1687

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1687 [tome 15].
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Mercure galant, octobre 1687 [tome 15]. §

[Madrigal] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 49-50

 

J’ajoûte un Madrigal qui a esté fait sur cette Statuë.

 Cet air si grand, cette mine heroïque,
Cette Taille & ce Port si pleins de majesté,
Disent assez sans qu’on l’explique
Que c’est LOUIS LE GRAND qu’on a representé.
L’Ouvrier travaillant sur ce divin modelle,
N’a pourtant pas gravé ce qu’il a de plus grand,
 Son Air, son Port, sa Taille, tout surprend,
Mais son Ame est encore & plus grande & plus belle.
Il auroit, ce Sculpteur, fait voir en ce Portrait,
S’il en eust pû donner quelque marque fidelle,
Ce que jamais le monde a vû de plus parfait.

[De la Patience & du Vice qui luy est contraire, Ouvrage de M. de Fontenelle, qui a remporté le Prix de Prose, de l’Academie Françoise] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 65-109

 

J’ay bien cru, Madame, qu’en vous mandant la derniere fois, que lors que l’Academie fit la distribution des prix, Mr de Fontenelle avoit remporté celuy d’Eloquence, & Mademoiselle des Houlieres celuy de Poësie, je vous engagerois à me demander quelque chose de particulier des deux Ouvrages qui leur ont fait meriter ces Prix. Il y a tant de beautez dans l’un & dans l’autre, que tout ce que je vous en dirois ne rempliroit pas l’idée, que je voudrois vous en faire avoir. Ainsi j’aime mieux vous les envoyer entiers, afin que vous en puissiez juger par vous-mesme. Les Ouvrages de cette force sont toûjours dignes d’estre conservez. Voicy celuy de Mr de Fontenelle.

DE LA PATIENCE,
& du Vice qui luy est contraire.

Quelque peu d’usage que l’homme fasse de ses lumieres pour s’étudier soy-mesme, il découvre les foiblesses & les déreglemens dont il est remply : aussi-tost sa raison cherche à y remedier, touchée naturellement d’un desir de perfection qui luy reste de l’ancienne grandeur, où elle s’est veue élevée. Mais que peut-elle maintenant, incertaine, aveugle, pleine d’erreurs, digne elle-mesme d’estre comptée pour une des miseres de l’homme ? Elle ne sçait que combattre des defauts par des defauts, ou guerir des passions par des passions ; & les vains remedes qu’elle fournit sont des maux d’autant plus grands & plus incurables, qu’elle est interessée à ne les plus reconnoistre pour des maux, & qu’elle s’est seduite elle-mesme en leur faveur.

En vain pendant plusieurs siecles, la Grece si fertile en Esprits subtils, curieux & inquiets, produisit ces Sages, qui faisoient une profession témeraire d’enseigner à leurs disciples l’art de vivre heureux, & de se rendre plus parfaits ; en vain la diversité infinie de leurs sentimens, qui sera à jamais la honte des foibles lumieres naturelles, épuisa tout ce que la raison humaine pouvoit pour les hommes : l’effet des plus grands efforts de la Philosophie ne fut que de changer les vices que produit la nature corrompue, en de fausses vertus, qui estoient, s’il se peut, des marques encore plus certaines de corruption. Un homme du commun, ou ignore, ou reconnoist ses defauts avec assez de simplicité, pour les rendre en quelque sorte excusables ; au lieu qu’un Philosophe Payen, fier d’avoir acquis les siens à force de meditations & d’étude, leur donnoit tous ses applaudissemens.

Ces desordres que la raison humaine causoit dans la Grece, où elle regnoit avec toute la hauteur dont elle est capable quand elle vient à se méconnoistre, les leçons trompeuses qu’elle envoyoit de là chez tous les Peuples du monde, qui ne les recevoient qu’avec trop de docilité, ne furent pas sans doute les moindres motifs qui inviterent la Raison eternelle à descendre sur la terre. Si d’un costé chez les Juifs les fameuses Semaines de Daniel qui expiroient, & le Sceptre de Juda qui avoit passé dans des mains étrangeres, pressoient le Liberateur si longtemps promis & attendu, il est certain que d’un autre costé les Grecs livrez jusque-là à des erreurs orgueilleuses, & à une ignorance contente d’elle-mesme, demandoient également le Messie par leurs besoins, quoy qu’ils ne fussent pas en droit de l’attendre. Dieu le devoit aux uns pour dégager sa parole tant de fois donnée par la bouche de ses Prophetes ; & il le devoit, ce semble, aux autres pour satisfaire à sa bonté, qui ne les pouvoit souffrir plus long-temps dans les égaremens de leur sagesse. Il falloit aux uns un Monarque qui s’établist un Empire tout divin sur les Nations ; un grand Prestre qui leur enseignast les veritables Sacrifices ; & il falloit aux autres un Sage, dont ils receussent des preceptes solides, un Maistre qui leur apportast toutes les connoissances, aprés lesquelles ils soûpiroient depuis si long-temps.

Il parut donc enfin parmy les hommes, ce Messie si ardemment desiré d’un seul Peuple, & si necessaire à tous. Alors les idées & du vray & du bien nous furent revelées sans obscurité & sans nuages ; alors disparurent tous ces phantosmes de vertus qu’avoit enfantez l’imagination des Philosophes ; alors des remedes tout divins furent appliquez avec efficace à tous les maux qui nous sont naturels.

Arrestons nos yeux en particulier sur quelqu’un des effets que produisit la nouvelle Loy annoncée par Jesus-Christ. L’impatience dans les maux est peut-estre un des vices ausquels la nature nous porte, & le plus generalement, & avec le plus de force, & il n’y a point de vertu à laquelle la Philosophie ait plus aspiré qu’à la patience ; sans doute, parce qu’il n’y en a aucune ny plus necessaire à la malheureuse condition des hommes, ny plus capable d’attirer une distinction glorieuse à ceux qui auroient pû l’acquerir. Cette impatience de la nature, & la fausse patience de la Philosophie nous serviront d’exemples de l’heureux renouvellement qui se fit alors dans l’Univers. Voyons comment la veritable patience inconnuë jusque-là sur la terre, prit la place de l’une & de l’autre. N’ayons point de honte d’envisager de prés, & d’étudier nos miseres ; cette veuë, cette étude servira à nous convaincre des bienfaits du Redempteur.

I. POINT.

Quel est ce mouvement impetueux de nostre ame qui s’irrite contre les maux qu’elle endure, & qui s’agite comme pour en secoüer le joug ? Pourquoy tâcher à les repousser loin de nous par des efforts violens, dont nous sentons en mesme temps l’impuissance ? Pourquoy prendre à partie ou des Astres, qui n’ont en aucune sorte contribué à nos malheurs ; ou une Fortune & des Destins, qui n’ont point d’estre hors de nostre imagination ? Que veulent dire ces plaintes adressées à mille objets dont elles ne peuvent estre écoutées ? Que veut dire cette espece de fureur où nous entrons contre nous-mesmes, moins fondée encore que tous ces autres emportemens ? Soulageons-nous nos maux, ou les redoublons-nous ? Malheureux, si nous n’avons que des moyens si faux & si peu raisonnables pour les soulager ! Insensez, si nous les redoublons ! mais quel sujet d’en douter ? Il n’est que trop seur que nous redoublons nos maux. Cet effort que nous faisons pour arracher le trait qui nous blesse, l’enfonce encore davantage ; l’ame se déchire elle-mesme par cette nouvelle agitation, & le mouvement extraordinaire où elle se met excitant sa sensibilité, donne plus de prise sur elle à la douleur qui la tourmente.

Cependant ny la honte de suivre des mouvemens déreglez, ny la crainte d’augmenter le sentiment de nos maux, ne reprime en nous l’impatience. On s’y abandonne d’autant plus facilement, que la voix secrete de nostre conscience ne nous la reproche presque pas, & qu’il n’y a point dans ces emportemens une injustice évidente qui nous frape, & qui nous en donne de l’horreur. Au contraire, il semble que le mal que nous souffrons nous justifie ; il semble qu’il nous dispense pour quelque temps de la necessité d’estre raisonnables. N’employe-t-on pas mesme quelque sorte d’art pour s’exemter de rougir de ce defaut, & pour s’y pouvoir livrer sans scrupule ? Ne se deguise-t-on pas souvent l’impatience sous le nom plus doux de vivacité ? Il est vray qu’elle marque toûjours une ame vaincuë par ses maux, & contrainte de leur ceder ; mais il y a des malheurs ausquels les hommes approuvent que l’on soit sensible jusqu’à l’excés, & des évenemens où ils s’imaginent que l’on peut avec bien-seance manquer de forces, & s’oublier entierement. C’est alors qu’il est permis d’aller jusqu’à se faire un merite de l’impatience, & que l’on ne renonce pas à en estre applaudy. Qui l’eust crû que ce qui porte le plus le caractere de petitesse de courage, pust jamais devenir un fondement de vanité ?

La Religion seule pouvoit remedier à un defaut si enraciné dans la nature, & quelquefois autorisé par nos fausses opinions. Elle nous apprend, pour reprimer en nous l’impatience toûjours nuisible & insensée, que nous sommes tous pecheurs, que nous devons une expiation à la justice divine ; que tous les maux que nous sommes capables de souffrir, nous les avons meritez. Quelle étrange consolation, à en juger selon les premieres idées qui se presentent ! Quoy, nous ne serons pas seulement malheureux, nous serons encore obligez de nous croire coupables ? Nous perdrons jusqu’au droit de nous plaindre, nos soûpirs ne pourront plus estre innocens ? Encore un coup, quelle étrange consolation !

