1687

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12]. §

[Relations passées avec la Turquie et actions de Guilleragues]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 8-74

 

Puisque j’ay commencé à vous parler de l’Alliance des Rois de France avec la Cour Ottomane, je vais vous entretenir de ce que la pluspart de ses Monarques ont fait, & de ce qu’a fait le Roy. Ce n’est pas qu’il n’ait esté traversé à la Porte par ceux mesmes qu’il y obligeoit tous les jours, & que dans le temps qu’on cherchoit à condamner une Alliance dont on tiroit tant d’utilité, le Grand Visir ne refusast le Sopha à l’Ambassadeur de France. Cela marque le peu de penetration des Peuples, puisque le Roy ne pouvoit donner le mouvement aux affaires de la Porte pendant qu’il y estoit broüillé, & qu’on refusoit à son Ambassadeur ce qu’on avoit accordé à ceux de tous les Rois ses Predecesseurs. La bonté paternelle de Sa Majesté pour toute l’Europe, l’empescha alors d’en venir à une rupture entiere. Plusieurs Nations avoient recours à sa Baniere, pour continuer leur Commerce. Les Lieux Saints avoient besoin qu’il les protegeast ainsi que beaucoup de Monasteres, & tous les Chrestiens qui sont en Turquie avoient tout à craindre, si un Prince Chrestien ne fust demeuré Allié de la Porte, pour leur donner sa protection. Tandis que le Roy fait tant de bien à l’Eglise, & à l’Europe, on ferme les yeux sur tout ce qu’une genereuse pieté luy fait faire, & on le blâme de ne pas donner un secours qu’on ne veut point recevoir. Cependant ce Monarque a la bonté de souffrir que les Volontaires François grossissent toutes les Armées qui combattent contre les Infidelles. Je ne dis point de quelle utilité ils sont dans ces Armées ; les François sont connus par tout, mais on sçait distinguer aujourd’huy la valeur & l’experience de ceux qui ont appris l’Art de la Guerre sous LOUIS LE GRAND. Dans le mesme temps que Sa Majesté protege tous les Chrestiens en Turquie, & que les Volontaires François exposent leur vie dans toutes les Armées qui s’opposent aux desseins des fiers Ennemis de nostre Religion, ce Prince voulant employer tous les momens que luy procure la paix qu’il a donnée à l’Europe, cherche une troisiéme maniere de faire triompher l’Eglise, & détruit dans ses Etats une Heresie, qui loin d’avoir esté abatuë depuis plus d’un Siecle qu’on avoit toûjours travaillé à la détruire, n’avoit jamais reçû nulle atteinte qui la menaçast de son entiere ruine, que depuis le regne de Loüis XIV. Si ce Monarque en a triomphé, & s’il a protegé les Chrestiens en Turquie, ces avantages qu’il a remportez pour la gloire de l’Eglise, ne sont deus qu’à sa conduite. On a voulu traverser ce qu’il a fait en France pour la Religion, par des Ligues, qui luy suscitant de nouvelles Guerres, l’auroient empêché d’agir, & il n’est rien que l’on n’ait mis en usage pour le broüiller avec Sa Hautesse pendant les démêlez qu’il avoit à Constantinople pour le Sopha ; ce qui auroit attiré la ruine des Lieux Saints, avec celle de toutes les Eglises qui sont en Turquie, & d’un nombre infiny de Chrestiens, la Religion devant aux Rois de France depuis François I. toute la protection qu’elle a trouvée dans les Etats du Grand Seigneur, laquelle a esté de beaucoup augmentée sous le regne de Sa Majesté, comme je pretens vous le faire voir. Cependant je croy devoir vous apprendre pourquoy le Grand Vizir demeura si long-temps sans terminer l’affaire du Sopha qu’il estoit prest d’accorder, & qui n’avoit jamais esté refusé par les Vizirs ses Predecesseurs. Voicy les termes d’une Lettre qui fut écrite alors par une personne digne de foy,

Le Vizir, quoy qu’avec peine, sembloit s’y resoudre, mais les Nations Etrangeres, jalouses des prosperitez de la France, dont elles n’avoient pû empescher les Conquestes, firent leurs efforts pour empescher que l’Ambassadeur n’eust une Audience qu’ils desesperoient de pouvoir obtenir de la mesme maniere, & qui le mettoit si fort au dessus d’eux. Ils employerent pour cela tous les moyens imaginables, & firent entendre au Vizir, que le Comte de Guilleragues n’avoit point d’ordre de l’Empereur son Maistre de demander le Sopha ; qu’il agissoit de luy-mesme, & de son seul mouvement ; que si la France avoit eu un pareil dessein, elle ne l’eust pas envoyé avec un seul Vaisseau, comme elle avoit fait, & que tous les autres Ambassadeurs estant toûjours venus accompagnez de quatre ou cinq autres, dans un temps que le Roy n’avoit presque point de forces maritimes, il n’y avoit pas d’apparence que maintenant qu’il est si puissant par Mer, & par Terre, il envoyast demander le Sopha avec si peu d’appareil.

Le Résident d’une Puissance étrangere que je ne veux point nommer, & qui estoit alors à la Porte, assuroit, que le Roy ne songeoit qu’à entretenir une bonne correspondance avec le Grand Seigneur, & qu’il en passeroit par tout où le Vizir voudroit ; que toute l’Europe se liguoit contre luy, & qu’il n’avoit garde de commencer une Guerre où il ne pouvoit employer que des efforts impuissans, estant assez empesché à resister à ses Ennemis de delà.

Toutes ces raisons persuaderent le Vizir, dont l’orgueil ne consentoit qu’avec peine à accorder un honneur que ses Predecesseurs n’avoient jamais disputé, & qui d’ailleurs voyoit à craindre pour sa teste s’il ne soutenoit pas ce qu’il avoit entrepris, la politique des Ottomans estant de ne ceder jamais rien. Voilà quel est le caractere de la pluspart des hommes. Souvent, lors qu’ils croyent agir pour leurs interests & pour leur gloire, ils travaillent contre ces deux choses. L’orgueil du Vizir, luy fait hazarder non seulement d’avoir la honte de disputer inutilement ce qu’il est ensuite contraint de ceder, mais encore de perdre la teste, pour oser mal à propos, exposer la Porte à cet affront, & les Princes qui font agir leurs Ministres à Constantinople, y veulent ruiner le credit d’un Monarque, qui s’en sert autant pour leurs interests, que pour le sien propre. Ainsi le chagrin qu’ils ont de luy devoir quelque chose, l’emporte sur les avantages qui en reviennent à la Religion, & sur l’utilité que leurs Sujets en reçoivent. On luy devroit volontiers, si les obligations qu’on luy a n’estoient pas si éclatantes, & ne servoient pas à faire paroistre sa grandeur ; elle blesse trop les yeux, & il faut tout sacrifier pour luy porter quelque atteinte.

