1687

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1687 [tome 16].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16]. §

Avis §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. I-VIII

 

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour le Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reitere la même priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces Paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure long-temps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tôt qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toûjours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-même, & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la même chose generalement de tous les Livres Nouveaux qu’on luy demandera, soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un même paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

[Prelude] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 4-7

 

J'avouë que j'aurois pû vous dire quelque chose des divertissemens que l'on a pris [à Fontainebleau], mais je ne vous en aurois rien appris de nouveau, en vous disant qu'il y a eu alternativement Comedie Françoise, & Italienne, differens Concerts, & differens Jeux dans les Appartemens, ainsi que diverses Chasses aux environs de cette Maison Royale. Le Roy a pris quelquefois ce plaisir, ce qui fait voir la santé parfaite dont ce Monarque joüit, puis qu'il faut de la vigueur pour cet exercice. Quoy qu'il n'ait eu nul attachement pour tous les autres plaisirs, il n'a pas laissé de se montrer à quelques-uns, mais seulement autant qu'il estoit besoin pour les faire prendre à ceux de sa Cour. Ce Prince a donné beaucoup de temps pour écouter les Comissaires qui ont esté de sa part dans toutes les Provinces de Royaume, pour le soulagement des Peuples. Il les a oüis dans son Conseil, & les a entretenus en particulier, c'est tout ce que je puis vous en dire presentement, & c'est beaucoup.

Comme Madame la Dauphine aime extremement la Musique, & qu'elle s'y connoist parfaitement, plusieurs Musiciens ont travaillé pour la divertir sur de petits Ouvrages en maniere d'Opera, & ces Ouvrages se sont trouvez remplis de beaucoup de choses agreables, tant pour la Musique que pour les Vers. Cette Princesse estant d'une pieté exemplaire, qui l'engage à faire souvent ses Devotions, le Pere Frey, Jesuite Allemand, fut appellé pour la confesser à la Feste de tous les Saints.

[Ce qui s’est passé dans l’Academie de Villefranche, à la reception de M. l’Abbé Baudry, avec le Discours qu’il a prononcé] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 8-20

 

La quantité de matiere qui a remply mes dernieres Lettres, ne m’a point laissé trouver de place pour vous parler de ce qui se fit le jour de Saint Loüis, dans l’Academie de Villefranche en Beaujolois. Cette Compagnie receut dans son Corps un nouvel Academicien. Ce fut Mr l’Abbé Baudry, Prieur de S. Thibaut, Pasteur tres-zelé, & homme d’un grand merite. Son Remerciment que vous allez lire vous convaincra de son éloquence, & si vous vous souvenez de divers Ouvrages de Poësie que je vous ay envoyez de sa façon dans plusieurs de mes Lettres, vous demeurerez d’accord que c’est avec raison qu’on le tient aussi bon Poëte que grand Orateur.

REMERCIMENT
A Messieurs de l’Academie
de Villefranche.

Messieurs,

N’attendez pas de moy un Remerciment digne de la grace que vous me faites ; il faudroit que j’eusse receu vos talens avec vos bienfaits, & qu’en me donnant une place dans vostre Academie, vous m’eussiez fait part de vostre éloquence. J’aurois du moins la consolation de vous payer en belles paroles ; mais je me sens si éloigné de cet avantage, que j’ay peur que mon Remerciment ne soit une preuve de mon insuffisance, & que les mesmes termes qui vous doivent marquer ma reconnoissance, ne vous fassent connoistre mon incapacité.

L’honneur que vous m’avez fait, me donneroit sans doute une joye parfaite, si elle n’estoit troublée par la crainte que j’ay de ne pouvoir répondre à vostre choix, car sçachant bien que c’est un coup de la Fortune, & non pas un effet de mon merite, j’ay sujet d’apprehender que son caprice ne traverse le bonheur mesme, qu’elle a fait naistre, & que mon élevation ne serve enfin qu’à rendre ma chûte & plus lourde, & plus honteuse.

Mais il sera, peut-estre, Messieurs, de cette grace, comme de celles du Ciel, qui font des changemens merveilleux dans les sujets les plus rebelles, & qui sçavent éclairer les aveugles. C’est ce qui me fait croire, qu’estant au milieu de tant de lumieres, je seray penetré de quelques-uns de vos rayons, & que ne pouvant imiter vos admirables genies, les exemples que j’auray tous les jours devant les yeux, m’exciteront du moins à les suivre.

Tout le monde sçait, Messieurs, que vostre Assemblée n’est composée que de personnes choisies, parmy lesquelles les vertus n’excellent pas moins que les Sciences, & que c’est une Ecole sacrée où l’on apprend également à vivre selon Dieu, & à parler selon les hommes. On y voit des Ecclesiastiques, qui ajoûtent tous les jours aux preuves qu’ils ont faites de leur Noblesse, celles de leurs Vertus. On y remarque des Jurisconsultes consommez, & des Juges incorruptibles, qui entre les Loix, dont ils sont les Interpretes & les Depositaires, s’en font une de ne se jamais démentir du serment qu’ils ont fait à Dieu, de la fidelité qu’ils ont voüée au Prince, & de la justice qu’ils doivent au Peuple. On y trouve de ces hommes rares, qui montrent par leurs Ouvrages qu’il est des Muses Cavalieres, qui ont l’art de joindre les Lauriers de Mars avec ceux d’Apollon, & qui font l’alliance des Armes & des Lettres. C’est ce qui fait paroistre la beauté de ce celebre Corps, qui par l’agreable diversité des Genies qui le composent, forme une harmonie admirable & un concert charmant, semblable à celuy de la Nature, dont les Estres differens n’ont qu’une mesme fin, qui est la gloire de leur divin Auteur, & s’accordent, pour ainsi dire, dans leur propre discordance pour luy faire un sacrifice des qualitez qui les distinguent. Ne semble-t-il pas, Messieurs, que LOUIS LE GRAND ait fait vostre Etablissement sur ce modelle, & que ces sublimes Esprits qui remplissent vostre Academie, conspirent tous à faire son Tableau, & s’étudient à y appliquer des couleurs differentes, à proportion de la diversité de ses belles actions. & de ses vertus éclatantes ?

En effet, Messieurs, vostre sçavante Compagnie ne fournit-elle pas à Sa Majesté des sujets capables de faire le recit fidelle de ses Conquestes ? Ne luy donne-t-elle pas des personnes distinguées dans l’Eglise, pour publier son zele & sa pieté ? Ne luy presente-t-elle pas des Magistrats qui font valoir ses Loix & ses Ordonnances ? Vous avez parmy vous, Messieurs, d’habiles Historiens qui travaillent à immortaliser ses merveilles par leurs Ecrits, & l’on peut dire que vos Plumes & vos Langues sont entierement consacrées à la gloire du plus sage & du plus grand Prince de l’Vnivers.

Quel éloge ne merite point Monseigneur l’Archevesque de Lyon, cet illustre Prelat, dont la naissance & le merite en ont fait une des plus solides colomnes de l’Eglise ? C’est le Chef precieux qui donne le mouvement à ce Corps admirable, & qui par l’influence de sa vertu, qu’il luy communique, fait qu’il ne produit rien que de noble, & qui ne soit digne de la grandeur de son sujet.

Ne croyez pas, Messieurs, que je prétende icy faire vostre Panegyrique, ny le sien, vos Ouvrages font tous les jours cet office, & il ne sort rien de vos mains qui n’exprime mieux ce que vous estes, & ce que vous valez, que toute l’éloquence des Orateurs.

Si je prens la liberté de dire quelque chose à vostre avantage, c’est mon devoir qui m’y oblige, c’est le respect qui m’y engage, c’est la verité qui me dicte ces paroles, & qui me contraint de rendre le témoignage, que tout homme d’honneur doit au vray merite.

