1687

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13]. §

Sur le nouveau Canal de la Riviere d’Eure. Ode §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 1-8

 

Je vous obeïs, Madame. Vous voulez voir l’Ode qui remporta le Prix il y a quelques mois à l’Academie Royale d’Angers, & je vous l’envoye. Elle est de Mr Magnin, & comme elle regarde le Roy, & que je n’ay jamais manqué de vous rapporter quelqu’une de ses actions au commencement de toutes mes Lettres, elle en tiendra lieu dans celle-cy.

SUR LE NOUVEAU CANAL
DE LA
RIVIERE D’EURE.
ODE.

Vieux Flateurs des grandeurs humaines,
Lors que vous chantiez vos Heros,
Nous sçavons avec quelles gesnes
Vous nous déguisiez leurs défauts.
Revenez au Siecle où nous sommes ;
En LOVIS, le plus grand des hommes,
Vous pourrez voir avec plaisir,
Loin qu’il faille orner son Histoire,
Que dans les beaux traits de sa gloire
On a de peine qu’à choisir.
***
 Toutes les Nations surprises
De ce qu’il vient leur enseigner,
Contemplent dans ses entreprises
Vn beau plan de l’art de regner.
Mais quand sa force se mesure
Avec celles de la Nature,
Lors qu’il commande aux Elemens,
Que sçavent-elles si du Monde
Cette seule cause seconde
Gouverne tous les mouvemens ?
***
 Vne grandeur ambitieuse
Avec des efforts moins puissans,
Eust de l’Antiquité flateuse
Receu les honneurs de l’encens.
Eust-on veu de cette maniere
Forcer le cours d’une Riviere,
Elever son Lit jusqu’aux Cieux,
Sans dire d’une voix commune
Que L’EVRE, déclaroit Neptune
Le plus puissant de tous les Dieux ?
***
 Mais par combien d’autres merveilles
LOVIS les a-t-il effacez !
En trouvera-t-on de pareilles
Dans les évenemens passez ?
Les Mers, les Fleuves, les Fontaines
A ses volontez souveraines
Se soumettent avec plaisir.
L’EVRE soumise les écoute,
Et changeant de lit & de route,
Semble se haster d’obeïr.
***
 Passant de nouvelles Campagnes
Avec des efforts inoüis,
Elle forcera les Montagnes
Pour se rendre auprés de LOVIS.
Prenant part au mesme avantage
Ses Nymphes hasteront l’Ouvrage ;
Celles de la Seine à leur tour,
En accourant à leur rencontre,
Feront une superbe montre
De leur zele & de leur amour.
***
 De cette hauteur triomphante
Les Poissons verront les Oyseaux
D’une aisle timide & tremblante
Fendre l’air plus bas que les eaux.
Les Tritons, du haut des Cascades
Precipiteront les Naïades
Se joüant dans les jours sereins,
Et roulant dans les Mers ensemble,
A ce grand nom qui les assemble
Feront tressaillir les Dauphins.
***
 Montez donc, que l’on vous suspende,
Belles Eaux, sur ce haut terrain ;
Le Heros qui vous le commande
A bien fait obeïr le Rhin.
Il n’entreprend rien qu’il ne fasse,
Le Tibre changeroit de place,
Et s’il l’avoit mesme entrepris,
Par un renversement étrange,
On verroit l’Euphrate & le Gange
Arroser les murs de Paris.
***
De la superbe Babylonne,
Cachez-vous, Iardins suspendus,
Dans ce dessein qui nous étonne
Vos droits si fameux sont perdus.
Peut-estre estoit-on équitables
Quand on vous trouvoit admirables ;
Mais pouvoit-on se figurer
Que L’EVRE en ce Siecle où nous sommes,
Par son cours feroit que les hommes
Cesseroient de vous admirer ?
***
 Sur cet eau si délicieuse
Les Cignes nageant dans les airs,
Pour braver l’Aigle audacieuse
Accourront de tout l’Vnivers.
Vn Heros plus grand qu’Alexandre,
Leur faisant quitter le MEANDRE,
A l’abry de ses douces Loix
Ils ne craindront point que la foudre
Du traistre plomb & de la poudre
Les fasse chanter aux abois.
***
 Mais à peine dans ma carriere
Ie commence à me soutenir,
Qu’on me montre la Loy severe
Qui m’annonce qu’il faut finir.
Hastez, Riviere fortunée
Hastez l’heureuse destinée
Qui fait chanter les beaux esprits ;
Montée au sejour du tonnerre,
Sur tous les Fleuves de la Terre
Vous aurez seurement le prix.

Priere pour le Roy §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 8-9

 

PRIERE
POUR LE ROY.

En chantant de LOVIS les vertus heroïques,
Seigneur, nous vous prions de nous le conserver,
Par tout on vous en fait des prieres publiques,
Icy c’est une Loy que l’on doit observer.
De ce juste devoir chacun de nous s’acquite,
Il est l’unique espoir de nos felicitez,
Le moyen que nos vœux ne soient pas écoutez ?
Si nos Chants ne sçauroient épuiser son merite,
Croirons-nous de pouvoir épuiser vos bontez ?

[Reflexions & doutes sur l’âge de 400. ans que l’on attribuë à un homme de ce temps] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 57-58

 

Plusieurs Autheurs prophanes n’ont pas laissé de mettre sur les rangs une foule d’hommes qu’ils assurent avoir vescu, deux, trois, quatre, cinq, six, sept & huit cens ans, & mesme un millenaire entier, mais comme dit Pline en traitant de cette matiere, ou ces Ecrivains ont pris plaisir à debiter de pures Fables, ou ils se sont trompez, en faisant de l’Esté un an entier, & de l’Hyver un autre, ou bien de chaque Saison, comme faisoient les Arcadiens, dont l’année n’estoit composée que de trois mois. Ainsi prenant le temps selon nostre division, nous trouverons peu d’hommes depuis Noé, qui ayent vescu plus de cent quarante ans.

[Theses où sont gravées dans un grand nombre de Cartouches presque toutes les grandes actions du Roy] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 81-98

 

Les Merveilles de la Vie du Roy sont si grandes, & fournissent tant & de si belle matiere, qu'on ne se contente pas de faire voir la grandeur de ce Monarque dans des discours recitez publiquement, ou imprimez ; on tâche encore de les faire paroistre de mille manieres ingenieuses. C'est ce que l'on peut connoistre en jettant les yeux sur une These de Philosophie qui vient d'estre publiée. On y voit d'un seul coup d'oeil tout ce que Sa Majesté a fait en faveur de la Religion Catholique, & toutes les actions de graces renduës à Dieu par les Peuples pour le rétablissement de sa Santé, avec les réjoüissances qui les ont accompagnées, & ce qu'il y a de surprenant, c'est que chaque action est marquée par un passage de l'Ecriture qui semble avoir esté fait exprés pour le sujet, tant il vient naturellement. Cette These fut soutenuë le Vendredy 18. de Juillet, au College Royal & Archiepiscopal des Jesuites de Rouën, par Mr l'Abbé Dulion de Poinsson, natif de la Guadaloupe. [Liste de noms] Vous jugez bien que les loüanges du Roy furent le sujet de ce Compliment. Le Soutenant s'acquita de cette action avec un applaudissement general. Cette These est la derniere qui ait esté gravée cette année par le Sieur Estienne Gantrel, un des plus excellens Graveurs de Paris. Comme elle a esté répanduë en beaucoup de mains, & qu'elle est fort recherchée pour les Inscriptions qui en accompagnent les ornemens, je ne doute point qu'elle ne soit parvenuë jusque dans vostre Province. Ainsi je croy qu'il ne sera pas inutile de vous en envoyer la description, pour en rendre l'intelligence plus facile. Tous les ornemens qui l'embelissent, sont destinez à faire voir que le Roy ayant donné des soins au parfait établissement de la Religion dans son Royaume, le Ciel l'a conservé, en le delivrant d'une maladie dont les suites estoient à craindre. Ainsi le Titre general de cette These est.

LUDOVIO MAGNO

Religionis Assertoridinitus servato.

Les premiers Bas-reliefs representent ce que ce grand Prince a fait pour la Religion Catholique. Il l'introduit dans un Temple, où les Heretiques abjurent leurs erreurs, où l'on rétablit les Images, & le Culte divin. C'est ce qu'il a fait à Strasbourg, & en plusieurs autres endroits de l'Alsace. Au dessous de la Religion on lit ces mots du Cantique des Cantiques.Introduxit me Rex et au dessus du Temple, ces paroles du Livre d'esth. Praecepit Rex ut ita fieret. Le Roy l'a ainsi ordonné. Ces paroles font allusion à la Declaration par laquelle le Roy supprime l'Edit de Nantes au mois d'Octobre 1685.

A la droite de ce grand Bas-relief, on voit le Temple de Charenton démoly, & les Livres des Heretiques brûlez ou supprimez, avec ces mots de l'Histoire des Rois.Excelsa abstulit. Il a osté les Temples de l'impiété. Sur la gauche les Ministres sont chassez, & leur fuite est exprimée par ces mots de Saint Paul. Timuerunt Regis Edictum. Hebr. 12. Ils ont craint la Declaration du Roy.

Au second Bas-relief, le Roy, les Princes, les Prelats, & les Magistrats, adorent le Sauveur dans l'Auguste Sacrement de l'Eucharistie, avec une modestie & un respect, que l'exemple du Roy & ses ordres font exactement observer. Les paroles sont du Pseaume 21. Adorabunt in conspestu ejus omnes familia.

Au troisiéme Bas-relief, le Roy destine des Predicateurs & des Missionnaires pour l'instruction des Réünis, comme l'expliquent ces mots de Saint Paul.Et ipse dedit Pastores, & Doctores in opus Ministerii. Ephef. 4.

Au dessous du grand Bas-relief est une Carte de France éclairée du Soleil, qui ne dissipe les Tenebres avec ces mots.Sedentibus in tenebris lux orta est eis. Et au dessous on lit ces trois mots de la Genese, Terra labii unius, par lesquels on apprend, que la France est à present toute Catholique par les sois de Sa Majesté.

Comme tous les Bas-reliefs de ce costé sont employez à representer les actions de pieté qui ont esté faites pour le rétablissement de la santé du Roy, l'autre costé represente les réjoüissances publiques, les Festins, les Cavalcades, les Bals, les Ballets, les Feux d'artifices, les illuminations, & les autres spectacles. Le premier est pour les actions de Theatre, les concerts de Musique, & les Cavalcades, avec ces mots de Judith.Omnes populi gaudebant in organis & Cytharis.

Dans les Academies & dans les Colleges on a recité des Harangues, des Poësies & plusieurs autres compositions à la loüange du Roy, sur l’exemple de l’Academie Françoise. Benedixerunt Deum, qui salvat sperantes in se. Dan. 3.

[Statuë du Roy élevée à Poitiers avec une description de toutes les Réjoüissances publiques qui se sont faites en cette occasion] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 122-202

 

Comme la France n'a jamais eu de Heros plus digne de l'immortalité que LOUIS LE GRAND, elle n'a jamais eu aussi tant d'émulation qu'elle en fait paroistre à luy ériger des Statuës, & à faire fraper des Medailles qui puissent conserver les traits du visage de ce Prince, & faire voir à la postérité la plus reculée cet air de Majesté qui anime sa Personne, & qui est meslé de tant de douceur. Parmy les Villes qui ont demandé instamment la permission d'ériger des Monumens, qui leur puissent mettre devant les yeux ce qu'elles ont le plus profondement gravé dans le coeur, celle de Poitiers s'est distinguée. Les Marchands qui y font un Corps considerable, touchez d'une juste reconnoissance des bienfaits qu'ils reçoivent tous les jours de Sa Majesté, pour la protection qu'Elle donne aux Arts & au Commerce, resolurent d'en donner quelques marques exterieures en luy élevant une Statuë sur la porte du lieu où ils s'assemblent pour rendre la justice, mais Mr Foucault, Intendant de la Province, dont vous connoissez le parfait attachement pour tout ce qui regarde la gloire du Roy, leur ayant conseillé de rendre ce Monument public, & de l'ériger dans une Place, où estant plus en veuë, il fist mieux connoistre leur zele, ils entrerent dans son sentiment, & aussitost le Corps de Ville au nom de tous les Habitans de Poitiers, choisit la plus belle Place pour y élever ce Monument, qui est une Statuë du Roy en pied, dans une attitude noble, majestueuse, & digne du Prince qu'elle represente. [Suit une description de la statue, de son piédestal et des inscriptions gravées dessus.]

