1687

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11]. §

[Feste Gueriere faite par les Gentilshommes de la Marine à Brest] §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 6-13

 

Je passe à une autre Nouvelle qui la regarde. [Il s'agit de la Marine, évoquée dans l'article précédent.] Les Gentilshommes Gardes-Marines qui sont à Brest au nombre de deux cens, aussi-bien disciplinez qu'on le puisse estre en toutes sortes d'exercices, ne pouvant faire éclater leur courage en des occasions effectives, à cause du temps de Paix où nous sommes, ont voulu au moins donner quelque image de la Guerre dans l'action dont je vay vous faire le détail. Il y a à Brest sur le bord de la mer un petit espace de greve qui donne dans la rade, où la descente seroit plus facile qu'ailleurs. On y avoit fait il y a plusieurs années quelques legeres Fortifications que l'on appelle le fort de Chaunes du nom du Gouverneur de la Province, soutenuë d'une assez bonne Redoute, revestuë & entourée de bons fossez, afin d'empescher au moins la premiere insulte des Ennemis, s'il en paroissoit de ce costé-là. Ces Gentilshommes sous la conduite de M. de Coulombe, leur Capitaine, de Mr de Courbon, son Lieutenant, & de leurs autres Officiers, choisirent cet endroit pour une attaque qui leur fut faite il y a peu de temps, par les Soldats de la Marine des six Compagnies qui sont en ce Port. Cette brave Milice, qui en plusieurs occasions perilleuses a donné des preuves de sa valeur, vint pendant un temps calme & serein dans quinze ou seize Chaloupes, toutes sur une ligne égale, Enseignes & Pavillons déployez, ayant Mr de Fourbin, & tous leurs Officiers à leur teste, faire descente en bon ordre à cette greve, au son des Instrumens de Guerre, Trompettes, Tambours & Hautbois. [...] Enfin il falut ceder à la force des Ennemis. On fit les approches ; on sonna la Chamade ; on fit la composition ; on donna des otages, & tous se separerent bons amis, les Soldats Marins remontant en bon ordre dans leurs Chaloupes. [...]

[Le Levraut. Epitre] §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 13-24

 

Il y a long-temps qu’on a fait parler les Animaux, mais peut-estre n’y en a-t-il jamais eu aucun qui meritast tant d’estre écouté qu’un Levraut que l’on a donné vivant à Madame l’Abesse de Fontevraut, afin d’en faire une espece de Chasse pour le divertissement de Mademoiselle de Blois, qui est depuis quelque temps à Fontevraut. Il est vray que ce Levraut a esté instruit par un fort habile homme. Mr l’Abbé Genest, qui est auprés de cette jeune Princesse, a pris soin de luy apprendre à conter ses avantures d’une maniere agreable. Tout ce qu’il luy fait dire roule sur l’opinion des Siamois touchant la transmigration des ames, & voicy comment le Levraut Avanturier s’en explique à cette Abbesse.

A MADAME L’ABBESSE
DE FONTEVRAUT.