Je voudrois bien qu’une autre occasion que celle d’un Remerciment, me pust donner lieu de joindre quelques effets à mes foibles paroles, vous verriez des marques particulieres d’une reconnoissance extrême, & je vous ferois connoistre que de toutes les choses du monde qui m’interessent, il n’en est point qui me touche plus sensiblement que vostre gloire, à laquelle j’avouë, Messieurs, que je ne puis contribuer que par mes respects & par mes obeissances.

[Plaintes des Palatines contre la Mode, Dialogue] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 20-44

 

La Mode a toûjours esté traitée de bizarre, & la pluspart des choses n’ayant cours en France qu’autant qu’elle les soûtient, il ne faut pas s’étonner des plaintes que l’on fait contre elle dans le Dialogue qui suit.

PLAINTES
DES PALATINES
contre la Mode

La Mode.

C’est donc une resolution prise que vostre sortie du Royaume, & vous voulez quitter le plus beau Pays du monde, pour aller chercher un établissement ailleurs ?

La Palatine.

Je ne dispute point si la France est le plus beau Pays du monde ; ce que je soûtiens, c’est qu’il y a tres-peu de fond à faire sur vostre amitié.

La Mode.

Quelle brusquerie, & que je la trouve injuste ! Vostre faveur a duré prés de dix ans, n’est-ce pas beaucoup ?

La Palatine.

Voilà qui est fort consolant.

La Mode.

Consolant ! bien d’autres s’en consoleroient ; témoin les Juste-au-corps, qui se sont vûs si fort caressez des Dames, & dont la bonne fortune cessa tout d’un coup.

La Palatine.

Aussi je ne sçay pas où vous aviez l’esprit de permettre cet usage. Il estoit du dernier ridicule de voir un mesme habit commun aux deux Sexes.

La Mode.

N’usons point, je vous prie, de ces odieux reproches, vous n’y trouveriez pas vostre compte. Rien n’est ridicule de ce qui peut avoir ma protection, de mesme que tout devient dégoûtant si-tost que je la retire.

La Palatine.

Cela est bon pour ces ajustemens fardez, que vous introduisez si mal à propos dans la galanterie. Pour ce qui est de moy, la difference est toute entiere.

La Mode.

À ce que je voy, vous ne manquez pas de bonne opinion de vous-mesme.

La Palatine.

Je ne crois pas donner dans une vaine complaisance, que de m’imaginer que je suis d’une naissance plus relevée, & d’un plus grand secours aux Dames que tout ce petit peuple d’ornemens inutiles que vous soûtenez si fort.

La Mode.

Vous voilà furieusement entestée de la noblesse de vostre Famille.

La Palatine.

Pas trop, ce me semble, puis qu’il est certain que ma race est des plus anciennes. Elle a rendu des services fort considerables, & c’est ce qui l’a toûjours élevée aux premieres dignitez.

La Mode.

Quelle grosse troupe de vanteries !

La Palatine.

Vous ne pouvez pas ignorer que je suis de la tres-illustre Famille des Fourures, choisies dés la naissance du monde pour revestir le premier des Mortels. Plusieurs siecles se passerent sans que l’on reconnust d’autres vestemens que les nostres ; c’est ce que vous ne pouvez contredire.

La Mode.

À ce compte, vous voilà bien élevée au dessus des étoffes.

La Palatine.

Il n’y a point de comparaison.

La Mode.

Qui vous l’a dit ?

La Palatine.

Plutarque, qui assure dans ses Discours de table, que les peuples de toutes les parties du monde, avant l’usage des étofes, s’habilloient de peaux : ce que Tacite marque aussi on parlant des Allemands ; & Properce l’assure des Romains.

La Mode.

Vous vous piquez donc aussi de bel esprit ?

La Palatine.

Je ne dis que ce que j’ay trouvé dans les Titres honorables de nostre Famille, & ce que j’ay appris dans une infinité de Ruelles, de Cercles & d’Assemblées, où j’ay assisté depuis dix ans.

La Mode.

Quand ce ne seroit que d’en avoir tant appris, vous devriez estre contente de vostre fortune ; mais enfin vos Ancestres furent contraints de décheoir de leur élevation ?

La Palatine.

Point du tout, ils ont soûtenu leur gloire sans aucune interruption depuis la naissance du monde jusqu’à present.

La Mode.

Cela est fort glorieux pour vous.

La Palatine.

Ne vous en raillez point. Les Empereurs & les Rois, dés les premiers siecles prirent l’Hermine pour l’ornement de leur Pourpre & de leurs Manteaux, ce qui fut permis depuis aux Souverains, aux Princes, & aux Ducs.

La Mode.

Je l’avouë, mais n’est-ce point dégenerer que d’estre au service des Suposts de l’Université & des Medecins ?

La Palatine.

Le merite de la Science l’égale aux premieres Dignitez ; ainsi bien loin de nous en faire un reproche, on nous en fait un honneur. Les anciens Philosophes Indiens alloient en public couverts de peaux de Cerf & de Daim ; à present mesme la Justice respecte les Fourures, qui servent aussi de distinction aux Princes, & à plusieurs autres Membres de l’Eglise.

La Mode.

Les Dames n’auront-elles rien ?

La Palatine.

Autrefois les Veuves portoient pendant les premiers quarante jours de leur deüil, des robes noires bordées d’Hermines, ce que plusieurs observent encore aujourd’huy. Je dis plus, il n’y a qu’un siecle que cette pratique estoit presque inviolable à toutes les Femmes & à toutes les Filles.

La Mode.

Cependant hors certaines Dignitez qui ont retenu les Fourures, vous devez convenir qu’on ne vous considere plus.

La Palatine.

Je n’en conviens point. Aujourd’huy que les étoffes ont une si grande faveur, le luxe n’a pas encore tellement seduit les hommes, qu’il ne s’en trouve une grande partie qui se reveste de peaux.

La Mode.

Par exemple ?

La Palatine.

Les Septentrionaux pour la pluspart, les Moscovites, les Hongrois les Polonois, les Tartares, les Transilvains, & une infinité d’autres.

La Mode.

Tous ces avantages de vos parens n’empeschent pas vostre disgrace.

La Palatine.

Je l’avouë, quoy qu’au pis aller j’aye un grand recours aux Manchons, qui sont les Chefs de nostre branche. De cette façon il y a peu de personnes qui se puissent passer de nous, soit que nous soyons Palatines ou Manchons.

La Mode.

C’est le meilleur party que vous puissiez prendre pour faire plaisir aux Fichus.

La Palatine.

Qu’ils ont bon air, vos Fichus ! Que les Dames sont jolies avec un tel ornement !

La Mode.

Plus que vous ne voulez croire. Il est vray que leur couleur avec une maniere de lisiere ne plaisoit pas d’abord. À present on en est plus content depuis que j’ay trouvé le moyen d’ajoûter une legere broderie aux extremitez.

La Palatine.

Vos broderies n’ont rien de comparable à nostre beauté, parce qu’estant belles sans fard, nous ne sommes point alterées par l’artifice.

La Mode.

On ne vous accordera pas facilement cette perfection, & mesme il y a de grandes plaintes contre vous.

La Palatine.

Tout au plus, de quelques precieuses pour qui vous avez eu trop de complaisance, & qui sont la cause de mon exil.

La Mode.

Ce n’est point moy ; il y a plus de cinq ans qu’on se plaint de la grosse dépense que vous obligez de faire.

La Palatine.

Voilà justement une des raisons ridicules qu’apportoit il y a huit jours une de vos Precieuses, criant à sa Suivante : Manon, que ze ne voye plus icy de Palatine, elle m’essauffe telop, me salit la golze, & coute beaucoup. Apoltemoy mon Fissu.

La Mode.

Et de la taille, vous n’en dites rien ?

La Palatine.

Je n’en pourrois rien dire qui ne fust à la confusion des Dames. Si quelques-unes perdent avec moy fort peu de leur agrément, une infinité d’autres me sont redevables du bon air qu’elles ont, outre que la modestie est dans mes interests. Avec tout cela depuis que je n’ay plus pour elles le charme de la nouveauté, elles ont recours à de vains pretextes d’épargne & de propreté pour trouver de faux-fuyans, afin de couvrir leur legereté ou leur ingratitude.