Enfin le Ministre que le Roy avoit à la Porte y ayant esté traversé pendant prés de cinq années par ceux mesmes qui publioient avec peu de vray-semblance, comme le démeslé du Sopha le fait voir, que ce Prince regloit tous les mouvemens de cette Cour, fut accommodé à là gloire du Roy, & Mr le Comte de Guilleragues alla à Andrinoples où il eut Audience du Grand Visir, & du Grand Seigneur, non seulement avec de plus grands honneurs qu’on n’en fait à tous les Ambassadeurs des Testes couronnées, mais qui surpassoient mesme ceux qui avoient esté faits jusques alors aux Ambassadeurs de France. Je ne vous fais point icy le détail de toutes les Ceremonies de ces Audiences, qui s’y font ordinairement, parce que je vous en ay donné une tres-exacte description dans mes Lettres de ce temps-là. Je vous diray seulement ce qui se passa de nouveau à la gloire de la France, & de Mr le Comte de Guilleragues, & les nouveaux honneurs qu’il receut, comme si on eust voulu luy faire connoistre qu’on luy rendoit avec plaisir la justice qu’on luy avoit si long-temps deniée.

Les Grands Vizirs avoient toûjours choisy eux-mesmes le jour qu’ils vouloient donner ces Audiences, & envoyoient dire aux Ambassadeurs d’y venir, d’une maniere qui approchoit fort du commandement. Le Grand Vizir envoya prier Mr de Guilleragues d’y venir le jour qu’il luy marquoit, en cas que rien ne l’en empeschast. Le Lieutenant General des Spahis n’avoit jamais esté au devant d’aucun Ambassadeur, & il alla au devant de luy. On remarqua mesme que le Chaoux Bachi n’avoit jamais esté si loin qu’il alla le recevoir, ny avec une suite si nombreuse. Mr de Guilleragues eut Audience dans la Chambre où le Grand Vizir reçoit Sa Hautesse, & jamais on n’y avoit receu d’Ambassadeur. Le Vizir entra en mesme temps que luy, quoy qu’il ait toûjours accoûtumé de se faire attendre, & le Café qu’on ne donnoit jamais aux Ambassadeurs qu’aprés que le Grand Visir l’avoit receu, leur fut presenté dans un mesme temps. A l’égard des Vestes le nombre fut de trente, au lieu qu’il n’avoit toûjours esté que de vingt ou vingt & une. Quant à ce qui regarde l’Audience du Grand Seigneur, Sa Hautesse n’avoit jamais esté entierement découverte en recevant un Ambassadeur, c’est-à-dire, qu’Elle avoit toûjours esté à demy cachée dans son Trône, & Elle y parut à découvert pendant l’Audience qu’Elle donna à Mr de Guilleragues. Elle fit plus, Elle luy parla & écouta sa harangue toute entiere, au lieu qu’Elle ne parle jamais aux Ambassadeurs, dont la coûtume est de commencer seulement leur harangue, aprés quoy ils la donnent par écrit. Les Ambassadeurs n’avoient pas eu le pouvoir jusque-là de faire entrer plus de trois personnes, & Mr de Guilleragues eut l’avantage d’estre accompagné de sept ou huit, sans y comprendre trois Religieux, du nombre desquels estoit le Procureur de la Terre-Sainte. Sa suite eut aussi dix ou douze vestes de plus qu’on n’en donne à celle des Ambassadeurs. Toutes ces ceremonies furent écrites par le Tescrihfat Emini ou Maistre des ceremonies, pour servir de reglement à l’avenir, & Mr de Guilleragues demanda qu’elles ne fussent pas seulement écrites dans le Ceremonial, mais aussi dans les Archives de l’Empire. Sa suite eut encore trente vestes à l’Audience dans laquelle il prit congé du Grand Visir. On ordonna vingt quatre chevaux & autant de chariots pour conduire son Equipage à Constantinople, quoy que les Ambassadeurs y doivent retourner à leurs dépens. Il obtint prés de quatre-vingts Commandemens & Barats ou Lettres de la Porte pour des Marchands François Negocians au Levant, pour les Eglises des Catholiques qui sont dans les Estats du Grand Seigneur, pour les Missionnaires establis en differents endroits, pour les Eglises de Galata, & pour les Religieux établis au S. Sepulchre & à Bethléem. Il faut remarquer qu’outre l’avantage que l’Eglise & le Commerce reçoivent de ces nouveaux Commandemens, il y a d’anciennes Capitulations qui sont renouvellées de temps en temps, & que les Commandemens dont il s’agit, en sont ou de nouveaux articles, ou des ordres pour faire executer ceux ausquels les Officiers du Grand Seigneur avoient contrevenu en des lieux éloignez de la Porte. On voit dans ces anciennes Capitulations combien toute l’Europe estre redevable à la Baniere de France, dont toutes les Nations se servoient, la France seule entretenant alors un Ambassadeur à la Porte pour le bien de tant de Peuples, & pour empescher la ruine des saints Lieux, & les Rois de France en ayant esté remerciez par plusieurs Brefs des Papes, comme je vous le feray voir dans la suite. Je ne vous envoye point les anciennes Capitulations, parce qu’elles sont imprimées en beaucoup d’endroits, mais voicy les Commandemens obtenus par Mr de Guilleragues peu de temps avant sa mort, & que vous ne trouverez pas ailleurs que dans cette Lettre.

LISTE
DES COMMANDEMENS obtenus à la Porte par Mr le Comte de Guilleragues pendant son séjour à Andrinople.

POUR LE CAIRE.

I.

Vn Commandement autorisé de la main du Grand Seigneur, portant que les Marchands de la Nation Françoise au Caire n’ayent pas à payer pour leurs Marchandises plus de trois pour cent de Doüane, & qu’au cas que les Doüaniers pour augmenter leurs avantages veüillent estimer les Marchandises plus qu’elles ne valent, ils soient obligez de recevoir de la Marchandise en payement au lieu d’argent.

L’avantage de ce Commandement est tres-considerable, puisque les Marchands n’ont plus à payer que trois pour cent, au lieu de trente qu’ils ont payé jusqu’icy.

II.

Vn Commandement autorisé de la propre main du Grand Seigneur, pour rendre nul l’accord fait par le sieur du Seglas Consul du Caire, touchant le party du Sené qui portoit chaque année un prejudice tres-considerable à la Nation du Caire, avec défense de la charger pour l’avenir de l’achapt de cette Marchandise & autres contre la volonté des Marchands ; de plus de ne pas se saisir des Piastres Levelianes qui viennent sur les Bastimens François, & d’en rendre l’équivalent, en pareille & autres Monnoyes, au prejudice des Negotians de la Nation Françoise.