Je vais, en vous parlant, paroistre témeraire,
 Mais s’il vous plaist de m’écouter,
Madame, vous verrez que je puis me vanter
 De n’estre pas une Beste ordinaire.
 À beau mentir qui vient de loin.
Je prouverois bien-tost, s’il en estoit besoin,
Que l’Orient cent fois m’a veu naistre & renaistre.
Si mon air ne suffit pour le faire connoistre
À Siam, d’où je suis, un grand Peuple est témoin
Que l’on m’y vit Guerrier, Poëte, Talapoin.
Je revenois souvent à la forme de Beste,
Car je vous conte tout d’un esprit ingenu.
 À la fin j’estois revenu.
Sous une forme humaine encore assez honneste,
 Quand de pompeux Ambassadeurs
Vinrent de vostre Prince étaler les grandeurs
Sur les bords que le jour en se levant colore ;
Des rayons de sa gloire on vint nous éclairer,
Et montrer à ces Rois que l’Orient adore
Qu’il est ailleurs un Roy qu’ils doivent adorer.
***
Plein du desir de voir la France & son Monarque,
Avec nos Siamois tout ravy je m’embarque ;
 Mais, helas ! un sort inhumain
 Me fit expirer en chemin.
 En cette funeste avanture
 J’eus l’Ocean pour sepulture,
 Où d’un assez joly garçon,
Madame, je devins un gros vilain poisson.
En ce nouvel estat la mesme ardeur m’inspire ;
Je suivois en nâgeant les traces du Navire,
 Je fis de terribles efforts,
Et je touchois déja les Armoriques bords,
 Prest à me glisser dans la Loire,
 Quand d’un Pescheur le Filet rigoureux
Me jette sur le sable, & ce moment affreux
Devoit apparemment terminer mon Histoire ;
Mais parmy des roseaux prés de là par hazard
 Une Canarde sauvage
Couvoit ses œufs ; moy promt & sage,
J’entre en l’un de ses œufs, & je devins Canard.
***
Me sentant un peu fort je costoyay le fleuve,
 Et j’avançois toûjours pays ;
Mais voicy de mon sort la plus cruelle épreuve,
Par un plomb enflâmé tous mes vœux sont trahis ;
 Je tombe en l’eau l’aile cassée ;
Mais le traistre Chasseur ne me put attraper ;
N’ayant point de Barbet, il me vit échaper
Au danger dont ma vie alors fut menacée.
***
J’ay vécu tristement autour de Mont-Soreau,
Toûjours mal assuré sur la terre, ou dans l’eau,
Et lors que je cedois à ma langueur mortelle,
J’ay repris une vie, une vigueur nouvelle
 Dans le corps d’un jeune Levraut.
Errant depuis un mois dans les plaines voisines,
Je n’ay pas ignoré les qualitez divines
 De Madame de Fontevraut.
Les échos, les oiseaux, l’eau par son doux murmure,
Tout parloit à l’envy d’un merite si haut.
Je me suis approché de la sainte closture
 Qui renferme tant de vertus,
Où luit modestement la gloire la plus pure
À qui de l’Univers les hommages soient dûs.
On me cherchoit pour vous, je me donne, on m’emmeine ;
Surpris à vostre nom d’un aimable transport,
Destiné pour vos fers, j’en ay beny le sort,
J’ay senty de vos loix la force souveraine.
Aussi vous m’allez voir soumis, apprivoisé,
Signaler pour vous plaire un cœur tout embrasé ;
Et si de mon estat chaque metamorphose
 Vous semble un conte supposé,
Et que des Siamois l’esprit est abusé,
 En croyant la Metempsicose,
Par mon exemple au moins vous ne pourrez nier
Que tous les Animaux aujourd’huy raisonnables,
Vont revenir pour vous à cet estat premier
Où le monde naissant les vit doux & traitables.
***
 Dans un sejour delicieux
 Ils reveroient l’impression des Cieux
Sur le front éclatant des nobles creatures,
Que Dieu venoit d’orner de ces dons precieux,
Et qui regnant en paix dans ces aimables lieux,
 Sans leurs superbes forfaitures
Auroient toûjours gardé ce Sceptre glorieux.
De vos premiers parens le pouvoir sans mesure
Commandoit hautement à toute la Nature,
 Tout respectoit leur presence & leur voix,
 Tout obeissoit à leurs loix.
 Si par un orgueil sacrilege
Ils ont perdu, Madame, un si grand privilege,
Vous en qui nous voyons la sainte pieté,
À tous les dons des Cieux mêler l’humilité,
Vous rentrez dans ce droit, vous le faites revivre,
Tout doit vous obeir, vous reverer, vous suivre.
***
Pour moy, c’est aujourd’huy mon plus pressant desir,
Je fais de ce devoir mon unique plaisir ;
Expirer sous vos loix est ce que je demande,
 Quand je devrois ne renaistre jamais,
Cette mort est pour moy toute pleine d’attraits ;
 Ainsi quelque sort qui m’attende,
Madame, vous pouvez dés ce mesme moment
Me donner, me livrer au divertissement
 De ces adorables personnes,
Dont l’amitié vous cherche en ce Desert charmant,
Qui reçoit de leur veuë un nouvel ornement.
Lancez sur moy soudain & Bichons & Bichonnes,
La Royale, Lion, Petitfrere, & Thisbé ;
 Quand à vos pieds vous me verrez tombé,
 Je diray, bien loin de me plaindre,
 C’estoit le destin le plus doux
 Où je pusse jamais pretendre,
De mourir à vos yeux, & de mourir pour vous.
Eh ! qui de cette mort ne seroit pas jaloux ?

[Ceremonie faite à Valogne en basse Normandie] §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 45-50

 

Le 17. du mois passé Mr le Maréchal de Bellefonds estant à Valogne en Basse Normandie, fit la cérémonie de poser la premiere pierre de l'Eglise & de l'Hospital General, étably en cette ville-là depuis peu de temps, par les soins de Mr Lailler, Docteur de Sorbonne, Curé, Doyen & Official du lieu, homme d'une fort grande vertu, & tres-zelé pour le bien des Pauvres. M l'Evesque de Coutance s'estant rendu en la grande Eglise de Saint Malo revestu de ses habits Pontificaux, la Procession se mit en marche en cet ordre. Tous les Pauvres de l'Hospital habillez de bleu alloient les premiers avec beaucoup de devotion. Ils precedoient les Capucins, les Cordeliers & tout le Clergé qui est fort nombreux, composé de Mrs du Chapitre chantant le MVeni Creator. Mr le Maréchal & Madame la Marechale de Bellefonds suivoient Mr de Coustance. Ils estoient accompagnez de Mademoiselle de Lille-Marie leur fille, de Mr & de Madame de S. Luc, de Mr l'Abbé de la Lutumiere, Frere de Madame de Matignon, & d'un tres-grand nombre de personnes de qualité. On fit le tour de la Ville, & l'on se rendit au lieu destiné à la ceremonie que l'on devoit faire. [...] La Procession estant retournée en chantant le Te Deum dans le mesme ordre qu'elle estoit venuë, on chanta les Prieres pour le Roy, après quoy toute la Noblesse qui avoit assisté à cette céremonie, se rendit chez Mr de S. Luc, Gouverneur de la Ville & du Chasteau de Valogne, où elle fut regalée d'un magnifique disné, avec autant de delicatesse que de propreté & d'abondance.

[Galanterie faite à Madame de Fourcy par Madame de Villeneuve] §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 52-58

 

Il n’y a rien de si bas qui ne soit à estimer lors qu’il vient de mains habiles. Vous mépriseriez une Souriciere, & Madame de Villeneuve, Femme de Mr Ribier de Villeneuve, cy-devant Conseiller au Parlement, a trouvé moyen d’en faire un present qui a fait bruit. Madame de Fourcy à qui elle estoit allée rendre visite, s’estant plainte de quelques Souris qui l’incommodoient, Madame de Villeneuve luy dit qu’elle avoit chez-elle une sorte de Souriciere merveilleuse pour prendre ces animaux. C’estoit un pot plein d’eau & couvert d’un ais, au milieu duquel il y avoit une petite bascule qui s’abaissoit aussi-tost que les Souris venoient manger ce que l’on mettoit dessus, en sorte qu’en tombant dans l’eau, elles se noyoient sans qu’il en pust échaper aucune. Madame de Fourcy l’ayant priée de luy envoyer l’Ouvrier qui les faisoit, Madame de Villeneuve s’engagea à luy en fournir une toute faite. Aprés qu’elle l’eut quittée, elle songea comment elle pourroit relever par quelque galanterie une chose aussi-peu considerable qu’une Souriciere. Elle chercha une belle Cuvette de fayence, fit peindre le couvercle de bois où est la bascule, & fit faire un petit Pavillon de taffetas couvert de Galons d’argent, & orné de rubans qui couvroit la machine comme une petite tente. Cette Lettre accompagna le present.

