1688

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14]. §

Ode §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 7-21

 

Je ne dis rien de nouveau, Madame, en vous disant que toute la Terre est remplie de la reputation du Roy. Mille actions qui ébloüissent jusques aux Jaloux de sa grandeur, leur arrachent les loüanges qu’il est impossible de refuser à la verité. Elles sont dans la bouche des Peuples les plus éloignez, dont les Souverains luy ont envoyé des Ambassadeurs pour estre témoins des merveilles de sa vie. Ses Sujets qui luy doivent plus que les Nations Etrangeres, parlent à toute heure avec admiration de ses grandes qualitez ; mais quelques justes que soient les divers Eloges qui luy sont donnez de toutes parts, il est certain que l’on n’en voit point de meilleur goust, que ceux qu’on trouve employez dans les Ouvrages qui remportent les Prix proposez par les Academies des Gens de Lettres. Il n’y en a aucune aujourd’huy, qui ne choisisse quelque action de ce grand Monarque pour le sujet de ces Prix, & comme la matiere est toûjours belle, que l’émulation de ceux qui travaillent est grande, & que les Juges sont fort éclairez, il ne faut pas s’étonner si les Ouvrages de cette nature sont plus reguliers & plus achevez que beaucoup d’autres. Voicy celuy qui a remporté cette année le prix de Poësie, par le jugement de l’Academie Royale d’Angers. Elle avoit marqué pour sujet, les sentimens de respect & d’admiration dont les Peuples les plus éloignez ont donné des témoignages au Roy par de celebres Ambassades. La Priere que vous trouverez à la fin de cette Piece, est d’une obligation indispensable, & c’est par là que doivent finir tous ceux qui veulent entrer dans cette sorte de lice.

ODE.

Vous, qui guidez nos pas au Temple de la Gloire,
Vous, sans qui les Mortels font d’impuissans efforts,
 Sçavantes Filles de Memoire,
Inspirez-nous icy vos celestes transports.
On nous a veus sans crainte au milieu des alarmes
Faire entendre nos voix parmy le bruit des armes,
Et chanter les combats du plus grand des Vainqueurs.
Pourrions-nous demeurer dans un honteux silence,
Quand les Peuples surpris de sa magnificence
Viennent de toutes parts admirer ses grandeurs ?
***
 C’est peu qu’Alger tremblant, que Genes confonduë,
Viennent à ses genoux soumettre leur fierté ;
 C’est peu que l’Europe éperduë
Ait veu mille Ennemis implorer sa bonté.
LOUIS, de ces ingrats dédaignant les hommages
Demande à l’Univers de plus beaux témoignages
Que ceux que la frayeur & le trouble ont formez.
Il veut des sentimens & d’amour & d’estime.
C’est de vous qu’il attend ce tribut legitime,
Peuples, que sa valeur n’a jamais alarmez.
***
 Si-tost qu’avec cent voix la prompte Messagere
Fait par tout retentir ses faits prodigieux,
 De l’un & de l’autre hemisphere
Chacun vient contempler ce Heros glorieux.
Dans ces brûlans Climats où bornant sa carriere
Le Soleil va dans l’onde éteindre sa lumiere,
Le More * impatient ne peut plus s’arrester.
Il part, il fend les eaux d’une course rapide,
Et surpris à l’aspect de ce nouvel Alcide,
Il prefere LOUIS, au Fils de Jupiter.
***
 Sortez, ** fiers Habitans des Climats de l’Aurore,
Traversez pour le voir le vaste sein des Mers,
 Et vous direz avec le More
Que vous n’avez rien veu d’égal en l’Univers.
Le pompeux appareil de sa gloire éclatante,
Son esprit, sa bonté, passeront vostre attente,
Sur son auguste front vous lirez ses hauts faits,
Vous verrez cette main qui lance le Tonnerre,
Aprés avoir calmé les fureurs de la Guerre,
Verser mille faveurs dans le sein de la Paix.
***
 Quel spectacle déja sur le bord de la Seine !
Je vous vois observer ces Palais 1. orgueilleux,
 2. Ces Rivages 3. & cette Plaine
Où Mars 4. offre un azile au Soldat malheureux.
Cette grande Cité si belle & si feconde
Paris, vous paroist moins une Ville qu’un Monde ;
Cent miracles divers s’offrent de toutes parts,
D’Archimedes 5. nouveaux une Troupe éclairée,
Vous fait porter les yeux dans la voûte azurée
Où des feux 6. inconnus brillent à vos regards.
***
 Parmy tant de beautez que rien ne vous arreste,
N’y fixez pas long-temps vos regards curieux.
 Ce que Versailles vous appreste
N’est pas moins surprenant que le Palais des Dieux.
Ce Louvre, ces Jardins, ces Figures charmantes,
Ces Travaux, ce Canal, ces Ondes jaillissantes,
Ces Concerts, tout enchante en cet heureux séjour.
L’art tout puissant y sçait applanir les Montagnes,
Et fait naistre des fleurs au milieu des Campagnes
Où n’en pourroit former le bel Astre du jour.
***
 Mais si tout charme icy vos yeux & vos oreilles,
Si dans ce beau séjour vous estes ébloüis,
 A l’aspect de tant de merveilles,
Que ne sera-ce point à l’aspect de LOUIS ?
Hastez-vous d’approcher de son superbe Trône,
Voyez à ses costez & Minerve & Bellone
Maintenir les beaux Arts dans un parfait accord,
L’Injustice & l’erreur à ses pieds enchaînées,
Et toutes les Vertus par sa main couronnées,
A l’abry pour jamais des outrages du sort.
***
 C’est ainsi qu’adoré dans une paix profonde
Le plus sage des Rois, le plus grand des Mortels,
 Salomon, vit la Terre & l’Onde
A sa haute sagesse élever des Autels.
Au bruit qu’en répandoit par tout la Renommée,
D’un genereux transport une Reyne animée
Sortit pour l’admirer du fond de ses Etats.
Quel seroit aujourd’huy l’excés de sa surprise,
Si ses yeux pouvoient voir ce que la Terre éprise
Aprés un si long âge admire en nos Climats !
***
 Mais quel trouble soudain, quelle morne tristesse
Viennent forcer vos cœurs à pousser des soupirs,
 Tandis qu’une vive allegresse
N’offre de tous costez que pompe & que plaisirs ?
Sans doute de LOUIS vostre ame possedée
D’un triste éloignement ne peut souffrir l’idée,
Vous quittez à regret des lieux si pleins d’appas.
Mais un juste devoir au retour vous engage,
Et l’Asie a besoin de vostre témoignage
Pour croire des grandeurs qu’elle ne comprend pas.
***
 Allez, heureux temoins d’une si belle vie,
Aux yeux de vostre Prince en tracer le tableau,
 Tout l’Orient brusle d’envie
D’apprendre le succés d’un voyage si beau.
Etalez ces vertus, dont la vive lumiere
Va d’un nouvel éclat embellir l’Inde entiere,
Vous devez ce tresor à la posterité.
De l’Auguste LOUIS éternisez la gloire,
Vos noms avec le sien consacrez dans l’Histoire,
S’ouvriront un chemin à l’immortalité.
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Priere pour le Roy §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 21-22

PRIERE POUR LE ROY.

 Source éternelle de lumiere ;
 Seigneur, exauce ma priere,
J’invoque ta bonté pour le plus grand des Rois.
Répans toujours sur luy ta sagesse profonde,
Et l’on ne verra rien sur la terre & sur l’onde
 Qui ne soit soumis à tes loix.
Ce Prince qu’en tous lieux a suivy la victoire,
 Te consacre tous ses hauts faits,
 Et met son bonheur & sa gloire
A te faire regner au cœur de ses Sujets.
Que pourrions-nous, Seigneur, demander davantage,
Sinon qu’aprés avoir accomply ton Ouvrage,
 Tu ne l’abandonnes jamais ?

Cette Piece est de Mr l’Abbé de Maumenet, dont je vous ay envoyé un fort bel Ouvrage au commencement de ma Lettre du mois de Juillet dernier.