Par ce Commandement la Nation du Caire épargne huit à dix mille Ecus pour le party du Sené, & profite de quatorze pour cent qu’elle perdoit sur l’échange de ses Monnoyes.

III.

Vn Commandement contre Selim Kiaia de la Milice du Caire, pour l’obliger à la restitution de mille cinq cens piastres qu’il a prises mal à propos sur des Bastimens François arrivez à Alexandrie, en vertu d’une Promesse du sieur Rohanet Medecin, qu’il luy avoit arrachée des mains, & qu’il a maltraité pour avoir porté ses plaintes au Bacha du Caire, avec ordre s’il fait difficulté de rendre cette somme, qu’il sera conduit à la Porte pour rendre compte de son procedé.

Ce Commandement sera considerable pour empescher que l’on ne fasse à l’avenir de semblables avanies aux François.

IV.

Vn Commandement contre les Corsaires de Barbarie, c’est à dire de Tunis, d’Alger & de Tripoli, pour empescher leurs Pirateries, voulant entrer dans les Ports, & s’avancer sous les Forteresses du Grand Seigneur pour se saisir des Bastimens François qui y seront, avec ordre à tous Officiers & Agas des Chasteaux qui sont à la Marine, de les défendre & proteger contre leurs insultes, portant de plus que s’il arrive que les Corsaires enlevent de ces Bastimens, Marchandises & Personnes Françoises, & les menent dans leurs Ports, ils ayent à faire rendre lesdits Bastimens, Marchandises & Personnes Françoises qui seront mises en liberté sans aucune contradiction.

Ce Commandement est tres singulier & tres extraordinaire, n’ayant jamais esté accordé jusqu’à present, & fera qu’à l’avenir les Commandans des Forteresses maritimes du Grand Seigneur seront plus vigilans à proteger les Bastimens François, pourveu que les Consuls ayent soin de le faire bien valoir.

V.

Vn Commandement portant que les François faits Esclaves se trouvant au Caire, ou à Alexandrie, soient renvoyez à la Porte avec leurs Patrons, pour voir & examiner la cause de leur captivité, & les mettre en liberté, s’ils ont esté faits Esclaves mal à propos.

Ce Commandement est aussi d’une grande consideration pour les Esclaves François qui se trouvent dans les Pays éloignez de la Porte, que leurs Patrons aimeront mieux abandonner que d’entreprendre un si long Voyage.

VI.

Vn Commandement au Bacha du Caire pour faire transporter la Nation Françoise du vieux Fondique où ils sont mal logez, dans un lieu plus commode prés de la Marine & de la Doüane, pour y loger plus commodement.

VII.

Vne Lettre du Grand Visir au Bacha du Caire, pour donner plus de force aux Commandemens qui luy seront signifiez.

Cette Lettre est pour declarer la volonté du Grand Seigneur au Bacha du Caire.

VIII.

Vne Lettre d’Itassan Efendi Kiaia de la Sultane, au mesme Bacha du Caire, sur le mesme sujet.

POUR SAIDE.

IX.

Vn Commandement pour la Nation Françoise établie à Saide, portant que les Marchands ne soient point interrompus ny molestez voulant faire leurs fonctions comme ils ont fait de tout temps dans deux Chambres de Frondique où ils demeurent, pretendant qu’ils sont obligez de payer cinq cens piastres chaque année, comme on leur a fait payer injustement pour leur permettre d’y faire leurs fonctions, avec ordre au Bacha present, de restituer les cinq cens piastres qu’il a prises pour ce sujet.

Les Marchands François avoient toûjours porté cette somme chaque année à cause du service qu’ils faisoient.

X.

Vn commandement pour le mesme Bacha, lequel l’oblige de recevoir toutes les especes de Monnoyes qui passent au tresor du Grand Seigneur, & ne pas pretendre des piastres Levelianes au lieu d’Aslanes pour le droit de la Doüane, comme il a fait par le passé, & qu’il ait à rendre quatre cens trente piastres qu’il a prises au delà de ce qui luy estoit dû pour le droit de la Doüane.

XI.

Vn commandement portant que des François faits Esclaves se trouvant dans ledit lieu, soyent envoyez à la Porte avec leurs Patrons.

XII.

Vn commandement contre les Corsaires de Barbarie, c’est à dire de Tunis, Alger & Tripoly, comme cy-dessus.

XIII.

Vn Commandement adressé au Bacha & au Cadis de Saide pour l’execution des Capitulations & des Commandemens obtenus en faveur d’icelle, tant pour le present que pour le passé.

XIV.

Vne Lettre du Grand Visir au Bacha de Saide portant qu’il ait à executer ponctuellement toutes choses conformément aux Capitulations & aux Commandemens de la Porte.

POUR RAMA.

XV.

Vn Commandement contre le Bacha de Gaza lequel, inquietoit les Marchands François, les obligeant de prendre de la cendre par force, avec défense de ne les pas inquieter à l’avenir en les obligeant de prendre semblables Marchandises ou autres par contrainte, & moins encore de pretendre une seconde Douane de leurs Marchandises ayant payé une fois à Saide, à Saint Jean d’Arce & autres Echelles, qui ne sont point de sa dépendance.

POUR ALEP.

XVI.

Vn Commandement contre les Corsaires de Barbarie, c’est à dire de Tunis, d’Alger & de Tripoli, qui viendront aux Ports d’Alexandrie, &c. comme cy-dessus.

XVII.

Vn Commandement portant que des Corsaires faits Esclaves se trouvant ausdits lieux, seront envoyez à la Porte avec leurs Patrons, comme cy-dessus.

XVIII.

Vn Commandement adressé au Bacha & au Cadis d’Alep, pour l’execution des Capitulations, & de tous les Commandemens obtenus tant en faveur d’icelles que presentement.

POUR SATALÉE.

XIX.

Vn Commandement contre les Corsaires de Barbarie, c’est à dire, de Tunis, Alger & Tripoly, qui viendront dans le Port de Satalée, &c. comme cy-dessus.

XX.

Vn Commandement portant que les François faits Esclaves se trouvant audit lieu, seront envoyez à la Porte avec leurs Patrons, comme cy-dessus.

XXI.

Vn Commandement adressé au Bacha & au Gadis de Satalée pour l’execution des Capitulations, & de tous les Commandemens accordez, tant par le passé que pour le present.

POUR LA MORÉE.

XXII.