A MADAME DE FOURCY,
en luy envoyant une
Souriciere.

Importuns Animaux, de qui les troupes grises,
Courent dans les Palais, errent dans les Eglises,
Reptiles, qui cherchez les ombres & la nuit,
Que la corruption dans un égoust produit,
Souris, il n’est donc point de maison si sacrée,
Où vos griffes d’abord ne creusent une entrée ?
Il n’est donc point d’endroit si saint, si respecté,
Qui contre vous puisse estre un lieu de seureté ?
Jusqu’à l’appartement de l’illustre Artemice
Vous portez de vos dents l’insolente malice,
Son auguste presence, & son divin aspect
Ne vous impriment donc ny crainte ny respect ?
C’est trop souffrir de vous ; la mort la plus cruelle
Ne peut assez punir vostre audace rebelle.
Voicy de vostre sort l’inévitable écueil,
Nous allons voir finir vos jours & vostre orgueil.

Ce sera, Madame, par le moyen de la petite Souriciere que je vous envoye que vous viendrez à bout de ces petites insolentes qui vous font tant de desordre. Je croy qu’elles s’y prendront aisément, car on a pris toutes les mesures possibles pour la rendre juste ; il ne faut qu’un grain pour faire baisser la bascule ; je croy mesme que les Mouches s’y prendroient, si elles venoient s’y reposer. Neantmoins si quelque accident la faisoit manquer, faites-m’en avertir, j’iray aussi-tost chez vous pour y remedier, & vous témoigner combien je suis, Madame, vostre, &c.

[Description d'une grande Feste faite à Rheims] §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 59-66

 

Pendant que les uns servent ainsi l'Estat & le Roy dans ses Armées, ceux qui gouvernent les Villes, & ceux qui les font subsister par leur commerce, font tous les ans des Festes Guerrieres dans lesquelles ils s'exercent. L'une de ces Festes, qui se font presque dans toutes les Provinces du Royaume, fut faite à Reims avec grand éclat, le Dimanche 15. de Juin dernier. [...]

Les Compagnies furent regalées pendant la Marche d’une Collation tres-superbe, aprés laquelle elles se rendirent au bruit de la Mousqueterie, & de plusieurs décharges de Canon au Jardin de l’Arquebuse, où Mr le Comte de Léry, Mr Favard, Lieutenant des Habitans, & Mr Frison firent la Ceremonie de découvrir la Satuë Pedestre de Sa Majesté, érigée dans ce Jardin par les soins du mesme Mr Frison & des Chevaliers de l’Arquebuse de Reims, ce qui se passa avec des acclamations extraordinaires de Vive le Roy, & des demonstrations d’une joye universelle, ainsi qu’au bruit de la mousqueterie, & de la décharge generale du canon des remparts de la Ville. On avoit mis pour Devise à cette Statuë le Soleil entrant dans le Signe de Sagitaire avec ces mots, hospitium illustrat.

 Par tout le long de sa carriere,
Sans perdre son éclat, répandant sa lumiere,
 Sa presence en toutes saisons
Fait l’ornement des celestes maisons.
C’est ainsi qu’avec pompe entrant au Sagittaire,
 Il y porte avec soy le jour,
 Et par un bienfait ordinaire,
Il éclaire en entrant le lieu de son sejour.
 Grand Roy, c’est là nostre avantage,
 Qu’en voyant icy ton image,
Ce jardin devenu plus charmant & plus beau,
Reçoit de ta presence un éclat tout nouveau.

[Autre faite à Laon] §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 74-83

 

À deux lieuës de la Ville, on découvrit sur une hauteur deux escadrons de Cavalerie qui s'avançoient en bon ordre ; ces Escadrons étoient composez d'environ deux cens Chevaux. Leurs Commandans s'étant avancez pour complimenter les Chevaliers, & leur témoigner la part qu'ils prenoient à leur gloire, les reçurent par une salve generale. Les Chevaliers à leur teste continuerent cette route jusques au Fauxbourg de Laon, où l'on fit alte pour se rafraîchir. Cependant les Bourgeois de la Ville avertis de leur arrivée, ayant fermé dés le matin les Boutiques, se rangerent sous leurs Enseignes, & prirent les armes, conformement aux ordres de Messieurs de Ville. Toute cette Milice s'étant assemblée dans la Cour du Roy, formant un Bataillon, se mit en marche, & descendit au Fauxbourg en tres-bel ordre. Quatre Capitaines qui conduisoient le front de cette Infanterie, firent leurs Complimens à la Compagnie, & cette Milice ayant bordé la haye, salüa le Bouquet par une décharge. Les Officiers aprés avoir répondu à cette civilité, disposerent toutes choses pour continuer la marche vers la Ville. Cette Infanterie défilant en bon ordre, Tambours battans, méche allumée & Enseignes déployées, gagna insensiblement le haut de la montagne. Le Bouquet porté en triomphe par quatre hommes, étoit precedé d'une bande de Violons, dont l'harmonie jointe au carillon des Cloches, formoit un concert fort agreable. L'Argenterie gagnée au Prix General étoit portée aprés le Bouquet, & ensuite marchoient les Chevaliers & deux cens Maîtres rangez en deux files. Des Trompettes & des Timbales étoient à leur teste, & un petit Corps de reserve fermoit cette marche, avec deux Tambours qui batoient à la Dragonne. Ces Troupes étant arrivées au milieu de la montagne, furent saluées d'une décharge de Boëtes de la Ville. [...] Le reste de cette journée se passa fort galamment ; on n'entendoit par tout que cris d'allegresse, que concerts d'Instrumens, que bruit de Tambours & d'armes à feu. Le soir, le Capitaine regala la Compagnie, où se trouverent les Capitaines de Quartier. Ce regale fut suivy d'un Bal donné aux Dames, qui se retirerent bien avant dans la nuit après la Colation. Le lendemain, les Chevaliers de l'Arquebuse se rendirent en Corps à l'Eglise des Cordeliers, pour assister à une Messe solemnelle qui y fut chantée en Musique, & où se trouva presque toute la Ville, pour prendre part aux actions de graces, comme elle avoit eu part à la gloire du Bouquet. L'Oyseau ayant esté presenté le 6. de Juillet, selon la coûtme, avec le Prix, Mr Marteau, Prevost Royal, & Maire perpetuel de la Ville, accompagné de Mrs les Echevins, & des principax Habitans, tira le coup du Roy, & eut le bonheur & l'adresse, sous le Nom du plus Grand Monarque qu'il y ait au monde, de tuer l'Oyseau de ce coup, & d'estre ainsi cette année le Roy de la Compagnie.

