deûm soboles, magnum Jovis incrementum.

Autour de cette Statuë regnoit une Balustrade toute remplie de Feux d’artifice, qui en formerent mille autres, dont on voyoit les uns s’élever en haut, & les autres faire seulement la roüe. Le bruit des Petards se mesla au bruit des Boëtes, & quantité de Fusées volantes donnerent long-temps un fort grand plaisir. Si tant de magnificence parut au dehors, ce Prelat n’en fit pas moins éclater au dedans de son Palais. Il y eut trois Tables servies avec autant de delicatesse & de propreté que d’abondance ; la premiere pour les Personnes d’Eglise ; la seconde pour les Dames, & la troisiéme pour les Gentilshommes. Il y joignit tous les agrémens que peut donner la Musique à une Feste, & ce qui se fit au dedans & au dehors de la Maison de Mr l’Intendant, ne fut pas moins remarquable. Les principaux Bourgeois se signalerent de leur costé à l’égard du Peuple qu’ils voulurent regaler, les uns par des Fontaines de Vin exposées au Public, & les autres dans leurs Maisons, par des Tables servies fort abondamment, & ouvertes à tout le monde. La nuit se passa dans la diversité des Spectacles, dont le principal estoit sur la plus haute Tour de la Cathedrale, en forme d’une Piramide ardente.

Le mesme jour 17. de Septembre, Mr l’Abbé de la Bourlidiere, Aumônier de la feuë Reyne, & Tresorier de la Sainte Chapelle de Bourges, fit chanter dans son Eglise un Te Deum en Musique, pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Berry. Il fut suivy d’Illuminations autour de l’Eglise, & dans la Place de la Sainte Chapelle, au milieu de laquelle on avoit disposé un tres-grand Feu, avec quatre Tables aux quatre coins, & deux Fontaines de Vin, outre d’autres Tables qui furent servies sous des Feüillées. De temps en temps on entendoit des Concerts de Violons & de plusieurs autres Instrumens, & l’on fit partir beaucoup de Fusées volantes, à la lueur desquelles on voyoit un Etendard, que l’on avoit attaché au haut du Clocher. Dans un des costez de cet Etendard estoient les Armes du Roy, & dans l’autre celles du Duc de Berry, avec cette Inscription, Regem Ducemque sequuntur. Pendant que le Peuple estoit reçeu à ces Tables, cet Abbé n’oublia rien pour regaler ses Chanoines. Il leur donna un magnifique Soupé, & fit voir avec grand zele la joye qu’il avoit de la Naissance d’un Prince qui va faire revivre le nom du glorieux Fondateur de son Eglise. Ce fut Jean de France, Duc de Berry, & Fils du Roy Jean qui la fonda. Il mourut âgé de quatre-vingts ans, & fut enterré au milieu du Chœur, où l’on voit son Tombeau. Cette Eglise, appellée la Sainte Chapelle, dépend immediatement du Saint Siege.

Les réjoüissances continuerent à Bourges les jours suivans, & il s’en fit encore de tres-remarquables le Dimanche vingt-deuxiéme de Septembre dans la Place du Poids du Roy. On y avoit élevé un grand Theatre, qui estoit soûtenu par quatre colomnes, chargées & embellies d’un agreable mélange de fleurs & de verdure. Quatre Bergeres paroissoient au haut de ces colomnes sur autant de piedestaux. Elles tenoient leur Houlete d’une main, & de l’autre cette Inscription.

Pasce greges, Biturix, inter Borbonia tutos
 Lilia ; Dux vigilans est tibi, pasce greges,

Le Theatre representoit le magnifique Palais de Versailles, lieu de la Naissance de Monseigneur le Duc de Berry. On y voyoit les Vertus & les Sciences venir à l’envy les unes aprés les autres luy presenter des Devises sur ce qu’il doit estre un jour. Au milieu de ce superbe Edifice estoit comme une Citadelle munie de forts Bastions, sur laquelle s’élevoit un Donjon environné d’un grand nombre de Balustrades. C’estoit la demeure de la Renommée & de la Victoire. La premiere, employée à publier la naissance de ce Prince, avoit cette Inscription, Considerate quomodo Lilia crescunt. A l’aisle droite estoit l’appartement de la Paix, qui venoit apprendre au nouveau Duc qu’il estoit né dans un temps où la France gouste un repos tranquille par les bontez de nostre Auguste Monarque. Elle portoit pour Devise, Pacis opus. L’appartement qui luy faisoit face, estoit celuy de Thémis. Cette Déesse faisoit voir au jeune Prince le Portrait de son Bisayeul Loüis XIII. & luy presentoit ces mots, Filius erit Proævo similis. Deux grands corps de Logis avec quatre Pavillons, faisoient l’ornement de l’aisle gauche. La Force qui habitoit le premier, venoit proposer au nouveau Duc les incomparables Actions de Loüis le Grand, & luy marquoit par ces mots l’attachement qu’elle auroit pour toute son auguste Posterité, Borbonios Duces sequor quocunque. La Religion qui occupoit l’autre, venoit rendre hommage au jeune Prince par reconnoissance des services que la Maison de Bourbon luy a rendus de tout temps contre l’Heresie. Elle faisoit voir ces mots gravez, Jam firma, per te intacta manebo. Les Muses, les beaux Arts, & les Sciences avoient leur sejour dans les Pavillons, & faisoient connoistre par ces mots les grandes choses qu’il devoit attendre de leurs soins pour son éducation. Ducem ad ardua fingimus. Au dessus de ce superbe Palais estoit un Soleil, qui illuminant tout ce Spectacle, enflâmoit des cœurs attachez à trois Portails par où l’on pouvoit y avoir entrée. Ces cœurs avoient cette Inscription, Luce tuâ vivimus. Au premier Portail, qui estoit chargé, comme les deux autres, de Festons ornez de Fleurs de Lys & d’Emblêmes, estoient representez d’un costé deux Signes, la Vierge & la Balance, qui sont les Astres sous lesquels est né le jeune Duc ; & de l’autre, le Chasteau de Versailles avec un Astre au dessus, & le Dieu Mars pour Planete. Au second, du costé de la Porte de Paris, on avoit peint quatre Siamois, que la Renommée appelloit pour estre témoins de cette naissance. On y avoit peint encore des Alcions sur une Mer calme, & la Déesse Astrée sur la Terre. On remarquoit le Dieu Mars dans le troisiéme Portail. Il y avoit aussi des Bergers, dont les uns tenoient des Chalumeaux ; les autres estoient prosternez devant le berceau du jeune Duc, au dessus duquel la Victoire tenoit une Couronne. Plusieurs Fontaines de Vin coulerent dans la Place où fut donné ce Spectacle, & il y avoit des Tables ouvertes devant les portes des Officiers, non seulement à toute la Milice, mais encore à tous ceux des Habitans qui voulurent prendre part à cette réjoüissance. Elle commença par un Te Deum, qui fut chanté dans l’Eglise de S. Pierre le Marché, & se termina par un grand Feu d’artifice.

Le Lundy 7. de ce mois, la Jeunesse de la mesme Ville, voulant marquer à son Prince combien elle s’interesse dans le bonheur du Berry, s’assembla sous un Drapeau blanc semé de Moutons meslez à des Fleurs de Lys, pour faire connoistre que cette Province joüit presentement d’un honneur dont elle s’estoit veuë privée pendant plus de deux Siecles. Au milieu estoient les Armes du jeune Duc avec ces mots au dessous.

Hoc Juvenes JUVENI signa dedêre DUCI.

Cette belle & jeune Troupe se rendit dans un équipage fort leste & fort propre dans la Place qui est devant l’Eglise Cathedrale, & où par ses soins on avoit préparé un Feu d’artifice. Le dessein en estoit tel. Sur un Theatre haut & large de douze pieds, s’élevoit une Tour qui en avoit treize de hauteur. Elle avoit quatre Portiques, soûtenus de leurs Pilastres, & ornez de Corniches, Frises & Architraves. L’ordre estoit Dorique, & les carneaux de la Tour, qui avoit quatre Fenestres, & autant de portes, donnant entrée chacune sur son Balcon bien ouvragé, estoient percez de Fleurs de Lys, & portez sur des Consoles de feüilles de refente, au lieu de Machicoli. Tout l’Ouvrage estoit défendu d’un Parapet, percé aussi de Fleurs de Lys, & accompagné de quatre Guerites. Outre ces ornemens d’Architecture, tout estoit embelly d’Ecussons de France & de Berry, ausquels on avoit attaché ces mots, Dedit hos Victoria Flores.

Il y avoit quatre Devises, dont la premiere estoit un Soleil, & avoit pour ame, Nascitur ut recreet.

La seconde representoit des Moutons paissans à l’abry de quelques Lys en fleur sous un Ciel qui paroissoit grondant de Tonnerre. Ces paroles en faisoient l’ame, Tuti hoc præsidio.

Dans la troisiéme estoit un Oyseau, qui a toûjours esté le simbole d’un bon Prince. C’est un Pelican ouvrant ses veines pour donner son sang à ses petits. Vt prolem foveat.

La derniere estoit un Aigle qui presentoit un de ses Aiglons au Soleil, avec ces paroles, Digna Jovis Soboles.

L’Artifice & les Illuminations répondirent à la beauté du dessein ; & afin que dans de si justes réjoüissances les oreilles eussent leur part du plaisir, la Musique d’accord avec plusieurs Instrumens, fit oüir les Vers qui suivent.

Pour nostre jeune Duc chantons nos plus beaux Airs,
 Poussons mille cris d’allegresse,
 Tout ce que nous faisons s’adresse
 Au plus grand Roy de l’Univers.
***
Ioignez-vous à nos voix, vigoureuse Ieunesse,
 Pour cet Enfant du Ciel chery,
 Puis que le bonheur du Berry
 Egalement nous interesse.
***
Pour porter dignement jusqu’au plus haut des Airs
 Un Nom pour nous si plein de charmes,
 Reglez le grand bruit de vos armes
 A la douceur de nos Concerts.