La Mode.

Ne craignez-vous point de vous perdre tout à-fait en outrageant le beau Sexe, dont vous avez encore besoin ?

La Palatine.

J’avouë que les Dames ont un grand pouvoir pour mettre en credit tout ce qu’elles favorisent. Elles donnent le poids à la nouveauté, mais en échange, n’est-ce pas à ce Sexe que l’on est redevable de la furieuse legereté qui domine par tout ; en France principalement, qui est le lieu où se déploye l’Etendart de l’inconstance, & qui inspire ce mauvais exemple à tout le reste de l’Europe.

La Mode.

Ce reproche m’attaque principalement, & n’est que l’effet de vostre chagrin.

La Palatine.

Puis que vous sentez ce que je viens de dire, que n’en profitez-vous ? Arrestez cette démangeaison prodigieuse de changer. Les habits qui estoient hier du bon goust, sont aujourd’huy du vieux monde. Ce ne sont ny les taches ny le long usage, ny le mal entendu, mais la seule mode qui les fait rejetter. On se laisse aller à la vanité qui préfere la soye, quoy que ce ne soit que l’excrement d’une Chenille, aux precieuses Fourures qui sont l’Ouvrage mesme du Souverain de tous les Estres.

La Mode.

Courage, pauvre Palatine, vous chantez comme le Cigne mourant.

La Palatine.

Nous rentrerons en grace plûtost que vous ne croyez. La chaleur que nous apportons, rend nostre retour necessaire. Nous adoucissons la peau ; nous deffendons les Dames contre les fluxions inseparables de l’hyver ; c’est enfin par nostre secours que le sang s’entretient dans une heureuse tranquillité qui rend les esprits toujours purs, qui reluisant sur le visage luy inspirent des traits plus fins, & luy donnent un vermeil admirable.

La Mode.

Cependant il ne paroist pas que l’on soit persuadé de tous ces avantages. Souvenez vous que lors que j’entrepris de vous produire au monde, j’eus besoin de toute la bonté d’une grande Princesse. Elle vous donna son nom, vous parûtes alors ce que vous n’estiez pas, & à present que l’on a changé de sentiment, je ne voy guere de retour pour vous.

La Palatine.

Erreur toute pure ! l’on se desabusera bien-tost pour peu que vous vouliez me secourir. Repetez cent fois aux Dames de France que lors qu’elles me mirent en vogue, ce fut pour bannir les mouchoirs de cou à jour, qui ne s’accommodoient guere avec la pudeur. Dites leur que ces Fichus ne couvrent que mollement, & à demy ; que je suis propre à leur rendre de plus grands services ; & que si elles ont un cœur genereux, elles sont obligées de se souvenir qu’étant pour la pluspart femmes ou filles de Heros, elles doivent se faire un honneur de me reprendre, puis que je represente assez bien, les dépoüilles & les Victoires remportées par ces demy-Dieux, sous la conduite du plus grand de tous les Rois du monde.

Response d’une Demoiselle à qui on conseille d’aimer §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 44-48

 

Je vous envoye de tres-jolis Vers, dont l’Autheur ne m’est point connu. Je ne sçay pourquoy il cache son nom, puis qu’ils sont si bien tournez, qu’il n’y a personne qui ne deust faire gloire de les avoüer.

RESPONSE
d’une Demoiselle à qui on conseille d’aimer.
STANCES.

Je voudrois aimer à mon tour,
Je suivrois vos conseils, heureuse de m’y rendre,
Si l’on avoit autant de plaisir en Amour,
 Qu’on a de peine à s’en défendre.
***
On résout aisément une jeune Beauté
À souffrir des Amans qui tâchent à luy plaire,
 Et toute la difficulté
 N’est que sur le choix qu’il faut faire.
***
Nous laissons toucher nostre cœur,
Il ne faut pas trop nous contraindre :
Ce n’est pas l’Amour qui fait peur,
 Mais les Amans qui sont à craindre.
***
Si nous faisons des mécontens,
Ils sont la cause de leurs peines ;
Et s’il n’estoit point d’inconstans,
Il ne seroit point d’inhumaines.
***
Quand soûmis à nos pieds vous venez nous flater
 D’une seure & pleine Victoire,
 Quel plaisir de vous écouter !
 Quel chagrin de n’oser vous croire !
***
 À peine sommes-nous d’accord,
Que vos vœux inconstans viennent troubler la Feste ;
Vous ne pouvez aimer que jusqu’à la conqueste,
Nous voulons par malheur aimer jusqu’à la mort.
***
Ne nous blâmez donc point d’estre pour vous trop fieres,
 C’est vous qui nous y contraignez.
 Nous souffrons toûjours les premieres
 Les rigueurs dont vous vous plaignez.
***
D’un nouvel Amant qui soûpire
D’abord on se trouve assez bien.
Mais le meilleur ne vaut plus rien
Dés qu’il a tout ce qu’il desire.
***
 C’est ainsi que j’ay veu trahir,
La jeune Amarillis, & la credule Aminte ;
 Guerissez-moy de cette crainte,
À l’amour aussi-tost je consens d’obeir.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 102-103.

L'Air nouveau dont vous allez lire les paroles, est d'un tres-habile Maistre, & vous n'en douterez pas quand vous l'aurez parcouru.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, J'aimois Iris, je l'aimois tendrement, doit regarder la page 103.
J'aimois Iris, je l'aimois tendrement,
Mais l'Ingrate reçoit les vœux d'un autre Amant,
Et ne songe plus qu'à luy plaire.
Je puis aisément la changer,
Et me vanger
De cette infidelle Bergere ;
Mais puis-je trouver aisément
Un objet comparable à cet objet charmant ?
images/1687-11_102.JPG

Le Papillion et l’Abeille. Fable §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 103-110

 

Le Pere Comire Jesuite, qui s’est acquis tant de reputation par la beauté de ses Vers Latins, a fait une Fable sur le Papillon, & sur l’Abeille. Elle est extremement estimée, & il ne faut pas s’en étonner, puis que tout ce que nous avons vû de luy, a ce tour aisé & naturel que tout le monde recherche, & qu’il est si difficile d’attraper. Mr Petit de Roüen à fait la traduction de cette Fable avec beaucoup de fidelité, & je croy que vous n’aurez pas moins de plaisir à la lire, que vous en avez receu des Dialogues Satyriques & Moraux, dont il est l’Autheur, & qui ont esté si approuvez du Public. Son jugement en cela se trouve tous les jours conforme à ce qui en fut dit d’avantageux il y a quelque temps dans la Republique des Lettres.

LE PAPILLON
ET L’ABEILLE.
FABLE.