[Guerison surprenante arrivée cette année à Bourbon, avec les noms de tous ceux qui y ont esté prendre les Eaux] §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 83-88

 

Vos Amies, à qui l’on a conseillé d’aller prendre des eaux de Bourbon, sortiront de l’irresolution qui les empesche d’entreprendre ce voyage, quand elles sçauront les Cures qui s’y sont faites cette année dans la premiere saison. Je puis vous en apprendre une des plus remarquables. C’est la guerison de Madame Chaponay, qui a un Frere Secretaire du Roy à Paris. Elle estoit Paralytique d’un costé, & sujette à de tres-fâcheuses convulsions, qui estoient la suite des cruelles vapeurs dont la malignité luy avoit tourné la bouche. Elle ne pouvoit marcher, & avoit souffert ces incommoditez durant quatre ans, toûjours avec de vives douleurs, sur tout dans l’estomac, où elle sentoit une extrême pesanteur. De là luy venoit un dégoust continuel, avec des défaillances mortelles. Enfin l’effet des eaux a esté de resoudre certe masse grossiere, & composée de matieres corrompuës. Elle en a esté delivrée par des vomissemens qui ont achevé sa guerison, Ainsi à l’heure qu’il est, elle marche droit, ne sent aucune douleur, & se trouve dans une santé plus parfaite, qu’elle ne l’a jamais euë. Mr Bourdier, tres-habile Medecin, qui l’a traitée, rendra témoignage de ce que je dis. C’est un homme extremement estimé, qui a fait un excellent Ouvrage sur les eaux de Bourbon, qu’il donnera bien-tost au Public. Il tient qu’elles sont mêlées de Nitre semblable à celuy d’Egypte, d’une essence balsamique, & d’un soufre delicat, ce qui est cause qu’elles sont propres aux maladies des nerfs, à celles de l’estomach, & sur tout du bas ventre, ouvrant les obstructions, fondant les humeurs, & fortifiant les parties foibles. Le Livre de ce sçavant Medecin contiendra toutes les curiositez anciennes & nouvelles de la Ville de Bourbon. Il observe qu’on y trouve à neuf pieds de profondeur quantité de belles Colomnes, & de pierres taillées, d’une grandeur excessive, avec des Aqueducs de six pieds de hauteur, & avec de gros tuyaux de plomb. Je vous en diray davantage lors que j’auray veu ce Livre. J’ajoûteray seulement icy que la quantité de personnes considerables qui ont esté à Bourbon dans la premiere saison de cette année, suffit pour faire connoistre à vos Amies que ces eaux continuent toûjours à estre en vogue.

Epitaphe de Monsieur le Duc de Saint Aignan §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 99-101

 

Tout le monde a esté touché de la perte que nous avons faite de Mr le Duc de S. Aignan. Je vous l’ay déja fait voir par les Vers que je vous ay envoyez sur cette mort. J’y joins aujourd’huy une Epitaphe, faite par Mademoiselle de Razilly.

EPITAPHE
DE MONSIEUR LE DUC
DE
SAINT AIGNAN.

Cy gist l’ornement & la fleur
 De l’Antique Chevalerie,
Qui des Bayards eut le bon cœur,
L’adresse & la galanterie ;
Qui soûmit à la pieté
La gentillesse & la gayeté
Du beau feu qu’il eut en partage ;
Qui fut Amy de bonne foy,
Et qui mit tout son avantage
À l’honneur de plaire à son Roy.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 101-102.

Je vous envoye des Paroles qui ont esté notées par la jeune Mademoiselle Laurent, assez distinguée par les talens extraordinaires qu'elle a pour la Danse, pour la Musique, & pour sa delicatesse à joüer du Clavessin. Elle fit chanter l'Hyver dernier quelques Ouvrages devant Madame la Dauphine, qui l'honora de son approbation.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Rien n'approche de la peine, doit regarder la page 102.
Rien n'approche de la peine
Que je souffre prés de vous.
Vous faites mille Amans, Climene,
Et je ne puis faire un Jaloux.
images/1687-08a_101.JPG

Portrait de Clarice §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 102-106

 

Il s’est fait en peu de jours tant de copies du Portrait en Vers que je vous envoye, que j’apprehende qu’il n’ait pas pour vous la grace entiere de la nouveauté. Tous ceux qui l’ont veu en ont trouvé le tour singulier, & peut-estre seroit-il bien difficile de rien faire de plus beau, pour un Ouvrage de cette nature.

PORTRAIT DE CLARICE.