[Sonnet] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 22-24

 

J’ajoûte un Sonnet qui a esté presenté au Roy, & que Mr Mallement de Messange, qui en est l’Auteur, a fait à son retour de Rome. Vous sçavez par plusieurs Ouvrages que je vous ay envoyez de luy qu’il a beaucoup d’érudition, & qu’il sçait faire autre chose que des Vers.

Vous qui sans redouter le danger ny la peine,
Pour voir de l’Univers les plus beaux ornemens,
Passez d’affreux rochers, ou bien au gré des Vens,
Dans un fragile bois, coupez l’humide Plaine ;
***
 Si sur les bords du Tibre un pareil soin vous mene,
Afin d’y contempler dans ces vieux Monumens,
Sur des Marbres sauvez de l’outrage des temps,
Les restes orgueilleux de la grandeur Romaine ;
***
 Aprés avoir loüé les Siecles des Césars,
Tournez sur celuy-cy vos curieux regards ;
Vous ne vanterez plus ce que l’Histoire admire.
***
 Vos esprits éclairez & vos yeux ébloüis
Obligeront enfin vostre bouche de dire,
Qu’on n’a jamais rien veu de si grand que LOUIS.

[Buste de Sa Majesté élevé à Poitiers au lieu appellé, la Cour des Marchands] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 24-29

 

Je vous ay appris il y a déjà longtemps que le jour de Saint Loüis de l'année derniere, la Communauté des Marchands de la Ville de Poitiers avoit fait ériger à ses dépens une Statuë du Roy, dans la plus grande & plus belle Place de la Ville, qui a quitté le nom de Marché vieil, qu'elle avoit auparavant, pour prendre celuy de Place Royale, à cause du glorieux ornement qu'elle possede. Cette mesme Compagnie des Marchands a donné cette année, au mesme jour de Saint Loüis, de nouvelles marques de son zele pour la gloire de cet Auguste Monarque, & de sa juste reconnoissance de la protection qu'il daigne accorder à tous les Negocians de ses Etats. Ils ont fait mettre un Buste de Sa Majesté, relevé en or, sur la porte & principale entrée de leur Juridiction Consulaire, appellée vulgairement la Cour des Marchands. Ce Buste a deux autres Figures en relief à ses costez ; l'une est de Themis tenant dans sa droite une épée ; & dans sa gauche la balance, symbole de la Justice, & l'autre Figure est celle de la Prudence qui presente au Roy une Couronne. Cette erection se fit avec des acclamations extraordinaires ; & aux cris de Vive le Roy, accompagnez d'un concert de Voix & d'Instrumens. La Ceremonie fut suivie d'une Messe chantée en Musique dans la belle Chapelle de la Cour des Marchands, qui fut ce jour-là richement ornée. Tous les Marchands s'y trouverent en Corps. Mr Foucault, Intendant de la Province, dont le zele ne peut estre plus ardent pour tout ce qui regarde le Roy, ne manqua pas de s'y rendre. Il y vint accompagné de Mr le President du Presidial, & de plusieurs autres Personnes de qualité. La Messe estant achevée, on chanta le Te Deum & l'Exaudiat ensuite. Le reste du jour fut employé à des réjoüissances que les Marchands assemblez en Corps firent dans leur Maison commune. On y entendit plusieurs concerts d'Instrumens, qui durerent jusques à minuit, & l'on en tint toutes les portes ouvertes, afin que tout le monde pust prendre part à la Feste.

[Feste donnée par M. Trobat, Intendant du Roussillon] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 29-41

 

Quoy que l'usage de France n'ait jamais esté de celebrer le jour de la naissance des Rois, comme on y fait tous les jours des choses extraordinaires pour un Monarque aussi distingué que LOUIS LE GRAND, cet usage a commencé à s'y introduire depuis quelques années. Il y a beaucoup de justice à faire ces sortes de Festes pour la naissance des Princes, puis que les Particuliers en faisoient autrefois pour des Personnes privées. Ils celebroient ces naissances par des sacrifices, & afin que la beauté de ces jours ne fust pas foüillée par le mélange du sang des victimes, on y répandoit seulement du vin. Cet usage s'étendit jusqu'à célébrer le jour de la fondation des Villes, ce qu'on appelloit Paliles, ou Pariles ; & comme il ne trouvoit pas proprement sa place dans la mediocrité de ces sortes de sujets, il passa enfin jusques aux Princes. On ne se contenta pas de faire des Festes pour se réjoüir de leur naissance, on fit de pareilles ceremonies pour marquer le jour que leur Empire avoit commencé. Mr le President de Trobat, Intendant du Roussillon, mieux instruit que personne de tout ce qui s'est passé dans l'Antiquité, renouvelle tous les ans cette maniere de Feste le 5. de Septembre, jour de la naissance du Roy ; & comme la reduction de Perpignan sous l'obeissance de Loüis XIII. & la réunion de ce Pays-là à la Couronne, se fit le 9. de ce mesme mois, il joint dans son zele la grandeur de ces deux journées si proches l'une de l'autre, pour une seule réjouïssance, afin d'inspirer aux Peuples du Roussillon ce qu'ils doivent sentir, & pour la naissance de leur Prince, & pour le bonheur d'estre rentrez sous la domination de leurs premiers Maistres. Ainsi le 4. du mois passé, la ceremonie de cette Feste fut annoncée pour le lendemain, selon la coutume du Pays, par les Crieurs publics à cheval, au bruit des tambours & aux fanfares des trompettes de la Ville. Ces trompettes & ces tambours recommencerent à se faire entendre le matin du jour suivant, & un grand Peuple accourut à la Place de la Loge, qui se trouva tapissée de bout en bout. L'Hostel de Ville qui fait une des faces de la Loge, fut paré dedans & dehors avec une magnificence extraordinaire. A costé de l'entrée de cet Hostel, Mr l'Intendant avoit fait faire une niche à la rustique garnie de verdure, du milieu de laquelle, & du bout d'un Sceptre terminé par une Fleur de Lys, sortoit une fontaine d'excellent vin, qui tomboit dans un bassin, qu'on avoit pratiqué au dessous, & où le vin regorgeoit pour tout le Peuple qui en vouloit boire. Beaucoup de Tableaux & de Figures faisoient connoistre qu'on avoit dédié cette journée à la gloire du plus grand Prince du monde. A neuf heures du matin, le Conseil Souverain de ce Pays-là sortit du Palais en robes rouges. A la teste estoit Mr le Comte de Chaseron, Lieutenant General de la Province, au milieu de Mrs les Presidens de Sagarre & de Trobat. Les Conseillers, & les autres Officiers marchoient ensuite. Ils estoient suivis de l'Université de la Ville dans ses habits de ceremonie, & le College des Avocats fermoit cette marche. Toute cette Troupe se rendit au bruit des tambours & des trompettes, à l'Eglise Cathedrale de Saint Jean, où Mr l'Evesque de Perpignan officia. Il celebra la Messe en habits Pontificaux, & elle fut chantée par quatre Chœurs de Musique, placez en differens endroits de l'Eglise. On ne l'eut pas plûtost commencée qu'on entendit une décharge de Boëtes que l'on avoit rangées tout autour. La mesme décharge se fit à l'élevation & à la fin de la Messe, aprés laquelle le Pere Vaissiere, Correcteur des Minimes, monta en chaire, & parle d'une maniere fine & delicate qui lui attira beaucoup d'applaudissemens. Il fit voir l'obligation qu'ont les Sujets de mêler à la crainte de Dieu l'honneur & l'obeissance qu'ils doivent à leur Souverain. Les Colonels & autres Officiers des Troupes, assisterent à cette Ceremonie avec toute la Noblesse du Pays Les Consuls & Officiers de Ville s'y trouverent aussi avec leurs livrées, & quand tout fut achevé, le Conseil Souverain retourna au Palais dans la mesme pompe qu'il estoit venu. Mr l'Intendant de Trobat donna ensuite un magnifique repas à Mr le Comte de Chaseron, aux Colonels, & aux Officiers les plus considerables des Troupes. Deux grandes tables, chacune de vingt couverts, furent servies avec beaucoup d'abondance & de propreté, & tous les Conviez beurent debout à la santé du Roy. Pendant le repas il y eut de tres-beaux Concerts de Musique, de Violons, & de Flûtes douces. On fit des réjoüissances publiques dans tout le reste du jour, & ce ne furent que danses à la Place de la Loge. Quatre échafauts qu'on avoit dressez aux quatre coins, estoient remplis de Hautbois, & de Flûtes douces, & les Trompettes interrompoient de temps en temps cette harmonie. Les Dames placées aux Balcons de l'Hostel de Ville, & aux fenestres de toutes les Maisons qui aboutissent à cette Place, y faisoient un agreable ornement. Lors que la nuit fut venuë, on entendit une décharge du Canon de la Ville & de la Citadelle, & plus de mille flambeaux furent allumez sur cette Place. Les feux de joye augmenterent la clarté, & divers feux d'artifice donnerent en l'air un agreable spectacle. Toute la Ville fut illuminée, & pendant que tout y estoit en mouvement, Mr l'Intendant fit servir aux mesmes Officiers qu'il avoit déjà traitez, une Collation des plus magnifiques. Aprés cela, on se rendit à l'Hostel de Ville, où il y eut un bal public. Toutes les Dames y vinrent parées, & les liqueurs & les confitures n'y manquerent pas. La profusion que l'on en fit parut extraordinaire, & l'on donna mille loüanges à Mr le President de Trobat, qui avoit fait voir tant de zele à celebrer la naissance de nostre Auguste Monarque.

