1688

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie) [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie) [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie) [tome 7]. §

[A Madame la Duchesse de Noailles]* §

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie [tome 7], p. I-VIII

 

MADAME,

La premiere Partie de l’Histoire de Mahomet IV. ayant tout le succés que j’en pouvois esperer, je croy devoir mettre à la teste de la seconde le fameux nom de Noailles, sous lequel cette premiere a esté si bien receuë. Comme ce n’est qu’une mesme Histoire separée en deux volumes, elle doit paroistre sous les mesmes auspices, & l’union qui est entre vôtre Illustre Epoux & vous, estant parfaite, je me suis persuadé que je pouvois vous adresser celuy-cy, sans qu’il luy fust moins consacre que le premier. Si les deux Parties de cet Ouvrage ne font qu’un corps, on peut dire que les deux Illustres Personnes à qui elles sont dediées, sont si étroitement unies, que rien ne les peut separer, & cette loüange que vous avez l’un & l’autre si justement meritée, est d’autant plus considerable, que tous ceux qui doivent estre unis, ont beaucoup de peine à vivre dans la parfaite correspondance a laquelle ils sont obligez. On ne sera pas surpris, Madame, de celle que l’on admire entre vous, quand on examinera le merite des deux parties qui forment cette union. L’Amour la commence ordinairement, mais c’est la vertu qui en serre les liens, & ils se trouvent beaucoup relâchez par tout où elle ne se rencontre pas. Celle qui brille en vous, Madame, est accompagnée d’une infinité d’autres belles qualitez qui meriteroient chacune des éloges separez. Que j’en ferois d’étendus, si je ne sçavois que vous fuyez les loüanges, & que vostre modestie auroit peine à les souffrir ! Quand on sçait conduire comme vous, Madame, toutes les affaires particulieres dont chacun est obligé d’avoir soin, & dont les Souverains ne doivent pas mesme estre exempts chez eux, s’ils veulent estre crus capables de bien gouverner l’Etat, il n’y en a point où l’on ne soit seur de réüssir, & quiconque a de l’ordre dans ses affaires, ne manque jamais d’en avoir dans toutes celles qui arrivent dans la vie, & qui sont souvent d’une extrême importance. Mais je ne m’apperçois pas, Madame, que si je m’abandonnois à mon panchant, j’entrerois dans les éloges que je me trouve obligé d’éviter pour vous plaire. Je ne puis pourtant m’empescher de dire avant que de finir, que vous avez pour vos Amis une amitié aussi forte que sincere, que vous parlez incessamment de leur merite ; que vous le loüez, & que n’estant pas satisfaite des paroles, vous passez aux effets, puis que vous allez au devant de toutes les occasions de leur estre utile, en cherchant continuellement les moyens de les servir. Heureux qui pourroit estre du nombre ! Mais je m’echape peut-estre à des souhaits imprudens, lors que ma plus forte ambition est celle de vous protester que je suis avec beaucoup de respect,

MADAME,

Vostre tres-humble & tres-obeissant serviteur, EVIZÉ.

Au Lecteur §

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie [tome 7], p. IX-XII

 

AU LECTEUR.