J’espere que l’Amour ne s’en fâchera pas,
Assez peu de Beautez m’ont paru redoutables,
 Je ne suis point des plus aimables,
 Mais je suis des plus delicats.
J’estois dans l’âge où regne la tendresse,
 Et mon cœur n’estoit point touché.
Quelle honte ! Il falloit justifier sans cesse
 Ce cœur oisif qui m’estoit reproché.
***
Je disois quelquefois ; qu’on me trouve un visage
Dont la beauté soit vive, & dont l’air vif soit sage,
Où regne une douceur dont on soit attiré.,
Qui ne promette rien, & qui pourtant engage ;
 Qu’on me le trouve, & j’aimeray.
***
 Ce qui de plus seroit bien necessaire,
Ce seroit un esprit qui pensast finement
 Sans pretendre à ce caractere,
Qui pour estre sans art n’eust que plus d’agrément,
  Un peu timide seulement,
Qui ne pust se montrer ny se cacher sans plaire ;
 Qu’on me le trouve. & je deviens Amant.
***
On n’est pas obligé de garder de mesure
 Dans les souhaits qu’on peut former ;
 Comme en aimant je pretens estimer,
Je voudrois bien encore un cœur plein de droiture,
  Une vertu naïve & pure,
 Qu’on me la trouve, & je promets d’aimer.
***
 Par ces conditions j’effrayois tout le monde,
Chacun me promettoit une paix si profonde
 Que j’en serois moy-mesme embarassé.
  Je ne voyois point de Bergere
  Qui d’un air un peu couroucé
  Ne m’en voyast à ma Chimere.
***
Je ne sçay cependant comment l’Amour a fait.
Il faut qu’il ait long-temps medité son projet,
Mais enfin il est seur qu’il m’a trouvé Clarice,
Semblable à mon idée, ayant les mesmes traits ;
 Je croy pour moy qu’il me l’a faite exprés.
 O que l’Amour a de malice !

[Ouvrages de Fontenelle]* §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 106-107

 

Mr de Fontenelle qui a laissé échaper ce petit Ouvrage, se prepare à nous donner dans fort peu de temps un Recüeil de ses Poësies sur divers sujets. Il y a des Epitres à la maniere de celles d’Ovide, avec des Eclogues qui sont d’une tres-grande beauté, & si les Dialogues des Morts, la Pluralité des Mondes, & l’Histoire des Oracles vous ont fait admirer son heureux talent à traiter en Prose toutes sortes de matieres, je ne doute point que ce Recüeil ne vous le fasse admirer également dans la maniere agreable dont il sçait tourner les Vers.

[Galanterie faite à Ramboüillet, à M. le Comte de Thoulouse] §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 107-111

 

Monsieur le Comte de Toulouse, en allant à Maintenon, passa par Ramboüillet, où il fut receu magnifiquement par Mr & Madame d’Antin. Il y dîna, & voulut ensuite avoir le plaisir de la Promenade du Parc & des Roches, qui sont un endroit fort agreable. On luy chanta dans les Roches ces Vers que Mr de Messange avoit faits à sa loüange dés qu’il sçeut son arrivée. Ils sont sur l’Air du Menuet de l’Opera de Mr Matau.

  Un Amour
  Doux, discret & sage,
  Un Amour
  Plus beau que le jour,
 A quitté son brillant séjour,
 Pour venir dans nostre Boccage.
 Accourez, Bergers d’alentour,
Accourez tous pour luy faire la cour,
***
  Que ces Bois
  Et ce beau Rivage,
  Que ces Bois
  Dont il a fait choix,
 Aujourd’huy reçoivent ses Loix ;
 Qu’en ces lieux tout luy rende hommage.
 Doux Oyseaux, répandez vos voix,
Venez, plaisirs, venez tous à le fois.
***
  Ses douceurs,
  Aimables Bergeres,
  Ses douceurs
  Ont des traits vainqueurs.
 Contre luy conservez vous cœurs,
 Si vous pouvez estre severes ;
 Mais en vain ses yeux enchanteurs
Verront contre eux armer mille rigueurs.
***
 Qui pourroit, par toute la terre,
 S’opposer à des coups si beaux ?
 Ses yeux sont deux ardens flambeaux ;
 Son Pere lance le tonnerre ;
 Et bien-tost ce jeune Heros,
Doit mettre en feu tout l’empire des Eaux.

Ces Vers furent trouvez fort galans, & Mr de Messange eut le plaisir de les entendre loüer par la plus belle bouche du monde, puisque l’Amour n’en peut avoir de plus belle, ny estre plus beau que Monsieur le Comte de Thoulouse. Ce jeune Prince dit à l’Auteur, & cela de son propre mouvement, & avec un agrément plein de bonté, qu’il les montreroit au Roy.

[Derniere partie de la Medecine Universelle. Sur Ovide]* §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 124-125

 

Si les Oyseaux & les Animaux peuvent rajeunir, on peut conclure qu’il n’est pas impossible à l’homme de joüir du mesme avantage. En naissant nostre temperament est fort chaud & humide, & en vieillissant il devient froid & sec. Il ne s’agit donc que de reparer l’humide radical, & remettre au premier estat la trop grande secheresse des Vieillards pour reprendre le mesme temperament de jeunesse.

Il faut maintenant prouver qu’en effet plusieurs hommes ont rajeuny. Medée étant tres sçavante en Medecine, fit rajeunir le Vieillard Æson. C’est sur cela qu’Ovide a dit dans le 7. Livre des Metamorphoses, que Medée avoit fait hacher & cuire Æson, ce qu’on doit attribuer à des bains chauds qu’elle composa avec des mineraux, & plusieurs simples ou herbes.