[Description des Bains d’Aix en Savoye] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 59-70

 

Aprés vous avoir parlé dans plusieurs Lettres des avantages qu’on tire des eaux minerales pour beaucoup de maladies, je vous envoye aujourd’huy une description des Bains d’Aix en Savoye, qui a esté leuë icy avec plaisir. On m’assure que la peinture des lieux y est fort juste.

BAINS D’AIX
EN SAVOYE.

C’est dans la Ville d’Aix que je passe mes jours,
De ces brûlantes eaux j’attens tout mon secours.
L’Auteur de l’Univers qui les pousse & les guide,
A mis dans leurs conduits une flâme liquide,
Dont les membres perclus où manque la chaleur
Reçoivent dans leurs nerfs une nouvelle ardeur.
Ces canaux sousterrains qui portent dans leurs veines
Avec l’ardeur du feu le cristal des fontaines,
Portent en mesme temps par un effet soudain
Aux maux les plus cachez un Remede certain.
 Les Romains autrefois, Maistres de tout le Monde,
Soûmirent à leurs loix cette terre feconde,
Et ce qui reste encor * de pompeux Monumens
Dont ils ornoient les lieux de leurs Gouvernemens,
Nous est de leur grandeur une marque éclatante,
Mais ces Bains merveilleux, & dont l’eau surprenante
Dans son brazier liquide enfermant tant d’effets,
Confond du Medecin & l’art & les secrets
Ces Bains jadis sans doute en leur riche structure
Faisoient voir comme l’art peut orner la nature,
Et ces Vainqueurs instruits du secret de ces eaux
S’y venoient delasser de leurs nobles travaux
De blessures couverts, bien souvent sans autre ayde
Ils y trouvoient ensemble, & plaisir & remede,
Et gueris de leurs coups, fort sains & bien remis,
Retournoient attaquer de nouveaux Ennemis.
 Fort proche de ce lieu dort un Lac † pacifique,
Dont le bord est charmant autant qu’il est rustique ;
Son onde a la couleur de celle de la Mer,
Sans en avoir pourtant ny l’odeur ny l’amer.
C’est une eau transparente, où l’œil pourroit sans peine
Penetrer jusqu’au fond de sa paisible arene,
Si l’obstacle qu’y met sa grande profondeur
Pouvoit permettre à l’œil d’en percer la hauteur.
Parmy tant de poissons dont tout ce Lac abonde,
Le ‡ Lavaret se plaist seulement dans cette onde,
Et luy seul, dédaignant de nager en autre eau,
Par tout ailleurs est rare autant qu’il est nouveau,
Ainsi que le Phenix unique en son espece,
Constant dans sa demeure il y reste sans cesse.
 Des deux costez du Lac, des Rochers sourcilleux
Elevent à l’envy leurs testes jusqu’aux Cieux,
Et de Rocs inégaux resserrant le rivage,
Par des sentiers étroits limitent le passage.
Du costé du couchant on voit le Mont du Chat,
Qui semble avec les Cieux vouloir livrer combat.
 C’est des flancs de ce Mont que sort cette § Fontaine
Celebre, & merveilleuse en sa course incertaine.
En retenant icy le cristal de ces eaux,
Ailleurs hors de son sein les poussant à grands flots,
Cette onde tantost libre & tantost prisonniere
Fournit à raisonner une riche matiere.
Soit qu’en prenant d’abord son cours dans un détroit
Pour son flux abondant trop petit, trop étroit,
Cette eau qui pour sortir tente mille entreprises
Ne puisse s’échaper qu’à diverses reprises,
Ainsi que dans un vase où le col resserré,
Ne donne à la liqueur qu’un cours reiteré,
Soit que cet élement s’amassant goute à goute
Se dégorge par fois, par fois cesse sa route,
Suivant qu’un Reservoir dans le Roc enfermé
Par la chute des eaux est ouvert ou fermé,
Ou soit que l’eau venant de la neige fonduë
Dans de certains détours soit par fois retenuë,
Ou que l’air introduit dans son étroit Canal
N’en puisse fondre assez pour faire un cours égal,
Ou bien qu’une vapeur trop épaisse & grossiere
A sa route s’oppose ainsi qu’une Barriere,
Soit qu’ainsi que la Mer elle fasse un reflux
Ou que dans son Canal certains vens retenus
Luy ferment tour à tour, & donnent le passage
Dans ce flux inconstant la raison fait naufrage.
En la mesme Contrée un Temple ** auguste & vieux
Que servent à l’envy de saints Religieux,
Construit aprés que l’art eut perdu tout son lustre,
Fait voir l’Antiquité d’un Edifice illustre.
Dans ce Temple ancien sous de riches Tombeaux
Des Princes Savoyards sont enfermez les os.
Invincibles Ayeux de cette jeune †† Altesse,
En qui la vertu brille avecque la sagesse.
 Aux deux extremitez du Lac & de ces Monts
S’étendent de plaisans & fertiles Vallons,
Où sans beaucoup de peine & sans grande culture
Le terroir abondant produit avec usure,
Et les effets divers de sa fecondité
De ces aimables lieux maintiennent la beauté.
Des Ruisseaux serpentans dans ces Plaines charmantes
Y forment de Cristal des veines ondoyantes,
Et de hauts Peupliers nourris par la fraîcheur
De l’humide rivage éloignent la chaleur.
D’un costé, de Ceres se fait voir la richesse
D’autre costé, Bacchus inspire l’allegresse,
Et tous deux de concert conspirent tour à tour
A qui rendra feconds les Costeaux d’alentour.
Flore dans la Prairie amene la verdure,
Et les Nymphes des eaux y font un doux murmure.
D’un autre costé Pan avec les Dieux des Bois,
De cent lieux differens a fait un juste choix.
 Voilà l’endroit, Oronte, où je fais ma retraite,
Trop heureux si j’y trouve une santé parfaite,
Et si l’eau redonnant malgré les Medecins
Une vigueur entiere à mes membres mal-sains,
Ce bonheur remplissant enfin mon esperance
Me fait joüir bien-tost de ta chere presence.
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[Morts] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 78-81, 83-84

 

Nous avons appris la mort de Dame Anne de Choiseul de Pralain, Abbesse de Nostre-Dame de Troye. Elle entra dans la Religion au mois de Septembre 1609. âgée seulement de vingt-deux mois, prit l'habit de Religieuse le 7 Novembre de l'année suivante, fit profession le 7. Novembre 1623, fut Coadjutrice de Madame Claude de Choiseul sa Soeur en 1627. fut benite Abbesse le 29 Septembre 1667. & mourut le 29 Aoust dernier, regretée generalement de sa Communauté, qu'elle a conduite pendant vingt & un an avec la derniere douceur, & dans toute la regle de son Ordre. Le deüil partïculier de cette Maison a passé jusque dans la Ville, qu'elle avoit édifiée par la sainte vie des Religieuses dont Dieu luy avoit donné le soin, & par les charitez continuelles qu'elle faisoit faire aux Pauvres. On n'eut pas plûtost appris sa mort, qu'on entendit toutes les cloches des Chapitres, Paroisses, & Communautez mêler leur son lugubre aux larmes qu'on versoit ailleurs, ce qui dura ce jour-là, & le lendemain, qui fut celuy de son enterrement. L'Eglise, & le Chœur des Religieuses, qui fut choisi pour le lieu de sa sepulture, estoient tendus depuis le haut jusqu'au bas de draps noirs, chargez d'Ecussons de la Maison de Choiseul. [...]