Il seroit fort difficile qu’un Livre fust plus favorablement reçû du Public que l’a esté la premiere Partie de l’Histoire de Mahomet IV. Ce n’est pas que l’on n’ait dit qu’elle ne remplissoit pas tout ce que promettoit son titre ; cependant on n’a point encore vû qu’on en ait usé d’une autre manière, & quand un Ouvrage auroit dix Volumes, on met toûjours tous les titres à la tête du premier. Si cette premiere Partie de Mahomet a réüssi, il y a beaucoup d’apparence que la seconde ne plaira pas moins, puis qu’elle contient l’Histoire entiere de la dépossession de cet Empereur, mais avec des circonstances si particulieres, & si étenduës, que ce seul article compose la derniere moitié de ce Volume. On doit estre étonné qu’elles-ayent esté sceuës, & d’y trouver des discours assez longs pour avoir de la peine à croire qu’ils soient veritables, tels que sont celuy du Grand Seigneur dans un Conseil, & celuy du Caimacan au Mufty, & à tous les Officiers assemblez dans Sainte Sophie, avant que d’en partir pour aller déposer le Grand Seigneur ; mais on peut asseurer icy que tout en est veritable, & qu’on a sceu beaucoup de ces particularitez par des personnes attachées aux Interessez, & qui estoient mesme dans la confidence de quelques-uns des grands Officiers qui ont eu le plus de part à ces mouvemens. La maniere dont on a étendu cette dépossession n’a pas permis d’en pousser l’Histoire plus avant ; on renfermera tout le reste dans un seul Volume. Il commencera par le Portrait de Soliman III. & par celuy des deux Fils de Mahomet, dont quelques-uns veulent élever l’Aisné sur le Trône. On décrira ensuite les Troubles qui ont regné depuis l’élevation de Soliman jusqu’à son Couronnement, dont on fera aprés la description. Quoy qu’il n’ait pas esté si pompeux que celuy des autres Sultans, on ne laissera pas d’y voir des marques de la grandeur Othomane, & d’apprendre des particularitez assez nouvelles touchant cette Ceremonie. On y joindra un détail des mouvemens qui l’ont suivy, & qui ont causé la mort du Grand Visir Siaouk Pacha, avec tout ce qu’on pourra apprendre jusqu’au premier de Juillet qu’on débitera ce dernier Volume. La precipitation avec laquelle se font ces sortes d’Ouvrages pour satisfaire l’avide curiosité du Public, ne permettant pas de les polir, parce qu’une feüille, lors qu’on a achevé de l’écrire, est enlevée aussi-tost par l’Imprimeur, on ne doit pas s’étonner si on ne s’attache qu’à la verité de l’Histoire, sans chercher à luy donner l’embellissement qu’elle pourroit recevoir du stile. Cette mesme precipitation doit faire avoir de l’indulgence pour les fautes d’impression.

[Sur l’histoire contée de Mahommet IV]* §

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie [tome 7], p. 1-6

 

Je ne suis pas surpris, Madame, que le commencement de l’Histoire de Mahomet IV. qu’il me fut impossible de finir le mois passé, vous ait donné assez de plaisir pour vous en faire souhaiter la suite. Si ce qu’on invente pour la seule satisfaction de ceux qui lisent, est capable d’attacher, la verité qui a des privileges plus essentiels, doit faire beaucoup plus d’impression sur les personnes qui ont de la solidité dans l’esprit. En effet il est bien plus naturel de prendre plaisir à des veritez qu’à des fictions Quelques belles que puissent estre les Fables, elles ne nous peuvent rien apprendre, & de quelque nature que soient les veritez, quand mesme elles seroient fort mal digerées, elles nous instruisent de quelque chose ; & comme l’on peut tirer de l’utilité de tout, il est malaisé de lire une histoire sans en profiter, puis que naturellement le mal nous donne une aversion qui nous le fait fuir, & que le bien nous cause un amour qui nous excite à le suivre. Vous verrez dans la suite de la vie de Mahomet, dont je vais continuer à vous apprendre les grands évenemens, tout ce que la rebellion, la cruauté, & l’inconstance de la fortune sont capables de produire. Vous sçavez déja une grande partie de tout ce que j’ay à vous dire là-dessus. Les Lettres des Particuliers, & les Nouvelles publiques n’ont presque point cessé d’en parler depuis quelques mois, & ces Nouvelles estant assez singulieres pour exciter de la curiosité, chacun en a demandé, chacun en a appris, chacun en a parlé, & c’est par cette raison qu’elles n’ont esté sceuës que confusément, tout ce qui est rapporté en mesme temps par un si grand nombre de personnes differentes, devenant une espece de cahos qu’on a peine à débroüiller. Je tâcheray cependant de mettre quelque ordre dans ce que vous pouvez avoir déja sceu, je separeray le faux du vray, & en rejettant le faux, je mettray le vray dans son jour. J’y ajoûteray quelque chose de nouveau, j’éclairciray ce que je croiray obscur, & j’expliqueray quantité de choses qui regardent les manieres de l’Empire Othoman, & dont la connoissance fera prendre plus de plaisir à lire beaucoup d’endroits. Comme en ne croyant décrire que les Troubles qui ont fait déposer Mahomet IV. j’ay travaillé insensiblement à l’Abregé de l’Histoire de sa Vie, je vais la reprendre où je l’ay laissée.