[Madrigaux] §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 149-159

 

Il s’est fait de fort jolis Vers, ausquels l’Auteur a donné le nom de galanterie. Une Dame, quatre Demoiselles, & deux Cavaliers, que l’occasion du voisinage fait souvent rencontrer ensemble, joüoient un jour à de petits jeux. Une d’elles ordonna à un des Cavaliers, pour retirer son gage, & pour satisfaire aux loix du Jeu, de faire des Vers pour chaque Personne de la Compagnie, & on luy donna terme jusqu’au lendemain. Le Cavalier, pour executer cet ordre, envoya ces Vers à la Compagnie.

À MADAME C.

  L’art de plaire est un don charmant,
 Hereditaire en certaines Familles ;
Mere ayant comme vous, gentillesse, agrément,
  Aura toujours aimables Filles.

À MADEMOISELLE C.

Le doux son de la voix, le parler gracieux,
Est un charme dans vous qui me plaist & me touche ;
Mais n’ayez pas toûjours un air si serieux.
 Lors que vous ferez la farouche,
 Je diray que pour mon malheur,
 L’amertume de vostre cœur
 Gâte le miel de vostre bouche.

À MADEMLLE C.D.L.B.

Avoir douceur charmante & grace naturelle,
Bouche de rose, air fin, grande taille, beaux yeux,
Teint de lys, dents d’yvoire, avec que blonds cheveux,
  En un mot, estre jeune & belle,
 Pour des Voisins rien n’est si dangereux ;
Tel ne croit avec vous joüer qu’aux petits jeux,
  Qui tout en badinant s’engage,
 Et laisse enfin sa liberté pour gage.

À MADEMLLE L.G.

L’esprit vif, le cœur bon, l’air tendre, les yeux doux,
 Ne marquent pas l’indifference.
Si vous voulez sçavoir ce qu’on pense de vous,
 Je felicite par avance
 Le Mortel remply de bonheur,
 Qui pour le prix de sa constance,
 Un jour gagnera vostre cœur.

À MADEMLLE D.

Sçavez-vous bien comment en un mot on appelle
  Un tendron bien appetissant,
 Un peloton de nege ébloüissant
 Par la blancheur dont il excelle,
 Un morceau frais de lait caillé,
Un petit Ortolan, dodu, gras, éveillé,
 Que volontiers des yeux l’on mange,
Une touffe de lys, un bouquet de jasmin,
Un satin blanc & doux aux yeux comme à la main ;
Je nomme tout cela par un seul mot, du Jange.
 C’est aussi le nom de la Personne.

À Mr D.L.T.

 On ne croit boire que chopine,
 Et bien souvent on en boit deux,
 On badine avec sa voisine,
 Et l’on en devient amoureux.
 Si de vous par moy je devine,
De vous chanter cet air n’aurois-je pas raison ?
Car nous faisons tous deux ce que dit la Chanson.

ENVOY.

Vous m’avez demandé des Vers, & point de Prose,
 Belles, je voudrois qu’autre chose
  Vous m’eussiez demandé ;
Autre chose qui fust pour moy, sans vous déplaire,
 Plus doux & plus facile à faire,
Je vous aurois galamment accordé.

M.D.M.

Ces Vers donnerent lieu à un Inconnu, d’envoyer ceux qui suivent, à deux des Demoiselles de cette Compagnie.

 Plus je relis les Vers que l’on a fais pour vous,
Moins je connois celuy qui les sçait si bien faire.
 Son stile est coulant, tendre & doux,
Mais quoy que de son nom vous me fassiez mystere,
Je pretens vous donner un avis salutaire ;
Donneurs d’avis pourtant ne sont guere écoutez,
Dans la bouche d’autruy souvent les veritez
  N’ont rien qui plaise,
 Mais sans plus raisonner,
Revenons à l’avis que je veux vous donner,
  Et finissons la parenthese.
Fille jeune & jolie est un friand morceau,
 Plaisant à voir, ragoûtant à merveille,
De s’en rendre le maistre il est facile & beau,
 À qui sçait bien le prendre par l’oreille ;
 Gardez-vous des discours flateurs
 De ces dangereux Orateurs,
 Qui ne disent prés des Filletes
Que propos amoureux, que tendres chansonnettes.
Mal en prit au Corbeau d’avoir trop écouté
De son perfide amy le decevant langage :
 Le Renard fin aprés l’avoir flaté,
Luy fit tomber du bec, & mangea son fromage.

Les deux Demoiselles envoyerent ces Vers à l’Auteur des premiers, qui aussi-tost leur fit cette réponse.

Du Poëte inconnu, de l’Auteur anonyme,
 Belles, je goûte fort la rime,
 Mais non pas la raison ;
Voulant me faire croire amy suspect, j’estime
Que son avis pour vous n’est pas bien de saison.
Comme luy je découvre en vous beauté, jeunesse,
 Esprit, douceur, enjoûment, gentillesse.
 Eh bien ! croit-il qu’épris de tant d’appas
Je ressente pour vous empressement, tendresse ?
Point du tout, il se trompe, & je ne fais nul cas
  De la brune ny de la blonde ;
 De toutes deux mon cœur ne voudroit pas,
Ecoutez ma raison, & sur quoy je la fonde.
Pour avoir ce morceau friand, delicieux,
  Ce fromage misterieux
Dont parle vostre Auteur, dites-moy sans sourire,
 Qui pourroit estre un Renard assez fin ?
Pour moy, de vous j’aime mieux dire
Ce que disoit le Renard du raisin.

M.D.M.