 

Après que la Messe, qui fut chantée par la Musique de S. Estienne, fut achevée, on entra en procession dans le Convent pour aller faire ses Obseques. [Suit la liste des communautés religieuses présentes.]

[Lettre de Mr de Fontenelle] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 90-100

 

Je vous envoye une Lettre qui ne sçauroit manquer de vous plaire, puis qu’elle est de Mr de Fontenelle dont vous estimez tant tous les Ouvrages. En rendant visite à Mr l’Envoyé de Suede, il fut surpris de la beauté d’un Portrait qu’il vit chez luy. C’estoit celuy d’une fort jeune personne. Il croyoit qu’en le faisant, le Peintre n’avoit suivy que sa seule idée, quand Mr l’Envoyé l’asseura que la personne dont il voyoit le Portrait, loin d’avoir esté flatée, estoit encore plus belle qu’on ne la representoit ; que c’estoit une Demoiselle Suedoise, aussi estimable par son esprit que par sa naissance, que toutes les Langues luy estoient connuës, & qu’elle avoit leu avec grand plaisir les Dialogues des Morts, & les Entretiens sur la pluralité des Mondes. Ce fut sur cette nouvelle peinture, que Mr de Fontenelle forma le dessein de luy écrire. Mr l’Envoyé de Suede voulut bien se charger du soin de luy faire tenir sa Lettre. En voicy la copie.

Mademoiselle,

Je ne sçay si en me donnant l’honneur de vous écrire j’écris à quelqu’un. Sur vostre nom qui est fort illustre, il faut que je vous croye Suedoise. Sur les grands yeux noirs que j’ay veus dans vostre Portrait, & qui doivent estre pleins de feu dans l’original, je vous croy Espagnole Sur de fort jolis. Vers François que l’on m’a montrez de vous, je vous croy Françoise. Sur d’autres Vers qui sont Italiens, je vous croy Italienne. Sur tout cela ensemble vous n’estes d’aucun Pays.

 Pour rendre le miracle encor plus achevé,
Dix-sept ans à peu prés, c’est l’âge qu’on vous donne.
Dix-sept ans jusqu’icy n’avoient gasté personne,
Pour vous, ils vous font tort ; l’esprit si cultivé
 Et dix-sept ans, font que je vous soupçonne
 De n’estre, Dieu me le pardonne,
Que quelque objet en l’air qu’un Poëte a resvé.

Cependant il est certain que Mr l’Envoyé de Suede prend l’affaire serieusement, & si l’on a à croire des prodiges, ce doit estre plûtost sur son autorité que sur celle d’aucun autre. Il soûtient que vous estes à Stokolm que mille gens vous y ont veuë & vous y ont parlé. Il dit mesme que vostre Portrait qui represente le plus charmant visage du monde, ne represente pas le vostre dans toute sa beauté, & que les Peintres de Suede ne flatent jamais. Mais pourquoy, nous qui sommes dans le Pays de la beauté, de l’esprit, & des agrémens, n’aurions-nous jamais rien veu de pareil à une Personne si accomplie ? Voilà ce que la vanité Françoise nous fait dire aussi-tost. A cela je ne sçay qu’une seule réponse qui puisse nous aider à croire tout ce qui se dit de vous.

 L’Amour, ailleurs si redoutable,
Ne trouve pas sans doute un climat favorable
Sous le Ciel de Suede, & si prés des Lapons.
Les cœurs y sont glacez, & pour fondre ces glaces,
N’a-t-il pas deu produire un Chef d’œuvre où les Graces
  Eussent répandu tous leurs dons ?
 Si nos climats n’ont rien qui ne vous cede
  Soit en esprit, soit en attraits,
C’est qu’Amour y soûmet les cœurs à moins de frais
 Qu’il ne pourroit faire en Suede.

Voilà, Mademoiselle, tout ce que j’ay pû imaginer pour me persuader que vous soyez une chose vray-semblable. Tirez-moy d’embarras, je vous en conjure, & ayez la bonté de me faire sçavoir si vous estes. Que vostre modestie ne vous empesche point de me l’avoüer naturellement, je vous promets de n’en parler à personne, car je n’aimerois pas qu’on me traitast de Visionnaire, & de plus, moy qui me pique d’estre bon François, je ne voudrois pas qu’on sceust que j’eusse intelligence avec une Etrangere qui triompheroit de toutes les Françoises, & qui effaceroit l’honneur de la Nation. Ce seroit là un assez grand crime contre ma Patrie. Cependant je m’accoûtume peu à peu à en faire encore un plus grand. Tous mes soûpirs à l’heure qu’il est sortent de France, & vont du costé du Nort.

Lieux desolez, où l’Hyver tient son siege
 Sur de vastes amas de neige ;
 Où les Aquilons violens,
 Et les frimats & les Ours blancs
 Composent son triste cortege,
 Mer glaciale, affreux Climats,
 C’est aprés vous que je soûpire ;
 Les lieux où regne un eternel Zephire
Le séjour de Venus, Cypre ne vous vaut pas.

Vous voyez, Mademoiselle, que mon cœur a déja bien fait du chemin, quoy que je doute encore que vous soyez au monde.

 Mais c’est des tendres cœurs l’ordinaire defaut,
Ils se hastent toûjours un peu plus qu’il ne faut,
  De suivre une agreable idée ;
 Avec ardeur ils courent la saisir,
Et des charmes trop doux leur ostent le loisir
 De s’assurer qu’elle soit bien fondée.

Cette idée seule que j’ay de vous a fait sur moy l’effet que pourroient faire les Belles mesmes de ce Pays-cy. Vous pouvez conquerir la Suede par vous-mesme, & le reste du monde par les deux Portraits que nous avons veus ; car je compte pour un Portrait vos Vers où vostre esprit s’est si bien peint. Je me flate que mes hommages qui ne seroient pas asseurement dignes de vous à Stokolm, deviendront de quelque prix en traversant quatre cens lieuës de Pays pour aller jusques à vous, & que s’il est triste de vous adorer de si loin, ce me sera du moins auprés de vous une espece de merite. Je n’en ay point d’autre à vous faire valoir, & je ne croy seulement pas que vous puissiez jamais sçavoir qui je suis,

 Si ce n’est que peut-estre un coup de la fortune
 Ait porté jusque sur vos bords
Le nom de l’Enchanteur qui fait parler les Morts,
 Et qui voyage dans la Lune.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 100-101.

Voicy un Air d'un habile Maistre, qui n'a encore esté veu que de peu de monde.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Tircis par mille soins me fait voir son amour, doit regarder la page 101.
Tircis par mille soins me fait voir son amour,
Il vient sous nos ormeaux me chercher chaque jour,
Et me dit tendrement tout ce qui peut me plaire.
Ah, qu'un Berger est dangereux
Auprés de sa Bergere,
Quand il merite d'estre heureux !
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[Lettre contenant un abregé de la vie de M. le Mareschal le Duc de Vivonne] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 101-106

 

Mr le Maréchal Duc de Vivonne, dont je vous appris la mort il y a un mois, s’est fait assez connoistre par les grandes choses qu’il a faites, pour n’avoir besoin d’aucun autre éloge. En effet, il est assez loüé par ses actions, & le détail que j’en pourrois faire icy seroit assez inutile Cependant comme un Abbé d’un fort grand merite, qu’on sçait avoir esté toujours attaché auprés de luy, a fait dans une Lettre fort belle & fort curieuse un abregé de la Vie de cet Illustre Défunt, je croy vous obliger en vous faisant part de ce qui merite d’estre vû de tout le monde Cette Lettre est adressée à Mr l’Evesque de Treguier, nommé à l’Evesché de Poitiers pour servir de Memoire celuy qui fera l’Oraison funebre de ce Maréchal aux Cordeliers de Poitiers, où son corps a esté porté dans la magnifique sepulture de ses Ancestres. Outre ce qu’elle vous apprendra de ses actions, vous y verrez bien des choses qui regardent l’histoire du regne de Sa Majesté.