Aprés que l’on eut joüy de tout ce Spectacle, on se rendit en un lieu, où cette galante Troupe avoit fait venir les Violons pour donner le Bal aux jeunes Demoiselles de la Ville. La Collation leur fut servie, & rien ne fut oublié de tout ce qui pouvoit contribuer aux plaisirs de cette Feste.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 49-50. L'attribution de cet air à Lambert est possible grâce au « XXXe Livre d'airs de differents autheurs [...] » (Paris, C. Ballard, 1687) et aux manuscrits F-Pn/ Res. Vmd. ms. 302 et F-Pc/ Res. F. 673.

Je vous envoye un Air nouveau, qui est, comme tous les autres, d'un de nos plus habiles Maistres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Quand j'estois seul prés d[e] Sylvie, doit regarder la page 49.
Quand j'estois seul prés de Sylvie,
Je croyois passer une vie
Douce, tranquille, & sans desir,
Et je m'estois fait un plaisir
D'avoir sçeu résister aux yeux de cette Belle.
Mais, helas ! que je croyois mal !
Dés que je vis Tircis s'attacher auprés d'elle,
Je vis que j'avois un Rival.
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Epithalame §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 50-61

Je vous ay appris par ma Lettre du mois d’Aoust, que Mr le Marquis d’Antin avoit épousé Mademoiselle d’Usez. Dans le temps que se fit ce mariage, il courut un Epithalame pour ces jeunes Mariez, dont j’ay demandé une copie. Je vous l’envoye. Cet Ouvrage a reçeu des Connoisseurs toute l’approbation que l’Auteur pouvoit attendre. Cela devroit l’obliger à ne point cacher son nom.

EPITHALAME.

Grace aux heureux Destins, enfin voicy le jour,
Que l’on va voir l’Hymen d’accord avec l’Amour.
La Paix, comme l’on sçait, est rare entre ces Freres ;
Ils semblent estre nez l’un à l’autre contraires ;
Et pour s’entretenir dans d’éternels combats,
Toûjours ce que l’un veut l’autre ne le veut pas.
Mais ils viennent de faire une double alliance,
Et vont vivre long-temps en bonne intelligence,
En faveur de deux Coeurs l’un pour l’autre formez,
Et par les plus beaux feux l’un pour l’autre enflâmez.
 Le coup, dont les frapa le beau Fils de Cithére,
Ne fut point de ces coups portez par la colere,
Comme il fit à Venus, dont il estoit grondé,
Comme il fit à Phébus, qui l’avoit gourmandé,
Comme il fait à plusieurs, dont la longue souffrance
De cet Enfant cruel satisfait la vangeance.
Lors que nos deux Amans furent blessez au coeur,
L’Amour ne fut jamais d’une si belle humeur :
Tout flatoit ses desseins, tout cherchoit à luy plaire ;
Il venoit d’obtenir des baisers de sa Mere,
Et libre, avec les Ieux, les Ris & les Plaisirs,
Il alloit folâtrer au gré de ses desirs.
 Amans, qu’il a vaincus, tout vous est favorable,
Vivez, vivez heureux sous son Empire aimable :
La Fortune vous sert, l’Amour rit avec vous,
L’Hymen serre vos Noeuds, est-il un bien plus doux ?
Vos jours pleins de repos vont couler sans alarmes :
La vie aura pour vous toûjours de nouveaux charmes :
Surpris de vos plaisirs, vous ne comprendrez pas
Comment tant de Bonheur peut regner icy-bas.
Si vous avez souffert quelque peu par l’attente ;
Si les Soupçons jaloux, la Crainte impatiente,
Vous ont fait quelquefois sentir de la douleur,
L’Amour vous en fera mieux sentir sa douceur.
Surpassant en attraits, en sentimens fidelles,
L’un tous les Cavaliers, l’autre toutes les Belles,
Sans mesure tous deux & charmez & charmans,
Rien ne doit estre égal à vos contentemens.
 La Nymphe a la beauté d’une naissante Aurore,
Ou d’une aimable Fleur, qu’un Zephir fait éclore.
Sa bouche est un corail fait exprés pour charmer :
Ses yeux ont un brillant qui peut tout enflâmer.
Le plus grand Dieu, reduit à brouter le rivage,
Passa pour moins d’attraits le Bosphore à la nage.
Helene aima Paris avec moins de beauté ;
Penelope fit voir moins de fidelité.
Venus a moins d’éclat, Diane moins d’adresse,
Iunon moins de grandeur, Pallas moins de sagesse.
On voit, par ces faveurs du Destin qui l’aima,
Les exemples qu’elle eut, la main qui la forma.
 Elle a d’un tendre Amour l’air & le caractere,
Trop jeune à nos regards pour en estre la Mere,
Et si vous la voyiez s’exposer aux hazars,
Sur un Coursier fougeux, cet Amour est un Mars.
Si la Nymphe au Heros dispute le courage,
Le Heros, des apas, dispute l’avantage :
Sur le Pré c’est un Mars ; mais est-il de retour,
A-t-il quitté le fer, ce Mars est un Amour.
Qui pourroit resister à tant de bonne mine ?
Adonis moins charmant sceut enchanter Cyprine.
Pour moins d’apas Diane eut le cœur enflâmé.
L’Aurore aima Tithon moins digne d’estre aimé.
On voit sur son visage, on voit dans sa maniere,
L’esprit & les attraits de son aimable Mere.
Parler ainsi du Fils, c’est en un mot marquer
Ce qu’un fort long discours ne sçauroit expliquer.
 Le Sang dont vous sortez, a depuis deux cens Lustres
Répandu ses ruisseaux dans des Veines illustres,
Et pour former les cœurs aux projets les plus hauts,
S’est long-temps épuré de Heros en Heros.
De vos nobles Ayeux l’éclatante Memoire
Demande de ce Sang la durée & la gloire :
Et l’on s’attend qu’aprés certain nombre de jours,
Lors que la Lune aura neuf fois fourny son cours,
A peine verra-t-on la dixiéme paroître,
Qu’en un digne Neveu vous les ferez renaître,
Et que pour empêcher ce beau Sang de finir,
Par vous on le verra tous les ans rajeunir.
Hâtez-vous de remplir cette juste esperance ;
Pour vous l’Astre du Soir, en leur faveur, s’avance.
 Que loin de nos Amans, sous le poids de ses fers,
La Discorde à jamais gronde dans les Enfers.
Qu’un lit vaste & superbe en riches broderies,
Où brillent à l’envy l’or & les Pierreries,
Icy soit élevé par les mains des Amours ;
Et que l’Hymen joyeux leur prête son secours.
Qu’un delicat travail en mille exploits y trace
La Vertu naturelle à leur auguste Race.
Que les plus doux Sommeils, & les Ieux tour-à-tour
Devant ce lit pompeux viennent faire leur Cour ;
Et qu’enfin les rideaux ornez de fleurs nouvelles,
Soient tirez par les mains des Graces immortelles.
 Toy qui vas donner l’estre à tant de demy-Dieux,
Amour, ce que tu fais, quand tu formes des Noeuds,
N’est pas toûjours un coup aveugle & témeraire ;
Et malgré la façon dont te peint le Vulgaire,
Quand, pour te signaler, tu fis un choix si beau,
Alors tu n’avois pas sur les yeux un bandeau.
 Faveurs des Immortels, heureuses Destinées,
Qui reglez des Heros les trames fortunées,
Que ne puis-je, d’icy, dans la Posterité,
Voir le sublime éclat & la felicité
D’une Branche, qui doit fournir par ses Merveilles,
Aux Malherbes futurs le sujet de leurs veilles ;
Ou plûtost, noble Véne, Esprit chery des Cieux,
Toy qui parlas si bien des augustes Ayeux,
Que ne peux-tu, Voiture, en surpassant les Maistres,
Chanter les Descendans ainsi que les Ancestres !
Par tes doctes écrits au lieu de me regler,
Sur de si beaux sujets que ne peux-tu parler,
Et pourquoy les Destins, en prolongeant ta vie,
Ne t’ont-ils pas fait voir la troisiéme Iulie ?
 Mais la Nuit, de son voile, a couvert tous ces lieux.
Mille brillans Flambeaux ornent l’Azur des Cieux.
Le Sommeil à ses loix asservit la Nature,
L’Amour seul doit veiller dans cette Nuit obscure.
C’en est assez ; gardons de rompre trop long-temps,
Un Silence propice à nos heureux Amans.

[Jeu de l’Arquebuse] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 73-81

Je croy vous avoir marqué dans quelqu’une de mes Lettres, que les Chevaliers du Jeu de l’Arquebuse, de Provins, gagnerent le Bouquet à Nogent au mois d’Aoust 1684. L’obligation où ils estoient de rendre le Prix leur en ayant fait choisir le jour, ils firent sçavoir par des Lettres circulaires qu’ils le rendroient le 25. Aoust dernier, jour de la Feste de S. Loüis. On vint à Provins de toutes parts, & ils employerent tout le Samedy 24. Aoust à recevoir les Bandes avec les ceremonies ordinaires. Les uns à cheval, ayant à leur teste Mr Bessel, leur Capitaine perpetuel, allerent les recevoir hors la Ville au son des Haut-bois & des Trompetes, & les autres commandez par Mr Guerin, leur Lieutenant, prirent soin de les conduire au son des Tambours & des Violons dans les Logis qui leur estoient preparez. On les regala ensuite des Presens accoûtumez de Conserves & de Vin. Le lendemain toutes les Bandes se rendirent en bel ordre dans l’Eglise Collegiale de Saint Quevace, où la Messe fut celebrée par Mr le Doyen de Joly cœur, ancien Aumônier de Monsieur. Le Concert de l’Orgue & des Violons fut admirable pendant que les Drapeaux furent portez à l’Offrande. L’aprésdînée les Compagnies se rassemblerent, & vinrent prendre le Bouquet & le Prix chez Mr Bessel, Capitaine. On les apporta dans l’Hostel de Ville, où le Maire & les Echevins presenterent aux Chevaliers une magnifique Collation. Cet Hostel estoit orné de Festons, d’Arcades & de Guirlandes. On y voyoit les Armes du Roy, & celles de la Province, & des Gouverneurs, avec un Tableau, où paroissoit un Rosier, & trois Soleils au dessus. Ces mots servoient d’ame à la Devise, Sole triplici reviresco. Les Armes de la Maison d’Aligre sont trois Soleils, & le Rosier est le Hierogliphe de la Ville de Provins, qui vouloit marquer par là la reconnoissance qu’elle conserve des bons offices que luy a rendus Mr l’Abbé de S. Jacques, Fils de feu Mr le Chancelier d’Aligre. De l’Hostel de Ville les Chevaliers allerent à l’Abbaye de S. Jacques, pour y prendre une Médaille d’or, de la valeur de vingt Loüis, que cet Abbé avoit proposée pour une cinquiéme Chasse. Ils passerent le reste du jour à se divertir, & le soir au Bal en divers lieux. Le Lundy 26. la premiere Chasse fut ouverte par le coup du Roy. Ce fut Mr le Lieutenant General qui le tira. On fixa le nombre des Prix à quatre-vingt en quatre Chasses, vingt Prix à chacune, & le nombre des Tireurs fut de 236. de trente-six Villes. Le premier Panton fut gagné par les Chevaliers de Chasteau-Tierry, avec le Bouquet, d’un coup de broche fait par le Sr Julien Beaujou. Ce Bouquet est une Tour ornée de Fleurs artificielles. Ce Vers Latin est écrit autour en grosses lettres,

Condidit hanc Cesar, servat nunc Cesare Major.