C’en est une cependant, & solide & efficace. Quelques tristes que paroissent quelquefois les veritez qui nous viennent du Ciel, elles n’en viennent que pour nostre bonheur & nostre repos. Un Chrestien vivement persuadé qu’il merite les maux qu’il souffre, est bien éloigné de les redoubler par des mouvemens d’impatience. Il est juste que la revolte de nostre ame contre des douleurs deuës à nos pechez, soit punie par l’augmentation de ces douleurs mesmes : mais on se l’épargne en se soûmettant sans murmure au chastiment que l’on reçoit. Ce n’est pas que les Chrestiens cherchent à souffrir moins, c’est que d’ordinaire les actions de vertu ont des recompenses naturelles qui en sont inseparables. On ne peut estre dans une sainte disposition à souffrir, que l’on ne diminuë la rigueur des souffrances. On ne peut y consentir sans les soulager ; & lors que nous nous rangeons contre nous-mesmes du party de la justice divine, on peut dire que nous affoiblissons en quelque sorte le pouvoir qu’elle auroit contre nous.

Faut-il que je mette aussi au nombre des motifs de patience que la Religion nous enseigne, les biens eternels qu’elle nous apprend à meriter par le bon usage de nos maux ? Sont-ce veritablement des maux, que les moyens d’acquerir ces biens celestes qui ne pourront jamais nous estre ravis ? Souffre-t-on encore quand on les envisage, & leur idée laisse-t-elle dans nostre ame quelque place à des douleurs & foibles & passageres ? Ah ! il semble qu’ils nous empeschent bien plûtost de les sentir, qu’ils ne nous aident à les endurer.

Tel a esté l’art de la bonté de Dieu, que dans les punitions mesme que sa colere nous envoye, elle a trouvé moyen de nous y ménager une source d’un bonheur infiny. Recevons avec une soûmission sincere de si justes punitions, & elles deviendront aussi-tost des sujets de recompense. Nous n’aurons pas seulement effacé nos crimes, nous aurons acquis un droit à la souveraine felicité. Aveuglement de la nature, lumieres celestes de la Religion, que vous estes contraires ! La nature par ses mouvemens desordonnez augmente nos douteurs, & la Religion les met, pour ainsi dire, à profit, par la patience qu’elle nous inspire. Si nous en croyons l’une, nous ajoûtons à des maux necessaires un mal volontaire ; & si nous suivons les instructions de l’autre, nous tirons de ces maux necessaires les plus grands de tous les biens.

Aussi la patience Chrestienne n’est-elle pas une simple patience, c’est un veritable amour des douleurs. Si on ne portoit pas sa veuë dans cette eternité de bonheur dont elles nous assurent la joüissance, on se borneroit à les recevoir sans murmure, comme des châtimens dont on est digne par ses pechez ; mais dés que l’on regarde le prix infiny dont elles sont payées, ou ne peut plus que les recevoir avec joye comme des graces dont on est indigne. De là naissoient ces merveilles dont les Annales des Chrestiens sont remplies ; cette tranquillité dont les Saints ont joüy au milieu même des plus âpres tourmens ; cette égalité parfaite qu’ils ont toûjours veuë entre les biens & les maux. Que dis-je, égalité ? cette préference qu’ils ont toûjours donnée aux maux sur les biens ; ces heureux excés de patience qu’ils ont poussez jusques à oser appeller sur eux les maux que la main de Dieu leur refusoit.

Quel spectacle fut-ce pour le monde corrompu que la naissance du Christianisme ! On voit paroistre tout à coup & se répandre dans l’Univers des hommes qui disconviennent d’avec tous les autres sur les principes les plus communs ; des hommes qui rejettent tout ce qui est recherché avec le plus d’ardeur, & qui ont un amour sincere pour tout ce que les autres fuyent. Les plaintes sont un langage qui leur est inconnu, si ce n’est dans la prosperité. Ils ne se contentent pas d’avoir au milieu des malheurs une constance inébranlable ; ils ont une joye qui va souvent jusqu’à des transports ; s’ils ne s’offrent pas d’eux-mesmes aux tourmens & à la mort, ils se contraignent ; la cruauté de leurs ennemis se méprend eternellement. On ne leur donne pour supplices que ce qu’ils souhaitent. Quels sont ces prodiges, devoient dire les Payens ? Quel est ce renversement ? Les biens & les maux ont-ils changé de nature ? Les hommes en ont-ils changé eux-mesmes ? Cet étonnement fut sans doute d’autant plus grand que l’on voyoit les Philosophes, qui jusque-là avoient paru estre en possession de toutes les vertus & de toutes les veritez, confondus, & dans leur speculation, & dans leur pratique, par de nouveaux Philosophes incomparablement plus parfaits. Ce furent ces derniers Sages, ou plûtost ce fut leur Maistre celeste que détruisit les fausses especes de patience établies par des Sages trompeurs, & plus vicieuses peut-estre que l’impatience mesme naturelle aux hommes, qui n’ont que leurs passions pour guides.

II. POINT.

Jamais la raison humaine n’a fait éclater tant d’orgueil, & n’a laissé voir tant d’impuissance que dans la Secte des Stoïciens. Ces Philosophes entreprirent de persuader aux hommes que leur propre corps estoit pour eux quelque chose d’étranger, dont les interests leur devoient estre indifferens, & que les douleurs qui affligeoient ce corps, estoient ignorées par le Sage, qui se retranchoit entierement dans la partie spirituelle de luy-mesme. Ainsi le Stoïcien regardoit les maux avec dedain comme des ennemis incapables de luy nuire, & il se paroit d’une patience fastueuse, fondée sur l’impassibilité dont sa Secte se flatoit. Souffrir avec constance eust esté quelque chose de trop humain, il ne souffroit point, semblable à Jupiter mesme dont il n’avoit lieu d’envier ny les perfections ny le bonheur.

Jusqu’où vous égarez-vous, foibles esprits des hommes, quand vous estes abandonnez à vous-mesmes ? Quoy, il s’agit de soulager les blessures que nous recevons tous les jours, nous les recevons, nous en gemissons, & on n’y trouve point d’autre remede que de nous soûtenir que nous sommes invulnerables ? trop heureux encore si nous pouvions entrer dans cette illusion & en profiter ; mais si ces vaines idées elevent pour quelques momens & enflent l’imagination seduite, on est aussi-tost rappellé au sentiment de ses maux par la nature plus forte & plus puissante, & si l’opiniâtreté du part y dont on a fait choix, maintient encore dans l’esprit cette superbe speculation, le cœur la dément & la condamne. Quand ce Stoïcien pressé par la douleur d’une maladie violente s’écrioit, en s’adressant à elle ; Je n’avoüeray pourtant pas que tu sois un mal ; Cet effort qu’il faisoit pour ne le pas avoüer, ce desaveu mesme apparent n’estoit-ce pas un aveu & le plus fort & le plus sincere qui pust jamais estre ?

Loin du Christianisme une erreur si contraire aux sentimens naturels, & un orgueil si indigne d’une raison éclairée. La patience des Chrestiens n’est point fondée sur ce qu’ils s’imaginent estre au dessus des douleurs, ils souffrent, ils avoüent qu’ils souffrent ; mais la soûmission qu’ils ont pour celuy qui les fait justement souffrir ; mais le prix qui est proposé à leurs souffrances produit cette constance, ce calme, cette joye qui ont si souvent arraché à leurs Persecuteurs de l’admiration & du respect. Ils ne retiennent point leurs plaintes & leurs gemissemens, par la crainte de deshonorer le party qu’ils font profession de suivre, mais la divine Religion qu’ils suivent previent en eux les plaintes & les gemissemens par les saintes pensées dont elle les remplit. Ils sont tels au dedans d’eux-mesmes que les Stoïciens avoient beaucoup de peine à paroistre au dehors, tranquilles & vainqueurs de la douleur qu’ils endurent. Ils sont ce que toute la Philosophie elle-mesme ne sçauroit assez admirer, aussi sensibles que les autres hommes à toutes les miseres humaines, plus satisfaits au milieu des plus grandes miseres, que s’ils estoient les plus heureux des hommes.

Il n’y a rien où la patience éclate avec plus d’avantage, que dans les injures. Un Stoïcien offensé ne conservoit un exterieur paisible, que parce qu’il s’élevoit aussi-tost dans son cœur au dessus de celuy qui l’avoit offensé, & quelquefois mesme par un superbe jugement osoit le degrader de la qualité d’homme ; insulte qu’on fait sans danger à son ennemy, vangeance impuissante qui ne laisse pas de consoler l’orgueil. Un Chrestien se met dans son cœur au dessous de tous les hommes, & cependant il a au milieu des outrages une heroïque tranquillité qui le met au dessus de ses ennemis. Innocent & heureux artifice que la grace nous enseigne ! Sans prendre une fierté mal fondée, sans affecter une fausse insensibilité, nous n’avons qu’à nous humilier sous la main du Createur pour estre superieurs aux creatures. Nous n’avons qu’à la respecter dans les instrumens qu’elle employe, pour estre à l’épreuve des plus rudes coups que les hommes puissent nous porter. Il n’y en a point qui n’ayent assez de pouvoir pour nous faire souffrir ; mais il n’y en a point qui en ayent assez pour troubler nostre repos. Lors que leurs bras sont tournez contre nous, un bras plus puissant qui les fait agir, se montre aux yeux de nostre foy, tient nos douleurs dans le respect, & reprime toute l’agitation qu’elles produiroient dans nostre ame. Les injustices que nous avons à essuyer ne se presentent plus à nous comme des évenemens qui partent de la méchanceté des hommes, & qui doivent exciter en nous de la haine & de l’indignation, nous remontons plus haut, & d’une veuë plus éclairée nous découvrons que ces mesmes évenemens nous viennent du Ciel, & comme de justes châtimens qui demandent de la soûmission, & comme des sujets de merite qui demandent des actions de graces.