Monseigneur,

La France vient de perdre un homme. C’est Mr le Duc de Vivonne, Pair & Mareschal de France, Gouverneur de Champagne & Brie, General des Galeres. Ce Seigneur illustre par tant de Titres glorieux, & d’actions éclatantes, avoit toutes les qualitez qu’on cherche dans les Grands Hommes, & en mesme temps toutes celles qui sont necessaires pour la societé. On ne peut avoir l’esprit d’une plus grande étenduë, l’avoir plus vif, plus penetrant, ny plus juste, & jamais on n’en eut un meilleur. Mais il ne s’estoit pas contenté d’un beau naturel, admiré de tout le monde, il avoit eu soin de le cultiver, par toutes les connoissances qui pouvoient servir aux emplois les plus relevez, & de ce qui en mesme-temps le pouvoit rendre plus agreable dans les conversations, & seconder ce genie merveilleux avec lequel il estoit né. Il connoissoit parfaitement le prix des Autheurs anciens, & modernes, il en jugeoit avec beaucoup de discernement, & il cherissoit sur tout les gens de Lettres ; il se plaisoit dans leur compagnie, & si sa modestie l’empeschoit de leur faire paroistre les connoissances qu’il avoit acquises par l’estude, il s’entretenoit neantmoins avec eux de façon qu’ils s’apercevoient aisément qu’il n’y avoit rien de perdu des belles choses qu’ils luy disoient, & qu’il sçavoit gouster ce qu’il aprenoit d’eux.

[Regiment de Vivonne donné à M. le Marquis de Thiange] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 211-213

 

Le 18. du mois passé, Mr l'Evesque de Noyon s'estant rendu à Challiot, en la maison de feu Mr le Marechal de Vivonne, leva le Corps qui estoit sur un Lit de Parade, & il le fit transporter en l'Eglise Abbatiale des Dames Chanoinesses de Sainte Geneviesve de Challiot où il dit la Messe. Toutes les Ceremonies de la Deposition furent faites en presence de plusieurs personnes de qualité, qui ne purent retenir leurs larmes à la veuë de ce lugubre spectacle. Ce Prelat presenta ensuite le Cœur de cet Illustre Maréchal à l'Abbesse du Convent, qui est une Dame d'un merite distingué. Elle receut ce depost d'un air qui marquoit combien elle estoit touchée. Aussi Mr de Vivonne avoit-il eu pour elle pendant son vivant beaucoup d'estime & de consideration.

Je ne sçay si vous sçavez que ce Maréchal avoit fait un Regiment en Sicile qui portoit son nom. Il estoit pourtant François. Les Drapeaux y avoient ses armes, ce que le Roy avoit permis ainsi qu'aux Tambours qui estoient aussi vestus de ses Livrées. [...]

[Mort de l’architecte Perrault]* §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 226-230

 

Nous avons perdu ce mois-cy Mr Perrault, Docteur en Medecine, & de l’Academie des Sciences. Il estoit fort habile dans tout ce qui regarde les beaux Arts, & le Public luy est obligé de la belle traduction qu’il luy a donnée de Vitruve. Elle est extrémement recherchée, & a fait plaisir à beaucoup d’Architectes Mr Perrault n’estoit pas seulement sçavant dans la belle Architecture, mais il a sceu mettre cette science en pratique. L’Arc de Triomphe a esté fait sur son dessein, aussi-bien que la façade du Louvre ornée du beau peristille qui l’accompagne. C’est un Ouvrage fort estimé de tous ceux qui s’y connoissent, & que les Etrangers regardent avec étonnement. Il a aussi fait bastir l’Observatoire, dont la construction qui est singuliere, demandoit un genie, qui eust une parfaite connoissance des Sciences pour lesquelles on a élevé ce Bastiment. Je vous en ay donné une ample & curieuse description, dans l’une de mes quatre Lettres touchant l’Ambassade de Siam en France, où l’on voit, comme vous sçavez, des choses tres-particulieres qui n’avoient jamais esté sceuës, quoy que l’Observatoire soit connu depuis long-temps. Outre les dix Livres d’Architecture de Vitruve, traduits en nostre Langue, avec des Notes & des Figures, dont on a fait une seconde édition in folio, corrigée & augmentée, Mr Perrault a donné les Ordonnances des cinq especes de Colomnes selon la Methode des Anciens, aussi in folio, avec des Figures, & des Essais de Physique, ou Recueil de plusieurs Traitez touchant les choses naturelles, quatre volumes in douze avec des Figures. Il a laissé un nouvel Ouvrage de Physique qu’on va debiter. Les lumieres qu’il avoit sur toutes choses faisoient qu’on le regardoit comme un homme rare ; aussi estoit-il d’une Famille qui a toujours esté tout esprit. Mr Perrault son Frere, qui est de l’Academie Françoise, en rend un témoignage qu’on ne sçauroit contester.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 241-291

 