La Ville de Provins a pour Armes une Tour, à cause que dans la Ville haute il y a une grosse Tour fort ancienne, bastie par Jules Cesar. Cela suffit pour l’intelligence de ce Vers. Le second Panton fut emporté par ceux de Chalons, d’un coup de broche que fit le Chevalier Guyot. Les Chevaliers de Provins gagnerent le troisiéme Panton, par un autre coup de broche que fit Mr Guerin, Lieutenant. Le quatriéme fut emporté par les Chevaliers de Meaux. Enfin l’on tira une cinquiéme Chasse, pour la Médaille frapée au Coin de Mr le Chancelier d’Aligre. Ce furent ceux de Villenauxe qui la gagnerent d’un coup de broche fait par le Chevalier Rivot. Jamais on n’avoit si bien tiré. Les Chevaliers de Provins se distinguerent, & l’on n’en sçauroit douter, puis que de quatre-vingt Prix, ils en remporterent vingt & un.

[Lettre de M. le Chevalier d’Her…] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 81-88

Je croy vous faire plaisir, Madame, en cherchant à découvrir qui est ce Mr le Chevalier d’Her… dont vous avez tant estimé le Recüeil de Lettres. L’approbation que vous leur avez donnée a esté suivie de tous ceux qui s’y connoissent, & le cours qu’elles continuënt toûjours d’avoir, ne permet point de douter qu’on n’y ait senty ce tour fin & delicat que vous y avez trouvé. Ce qui me fait croire qu’on en pourra connoistre l’Autheur, c’est que l’on asseure qu’il a intrigue avec une jeune personne, qui est Pensionnaire dans un Convent, & qu’il va souvent l’entretenir à la Grille. Il luy écrit mesme, & par une Lettre qu’on m’en a fait voir, il paroist qu’il prend goust à ce commerce. Il sera bien mal aisé qu’il demeure long-temps secret, puisque la jeune Pensionnaire voulant se faire honneur de ses Lettres, en a laissé échaper des Copies. Voicy celle qu’on m’a donnée. On m’en promet encore quelques autres. Lisez ; Je vous croiray de mauvaise humeur si aprés cela vous n’avoüez pas que peu de Personnes sçavent écrire aussi galamment.

A MADEMOISELLE ***

Vous voulez bien souffrir, Mademoiselle, que je me vante de vous donner de l’esprit. J’ay crû d’abord que c’estoit quelque chose de fort glorieux pour moy ; mais je voy que je vous en donne tant en peu de temps, que je n’ay pas grand sujet de m’en faire honneur. La facilité que vous avez a en recevoir, diminuë extrémement le merite qu’il y auroit à vous en communiquer. Vous qui n’estes pas ingrate, vous me donnez en recompense de ce que je n’oserois nommer dans un Lettre qui doit entrer dans un Convent. Si cependant je croyois qu’il n’y eust que vous qui dussiez la voir, je hazarderois le mot d’amour, car je vous avouë que je n’ay pas tant de respect pour vous que pour la Mere de … Les jolies personnes en inspirent moins, & vous estes assurément bien plus jolie qu’elle. Je me plains donc à vous, Mademoiselle, de l’échange que nous faisons ensemble. J’aime mieux vous donner de l’esprit gratis ; je vous declare que je n’ay point affaire d’amour. Ce qui me déplaist le plus, c’est que vostre reconnoissance est si exacte que vous voulez me donner un amour qui dure autant que durera l’esprit que je vous donne. A ce compte, je vous aimerois toute ma vie ? Je vous rends tres-humbles graces, je n’ay jamais esté amoureux de cette façon là. J’ay promis à chaque Belle que j’ay quittée, que je n’en aimerois jamais d’autre plus fidellement. Voulez-vous que je manque tout d’un coup à tant de promesses qui estoient les seules que j’esperois de pouvoir tenir ? Ne me permettrez-vous point de conserver à l’égard de toutes les personnes que j’ay aimées cette espece unique de fidelité ? Vous me rendez infidelle à un monde de Belles tout à la fois. Il faut pourtant s’y resoudre si on continuë de vous voir, mais du moins recompensez-moy sur le pied de cette multitude & de Maîtresses passées, & de Maistresses à venir que je vous sacrifie, car pendant le reste de ma vie que je voy bien qu’il faut vous dévoüer, i’estois homme à avoir encore quelque douzaine ou deux de passions. Vous étouffez dans mon cœur toute cette belle esperance d’amours à naistre. Je n’ay point de regret à la diversité qui se fust trouvée dans ma vie ; i’eusse aimé tantost une Brune, tantost une Blonde, tantost une personne gaye, tantost une serieuse. Il me semble que vous rassemblez le merite de tous ces differents caracteres Vous me paroissez gaye & serieuse, & ce qui est plus surprenant, i’ay tant d’envie de rencontrer tout en vous, que je vous trouve blonde & brune en mesme temps. Cela me fait voir qu’il vaut autant que je vous aime vous seule, que si je m’étois amusé à aimer en détail toutes ces autres Personnes qui sont en vous en racourcy ; mais aussi afin que l’Empire d’Amour ne perdist rien, il faudroit que vous m’aimassiez autant qu’elles auroient pû faire toutes ensemble. Vous estes ieune ; il seroit extremement glorieux que vostre coup d’essay fust quelque chose de grand.

L’Hymen à Madame la Dauphine §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 119-124

L’esprit est un grand trésor. Heureuses celles à qui la nature en a esté liberale. Mademoiselle Bernard de Roüen est de ce nombre. Tout ce qu’elle fait a un tour fin & aisé, qu’il est difficile d’attraper à force d’étude. Je vous envoye un nouvel Ouvrage de sa façon. Il est extremement estimé, & les applaudissemens qu’il a receus à la Cour, ont esté suivis de ceux de tout le Public. La matiere ne pouvoit estre plus noble. Le titre suffit pour vous le faire connoistre.

L’HYMEN
A MADAME
LA DAUPHINE.

Je l’avoüray de bonne foy,
Je n’estois ny galant ny tendre,
Mais vous avez sceu me le rendre
En vous engageant sous ma Loy.
Depuis le jour heureux (il m’en souvient sans cesse)
Où j’unis vos appas, adorable Princesse,
Avec ceux d’un Heros plus brillant que le jour,
  Je suis aussi vif que l’Amour ;
 Non pas pour tous, plus d’une Epouse en gronde,
 Mais il faudroit pour charmer un Epoux
  Que l’on fust faite comme vous,
  C’est ce qu’on voit peu dans le monde.
Deux Princes dont l’amour à lieu d’estre jaloux,
Me donnent sur ce Dieu d’assez grands avantages,
Je le diray, deussay-je exciter son couroux,
Non, l’Amour ne sçauroit montrer de tels ouvrages.
 Que sera-ce dans quelque temps
Que par mille Vertus, mille Faits éclatans
Du Pere & de l’Ayeul ils seront les Images ?
 Qu’ils imitent leurs faits Guerriers,
Qu’ils cüeillent chaque jour quelques nouveaux Lauriers,
I’en suis seur, mais LOUIS entreprend une affaire
 Qu’en vain ils voudroient imiter,
 Son zele heureux ne laisse rien à faire
 Ils ne pourront que l’entendre conter.
 Déja la gloire en est semée,
 Par la voix de la Renommée,
 Dans les plus reculez Climats,
Quel sujet d’entretien pour les Peuples Barbares !
 Car franchement je ne jurerois pas
 Qu’on ne connust Calvin chez les Tartares.
 Grace à celuy qui l’a détruit
 Son Nom passera d’âge en âge ;
 Dans son progrez il a fait quelque bruit,
 Mais dans sa chute il en fait davantage.
  Me voilà loin de mon sujet,
Mais lors que d’un discours LOUIS devient l’objet,
 Et que c’est à vous qu’on s’adresse,
 Il n’est pas aisé de finir ;
 On sçait assez, Grande Princesse,
 Que c’est vous bien entretenir.
 Les loüanges que l’on vous donne
 Ne vous touchent que foiblement.
 Vous les aimez en la Personne
D’un Pere Auguste, & d’un Epoux charmant.
Vous loüer cependant, seroit bien mon affaire,
Je voy les gens de prés & dis les Veritez ;
Les vostres auroient lieu, Princesse, de vous plaire,
Mais vostre modestie égale à vos beautez
Contraint sur ce sujet l’Hymen mesme à se taire.

Madrigal §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 124-126

On ne parle que des Ambassadeurs Siamois depuis qu’ils sont arrivez en France. Chacun s’entretient des marques d’esprit qu’ils y donnent tous les jours, & je vous en vois vous-mesme assez satisfaite, par la connoissance que vous en a donné la Relation particuliere que je vous ay envoyée de tout ce qu’ils ont dit icy de plus remarquable. Vous sçavez leurs mœurs. Dans ce que je vous en écrivis au mois de Juillet à l’occasion de l’Ambassade de Mr le Chevalier de Chaumont, je vous marquay qu’ils n’ont point eu de Dieu depuis Nacodon, qu’ils pretendent s’estre enfin aneanty aprés plus de cinq mille Transmigrations en toutes sortes de Corps. Cette opinion qu’ils ont conservée, a donné lieu à ces Vers de Mr Vignier.

MADRIGAL.