Ce n’estoit pas ainsi qu’en jugeoient la pluspart des Philosophes, persuadez que toutes choses étoient gouvernées par une fatalité aveugle, immuable, necessaire, de laquelle partoient indifferemment & les biens & les maux. Il est vray qu’ils se soumettoient à elle dans les malheurs, & quelquefois avec assez de resolution ; mais quelle estoit cette espece de patience ? Une patience d’esclaves attachez à leur chaisne, & sujets à tous les caprices d’un Maistre impitoyable ; une patience qui n’estant fondée que sur l’inutilité de la révolte, arreste durement les mouvemens de l’ame, & au lieu de la consoler y laisse un chagrin sombre & farouche, en un mot, un désespoir un peu raisonné, plûtost qu’une vraye patience.

Graces à nostre auguste Religion, nous sçavons que nous ne dépendons point d’un destin aveugle qui nous emporte & nous entraisne invinciblement. Nos malheurs ne viennent point de l’arrangement fortuit de ce qui nous environne ; une Intelligence eternelle, non moins puissante que le paroissoit aux Philosophes leur fatalité imaginaire, mais de plus souverainement sage, preside à tout. Ce bras dont nous respectons les coups, est un bras qui nous distribuë les maux même selon nos besoins & selon nos forces, qui, à proprement parler, ne nous envoye que des biens ; c’est le bras d’un Pere, nous souffrons comme des enfans, seurs de la bonté de celuy qui nous fait souffrir, & non point comme des esclaves assujettis à toutes les rigueurs les plus bizarres & les plus cruelles : ce n’est point l’inutilité de la revolte qui nous arreste, c’en est l’injustice, & nostre patience est une veritable soûmission d’esprit qui répand dans le cœur une consolation presque aussi douce, si j’ose le dire, que la joüissance mesme du bien.

Tels sont les effets que produit chez les Chrestiens le divin exemple de la patience qui leur fut proposé, lors que le Juste, le seul Juste qui l’ait jamais esté par luy-mesme, se vit sur le point d’expier les pechez du Genre humain. Abandonné de toute la Nature, hormis de quelques Disciples qui n’avoient plus que peu d’instans à luy estre encore fidelles, frapé de l’affreuse idée d’un supplice également honteux & cruel qui luy estoit destiné, il s’adresse à son Pere celeste. Il luy demande que s’il est possible les tourmens qu’il envisage luy soient épargnez, & un souhait que la grandeur de ses tourmens déja presens à ses yeux rendoit si legitime, un souhait plus legitime encore par l’innocence de celuy qui le faisoit, un souhait où la moderation éclate jusque dans les termes qui l’expriment, est cependant reprimé dans le mesme moment par une soûmission entiere, & sans reserve aux desseins de Dieu. Que ta volonté soit faite, dit Jesus-Christ à son Pere. & quelle volonté ! Combien sçavoit-il qu’elle estoit severe & rigoureuse à son égard ! Il se voyoit livré à la Justice irritée, il voyoit la bonté entierement suspenduë, cependant pour satisfaire aux devoirs de l’obeissance d’un Fils, il souscrit à sa propre disgrace, & son unique soulagement au milieu de ses douleurs les plus vives, est de tourner les yeux sur la main dont il les reçoit.

Il soupira encore sur la croix, il se plaignit d’avoir esté abandonné de son Pere ; mais il ne murmuroit pas de cette extrême rigueur, il nous marquoit seulement combien il y estoit sensible. Les Philosophes pretendoient à une impassibilité, qui dans l’état où nous sommes ne peut s’accorder avec la nature humaine, & Jesus-Christ ne voulut pas joüir de celle qu’il eust pû recevoir de sa Divinité. Il souffrit les plus cruels supplices pour laisser un exemple qui convinst à des hommes necessairement sujets à la douleur. Il prit toute nostre sensibilité pour nous porter avec plus de force à l’imitation de sa patience.

Inspirez-nous, Verbe incarné, cette heroïque vertu si éloignée de la corruption qui nous est devenuë naturelle, & de la fausse perfection à laquelle la Philosophie aspiroit. Daignez nous instruire dans la science de souffrir, science toute celeste, & qui n’appartient qu’à vos Disciples. Tout le cours de vostre vie nous en donne d’admirables leçons ; mais comment les mettre en pratique sans le secours de vostre grace ? C’est vous seul sur qui nous pouvons prendre une veritable idée des vertus, & c’est vous seul encore de qui nous pouvons recevoir la force de les suivre ; vous qui estes la raison & la sagesse de vostre adorable Pere, devenez aussi la nostre pour regler les emportemens ausquels la nature s’abandonne dans les afflictions. Ne permettez, Seigneur, à vostre Justice de les faire tomber sur nous, que quand vous aurez mis dans nostre ame les dispositions necessaires pour en profiter, & ne nous envoyez tous les maux dont nous sommes dignes, qu’en nous donnant en mesme temps un courage vrayment Chrétien.

 

Depuis que les Prix ont esté donnez, on a sceu que les deux Discours qui ont concouru sur cette mesme matiere, estoient, l’un de Mr l’Abbé Raguenet, & l’autre de Mr de Clerville. Ils meritent l’un & l’autre de grandes loüanges, ayant écrit d’une maniere tres-noble, & fait le portrait de la Patience Chrestienne avec des traits vifs qui la font aimer.

[Ode de Mademoiselle des Houlieres, sur le soin que le Roy prend de l’éducation de la Noblesse, qui a remporté le Prix des Vers, de la mesme Academie] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 109-119

[...] Le sujet que Mrs de l’Academie avoient donné pour le Prix de Poësie, estoit l’éducation de la Noblesse dans les Ecoles des Gentilshommes, & dans la Maison de S. Cir. Vous seriez contente de la maniere dont Mademoiselle des Houlieres l’a traité, quand mesme l’estime que vous avez pour son nom, & l’interest que vous devez prendre à tout ce qui fait honneur à vostre Sexe, ne vous engageroient pas à lire cet Ouvrage avec plaisir.

ODE
Sur le soin que le Roy prend de
l’éducation da la Noblesse.

Toy, par qui les Mortels rendent leurs noms celebres,
Toy, que j’invoque icy pour la premiere fois,
De mon esprit confus dissipe les tenebres,
 Et soûtiens ma timide voix.
Le projet que je fais est hardy, je l’avouë,
Il auroit effrayé le Pasteur de Mantouë
 Et j’en connois tout le danger.
Mais, Apollon, par toy si je suis inspirée,
Mes Vers pourront des siens égaler la durée ;
 Haste-toy, viens m’encourager.
***
Dieu du jour, tu me dois le secours que j’implore,
C’est ce Heros si grand, si craint dans l’Univers,
Le Protecteur des Arts, LOUIS que l’on adore,
 Que je veux chanter dans mes Vers.
Depuis que chaque jour tu sors du sein de l’onde,
Tu n’as rien veu d’égal dans l’un & l’autre monde,
 Ny si digne du soin des Dieux.
C’est peu pour en parler qu’un langage ordinaire,
Et pour le bien loüer, ce n’est point assez faire
 Dés que l’on pourra faire mieux.
***
Il sçait que triompher des erreurs & des vices,
Répandre la terreur du Gange aux flots glacez,
Elever en tous lieux de pompeux Edifices,
 Pour un grand Roy n’est pas assez.
Qu’il faut pour bien remplir ce sacré caractere,
Qu’au dessein d’arracher son Peuple à la misere,
 Cedent tous les autres projets,
Et que, quelque fierté que le Trône demande,
Il faut à tous momens que sa bonté le rende
 Le Pere de tous ses Sujets.
***
A peine a-t-il calmé les troubles de la Terre,
Que ce sage Heros consulte avec la Paix,
Les moyens d’effacer les horreurs de la Guerre
 Par de memorables bienfaits.
Il dérobe les cœurs de sa jeune Noblesse
Aux funestes appas d’une indigne molesse,
 Compagne d’un trop long repos.
France, quels soins pour toy prend ton auguste Maistre !
Ils s’en vont pour jamais dans ton sein faire naistre
 Un nombre infiny de Heros.
***
Il établit pour eux des Ecoles sçavantes
Où l’on regle à la fois le courage & les mœurs,
D’où l’on les fait entrer dans ces routes brillantes
 Qui menent aux plus grands honneurs.
On leur enseigne l’art de forcer des murailles,
De bien asseoir un Camp, de gagner des batailles,
 Et de défendre des remparts.
Dignes de commander au sortir de l’enfance,
Ils verront la Victoire attachée à la France
 Ne suivre que ses Etendars ?
***
Tel cet Estre infiny dont LOUIS est l’Image,
Par les secrets ressorts d’un pouvoir absolu,
Des differens perils où la misere engage
 Sceut delivrer son Peuple élû.
Long-temps dans un Desert sous de fidelles Guides
Il conduisit ses pas vers les Vertus solides,
 Sources des grandes actions,
Et quand il eut acquis de parfaites lumieres,
Il luy fit subjuguer des Nations entieres,
 Terreur des autres Nations
***
Mais c’est peu pour LOUIS d’élever dans ses Places
Les Fils de tant de vieux & fidelles Guerriers,
Qui dans les champs de Mars, en marchant sur ses traces,
 Ont fait des moissons de lauriers.
Pour leurs Filles il montre autant de prévoyance
Dans l’asile sacré qu’il donne à l’innocence
 Contre tout ce qui la détruit ;
Et par les soins pieux d’une illustre Personne,
Que le Sort outragea, que la Vertu couronne,
 Un si beau dessein fut conduit.
***
Dans un superbe enclos où la sagesse habite,
Où l’on suit des Vertus le sentier épineux,
D’un âge plein d’erreurs mon foible Sexe évite
 Les égaremens dangereux.
D’enfans infortunez cent Familles chargées,
Du soin de les pourvoir se trouvent soulagées,
 Quel secours contre un sort ingrat ?
Par luy ce Heros paye en couronnant leurs peines.
Le sang dont leurs Ayeux ont épuisé leurs veines
 Pour la défense de l’Etat.
***
Ainsi dans les jardins l’on voit de jeunes Plantes,
Qu’on ne peut conserver que par des soins divers,
Vivre & croistre à l’abry des ardeurs violentes,
 Et de la rigueur des Hyvers.
Par une habile main sans cesse cultivées,
Et d’une eau vive & pure au besoin abreuvées,
 Elles fleurissent dans leur temps :
Tandis qu’à la mercy des saisons orageuses
Les autres au milieu des campagnes pierreuses
 Se flêtrissent dés leur Printemps.
***
Mais quel brillant éclair vient de fraper ma veuë !
Qui m’appelle ? qu’entens je ? & qu’est-ce que je voy ?
Mon cœur est transporté d’une joye inconnuë,
 Quels sont ces presages pour moy ?
Ne m’annoncent-ils point que je verray la cheute
Des celebres Rivaux avec qui je dispute
 L’honneur de la lice où je cours ?
Que de gloire & quel prix ! si le Ciel me l’envoye,
Le Portrait de LOUIS à mes regards en proye
 Les occupera tous les jours.