On peut dire que ce Monument est tel, qu'il y a sujet d'applaudir au zele de ceux qui l'ont erigé, & à l'habileté de Mr Giroüard Sculpteur, qui en a entrepris l'execution. Le vingt-cinquiéme jour d'Aoust ayant esté fixé pour cette Feste, on se prepara à la signaler par des réjoüissances extraordinaires, & la Place qui estoit autrefois le vieux Marché, & que l'on appelle presentement la Place Royale, ainsi que le marque la seconde Inscription, se trouva décorée de la maniere que je vay vous l'expliquer. Quatre Arcs de Triomphe la fermoient aux quatre ruës qui y aboutissent. Le premier étoit dedié au Roy par ces mots.

LUDOVICO MAGNO

BELLI PACISQUE ARBITRO

Il estoit composé d'un grand Portique, & de deux moindres de chaque costé & élevé dans toutes les regles & toutes les proportions de l'Architecture. La Corniche qui estoit soutenuë sur quatre Pilastres d'ordre Corinthien, portoit un Buste du Roy sur un Trophée d'Armes avec cette Inscription.

Nunc unâ in sede morantur, Majestas & Amor.

Deux figures de femme à demy couchées accompagnoient ce Buste. L'une representoit la France appuyée sur l'Ecusson de ses Armes, jettant un regard vers le Buste avec ces mots d'Horace.

Serus in Caelum rederas.

dans l'autre, la Ville de Poitiers estoit representée dans la mesme attitude, avec ces parole du mesme Poëte.

Hic ames dici Pater atque Princeps.

Sur les deux Portiques deux grands Tableaux occupoient l'espace qui estoit entre leur ceintre & l'architrave. L'un representoit la Discorde enchaînée avec ces mots.

Pace terrâ marique imperatâ.

On voyoit dans l'autre Tableau l'Heresie qui expiroit, avec ces paroles,

Extinctâ toto Regno Haerefi.

Quantité de Festons & de Cartouches remplis de Devises, ornoient les autres endroits de ce premier Arc de triomphe.

Le second qui répondoit à celuy-ci, estoit de la mesme structure, dédié à Monseigneur le Dauphin, avec cette Inscription.

DIGNO LODOICI MAGNI FILIO.

DELPHINO AUGUSTO.

Le Buste de ce jeune Prince estoit élevé sur le Fronton, avec ce mot,

Gentis deliciae.

A l'un des costez estoit Mars, avec ces Paroles,

Tanto Lars gaudet Alumno.

A l'autre on voyoit Minerve, que ces mots faisoient connoistre.

Altricem agnosce Minervam.

Deux Devises estoient dans de grands tableaux sur les deux petits Portiques. La premiere avoit pour corps un Tourne-Sol élevé sur les autres fleurs d'un Parterre, tourné à l'ordinaire du costé du Soleil, & ces mots pour ame,Aspicit, & formam simul induit, pour dire que Monseigneur se forme sur les exemples du Roy, qu'il a toûjours devant les yeux, comme le modele de bien regner. La seconde Devise estoit un Buste qu'une main polit & perfectionne. Ces paroles luy servoient d'ame,Sero persectior exit, pour faire entendre que Monseigneur, sous la conduite du Roy devient tous les jours plus accomply, & qu'il en sera de luy comme d'un Ouvrage, qui ayant esté longtemps sous la main d'un excellent Ouvrier, attire l'admiration dé qu'il commence à Paroistre.

Le troisiéme Arc ed Triomphe estoit dedié à Madame la Dauphine avec cette Inscription.

AUGUSTAE

LODOICI MAGNI NURUI.

Le Buste de cette Princesse estoit élevé sur le Fronton, & la Devise suivante faisoit comprendre qu'elle fait la joye & le bonheur de la France. C'estoit un sep de Vigne, chargé de raisins avec ces mots. Multo populis dat gaudia partu.

Le dernier Arc de Triomphe estoit en l'honneur de Monseigneur le Duc de Bourgogne, de Monseigneur le Duc d'Anjou, & de Monseigneur le Duc de Berry. Leurs trois Bustes en faisoient le principal ornement, l'Inscription estoit,

AMANTISSIMIS

LODOICI MAGNI NEPOTIBUS.

Comme ils sont d'un sang qui n'est pas capable de se mentir, toute la France les regarde avec des yeux pleins d'esperance pour un heureux avenir. C'est ce qu'on avoit tâché d'exprimer par une Devise dont le corps estoit un grand Arbre, auprés duquel il y en avoit un moindre qui poussoit trois rejettons. Elle avoit ces mots pour ame,Magnus erit mensura Minorum.

Ces quatre Arcs de Triomphe faisant déjà un tres-bel effet dans la Place, elle fut encore ornée de quantité de Theatres pour la Musique, pour les Spectateurs & pour les Trompettes. Celuy de la Musique representoit le Mont-Parnasse. Les Muses y estoient placées en divers endroits, & Apollon élevé sur un Piedestal, sembloit les animer à chanter les Loüanges de LOUIS LE GRAND, & les asseuroit en mesme temps de l'aveu & de la protection de ce Monarque, par l'Inscription qui suit.

ILLIMEA CARMINA CURAE.

Au haut du Theatre des Trompettes estoit une Renommée la Trompette à la main avec ces paroles, Nil mortale loquar, pour dire que ce qu'elle publieroit du Roy, deviendroit l'admiration de l'Univers, & l'entretien de tous les Siecles.

Comme le Corps des Marchands avoit grand part à cette Feste, il y eut un Theatre particulier dressé pour eux, & ce Theatre servit à la décoration de la Place, ainsi que les autres. Mercure, le Dieu du Negoce, y estoit élevé sur une pyramide, sur laquelle ont avoit peint des trophées des divers Instrumens qui sont propres aux Marchands. Quatre Figures qui representoient des Arts, occupoient les quatre coins, le tout accompagné de Devises & d'Inscriptions qui convenoient au sujet. Toute la Place estoit environnée d'autres Theatres, qui outre leur décoration particuliere, estoient agreablement ornez d'une quantité prodigieuse de Personnes de l'un & de l'autre Sexe, que le bruit de ce qu'on devoit faire à Poitiers, avoit attirées des autres Villes. Celuy des Ecoliers parut fort brillant. Les Peres Jesuites, dont vous connoissez le zele pour toutes les choses qui regardent la gloire du Roy, souhaitant qu'ils entrassent dans cette Feste, & qu'ils contribuassent autant qu'ils pourroient à luy donner de l'éclat, les avoient fait dresser depuis quelque temps à l'exercice des armes, & en avoient fait une Milice aussi propre qu'elle parut bien reglée ; de sorte que ce fut un spectacle fort divertissant de les voir tous rangez en bon ordre sur le Theatre qu'on leur avoit préparé. Il estoit bordé de demy-piques & de Drapeaux de differentes couleurs, & cela faisoit une face tres-agreable.

Trois Devises attachées en differens endroits de la Place, faisoient connoître que la Statuë qui donnoit lieu à cette solemnité, ne doit pas faire seulement l'ornement de la Ville, mais que les Habitants la regardent encore comme leur Divinité Tutelaire, puis qu'elle les met par là d'une façon plus particuliere sou la protection de Sa Majesté. La premiere estoit une fontaine jallissante au milieu d'un Parterre, avec ce mot, Ditat & ornat. La seconde, une colomne soutenant une voute, & ces paroles pour ame, Num quam sic sussulta cadet, & la troisiéme, un Soleil sur un champ couvert d'épics. Ces deux mots luy servoient d'ame, Aspectu foecundat.

La Place ayant changé de nom depuis l'érection de la Statuë, on avoit exprimé ce changement par une Emblême qui se trouva peinte à tous les endroits par où l'on y pouvoit entrer. C'estoit la figure d'un homme couronné, qui donnoit la main à une figure de Femme en signe d'alliance, avec ces mots, Regio decorat nomine. Cette Figure de Femme representoit la Place, que la Statuë du Roy, figuré par cet homme couronné, honoroit du nom de PLACE ROYALE, son érection estant une espece d'alliance qu'elle contracte avec elle.

Toutes ces Décorations ayant esté executées avec tout le soin possible, on ne songea plus qu'à se préparer à la Feste, qui commença le 24. Aoust, par un Acte de Philosophie dedié au Roy. Cette action fut d'autant plus belle, que les éloges de ce grand Monarque y eurent autant de part que la Philosophie. L'Acte estant finy, les Ecoliers, qui avoient fait paroistre leur capacité & leur esprit, allerent chez Mr l'Intendant, luy porter en pompe la These de Satin où estoit le Portrait de Sa Majesté. Ils furent précedez des Hautbois & des Trompettes & celuy qui la portoit, marcha environné des Drapeaux des Compagnies de chaque Classe. Le soir toutes les Cloches sonnerent, & leur carillon se joignant au bruit du Canon, & à celuy des Trompettes & des Tambours que l'on avoit disposez sur les Tours & sur les lieux les plus élevez de la Ville, annonça la Feste du lendemain. Elle commença par une action de pieté. Le Clergé composé de six Chapitres, de vingt deux Paroisses, & d'un grand nombre de Communautez Religieuses, s'estant assemblé dans l'Eglise Cathedrale, avec tous les Corps de la Ville, Mr Foucault s'y rendit à la teste du Presidial, qui estoit ce jour-là en Robes rouges, & qui fut suivy ou prévenu d'une affluence extraordinaire de Peuple. L'Eglise qui est tres-vaste, se trouva parfaitement bien decorée & illuminée, par les soins de M. l'Abbé Du Soucy, qui est Chanoine de la Cathedrale, & Conseiller d'Eglise. Mr Rabereul, Doyen de l'Eglise de Saint Pierre, celebra la Messe avec beaucoup de solemnité. Elle fut suivie d'un Te Deum, pour rendre graces à Dieu des faveurs particulieres que la pieté du Roy, & son affection paternelle pour ses Sujets attirent sur ce Royaume. Il y eut une excellente Musique, composée des plus belles voix de la Province, & de plusieurs autres que M l'Intendant avoit fait venir des Provinces voisines. Le Pere Chesnon, Jesuite, prononça un tres-beau Panegyrique du Roy. Il prit pour texte ces paroles de S. Mathieu, qui convenoient naturellement à son sujet. De qiu est cette Image? On luy répondit que c'estoit celle de Cesar. Alors il leur dit, Rendez donc à Cesar ce qui est à Cesar, & à Dieu ce qui est à Dieu. Il commença d'abord par expliquer la différence qui se trouve entre le culte que l'on rend à Dieu, & celuy qu'on rend aux Souverains de la Terre, & fit connoistre à tout le monde, que si le Roy ne possede pas ces perfections infinies qui ne conviennent qu'à Dieu, il a pourtant receu toutes celles qui en approchent davantage, & qui le rendent l'Image la plus sensible de la Divinité. Ensuite voulant interesser l'Assemblée à cette Ceremonie, il fit voir trois choses ; la premiere, qu'il estoit de la reconnoissance de la Ville d'ériger cette Statuë à Sa Majesté, en sorte qu'il seroit à souhaiter que toutes les villes du Poitou en fissent autant, pour reconnoistre les graces que la Province reçoit de sa bonté & sur tout en ce qui concerne le rétablissement de la Religion; la seconde, qu'il estoit de la gloire de la Ville d'avoir cet ornement, qui doit estre le Monument éternel de la fidelité qu'elle a toujours euë pour son Prince, & la troisiéme, qu'il estoit de son interest d'attirer par ce gage de son zele & de son attachement pour le Roy, la faveur & la protection de Sa Majesté. ces trois parties furent solidement prouvées, & remplies de plusieurs beaux traits de l'Ecriture, de l'Histoire Ecclesiastique, & de la vie de ce Prince, avec tous les agrémens que l'Eloquence Chrestienne peut permettre.