Vn Commandement contre les Vaisseaux de Barbarie, c’est à dire, de Tunis, d’Alger, & de Tripoly, qui viendront dans les Ports de la Morée, comme cy-dessus.

XXIII.

Vn Commandement portant que les François faits Esclaves se trouvant audit lieu, soient envoyez à la Porte, comme cy-dessus.

XXIV.

Vn Commandement adressé au Bacha & Cadis de la Morée, pour l’execution des Capitulations, comme cy-dessus.

POVR L’ISLE DE CANDIE.

XXV.

Vn Commandement contre les Vaisseaux Corsaires de Barbarie qui abordent aux Ports de ladite Isle, comme cy-dessus.

XXVI.

Vn Commandement portant que les François faits Esclaves se trouvant dans ladite Isle, soient envoyez à la Porte, comme cy-dessus.

XXVII.

Vn Commandement qui confirme le Hoget ou Sentence de la Maison que le Sieur de Rouviere possede à la Canée, laquelle quelques Creanciers de celuy qui la luy a venduë pretendent s’aproprier, sous pretexte que la Maison devoit payer & satisfaire aux dettes du Vendeur qui estoit mort.

XXVIII.

Vn Commandement pour la mesme Maison, lequel oblige tous ceux qui voudront y demeurer, d’en payer un loüage honneste, & deffend que des Bachas & Officiers y logent sans rien payer, comme il s’est pratique par le passé.

XXIX.

Vn Commandement au Bacha & Cadis de ladite Isle, d’executer ponctuellement les Capitulations & tous les Commandemens accordez, tant par le passé que pour le present.

POUR L’ISLE DE CHIPRE.

XXX.

Vn Commandement portant que le Consul ne soit pas inquieté à l’avenir par les Bachas & Cadis de Chipre qui pretendoient sept & huit cens Piastres de presens, ayant pour ce sujet maltraité le Consul & les Marchands, mais qu’il se contente de recevoir à l’avenir ce qui leur sera presenté volontairement, & sans aucune contrainte.

XXXI.

Vn Commandement contre le Musselom & le Defterdar de l’Isle de Chipre, portant qu’ils ayent à ne point inquieter le Consul, pretendant qu’il leur fasse des presens en qualité de Consul des Nations Etrangeres, encore moins de contraindre de recevoir trois ou quatre Janissaires à sa porte, comme ils pretendoient l’y contraindre.

XXXII.

Vn Commandement portant que les Bastimens François puissent prendre trente pour cent de Douane lors qu’ils voudront acheter des Provisions pour leurs Bastimens.

XXXIII.

Vn Commandement portant qu’aucun des Officiers n’ait à inquieter les Reverends Peres Capucins sur ce qui regarde leurs fonctions.

XXXIV.

Vn Commandement contre Zatir Mehemmet Bey de Famagousse, portant qu’il n’ait pas à s’ingerer du Consul & du Drogman, en leur faisant des menaces, & moins encore d’empescher les Bastimens qui voudront prendre des Provisions dans les Ports, d’en sortir dehors & de faire leurs affaires.

XXXV.

Vn Commandement contre les Vaisseaux Corsaires de Barbarie, c’est à dire, comme cy-dessus.

XXXVI.

Vn Commandement pour l’execution des Capitulations, & de tous les Commandemens accordez tant par le passé que pour le present, en faveur des Marchands François dans l’Isle de Chipre.

POUR SMIRNE.

XXXVII.

Vn Commandement pour Isaac, Jacob, David, Termento & Moyse, Cardosso, Iuifs, qui sont sous la protection de France, portant qu’ils ayent à payer la Doüane comme les François, & joüir des mesmes Privileges.

XXXVIII.

Vn Commandement pour Moyse Colocastro, Damis Alvarez, Abraham Mosé, & Jacob Sestre, Juifs qui sont sous la protection de France, qui porte qu’ils payeront les droits de Doüane de la mesme maniere que les Marchands François.

XXXIX.

Vn Commandement pour Damis Soria Molé Dias Samuël Isaac, & Samuël Lartri, Marchands Juifs, portant qu’ils joüiront des mesmes Privileges que les Marchands François.

XL.

Vn Commandement pour Samuël Bripoto, & David Agiar, Marchands Juifs, portant qu’ils joüiront des mesmes privileges que les Marchands François, & payeront les mesmes droits de la Douane de la mesme maniere que lesdits Marchands François les payent.

XLI.

Vn Commandement contre les Vaisseaux de Barbarie, c’est à-dire, comme cy-dessus.

XLII.

Vn Commandement pour l’execution des Capitulations de tous les Commandemens accordez tant par le passé que pour le present, en faveur des François établis à Smirne.

POVR CHIO.

XLIII.

Vn Commandement contre les Vaisseaux Corsaires qui aborderont au Port de Chio, portant qu’ils soient empeschez d’y exercer leurs pirateries, entreprenant d’y prendre des Bastimens François qui se trouvent dans les Ports & sous le canon, comme cy-dessus.

POVR LE VOL.

XLIIII.

Vn Commandement contre Halis Aga Vaivode, pour luy faire rendre quatre cents cinquante piastres que son serviteur luy a mises entre les mains, les ayant derobées au sieur Bremont, de mille que le serviteur avoit volées, lesquelles furent confessées & avouées par ledit Halis Aga, & luy faire rendre de plus autres deux cens cinquante piastres, que ledit Bremont luy avoit prestées.

POVR BABILONE
ET MOVSSOVL.

XLV.

Vn Barat pour Mr Piquet, portant qu’il puisse exercer son Consulat dans les deux Provinces de Bagdad & de Moussoul.

XLVI.

Vn Commandement pour M. Piquet, portant qu’il pourra faire du vin dans la Ville de Bagdad, & en faire venir de dehors sans empeschement.

XLVII.

Vn Commandement pour ledit M. Piquet, portant qu’il pourra faire du vin dans la Ville de Moussoul, & y en faire venir de dehors sans empeschement.

XLVIII.

Vn Commandement pour le Bacha de Bagdad, portant qu’il ait à confirmer ledit M. Piquet dans le Consulat.

XLIX.

Vn Commandement pour le Bacha de Moussoul, portant qu’il ait à confirmer ledit M. Piquet dans le Consulat.

POVR CONSTANTINOPLE.

L.

Vn Commandement portant, que les Marchands François pourront charger des Marchandises à Selivrée, Rodosto, Heradée, Panorme, & autres échelles pour les porter à Constantinople par Caïques sans avoir à payer qu’une seule Doüane, soit à Constantinople, soit sur les lieux où ils auront acheté lesdites Marchandises.

LI.