Priere pour le Roy §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 120

PRIERE POUR LE ROY.

Ah ! Seigneur, pour LOUIS ne nous alarme plus,
Content de nos soupirs n’en exige point d’autres ;
Mais pourquoy te lasser par des vœux superflus ?
Tes interests icy sont joints avec les nostres.
Que pour luy donc, Seigneur, ta main daigne s’armer ;
Conserve-nous long-temps un si digne Monarque,
Tel que tu pris pour nous le soin de le former ;
Qu’on le puisse toûjours reconnoistre à ta marque,
Soit qu’il se fasse craindre, ou qu’il se fasse aimer.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 121-122.M. Malo a écrit les paroles du premier couplet tandis que c'est probablement Bacilly qui a écrit celles du second, l' illustre Maistre en Musique dont le Public a veu tant de beaux Ouvrages, & qui veut bien prendre soin à l'avenir de me fournir tous les mois des Air étant probablement ce dernier, qui publie dans le Mercure depuis octobre 1679 et approvisionne le périodique en airs nouveaux.

Je vous envoye une Chanson à deux couplets. Mr Malo a fait les paroles du premier, & celuy qui les a mises en air, a fait celles du second, ausquelles il a joint la diminution, ce que vous n'avez point encore veu dans aucun des Airs nouveaux que je vous ay envoyez. Il vous est aisé de voir par là que je vous parle de cet illustre Maistre en Musique dont le Public a veu tant de beaux Ouvrages, & qui veut bien prendre soin à l'avenir de me fournir tous les mois des Airs, ou de sa composition, ou de celle des plus habiles Musiciens que nous ayons.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le plaisir de vous voir est un plaisir extrême, doit regarder la page 122.
Le plaisir de vous voir est un plaisir extrême
Mais il est dangereux de s'en laisser charmer.
Vous sçavez trop vous faire aimer,
Et vous ignorez comme on aime.
***
Je sçay qu'en vous voyant on voit la beauté mesme,
Qu'un seul de vos regards suffit pour enflâmer ;
Mais que sert-il de vous aimer,
Si vous ignorez comme on aime ?
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[Grande Ceremonie faite à Avignon au Baptesme d'un Juif] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 123-143

 

Il s'est fait à Avignon une Conversion remarquable d'un Juif nommé Angelo Pace, ou Mardacai Schalom, natif de Sienne, & élevé à Pise depuis l'âge de dix ans. Ses Parens qui sont gens riches n'ayant rien voulu épargner pour son éducation, avoient employé tout ce qu'il y a de sçavans Rabins dans les Ecoles des Juifs d'Italie, pour le rendre un des plus doctes & des plus éclairez de cette Religion. Il y a quatorze ans ou environ qu'il quitta l'Italie, & depuis ce temps il a conferé avec les plus Habiles Rabins de l'Europe, pour tâcher de s'éclaircir sur quelques points qui luy faisoient peine, & sur lesquels ses propres lumieres, quoy que tres-fortes, n'avoient pû le satisfaire. Il prit enfin le dessein d'aller à Paris, & de traverser [...]

Le Dimanche 17. Aoust estant arrivé, Mr l'Archevesque d'Avignon qui fait toutes les fonctions de son caractere avec éclat, partit de son Palais Archiespicopal sur les quatre heures, accompagné de Mr l'Abbé de Cabanes, Prevost de sa Metropolitaine, & de tout ce qu'il y a de personnes distinguées dans son Clergé qui est fort nombreux, & alla aux Cordeliers. On l'y revestit de ses habits Pontificaux, & aprés qu'on eut chanté en Musique les Pseaumes marquez dans le Rituel pour servir de preparation à cette Ceremonie, il descendit de son Trône pour aller à la porte de l'Eglise, où elle devoit être commencée. Il y arriva en mesme temps que s'y rendit Mr le Vice-Legat, accompagné de ses Officiers tant d'épée que de Robe, & de toute la Noblesse, precedé par sa Garde Suisse, & suivy par celle de ses Gardes à cheval, de Chevaux Legers, outre une vingtaine de Carrosses, & douze Estafiers. Dans le mesme temps parut Madame la Princesse d'Harcourt en Chaise, precedée de douze Valets de Pieds. Elle estoit suivie de dix ou douze Carrosses où estoient les Dames les plus qualifiées de la Ville. Mr le Marquis de Brancas qui a l'honneur d'appartenir à Madame la Princesse d'Harcourt sa Belle-fille, luy donna toûjours la main, & Mesdames les Marquises de Cereste, de Rochefort & de Brancas, aussi-bien que Mademoiselle de Brancas l'accompagnerent. Toutes choses estant ainsi disposées, Mr l'Archevesque commença la ceremonie par les Exorcismes hors la porte de l'Eglise, où Mr le Vice-Legat & Madame la Princesse d'Harcout luy presenterent le Neophite. [...]

Tant que dura la Ceremonie, douze Valets de Pied tinrent chacun un grand flambeau de cire blanche allumé, & plus de cent Musiciens avec des Violons, des Hautbois, & plusieurs autres Instrumens, chanterent divers Motets de la Composition de Mr Petit, Maistre de Chapelle de l'Eglise Metropolitaine d'Avignon. Aprés le Boptesme [sic] on chanta un Te Deum [sic], & les Violons de la Ville meslez avec ceux de Mr Gautier, Maistre de l'Academie Royale de Musique établie à Marseille, joüerent differentes Pieces qui charmerent plus de douze mille personnes qui estoient presentes. La Festes fut terminée par une salve de la Mousqueterie, & par la décharge de vingt-quatre Boëtes rangées dans la Place au devant de l'Eglise, le long du Canal de la Riviere de Sorgue.

[Honneurs funebres rendus par Messieurs de l’Academie Royale d’Arles, à la memoire de M. le Duc de S. Aignan] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 142-206

 

Je m’acquite de ce que je vous promis la derniere fois, touchant les honneurs funebres rendus dans la Ville d’Arles à la memoire de Mr le Duc de S. Aignan, & comme la Relation en a esté faite par Mr Gifffon, l’un des Academiciens de l’Academie Royale établie en cette Ville-là, & qu’il ne doit pas estre permis de faire des changemens dans l’Ouvrage d’un homme de ce caractere, je vous l’envoye telle qu’elle m’a esté donnée. En voicy les termes.