Dans un Jardin delicieux
Un Papillon tout glorieux
De se voir les aisles dorées,
Et superbement empourprées,
Admiroit la beauté des fleurs
De mille sortes de couleurs,
À qui l’Aurore avec ses larmes
Avoit donné de nouveaux charmes,
Et qu’elle répandoit exprés
Pour leur rendre le teint plus frais.
 À l’heure que Phébus s’éveille
Prés de luy se trouve une Abeille
À laquelle il dit. Chere Sœur,
Goûtons, goûtons la douce odeur ;
De ces fleurs dont en abondance
Flore icy s’est mise en dépense ;
D’une si rare volupté
Rendons nostre cœur enchanté.
 Aussi-tost s’élevant de terre
Il voltige sur le Parterre.
On eust dit, le voyant en l’air,
D’une fleur qui sçavoit voler,
Tant ses couleurs d’or & vermeilles
À celles des fleurs sont pareilles.
 Il les éfleuroit seulement,
Sans dessein, sans discernement.
Quelquefois sur la Violette,
Charmé de l’odeur, il se jette ;
Quelquefois il baise en passant
Un bouton de Rose naissant ;
Et le mouvement de ses aisles
Excite un vent aussi doux qu’elles.
Sur chaque fleur de ce Jardin
Il vole comme un vray Badin,
Les foulant toutes sans malice.
De l’Oeillet il court au Narcisse,
Puis poussé d’un nouveau desir
Sur l’Anemone il va dormir.
Mais son sommeil ne dure guere ;
Et d’une inquiete maniere,
Opiniâtre, sans repos,
De fleurs il change à tous propos.
De les caresser il s’empresse ;
Mais incontinent il les laisse.
Pour toutes ainsi tour à tour
Son dégoust succede à l’Amour.
 Tandis que ce fou se tourmente
L’Abeille beaucoup plus prudente,
Et sçachant mieux ce qu’elle fait,
Des fleurs ne fait pas un joüet,
Et de leurs odeurs les plus fines
Ne réjoüit pas ses narines,
Ny ne vole pas à l’entour
Vainement tout le long du jour ;
Mais comme un Ouvrier habile,
Meslant l’agreable à l’utile,
Elle prend la Cire & le Miel
Que sur leur teint répand le Ciel,
Dont l’influence les arrose,
Pille le Crocus, & la Rose,
L’Iris, l’Hyacinte, & le Lys ;
Puis s’envolant dans le pourpris
De son petit Palais Rustique,
Avec grand soin elle s’applique
À serrer tout ce doux butin,
Dont le Serpolet & le Thim,
La Lavande, & la Marjolaine
Rendent enfin sa Ruche pleine.
 Le soir vint, son travail cessa
Quand le Papillon, las, passa
Auprés de l’Abeille chargée
Des dons de la douce Rosée.
Il luy dit. Esprit mal tourné,
Né sous un Astre infortuné.
Quoy ? perdre une telle journée,
Sans en l’air t’estre promenée !
 Je ne m’en repens nullement,
Répondit-elle sagement.
Aujourd’huy par mon industrie,
De miel je me trouve garnie,
Dont mon Maistre se nourrira,
Et la Cire me servira
D’offrande à la Troupe immortelle.
Enfin, à mes emplois, fidelle,
Donnant tout mon temps & mes soins
Je sçay pourvoir à mes besoins.
 Mais vous, à quoy s’est terminée
Cette heureuse, & belle journée ?
Parlons avec sincerité.
Le fruit de vostre oisiveté
Est (chose qui vous doit déplaire)
D’estre fatigué sans rien faire.
 Par cecy l’on voit nettement
Combien est grand l’éloignement
D’une Estude laborieuse,
Et d’une vaine & curieuse.

[Entrée de M. le Marquis de Dangeau à Tours] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 110-114

 

Je vous aurois parlé dans ma Lettre du dernier mois, de l’Entrée de Mr le Marquis de Dangeau, Gouverneur de Touraine, dans la Ville de Tours, si l’abondance de la matiere sur des articles tres-longs, ne m’en eust pas empesché. Messieurs de la Maréchaussée l’allerent prendre à sa Maison de campagne, qui est à quelques lieuës de cette Ville-là, & marcherent au devant de son Carosse, autour duquel estoient les Gardes de ce Gouverneur, accompagnez de leur Capitaine & de deux Ecuyers. Mr l’Intendant alla à une lieuë de la Ville, d’où il sortit cinquante à soixante Carosses, pour aller au devant de ce Marquis. Toutes les Compagnies, qui se montoient à dix mille hommes, & qui estoient distinguées par des rubans de differentes couleurs, sortirent une demy-lieuë hors de la Ville. On alla descendre à l’Hostel du Gouverneur. Toutes les Dames de Tours se trouverent dans la premiere Sale, & il y avoit des Violons dans la seconde. Elles passerent dans la troisiéme avec Mr le Marquis de Dangeau, & Madame la Marquise sa Femme, & l’on y commença une conversation qui ne put estre que spirituelle, puis que Mr de Dangeau y avoit la meilleure part. Elle fut interrompuë par des complimens que le Corps de Ville vint luy faire par la bouche de son Maire. Le Corps de Medecine arriva ensuite, & fut suivy de plusieurs autres. On alla le soir souper chez Mr l’Intendant. Ce Repas fut magnifique ; il y eut grand Bal aprés le Soupé, & grande Collation pendant le Bal. Mr le Marquis de Dangeau a tenu table dans tout le temps qu’il a demeuré à Tours. Toute la Noblesse de la Province a esté manger chez luy, & il en est party avec un applaudissement general.

[Mort du père Rapin]* §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 117-132

 

Le Pere Rapin Jesuite mourut icy sur la fin du mesme mois. Je me preparois à vous en faire l’éloge, lors qu’il m’en est tombé un entre les mains auquel je n’ay rien à ajoûter. Il paroit que celuy qui l’a dressé le connoissoit tres-parfaitement. La maniere dont-il est écrit me persuade sans peine qu’il vient, comme on me l’a dit, d’un excellent homme du mesme Ordre. En voicy les termes. Le Pere René Rapin de la Compagnie de Jesus, né à Tours, est mort à Paris le 27. d’Octobre 1687. en la soixante-sixiéme année de son âge, d’une espece d’apoplexie jointe à un commencement de paralysie qui l’a fait languir prés de deux mois. C’est une perte considerable pour son Ordre dont il estoit un des principaux ornemens : car il avoit d’excellentes qualitez ; un génie heureux pour les Sciences, un naturel fait pour la vertu, une humeur douce, une probité exacte, un tres-bon sens, & le meilleur cœur du monde. Sa physionomie sage & spirituelle, son air humain & affable, ses manieres simples & modestes luy gagnoient d’abord l’estime & la bienveillance de tous ceux qui le voyoient ; plus on le pratiquoit, plus on découvroit en luy un fond de raison & de bonté qui ne se rencontre guere ailleurs. Il estoit naturellement honneste, & il s’estoit fort poli dans le commerce des Grands qui l’ont honoré de leur amitié, & auprés desquels ses Supérieurs l’ont attaché plus d’une fois : mais sa politesse n’avoit rien qui ne convinst à sa profession. Il estoit officieux au-delà de ce qu’on peut croire, prenant plaisir à obliger, & obligeant de bonne grace, prévenant les prieres & les desirs, & servant avec chaleur jusqu’aux inconnus par le seul principe d’une inclination bienfaisante. Aussi n’y eût-il peut-estre jamais un amy plus genereux ny plus tendre ; plus fidelle, ny plus appliqué à remplir tous les devoirs, toutes les bienséances de l’amitié. Les gens du monde le regardoient comme un parfait homme d’honneur, & les gens de Lettres comme un des plus beaux esprits de nostre Siecle. Il a excellé dans la Poësie Latine, & les ouvrages que nous avons de luy en ce genre, ont rendu son nom celebre par toute l’Europe. Les Sçavans ont admiré entre autres son Poëme des Jardins, & l’ont jugé un chef-d’œuvre digne du siécle d’Auguste, & digne de Virgile mesme. Quoy que la langue de Virgile & de Ciceron fust presque la sienne, & qu’il en eust fait son étude principale dés ses premieres années, il connoissoit toutes les beautez de la nostre ; & ce qu’il a écrit en François, a une élegance particuliere. Il s’estoit rempli l’esprit de toutes les belles connoissances, & rien ne marque mieux son érudition que ses Réflexions sur l’Eloquence, sur la Poésie, sur la Philosophie, & sur l’Histoire, avec ses Comparaisons de Virgile & d’Homere, de Demosthene & de Ciceron, de Platon & d’Aristote, de Thucydide & de Tite-Live. Mais ses vertus chrétiennes & religieuses le rendent encore plus estimable que ses talens naturels & humains. Il a eû dés son enfance une pureté de mœurs & une délicatesse de conscience qui l’ont accompagné jusqu’à la fin de sa vie. Sa pieté paroissoit sur son visage & dans ses discours ; & ce n’estoit que pour inspirer à tout le monde ce qu’il sentoit des choses de Dieu, que de temps en temps il composoit des Livres de dévotion. Le dernier, de La Vie des Prédestinez, qu’il fit en sortant d’une longue maladie, fut le fruit des réflexions d’un Malade tout occupé de l’Eternité, & est plein des veritez de la Foy les plus sublimes & les plus touchantes. Il avoit une ardeur extrême pour la conversion des Calvinistes, & il s’en expliquoit dans les rencontres d’une façon pathetique, tout moderé & tout paisible qu’il estoit. Il a écrit sur ce sujet des Lettres fort vives à diverses personnes qui estoient engagées dans l’erreur ; & il a eû le bonheur d’en retirer quelques unes d’un merite extraordinaire qui ont pris confiance en luy, qui ont suivy ses conseils, & qui vivent selon toutes les regles de la sagesse chrestienne. Son zele pour les interests de la Religion, & pour l’honneur de sa Compagnie luy fit entreprendre il y a plus de vingt ans, un grand ouvrage, où il a travaillé constamment sans nulle esperance de le voir paroistre, & que Dieu luy a fait la grace d’achever avant sa mort. Il aimoit fort le travail ; & comme il estoit destiné par sa vocation à l’avancement de la gloire de Dieu & au service du prochain, il se croyoit obligé en conscience d’employer le temps utilement dans ces veûes-là : il ne sçavoit ce que c’estoit que de le perdre, & il faut qu’il ait esté extrémement laborieux pour avoir donné tant de Livres au public avec une santé aussi délicate que la sienne. La maladie qui nous l’a enlevé n’est venuë que de trop d’application. Il commençoit un nouvel ouvrage lors qu’il est tombé malade ; & on peut dire qu’il auroit vécu plus long-temps selon toutes les apparences, s’il se fust plus menagé. Il estoit humble dans ses sentimens & dans sa conduite, n’ayant que de petites idées de luy-mesme, méprisant le monde d’autant plus qu’il le connoissoit davantage, & n’estimant veritablement que ce qui est grand devant Dieu. Il vouloit particulierement le bon ordre, & les moindres relâchemens de la discipline Ecclesiastique ou Reguliere excitoient en luy des mouvemens d’une sainte indignation. Il édifioit beaucoup dans la conversation ; où il parloit peu, toûjours sagement, & d’une maniere religieuse ; charitable au reste & prest en tout temps à secourir les malheureux. Comme il avoit par tout du crédit & des amis, mille gens s’adressoient à luy dans leurs besoins, & en recevoient de bons offices, ou du moins de la consolation. Il s’est appliqué aux bonnes œuvres tant que sa santé le luy a permis. Il alloit confesser les malades de l’Hostel-Dieu regulierement toutes les semaines, avant que ses incommoditez l’eussent reduit à une langueur dont il n’est jamais bien revenu, mais qui ne l’empêchoit pas, quand il estoit à la campagne, de confesser & d’instruire les pauvres gens. On ne peut s’imaginer jusqu’où alloit sa patience, sa tranquillité dans des conjonctures desagreables, & sur tout dans des infirmitez fâcheuses. Au temps de sa longue maladie il sentoit souvent des douleurs aiguës sans se plaindre & sans en dire presque rien à ceux qui avoient le plus de part à sa confiance, ne voulant avoir que Dieu pour témoin de ce qu’il souffroit, & persuadé que le bonheur d’un Chrétien est de souffrir dans le silence. Il prenoit un jour tous les mois pour se préparer à la mort par un petit exercice qu’il avoit composé luy-mesme pour son usage, & il faisoit la Retraite de chaque année, comme s’il eust deû mourir aprés l’avoir faite. Un tel homme doit estre regretté de tout le monde : il vit encore dans le cœur de ses amis ; & ses ouvrages, ses vertus le feront vivre dans la mémoire de tous les siecles.