La beauté conduit à tout quand on a assez d’esprit pour la menager avec adresse. Ces deux avantages s’estant rencontrez dans une jeune Personne qui manquoit de bien & de naissance, elle en a sceu si bien profiter, qu’ils l’ont élevée à une fortune qu’elle soûtient aujourd’huy admirablement. Le nom d’Angelique qui luy fut donné, répondoit aux agrémens qui la rendoient toute aimable. Elle n’avoit que douze ans lors qu’elle perdit son Pere & sa Mere. En ce malheureux estat, une Tante qui sçavoit le monde & qui n’avoit point d’Enfans, la fit venir avec elle. Quoy qu’elle fust assez peu accommodée, & que la dépense qu’il luy falloit faire pour l’entretenir se pust nommer une charge, elle avoit ses veuës en la prenant. C’étoit une Femme de beaucoup d’intrigue. Sa Niece estoit belle, & sembloit avoir ce je ne sçay quoy qui est encore plus piquant que la beauté. Ainsi s’il luy devoit couter quelque chose pour la tenir propre & dans un estat à faire valoir ses charmes, elle esperoit s’en dédommager par les Amis qu’elle pourroit luy donner un jour. En effet, à peine eut-elle atteint sa quinziéme année, qu’on ne parla plus que de la belle Angelique. La fraischeur de la jeunesse jointe aux traits les plus touchants la fit regarder avec des yeux d’admiration. On eut de l’empressement à trouver accés chez elle, & comme personne n’y pouvoit estre receu sans avoir gagné la Tante, elle eut bien-tost le plaisir de se voir faire la cour. C’estoit ce qu’elle attendoit depuis long-temps. Elle ne fut pas inexorable. On prenoit divers pretextes pour aller la voir, & la Niece estant toûjours de la conversation, & disant les choses de la maniere du monde la plus agreable, on estoit charmé de l’entretenir ; mais si ce charme attiroit, on n’alloit pas loin sans estre arresté. Aprés deux ou trois visites, la Tante opposoit des regles de bien-seance dont on ne s’affranchissoit que par des voyes utiles pour elle. On n’ignoroit pas que sa fortune estoit mediocre, & les presents applanissoient les difficultez. Elle avoit l’adresse, non seulement de s’en attirer, mais de se faire imposer une espece de contrainte pour se resoudre à les recevoir. Cependant ils ne servoient qu’à faire obtenir la permission d’un entretien general, & il falloit payer cherement un teste à teste, quand pour l’accorder elle feignoit quelque affaire qui l’obligeoit à quitter sa Niece. Mais si la belle Angelique demeuroit alors sur sa bonne foy, l’Amant qui sembloit favorisé n’en tiroit pas un grand avantage. La Tante qui luy donnoit de bonnes leçons, luy avoit souvent reïteré, que la fierté seule luy pourroit faire trouver un Mary, & que tout son bien consistant dans sa beauté, c’estoit à elle à étudier le foible de ceux qu’elle luy attireroit pour réüssir dans quelque établissement. Elle ajoûtoit que la tendresse de cœur estoit la perte des Filles, & que pour se mettre bien avec la fortune, il ne falloit jamais rien aimer. Ces maximes estoient assez du goust d’Angelique ; aussi les pratiquoit-elle fort heureusement. Elle avoit l’esprit aussi fin que penetrant, & il luy estoit aisé de demesler que tout l’attachement que luy faisoient voir ceux qui en avoient le plus pour elle, estoit fondé sur les esperances d’une liaison de galanterie. Ils s’en flaterent inutilement. Leurs plus ardentes protestations demeurerent sans pouvoir ; elle ne se laissa ébloüir d’aucune, & toutes les offres qui luy furent faites, & qu’on luy faisoit d’autant plus ouvertement que sa condition qui estoit fort basse, sembloit les autoriser, ne la purent faire consentir à aucun engagement. La Tante prenoit toujours, & Angelique feignoit de n’en rien sçavoir. Quand elle auroit pû souffrir que l’on eust fait quelque dépense pour elle, il n’y eust eu rien d’assez solide pour remplir l’ambition dont elle estoit tourmentée. Elle avoit besoin de rencontrer une Dupe qui luy voulust tout sacrifier. C’est ce qu’on ne trouve pas toujours aisément. Les hommes s’accoustument de bonne heure à se tenir sur leurs gardes, & quand il s’agit de mariage les plus amoureux y pensent plus d’une fois. D’ailleurs, quoy qu’Angelique parust d’une vertu fort exacte, comme elle voyoit beaucoup de monde, chacun ne se croyoit refusé que parce qu’un autre estoit plus heureux que luy, & les visites qu’elle recevoit engageant toujours à quelque Tribut envers la Tante, si on ne la mettoit pas au rang des Filles d’une reputation douteuse, elle passoit au moins pour une coquette. Trois ans s’estant coulez de la sorte, sans quelle eust trouvé un épouseur, elle reconnut que cette conduite ne luy estoit pas avantageuse, & que si un tour d’esprit ne secondoit sa beauté, elle estoit en risque de ne pas changer d’estat. On luy parla d’un vieux Marquis de Province, qui s’estant déja marié deux fois, avoit la tentation de faire une troisiéme folie. C’estoit un homme fort riche, demeurant à une Terre à quinze lieuës de Paris. Il estoit facile à s’enflamer, & s’estoit laissé duper par ses deux premieres femmes, qu’un entestement d’amour luy avoit fait épouser. Angelique ayant appris qu’il avoit le cœur sensible, crut qu’elle en pouvoit entreprendre la conqueste. Elle inventa un Roman qu’elle concerta avec sa Tante, & un jour qu’elles furent averties qu’il disneroit à un certain Bourg, au retour d’un court voyage qu’il faisoit de temps en temps, elles se rendirent à l’Hôtellerie où il avoit accoûtumé de descendre. La beauté d’Angelique estant de celles qui brillent & qui surprennent, l’Hôtesse qui eu fut frappée la mit dans une chambre fort propre, & s’empressa à luy demander ce qu’elle vouloit. Elle affecta un air de langueur qui la rendoit encore plus belle, & luy répondit en soûpirant qu’il ne falloit à disner que pour la Demoiselle qui l’accompagnoit, parce qu’elle estoit dans un estat qui luy ostoit l’envie de manger. L’Hôtesse entra dans son déplaisir, quoy qu’elle n’osast luy en demander la cause, & luy ayant dit tout ce qu’elle put pour adoucir ses chagrins, elle la quitta au bruit d’un Carrosse qu’elle entendit arriver. C’estoit le Marquis. Elle luy dit aussi-tost qu’elle avoit chez elle la plus belle Fille qu’elle eust jamais veuë, mais si affligée que cela faisoit pitié. Le Marquis fut attendry, & dans l’impatience qu’il eut de la voir, il pria l’Hôtesse de le mener dans sa chambre. Il prit pour pretexte une liberté de Voyageur, & luy demanda si elle voudroit souffrir qu’il eust l’honneur de disner avec elle. L’Hôtesse l’ayant asseurée que c’estoit un Gentilhomme des plus estimez de tout le Pays, sortit un moment aprés pour donner ordre au repas. La Belle répondant civilement à toutes les honnestetez du vieux Marquis, le pria de s’épargner l’ennuy qu’il auroit de passer deux heures avec une malheureuse, dont la conversation ne pouvoit qu’estre importune. Sa beauté fit sur son cœur l’effet qu’elle en attendoit. Il en parut vivement touché, & commençant à s’interesser dans sa fortune, il la conjura de luy découvrir qui elle estoit. Elle fut long-temps à s’en défendre sur ce qu’il luy estoit important de demeurer inconnuë, & ce refus le rendant plus curieux, il la pressa tant qu’elle luy dit que de puissantes raisons luy imposoient la necessité de cacher son nom, & que tout ce qu’elle pouvoit luy apprendre en general, c’estoit qu’estant demeurée sans Pere ny Mere avec douze mille livres de rente lors qu’elle n’avoit encore que dix ans, son Tuteur qui estoit son Heritier, l’avoit enfermée dans un Convent, où il avoit fait tous ses efforts pour l’obliger à prendre l’Habit ; que n’ayant pu en venir à bout, il avoit voulu luy faire épouser un de ses Fils, homme mal fait & de nul merite, & qu’enfin par le conseil d’une Tante qui estoit la seule de tous ses Parens qui prenoit ses interests, elle avoit trouvé moyen de s’échaper du Convent, & qu’elle alloit à Paris se cacher chez la Demoiselle dont il la voyoit accompagnée, en attendant qu’on eust pris de justes mesures pour la garantir de la persecution de son Tuteur. Tout cela fut dit avec des marques d’un si grand accablement, & d’une maniere si noble, que le Marquis ayant donné dans le piege, ne douta point qu’Angelique ne fust une Fille de qualité. L’amour échauffant déja son cœur, il la pria de venir chez luy, l’asseurant qu’elle y trouveroit tout le secours qu’elle devoit s’en promettre. La Belle luy témoignant beaucoup de reconnoissance de cette offre, dit qu’elle seroit fachée de l’enveloper dans son malheur, que ses Ennemis étoient d’une humeur fort violente, & que dans le desespoir où ils seroient lors qu’on leur auroit appris qu’elle s’estoit tirée du Convent, il n’y avoit rien qu’ils ne fussent capables d’entreprendre contre ceux qui auroient favorisé son évasion. La Tante qui n’avoit point encore parlé, comme se tenant dans le respect, dit alors à Angelique que dans l’estat où ses affaires estoient, elle ne feroit pas mal d’accepter les offres que luy faisoit Mr le Marquis ; que comme on ne pourroit deviner qu’il la connust, sa maison seroit un lieu où personne ne s’aviseroit de la chercher, au lieu qu’estant cachée à Paris chez elle, ses Parens qui mettroient par tout des espions, pourroient découvrir qu’elle y seroit, & la tireroient d’entre ses mains sans qu’il luy fust possible de la défendre contre eux, comme pourroit faire Mr le Marquis, dont la qualité seroit respectée. Le raisonnement fut trouvé bon, & le Marquis l’ayant appuyé avec beaucoup de chaleur, la Belle fut obligée de se rendre, à la charge qu’il luy donneroit un Appartement, où elle ne seroit veuë que de quelques-uns de ses Domestiques. La condition fut acceptée. On servit le disné, & le Marquis luy fit de si instantes prieres de moderer son chagrin, qu’elle resolut pour l’amour de luy de reprendre la gayeté qui luy estoit naturelle. Il estoit ravy d’avoir à garder un si precieux tresor, & tenoit sans cesse les yeux attachez sur elle. Lors qu’elle fut arrivée chez luy, il la logea dans un fort beau Pavillon, où il la voyoit à tous momens. Elle le pria d’abord de trouver bon qu’elle fist sçavoir toutes choses à cette Tante, qui luy avoit conseillé d’abandonner le Convent, afin de pouvoir apprendre par elle dans quel sentiment seroient ses autres Parens. Il le permit avec joye, & la veritable Tante qui étoit auprés d’elle, & qu’elle nommoit sa Gouvernante, se chargea du soin de faire venir la réponse avec d’autres Lettres de differente écriture, selon qu’elles en auroient besoin pour le succés de la tromperie. Elle les concertoit avec Angelique, & un Correspondant de Paris les renvoyoit dans les mesmes termes qu’elle luy marquoit de les faire écrire. La chose estoit conduite avec tant d’adresse, que toutes ces Lettres venoient par le Courrier de Bretagne, qui passoit à une lieuë de la Terre du Marquis, où il les laissoit. C’estoit là que la belle Fugitive luy avoit dit qu’estoit tout son bien. Elle luy avoit sur tout parlé d’un vieux Chasteau, ce qui marquoit une ancienne Noblesse. La réponse de la Tante pretenduë qui vint quelques jours aprés sous une envelope particuliere pour le Marquis, faisoit connoistre la joye qu’elle ressentoit de la retraite qu’elle avoit trouvée. Elle l’exhortoit à se bien cacher, parce que son Tuteur desesperé de sa fuite, avoit envoyé aux environs du Convent pour découvrir où elle s’estoit refugiée, & que s’il pouvoit venir à bout de se resaisir de sa personne, elle en devoit craindre toute sorte de malheurs. Cette Lettre luy ayant esté apportée par le Marquis, elle la leut devant luy, & il témoigna une forte resolution de la défendre contre l’injustice. Cependant comme il estoit toujours avec elle, ses manieres qui estoient toutes charmantes l’engageoient de plus en plus, & elle connut bientost que l’amour seul avoit part aux soins empressez qu’il luy rendoit. Elle profita de ces dispositions pour l’enflamer encore davantage, & de nouvelles Lettres de la Tante pretenduë servirent beaucoup à le faire declarer. Elles portoient qu’on se vantoit de sçavoir où elle estoit ; que pour se mettre à couvert des violences qu’elle avoit à redouter, elle luy conseilloit de se marier sans retardement dans la maison