La Noblesse du sang n’inspirant que des sentimens fort élevez au dessus du vulgaire, on ne doit pas estre surpris que l’Academie Royale d’Arles, que Sa Majesté a declaré par ses Patentes ne vouloir estre composée que de Gentilshommes, par un Privilege à ce Corps d’une singuliere distinction, se soit toûjours extremement signalée dans toutes les occasions où le devoir l’a engagée de se montrer en public. Elle le fit en dernier lieu, d’une maniere si éclatante pour l’heureuse convalescence de Sa Majesté, qu’outre l’avantage qu’elle eut de gagner les devants sur toutes les Compagnies de cette Province, qui se signalerent en cette occasion, elle assortit si bien son dessein à la dignité du sujet, qu’on demeura pleinement convaincu que tout ce que des Gens d’esprit & de qualité veulent entreprendre, porte un caractere bien different à tout ce que les autres peuvent imaginer. Les Curieux pourront en juger aujourd’huy par la magnificence avec laquelle Mrs de l’Academie Royale ont tâché de rendre leurs devoirs funebres à la memoire de Mr le Duc de S. Aignan leur Protecteur. À peine eurent-ils appris dans cette Compagnie la nouvelle de sa mort, par des Lettres qui furent écrites de Paris à Mr le Marquis de Robias-d’Estoublon, Secretaire perpetuel, & à Mr Giffon son Substitut, par Mr le Marquis de Chateau-Renard leur Confrere, Député de cette Compagnie, & d’ailleurs tres-estimé & chery de ce Duc, que l’Assemblée fut extraordinairement convoquée, pour regler tout ce qu’on auroit à faire en cette occasion, pour donner au Public les marques les plus sensibles & les plus éclatantes de la douleur de l’estime, de la gratitude, & de la veneration qui sont deuës à la memoire de ce grand homme. Aprés plusieurs propositions, il fut arresté que l’on iroit faire part à Mr l’Archevesque de la triste nouvelle que l’Academie venoit de recevoir, & qu’on répondroit par cette marque de respect, à toutes les bontez dont ce digne Prelat, aussi-bien que Mr son Coadjuteur, l’ont toûjours honorée ; aprés quoy il fut resolu d’ordonner generalement des Prieres & des Sacrifices pour le repos de l’ame du Défunt dans toutes les Paroisses & Communautez Religieuses de la Ville. Cependant Mrs les Recteur & Officiers de la Compagnie des Penitens bleus, qui sont de fondation Royale, poussez d’un zele & d’une honnesteté toute particuliere, vinrent offrir à Mrs de l’Academie leur Chapelle, leurs soins, & leurs services pour la Ceremonie funebre que l’on projettoit, d’une maniere si engageante, qu’il auroit esté bien difficile de ne pas se prevaloir d’une aussi heureuse disposition, pour assortir avec toute la magnificence possible, les desseins qu’on avoit formez pour honorer la memoire d’un si grand Protecteur. Cette Chapelle (c’est ainsi qu’on appelle generalement toutes les Eglises où Mrs les Penitens s’assemblent) est d’une propreté & d’une structure la plus reguliere que l’on puisse voir. Elle est percée au milieu de la voûte par un grand Dôme, environné de fenêtrages, qui répandent un agreable jour dans tout le reste de la Nef. Cette disposition du lieu parut d’abord si favorable à toutes les idées que l’on avoit conceuës d’un magnifique Mausolée, que l’on détermina de l’élever jusqu’au haut de ce Dôme, pour luy donner un ordre & une disposition à laquelle il pust servir de couronnement. On entre dans cette Eglise par une Antichapelle, qui s’étend en un long Portique jusqu’à la maistresse porte qui aboutit à la ruë. Il seroit difficile de representer avec quels soins & quelle diligence on entreprit de parer cette Eglise d’une tenture de drap noir, depuis le haut de la Nef jusques au bas, de mesme que l’Antichapelle & le Portique. Tous les bancs qui les environnent en furent aussi couverts, de maniere qu’on ne sçauroit concevoir l’idée d’un plus pompeux & plus lugubre appareil, que celuy de ce lieu. Mais comme on avoit resolu de mettre en usage tous les assortimens qui pourroient en augmenter la magnificence, on fit appliquer contre cette Tapisserie noire de grands Squeletes de relief peints en grisailles, plantez sur des piedestaux proportionnez à la hauteur des Figures, qui estoient toutes de differentes attitudes, rangées autour de l’Eglise à deux toises & demie les unes des autres, & soutenant chacune quelque quartier de sepulcre sur la teste avec un bras élevé pour l’appuyer, sur lequel on lisoit en forme d’inscription quelques paroles ou Sentences convenables au sujet de cette Ceremonie. Deux bandes de velours noir s’étendoient au dessus de ces Colosses, tout autour de l’Eglise, de l’Antichapelle & du Portique, ornées d’un double rang de riches Ecussons de la Maison de l’illustre Défunt, & d’autres remplis de toutes ses Alliances, rangez alternativement avec celuy de l’Academie Royale, qui est chargé de deux Lauriers verdoyans, plantez sur un tertre au naturel, entrelassant leurs branches, & surmontez d’un Soleil rayonnant, avec cette Devise, Foventur eodem. Dans la seconde bande de velours on avoit placé d’espace à autre, avec les Armes de nostre illustre Protecteur, des testes de mort couronnées à la ducale, des Devises & des Emblêmes avec des Ossemens passez en sautoir, entremêlez de tous les symboles les plus convenables à la grandeur de ce Heros. Le reste paroissoit parsemé d’une infinité de larmes d’argent d’une disposition tres-recherchée, & d’un effet admirable. On voyoit ensuite tout autour de la Tapisserie une tres-grande quantité de belles Devises, d’Emblêmes, & de Hierogliphes, que l’on avoit disposées à pouvoir estre lûës & admirées sans peine de tous les Curieux & les Sçavans. Le Portrait au naturel de Mr le Duc de S. Aignan, qui est un chef-d’œuvre de la plus sçavante Peinture, & un glorieux present dont Mr Giffon, de l’Academie Royale, se vit honoré à Paris des propres mains de ce Duc, fut exposé au milieu de l’Eglise, à l’opposite du Bureau que l’on avoit destiné pour la Seance de Mrs de l’Academie. Sa riche bordure dorée, couverte d’un crespe noir tout plissé, & pratiqué par les bouts en festons, sembloit estre soutenuë dans ses quatre coins, par quatre petits Amours pleurans qui envisageoient le Mausolée, & embrassoient une Urne fumante. Vis-à-vis de ce Portrait, on voyoit parmy les Emblêmes & les Devises qu’on y avoit placées, un grand Tableau aussi environné d’un crespe plissé en bordure, representant l’Academie Royale, par des Figures, des Hierogliphes, & des symboles tres-curieux & tres-recherchez, par un assemblage de Vers retrogrades, & de tant de differentes beautez, qu’il semble que cet Ouvrage, que le Pere Hyacinte Recolet a dedié à l’Academie, est le dernier effort de l’esprit humain. Il y a disposé les Armes de chaque Academicien, avec une Devise tirée des Pieces qui les composent, au haut desquelles celles de Mr le Duc de S. Aignan sont supportées par Mars & par Minerve, qui semblent vouloir les appendre au Temple de la Gloire, qu’on y voit representé d’un dessein & d’un pinceau tres-delicat.

Comme je me suis proposé de donner une idée generale de la disposition du lieu avant que de venir au détail des autres assortimens de cette pompe, je vous diray que les trois grandes Portes par où il falloit passer avant que d’entrer à l’Eglise, avoient chacune leurs Ornemens particuliers. Celle de la ruë estoit garnie d’un drap noir, qui formoit tres-regulierement toutes les beautez de son Architecture. Son fronton & son couronnement estoient soûtenus à la place des Pilastres par deux gros Colosses ou Squeletes dessechez, portant sur la teste des bases de colomnes brisées, sur lesquelles on avoit écrit ce Vers Latin en gros caractere.

Ultima tela necis Heroum gloria vincit.

Les Armes de Mr le Duc de Saint Aignan dans un grand ovale, ornées du Manteau Ducal & des Ordres du Roy, & environnées d’un grand crespe, estoient placées au haut de la porte, sur un tapis de velours noir, tout parsemé de chiffres de son nom & de larmes d’argent. De cette porte on arrivoit par un long Portique tout drapé de noir, & enrichy d’Ecussons, à celle de l’Antichapelle, qui estoit à peu prés de la mesme parure & de la mesme disposition ; la veuë de l’une & de l’autre est terminée par un Autel qu’on avoit couvert d’un grand velours noir traversé d’une croix de satin blanc, cantonnée de quatre Ecussons de Mr le Duc Protecteur. On avoit mis six gros chandeliers d’argent sur l’Autel, garnis de flambeaux, & ornez d’Ecussons. À la droite de l’Antichapelle, on voyoit la porte de l’Eglise toute revestuë d’un drap noir comme les autres, mais beaucoup mieux ornée par des lez de velours, étendus à l’endroit des Pilastres, sur lesquels on avoit appliqué deux grands Squeletes supportant des bazes, où on lisoit cet autre Vers,

Vivitur ingenio, cætera mortis erunt.

Le grand Tableau du symbole de l’Academie, que nous avons déja designé, estoit sur le haut de cette porte, avec un grand crespe noir qui en couvroit la bordure dorée, & trois Ecussons du défunt Protecteur estoient rangez prés de ce Tableau ; deux à costé, & l’autre au dessus. Deux grands bras d’ébene supportant de gros flambeaux, estoient aux deux extremitez de cette porte, de laquelle on découvroit à plein tous les assortimens de l’Eglise où le Service devoit estre fait, & l’Eloge funebre prononcé, & au milieu de laquelle on avoit dressé le superbe Mausolée dont je vous ay parlé, & dont je me suis reservé de vous faire icy une description separée du reste.