Les Siamois, ces Testes Bazanées,
 Ont de l’esprit assurément.
 Lassez de chercher vainement
Le Dieu qu’ils ont perdu depuis longues années,
 Avec des Trésors inoüis
 Ils sont venus en diligence
 Voir s’il ne seroit point en France
 Caché dans l’Auguste LOUIS.

Discours sur la Devise du Roy à Messieurs de l’Académie Royale d’Angers §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 126-182

Vous avez raison de vous plaindre de ce que je ne vous ay encore rien dit de l’Academie Royale d’Angers, dont l’Ouverture se fit le premier jour de Juillet dernier ; mais ayant esté prié de la part de ceux qui la composent, de n’en parler que sur leurs Memoires, j’aottens qu’ils me les envoyent. Ils m’ont promis une Copie de leurs Lettres Patentes, les noms & les qualitez des Academiciens, les fonctions ausquelles ils doivent estre employez, leurs Statuts, les Ceremonies qui se sont faites le jour de leur premiere Assemblée, & les Discours qui y ont esté prononcez. Je ne doute point qu’ils ne me tiennent parole. Ils feroient tort à toute la France, & particulierement à leur Province, s’ils ne publioient pas la permission qu’ils ont de faire un Corps, puisque la gloire n’en doit pas seulement rejaillir sur eux, mais sur toute leur Patrie, & sur le Roy mesme. Ce sont en effet les merveilles de son Regne qui produisent ces sortes d’établissemens. En attendant que j’aye receu ces Memoires, je vous envoye un Discours de Mr le Chevalier de Longüeil, l’un des trente Academiciens dont cette nouvelle Compagnie est composée. Je vous ay déja parlé de luy plusieurs fois. La beauté de cet Ouvrage vous fera juger de l’esprit de tous ceux du même Corps. Comme on ne sçauroit douter qu’ils n’en ayent beaucoup, il seroit à souhaiter que chacun d’eux en donnast de pareilles preuves au Public. Si cela estoit, je pourrois vous promettre de vous envoyer long-temps de tres-beaux Ouvrages.

DISCOURS
SUR LA DEVISE
DU ROY
A Messieurs de l’Academie
Royale d’Angers.

Messievrs,

Vous voyez briller ce Soleil qui éclaire toute la Terre, & dont nous admirons la beauté. Il est au milieu de sa course, & nous le voyons élevé sur nos testes. C’est LOUIS LEGRAND, le plus sage & le plus puissant des Monarques. C’est LOUIS, le tres-Chrestien, le Victorieux, qui s’est élevé jusqu’au sein de la gloire, d’où il voit les François luy faire hommage de la felicité qu’ils goûtent sous son Empire.

Ce grand Monarque a monté de Victoire en Victoire jusqu’au faiste de cette grandeur que toute l’Europe redoute, comme le Soleil monte de degré en degré iusqu’au plus haut point de sa course ; & semblable à cet Astre qui en commençant de paroistre ne se montre pas moins grand qu’il est dans sa plus haute élevation, il a fait éclater dans tous les temps cette ame haute, ce vaste genie qui formoit ces desseins extraordinaires qu’il execute chaque iour ; il a toûjours fait voir LOUIS LE GRAND tel que nous le voyons auiourd’huy.

Combien de merveilleux évenemens, combien de grandes actions de prudence & de valeur ont rendu son nom le plus fameux de l’Univers ! Toute la terre en est dans l’étonnement. Vous sçaurez, Messieurs, les rendre presentes à la posterité la plus éloignée, parce qu’elles doivent estre immortelles, comme elles sont heroïque. Vous rappellerez les temps écoulez du Regne glorieux de LOUIS LE GRAND, vous pourrez le suivre par tous les lieux où il a passé, parce qu’il y a laissé les marques éclatantes de ses Triomphes.

C’est vous, Messieurs, qui devez observer toutes les vertus, tous les travaux de ce grand Monarque. Le titre d’Academiciens, dont il vient de vous honorer, marque ce qu’il attend de vous. Pour moy, dont la veuë est encore foible, ie n’ose & ne puis le regarder fixement dans l’éclat qui l’environne ; mais comme l’on peut réünir les rayons du Soleil avec un miroir, ou mesurer son mouvement par une projection sur un plan, sans lever les yeux au Ciel, j’ay ébauché quelques traits du Portrait de ce grand Prince, sans me hazarder de soûtenir témerairement ses regards. Je m’en suis formé l’idée en considerant cette illustre Devise qui se presente sans cesse à nos yeux, & qui a pour corps le Soleil, & ces mots pour ame, Nec pluribus impar.

Ne doutez point, Messieurs, que cette Devise Royale ne nous découvre toute la grandeur du destin & du merite de l’Auguste LOUIS, en le representant semblable au Soleil dans l’étenduë du parallelle qu’on en peut imaginer. Elle nous fait concevoir l’esperance de le voir commander à toutes les Nations ; elle marque qu’il est digne de gouverner plusieurs Empires, comme le Soleil est capable d’éclairer plusieurs Mondes.

SOL

… Nec pluribus impar Orbibus.

REX

… Nec pluribus impar Imperiis.

A plus d’un Monde entier le Soleil peut suffire ;
Ainsi le plus grand Roy qui soit dans l’Univers,
LOUIS peut gouverner cent Empires divers,
Ou l’Univers entier devenir son Empire.

Mais sans m’arrester à toutes les applications differentes que l’on peut tirer des rapports communs qui se trouvent entre le Soleil & le Roy, je vais faire voir que LOUIS LE GRAND n’a point de pareil sur la terre, comme le Soleil n’en a point dans le Ciel, & que par divers effets semblables à ceux de cet Astre, il fait dans la France ce nombre prodigieux de merveilles que le Soleil fait dans la Nature.

SOL

… Nec pluribus impar Sideribus.

REX

… Nec pluribus impar Regibus.

 Le Ciel a son Soleil, & la Terre a son Roy ;
 L’un & l’autre observe la loy
 De ces deux Augustes Monarques :
Les rayons du Soleil font pâlir tous les feux,
Les Vertus de LOUIS par cent illustres marques
Le font entre les Rois voir le plus glorieux.

Le Soleil est le Roy des Astres, LOUIS est le Soleil des Rois. Tout ce qui se peut dire du plus grand des Rois, on le doit dire de LOUIS LE GRAND, & ce n’est que de luy qu’on le peut dire. Quel est le Héros de la Renommée ? Quel est l’Arbitre de la Paix & de la Guerre ? Quel est le Roy aimé, obéy de ses Sujets, craint & admiré de tous les autres Peuples, toûjours victorieux, toûjours juste, magnifique, bienfaisant, c’est à dire, veritablement Roy ? LOUIS seul a acquis par sa vertu ces Titres qui dureront éternellement. Luy seul a reçeu du Ciel ces rares avantages qui le rendent aimable, comme les Heros, à tous ceux qui le regardent, parce que sa Personne est aussi royale que son Ame.

Ce n’est pas seulement de la bouche des Peuples qu’il tire l’aveu de sa grandeur, mais de celle des Souverains qui viennent eux-mesmes jusqu’au centre de la France, luy faire des soûmissions inoüies jusqu’à present, incroyables à la posterité. Les Genois s’humilient devant LOUIS LE GRAND pour recevoir la loy qu’il leur impose, & le pardon qu’il ne refuse point à tous ceux qui se mettent en estat de l’obtenir. Les Rois autrefois recherchoient l’alliance & l’amitié des Romains ; Rome elle-mesme qui avoit offensé LOUIS LE GRAND, a esté obligée d’implorer sa clemence royale, elle a élevé une Piramide pour prévenir sa juste vangeance.

Le Roy, semblable au Soleil élevé dans le Meridien qui ne souffre point d’ombre sur la Terre, est au plus haut point de gloire où puissent arriver les hommes. Il y demeure & par sa prudence, & par sa force, & balance le sort de toute l’Europe. C’est un Monarque élevé au dessus de la Monarchie mesme. C’est un Prince qui surpasse tous les autres Princes par une grandeur qui luy est propre, parce qu’il s’est élevé en élevant la France, & qu’il n’est pas moins necessaire à ses Peuples pour la vie civile & politique, que le Soleil l’est à tous les hommes pour la vie naturelle.

Qui sçait mieux que vous, Messieurs, que LOUIS n’est pas seulement le Pilote qui gouverne le Vaisseau de la France, qu’il n’est pas seulement le Thesée qui la retire du Labirinte de l’erreur, & son Auguste qui luy donne le plus beau Siecle qu’elle eut jamais ; mais qu’il est luy-mesme l’ame de ses Etats, & cet heureux genie de la France qui luy fait prendre l’ascendant sur tous les autres Empires du Monde : semblable au Soleil qui est le Pere de la Nature, le principe du mouvement, & l’ame de l’Univers ?

Le Soleil est dans le Ciel l’Image de l’Auteur de la Nature ; les Rois expriment aussi parmy les hommes des traits merveilleux de la puissance ou de la Sagesse de Dieu ; mais pour trouver un Roy qui ait quelque rapport avec cet adorable original, il faut parcourir toutes les Histoires, tous les Empires, tous les âges. On trouve le Sage Salomon qui gouverna le Peuple de Dieu, l’heureux Alexandre qui assujettit à l’Empire des Grecs les Peuples les plus redoutables de l’Asie, & chez nous Charlemagne, & LOUIS LE GRAND, qui réünit tous les Titres de ces Princes admirables. LOUIS est heureux, parce qu’il est sage ; il est sage, parce qu’il puise sa sagesse dans la Religion, & c’est par la Religion qu’il est grand devant. Dieu, comme il l’est aux yeux des hommes par l’art de vaincre & de regner.

C’est ainsi que LOUIS est parvenu à cette élevation d’ame heroïque qui est la source de cette douceur charmante, qui le fait agir avec tous les hommes, comme le Pere du Genre humain, de cette rare moderation qui luy auroit gagné tous les cœurs, si sa vertu, autant que sa fortune, ne luy avoit fait des ialoux qui ont eu la temerité de se dire ses Ennemis. Nous voyons dans la Nature que les Elemens semblent quelquefois conspirer pour obscurcir la beauté du Ciel, & dérober au Soleil la gloire qu’il a de l’éclairer par ses rayons. L’air condensé les vapeurs des eaux & les exhalaisons de la Terre ; il en forme ces nuages qui portent l’horreur des tenebres, & semblent éclipser ce bel Astre ; mais il n’est pas moins brillant dans le Ciel, il dissipe ces nuages pour rendre sa lumiere à la Terre, & paroist plus pompeux aprés leur défaite. Le Roy sans estre troublé, toûjours maistre de soy-mesme, & dans peu de temps Maistre de ses Ennemis, a vû la Ligue que l’envie de ses voisins avoit formée contre luy ; il a fait le plan de ses desseins dans le Cabinet, & dans la Campagne ; il a couppé avec l’épée le nœud des projets de tant d’Ennemis joints ensemble, Nec pluribus impar Regibus.