mesme du Marquis ; que c’estoit l’avis de ceux qui demeuroient dans ses interests ; que quand elle paroistroit avec un Mary, les plus emportez n’auroient rien à dire ; que pour cela elle avoit jetté les yeux sur un jeune Gentilhomme qui avoit du bien, & qui l’ayant vûë avant qu’elle entrât dans le Convent, estoit fort content de sa personne, mais que son Tuteur & ses enfans qu’il falloit avoir pour ennemis, luy faisoient un peu de peine, & qu’au premier jour elle l’instruiroit de toutes choses. Cette Lettre fit dire au Marquis qu’elle trouveroit des gens qui s’exposeroient avec plaisir à l’inimitié de son Tuteur. Six jours aprés on receut une autre Lettre qui s’adressoit à luy-mesme ; le caractere estoit different. On l’avertissoit qu’on luy viendroit demander une jeune Demoiselle qu’il gardoit chez luy depuis quelque temps, & on le prioit de la remettre sans bruit entre les mains de ceux qu’il verroit autorisez par un ordre de justice, avec menace s’il refusoit de la rendre, de se servir de toutes sortes de voyes pour le mettre à la raison. La pretenduë Tante écrivit en mesme temps que le Gentilhomme qu’elle vouloit luy faire épouser estoit tout prest de partir, lors qu’il avoit esté retenu par certaines procedures que l’on disoit avoir esté faites sur sa fuite du Convent, & quelle tâcheroit de s’en éclaircir pour luy en donner des nouvelles seures. Toutes ces choses convainquirent le Marquis du bien & de la naissance de sa belle Prisonniere. Il s’abandonna à son amour, & luy remontrant qu’elle n’avoit point de temps à perdre, il luy dit que si ses années ne luy faisoient point de peur, il étoit tout prest de l’épouser, que ce mariage feroit avorter les desseins de son Tuteur, & que peut-estre y alloit-il de ses interests d’y consentir, puisqu’il voyoit bien que ce Tuteur s’estoit fait si redoutable, qu’elle auroit peine à trouver dans le Pays un homme assez resolu pour se vouloir faire des affaires avec luy. La Belle affectant de fausses larmes, dit au Marquis qu’aprés toutes les bontez qu’il avoit pour elle, il seroit injuste qu’elle en abusast ; que luy estant aussi obligée qu’elle l’étoit, elle ne pouvoit souffrir qu’il prist un engagement dont les suites ne pouvoient qu’estre facheuses, & qu’il valoit mieux qu’on l’abandonnast à toute la malignité de son étoile. Ce feint refus ne servant qu’à luy donner plus d’amour, il la pressa de telle maniere qu’elle fut enfin forcée de se rendre, mais à la charge qu’il luy donneroit le temps de demander le consentement de sa Tante, & de quelques autres de ses Parens, afin que la chose eust plus de force. Ce ne fut pas sans beaucoup de peine qu’il supporta ce délay qui luy paroissoit un siecle. Le consentement qu’elle demandoit ayant esté envoyé dans toutes les formes avec de grandes signatures de faux Notaires, le mariage se fit. Le Marquis charmé de sa conqueste mit sa Prisonniere en liberté, & déclarant qu’elle estoit sa femme, il receut les complimens de toute la Noblesse des environs. La jeune Marquise fort satisfaite d’un titre qu’elle avoit si ardemment souhaité, répondit de si bonne grace, & avec tant d’honnesteté aux marques d’estime qu’on luy donna, que la beauté ayant d’ailleurs un charme attirant pour tout le monde, elle gagna tous les cœurs. Elle affectoit beaucoup de simplicité dans ses manieres, & elle y mêloit de certains airs nobles qui faisoient dire que l’éducation du Convent ne luy avoit rien osté de ce qu’elle tenoit de sa naissance. Elle eut sur tout pour le vieux Marquis des complaisances qui luy donnerent tout pouvoir sur son esprit ; il y alloit de ses interests de luy inspirer beaucoup d’amour, puisqu’il luy estoit impossible d’éviter que la tromperie ne fust bientost découverte, & qu’à moins qu’il ne l’aimast passionnément, cette connoissance devoit produire de méchants effets pour elle. Le mal que l’on craint arrivant toujours trop tost, elle employa toutes sortes de moyens pour le tenir long-temps en erreur, & aprés quelques Lettres le la fausse Tante qui la felicitoit sur son Mariage, & luy donnoit d’utiles conseils pour sa conduite, il en vint une qui luy apprenoit que son Tuteur avoit été averty de tout ; qu’il en estoit dans une fureur inconcevable, & que les menaces qu’il faisoit luy donnant sujet de craindre que la vie du Marquis ne fust pas en seureté, elle devoit l’obliger à ne point sortir qu’avec bonne escorte. Le Marquis luy dit sur cette menace, que c’estoit un feu qui n’auroit point de durée, & laissa passer encore six mois, pendant lesquels tous les avis qu’on receut, furent que le Tuteur pretendoit avoir mis si bon ordre à toutes choses, que la Marquise ne joüiroit de son bien qu’aprés de terribles avantures. Cela n’étonna point le Marquis. Les menaces luy paroissoient aisées à faire de loin, & il ne pouvoit se persuader qu’on voulust risquer assez pour en venir aux effets. Ainsi la saison estant fort belle, & douze mille livres de rente valent bien la peine de les demander, il resolut d’aller se mettre en possession du bien de sa Femme. Quoy qu’il eust pour elle toute la tendresse imaginable, sa crainte ne put le retenir plus longtemps. Tout ce qu’elle obtint, ce fut d’avoir encore des nouvelles de sa Tante, qui luy manda que tout estoit assez calme, qu’elle croyoit que ses ennemis se rendroient à la raison, & que s’il n’arrivoit rien qui changeast l’estat des choses, elle ne manqueroit pas de les venir recevoir à la derniere couchée. Ils partirent là-dessus, le Marquis faisant accompagner son carrosse d’un assez grand nombre de ses Domestiques bien armez ; & ils avoient déja fait quarante lieuës, lors que la Marquise, toujours de concert avec la vraye Tante qui écrivoit pour la fausse, cherchant à parer, ou à reculer du moins ce dernier coup, fit paroistre un Envoyé avec une Lettre, qui portoit que son Tuteur ayant esté averty de son départ, avoit fait mettre le grand Prevost en campagne avec quantité d’Archers pour arrester le Marquis ; qu’il avoit traité son mariage de rapt, & obtenu un decret ; que la Justice alloit fort vîte en Bretagne, où l’on faisoit couper la teste à un homme avant qu’il eust le temps de se reconnoistre, & qu’ayant â se défendre du crime qu’on luy vouloit imputer, il valoit mieux qu’il le fist de loin, tout estant à craindre pour luy dans un lieu où il n’auroit que son bon droit pour appuy, & où sa Partie estoit puissante. Cette nouvelle mit tout en desordre. La Marquise qui trouvoit des larmes quand elle vouloit, n’en fut point avare. Elle pria son Mary d’une maniere touchante de luy épargner le desespoir où elle seroit, si sa vie couroit le moindre danger, & comme elle estoit dans un commencement de grossesse, ce qui donnoit beaucoup de joye au Marquis, il ne la voulut point exposer à de plus longues frayeurs. D’un autre costé, l’accusation du rapt avoit de la vray-semblance ; c’estoit une Fille de qualité tirée d’un Convent ; il l’avoit tenuë cachée chez luy, & il crut devoir prendre ses précautions contre les poursuites dont on luy donnoit avis. Il jugea donc à propos de ne pas aller plus loin, & donna ses ordres pour retourner à sa Terre, jurant à sa femme qu’il renonceroit plutost toute sa vie à son bien que de la mettre jamais dans les alarmes où il la voyoit, mais il ne fit pas tout le chemin sans apprendre ce qu’on luy cachoit avec tant de soin, & la même Hostellerie où son amour avoit commencée, servit à le tirer de l’erreur où il estoit depuis si long-tems. Il y estoit à peine arrivé qu’un Cavalier de sa connoissance y arriva comme luy. Un de ses gens qu’il trouva en décendant de Cheval luy ayant dit que son Maître estoit en haut, il monta incontinent à sa chambre, & ne luy eut pas dit plutost quelques mots, qu’apercevant Angelique il alla à elle, & luy demanda avec beaucoup de surprise, ce qu’elle faisoit avec le Marquis. Elle fut embarassée, & auroit peut-estre feint de ne l’avoir jamais veu si dans ce moment sa Tante ne fust entrée. Le Cavalier luy parla avec la mesme familiarité qu’il avoit fait à la Niece, & toutes deux rougissant, & se regardant sans oser rien dire, le Marquis que ce mistere rendit inquiet ne voulant point d’éclaircissement qui fist éclat, pria le Cavalier de décendre, parce qu’il seroit bien aise de l’entretenir. Quand ils furent seuls, il le pria de luy dire d’où il connoissoit les Demoiselles qu’il venoit de voir. Le Cavalier ayant esté un de ceux qui avoient paru les plus empressez auprés d’Angelique, ne fit aucune façon de luy en conter l’Histoire. Il ajoûta que ne luy voyant ny bien ny naissance, il s’estoit flaté que la conqueste ne seroit pas difficile, & que les presens que la Tante recevoit l’avoient fortifié dans cette esperance, mais qu’aprés beaucoup de soins & de protestations d’amour ayant reconnu qu’il n’y avoit rien à faire, à moins qu’il ne parlast une langue qui ne luy convenoit pas il s’en estoit retiré ; qu’il sçavoit que la mesme chose étoit arrivée à plusieurs personnes qui l’avoient aussi aimée passionnément, & qui avoient quitté la partie sans avoir pû obtenir la moindre faveur ; qu’aprés cela il avoit esté surpris de la trouver dans sa Chambre, & que s’il estoit venu à bout de surmonter sa fierté, il falloit qu’il l’eust ébloüie par quelque établissement fort considerable. Le Marquis voyant que sa destinée estoit d’estre toujours dupe, trouva au moins quelque consolation dans l’asseurance qu’on luy donnoit de la vertu de sa femme. Il l’aimoit avec excés, & comme elle n’oublioit rien de ce qui pouvoit l’en rendre digne, il luy estoit impossible de l’abandonner. Dans cette agitation d’esprit, il fit encore quelques questions au Cavalier pour trouver le temps de se remettre de la surprise qu’il avoit laissé paroistre, & s’estant enfin déterminé à luy faire croire qu’ayant formé le dessein de l’épouser il n’avoit rien fait qu’en connoissance de cause, il luy dit que cette belle personne luy ayant paru d’une sagesse invincible, il avoit voulu satisfaire son amour en la prenant pour sa femme, mais que pour s’en faire honneur dans le monde, il avoit dit que c’estoit une Fille de qualité de Bretagne qui avoit du bien, & qu’il le prioit de ne pas détruire ce qu’il avoit publié. Le Cavalier luy en ayant donné sa parole, il le mena à sa Femme, qui n’estoit pas moins embarassée que sa Tante, d’une rencontre qui découvroit ce qu’elles estoient. Pour rassurer la jeune Marquise, il luy dit d’abord d’un air libre & fort content, que puis que le Cavalier la connoissoit depuis si longtemps, il ne vouloit pas qu’elle devinst Bretonne pour luy, qu’elle devoit l’estre seulement pour tous les autres à qui il estoit bon de cacher qu’il s’estoit laissé surprendre assez à l’amour, pour avoir bien voulu épouser une personne d’une naissance si inégale à la sienne. La Tante & la Niéce comprirent par-là le tour qu’il avoit donné à son Mariage. Le Cavalier fit son compliment à la Marquise sur l’état avantageux où il la trouvoit, & il le fit en des termes qui firent connoistre qu’il l’estimoit veritablement. Il disnerent tous ensemble, & quand le Cavalier fut party, la Tante & la Niéce se jetterent aux pieds du Marquis, pour luy demander pardon de la tromperie qu’on luy avoit faite. Il répondit que chacun devant travailler pour sa fortune, il n’avoit point à se plaindre d’elles, & la Marquise qui estoit en larmes, ne se hastant point de se relever, il l’assura qu’il oublieroit tout avec plaisir, pourveu qu’elle eust soin de se conserver dans sa grossesse. Elle luy donna un Fils, qui fut pour luy un sujet de joye, qu’il fit éclater par toutes sortes de réjoüissances. De cinq Enfans que ses deux premieres Femmes luy avoient donnez, il ne luy en restoit point à qui laisser sa succession. Trois Filles s’estoient faites Religieuses, & deux Fils qu’il avoit eus, estoient morts pour le service du Roy pendant les dernieres Guerres. Cet heureux gage de l’amour de la Marquise redoubla celuy qu’il avoit pour elle, & il l’estime aujourd’huy & la considere d’autant plus, qu’elle paroist estre née ce qu’il l’a faite, tant sa conduite & ses manieres douces & honnestes sont d’une personne de qualité.