Il estoit élevé sous le Dôme de l’Eglise sur un carré en theatre, de trois toises de longueur, & d’une & demie de hauteur, qui formoit une estrade élevée sur quatre degrez, le tout tendu d’un drap noir traisnant ; sa figure estoit carrée & d’un double rang de colomnes torses. Quatre grandes portes ornées de toutes les beautez de l’Architecture soûtenoient au dessus de leur frise une voûte en Imperiale, qui terminoit en pointe de Diamant par un Piramidion, sur lequel on voyoit en relief un Genie ou Amour éploré, qui portoit sur sa teste une urne brûlante à l’antique, & dans l’une de ses mains un Vase lacrimatoire, & un phare allume. Aux deux costez des portes de ce Mausolée, il y avoit à la place des pilastres quatre grandes Figures de relief, soutenuës sur des piedestaux proportionnez à leur hauteur au delà de nature, sur la base desquels on avoit gravé en lettres d’or quatre Epitaphes pour Mr le Duc de S. Aignan, en quatre Langues differentes qu’il entendoit & parloit parfaitement. Ces Figures estoient comme quatre Vestales pleurantes sous des habits lugubres, tenant d’une main un mouchoir devant les yeux, & de l’autre une Torche ou Flambeau Mortuaire. On pretendoit par là faire connoistre le deüil & la tristesse des quatre principales Academies de France, qui ont paru si cheres à cet illustre Duc, & qui avoient lieu de le regarder, ou comme Membre, ou comme Amy, ou comme Protecteur & Chef de leurs Corps, telles que celles de Paris, d’Arles, de Soissons, & d’Angers ; quoy que peu de personnes ignorent le rang qu’il s’estoit acquis dans toutes celles de l’Europe, & sur tout en Italie, & en Angleterre. Ces mesmes Figures avoient aussi rapport aux quatre principaux Emplois, ou Titres éminens qu’il a possedez dans le monde ; sçavoir de Duc & Pair de France, de premier Gentilhomme de la Chambre du Roy, de Chevalier de ses Ordres, & d’Academicien & Protecteur parfait ; c’est à dire, que la Noblesse, la Valeur, l’Honneur & les Lettres avoient également contribué à le faire devenir l’admiration des Braves, le modele des Courtisans, le charme des Spirituels, & l’Amour des Sçavans de son Siecle. Sous cette Chapelle ardente, & sur cette Estrade, on voyoit la Representation Mortuaire couverte d’un grand Poële de Velours noir traversé d’une large Croix de moire d’argent, & orné de quatre Ecussons aux Armes & aux Alliances du Défunt. Une grande Couronne Ducale de vermeil, voilée d’un crespe noir, estoit posée sur un Carreau de Velours noir houppé d’or, au pied de ce Tombeau, avec tous les autres symboles convenables à ses emplois & à ses Charges. La premiere face de ce Mausolée estoit enrichie de quantité de Trophées qui environnoient le grand Ecusson de ses Armes, à seize quartiers de ses Alliances, dont les principales sont, Husson, Clermont, Poitiers, Babou, Gaudin, Robertet, Gaillard, Longieumeau, la Grange, la Marche, Rochechoüard, Autri, Crenant, Brigüeil, la Jaille, Halluin, Crevecœur, &c. & sur le tout, facé d’argent & de Sinople à six Merletes de sable sur l’argent, 3. 2. & 1. qui est de Beauvilliers. La seconde face estoit ornée de la Médaille en Camayeu de cet illustre Duc, avec quelques Devises sur sa Charge de Premier Gentilhomme de la Chambre du Roy. Je vais vous les rapporter icy, quoy que pour éviter la longueur je laisse la pluspart des autres, dont beaucoup ayant esté faites par Mr le Marquis de Robias, par Mr le Marquis d’Estoublon son Fils, & par Mr l’Abbé Fleche de l’Academie Royale, sont d’une beauté, d’une recherche, & d’une regularité presque inimitables. Dans l’une de ces Devises paroissoit la belle Etoile aux premiers rayons du Soleil levant, avec ce mot, À son Lever.

La mesme Etoile aux rayons du Soleil couchant, faisoit le Corps de la seconde Devise, avec ces mots, À son Coucher.

La troisiéme representoit la Planete de Jupiter, avec les quatre petites Etoiles, qu’on appelle les Satellites, & ces paroles pour ame, Ces quatre ne le quittent point, ce qui faisoit allusion à l’employ des quatre Gentilshommes de la Chambre. On representoit aussi la pleine Lune, avec ces mots ; C’est des Quartiers le plus brillant, pour faire comprendre que lors que Mr le Duc de Saint Aignan estoit en Quartier, toutes les Festes de la Cour en paroissoient & plus galantes, & plus spirituelles. Sur la troisiéme face du Mausolée on voyoit les Armoiries de ce mesme Duc sans écartelure, avec le grand Manteau Ducal & le Collier des Ordres du Roy, dans des Couronnes de Laurier, de Gramen, de Chesne, Murales, & Valleres. On y avoit marqué en des Ovales qui bordoient ces Ecussons, les Profils en Camayeu de differentes couleurs, avec les noms fameux de Vaudevranches, de Dole, de Corbie, de Landrecy, d’Eymeries, de Barlemont, de Maubeuge, de Chinay, d’Yvoy, de Gravelines, de Cosme, de Sink, de Sainte Menehoud, de Steimbrun, de Chasteau-porcien, de Montmedy, & autres Places qui ont servy de Theatre à la valeur & à la gloire de nostre Heros, & chaque action où il s’est signalé avoit donné lieu à de tres-belles Devises, qui mettoient sa bravoure & son courage dans leur plus beau jour. La quatriéme face de ce Mausolée estoit enrichie d’un tres-beau Cartouche, où l’on avoit dépeint la Devise de l’Academie Royale. Ce Cartouche estoit rehaussé d’or & d’argent, & environné du symbole de toutes les Academies Etrangeres, avec lesquelles cet illustre Duc estoit eu commerce d’esprit & d’amitié, comme si elles venoient faire fumer leur encens au pied de son tombeau.

Celle des Intronati de Sienne, qui est la plus ancienne que nous connoissions, estoit representée par son symbole, qui est une Calebasse remplie de Sel, avec ce mot, Meliora latent.

Celle des Humoristes de Rome, a une pluye formée des vapeurs qui s’élevent de la Mer, & le mot, Redit agmine dulci.

Les Gelati de Bologne, marquent des arbres dépoüillez de verdure durant l’Hyver, avec ce mot, Nec longum tempus.

Celle des Nascosti de Milan est figurée par un Soleil dans les broüillards, & ce mot, Nec diu.

La Crusca de Florence, à un Bluteau à passer la Farine, avec ces mots, Il piu bel sior ne coglie.

Les Obscurs de Luques representez par un tas de charbons, & ce mot. Coruscant accensi.

Les Ardents de Naples, par un Autel antique, avec la Victime & le feu ; le mot est, Non aliunde.

Les Adormentati de Genes ont un Réveil, & ce mot, Sopitos suscitat.

La Fuscina de Messine, une Forge & son enclume, & ces mots, Formas vertit in omnes.

Les Olympiques de Vicence, le Cirque accompagné de ce mot, Hoc opus, hic labor.

Les Immobiles d’Alexandrie, le Globe de la Terre avec ce mot, Immota, nec iners.

On voyoit au bas de cette face un grand Ovale ou l’Obelisque & la Venus d’Arles estoient representées comme des pieces considerables qui ont donné lieu à cet illustre Protecteur de faire valoir auprés de Sa Majesté, & la fidelité de nostre Ville, & le zele de son Academie Royale. Il y avoit au bas de la Tapisserie du Mausolée, une ceinture de velours noir, chargée des Armes de Mr de S. Aignan, du symbole de l’Academie Royale, & de quantité de Devises historiques de sa vie alternativement rangées. On y voyoit representé un grand Miroir avec ce mot d’Horace, Quid deceat, quid non.

Un Aigle ayant les yeux attachez sur le Soleil, avec ces mots Espagnols, A tan puros esplendores,

Par de si purs rayons qui ne seroit touché ?

Ce qui exprimoit son zele & son attachement pour le Roy.

Un Cadran au Soleil avec ce mot d’Horace, Certa fides.

Toûjours à son devoir également fidelle.

Deux grands Palmiers panchez l’un vers l’autre, quoy que separez par un bras de Mer, avec ces mots, Poco pueden las distancias,

Dans leur éloignement de cœur ils sont unis,

pour marquer l’Alliance des deux Academies, la Françoise & la Royale d’Arles, contractée par les soins de ce Duc.

Un grand Chesne dont le tronc est entr’ouvert, & ses branches droites & fortes avec ce mot, Vecchiaya, virtuosa, vigorosa. L’Academie Royale avoit fait cette Devise, pour signifier la belle vieillesse de son illustre Protecteur.

Une main, ou dextrochere, empoignant fortement une épée, & laissant tomber en mesme temps une quantité d’especes ou pieces d’or, avec ce Vers tiré des Poësies du Tasse,

S’astringe al ferro, & si dilata al oro

On avoit aussi peint sur ce qui restoit de vuide dans les quatre faces du Mausolée les Devises que ce Duc avoit portées & inventées en diverses Festes de la Cour.

Au grand Carrousel de 1662. il fit voir que les plus adroits ne gagnoient jamais rien avec luy, puis qu’il leur enlevoit presque toûjours le prix ; il portoit pour Devise un Laurier, qui est l’arbre consacré au Soleil, avec ce mot, Sol.

Au fameux Carrousel de la Quadrille des Romains, dans lequel le Roy qui en estoit le Chef, portoit un Soleil pour sa Devise, Mr le Duc de S. Aignan fit admirer son adresse, de mesme qu’aux Festes de Versailles en l’année 1664., où il prit pour Devise un Timbre d’Horloge, avec ces mots Espagnols, De mis golpes mi ruido.