Croirions-nous, Messieurs, si nous n’avions pas esté témoins d’une partie des Victoires de LOUIS LE GRAND, si nous n’avions pas entendu le bruit des autres, si nous ne ressentions pas les effets de toutes ensemble, qu’il eust remporté autant de gloire sur la Mer que sur la Terre, qu’il eust triomphé dans toutes les Parties du Monde, & pourra-t-on croire un jour que pouvant tout vaincre, il ait esté le genereux Vainqueur de soy-mesme, qu’il se soit mis au dessus de ses Conquestes, en preferant la tranquillité & l’amour de l’Univers à la gloire de le conquerir ?

Là il prend des Places que l’Art & l’Histoire de leurs Siéges ont renduës fameuses, souvent d’assaut, & toûjours en si peu de temps qu’elles ne resistent que pour rendre son triomphe plus glorieux. Icy il gagne des Batailles, il emporte des Provinces entieres dans le temps qu’il faut pour les parcourir, affrontant les rigueurs des Saisons, la resistance des Fleuves, le courage & le feu des Ennemis, surmontant la Nature mesme ; comme le Soleil par son mouvement particulier va contre le mouvement impetueux qui emporte chaque jour le Ciel avec toutes les Etoiles.

Que LOUIS soit un Conquerant, qu’il ait merité tous les noms & toutes les Couronnes qu’on peut donner aux Vainqueurs, si sa valeur n’avoit esté plus secondée de sa prudence que de sa fortune, il y a beaucoup de Princes fameux qu’il ne surpasseroit que par le nombre de ses Victoires. Mais quand nous voyons sa sagesse qui ne retarde point les effets de son courage, qui trompe l’esperance de ses Ennemis, qui les occupe plus que le nombre de ses Soldats, qui finit la guerre quand il luy plaist, qui regle seule les conditions de la Paix qu’il a prescrites à toute l’Europe armée, nous ne pouvons exprimer ce que nous pensons de ce grand Prince, qui se distingue si fort de tous les autres Monarques. Sa Sagesse ne merite pas moins de veneration que celle de cét ancien Roy d’Italie qui fut representé à deux Visages, pour faire entendre qu’il voyoit par sa prudence le passé, & l’avenir ; comme le Soleil, auquel il estoit comparé, estant élevé sur l’horizon, voit en mesme temps les deux points où commence & finit sa Carriere.

Fiers Ennemis, qui estes aussi jaloux de la puissance des François, qu’impuissans à repousser leurs efforts, aujourd’huy que vous ne pouvez pas faire seulement balançer la Victoire, il ne vous reste que le chimerique plaisir de dire que la Politique de Charles-Quint & de Philippes second, a fait tout ce que peut faire la valeur de LOUIS. Vous avez dit tant de fois que de leur Cabinet ils pouvoient branler toute l’Europe ; mais pouvez vous vous flater, que si vous ne les aviez point perdus, vostre Monarchie seroit encore florissante sous leur Empire, comme la France, sous celuy de nostre Auguste Monarque ? Souvenez-vous que le premier de ces deux Princes ne réüssit pas dans l’entreprise d’Alger, qu’il fut repoussé dans le Languedoc, qu’il vit le changement de sa bonne fortune dans la Lorraine, & que le second vit la perte de Tunis, & le commencement de la Revolte des Pays-bas, sans pouvoir les retenir sous son obeïssance. LOUIS LE GRAND a esté vainqueur dans tous ces lieux où ils ont esté vaincus. Nous voyons de temps en temps de nouveaux Astres qui se forment dans le Ciel, ou qui recommencent d’y paroistre ; mais ces feux rivaux du Soleil furent-ils jamais comparables à l’éclat de sa lumiere, à la beauté de ses rayons ?

L’Antiquité plaça entre les Astres plusieurs Heros dont le nom est demeuré aux Constellations qui les devoient representer. L’Europe Chrestienne est plus modeste, elle est plus raisonnable qu’elle n’estoit du temps de l’Empire des Grecs & des Romains. Elle ne met pas LOUIS entre les Astres ; mais le nom de GRAND qu’elle luy donne par un consentement general, & cette pompeuse Devise qui fait voir par une comparaison magnifique à quel point elle l’estime, sont les plus nobles marques qu’elle pouvoit donner à ce grand Prince de l’admiration qu’elle a pour ses vertus, aussi vives, aussi éclatantes aux yeux des hommes que la lumiere du Soleil.

Je voy qu’elles forment un cercle brillant autour de sa Personne Royale. La pieté, la iustice, la valeur, la liberalité, la clemence sont des lignes de lumiere qui se réünissent dans LOUIS, plus éclatant par le concours admirable de ses grandes qualitez, que par les brillans de sa Couronne. Souffrez, Messieurs, que j’en détourne la veuë. Vous qui avez le vol d’un Aigle, vous pouvez suivre des yeux ce glorieux Monarque, vous pouvez contempler ce qui m’ébloüit. Je vais achever le paralelle de sa Devise en parlant des effets merveilleux qu’il produit dans la France, semblables à ceux que le Soleil fait dans la Nature.

SOL, REX,

… Nec pluribus impar Officijs.

Regler seul tous les temps, éclairer l’Univers,
 Suffire à cent travaux divers,
 N’interrompre jamais ses veilles,
C’est ce que le Soleil fait dans son vaste cours.
France, lors que pour toy LOUIS fait ces merveilles,
Ce n’est qu’à ce Soleil que tu dois tes beaux jours.

Nos Rois sont nos Astres, leurs lumieres nous éclairent, leurs regards, comme les influences des Astres, produisent nos inclination ; & nos habitudes, les uns & les autres font la difference des temps & des Saisons dans le Gouvernement & dans la Nature. Les Empires ont leurs révolutions comme les Astres ; mais tous ces changemens si divers, si prodigieux que l’on y remarque, sont les effets de la conduite de celuy qui les gouverne. La France en a veu de funestes, elle n’en voit plus que de glorieux. Elle a changé de face & de fortune en changeant de Maistre, & les François ont de nouvelles mœurs & de nouvelles maximes, parce que LOUIS, à qui le Ciel avoit réservé un Regne fecond en prodiges, a mis toutes choses dans leur perfection.

Il est raisonnable qu’un Genie aussi haut, aussi puissant que celuy de LOUIS, domine sur celuy de ses Peuples ; il est juste qu’il entraisne leurs volontez par ses exemples, comme un premier mobile qui emporte tous les Astres par la rapidité de son mouvement. Le Commerce n’est plus impossible aux François dans les Païs les plus éloignez, LOUIS LE GRAND l’a asseuré en le protegeant ; il l’a rendu facile, parce que l’ambition qu’ils ont de luy plaire, leur a fait naistre de l’inclination pour la Marine, négligée jusqu’à nos jours, & presque ignorée des François, qui sont devenus depuis vingt ans les plus redoutables & les plus habiles Gens de la Mer. Le François est accoûtumé à la discipline, il aime le travail, parce que le Prince est regulier en tous ses devoirs, & travaille au bien de l’Estat sans prendre d’inutile repos ; semblable au Soleil, qui marche toûjours sur une mesme ligne avec un mouvement égal, & qui ne peut s’arrester un moment par une loy necessaire pour la conservation de l’Univers. Le François est sage en toutes choses, parce que connoissant aujourd’huy la veritable valeur d’avec la fausse, il accorde son devoir avec le point d’honneur, & ne se laisse plus emporter à la fureur des Duels. Il reconnoist que cette cruelle manie, si longtemps appellée la Bravoure Françoise, est aussi fausse que la vertu de ces Romains, qui n’ayant pas assez de courage pour attendre la mort, se la donnoient eux-mesmes par timidité ; tant il est vray que dans tous les temps il y a eu de ces manies d’Etat qui préoccupent le jugement, & corrompent les mœurs. Non, sans doute ces Peuples n’ont point eux-mesmes quitté leurs abus, ils n’ont point eux-mesmes condamné les préjugez avec lesquels ils sembloient estre nez ; ces changemens sont des miracles du grand Roy des François ; il a parlé, ils ont obéy.

Jamais la France ne fut si soûmise, jamais elle ne fut si triomphante. Le Roy qui est le cœur de l’Etat, anime ce Corps politique, il en fait mouvoir tous les ressorts les plus secrets avec cette prompte obéïssance, & cette diligence concertée, qui font voir que la France est toûiours attentive à sa voix, & soûmise à l’execution de ses ordres. C’est ce qui la rend invincible & victorieuse. Sa force, comme la chaleur du Soleil, est plus puissante, parce qu’elle est réünie, & le Roy ne s’en sert que pour accabler ses Ennemis au dedans & au dehors, & pour introduire une nouvelle forme de Gouvernement, en réconciliant le Genie de la Paix avec le Gente de la Guerre, & les faisant regner tous deux à la fois d’intelligence, comme deux Genies qui se conservent mutuellement. C’est ainsi que le Soleil fait un partage agreable & necessaire des nuits & des iours, & les unit les uns aux autres, quoy qu’ils semblent se détruire. A peine le peut-on concevoir. La France triomphe dans la Paix, elle conserve son repos & son abondance dans la Guerre ; touiours armée, touiours tranquille ; en même temps aguerrie & pacifiée.

Fameux Romains, qui avez esté Maistres de tant de Nations, vous ne gouverniez ny si seurement ny si heureusement que LOUIS. Il falloit que la Paix regnast dans toutes les terres de vostre Empire pour fermer le Temple de Janus. C’estoit-là le signal de la seureté & de la tranquillité publique, il n’a esté fermé que trois fois depuis Numa iusqu’à Auguste ; mais LOUIS a acquis à la France une Paix aussi durable que glorieuse, parce qu’il a fait une Guerre qui a étonné ses Ennemis, qui a puny leur témerité.