Après que cette action fut finie, tous les Corps se retirerent, excepté la Milice du College, qui ayant assisté à cette Ceremonie avec toute la devotion que pouvoit souffrir l'équipage guerrier où elle estoit, se rendit en tres-bon ordre à la nouvelle Place Royale, où tous ceux dont elle estoit composée, saluërent la Statue du Roy, d'une contenance fiere, mais qui marquoit que le coeur avoit beaucoup de part à cette action. Ensuite, après y avoir fait l'exercice avec toute la justesse des Troupes bien disciplinées, cette Milice fit place à une autre, qui ne fut pas moins agreable à voir. Ce fut celle des Bourgeois, qui s'estant rangez chacun sous son Drapeau, se rendirent l'après-dînée à la Place au bruit des Tambours, des Fifres, & des Hautbois, & dans un ordre qui fit admirer leur marche. La Statuë estant le premier objet de leurs regards, le fut aussi de leurs respects. Elle fut salüée à plusieurs reprises par la décharge du Canon & de la Mousqueterie, à laquelle se joignirent les fanfares des Trompettes, & mille cris de Vive le Roy. Aprés le mouvement des Troupes, & les devoirs rendus aussi à la Statuë par le Corps des Marchands, qui estoient là en robes de ceremonie, Mr Foucault à la teste du Corps de Ville, fit trois tours autour de la Place, precedé par les Trompettes & par les Tambours. Il mit ensuite le feu à un bucher que l'on avoit preparé, & voulut bien que l'on donnast un flambeau au Juge des Marchands, comme une reconnoissance publique des soins qu'avoient pris ce Corps pour l'érection de ce Monument. Ce fut là que redoublerent les cris & les acclamations du Peuple, ainsi que le bruit du Canon & des Mousquets, qui ne finit qu'avec le feu du bucher ; aprés quoy on entendit un concert de Trompettes, qui attirant l'attention de tout le monde, qui s'estoit dissipée dans le fracas & le tumulte de la Feste, prépara à une simphonie admirable de Violons, de Flûtes & de Hautbois. Elle fut suivie d'un grand concert de Voix & d'Instrumens, auquel l'Eloge du Roy servit de matiere. On feignit que le Dieu du Clain, nom de la Riviere qui passe à Poitiers, avoit esté réveillé par un bruit confus de Tambours & de Trompettes ; & voicy les Vers qu'on luy fit chanter.

Quel bruit Guerrier vient troubler mon repos ?
D'où vient que sur ces bords éloignez des alarmes
Le Tambour vient mesler le bruit affreux des Armes
Au doux murmure de mes eaux ?
***
Quelle Divinité se presente à mes yeux ?
Quel est cet air, ce port, & cette noble audace ?
Je croyois que la Paix regnoit seule en ces lieux ;
D'où vient que Mars a pris sa place ?
***
Peuples, qu'on voit icy luy dresser des Autels,
Aimez-vous encor les alarmes ?
Le redoutable Dieu des armes
Est-il le seul des Immortels
Qui pour vous ait des charmes ?

Le Choeur des Peuples respondit à la surprise du Dieu du Clain, & luy faisant connoistre LOUIS sous la face du Dieu Mars, prit occasion de chanter les loüanges de ce Monarque. Une voix seule les commença par ces Vers.

Sortez, Fleuve, sortez de vostre étonnement,
Reconnoissez l'égarement
Qui vous fait de LOUIS méconnoistre l'Image.
Ce Heros a du Dieu Mars
L'activité, le courage ;
Par tout a ses Etendards
La Victoire ouvre un passage,
Mais toûjours sa fierté
Le cede à sa bonté.

Une autre Voix poursuivit ainsi.

Ce n'est pas seulement l'Arbitre de la Guerre
Pour qui ce Peuple heureux celebre un si beau jour.
S'il fait sur des ingrats éclater son tonnerre,
Il est l'aimable Autheur du repos de la terre,
Et de tout l'Univers la terreur & l'amour.

Après que le Choeur eut repeté ces trois derniers Vers, deux Voix ensemble chanterent ceux-cy.

Redoutez, fiers Ennemis,
Sa main foudroyante ;
Reverez, Peuples soûmis,
Sa main bien-faisante.

Le Choeur repeta encore ces quatre Vers, & ensuite on entendit ces quatre autres, dont les deux premiers furent chantez par une Voix seule, & les deux derniers par une autre.

Hors de ses heureux Etats
Regne nostre Auguste Maistre.
Dans les plus lointains Climats
Sa vertu le fait connoistre.

Aprés cela les deux Voix chanterent ensemble ces deux autres Vers, qui furent repetez par le Choeur.

Il peut quand il luy plaist, le plus doux des Vainqueurs,
Desarmer tout d'un coup, & les mains & les coeurs.

Les deux mesmes Voix ayant chanté separément, l'une ce vers,

Qu'il est heureux, qu'il est aimable!

Et l'autre celuy-cy,

Qu'il est grand, qu'il est redoutable!

Le Choeur reprit,

Que le Peuple est fortuné,
A qui le Ciel l'a donné !

Après quoy quatre differentes Voix chanterent chacune un des Vers qui suivent.

Il est le ferme appuy de la foible innocence,
Le Parnasse luy doit des honneurs immortels,
La discorde aux Enfers gemit sous sa puissance,
Il vient de rétablir le culte des Autels.

Et tous ensemble.

C'est peu que sa valeur sur la Terre & sur l'Onde,
Signale ce Heros par mille exploits divers,
Sa vertu, sa bonté, sa sagesse profonde
Le font triompher des Enfers.

Le Dieu du Clain, touché des grandeurs du Roy, fit paroistre son admiration en chantant ces Vers.

J'approuve avec plaisir l'ardeur de vostre zele,
Chantez, Peuples, chantez ce Heros glorieux,
Publiez ses exploits, portez jusques aux Cieux
Le bruit de sa gloire immortelle,
A ces traits éclatans, à ces faits inoüis,
Je reconnois LOUIS.

Le Choeur ayant repeté ces deux derniers Vers, une Voix seule poursuivit de cette sorte.

C'est peu que nostre zele éclate en ce grand jour,
Il faut porter plus loin le respect & l'amour
Que dans nos coeurs charmez a fait naistre sa gloire.
Qu'un Monument à sa memoire
Aux Siecles à venir fasse voir le Heros,
Dont la fidelle Histoire
Prend soin de publier les glorieux travaux.

Le Choeur finit par ces derniers Vers.

Qu'il dure ce Monument,
Qu'à l'abry des Lauriers il brave les orages ;
Qu'il fasse de ces lieux le plus bel ornement,
Qu'il soit incessamment
L'objet de nos respects, celuy de nos hommages ;
Qu'il laisse aux Siecles à venir
Du bonheur de nos jours l'éternel souvenir.

Ces Vers avoient esté mis en Musique par Mr Pain, Maistre de la Musique de S. Hilaire de Poitiers, & ils eurent un succés qui répondit à ce qu'on attendoit de l'habileté d'un si grand Maistre.

Cet éloge dura jusques à la nuit qui fut tres-brillante, par le bel effet que produisit une Illumination qui regnoit depuis le premier étage jusqu'au toit, dans les quatre costez de la Place, qui est de cinquante toises en quarré. A cette Illumination se joignit celle d'un tres-beau Feu d'artifice, dont il faut vous dire le dessein.

Sur un Theatre de quinze pieds de haut & d'autant de large, paroissoit un Trophée d'Armes, élevé sur un Piedestal. Aux quatre faces estoient quatre Tableaux illuminez, aussi-bien que le Trophée. On avoit peint Jupiter dans l'un, ayant son foudre à ses pieds, avec ces mots, Iracunda ponit fulmina, pour faire voir que le Roy avoit donné la Paix à l'Europe, lors qu'il estoit plus en estat que jamais de faire la guerre. L'autre representoient Pluton étonné, ce que son air & ces mots faisoient connoistre, Hinc etiam Phlegeton timet. Si Hercule alla aux Enfers enchainer Cerbere, comme le marque la Fable, l'Enfer a raison de craindre le Roy, aprés les effets qu'il vient d'éprouver de sa puissance. Le troisiéme Tableau faisoit paroistre Vulcain dans son attelier tout prest a travailler, & l'on y lisoit ces mots,Si bellare parat. On faisoit allusion dans ce Tableau aux Armes que Vulcain forgea pour Aenée, & il témoignoit qu'il se tenoit prest à travailler pour un Monarque, en qui on trouve encore plus de piété & de courage que Virgile n'en a attribué à son Heros. Le Tableau de la quatriéme face representoit Mars, la main sur la garde de son épée, & ces mots, Cùm jusserit, marquoient l'état où est le Roy de faire de nouvelles conquestes. Le Theatre qui portoit cette Machine, estoit soutenu de huit pilastres tres-bien ornez. Aprés qu'on est laissé quelque temps aux Spectateurs, dont la Place, les Echaffaux, les fenestres, les Balcons, & mesme les Toits estoient remplis pour considerer la disposition de ce Feu, on le fit jouër d'une maniere agreable & terrible tout ensemble. C'esttoit un fort beau spectacle de voir partir à plusieurs reprises un gros de Fusées volantes qui semoient l'air d'un nombre infiny d'Etoies; mais c'estoit en mesme temps quelquechose d'assez affreux que le bruit redoutable des Boëtes, des Petards, & de la décharge continuelle des pots à feu. Tout cela estant finy, la Feste fut continuée chez Mr l'Intendant, où les plus honnestes gens se rendirent. On fut arresté à la porte par un nouvel objet qui surprit. C'estoit trois longues tables disposées en triangle, couvertes de viandes qui furent abandonnées à la discretion du peuple. Ces tables estoient dressées dans une petite place dont la figure est triangulaire, & où l'on abordoit par trois ruës, à l'entrée desquelles il y avoit des arcades ornées de Festons. Les Officiers de Mr l'Intendant placez au milieu de ces trois tables, avoient soin de les servir à mesure qu'on les dégarnissoit, & de faire retirer ceux qui avoient soupé, pour faire place aux autres. La foule s'y trouva telle, qu'il y en avoit qui n'en pouvoient approcher, & ceux-là se consoloient à une fontaine de vin qui coula depuis le matin à l'entrée de l'Hostel de M Foucault. Ce spectacle ayant diverty quelque temps la Compagnie, elle entra à la faveur d'une nouvelle Illumination qui faisoit voir de tous costez cet Hostel en feu, dans deux grandes Salles éclairées comme le reste. Quatre Tables de vingt-cinq couverts chacune, que l'on y trouva dressées, furent occupées par toutes les Dames que les Hommes voulurent servir. Il y eut simphonie pendant le repas, & tout se passa sans confusion.

Le Soupé finy, on crut traverser une Bassecourt pour passer au Jardin, mais comme si elle eust disparu par enchantement, les Dames furent agreablement surprises de se trouver sur une Terrasse ornée de fleurs & de deux Fontaines jaillissantes, par laquelle on descendoit dans un grand & magnifique Sallon qu'elles n'avoient jamais vû. Ce Salon, qui se trouva tout disposé pour le Bal, estoit formé par un carré de trente-deux arcades de quinze pieds de hauteur. Sa longueur estoit de cinquante pieds sur quarante de large, & son plat-fond estoit élevé de trente pieds, mais par le moyen d'une perspective pratiquée dans le Jardin, on avoit fait paroistre dans le bout une Galerie fort longue & fort éclairée, qui y faisoit un très-bel accompagnement. Toutes les arcades estoient ornées de festons de fleurs, & les piliers qui les soutenoient, couverts de Miroirs. L'espace qui estoit depuis le ceintre des arcades jusqu'au platfond, estoit fermé par de tres-riches Tapisseries, & dans la principale face estoit élevé un Buste du Roy, de trois pieds de haut, environné d'un Soleil, dont le tour & les rayons estoient couverts de lumieres. Ce Soleil estoit accompagné de Fleurs de Lys & d'L couronnées sans nombre, le tout disposé avec des lumieres vives, qui faisoient une Illumination des plus surprenantes. Dans la face du Salon opposée à celle où estoit le Buste, & au dessus de l'arcade qui faisoit l'ouverture de la Galerie, on avoit mis sous un Dais un fort beau Portrait du Roy, de la main du fameux Mr Mignard. Ce fut dans cette Sale que plus de quatre-vingt Dames qui avoient soupé chez M l'Intendant, & toutes celles qui vinrent aprés le soupé, soutinrent parfaitement bien la réputation où les Poitevines sont de bien danser. Les Amphitheatres qui avoient esté dressez le long & derriere les arcades, furent remplis par un tres-grand nombre de personnes, qui eurent la curiosité de voir cette Assemblée, dont Madame l'Intendante fit admirablement bien les honneurs. Il y eut une tres-grande profusion de confitures & de toutes sortes de rafraîchissemens, & toute cette nuit se passa en réjoüissance, aussi-bien que les trois jours suivans, pendant lesquels la Maison de Mr l'Intendant demeura ouverte pour satisfaire l'empressement du Peuple, que l'envie de voir la nouvelle structure du Salon attiroit en foule.