Il fut fait Maréchal de Camp de ces Courses, & il y remporta le prix contre feu Mr le Marquis de Soyecour. Il en disputa un autre avec Sa Majesté, & s’estima le plus heureux des hommes, de n’avoir pû estre vaincu que par le plus grand Roy de la Terre. Il fut l’ame des deux derniers Carrousels, par l’ordonnance & le dessein qu’il en fit ; il en fut aussi le Maréchal & le Juge, & dans cette premiere qualité il porta pour Devise un gros Diamant taillé à facetes, avec ces mots, Da ogni parte fiammeggia, & pour assortir l’autre, on fit de tres-beaux Vers en sa faveur, qui peignoient parfaitement bien le caractere de sa vie & de ses qualitez éminentes.

L’Academie Royale pour marquer la peine qu’elle aura à se consoler de la perte d’un si digne Protecteur, avoit peint un grand Palmier, qui met un tres-long temps à venir & à porter son fruit, avec ces mots, Post sæcula crescit.

Le Ciel dans ce Heros tant de Vertus assemble,
Qu’on peut dire de luy comme on dit du Palmier,
 Il faut un siecle tout entier
 Pour en faire un qui luy ressemble.

Enfin, pour signifier le deüil des deux Academies, on avoit representé une Forest de Lauriers, parmy lesquels il y en avoit un qui paroissoit sec & abattu, surmontez d’un Soleil rayonnant, auquel ils adressoient ces paroles,

 Vivere ni jubeas, fraternâ morte perimus.
Sans le Soleil qu’il nous faut suivre
Luy, de qui dépend nostre sort,
Nous cesserions bien-tost de vivre,
Car comment survivre à sa mort ?

Il y avoit autour de ce Mausolée quarante gros flambeaux, pour assortir le nombre de Mrs de l’Academie Françoise, dont Mr le Duc de S. Aignan estoit un illustre membre, & trente autres sur le tour de la premiere marche, qui portoient les Ecussons des trente Academiciens de l’Academie Royale. Les autres marches de l’Estrade estoient chargées d’une infinité de chandeliers d’argent, garnis de grosses bougies, & tout le reste du Mausolée estoit éclairé d’un bout à l’autre d’une maniere si bien entenduë, qu’on ne sçauroit se representer la magnificence de cet appareil, à moins que de l’avoir vû. Le grand Autel estoit voilé d’un velours noir traversé d’une large croix de satin blanc. On avoit placé au milieu le grand Crucifix d’argent qui sert d’étendard aux Processions solemnelles que font Mrs les Penitens ; une tres-grande quantité de Plaques d’argent en augmentoient la parure de chaque costé. Il y avoit six gros Chandeliers aussi d’argent sur l’Autel, avec six flambeaux chargez d’autant d’Ecussons du Défunt, & l’on avoit posté sur les deux Credences qui sont aux costez de l’Autel, deux Anges de relief, habillez en Dalmatique, dont l’un tenoit d’une main une épée flamboyante, & de l’autre une couronne de Laurier entremêlée d’étoiles d’or, avec ces mots tirez de l’Histoire des Rois. Pro Domino, Deo Exercituum. Le second tenoit d’une main un Livre ouvert, dans lequel on lisoit ces paroles du mesme Livre des Rois, Deus scientiarum Dominus est, & de l’autre main il tenoit une couronne de Laurier, aussi parsemée d’étoiles, au bas de laquelle on avoit écrit en Lettres d’or le mot de l’Academie Françoise, À l’Immortalité. On avoit disposé du costé de l’Autel une grande Table couverte d’un tapis de velours noir houppé & frangé d’argent, & sur cette Table estoient tous les assortimens necessaires aux Offrandes, Absolutions, Encensemens, & Aspersions qui devoient estre faites en cette Ceremonie.

Le jour en avoit esté arrêté au Mercredy 20e du mois d’Aoust, & dés le soir precedent, elle fut annoncée par le son de toutes les Cloches de l’Eglise Cathedrale, qui sonnerent à volée pendant une partie de la nuit, & tout le lendemain matin, jusqu’aprés le Service achevé. Cependant ce mesme jour Mrs les Penitens bleus, qui vouloient signaler en leur particulier leur zele par leurs prieres autant que par leurs soins, allerent dés le grand matin chanter l’Office des Morts dans cette Chapelle, pour le repos de l’ame de Mr le Duc de Saint Aignan, & sur les huit heures Mrs de l’Academie Royale, tous en habit de deüil, s’y rendirent ensemble, avec des témoignages sensibles de la douleur dont ils estoient penetrez. Ils firent inviter à cette Ceremonie lugubre Mrs les Consuls, qui s’y rendirent aussi en habit noir, & en chaperon, accompagnez d’une foule de Noblesse, & aprés qu’on les eut postez dans la place d’honneur à costé du Mausolée, Mrs de l’Academie se rangerent de l’autre à leur opposite, les uns & les autres dans des bancs faits en Prié-Dieu, garnis d’un drap noir traînant, & couverts par dessus d’un grand velours noir, avec des carreaux de mesme, On avoit rangé la Musique au fond de l’Eglise, dans une Tribune vis-à-vis de l’Autel, d’où elle estoit entenduë sans trouble & sans embarras, en une occasion où l’affluence du monde sembloit devoir faire craindre un fort grand desordre. Ce fut Mr l’Abbé de Quiqueran qui fit le Service. Il eut pour ses Assistans plusieurs autres Abbez de qualité, qui firent paroistre de l’empressement à rechercher cet employ. Mrs les Consuls se presenterent à l’Offrande, & aprés eux Mr le Chevalier de Romieu, Directeur, & Mr le Marquis de Robias-d’Estoublon, Secretaire de la Compagnie, qui a signalé également en cette occasion son grand cœur, son esprit & son zele, pour honorer la memoire de ce Protecteur. La Messe estant achevée, Mr l’Abbé Officiant, & ses Assistans en chape, vinrent faire les Prieres, Encensemens, & Absolutions accoûtumées autour de la Representation, avec des ceremonies proportionnées au rang du Défunt, & pendant ce temps, la Musique & les Instrumens ne cesserent de faire retentir les Airs les plus lugubres. Aprés les dernieres Aspersions qui furent faites ensuite par Mrs les Consuls & par tous les Academiciens, la Compagnie se retira ; pour revenir au mesme endroit sur les quatre heures, pour entendre l’Eloge funebre qui devoit achever la Ceremonie. L’employ de ce Discours avoit esté donné à Mr de Manville, Avocat General au Presidial de cette Ville, parfait Academicien, & doüé d’une éloquence, d’une grace & d’une force d’esprit presque inimitable. Aussi sa reputation attira une si grande foule de Sçavans & de Curieux, aussi-bien que de Dames les plus qualifiées de la Ville, que quelque soin qu’on eust pris pour éviter l’affluence, elle y fut aussi extraordinaire, que le plaisir qu’on se proposoit à entendre un si agreable Orateur, parut un moyen assuré pour faire supporter sans peine les incommoditez de la chaleur, & de la foule. Cette prevention en faveur de Mr de Manville ne fut pas la seule cause de ce grand concours. On sçavoit que l’ouverture de cette Séance devoit estre faite par Mr le Chevalier de Romieu, Directeur de l’Academie. C’est un Gentilhomme d’un goust aussi delicat que l’on en puisse trouver pour les Ouvrages d’esprit, & qui avec la justesse de son discernement, a une maniere de parler en public qui porte le caractere d’un homme de qualité, & celuy d’un parfait Orateur. Dés que Mrs les Consuls furent placez dans des fauteüils revêtus de deüil, à l’opposite du Bureau de l’Academie, couvert d’un grand tapis de drap noir, au milieu duquel on avoit mis un grand fauteüil, & deux autres aux deux costez revestus de même, l’un pour Mr le Marquis de Robias-d’Estoublon, Secretaire, & l’autre, pour Mr de Manville, & que les autres Academiciens se furent rangez de chaque costé sur de semblables fauteüils, Mr le Chevalier de Romieu commença son Discours, & le finit avec toute l’approbation qu’il pouvoit attendre d’un Auditoire aussi éclairé, & aussi équitable que celuy-là. Ce fut un ingenieux racourcy des motifs qu’avoit l’Academie d’honorer en ce jour la memoire de Mr le Duc de Saint Aignan son Protecteur, & il désigna avec tant d’adresse les plus beaux endroits de sa vie, que son Eloge auroit paru parfaitement assorty, s’il n’eust voulu procurer à la Compagnie le plaisir de le faire entendre avec plus d’étenduë de la bouche de Mr de Manville, à qui il s’adressa pour le supplier de le prononcer. L’attention de tout l’Auditoire fut si grande dés la premiere ouverture qu’il en fit, qu’on demeura également suspendu par le recit des merveilles de nostre Heros, & par la force des expressions avec lesquelles Mr de Manville les dépeignit. Aussi receut-il tous les applaudissemens qui estoient deus à la delicatesse de son genie, & à son éloquence.

Voilà, Madame, ce que Mr Giffon a écrit de cette lugubre Ceremonie, à laquelle je n’ay rien à ajoûter, sinon que pendant que Mr de Manville prononçoit l’Eloge de Mr le Duc de Saint Aignan, il s’éleva tout à coup un orage, ou plûtost un combat si impetueux de tous les vents, que les Bastimens en parurent ébranlez. L’air en fut tout obscurcy, & en mesme temps le Tonnerre entrant à la veuë de tout ce monde assemblé, par une fenestre qu’on avoit laissée ouverte au haut du Dôme à cause de la chaleur, traversa l’Eglise pour aller fraper un jeune homme de vingt-trois ans, par une autre fenestre qui estoit à costé de la Tribune où l’on avoit placé la Musique. Vous pouvez juger quel trouble causa dans tout l’Auditoire une mort si surprenante. Les Payens qui n’élevoient leurs Heros dans les Cieux qu’à travers les éclairs, & les Tonnerres, n’auroient pas manqué de prendre un accident de cette nature dans une semblable occasion, pour un indice assuré de l’Apotheose qu’ils auroient pretendu faire, mais la superstition ne s’accorde point avec le Christianisme, & nous sommes convaincus que l’on ne peut arriver au Ciel que par les routes de la pieté & de la vertu. Ce sont celles que Mr le Duc de S. Aignan a toûjours suivies, ayant donné jusqu’à son dernier moment des marques édifiantes d’une parfaite resignation aux ordres de Dieu. C’est ce qui a donné lieu à Madame de Saliez, Viguiere d’Albi, de faire ce Madrigal sur sa mort.