Le Soleil a deux principaux effets semblables, la chaleur qui anime les corps vivans, & la lumiere qui nous découvre le couleurs differentes, l’ordre & la forme des objets. Le Roy entretient la chaleur dans le corps de l’Etat, qui seroit froid & languissant, s’il cessoit de l’échauffer par le mouvement qu’il luy donne ; il attire & répand tous les tresors de la France, comme le Soleil attire les exhalaisons & les vapeurs pour les faire retomber sur la terre par de douces rosées qui la rendent fertile.

Mais de tout ce que nous admirons dans LOUIS LE GRAND, qu’est ce que je puis comparer avec plus de justesse à la lumiere du Soleil ? Sera-ce sa magnificence royale, qui attire les Peuples de toutes parts pour leur faire admirer les enchantemens de Versailles, Paris embelly de Monumens publics, augmenté presque d’une moitié, & qui doit plus à LOUIS, pour la diversité de ses bienfaits, que Rome à tous ses Empereurs ? Sera ce ces manieres nobles & naturelles qui nous distinguent de tous les autres Peuples ; je veux dire cet air François, tel qu’il nous le donne, qui est aujourd’huy le modelle de la politesse de toutes les Cours de l’Europe ? Non, il est encore quelque chose de plus beau, & qui merite davantage d’estre comparé à la lumiere mesme du Soleil. C’est la gloire dont brille ce Prince, lors qu’il remet la Verité de la Foy dans son jour, en dissipant les ombres du Mensonge & de l’Erreur, en chassant la nuit affreuse de l’Heresie.

Jamais Monarque a-t-il entrepris un Ouvrage plus difficile ? A-t-il rien tenté de plus glorieux que le grand dessein de rendre toute la France Catholique, que LOUIS a achevé en si peu de temps ? Il a arresté ses Conquestes pour donner à l’Univers le beau spectacle du triomphe de l’Eglise, semblable au Soleil, qui s’arresta sur le panchant rapide de sa course pour faire voir un Heros que le Ciel protegeoit, victorieux par l’entiere défaite de ses Ennemis. Le François n’est plus divisé du François par la fameuse querelle de la Religion, parce que LOUIS LE GRAND a pû réünir tous les cœurs en déterminant leur liberté à ne croire qu’une mesme Verité déposée dans le sein de l’Eglise : & ce qui est en mesme temps le chef d’œuvre de sa sagesse, & la marque de sa puissance & de son bonheur, il a arraché l’Heresie des entrailles de la France, pour ainsi dire, sans faire violence au Corps de l’Estat, parce que Dieu en l’élevant à l’Empire, l’a choisi pour abbatre les Temples de l’Impieté, & a rendu son bras victorieux & redoutable, afin qu’il frapast l’Heresie, cette Hydre monstrueuse que luy seul a eu la force de défaire.

L’Eglise, cette divine Fille du Ciel, voyant ses droits violez par l’Heresie, ses Images brisées, ses Autels renversez, s’adresse à son Fils aisné, elle a recours à la puissance de LOUIS. LOUIS tonne, éclate, foudroye, lance traits sur traits sur cette insolente Ennemie, semblable à Apollon qui vangea la Divinité de Latone des outrages d’une Rivale criminelle qui avoit osé troubler ses Sacrifices, & se faire rendre des honneurs divins. Cette Niobe orgueilleuse par le nombre de ses Enfans, à peine forcée dans son malheur de redouter les Puissances Celestes, n’en a plus qu’un petit nombre pour lequel enfin elle demande grace à Apollon. L’Heresie, la plus redoutable ennemie qu’eut jamais la Monarchie Françoise, retranchée dans son petit Troupeau, enfin s’humilie pour implorer la clemence de LOUIS ; mais il est armé de sa justice, il la punit, il la deffait, & la laisse sans voix & sans mouvement, comme s’il l’avoit changée en Rocher, en luy faisant éprouver un sort pareil à celuy de cette ambitieuse Princesse dont la Fable propose l’exemple & le chastiment.

C’est ainsi que ce grand Prince, qui veut que la Pieté & la Justice soient les fermes Colomnes de son Etat, fait hommage au Ciel de la puissance qu’il en a reçeuë, & tient la Terre sous son obeïssance. Il est guidé de Dieu, lors qu’il tient les resnes de cet Empire, comme les Astres qui gouvernent les hommes sont eux-mesmes regis par une Intelligence Divine qui regle leur mouvement & leurs influences.

Que la France est heureuse d’estre éclairée du plus grand Roy qu’elle eut jamais ! Qu’il luy est glorieux de devoir tout à ce genereux Monarque, qui fait tout pour elle, & qui fait tout luy-mesme. C’est luy qui dans cette diversité d’ordres, d’intrigues & de desseins, imagine, examine, décide, & conserve au dedans de luy-mesme le secret de ses plus importantes resolutions. Ce secret demeure tellement impenetrable, que ce seroit vouloir dérober du feu de la Sphere du Soleil, que de sonder la profondeur de ses desseins. S’il ne peut se passer de Ministres, il en fait un si bon choix, qu’il fait éclater en eux des traits de sa moderation & de sa sagesse, comme le Soleil se represente dans les eaux, & sur les surfaces polies des métaux & du verre.

Veut-on sçavoir combien il s’est écoulé de temps d’un Regne si doux, si glorieux ? On peut compter combien LOUIS en a employé à retablir la France dans ses anciennes bornes, combien il en a mis à la reformer, à l’embellir. On comptera les années à venir depuis l’Extirpation de l’Heresie. Le mouvement du Soleil mesure la durée des temps & des saisons les travaux de LOUIS, se Conquestes, ses grandes action marquent & consacrent les années, les mois, & les jours que nous passons sous son Empire. Sa vie qui est l’abregé des plus beaux évenemens de l’Histoire de nostre Monarchie, sera un jour le modele des bons Princes, des grands Capitaines & des Politiques. Ils admireront ce que nous voyons, un Roy qui veille sur le Trône, & qui sans avoir besoin de sortir du centre de la France, agit comme present, & se multiplie en autant de lieux qu’elle a de Provinces, de Ports, & de Villes differentes ; semblable au Soleil monté sur l’horizon qui en éclaire tous les Climats de quelque distance qu’il en soit éloigné. Combien se fait-il de choses au dedans du Royaume qu’on ne pourroit compter qu’avec peine ? Combien s’en fait-il au dehors ? LOUIS LE GRAND est capable de les faire toutes, comme le Soleil est l’Auteur de toutes les productions de la Nature, Nec pluribus impar officijs.

Peuples heureux, Peuples reconnoissans, dignes d’obeïr à LOUIS ; François ne cessez point de faire des vœux pour sa gloire dont la vostre dépend. Que ces grands hommes qui assurent l’Immortalité aux Heros par leurs écrits, surpassent tout ce qu’on a dit de nos plus grands Princes pour parler de LOUIS LE GRAND, autant qu’il a luy-mesme surpassé tous nos Monarques qui l’ont precedé. Que les foibles mesme élevent leurs voix pour le loüer, assurez de trouver plus de gloire dans leur zele, que de honte dans leur foiblesse.

Je vous avouë, Messieurs, pour excuser la hardiesse que j’ay euë d’entreprendre ce Discours, que je ne puis parler que de mon zele qui l’a emporté sur les autres considerations qui devoient me retenir dans le silence. C’est luy seul qui m’a representé que ne pouvant loüer que foiblement un Roy, qui est au dessus de tous les éloges, je pouvois pourtant luy consacrer quelques marques de ma profonde veneration, dans un temps où tous ceux qui ont quelque teinture des belles Lettres ne peuvent demeurer dans le silence sans estre lâches, où tous les Angevins ne peuvent se taire sans estre ingrats, dans un temps où nostre grand Monarque veut estre deux fois vostre Pere, comme Pere du Peuple & de la Patrie, & comme Pere de vostre Academie Royale.

Ce Prince éclairé, qui sçait que rien n’agit si puissamment sur les cœurs des François que la gloire, a voulu par des marques d’honneur prévenir la noble ambition que vous avez, Messieurs, de vous signaler en publiant ses grandes actions. Il a besoin de vous, parce qu’il a besoin de Témoins illustres qui rendent croyables à la Posterité les merveilles de son Regne glorieux. Quelle gloire pour vous de voir que ce grand Monarque vous distingue d’une maniere éclatante, lors qu’il veut remplir la France de Sçavans ! Il fait voir qu’il estime vostre merite, & qu’il connoist le veritable prix & la necessité des Sçiences, qui ont contribué en tant de façons à rehausser l’éclat de cet Empire.

Jamais le merite ne fut si liberalement recompensé, jamais les Muses ne furent si honorées qu’elles sont aujourd’huy de LOUIS LE GRAND, qui marque une inclination particuliere pour ces beaux Genies, qui font fleurir les Sçiences & les Arts ; semblable au Soleil qui ne voyant rien sur la terre de plus beau, de plus brillant que les fleurs, semble ne lancer sur elles que ses plus doux rayons, pour les peindre, que des regards favorables pour les embellir.

On met les fleurs exquises dans des terres cultivées avec un soin particulier, on en compose des Parterres agreables qui font l’ornement des Jardins delicieux. Le Roy vous a choisis, Messieurs, entre les beaux esprits de cette Province, sans doute une des plus fameuses de la France, & des plus fecondes en hommes doctes. Il vous a assemblez à Angers dans son Hostel de Ville, comme dans le lieu le plus magnifique, & le plus digne de vous.

Les Poëtes nous vantent ces fleurs merveilleuses qui naissent empourprées, où l’on remarque les traces de quelques Chiffres, & des premiers caracteres du nom d’un Illustre Prince de Grece. Ne ressemblez-vous pas, Messieurs, à ces fleurs dont je vous parle, aujourd’huy que chacun de vous porte le nom d’Academicien Royal, & que plusieurs d’entre vous se voyent revestus de la Pourpre ? Quand je regarde d’un costé cette protection Royale dont LOUIS vous honore, & de l’autre, ces genereux empressemens que vous avez de répondre à ses bontez & à son jugement, il me semble que la Fable qui represente Apollon amoureux de Daphné changée en Laurier qui luy fut consacré pour orner ses Temples & ses Statuës, nous figure LOUIS amoureux des Academies qui travaillent pour luy faire des Couronnes, parce que c’est dans les Academies que croissent les Lauriers que les seuls Heros ont droit de cüeillir.