Le 26, les Officiers du Presidial, ayant à leur teste Mr de Razes President, qui ne laisse échapper aucune occasion de signaler son zele pour le service du Roy, ne se contentant pas d'avoir assisté au Te Deum, que M l'Intendant avoit fait chanter le jour precedent dans l'Eglise Cathedrale, en firent chanter un autre dans celle des Cordeliers. L'action fut solemnelle, & toute la Ville s'estant renduë l'apresdînée au College des Jesuites sur le bruit d'une Feste qui s'y devoit faire, on la commença par l'explication d'un Tableau Enigmatique que Mr Foucault avoit fait faire à Paris. [Suit la description du tableau.] Cette Enigme ayant esté expliquée on en proposa une autre. C'étoit Amphion qui touchoit un Lut, & qui par son harmonie faisoit remuer les Arbres, & les plaçoit en droite ligne sur le bord d'une Riviere. La Ville de Thebes paroissoit dans l'éloignement, & des Muses sur le haut d'un Rocher, luy montroient la Lyre d'Orphée parmy les Constellations du Ciel, afin de l'animer, & de l'exciter à continuer un Jeu qui produisoit de si beaux effets. Cette Enigme fut expliquée sur la Trompette, dont le son range des Troupes en Bataille, & le Fleuve qui paroissoit dans le Tableau, donna occasion à celuy qui parloit, de toucher le passage du Rhin, & de dire de tres-belles choses à la gloire du Heros qui conduisoit cette celebre action. Le veritable mot estoit le Cours. C'est une Promenade que Mr l'Intendant a fait faire sur les bords de la Riviere du Clain, aux portes de la Ville de Poitiers, qui n'avoit aucun de ces sortes d'embellissemens. L'explication de ces deux Enigmes, fut suivie d'une piece de Theatre, où l'on representa LOUIS LE GRAND, comme le plus grand de tous les Rois. Pour le faire d'une maniere plus agreable, & qui fust plus du genie & du tour de la Poësie, on crut devoir le representer & les Princes ses Voisins, sous le nom & l'idée des Dieux de l'Antiquité, avec qui ils ont des rapports plus singuliers. Le Roy y parut sous le nom d'Apollon, que les Anciens confondoient avec le Soleil, symbole de nostre Auguste Monarque. Pluton, Dieu des Richesses, des Enfers & des Marais, figura les Hollandois & les Peuples des Pays Bas. Jupiter fut connu pour l'Empereur à cause de l'Aigle Impériale, & Neptune representa les Genois, les Algeriens, & les autres Peuples Maritimes. Le Destin, qui dans la pensée des Anciens avoit un droit de souveraineté sur tous les autres Dieux, qui estoient soûmis à ses Arrests, déclara d'abord qu'il vouloit se défaire de sa suprême puissance en faveur d'Apollon, & luy donner le premier rang sur Pluton, sur Neptune, sur Jupiter mesme. Il luy fit ensuite remporter sur eux les mesmes Victoires que le Roy a remportées sur ses Ennemis de sorte que les endroits les plus éclatans d'une vie si merveilleuse parurent dans tout leur jour, & d'une maniere tres-naturelle, quoy que sous des symboles étrangers. Aprés tous ces Triomphes, on vit Apollon formant un Arc en Ciel, & donnant la paix aux autres Dieux, ce qui signifioit le repos que le Roy a si genereusement donné à toute l'Europe. Ils marquerent tous la recevoir avec joye, & l'on finit, en luy décernant des Arcs de Triomphe & des Statuës dans les Places publiques. Cette Action estoit de cinq Actes, meslez de plusieurs entrées de Ballet. Ensuite on distribua les Prix que donna M l'Intendant, & qu'il s'est engagé de donner tous les ans à ce College, à condition qu'on y prononcera aussi tous les ans le jour de S. Loüis un Panegyrique du Roy.

Dés ce mesme jour sur le midy, Madame de Navailles, Abbesse de Sainte-Croix, étant d'une Maison dont le zele s'est toûjours signalé heureusement pour la gloire de Sa Majesté, fit annoncer par le carrillon des Cloches de son Abbaye, la Feste qu'elle preparoit pour le lendemain. Le Canon de la Ville l'annonça aussi fort loin par les décharges reïterées, & le bruit des Tambours & des Trompettes se mesla aux concerts de Voix, de Violons & de Flûtes douces. On chanta les Vespres avec beaucoup de solemnité & Madame l'Abbesse qui ne manqua pas d'y officier, donna les premieres marques de sa juste reconnoissance envers le Roy par ses ferventes prieres, & par celles de sa nombreuse Communauté. Le Clocher de l'Abbaye, qu'on avoit orné de Guidons & d'Estendards, fut éclairé toute la nuit d'un nombre prodigieux de flambeaux. Le lendemain 27. d'Aoust, on vit dans chaque endroit de cette Maison Royale une Décoration merveilleuse qui surprit d'autant plus qu'on ne s'y attendoit pas. Tout cela se fit encore par les soins de Mr l'Abbé du Soucy, qui se connoist parfaitement aux choses de cette nature. On avoit tendu sur les portes du dehors de riches tapisseries de cette Abbaye, chargées d'Ecussons aux Armes de France, & l'on avoit employé les plus magnifiques à parer tout le dedans de l'Eglise, depuis le bas des Grilles jusqu'aux voûtes, qui sont extrêmement exaucées. [...] M. l'Intendant, le Presidial, les autres Corps de la Ville, & une infinité de Noblesse de l'un & de l'autre Sexe s'estant rendus dans l'Eglise, M de Monnay, Official & Grand-Vicaire de Poitiers, commença la Messe, qui fut chantée solemnellement avec le concert d'un grand nombre de belles Voix, des Orgues, des Violons, des Hautbois & des Flûtes douces. [...] Après la Messe, Madame l'Abbesse entonna le Te Deum, & il fut continué par l'excellente Musique, & la belle simphonie que l'on avoit admirée. Le soir, il y eut dans la Clôture de l'Abbaye un Feu de joye, que Mademoiselle de Rothelin, Niece de Madame l'Abbesse, alluma en presence de toutes les Religieuses, qui dans ce moment chanterent de nouveau en leur particulier le Te Deum avec l'Exaudiat ; après quoy la Musique qui avoit assisté à la Ceremonie du matin, s'estant renduë au grand Parloir de Madame l'Abbesse, où plusieurs personnes de qualité se rencontrerent, elle luy fit chanter tous les Vers qui avoient esté composez à la loüange du Roy. La Solemnité de cette journée se termina par une aumône generale qu'elle fit faire à tous les Pauvres de la Ville & de la campagne, que l'on y vit accourir de toutes parts, sur le bruit qui s'en estoit répandu.

Les Dames de la Trinité, qui ne sont pas moins considerables par leur naissance que par leur vertu, firent aussi chanter une Messe solemnelle & un Te Deum en Musique, & leurs Prieres pour la conservation du Roy, ne cesserent point pendant tout le jour.

Quoy que le Chapitre de S. Hilaire, qui avoit esté prié de se trouver à la Ceremonie qui fut faite le 25. dans la Cathedrale, y eust assisté en Corps, il ne laissa pas de faire chanter peu de jours après un Te Deum particulier en Musique, de la composition de M Pain. Ce fameux & Royal Chapitre est d'autant plus considerable, qu'il dépend immediatement du S. Siege. Le Bureau des Finances, le Corps de Ville, & le Corps des Marchands, qui voulurent faire la clôture de la Feste, firent pareillement chanter de grandes Messes solemnelles & des Te Deum, ausquels Mr l'Intendant assista. Enfin, chacun a voulu marquer son zele dans cette occasion, jusqu'aux Ecoliers de Droit, qui ayant eu permission de s'assembler, & d'entrer dans la réjoüissance publique, allerent en Corps & sous les armes, rendre leurs devoirs à la Statuë, auprés de laquelle ils firent tirer un Feu d'artifice. J'ay oublié de vous dire que dés le 12. d'Aoust, la Figure avoit esté élevée dans le Vieux Marché, qu'on nomme aujourd'huy Place Royale, mais tous les ornemens ne pouvant estre si-tost en estat pour la Ceremonie, il fut arresté qu'elle ne se feroit que le 25. jour de S. Loüis. Cependant, quoy que la Figure n'eust esté posée que le soir du 12. Mr Joussant, Recteur de l'Université, ne pouvant retenir l'ardeur de son zele, alla dés ce mesme soir avec quantité de Personnes qualifiées de la Ville, & accompagné de Tambours, de Hautbois, & de Trompettes, rendre hommage à la Statuë, en faisant trois fois le tour de la Place avec les Ceremonies qui s'observent dans une semblable occasion.

[Grandes Réjoüissances faites à Troyes en Champagne à la Reception d'une Figure du Roy] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 202-207

 

Ce que je viens de vous dire fait voir le zele des Peuples. Il est si grand pour laisser à la posterité des marques de son amour pour le Roy, & du haut point de gloire où ce Prince a mis la France que toutes les Villes de ce florissant Royaume ont resolu de luy élever des Monumens. On n'épargne pour cela ny le marbre ny le bronze, & l'on y travaille de toutes parts. La Ville de Troyes, Capitale de Champagne, que les dernieres Conquestes de Sa Majesté ont mise dans un repos si tranquille, n'avoit pas moins d'empressement que les autres Villes du Royaume, de faire connoistre l'ardeur qu'elle a pour sa gloire, lors qu'elle receut de la liberalité de Mr Girardon, l'un de ses Compatriotes, un Present assez beau pour estre l'ouvrage des soins & de la dépense d'une Ville entiere. C'est un Portrait du Roy en marbre, de grandeur naturelle, si bien travaillé, & tellement ressemblant, que Troyes pourra se vanter dans les Siecles avenir, d'avoir la vraye Image d'un Prince, qui fera alors, comme il fait dés aujourd'huy, l'admiration de l'Univers. Aussi cette Ville là n'a-t-elle rien oublié, en recevant cet Ouvrage, pour marquer la joye la plus sensible, que des Sujets veritablement charmez de la grandeur & des bontez de leur Souverain, puissent témoigner. Toute la Bourgeoisie estoit sous les armes, & avoit à sa teste une partie des Echevins & des Conseillers de Ville. Je dis une partie, puisque le Maire & le reste du Conseil estoient assemblez à l'Hostel de Ville, pour y recevoir un si precieux present. Il fut posé sur un Brancard couvert d'un Tapis de Velours violet, parsemé de Fleurs de Lys d'or, & porté du lieu où il avoit esté mis en attendant le jour de cette Ceremonie, par quatre Officiers de Ville, au milieu de la Milice. Un grand nombre de Tambours, de Trompettes & de Hautbois les precedoient, & ils allerent ainsi jusques à l'Hostel de Ville, où ce Present fut receu par le Maire, les Echevins & les Conseillers, avec toutes les marques possibles de joye & de veneration. On le plaça dans la grande Salle sur une Table couverte d'un Tapis enrichy de Fleurs de Lys d'or, & ce fut là qu'on donna au Peuple, qui l'avoit suivy avec un empressement extraordinaire, accompagné de cris d'allegresse, la satisfaction de le voir. Les Officiers de Justice firent fermer leur Palais pour faire connoistre la part qu'ils prenoient à la joye publique. Les Boutiques furent aussi fermées ce jour là par les ordres du Maire & des Echevins, mais ces ordres n'étoient pas necessaires, puisque le Peuple se trouva tout disposé à les prevenir. La Ceremonie se termina par une grande Collation qui se fit au bruit de divers instrumens & pendant les cris reïterez de Vive le Roy, que les Habitants firent entendre tout le reste de ce jour. Voicy l'Inscription que Messieurs de Ville ont fait mettre à cet Ouvrage.