 Du brave S. Aignan ne pleurez plus le sort,
Muses, ce Duc sans vous rend sa gloire immortelle ;
Mais vous, qui connoissez & sa vie & sa mort,
Dites-nous seulement laquelle est la plus belle.

Mr le Marquis de Robias, dont vous venez d’entendre parler dans cette Relation, a fait sur ce mesme sujet les Vers que vous allez lire.

  Tout le Parnasse est invité
  A la triste solemnité
Que feront à ce Duc les Filles de Memoire.
  Apollon y presidera,
 Et c’est au Temple de la Gloire
  Que le Service s’en fera.

Voicy une Epitaphe pour ce Duc, faite par Mademoiselle de Chance.

 Sous ce superbe Monument
Repose de la Cour un illustre ornement.
 Ce Heros est mort plein de gloire.
 Il fut Protecteur des beaux Arts,
 Et joignit au mestier de Mars
 Celuy des Filles de Memoire.
 Ce grand Homme pouvoit mourir,
 Mais son nom ne pouvoit perir.

[Service fait à Aix pour Madame la Duchesse de Modene] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 237-239

 

On écrit d'Aix en Provence que la Mere Superieure du Monastere de la Visitation de Sainte Marie ayant receu avis de la mort de Madame la Duchesse de Modene, par Madame de Vertel, Sous-Gouvernante des Enfans de France, elle & ses Religieuses ont fait faire dans leur Eglise un Service solemnel, pour le repos de son Ame, avec tout l'éclat que l'on peut donner à une pompe funebre. Elles ont voulu s'acquiter par là de ce qu'elles doivent à la memoire d'une Princesse qui leur a marqué son affection par ses bien-faits, tant en divers dons, qu'en un Present de plus de dix mille écus qu'elle fit employer à l'Autel de marbre, & à d'autres ornemens de leur Eglise. Elle avoit fait plusieurs fois retraite avec Madame sa Mere dans leur Monastere d'où elle tira sept Religieuses pour la fondation qu'elle a faite dans sa Ville de Modene, qui est un établissement digne de sa pieté & de sa magnificence. Le Parlement se trouva en Corps à ce Service, aussi-bien que Mrs du Chapitre de la Cathedrale, & la Messe à laquelle une excellente Musique répondit, fut celebrée par Mr l'Abbé de Barreme, Conseiller au Parlement, & Grand Vicaire de Mr l'Archevesque d'Aix en son absence.

[Journal de tout ce qui s'est passé pendant le sejour que les Envoyez de Tripoli ont fait en France] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 295-296

 

IlsI ont vû la Comedie, & l'Opera avec un fort grand plaisir, & ont dit que ces Spectacles paroissoient plûtost un enchantement qu'un effet de l'imagination des Hommes. J'estois à l'Opera avec eux, & en les entretenant, j'eus le plaisir de remarquer leur surprise. Ils me dirent que s'ils estoient dans une Place extremement fortifiée, & dont les Remparts fussent garnis de tout le Canon necessaire pour sa deffense, ils seroient seurs de faire toute la resistance qu'on pourroit attendre d'eux ; mais que s'ils estoient attaquez par tous ceux qui composoient l'Opera, avec le mesme équipage, & les mesmes charmes, ils ne se deffendroient point, & auroient au contraire beaucoup de plaisir à se rendre.

[Détail de tout ce qui s’est passé touchant le Docteur Molinos] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 306-308

 

Quoy qu’aucune affaire n’ait fait tant de bruit depuis fort long-temps, que celle du Docteur Michel Molinos, je ne croy pas vous en devoir dire beaucoup de choses. Il y a des Sectes si ridicules, que l’on n’y doit faire reflexion que pour en rire, & pour en détester les Auteurs. Le nombre de ces Sectes a esté si grand, qu’on rempliroit un volume de leur seul dénombrement. Cependant on a publié jusqu’au nom de la pluspart. La maniere de vivre de Molinos pendant un grand nombre d’années, nous fait connoistre que c’estoit un homme fort sensuel & fort addonné aux Femmes. Il estoit Prestre, & son caractere ne luy fournissoit pas les occasions de contenter ses desirs, qu’ont les personnes du monde. Il faut faire de la dépense & employer de grands soins pour se faire aimer ; & quand on pourroit en venir à bout, il n’est pas toûjours aisé d’obtenir des Femmes ce qu’on en souhaite. Molinos en vouloit à tout le Sexe, & sa convoitise le rendoit semblable au D. Juan de la Comedie du Festin de Pierre, mais il n’en pouvoit joüer le personnage publiquement, & il voyoit bien que de la profession dont il estoit, il ne le pouvoit joüer heureusement en particulier.

[Pièces de clavecin de Lebègue]* §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 367-368

 

M. le Begue, Organiste du Roy, a composé un Livre des plus belles Pieces de Clavessin qui ayent encore paru, tant Allemandes, Gavotes, Menuets, Bourées, que Chaconnes, Sarabandes & autres. Celles de vos Amies qui aiment le Clavessin, trouveront ce Livre chez M. Noël, ruë Simon le Franc, entre le Cygne & le Lion d'or. Le mesme Sieur Noël debite un Livre de Motets de sa façon, à une voix seule avec la Basse continuë, & de petites symphonies pour l'Orgue ou pour la Viole.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 373-374.

Voicy un Air Pastoral qu'on estime fort icy. Vous connoistrez aisèment en le chantant qu'il est d'un de nos plus Sçavans Maistres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Non, vous ne m'aimez plus, Bergere, doit regarder la page 374.
Non, vous ne m'aimez plus, Bergere,
Je ne le connais que trop bien.
A tous momens vous grondez vostre chien
Des caresses qu'il me vient faire ;
Toüjours vostre Troupeau va paistre loien du mien.
Non, vous ne m'aimez plus, Bergere,
Je ne le connois que trop bien.
images/1687-10_373.JPG

[Comédies nouvelles] §

Mercure galant, octobre 1687 [tome 15], p. 379-383

Les Nouvelles de Paris doivent estre presentement steriles, la Cour en est plus éloignée qu’à l’ordinaire ; nous sommes en pleines Vacances ; ceux qui ont des Terres à la Campagne n’en sont pas encore de retour, & ceux qui ont des Maisons aux environs de Paris continuent à s’y divertir. Cependant il vient d’arriver une chose qui fait connoistre qu’en quelque saison que ce soit, Paris est toûjours la Ville du monde la plus peuplée. Les Comediens François joüent une Piece nouvelle intitulée, le Chevalier à la Mode, & cette Piece ayant extremement plû à ceux qui la virent la premiere fois, les Assemblées ont esté si nombreuses à toutes les Representations suivantes, qu’il a souvent esté difficile d’y trouver place, de sorte qu’il auroit esté impossible de voir plus de beau monde ensemble en plein Carnaval. Cet Ouvrage ne doit son succés qu’à son seul merite. On joüe rarement des Pieces nouvelles dans cette Saison, parce qu’on ne la croit pas avantageuse, & celles qu’on y joüe, quand cela arrive, sont regardées comme des Pieces que l’on risque, & dont on n’attend pas les grands succés, qui sont presque infaillibles en plein Hiver, pour peu que les Ouvrages soient bons. On peut dire que ce n’est pas la seule chose qui se devoit opposer au succés de la Comedie, dont je vous parle. Il n’y avoit à Paris que la moitié de la Troupe, & le Public croit quelquefois que le merite des Acteurs qu’il a accoûtumé de voir détruit celuy des autres, cependant chacun a le sien. Il est mort de grands Hommes dans toutes sortes de Professions depuis le commencement des Siecles, & il s’en retrouve toûjours. Je n’entreray point dans le détail du sujet du Chevalier à la Mode, parce qu’on le va mettre sous la presse, & que je vous l’envoyeray sitost qu’il sera imprimé ; mais je ne puis m’empescher de vous dire que l’on y voit des Peintures vives, & naturelles de beaucoup de choses qui se passent tous les jours dans le monde, & qui pourroient faire devenir beaucoup de gens sages, si l’homme pouvoit prendre assez d’empire sur luy pour se corriger. Cette Comedie a esté accommodée au Theatre par M. Dancourt, l’un des Comediens du Roy. Il a déja donné plusieurs petits Ouvrages au Public, qui les a toûjours receus favorablement. La Désolation des Joueuses est de luy. C’est un Impromptu qu’il fit dans le temps que l’on défendit le Jeu, & qui a extremement diverty tous ceux qui l’ont veu. Le Voyage de Fontainebleau en a interrompu les Representations, mais on les reprendra incessamment aprés le retour. Ainsi le Theatre François, dans le commencement de cet Hiver, sera alternativement occupé par deux nouveautez du mesme Autheur. On imprime aussi cette petite Piece, & je vous l’envoyeray avec le Chevalier à la Mode.