[Feste donnée par M. le Marquis du Tremblay] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 138-140

 

La France est si florissante, que les Particuliers, j'entens les Personnes d'une qualité distinguée, mais au dessous des Princes, Ducs & Pairs & Maréchaux de France, font des Festes qui sont souvent inconnuës hors des lieux où elles sont données, & qui paroistroient beaucoup dans les Estats de plusieurs Souverains. Celle qui fut faite au commencement de ce mois chez Mr du Tremblay, Maistre des Requestes, en son Château du Tremblay, est de ce nombre. Elle commença la veille de S. Charles Boromée [Borromée] [le 3 octobre], Feste de Mr le Marquis du Tremblay, par une illumination au Chasteau qui porte ce mesme nom. On y vit briller plus de douze cens Bougies. Il y eut un grand Repas, une fort belle simphonie, un Feu d'artifice, & tout cela fut suivy du Bal. Le lendemain on chanta une Messe en Musique. L'Assemblée fut nombreuse, & composée de Personnes de qualité de l'un & de l'autre sexe. Vous sçavez que le Chasteau du Tremblay est tres-beau, & qu'il a esté basty sur le modelle de celuy de Luxembourg. Mr du Tremblay, Gouverneur de la Bastille, Grand-pere de celuy dont je vous parle, l'a extremement embelly. Il estoit Frere du Pere Joseph, Capucin, qui a eu si grande part aux affaires sous le Ministere de Mr le Cardinal de Richelieu.

[Lettre en Vers] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 143-149

 

Il n’y a pas toûjours de la honte à fuir, & quelquefois la prudence engage à se servir de cette précaution. Vous en tomberez d’accord quand vous aurez leu la Lettre qui suit. Elle est de Mr Devin, dont je vous ay déja envoyé plusieurs Ouvrages que vous avez leus avec plaisir.

A. M. P. L. M.

 Quand j’allay pour vous voir, une pieuse affaire
Vous obligea bien-tost à sortir de chez vous,
 Et vous me dites d’un ton doux ;
Ma presence, Damon, est ailleurs necessaire,
On m’attend, je vous quitte, & vostre honnesteté
Veut bien me pardonner cette incivilité ;
 Mais restez icy, je vous prie,
Ma Fille, à mon defaut, vous tiendra compagnie,
 Et je vous la donne à garder.
 À garder ? Quel employ terrible !
 Oseroit-on s’y hazarder ?
Tout barbon que l’on soit, en est-on moins sensible,
  Et seroit-il judicieux
De se commettre seul au feu de ses beaux yeux ?
C’est ce qu’on ne fait point sans un grain de folie,
Et je n’ay pas encor perdu tout mon bon sens.
D’une jeune Beauté plus la Chambre est remplie,
Autour d’elle, en un mot, plus elle voit de gens.
Et plus de ses regards la force est affoiblie ;
Répandus, partagez sur differens objets,
On n’en craint presque plus les funestes effets,
 L’atteinte en est beaucoup moins rude
 Mais sur un pauvre malheureux
 Ramassez par la solitude,
 Alors ils redoublent leurs feux ;
 Et telle, au fond d’un miroir creux,
Est l’ardeur du Soleil quand elle est réunie,
On ne peut la souffrir. Mais vous, sage Vranie,
Ne comprites-vous point à quel affreux danger
 L’honneur de vostre confiance
M’exposoit ? non, sans doute, il m’eust coûté trop cher,
Et vous en eussiez fait un cas de conscience,
Je me perdois ; aussi bien loin de m’en charger,
Ce peril, qui, plus jeune, eust eu pour moy des charmes,
 Me causa pour lors tant d’alarmes
Que je crus par la fuite, & sortant sur vos pas,
De voir de ses beaux yeux éviter les appas.
 Il est vray qu’en vostre presence
La charmante Aspasie en modere les coups,
 Et qu’alors, par respect pour vous,
Elle épargne les gens de vostre connoissance ;
 Mais je sçay pendant vostre absence
 Qu’elle en ménage peu les traits,
 Et, maintenant quadragenaire
 Et plus timide que jamais,
 Je n’osay pas en témeraire
M’exposer teste-à-teste à toute leur douceur.
Elle eust voulu peut-estre essayer sur mon cœur
Ce que pour l’avenir elle peut s’en promettre,
Elle eust voulu peut-estre à ses loix le soûmettre.
Que dis-je ? Elle l’eust fait, & j’en eus la frayeur.
À quoy donc pensiez-vous, helas ! sage Uranie,
 Quand vous voulustes m’engager
 À garder la jeune Aspasie ?
D’un soin leger & doux crustes-vous me charger,
 Où comptiez-vous sur la sagesse
D’un homme tel que moy déja vieux & grison ?
 En ay-je plus que Salomon
Qui, tout plein qu’il en fut, ne fut pas sans foiblesse ?
De quelle utilité fut-elle aux deux Vieillards
 Qui par de trop tendres regards
Assaillirent au Bain Suzanne à demy-nuë ?
 Ah ? moins âgé, moins sage qu’eux,
 J’aurois eu moins de retenuë,
Et me livrant moy-mesme aux traits de ses beaux yeux,
J’estois.… car Aspasie est plus jeune & plus belle
 Que ne fut l’objet de leurs vœux.
Moy la garder ? Non, non ; hé qui m’eust gardé d’elle ?