PERENNI LUDOVICI MAGNI GLORIAE, PATRIAE ORNAMENTO, Concivium amori & benevolentiae, FRANCISCUS GIRARDON TRECENSIS, SCULPTOR REGIUS, P.D.C. CONSENTIENTIBUS OMNIBUS Trecensis urbis Ordinibus, PLAUDENTE POPULO, REGE APPROBANTE. ANNO MDCLXXXVII.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 210-211.

Vous ne recevrez plus à l'avenir que de tres-bons Airs, puis qu'un des plus illustres & des plus habiles Maistres que nous ayons en Musique, prend le soin de les choisir, & qu'il veut bien se donner la peine de les rendre corrects. Je ne vous dis point qu'il y en aura plusieurs des siens. Son genie vous est connu, & il vous sera facile de le distinguer.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Arbres épais dont les sombres feuillages, doit regarder la page 211.
Arbres épais, dont le sombre feuillage,
Conserve icy la fraîcheur & l'ombrage,
Tandis que tout brûle alentour;
Vous ne sçauriez m'offrir qu'un secours inutile.
Helas ! il n'est point d'azile
Contre les traits de l'amour.
images/1687-09a_210.JPG

[Détail de tout ce qui s'est passé pendant le séjour que Monseigneur le Dauphin a fait à Anet] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 241-270

 

Je vous envoyay l'année derniere une description si exacte du Voyage que Monseigneur le Dauphin fit à Anet, que cette Relation vous en fait attendre une pareille de ce qui s'y vient de passer. Je dois vous dire avant que d'entrer dans aucun détail, que le Roy n'a pas voulu permettre cette année, que Mr le Duc de Vendosme fist aucune dépense, parce qu'il avoit poussé la magnificence trop loin, lorsqu'il eut l'honneur de recevoir Monseigneur, dans le temps qu'on y joüa l'Opéra de Galatée ; mais quoy qu'elle fust extraordinaire, elle auroit esté encore plus grande, s'il eust pû la proportionner à l'ardeur de son zele. Comme les Officiers du Roy ont esté à Anet, & qu'ils ont fait toute la dépense, Mr de Vendosme a seulement eu sa table qu'il a fait tenir par Mr l'Abbé de Chaulieu, & ce Prince a fait travailler à des Idilles en Musique, par les deux Fils de feu Mr de Lully, dont le cadet a la Charge de Surintendant de la Musique du Roy. Voicy les noms de tous ceux qui ont accompagné Monseigneur à Anet, & qui ont esté nommez par ce Prince. [Liste de noms]

Vous vous étonnerez de trouver dans cette Liste Mr de Vendosme & M le Grand-Prieur, puis qu'ils devoient vray-semblablement estre à Anet; mais comme on n'est plus Maistre de sa Maison lors qu'un Prince comme Monseigneur y va demeurer, il faloit que pour y estre, ces Princes fussent nommez comme les autres.

Il y eut Media noche le jour que l'on arriva, parce que c'estoit un Samedy au soir. On joüa l'Ecole des Femmes avant ce Repas, & l'Idille que Mr de Lully le Cadet avoit mis en Musique, fut chanté ensuite par les plus belles voix de l'Opera. Je vous l'envoye. Il est de Mr de Capistron [Campistron], dont je ne vous diray rien, puisque ses Ouvrages vous l'ont fait connoistre.

IDILLE.

DAPHNIS, LICIAS, SILVANDRE

DAPHNIS.

Vous qui fustes jadis témoins de mes soûpirs,
Ruisseau sacré, forest paisible,
Vous l'estes chaque jour de mes plus doux plaisirs,
Depuis que j'ay rendu sensible
L'objet de mes tendres desirs.
***
Je vois avec transport ces lieux où Celimene
Pour la premiere fois daigna m'ouvrir son coeur,
Qui penetré de l'excés de ma peine
Me reconnut pour son Vainqueur.
***
Chaque instant me découvre en elle
Quelque beauté nouvelle,
Des plus charmans Bergers elle attire les voeux,
Mais elle est encor plus fidelle
Que belle.
Dieux tout-puissans, jugez si mon sort est heureux.
***
Charmé de sa fidelité
Je viens dans cette retraite
Chanter en liberté
Sur ma Musette,
Et mon bonheur & sa beauté.
***
J'aperçois Licidas, il se plaignoit sans cesse
Des rigueurs de l'ingrate Iris,
Dans ses yeux aujourd'huy je vois moins de tristesse,
Et peut-estre à la fin il a receu le prix
Que meritoit sa tendresse.
***
Apprens-moy quel est ton sort,
Cher Licidas, contente mon envie.

LICIDAS.

Il est toûjours funeste, & peut-estre la mort
Vaut mieux qu'une si triste vie.

DAPHNIS.

Ne me trompes-tu point ? Iris est-elle encore
Insensible à ton amour ?

LICIDAS.

Depuis un an que je l'adore
Sa haine & ses mépris m'accablent chaque jour.

DAPHNIS.

Malgré sa cruauté ne perds point l'esperance
De voir changer ton destin.
L'amour & la confiance
Obtiennent à la fin
Leur juste récompense.

DAPHNIS, LICIDAS.

L'amour & la confiance, &c.

LICIDAS.

Quand je n'oserois me flater
De fléchir un jour la cruelle,
Je ne sçaurois la quitter,
Ny surmonter
La foiblesse que j'ay pour elle:
***
Quelques maux qu'en aimant mon coeur puisse souffrir,
Il aime encor mieux sans doute,
Soupirer, se plaindre & mourir,
Que de tenter les efforts qu'il en coute
Pour se guerir.
***
Mais je vois sous ces ombrages
Tous nos Bergers assemblez.

DAPHNIS.

Ils font retentir ces bocages
De leurs chants redoublez.

LICIDAS.

Quel mouvement en ces lieux les attire,
Et leur inspire
Des chants si doux ?

DAPHNIS.

Silvandre vient à nous,
Il pourra nous le dire.

SILVANDRE.

Venez tous, suivez-moy, que rien ne vous retienne,
Joignez vostre voix à la mienne.
***
Qu'à l'envy chacun chante,
Mille & mille fois
La grace charmante,
La vertu constante
Du Fils du plus grand des Rois.

TOUS TROIS.

Qu'à l'envy chacun chante, &c.

SILVANDRE.

Il revient en ces lieux aprés un an d'absence
Goûter les innocens plaisirs,
Que la Nature & l'Art d'intelligence,
Offrent en abondance
A ses premiers desirs.
***
L'ardeur de luy plaire
Toûjours pure, toûjours sincere,
Anime icy tous les coeurs,
Et s'il peut trouver ailleurs
Plus de grandeur, plus de magnificence.
Il n'y sçauroit trouver du moins
De plus tendres soins,
Plus de respect, ny plus d'obeissance.

DAPHNIS.

A ses yeux oserons-nous paroistre,
Et pour luy nos concerts auront-ils des appas ?

SILVANDRE.

Quelques foibles qu'ils puissent estre,
Il ne les méprisera pas.
***
Il a trop bien appris de son Auguste Pere,
Par mille exemples divers
Que l'indulgence est necessaire,
Aux Maistres de l'Univers.
Qu'à l'envy chacun chante, &c.

TOUS TROIS.

Qu'à l'envy chacun chante, &c.

LICIDAS.

Venez dans cette retraite
Faire un peu plus de sejour,
C'est pour vos jeux qu'elle est faite,
Les ans n'y durent qu'un jour;
La felicité parfaite
Fuit l'embaras de la Cour.
***
Que toûjours la noire envie
Respecte vos jeux charmans ;
Et que la Parque adoucie
Vous file de nouveaux ans.
Puisse votre belle vie
Estre un éternel printemps.

Après cet Idille on chanta ce Menuet des mesmes Autheurs.

Heureux les coeurs,
Qu'Amour couronne,
Du prix charmant de ses faveurs ;
Rien ne vaut ce qu'il donne,
Non, le Trône mesme
N'a pas tant d'attraits,
C'est un bonheur suprême,
Mais
Ce sort n'est dû qu'à des Amans parfaits.

On jouä ensuite la petite Comedie intitulée, Les Fragments de Moliere, & l'heure du Soupé estant venuë, tous les Seigneurs que Monseigneur le Dauphin avoit nommez, eurent l'honneur de manger à la Table de ce Prince, qui fut magnifiquement servie. Il y en eut aussi plusieurs autres, où la propreté répondit à l'abondance pour les principales Personnes de sa suite, & pour tous ceux qui estoient employez à ses Divertissemens.

Le lendemain Dimanche après la Messe & le Déjeuné, Monseigneur alla tirer en volant, & l'apresdinée il se divertit à la Chasse au Cerf. Il vit à son retour le Baron d'Albicrack, & ensuite il entendit un second Idille mis en Musique par Mr de Lully l'aisné. Ce second Idille, que je vous envoye aussi, est d'un Cavalier qui ne fait des Vers que pour son divertissement. Vous allez juger de quelle maniere il s'en acquite. Cet Ouvrage fut fait en si peu de temps, qu'il pourroit passer pour un Impromptu.

AUTRE IDILLE.

TIRCIS, ALCIDON, SILENE.

TIRCIS.

Tandis que dans ce beau sejour
Un heureux sort ramene l'allegresse,
Faut-il que le cruel Amour,
Laisse mon coeur accablé de tristesse ?
Helas, que je suis malheureux !

ALCIDON.

Ah, que mon destin est à plaindre ?

TIRCIS.

Je voudrois guerir de mes feux.

ALCIDON.

Et les miens devroient bien s'éteindre.

TIRCIS.

Depuis un si longtemps que j'adore Cloris,
En puis-je recevoir un plus injuste prix ?
Loin de brûler pour moy d'une pareille flâme.
La pitié seulement n'entre point dans son ame.

ALCIDON.

Iris flatoit mes desirs,
Son cœur ne put s'en défendre,
Elle agrea mes soupirs
Dés que je les fis entendre.
Mais je viens de la voir avec un autre Amant,
Et la volage Iris, sans songer que je l'aime,
L'écoutoit aussi tendrement,
Qu'elle m'écouteroit moy-même.

TIRCIS.

Helas, que je suis malheureux !

ALCIDON.

Ah, que mon destin est à plaindre !

TIRCIS.

Je voudrois guerir de mes feux.

ALCIDON.

Et les miens devroient bien s'éteindre.

TIRCIS.

Songeons à nous dégager ;
Pourquoy tant nous affliger
Pour des Maistresses infidelles,
Ou trop cruelles ?
N'en trouve-t-on pas aisément
D'autres aussi belles,
Et pour comble d'agrément,
Qui seront nouvelles ?

TIRCIS, ALCIDON.

Songeons à nous dégager, &c.

TIRCIS.

C'est une erreur qu'une amour parfaite,
Pour mon repos je m'en garderay :
Je soupirois sur ma Musette ;
Mais malgré vous, Amour, j'y danserai.
***
Si le plaisir vient s'offrir sans peine,
Peut-estre alors je m'engageray :
Je me plaignois d'une inhumaine,
Mais malgré vous, Amour, je m'en riray.
***
Tant que dureront nos beaux jours,
Cherchons, cherchons souvent de nouvelles amours.

TIRCIS, ALCIDON.

Tant que dureront nos beaux jours &c.

SILENE.

Et moy je veux chercher à m'enyvrer toûjours.

ALCIDON.

Arreste un peu, vieux Silene,
Viens nous aider à calmer nos soucis.

SILENE.

Je crains qu'on ne me surprenne
Avec des Amans transis
***
Avec vous toûjours on s'ennuye,
Vous qui d'un triste amour suivez la dure loy :
J'ay promis à Bachus en luy donnant ma foy.
De ne connoistre de ma vie
Que des Yvrognes comme moy/

TIRCIS.

Demeure, Silene, demeure,
Nostre amour va prendre fin.

SILENE.

Pour me le prouver tout à l'heure,
Venez le noyer dans le vin.

TIRCIS, ALCIDON.

Pour te le prouver tout à l'heure,
Allons le noyer dans le vin.

ALCIDON.

Quel changement, quel effet admirable
D'une liqueur incomparable !
Que ne dois-je pas, ô puissant Dieu du vin !
Tu bannis de mon coeur Iris & le chagrin.

TIRCIS.

Le chagrin suit souvent l'amoureuse folie :
Le vin sçait beaucoup mieux contenter mon desir,
Avec Bacchus si ma raison s'oublie,
Du moins en la perdant je trouve du plaisir.