Vn Commandement portant, que les Bastimens François aprés avoir chargé à Constantinople, voulant aller charger en d’autres échelles en deça des Châteaux comme Rodosto, Selivrée, &c. & hors du Chasteau dans les échelles qui sont de la dépendance du Doüanier de Constantinople, il ne leur sera fait aucun empeschement par les Doüaniers, mais qu’on les laissera aborder & prendre des Marchandises en payant la Doüane.

LII.

Vn Commandement contre le Martasib, Capigi, Isakgi, & autres Officiers qui sont dans les échelles de Selivrée, Rodosto, Panorme & autres, portant que les Marchands François & autres qui iront acheter des Marchandises, ne payeront aucune autre dépense, excepté une seule Doüane, conformément aux autres Capitulations.

LIII.

Vn Commandement contre le Douanier de Constantinople, lequel faisoit difficulté de recevoir les sequins, scherifs & autres monnoyes courantes pour le droit de la Douane dû par les Marchands François, portant qu’il ait à l’avenir à recevoir toutes sortes d’especes de monnoyes qui entrent dans le trésor du Grand Seigneur.

LIV.

Vn Commandement portant, que le Douanier de Constantinople n’ait pas à s’ingerer des hardes & Presens qui viennent de la Chrestienté adressée à l’Ambassadeur de France, voulant les visiter, & en pretendre le droit de Douane.

LV.

Vn Commandement contre le Kiaia des Droguistes, portant qu’il n’ait pas à empescher la vente des Marchandises que les François voudront vendre à qui il leur plaira, pretendant les acheter à un prix plus bas.

LVI.

Vn Commandement portant, que ceux qui tirent le droit de Meseterie à Galata, n’ayent pas à pretendre plus de droit que celuy qui se trouve écrit dans le Commandement qui a esté fait conformément à ce qui a esté fait dans le Registre.

LVII.

Vn Commandement portant, qu’à l’avenir les Bastimens François n’ayent pas à estre retenus trois jours aux Chasteaux, comme il se pratiquoit cy-devant, mais qu’ils ayent à estre expediez le mesme jour qu’ils seront arrivez.

LVIII.

Vn Commandement contre les Vaisseaux Corsaires de Barbarie qui aborderont à Constantinople, portant qu’ayant des prises Françoises, sçavoir de Bastimens, hardes, marchandises & des François, ils ayent à rendre les marchandises, &c. & les François qu’ils auront faits Esclaves.

LIX.

Vn Commandement adressé au Capitan Bacha, portant qu’il fera justice aux Reverends Peres Capucins qui estoient dans l’Isle de Pathmos, lesquels ont esté maltraitez par les Soldats du Bey de l’Isle de Stanchis dans leur Hospice, puis menez dans leurs Galiotes & mis aux fers, ayant payé cent piastres au Bey pour estre relâchez.

LX.

Vn Commandement au Capitan Bacha, portant qu’il ait à faire délivrer le Capitaine Isnardon de Mazzamame.

LXI.

Vn Commandement pour l’Eglise de Panorme, portant que le Cadis dudit lieu n’ait pas à donner information à la Porte du procedé d’un Turc Hadgi, lequel ayant sa maison contiguë à la muraille de ladite Eglise, a usurpé sur le mur & basty une Chambre, voulant s’en rendre maistre sous pretexte que cette Eglise appartient aux Venitiens.

LXII.

Vn Commandement pour les Reverends Peres Jesuites, portant qu’ils ayent à jouir des biens de leur Eglise de Saint Benoist, se faisant rendre compte de l’administration des premiers qui les ont eus cy-devant en maniement, & commettant tels Particuliers qu’ils voudront pour l’administration de leurs biens, & qu’ils ne soient pas inquietez pour payer les contributions.

LXIII.

Vn Commandement pour les Reverends Peres Jesuites, portant qu’ils puissent aller demeurer dans tous les lieux & Provinces de l’Asie, pour enseigner la Doctrine chrétienne aux Sujets du Grand Seigneur, comme Grecs, Armeniens, Cophtes, Syriens & autres Nations, sans qu’ils puissent estre empeschez ny inquietez par qui que ce soit.

LXIV.

Vn Commandement pour l’Eglise de saint François, portant que l’Evesque & les Religieux ayent la liberté de faire leurs fonctions & de jouir des biens de leur Eglise, & qu’ils ne soient pas inquietez pour les contributions.

LXV.

Vn Commandement pour faire venir quatre mille litres de vin pour les Marchands François & pour les Religieux.

LXVI.

Vn Commandement pour pouvoir ensevelir ou enterrer les Morts dans les Eglises de Galata, qui sont en propre aux François.

On n’avoit pû obtenir ce Privilege.

LXVII.

Vn Commandement que les François & Religieux ne payeront point de contributions pour leurs maisons & pour leurs Convents.

LXVIII.

Vn Commandement pour le Sieur Estienne Bonery, qui oblige les Iuifs ses debiteurs de se transporter à Constantinople, pour y voir vuider leurs causes au Divan.

Le Sieur Bonery, Marchand, est Venitien, & ses affaires doivent estre terminées au Divan.

LXIX.

Vn Barat pour Moyse Trana, Drogman à Constantinople.

LXX.

Vn Barat pour le sieur Frangouli, Consul de Gallipoly.

LXXI.

Vn Barat pour Ouannelle, Drogman à Constantinople.

LXXII.

Vn Barat pour le Sieur Staurino, Drogman à Smirne.

LXXIII.

Vn Barat pour Remal Juif, Drogman à Gallipoly.

LXXIV.

Vn Commandement pour l’établissement d’un Four à Galata, pour faire du pain pour les François.

LXXV.

Vn Commandement pour Gabai Juif, pour estre sous la protection Françoise, & joüir des Privileges aux Doüanes.

[Arcs de triomphe]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 240-242

 

Dans la Court estoient deux Arcs de triomphe chargez des Armes & du Portrait de Sa Majesté. Au dessous de celuy qu’on voyoit à l’entrée de la Chapelle, il y avoit une grande toile peinte en bleu, sur laquelle on avoit écrit ces Vers Latins en Lettres d’or.

Vive diu terris, expectatumque serenus
Sparge diem, LODOIX, summo cui munere Divûm
Lux data, de nostris longum neat Atropos annis,
Dum nos accepti memores, plenique futuri,
Interea votis intenti adstabimus aris,
Non sine farre pio, & festi libamine vini.