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 149-169

 

On se montre liberal quelquefois à peu de frais, & c’est ce qui est arrivé depuis quelque temps à un Cavalier, qui croit, entre autres maximes qu’il observe avec les Femmes, que c’est estre dupe que de faire des presens. Il voyoit une Dame fort bien faite avec assez d’assiduité, pour luy donner lieu de croire qu’il en estoit amoureux. Cependant, quoy qu’il en connust toute la beauté & tout le merite, il n’estoit point homme à prendre un attachement de cœur, & s’il luy rendoit des soins plus particuliers qu’à toutes les autres chez qui il avoit accés, il ne le faisoit que parce qu’ayant à passer six mois dans le mesme lieu où estoit la Dame, il luy trouvoit des manieres douces, & un tour d’esprit qui convenoient à son caractere. Il luy proposoit de temps en temps quelque partie de plaisir, & il s’en tiroit toûjours en galant homme ; mais il bornoit là toute la dépense qu’il faisoit pour elle, & ce n’estoit pas ce que la Dame eust voulu. Si l’envie qu’on témoignoit de luy plaire avoit quelque chose qui flatoit sa vanité, elle n’en goûtoit le charme que par l’esperance que les sentimens qu’elle inspiroit, ne se termineroient pas à des démonstrations steriles, & n’ayant en veuë que son interest, les plus agreables divertissemens qu’on luy pouvoit procurer, ne la touchoient point, s’ils n’estoient suivis de quelque marque solide de l’amitié qu’on avoit pour elle. Le Cavalier découvrit bien-tost son foible, mais comme il n’avoit aucun dessein de gagner son cœur, il alla toûjours son train ordinaire, & soustint sans s’ébranler toutes les attaques qui luy furent faites pour l’engager à luy faire voir par des preuves effectives qu’il l’estimoit veritablement Enfin tous les efforts de la Dame estant inutiles, & le Cavalier continuant à se retrancher sur quelque partie de promenade, dans laquelle il ne s’agissoit que d’un repas, elle tourna ses prétensions sur un fort beau Diamant qu’il portoit toûjours, & que six autres qui estoient autour, sembloient encore rendre plus brillant. Elle le tira plusieurs fois du doigt du Cavalier pour le mettre au sien, en loüant toûjours le feu qu’il jettoit, & elle luy dit un jour qu’elle vouloit s’en parer pendant quelque temps. Le Cavalier le souffrit, sans luy faire là-dessus le compliment qu’auroit fait un homme aussi amoureux, qu’elle croyoit qu’il fust d’elle. Comme elle vouloit le mettre en estat de n’oser reprendre son Diamant, elle luy fit certaines avances qui l’embarasserent, parce qu’il trouvoit un grand inconvenient à en profiter. Il crut à propos de l’embarasser elle-mesme, en n’y répondant que par des honnestetez qui luy osterent le droit qu’elle vouloit acquerir. Ce procedé ayant rompu ses mesures, elle se vit obligée de rendre le Diamant. Ce ne fut pas toutefois sans garder quelque esperance de réussir dans son entreprise. Les Connoisseurs par qui elle l’avoit fait examiner, le faisoient valoir deux cens Loüis, & un Bijou d’un prix si considerable avoit pour elle un attrait sensible. Le trop de ménagement du Cavalier, qui negligeoit les favorables dispositions où il pouvoit voir qu’on estoit pour luy, n’empescha point qu’elle ne receust toûjours ses visites avec un empressement qui marquoit de la tendresse. Le Cavalier estant convaincu que l’interest seul luy faisoit faire ces sortes d’avances, & qu’elle n’avoit envie de donner que pour s’établir un certain empire qui l’auroit renduë maistresse de beaucoup de choses, se tint plus que jamais sur ses gardes pour s’exempter de toute foiblesse. On ne laissoit pas d’attaquer toûjours le Diamant. On le prenoit, on le gardoit quelques jours, & en le rendant on luy disoit qu’un bijou semblable avoit plus d’éclat au doigt d’une femme, qu’en celuy d’un homme. Il détournoit le discours, ou faisoit semblant de ne point entendre ; mais enfin on commençoit à pousser si loin la chose, que la ferme resolution qu’il avoit prise d’estre inébranlable, se trouvant déconcertée par le redoublement des attaques, il crut qu’il estoit temps de pourvoir à la seureté de son Diamant. Il le fit oster de la Bague où il estoit enchassé, & l’on y en mit un faux, taillé avec tant d’adresse, qu’estant tout semblable, & de la mesme grosseur, il auroit fallu s’y bien connoistre pour remarquer qu’il jettoit un feu moins vif. Peu de jours aprés la Dame se mit sur sa belle humeur, & aprés un entretien assez familier, elle tira de son doigt un Diamant de dix Loüis qu’elle portoit ordinairement, & demanda au Cavalier comme en badinant, s’il en vouloit faire une échange avec le sien. Le Cavalier eut dans sa réponse toute l’honnesteté qu’elle souhaitoit. Il luy dit du ton le plus obligeant, que si son Diamant luy avoit paru d’un assez grand prix pour l’oser offrir à une Dame dont le merite ne pouvoit estre égalé, il y avoit long-temps qu’il l’auroit priée de le vouloir accepter, mais que le present luy semblant trop mediocre, il avoit eu besoin de la proposition qu’elle venoit de luy faire, pour se hazarder à luy dire qu’elle en pouvoit disposer souverainement. L’échange se fit au grand contentement de la Dame, qui s’aplaudissant d’avoir enfin réussi dans son dessein, imputoit à la galante generosité du Cavalier, ce qu’il disoit avec verité du peu de valeur de son Diamant. Elle se fit un plaisir de le porter, & ceux qui luy avoient veu plusieurs fois cette Bague au doigt, persuadez que c’estoit la mesme, ne prirent point garde que le Diamant estoit changé. La discretion du Cavalier a supprimé ce qui suivit cet échange, & l’histoire ne dit point s’il tira quelque avantage de sa pretenduë liberalité. Il mit au bout de son petit doigt la Bague que la Dame luy avoit donnée, ayant sa réponse toute prête s’il arrivoit qu’elle se plaignist du faux Diamant. Comme les six qui estoient autour valoient du moins celuy de la Dame, il n’avoit point de scrupule à faire de la tromperie. Aussi les affaires qui le retenoient en ce lieu-là estant terminées, il prit congé d’elle, en l’asseurant qu’il garderoit avec soin la Bague qu’il emportoit comme un gage precieux de son amitié. La Dame répondit à ce compliment en termes fort obligeans, & elle eust esté long-temps dans l’erreur si l’envie d’avoir un Lit, qui estoit un meuble préferable à une Bague, ne luy eust fait naistre le desir de se défaire de son Diamant. Elle chercha à le vendre, & fut fort surprise quand on l’asseura qu’il estoit faux. Elle s’adressa aux Connoisseurs qui luy avoient dit qu’il valoit deux cens Loüis, & ils luy soûtirent si fortement que si c’estoit la mesme Bague, on en avoit changé le gros Diamant, qu’elle demeura persuadée du tour que le Cavalier luy avoit joüé. Le dépit d’avoir esté la dupe d’un homme qu’elle avoit tant menagé pour n’en rien tirer d’utile, luy fit sentir vivement le temps qu’elle avoit perdu à de vaines complaisances. Il falut pourtant s’en consoler, & faire un secret de la tromperie, qui ne pouvoit estre sceuë sans luy faire tort. Un an se passa sans qu’elle entendist parler du Cavalier, mais enfin quelque affaire l’ayant appellée à Paris, où elle devoit faire un long séjour, le hazard voulut que presque aussi-tost elle le rencontra chez une Dame à qui elle estoit allée rendre visite. Il luy témoigna beaucoup de joye de la revoir, & se disant toûjours fort de ses Amis, quoy qu’il ne pust luy donner que d’assez foibles excuses d’avoir negligé de luy écrire, il eut de l’empressement à s’informer où elle logeoit. La Dame qui n’estoit pas faschee d’avoir un éclaircissement avec luy, l’instruisit de son quartier, & il alla chez-elle dés le lendemain. Il commença à se mettre sur le pied d’une liaison familiere, comme il s’estoit veu ailleurs avec elle, & le discours ayant tourné de maniere qu’elle pouvoit luy parler du Diamant, elle affecta un air enjoüé pour luy demander s’il se souvenoit qu’ils eussent fait un échange, & s’il croyoit y avoir perdu. Le Cavalier ne se déconcerta point. Il luy répondit qu’il voyoit bien qu’elle vouloit luy faire un reproche de luy avoir donné un Diamant faux, mais qu’elle ne l’avoit pû ignorer quand elle luy avoit proposé l’échange, puis qu’elle l’avoit porté tant de fois avant que de luy faire connoistre qu’elle vouloit le garder. Il ajoûta qu’elle ne devoit pas avoir oublié qu’il luy avoit dit en y consentant, que si le present n’avoit pas esté si mediocre, il l’auroit priée plusieurs fois de l’accepter ; qu’il l’avoit receu d’une belle Dame, qui ne s’estant pas trouvée en pouvoir de luy en faire un plus considerable, avoit exigé de luy qu’il porteroit cette Bague pour mieux se souvenir d’elle, & qu’au moins le sacrifice qu’il n’avoit point balancé à luy en faire, devoit donner à ce Diamant un prix qu’il n’avoit pas de luy-mesme. La Dame ayant compris par cette réponse tout le caractere du Cavalier, ne luy voulut point donner l’avantage de luy laisser voir qu’elle avoit connu que pour la tromper, il avoit fait oster le bon Diamant. Elle feignit de croire ce qu’il disoit aprés quelques visites encore assez assiduës qu’elle luy soufrit, ayant mis sa liberalité à de nouvelles épreuves qui n’eurent aucun effet, elle resolut de le bannir. Elle employa pour cela un air froid & serieux qui luy fit bien-tost connoistre que ses agreables complaisances étoient reservées à d’autres qu’à luy, & que si elle avoir quelques dons à faire, ce n’estoit qu’à ceux qui luy en faisoient. Enfin fatiguée d’avoir auprés d’elle un homme dont la conduite luy marquoit assez qu’elle n’avoit rien à esperer, elle prit l’occasion de rompre sur un leger different qui survint entre eux. Elle le pria de ne la plus voir, & le Cavalier qui ne vouloit point achepter ses bonnes graces, prit party ailleurs sans chercher à l’adoucir, & n’eut pas beaucoup de peine à se consoler de la voir donner dans de nouvelles intrigues.