[Relation contenant l’arrivée de l’Ambassadeur de Portugal à Manheim, son entrée à Heydelberg, la maniere dont il a esté receu à ses Audiences publiques, comment il a esté traité, & les Ceremonies du Mariage de la Princesse Marie Sophie Elisabeth de Neubourg, avec le Roy de Portugal] §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 216-220

 

Peu de temps aprés, le Comte de Castel, & le Grand Mareschal luy vinrent dire que S.A.E. l’attendoit pour le divertissement de la Comedie. Il sortit, & trouva Monsieur l’Electeur à la porte de son Appartement, d’où ils allerent ensemble à celuy de la Princesse Marie-Sophie, le Comte ayant toûjours la main droite. Monsieur l’Electeur prit la main à la Princesse sa Fille, l’Ambassadeur prit celle de Madame l’Electrice, & ils marcherent vers une Tribune qui répondoit au grand Salon où estoit le Theatre. Plusieurs Balcons que l’on avoit pratiquez sur les costez pour y placer la Cour & les Princes Etrangers, y répondoient de la mesme sorte. L’Ambassadeur avoit déja veu cette Tribune, lors qu’avant que de faire son Entrée, il alla incognito à Heydelberg ; & comme il avoit déclaré dés lors qu’il ne vouloit jamais estre assis en presence de la Reyne, ny dans les lieux où elle se trouveroit, on fut obligé de diviser la Tribune par une cloison. Ainsi elle fut separée en deux, & la Princesse qui avoit esté déja declarée Reyne, occupa dans l’une la premiere place, ayant avec elle Madame l’Electrice & les Princesses ses Sœurs, & l’Ambassadeur entra dans l’autre avec Monsieur l’Electeur. Ils furent tous deux assis dans des Fauteüils, le Comte à main droite. C’étoit une Comedie Italienne qui representoit l’édification de Lisbonne, d’où l’on descendoit par tous les Siecles qui l’ont suivie, pour venir donner des applaudissemens au mariage qui se devoit faire le jour suivant. La Piece estoit fort longue, ce qui fut cause qu’on en laissa la moitié pour un autre jour. Cette premiere partie finit par un Balet, où les Princes danserent masquez. Aprés ce Divertissement, la Princesse, l’Ambassadeur, & leurs Altesses Electorales se retirerent dans le mesme ordre qu’ils estoient venus. L’Ambassadeur ne fut pas plûtost rentré chez luy, que les Princes Frideric & Philippe l’y visiterent. Il leur rendit la visite peu de temps aprés.

[Histoire] §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 275-280

 

Les vapeurs estant devenuës fort à la mode, ont causé depuis peu de temps une avanture assez extraordinaire. Une jeune Demoiselle qui en estoit fort incommodée, avoit tant d’aversion pour les remedes, qu’elle l’etendit jusque sur un Medecin qui se vantoit d’en avoir pour la guerir. Elle balança long-temps pour prendre une medecine qu’il avoit fait preparer, & elle ne s’y resolut que pour obeïr à ses parens, qui la voulant soulager n’eurent point d’égard à ses remontrances. Ils l’obligerent encore de consentir à une saignée du bras, quoy qu’elle y eust beaucoup plus de repugnance qu’aux remedes. Ce ne fut pas tout. La saignée du pied parut necessaire au Medecin, & ce fut alors que la Demoiselle ne gardant plus de mesures, prit le dessein de n’épargner rien pour se garantir de son Ordonnance. La peur qu’elle eut de cette saignée luy causa une émotion qui luy donna un peu de fievre. On le dit le lendemain au Medecin, si-tost qu’il entra dans le logis, il monta à la chambre de la Malade qui étoit seule, mais qui n’auroit pas pour cela manqué de secours si elle en eust eu besoin, quelques-uns de ses parens estant dans un cabinet qui donnoit dans cette chambre. Le Medecin alla tout droit à son lit, & voulut d’abord sçavoir s’il estoit vray qu’elle eust de la Fiévre. La Demoiselle qui étoit alors dans ses plus fortes vapeurs, & qui ne songeoit qu’à empêcher la Saignée du pied, que le Medecin avoit ordonnée, s’abandonna toute au desir de se vanger, de sorte qu’il ne luy eut pas plûtost pris le bras, qu’elle appella du secours, & l’accusa d’avoir voulu se servir des privileges de la Medecine d’une maniere qui ne devoit pas luy estre permise. Dans le même instant, un homme d’une qualité distinguée entra dans la chambre, & voyant de l’étonnement sur le visage de l’un & de l’autre, il crut plûtost la Malade que le Medecin, qu’il ne traita pas fort civilement. Ces trois personnes animées par trois diverses raisons, firent du bruit. On vint voir ce que c’estoit, & l’on peut dire que l’innocence se vit opprimée. Comme de pareilles avantures se répandent aussi-tost, & que le plaisir qu’on prend à les raconter fait qu’on y ajoûte toûjours quelque circonstance, il a fallu quelque temps pour démêler ce qu’il y avoit de vray dans celle-cy. On a sceu enfin comment la chose s’estoit passée, & ceux qui croyoient avoir sujet de se plaindre, ont fait connoistre que l’on avoit lieu de se plaindre d’eux, & ont rendu justice à la verité, en publiant par tout qu’ils avoient esté trompez par de fausses apparences.