[Messe célébrée par Gasparo Gasparini, évêque de Spiga]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 254-261

 

Sur les dix heures du matin, Mr l'Ambassadeur qui vouloit marquer par une pompe extraordinaire qu'il alloit rendre graces à Dieu du plus grand bien dont la France luy puisse jamais estre redevable, sortit de son Palais pour se rendre dans la Chapelle. La marche de sa Maison commença par ses Janissaires qui avoient leurs Mitres & leurs Bastons garnis d'ivoire. Sa Livrée parut ensuite. Elle estoit suivie de douze Enfans de Langue Françoise vestus à la maniere du Pays, & aprés eux marchoient les Drogmans, & à quelque distance Mr l'Ambassadeur, precedé de son Ecuyer, & suivy de ses deux Secretaires. Mr l'Abbé Girardin menoit Madame l'Ambassadrice. Les Marchands François & Venitiens qui se maintiennent à Constantinople sous la Protection de Sa Majesté, marchoient immediatement aprés la suite de Mr l'Ambassadeur. Ils étoient conduits par Mr Fabre, Agent du Commerce & la marche fut fermée par les plus notables des Corps de Mestiers de la Nation en fort grand nombre.

Leurs Excellences furent receuës à la porte de l'Eglise par le Pere Custode des Capucins, & aussitost on donna le signal pour la décharge de toutes les Boëtes. Elle fut suivie de celle de toute l'Artillerie des Bastimens, comme la premiere fois. Aprés que tous ceux qu'on avoit mandez pour assister à cette Ceremonie, eurent esté placez par l'Officier que Mr l'Ambassadeur avoit chargé de la conduite de cette superbe Feste, Messire Gasparo Gasparini, Evesque de Spiga, & Vicaire Patriarchal de Constantinople, parut revestu de ses Habits Pontificaux avec la Crosse & la Mitre, precedé de son Clergé, & alla se mettre à genoux auprés de l'Autel où le S. Sacrement estoit exposé. Il celebra ensuite la Messe, où la Musique & les orgues ne manquerent pas, selon ce qui se pratique aux Festes solemnelles. Aprés l'Offertoire, ce Prelat s'avança vers la balustrade, & s'estant assis auprés d'une table, sur laquelle on avoit mis un Missel, à l'endroit de l'Oraison pour le Roy, il fit un tres-beau discours en langue italienne, pour faire voir aux François l'obligation où ils estoient de rendre graces à Dieu, de ce qu'il avoit conservé ce grand Monarque, & prolongé par là le plus beau regne qui fut jamais. Il ajoûta que quelques grandes qui soient les merveilles dont on parlera dans l'Histoire de sa vie, son regne ne paroistroit pas si éclatant, s'il n'avoit purgé son Royaume de l'Heresie de Calvin. Il finit son disours en l'adressant aux Etrangers qui étoient venus dans cette Chapelle en fort grand nombre, & il leur dit qu'il sufffisoit d'estre né Chrestien, pour s'interesser à la gloire d'un Prince, qui protegeoit l'Eglise, au milieu mesme de ses Ennemis ; qu'au reste il n'entreuprenoit point de loüer Mr l'Ambassadeur, qui estoit l'instrument dont Sa Majesté s servoit pour rendre les Infidelles traitables, parce qu'il estoit persuadé que les grandes qualitez que l'on admiroit chez luy ne pouvoient estre dignement loüées que par le choix du sage Monarque qui l'avoit envoyé à Constantinople pour y respresenter sa Personne, & pour soûtenir l'éclat de ses actions dans le plus vaste Empire du monde.

Ce Discours estant finy, M. l'Evesque continua la Messe, & à l'élévation du S. Sacrement, les Boëtes firent une troisiéme décharge. Après la Messe ce mesme Prelat entonna le Te Deum, qui fut chanté par la Musique ainsi que l'Exaudiat, & pendant ce temps, on fit une décharge continuelle tant des Boëtes dans le Jardin du Palais, que du Canon dans le Port.

[Te Deum chanté par les esclaves français]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 268-270

 

Les pauvres Esclaves François qui sont dans le Bagne du Grand Seigneur, eurent part à cette FesteI. Ils receurent une aumône extraordinaire de M. l'Ambassadeur, & ils résolurent entre eux d'en faire un usage auquel il ne s'attendoit pas. Ils chanterent un Te Deum pendant la nuit, & il fut suivy d'un repas proportionné à l'aumône. Ils burent à la santé du Roy leur Prince naturel, au nom duquel ces miserables se flatent de l'esperance de sortir un jour de leur esclavage. Comme le Bagne est une Prison, dont ceux qui y sont entrez ne sortent jamais, vous serez surprise d'apprendre qu'il y ait des François, & demanderez pourquoy ils n'en sortent point, puisque le Roy est en paix avec Sa Hautesse, & qu'il en obtient tous les jours la liberté de plusieurs Esclaves.

J'ay à vous répondre, que ceux qui sont dans le Bagne, y sont du consentement même de Sa Majesté, à cause qu'ils ont esté pris en piratant, non seulement sans l'aveu, mais contre la volonté de ce Monarque. D'ailleurs on peut dire que le Bagne est moins une Prison qu'une Ville. Les Prisonniers y travaillent, & l'argent qu'ils gagnent, tourne à leur profit. Plusieurs d'entre-eux tiennent Cabaret, & quelques-uns mesme y ont fait bastir des maisons qui sont fort agreables, & tres-bien meublées.

[Six derviches se présentent à l'ambassadeur]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 271-272

 

L'aprésdînée on passa une heure au Jeu, & ce fut un agreable divertissement de voir dans les courts un mélange de Juifs, de Chrestiens, de Turcs, de Maures, de Perses, d'Arabes, & d'Armeniens. Sur les six heures, six Dervis, ou Moines Turcs, qui avoient eu la curiosité de voir la Feste, se presenterent à Mr l'Ambassadeur, & luy dirent qu'ils estoient venus en qualité de Voisins, & non de Dervis, pour prendre part au Donanma. Mr Girardin leur en expliqua le sujet en Langue Turque, qu'il parle parfaitement bien, & ordonna qu'on les conduisist dans une chambre retirée, où l'Eau de vie ne leur fut pas épargnée, non plus que le Rossolis. On les vit tourner au son des Flûtes & des Tambours avec beaucoup de vitesse.