Vous allez commencer, Messieurs, à faire de pompeux Panegyriques. LOUIS anime vostre éloquence, il vous inspire le feu divin de la Poësie. Il fera que vous vous surpasserez vous-mesmes, semblable au Soleil qui donne de la force au parfum du Baume, & des Plantes odoriferantes. Les Zephirs & les rayons du Soleil ouvrent le sein des fleurs, ils les font éclore ; le bruit de la Renommée & l’estime de LOUIS LE GRAND vous feront produire des Ouvrages qui marqueront que vous estes dignes de soûtenir l’honneur de vostre Illustre Patrie, & d’une Academie Royale, qui dans peu de temps ne sera pas moins florissante que les plus fameuses du Royaume, Nec pluribus impar.

Avanture §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 186-191

Je vous ay déja envoye quelques Historietes en Vers de Mr Vignier. Vous les avez trouvées agréables, & je croy que celle-cy ne vous plaira pas moins que les autres.

AVANTURE.

Une Dame pleine d’adresse,
Soy disant Marquise ou Comtesse,
Selon que le temps le vouloit,
Ou que l’Or chez elle rouloit,
De charmes encore pourvûë,
Sçavoit bien donner dans la vûë.
Par eux elle s’estoit acquis
Pour Amans Comtes & Marquis,
Conseillers, Abbez, Mousquetaires,
Et Partisans & Commissaires.
Prés d’elle un Allemand logeoit,
Qui ne beuvoit ny ne mangeoit,
De ne pouvoir aller luy-mesme
Luy marquer son amour extrême,
Sans faire un Galimatias
Que la Belle n’entendroit pas.
Aussi le party de se taire
N’accommodoit pas son affaire.
Mais l’Amour toûjours inventif
Quand il s’agit du conjonctif,
Luy mit un moyen dans la teste
Pour faciliter la conqueste
De celle qui sous son pouvoir
L’avoit rangé sans le vouloir.
Un jour donc qu’il la vit parestre
Toute brillante à la fenestre,
Il mit finement sur son œil
Un Quadruple, qui du Soleil
Tirant une force nouvelle,
Sçeut toucher le cœur de la Belle,
Et sans hesiter un moment
Elle luy dit fort galamment :
Que le beau Seigneur qui me lorgne
Sçache que l’Amour n’est pas borgne ;
Il est aveugle, & le sera
Tant que le Monde durera.
De nostre Galant fut sentie
Une si juste repartie
Qu’elle fit en Italien,
Langue qu’il entendoit fort bien ;
Et pour mieux témoigner sa flame
Il fut soudain trouver la Dame,
Bien muny de cet agrément
Qu’elle avoit trouvé si charmant.
Dans cette premiere visite
Il luy fit voir tant de merite,
Et la Dame de son costé
Luy découvrit tant de beauté,
Que l’Amant, ainsi que l’Amante,
Eurent tous deux l’Ame contente.
Ils n’avoient rien à souhaiter,
Quand on entendit Gens monter.
De Dames c’estoit une bande
Qu’on pouvoit dire de commande,
Tant elles avoient d’enjoûmens.
Pendant les premiers complimens,
Et que pour joüer on s’apreste,
On vint à parler de la Feste
Que la Dame pour s’égayer
Avoit promis de leur payer,
Et du jour qu’elle vouloit prendre,
Afin que l’on s’y pust attendre.
Elle, comptant sur son Germain,
Leur dit, Mesdames, à demain.
Le lendemain nostre Marquise
Fut agréablement surprise,
De trouver, le Rideau tiré,
Un Bassin de Verm il doré
Chargé d’Ortolans & de Cailles,
De Perdreaux, Faisans & Volailles,
Que son cher & nouvel Amant
Accompagnoit d’un compliment.
Pour joüer encor mieux son rôle,
Elle prit soudain la parole :
Quel riche Bassin vois-je icy ?
Le Gibier en est-il aussi ?
Mon cher, tu diras à ton Maistre,
Que je ne puis mieux reconnoistre
Le Present d’un si beau Bassin,
Qu’en m’y lavant soir & matin.

Histoire §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 191-204

Il y a grande apparence que la Dame ne s’est point hâtée de renvoyer le Bassin. Je ne sçay si on sera plus exact à renvoyer quelques Diamans dont on n’a pas eu dessein de faire un Present. En voicy l’Histoire. Deux Cavaliers d’assez bonne mine, mais manquant d’argent pour soûtenir leur dépense, resolurent d’en avoir aux dépens de quelque Dupe. Ils avoient remarqué un jeune Orphévre que l’on disoit prest à se marier. Ils entrerent un matin dans sa Boutique, & sur le prétexte d’un Mariage, ils demanderent à voir des Bijoux. De tout ce que l’Orphévre leur montra, ils ne trouverent qu’un Bracelet de Perles, orné de Tabletes, qui fust à leur gré. Ils le prierent d’en dire le prix de bonne foy, parce qu’ils ne sçavoient pas ce que valoient ces sortes de choses, & l’Orphévre ayant juré qu’il ne pouvoit le donner à moins de vingt Loüis d’or, ils conclurent le marché. L’un d’eux en paya six à l’Orphévre, qui consentit à porter le Bracelet entre midy & une heure, à l’Hostel de… Fauxbourg Saint Germain, où les Cavaliers logeoient, & où il devoit recevoir le reste du payement. Leur honnesteté le satisfit d’autant plus, qu’il se defaisoit du Bracelet assez à son avantage. Il ne manqua point au rendez-vous. On le fit monter dans une chambre bien meublée où estoient les Cavaliers. Celuy qui avoit déja donné six Loüis prit le Bracelet, l’examina, & l’ayant trouvé encore plus beau qu’il ne luy avoit paru le matin, il ouvrit une porte qui estoit à un des coins de la chambre, couverte d’une Tapisserie, pour y prendre de quoy achever de payer la somme dont ils estoient convenus. Il rentra presque aussi-tost, & aprés avoir encore compté quatorze Loüis à l’Orphévre, il le pria de vouloir bien se donner la peine de luy chercher deux Bagues de Diamans, où il vouloit employer sur sa parole, jusqu’à six-vingts ou cent cinquante Loüis, parce qu’il avoit un air de franchise & de probité qui l’engageoit à luy confier sa bourse plus volontiers qu’à un autre. L’Orphévre sortit fort satisfait des manieres du Cavalier, & il le fut beaucoup davantage le lendemain, quand le Cavalier passa chez luy, pour luy avoüer que tout le monde estimoit son Bracelet vingt-cinq & trente Pistoles. L’Orphévre luy dit qu’il vendoit en conscience, & se contentoit à peu de gain, lors qu’il avoit eu des Bijoux à bon marché. On le pria de se souvenir des Bagues, & d’attendre que l’on vinst sçavoir chez luy s’il en auroit trouvé quelques-unes. Les Cavaliers y repasserent quatre jours aprés, & en virent deux qu’il avoit achetées d’un Joüallier le jour précedent. Il y en avoit une de soixante Pistoles, & l’autre estoit un peu moins considerable. Cela faisoit cent Loüis à les donner en Amy, & l’Orphévre n’en pouvoit rabattre aucune chose. Le Cavalier qui avoit la bourse, luy fit lever la main en riant, & estant enfin demeuré d’accord du prix, il le pria d’apporter les Bagues sur les quatre heures, au mesme lieu où il avoit apporté le Bracelet, parce qu’ils alloient disner en Ville. Il fut ponctuel à l’heure marquée, il y alloit de son interest, puis qu’on l’avoit laissé maistre du profit qu’il voudroit faire sur l’achat des Diamans. Il monta à l’appartement des Cavaliers. Un Laquais qui luy ouvrit, luy dit qu’il ne croyoit pas qu’on pust leur parler, parce qu’ils joüoient un assez gros jeu, & qu’ils n’aimoient pas à se voir interrompus. L’Orphévre pria qu’on les avertist qu’il leur apportoit des Bagues, & là-dessus il luy fut permis d’entrer. On luy fit donner un siege pour se reposer pendant qu’ils acheveroient une partie. L’un d’eux tenant toûjours les Cartes en main, luy demanda à revoir les Diamans. Il les regarda, mit les Bagues à son doigt, & continüa de joüer, aprés avoir dit qu’elles luy sembloient tres-belles. Il perdit beaucoup d’argent, & s’échaufant dans le jeu, il tira de son doigt la Bague qu’on luy faisoit soixante Loüis, & la fit valoir la mesme somme. L’Orphévre s’y opposa, & le pria fort honnestement de ne la joüer que quand il l’auroit payée. Il répondit qu’il esperoit la payer de l’argent qu’il gagneroit, & qu’il voyoit sur la table, & malgré l’inquietude que marquoit l’Orphévre, il joüa la Bague & la perdit. L’autre Cavalier s’en saisit en mesme temps, ainsi que de tout l’argent, & tandis que le Perdant faisoit d’inutiles exclamations sur son malheur, le Laquais vint avertir celuy qui avoit gagné qu’on luy vouloit parler à la porte. Il se leva, & sortit sur l’Escalier. L’Orphévre fort alarmé de voir ses deux Bagues en deux differentes mains, pria l’affligé Joüeur de luy en donner l’argent, ou de vouloir les luy rendre. Le Cavalier poussa un soupir les yeux tournez vers le Ciel, & luy disant qu’il estoit juste de le satisfaire, il ouvrit la mesme porte qu’il avoit ouverte dans l’occasion du Bracelet. L’Orphévre écouta attentivement, & il entendit compter de l’or. Il se rasseura sur un son si agréable, & ne douta point que le Cavalier ne se disposast à luy apporter la somme qu’il attendoit, mais n’entendant plus aucune chose, il s’approcha davantage, & enfin la crainte autorisant son impatience, il résolut d’entrer dans le Cabinet. Il ouvrit la porte, & pensa tomber à la renverse, lors qu’au lieu d’un Cabinet, il n’apperçeut qu’un degré. C’estoit un Escalier dérobé, par où l’on descendoit à la court. Il alla soudain à l’autre porte pour voir si le Cavalier gagnant y seroit encore. Il n’y trouva plus personne ; & jugeant bien que ses Diamans estoient perdus, il fut tellement saisi, qu’il n’eut pas la force d’appeller à son secours. Quelques Valets qui passerent voyant la pâleur de son visage, luy demanderent s’il se trouvoit mal. Il fut longtemps sans pouvoir parler, & aprés qu’il se fut un peu remis, il s’informa si l’on connoissoit les Cavaliers qui occupoient cette chambre. On luy dit qu’ils ne l’occupoient que pour y disner, que cela leur arrivoit assez rarement, & qu’on croyoit les avoir vûs trois ou quatre fois, sans pourtant qu’on sçeust qui ils estoient. L’Orphévre conta le piege qu’ils luy avoient tendu par le Bracelet, & connut à ses dépens qu’il est des Filoux de toute espece Ceux qui le paroissent moins, sont quelquefois les plus dangereux ; & en matiere de Gens inconnus, il faut souvent se défier de la bonne mine. L’Orphévre fait faire d’exactes recherches pour ses Diamans ; mais il y a bien à craindre qu’on ne les fasse inutilement.