[Choses qui se sont passées en 1686 entre les Impériaux et les Othomans]* §

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie [tome 7], p. 119-120

 

 

Pendant que les Imperiaux & les Venitiens poussoient leurs conquestes, le Roy de Pologne alloit chercher les Ennemis bien avant hors de son pays, & jusque dans le coeur de leurs Etats, & pour peu que la fortune eust secondé l'ardeur heroïque dont il estoit animé, il auroit fait craindre aux Habitans de Constantinople de le voir sous leurs murailles. Ce Prince traversa des deserts & des Pays ruinez, & obligea le Hospodar de Moldavie d'abandonner Jassy, capitale de ses Etats. Ce Hospodar & celuy de Valaquie, envoyerent dire à Sa Majesté, qu'ils ne differoient à se mettre sous la protection de la Pologne, que parce que leurs Enfans estoient en ostage à Constantinople. Cependant le Roy de Pologne fit chanter le Te Deum dans Jassy. On distribua par son ordre de l'argent au Peuple, & il en receut le serment de fidelité. Ce Prince continua sa marche du costé du Budziak & de la Bessarabie, vers l'emboucheure du Danube. [...]

[Sur le livre Histoire de Hongrie] §

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie [tome 7], p. 193-195

 

Peut-estre ne vous ay-je encore rien dit dans cette Lettre que vous ne sçachiez, si on en excepte quelques endroits assez particuliers ; mais si la pluspart de ces choses sont connuës presque de tous ceux qui sans avoir trop de passion pour les nouvelles, sçavent seulement le courant des affaires du monde, la lecture ne laisse pas d’en estre d’une grande utilité quand elles sont ramassées ensemble, puis qu’elles font voir dans un mesme temps, ou plûtost tout d’une veuë, tout ce qui s’est passé pendant plusieurs années, entre l’Empereur, le Roy de Pologne, Mr l’Electeur de Baviere, la Republique de Venise, les Hongrois, le Grand Seigneur & les Czars de Moscovie, ce qu’on ne trouvera ensemble dans aucun Ouvrage, ceux qui ont écrit depuis la derniere invasion des Turcs en Allemagne, n’ayant parlé que de ce qui a regardé les Allemans & les Hongrois dans cette Guerre, sous le nom d’Histoire de Hongrie, ou de ce qui regarde les Venitiens & les Turcs ; encore ces deux ouvrages sont-ils separez ; le dernier n’est pas imprimé en France.

[Du rapport de la France avec le Christianorum Gladius]* §

Mercure galant, Suite de l’histoire de Mahomet IV depossedé, mai 1688 (seconde partie [tome 7], p. 371-373

 

Plusieurs se sont appliquez à chercher ce que peut signifier la pomme rouge, dont il est parlé dans cette Prophetie. Les uns disent que ce doit estre une Ville forte & imperiale, les autres l’entendent de Bude, & d’autres de Constantinople. D’autres croyent que cela pourroit s’entendre de toutes les Villes où il y a un Patriarche Grec, par ce qu’il se trouve des Livres où cette Prophetie est inserée, & où au lieu de mettre Kizul Almai, il y a vrum Papai qui signifie Prestre ou Patriarche Grec. A l’égard du Christianorum Gladius on a toujours cru qu’on entendoit parler du Roy. C’est une qualité qui est donnée à la France dans plusieurs Livres, & au rapport de plusieurs Auteurs, elle a merité le privilege d’estre appellée l’Epée de Saint Pierre, pour avoir remis quatorze Papes dans le Siege de Rome, & c’est apparemment ce qui fait apprehender aux Turcs que le Roy de France ne détruise leur Empire, puis qu’ils n’en apprehendent la ruine que de l’Epée des Chrestiens, comme il est marqué dans la Prophetie. Je suis, &c.