[Les Malheurs de l’Amour] §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 286-292

Depuis vingt années qu’on a cessé de faire des Romans, moins parce que le Public se lassoit de ces sortes d’ouvrages, que parce qu’il se trouvoit peu de Gens d’un genie assez étendu pour en faire, Mademoiselle de Scudery & feu Mr de la Calprenede ayant esté presque les seuls qui ayent reussi en ce genre d’écrire, on en a fait de plus courts, qui ne contenant qu’une Histoire particuliere, la commençoient & la finissoient dans un fort petit Volume. Quand il y a eu plus d’une Histoire, ce qui est arrivé fort rarement, le Volume n’en a pas esté plus gros. Feu Mademoiselle des Jardins, connuë depuis sous le nom de Madame de Villedieu, a fait beaucoup de ces Ouvrages, qui ont assez reussi ; mais ceux qui ont eu le plus grand succés, & qu’on peut dire l’avoir eu tout d’une voix, sont la Princesse de Montpensier, faite par une Dame de qualité du plus grand esprit, & la Princesse de Cléves, de Mr de Segrais de, l’Academie Françoise. Il s’en est fait un nouveau, intitulé Les Malheurs de l’Amour. Je vous l’envoye & ne doute point qu’aprés l’avoir leû vous ne disiez, que c’est là seulement la troisiéme Histoire qui ait merité un applaudissement general. Ce qui paroist surprenant, c’est que de tous les Ouvrages de cette nature qui ont le plus reussi, il n’y en a qu’un qui soit d’un homme. Tous les autres ont esté faits par des personnes de vostre sexe. Comme la pluspart des Dames ont l’esprit tres-delicat, elles pensent & s’expriment plus finement que les hommes quant elles l’ont juste. C’est ce que Mademoiselle Bernard a fait dans Les Malheurs de l’Amour, qu’elle a travaillez avec tout le soin possible. Elle doit les diviser en plusieurs Histoires, & celle qu’elle vient de nous donner a pour titre Eleonor d’Yvrée. Il y a une Ville de Sçavoye qui porte le nom d’Yvrée, & l’Histoire nous apprend que du temps de l’Empereur Henry II. le Marquis d’Yvrée eut grand part dans les guerres d’Allemagne. On voit dans cette premiere Histoire une vive peinture de deux Amans mal-heureux qui sont obligez de se separer pour toûjours, quoy qu’ils ressentent la plus violente passion dont on puisse estre capable. Rien n’est plus touchant, rien n’est écrit avec plus de netteté & plus de justesse : les vrais sentimens que le cœur doit avoir y sont dans leur jour, on ne luy fait sentir que ce qu’il doit naturellement sentir, & on ne dit que ce qu’il faut dire Enfin c’est un Ouvrage qui paroist tellement finy à des Connoisseurs tres-éclairez, qu’il y a grande apparence qu’on a employé beaucoup plus de temps à l’accourcir qu’à le faire. C’est un degré de perfection où peu de personnes peuvent atteindre. Il n’y a point de matiere qu’il ne soit aisé d’étendre : mais il est tres-difficile de retrancher & de se tenir dans de justes bornes qui ne laissent jamais rien dire de superflu. Ce Livre se vend chez le sieur Guerout, Cour neuve du Palais, au Dauphin.

[Remarques de Vaugelas avec des Notes] §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 292-294

Je vous en envoye un autre qu’on peut dire fort ancien & fort nouveau tout ensemble. Ce sont les Remarques de Mr de Vaugelas sur nostre Langue. Elles ont toûjours paru fort utiles pour apprendre à parler correctement, & le grand nombre d’Editions qu’on en a faites depuis plus de quarante ans en est une grande marque. Il est certain qu’on doit à Mr de Vaugelas la netteté avec laquelle on écrit presentement : mais comme il a eu des opinions particulieres & que depuis le temps qu’il a donné ces Remarques, plusieurs façons de parler qui estoient alors authorisées par l’usage, ont commencé à vieillir, quantité de Gens ont demandé ce qu’on pouvoit rejetter ou suivre. C’est ce qui a engagé Mr Corneille à faire des Nottes qu’on a imprimées avec ces remarques. Je ne vous en diray rien, sinon qu’il ne les a faites qu’aprés avoir consulté ceux qui connoissent le mieux toutes les finesses de nostre Langue. Le sieur Girard, Libraire au Palais, commence à les debiter en deux Volumes.

[L’Art de bien prononcer la Langue Françoise] §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687, p. 294-295

Comme l’on s’attache de plus en plus à tout ce qui peut perfectionner la Langue Françoise, Mr Hindret vient de donner au Public un Livre qui contient l’Art de la bien prononcer. Il n’est pas utile seulement aux Precepteurs & aux Gouverneurs qui ont de jeunes enfans sous leur conduite, mais encore à beaucoup de Gens, qui ne pouvant assez distinguer l’usage, trouveront moyen de se garantir de plusieurs mauvaises prononciations par la lecture de cette Methode. Elle est exacte, & outre les Regles qui apprennent à bien prononcer les lettres & les sillabes, elle fait connoistre la difference des sillabes longues & breves. Ce qu’il faut observer dans la prononciation des consonnes finales.

Air nouveau §

Mercure Galant, août, première partie [tome 11], 1687,p. 299-300.L'attribution de cet air à Lambert est possible grâce au XXXIe Livre d'airs de differents autheurs [...] (Paris, C. Ballard, 1688), ainsi que par les sources manuscrites F-Pn/ Rés. Vmd. ms. 302 et F-Pn/ Rés. Vma. ms. 958. L'attribution du poème à La Sablières est due à Anne-Madeleine Goulet (cf. LADDA 1688-01).

Voicy une seconde Chanson dont apparemment vous serez contente.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Iris n'est plus, mon Iris m'est ravie, doit regarder la page 299.
IRIS n'est plus, mon Iris m'est ravie.
Iris n'est plus, le puis-je prononcer,
Sans mourir y puis-je penser,
Iris n'est plus, mon Iris m'est ravie,
Quoy donc ce qui faisoit mes plus tendres amours,
Ce que je voyois tous les jours
Je ne le verray de ma vie,
Iris n'est plus, mon Iris m'est ravie.
images/1687-08a_299.JPG

[Annonce des prochaines nouvelles concernant l’Académie]* §

Mercure galant, août 1687 (première partie) [tome 11], p. 339

Je vous parleray le mois prochain de ce qui s’est fait à l’Academie, le jour de la Feste de Saint Loüis, & suis, Madame, vostre, &c.