SILENE.

Graces au Dieu Bacchus, les ingrates Beautez,
Dont vos cœurs estoient enchantez,
Ne vous causeront plus d'alarmes :
Oubliez à jamais leurs charmes,
À moins que ces objets si doux
Ne viennent quelquefois rire & boire avec nous.
***
Vous qui servez des Beautez inhumaines,
Cherchez Bacchus, il brisera vos chaines.

TIRCIS, ALCIDON.

Benissons l'heureux jour.
Qui finit notre amour,

ALCIDON.

Liberté, douc paix.
Ne nous quittez jamais.

TIRCIS, SILENE.

Dans ces lieux sans amour, sans envie,
On joüit des douceurs de la vie.
Auroient-ils tant d'appas
Si l'on n'y beuvoit pas ?

TOUS TROIS.

Vous qui servez des Beautez inhumaines,
Cherchez Bacchus, il brisera vos chaines.

Cet Idille fut suivy de la petite Comedie de Pasquin d'Avalos, & après qu'on eut Soupé, on chanta dans le grand Cabinet de Monseigneur l'Idille de Mr de Lully le Cadet.

Monseigneur alla le Lundy à la Chasse au Loup, & n'en revint qu'à neuf heures du soir. Il vit à son retour la Femme Juge & Partie, & entendit l'Idille de Mr de Lully le Cadet.

On alla le Mardy aux mesmes Chasses que le Dimanche. On joüa le soir Polieucte & le Medecin malgré luy. L'Idille de Mr de Lully l'Aisné fut chanté entre ces deux Pieces, & on chanta l'autre Idille après le Soupé dans le grand Cabinet.

La Chasse du Cerf servit de divertissement le Mercredy. La Coquette fut representée le soir. On chanta ensuite l'Idille de Mr de Lully le Cadet, qui fut suivy de la representation des Enlevemens, & après le Soupé on chanta l'Idille de Mr de Lully l'Aisné.

On alla le Jeudy à la Chasse au Loup. On joüa le soir l'Amphitrion qui fut precedé d'une ouverture, & d'un Air Italien de la Composition de Mr de la Barre. Après l'Amphitrion on chanta l'Idille de Mr de Lully l'Aisné, & après cet Idille on joüa le Rendez-vous des Tuileries. L'Idille de Mr de Lully le Cadet fut chanté avant le coucher, & finit les divertissemens. Je ne vous dis rien du succés de la Musique de ces deux Idilles. On n'auroit pas pris plaisir à les entendre tant de fois, si on ne l'avoit trouvée bonne. À l'égard de celuy qui a le mieux réüssi, c'est ce qu'il seroit difficile de decider ; il faudroit pour cela qu'ils eussent mis tous les deux le mesme Ouvrage en Musique. Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'estant encore fort jeunes, & ayant appris d'un aussi habile Maistre que feu Mr de Lully leur Pere, il y a sujet d'en attendre beaucoup s'ils entreprennent de marcher sur ses traces, & s'ils s'appliquent assez pour cela.

J'ay oublié de vous marquer qu'il y a eu quelques entrées de Balet dans les Entractes des Comedies. Monseigneur a témoigné se divertir extremement pendant tout le temps qu'il a passé dans cette delicieuse Maison, & cela se remarquant sur le visage de ce Prince, causoit une joye à toute sa Cour qui l'animoit à se divertir aussi, & particulierement à Monsieur de Vendosme, dont l'attachement pour toute la Maison Royale, ne se sçauroit exprimer. Les deux Idilles qui ont servy de divertissement à Anet, & que vous venez de lire, ont esté chantez à Marly devant le Roy, & ils y ont eu le mesme succés.

[Tout ce qui s'est passé à l'Académie Françoise le jour de Saint Loüis] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 270-303

 

Le 25. du mois passé, l'Academie Françoise solemnisa à son ordinaire la Feste de S. Loüis Roy de France, dans la Chapelle du Louvre. Mr l'Abbé de la Vau, l'un des quarante Academiciens, celebra la Messe, pendant laquelle il y eut une excellente Musique. Elle estoit de la composition de Mr Oudot, qui fit paroistre son habileté ce jour-là plus que jamais. Ensuite Mr l'Abbé Courcier, Theologal de l'Eglise de Paris, prononça le Panegyrique de S. Loüis, avec un succés qui luy attira beaucoup de loüanges. Il remplit tout ce qu'on pouvoit attendre d'un homme veritablement éloquent, & les rapports qu'il trouva des actions de ce S. Roy à celles de LOUIS LE GRAND, furent traitez avec tant d'esprit & tant de delicatesse, qu'il n'y eut personne qui n'en fust charmé. L'Assemblée estoit nombreuse, mais en mesme temps de gens choisis. L’Assemblée estoit nombreuse, mais en mesme temps de gens choisis. Elle ne le fut pas moins l’apresdinée dans la Seance publique que tinrent Mrs de l’Academie, pour recevoir Mr l’Abbé de Choisy en la place de Mr le Duc de Saint Aignan. Vous connoissez son merite, & la Relation que je vous ay envoyée de l’Ambassade de Mr le Chevalier de Chaumont à Siam, vous a fait voir combien Sa Majesté l’avoit jugé propre aux negociations qu’on avoit à y traiter. Il commença son remerciment en disant, que si les loix de l’Academie le pouvoient permettre, il garderoit le silence, & ne songeroit qu’à se taire jusqu’à ce que Mrs de l’Academie luy eussent appris à bien parler. Il s’étendit ensuite sur les loüanges de cette sçavante Compagnie, dans laquelle les premiers hommes de l’Estat se dépoüillent de tout le faste de la grandeur, & ne cherchent de distinction que par la sublimité du genie, & par la profonde capacité, & dit agreablement, qu’il croyoit déja sentir en luy l’esprit de l’Academie qui l’élevoit au dessus de luy-mesme, & dont il reconnoissoit avoir besoin pour reparer la perte de l’illustre Duc qu’elle regretoit. Il prit de là occasion d’en faire un portrait avantageux, mais fort ressemblant, & aprés avoir dit, que c’estoit à Mrs de l’Academie à marquer par des traits immortels la gloire de ce grand Homme, dont la memoire vivroit à jamais dans leurs Ouvrages, puisque tout ce qui part de leurs mains se sent du genie sublime de leur Fondateur ; il ajoûta que si l’on a dit autrefois que comme Cesar par ses Conquestes avoit augmenté l’Empire de Rome, Ciceron par son éloquence avoit étendu l’esprit des Romains, on pouvoit dire que le Cardinal de Richelieu seul, avoit fait en France ce que Cesar & Ciceron avoient fait à Rome, & que si par les ressorts d’une politique admirable il avoit reculé nos Frontieres, il nous avoit élevé, poly, & si cela se pouvoit dire, agrandy l’esprit par l’établissement de l’Academie. Il poursuivit l’Eloge de ce fameux Cardinal, parla de la perte de Mr le Chancelier Seguier, qui fut aprés luy le Protecteur de l’Academie, & exagera ensuite la gloire dont elle s’estoit veuë comblée, lors que le plus grand des Rois, daignant agréer le mesme titre, avoit bien voulu luy faire l’honneur de la recevoir dans son Palais, & de l’égaler aux premieres Compagnies de son Royaume. Par là, Messieurs, continua-t-il, (car je ne dois retrancher aucun des termes dont il se servit en parlant de ce grand Prince.) Par là dans les Siecles futurs, vos noms devenus immortels marcheront à la suite du sien, & vous pouvez vous répondre à vous-mesmes de l’immortalité que vous sçavez donner aux autres. Vous la sçavez donner seurement, & vous la donnerez à LOUIS. Il se fait entre ce Prince & vous un commerce de gloire, & si sa protection vous fait tant d’honneur, vous pouvez vous flater de n’estre pas inutiles à sa gloire. Oüy, Messieurs, ce Prince si necessaire à tous ; à ses Sujets qu’il a rendus les Peuples les plus redoutables du monde, & qu’il va achever de rendre plus heureux ; à ses Alliez à qui il accorde par tout une protection si puissante ; à ses Ennemis mesmes, dont il fait le bonheur malgré eux en les forçant à demeurer en paix, ce Prince, qui à l’exemple de Dieu dont il est l’image vivante, semble n’avoir besoin que de luy-mesme, il a besoin de vous pour sa gloire, & son nom, tout grand qu’il est, auroit peine à passer tout entier à la derniere posterité sans vos Ouvrages. Vous y travaillez, Messieurs. Déja plus d’une fois vous l’avez montré aux yeux des hommes également grand dans la Paix & dans la Guerre. Mais qu’est-ce que la valeur des plus grands Heros, comparée à la pieté des veritables Chrestiens ? Il regne ce Roy glorieux, & toûjours attentif à la reconnoissance qu’il doit à celuy dont il tient tout, il songe continuellement à faire regner dans son cœur & dans son Royaume, ce Dieu qui depuis tant d’années répand sur sa personne une si longue suite de prosperitez. N’a-t-il pas fait taire ces malheureux, qui malgré les lumieres naturelles de l’ame, affectent une impieté à laquelle ils ne sçauroient parvenir ? N’a-t-il pas reprimé cette fureur de blasphême assez audacieuse pour aller attaquer Dieu jusque dans son Trosne ? Il fait plus ; il s’embrase du zele de la Maison de Dieu, il n’épargne ny soins ny despense pour augmenter le Royaume du Seigneur. Son zele traverse les Mers, & va chercher aux extremitez de la Terre, des Peuples ensevelis dans les tenebres de l’Idolatrie. Les premieres difficultez ne le rebutent point ; il suit avec constance un dessein que le Ciel luy a inspiré, & si nos vœux sont exaucez, bien-tost sous ses auspices la foy du vray Dieu sera triomphante dans les Royaumes de l’Orient. Que diray-je encore ? Ce Heros Chrestien attaque ouvertement ce Party formidable de l’Heresie, qui avoit fait trembler les Rois ses Predecesseurs. Il acheve en moins d’une année, ce qu’ils n’avoient osé entreprendre depuis prés de deux Siecles, & le Monstre infernal reduit aux abois, rentre pour jamais dans l’abisme, d’où la malice des Novateurs, & les mœurs corrompuës de nos Ayeux l’avoient fait sortir. Heureuse France, tu ne verras plus tes Enfans déchirer tes entrailles. Une mesme Religion leur fera prendre les mesmes interests, & c’est à Loüis le Grand que tu es redevable d’un si grand bien. Parlons plus juste, c’est à Dieu, & le mesme Dieu pour asseurer nostre bonheur, vient de nous conserver ce Prince, & de le rendre aux prieres ardentes de toute l’Europe ; car, Messieurs, les François ne sont pas les seuls qui s’interessent à une santé si précieuse, & si quelques Princes, jaloux de la gloire du Roy, ont témoigné par de vains projets de Ligues vouloir profiter de l’estat où ils le croyoient, leurs Sujets mesmes, & tous les Peuples de l’Europe faisoient des vœux secrets pour luy, sçachant bien qu’en sa seule Personne reside la tranquillité universelle. Mais où m’emporte mon zele ? À peine placé parmy vous, j’entreprens ce qui feroit trembler les plus grands Orateurs, & sans consulter mes forces, j’ose parler d’un Roy, dont il n’est permis de parler qu’à ceux, qui comme vous, Messieurs, le peuvent faire d’une maniere digne de luy.