[Danses turques chez l'ambassadrice]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 272-275

 

Au sortir de cette chambre, on entra dans l'appartement de Madame l'Ambassadrice, où toutes les Dames estoient à visage découvert, rangées autour d'une table, pour voir un autre divertissement que les Chinghis donnerent à la Compagnie. Ce sont des Turquesses instruites dés leur enfance à toutes sortes de danses, & de postures. Elles n'en firent point d'indecentes, parce que Madame l'Ambassadrice avoit dit à l'Ustacaden, ou Maistresse, qu'elles ne seroient point payées si elles osoient se licencier. Il y en avoit toûjours quatre qui joüoient de la Fluste, du Tambour que nous appellons de Basque, du Cimbalum, ou du Boina, qui est un Instrument semblable à celuy qu'on attribuë au Dieu Pan, tandis que les autres dansoient. Elles firent des recits extravagans, mais ce qu'il y eut de curieux, fut une espece de Bal, que l'on appelle Matraque. Ces Femmes le danserent en calçon & en pourpoint, tenant d'une main une petite rondache d'airain, de la grandeur d'une assiete, & de l'autre un baston de cormier, avec lequel elles se frapoient devant & derriere sans se voir. C'estoit une activité pareille à celle des Forgerons, lorsqu'ils battent le fer sur une enclume. Elles paroient tous les coups avec une adresse qui ne se peut exprimer, & quoy que les Spectateurs craignissent pour elles, il n'en arriva aucun accident.

[Entrevue de l’ambassadeur de France et d’Emmanuel de Melchisedet, archevêque de Van]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 281-286

 

Le mesme jour, Emanuël de Melchisedet, Archevesque de Van, dans l’Armenie Majeure, & qui fait sa residence ordinaire à Kossiaff dans le Monastere de Sainte Marie, qu’on dit avoir esté basty par l’Apostre S. Barthelemy, vint avec une suite de cent Armeniens, son Bâton Pastoral garny d’or & de pierreries à la main, témoigner à Mr l’Ambassadeur la joye que sa Nation avoit conceuë du rétablissement de la Santé du Roy, à la conservation duquel elle est d’autant plus interessée, que les Armeniens passent presentement les Mers avec toute sorte de seureté sous la Baniere de France. Il offrit en mesme temps de se réünir à l’Eglise Romaine sous la protection de Sa Majesté, & d’inspirer de tout son pouvoir les mesmes sentimens à son Patriarche. Mr l’Ambassadeur le remercia du zele qu’il avoit marqué pour le Roy, & aprés luy avoir répondu de la protection qu’il demandoit, il luy fit avoir une Conference avec Mr Gasparini, Vicaire Patriarchal. Ce Prelat receut sa Profession de Foy, & luy permit de sacrifier dans les Eglises Latines. Il commença le Dimanche 20. d’Avril par la Chapelle du Palais de France, où il celebra la Messe en habits Pontificaux, pour remercier Dieu de la grace qu’il luy avoit faite de se réünir à l’Eglise Romaine. La Chapelle estoit ornée de riches Tapisseries, & l’Autel paré d’un tres grand nombre d’argenterie, avec quantité de Cierges. Il y eut un concours extraordinaire de monde à cause de la nouveauté des ceremonies qui sont fort differentes des nostres. Cet Archevesque pria pour nostre Saint Pere le Pape, & pour Sa Majesté Tres-Chrestienne, mais en sa Langue vulgaire, ayant fait traduire les Oraisons qui sont dans nos Livres, qu’il lut sur un papier volant. Aprés la Messe, Mr Girardin traita avec beaucoup de magnificence l’Archevesque de Van & le Vicaire Patriarchal, & donna ses ordres pour faire traiter au Convent des Capucins les Prestres Armeniens, avec les autres Principaux de cette Nation, qui estoient au nombre de quarante.

On connoist par la réünion de cet Archevesque de quelle utilité il est pour la Religion, que le Roy ait un Ambassadeur à Constantinople, puisque non seulement elle y est protegée par ce pieux & sage Monarque, mais que mesme elle y fait souvent de grands progrés.

[Marche turque]* §

Mercure galant, Ambassades à Constantinople, août 1687 (seconde partie) [tome 12], p. 291-296, 323-334 [extraits]

 

La Cour du Grand Seigneur ne paroist jamais plus pompeuse que gand elle sort de Constantinople. C'est là que toute sa magnificence se déploye, Aussi les Turcs renvoyent à cette ceremonie, comme à celle dans laquelle on peut mieux remarquer la richesse de leur Empire. Plusieurs Voyageurs en ont écrit, mais aucun n'en a donné une juste idée. Vous la trouverez dans ce que j'ay tiré des Memoires de cette mesme personne touchant une sortie qui se fit le Lundy 27. Octobre 1680. Ce jour là à la pointe du jour, le Topigi Bachi commença la marche monté sur un cheval Arabe couvert d'une housse en broderie d'or, à la teste de deux cens Canonniers armez d'un Mousquet & d'un Sabre. Ce Bacha commande à tous les Canonniers de l'Empire, & la Charge est comme celle de grand Maître de l'Artillerie en France. On vit ensuite une Compagnie de Cuirassiers, le Gebeigi Bachi leur Colonel à la teste. Le Kichayabey les suivoit, & marchoit devant trois ou quatre cens Janissaires, le mousquet sur l'épaule armez du Sabre & du mousquet, & allant sans ordre. Le Kichayabey est ce que nous appellons Lieutenant Colonel. Cette Charge ne se donne qu'à des Officiers des Janissaires, & c'est ordinairement aux plus anciens dans le service. Ils ne la possedent pas plus de trois ou quatre ans, & sont faits Bacha en la quittant. Autrefois ils restoient dans le Corps des Janissaires, & leur credit estoit si grand que quand ils vouloient ils renversoient les Sultans de leur Trône, faisoient trancher la teste au Visir, & à leur Aga, & n'avoient enfin qu'à commander aux Soldats pour estre obeis, parce qu'ayant esté élevez avec ces Soldats, ils en estoient aimez avec excés ; mais Cuproli à qui leur trop grand pouvoir fit ombrage, & qui connoissoit qu'il estoit dangereux de demander la teste à des hommes deffendus par tant de milliers de bras, trouva moyen de les perdre en leur faisant de l'honneur. Il les dispersa dans les Gouvernemens qu'il leurs restes se trouvant en sa puissance, il affoiblit autant qu'il voulut cette Milice. Le Cologlou paroissoit ensuite avec cinquante hommes à cheval, le mousqueton appuyé sur l'arson de la Selle, & ils marchoient les premiers avec les Trompettes, quatre Timbales, quatre Hautbois, & deux hommes joüants d'Instrumens semblables à ceux que les Bacchantes frappent les uns contre les autres. Le Caïa les suivoit sur un beau cheval couvert d'une tres-belle housse, & marchoit à la teste de cinquante Ichoglans au Pages bien montez. Ils avoient tous des Vestes de Satin jaune, & la cotte de maille les couvroit jusqu'à la moitié des cuisses. Une écharpe de taffetas de différentes couleurs en broderie & un Carquois de velour brodé or & argent leur pendoient au costé droit, & au gauche ils avoient l'Arc dans un étuy aussi brodé de diverses couleurs. Leurs testes estoient couvertes d'un pot de fer entouré d'un Turban blanc, d'où pendoit une espece de cornette faite avec des mailles qui leur tournant autour du visage se ratachoit sous le menton, & couvroit le col & les épaules. Ils avoient des brassars & des gantelets d'acier, & la lance à la main. Le reste de la Maison composé de trente ou quarante personnes suivoit chacun d'eux ayant le Carquois brodé d'or. Chaque Officiers avoit cinq ou six chevaux de main couverts de belles Housses, conduits par des Officiers à cheval qui les suivoient.