[Journal du Voyage des Ambassadeurs de Siam, depuis Brest jusques au Cap de Bonne-Esperance, avec ce qui s'est passé pendant le sejour qu'ils ont fait au Cap] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 170-186

 

Je reprens aujourd'huy de plus haut ce qui regarde ce Voyage, & vous en envoye un Journal tres-curieux qui commence au jour que la Flote partit de Brest, & finit à celuy du rembarquement au Cap de Bonne-Esperance. Ce Journal a esté envoyé par Mr Masurier, Gentilhomme Lionnois, qui est allé à Siam avec Mr de Farges, & qui fait connoistre son esprit par les remarques judicieuses qu'il a faites, & son intelligence dans la Marine, par la maniere dont il s'explique sur toutes les choses qui la regardent. [...]

bLe Mercredy, Jeudy & Vendredi saint nous chantasmes Tenebres ; du Jeudy au Vendredy le Saint Sacrement fut exposé pendant vingt-quatre heures ; le lendemain Vendredy, nous eusmes le Sermon sur la Passion, par un de ces Peres, avec l'applaudissement de tous ceux du Vaisseau, & le Samedy, & le Dimanche de Pasques, il y eut grand Messe avec la simphonie des Violons, des Hautbois, & Flûtes douces. [...]

[Nouvelles Pieces de Clavessin, de M. le Begue] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 240-241

 

J'ajousteray à ce que je vous ay dit la derniere foisFait référence à un premier article sur le livre de pièces de clavecin de Lebègue. des Pieces nouvelles de Clavessin, composées par Mr le Begue, Organiste du Roy, qu'elles se vendent presentement chez Mr Lesclop, Faiseur d'Orgues, ruë au Maire, proche Saint Nicolas des Champs. Vos Amies seront peut-estre bien-aises de l'apprendre, parce qu'il les envoye dans toutes les Villes du Royaume, où elles ne sont pas moins estimées par la facilité qu'il y a de les apprendre, qu'à cause de leur extrême beauté.

[Etat des affaires des Venitiens, & de l’Empereur contre les Turcs, avec une description de la Ville d’Athenes] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 244-247

 

Je vous envoye le plan de Castelnovo, & je n’y joins point encore la Relation de ce Siege, qui devoit estre dans ma Lettre de ce mois. Je l’attens de Malthe, avec les noms de tous les Chevaliers qui ont esté tuez ou blessez pendant cette Campagne, ainsi que de ceux qui se sont signalez. La renommée apporte d’abord avec une vitesse extraordinaire les premieres nouvelles d’une grande Expedition ; mais il faut beaucoup de temps pour travailler aux détails, & pour les verifier ; & quand ceux qui veulent bien se donner ce soin ont achevé, il n’est pas si facile de les envoyer.. Il faut traverser des Mers, & l’on est quelquefois deux mois entiers à Venise sans recevoir des nouvelles du Generalissime Morosini, qui en donneroit presque tous les jours si elles pouvoient venir par terre. Les dernieres ont confirmé la prise de Misitra, dont je vous parlay amplement il y a deux mois, dans une Relation particuliere, intitulée, Défaites des Armées Othomanes par les Armées Chrestiennes en Hongrie & dans la Morée, avec la prise de plusieurs Places. Comme celle d’Athenes vient de reconnoistre la puissance des Venitiens, je vais vous en faire la description, ainsi que j’ay déja décrit Patras, Lepante, Castel-Tornese, Corinthe, Acrocorinthe, & Misitra, dans la Relation dont je viens de vous parler.

[Ce qui s'est passé à l'ouverture du Parlement, & à celle des Audiences] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 262-263

 

Le lendemain de la Saint Martin, on fit l'ouverture du Parlement en la maniere accoûtumée. La Messe fut celebrée dans la Grand'Salle du Palais par Mr l'Evesque de Xaintes [Saintes], & chantée par plusieurs Choeurs de Musique. Tout le Parlement s'y trouva en Corps, & en Robes rouges, & cette Ceremonie estant achevée, il se rendit dans la Grand'-Chambre avec l'Evesque qui avoit officié. Ce Prelat leur fit un Compliment, & fit en mesme temps l'Eloge de la Justice.