Aprés quelque temps laissé aux applaudissemens qui furent donnez à ce Discours, Mr de Bergeret, Secretaire du Cabinet, & premier Commis de Mr de Croissy, Ministre & Secretaire d’Estat, prit la parole pour y répondre, & dit à Mr l’Abbé de Choisy, que l’Academie ne luy pouvoit donner une marque plus honorable de l’estime qu’elle faisoit de luy, qu’en le recevant en la place de Mr le Duc de S. Aignan. Dans le Portrait qu’il fit de ce Duc, il fit voir, Qu’il aimoit les belles Lettres de la mesme passion dont il aimoit la gloire, & qu’il avoit pris tous les soins necessaires pour avoir ce qu’elles ont de plus utile & de plus agreable. Il dit qu’il estoit bien éloigné de la vaine erreur de ceux qui s’imaginent que tout le merite consiste dans le hazard d’estre né d’une ancienne Maison, & qu’il ne regardoit l’avantage d’avoir tant d’illustres Ayeux, que comme une obligation indispensable d’augmenter l’éclat de leur nom par un merite personnel ; que se voyant attaché au service d’un Prince, dont les vertus heroïques donneront plus d’employ aux Lettres, que n’ont fait tous les Heros de l’Antiquité, il en avoit pris encore plus d’affection pour elles ; qu’il s’estoit acquis une maniere de parler & d’écrire noble, facile, élegante, & qu’il avoit fait voir à la France cette Urbanité Romaine, qui estoit le caractere des Scipions & des plus illustres Romains. Je passe beaucoup d’autres loüanges qui furent écoutées avec plaisir, & qu’il finit en disant, Que si M. le Duc de S. Aignan estoit le Protecteur d’une celebre Academie par un titre particulier, on pouvoit dire encore qu’il l’estoit generalement de tous les gens de Lettres par une generosité qui n’exceptoit personne ; que le merite, quelque étranger qu’il fust, & de quelque part qu’il pust venir, estoit seur de trouver en luy de l’appuy & de la protection ; qu’il recevoit avec des témoignages d’affection tous ceux qui avoient quelque talent, & qu’il ne leur faisoit sentir sou rang & sa dignité, que par les bons offices qu’il se plaisoit à leur rendre. Il parla ensuite de sa mort chrestienne, & de la consolation qu’il avoit euë en mourant de laïsser aprés luy un Fils illustre, qui s’estoit toûjours distingué avec honneur & sans affectation, & dans lequel on avoit toûjours veu beaucoup de courage avec beaucoup de douceur, une admirable pureté de mœurs, une parfaite uniformité de conduite, de la penetration, de l’application, de la vigilance, un cœur constant pour la verité & pour la justice, & sur tout une solide pieté, qui le fait agir en secret & aux yeux de Dieu seul, comme s’il estoit veu de tous les hommes. Il ajoûta, que tant de vertus, qui avoient merité que dans un âge si peu avancé, il eust esté fait Chef du Conseil des Finances, justifioient chaque jour un si bon choix, & faisoient voir que le Roy, juste dispensateur de ses graces, avoit le don suprême de discerner les esprits. Aprés cela Mr de Bergeret adressa de nouveau la parole à Mr l’Abbé de Choisy, & luy dit, que quelque talent qu’il eust pour l’Eloquence, la nouvelle obligation qu’il avoit de consacrer ses veilles à la gloire de Loüis le Grand, luy feroit sentir de plus en plus combien il est difficile de parler dignement d’un Prince dont la vie est une suite continuelle de prodiges. Les Poëtes, poursuivit-il, se plaignent de n’avoir point d’expressions assez fortes pour representer le merveilleux de ses exploits ; & les Historiens au contraire de n’en avoir point d’assez simples, pour empescher que tant de merveilles ne passent pour autant de fictions. Quel art, quelle application, quelle conduite ne faudra-t-il point pour conserver la vraysemblance avec la grandeur des choses qu’il a faites ? Je ne parle point de cette valeur étonnante, qui a pris comme en courant les plus fortes Villes du monde, & devant qui les Armées les plus nombreuses ont toûjours fuy de peur de combattre. Je ne pense maintenant qu’à cette glorieuse Paix dont nous jouissons, & qui a esté faite dans un temps où l’on ne voyoit de toutes parts que des Puissances irritées de nos Victoires, que des Estats ennemis declarez de nos interests, que des Princes jaloux de nos avantages, tous avec des pretentions differentes & incompatibles. Comment donc parut tout d’un coup cette Paix si heureuse ? C’est un miracle de la sagesse de Louis le Grand, que la Politique ne sçauroit comprendre ; & comme luy seul a pû la donner à toute l’Europe, luy seul aussi peut la luy conserver. Combien d’action, de penetration, de prévoyance pour faire que tant d’Etats libres, & dont les interests sont si contraires, demeurent dans les termes qu’il leur a prescrits ? Il faut voir également ce qui n’est plus & ce qui n’est pas encore, comme ce qui est. Il faut avoir un genie d’une force & d’une étenduë extraordinaire, que nulle affaire ne change, que nul objet ne trompe, que nulle difficulté n’arreste, tel enfin qu’est le genie de Louis le Grand, qui est répandu dans toutes les parties de l’Estat, & qui n’y est point renfermé, agissant au dehors comme au dedans avec une force inconcevable. Il est jusque dans les extrémitez du monde, où l’on a veu tant de saintes Missions soutenuës par les secours continuels de sa puissance & de sa pieté. Il est sur les Frontieres du Royaume, qu’il fait fortifier d’une maniere qui déconcerte & desespere tous nos Ennemis. Il est sur les Ports, où il fait construire ces Vaisseaux prodigieux, qui portent par tout le monde la gloire du nom François. Il est dans les Academies de Guerre & de Marine, où la noble éducation jointe à la Noblesse du sang, forme des esprits & des courages également capables du commandement & de l’execution dans les plus grandes entreprises. Il est enfin partout, qui fait que tout est reglé comme il doit l’estre. Les Garnisons toûjours entretenuës, les Magasins toûjours pleins, les Arsenaux toûjours garnis, les Troupes toûjours en haleine, & aprés les travaux de la Guerre, maintenant occupées à des Ouvrages magnifiques, qui sont les fruits de la Paix. C’est ainsi que ce Grand Prince agissant en mesme temps de toutes parts, & faisant des choses qui inspirent continuellement de la terreur à ses Ennemis, de l’amour à ses Sujets, & de l’admiration à tout le monde, il peut malgré les haines, les jalousies, & les défiances, conserver la Paix qu’il a faite, parce qu’il n’y a point d’Etat qui ne voye combien il seroit dangereux de la vouloir rompre. Quelques Princes de l’Empire sembloient en avoir la pensée, & commençoient à former des Ligues nouvelles, mais le Roy toûjours également juste & sage, ne voulant ny surprendre, ny estre surpris, fit dire à l’Empereur, que si dans deux mois du jour de sa Declaration il ne recevoit de luy des asseurances positives de l’observation de la Treve, il prendroit les mesures qu’il jugeroit necessaires pour le bien de son Estat. Ses Troupes en même temps volent sur les Frontieres de l’Allemagne, & l’Empereur luy donne toutes les asseurances qu’il pouvoit souhaiter. Ainsi l’Europe luy doit une seconde fois le repos & la tranquillité dont elle joüit. D’autre part l’Espagne avoit fait une injustice à nos Marchands, & les contraignoit de payer une taxe violente, sous pretexte qu’ils negocioient dans les Indes contre les Ordonnances. Le Roy, pour arrester tout à coup ces commencemens de division, a jugé à propos d’envoyer devant Cadix une Flote capable de conquerir toutes les Indes. Aussi-tost l’Espagne alarmée, a promis de rendre ce qu’elle avoit pris, & le Roy qui s’en est contenté, a paru encore plus grand par sa moderation que par sa puissance ; car il est vray que rien n’est si admirable sur la Terre, que d’y voir un Prince, qui pouvant tout ce qu’il veut, ne veüille rien qui ne soit juste. Mais c’est le caractere de Loüis le Grand. C’est le fond de cette Ame heroique, où toutes les vertus sont pures, sinceres, solides, veritables, & font toutes ensemble, par une admirable union, qu’il est non seulement le plus grand de tous les Rois, mais encore le plus parfait de tous les Hommes.

Cette réponse fut interrompuë beaucoup de fois par des applaudissemens qui firent connoistre combien l’Assemblée estoit satisfaite de l’Eloquence de Mr de Bergeret. Il parut par là tres-digne d’estre à la teste d’une si celebre Compagnie, & tout le monde convint qu’il ne pouvoit mieux remplir la place qu’il occupoit. Mr l’Abbé de Choisy a fait connoistre par un fort bel Ouvrage qu’il a donné au Public depuis sa reception, avec combien de justice il remplit la place qu’on luy a fait occuper. Cet Ouvrage est la Vie de Salomon. Il y a quelque temps qu’il fit aussi imprimer celle de David avec une Paraphrase des Pseaumes. Je ne vous dis rien de la beauté de ses Livres. Vous pouvez juger de quoy il est capable par ce que vous venez de lire de son Remerciment à l’Academie.

Ces deux Discours ayant esté prononcez, on distribua les Prix d’Eloquence & de Poësie, & l’on declara que le premier avoir esté remporté par Mr de Fontenelle, & le second par Mademoiselle des Houlieres, Fille de l’illustre Madame des Houlieres, dont vous avez veu tant de beaux Ouvrages. Mr l’Abbé de la Vau, Secretaire de la Compagnie en l’absence de Mr l’Abbé Regnier des Marais, Secretaire perpetuel, leut ces deux Pieces, dont l’une estoit sur la Patience, & l’autre sur l’Education de la jeune Noblesse dans les Compagnies des Gentilshommes, & dans la Maison de S. Cir, & toutes deux furent écoutées avec l’attention qu’elles meritoient. Je vous en diray davantage une autre fois. À cette lecture succeda celle d’un Discours qu’avoit apporté Mr Hebert, de l’Academie de Soissons, pour satisfaire à l’obligation où sont ceux de cette Compagnie, suivant les Lettres Patentes de leur établissement, d’en envoyer un tous les ans, en Prose ou en Vers, le jour de S. Loüis, à l’Academie Françoise. On y remarqua de grandes beautez, & M. Hebert eut place parmy les Academiciens. Le sujet de ce Discours estoit, Que les Peuples sont toûjours heureux, lors qu’ils sont gouvernez par un Prince qui a de la pieté. Aprés cela on leut un Madrigal, à la gloire de Mademoiselle des Houlieres, sur ce qu’elle avoit remporté le Prix. M. le Clerc leut aussi quelques Ouvrages de Poësie sur divers sujets, & la Seance finit par une Lettre en Vers de M. Perrault, dans laquelle le Siecle remercioit le Roy de l’avantage qu’il luy faisoit remporter sur les autres Siecles.

[Lettre en Prose & en Vers de Madame de Suliez Viguiere d’Alby, contenant une nouveauté surprenante] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 303-309

 

Celle qui suit vous apprendra une chose aussi extraordinaire, qu’avantageuse à celuy en faveur de qui elle est arrivée. Vous lirez cette Lettre avec plaisir, puis qu’elle est de Madame de Saliez, Viguiere d’Alby, dont l’esprit vous est connu. Elle est adressée à M. l’Abbé de la Roque.

À Alby ce 3. Septembre 1687.

Puisque vous avez eu la bonté de faire placer dans un des Mercures Galans, la Relation que je fis de l’entrée de M. de la Berchere, nostre Archevesque, je croy que vous ferez encore quelque cas d’un évenement plus singulier qui le regarde, & que les seuls sentimens de nos cœurs ont fait naistre. Depuis la mort de M. l’Archevesque de Toulouse, le bruit s’estant répandu dans tout le Languedoc que M. l’Archevesque d’Alby rempliroit sa place, tout son Diocese en estoit alarmé. Le Courrier qui nous devoit apporter la nouvelle de nostre bon ou mauvais sort, estant arrivé le soir du 23. Aoust, & le Peuple apprenant qu’il n’avoit plus à craindre, une joye qui tenoit du transport s’empara de tous les cœurs. Comme c’est une passion qui ne demeure guere renfermée, chacun vouloit témoigner la sienne, & ce qui semble ne devoir produire qu’un tumulte confus, fit un effet tout contraire. On vit dans un moment un Feu de joye regulier, élevé par plus de mille mains dans la Place publique, tant il est vray que dans ces sortes d’occasions l’amour instruit tout d’un coup. Nos Magistrats conduisirent ensuite une grande foule de gens au devant de M. l’Archevesque, que la chaleur du jour avoit retenu à son Jardin jusques à la nuit. Il entra une seconde fois dans Alby au bruit des Canons & des Cloches. Il y eut des Illuminations à toutes les fenestres, aux Tours, aux Clochers, & des Feux devant toutes les portes. Le lendemain il fut harangué par les Magistrats & par le Clergé, & visité de toute la Noblesse. On n’a jamais veu de contentement pareil ; mais aussi il n’y eut jamais de Pasteur si digne de la tendresse de son Troupeau. Pour moy, Monsieur, plus alarmée que tout Alby ensemble, je m’estois retirée dans ma Maison de Campagne, qui n’est pas loin de la Ville, comme vous sçavez. Aux premiers Feux que j’entrevis je devinay mon bonheur, & je pris la liberté d’envoyer les Vers suivans à mon Illustre Archevesque.