[...]

Le Samedy 25. du mesme mois [Octobre], le Janissaire Aga sortit de Constantinople pour aller aux Tentes, qui en estoient à deux lieuës. Un Officier ayant la cotte de maille, les brassars & les gantelets d'acier, le carquois brodé d'or, & l'arc dans un etuy de mesme parure, marchoit à la teste; monté sur un tres-beau cheval couvert d'une housse qui pendoit à la droite en broderie d'or & d'argent. Il avoit un bonnet ombragé d'une grande airette, Trois Officiers couverts de cottes de mailles tres-bien montez, portoient des Drapeaux aprés luy. Les Sacaz assez bien montez marchoient derriere. Ce sont les Porteurs d'eau, qui de peur que les Troupes n'en manquent, font extremement considerez. Leurs Habits estoient de toile cirée, & leurs chevaux portoient deux grands coffres pleins d'eau. Ces coffres estoient aussi de toile cirée. Deux mille Janissaires armez, le Mousquet sur l'épaule & le Sabre au costé, marchoient ensuite par pelotons & sans ordre. On distinguoit seulement les Cuisiniers qui marchoient à la teste, un couteau au côté. Ils étoient vêtus d'une grande Souquenille de maroquin noir, brodée pardevant. Les Janissaires ne réussissent pas à se servir du Mousquet. il y en eut quantité qui ne purent venir à bout de le tirer, & les plus adroits etoient un demy quart d'heure à y mettre le feu. Trente-trois Officiers passablement bien montez, portoient des Enseignes, & marchoient devant une troupe de Dragons à pied, couverts de peaux de Tigre. Quarante-deux Capitaines fort bien montez, & armez de cottes de mailles, d'arcs & de fléches, le bonnet en teste couvert d'une aigrette, venoient devant le Janissaire Aga. Sa Veste estoit brodée d'or pardevant & sur les manches. Il montoit un cheval noir couvert d'une grande housse brodée d'or, de Perles & d'Emeraudes. Plusieurs Officiers à cheval le suivoient, ainsi que trente ou quarante Ichoglans ou Pages, vestus de Vestes de Satin de trois couleurs, jaune, vert, & couleur de cerise, armez de cottes de maille dorées, & de lances, & ayant le pot de fer en teste entouré d'un Turban de ces differentes couleurs. Les chevaux éstoient couverts de housses garnies de lances d'argent. La Musique fermoit cette marche. Elle estoit composée de six Trompettes, de six Timbales, de douze Hautbois & de quatre hommes qui touchoient des especes d'Instrumens, que nous appellons Niacards.

Le Lundy, le Grand Saigneur sortit de Constantinople pour aller à ses Tentes, & il y arriva à midy. C'est la sortie dont je vous ay fait la description. Sa Maison estoit de pieces de drap rouge & bleu, bordé avec un galon jaune. Une espece de muraille à creneaux, haute de six pieds, enfermoit un Place ovale plus grande que la Place Dauphine. Avant que d'entrer on voyoit à gauche un petit Pavillon rond qui est destiné pour le Bourreau, & où l'on tranche la teste. A la gauche estoient les Seigneurs, & à l'entrée, un Kiosque ou Balcon garny de Brocard & de Satin, & élevé de vingt pieds, d'où le Grand Seigneur vient quelquefois voir l'Armée. Un Tapis de Perse broché d'or couvroit le bas, & des Carreaux de Satin rouge brodez d'or & de perles ganissoient tout le tour de ce Balcon. L'escalier pour y monter estoit tapissé de Drap de mesme couleur & un grand Pavillon d'une espece de Feutre gris qui ne perce point à la pluye, galonné rouge & bleu, & doublé de Damas couleur cerise, le couvroit. Un peu plus avant dans l'enceinte estoit une Tente longue de huit ou dis pas, où l'on expose les Testes des Bachas que Sa Hautesse demande. L'on entroit aprés cela dans une Tente garnie d'un Sopha, dont les coussins estoient de velours broché d'or. De cette Tente, on entroit dans une autre, longue de plus de vingt-cinq pas, qui sert de Salle de Conseil. Une Estrade élevée d'un demy-pied occupoit presque toute cette Tente, & ne laissoit que trois pieds d'espace tout autour. Cette Estrade estoit couverte d'un grand Tapis de Perse, & au bout de l'Estrade on voyoit un Sopha élevé de quatre ou cinq pieds couverts de brocard, les coussins aussi de brocard brodé de Perles. De grands rideaux de brocard tournoient tout autour. Un Tabouret de la mesme étoffe estoit sur l'Estrade à gauche proche du Sopha. Le dedans de ces Tentes est uen espece de Camelot rayé fort, surbrodé de fleurs & de compartimens à la Mosaïque. ces fleurs sont faites de satins & taffetas de diverses couleurs rebrodées avec de petits galons jaunes, & quelques canetilles d'or. En sortant de cette Tente, on voit trois Pavillons qui forment un triangle, & c'est dans celuy du fond que couche le Grand Seigneur? Des treillis de bastons dorez portent par dedans à hauteur d'appuy d'autres bastons dorez qui soûtiennent d'espace en espace de la hauteur de douze pieds une petite Corniche posée dessus, & qui entoure le Pavillon. D'autres bastons qui prennent sur la corniche, se viennent emboister dans un cul de Lampe doté qui pend au milieu & forment une espece de Parasol. Un damas rouge à fleurs tapisse le derriere de ces bastons. La terre est couverte d'un très beau tapis, & le Sopha pareil à celuy de la Salle d'audience, entouré d'un Pavillon de brocard de perle d'or & argent, sert à coucher le Sultan. Un grand Rideau Damas doublé du mesme brocard separe ce Pavillon en deux. Le Pavillon qui est à la droite sert aux necessitez, & celuy qui est à la gauche sert de Bain. Le dedans de ces deux Pavillons est de Damas rouge; ils sont couverts, & les Tentes sont de mesme étoffe que le dessus du Kiosque. Le Visir & tous les Bachas avoient leurs Tentes toutes assez magnifiques autour de celle que je viens de vous décrire.