Récit de Basse §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 299-300.

L'Air qui suit est du fameux Mr de Bacilly. Il en a mesme fait les paroles, ainsi que d'une infinité d'autres Recits de Basse, dont il est l'original & l'Inventeur. Il y a quelques Vers irreguliers mais il les a fait exprés de cette mesure, parce qu'ils s'accommodent mieux au chant.

RECIT DE BASSE.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Celebrons le verre à la main, doit regarder la page 300.
Celebrons le verre à la main
Ces Vandanges,
Qui nous fournissent tant de Vin.
Autant que nous voyons de Bled dans nos granges,
Autant nous allons voir nos caves sans fin
Se remplir de ce jus divin.
images/1688-10a_299.JPG

[Annonce du prochain volume]* §

Mercure galant, octobre 1688 (première partie) [tome 14], p. 327-328

 

Vous voulez bien, Madame, que je ne pousse pas plus loin cet article. Je ne l’ay pas mis dans son entiere étenduë pour me reserver à vous décrire dans une autre Lettre toute la premiere Campagne de Monseigneur le Dauphin. Vous l’aurez un peu aprés que la nouvelle de la prise de Philisbourg aura esté apportée. Ainsi ce que je viens de vous dire, est seulement pour satisfaire vostre curiosité, en attendant que je vous l’envoye accompagné de toutes les circonstances qui doivent y estre jointes, & dont on n’est jamais assez bien instruit par les premieres nouvelles. Je suis, Vostre, &c.

A Paris, ce 31. Octobre 1688.