[Buste du Roy placé sur le Portail de l'Hostel de Ville de Grenoble, avec les Ceremonies observées en cette occasion] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 216-220

 

Les Consuls de la Ville de Grenoble, impatiens de marquer leur zèle au Roy, ont fait travailler un Buste de Marbre blanc de Sa Majesté, pour le poser au dessus du grand Portail de l'Hostel de Ville, en attendant une Statuë en Equestre en Bronze, qu'on doit élever en la principale Place. Ce Buste estant fait, ils n'ont point voulu différer à la placer ; & comme tout ce qui regarde le Roy doit estre toûjours accompagné de beaucoup d'éclat, ils firent assembler la Milice le 25 du dernier mois. Les onze Compagnies s'estoient renduës dans le milieu de la Place du Breüil sur les deux heures après midy, elle y furent rangées en Bataillon par les ordres de Mr le Comte de Marcieux, Gouverneur de la Ville. [...] A quatre heures les Consuls & les Officiers de Ville partirent de leur Hostel qui est à la teste de la Place. Ils avoient leurs habits de Cérémonie, & estoient précédez des Valets de Ville, & de plusieurs Joüeurs d'Instrumens. Ils allèrent dans la Court des Dominicains, où ils trouvèrent ce Buste relevé sur un Char de triomphe attelé de six Chevaux blancs. Le Char qui fit le tour de la Place, le commença par l'aisle droite du Bataillon, & l'ayant continué par la queuë, il le finit par l'aisle gauche jusques à l'Hostel de Ville. Les Consuls le suivirent au son des mesmes Instrumens, & après que le Buste eut esté posé sur le Portail, toute la Milice fit une décharge, après quoy elle défila avec beaucoup d' ordre. [...] L'Hostel de Ville fut Illuminé le soir par plusieurs Fanaux & autres lumières. Les Hautbois & les Violons joüerent jusqu'à minuit, & la Place se trouva remplie de tant de monde, qu'encore qu'elle soit fort spacieuse, il n'y parut aucun endroit vuide, ny qui ne fust propre à se promener.[...]

[Autres Réjoüissances] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 221-225

 

On a célébré dans la mesme Ville l'heureuse Naissance de Monseigneur le Duc de Berry. Le jour qu'on avoit choisy pour cette Cérémonie estant arrivé, on fit fermer les Boutiques dès le matin. Sur les quatre heures du soir, la Milice ayant esté rangée sous les armes, se mit en haye devant la Place Saint-André jusqu'à celle de Nostre Dame. Le Parlement en robes rouges, & la Chambre des Comptes avec ses habits de cérémonie, se rendirent dans l'Eglise Cathédrale à travers la Milice. Là Mr le Cardinal le Camus, Evesque de Grenoble, commença le Te Deum, qui fut chanté par le Chapitre de cette Eglise. Tout ce qu'il y avoit de Gens de qualité & de mérite dans la Ville, y assistèrent avec une très grande affluence de Peuple. Lors qu'on eut eut finy le Te Deum, Mr le premier Président se rendit en son Hostel, où les Consuls & les autres Officiers de l'Hostel de Ville, qui avoient aussi paru dans l'Eglise avec leurs robes, allèrent le prendre, précédez de plusieurs Joüeurs d'Instrumens. [La fin de la journée fut marquée par des réjouissances publiques, des fontaines de vin et des illuminations qui] ajoûtèrent de nouveaux charmes à ceux qu'on avoit déjà goûtez, & les réjoüissances ne finirent que fort avant dans la nuit.

J'ay oublié de vous dire que le jour que l'on fit à Bourges les mesmes réjoüissances, les Religieuses fondées par la Bienheureuse Jeanne, Duchesse de Berry, sous le Titre de l'Annonciation, signalèrent leur zèle par un Te Deum chanté en Musique, & accompagné d'une Simphonie très agréable. [...]

[Prise de Napoli en Romanie] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 251-252

 

On a fait de grandes réjoüissances à Venise pour la Prise de cette importante Place, & le Doge accompagné de toute la Seigneurie a assisté au Te Deum qu'on y a chanté dans l'Eglise Ducale de Saint Marc, où pour marque d'une joye extraordinaire, on a exposé l'Etendart de la Morée qu'on avait point déployé depuis cent ans.

[Réjoüissances faites par le Comte de Lobcovits] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 281-284, 286, 290-293

 

Un Courrier exprez qui passa incessamment en Espagne, ayant apporté la nouvelle de la Prise de Bude à Mr le Comte Venceslas Ferdinand Poppel de Lobkovits, Seigneur de Billin & de Liebschausen, Conseiller & Chambellan de Sa Majesté Impériale, & son Envoyé Extraordinaire à la Cour de France, avec ordre d'en faire part au Roy, et de luy donner une Lettre écrite de la main de l'Empereur, il se rendit aussi-tost à Versailles avec un fort gros Cortège de Gens de qualités de la Nation Allemande. & après s'estre acquité de cette agréable Commission, il revint icy marquer la joye qu'il avoit d'une Conqueste qui estoit si importante pour les Interests de son Maistre. Comme il ne pouvoit la contenir dans on coeur, il voulut que le Public la partageast avec luy, & dans ce dessein il employa les Sieurs Jean Baptiste Gervais & Claude Morel, Ingénieurs de Sa Majesté, qui se chargèrent de faire dresser un Feu d'Artifice d'une intention particulière. Le Dimanche 22 Septembre fut choisi pour cette grande réjoüissance, dont le signal fut donné au point du jour par une décharge de vingt quatre Boëtes. Sur les neuf heures du soir Mr de Lobkowits se rendit au Pré aux Clercs avec tous ses Carrosses, accompagné de tous les Gentilshommes Allemands qui etsoient icy. Il s'y trouva plusieurs Princes & Princesses, avec tous les Ambassadeurs & Ministres des Puissances Etrangères & quantité d'autres personnes considérables par leur qualité, qui se placèrent sur grand Balcon bien basty & fort richement orné. [...] Les Feux d'artifices avoient esté préparez sur un Théatre de vingt-quatre pied de haut, & de vingt-six de large. [...]

 

Les Feux de Joye commencèrent par la décharge de quarante-huit Boëtes dont le bruit estoit agréablement meslé du son de vingt-quatre Trompetes & Timbales. [...]

 

Le Spectacle entier dura plus d'une heure, & fut terminé par une décharge de cinquante Boëtes. Ces plaisirs estant finis avec un applaudissement général, on alla en prendre de nouveaux dans l'Hostel de Mr l'Envoyé Extraordinaire. [...] Les Appartemens estoient aussi richemens meubléz que bien éclairez. On y trouva un Concert charmant de Violons, de Basses, & de Hautbois, qui fut écouté avec grand plaisir. [...] [Après quoi suivit un somptueux souper durant lequel les dames] furent servies par les Seigneurs & les Gentilshommes qui estoient en si grand nombre que les gens de livrée ne purent entrer. [...] Une partie [de l'assemblée] se retira dans un Appartement où il avoit un Concert de Luts, & les autres se rendirent dans une Salle qui avoit esté préparée pour le Bal. On y dança fort avant dans la nuit, & toute la Feste se passa avec un ordre admirable.

[Réjoüissances faites [...] à Cavaillon, pour la Promotion de Mrs les Evesques de Grenoble & de Come] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 299-302

 

La Promotion de Mr de Ciceri Evesque de Come au Cardinalat, a [...] donné lieu à de grandes réjoüissances qui se sont faites à Cavaillon, Ville du Comté Venaisin [...] [La nouvelle de cette nomination fut rendue publique] en faisant élever dans une Place qui regarde le Palais Episcopal, trois grands feux entourez de Boëtes. [...] [Le nouveau cardinal illumna sa maison et offrit] deux fontaines de vin qu'il abandonna au Peuple. Les Consuls & le Corps de Ville [...] voulurent honorer cette Feste de leur présence. Ainsi, ils partirent de l'Hostel de Ville à l'entrée de la nuit, précédez d'une partie de la Milice, au nombre de deux cens Mousquetaires, avec leurs Tambours, leurs Fifres & leurs Drapeaux. On tira trois fois les Boëtes, ausquelles les Mousquetaires répondirent autant de fois. Les Fusées & autres Feux d'artifice ne furent pas épargnez, & on termina la Réjoüissance par une superbe Collation. [...]

[Conversions faites à Mets] §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 306-307

 

Toutes les Conversions ont esté enfin achevées à Mets [...] On en a rendu grâces à Dieu par un Te Deum au retour d'une Procession Générale. Mr l'Evesque de Mets l'entonna, & il fut chanté par la Musique. Le Parlement & les autres Corps y assistèrent avec tout l'Estat Major [...]

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1686 (première partie) [tome 13], p. 325-326.

Je vous envoye une nouvelle Chanson, chosie à l'ordinaire par un de nos plus grands Maistres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, La jeune Iris, doit regarder la page 325.
La jeune Iris m'aime plus que sa vie,
Et son amour ne touche point mon coeur ;
Je languis, je meurs pour Silvie,
La cruelle pour moy n'a que de la rigueur.
Si j'aimois la Beauté qui m'aime,
Mon sort seroit moins malheureux,
Mais si j'estois aimé de l'objet de mes vœux,
Que mon bonheur seroit extrême !
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