[Opera d'Achille & de Polixene] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 267-275

 

On a commencé à jouër icy un Opera nouveau, intitulé Achille & Polixene. L'ouverture, & le premier Acte sont de la composition de feu Mr de Lully, & c'est le dernier Ouvrage de Musique qu'il ait fait avant sa mort. Le Prologue & les quatre derniers Actes ont esté composez par Mr Colasse, l'un des quatre Maistres de Musique de la Chapelle du Roy, & Eleve du même Mr de Lully. La Piece est de Mr Capistron [Campistron], qui a fait l'Opera d'Acis & de Galatée, & l'Idille qui fut chanté à Anet pour le divertissement de Monseigneur le Dauphin, & que je vous envoyay il y a quelques mois. Quoy que Mr Capistron [Campistron] ait fait beaucoup d'autres Ouvrages considerables, je ne vous nomme que ces deux-là, parce que s'agissant icy d'Opera, je dois vous le faire connoistre par les Pieces de sa façon, qui ont esté mises en Musique. Je vous envoye ce dernier Opera imprimé, & comme vous en pourrez juger par vous-mesme en le lisant, je n'ay rien à vous en dire. Je l'ay écouté avec grande attention, & si je vous expliquois ce que j'en pense, il sembleroit que je voudrois prévenir les sentimens de ceux qui lisent mes Lettres, & empescher que l'on n'en jugeast autrement que moy : il y auroit trop de vanité à cela. J'ay sujet de me défier de mes lumieres & suis fort persuadé qu'il y a beaucoup de gens plus éclairez que je ne le suis. Quant à la Musique, & au spectacle que vous ne pouvez entendre ny voir, il faut vous en dire davantage. Neanmoins je parleray peu de la Musique, parce qu'elle n'a pas un point fixe de bonté comme beaucoup d'autres choses. Le dernier de ceux qui travaillent en Musique, compose souvent selon les regles ainsi que le plus habile, & c'est ce qui est presque general dans toutes sortes d'Arts. Cependant il ne s'ensuit point que leurs Ouvrages soient également beaux. Tous les hommes sont composez des mesmes parties, & quoy que chacun ait tout ce qui est necessaire pour former le corps humain, on ne sçauroit dire que tous les hommes soient d'une égale beauté. On trouve des traits plus reguliers dans les uns que dans les autres ; il y a des beautez blondes, & des beautez brunes ; il y en a de vives & de languissantes, & parmy tout cela il se rencontre toûjours un certain je ne sçay quoy qui frape dans celles qui sont les moins parfaites. Toutes ces differentes beautez sont aimées selon le goust de ceux qui les voyent. Il en est de mesme à l'égard de la Musique. L'un veut du vif, l'autre veut du languissant, l'un veut rire, l'autre veut pleurer, & cela est cause que chacun juge de la beauté d'un Ouvrage de Musique selon que cet Ouvrage est conforme à son goust. Ainsi quoy que je pusse dire de la Musique de Mr Colasse, ce que j'en dirois ne seroit pas generalement receu, & un particulier ne doit jamais donner son sentiment pour regle sur une chose dont on peut juger si differemment. Je puis dire pourtant à l'avantage de Mr Colasse, qu'il est presque impossible qu'un homme qu'on a trouvé assez habile pour remplir une des quatre places de Maistre de Musique de la Chapelle du Roy, & qui a demeuré pendant plusieurs années avec le fameux M. de Lully, n'ait pas beaucoup de ses manieres, & ne fasse pas de belles choses. Aussi je vous diray qu'il y en a dans son Opera, & qu'elles ont esté applaudies des Connoisseurs. Le reste du spectacle est de M. Berrin [Berain], dont je vous ay tres-souvent parlé. Plusieurs Opera, les Carrousels, les Illuminations de Versailles, la Feste de Seaux & mille autres choses de cette nature, luy ont acquis tant de réputation là-dessus, & l'ont rendu si habile, qu'il ne fait rien qui ne soit d'un tres-bon goust. C'est ce que l'on a trouvé dans les habits de l'Opera d'Achille & de Polixene, qui ont receu un applaudissement universel. Ils ont paru fort riches, tres-bien entendus, & suivant le caractere des Personnages.

[Cloches tenues par Monseigneur le Dauphin & Madame la Dauphine] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 282-283

 

Le 9. de ce mois Mr l'Archevesque de Sens benit deux Cloches à l'Hôpital Royal de la Charité d'Avon, les-Fontainebleau. Monseigneur le Dauphin a esté le Parrain de l'une, & Madame la Dauphine la Marraine. Ils visiterent ensuite les pauvres Malades, à chacun desquels ils firent distribuer deux Loüis d'or. Madame la Duchesse fut la Marraine de la seconde Cloche, & Monsieur le Duc du Maine, le Parrain.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 292-293.

Voicy un second Air nouveau, qui ne vous plaira pas moins que le premier, qui a esté mis au commencement de cette Lettre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Aimer une Beauté severe, doit regarder la page 293.
Aimer une Beauté severe
Sans espoir de guerir son amoureux tourment,
C'est le vray caractere
D'un malheureux Amant.
Ah, s'il faut que l'Amour nous entraisne,
S'il faut brûler, s'il faut languir,
Du moins choisissons une chaisne
Qui traisne aprés soy le plaisir.
images/1687-11_292.JPG

[Sur la comédie Le Chevalier à la Mode] §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], p. 302-304

 

Puis que l’Article de Molinos, dans ma derniere Lettre, vous a paru curieux, j’espere vous envoyer dans celle du mois prochain, une exacte & veritable Relation de son Procés. Vous aurez avant ce temps la Comedie du Chevalier à la Mode, qu’on m’asseure devoir estre debitée vers le cinq ou sixiéme de Decembre. Plus on voit cette Piece, plus on la veut voir. Elle a esté joüée à Versailles deux fois en huit jours, & l’on parle de l’y representer une troisiéme fois. Il ne faut point d’autre marque de la bonté d’un Ouvrage, puis qu’il est certain que la Cour a un certain bon goust qui ne se trouve point ailleurs, non pas mesme parmy les Personnes qui ont le plus de sçavoir, & le plus d’esprit. Je suis, Madame, vostre, &c.

A Paris, ce 30. Novembre 1687.

Livres de musique de la Composition de Mr de Bacilly. §

Mercure galant, novembre 1687 [tome 16], np

 

LIVRES DE MUSIQUE de la Composition de Mr de Bacilly.

 

Il y en a vingt, moitié gravez au Burin, moitié de l'impression du Sieur Ballard. Les dix gravez sont en fort petit nombre depuis qu'il en a effacé toutes les planches. Il n'en a fait tirer qu'une vingtaine de chaque sorte pour ceux qui voudront profiter de l'occasion de les avoir, bien plus corrects qu'ils n'étoient, & en bien plus beau papier. Il y en a aussi une trentaine de chaque des dix sortes de l'impression du sieur Ballard qui seront un jour fort cherchez à cause des Airs Bachiques en maniere de Basse dont il est l'Inventeur, & où l'on scait qu'il a excellé. Outre ces vingt livres d'Airs, il a encore environ une trentaine de Livres de son admirable Art de chanter, & un grand nombre des douze Recueils Nouveaux de Vers mis en chant. Tous ces livres se vendent au Palais chez le sieur de Luynes & le sieur Guerout Libraires, & chez l'Autheur ruë S. Anthoine, dans une Porte Cochere, qui est entre deux Boutiques de Linges vers l'Hostel de Sully.

Le même Monsieur de Bacilly avertit qu'il a une Bibliotheque à vendre de toutes sortes de livres de Musique, Italienne, Latine & Françoise, in quarto au nombre de plus de cent Volumes, à trois, à quatre & à cinq parties, même des Ouvrages du vieux BoissetI, de GaudronII, de Moulinié, comme aussi toutes sortes de Livres d'Airs de differens Autheurs, dont les trois premiers ne se trouvent plus chez le sieur Ballard, & autres Livres de Richard, Chastelet, des Rosiers, Sicard, Cambefort, Hotman, Cambert, & tous les Livres de Chansons à danser & à boire, de puis l'an 1621. jusqu'à la presente année, plusieurs Opera tant notez qu'en feuïlle, & plusieurs livres à Vignette, reliez en Marroquin, pour écrire de la Musique & de la Tablature.