Quelle est cette clarté, ce tumulte, ce bruit,
Qui jusque dans ma solitude
Redoublent mon inquietude,
 Pendant le calme de la nuit ?
 Ah juste Ciel, ce sont les marques
Des bontez qu’a pour nous le plus grand des Monarques.
Nous ne vous perdrons point, illustre & grand Prelat,
Et tout Alby charmé du Tresor qu’on luy laisse,
Par des feux, par des cris, montre son allegresse.
Vous trouveriez ailleurs plus d’honneur, plus d’éclat ;
Mais, aimable Pasteur, en faisant nos delices,
Vous goûterez icy de tranquilles plaisirs,
Vous y gouvernerez des esprits sans caprices,
 Vous reglerez tous nos desirs.
Enfin c’est en vous seul que nostre espoir se fonde,
Nous ne pouvons avoir de Prelat tel que vous,
 Mais aussi dans quel lieu du monde
Peut-on vous honorer, vous aimer comme nous ?

[Mort du Pere du Moulinet]* §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 315-316

 

Le Pere du Moulinet, Chanoine Regulier de Saint Augustin, mort en l’Abbaye de Sainte Geneviéve, d’une maniere d’apoplexie, à l’âge de 67. ans. Il estoit de Roüen, & avoit une parfaite connoissance des Antiquitez Romaines, & particulierement des Médailles. Il a fait un tres-beau Livre intitulé la France Metallique.

[Lettre de M. de Fontenelle sur le Livre intitulé les Malheurs de l’Amour, ou Eleonore d’Yvrée] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 322-329

 

Je m’estois attendu, Madame, à tout ce que vous me mandez d’Eleonor d’Yvrée, qui paroist depuis un mois, & je n’avois point douté qu’avec ces traits vifs, qui se font d’abord sentir au cœur, vous n’y trouvassiez beaucoup de pensées & une tres grande épargne de paroles. Ce sont les termes dont vous vous servez, & je croy que vous serez bien aise d’apprendre qu’en jugeant de cet Ouvrage, vous vous estes rencontrée dans les sentimens d’un homme, pour qui vous avez beaucoup d’estime. C’est Mr de Fontenelle. Voicy ce qu’il a écrit à une Dame de ses Amies, en luy envoyant ce petit Roman.

A MADAME ***

Que donneriez-vous, Madame, à un homme qui vous apprendroit que selon toutes les apparences du monde le goust des Romans va se rétablir ? Je suis asseuré que vous recevriez avec plaisir une pareille nouvelle, & c’est moy qui seray assez heureux pour vous la porter. Nous nous imaginions que le siecle avoit perdu ce goust-là ; nous croyions l’avoir perdu nous mesmes ; mais il est aisé de voir d’où cela venoit. On ne faisoit plus de Romans, & le goust perissoit faute de sujets sur quoy il pust s’exercer. Je viens de faire une lecture qui m’a rendu l’ancienne vivacité que j’ay euë pour cette sorte d’Ouvrages, & que j’espere qui réveillera aussi la vostre. Je vous parle d’Eleonor d’Yvrée que je vous envoye. C’est un petit sujet peu chargé d’intrigues, mais où les sentimens sont traitez avec toute la finesse possible. Or sans pretendre ravaler le merite qu’il y a à bien noüer une intrigue, & à disposer les évenemens, de sorte qu’il en résulte de certains effets surprenans, je vous avouë que je suis beaucoup plus touché de voir regner dans un Roman une certaine science du cœur, telle qu’elle est, par exemple, dans la Princesse de Cléves. Le merveilleux des incidens me frappe une fois ou deux, & puis me rebute, au lieu que les peintures fidelles de la nature, & sur tout celles de certains mouvemens du cœur presque imperceptibles à cause de leur délicatesse, ont un droit de plaire qu’elles ne perdent jamais. On ne sent dans les avantures que l’effort de l’imagination de l’Auteur, & dans les choses de passion, ce n’est que la nature seule qui se fait sentir, quoy qu’il en ait coûté à l’Auteur un effort d’esprit que je croy plus grand. Vous trouverez dans Eleonor d’Yvrée beaucoup de beautez de cette derniere espece, & des beautez fort touchantes. Eleonor, le Duc de Misnie, & Matilde, y sont dans une situation douloureuse, qui vous remplit le cœur d’une compassion fort tendre & presque égale pour ces trois personnes, parce qu’aucune des trois n’a tort, & n’a fait que ce qu’elle a dû faire. Le stile du Livre est fort précis ; les paroles y sont fort épargnées, & le sens ne l’est pas. Un seul trait vous porte dans l’esprit une idée vive, qui entre les mains d’un Auteur mediocre auroit fourny à beaucoup de frases, si cependant un Auteur mediocre estoit capable d’attraper une pareille idée. Les Conservations sont bien éloignées d’avoir de la langueur, elles ne consistent que dans ces sortes de traits, qui vous mettent d’abord, pour ainsi dire, dans le vif de la chose, & rassemblent en fort peu d’espace tout ce qui estoit fait pour aller au cœur. Enfin, on voit bien que la personne qui a fait ce Roman là, a plus songé à faire un bon Ouvrage qu’un Livre, car comme on se propose d’ordinaire pour un Livre une certaine étenduë, & mesme un certain Volume, on n’a pas accoûtumé d’estre plus avare de paroles que de pensées. Je ne vous en diray pas davantage, Madame ; aussi-bien vous ne croirez de tout cecy que ce que vostre cœur en sentira ; mais pour cette fois j’espere bien estre d’accord avec luy.

[Arrivée, séjour & départ des Ambassadeurs de Moscovie] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 330-331

 

Les Ambassadeurs qui yI sont venus les deux dernieres fois, ayant témoigné aux Princes leurs Maistres la satisfaction qu'ils y ont receuë, elle a esté cause de cette troisiéme Ambassade, & qu'un Prince de la Famille des Czars qui ont porté la Couronne avant ceux qui la portent aujourd'huy, a esté nommé premier Ambassadeur. Ils débarquerent à Dunkerque, où le Roy leur envoya M. Tort, Gentilhomme ordinaire de sa Maison, qui souvent a eu de pareilles Commissions, parce qu'ils s'en est toûjours acquité au gré de Sa Majesté, & des Ambassadeurs qu'il a receus & accompagnez pendant tout le séjour qu'ils ont fait en France. Il y avoit trois Ambassadeurs, & le dernier estoit nommé Chancelier, non pas qu'il fust en effet Chancelier de Moscovie, comme quelques Relations publiques l'ont marqué, il n'y a pas vraye semblance à celà ; mais parce qu'il n'y a presque point de Corps qui n'ait son Chancelier en ce Pays-là, & qu'il y en a mesme dans les Villes & dans les Bourgs. Ces trois Ambassadeurs avoient une suite de plus de six-vingt personnes tant Gentilshommes que Gardes Domestiques, Trompettes, Timbaliers, & Joüeurs d'Instrumens, qui ont tous esté nourris ; & voiturez aux despens du Roy.

[M. le Marquis de Dangeau est nommé Protecteur de l’Academie Royale d’Arles] §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 337-342

 

Mrs de l’Academie Royale d’Arles ont fait faire un Service pour le repos de l’Ame de feu M. le Duc de Saint Aignan leur Protecteur. Ce Service ayant esté accompagné de tout l’éclat qui peut donner de la pompe à ces sortes de ceremonies, le détail en est si long, & je l’ay reçû si tard, que je suis obligé de le remettre au mois prochain ; cependant M. le Marquis de Dangeau ayant esté nommé par le Roy Protecteur de l’Academie d’Arles, il faut dire comment cela s’est passé. Ces Illustres Academiciens, qui comme vous sçavez sont tous Gentilshommes, ayant rendu les devoirs funébres à leur défunt Protecteur, ne songerent plus qu’à faire remplir sa place, & ils députerent M. le Marquis de Chasteau-Renard qui se trouvoit alors à la Cour, pour agir en leur nom auprés du Roy. Comme M. de Croissy, Ministre, & Secretaire d’Etat, a le Departement de leur Province, ils écrivirent à ce Ministre pour le supplier de demander à Sa Majesté qu’il luy plust nommer un Protecteur pour leur Compagnie. M. de Chasteau-Renard rendit la Lettre à M. de Crossy, qui le receut avec beaucoup d’honnesteté, & luy dit le lendemain qu’il avoit parlé au Roy, & que Sa Majesté seroit bien-aise de le voir. Il ajoûta que le Roy luy avoit fait paroistre qu’il eust bien voulu que l’Academie d’Arles prist un Protecteur dans l’Academie Françoise, puisque feu M. de Saint Aignan en estoit, & qu’il luy avoit paru que l’inclination de Sa Majesté tournoit vers M. le Marquis de Dangeau. Le jour suivant, M. le Marquis de Chateau-Renard s’étant rendu au lever du Roy, Sa Majesté eut la bonté de luy dire si-tost qu’Elle l’eut apperçû, qu’Elle sçavoit bien de quoy il luy vouloit parler, & que c’estoit pour luy demander un Protecteur. Ainsi M. de Chateau-Renard ayant esté prevenu, ne trouva pas lieu de faire le Compliment qu’il avoit preparé. Il se contenta de dire à Sa Majesté ce que M. de Croissy luy avoit dit de sa part, & le Roy luy répondit en propres termes, Voyez qui vous accommodera le mieux dans l’Academie Françoise, ce qui donna lieu à M. de Chasteau-Renard de dire suivant ce qu’il avoit sceu de M. de Croissy ; Sire, puisque Vostre Majesté nous le permet, nous ne voyons pas que nous puissions mieux choisir que M. le Marquis de Dangeau ; sur quoy le Roy repeta deux fois, je le veux bien, & il s’en fit alors une nouvelle à Versailles. M. de Chateau-Renard crut qu’il devoit rendre compte à l’Academie Françoise de ce qui s’estoit passé, & comme il a eu plusieurs fois l’honneur d’y entrer & d’y prendre place, il demanda la mesme grace. Elle luy fut accordée, & on luy députa deux de Messieurs de l’Accademie, qui l’introduisirent dans l’Assemblée, qui se trouva ce jour là fort nombreuse. Il y prit Seance à l’ordinaire, & parla avec une justesse & une éloquence que tout le monde admira. Je ne puis mieux vous marquer les applaudissemens qu’il receut, qu’en vous disant qu’on le pria de donner son Discours par écrit pour l’inserer dans les Registres de cette Compagnie. M. Doujat Doyen, & Directeur en l’absence des deux premiers Officiers, répondit à M. de Chateau-Renard qui fut reconduit avec les mesmes ceremonies. L’Academie d’Arles doit regarder comme une bonne fortune le choix qui a esté fait de M. le Marquis de Dangeau pour son Protecteur. Il est d’une naissance distinguée, illustre par ses Emplois, Gouverneur de Province, & Chevalier d’Honneur de Madame la Dauphine. Le Roy le voit agreablement, & tout le monde convient qu’il est honneste, civil, bien-faisant, sçavant, & fort zelé pour les belles Lettres.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1687 (première partie) [tome 13], p. 350-351.

Il me reste une seconde Chanson à vous envoyer. En voicy une de la composition de M. l'Abbé, Maistre à chanter à Roüen, où il s'est attaché aprés avoir pris des leçons de tout ce qu'il y a de meilleurs Maistres à Paris. Ce qui luy a esté d'un grand avantage, c'est qu'il a cultivé depuis peu pendant cinq ou six mois l'illustre M. de Bacilly, que quelques affaires avoient appellé en Normandie. Le frequentation assiduë d'un si habile homme ne peut estre que d'une tres-grande utilité pour ceux qui ont les talens que l'on reconnoist dans celuy dont je vous parle.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Iris, pourquoy ne pas entendre, doit regarder la page 351.
IRIS, pourquoy ne pas entendre
Le doux langage de mes yeux ?
Ignorez-vous que c'est par eux
Que le cœur fait sçavoir ce qu'il a de plus tendre ?
Helas ! Iris, je languis sous vos Loix ;
Mes yeux pourroient mieux vous l'apprendre,
Que je ne puis l'exprimer par ma voix.
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